La création de la Cour de discipline budgétaire et financière : enjeux et débats
p. 347-380
Plan détaillé
Texte intégral
Introduction
1Le contrôle des ordonnateurs a longtemps été conçu comme de nature essentiellement politique, l’ordonnateur principal est le ministre auquel est confié un budget et sur lequel pèse l’obligation de rendre compte. Or, le principe consistant à rendre le ministre responsable de l’ensemble de son administration a, jusqu’à la création de la Cour de discipline budgétaire, abouti à ce que toute responsabilité, autre que comptable, soit quasi inexistante en cas de violation des règles budgétaires et comptables. Malgré la multiplication des clauses de style rappelant la responsabilité personnelle du ministre ordonnateur aux lendemains de la première guerre mondiale, cette responsabilité qui se voulait juridique se ramenait en réalité à la responsabilité politique des intéressés, permettant ainsi à Georges Vedel d’écrire en 1948 que « l’histoire des textes organisant la responsabilité des administrateurs est faite de désillusions1 ». Car, au-delà des débats anciens entre responsabilité civile et responsabilité pénale, la mise en jeu de la responsabilité personnelle des ordonnateurs nécessitait aussi de dissocier la responsabilité du ministre de celle de ses subordonnés. Sanctionner un ordonnateur impliquait, en effet, de dépasser la fiction selon laquelle la responsabilité politique du ministre englobe toutes les autres. La logique ayant présidé à la création de la Cour de discipline budgétaire (CDBF) allait ainsi distinguer très nettement la responsabilité du ministre, que l’on n’a jamais su véritablement détacher de la responsabilité politique, de celle des autres ordonnateurs.
2Cette mise en jeu de la responsabilité de l’ordonnateur avait déjà été abordée à plusieurs reprises au cours des décennies qui précédèrent l’adoption de la loi du 25 septembre 1948. Les travaux de la commission de révision du décret du 31 mai 1862 mise en place en 1878 par Léon Say abordèrent, notamment, ce sujet. Les discussions qui eurent lieu en son sein envisagèrent la création d’une responsabilité pécuniaire de l’ordonnateur qui serait le pendant de celle pesant sur le comptable public, mais sans qu’aucune avancée concrète n’en résulte2. Le débat va évoluer progressivement après l’adoption de la loi du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées. La proposition de loi de Louis Marin3 déposée lors de la séance du 28 novembre 1921, qui allait donner naissance à la loi de 1922, était très courte et tenait en trois articles. L’un d’eux4 donnait au contrôle des dépenses engagées son efficacité en rendant les ministres ordonnateurs personnellement responsables en cas de non-soumission d’une ordonnance au visa du contrôleur des dépenses engagées. C’est à ce moment que se joue en réalité l’acte I d’un processus qui va conduire vingt-six ans plus tard à la création de la Cour de discipline budgétaire. L’article 9 de la loi du 10 août 1922 va, en effet, regrouper au sein d’un même régime de responsabilité ministre et fonctionnaires. Cette disposition sanctionne alors tant les ministres, secrétaires d’État, que tout fonctionnaire qui aurait soustrait un acte au contrôle des dépenses engagées. Cette extension à « tous les fonctionnaires publics » fut faite au cours de l’examen parlementaire du texte à la demande de M. Alexandre Ribot lors de la séance du 14 mars 1921. C’est la reconnaissance du principe qui sera consacré en 1948 que le meilleur contrôle est celui que chaque agent exerce sur lui-même. La loi du 25 septembre 1948 créant la Cour de discipline budgétaire met ainsi en place un régime de responsabilité pécuniaire et personnelle en définissant un certain nombre d’infractions financières. La sanction de cette responsabilité sui generis, ni civile, ni pénale, ni disciplinaire est, par ailleurs, confiée à une juridiction nouvellement créée.
3Or, « l’existence de cette juridiction particulière de l’ordre administratif, à mi-chemin entre une instance disciplinaire et une juridiction pénale, ne va pas de soi5 » et mérite que l’on se penche attentivement sur les motivations qui ont guidé les auteurs d’un dispositif aujourd’hui en cours de réexamen dans le cadre du projet de réforme des juridictions financières. Ces motivations sont, du reste, également intéressantes au regard des enjeux actuels de la gestion publique. Les débats qui précèdent l’adoption de la loi de 1948 montrent ainsi clairement que la responsabilité des gestionnaires publics, on dit alors administrateurs, apparaît comme un élément de bonne gestion. Le Gouvernement explique ainsi lors de l’examen parlementaire du projet de loi créant la Cour de discipline budgétaire que la violation des règles budgétaires est source de gaspillage. « Dans sa volonté d’aboutir à des économies, il lui [a] semblé indispensable de voter immédiatement l’institution de l’organisme qui sanctionnerait la responsabilité des administrateurs6 ». C’est également sur ce créneau que se lance le secrétaire d’État au Budget, M. Alain Poher, qui reprend au mot près des décennies de récriminations parlementaires :
« Ce texte va permettre d’affirmer la politique d’économies voulue par le Gouvernement, car il ne servirait à rien de réaliser des économies, de voter un budget en équilibre, si les ordonnateurs pouvaient impunément dépasser les crédits ouverts […] de graves déficits de trésorerie peuvent être constatés si certaines administrations dépassent les crédits ouverts, comme celle de reconstruction pour plus de 30 milliards ou celle de l’air, il n’y a pas très longtemps, pour plus de 10 milliards… Il est indispensable que tous les ordonnateurs de ce pays sachent qu’ils vont être responsables de leur gestion et que, dans le cas où ils croiraient pouvoir dépenser sans crédits, ils seront punis avec une extrême rigueur ».
4Mais la mise en jeu de cette responsabilité se veut mesurée. L’absence de rapport entre la responsabilité susceptible d’être encourue par l’agent et sa fortune avait longtemps conduit les auteurs à écarter l’idée de toute responsabilité pécuniaire des administrateurs envers l’État pour les fautes commises par eux. Le doyen Allix pensait, notamment, que cette disproportion rendait cette responsabilité « platonique parce qu’inapplicable7 ». L’exposé des motifs de la loi du 25 septembre 1948 créant la Cour de discipline budgétaire reprendra cette idée :
« Le Gouvernement n’entend pas revenir sur le principe traditionnel de l’irresponsabilité des ordonnateurs : abandonner ce principe essentiel de notre droit public amènerait à prévoir le remboursement des sommes indûment dépensées ou la réparation du préjudice subi par l’État. Comme entre la capacité des fortunes privées et la conséquence d’une faute administrative lourde il n’y a pas de commune mesure, une telle disposition resterait, sans aucun doute, lettre morte8 ».
5Le projet de loi créant la CDBF s’inspire donc des propositions faites par la doctrine pour pallier ces inconvénients. L’analyse développée entre les deux guerres repose sur le fait qu’une condamnation pécuniaire proportionnée permettrait de graduer la somme « en veillant à la fois à ne pas paralyser l’initiative des agents par la crainte des responsabilités pécuniaires et à ne pas favoriser leur négligence par la certitude qu’ils échapperont à toute sanction matérielle9 ». Il serait par exemple possible, écrivait J. Appleton dans son Traité de contentieux administratif publié en 1927, d’imaginer un système dans lequel le Conseil d’État déterminerait la mesure dans laquelle, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’administrateur pourrait être condamné à une réparation pécuniaire. L’on s’oriente donc en doctrine vers l’idée d’une sanction pécuniaire, car il n’y a plus dans ces propositions de rapport entre le montant de la condamnation encourue et le montant du préjudice subi par la personne publique. Or, à partir du moment où la condamnation prend plus ou moins la forme d’une sanction, ou devient beaucoup plus une sanction à l’encontre de l’agent qu’une réparation du préjudice, son montant peut être calculé en fonction de la gravité de la faute commise et non en fonction de l’importance du dommage subi par la personne publique.
6La loi du 25 septembre 1948 s’appuiera sur ces principes. Lors de l’examen parlementaire du projet de loi, le rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée nationale rappellera ainsi « que ce n’est pas en assujettissant les administrateurs, dans leurs rapports avec l’État, aux réparations civiles prévues par l’article 1382 du Code civil, qu’il convient de rechercher la sanction des fautes qui leur sont imputables… Aussi, votre commission s’est-elle ralliée au principe de l’amende administrative qui lui était proposé ».
7Et de poursuivre : « l’application de l’article 1382 aurait d’ailleurs l’inconvénient majeur de permettre aux administrateurs de se couvrir par l’assurance contre les risques inhérents à leur responsabilité pécuniaire10 ». Le fait que la loi du 25 septembre 1948 sanctionne des infractions nécessitait, en soi, une évolution par rapport à une conception civiliste de la responsabilité. La responsabilité civile est fondée sur l’obligation de réparer le dommage causé à autrui par son fait ou celui de personnes dépendant de soi et ne dépend pas nécessairement de la gravité de la faute, mais de l’étendue du dommage. Or, jusqu’à l’adoption de ce texte, le débat sur la responsabilité des administrateurs s’était largement appuyé sur la notion de responsabilité civile.
8Cet article présentera ainsi comment la remise en cause progressive de l’irresponsabilité des ordonnateurs s’est accompagnée de l’émergence doctrinale, puis juridique, d’une responsabilité sui generis, ni civile, ni pénale, ni disciplinaire (I). Mais la loi de 1948 va également, et à la différence des débats entourant le vote de la loi du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées, tirer des conclusions de la difficulté que l’on a toujours eue à dissocier la responsabilité budgétaire et financière du ministre de sa responsabilité politique. Pour cette raison, les responsables ministériels ne relèveront pas du champ de compétence de la juridiction nouvellement créée et cette exemption s’étendra largement aux autres ordonnateurs politiques (II).
I. La remise en cause progressive de l’irresponsabilité pécuniaire des administrateurs
9La jurisprudence du Conseil d’État refusera longtemps toute mise en cause de la responsabilité personnelle et pécuniaire de l’ordonnateur envers la personne publique à laquelle sa faute aurait causé un dommage (A). Tel n’est cependant pas le cas à l’époque pour l’ordonnateur local qu’est le maire et qui voit alors sa responsabilité financière susceptible d’être engagée en cas de manquement au cadre légal qui s’applique à la gestion des crédits (B). La doctrine, publicistes et privatistes réunis, nourrit, du reste, au cours de la première moitié du XXe siècle une réflexion abondante tendant à contester ce principe d’irresponsabilité pécuniaire. Et cela même si la pesanteur d’une conception civiliste de la responsabilité des ordonnateurs, ministériels ou non, se ressent fortement jusqu’au début du XXe siècle (C). Ces questionnements accompagnent, par ailleurs, un certain nombre de revendications parlementaires et le Parlement n’a de cesse de demander un renforcement des prérogatives de la Cour des comptes à l’égard des ordonnateurs (D).
A. L’administrateur ou l’ordonnateur secondaire face au principe de l’irresponsabilité pécuniaire des agents publics
10Il a longtemps été de jurisprudence constante qu’en dehors des cas dans lesquels la responsabilité des agents publics est expressément prévue par les textes, l’irresponsabilité pécuniaire des fonctionnaires envers les personnes morales de droit public est la règle. Comment ne pas relever, en effet, que la reconnaissance de la responsabilité personnelle de l’agent public à l’égard de la personne publique en cas de dommage remonte au revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt Laruelle du Conseil d’État de 1951, soit postérieurement à la création de la Cour de discipline budgétaire et financière ? En application d’une jurisprudence classique, le Conseil d’État a longtemps jugé « qu’il n’appartient pas à l’autorité administrative, en l’absence de tout texte législatif, de se prononcer sur la responsabilité pécuniaire des administrateurs11 ». Ainsi, tant qu’il ne peut être considéré comme un comptable de fait, l’administration ne peut déclarer un fonctionnaire responsable du préjudice causé à l’État par une décision qu’il a prise en sa qualité d’administrateur. Un avis de la section des finances du Conseil d’État du 21 juillet 1885 précise à ce propos que :
« Le droit de l’État d’obtenir, à titre de dommages et intérêts, réparation pécuniaire du préjudice que peuvent lui causer les fautes commises par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, ne saurait s’exercer que dans les cas spéciaux et déterminés qui sont prévus et réglés par des dispositions législatives formelles […] Ces dispositions ne sauraient émaner que du législateur : c’est, par suite, dans des textes législatifs qu’il convient de rechercher ceux qui pourraient s’appliquer à la responsabilité des fonctionnaires vis-à-vis des services publics à raison de l’exercice de leurs fonctions. Cette responsabilité ne saurait être régie par les règles du droit civil ».
11L’exclusion des principes du droit civil après avoir été proclamée en matière de responsabilité de l’État par l’arrêt Blanco rendu par le Tribunal des conflits en 1873, l’était aussi s’agissant des agents publics.
12À cette époque, les opposants à la responsabilité civile des fonctionnaires voient dans la responsabilité disciplinaire la seule sanction efficace et pertinente de leurs manquements et cela apparaît particulièrement dans les conclusions rendues par M. Jagerschmidt sous l’arrêt Bastier de 1891. Dans cette affaire, le Conseil d’État jugea que le ministre des Finances ne pouvait saisir le cautionnement fourni par un agent des Contributions indirectes en se fondant sur le droit qu’aurait l’État d’obtenir réparation pécuniaire du préjudice qui lui aurait été causé par la faute commise par cet agent. Ce dernier n’étant pas comptable de deniers publics, il n’appartenait pas à l’autorité administrative, en l’absence de tout texte législatif, de se prononcer sur la responsabilité pécuniaire des agents publics. La position très nette du Conseil d’État à l’égard de la responsabilité des administrateurs fut résumée sous la plume du commissaire du gouvernement Romieu qui, dans ses conclusions sous l’arrêt Nicolle du 12 juillet 1907, écrivait :
« Les administrateurs et les ordonnateurs n’encourent pas à l’égard du service public de responsabilité à raison de leurs fonctions ; d’où il suit que les fautes commises par ces derniers, erreurs, irrégularités de toutes natures, ne peuvent engager leur responsabilité, du moment où elles ne leur font pas perdre cette qualité d’administrateur ou d’ordonnateur ; l’ordonnancement irrégulier, la consommation de crédits incorrecte, n’ont pas pour effet de changer la nature de l’acte, lequel, par lui-même, n’entraîne pour son auteur aucune responsabilité12 ».
