Les comités de réforme administrative et d’économies budgétaires, 1919-1959 : vie et mort d’une politique de gestion publique ?
p. 201-249
Plan détaillé
Texte intégral
Introduction
1Au-delà des difficultés monétaires, sociales et économiques qu’elles ont engendrées, les deux guerres mondiales ont eu un impact considérable sur l’administration, impact que les pouvoirs publics de l’époque (ministres, administrateurs, contrôleurs, magistrats financiers, parlementaires) ont résumé dans les deux cas sous deux termes péjoratifs, « désordres » et « gonflement ». Désordres et irrégularités comptables et budgétaires, affaiblissement des contrôles, vacances de postes et gonflement des effectifs1, difficultés de recrutement et créations irrégulières de postes, multiplication des auxiliaires, fixation ou attribution irrégulières de traitements et d’indemnités, expansion des organigrammes, multiplication des postes parallèles de chargés de mission et de postes d’encadrement, création de nouveaux organes administratifs soit au sein de l’administration (nouvelles directions, nouveaux services, nouveaux ministères), soit en dehors ou à côté de l’appareil administratif (offices, sociétés d’économie mixte, entreprises nationales, associations), infractions à la réglementation des marchés publics, acquisitions et locations immobilières somptuaires, attributions irrégulières de subventions et gestion de fait, apparition de doubles emplois et de chevauchements d’attributions, problèmes de coordination… Les doléances sont nombreuses dans les rapports de contrôle, dans les documents parlementaires, dans les archives du ministère des Finances et dans les rapports de contrôle de la Cour des comptes. Suite à ce diagnostic qui est à la fois répliqué et amplifié d’une guerre à l’autre, se fait jour la volonté des dirigeants politiques et administratifs, du Parlement et de l’opinion de remettre de l’ordre dans la gestion de l’État. Pour les plus libéraux et les plus hostiles à l’État, il s’agit de revenir à l’état ante, considéré comme la référence normale, c’est-à-dire un État moins interventionniste, moins étendu et moins nombreux ; pour les plus réalistes ou pour les plus ardents partisans d’une rénovation du rôle de l’État, il s’agit d’adapter et de mettre à jour les structures et les modes de fonctionnement de l’État face aux nouveaux défis que ce dernier doit affronter. À la croisée de cette triple volonté de retour à la normale, de retour à l’ordre juridique comptable et budgétaire et d’aggiornamento, émerge le concept de réforme administrative, qui va progressivement, tout au long de l’entre-deux-guerres et jusque sous la IVe République, devenir un topos du discours et de l’action des pouvoirs publics et rechercher non sans tâtonnements les voies de son institutionnalisation en politique publique.
2Tandis qu’en 1918-1919, une série de commissions consultatives (Selves, Courtin, Bloch, Hébrard de Villeneuve) préparent le retour à une gestion publique de paix et élaborent, en même temps que les mesures d’urgence indispensables, un programme de réforme à long terme (procédure budgétaire, contrôle financier, comptabilité administrative, réorganisation des structures ministérielles notamment celles des Finances, reclassement des fonctionnaires), la réforme administrative se voit rattrapée par la croissance de la dette et par les déficits budgétaires. C’est au sein de la commission Hébrard de Villeneuve de 1919 chargée de la revalorisation des traitements des fonctionnaires qu’est célébré pour la première fois au XXe siècle le mariage officieux de la réforme administrative et de « la réduction du train de vie de l’État ». Coexistant dans les années 1920 et 1930 avec d’autres versions de la réforme administrative2 portées par des acteurs aussi divers que le Conseil d’État (Chardon, Blum), les juristes (Jèze, Laferrière, Barthélémy), les ingénieurs (Fayol, Coutrot, Detoeuf, J. Milhaud), les représentants du patronat (Mercier, Citroën) ou les syndicalistes (Budon, Mer, Patouillet), cette version budgétaire de la réforme administrative connaît ses premiers linéaments empiriques entre 1919 et 1924. Suite au redressement Poincaré, elle s’éclipse un temps pour réapparaître en 1932 lors de l’aggravation de la crise des finances publiques et de l’adoption par le Gouvernement d’une politique de déflation budgétaire et administrative (1932-1935 et 1938-1939).
3Reléguée temporairement au second plan sous Vichy, la version budgétaire de la réforme administrative resurgit à la Libération et mobilise la scène publique jusqu’en 1950 ; elle s’éclipse entre 1950 et 1958, coexistant avec plusieurs autres entreprises de réforme administrative, éclatées entre différents pôles d’impulsion, le ministère des Finances, le ministère de l’Intérieur, la Cour des comptes, la Présidence du Conseil. Dans un contexte de crise budgétaire aggravée, la réforme administrative reprend sa liaison fatale avec les économies, exhalant son dernier souffle en 1959-1960 avec la commission de réforme administrative dite de l’article 763…
4La version budgétaire de la réforme administrative est donc identifiable sur l’ensemble de la période 1919-1959 ; elle présente, par-delà les nuances politiques et partisanes des gouvernements qui l’ont mise en œuvre et par-delà les trois régimes politiques concernés, des réplications frappantes. Notre hypothèse est que la période 1919-1950 voit naître et se développer une politique publique de réforme administrative bien déterminée, celle des économies budgétaires, menée par des autorités publiques qui à cette occasion mettent en circulation des discours politiques et administratifs sur la gestion des administrations et des services publics, confient cette politique à des organismes ad hoc (les commissions d’économies) ou à des organismes permanents dédiés (direction du Budget, Cour des comptes) et inventent les outils du « rationnement budgétaire ». Cette version budgétaire de la réforme administrative a pu être présentée à partir des années 1950 par ses détracteurs comme illégitime ou inefficace, mais il n’en reste pas moins que, portée par l’ensemble des acteurs politiques et administratifs de 1919 à 1950, avec une résurgence exceptionnelle en 1959, elle constitue dans la période une voie bien identifiée de la gestion de l’État, dont les fondements s’enracinent dans une conception libérale du rôle de l’État : un État neutre, limité dans ses attributions et dans sa taille, contrôlé et économe des deniers publics. Il s’agit donc de prendre au sérieux cette politique et d’en étudier les concepteurs, les acteurs institutionnels, les objectifs, les séquences chronologiques et leurs éventuels résultats.
5Afin d’étudier cette politique de gestion publique, nous avons choisi de nous intéresser ici aux dispositifs administratifs incarnant explicitement cette politique : les commissions d’économies et de réforme administrative qui en portent le nom ou qui sont directement attachées à cet objectif. Ces commissions sont caractérisées par un ensemble de traits communs bien spécifiques : collégiales, temporaires, précaires, aux contours flous (on sait quand elles naissent, on ne sait pas toujours quand elles finissent), à la composition mouvante, aux « produits » indéterminés (qu’est-il attendu d’elles, une expertise, des chiffres, des propositions, des conseils, un rapport, un programme ou un plan, des projets de textes ?), elles relèvent de cette administration consultative qui se développe de façon exponentielle sous la IIIe République, non sans controverses d’ailleurs4. Une autre entrée possible aurait pu être l’étude des gouvernements, des ministres et des coalitions partisanes qui portent cette politique, ou l’étude des partis ou des parlementaires qui s’en font les champions, qu’ils soient de droite ou de gauche. Une autre encore aurait pu être celle de la presse, très virulente à l’époque, qui alimente les représentations d’une administration budgétivore et parasite et qui influence fortement l’opinion. Enfin, une dernière approche pourrait consister à faire l’étude quantitative des masses budgétaires et à retracer dans le détail l’évolution de la dépense publique ministère par ministère, pour voir si l’apparition des commissions de réforme administrative et d’économies coïncide ou non avec des pics de déficit budgétaire et surtout si elles précédent ou non un ralentissement, une stabilisation ou une réduction des dépenses ou du nombre de fonctionnaires5.
