La contribution des organismes du privé au perfectionnement des méthodes des administrations publiques des années 1930 aux années 1960 : l’exemple de la Commission Générale d’Organisation Scientifique (CEGOS) et de l’Institut Technique des Administrations Publiques (ITAP)
p. 303-332
Plan détaillé
Texte intégral
Introduction
1En 1951, le secrétaire général du Comité supérieur pour le coût et le rendement des services publics, Gabriel Ardant, déclarait :
« Par contraste avec les défauts de la gestion publique, la gestion privée paraîtra peut-être douée de toutes les vertus, de la vertu de la productivité tout au moins. Ce serait méconnaître les nombreuses causes d’improductivité qui, dans un pays tel que la France, affectant le secteur privé, et dont l’exagération de certains prix de revient constitue un témoignage certain1. »
2Cette remarque, où l’on sent poindre une certaine exaspération, ne donne pas au secteur privé quitus de sa bonne gestion et de son avance supposée dans le perfectionnement des méthodes par rapport au secteur public.
3On peut en trouver maints exemples. À la création de la commission générale d’organisation scientifique du travail (CGOST) en 1926, commission spécialisée du syndicalisme patronal, la CGPF, le secteur privé des entreprises était dans un état de désorganisation préoccupant. Quelles qu’en soient les raisons, quand fut abordée par exemple la question de l’établissement d’une méthode uniforme du calcul du prix de revient, une bonne part des entreprises considéra cela comme une manœuvre de l’État pour ponctionner encore un peu plus les bénéfices des entreprises. La plupart de celles-ci ne savaient pas comment se répartissaient les coûts impactant leur prix de revient et avaient pour seul objectif de vendre moins cher (voire à pertes) que leur concurrent. D’où un nombre très important de faillites en chaînes dont il serait intéressant de connaître la part dans celles que l’on attribue traditionnellement à la crise de 1929, dont les conséquences se sont fait sentir en France à partir de 1931. Compte tenu de ce degré d’avancement relativement faible des entreprises, comment expliquer dans ce cas qu’on ne se lasse pas, depuis longtemps, d’appeler l’administration à prendre exemple sur les avancées accomplies dans le secteur privé, dans les entreprises ? Sans doute cela est-il fonction des périodes historiques : cela supposerait que, dans les années 1930, l’administration et les entreprises étaient au même niveau de perfectionnement, l’une ayant finalement peu de choses à envier aux autres. La dynamique de changement aurait été depuis ce temps davantage du côté des entreprises. C’est une hypothèse qu’il faudra vérifier.
4D’autre part, comparer les secteurs privé et public comme s’il s’agissait de blocs délimités permet des simplifications commodes alors que la réalité est plus complexe : bien des acteurs des périodes historiques que l’on se propose de parcourir, des années 1930 à la fin des années 1950, ont été en contact avec des entreprises privées et des services d’administration, et se sont rendu compte que les avis ne pouvaient pas être aussi tranchés2.
5Les innovations existent de part et d’autre et c’est là le plus intéressant. C’est ce qui fait l’intérêt que l’on porte aux « passeurs d’idées ». Il s’agit non seulement des personnes, mais des structures et des organisations qui se sont proposées pour perfectionner les méthodes des entreprises privées et celles des administrations. Cela regroupe à la fois les cabinets de conseil ou d’organisation, les multiples comités ou organismes de perfectionnement et d’échanges d’idées comme le CNOF3 par exemple, les revues et conférences nationales ou internationales, ou bien encore les techniciens et organisateurs. Il faut y ajouter la masse des anonymes qui en interne mettent en œuvre des perfectionnements auxquels il n’est pas donné une grande publicité alors qu’ils sont souvent opportunément recyclés4.
6Le thème des passeurs d’idées est lui-même fonction de l’avancée ou de la réduction des prérogatives de l’État comme par exemple dans l’accroissement de ses pouvoirs à l’occasion de l’organisation de l’économie de guerre ou de la pénurie sous l’Occupation. Alors que, selon la « tradition », les porteurs de réformes viennent essentiellement de l’extérieur de l’administration, lorsqu’ils entrent dans le giron de l’État à la faveur de la reprise par celui-ci de nouvelles prérogatives, les porteurs d’innovation deviennent en quelque sorte des innovateurs internes à l’État. La création d’organismes de perfectionnement au statut un peu ambigu, soit comme un faux nez de l’État ou avec une participation publique forte, est assez éloquente de ce point de vue. Tant que l’État conserve ces nouvelles prérogatives, les organismes de perfectionnement dans lesquels les passeurs d’idées se sont exercés, les innovations mises en pratique proviennent de l’État et pas du secteur privé. Être passeur d’idées entre secteur privé et secteur public est donc une fonction qui suit le flux et le reflux des compétences de l’État au gré des périodes historiques. Ce fait est d’une très grande importance car on découvre là le champ d’exercice des intervenants qui forgent leurs credo grâce à l’administration et à l’État pour retourner vers eux le moment venu. Il ne s’agit plus là d’être passeur d’idées, mais plutôt de formaliser les découvertes de différentes avancées çà et là, de les conceptualiser et de voir dans quelle mesure elles sont généralisables.
7Enfin, compte tenu de la distinction entre secteur privé et public, quelle place peut-on réserver aux entreprises publiques, aux administrations de service dans ce schéma ? Celles-ci peuvent-elles jouer le rôle d’un terrain d’expérimentation pour l’application de méthodes venues du secteur privé ? Ce serait à ce moment un transfert en deux temps des innovations du privé vers le public en examinant comment, par exemple, à la SNCF ou dans d’autres entreprises publiques, les améliorations ont été appliquées avant d’être adaptées aux administrations proprement dites. Ce serait le cas également dans des administrations de service comme les PTT par exemple. Mais une fois les avancées obtenues dans les entreprises publiques, tout ceci ne résout pas forcément le problème de l’adaptation de nouvelles méthodes de travail aux administrations. Et bien des innovations adoptées dans les entreprises publiques ou des services opérationnels ne sont pas transférables telles quelles à une administration.
8Au cours de cette étude, nous aborderons dans une première partie consacrée aux années 1930 comment des études dans les entreprises privées menées par des organismes de coordination ont pu influencer et même inspirer des réformes dans l’administration. Dans une deuxième partie, durant l’épisode de Vichy, on montrera comment l’administration des entreprises s’est développée en créant un substrat de réflexion pour les futurs perfectionnements dans les administrations de l’État. Enfin, la troisième partie sera dédiée, à partir de la Libération, à l’émergence de multiples acteurs de la productivité vue comme une valeur universelle par-delà les frontières des secteurs privé et public.
I. Entre privé et public : promouvoir l’action de la CGOST et consulter pour l’administration
9En 1926 est créée au sein de la Confédération générale de la production française (CGPF) la commission générale d’organisation scientifique du travail (CGOST) qui deviendra plus tard CGOS puis CEGOS, appellation qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Dès son origine, c’est un jeune polytechnicien atypique, Jean Milhaud, qui en est la cheville ouvrière en tant que secrétaire général tandis que cette commission est dirigée par de grands noms comme Charles Louis Breguet par exemple. De simple commission spécialisée de la CGPF dédiée au perfectionnement des méthodes des entreprises, cet organisme évolue vers des domaines d’intervention beaucoup plus larges tentant d’apporter sa pierre à l’amélioration des méthodes de l’administration dans les années 1930.
A. La section administration de la CEGOS, vecteur de comparaison entre les secteurs privé et public
1. La section administration de la CEGOS
10Même si, à l’origine de la CEGOS, on trouve principalement les travaux sur le prix de revient, il faut constater que très vite les sections d’études se créent et se développent sur des questions communes aux entreprises privées et aux administrations. C’est tout d’abord la création de la section n° 1, dédiée aux machines à statistiques et à la mécanographie, tandis que la section n° 3, depuis sa création en janvier 1934, se consacre à l’organisation administrative des entreprises. Si cette dernière appellation délimite le sujet au secteur privé, progressivement ses membres appellent de leurs vœux l’élargissement de leurs travaux aux questions qui touchent l’administration, étant entendu que les problèmes administratifs auxquels on doit faire face sont communs aux entreprises et à l’administration. Le côté technique des perfectionnements envisagés permet ici de s’affranchir des distinctions privé/public.
2. L’intervention de Milhaud dans l’administration
11Il s’agit donc de perfectionnements des tâches administratives des entreprises mis à disposition de l’administration. Presque dans le même laps de temps où la CGOST développe ses sections spécialisées et le service qu’elle peut apporter de manière transversale, Milhaud s’en inspire pour l’appliquer à l’administration en devenant son conseiller. Mais beaucoup de chemin reste à faire. Il constate que le recours de l’administration à un organisateur du privé est encore l’exception dans les années 1930 : « Il n’était pas courant, vers 1929, que les pouvoirs publics s’adressent à un ingénieur appartenant au secteur privé pour faire la critique de leurs méthodes5 ». Et si l’opération a réussi, elle est due en partie à des relations personnelles : l’intervention de Milhaud se fera dans l’administration du protectorat marocain.
B. Mission au Maroc, 1929
12En octobre, le délégué général de la CGPF (dont la CGOST était à cette époque une sous-partie) en est convenu avec le directeur du département d’Afrique-Levant au Quai d’Orsay6. Il s’agit ici d’une spécialisation de la CEGOS et de Milhaud en particulier, dans le domaine des machines à cartes perforées, notamment pour les besoins de statistiques dans les entreprises dans le cadre de la nouvelle commission de la CGPF. La CGOST joue là un rôle de passeur d’idées et de perfectionnement entre le secteur privé et le secteur public, ainsi qu’il le décrit lui-même. L’exemple du privé est ici celui du PLM ayant acquis et développé des services de mécanographie :
« J’ai eu l’idée un jour d’organiser une conférence sur une expérience faite dans une compagnie de chemin de fer française, qui était d’ailleurs le PLM, dans un domaine très limité qui était ce qu’on appellerait aujourd’hui l’informatique et, à ce moment-là, c’était l’utilisation des cartes perforées ou machines à statistiques. Or on avait fait au chemin de fer du PLM des choses intéressantes. J’ai demandé à celui qui dirigeait ce service de venir le raconter et j’ai invité 200 grandes entreprises à envoyer quelqu’un pour écouter cette conférence7. »
13La transposition des expériences accumulées au PLM se fait principalement dans la mécanisation des services de l’état civil et du renouvellement des fichiers qui en dépendent8.
14L’expérience acquise par Milhaud, l’influence des débuts de la CGOST se remarquent. La mécanographie devient la pierre angulaire de la rationalisation de l’administration, et elle rejoint dans ses conséquences un des grands classiques de la réforme des méthodes de l’administration : faire des économies. L’utilisation du machinisme doit permettre à « certains services d’augmenter leur volume de travail, sans création d’emplois, et à d’autres d’envisager des réductions de personnel9 ». Faire des économies, c’est ce qu’avait préconisé le secrétaire général de la résidence Duvernoy en 1926.
15Nonobstant le classicisme de ces recommandations, l’intérêt de ces conseils tient dans la prise en compte des situations particulières de telle ou telle administration. Et c’est là que s’applique plus précisément la doctrine fayolienne où chacun possède « ce que Fayol appelle la “capacité” d’organisation10 ». S’agissant d’une administration coloniale en effet, le seul intérêt n’est pas de mécaniser autant que faire se peut une partie des tâches administratives ni d’économiser du personnel par ce biais, mais bien plutôt de s’attacher les compétences disponibles d’où qu’elles viennent. En premier lieu, Milhaud recherche dans les fonctionnaires coloniaux ceux ayant compris leur tâche, c’est-à-dire d’intéresser la population arabe à la gestion du pays, au besoin en encourageant la sélection et l’intégration de fonctionnaires indigènes. Même si, par ce biais, il s’agit d’économiser des postes de fonctionnaires coloniaux, on entre ici de plain-pied dans le credo de la mission civilisatrice de l’autorité coloniale en citant souvent en exemple le rôle des militaires, et en particulier Lyautey au Maroc. Milhaud, lui, fait la synthèse entre la doctrine militaire sur l’art de commander, le rôle du chef et la doctrine de Fayol faisant une place aux initiatives individuelles, au besoin en détectant et en valorisant en interne les bons éléments de l’administration11.