13C’est cette irresponsabilité que rappelle, notamment, de manière extrême, le Conseil d’État dans l’affaire Poursines13. Cette jurisprudence sera très critiquée par Gaston Jèze dans sa chronique publiée en 1924 dans la Revue de droit public14. Jèze y exprime son souhait de voir le principe de l’irresponsabilité du fonctionnaire remplacé par :
« un autre principe plus équitable, plus souple, et plus respectueux des nécessités du bon fonctionnement des services publics, plus conforme à la situation du fonctionnaire public, à savoir le principe de la responsabilité pécuniaire de l’agent public envers l’administration en cas de faute personnelle, [considérant que] la justice et l’utilité publique sont d’accord pour faire proclamer la responsabilité pécuniaire des agents publics pour leur faute personnelle ».
14Malgré ces critiques, cette jurisprudence traditionnelle allait continuer à s’appliquer. Le Conseil d’État refusait, par exemple, toute responsabilité pécuniaire d’un chef de mission de liquidation des stocks de guerre pour manquants. La « responsabilité d’un fonctionnaire ne saurait être engagée envers l’État à raison de fautes par lui commises comme administrateur, à moins d’une disposition législative qui autorise le ministre à le rendre débiteur15 ».
15Pour autant, cette jurisprudence ne signifiait pas absence de questionnement interne à la juridiction. En témoigne l’analyse faite par le commissaire du gouvernement Romieu dans ses conclusions sous l’arrêt Gleize du 19 avril 1907. Il y distingue les administrateurs des ordonnateurs16 :
« Les premiers, dont le rôle s’arrête à la liquidation, n’ont pas d’autorité sur la caisse es qualité ; partant ils n’encourent en principe aucune responsabilité… Pour les seconds, l’existence d’une responsabilité serait plus compréhensible, puisqu’ils concourent au paiement en délivrant le titre au vu duquel le comptable va ouvrir sa caisse17 ».
16Du reste, l’idée d’une responsabilité pécuniaire personnelle de l’ordonnateur n’est pas complètement nouvelle ; elle a été explicitée dès 1840 par M. de Montcloux qui critiquait le système consistant à confondre l’ensemble des responsabilités dans la responsabilité politique du ministre et l’iniquité consistant à frapper le comptable pour des irrégularités commises par l’ordonnateur18.
« On a beaucoup plaisanté autrefois sur les menins de la Cour, dont les fonctions consistaient à recevoir le fouet lorsque les princes le méritaient et l’on a rétabli cette charge dans le service des dépenses : quand la Cour (des comptes) prend un liquidateur en faute, c’est le pauvre comptable qu’elle fustige dans son arrêt. Les payeurs du Trésor sont les menins de ces despotes inviolables que sont les ordonnateurs19 ».
17M. de Montcloux demandait ainsi que l’on dissocie l’acte du ministre de celui de ses subordonnés et que les ordonnateurs répondent de leurs actes : « le paiement est un fait complexe. On doit en demander compte à plus d’un agent ; aux comptables d’abord, mais aussi aux ordonnateurs. Que les ordonnateurs répondent de leurs œuvres ; s’ils ont mal opéré, qu’on les juge !20 »
B. La responsabilité financière des élus locaux sous la IIIe République
18Le régime de responsabilité qui pèse à cette époque sur le maire à l’égard de la commune tranche fortement au regard de l’irresponsabilité des autres gestionnaires publics. Le maire est alors responsable des dépenses qu’il a effectuées sans l’approbation du conseil municipal, ainsi que des dommages causés au patrimoine communal par sa négligence. Le juge tient cependant compte dans l’appréciation de cette responsabilité de l’utilité de ces dépenses pour la commune. L’arrêt du Conseil d’État Sieur Magnon souligne, par exemple, l’importance du critère d’utilité publique des dépenses en cause21.
« En faisant exécuter sans autorisation du conseil municipal des travaux qui étaient avantageux pour sa propriété, mais qui ne représentaient aucun intérêt communal, le sieur Magnon a commis une faute préjudiciable à la commune qui, dans les circonstances de l’affaire, engage sa responsabilité ».
19Le fondement juridique de cette responsabilité sera rappelé par un arrêt du Tribunal des conflits du 26 mars 1881, Commune de Pézilla-la-Rivière. Le « maire chargé par la loi de conserver et d’administrer la propriété de la commune est considéré comme son mandataire22 ». En application de ce principe, un arrêt particulièrement rigoureux du Conseil d’État, Commune de Vignieu, en date du 8 décembre 1882, met ainsi à la charge du maire les sommes résultant d’un dépassement des prévisions budgétaires non autorisé par une délibération du conseil municipal et ce, à concurrence de la somme dépassant les crédits alloués23. On considérait alors que si :
« dans le vote de ses concitoyens, le maire trouvait ou était censé trouver la sanction véritable de son activité administrative, [il était] assez naturel qu’une responsabilité vis-à-vis de la commune, plus stricte que celle que connaissent généralement les fonctionnaires, vînt compenser en quelque sorte cette autonomie, cette liberté d’action particulièrement élargit. Il est, en effet, normal que la responsabilité s’accroisse parallèlement aux possibilités d’initiative de l’individu24 ».
20Dans un commentaire de jurisprudence datant de 1935, Pierre Laroque, conseiller d’État, avant de devenir à la Libération directeur général de la Sécurité sociale, expliquait également la spécificité de cette responsabilité du maire par sa situation profondément différente de celle des autres agents publics. Le fait qu’il tire de son élection une autorité et une indépendance inconnue de tout fonctionnaire y est souligné, d’autant que la tutelle ne peut en aucun cas être comparée au pouvoir hiérarchique qui pèse sur un fonctionnaire. Pour autant, l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État à partir de la notion d’utilité communale allait rendre cette responsabilité personnelle de plus en plus rare. La création de la Cour de discipline budgétaire consacrera la dissociation de la responsabilité de l’ordonnateur politique de celle de l’ordonnateur non politique ; et cette évolution profitera en premier lieu aux élus locaux, sur lesquels allait s’étendre l’exemption ministérielle de responsabilité. Un questionnement doctrinal s’était du reste développé sous la IIIe République au sujet de cette responsabilité particulière du maire. L’on s’interrogeait en particulier sur la question de savoir s’il ne fallait pas étendre ce régime de responsabilité à l’ensemble des fonctionnaires, ou, au contraire, aligner le régime applicable au maire sur celui des autres fonctionnaires. Jean Appleton, auteur d’un traité de contentieux administratif, écrivait ainsi sous une note de jurisprudence commentant l’arrêt Poursines25, qu’il « n’y a pas de raison pour exclure la responsabilité pécuniaire des fonctionnaires envers l’État si l’on admet la responsabilité pécuniaire des maires envers les communes ». Cet auteur invoquait du reste l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme dans son traité publié en 1927 pour justifier une responsabilité pécuniaire des fonctionnaires envers l’État.
C. Responsabilité de l’ordonnateur et conceptions civilistes de la responsabilité : les débats des années 1920-1930
21La difficulté à identifier la nature de la responsabilité susceptible de peser sur l’ordonnateur va longtemps enfermer les propositions faites en la matière dans un balancement infructueux entre une responsabilité de nature pénale, qui restera en réalité de nature politique, et une responsabilité de nature civile. Car lorsque l’analyse abandonne le terrain pénal, c’est vers la mise en jeu d’une responsabilité civile que l’on se tourne. Un rapport parlementaire de 1883 fait sur une proposition de loi relative à la responsabilité civile des ministres26 mentionnait, par exemple, que lorsque le Trésor n’a éprouvé aucune perte, toute responsabilité est écartée, même lorsque il y a faute, l’État ne pouvant s’enrichir aux dépens d’autrui. La proposition de loi Guichard, objet de ce rapport parlementaire, précisait le caractère que devait revêtir la faute susceptible d’engager la responsabilité pécuniaire personnelle du ministre. Une simple erreur ne pouvait suffire, deux conditions devaient être réunies : que l’acte traduise la volonté manifeste de se placer au-dessus des volontés du Parlement ou d’enfreindre les lois et règlements et qu’il ait porté préjudice au Trésor. L’article 1 de ce texte retenait, en la qualifiant expressément de la sorte, l’exigence d’une faute lourde ayant causé un dommage au Trésor. Cette question avait déjà été abordée sous la IIe République. La Constitution du 4 novembre 1848 prévoyait dans son article 6827 la possibilité de mettre en jeu la responsabilité civile des ministres, tandis que la loi du 15 mai 1850 disposait dans son article 9 que « Toute dépense non créditée ou portion de dépense dépassant le crédit sera laissée à la charge du ministre contrevenant ». Quelques semaines avant le coup d’État du 2 décembre 1851, le Conseil d’État eut à examiner le 17 novembre 1851 un texte posant le principe de la responsabilité civile des fonctionnaires et non seulement du seul ministre. Le Conseil d’État, qui joue à cette époque le rôle de conseiller du pouvoir législatif, a été saisi pour examen préalable d’une proposition de loi organique sur la responsabilité du président de la République, des ministres et des autres agents du pouvoir exécutif déposée le 19 janvier 1850 par le député Pradié en application de l’article 68 de la Constitution28. L’article 7 de ce texte visait la responsabilité civile des ministres. Celle-ci pouvait être engagée chaque fois que l’Assemblée avait rejeté une dépense faite sans crédit ou excédant des crédits ouverts, ou faite en violation des lois bien qu’imputée sur un crédit régulièrement ouvert, ou pour les dépenses faites sur des crédits ouverts par décret qui n’auraient pas été convertis en lois. Lorsque cette responsabilité civile était encourue, l’Assemblée nationale décidait par une résolution s’il y avait lieu de poursuivre le recouvrement de tout ou partie de ces sommes contre le ministre ayant ordonnancé la dépense.
22L’intérêt de ces débats est d’envisager une responsabilité de l’ordonnateur non politique, soit celle des fonctionnaires et non du seul ministre. L’article 23 de la proposition de loi précitée prévoyait, en effet, que leur responsabilité se trouvait engagée « toutes les fois qu’ils ont causé un préjudice à l’État, soit par la violation ou l’inexécution des lois et règlements, soit par une faute grave dans l’exercice de leurs fonctions ». Dans cette hypothèse, il revenait au Parlement de décider si la responsabilité civile était encourue et de fixer « le montant des restitutions ou indemnités dues à l’État ». Mais c’est essentiellement au cours des années 1920-1930 que se développe une réflexion doctrinale autour de la responsabilité des administrateurs envers les personnes publiques. Plusieurs thèses sont, d’ailleurs, soutenues au début des années 1940 sur ce sujet29. L’idée commence à s’imposer que la responsabilité comptable ne garantit pas suffisamment l’exécution budgétaire et qu’il faut une responsabilité de l’ordonnateur, puisque c’est lui qui engage la dépense ; l’idée s’impose peu à peu que « la responsabilité civile des ordonnateurs, et plus généralement des administrateurs, est aussi légitime, aussi nécessaire que celle des comptables30 ». « Si on réprime les infractions budgétaires il semble qu’il faille d’abord faire peser principalement la responsabilité sur leurs véritables auteurs » écrit ainsi le doyen Allix en 192231. En l’état, dit-il :
« la responsabilité budgétaire est concentrée sur le comptable, du fait qu’il est astreint par les règlements à surveiller les irrégularités des paiements de l’ordonnateur. Le mandat irrégulier reste à la charge, non de celui qui l’a émis et qui est pourtant le principal coupable, mais de celui qui l’a payé ».
23La doctrine, s’inspirant de l’exemple de la loi du 7 février 1933 organisant la responsabilité des magistrats, recommande, par exemple, de limiter l’engagement de cette responsabilité aux seuls cas de faute lourde32. L’un des arguments utilisés à l’appui d’évolutions jugées nécessaires est la réforme des années 1925-1928 relative à la responsabilité des comptables publics en matière de recouvrement de recettes fiscales. Le système mis en place ne laisse, le cas échéant, à la charge du comptable que la somme qui n’a pu être recouvrée de son fait ou par sa négligence33. On invoque également les amendes instituées par le décret du 8 août 1935 en cas de retard dans la production des comptes qui serait imputable à un comptable négligent34 ; on ne saurait, en effet, « leur reconnaître le caractère de dommages et intérêts au profit de la collectivité publique. Il s’agit […] de peines sanctionnant des obligations de faire et tendant à punir le comptable personnellement pour son retard35 ».
24Est également adoptée à cette époque une sanction frappant les gestions de fait. Le décret du 23 octobre 1935 punit ainsi les comptables de fait qui ont manié des deniers sans titre légal. Il appartient à la Cour des comptes de prononcer cette amende dont elle fixe le montant et pour laquelle elle dispose d’un grand pouvoir d’appréciation. L’amende a pour objet de sanctionner la détention sans titre de deniers publics et donc l’irrégularité de la gestion occulte. E. Labeyrie, alors procureur général près la Cour des comptes avant de devenir premier président en 1937, s’exprima en des termes sévères à l’encontre de cette amende pour gestion de fait au cours de l’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes du 16 octobre 1935. Voyant dans la déclaration de gestion de fait et l’obligation de rendre compte une sanction suffisante, le procureur général Labeyrie s’insurge contre une sanction qui frappera « tous ceux qui seraient déclarés comptables de fait, même quand leur gestion irrégulière est probe et conforme aux intérêts généraux qu’ils avaient à défendre ». On comprend mal, poursuit-il :
« que soit réprimée avec une telle rigueur une faute, parfois sans gravité dans ses conséquences, alors que notre législation, exceptionnellement débonnaire en la matière, ne prévoit aucune sanction pécuniaire contre les fonctionnaires qui, par leur faute lourde, ont causé de graves préjudices à la chose publique36 ».
25L’année suivante, résumant les progrès intervenus (les deux décrets du 1er septembre 1936), le procureur général Labeyrie ajoute à ces propos :
« vos efforts produiront seulement leurs pleins résultats le jour où la réforme si importante qui vient d’être accomplie sera complétée par la réglementation de la responsabilité des administrateurs. Ce n’est que lorsque ceux qui détiennent une partie des pouvoirs de l’État sauront que leurs fautes seront obligatoirement soumises à des juges chargés, en toute indépendance, d’en déterminer la gravité et d’appliquer des sanctions fixées par la loi, que le contrôle de leurs actes trouvera toute son efficacité37 ».