6Afin d’étudier ces organes consultatifs qui nous semblent une marque distinctive de la période, nous nous interrogerons sur les instances qui les ont créées : sont-elles d’origine gouvernementale, ministérielle ou parlementaire, donnée capitale puisque nous nous trouvons sous la IIIe et sous la IVe République dans un régime parlementaire dont l’équilibre n’est pas stable ; nous nous intéresserons à leur rattachement (Présidence du Conseil ou ministère des Finances), à leur composition (hauts fonctionnaires, parlementaires, syndicats), à leur positionnement au sein de l’administration et à leur secrétariat, à leur mode de fonctionnement et à leurs méthodes de travail, à leur calendrier, à leurs résultats et à l’appréciation portée sur leurs travaux, par eux-mêmes ou par les observateurs extérieurs…
I. La construction du couple économies budgétaires-réforme administrative (1919-1923)
7En réponse aux désordres décrits en introduction, une série de commissions se succèdent de 1918 à 1923, dont l’objectif explicite est d’une part la réalisation d’économies budgétaires, et de l’autre la réforme administrative. Dans cette séquence chronologique, ces deux objectifs sont soit juxtaposés sans coordination, soit conjoints et articulés l’un à l’autre, soit explicitement disjoints. Le principal mode opératoire est la suppression d’emplois, qui recueille paradoxalement un soutien de la plupart des acteurs publics, y compris de la part de certains syndicats ; en effet, à l’époque, certaines associations de fonctionnaires corporatives et même la Fédération générale des fonctionnaires reconnaissent ou affirment que le nombre de fonctionnaires est trop important et qu’il faudrait réduire les effectifs6. Ce consensus sur les suppressions d’emplois, qui ne se fonde à l’époque sur aucune connaissance étayée du nombre exact d’agents publics7, mais sur des données empiriques issues soit des documents budgétaires et parlementaires, soit des directions gestionnaires des départements ministériels, soit des commissions d’enquêtes, n’est évidemment pas motivé par les mêmes raisons : la haute administration, à l’unisson des parlementaires spécialistes des finances publiques, stigmatise la lourdeur de l’action administrative et son inefficacité, le nombre excessif de fonctionnaires, le gaspillage, le parasitisme ; les associations de fonctionnaires, elles, redoutent le gonflement des auxiliaires non qualifiés, l’expansion de la main-d’œuvre féminine sous-payée, le plafonnement des traitements… Or, à partir de 1919, le problème prioritaire pour les syndicats devient « la cherté de vie », c’est-à-dire le pouvoir d’achat des fonctionnaires rongé chaque mois par l’inflation ; les syndicats réformistes ou corporatistes en viennent donc à accepter le principe des suppressions d’emplois, au nom du raisonnement selon lequel, s’il y avait moins de fonctionnaires, les salaires pourraient être augmentés.
8La première des commissions d’économies de la période résulte de la transformation opportuniste de la commission de revalorisation des traitements des fonctionnaires aux lendemains du conflit. Extraparlementaire, composée d’une trentaine de hauts fonctionnaires et de quatre représentants des fonctionnaires, la commission Hébrard de Villeneuve, du nom du vice-président du Conseil d’État qui la préside, est créée en avril 19198. En juillet 1919, elle se voit confier, outre sa mission initiale de révision des échelles de traitements, la réduction des effectifs et la suppression des « emplois inutiles ». Le fonctionnement de cette commission nous est mal connu, mais le ministère des Finances conserve les archives de l’un de ses démembrements, la commission Féret du Longbois, créée en septembre 1919 au ministère des Finances. En effet, laissant sans réponse les injonctions de la commission Hébrard de Villeneuve pendant l’été 1919, le ministre des Finances Klotz décide de nommer sa propre commission d’économies et de simplification dans les services de l’administration centrale des Finances en septembre 19199, sous le contrôle d’un magistrat de la Cour des comptes, ancien directeur de la maison, Eugène Féret du Longbois10. La composition de la commission, étroite à l’origine, finit par réunir la quasi-totalité des directeurs et chefs de service de l’administration centrale des Finances, ainsi que les représentants des principales associations du personnel de la maison. Le président Féret du Longbois innove en auditionnant les chefs de service jusqu’au niveau de chef de bureau et passe au peigne fin le fonctionnement des bureaux, quasiment poste par poste ; il recueille leurs propositions de suppression de postes ou en décide certaines, quand elles ne lui sont pas faites spontanément. Les procès-verbaux des séances montrent que, malgré la férule du président, très peu de propositions de suppression d’emplois ont été faites, du fait de la résistance des chefs de service qui refusent d’admettre qu’ils ont du personnel superflu ou sous-utilisé et qui se montrent extrêmement soucieux de conserver leur personnel ! En réalité, à l’administration centrale, en 1919, la suppression des postes est sérieusement compromise par l’augmentation des tâches liées au règlement de la guerre, par les réorganisations en cours à la direction de la Comptabilité publique et par la crise du recrutement qui affecte l’administration centrale aux lendemains du conflit11. Au final, la commission Hébrard de Villeneuve ne s’est guère illustrée dans les propositions d’économies et de fait, elle est surtout connue pour son œuvre de reclassement qui a abouti avec la loi du 6 octobre 1919.
9Quelques mois plus tard, sur l’initiative de la Chambre du Bloc national, issue des élections du 16 novembre 1919, le Gouvernement décide de créer le Comité supérieur d’enquête sur les économies administratives, présidé par Maurice Bloch, procureur général à la Cour des comptes, ancien directeur au ministère des Finances12. Créé le 14 mars 1920 par François-Marsal, ministre des Finances du cabinet Millerand, le Comité Bloch est rattaché aux Finances et son secrétariat confié le 19 mars 1920 à Pierre Brin conseiller référendaire à la Cour des comptes13. Ses missions sont les suivantes : « rechercher et proposer toutes les mesures susceptibles de réduire les dépenses de toute nature incombant à l’État et notamment de provoquer les modifications et les suppressions de services et d’emplois qui ne seraient pas rigoureusement indispensables ». Il rend compte au ministre, reçoit des pouvoirs étendus d’enquête sur place et sur pièce, mais aucun moyen particulier ni permanent ne lui est affecté ; il peut avoir recours à des mises à disposition en provenance des ministères et des corps de contrôle. Sa composition est d’abord resserrée autour d’un quinqumvirat14, puis s’élargit progressivement jusqu’à une petite vingtaine de membres, sans que jamais, il faut le souligner, le directeur de la toute nouvelle direction du Budget ne fasse partie du comité. Un objectif de résultat est fixé par le Bloc national : la suppression de 50 000 emplois. En 1923, la loi de finances du 30 juin 1923 fixe de nouveaux objectifs de compression (20 000 emplois) et réunit pour la première fois officiellement sous la houlette du comité Bloch les économies budgétaires et la réforme administrative, tandis que sur un amendement de Léon Blum, l’article 102 de la loi de finances prévoit dans les ministères la création de « commissions de premier degré tripartites » afin d’associer aux réformes usagers, administrateurs et représentants des fonctionnaires15.
10Par décret du 17 février 1924, le comité Bloch, placé jusque-là auprès du ministre des Finances, est rattaché à Poincaré, président du Conseil ; ses missions s’étendent désormais à la réorganisation des services et à la réglementation des statuts des personnels civils et militaires ; le programme de réforme administrative est donc désormais complet. Quelques mois plus tard, par décret du 2 juillet 1925, le comité Bloch est refondé par Caillaux, ministre des Finances du cartel des gauches16, qui le rattache de nouveau aux Finances ; composé de 17 membres, il compte désormais un représentant de tous les corps d’inspection et de contrôle des grands départements ministériels : le président, Maurice Bloch, procureur général, un conseiller d’État Tirman (reconduit), un conseiller maître (Chotard), deux inspecteurs généraux des Finances (Drevon et Sauvalle), un sous-chef d’état-major, un contrôleur général de l’armée (Guinand), deux contrôleurs généraux de la Marine (Leconte et Vacquier), deux inspecteurs généraux des Services administratifs, deux inspecteurs généraux des Colonies, un inspecteur général des PTT, un inspecteur général des Ponts et Chaussées, un inspecteur des Finances (du Buit), tandis qu’un conseiller référendaire (Brin, reconduit), un inspecteur des Finances (Boud’hors) et un auditeur au Conseil d’État (Hua) assurent le secrétariat général du comité d’enquête.
11Le bilan des travaux du comité Bloch est mal connu, en l’absence de rapport général et d’archives correspondantes. Il aurait néanmoins proposé les suppressions d’emplois attendues, mais selon les contemporains, ces dernières n’auraient touché que des auxiliaires ou des personnels temporaires de services nés de la guerre et supprimés après la guerre, suscitant l’ironie des observateurs et jusqu’à celle des syndicats eux-mêmes17 ; quant à la réforme des structures et des corps, il se serait heurté à des résistances importantes au point d’être réduit à l’incapacité18. De fait, c’est à un autre comité qu’est confiée la réforme des structures administratives.
12Dans un contexte de concurrence qui oppose le ministre des Finances et la Présidence du Conseil, mais aussi le pouvoir exécutif et le pouvoir parlementaire, à l’initiative de Poincaré, mais sur la demande expresse de la Chambre qui la réclame depuis juin 1922, la commission extraparlementaire des réformes dite comité Marin est créée le 1er août 192219 et installée au ministère des Finances, auprès de Charles de Lasteyrie20. Composée de trois parlementaires et deux hauts fonctionnaires (Marin, député de Meurthe et Moselle, ancien rapporteur général du Budget21, président ; Bloch, procureur général ; Tirman, conseiller d’État ; Magny, sénateur22, Brousse, député et vice-président de la commission des Finances de l’Assemblée23), c’est selon Marin un « directoire » resserré, chargé d’une mission d’aide à la décision, et non un comité consultatif « pléthorique » comme le comité Bloch. Soucieux d’articuler les travaux de son comité avec ceux du comité Bloch, Marin précise dans son rapport qu’il a un mandat gouvernemental (la réforme administrative) et un mandat parlementaire (utiliser les travaux des commissions spéciales tripartites du Comité supérieur d’enquête24).