16La prise en compte de la particularité d’une administration est complétée par la consultation de tous ses acteurs compte tenu de la position délicate de tout réformateur patenté.
17De même que Milhaud situe son action dans la ligne d’un Fayol en cherchant à associer différentes personnes à ses réformes, il a conscience également de son rôle en tant qu’élément extérieur à l’administration lorsque la venue d’un réformateur est susceptible d’inquiéter en remettant en cause l’utilité du travail de tel ou tel Service ou la tâche d’un certain nombre de personnes. C’est pour cette raison qu’il ne néglige aucun acteur de l’administration et qu’il les considère avec respect : « Ma politique fut toute de prudence et de cordialité. Je m’attachai à créer un climat favorable, en mettant mes interlocuteurs à l’aise12 ». Cette volonté se prolonge dans la consultation du syndicat des fonctionnaires dont Milhaud souligne que cette organisation fut la première à « stigmatiser le rôle de la bureaucratie montante13 » ou dans la consultation des personnes extérieures à l’administration, les usagers : il faut comprendre l’image que l’administration donne d’elle-même à ses utilisateurs, ce qui deviendra plus tard le thème récurrent de l’adaptation de l’administration à ses administrés.
18Un autre élément de taille dans le travail de la CGOST est celui sur la mise au point d’une méthode uniforme de calcul du prix de revient. Ce fut même un des premiers chantiers de la CGOST sous la houlette du lieutenant-colonel Émile Rimailho qui publia sous l’égide de la CGOST/CGPF un ouvrage sur le prix de revient qui connaîtra de multiples rééditions. S’il y a bien des domaines qui sont peu comparables et qui sont difficilement transposables, ce sont sans doute les systèmes de comptabilité privés et publics. Cependant, si un calcul du prix de revient ne s’applique pas d’un point de vue pratique à l’administration, son utilité est conservée en tant qu’indicateur.
19Comme le demandait le résident général au Maroc, Lucien Saint14, il faut amener l’administration à transposer les méthodes du secteur privé au secteur public. On se doute que dans ce cadre, les progrès effectués par la CGOST sur le prix de revient depuis sa création offrent de nombreuses opportunités même si en cette matière l’application pure et simple à l’administration n’est pas évidente, ainsi que le remarque Milhaud :
« Comme si on ne devait doser le prix de revient des choses que quand on veut les vendre ! Nous pensons qu’il faut lutter avec énergie contre cette tendance. […] Évaluer le prix de revient des opérations. C’est là le meilleur moyen d’analyse que possède la technique administrative15 ».
20La réflexion engagée à la CGOST sur le prix de revient, travail encore largement à parfaire, ne doit donc pas être prise comme une incitation à appliquer la comptabilité privée à la comptabilité publique – ce serait d’ailleurs littéralement impossible – mais à chercher des instruments d’analyses et de réflexion. Ceci, en établissant une sorte de comptabilité virtuelle du prix des actes, encore qu’une comptabilité analytique inexistante à l’époque ne le permettait pas sauf à en faire une simple évaluation déjà bien utile.
21Milhaud a donc vécu sa mission au Maroc comme une réussite et finalement un moyen de dépasser à la fois le terrain de développement relativement étroit de la CGOST et d’éviter de se cantonner à des études strictement limitées au secteur privé. Cette tendance se confirme lorsqu’il consulte pour l’administration des PTT.
C. Un continuateur de Fayol : les PTT 1930-1931
22La réussite de la mission de Milhaud au Maroc lui permit de se forger une nouvelle spécialité de réformateur des méthodes de l’administration, en même temps que la CGOST avait démontré qu’elle pouvait en partie jouer le rôle de précurseur : « J’ai parlé de seconde carrière. Elle avait commencé à l’entrevue de Rabat, elle se continua, dès mon retour, après mon premier séjour. Ce fut d’abord le Conseil national économique16. » Le Conseil national économique en 1930 fit la demande auprès du délégué général de la CGPF Lavergne de fournir des éléments sur les systèmes de rémunération à primes. Il avait confié en effet au maître des requêtes au Conseil d’État Roger Auboin la charge d’étudier le fonctionnement de l’administration des PTT. Mais avant que le rapport Auboin ne soit adopté, il doit être complété par une étude particulière sur l’adoption du système de rémunération à primes dans cette administration, et c’est vers Milhaud que le CNE est orienté par l’entremise de Lavergne.
23Comme au Maroc, Milhaud ne s’enferme pas dans une problématique limitée à la question posée par le CNE. Il élargit son sujet à des données inhabituelles pour l’époque et qu’il a déjà expérimentées au Maroc. Les expériences du privé doivent être repérées pour s’en inspirer dans l’administration tandis que, comme au Maroc, il y a lieu de s’informer auprès des personnes et des Services de la mécanisation et de la modernisation des méthodes de travail : « La méthode que j’avais utilisée au Maroc se révéla utilisable : je posais mille questions, dont de nombreuses n’ayant qu’un lointain rapport avec le but de mon enquête ; puis je demandais des rapports écrits17. » Mais le préalable, c’est la modernisation : « […] la possibilité de tenir compte dans la rémunération des agents des PTT des résultats, en qualité et quantité18 », est une démarche prématurée tant que l’on ne songe pas à moderniser les méthodes de travail et les outils qui sont à disposition pour y parvenir. Au reste, sans cette nécessaire modernisation, le système Rowan serait rendu inopérant tant que la décomposition des tâches n’a pas été effectuée et que des temps standards n’ont pas été calés : Milhaud a « […] la certitude qu’avant de parler de primes de rendement, il était nécessaire d’amener le service des PTT à un état d’organisation tel que toutes les conditions favorables au bon fonctionnement des systèmes de primes soient remplies19 ». Et dans tous les cas de figure, cette évolution vers plus de rendement serait obligatoirement fonction d’un confort de position de travail qui passe par bien d’autres éléments que l’unique rémunération au rendement ou pas :
« Pénétrez dans un wagon-poste, vous y sentirez la mort lente provoquée par les poussières qui se dégagent des sacs postaux. Pénétrez dans un bureau télégraphique, vous y serez secoué par un bruit strident et tenaillant […] Le comble du “travail malsain” me parut être celui auquel se livraient les ouvriers chargés de l’atelier des pneumatiques20. »
24L’urgence n’est donc pas pour Milhaud de voir dans quelle mesure le système à primes est applicable à l’administration des PTT. Il s’agit plutôt de s’attaquer à des problèmes plus simplement constatables mais plus ardus à résoudre : la réorganisation complète des méthodes de travail aux PTT et leur mécanisation. D’où la surprise des membres du CNE qui constatent à la séance de février 1931 que le texte de Milhaud « ne constitue pas à proprement parler un rapport sur lequel l’Assemblée a à délibérer », car ses conclusions ne « semblent pas répondre à la question qui avait été posée par l’Assemblée21. » L’essentiel pour Milhaud est de rappeler en bon fayolien que l’on se soucie peu de la place faite aux employés alors que ceux-ci constituent un vivier de perfectionnements possibles à tous les stades de production de services : « Les PTT constituent aussi une riche pépinière de petits inventeurs. L’administration en profite, nombre d’entre eux s’attachent à chercher et à perfectionner. Les idées jaillissent d’ailleurs plus d’en bas que d’en haut22 ».
25Le pendant de cette valorisation des compétences en interne est le rôle dévolu aux experts et les organisateurs techniques.
26Il existe en germe bien des perfectionnements proposés par Milhaud, à charge de trouver le coordinateur qui tentera de les mettre en musique. Que cela soit pour justifier le rôle des experts ou pour souligner l’intérêt du recours aux cabinets de conseils, remarquons que Milhaud appelle de ses vœux la mise en place d’un bureau d’études extérieur à l’administration dans lequel l’expert joue un rôle important. Ce bureau devrait être souple, indépendant et « devrait contribuer, par son activité permanente, à perfectionner les rouages de l’administration23 », soit, à peu de chose près, la définition de ce que sera l’Institut technique des administrations publiques fondé en 1947 par Milhaud. Il s’agit bien d’ouvrir la voie aux experts qui offriront leurs services au moment par exemple des commissions d’économies de 1935. Le bureau d’études recommandé par Milhaud en 1931 comporte pas moins de cinq « experts techniques » sur sept membres tandis que leur règne est confirmé par l’appel à des experts spécialisés et par la formation « de techniciens pris dans les cadres de l’administration24. » On trouve ici le résumé de ce que Milhaud estime être la bonne solution pour réformer l’administration : la nécessaire réforme des méthodes ne peut être pensée que par un organisme extérieur indépendant mais en reconnaissant les innovations innombrables de la masse des anonymes. Cet organisme se chargerait des réformes mises à l’honneur par la CGOST, qu’il s’agisse de répandre la méthode des enquêtes, d’établir un centre de documentation ou encore de mettre à l’étude une évaluation des prix de revient.
27Au moyen de quelques exemples, on a montré que la réforme des méthodes de travail des organisations dans les années 1930 pouvait se faire d’une manière transversale lorsque des thématiques communes émergent entre le secteur privé et le secteur public. Durant les années 1930, les motifs de perfectionnement sur une base commune ne manquent pas en effet : l’organisation administrative de Fayol ne fait pas de distinction entre l’organisation du travail administratif dans les entreprises et dans les administrations25. À cela s’ajoutent des motifs conjoncturels de l’intérêt des hommes du privé pour l’administration : la réforme des méthodes des entreprises connaît quelques atermoiements alors que les perfectionnements ne demandent qu’à être lancés, car paradoxalement les lieux de discussions, d’échanges, de perfectionnement se développent dans le même temps. La période des années 1930 favorise donc l’intérêt des organisateurs du privé pour le public en puisant aux sources du fayolisme et en partant d’une sorte de boîte à outils utilisée au départ pour réformer les méthodes du secteur privé.
II. L’épisode de Vichy
28De 1940 à 1945 se déroule un moment à part de l’histoire de France. Il est issu d’une défaite spectaculaire face à l’Allemagne qui entraîne la mise en place d’un nouveau régime politique. Au milieu de ce moment historique particulier, c’est moins la présence de Milhaud qui sera mise en avant que la continuité de la commission qu’il a contribué à fonder. Que la CEGOS, appelée à jouer un rôle depuis les années 1930 dans la réforme des entreprises, soit citée pour comprendre comment les administrations ont évolué elles aussi n’est pas forcément étonnant. Cela tient à la fois à l’économie de guerre et de gestion de la pénurie et au rôle croissant de l’État dans l’organisation de la société tout entière. Il s’agit en quelque sorte d’une administration au service de l’organisation de la production industrielle pour « recycler » ce qui se fait dans les cercles les plus avancés de l’organisation des entreprises.
A. Un nouveau modus vivendi pour la CEGOS : aux marches du secteur privé/public
1. Le destin de la CEGOS en 1940
29En 1940, la CGPF dont dépendait toujours la CEGOS est dissoute peu de temps après l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain. Le 12 novembre 1940, en exécution de la loi du 16 août, presque tous les grands organismes patronaux sont dissous, dont la CGPF26. La CEGOS ne subit pas le même sort puisqu’elle est mise au service des politiques de rationalisation et de gestion de la pénurie. Et c’est précisément le statut technique qu’elle a acquis durant son développement qui lui permet de faire valoir sa spécialité aussi bien pour les entreprises que pour les administrations. C’est en effet la section « administration » de la CEGOS qui a mis au point un plan de classement de la documentation depuis 1938 et qui l’a répandu depuis. Cette initiative a fait sa renommée à telle point que ce plan de classement est réclamé par les nouveaux tenants de l’organisation professionnelle des entreprises27.