D. Des revendications parlementaires récurrentes : entre renforcement des prérogatives de la Cour des comptes et sanction des ordonnateurs
26Dès la fin du XIXe siècle, la volonté du Parlement de renforcer son contrôle sur les ordonnateurs donne lieu à un certain nombre de propositions de loi qui entendent renforcer les prérogatives de la Cour des comptes et ses rapports avec les Chambres. Le député G. Bozérian dépose ainsi en 1895 une proposition de loi créant une commission de contrôle des dépenses de l’État. « Si le contrôle est organisé en France d’une façon à peu près parfaite à l’égard des comptables, en fait, il peut être considéré comme nul en ce qui touche les ordonnateurs38 ». Cette proposition de loi allait très loin dans le renforcement de l’assistance de la Cour des comptes au Parlement, car cette commission de contrôle devait être constituée de sous-commissions par département ministériel, chacune étant assistée par un conseiller référendaire ou un auditeur à la Cour des comptes. D’une manière générale, l’insuffisance du contrôle exercé par la Cour des comptes sur les ordonnateurs fait l’objet de constatations répétées des parlementaires. La carence essentielle du système mis en place sous la Restauration apparaît même résider dans l’absence de sanction effective frappant les ordonnateurs. En 1912, le rapporteur de la commission des comptes définitifs s’exprime à ce sujet en des termes sévères : « La Cour sait peu de chose sur les ordonnateurs, elle en dit encore moins, et l’on ne tient nul compte de ce qu’elle dit ». L’on en arrive à écrire qu’il convient même de « se demander si l’on peut, à proprement parler, appeler contrôle l’exercice d’un droit de regard dont les résultats dépendent presque exclusivement de la bonne volonté de ceux qui y sont soumis39 ».
27Au début des années 1920, la question de l’absence de sanction de l’ordonnateur comme faille majeure du système budgétaire fait, à nouveau, l’objet de propositions de loi. L’une d’elles, présentée par le député Géo-Gérald, est très claire sur ce point40. « Si l’on examine [le] contrôle au point de vue pratique, on verra que, dans le domaine des responsabilités et des sanctions, il est dénué de valeur effective ». Or, les motifs présentés à l’appui de cette proposition sont de rassurer l’épargne, de lui donner confiance et d’asseoir sur des bases solides le crédit de l’État. Pour M. Géo-Gérald, la réorganisation des contrôles doit s’accompagner d’un « système de répression et de sanction » qui doit être à la disposition de l’autorité chargée du contrôle, car « il n’y a pas de pouvoir et d’autorité sans sanction41 ». L’indépendance requise par le contrôle de l’engagement des dépenses nécessite, selon l’auteur de cette proposition, de confier à la Cour des comptes cette tâche. L’article 3 de ce texte prévoit que la Cour, tout en surveillant l’emploi des crédits votés, « prendra, sous le contrôle du Parlement, toutes les sanctions qu’elle jugera utile ». Louis Marin lui-même avait, du reste, été l’auteur d’une proposition de loi en 1912 tendant à étendre les pouvoirs de contrôle que la Cour des comptes possédait à l’égard des ordonnateurs42. Pourtant, la loi Marin du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées sera une alternative à toute augmentation du contrôle de la Cour des comptes sur les ordonnateurs, et plus largement, à tout rapprochement excessif de la Cour et du Parlement. En contrepartie, le contrôle des dépenses engagées doit donner les garanties d’un meilleur contrôle des ordonnateurs. Les revendications parlementaires visant à confier à la Cour des comptes le contrôle de l’engagement des dépenses refleuriront cependant par la suite, en particulier dans le cadre du rapport Labeyrie de 193343. L’exemple de l’Italie sera avancé, s’agissant notamment du contrôle préventif exercé par la Cour des comptes italienne avant l’engagement des dépenses44. Il en sera de même dans le projet déposé le 10 décembre 1934 par le sénateur Maulion qui reprendra l’idée de confier à la Cour des comptes ce contrôle préventif45. Une partie de la doctrine se montre très favorable à ce système. R. Stourm écrit ainsi au sujet des dépassements de crédits : « Si jamais ils trouvent leur maître, ils ne le trouveront que là ; en dehors de la Cour des comptes, ce ne sont que palliatifs ou combinaisons inquiétantes46 ».
28À la Libération même, les débats entourant l’adoption de la Constitution garderont la trace de cette vieille revendication du Parlement de s’attacher l’assistance de la Cour des comptes. Lors de l’examen et de l’adoption de l’article 18 de la Constitution du 27 octobre 194647, un amendement déposé par M. Pineau se proposait d’ajouter :
« L’Assemblée nationale règle définitivement les comptes de la Nation. Elle est assistée par la Cour des comptes qui lui donne connaissance directement des abus, malversations et de tous actes ou faits pouvant engager la responsabilité des administrateurs, qu’elle découvre dans le cours de ses opérations et lui propose les mesures convenables aux intérêts de la République48 ».
29On retrouvait également dans cet amendement trace de la revendication émise à de nombreuses reprises par le Parlement sous la IIIe République d’obtenir la communication des référés de la Cour des comptes. Du reste, ceux qui proposent à la même période de confier à la Cour des comptes le soin de sanctionner les ordonnateurs, invitent à la suppression du contrôle des dépenses engagées. M. Allix écrit ainsi dans son étude publiée en 1922 que la mise en œuvre de la responsabilité pécuniaire des ordonnateurs permettrait « d’envisager la suppression sans grand dommage du contrôle des dépenses engagées qui […] tire sa principale raison d’être de l’irresponsabilité de fait des administrateurs49 ». Peu avant l’examen de la loi de 1922 réformant le contrôle des dépenses engagées, une proposition de loi est déposée en janvier 1921 par un groupe de députés conduit par M. Fleury-Ravarin qui entend renforcer le contrôle du Parlement sur les dépenses publiques50. Son auteur publie au même moment dans la Revue politique et parlementaire un article sur « La Cour des comptes et le contrôle des dépenses publiques » dans lequel il expose les nécessités de réforme des attributions de la Cour. Les enjeux tiennent au vote de lourds impôts demandant un effort fiscal important au pays qui doit s’accompagner de la garantie pour le contribuable que les milliards prélevés sur le produit de son travail, ses économies et sa fortune acquise seront employés de manière régulière. Cette proposition de loi demande, notamment, la publication des référés de la Cour des comptes par leur insertion au rapport public et donne à la Cour les pouvoirs d’enquête les plus étendus auprès des administrations, contrôles sur pièces et sur place. Il est également prévu que les commissions des comptes définitifs des chambres procèdent en présence du premier président de la Cour des comptes à l’audition tant des chefs de services que d’un responsable du ministère des Finances pour faire suite aux observations figurant au rapport annuel de la Cour.
II. Vers la reconnaissance juridique d’une responsabilité financière sui generis des administrateurs
30Les débats qui eurent lieu au cours des décennies précédant la création de la Cour de discipline budgétaire montrent l’existence d’interrogations sur la nature de la responsabilité susceptible de peser sur l’ordonnateur. Une responsabilité civile, où la condamnation pécuniaire serait fonction du dommage causé au Trésor51 ; une responsabilité plus ou moins pénale, où la sanction serait fonction de la gravité de la faute commise. Ces débats animent tant les privatistes que les publicistes. L’ouvrage d’Henri et Léon Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, délictuelle et contractuelle, publié en 1934, précise, par exemple, que le fonctionnaire qui commet une faute doit en répondre également à l’égard de l’administration, que cette faute soit de service ou personnelle52. La création de la Cour de discipline budgétaire sera le fruit de ces débats et la responsabilité financière apparaîtra comme autonome au regard des autres formes de responsabilité. Si la loi du 25 septembre 1948 vient ainsi sanctionner des infractions financières, c’est que s’y trouve une idée de faute et de sanction proportionnée à la faute, la faute étant conçue comme : « un manquement à une obligation préexistante53 ». D’une analyse de la responsabilité fondée sur une responsabilité civile, l’on glisse ainsi à une idée de sanction, et à une sanction quasi pénale, laquelle exige une volonté libre. Telle est la raison de l’alignement sur les principes du droit pénal du système mis en place en 1948. L’ordre hiérarchique y est, en particulier une excuse absolutoire pour certaines infractions commises par des fonctionnaires sur ordre de leurs supérieurs, la peine passant dans ce cas sur le supérieur qui a donné l’ordre. On retrouve aussi dans ce dispositif les exigences du principe hiérarchique ; le respect des instructions données aux subordonnés ne serait plus assuré si ceux-ci les discutent ; ils « examineraient le degré de responsabilité qui peut leur incomber et pourraient désobéir avec quelque apparence de raison. L’administration ne serait plus possible dans de telles conditions54 ».
31Ces nécessités expliquent largement l’ancienneté du débat relatif à la mise en jeu de la responsabilité des gestionnaires publics. C’est à ces difficultés que s’était du reste déjà heurté le décret du 13 juillet 1789 adopté en réponse aux Cahiers de doléance qui réclamaient une responsabilité des agents publics et l’attribution des procès aux tribunaux de droit commun. Alors que l’Assemblée constituante y affirme que « les ministres et les agents civils et militaires seront responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l’Assemblée », la loi des 7 et 14 octobre 1790 allait rapidement préciser qu’« aucun administrateur ne peut être traduit devant les tribunaux, pour raisons de fonctions publiques, à moins qu’il n’y ait été renvoyé par l’autorité supérieure, conformément aux lois55 ».
32L’évolution vers la mise en place d’un régime de responsabilité sui generis fut lente. Les débats qui entourèrent l’adoption de la loi du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées ne permirent pas de dépasser le clivage responsabilité pénale/responsabilité civile (A), de sorte que l’autonomie de la responsabilité financière ne parviendra alors pas à s’imposer. Il faudra pour cela attendre la Libération et loi du 25 septembre 1948 pour que s’impose l’idée d’une sanction pécuniaire sui generis. Il est manifeste à la lecture des travaux préparatoires que la loi de 1948 est conçue comme le complément de la loi du 10 août 1922 dont elle vient combler les lacunes tout en donnant une sanction effective à la responsabilité des ordonnateurs (B).
A. La question de l’autonomie de la responsabilité financière, pénale et civile au cœur des débats sur la loi du 10 août 1922 relative au contrôle des dépenses engagées
33Lorsque s’engagent les débats sur la loi du 10 août 1922 qui entend réduire les engagements irréguliers de dépenses et les dépassements de crédits, l’enjeu est de renforcer la responsabilité des administrateurs en les rendant pénalement et civilement responsables. Le fait d’engager des dépenses qui ne résultent pas de l’application de lois ou qui dépassent les crédits ouverts, sous réserve des dispositions édictées à l’article 9, y est qualifié de forfaiture et rend passible des peines édictées par le Code pénal, soit la dégradation civique56. Selon les termes du rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, les ministres seront « responsables à peine de forfaiture et subsidiairement, civilement responsables ». La loi de 1922 reprend ainsi la teneur des débats qui eurent lieu 90 ans auparavant lorsqu’il fut discuté de la responsabilité civile les ministres. La Chambre des députés fut saisie en 1832 de divers textes, projets et propositions de lois visant à organiser la mise en jeu de cette responsabilité conformément à l’article 69 de la Charte de 1830 qui annonçait une loi « sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir57 ». Entre 1832 et 1836, il sera ainsi débattu de la question de savoir s’il n’est pas possible d’envisager une responsabilité civile des ministres pour faute lourde, même en l’absence de crime. Une commission fut constituée. Ses propositions furent acceptées par le Gouvernement et M. Barthe, alors garde des Sceaux, les reprit dans le projet de loi qu’il préparait. Mais de changements ministériels en nouveaux projets, ce texte fut finalement abandonné et l’on en revint à la liaison responsabilité pénale/responsabilité civile. En 1835 fut ainsi proposée une disposition prévoyant que :
« lorsqu’un ministre aura dépassé les crédits ouverts par le budget à son département et que les crédits supplémentaires par lui demandés auront été rejetés, la Chambre des députés pourra, suivant les circonstances, l’accuser de prévarication. La Cour des pairs, statuant sur l’accusation, pourra mettre à la charge du ministre tout ou partie de la dépense rejetée ».
34La loi du 10 août 1922 organisant le contrôle des dépenses engagées reste sur ce schéma classique, la Haute Cour se prononçant le cas échéant sur la réparation civile accessoirement à la condamnation pénale, comme cela se fait devant les juridictions criminelles saisies d’une action civile jointe à l’action publique. Ce système fut critiqué, notamment par Louis Trotabas qui reprochait à cette loi de « mettre la responsabilité civile à la remorque de la responsabilité pénale58 ». Pourtant, les débats parlementaires montrent que ces questions ne furent point ignorées. Le rapporteur général de la commission des Finances de la Chambre des députés proposa de supprimer de l’article 9 les termes « à peine de forfaiture », écartant l’exigence d’une infraction pénale, et proposa de retenir tout simplement la responsabilité civile « des ministres et des agents qui violeraient sciemment la loi en ordonnant des mesures nouvelles, ne résultant pas de lois antérieures, et entraînant des augmentations de dépenses ». Mais le Sénat repoussa cette initiative pour maintenir la qualification de forfaiture. Le rapporteur général de sa commission des finances, Henry Bérenger, justifia ce choix de la manière suivante :
« un ministre ne peut impunément, dans la crise financière extrêmement grave que le pays traverse, se livrer à des dépenses non autorisées par les lois existantes, en dépassant les crédits ouverts et en dehors des assemblées qui seules ont qualité constitutionnelle pour voter le budget59 ».
35En seconde lecture, la commission des finances de la Chambre des députés proposa quant à elle inversement de supprimer des dispositions de l’article 5 le terme « civilement », rajouté au texte lors de son adoption par le Sénat, et de laisser seulement « personnellement responsable ». Son rapporteur général, M. Maurice Bokanoswski, expliquait assez justement que les mots « responsabilité civile resteront sans portée pratique tant que n’auront pas été déterminées la juridiction appelée à connaître des infractions reprochées aux ministres, ni la procédure à suivre pour déclencher l’action publique60 ». Dès l’origine, la loi de 1922 sera critiquée par la doctrine. Une thèse soutenue en 1923 résume, du reste, ces critiques en indiquant que le désir du Parlement d’organiser la responsabilité pécuniaire des ministres provient « d’une fausse assimilation des infractions administratives aux cas du Code civil » en s’appuyant tant sur l’obligation de réparer le dommage à autrui que des obligations du mandataire envers son mandant, alors que les rapports d’un ordonnateur avec l’État sont d’un ordre spécial61.