13L’objectif du comité Marin est encore et toujours de réorganiser l’État pour dégager des économies25, mais non pas comme le comité Bloch pour tel ou tel projet de loi de finance immédiat, mais dans le long terme, en proposant un « plan d’ensemble » pour la réforme générale des services, avec un échelonnement des réalisations. Les principes de réforme proposés par Marin, à moyens constants, sont les suivants : supprimer l’emploi mais pas l’employé (« pour ne pas faire des cadres des révoltés ») ; étendre les circonscriptions pour tenir compte des progrès des communications ; supprimer un échelon hiérarchique partout où c’est possible (l’arrondissement) ; mettre en place une organisation régionale aux dépens du département ; simplifier les rouages administratifs ; éliminer les doubles emplois ; réviser et ajuster les barèmes financiers entre État et communes ; industrialiser les services, notamment les régies… Chaque administration est passée au peigne fin et de nombreuses propositions de rationalisation, de simplification, de regroupement et de fusion sont faites à l’échelon central26 comme à l’échelon local. La transformation des méthodes de travail en vue d’une hausse des rendements, pourtant annoncée, ne fait l’objet d’aucun développement en tant que tel. Est-ce à dire que Marin méconnaît les avancées accomplies par les « méthodes d’administration modernes », suite aux réflexions de Fayol27 ? Une conférence prononcée par Marin le 18 juin 1923 devant le Comité national d’études sociales et politiques, 45 rue d’Ulm à Paris, sous la présidence d’Henri de Peyerimhoff en présence de Corréard, Chardon et Fayol, et les échanges qui ont suivi, attestent du contraire28. Tous semblent tomber d’accord en tout cas sur la nécessaire réorganisation de la Présidence du Conseil, sur la constitution d’états-majors et sur le recrutement et la formation de « chefs » aptes à décider et à commander.
14De l’aveu même de son président, le comité Marin semble avoir rencontré tout au long de son travail d’enquête29 des résistances importantes de la part des personnels et des services, ainsi que de certains milieux parlementaires (Herriot30). Les réflexions amères de Louis Marin pointent la situation de faiblesse institutionnelle d’un tel comité consultatif, dépourvu de moyens indépendants d’enquête, d’information et de coercition ; elles dévoilent en creux l’opacité dans laquelle se tiennent volontairement les administrations, habiles à résister à toute intrusion exogène et les faibles capacités d’un tel organe à voir clair dans les rouages administratifs.
15En dépit de ces réserves, les fruits du comité Marin ne sont pas négligeables : en premier lieu, il faut citer le rapport Marin lui-même, remis 18 mois plus tard au ministre des Finances le 3 novembre 1923, publié au Journal officiel le 10 décembre 1923, premier plan de réforme administrative du XXe siècle appliqué à l’ensemble de l’État et des services publics, monument de la littérature administrative et réservoir de très nombreuses propositions de réforme pour les années à venir. Les propositions du rapport inspirent à Poincaré et Lasteyrie un premier programme d’économies en janvier 1924 (un million de francs d’économies) et conduisent le Gouvernement à demander quelques semaines plus tard des pouvoirs extraordinaires pour appliquer le plan d’économies et de réforme administrative inspiré par le rapport Marin (loi du 22 mars 1924), ce qui contribue à la chute du gouvernement Poincaré et à l’arrivée du cartel des gauches. À moyen terme, le rapport Marin inspirera certains des décrets-lois Poincaré de l’été 192631, pris à l’occasion du plan de redressement financier, économique et monétaire. Contre tous les principes avancés par Marin, la réforme administrative se voit à nouveau étroitement couplée avec la réalisation d’économies budgétaires.
16Dans la première moitié des années 1920, il se produit donc à la fois une oscillation et une confusion entre économies budgétaires et réforme administrative, mais une confusion empirique : on commence par des économies et on finit en réforme administrative, ou le contraire, au gré des circonstances. Les magistrats de la Cour des comptes, surtout lorsqu’ils sont inspecteurs des Finances ou anciens directeurs du ministère des Finances, se voient placés en première ligne dans la recherche des économies budgétaire ; ils bénéficient de l’expertise comptable et budgétaire acquise lors de leur carrière professionnelle et disposent d’un accès aux sources documentaires en finances publiques ; ils bénéficient d’un positionnement transversal et disposent de plus de temps que les administrateurs du ministère des Finances. Rappelons que la direction du Budget, créée fin 1919, démarre à peine son existence32 et que la direction de la Comptabilité publique est engluée dans des difficultés, qui ont précisément causé l’érection de la direction du Budget en direction indépendante33. Entre 1919 et 1923, en face des commissions des finances qui ne relâchent pas la pression budgétaire, c’est la Cour des comptes qui apparaît la mieux placée pour conduire ces nouvelles tâches d’enquête que les administrations opérationnelles n’ont ni le temps ni la capacité d’assurer ; d’où le rôle de Bloch, de Féret du Longbois ou de Brin qui se relayent sur le front des économies.
17Dans cette première phase, l’outil privilégié des comités d’économies reste la suppression des « emplois inutiles ». Il faut rappeler qu’à l’époque, les crédits de matériel sont insignifiants et que les subventions économiques ne sont pas encore aussi massives qu’elles ne le deviendront plus tard, de sorte que la compression budgétaire des effectifs, pratique élémentaire et rustique, est le seul instrument dont le Gouvernement dispose à l’époque, le seul qu’il puisse mettre en œuvre rapidement et qui ait un impact fort sur l’opinion. Néanmoins, des fragilités structurelles handicapent les premiers comités d’économies et de réforme administrative : des moyens d’investigations faibles dans les services (pas de contrôles sur place), le manque de personnels qualifiés, la totale dépendance du bon vouloir des administrations « dépensières », l’impossibilité de connaître les effectifs et la situation réelle des personnels. Aux injonctions des comités d’économies, les services opposent lenteur et allongement des délais de réponse ; ils concèdent quelques économies « comptables », fruit de l’écart entre effectifs budgétaires et effectifs réels, et sacrifient temporairement les postes d’auxiliaires, véritable variable d’ajustement. Ils jouent l’inertie contre la chute prévisible du cabinet en place, alimentant dans l’opinion l’accusation d’impuissance en ce qui concerne la décision et l’accusation d’inefficacité en ce qui concerne les résultats. Des économies de papier somme toute34 !
18Dans la séquence suivante, de 1924 à 1931, aucun comité d’économies budgétaires et de réforme administrative n’est institué sous ce nom. Ni sous le cartel des gauches qui tente une autre voie de la réforme administrative en reconnaissant les associations des fonctionnaires, en encourageant leur « collaboration » et en sollicitant un Comité des experts économiques35. Ni sous le second cabinet Poincaré qui, à partir de juin 1926, parce qu’il dispose déjà des travaux du comité Marin de 1923 et de ceux du comité des experts de 1926, procède directement dans le cadre de son programme de redressement à des compressions d’emplois36, ni sous le gouvernement Tardieu qui a pourtant inscrit à l’agenda la réforme de l’État mais qui dispose de marges de manœuvre budgétaires que ses prédécesseurs n’ont pas connues37.
II. Les comités d’économies ou la réforme administrative par l’organisation de la déflation budgétaire, 1932-1939
19Afin de résoudre la crise budgétaire qui s’installe dans le sillage de la crise économique de 1930, les gouvernements issus du néo-cartel des gauches optent à partir de 1932, en dépit des protestations des associations de fonctionnaires qui leur avaient apporté leur soutien électoral, pour « la réduction du train de vie » de l’État. Au-delà de la suppression des postes et des emplois inutiles, ils vont enclencher une vitesse supérieure dans l’élaboration et l’application des nouveaux outils de compression budgétaire, en passant de la réduction des effectifs des fonctionnaires, trop incertaine, à la réduction de leurs rémunérations, bien tangible, elle.