2. Conseiller l’État dans l’organisation de la production
La contribution des personnes mais aussi des organismes au perfectionnement des méthodes des administrations
30Si l’on s’attache à recenser ce qu’ont pu être les passeurs d’idées entre les secteurs privé et public, il faut d’autant plus souligner l’importance d’organismes qui ont joué ce rôle. Ceci parce que certains organismes se voient confier au fil du temps des missions de service public au rythme de l’élargissement ou de la réduction du champ d’intervention de l’État. L’épisode de Vichy est à ce titre particulièrement parlant comme le constate la Cour des comptes en 1947, qui jette un regard réprobateur sur la multiplication des auxiliaires de l’État durant cette période :
« Au cours de ces dernières années, de nombreux organismes privés ou semi-privés ont vu le jour, dont les liens avec des administrations publiques étaient tels qu’ils ont permis à celles-ci de pourvoir à certaines dépenses en dehors des règles et des contrôles qu’impose l’exécution du budget28. »
31Ce pourrait être le cas du Centre d’information interprofessionnel (CII) et par ricochet celui de la CEGOS. À la disparition de la CGPF29 c’est le Centre d’information interprofessionnel (CII) qui reprend en partie ses attributions, dont les services rendus par la CEGOS :
« La création du CII et la dévolution qui lui a été faite des biens du CGPF ont permis de résoudre le problème. En effet, le CII a estimé que l’expérience de technique accumulée par la CEGOS et les services rendus par elle justifiaient sa conservation, et il a décidé que la CEGOS continuerait son activité de centre d’étude ouvert aux entreprises et aux groupements30 ».
32Dans le contexte certes très particulier de la mise en place d’un instrument d’État de contrôle de la production industrielle à des fins de rationnement et de maximisation de la production, l’administration du ministère de la Production industrielle se voit confier une place de tout premier plan. Il s’agit ici davantage d’un recensement et de la mise au point d’un outil statistique que de la percolation des méthodes du secteur privé dans l’administration. Il demeure cependant que les méthodes exposées par les entreprises, l’intervention des spécialistes, dont certains insérés dans les entreprises, sont peu connues dans les tribunes, et les cycles organisés conjointement par le CEGOS et le CII permettent de futurs développements de l’outil statistique dans l’administration31. Ces entreprises exposent tout d’abord les développements techniques susceptibles d’être étendus à d’autres organisations.
B. Les développements techniques proposés dans les entreprises : un modèle pour les administrations ?
1. Les développements de la mécanographie
33Les entreprises privées jouent un rôle tout à fait important en faisant valoir des solutions diverses adoptées pour améliorer l’outil statistique.
34C’est encore plus vrai pour faire valoir le rôle de la CEGOS comme courroie de transmission de l’État pour disposer d’une statistique industrielle digne de ce nom, ainsi que l’expose Louis Dufau-Pérès, directeur de l’OCRPI32, lors de la séance inaugurale d’une des sessions de la CEGOS, en 1941 :
« Le cycle d’études qui s’ouvre aujourd’hui est le troisième que la commission générale d’organisation scientifique, connue plus généralement sous le nom de CEGOS, a organisé au cours de l’exercice 1941. Ces manifestations, qui sont préparées dans leur détail par les sections d’études techniques de la CEGOS, ont, comme vous le savez, pour but de permettre des confrontations et des discussions approfondies sur les problèmes dont les sections ont pour mission, d’une façon permanente, d’étudier les différents aspects. Les deux précédents cycles d’études avaient porté sur l’établissement des prix de revient et sur les techniques de direction du personnel. Cette fois, la CEGOS a jugé opportun d’organiser un cycle de perfectionnement des méthodes statistiques. En me priant de le représenter parmi vous, M. le secrétaire d’État à la Production industrielle a tenu à marquer l’intérêt qu’il porte à ces séances de travail et, d’une façon générale, à l’établissement d’une statistique industrielle digne de ce nom. De tout temps, l’existence d’une statistique complète constamment à jour eût grandement facilité l’œuvre du Gouvernement, et son absence constituait une lacune regrettable. […] Au reste, l’on ne peut faire le tour d’un si riche domaine en trois jours, et il est dans l’intention de la CEGOS de poursuivre l’examen de toutes les questions pratiques qui auraient pu être soulevées au cours des séances de travail de ce cycle, en liaison avec les fonctionnaires ou spécialistes qualifiés de la statistique. Ainsi aura-t-on établi une jonction entre les hommes de science, les chefs d’entreprises, les dirigeants ou techniciens des Comités d’organisation et également les représentants des administrations ou des services auxquels incombe le rôle délicat d’assurer la coordination des efforts entrepris actuellement pour l’établissement nécessaire d’une statistique cohérente et adaptée aux besoins essentiels de l’économie nationale33. »
35Les exemples de perfectionnements et d’expériences réussies sont nombreux, parmi lesquels ceux puisés dans les entreprises publiques ou ayant une mission de service public comme la SNCF.
36Lors du cycle organisé par la CEGOS en décembre 1941 sur les techniques statistiques, les intervenants font part des innovations et des solutions adoptées dans leur organisation ou leur service. L’intervenant de la SNCF indique ce que sont les matériels les plus appropriés pour un développement significatif de l’outil statistique, voire dans quel cas les machines MAS à carte perforées ne sont pas utiles ou superflues34. On voit ici comment la technique influe sur le choix de mécaniser ou pas la collecte des données à des fins statistiques. Mécaniser de manière systématique dépend précisément du degré de perfectionnement apporté par les machines du moment. Compte tenu en effet de la préparation en aval qui s’assimile à un paramétrage des machines et de leurs cartes perforées, l’utilisation des machines ne se justifie qu’à partir du moment où le temps consacré au paramétrage de leur intervention ne dépasse pas leur utilité. Le prix est un facteur également déterminant puisque « […] la mécanographie à cartes perforées était réservée, en raison de son prix, à de grandes entreprises et aux administrations publiques35. »
37Comme dans le passé dans le cadre de la section administration de la CEGOS, la mécanographie joue comme un terrain de comparaison entre administration et secteur privé.
38Ce point de vue offre l’avantage d’une plus grande comparabilité avec les administrations dans la mesure où, ce service de la SNCF ayant à traiter de grandes quantités de données, il peut se comparer à une administration en charge de la collecte et du traitement d’un grand nombre de celles-ci. Les machines peuvent rendre des services. En premier lieu, cela permet de prendre en charge les tâches répétitives avec des temps d’exécution très rapides, ce qui implique des réductions de personnel dans les services progressivement mécanisés. Dans un second temps, le temps dégagé pour les personnels et les nouvelles perspectives ouvertes par la mécanisation sont prometteurs. C’est à peu de chose près ce que seront les bureaux d’organisation et méthodes dans l’administration.
« Aussi la subdivision des statistiques arrive-t-elle à remplir son rôle avec un effectif d’une quinzaine d’agents seulement, chiffre très faible comparé au nombre d’agents qui dans l’ensemble des services et des régions de la SNCF sont employés, totalement ou partiellement, aux travaux statistiques, et qui est de l’ordre de plusieurs centaines d’unités. L’accroissement continu dans les circonstances actuelles des demandes de renseignements et d’études qui parviennent à la subdivision des statistiques constitue la meilleure justification de son utilité36. »
39Mais dans la mesure où les temps de paramétrage sont longs et que l’investissement en machines est lourd, comment peut-on encore développer la mécanisation ?
2. Les limites de la mécanographie
40C’est ici à peu de chose près le témoignage de l’utilité de la mécanographie comme levier d’économies de personnel pour le traitement d’une grande quantité de données statistiques. Cet argument connaîtra de beaucoup plus amples développements jusqu’à nos jours lorsque l’informatisation progressive des tâches et le rassemblement des données sur une même base informative deviendront un thème de prédilection pour justifier les économies de personnel, que ce soit dans l’administration ou dans le secteur privé. Les limites des bénéfices de la mécanographie prennent une acuité particulière vis-à-vis de la pénurie. Il s’agit ici, et à l’inverse, d’une sorte d’autolimitation du développement de la mécanographie lorsque les matériels, les consommables, les pièces de rechange, voire l’électricité37 viennent à manquer à la suite des restrictions et de la pénurie. Compte tenu de ce fait, les machines mécanographiques ne sont utilisées que quand la nécessité s’en fait sentir, quitte à revenir le cas échéant à un traitement manuel des données. C’est ce qu’explique un des intervenants de la CEGOS en 1943 :
« L’entretien lui-même devient de jour en jour plus difficile, si l’on tient compte de la difficulté d’effectuer les réparations, de la pénurie des pièces de rechange, des ingrédients indispensables, rubans, carbones, alcool, zincs, papiers spéciaux ; des restrictions de courant, de l’absence de mécaniciens spécialistes, etc. On voit approcher le jour où le fonctionnement de ces installations ne pourra plus être assuré. En présence de cette situation angoissante qui menace dans un de ses éléments essentiels l’organisation actuelle des compagnies d’assurance, on enregistre dès maintenant un abandon des méthodes mécaniques et un retour aux méthodes manuelles. Une des plus grandes compagnies a déjà supprimé ses équipements de machines à statistiques, préférant sans doute ne pas être surprise par un arrêt inopiné. La même mesure est à l’étude dans d’autres sociétés. Partout, on étudie les systèmes de remplacement à prévoir. Chacun, malgré tout, espère pouvoir tenir jusqu’au bout et lutte pied à pied pour sauver les installations si difficilement réalisées et dont le prix est aujourd’hui inestimable38. »
41À la fois pour des questions de rapport coût/bénéfice (financier et en temps de travail) et pour des questions de pénurie, la mécanographie subit un développement inégal durant l’épisode de Vichy. Nonobstant le développement très marqué de la statistique industrielle durant cette période (et de fait la mécanographie), il est probable que le traitement mécanisé de celles-ci ait subi des fluctuations, y compris dans l’administration.
3. L’intérêt pour la fonction personnel
42Les sujets abordés par les sessions d’études de la CEGOS sont nombreux, qu’il s’agisse de questions liées à l’actualité comme celle de l’approvisionnement et de la distribution39, ou celles plus innovantes de la gestion du personnel et de sa formation. Comme dans les autres spécialités, la fonction approvisionnement a été prise dès la fin des années 1920 dans un sens générique, indistinctement pour les entreprises privées et pour les administrations.
Le perfectionnement du travail administratif
43Il n’y a pas de filière de formation spécifique pour perfectionner les personnels et améliorer leurs méthodes de travail sur des postes administratifs. Le problème est commun aux administrations et aux entreprises privées et, parmi celles-ci, aux compagnies d’assurance :
« Les compagnies ont rencontré les plus grandes difficultés pour trouver des hommes capables d’assumer la direction de l’organisation et pour former les collaborateurs indispensables à sa bonne marche. Ces difficultés de recrutement tiennent à l’insuffisance, en France, d’un enseignement qui ait pour objet la formation de spécialistes de l’organisation, soit sur le plan de l’enseignement supérieur, soit sur celui de l’enseignement technique. Les entreprises en sont réduites à leurs propres moyens et c’est la raison pour laquelle elles tâtonnent dans un empirisme dont on ne peut plus se satisfaire. Il est de la plus haute importance, pour l’avenir de l’organisation des entreprises, qu’un enseignement théorique et pratique soit complètement organisé en France, qui prépare des hommes à exercer ce véritable métier et qui élabore une doctrine scientifique de l’organisation, spécialement en ce qui concerne le travail administratif. Dans cet esprit il est intéressant de signaler qu’il a été créé l’an dernier, à l’École des sciences politiques, un centre des hautes études d’assurances, ouvert aux élèves de cette école et à des élèves recrutés dans les cadres des compagnies40. »
44Il est intéressant de remarquer dans quelle mesure le travail administratif effectué dans les entreprises présente des similitudes avec celui dans l’administration dans l’organisation des tâches, le positionnement du service dans l’organigramme et dans la hiérarchie, la mise au point de nouvelles techniques… De ce point de vue, des entreprises dont le travail administratif est important, comme dans les assurances, ont été une force motrice pour le perfectionnement des méthodes administratives.
La sélection professionnelle et la psychologie industrielle
45En 1943 est créé le bureau de psychologie industrielle (BPI) de la CEGOS. Placé dès l’origine sous la houlette de Guy Palmade ce département de la CEGOS prendra une place importante au fil du temps jusqu’à la transformation de la CEGOS en cabinet de conseil à partir des années 1950. Si l’appellation du BPI fait référence à l’industrie, l’activité de ce département se tournera vite vers les entreprises publiques ou les monopoles détenus par l’État (tabacs et allumettes par exemple). Les pionniers de l’introduction de la psychologie industrielle dans les organisations, à cette époque puis après-guerre, sont Guy Palmade, Max Pagès, Jean Dubost, André de Peretti, pour ne citer que les principaux. Durant la période de Vichy, les expériences échangées lors des journées d’études de la CEGOS demeurent encore très dépendantes de l’actualité, et selon des directions très en lien avec les problèmes rencontrés par les entreprises pour le recrutement, la sélection professionnelle, le recueil de la nécessaire adhésion des employés et ouvriers à la stratégie de développement de l’entreprise dans laquelle ils travaillent.