B. La loi du 25 septembre 1948, complément de la loi du 10 août 1922 : la sanction pécuniaire, alternative à la responsabilité civile
36Le contrôle des dépenses engagées organisé par la loi du 10 août 1922 ne s’exerçait que sur les ordonnateurs principaux ou sur les délégations de ceux-ci aux ordonnateurs secondaires. « Le contrôle n’était pas organisé au plan local, il était loisible de faire engager une dépense par un ordonnateur secondaire pour échapper à toute sanction du chef de cette loi62 ». De sorte que les dépenses des ordonnateurs secondaires constituèrent rapidement la plus grande partie des dépenses publiques. Plusieurs textes, dont le décret du 1er septembre 1936, avaient pourtant sans y parvenir tenté d’organiser le contrôle des dépenses engagées au niveau local. La filiation entre les deux textes s’observe, notamment, lors des débats parlementaires. Un amendement proposé par le groupe communiste est repoussé devant le Conseil de la République de l’avis unanime du rapporteur général et de celui du secrétaire d’État au Budget au motif qu’il est contraire à la loi du 10 août 1922 qui ne prévoit aucun minimum63, d’autant qu’un tel système pourrait inciter « à fractionner les dépenses, les marchés par exemple, et tourner ainsi une loi que nous avons voulu sévère64 ». Contrairement aux dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 10 août 1922 qui ne parvinrent pas à dépasser le clivage traditionnel responsabilité pénale/responsabilité civile, une autre analyse avait été envisagée par le professeur Edgard Allix dans un article publié en 192265. Agrégé des facultés de droit, l’intéressé avait, par ailleurs, été chef adjoint du cabinet de P. Doumer aux Finances de 1921 à janvier 1922. E. Allix proposait alors une sanction pécuniaire comme peine subsidiaire à la mise en jeu de la responsabilité civile.
37En raison de l’absence de proportion entre la fortune privée et les conséquences d’une faute administrative grave, l’amende se fait sanction à défaut de pouvoir dédommager le Trésor et E. Allix envisage même de fixer la peine par référence aux émoluments de l’agent. « Le tarif des sanctions devrait être dégressif et fixé dans la proportion combinée du montant du préjudice subi par le Trésor et des émoluments touchés par l’agent ». Il est à ce propos tentant de rapprocher les termes du rapport de la Cour de discipline budgétaire du 2 février 1955 au président de la République66 des propositions faites par E. Allix en 1922. Dans cette proposition, si c’est encore l’idée de dommage qui supplante celle de la faute commise, c’est bien une sanction pécuniaire qui est proposée et qui écarte tout cautionnement. En 1948, le rapport Barangé67, réalisé au nom de la commission des Finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi créant la Cour de discipline budgétaire, développa ce point en expliquant que la nature des amendes prononcées par cette juridiction est la même que celle « des amendes prononcées par la Cour des comptes » et que cette disposition avait été ajoutée par la commission sur avis de la Cour afin d’éviter que les fonctionnaires ne puissent se prémunir de ces amendes par un système d’assurance. Le projet gouvernemental fut ainsi modifié car sa rédaction initiale semblait propice à voir se développer des assurances couvrant les justiciables des amendes auxquelles ils étaient exposés68. Saisie pour avis par le rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée, la Cour des comptes avait répondu que « selon une jurisprudence constante, ces amendes, et notamment les amendes pour gestion de fait qui étaient les plus proches parentes des amendes instituées par le présent projet, présentant un caractère pénal, il était illicite de les couvrir par une assurance ». La Cour fit également remarquer que les amendes qu’elle prononce sanctionnent des obligations qui sont d’ordre public. « L’assurance contre l’amende, conclut-elle, en supprimant l’efficacité de la sanction, entraînerait le plus grave désordre dans la gestion des deniers publics. Tant en droit, qu’en pratique, une telle assurance doit donc être prohibée69 ».
38La proposition du doyen Allix est également analysée par la doctrine comme une solution pragmatique qui permet de rechercher les véritables fautifs ; la responsabilité ministérielle étant de nature essentiellement politique, on ne peut raisonnablement reprocher à un ministre tout ce qui se passe au sein de son administration. Cette proposition très novatrice se détache ainsi d’une certaine conception particulièrement intransigeante de la responsabilité ministérielle, telle celle que l’on retrouve sous les mots de Thiers « Dès que quelqu’un a tort sur un point quelconque du territoire, le ministre a tort lui-même ». Le caractère inopérant en termes de sanction de cette analyse laissait peu à peu la place à une prise en compte des réalités de la vie administrative. Le ministre, à qui sont certes alloués les crédits, est rarement libre de choisir les agents qui l’entourent en raison des statuts existants, des concours, règles d’avancement, etc.70 Faut-il également trouver dans la loi de 1948 un lointain écho aux débats qui entourèrent la discussion du projet de budget pour l’exercice 190471 ? Les débats à la Chambre des députés s’achevèrent, en effet, par le vote d’une résolution demandant au Gouvernement de présenter un projet de loi tendant à donner une sanction à la responsabilité des ordonnateurs. Cette initiative était partie d’observations répétées et récurrentes faites par la Cour des comptes sans que l’administration concernée ne semble disposée à s’en inspirer ; « la Cour des comptes réitère ses observations, et le ministre réitère les agissements condamnés ». Paul Doumer, alors président de la commission du Budget, insistait sur la dissociation à opérer entre la responsabilité du ministre et la poursuite de pratiques administratives se poursuivant quel que soit le titulaire du poste ministériel. La résolution proposée par Paul Doumer venait en réaction à une proposition de résolution déposée par un député nommé M. Lasies, ainsi conçue : « Le Gouvernement est invité à déposer un projet de loi tendant à ce que toutes les dépenses non justifiées devant la Cour des comptes soient mises à la charge de l’ordonnateur72 ». L’auteur de ce texte considérait qu’il fallait bien un jour arriver à « une sanction pratique » pour mettre un terme à des agissements qui ne dépendent « pas tant de la faute des ministres titulaires de portefeuilles que des mauvaises traditions et des mauvais usages qui sont passés à l’état d’habitude. On ne s’en étonne plus, on trouve cela tout naturel » et invitait le Gouvernement à prendre lui-même l’initiative d’un projet de loi. Il faudra pour cela attendre la Libération. Robert Schuman, alors ministre des Finances, charge ainsi en mars 1947 un membre de son cabinet d’élaborer un certain nombre de propositions qui conduiront au projet de loi créant la Cour de discipline budgétaire.
III. La loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l’égard de l’État et de diverses collectivités
39La seconde assemblée constituante avait, par la loi du 7 octobre 194673, tenté de rendre obligatoire le déclenchement des poursuites disciplinaires contre les agents publics défaillants. Son article 126 prévoyait que :
« Les ministres étaient tenus, sous leur responsabilité personnelle, d’engager l’action disciplinaire contre les fonctionnaires civils ou militaires et agents des services publics, dont la Cour des comptes leur aura signalé, par référé ou par la voie de son rapport annuel, la faute ou la négligence, chaque fois que cette faute ou cette négligence aura entraîné un dépassement de crédits ou compromis les intérêts financiers ou domaniaux de l’État, d’un établissement public de l’État, d’une société nationale ou d’une entreprise nationalisée74 ».
40Si, entre la sanction disciplinaire et la sanction pénale instituée par l’article 9 de la loi du 10 août 1922, il n’existe alors aucune autre alternative, l’idée est qu’une sanction doit frapper l’agent dont la gestion aura enfreint les règles budgétaires et financières. La question devient, du reste, pour le Gouvernement, beaucoup plus importante que par le passé en raison d’un besoin de moralisation de la fonction publique. Si on en croit, en effet, Marcel Waline, un ensemble de facteurs, des recrutements partisans opérés sous le régime de Vichy à l’accession à la Libération d’agents dépourvus de toute expérience, explique la multiplication d’irrégularités inexcusables commises au sein de l’administration75. Au-delà de la répression, la création de la CDBF a donc une visée pédagogique et préventive, et ce point fut notamment souligné par G. Vedel dans son article paru en 194976. La note jointe à l’avant-projet de loi précise à ce propos que « les sanctions doivent être assez rigoureuses pour inspirer aux ordonnateurs, et de manière générale, à tous les fonctionnaires qui ont qualité pour engager l’État, une crainte nécessaire et salutaire, sans être cependant si excessives que la juridiction hésite à les appliquer ». La création de la CDBF s’inspire ainsi de l’idée résumée par Maurice Hauriou dans sa note sous l’arrêt Lemonnier77 selon laquelle « la responsabilité pécuniaire personnelle est encore le meilleur moyen que l’on ait trouvé pour empêcher les prévarications des fonctionnaires ». Or, les irrégularités se sont multipliées au cours des années d’Occupation et ces pratiques n’ont pas disparu à la Libération. Au cours des années qui suivirent, « les irrégularités budgétaires se multiplièrent de façon inquiétante, surtout de la part des services nouveaux qui avaient été créés avec plus ou moins d’improvisation78 », comme le signalait du reste le rapport de la Cour des comptes sur les années 1946-1947. « Un laxisme croissant s’était manifesté au cours des années d’occupation. Des difficultés exceptionnelles avaient conduit l’administration supérieure à déléguer de larges pouvoirs à des gestionnaires agissant sans contrôle suffisant79 ».
41Le projet de loi, qui oscille ainsi entre sanction et prévention, définit un certain nombre d’infractions (A), et confie leur sanction à une juridiction spéciale (B). Au-delà de ces enjeux spécifiques, les différentes étapes allant de l’ébauche du projet de loi à son adoption définitive seront présentées (C).
A. L’énoncé d’infractions financières
42La loi du 25 septembre 1948 va énoncer un certain nombre d’infractions à la législation budgétaire et financière susceptibles d’être commises par un agent public : engagement d’une dépense en violation des règles applicables en matière de contrôle financier, imputation irrégulière d’une dépense, engagement d’une dépense sans disposer du pouvoir à cet effet, attribution à autrui d’un avantage injustifié entraînant un préjudice pour le Trésor, infraction à l’encontre des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses publiques. Cette idée n’est pas nouvelle. Rappelons à ce sujet que les travaux de la commission parlementaire désignée en 1832 pour examiner les propositions mentionnées précédemment s’étaient déjà ralliés à une conception autonome de l’infraction financière par rapport à l’infraction pénale et proposaient de fixer les cas dans lesquels cette responsabilité pourrait être encourue. Nous ne sommes pas loin, plus d’un siècle auparavant, de l’esprit des infractions qui seront susceptibles de renvoyer un agent public devant la CDBF. Il s’agissait ainsi de :
« Toute faute grave dans la surveillance et l’exécution des lois et règlements relatifs aux comptables et à la conservation de la fortune et du domaine public ; tout emprunt non autorisé par une loi ou contracté sans avoir observé les règles prescrites par la loi qui l’autorise ; toute émission de bons royaux au-delà des limites fixées par la loi ; toute garantie donnée à un emprunt ou à une créance étrangère qui engagerait le Trésor sans l’autorisation des Chambres ; tout emploi de deniers publics hors les prévisions et les crédits législatifs et non justifiés par la nécessité ».
43Ces travaux allaient inspirer une proposition de loi déposée en 1894 par le député Gaston Bozérian qui définissait, au regard des principales infractions aux lois et règlements relevées chaque année par la Cour des comptes, un certain nombre d’infractions susceptibles de mettre en jeu la responsabilité civile des ministres80. On trouve dans la proposition Bozérian l’exigence d’une infraction commise « sciemment », terme qui sera repris en particulier par la loi de 1922. Par rapport au système qui sera adopté en 1948, un point mérite cependant d’être signalé.
44L’exigence d’avoir agi sciemment doit éviter la mise en jeu de la responsabilité civile d’un ministre dont la bonne foi aurait été surprise par un fonctionnaire dont la nomination ne lui est pas imputable. Ce sera d’ailleurs dans ce cas au ministre de démontrer qu’il a été trompé ; ce qui est prévu dans la proposition Bozérian de 1894 à l’encontre du fonctionnaire qui l’aura induit en erreur, c’est une action disciplinaire devant conduire à le relever de ses fonctions, mais non une responsabilité personnelle et pécuniaire. Bozérian précise dans sa proposition qu’il a l’intime conviction que les dispositions qu’il propose « ne recevront guère d’application », mais qu’elles suffiront « pour empêcher le retour des regrettables errements suivis depuis un certain nombre d’années ». Sont ainsi susceptibles d’engager la responsabilité civile des ministres, le fait d’intervertir les dépenses d’un chapitre à un autre, d’intervertir ces dépenses d’un exercice à un autre, d’un budget à un autre, d’engager des dépenses sans crédit régulier, et, enfin, de faire des dépenses contraires aux volontés du Parlement.
B. La création d’une juridiction spécifique
45Bien avant la création de la CDBF, la question de savoir quelle pouvait être la juridiction compétente pour la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire de l’ordonnateur se posa. Une résolution votée à une large majorité par la Chambre des députés le 26 juin 1895 insistait, par exemple, sur « la nécessité de compléter par la détermination de la juridiction compétente, la législation existante en matière de responsabilité des ministres81 ». La doctrine avait largement disserté sur la juridiction susceptible de connaître de la mise en jeu de la responsabilité civile des ministres. Pour Laferrière il ne pouvait s’agit que de la Cour des comptes82. Le doyen Allix proposait également de confier à la Cour des comptes le soin de se prononcer sur cette responsabilité des ordonnateurs, le juge de comptes ayant à partager, le cas échéant, la responsabilité revenant au comptable et celle revenant à l’ordonnateur. Car confier à la Cour des comptes le soin de sanctionner l’ordonnateur revenait aussi, par une conséquence logique et évidente, à lui donner le pouvoir d’apprécier le comportement du comptable public, lequel reste dans le système de la loi de 1807 soumis à la seule appréciation du ministre des Finances. Montcloux, en 1840, préconisait également de confier la sanction de la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire de l’ordonnateur à la Cour des comptes. Cet auteur proposait qu’il y ait dans chaque ministère des ordonnateurs centraux qui seraient les directeurs des ministères ; un système comparable serait mis en place au niveau local aux côtés du préfet et tous les ordonnateurs seraient astreints à un cautionnement. Ils « répondraient de la régularité de la créance, de l’accomplissement des formes et de l’exactitude des liquidations. Ils seraient pour ces faits justiciables de la Cour des comptes83 ». Il n’y avait du reste rien de véritablement innovant ou de révolutionnaire dans cette proposition qui reprenait l’idée proposée par Antoine Levacher-Duplessis à Napoléon alors Premier consul dans son projet de Haute Cour des finances qui aurait eu à juger « définitivement les comptes de l’État, et par une suite nécessaire la responsabilité civile des ministres et des ordonnateurs84 ».