20Dès juin 1932, le ministre des Finances Germain-Martin présente un projet de loi d’économies qui comporte un prélèvement sur les traitements, mais c’est finalement le ministre du Budget Palmade qui, par la loi du 15 juillet 1932, impose pour la première fois un abattement forfaitaire de 5 % sur les dépenses de personnel, mais sans diminution de traitement ni arrêt de l’avancement. À l’automne 1932, un nouveau projet de loi de finances, présenté par le ministre des Finances Chéron, qui prévoit une réduction de 2 à 10 % sur les traitements supérieurs à 12 000 francs plus une suppression de 38 000 emplois civils et militaires sur deux ans, entraîne la chute du cabinet Paul-Boncour le 28 janvier 1933. Le décret Chéron du 2 janvier 1933 a néanmoins le temps de suspendre les recrutements pour un an, mesure dont la direction du Budget attend un fort impact sur l’organisation administrative38 : « La suspension du recrutement revêt à cet égard un double caractère ; elle constitue, en même temps qu’une mesure d’attente, un moyen d’action actif ». Le but, c’est de développer des vacances de postes, qui obligeront soit à des suppressions définitives d’emploi, soit à des reclassements et des mutations, soit à des modifications d’organisation du travail. Elle conclut : « Les mesures de ce genre constitueront à proprement parler l’amorce de la réforme administrative ». La loi du 28 février 1933 impose le prélèvement exceptionnel de 2 à 8 % sur les traitements supérieurs à 12 000 francs, des limitations au cumul des rémunérations et des pensions, des mises à la retraite unilatérales et d’importantes économies sur les personnels militaires.
21Outre la réduction des rémunérations et les suppressions d’emplois, pour la mise en œuvre de sa politique de déflation administrative, le gouvernement Herriot reprend le vieux modèle du comité d’enquête Bloch de 1920 et de 1925 et installe à l’automne 1932 auprès du ministre du Budget Palmade le Comité supérieur d’économies39, à la tête duquel il place à nouveau Bloch, procureur général près la Cour des comptes, que remplace quelques mois plus tard Labeyrie, proche de Caillaux40. Le nouveau comité, composé uniquement de hauts fonctionnaires, compte un conseiller d’État (Richard), un conseiller maître (Brin), un inspecteur général des Finances (Drouineau), un contrôleur général de l’Armée (Soubeyrand), un contrôleur général de la Marine (Arnould), un inspecteur général des services administratifs de l’Intérieur (Imbert), un inspecteur général des Colonies (Moretti) et, pour la première fois, le directeur du Budget et du Contrôle financier (Haguenin41). Le Comité supérieur d’économies « est chargé de rechercher et de proposer toutes mesures de réduction de dépenses ainsi que de provoquer les modifications et les suppressions de services et d’emplois qu’il ne reconnaîtra pas indispensables. Il devra également proposer dans l’application des lois ou dans le texte même des lois toutes les réformes qui pourront entraîner des économies ».
22La réforme administrative n’a plus aucune existence autonome, elle est totalement absorbée dans la recherche des économies budgétaires. Le très efficace directeur du Budget, Haguenin, met sa direction au travail et mobilise le réseau des contrôleurs des dépenses engagées pour obtenir des propositions d’économies et de réorganisation42.
23L’article 77 de la loi du 28 février 1933 confie quelques semaines plus tard au comité supérieur d’économies la révision des indemnités accordées aux fonctionnaires, dans les administrations comme dans les offices, tandis que les articles 73, 78, 79 et 80 instituent respectivement une commission de recherche des abus sur les retraites et les pensions et une commission des offices. Le comité d’économies démarre dès février 1933 son enquête sur les indemnités allouées aux fonctionnaires, à laquelle un objectif ambitieux est fixé : faire 400 millions d’économies, ce qui représente selon la direction du Budget au moins 25 % de réduction sur les crédits de personnel43 ! Comme en 1919, 1920 et 1922, la procédure prend la forme d’une enquête écrite44, envoyée à tous les ministères dépensiers, qui transite par les directions du personnel jusqu’aux commissions tripartites des ministères techniques ; l’enquête dans chaque ministère est placée sous la responsabilité d’un enquêteur extérieur au ministère concerné45.
24Le comité Bloch II, outre son président, fait un second emprunt au comité Bloch I. Le gouvernement du néo-cartel des gauches veut en effet faire droit aux revendications portées par le syndicalisme gestionnaire et réformiste de Georges Mer et de L’État moderne ou, du moins, fait comme s’il y croyait ; il reprend donc l’amendement Blum de 1923 et institue des commissions tripartites ministérielles dites de premier degré, « associant usagers, syndicats et administrateurs pour la recherche et la proposition d’économies ou de réorganisation de services46 ». C’est l’heure pour G. Mer et pour les membres de L’État moderne de faire la preuve de l’intérêt du « syndicalisme d’intérêt général » ! L’État moderne encourage ses troupes à s’investir dans les commissions tripartites et à faire des propositions constructives d’amélioration de la gestion. Conséquence de cette coopération syndicale, la composition du comité supérieur est modifiée le 20 mars 1933 par l’adjonction de quatre représentants du personnel. Malgré ces efforts, les commissions tripartites mettent beaucoup de temps à se former, de mars à juillet 1933, à se réunir, à faire remonter des propositions de réorganisation et à statuer sur les indemnités47… Pendant le printemps et l’été 1933, le comité d’économies désormais présidé par Labeyrie, en étroite collaboration avec la direction du Budget, fait les lettres de rappel, donne des instructions, étudie les premières propositions et les transmet au président du Conseil qui décide un certain nombre de mesures d’économies ; ces décisions sont transmises aux ministères « dépensiers », via les contrôleurs des dépenses engagées, qui doivent prendre les décrets correspondants et les soumettre au contreseing. La loi du 23 décembre 1933 proroge les pouvoirs du comité Bloch sur les indemnités, car les travaux du comité n’ont toujours pas abouti. Les ministères font traîner les choses jusqu’en mars 1934, au grand mécontentement de la direction du Budget qui réclame aux ministères dépensiers depuis septembre 1933 les décrets d’application, accompagnés du visa des contrôleurs des dépenses engagées48. En avril 193449, à la faveur des décrets-lois Doumergue, la DB décide d’appliquer les nouveaux taux d’indemnités déterminés par le comité supérieur d’économies en pratiquant un abattement de 20 % aux administrations d’État comme aux offices. La coercition se fait par le truchement des contrôleurs des dépenses engagées qui se voient intimer l’ordre de ne plus viser les anciens taux ! À partir des décrets-lois Doumergue, Labeyrie, président du Comité supérieur d’économies, entre dans une opposition ouverte à la politique d’économies, qu’il qualifie d’« anti-fonctionnaires ». Sa démission au printemps 1934 semble mettre fin à l’expérience du Comité supérieur d’économies et des commissions tripartites, rare exemple transversal et interministériel dans l’entre-deux-guerres d’une réforme administrative « par le bas » associant les fonctionnaires à la gestion des services et à leur réorganisation ! C’est une occasion manquée pour le syndicalisme gestionnaire et réformiste de G. Mer dont la théorie sur la réforme administrative est désormais concurrencée par celle de J. Patouillet, membre directeur également de L’État moderne, favorable à une réforme administrative par le haut, verticale, autoritaire et menée de l’extérieur.
25Suite à la crise de février 1934, la réforme de l’État est mise à l’agenda politique, mais l’heure n’est plus à la collégialité ni à la concertation avec les services et les syndicats. Une ère plus technocratique et verticale s’ouvre, substituant aux lentes remontées du comité d’économies l’abrupte procédure descendante des décrets-lois. La direction du Budget d’Haguenin est désormais en première ligne, sans intermédiaire ni écran maintenant que le comité supérieur d’économies a suspendu ses travaux, seule sur le front de la déflation administrative et budgétaire50… Les décrets-lois du 4 avril 1934 et du 14 avril 1934 réalisent un grand plan de réforme administrative par une réduction autoritaire et forfaitaire de 10 % des effectifs des agents de l’État et des dotations correspondantes51, par l’instauration et la hausse des prélèvements sur salaires et par la suppression d’un certain nombre de services (à réaliser avant le 30 mai 1934) ; 750 millions d’économies en sont attendus52. Les décrets qui s’échelonnent du 4 avril jusqu’au 8 juillet 1934 traitent des prélèvements sur traitements53, de la réduction des crédits de matériel, de la réduction des pensions, de la mise en retraite anticipée des agents de l’État en surnombre, de la cessation de fonctions des fonctionnaires admis à faire valoir leurs droits à la retraite, du dégagement des cadres des armées, de la réglementation des pensions et des retraites, de la suppression des pensions abusives, de l’interdiction des cumuls de rémunérations publiques (pensions, salaires, allocations), de la réduction des subventions et des dépenses d’assistance, de la réorganisation des marchés publics, de la fusion d’organismes ou d’Offices, des retenues sur pensions et retraites, de la réglementation des soldes et émoluments des agents de l’État, du licenciement des agents, de la suspension de l’avancement, etc.54 Toute la panoplie des outils budgétaires possibles et imaginables en matière d’économies est mobilisée. On retiendra l’utilisation – promise à un grand avenir bien qu’immédiatement contestée55 – de l’abattement forfaitaire, outil systématique et global, qui tout en manifestant la détermination du Gouvernement trahit aussi la difficulté qu’ont les responsables de la direction du Budget à établir et à imposer des mesures plus fines, plus sélectives, par catégories de fonctionnaires, par services ou par ministère56.