46C’est Pierre Janet qui inaugure en 1943 le 3e cycle de la CEGOS consacré au perfectionnement des techniques de direction du personnel du 12 au 15 avril 1943. Il contribue de cette façon aux « premiers développements de l’étude systématique des relations humaines dans l’entreprise41 ». À cette époque, on estime que la CEGOS tente une synthèse entre la psychanalyse, la psychosociologie américaine et la psychotechnique dans le domaine de l’entreprise42. Mais il s’agit avant tout, durant cette époque, de s’affranchir du discours conservateur de Vichy tel qu’on peut l’identifier dans la Charte du travail par exemple, pour s’intéresser de près aux catégories de personnel, leur définition, leur rôle, leur formation. Se prépare ici l’après-guerre où se développent à grande échelle, dans les grandes entreprises publiques, les études sur le personnel. C’est d’abord la question du perfectionnement des cadres suivant la tendance identifiée par Luc Boltanski43. Mais c’est aussi l’identification, au sein des organisations publiques ou privées, des ressources internes dans le vivier du personnel existant à des fins de promotion interne et d’assimilation de nouveaux éléments dans la catégorie des cadres encore mal définie. Mais, durant la période de Vichy, si la promotion des ingénieurs en tant que cadres ou leur assimilation à cette catégorie ne semble pas poser de problèmes, en revanche la catégorie intermédiaire de la maîtrise demeure cantonnée à un rôle secondaire : on reconnaît à cette catégorie la seule fonction de courroie de transmission en direction de la masse des salariés (dont la maîtrise est issue en général). De surcroît, l’accès à la maîtrise en promotion interne ne se fait que sur des critères sociaux ou moraux et pratiquement pas sur des critères techniques. Évidemment, l’évolution des carrières se trouve très vite bloquée, qu’il s’agisse des secteurs privés ou publics. Si la promotion interne de la maîtrise se fait sur des critères sociaux ou moraux, les actions de formation et de perfectionnement ne peuvent que s’en trouver réduites à des poncifs vite dépassés et en complet décalage avec la recherche des améliorations des méthodes de travail dans les secteurs privé et public. En effet, alors que, sous Vichy, des intervenants de la CEGOS, en 1943, remettant en cause le recrutement par concours, cette idée ne tardera pas à émerger à la Libération pour la sélection des fonctionnaires44.
III. À la source de la création de la fonction Organisation et Méthodes dans l’administration : l’évolution de la CEGOS et la fondation de l’ITAP
A. Le renouveau de la Libération
47Alors que le passage de témoin s’est passé dans de bonnes conditions entre Noël Pouderoux et Jean Milhaud à la CEGOS45, cette organisation devient la pierre de touche de beaucoup de créations et de renaissances dans le milieu de l’organisation scientifique du travail au lendemain de la Libération. La CEGOS est également présente aux côtés de l’État, tentant d’assurer un large éventail de missions, valorisant par là le statut mi-privé, mi-public qu’elle a pu acquérir durant la période de Vichy.
1. La sélection professionnelle : comment renouveler le personnel administratif ?
48On se souvient qu’en février 1942 puis en 1943, un des thèmes des conférences de la CEGOS était consacré à la sélection professionnelle. L’un des intervenants avait souligné le peu d’intérêt des concours où la sélection se faisait sur des points ayant un lointain rapport avec les compétences requises pour le poste. Remarquons que la question évoquée à la CEGOS reçoit en écho celle qui se fait jour dans les projets de l’administration en 1945, alors qu’il s’agit de créer une nouvelle école pour les hauts fonctionnaires :
« On a parlé souvent, d’une manière un peu légère, d’une école de guerre pour fonctionnaires civils sans se rendre compte que l’obligation d’un concours à un certain âge, et l’obligation d’un diplôme pour briguer certains postes, étaient incompatibles avec le fonctionnement normal des administrations civiles : un fonctionnaire de valeur n’a pas le temps de préparer un concours difficile et un État soucieux de remplir sa tâche n’a pas le désir de se priver du concours de ses meilleurs fonctionnaires pour les envoyer plusieurs mois sur les bancs d’une école46. »
49Ces questions croisent à peu d’années de distance celles que se posaient les participants de la CEGOS dans le secteur privé : qui sélectionner, sur quels critères et pour faire quoi ? La volonté d’innovation de la CEGOS rejoint ici les espoirs des courants de rénovation de l’appareil administratif, la guerre à peine terminée : il s’agit du projet d’Institut des hautes études administratives porté par l’Organisation des fonctionnaires résistants (OFR). Le plus intéressant est ici de voir dans quelle mesure sont repris les besoins de formation et de perfectionnement exprimés dans le secteur privé, entre autres à l’occasion des sessions d’études de la CEGOS. Un des tracts de l’OFR de mai-juin 1945, manifestement hostile aux grands corps (Inspection des finances, Conseil d’État, Cour des comptes…) traduit bien ce fait :
50« Comment accroître le rendement de l’administration française ?
les méthodes de travail. – Courrier – Mécanisation – Organisation des services – Exécution – Contrôle – Direction ;
la comptabilité publique ;
la responsabilité et l’esprit d’initiative des fonctionnaires ;
le fonctionnaire et le public ;
la simplification de l’administration47. »
51Ces remarques sont non seulement en phase avec les objectifs de la CEGOS, mais aussi avec les idées de Milhaud lui-même, puisque depuis longtemps il avait milité pour l’ouverture des concours administratifs et leur recentrage en partie sur une sélection technique du personnel administratif, reprenant en cela ce qu’il avait fait valoir à la CEGOS. Mais les propositions sont loin de faire l’unanimité. Le projet d’école d’administration subit des revers de la part de certains ministères48, tandis que Milhaud semble se lasser lui-même de voir « […] surtout des hommes attachés à la défense des prérogatives qu’ils incarnent : ingénieurs des grands corps techniques, Conseil d’État, Inspection des finances, contrôleurs des contributions, etc.49 » En miroir de cette inertie, l’influence de la CEGOS et de Milhaud se remarque dans la proposition de l’OFR de procéder à une sélection des personnels en s’inspirant des méthodes psychotechniques expérimentées, si ce n’est diffusées, par les sessions d’études de la CEGOS dans le passé. Dans l’administration et sur des programmes de grande envergure, seuls les Américains et les Anglais avaient pratiqué la psychotechnique pour les besoins de recrutements massifs pour les armées et les besoins de l’économie de guerre. En France, il ne restait pour l’heure que le secteur privé qui puisse venir au secours de l’administration : ainsi, le rapport de l’OFR rappelle que les méthodes psychotechniques «… sont employées avec une fréquence croissante dans l’industrie privée, pour la promotion des cadres50. » Mais l’Institut des hautes études administratives que l’OFR voulait promouvoir et qui comportait des innovations comme les tests psychotechniques par exemple, n’eut pas vraiment de suite compte tenu du caractère sans doute trop audacieux de celles-ci. Un rapport sur l’Institut des hautes études administratives constate que, au sujet des tests d’intelligence ou de caractère : « Il faut s’engager sur cette voie avec prudence, et surtout éviter d’octroyer un rôle trop important aux psychanalystes, psychotechniciens, etc.51 ».
2. La contribution des conseillers extérieurs : une place à prendre quand l’État veut faire des économies ?
52Le projet porté par l’OFR contribue également à justifier l’action des intervenants du secteur privé dans l’administration. Dans le projet de renouvellement voire de refondation de l’administration élaboré par la Résistance, on pourra faire appel à des « […] fonctionnaires ou [des] techniciens privés qualifiés pour remplacer les fonctionnaires hostiles dans certains postes clefs52 ». Mais le projet de l’OFR enfonce le clou en recommandant dans le futur Institut des hautes études administratives l’intervention d’experts soit lors de conférences, soit dans les programmes d’études où l’on fera appel « […] chaque année à la collaboration de spécialistes pris dans les grandes administrations et dans l’économie privée […] qui se trouveront, par leur poste ou par leurs recherches, au centre de l’un des problèmes inscrits au programme53 ». Le projet de l’OFR n’ira pas plus loin, alors que l’idée proposée du recours à des conseillers extérieurs demeure, à l’occasion par exemple de la mise en place des commissions des méthodes instituées par l’ordonnance du 6 janvier 1945.
53Si l’objectif est ici d’opérer des coupes sombres dans le budget de l’État, notamment pour réduire les effectifs de fonctionnaires devenus pléthoriques à la faveur de l’épisode de Vichy54, une place est faite à la recherche des améliorations de rendement dans les administrations55, en particulier en s’adjoignant des compétences venant de l’extérieur. Doivent siéger dans les commissions d’économies entre autres, « […] des éléments dégagés de toute routine, qui pourront être choisis soit parmi les dirigeants des associations ou syndicats, soit parmi des personnes étrangères à l’administration et particulièrement au courant des méthodes du commerce et de l’industrie privée56. »
54C’est donc l’aveu que l’ouverture au secteur privé n’est admise que pour aider les administrations à faire des économies. Au moins, la CEGOS s’est retrouvée en bonne place, profitant de son statut mi privé mi public, s’assimilant à un des auxiliaires de l’État. Mais en février 1946 alors que Milhaud tente de promouvoir le rôle de la CEGOS dans l’administration pour coordonner le travail des ministères, le projet, tout d’abord en bonne voie, est « doublé » par la publication dans le Journal officiel du 28 février de la création du Comité de la réforme administrative. Aider l’État à coordonner ses actions de perfectionnement n’est donc pas une chose facile, évoluant dans des sens parfois contradictoires.
B. Justifier la création des bureaux d’organisation
et méthodes dans l’administration : du perfectionnement par des organismes extérieurs à la création de la fonction en interne
1. Une tentative de la CEGOS
55Tout compte fait, l’action de la CEGOS, au moins durant la période de la Libération, peut se résumer à une volonté de créer une fonction organisation et méthodes dans l’administration. Milhaud a milité pour impliquer la CEGOS dans ce projet. Roger Grégoire écrit en 1946 :
« II. La direction de la Fonction publique pourrait utilement associer à son action, à titre d’essai et pour éviter toute création de services nouveaux, un organisme semi-public, la commission générale d’organisation scientifique (CEGOS), qui a déjà eu l’occasion de collaborer au perfectionnement des administrations publiques métropolitaines et coloniales, et qui apporte à cet égard toutes les garanties d’ordre professionnel. […] III. En conséquence, le plan suivant pourrait être adopté : 1. Le secrétariat général du Gouvernement (direction de la Fonction publique) chargerait MM. Milhaud et Pouderoux […] de la mise sur pied, auprès de la CEGOS, d’un organisme que l’on pourrait appeler : « Centre technique d’étude des méthodes de travail dans les administrations publiques57 ».
56C’est en quelque sorte la création d’un embryon de bureau d’organisation et méthodes dans l’administration.