46Le système italien offrait, il est vrai, une source d’inspiration possible. Une responsabilité y pesait sur les ordonnateurs depuis la première moitié du XIXe siècle et juridiction était confiée en ce domaine à la Cour des comptes. Cette responsabilité visait en premier lieu les chefs de comptabilité chargés, dans les administrations centrales, de l’ordonnancement et qui devaient s’assurer qu’aucune loi n’a été violée, qu’il n’y a ni dépassement de crédit, ni fausse imputation. Le chef de comptabilité qui refuserait de viser une ordonnance qui lui paraît irrégulière doit se soumettre si le ministre lui en donne l’ordre écrit, ordre qui le décharge alors de sa responsabilité. L’exemple de la Belgique fut également mentionné lors de l’examen parlementaire du projet de loi relatif à la création de la Cour de discipline budgétaire, la Cour des comptes belge pouvant infliger aux ordonnateurs une amende qui n’excède pas la moitié de leur traitement. Cette possibilité prévue dès la loi du 29 octobre 1846 créant la Cour des comptes belge fut précisée par la loi du 20 juillet 1921, texte dont le doyen Allix s’inspire très certainement dans l’analyse qu’il publie l’année suivante. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement écarte en 1948 la solution consistant à confier à la Cour des comptes le soin de réprimer les infractions énoncées par ce texte. C’est repousser ainsi l’idée avancée par Robert Jacomet dans un article publié en juillet 1947 dans la Revue politique et parlementaire qui plaidait pour que ces sanctions relèvent de la compétence de la Cour ; il s’agit « de faire l’économie d’une nouvelle juridiction, en confiant à la Cour des comptes le soin d’appliquer les sanctions prévues par la loi pour les ordonnateurs en cas de faute lourde dans l’exécution des dépenses85 ». Robert Jacomet appuyait, du reste, son propos sur le fait :
47« que dans certains pays la responsabilité pécuniaire des ordonnateurs peut-être mise en jeu par la juridiction financière. C’est ainsi qu’en Italie, les agents qui dans chaque ministère, préparent les ordonnances, sont pécuniairement responsables en cas d’irrégularité ; ils sont jugés par la Cour des comptes86 ».
C. De l’avant-projet de loi à la loi du 25 septembre 1948
48La création de la CDBF repose sur la volonté de M. Robert Schuman, alors ministre des Finances qui charge en mars 1947 un membre de son cabinet, M. Charles Frappart, auditeur à la Cour des comptes, d’élaborer un certain nombre de propositions (1) qui vont aboutir au projet de loi instituant la Cour de discipline budgétaire, que R. Schuman va soutenir en se rendant lui-même devant l’assemblée du Conseil d’État87. Saisi dans des délais très courts, le Conseil d’État aura un regard assez réservé sur le dispositif présenté par le Gouvernement (2). Ces évolutions, qui n’allèrent pas sans susciter certaines interrogations ou inquiétudes au regard du statut de la Fonction publique, expliquent, par ailleurs, l’attention portée aux règles de procédure que devait suivre la juridiction nouvellement créée (3). Pour autant, l’œuvre du Parlement fut plus vaste, ainsi qu’en témoignent l’examen parlementaire du projet de loi et les modifications qui y furent apportées (4).
1. L’avant-projet de loi
49La première ébauche de ce projet s’intitule : « projet de loi tendant à réprimer les infractions aux règles budgétaires et portant création d’une cour spéciale pour juger les auteurs de ces infractions ». Le nom qui sera celui de cette juridiction n’a pas encore été décidé. Une note, vraisemblablement rédigée par Charles Frappart, accompagne ce texte. Elle sera ensuite reprise et constituera la trame, quand ce ne sont pas les mots mêmes de l’exposé des motifs de la loi. La Cour y est alors désignée sous le nom de Cour de contrôle des ordonnateurs, avec la mention selon laquelle « cette dénomination serait à revoir, car il est possible que des fonctionnaires n’ayant pas la qualité juridique d’ordonnateur, engagent des dépenses irrégulièrement et soient passibles de sanctions infligées par cette juridiction ». La visée répressive du projet est manifeste et le style y emprunte tout l’arsenal du vocabulaire pénal. On y lit notamment « toute fausse imputation entraînera une sanction pénale adaptée à la gravité de l’infraction », « l’acte d’accusation sera notifié à l’inculpé ». Les annotations manuscrites portées sur ce document y ajoutent un certain nombre d’éléments tout à fait significatifs. Leur objet montre un examen sur le fond très soigné (comme par exemple, l’indication selon laquelle la Cour des comptes belge prononce également ce type d’amende, argument qui sera repris ultérieurement par le rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée après consultation de la Cour ; ou celle mentionnant le caractère d’ordre public des amendes et posant la question des assurances éventuelles). Au cours de cet exercice vont se voir écarter un certain nombre des infractions envisagées par le pré-projet, et notamment le fait pour des fonctionnaires d’avoir par « une négligence ou à raison d’une faute commise dans l’exercice de leurs fonctions provoqué, soit la mise à la charge de l’État d’une dépense que celui-ci n’aurait pas dû normalement supporter, soit une perte de recettes, soit enfin la perte, la détérioration, la destruction ou le vol de biens mobiliers ou immobiliers appartenant à l’État », infraction qui, reprenant l’ensemble des fins de non-recevoir opposées par la jurisprudence du Conseil d’État en matière de responsabilité civile des agents publics envers l’État, sera réduite dans son champ d’application aux infractions à la gestion des biens.
50On retrouve dans cet avant-projet l’idée d’une responsabilité civile des agents publics concernés. Le montant maximum de la sanction prévue pour cette infraction est, en effet, déterminé soit par rapport au montant de la dépense ainsi mise à la charge de l’État, soit par rapport au préjudice par lui subi. Il est manifeste également que cet avant-projet vise l’ensemble des agents publics. Il y intègre expressément ceux du ministère des Finances, au rang desquels les comptables publics et les contrôleurs des dépenses engagées. Une infraction leur est spécifiquement consacrée en cas de visa donné malgré une insuffisance de crédits, une violation des lois, une mauvaise imputation. L’opposition qu’a dû rencontrer cette disposition dans l’entourage du ministre des Finances Robert Schuman conduira à la disparition de ces dispositions dont on rediscutera encore lors de la modification de la loi de 1948 en 1971. Sont également expressément visés les comptables publics pour lesquels une amende est prévue en cas de paiement sur une caisse autre que celle sur laquelle la dépense aurait dû être affectée. Chose plus évidente encore, va disparaître dans le projet de loi définitif l’infraction relative aux recettes publiques. Nous verrons qu’elle réapparaîtra dans le rapport Barangé établi au nom de la commission des Finances de l’Assemblée nationale pour être finalement adoptée par le Parlement. L’avant-projet contenait une disposition ainsi formulée : « tout fonctionnaire ou agent de l’État qui aura provoqué une perte de recettes en omettant soit de liquider les droits de l’État, soit d’établir le titre de perception sera passible d’une amende… » D’autres dispositions connaîtront le même sort : la faculté pour la Cour de condamner l’agent public à payer des intérêts moratoires au créancier entre l’engagement de la dépense et l’ouverture des crédits, la réduction de moitié du montant de l’amende lorsque la Cour aura déclaré les circonstances atténuantes ou l’article prévoyant que « tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’une des infractions prévues par la présente loi sera tenu d’en donner avis immédiatement au ministre des Finances (direction du Budget) ».
51Les ajouts tiennent en particulier à la composition de la Cour. De trois conseillers d’État et de trois conseillers maîtres à la Cour des comptes, ce nombre passe à un pour chacun de ces deux corps, tandis qu’y sont adjoints deux conseillers à la Cour de cassation et que l’exigence selon laquelle les intéressés doivent être en activité est précisée. Quant à l’instruction des affaires, l’avant-projet prévoit la création d’une commission d’instruction, présidée par un conseiller d’État et composée de deux membres du Conseil d’État et deux membres de la Cour des comptes, ainsi que d’un représentant du ministère des Finances. Mais ce modèle initial se voit remplacer d’un coup de crayon par la désignation de rapporteurs choisis parmi les membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des finances. Quant aux autorités de saisine, elles vont disparaître entre cet avant-projet et celui qui sera déposé au Parlement par les présidents des commissions des finances. Mention manuscrite interrogative est par ailleurs portée dans la marge pour y ajouter les autres ministres et le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, avant que cette mention ne soit également supprimée pour cet organisme. Sur ce point, et l’avenir allait lui donner raison, la possibilité donnée à la Cour des comptes de saisir la juridiction nouvellement créée apparaissait à Georges Vedel comme « la garantie la plus certaine que la nouvelle loi ne tombera pas dans le gouffre des textes inappliqués88 ». Précisons enfin que l’auteur de cette relecture de l’avant-projet propose dans la marge un nom pour cette Cour spéciale : « Cour spéciale de justice des ordonnateurs et des comptes », avant de préférer « Cour spéciale de justice budgétaire » et pour laquelle est rajouté le fait que ses audiences ne sont pas publiques. La note jointe à cet avant-projet explique à ce sujet, que « pour éviter toute publicité inopportune à certains scandales éventuels, la procédure doit être rigoureusement secrète ». Un certain nombre des modifications ou ajouts ainsi opérés disparaîtront lors de l’examen parlementaire du texte. Il en sera ainsi des dispositions relatives au contrôle des recettes fiscales ou à l’exclusion des membres de l’Inspection des finances de la liste des rapporteurs potentiels, ce qui laisse penser que certaines influences ont ici encore été exercées.
2. L’examen du projet de loi par le Conseil d’État
52Le secrétariat général du Conseil d’État accuse réception le 18 mars 1947 d’un courrier du directeur de cabinet de Robert Schuman adressé au vice-président du Conseil d’État, René Cassin. Le courrier, très bref, qui accompagne le projet de loi précise que « la Cour devra sanctionner les fautes graves et les infractions commises par les fonctionnaires civils et militaires à l’occasion des actes relatifs à l’exécution des dépenses de l’État ». Un examen très rapide d’un texte qui présente « un caractère d’urgence exceptionnelle » est demandé ; il sera effectivement examiné par la section des finances le 20 mars 1947. Mises à part quelques corrections purement formelles, la minute d’assemblée générale n’apporte qu’assez peu de modifications. Sous l’article 7 du projet de loi, qui exonère de toute responsabilité les auteurs des infractions produisant un ordre écrit préalable de leur supérieur hiérarchique, est ajoutée la mention : « et dont la responsabilité se substitue dans ce cas à la leur ». Sous l’article 23, relatif à la notification des arrêts de la Cour, est ajouté : « Il est communiqué au président de l’Assemblée nationale et au président du Conseil de la République ». Le terme « audience » est, par ailleurs, supprimé lors de l’examen du projet de loi devant le Conseil d’État et remplacé par le terme « séance ». Une intervention du secrétaire d’État au budget, Alain Poher, lors des débats parlementaires, réintroduira le terme d’audiences. « Je préférerais, afin qu’il n’y ait pas d’hésitation sur le sens du mot séance, qu’on le remplace par le mot audiences89 ». Précédemment, un travail de réécriture et de renumérotation du texte fut effectué au sein de la section des finances. Furent également ajoutés un certain nombre d’éléments : ajout de la mention sous l’article 27 relatif au mode de recouvrement des amendes que celles-ci n’ont pas le caractère pénal et, surtout, introduction de la possibilité d’un recours en révision s’il survient des faits nouveaux ou s’il est découvert des documents dont la présence aurait été de nature à établir la non-responsabilité de l’intéressé. Cet ajout est le fait de l’intervention du président de la section des finances du Conseil qui, dans une note qu’il rédige, recommande d’insérer un recours en révision limité aux faits nouveaux résultant de pièces reconnues fausses, ou de pièces qui auraient été retenues par l’administration, et un recours en rectification matérielle tel qu’il est organisé devant le Conseil d’État par l’ordonnance du 31 juillet 1945. Chose étrange, le recours en révision qui figurait dans l’avant-projet Frappart avait, en effet, disparu du projet de loi soumis au Conseil d’État.
53Au-delà des minutes d’assemblées, ce sont surtout les notes manuscrites du rapporteur général Lagrange qui donnent des indications sur l’état d’esprit du Conseil d’État à l’égard de ce projet de loi. Ces notes comportent l’ordre suivant : des extraits du rapport de la Cour des comptes publié en 1947, une analyse des « insuffisances » du contrôle des dépenses engagées, en particulier de l’absence de contrôle des crédits délégués malgré la loi de finances du 16 avril 1930 qui avait prévu le principe selon lequel l’application des dispositions de la loi du 10 août 1922 devait être étendue aux ordonnateurs secondaires et aux budgets annexes, les moyens de contourner les règles en matière de visa, en particulier en violant la règle de la spécialité des crédits, et enfin l’absence de sanction (« et non insuffisance des sanctions » précise-t-il). Passant en revue sanction pénale, politique et disciplinaire, le rapporteur note pour ces dernières « terrain disciplinaire : le seul vrai – mais il ne joue pas ». Suit une analyse du projet de loi. Une distinction des « politiques » pour lesquels seraient maintenues les dispositions de la loi de 1922, en particulier la forfaiture, et des fonctionnaires pour lesquels des sanctions seraient prononcées par une juridiction spéciale. Son analyse critique porte tant sur le plan juridique, qu’en opportunité. Sur un plan juridique, il y a empilement du pénal et du disciplinaire, sur le terrain de l’opportunité apparaît le risque de « raidir » le contrôle des dépenses engagées, le risque de rendre plus « timides » les administrateurs et de développer la technique de « l’ouverture du parapluie ». Viennent ensuite des notes manuscrites prises lors de la séance de la section des finances du 18 mars et préparant l’examen par l’assemblée générale du Conseil d’État du 20 mars : le système n’est « ni pénal, ni disciplinaire », il est « quasi-pénal » tout en prévoyant des amendes civiles. La question de la nature de l’amende au regard du droit disciplinaire lui pose cependant question : en droit français les sanctions disciplinaires sont le fait de l’autorité administrative, « il y a juridiquement dérogation au statut général de la fonction publique, la loi peut le faire », « il est normal qu’elle le fasse en la circonstance ». Et de noter l’accord de la Fonction publique sur ce texte. Il convient de trouver le « juste équilibre », « d’effrayer sans paralyser ». Il faudra pour cela une « très grande souplesse de la Cour ». On y trouve également quelques notes relatives au système belge avec une référence à la loi de 1921 prévoyant une responsabilité pécuniaire devant la Cour des comptes belge pour les ordonnateurs secondaires du chef des engagements de crédits qu’ils ont contractés en violation d’une disposition légale ou qui ont causé un dommage au Trésor. Il y est précisé que cette responsabilité s’applique théoriquement même à des actes réguliers, mais ayant entraîné des dépenses exagérées, sauf si l’ordonnateur produit un ordre spécial du ministre. Suit la mention : « impossible en France ».