26Cette brutale politique de déflation administrative, prolongée par décrets jusqu’au 31 décembre 1934, trouve son origine dans la prise de conscience que le modèle concertatif, fondé sur la croyance en la bénévolence des services et des Comités consultatifs d’économies, ne fonctionne pas : aucune administration n’accepte de son plein gré de se réformer d’elle-même, encore moins de s’amputer. Il faut un choc venant d’en haut ou d’ailleurs, un dispositif décisionnaire autoritaire, hiérarchique et coercitif. En 1934, il se produit donc un renversement des perspectives et un retournement du couple réforme administrative-économies : les économies budgétaires ne sont plus l’objectif et le fruit recherché, proche ou lointain, de la réforme administrative comme dans les années 1920, mais elles sont le moyen coercitif pour réaliser la réforme administrative. Parlant de « l’œuvre de réforme » et de la réduction du nombre des fonctionnaires, les auteurs du rapport au président de la République du décret-loi du 4 avril 1934 expliquent57: « Nous avons jugé qu’il n’existait qu’un seul procédé : la réduction du nombre de fonctionnaires, contraignant les administrations à modifier elles-mêmes leurs méthodes ». Plus loin : « nous vous demandons de faire la réforme administrative, non plus comme un moyen de supprimer des emplois, mais comme le résultat – inéluctable – de suppressions d’emplois. […] Ce n’est que par une réduction imposée du nombre de fonctionnaires que les administrations se trouveront contraintes de faire en quelque sorte un examen de conscience, de rechercher les aménagements d’effectifs indispensables, de simplifier les méthodes de travail, d’utiliser plus complètement l’activité de chacun ».
27La circulaire de la DB du 7 avril 1934 insiste : c’est « la réduction des effectifs qui doit obliger les administrations à simplifier leur organisation et leurs méthodes de travail, rechercher tous aménagements et fusions des services possibles, réaliser en un mot, la réforme administrative58 ». Les économies budgétaires sont devenues des instruments tactiques pour faire bouger la machinerie administrative : en organisant sciemment et de façon délibérée le rationnement et la pénurie en personnels, le Gouvernement espère contraindre l’État à se réorganiser ! L’articulation entre économies budgétaires et réforme administrative ne se fait plus sur un mode empirique, mais selon un dispositif rationalisé, systématique et hiérarchisé, au sein duquel les économies budgétaires deviennent les outils de la réforme administrative : il faut faire des économies pour réaliser la réforme administrative.
28Ce plan rationalisé de réforme administrative est prolongé en juin 1935 par une nouvelle mobilisation des contrôleurs des dépenses engagées chargés de « faire connaître les abus qu’ils auraient pu relever dans l’exercice de leurs fonctions59 », puis par un nouveau train de décrets-lois et par une inflation exponentielle de comités d’économies et de commissions d’enquêtes. De fait, la crise budgétaire s’aggravant, les décrets Doumergue-Germain-Martin sont suivis par les décrets-lois Laval-Régnier de l’été et de l’automne 193560 ; échelonnés entre le 2 juillet et le 31 octobre 193561, ces derniers ne font qu’amplifier tous les dispositifs inventés depuis 1932 : à toutes les mesures de 1934, s’ajoute notamment le prélèvement bien connu de 10 % sur les traitements, sans abattement ni exonération sur les petits salaires62.
29Le dispositif de compression budgétaire s’accompagne d’une série de comités d’enquête et d’économies en tout genre : la commission de recherche et de suppression des cumuls63; le comité supérieur d’examen des méthodes et des résultats de la gestion de l’Armée de l’air, marine et terre64; le comité supérieur de l’administration communale et départementale, appuyé sur des missions de contrôle départementales65 ; les « comités chargés de rechercher et de proposer toutes mesures tendant à la suppression ou à réduction des dépenses publiques institués dans chaque ministère et coordonnés par la Présidence du Conseil » sous l’impulsion de Raoul Dautry66 ; la commission supérieure de révision des pensions67, auxquels il faut ajouter les comités ministériels de contrôle financier institués par le décret du 30 octobre 1935 portant réforme de la comptabilité et du contrôle financier (article 8 à 18). Tous ces comités sont composés par les membres des trois grands corps, le Conseil d’État, la Cour des comptes et l’Inspection des finances qui se répartissent de façon alternée ou paritaire leur présidence, avec une participation plus ponctuelle du contrôle général des Armées et de la Marine ; en revanche, les membres des corps techniques de l’État, les ingénieurs ou les intervenants extérieurs ne font encore qu’une apparition symbolique, concentrée dans les comités de réorganisation Dautry. Compte tenu de leur nombre et de leurs chevauchements, on peut s’interroger sur la manière dont ces comités ont pu fonctionner68 et, de fait, la question de leur coordination n’a pas échappé au cabinet du président du Conseil69.
30En dehors du prélèvement forfaitaire sur les traitements, quel est le bilan budgétaire des mesures de réorganisation et d’économies égrenées tout au long de l’année 193570 ? Le Gouvernement pouvait-il espérer toucher immédiatement les fruits de ses efforts ? Quelques mois plus tard, le Front populaire à son arrivée au pouvoir met fin à la politique de déflation administrative des gouvernements Doumergue-Laval et rapporte une partie de leurs décisions en matière de rémunérations, notamment celles concernant les fonctionnaires et les pensionnés les plus modestes.
31Il faut attendre le gouvernement Daladier et la pression croissante que le réarmement fait peser sur le budget français pour que la réforme administrative revienne sur le devant de la scène : en novembre 1938, suite à la loi du 5 octobre 1938, est institué auprès de Paul Reynaud, ministre des Finances, un nouveau comité de réforme administrative (CRA71), surnommé familièrement comité de la Hache. Le ministre, tentant de tirer les leçons des comités de la période 1932-1935, énonce des principes nouveaux : le comité, s’il n’est pas doté de la permanence, est installé pour une durée d’au moins trois ans et se voit assuré d’une certaine continuité. Soumis à un calendrier contraignant pour la restitution de ses travaux, il est également autorisé à transformer ses propositions en décisions au cours de l’année 1939 et en propositions de loi à partir du 1er janvier 1940 ; une attention particulière sera accordée aux « suites » données à ses décisions. Refusant tout comme le comité Marin de travailler pour le court terme, il ambitionne de réfléchir en profondeur à la réforme des administrations, sur le mode de l’aggiornamento : il s’agit d’« adapter les rouages administratifs », de « rechercher quelle est la mission de l’administration française » et de déterminer « les meilleures méthodes pour qu’elle puisse la remplir72 ». Le champ d’étude du CRA est d’une amplitude inégalée : organisation et fonctionnement des administrations centrales et des services extérieurs ; organisation et fonctionnement des services concessionnaires et des sociétés d’économie mixte ; situation financière des collectivités locales ; organisation et fonctionnement des services d’armement militaire, y compris les sociétés privées travaillant pour la défense nationale. De façon significative, dans l’exposé des motifs, le terme « économies » n’est pas prononcé ; du point de vue des méthodes, Reynaud affiche haut et fort le refus des commissions ministérielles de premier degré et réfute « l’abattement forfaitaire » sur les crédits, du fait même de sa rusticité : « nous repoussons la solution commode qui consisterait à réduire tous les crédits de façon automatique ; ses inconvénients résultent de sa simplicité même. Les services les plus utiles et les mieux gérés sont pénalisés dans les mêmes proportions que les administrations trop dépensières73 ». En revanche, à la fin de l’exposé des motifs et dans l’article 6 du décret, on apprend qu’un gel des recrutements a été décidé pour trois ans et que le CRA devra en proposer un programme « personnalisé », ministère par ministère… Le rationnement budgétaire se fait certes plus sélectif et discret, il n’en est pas moins là.
32La composition du CRA mérite l’attention, car elle diffère de celle des Comités d’économies antérieurs, qui répartissaient par des dosages savants et paritaires les appartenances aux grands corps de l’État et aux corps de contrôle : les membres du quinqumvirat sont l’ancien vice-président du Conseil d’État, Georges Pichat74, l’ancien directeur du Budget et sous-gouverneur au Crédit foncier, René Villard75, le conseiller maître Pierre Brin, le directeur général des Douanes Louis Hyon76 et Théodore Rosset directeur de l’Enseignement supérieur77. Avec Pichat et Villard, le CRA introduit une nouvelle figure de réformateur, le haut fonctionnaire d’expérience, indépendant, disposant du recul nécessaire : le « sage ». Le CRA innove également par la nomination de chefs de service opérationnels des ministères techniques (Rosset et Hyon). En revanche, la présence pivot de la Cour des comptes est assurée par Brin, tandis que le secrétariat est réparti entre les mains du Conseil d’État (Jean Toutée78) et de l’Inspection des finances (Adéodat Boissard79). Le directeur du Budget n’est plus membre du comité, mais le secrétariat du CRA est rattaché au secrétariat général du ministère des Finances dont le responsable n’est autre qu’Yves Bouthillier, ancien directeur du Budget en 1935, rappelé rue de Rivoli de la direction des Finances de la Ville de Paris, où le Front populaire l’avait relégué, par Paul Reynaud.