57Pour autant il serait abusif de croire que tout a commencé en cette matière grâce aux travaux de la CEGOS, même si Auguste Detoeuf, le président de la CEGOS, avait qualifié la CEGOS en 1941 de « bureau des méthodes » du Centre d’information interprofessionnel58. Remarquons que la fonction O & M est née en ordre dispersé dans l’administration, principalement à l’occasion d’initiatives ponctuelles. Les premiers de ces bureaux ont été créés sous Vichy mais leur essor est véritablement confirmé à la Libération. Trois bureaux d’O & M voient le jour en 1941 : à la préfecture de Police, aux P.T.T. et à la SNCF59. Mais celui de la préfecture de Police ne reçoit des effectifs permanents qu’en 1947, tandis que trois bureaux supplémentaires sont créés en 1945-194660. L’après-guerre a donc bien confirmé l’importance de ces cellules d’amélioration des méthodes dans l’administration, sans pouvoir cependant les coordonner dès le départ et leur assurer une visibilité sur le long terme. Ils ont, pourrait-on dire, évolué jusque dans les années 1950 dans une semi-clandestinité, en dehors de toute loi pour les organiser. De 1946 à 1949, toutes les propositions de lois concernant une réorganisation administrative susceptible de donner une valeur officielle aux bureaux O & M sont rejetées. De ce point de vue, on peut estimer que l’administration s’est contentée des avancées de la CEGOS (et plus tard l’ITAP)61 dans le domaine de l’amélioration des méthodes de l’administration et des efforts des quelques bureaux d’O & M déjà créés mais dont la position est encore fragile. Si la CEGOS a eu des velléités de devenir le premier bureau central d’organisation et méthodes dans l’administration, l’expérience n’a pas abouti : la note que l’on a trouvée dans les archives de l’ITAP montre bien que sur ce plan, un organisme privé/public comme la CEGOS a contribué à convaincre l’administration du bien-fondé de créer un service central chargé d’améliorer les méthodes : « La CEGOS ayant un statut d’institution semi-publique (on rappelle qu’elle fonctionne comme un service à budget autonome rattaché administrativement au Centre national d’information économique), celle-ci pourrait alors créer auprès d’elle le bureau central des méthodes envisagé et le doter du personnel spécialisé nécessaire, ce personnel étant à l’origine prélevé dans l’équipe de techniciens et secrétaires dont la CEGOS dispose et qui sont déjà entraînés à l’étude des questions intéressant les administrations publiques62 ». Ce n’est qu’en 1954 que, sous l’impulsion du Commissariat général à la Productivité, est créé un Service central d’organisation et méthodes dédié à une coordination des cellules déjà créées dans les différents ministères63.
2. Le développement de la fonction O & M et le rôle de l’Institut technique des administrations publiques
58Si la fonction O & M était née plutôt en ordre dispersé, à la faveur par exemple d’initiatives prises ici ou là dans un ministère ou une administration, elle n’avait pas été jusqu’ici coordonnée afin que cette fonction soit systématiquement installée et reconnue dans tous les services. L’ITAP a joué dans cette affaire un rôle important en militant justement pour cette systématisation.
59C’est la mise en place des comités techniques paritaires qui donne une nouvelle occasion de la promotion de la fonction O & M. Depuis l’application de la loi du 19 octobre 1946, des Comités techniques paritaires sont chargés d’étudier les problèmes d’organisation ou de fonctionnement de l’administration ou d’un service particulier. Puis, par application du décret du 27 juillet 1947 modifié, des CTP sont créés dans chaque département ministériel, dans chaque service technique important et dans les établissements publics64. Le député de la Seine MRP, Yves Fagon, qui appartient à la nouvelle commission parlementaire à la réforme administrative créée en 1947 (il en deviendra vice-président en 1949), soumet au nom du groupe MRP à l’Assemblée une proposition de loi relative à l’organisation administrative. Cette proposition de loi est directement inspirée des premiers travaux de l’ITAP qui a mis au point un vrai plan d’organisation de la fonction O & M voit en effet le jour. L’instauration des CT ayant été actée dès 1946, et les membres de l’ITAP étant conscients de l’inertie qui préside à la généralisation des services O & M, il faut profiter de ce qui existe comme point d’appui. Ainsi, le projet de loi devrait comporter la création systématique d’un service d’O & M en miroir de tout CTP créé. Le procédé est commode et évite bien des débats pour justifier ou pas de l’utilité de création d’un service O & M dans telle ou telle administration : « Le service “organisation et méthodes” assurera le secrétariat permanent du Comité technique et se chargera de toutes études et informations nécessaires à l’examen des questions soumises au Comité65 ».
60Il s’agit donc très tôt de l’influence des futurs membres de l’ITAP, pratiquement avant que cet institut ne soit créé.
La fondation de l’ITAP
61En juin 1947 a lieu l’assemblée constitutive de l’Institut technique des administrations publiques (ITAP)66 créé dirons-nous à la suite des échecs pour mettre en place un organisme commun d’organisation et méthodes.
62Tout part d’un voyage effectué en Grande-Bretagne sous les auspices de la CEGOS où des missionnaires comme Milhaud souhaitent visiter et s’inspirer du bureau O & M de Grande-Bretagne placé sous l’autorité de la Treasury britannique. L’appel est ici double : inciter l’État français à se doter d’un organisme O & M central, et souligner que cela pourrait se faire au sein d’un grand ministère regroupant à la fois la direction du Budget, la direction de la Fonction publique, le Mouvement général des fonds. Une manière en quelque sorte de sortir d’une concurrence entre ministères mais à la condition qu’une fonction O & M centrale devienne l’élément moteur d’une série d’institutions de même nom placées dans d’autres ministères67. À quoi sert-il ? :
« Il intervient d’abord comme conseiller technique auprès de diverses administrations qui n’ont pas elles-mêmes de bureau spécialisé en matière d’organisation. La deuxième tâche du service central O & M de la Trésorerie est une besogne de recherche en matière de technique administrative. Il intervient ici comme une sorte d’institut central chargé de favoriser l’unification des méthodes, la centralisation de certaines activités et ce que nous avons pris le pli en France de nommer les “échanges d’expériences”68 ».
63On ne saurait faire d’allusion plus précise au travail de la CEGOS et dessiner plus précisément ce que sera l’ITAP. De fait, en rentrant du périple en Grande-Bretagne, tous les avis convergent pour créer une organisation chargée de jouer ce rôle en France. À défaut de le voir naître au cœur de l’administration, il sera extérieur à celle-ci, en voulant comme toujours faire fi des distinctions privé/public en matière de perfectionnement des méthodes de travail :
« L’ITAP a pour objet de contribuer à accroître l’efficience des administrations et services publics, collectivités locales, établissements publics, industries d’État et entreprises nationalisées. […] Il provoque à cet effet toutes confrontations utiles avec les méthodes utilisées dans les entreprises privées et dans les pays étrangers69. »
Échanges d’expériences et prix de revient
64L’influence de la CEGOS est manifeste dans les travaux du jeune institut dédié à l’administration. Il s’agit de développer les échanges d’expériences comme l’avait fait la CEGOS dans le secteur privé mais surtout d’inciter les administrations à réfléchir sur ce que pourrait être un prix de revient administratif.
65La réflexion sur les prix de revient a déjà suscité des débats comme dans le groupe « A » (finances) de l’ITAP récemment créé. Des éléments internes à l’administration s’étaient déjà prononcés en faveur de l’établissement d’un prix de revient administratif, ceci autant dans le but de faire des économies de budget que dans la perspective de mieux connaître la valeur des actes administratifs (démarche nécessaire pour une meilleure organisation des services par exemple ou une meilleure réglementation comme dans l’organisation de la passation des marchés de l’État). Jean Dayre, ingénieur en chef du Génie rural, demandait déjà en 1945 :
« Ne sait-on pas ce que coûte normalement, dans une région donnée, l’étude d’un kilomètre de voie ferrée ou de ligne électrique ? Ne peut-on pas, de même, arriver à déchiffrer le prix de revient normal d’un travail de statistique, d’un service d’état civil ou d’allocations familiales70 ? »
66Pratiquement dans la même période, Lucien Junillon, membre de l’ITAP, avait recommandé dans un rapport collectif d’initier les fonctionnaires au calcul économique, à la comptabilité des prix de revient et aux techniques de l’organisation71. Les travaux de l’ITAP et de son groupe finance consacrent une bonne part de leur temps à cette question, comme on le voit dans les documents produits par cet organisme, mais au fur et à mesure des débats la question apparaît plus complexe qu’il n’y paraît : Junillon admet que l’introduction du prix de revient dans l’administration implique « Pour cela, la révision de la structure interne de l’administration [qui] s’avère indispensable ainsi que la stabilisation du personnel, en particulier celle du personnel gouvernemental72 ». De fait, les modalités d’application d’un prix de revient, même indicatif, dans l’administration, sont à déterminer en fonction de l’administration que l’on traite. Il est vrai que dans une administration d’exécution comme celle des PTT, la question du coût des actes des fonctionnaires est étudiée depuis 1923, date à laquelle un budget annexe qui doit être en équilibre a été mis en place. Mais l’administration des PTT a l’avantage de pouvoir prendre une base concrète pour établir des unités de prix ou de temps comme dans le cas d’une communication téléphonique par exemple. Par ailleurs, on considère cette administration comme une de celles à caractère industriel et commercial où ont été appliquées les premières mesures de réforme d’organisation déjà testées dans les entreprises privées73.
67Mais dans les administrations non commerciales, le problème est plus épineux et risque de semer le trouble chez les fonctionnaires puisqu’on risque de confondre comptabilité budgétaire et prix de revient, avec de surcroît l’obligation de procéder à un double calcul et de tenir deux « comptabilités ». Imposer à l’administration les mêmes règles de calcul des prix de revient que dans les entreprises reviendrait à la mise en place de processus beaucoup trop long, voire même inadaptés à l’administration qui ne dispose pas d’instruments d’analyse des coûts aussi fins. Tout au plus reconnaît-on au prix de revient dans l’administration un rôle d’indicateur volontiers cantonné à un coût du service facilement calculable, on s’en doute, en l’impactant des salaires des employés. Du reste, même dans des entreprises publiques comme la SNCF ou des administrations de services, il demeure toujours difficile d’identifier clairement les coûts entrant en ligne de compte dans le calcul des frais généraux, au risque que les choix deviennent assez arbitraires74.
68Si l’influence de la CEGOS sur l’ITAP s’est fait sentir dans le choix des thèmes de discussion et des groupes de travail de l’ITAP, rapidement il s’avère que des questions comme celle du prix de revient dans l’administration ne peuvent pas être abordées de manière aussi directe que ne l’a fait la CEGOS dans le secteur privé. Cela ne peut se faire qu’au prix d’un changement de taille : la révision du système comptable public et une refonte de la comptabilité budgétaire pour disposer un tant soit peu d’une comptabilité analytique permettant une analyse précise des coûts.
C. L’action du Commissariat général à la Productivité dans une politique de rationalisation et de productivité dans les administrations publiques 1956-1960
1. L’investissement du CGP dans l’organisation administrative
69Depuis sa création, le Commissariat général à la Productivité, et plus particulièrement l’Association française pour l’accroissement de la productivité (AFAP), ne s’étaient pas particulièrement intéressés à l’organisation administrative. Les missions de productivité à la suite du plan Marshall étaient tournées essentiellement vers le secteur privé. L’arrivée de Gabriel Ardant au CGP va donner une orientation supplémentaire en direction des administrations. Mais le CGP ne dispose pas auprès de lui d’organisateurs spécialisés alors que la plupart des bureaux d’organisation et méthodes ont des personnels en interne ou ont mis au point des études avec des cabinets extérieurs. Le CGP prend donc la même voie au point de consacrer une bonne part des crédits à l’utilisation de consultants du secteur privé pour organiser des conférences et cycles de formation consacrés à l’organisation administrative. De fait, les fonctionnaires spécialistes de l’organisation administrative, précurseurs dans leur domaine et souvent dans leur service, n’ont pas de statut particulier dans la fonction publique, ni d’école pour parfaire leur formation ou pour dispenser des cours, ou tout au moins des exposés sur les améliorations qu’ils ont mis en œuvre.
70Les sessions de perfectionnement organisées par le CGP se feront donc en commun avec des formateurs venus des cabinets de conseil privés et des organisateurs internes des administrations souvent à l’origine de la mise en place de bureaux d’organisation et méthodes. La notion de productivité devient dès lors une notion commune aux secteurs privé et public sous la houlette du CGP et de Gabriel Ardant.