54Lors de sa présentation du projet de loi à l’assemblée générale du Conseil d’État, M. Lagrange explique que, comme l’a dit le directeur du Budget, « il faut avoir la foi. Si le Gouvernement a cette foi, si le Parlement l’a aussi, il n’appartient pas au Conseil d’État de se refuser à lui donner l’instrument qu’ils demandent ». Accord général de la section sur ce point.
« Il lui appartient seulement de lui donner l’instrument qui techniquement apparaisse le meilleur. Ce que, malgré le très court espace de temps qui leur a été donné, votre rapporteur qui y a passé ses dernières veillées, et votre section, dans une délibération qui n’a pas duré moins de 6 h, ont cherché à faire ; vous direz s’ils ont réussi ».
55D’une manière générale, on ne croit pas trop, au Conseil d’État, au succès de l’entreprise. Dans une courte note, André Andrieu90, président de la section des finances du Conseil d’État, écrit :
« Je vois mal le rapporteur, qui a d’autres travaux à assurer, faire lui-même l’enquête et rechercher quel est le véritable responsable par des vérifications sur place. Je pense qu’il serait préférable que le dossier ayant été reçu par le Parquet de la Cour des comptes, et le rapporteur ayant été désigné, celui-ci vérifie s’il a des éléments suffisants et qu’en l’absence de tels éléments la commission ordonne une communication au ministre des Finances en vue de compléter l’instruction par ses corps de contrôle qui seraient habilités à enquêter à cet effet dans toute l’administration ».
56Le président de la section des finances poursuit ainsi :
« Le projet, dans ses grandes lignes, ne me paraît pas soulever d’objections de principe. Je reste très attaché à la vieille théorie de l’irresponsabilité pécuniaire de l’administrateur qui me paraît plus que jamais justifiée à une époque où le développement de ses facultés d’initiative doit être encouragé et où il peut commettre des erreurs excusables par le surcroît de travail. Mais cette notion n’est pas touchée par le projet qui se borne à assurer le respect des décisions du Parlement ».
57Intéressante dans cette note est également l’observation suivante :
« La difficulté principale me paraît être celle que soulève la situation des ministres et que le projet résout en s’en remettant au Parlement. Je ne crois pas qu’on puisse trouver autre chose, mais il est à craindre que les sanctions effectives soient ainsi réservées aux fonctionnaires subordonnés ».
58Dans l’esprit des auteurs du projet de loi, et on le voit tant dans l’exposé des motifs que dans la note accompagnant l’avant-projet Frappart, l’objet de la Cour de discipline budgétaire est de faire la part des choses entre ce qui relève de la responsabilité du ministre (c’est notamment l’objet de la transmission au Parlement des décisions de classement), et ce qui relève de la responsabilité propre de ses subordonnés, car dans le système actuel « le Parlement n’est pas en mesure de distinguer entre ce qui, dans les dépassements constatés, est le fait du ministre lui-même et ce qui est le fait de ses services ».
3. La responsabilité financière, alternative possible au prononcé d’une sanction disciplinaire : la nécessité d’une procédure devant la CDBF donnant toutes garanties
« Il est vrai, écrit-il, que l’on peut soutenir que la sanction qui convient pour de telles fautes est moins la responsabilité civile que la sanction pénale et la sanction disciplinaire. Mais il est malheureusement certain que, dans l’état actuel de nos mœurs politiques et administratives, l’une et l’autre sont le plus souvent inopérantes91 ».
59L’auteur évoque, en particulier, les lourdeurs de la procédure disciplinaire, le poids des délégués du personnel, et le fait que « l’administration pourra craindre la puissance des syndicats de fonctionnaires, avec qui elle est aujourd’hui obligée de compter92 ». L’examen du texte au Parlement rencontrera d’ailleurs une opposition communiste dénonçant une atteinte au statut de la fonction publique.
« Dans le régime d’incohérence dans lequel nous vivons depuis déjà de longs moins, un tel texte est une menace très grave. Par ailleurs, nous avons déjà un texte de loi qui prévoit la juridiction qui est capable de juger les fonctionnaires sur leur comportement administratif. C’est le statut de la fonction publique. En effet, ce texte prévoit, d’une part, le Conseil supérieur de la fonction publique, les Comités techniques paritaires, les commissions paritaires administratives, qui sont chargés en matière disciplinaire d’examiner le cas des fonctionnaires. Nous voyons là encore une très grave atteinte portée au statut de la fonction publique93 ».
60Avant même que ces débats n’aient lieu au Conseil de la République, et lors de son examen par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, son rapporteur général, Charles Barangé suggéra lui-même d’adjoindre aux membres de la CDBF deux membres représentatifs des organisations syndicales, ce qui fut repoussé, tout comme l’amendement communiste déposé par M. Pierre Meunier tendant à compléter la CDBF par l’adjonction de cinq membres désignés par les instances syndicales les plus représentatives. N’ayant eu de succès par cette voie, les députés communistes, au rang desquels se trouvaient l’auteur de l’amendement rejeté, proposèrent, lors de l’examen du texte par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, d’ajouter aux règles de procédure l’amendement suivant qui fut retenu par la commission avant d’être accepté par l’Assemblée « dans cette hypothèse, le dossier est communiqué à la commission administrative paritaire compétente qui devra donner son avis dans un délai de deux mois ».
61Cet amendement correspond à un état d’esprit très largement répandu et nous avons vu que le Conseil d’État s’était lui-même ému de ces sanctions sui generis au regard du droit de la fonction publique. Au niveau de l’Assemblée nationale, la commission de la réforme administrative, qui avait demandé à être saisie pour avis du projet de loi94, exprima la même idée : l’avis de la commission paritaire donne à l’intéressé la garantie d’un examen par ses pairs ; la commission proposa donc que ce délai soit porté à deux mois pour permettre à ceux-ci de donner leur avis. Pourtant, la rédaction de cette disposition ne donna pas entière satisfaction. Lors de l’examen du texte ainsi modifié par le Conseil de la République, l’opposition communiste fit observer que le fait que la commission paritaire soit saisie une fois que le rapporteur a achevé son instruction montre :
« la volonté bien déterminée de minimiser le rôle de ces commissions paritaires, de saboter le statut de la fonction publique et de ne pas tenir compte des organismes voulus par les organisations syndicales en accord avec le Gouvernement de l’époque, afin d’avoir la possibilité de brimer les fonctionnaires95 ».
62Alors que le Conseil supérieur de la fonction publique avait, dans son avis rendu le 21 mai 1947, demandé que les membres de la Cour des comptes ne fassent pas partie de la juridiction qui serait créée, cet argument fut rejeté. Le rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée nationale repoussa cette idée par un raisonnement qui mérite d’être mentionné.
« Cette solution ne saurait être retenue, car elle comporterait un affaiblissement de l’autorité du Parlement en matière de discipline budgétaire, l’article 18 de la Constitution ayant fait de la Cour des comptes l’auxiliaire immédiat de l’Assemblée nationale pour le contrôle de l’exécution des recettes et des dépenses publiques96 ».
63Ce qu’il fallait surtout, ainsi que l’explique l’exposé des motifs de la loi, c’est que la composition de la Cour rassure sur sa capacité à « tenir compte des nécessités devant lesquelles se trouvent parfois placés les administrateurs et juger avec équité et indépendance97 ». L’un des apports les plus intéressants du Conseil de la République tient aux règles de procédure qui y furent proposées. Étant donné le caractère répressif de la Cour de discipline budgétaire, « il a paru indispensable de donner à la défense les garanties en usage en matière criminelle. C’est ainsi que le magistrat instructeur a été tenu à l’écart des délibérations de la Cour et qu’il a été prévu que les débats de la Cour seraient publics et se dérouleraient selon les règles inspirées du Code d’instruction criminelle ».
64La composition de la Cour de discipline budgétaire évolua entre le projet déposé par le Gouvernement et le texte finalement adopté. Le Parlement considéra que sa composition devait correspondre « au caractère disciplinaire des poursuites98 ». Pour cette raison, le rapport Barangé précisait que si les membres de la Cour des comptes ont une vocation naturelle à y siéger, « une large place doit être faite aux membres du Conseil d’État, ce grand corps étant activement mêlé à la vie administrative et exerçant par sa section du contentieux le contrôle juridictionnel des actes administratifs ». « On est en revanche fondé à se demander si la science profonde du droit privé que possèdent les membres de la Cour de cassation trouvera son emploi au sein de la haute juridiction disciplinaire99 ». Et l’argument tenant au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs fut également utilisé pour écarter la participation de magistrats de l’ordre judiciaire « au jugement d’actes administratifs ». La suppression des membres de la Cour de cassation fut donc proposée par la commission, malgré l’avis contraire d’Edgar Faure qui pensait que « la présence de hauts magistrats de l’ordre judiciaire ayant une tournure d’esprit différente de celle de leurs collègues du Conseil d’État et de la Cour des comptes compléterait harmonieusement la nouvelle juridiction100 ». Pour des raisons qui n’apparaissent pas clairement à la lecture des travaux parlementaires, le Parlement supprima également de la liste des rapporteurs potentiels les membres de l’Inspection des finances. Le rapport Barangé se contente de préciser que la commission avait estimé « préférable de ne pas introduire dans le fonctionnement interne de la nouvelle juridiction des éléments étrangers au Conseil d’État et à la Cour des comptes101 ». S’agissant des autorités habilitées à saisir la Cour, ce rapport proposa d’ajouter non seulement le président du Conseil « qui, sous le nouveau régime constitutionnel, dispose de pouvoirs propres, distincts de ceux des ministres et dont, au surplus, les attributions en pareille matière ne sauraient être moindres que celles du ministre des Finances », mais aussi la commission de contrôle des comptes qui venait d’être instituée par l’article 56 de la loi du 6 janvier 1848.
65L’on sait que l’une des difficultés à laquelle se heurtera la future juridiction tiendra aux règles de procédure prévues par l’article 19 de la loi du 25 septembre 1948 :
« lorsque l’instruction est terminée, le dossier est communiqué au ministre dont dépend ou dépendait le fonctionnaire ou l’agent mis en cause et au ministre des Finances, qui doivent donner leur avis dans le délai d’un mois. Le dossier est également communiqué, le cas échéant, à la commission mixte paritaire compétente, qui doit donner son avis dans le même délai ».
66S’il a été expliqué dans quelles conditions l’ajout de la commission mixte paritaire avait été réalisé dans le cadre de l’examen du projet de loi par les Chambres, l’exigence de consultation des ministres figurait, en revanche, dans le texte dès l’avant-projet Frappart dont la note jointe expliquait que « l’instruction doit donner aux accusés le maximum de garanties ». Cette disposition reprenait, en réalité, les règles suivies par la section du contentieux du Conseil d’État pour l’instruction des recours portés devant elle. En pareil cas, la sous-section communique la requête au ministre compétent et lui fixe un délai pour produire ses observations. Dans l’esprit du Gouvernement, cette disposition s’intégrait dans la sécurisation de la procédure et les garanties qui devaient être offertes à l’agent avant que le renvoi de l’affaire devant la Cour ne soit fait par son procureur général. L’exposé des motifs de la loi présente ce dispositif comme une mesure destinée à donner aux intéressés les garanties d’une bonne justice, tout en permettant à la Cour d’y trouver d’utiles éclaircissements. Il n’y eut contre cette procédure qu’une manifestation d’hostilité, semble-t-il, au cours de l’examen du projet de loi au sein de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, l’un de ses membres ayant exprimé l’opinion selon laquelle cette formalité retarderait inutilement la procédure.
67Très vite, la Cour se trouve effectivement confrontée au problème. Son procureur général, M. Parent, s’en inquiète dans une lettre adressée le 21 mai 1952 à M. Loriot, président de section au Conseil d’État et vice-président de la Cour de discipline budgétaire. Il y fait état des procédures engagées devant la Cour et souligne les entraves apportées à son fonctionnement du fait de l’inobservation par les administrations et les commissions paritaires du délai prévu par la loi. Lequel vice-président ne répond manifestement pas. Dans un second courrier en date du 20 juin, le procureur général près la Cour lui rappelle son premier courrier et lui demande de « bien vouloir, si possible, procéder à une consultation officieuse en vue de savoir : 1. quel est le caractère du délai prévu et si l’on doit considérer son observation comme étant de rigueur ; 2. si la Cour est fondée à passer outre dès son expiration lorsqu’elle n’a pas reçu réponse ; 3. au cas où la question devrait être tranchée par la négative, de quels moyens disposerait la juridiction pour éviter des retards excessifs ». C’est un membre du Conseil d’État qui se voit demander de répondre, M. Oudinot, « le président Loriot se trouvant très pris par les commissions d’étude qu’il dirige au ministère des Finances ». Celui-ci prend avis auprès de M. Lagrange, lequel a été rapporteur sur le projet de loi créant la CDBF. En raison de la paternité de cette procédure, la réponse donnée reprend la pratique suivie par le Conseil d’État en la matière. Le délai donné au ministre pour répondre est « en principe de rigueur », mais en cas de non-réponse, le Conseil adresse un rappel accompagné d’un nouveau délai, à l’expiration duquel la sous-section passe outre au silence de l’administration.
« C’est ce système qui nous paraît devoir être appliqué en la circonstance ; les travaux parlementaires […] ne nous ont pas paru devoir modifier cette interprétation du texte. […] Cette façon de procéder étant en usage à la section du contentieux du Conseil d’État, il est naturel de l’étendre à un texte qui s’inspire de la juridiction du Conseil ».