33Le CRA tente de mettre en place de nouvelles méthodes de travail ; il utilise une armée d’enquêteurs rapporteurs mis à sa disposition à plein-temps80, capables de « lui consacrer le meilleur de leurs activités », nommés conjointement par lettre de mission du président du Conseil et du ministre des Finances, détachés ou placés en position hors-cadre ; ces derniers sont organisés en « missions », par ministère, sous la responsabilité d’un chef de mission81, selon le modèle croisé inauguré par le comité Bloch II (un enquêteur ne peut enquêter dans son ministère d’origine). Pour la première fois et de façon massive, le CRA fait appel aux ingénieurs des corps techniques de l’État qui font leurs premières armes dans la réforme administrative sous la houlette des inspecteurs des Finances et des conseillers maîtres, il a également recours à des experts externes à l’administration comme à un ou deux professeurs de droit82. Quelques « missions » thématiques spécialisées sur des questions transversales sont organisées en parallèle : « Fonctionnaires83 », « Offices, concessions, économie mixte », « Région parisienne ». Obligation est faite aux rapporteurs de rendre leur rapport dans un calendrier donné, quinze jours ou un mois maximum après la lettre de mission. Parallèlement, le secrétariat général du CRA s’appuie sur les directions transversales de la rue de Rivoli (direction du Budget, Contrôle financier, Mouvement général des fonds) pour établir son plan d’enquête, pour identifier les secteurs d’intervention potentiels et pour recouper les informations84. Le souhait d’un minimum de concertation avec les syndicats, ou à tout le moins d’information, semble avoir été émis85.
34Les résultats ne se font pas attendre, mais contre toutes les déclarations vertueuses affichées par Paul Reynaud, ce sont essentiellement les économies qui sont au rendez-vous de la réforme administrative. Un premier train d’économies est intégré dès le vote du Budget 1939, puis un plan d’économies est annoncé par Paul Reynaud devant le CRA le 25 janvier 1939. Enfin, en exécution de la loi du 13 mars 1939, sur la proposition du CRA, le Gouvernement publie un « train » de 40 décrets-lois en vue de faire face aux nécessités de la défense nationale, qui s’échelonnent du 20 mars au 21 avril 193986 : 11 décrets sur la défense nationale, 4 sur la fraude fiscale, 4 sur la taxe d’armement et les dégrèvements fiscaux, 12 sur l’allégement des charges de l’État, 5 sur le régime de travail et d’embauche, 4 pour des mesures diverses. En définitive, peu nombreux sont les décrets que l’on peut explicitement rattacher à la réforme administrative ou à la rénovation de la gestion de l’État : l’accélération des payements de l’État, les annulations de crédits sur le budget des Travaux publics, la rationalisation comptable et budgétaire, la participation financière de l’État à l’amortissement de la dette publique, la réorganisation de la Caisse nationale de crédit aux départements et aux communes, la réforme du régime administratif de la Ville de Paris et du département de la Seine, l’équilibre financier des régies départementales… Outre ces décrets de rationalisation administrative, les autres portent sur des réductions d’effectifs et des suppressions d’emplois, et prévoient même des licenciements (« résorption des personnels en surnombre », réduction des auxiliaires de la SNCF, simplifications administratives dans les offices, suppression d’emplois dans les tribunaux) ; les agents licenciés se voient offrir un reclassement, un pécule de départ ou une mise en disposition temporaire.
35Selon Bonnefous, ministre de la Réforme administrative après-guerre et auteur d’un ouvrage de synthèse sur le sujet87, ces décrets ne présenteraient pas de cohérence d’ensemble. Ils constitueraient en définitive un mauvais plan d’économies budgétaires, fondé comme les précédents sur des suppressions d’emploi, mais dépourvu du systématisme et de l’exhaustivité dont aurait fait preuve le plan Doumergue de 1934. Le travail du CRA n’aurait pas eu le temps de porter ses fruits et aurait dégénéré en mesures disparates d’économies, à l’exception de la réforme de la préfecture de Paris et de la Seine. De fait, en raison de la préparation de la guerre, le CRA voit ses travaux prévus à l’origine pour trois ans tourner court, les priorités sont désormais ailleurs. Paul Reynaud lui-même, cinq mois après le démarrage des travaux du CRA, dans son discours du 21 avril 1939, exprime sa désillusion et indique que, seul, le rétablissement des 45 heures par semaine permettrait de diminuer véritablement les effectifs des services publics. Chose acquise avec le décret-loi du 21 avril 1939…
36Pour conclure sur l’entre-deux-guerres, il faut noter le véritable crescendo qui marque la politique budgétaire entre 1920 et 1938, avec des économies de moins en moins virtuelles, de moins en moins « comptables », de plus en plus imaginatives et de plus en plus réelles. Mettant en cause la croissance du nombre des fonctionnaires depuis 1914 (le décret-loi de 1934 allègue une augmentation de 30 % des emplois publics), cette politique se focalise presque exclusivement sur la question des effectifs des fonctionnaires et de leurs rémunérations, et ignore encore les subventions économiques, qui quelques années plus tard seront au cœur de la politique d’économies de la IVe République. Elle cristallise, dans un même dispositif politique budgétaire, politique des emplois publics et réforme administrative, triangulaire à laquelle Paul Reynaud autant que Louis Marin ont tenté d’échapper – sans succès – et que la IVe République aura les pires difficultés à dénouer.
37L’administration active, épaulée par l’administration consultative des comités d’économies, construit dans la période un véritable arsenal d’outils de gestion budgétaire et met en place une politique de gestion des ressources humaines « à l’envers », fondée sur la compression des effectifs, des dépenses de personnels et de leurs rémunérations et sur « l’abattement forfaitaire » : réduction des auxiliaires et des personnels en surnombre, gel des recrutements, suspension ou retard à l’avancement, prélèvements forfaitaires ou progressifs sur les traitements et les pensions, suppression ou réduction des indemnités, limitation des cumuls de rémunérations, chasse aux indemnités et aux pensions abusives, lutte contre l’absentéisme, augmentation du temps de travail hebdomadaire, mises à la retraite d’office, mises en retraite anticipée, reclassements, licenciements (avec pécule ou non), réorganisations de services, abattement forfaitaire sur les crédits de personnel et sur les crédits de matériel… Ces outils en partie aveugles, mais simples d’application et globaux, manifestent l’inventivité budgétaire de la direction du Budget et sa croissante capacité de coercition sur les ministères « dépensiers » : usage du contreseing, action directe sur les services payeurs, visa obligatoire du contrôle des dépenses engagées, rôle des contrôleurs financiers et des comités ministériels de contrôle financier, enquêtes sur pièces et sur place, décrets-lois, etc. Par leur brutalité, ils traduisent la détermination du Gouvernement dans la conduite de la déflation administrative et dévoilent sa croyance en la vertu et l’efficacité des économies pour régler le déficit budgétaire. En face, les services déploient tous leurs stratagèmes de dissimulation, d’opacification et de résistance en multipliant « fausses » économies, procédés comptables, refus et retards de réponse, demandes de dérogation88, interventions parlementaires, pressions et menaces, grèves, avec un succès de moins en moins assuré dans le temps. L’abattement forfaitaire sur les crédits de fonctionnement, contesté dès l’origine, devient dans les années 1930 un outil de gestion basique et banalisé de la politique d’économies à la direction du Budget. En revanche, les prélèvements sur traitement, la baisse nominale des rémunérations et les mises à la retraite d’office qui ont constitué entre 1933 et 1935 un véritable choc administratif, social et politique, ne seront pas réitérés dans l’après-guerre, à l’exception des dispositifs militaires de dégagement des cadres ; les hommes politiques et les fonctionnaires ont la mémoire longue ! Dans la mémoire collective, Laval et Bouthillier portent l’opprobre de cette politique de déflation budgétaire, opprobre décuplé par les responsabilités qu’ils ont par la suite assurées à la tête de l’État Français ; Reynaud a pris des mesures tout aussi impopulaires, mais il bénéficie des circonstances atténuantes de la préparation de la guerre et du réarmement et touche les dividendes politiques de son attitude de retrait pendant « les années noires ».