2. Une collaboration entre l’ITAP et le CGP
71Face à la montée en puissance du CGP nouvellement intéressé à l’organisation administrative, l’ITAP, organisme créé par Milhaud, ne pouvait pas rester indifférent. La collaboration se fait d’ailleurs d’elle-même. Bien des membres de l’ITAP font partie d’autres structures, dont le secteur administration du CGP. Il en est ainsi de Jean Dayre par exemple, membre de l’ITAP et rapporteur du programme du CGP pour l’amélioration de la productivité dans l’administration publique entre 1954 et 195675. D’autres personnes ont des parcours partagés entre le CGP et l’ITAP76 et beaucoup de membres de l’ITAP interviennent dans les réunions et groupes de travail du CGP. On peut dire que, de ce point de vue, l’institut de Jean Milhaud sert de vivier d’organisateurs prêts à être recyclés dans d’autres instances dès que l’État se préoccupe de productivité dans ses services. Au moins sur la formation des organisateurs du secteur public et sur la compilation des résultats des cellules d’O & M, l’ITAP souhaite garder l’initiative. Jules-Didier Chautant, son président, fait appel au CGP et « … souhaite que le Commissariat accepte de laisser à l’ITAP cette tâche d’information en matière d’O & M à tous les échelons77 ». L’institut de Milhaud n’est pas non plus forcément favorable à la mise en place d’un bureau d’organisation et méthodes central, et pour cause, cela reviendrait à rendre l’ITAP presque inutile, ayant déjà eu à faire une place au CGP sur les questions administratives. Les arguments autres que de simple stratégie ne manquent pourtant pas : il faut laisser la liberté aux bureaux d’organisation et méthodes d’avancer vers des directions qu’ils souhaitent tout en privilégiant une meilleure adaptation au problème posé. Concevoir un bureau O & M central avec des spécialistes de différentes questions intervenant ponctuellement dans telle ou telle administration ne semble pas convaincant. C’est le sens d’un rapport élaboré en 1955 par un des membres de l’ITAP78. À l’inverse, le CGP se place pour soutenir et au besoin incarner un futur service central d’O & M :
« Qu’une coordination entre ces différents bureaux O & M s’impose, que certains problèmes communs à tous les services ou à plusieurs d’entre eux doivent être liés par un échelon compétent plus large, cela n’est pas douteux et rentre dans le cadre des soucis du Commissariat79 ».
72Les histoires des structures en présence pèsent sur leurs réflexions : l’ITAP, Milhaud et ses collègues savaient parfaitement illusoire au lendemain de la guerre tout objectif visant à installer un bureau central d’O & M alors que la reconnaissance des quelques-unes non coordonnées était déjà si difficile. De même, pour ceux-ci, un bureau central risquerait d’être trop soumis à des décisions politiques et moins techniques. Le CGP lui se place dans une perspective considérablement renouvelée où des avancées ont bien été réelles dans l’insertion de l’organisation dans les administrations, à telle enseigne que le CGP souhaite impulser un esprit de rationalisation pouvant servir de modèle à tout le pays.
3. La création du Service central d’organisation et méthodes (SCOM)
73En 1958, le CGP se transforme en Commissariat général au Plan et à la Productivité. L’année suivante, il prend le nom de Commissariat au Plan, ce qui a pour conséquence l’abandon du secteur « organisation administrative » qui ne fut pas longtemps en quête d’attaches puisqu’il fut rattaché cette même année directement à la direction du Budget et créé officiellement le 28 décembre 195980. L’intérêt de disposer d’organismes internes de perfectionnement des méthodes de travail de l’administration est toujours en discussion. Il a bien été envisagé que le SCOM prenne un statut d’association au lieu qu’il soit créé au sein de la direction du Budget au ministère de l’Économie et des Finances. C’est en quelque sorte les avantages et les inconvénients de réformer les méthodes par un organisme extérieur décliné en autant de fois que de périodes historiques. L’État n’a pas une grande opinion des expériences passées de l’intervention d’associations dédiées au perfectionnement des méthodes : l’Association française pour l’accroissement de la productivité n’a pas été un modèle de gestion (en particulier dans le cadre de l’organisation des missions de productivité), l’ITAP continue à susciter un certain intérêt, de plus en plus distant alors que ses initiatives semblent rattrapées par le législateur. Tout au plus ces associations peuvent-elles jouer le rôle d’auxiliaire de l’État, des éclaireurs finalement en attendant d’autres initiatives de plus grande envergure. Il paraissait difficile en effet qu’un organisme comme le SCOM ne garde qu’un statut d’association préjudiciable à son autorité et à sa stabilité vis-à-vis des ministères et des cellules de perfectionnement des méthodes déjà en place. Le seul avantage qu’on aurait pu reconnaître à ce statut était celui de ne pas faire dépendre le SCOM d’un ministère particulier, celui de l’économie et des Finances laissant planer le doute sur les motivations de l’implantation de cellules O & M : privilégier la réforme les méthodes ou les économies de budget ? De fait, les relations entre le SCOM et l’ITAP sont tout au plus cordiales, l’organisme de Milhaud étant estimé pour avoir défriché le terrain mais de moins en moins reconnu désormais comme opérateur des nouvelles initiatives lancées. L’action des organisateurs conseil est à l’inverse suscitée par le SCOM pour des actions ponctuelles sur des missions spécialisées. Ce remodelage du paysage des intervenants sur les questions d’organisation administrative se fait également à l’aune d’un certain décrochage de l’ITAP qui ne suit plus de près l’évolution des méthodes et les perfectionnements qui en résultent. Au début des années 1960, alors que le SCOM ne cesse de renouveler ses appels à des cabinets de conseil privés, le peu d’études confiées à l’ITAP est regardé avec interrogation voire déception81. L’organisme voit désormais son action limitée à « répandre la notion d’organisation » ce qui fut la tâche d’autres organismes 10 ans plus tôt en l’absence d’un programme précis. Les actions concrètes se font ailleurs : au SCOM pour les administrations, à l’IESTO pour la formation des spécialistes en organisation au CNAM82.
74Il reste néanmoins à Milhaud et à l’ITAP le thème des relations publiques dans l’administration et les relations entre l’administration et ses usagers.
Le développement des relations publiques : la « Semaine de l’administré »
75L’initiative de la « Semaine de l’administré » ne s’impose pas dès le départ. Elle prend sa source, comme souvent dans les relations personnelles de Milhaud, en la personne de Louis Joxe alors ministre de la Réforme administrative, qui appuie l’idée de la « Semaine » exprimée par l’ITAP et la soutient en lui octroyant une subvention83. Mais les débuts sont laborieux, preuve que l’expérience est regardée avec scepticisme par les représentants de l’administration : au moins deux réunions ont lieu en mai et juin, tandis qu’en octobre 1965 une réunion de bilan rassemble tous les responsables d’administrations participant à la « Semaine » de Tours. Une semaine avant que l’exposition ait lieu à la bibliothèque municipale de Tours, aucune administration n’a encore envoyé les éléments de son exposition, au grand dam du directeur de l’école des beaux-arts de Tours qui décline toute responsabilité en cas d’échec84. L’événement a reçu l’appui du préfet et du président du conseil général d’Indre-et-Loire, y compris dans le cadre d’une subvention de 5 000 F de l’époque octroyée à l’initiateur de la « Semaine » pour accueillir les services des différentes administrations qui ont bien voulu participer à l’expérience. Le bilan est positif puisque le président du conseil général d’Indre-et-Loire souhaite élargir l’expérience à d’autres départements et militer pour cette cause par le biais du congrès des présidents de conseils généraux en avril 196685. Mais le plus intéressant, comme le remarque Jean Stoetzel lors d’une des réunions préparatoires à la Semaine de l’administré de Tours, aurait été de faire organiser l’événement par les usagers eux-mêmes. La remarque, faite en présence des fonctionnaires importants représentant toutes les administrations impliquées, fait l’effet d’une douche froide. Stoetzel n’insiste pas sur la tournure que prendrait une telle exposition : les usagers sollicités ne feraient que souligner les travers les plus connus de l’administration de l’époque comme les queues interminables aux guichets, les procédures administratives sans fin, les visiteurs renvoyés de service en service86. Les efforts faits par Milhaud pour rendre compte des avancées de l’administration dans la relation qu’elle veut privilégier avec les administrés, pour louables qu’ils soient, sont encore trop éloignés de la réalité du terrain. Ils sont pourtant dans l’air du temps, les années 1960 étant riches de l’idée de participation dans les entreprises ou les administrations87. C’est pour cette raison que l’expérience est renouvelée à la préfecture de Mâcon (Saône-et-Loire) en 1966 à peu près sur le même thème d’une exposition de diverses administrations montrant les services qu’elles offrent aux administrés et les efforts qu’elles mettent en œuvre pour y parvenir. Mais l’investissement primordial dont avaient fait preuve Milhaud et l’ITAP lors de la Semaine de Tours est cette fois très faible. Milhaud et l’ITAP, d’une façon générale, semblent avoir passé le flambeau des actions, mais aussi des idées, à d’autres entités.
Conclusion
76Nonobstant la prise en compte par Milhaud des difficultés à transposer les méthodes de réforme du privé vers le public, une conviction s’affirme au fil du temps chez lui : bien des problèmes rencontrés par les entreprises privées dans leur gestion sont comparables à ceux rencontrés dans les administrations. Milhaud l’affirme dans une note manuscrite des archives de l’ITAP :
« Quels sont les problèmes communs qui se posent dans les administrations ? Exactement comme dans les entreprises ; il y a des problèmes de direction de personnel ; il y a des problèmes d’approvisionnement ; il y a des problèmes d’organisation et méthode ; il y en a toute une série, et autour de chacun de ces problèmes nous avons créé des réunions autour d’une table, d’hommes situés dans des services très divers mais ayant à se préoccuper de ces problèmes88 ».
77Autrement dit, ce sont surtout les directions fonctionnelles des administrations sur lesquelles il faut agir en s’inspirant des perfectionnements issus du secteur privé. Ce faisant, Milhaud a donné à la CEGOS des nouvelles directions de développement alors qu’elle n’était principalement connue que pour son action sur la mise au point d’une méthode uniforme du calcul du prix de revient dans les entreprises privées depuis les années 1920 et 1930. Bien des commentateurs ont estimé totalement illusoire de vouloir comparer des systèmes comptables privés et publics très différents et qui n’avaient d’ailleurs pas la même finalité. S’échiner à calculer le prix de revient d’un service d’État paraissant illusoire pour certain, c’est devenu au fil du temps un indicateur d’une comptabilité virtuelle très utile pour identifier les postes d’économies potentielles et opérer des réformes. Du reste, les contemporains de cette période ont pratiquement été unanimes à considérer l’étude sur le prix de revient, au même titre que d’autres sujets touchant à la rationalisation des méthodes de travail, comme universelle et donc commune aux secteurs privé et public, mais sans voir les obstacles pratiques à surmonter.
78Mais cette volonté de s’affranchir des frontières a subi des fluctuations au cours du temps. D’abord parce qu’il existe une inertie qui n’est pas le propre de l’État mais plutôt des mentalités. On est frappé de voir que des questions évoquées dans les années 1930 se retrouvent pratiquement posées dans les mêmes termes dans les années 1950. Ainsi, tout se passe comme si à chaque période historique, les réformateurs s’efforçaient de convaincre du bien-fondé de leur vision jusqu’à ce que, proches d’y parvenir, une période de bouleversement mette à mal tous leurs efforts. Les fluctuations sont fonction ici de ces allers et retours où, à chaque début de période historique, les mêmes questions sont reposées avec parfois une modulation dans les termes. Les progrès accomplis durant les années 1930 sont regardés avec suspicion durant la période de Vichy. L’économie de guerre durant l’Occupation allemande permet d’avancer sur des objectifs de régulation, de réflexion sur le juste prix des marchandises et des actes de manière quasi transversale. La « parenthèse » de Vichy ne peut pourtant pas servir d’exemple à la Libération où le maître mot est de faire des économies pour se séparer entre autres des effectifs importants de fonctionnaires ayant grossi à la faveur de la mise en place d’une économie de guerre. Voilà pourquoi s’affranchir des frontières public/privé pour mieux partager les expériences et les améliorations est une idée ancienne, remise périodiquement au goût du jour. Il faut donc convaincre périodiquement de la validité de cette idée et considérer tous les changements qui se sont opérés autour d’elle, puisque les instruments à mettre en œuvre, eux, varient : les expériences mécanographiques menées dans le privé, les améliorations qui en découlent, les apports du secteur public dans le développement des matériels de ce type pour les grandes enquêtes statistiques. Une fois ces échanges mis en place à force de persuasion, les instruments deviennent électromécaniques puis numériques, nécessitant de nouveaux échanges sur l’innovation, nimbée du culte du secret qui l’entoure souvent et qui est assez propre à la France. Une solution comme les échanges d’expériences a paru utile à bien des réformateurs en France depuis les années 1930, mais avec plus ou moins de bonheur. Rares en effet sont les groupes qui intègrent véritablement les spécialistes d’un service entre secteurs privé et public à parité égale pour qu’ils échangent leurs points de vue, leurs méthodes, leurs solutions. De tels groupes ont été mis en place soit entre techniciens du privé, soit entre techniciens du public, mais peu entre ceux du privé et du public. Une des raisons qui peut l’expliquer est la véritable méfiance des gens du public à l’égard du monde « peccamineux » de l’entreprise où chaque innovation est susceptible d’être accaparée à des fins commerciales, munie de l’estampille d’un propriétaire supposé de l’idée à vendre. Lorsque la méthode dite du Training Within Industry (TWI) a fait florès à partir de la Libération en France jusqu’au début des années 1950, une bataille très dure a eu lieu entre une multitude d’officines de conseil revendiquant chacune la paternité de cette « innovation », au besoin en la remodelant, alors qu’elle était née dans l’administration des armées américaines et qu’aucune règle du « libérateur » n’imposait d’hypothétiques royalties sur l’idée. Le monde de l’administration est donc plus enclin à partager ses savoirs entre les membres d’un même secteur. Les avancées semblent plus « échangeables » entre des administrations et des entreprises ou établissements du secteur public, où d’abord les modes de gestion sont proches, et où, chez les deuxièmes, les services opérationnels sont plus en pointe des innovations et des perfectionnements. Ce n’est pas par hasard si les expériences faites au PLM, à la SNCF, à EDF, au monopole des tabacs, etc. ont servi d’exemple et de laboratoire d’idées à la CEGOS et à d’autres intervenants : André de Peretti au monopole des tabacs, Guy Palmade à EDF, le cabinet Planus à la SNCF, Milhaud aux PTT. Ainsi, il apparaît comme plus fructueux de considérer comme lieu d’échanges d’expériences pour l’administration les entreprises et monopoles du secteur public plutôt que d’entrer de plain-pied dans les expériences faites directement dans les entreprises privées.