4. L’examen parlementaire des autres dispositions du projet de loi
68Le projet de loi qui avait été soumis au Parlement dès 1947 sera finalement examiné selon la procédure d’urgence en septembre 1948. C’est une résolution, proposée par M. Alain Poher, rapporteur de la commission des Finances du Conseil de la République, et votée à l’unanimité au cours de l’examen du projet de loi portant reconduction du budget de 1947, qui invitera ainsi le Gouvernement à demander à l’Assemblée nationale la discussion d’urgence. On retrouve dans les modifications au projet de loi effectuées lors de l’examen parlementaire du texte les échos des critiques faites par la Cour des comptes dans son rapport publié à la Libération. Ce rapport avait, en effet, connu un grand retentissement auprès du Parlement et de l’opinion publique. Furent ainsi ajoutés aux justiciables de la CDBF les agents des établissements publics de l’État à caractère administratif, des organismes subventionnés soumis au contrôle de la Cour des comptes, de tout organisme bénéficiant du concours financier de l’État ou dont les résultats d’exploitation intéressent le Trésor. L’Assemblée nationale souhaitait ainsi étendre le champ d’application de ce texte à l’ensemble des opérations affectant le patrimoine de l’État (dépenses, recettes, gestion des biens domaniaux), ainsi qu’aux opérations de même nature effectuées pour le compte d’un grand nombre d’organismes para-étatiques (entreprises nationalisées, associations subventionnées et sociétés mixtes). Il résultera, du reste, de ces extensions une modification de l’intitulé de loi auquel fut ajouté : « et de diverses collectivités ». Cette volonté d’étendre le champ des dispositions figurant au projet de loi se retrouve également quant aux infractions visées par l’article 5 du texte. Au-delà du fait que cette disposition ne s’appliquait initialement qu’aux seuls agents de l’État, le projet du Gouvernement ne visait que les dépenses (et non les recettes) et exigeait la faute lourde. Cette exigence fut supprimée sur proposition de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Cette extension parut capitale aux membres de la commission des finances, l’article 5 de la loi visant « une généralité d’infraction aux règles de la comptabilité publique ».
69Le rapport Barangé justifiait l’extension aux recettes publiques par le souci qu’en avait toujours eu le législateur « à la fois sous l’angle de l’assiette et sous celui du recouvrement ».
« Si pour les recettes fiscales aucune précaution nouvelle ne semblait s’imposer, il n’en va pas de même pour les recettes étrangères à l’impôt [car] les administrations dépensières ne portent qu’une faible attention aux recettes dont la liquidation leur incombe [… pour cette raison] la menace d’une amende pécuniaire inciterait les administrateurs à ne point se montrer négligents dans l’assiette et le recouvrement de recettes publiques relevant de leurs compétences102 ».
70Le projet gouvernemental prévoyait que :
« Tout fonctionnaire civil et militaire, tout agent de l’État, tout membre du cabinet d’un ministre qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, se sera, en enfreignant les règles relatives à l’exécution des dépenses de l’État, rendu coupable d’une faute lourde ne constituant pas une gestion de fait…, sera passible d’une amende ».
71L’exigence de faute lourde, présente dans le projet initial, fut supprimée au motif :
« qu’en introduisant dans la loi, comme le Gouvernement nous le propose, la notion de faute lourde dont le sens très précis en droit a été nettement dégagé par la jurisprudence des tribunaux judiciaire et par celle des tribunaux administratifs, on risquerait de rendre inopérant le texte à intervenir103 ».
72L’exposé des motifs du projet de loi justifiait l’exigence d’une faute lourde par la volonté du Gouvernement de « rassurer les fonctionnaires qui en raison de la difficulté de leur tâche et la complexité de la réglementation, sont amenés parfois à commettre des irrégularités vénielles ou excusables104 ».
73Pour autant, le Parlement repoussa cette analyse.
« La notion de faute lourde est […] à exclure du texte […] La Cour de discipline budgétaire aurait ainsi la possibilité de frapper toutes les infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses des collectivités visées à l’article 5 ou à la gestion des biens leur appartenant [car] n’est-il pas, en effet, préférable de laisser à la haute juridiction le soin d’établir elle-même sa propre jurisprudence sans être liée par celle du Conseil d’État ou de la Cour de cassation en matière de faute lourde ?105 ».
74Cette volonté de donner à la Cour plénitude de juridiction se retrouve également dans la suppression de la cause exonératoire de responsabilité prévue par le projet gouvernemental qui ne rendait les agents publics passibles d’aucune sanction en cas de force majeure.
« Le cas de l’administrateur ayant cru trouver, dans les circonstances jugées par lui impérieuses, la justification d’une infraction […] sera apprécié par le ministère public, maître de l’action, et qui aura la faculté de trouver dans les faits matière à classement dûment motivé. Si l’action est mise en mouvement, la Cour elle-même aura toute latitude pour prononcer un arrêt d’acquittement fondé sur les circonstances de l’infraction106 ».
75De la même manière furent précisés lors de l’examen parlementaire du texte les pouvoirs d’instruction des rapporteurs. Il fut ajouté à leurs pouvoirs d’investigation sur place la possibilité d’interroger tous témoins. Un élément essentiel est « l’audition et l’interrogatoire de tous témoins » ; il convient donc de permettre la citation de témoins qui seraient entendus sous la foi du serment sous les mêmes formes, conditions et sanctions que ce que prévoit le Code d’instruction criminelle107. L’article 5 posait également de manière incidente la question de savoir s’il ne fallait pas sanctionner également les faits de mauvaise gestion ou de gaspillage qui ne constitueraient pas des infractions aux règles de la comptabilité publique. Une telle extension n’est pas possible conclut M. Barangé, car « attribuer compétence à cet organisme juridictionnel lorsqu’une violation formelle de la législation ou de la réglementation en vigueur n’a pu être relevée […] reviendrait à le faire juge de l’opportunité de l’acte administratif au même titre que le ministre sous l’autorité duquel il a été accompli ». L’article 6 est quant à lui le fruit du Conseil de la République qui ajouta les dispositions relatives aux agents publics procurant aux cocontractants de l’État ou d’une autre collectivité des avantages anormaux. Dans sa rédaction originelle, telle qu’adoptée en 1948, cette disposition prévoyait que tout fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions :
« aura procuré, ou tenté de procurer à ceux avec lesquels il contracte un bénéfice au moins double, à dire d’experts, du bénéfice normal, en omettant soit : 1. d’assurer une publicité suffisante aux opérations qu’il effectue ; 2. d’organiser la concurrence des cocontractants, dans la mesure où elle est compatible avec la nature et l’importance des mêmes opérations ; 3. généralement de faire toute diligence pour faire prévaloir les intérêts dont il a la charge sera passible d’une amende qui ne pourra être inférieure à 10 000 francs… »
76Le rapporteur général de la commission des finances du Conseil de la République expliquait cette extension par la nécessité de soumettre à la juridiction de la CDBF l’ensemble de ceux qui dans l’exercice de leurs fonctions « vendent, achètent, et, d’une façon générale, contractent pour le compte de ces mêmes organismes ». Il s’agit de lutter contre le fait que des « agents d’innombrables d’organismes récemment créés pouvaient, sous le couvert d’une surveillance souvent illusoire et parfois nulle, compromettre par leur incompétence, voire même par leur vénalité, des sommes considérables ». S’agissant de domaines où les règles comptables sont moins strictes que celles applicables à l’État, la rédaction de l’article 6 répondait au souci de donner une arme pour sanctionner « les cas visiblement scandaleux108 ».
Conclusion
77Soixante après la création de la Cour de discipline budgétaire, la responsabilité financière des gestionnaires publics reste au cœur des enjeux tendant à une amélioration de la qualité de la gestion publique. Les débats qui ont suivi l’entrée en vigueur de la LOLF en témoignent109. Cette question, et cette étude a tenté de le montrer, est en réalité au cœur des débats qui durant des décennies ont précédé la loi du 25 septembre 1948 : responsabiliser les gestionnaires publics, lutter contre les gaspillages, renforcer le crédit de l’État en sont les leitmotivs. Mais l’autre dimension qui imprègne l’ensemble de ces débats est le lien entre sanction et contrôle, la sanction conditionnant l’efficacité même des contrôles. Cette sanction se voulant une alternative à une mise en jeu de la responsabilité civile et pénale ; l’émergence même d’une responsabilité financière résultant précisément de cette alternative.
78L’autre élément à signaler est le lien entre responsabilité des gestionnaires et allégement des contrôles a priori qui opère un glissement de responsabilité du comptable vers l’ordonnateur. Étudiant les opérations d’exécution du budget, une étude publiée en 1954 dans le cadre des travaux de la commission Jacomet mentionnait la récente création de la Cour de discipline budgétaire et l’insérait dans le contexte d’un glissement de la responsabilité de l’exécution du budget du comptable vers l’ordonnateur sur qui était reportée la charge essentielle de l’exécution du budget et concluait que « cette évolution semble être dans la nature des choses, restituant sa valeur à l’acte d’autorité qui est celui de l’ordonnateur, véritable consommateur des deniers publics, et ramenant le comptable à son rôle véritable qui est celui d’un exécutant110 ». On retrouvera du reste ce fondement lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 1971 réformant la CBDF, alors que le décret du 13 novembre 1970 vient d’instituer pour les services extérieurs de l’État un contrôle financier au niveau départemental confié au TPG, lequel ne délivre pas un visa, mais un simple avis. L’exposé des motifs de la loi de 1971 précise ainsi que l’allégement des contrôles a priori doit s’accompagner de la responsabilisation des ordonnateurs secondaires, « cette nécessité étant d’autant plus impérieuse que l’allégement des contrôles a priori rendait nécessaire l’aménagement des contrôles a posteriori et au premier chef celui exercé par la Cour de discipline111 ».
79On peut également mentionner l’analyse faite en 1954 au sujet des évolutions devant accompagner le budget fonctionnel qui donne, par opposition au budget de moyens, au ministre et aux administrateurs un crédit pour accomplir une mission déterminée :
« La gestion s’en trouve à certains égards simplifiée, mais cette simplification doit avoir sa contrepartie dans un renforcement de la responsabilité des ordonnateurs et des administrateurs. Il ne serait pas raisonnable d’adopter une telle présentation budgétaire si la responsabilité des administrateurs et des ordonnateurs n’était, par ailleurs, renforcée112 ».
80L’on peut enfin, tout en replaçant les événements dans leur contexte, mentionner l’acuité de la réflexion exprimée au cours de la première moitié du XIXe siècle quant aux missions dévolues à la Cour des comptes et qui trouveraient largement à s’appliquer à la CDBF :
« L’administration des Finances avait besoin du contrôle de la Cour des comptes, sur lequel elle s’est appuyée non seulement pour établir l’ordre dans ses propres écritures […] mais aussi, mais surtout pour établir ce même ordre dans les opérations et dans les écritures des autres administrations. L’administration des Finances, avec ses seuls moyens, ne résisterait pas aux exigences toujours disposées à se reproduire ; son contrôle isolé serait impuissant pour réprimer et en prévenir le retour113 ».
81La diversification des modes de gestion publique renforce sans doute encore la pertinence de cette analyse.
Notes de bas de page
1 « La responsabilité des administrateurs devant la Cour de discipline budgétaire », RSLF 1949, p. 118.
2 Sur ce point, P. Masquelier, « L’histoire de la direction de la Comptabilité publique de 1870 à 1940 : de l’administration des choses au gouvernement des hommes ? », in La Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26 novembre 1993, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 51.
3 Chambre, documents parlementaires, 1921, annexe n° 3419, p. 237.
4 « Aucune ordonnance de dépenses n’est valable que si elle porte visa du contrôleur des dépenses engagées. Les ministres ordonnateurs seront personnellement responsables des décisions prises à l’encontre de cette décision ».
5 C. Descheemaeker, « La responsabilité des ordonnateurs devant les juridictions financières », in La Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26 novembre 1993, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 320.
6 M. Lionel de Tinguy, rapporteur suppléant, 2e séance du 18 septembre 1948, annales de l’Assemblée nationale, p. 6693.
7 Traité élémentaire de Sciences des Finances et de Législation financière française, 5e édition, p. 434.
8 Projet de loi tendant à sanctionner la violation des règles relatives à l’exécution des dépenses de l’État et portant création d’une cour de discipline budgétaire présentée au nom de M. Paul Ramadier, président du Conseil des ministres, par M. Pierre-Henri Teitgen, ministre d’État, vice-président du Conseil, par M. Robert Schuman, ministre des Finances et par M. André Marie, garde des sceaux, documents parlementaires, Assemblée nationale, séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653.
9 J. Appleton, Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, n° 138.
10 M. Charles Barangé, Documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1001.
11 Arrêt Baron, 10 juillet 1874, S 1876.
12 Cité in G. Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 264.
13 « Considérant que la responsabilité pécuniaire d’un fonctionnaire autre qu’un comptable public ne saurait être engagée envers l’État à raison des fautes par lui commises à l’occasion de ses fonctions, à moins d’une disposition législative spéciale qui autorise le ministre compétent à le déclarer débiteur ; considérant qu’en l’absence de toute disposition de cette nature, c’est à tort que l’administration a mis à la charge de… par la décision et l’ordre de reversement attaqués, une somme… à titre de réparation du préjudice qu’il aurait causé à l’État en engageant par son fait la responsabilité du service public ». Conseil d’État, 28 mars 1924.
14 RDP, 1924, p. 608.
15 Inversement, sous l’empire de la loi du 25 septembre 1948, un tel manquant aurait, le cas échéant, été susceptible d’être sanctionné sur le fondement de la violation des règles relatives à la gestion des biens conformément aux principes appliqués, par la CDBF. Voir notamment, l’arrêt Musée Rodin du 18 juin 1997, n° 115-347.
16 Conformément aux dispositions du décret du 1862 dont les articles 14 et 17 visent les fonctions des administrateurs et ordonnateurs d’une part, des comptables d’autre part.
17 G. Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 263.
18 De la Comptabilité publique en France, Paris, 1840.
19 Cité in P. Masquelier, « L’histoire de la direction de la Comptabilité publique de 1870 à 1940 : de l’administration des choses au gouvernement des hommes ? », in La Comptabilité publique, continuité et modernité, actes du colloque des 25 et 26 novembre 1993, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, p. 42.