38Quelles traces ont laissées dans la structure des dépenses publiques ces successifs plans d’économies89 ? Les travaux de C. André et R. Delorme ont montré pour les années 1920 la très forte croissance des dépenses civiles après 1918, le retournement de tendance à partir du début des années 1920 – que le cartel des gauches n’inverse pas – et la décrue des dépenses civiles et étatiques qui touche son point le plus bas avec la stabilisation Poincaré. Pour la séquence suivante, après la reprise des dépenses publiques (plan d’outillage et dépenses sociales du gouvernement Tardieu), leurs travaux mettent en lumière le nouveau coup d’arrêt mis à la croissance des dépenses civiles à partir de 1933 puis leur chute, tendance que le Front populaire à son tour n’inverse pas, et qui trouve son point culminant en 1938 avec l’expérience Reynaud. Il est difficile d’établir un lien de cause à effet direct entre l’existence des comités d’économies et de réforme administrative et la courbe des dépenses civiles et étatiques, mais on ne peut manquer de remarquer la coïncidence des dates et la superposition des séquences ; les comités d’économies n’ont certes pas à eux tout seuls causé la décrue de la dépense publique, mais ils y ont contribué par la stabilisation ou la diminution des effectifs de fonctionnaires et ont en tout cas accompagné administrativement, politiquement et symboliquement les politiques budgétaires de compression menées par les gouvernements des années 1920 et 1930. Les réformateurs de l’administration de l’après 1945, qu’il s’agisse de Bonnefous, de Closon à la tête de l’INSEE, de Gabriel Ardant, secrétaire général du CCECRSP en 1946 ou de Goetze directeur du Budget de 1949 à 1956, se sont montrés sévères sur le bilan des comités d’économies et de réforme administrative de l’entre-deux-guerres, mais leur jugement, influencé par les échecs de l’après 1945, n’est pas exempt de parti pris et vise surtout à mettre en valeur les nouvelles orientations qu’a prises la réforme administrative dans l’après-guerre sous leur direction.
39Dans l’entre-deux-guerres, à gauche comme à droite, les hommes politiques et les parlementaires (Brousse, Marin, Blum, Caillaux), les « technocrates » (Haguenin, Bouthillier, Bloch, Labeyrie, Dautry, Boissard, Pichat, Brin, Sauvy, etc.), les ministres des Finances et les présidents du Conseil, de Poincaré à Reynaud en passant par Lasteyrie, Germain-Martin, Bonnet, Chéron, Paul-Boncour, Laval, Doumergue, Régnier et même Herriot, Péret et Blum ont prêté peu ou prou la main à la politique d’économies et à ses comités de réforme administrative ; l’enjeu politique reste considérable, et sur la seule annonce d’un plan d’économies, un gouvernement peut tomber. L’opposition, et notamment les syndicats de fonctionnaires, accorde elle-même du crédit à cette politique d’économies, puisqu’ils la combattent durement et se mobilisent contre elle par des campagnes de presse et de « résistance » administrative, par des arrêts de travail et des menaces de grève. Seuls, la presse et les milieux d’affaire ou patronaux semblent n’avoir jamais perdu leur sceptique ironie…
40Le déploiement du système des comités d’économie et de réforme administrative, véritable poussée d’administration consultative dans le domaine des finances publiques, est dans la période une réalité profondément ambivalente et évolutive. Cette « polysynodie » suscitée au début des années 1920 en grande partie par les commissions des finances du Parlement vient épauler dans la première séquence une administration active encore trop peu outillée ou trop faible en ressources humaines pour élaborer elle-même ses propres programmes d’économies et de réforme administrative (commission Hébrard de Villeneuve, comité Bloch I, comité Marin) ; les comités d’économies fonctionnent ici comme des organes ad hoc ou comme des petites administrations de missions temporaires et consultatives. Au tout début des années 1930, alors que le régime politico-administratif de la IIIe République ne dispose pas, en dehors du Parlement, d’organe officiel de concertation réunissant administrateurs, Gouvernement, syndicats de fonctionnaires et usagers90, la multiplication des comités manifeste une recherche de la collégialité et de la concertation dans la préparation des décisions de réforme. Cette inspiration marque néanmoins très vite le pas devant un modèle plus autoritaire, plus hiérarchique et plus technocratique, incarné par la direction du Budget en 1934-1935, bien en phase avec la procédure des décrets-lois, dans lequel les comités se contentent de tenir un rôle de figuration symbolique, au mieux d’accompagnement technique, voire d’alibi. À la fin des années 1930, la « polysynodie » fait office de coordination interministérielle pour un État qui en est encore en grande partie dépourvu et que se disputent un ministère des Finances très organisé (la DB) et une présidence du Conseil encore mal outillée pour parvenir à imposer son point de vue. Enfin, sur l’ensemble de la période, alors que le Parlement et le Gouvernement se sentent démunis face à la croissance et à l’épaississement de l’État, les comités d’économies et d’enquête administrative apparaissent comme l’un des moyens pour tenter de faire reculer l’opacité de l’administration et pour produire des connaissances sur l’état réel des services et des personnels qui la peuplent. On comprend dès lors que la direction du Budget s’y soit investie à partir de 1932 : c’est une façon pour elle de collecter des informations supplémentaires, moins intermédiées, et d’établir une connaissance rapprochée et plus directe des services, grâce aux enquêteurs et aux contrôleurs sur place…
41Au sein de ce dispositif polysynodal qui laisse émerger une communauté étroite d’experts d’État en finances publiques et en administration, il faut noter le poids croissant de la Cour des comptes. Représentée tout d’abord à titre personnel par un seul de ses magistrats (le procureur général Bloch), la Cour des comptes connaît dans les années 1930 une implication collective croissante dans les travaux d’économies budgétaires et de réforme administrative, grâce à l’attribution « de droit » de très nombreux postes d’enquêteurs, de rapporteurs, de contrôleurs, de secrétaires et de présidents de comités. Ces collaborations sont à rapprocher de la participation active des magistrats de la Cour aux comités de contrôle financier, créés en 1935, chargés de contrôler la gestion a posteriori des ministères et coiffés en 1936 par un Comité supérieur de contrôle financier logé précisément rue Cambon. À travers ces diverses activités de commissions d’économies et de contrôle, la Cour des comptes se voit associée directement à la gestion des ministères, ce qui constitue une véritable innovation par rapport à son rôle strictement juridictionnel, comptable et traditionnellement tourné vers le passé. Aux côtés de la Cour des comptes, sont progressivement mobilisés les représentants des autres corps de contrôle, notamment l’Inspection des finances, qui connaît elle aussi un mouvement accru de « sortie » de ses attributions traditionnelles de vérification des services financiers, investissant les postes de contrôleurs des dépenses engagées puis de contrôleurs financiers, ainsi que les commissions d’enquête et de réforme au sein des « ministères dépensiers ». C’est bien la montée du ministère des Finances, et plus exactement celle du Budget, qui frappe, illustrant en creux la faiblesse persistante de la présidence du Conseil, trop fragile à l’époque pour conduire une politique autonome de réforme administrative sans le secours des services de la rue de Rivoli. À partir des années 1930, la direction du Budget, forte des acquis de la stabilisation Poincaré, emmenée par une série de directeurs inspecteurs des Finances inventifs et expansionnistes (Denoix, puis Haguenin91 et Bouthillier), se fait le bras armé de la politique de déflation administrative et budgétaire du Gouvernement ; avec ou sans le parapluie protecteur des comités d’économies, elle assure grâce au concours des contrôleurs des dépenses engagées et des contrôleurs financiers la mise en œuvre des dispositifs de compression budgétaire, ce qui lui vaut une sévère diminutio capitis lors de l’avènement du Front populaire en 1936. Mais c’est bien dans cette période qu’elle construit et consolide face au Conseil d’État et à la Cour des comptes une expertise inégalée en termes de gestion des personnels civils et militaires et des pensionnés de l’État (PCM), expertise que les réformes de la Libération en matière de fonction publique ne parviendront pas à ébranler véritablement…
42Sous le régime de Vichy, sauf à considérer le comité budgétaire comme tel, la réforme administrative n’a pas spécifiquement recours aux comités d’économies et explore des voies alternatives : interdiction des syndicats de fonctionnaires, élaboration d’un statut pour les fonctionnaires de 1941, refonte du système budgétaire, réorganisation du ministère des Finances et de la Cour des comptes, mise sur pied de toutes pièces d’une administration économique, réforme régionale, etc. Elle prend même de facto le contre-pied de l’ancienne politique d’économies budgétaires, en recrutant de nombreux auxiliaires et contractuels pour remplacer les agents prisonniers et en procédant à la création de très nombreux services pour répondre aux besoins générés par l’économie d’occupation et par le régime autoritaire et policier de l’État français92.