Une ou des administrations ?
79Dès que des expériences nouvelles se font jour, l’unité de l’État s’efface au profit d’un morcellement en autant d’administrations, de services, de chefs de services, etc., même quand cette expérience est décidée au plus haut sommet de l’État. Les rivalités personnelles se doublent parfois de la défense des intérêts de l’organisme auquel on appartient89. Il apparaît ainsi illusoire de traiter de l’action de l’État dans son ensemble alors qu’elle devient si particulière en fonction des secteurs où elle s’exerce et des personnes qui la servent, sans parler du contexte historique. Néanmoins, sur le temps long, les permanences existent bel et bien, ne serait-ce qu’à constater la périodicité des mesures d’économies proposées et lancées au fil du temps pour alléger le budget de l’État. L’exercice est redoutable, bien plus pour ceux qui proposent des solutions, placés entre l’enclume des économies nécessaires et le marteau des améliorations intelligentes plus éloignées des critères seulement « comptables » de la réforme de l’administration. Le risque est ici peu calculé d’éreinter toute une frange de réformateurs enthousiastes dont les idées se perdent dans les circuits de décisions longs et souvent contradictoires, et dont la portée est limitée dans le temps au gré des changements d’organigrammes, des mutations voire des changements politiques. Ces atermoiements entraînent de ne se référer qu’à des jalons simples pour éviter de se fondre dans des questions qui deviendraient trop difficiles et sans doute trop longues à résoudre : rendre le même service, voire le perfectionner pour un coût moindre. Mais on ne pourrait résumer cette tendance à une perte en ligne d’idées de réforme des méthodes de travail de l’administration et de l’État dans son ensemble. Si elles viennent de l’extérieur et qu’elles valent de l’argent, elles ont plus de chance de se voir prêter une oreille attentive. Pourquoi ce fait ? Comme on l’a dit, les idées sont légion, mais à ne garder que le maître mot de faire des économies, idée simple mais relativement commode pour ne pas se perdre, on tire un trait sur beaucoup d’initiatives internes, d’expériences qui restent de ce fait lettre morte. Éviter d’entrer en profondeur dans la complexité de l’administration donne ainsi toute latitude à qui le veut de s’informer d’initiatives originales, de procédés mis au point dans un bureau obscur, que tout un chacun peut selon l’air du temps transformer en autant d’indicateurs d’économies. L’administration, l’État, produit ainsi des réformateurs éclairés qui n’ont pas toujours conscience de l’effet que pourrait avoir la généralisation de leurs idées. Peu de gens ont ainsi conscience qu’il suffit de faire auditer tel service par un cabinet privé pour que les procédés mis au point en interne deviennent le maître mot d’une réforme généralisée proposée par un organisme externe. Tant que ce qui est proposé en externe est échangé contre un tarif correct, la manœuvre a des chances de réussir. Le simple fait de faire des économies est dans le fond l’idée la plus simple et celle qui persistera grâce principalement à des conseillers venus de l’extérieur.
Notes de bas de page
1 Intervention de G. Ardant à l’Institut des hautes études de défense nationale, 20 novembre 1951, p. 1. Dans une position diamétralement opposée, ce qui donne bien la mesure de l’opposition entre deux blocs, le lieutenant-colonel Émile Rimailho qui fut à l’origine d’une des sections d’études les plus importantes de la CEGOS, celle du calcul des prix de revient, déclarait un jour : « J’en ai trop vu. Je ne crois plus qu’à l’initiative privée ». Cité dans Jean Dayre, « Vers une métamorphose de l’administration », L’administration moderne, n° 6, juillet 1947, p. 3.
2 Nonobstant une certaine tendance à forcer le trait de l’incapacité de l’État à se réformer, ceci pour les besoins d’une certaine rhétorique et finalement la justification de leur utilité.
3 Comité national de l’organisation française.
4 Ceux-ci correspondent bien à ce que Fayol avait décrit, estimant que chacun disposait de capacités d’organisation et que cette faculté n’était pas forcément réservée à une catégorie précise.
5 Jean Milhaud, « Croisades administratives », s. d. [années 1950], I. Missions au Maroc, Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 268.
6 Il s’agit d’A. de Lavergne, délégué général de la CGPF et de R. de Saint-Quentin, Jean Milhaud, Chemins Faisant, Paris, Éditions Hommes et Techniques, p. 172 sqq. Milhaud effectue une mission d’un mois dans le protectorat marocain à l’automne 1929.
7 Jean Milhaud, entretien avec Marjorie Rocheman, octobre 1979, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 571.
8 La mission de Milhaud s’effectue du 7 novembre au 5 décembre 1929. Cf. « Notes sur les titres et les travaux de M. Jean Milhaud », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 326.
9 Jean Milhaud, « Un essai de rationalisation administrative dans un protectorat français », in Le facteur organisation dans les administrations publiques, Paris, Delmas, 1937, p. 76.
10 Jean Milhaud, « Mission au Maroc », s. d., [années 1970], archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 224.
11 Un des obstacles à la rationalisation de l’administration du protectorat est la présence d’une population indigène sans état civil et à peu près illettrée. Un des premiers buts est donc de reconstituer un fichier d’état civil et d’en profiter pour lui donner une base mécanographique dès le départ. Jean Milhaud, Rationalisation et mécanisation, rapport général de M. Jean Milhaud sur sa mission au Maroc (novembre 1929), Rabat, Imprimerie officielle, 1930, p. 3. AN F60 282.
12 Jean Milhaud, « Mission au Maroc », article probable dans La Jaune et la Rouge, rubrique « administration et productivité », s. d., sans références, 10 p., archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 224.
13 Jean Milhaud, Chemins…, op. cit., p. 175.
14 Lucien Saint est résident général de France au Maroc de janvier 1929 à juillet 1933.
15 Jean Milhaud, Rationalisation et mécanisation…, op. cit., p. 13, en italique dans le texte.
16 Jean Milhaud, Sur les ailes du temps… Souvenirs, récits, croisades et confidences, Paris, Nouvelles Éditions latines, p. 62.
17 Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
18 Extrait du PV de la séance du Conseil national économique (février 1931), archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
19 Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931), archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
20 Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
21 Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931), archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
22 Jean Milhaud, « PTT 1930-1931 », archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 579.
23 Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil national économique (février 1931), p. 2, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
24 Ibid. p. 3.
25 Dès 1916, Henri Fayol avait montré dans son ouvrage Administration industrielle et générale la parenté qui existait entre les administrations publiques et les entreprises privées à propos de l’organisation administrative. Jacqueline Morand-Deviller, « Les mécanismes de la réforme administrative », Revue internationale de droit comparé, vol. 38, n° 2, avril-juin 1986, p. 679.
26 La loi du 16 août 1940 autorise les entreprises d’une même branche d’activité de l’industrie et du commerce à se réunir pour former un Comité d’organisation d’inspiration corporatiste. Sont dissous le Comité des Forges, le Comité des Houillères, le Comité des assurances, la Confédération générale du patronat français. Renaud de Rochebrune, Jean-Claude Hazera, Les patrons sous l’Occupation, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 723. Richard Vinen, The politics of french business 1936-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 149. Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, Paris, Seuil, 1997, p. 234.
27 Jean Milhaud, « Maturité de la CEGOS », s. d. [1955-1956], p. 123, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 297.
28 Cour des comptes, Rapport au président de la République, années 1946-1947, annexe administrative-Cour des comptes, première partie « Observations communes à plusieurs ministères, irrégularités concernant l’exécution du budget et de l’emploi des crédits », Journal officiel de la République française, 1948, p. 105.
29 Si la CGPF a disparu dans son appellation, «…elle a en fait survécu puisque chaque branche industrielle a créé un Comité d’organisation dont les cadres étaient recrutés dans les anciens syndicats. » Danièle Rousselier-Fraboulet, Les entreprises sous l’Occupation, Le monde de la métallurgie à Saint-Denis, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 93.
30 « Compte rendu de l’assemblée générale des sociétés adhérentes aux sections d’études de la CEGOS », 28 juillet 1941, p. 1. Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 606. Le CII est créé par le décret du 30 avril 1941. Cf. R. de Rochebrune et J.-C. Hazera, Les patrons…, op. cit., p. 733.
31 Soulignons ici que la distinction entre les secteurs privé et public a subi des fluctuations durant l’Occupation. En 1941 par exemple, le CII se voit chargé d’un projet de réforme pour la simplification de la diffusion des textes officiels. On peut citer également Robert Catherine par exemple, qui joua un rôle important dans le mouvement d’idées de la réforme administrative après-guerre alors qu’il était sous l’Occupation attaché à la section de répartition des cuirs et pelleteries puis à la section centrale de l’Office central de répartition des produits industriels (OCRPI). Cf. Henri Rousso, « L’organisation industrielle de Vichy (perspectives de recherches) », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n° 116, octobre 1979, p. 37.
32 Office central de répartition des produits industriels. Cf. Béatrice Touchelay, « La Société de statistique de Paris et les fondations de l’expertise du service central de la statistique publique (1936-1975) », Journal électronique d’histoire des probabilités et de la statistique, vol. 6, n° 2, décembre 2010.
33 Discours inaugural de M. Dufau-Pérès représentant le secrétaire d’État à la Production industrielle, in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la direction des entreprises et des groupements professionnels, Cycle de perfectionnement organisé par la CEGOS du 9 au 11 décembre 1941, tome I, Paris, CEGOS/CII, 1942, p. 3.
34 M. Tisnès, « Les statistiques à la SNCF », in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la direction des entreprises et des groupements professionnels, Cycle de perfectionnement de la CEGOS, 9-11 décembre 1941, t. III p. 39 sqq.
35 Pierre-E. Mounier-Kuhn, « Un exportateur dynamique mais vulnérable : les machines Bull (1948-1964) », Histoire, économie et société, n° 4, 1995, p. 644.
36 M. Tisnès, « Les statistiques à la SNCF », in CEGOS, Les techniques statistiques appliquées à la direction des entreprises et des groupements professionnels, Cycle de perfectionnement de la CEGOS, 9-11 décembre 1941, t. III p. 60.
37 Il peut s’agir soit de coupures d’électricité, soit de variations dans le voltage du courant qui au-delà de plus ou moins 5 volts entraîne des erreurs dans le traitement des données par les machines à cartes perforées. Cf. M. Pouloux, « L’utilisation des machines à statistiques à l’usine Kellermann de la Société des moteurs Gnôme et Rhône Paie-Comptabilité industrielle-Statistiques », exposé présenté lors de la visite de la section I, Mécanisation du travail de bureau de la CEGOS, le 20 juillet 1943, p. 5. Document CM 42.