20 La réforme de la Cour des comptes, Thèse de doctorat, comportant dans le jury de soutenance MM. Allix et Jèze, Librairie du Recueil Sirey, 1923, p. 60.
21 Un maire fait réaliser des travaux sur une voie passant devant sa propriété sans avoir sollicité l’autorisation du conseil municipal comme l’y obligeait la loi de 1884. À la suite d’un changement de majorité, la commune demanda à son ancien maire de l’indemniser des dépenses ainsi engagées.
22 Cité in Félix Bolley, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, G. Burdeau, président du jury, 1942, Paris, Imprimerie Berthod, p. 53.
23 Ibid.
24 Thèse Ninkovitch, La responsabilité civile des agents administratifs vis-à-vis des personnes morales de droit public, Thèse de doctorat, Imprimerie Gouëz, Paris, 1941, p. 199.
25 Op. cit. p. 65.
26 Chambre des députés, Séance du 14 juin 1883, annexe n° 1991, p. 11.
27 Cette disposition renvoyait à une loi organique le soin de déterminer les cas de responsabilité, formes et conditions des poursuites qui seraient exercées contre les agents et dépositaires de l’autorité publique.
28 Sur ce point, le Ve rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1001.
29 Notamment, Félix Bolley, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, G. Burdeau, président du jury, 1942, Paris, Imprimerie Berthod ; Ninkovitch, La responsabilité civile des agents administratifs vis-à-vis des personnes morales de droit public, Thèse de doctorat, Imprimerie Gouëz, Paris, 1941.
30 Thèse Ninkovitch, op. cit. p. 149.
31 « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire, mai 1922.
32 J. Appleton, Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, p. 224.
33 Cette réforme change fondamentalement la logique s’appliquant en la matière puisque la somme restant à la charge du comptable va dépendre du degré de la faute qui lui incombe.
34 Dans le cadre de l’apurement des comptes des collectivités locales et de l’examen par le TPG des comptes de gestion qui lui sont soumis, est instituée par le décret du 8 août 1935 une amende, prononcée par la Cour des comptes sur saisine du TPG, en cas de retard dans la production des comptes imputable à un comptable public négligent.
35 Jean Rieu, Les nouvelles attributions de la Cour des comptes d’après les réformes récentes, Paris, Librairie sociale et économique, 1938, p. 36.
36 JO du 25 octobre 1935, Lois et décrets, p. 11266.
37 Lors de la séance solennelle de la Cour des comptes du 16 octobre 1936, JO du 20 octobre 1936, Lois et décrets, p. 11329.
38 Chambre des députés, documents parlementaires, Séance du 14 mai 1895, annexe n° 1314, p. 48.
39 A. Cultru, La réforme de la Cour des comptes, Thèse de doctorat, comportant dans le jury de soutenance MM. Allix et Jèze, Librairie du Recueil Sirey, 1923, p. 16.
40 Chambre, doc. parlementaire, annexe n° 620, JO, 21 août 1920, p. 594.
41 Op. cit., p. 595.
42 Cette proposition de loi n’est pas été publiée, mais a été référencée dans les documents parlementaires de la Chambre des députés, sous l’annexe n° 2184, séance du 11 juillet 1912.
43 Sur ce point, voir Florence Descamps, « La Cour des comptes et le contrôle financier des administrations publiques : histoire d’une tentation, histoire d’une tentative », in RFAP, 2007, n° 4, p. 659-672.
44 Sur le système italien, voir S. Flizot, « La Cour des comptes italienne », RFFP, février 1998, n° 61, p. 87-103.
45 M. Maulion, Étude sur la réforme du contrôle financier et de la Cour des comptes, présentée à la commission de réforme de l’État du Sénat. Dans ce projet, aucun acte portant engagement de dépense, aucun titre de recette, aucune ordonnance ou mandat de paiement n’est valable s’il n’est revêtu de la double signature de l’ordonnateur et d’un représentant de la Cour des comptes. La Cour voyait d’ailleurs sa position institutionnelle renforcée, en étant placée sous l’autorité du président du Conseil.
46 Le budget, Paris, Alcan, 1912, p. 521.
47 « L’Assemblée nationale règle les comptes de la Nation. Elle est, à cet effet, assistée de la Cour des comptes. L’Assemblée nationale peut charger la Cour des comptes de toutes enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie », rédaction proposée par le rapporteur général M. Coste Floret et résumant, selon ses propres termes, « la formule de M. Pineau ».
48 Cité par Mme Lucile Tallineau, communication de 2007 au Comité pour l’histoire économique et financière de la France sur l’avant-projet de loi organique 1949-1952, à paraître.
49 « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire, mai 1922, p. 193.
50 Chambre des députés, documents parlementaires, séance du 28 janvier 1921, annexe n° 2065, p. 763.
51 Par application des principes posés par l’article 1382 du Code civil selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
52 Voir les références doctrinales mentionnées par Félix Bolley dans sa thèse soutenue en 1942 avec G. Burdeau, comme président du jury, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, Paris, Imprimerie Berthod, p. 7.
53 M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 11e édition P. II, p. 302.
54 Conclusions du commissaire du gouvernement Bédarrides sous l’arrêt du Tribunal des conflits du 29 juillet 1876, affaire Lecoq.
55 Sur la période 1790-1807, voir S. Flizot, « La genèse de la loi du 16 septembre 1807 créant la Cour des comptes », Revue du Trésor, n° 12, décembre 2005, p. 658-662.
56 Mais aucune juridiction n’est désignée, rendant de fait ces dispositions inopérantes, malgré l’opinion exprimée par le rapporteur général de la commission des Finances du Sénat pour lequel le tribunal compétent en cas de forfaiture est le Sénat constitué en haute cour de justice.
57 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2e édition, Paris, 1924, p. 869.
58 Cité par Félix Bolley dans sa thèse soutenue en 1942, Étude sur la responsabilité civile des fonctionnaires envers la collectivité dont ils dépendent, Paris, Imprimerie Berthod, p. 30.
59 Sénat, documents parlementaires, séance du 9 juin 1922, p. 403.
60 Chambre des députés, documents parlementaires, rapport au nom de la commission des finances suite aux modifications adoptées par le Sénat, M. Maurice Bokanowski, rapporteur général, séance du 24 mars 1922, annexe n° 4150, p. 463.
61 Voir du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État, thèse de doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs.
62 Bisson, Institutions financières et économiques de la France, Berger-Levrault, 1960 p. 99, cité par J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et financière » (la loi du 13 juillet 1971), Revue de science financière, 1972, p. 732.
63 L’amendement prévoyait, en effet, de limiter les cas d’engagement possible de la responsabilité pécuniaire des agents concernés en cas de non-respect des règles applicable au contrôle des dépenses engagées lorsque l’acte en question a pour objet d’engager une dépense dont le montant dépasse 500 000 francs.
64 Alain Poher, intervention lors de la séance du 23 septembre 1848, annales du Conseil de la République, p. 3290.
65 « Le contrôle financier et les moyens de l’améliorer », Revue politique et parlementaire, mai 1922.
66 « Des sanctions administratives nouvelles, mieux adaptées que celles du passé à la gravité réelle des fautes commises, et qui consistent essentiellement dans des amendes sui generis dont le taux maximum correspond à la rémunération des intéressés », cité in G. Montagnier, Le Trésorier-payeur général, Paris, LGDJ, 1966, p. 262.
67 Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi tendant à sanctionner la violation des règles relatives à l’exécution des dépenses de l’État et portant création d’une Cour de discipline budgétaire, Assemblée nationale, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275.
68 Le texte initial était ainsi conçu : « Les amendes prononcées en vertu de la présente loi n’ont pas le caractère pénal. Le recouvrement de ces amendes, qui seront assorties, outre l’hypothèque judiciaire, du privilège prévu à l’article 320 bis du Code de l’enregistrement, sera effectué dans les mêmes conditions que le recouvrement des amendes en matière de procédure civile ».
69 Rapport Barangé, op. cit. p. 1005.
70 Sur ce point, voir du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État, thèse de doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs, p. 114.
71 Chambre des députés, débats, séance du vendredi 27 novembre 1903.
72 Op. cit., p. 788.
73 Loi n° 46-2154 du 7 octobre 1946 (JO du 8 octobre 1946 p. 8500).
74 Cette disposition sera reprise par l’article 27 de la loi du 25 septembre 1948 créant la CDBF. L’Assemblée nationale ayant souhaité, lors de l’examen de la loi du 25 septembre 1948 que soit coordonnées « dans un texte unique les différentes procédures extra-pénales tendant à sanctionner les fautes de gestion commises au préjudice de l’État et de diverses collectivités », rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1001.
75 M. Waline, « De l’irresponsabilité des fonctionnaires pour leurs fautes personnelles et des moyens d’y remédier », RDP 1948, p. 5 sqq.
76 « L’objet réel de la loi n’est évidemment pas la répression, mais à travers la répression, la prévention », « La responsabilité des administrateurs devant la Cour de discipline budgétaire », RSLF 1949, p. 133 et L. Philip, « La CDBF », Revue de science financière, volume 56, octobre-décembre 1964, p. 744.
77 S 1918-1919-3-41.
78 J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et financière (la loi du 13 juillet 1971) », Revue de science financière, 1972, p. 733.
79 Histoire de la Cour des comptes, édition du CNRS, 1984, p. 904.
80 Chambre des députés, documents parlementaires, séance du 8 novembre 1894, annexe n° 963.
81 Cité in du Mesnil du Buisson, Le contrôle des ordonnateurs du budget de l’État, thèse de doctorat, Paris, 1923, Jouve et Cie éditeurs, p. 119.
82 Traité de la juridiction administrative et du recours contentieux, 1886, p. 618.
83 Cité in A. Cultru, op. cit. p. 60.
84 Voir S. Flizot, « La genèse de la loi du 16 septembre 1807 créant la Cour des comptes », Revue du Trésor, n° 12, décembre 2005, p. 658-662.
85 R. Jacomet, « Discipline budgétaire », Revue politique et parlementaire, juillet/août/sept. 1947, p. 39.
86 Op. cit., p. 37.
87 Histoire de la Cour des comptes, édition du CNRS, 1984, p. 904.
88 G. Vedel, op. cit., p. 131.
89 Conseil de la République, séance du 23 septembre 1948, p. 3290.
90 Observations de M. Andrieu, président de section au Conseil d’État, sur le projet de création d’une chambre de discipline budgétaire.
91 Op. cit., p. 12.
92 Op. cit., p. 14.
93 M. Faustin Merle, intervention lors de la séance du 23 septembre 1848, annales du Conseil de la République, p. 3289.
94 Avis donné au nom de la commission de la réforme administration, rapport de M. Kuhn, n° 1980.
95 Op. cit., p. 3290.
96 Rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1003.
97 Assemblée nationale, séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653, p. 1321.
98 Ibid.
99 Op. cit., p. 1003.
100 Ibid.
101 Op. cit., p. 1004.
102 Rapport de M. Charles Barangé, Documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1002.
103 Rapport Barangé, op. cit.
104 Assemblée nationale, séance du 12 juin 1947, annexe n° 1653, p. 1321.
105 Loc. cit.
106 Rapport de M. Charles Barangé, documents parlementaires, séance du 20 mai 1948, annexe n° 4275, p. 1003.
107 Rapport Barangé, op. cit., p. 1004.
108 M. Dorey, rapporteur général de la commission des finances, Conseil de la République, séance du 23 septembre 1948, p. 3289.
109 Voir notamment le discours de clôture du premier président Philippe Séguin au colloque organisé au Conseil économique et social les 5 et 6 avril 2005, « Finances publiques et responsabilité : l’autre réforme ? », actes publiés in RFFP novembre 2005, n° 92.
110 M. André, contrôleur général de la Marine, « Opérations d’exécution du budget (Dépenses publiques) », in La réforme budgétaire, tome II, études de finances publiques publiées sous les auspices du centre français de droit comparé, Éditions de l’épargne, 1954, p. 111.
111 Sur ce point, voir J. Rossinol, « Le nouveau visage de la Cour de discipline budgétaire et financière (la loi du 13 juillet 1971) », Revue de science financière, 1972, p. 743.
112 Dans le cadre d’une étude réalisée dans le cadre des travaux de la commission Jacomet chargé de la rédaction d’un avant-projet de loi organique sur la présentation du budget et le contrôle de son exécution. J. Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses dans le Budget français », in La réforme budgétaire, tome II, études de finances publiques publiées sous les auspices du Centre français de droit comparé, Éditions de l’épargne, 1954, p. 44.
113 « De la Cour des comptes en 1838 », Revue française, octobre 1838, p. 17.
Auteur
Stéphanie Flizot est maître de conférences en droit public, titulaire de l’habilitation à diriger les recherches. Ses travaux et publications portent sur les finances et la gestion publiques, appréciées sous un angle historique et de droit comparé, ainsi que sur la fiscalité. Sa thèse consacrée aux relations entre les institutions supérieures de finances publiques et les pouvoirs publics dans les pays de l’Union européenne a obtenu le prix de la Cour des comptes et est parue à la LGDJ. Elle a également publié récemment « Les règles constitutionnelles de limitation de l’endettement, l’exemple allemand », in Jus politicum n° 8, juillet 2012 ; « L’organisation de la Cour des comptes européenne, enjeux et défis », audition devant le Comité du contrôle budgétaire du Parlement européen, COCOBU, 30 mai 2012, Future Role of the European Court of Auditors : Challenges ahead and possible reform, http://www.europarl.europa.eu/document/activities/cont/201205/20120514ATT45035/20120514ATT45035FR.pdf ; « Les services locaux du ministère des Finances : enjeux et débats aux lendemains de la Première Guerre mondiale », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Histoire des finances publiques, mars 2012 ; « L’évaluation des fraudes fiscales, panorama européen », Gestion et Finances publiques – La revue, numéro spécial Contrôle fiscal, décembre 2011 ; « La mise en place des Cours des comptes en Europe, XIVe-XIXe siècles », in A. Dubet et M.-L. Legay, La Comptabilité publique en Europe, 1500-1850, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 93-106 ; « Les tendances relatives à l’organisation et aux réformes du contrôle de l’État sur les collectivités locales en Europe », in A. Hastings-Marchadier, La performance et les contrôles financiers de l’État sur les collectivités locales, LGDJ, 2011, p. 319-333.
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2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006