38 M. Bressange, « L’organisation du travail administratif dans les compagnies d’assurance et son adaptation aux difficultés présentes » in CEGOS, Premier cycle de perfectionnement des méthodes d’organisation technique des entreprises, 18-21 janvier 1943, p. 15.
39 « C’est dans l’administration publique, première forme de l’entreprise existant bien avant l’entreprise privée, que l’on voit naître chez les responsables le souci d’une surveillance attentive des approvisionnements ». M. Garcin, « Les approvisionnements dans l’entreprise », CEGOS, Cycle d’études des problèmes d’approvisionnement et de distribution, 21-24 juin 1943, fascicule n° 4, La fonction approvisionnement, p. 5.
40 M. Bressange, « L’organisation du travail administratif dans les compagnies d’assurance et son adaptation aux difficultés présentes » in CEGOS, Premier cycle de perfectionnement des méthodes d’organisation technique des entreprises, 18-21 janvier 1943, p. 15.
41 Geneviève Vermès, Françoise Sellier, Annick Ohayon, « Des psychologies sociales en France entre 1913 et 1947 », Sociétés contemporaines, n° 13, mars 1993, p. 204.
42 Ibid., note 22, p. 204.
43 « C’est le pouvoir de Vichy qui créera les conditions favorables à l’objectivisation de ce groupe nouveau », Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, les Éditions de Minuit, p. 160.
44 Cf. Trocmé, « Les bases psychologiques des méthodes de sélection » in CEGOS, 2e cycle de perfectionnement des techniques de direction du personnel, 16-20 février 1942, fascicule n° 3 : « La sélection professionnelle », p. 10.
45 Durant l’Occupation, Milhaud, obligé de réduire ses activités du fait de ses origines juives, a passé la main à Pouderoux à la CEGOS. Au moment de la Libération, Pouderoux et surtout Milhaud ont repris des activités normales à la CEGOS.
46 Gouvernement provisoire de la République française, ministère d’État, « Rapport », non signé, 6 juin 1945, p. 8. SAEF B10 496.
47 Organisation des fonctionnaires résistants (ex-NAP et Super-NAP), « Enquête sur l’administration française », 4 p. recto-verso, s. d. [mai-juin 1945], s.l. [Paris], BDIC, O pièce XXIII.119.
48 Jean Milhaud, Journal personnel, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 251.
49 Cette remarque est issue de deux feuillets manuscrits issus des archives Milhaud-Sanua.
50 Cf. « Examen psychotechnique », paragraphe D du rapport de l’OFR, p. 7.
51 Rapport sur l’Institut des hautes études administratives, s. d., non signé, SAEF B10 496.
52 Nouvelles instructions du 24 février 1943, AN, BCRA, cité dans Diane de Bellescize, Les neufs sages de la Résistance. Le Comité général d’études dans la clandestinité, Paris, Plon, 1979.
53 Rapport de l’OFR, paragraphe 5, « Méthodes pédagogiques et organisation générale des études », p. 17.
54 Voir à ce sujet, « Esquisse de la politique financière de la France », délégation du Commissariat aux Finances, p. 5, non signé, SAEF 5A 182. Cf. également sur ce sujet P. Simonet et Liet-Vaulx, « La loi du 26 avril 1946 portant dissolution d’organismes professionnels et organisation de la répartition des produits industriels », Droit social, n° 7, juillet-août 1946, p. 265. On rappelle que le décret du 9 août 1946 met en place le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics dans la perspective de faire des économies budgétaires au point qu’une commission dite de la Guillotine se superpose au Comité central d’enquête déjà bien armé sur ce point. Marie-Josée Guédon, « La fonction d’organisation dans l’administration française », Notes et Études documentaires, n° 3653-3654, janvier 1970.
55 « Le président du gouvernement provisoire de la République française à Messieurs les Ministres », 31 janvier 1945, signé « de Gaulle », p. 5. Archives de l’ITAP, AN 33AS12, dossier 4.
56 Ibid.
57 AN 33 AS 12, dossier 4, « Note relative à la création d’un Centre technique d’étude des méthodes de travail dans les administrations publiques », 12 février 1946, annotation : « Projet préparé par M. Grégoire et approuvé par MM. Thorez et Joxe. »
58 « Compte rendu de l’assemblée générale des sociétés adhérentes aux sections d’études de la CEGOS », 28 juillet 1941, p. 3. Archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 606.
59 Service central d’organisation et méthodes (SCOM), « Recensement des bureaux O & M dans les administrations publiques », préfecture de Police, 29 janvier 1964, p. 2, SAEF B45 510.
60 Au ministère de l’Intérieur et au ministère du Travail en 1945, à l’état-major de l’Armée de Terre en 1946.
61 L’Institut technique des administrations publiques (ITAP) a été créé par Jean Milhaud en 1947.
62 AN 33AS12, dossier 4, Note sur la création auprès de la CEGOS, d’un bureau d’étude des techniques administratives, s. d. [1945-1946], p. 5.
63 Jean Milhaud, « L’organisation scientifique du travail dans les administrations publiques », in Conseil européen du Comité international de l’organisation scientifique du travail (CECIOS), p. 14.
64 Le SCOM a été créé le 28 décembre 1959 à partir de la cellule organisation administrative du Commissariat général à la Productivité. Plaquette de présentation du SCOM, « Connaissez-vous le SCOM ? », Service central d’organisation et méthodes, Paris, Imprimerie nationale, 1975, p. 1. Une réunion avec le député Yves Fagon en 1948 témoigne du caractère audacieux des membres de l’ITAP sur cette question de l’O & M bien en avance sur le SCOM qui ne voit le jour qu’en 1959 au sein de la direction du Budget.
65 Procès-verbal de l’entretien entre M. Fagon et une délégation de l’ITAP, 19 juillet 1948, AN, 33AS 12, dossier 5.
66 La création de l’ITAP est officialisée par la parution au Journal officiel le 18 septembre 1947.
67 Jean Milhaud, Chemins…, op. cit., p. 193. Jean Dayre, « Organisation des administrations publiques », août 1948, p. 2, Commissariat général au Plan, Groupe de travail sur la productivité, AN, 81 AJ 213.
68 Jean Milhaud, « Organisation et méthode “O & M” », L’administration moderne, n° 5, numéro spécial, mai 1947, p. 9.
69 AN, 33AS 1, dossier statuts de l’ITAP, p. 1, s. d. [1947 ?]
70 Jean Dayre, « Notes pour une politique de rationalisation », 16 novembre 1945, p. 6, AN 33 AS 12, dossier 4.
71 Lucien Junillon, (dir.), « Projet de réforme administrative », Études et documents, Centre de coordination et de synthèse des études sur la reconstruction, n° 19-20, septembre-octobre 1946, p. 66. Lucien Junillon est administrateur des Postes et ancien chargé d’études à la mission de la réforme de la fonction publique en 1945.
72 « Administration publique et industrie privée. Méthodes comparées et relations », Compte rendu des journées d’études 1948 (30 juin-3 juillet 1948), ITAP doc. IT12, Paris, ITAP, 1948, p. 9.
73 André Fautsch, « La question du prix de revient dans les PTT », Cours d’organisation scientifique du travail à l’usage des fonctionnaires des services extérieurs du Trésor et de la direction générale des Impôts, ITAP, AN 33AS 14, dossier 8. Par arrêté du 11 juillet 1931, le ministre des PTT décidait de créer auprès de son administration un service central d’achat et des prix de revient. Cf. « Création auprès du ministre des Finances, de groupes d’échanges d’expériences administratives », s. d., non signé, archives Milhaud-Sanua, inventaire AW n° 276.
74 C’est l’opinion exprimée par le chef adjoint du service du budget à la SNCF lors de la séance du groupe A de l’ITAP du 8 décembre 1949. AN 33AS 9.
75 Cf. « Note sur l’action du Commissariat général à la Productivité en matière d’organisation dans le secteur public », 25 janvier 1956, p. 1. SAEF B46 469.
76 Roger Nesme, par exemple, administrateur civil au ministère de l’Agriculture. André Cantegreil, administrateur civil au ministère du Travail.
77 Compte rendu du conseil d’administration de l’ITAP, PV de la réunion du 27 septembre 1955, p. 3-4. AN 33AS 2, dossier 2.
78 Enquête de l’Institut technique des administrations publiques sur les bureaux d’organisation et méthodes du secteur public et accessoirement du secteur nationalisé, par M. Paul Klein. Conférence du 24 mai 1955, doc. ITAP IT 124, Paris, ITAP, 1955, p. 15.
79 « Note sur l’action du Commissariat général à la Productivité en matière d’organisation dans le secteur public », 29 janvier 1956, non signé, [note émanant des services de G. Ardant], p. 2, SAEF B46 469.
80 Daniel Fabre, Les problèmes de la fonction « Organisation et Méthodes » dans l’administration en France, mémoire de DES de l’Institut d’études politiques de Paris sous la direction de B. Gournay, 1962, p. 93.
81 Cf. compte rendu manuscrit du cycle ITAP consacré aux techniques administratives, « Cycle ITAP Morvan. 7/60 », non signé, SAEF B46 552.
82 Institut d’études supérieures des techniques d’organisation (IESTO). Lettre du SCOM au haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, 26 avril 1961, p. 2, SAEF B46 519. Note de R. Gaudriault à M. Questiaux, 21 avril 1960, p. 4, SAEF B46 502. « Toute formation plus générale devrait être réservée soit au SCOM, soit à l’IESTO », note pour M. Questiaux, 11 janvier 1961, p. 2, SAEF B46 519.
83 Jean Milhaud, Mon ami l’État, Paris, Imprimerie nationale, 1973, p. 63.
84 Ibid., p. 45.
85 Ibid., p. 41 et 43. Il déclare à Milhaud : « Cher Monsieur, si j’avais su ce que cela allait être, je vous aurais fait voter une subvention quatre fois plus forte », ibid., p. 44.
86 « L’observation de Jean Stoetzel […] avait été diversement appréciée […] », Jean Milhaud, ibid., p. 50.
87 M. Einchenberger, « Démocratie et participation dans l’entreprise », Humanisme et entreprise, n° 31, 1965, p. 21 sqq. Michel Crozier, « Crise et renouveau dans l’administration française », Sociologie du Travail, n° 3, juillet-septembre 1966, p. 225 sqq. Jacques Chevallier, « La participation dans l’administration française : discours et pratique », Bulletin de l’Institut international d’administration publique, n° 37, janvier-mars 1976, p. 101 sqq.
88 J. Milhaud, note dactyl., s. d. [1947], AN 33AS 6, dossier 3, p. 35-36.
89 « […] certains conflits surgissent entre diverses autorités également impliquées par l’idée de l’exercice du pouvoir. Les relations entre grands commis, qui incarnent tous le même État, sont parfois délicates. Aux considérations de prestige personnel peut s’ajouter une sorte d’instinct de défense des organismes ou des milieux qu’ils symbolisent et dont ils sont, auprès des pouvoirs qui les contrôlent, des ambassadeurs plus ou moins engagés », Jean Milhaud, Mon ami…, op. cit., p. 64.
Auteur
Antoine Weexsteen est ingénieur Europe CNRS-INSU ; Point de Contact National (Environnement) 7e Programme Cadre Recherche et Développement (PCRD). Il a rédigé sa thèse, intitulée Le conseil aux entreprises et à l’État en France : le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP entre 1994 et 1999 sous la direction de Patrick Fridenson. Il a publié, notamment, « Auguste Detoeuf et l’avenir des PME », Entreprises et histoire, n° 28, décembre 2001 ; « Les mutations de la CEGOS », Entreprises et histoire, n° 5, octobre 2000 ; « La CEGOS dans l’organisation industrielle de Vichy 1940-1944 », in L’Occupation, l’État français et les entreprises, Paris, IDHA, 2000 ; « La Fédération de la Seine de la Ligue des droits de l’homme dans les années trente », Le Mouvement social, n° 183, avril-juin 1998 ; « La réforme de l’Administration à travers les archives de l’Institut technique des administrations publiques », in La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur… ou témoin ?, Paris, Comité d’histoire économique et financière, 1998 et l’article « CEGOS » in J.-C. Daumas (dir.), Dictionnaire critique du patronat français au XXe siècle (1880-2000), Paris, Gallimard, 2010.
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