III. Les commissions d’économies de la IVe République, 1945-1950 : succès et désillusions
43Fin 1944, avec le retour à la paix et à la légalité républicaine, tout se passe comme si le schéma de 1918-1920 recommençait : retours des déficits budgétaires, plaintes sur les désordres comptables et financiers, déploration de la croissance des effectifs des fonctionnaires, désormais mieux mesurable grâce aux progrès réalisés par la statistique des fonctionnaires mise en place sous l’Occupation, prise de conscience de l’alourdissement et de la complexification de l’appareil administratif français, inscription de la réforme administrative à l’agenda politique ! La version budgétaire de la réforme administrative, malgré les hésitations gouvernementales sur la politique de rigueur monétaire, financière et économique à mener (cf. la querelle Mendès-Pléven en 1944-1945), renaît de ses cendres dès les premiers jours de l’année 1945, tandis que dans l’effervescence réformatrice de la Libération surgissent de nouveaux modèles de réforme administrative, portés par un nombre croissant de pôles d’impulsion et de conception (présidence du Conseil, ministère de l’Intérieur, Conseil d’État, Cour des comptes).
44Les commissions des méthodes ouvrent le bal en 194593, suivies de la mission provisoire de la Réforme administrative qui, sous la houlette de Michel Debré, se consacre à la réforme des cadres des administrations centrales et à la formation des hauts fonctionnaires. Leur succède une série d’organismes consultatifs et administratifs nouveaux et spécialisés : le Comité de la réforme administrative (juin 1946), le Comité central d’enquête pour les coûts et rendements des services publics (août 1946, CCECRSP), les comités techniques paritaires de la fonction publique (octobre 1946), la direction de la Fonction publique (octobre 1946), la commission interministérielle chargée de l’étude des mesures de déconcentration (1947), la commission de codification (1948), la commission Jacomet chargée de préparer la réforme budgétaire laissée en suspens par la Constitution de la IVe République… Toutefois, en dépit de leurs vertueuses intentions, alors qu’ils affichent l’avènement d’une autre réforme administrative, nombre de ces organismes se voient rattrapés par la contrainte financière et retombent dans l’ornière des économies budgétaires. C’est le cas des commissions de méthodes de 1945, mais plus encore du CCECRSP de Gabriel Ardant qui proteste à l’été 1946 tous ses grands dieux qu’il n’a pas vocation à rechercher des économies budgétaires, mais qui, dès la fin 1946, invoque pour justifier de son existence les économies qu’il va contribuer à dégager !
45La Cour des comptes, dont le rôle au sein du système de contrôle des dépenses de l’État est rénové à la Libération, prend pied elle aussi officiellement dans la politique de réforme administrative. Dès l’été 1945, Le Conte, qui a fonction de premier président de la Cour, esquisse la définition d’un nouveau rôle pour la Cour, qui serait chargée non plus seulement du jugement des comptes passés mais aussi d’une responsabilité dans la gestion du présent et lors du « vote des budgets nouveaux94 ». Dans les Instructions données en 1945 et 1946 pour le nouveau rapport public et pour la vérification des comptabilités administratives, la Cour s’attribue un rôle actif dans la recherche des désordres et des abus dans la gestion publique, notamment dans la politique des effectifs et des emplois publics95. En 1946, par la constitutionnalisation de son rôle budgétaire (article 18), la Cour devient l’assistante technique du Parlement : « l’Assemblée nationale pourra charger la Cour des comptes de toutes les enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie ». Par ailleurs, en application de la loi du 8 février 1946, « le gouvernement provisoire de la République et la commission des finances, celle-ci sur les rapports de son rapporteur général ou de ses rapporteurs particuliers qui pourront être assistés de magistrats de la Cour des comptes, procéderont à une révision des crédits ouverts au titre du budget de l’exercice 1946 à chacun des départements ministériels ».
46La Cour, par instruction interne, confirme à ses magistrats qu’ils devront « donner à la commission des finances les renseignements lui permettant de réduire en connaissance de cause des crédits exagérés » et en conséquence, adjoint 24 magistrats pour l’année 1946 au titre de conseillers techniques aux rapporteurs de la commission des finances96.
47La réforme administrative et les économies budgétaires reprennent donc dès 1945 leur liaison fatale ! De fait, cette politique continue de bénéficier d’un crédit important chez les responsables politiques des finances publiques ainsi qu’au Parlement. Entre 1946 et 1950, des ministres des Finances, des secrétaires d’État à la réforme administrative et des présidents du Conseil d’appartenance partisane aussi diverses que Pléven, de Gaulle, Gouin, Thorez, Philip, Blum, Guyon, Schuman et Ramadier, Teitgen, Biondi97, Queuille, Mayer, Bourgès-Maunoury, Reynaud, Bidault, Marie, Pineau, Poher, Petsche ou Faure, endossent cette politique publique et célèbrent avec constance le mariage de la réforme administrative et des économies budgétaires, redécouvrant les vertus du vieux modèle du comité d’économies de l’entre-deux-guerres. Mieux encore, tout se passe comme si chaque nouveau Gouvernement entre 1945 et 1950 se devait d’afficher politiquement son propre comité d’économies et de réforme administrative.
48La politique d’économies budgétaires se déploie donc après-guerre en trois séquences bien identifiées, la première en 1945-1947 avec les premiers plans de réduction des effectifs en référence à l’état supposé des emplois publics de 1939, la deuxième en 1948-1949 dans le cadre du plan d’assainissement financier de René Mayer, la dernière avec la commission nationale d’économies en 1950 (CNE).
49L’ordonnance du 6 janvier 1945, prise sous le gouvernement provisoire du général de Gaulle, exige une révision générale des créations d’emplois depuis le 16 juin 1940 (auxiliaires et titulaires), dont le maintien ne serait pas justifié, dans les services publics, les offices et les établissements de l’État. L’article 1er prévoit qu’une commission de révision des emplois sera chargée dans chaque ministère de présenter, sous la forme d’un double rapport au président du Conseil et au ministre des Finances (Pléven), des propositions de suppression d’emplois qui seront réalisées par décret98. Chaque commission, présidée par le ministre ou son représentant, se compose du rapporteur de la commission des Finances de l’Assemblée nationale provisoire chargé du Budget intéressé, du contrôleur des dépenses engagées ou du contrôleur d’État, d’un ou deux membres d’un grand corps, des représentants du ministre concerné, des représentants du personnel et d’un représentant du secrétariat général du Gouvernement. Par rapport au modèle des comités d’économies des années 1930 qui comptaient exclusivement des hauts fonctionnaires techniciens, c’est le grand retour du politique, caractérisé par la présidence accordée au chef du département ministériel et par la participation des experts parlementaires des finances publiques ; d’autre part, la prééminence gouvernementale de la Présidence du Conseil est rendue manifeste, dans la filiation des comités Dautry de 1934-1935, par la présence d’un membre du Secrétariat général du gouvernement. Enfin, signe des temps, douze ans après les commissions tripartites du néocartel des gauches de 1933, les représentants des syndicats de fonctionnaires réintègrent le processus consultatif, mais sous un mode désormais « paritaire », et non plus tripartite, qui écarte les usagers chers à L’État moderne. Dans sa circulaire, le Gouvernement dit expressément qu’il renonce à la suppression arbitraire et forfaitaire des emplois et qu’il a décidé de faire confiance aux administrations pour leur propre réformation. On en revient donc au vieux système de la commission ministérielle d’économies de premier degré, confiée aux chefs de services eux-mêmes. Le dispositif manifeste sans doute rapidement ses insuffisances, puisque dès le début de l’année 1946, le Gouvernement remet l’ouvrage sur le métier.
50Les lois du 8 février et du 15 février 1946 ordonnent de procéder à de nouvelles révisions des emplois et des crédits de personnels pour l’ensemble des administrations publiques, y compris les entreprises publiques, les compagnies subventionnées, les collectivités locales, et d’établir un plan de suppressions de services et de licenciement de fonctionnaires et de non-titulaires99. Des commissions ministérielles de révision, élargies, sont créées à cet effet, comprenant des administrateurs et des représentants du personnel ou des collectivités locales. Une commission supérieure, rattachée à la présidence du Conseil (Gouin/Thorez), est créée pour centraliser les propositions des commissions de premier degré et coordonner le tout, présidée par le président du Conseil, composée du ministre des Finances, du président et du rapporteur général de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, du vice-président du Conseil d’État, du procureur général de la Cour des comptes, du président du CCECRSP et des représentants des fédérations de fonctionnaires. Cette commission de la Hache, qui comporte les plus hauts responsables des finances publiques tant au sein de l’exécutif que du Parlement et qui respecte elle aussi le nouvel esprit « paritaire » du temps, se veut un comité politique exécutif. À l’été 1946, une note de la direction du Budget (PCM) du 27 juillet 1946 établit un bilan mitigé du plan d’économies du 15 février 1946 : 40 000 emplois auraient été supprimés, mais essentiellement des emplois vacants (sic)100… La loi du 22 décembre 1946 (Blum président du Conseil, Philip ministre des Finances) donne un nouveau tour de vis budgétaire et exige que les réductions d’effectifs représentent au moins 10 % de l’effectif global et 30 % de l’excédent par rapport aux services de 1938101, soit environ 50 000 emplois sur l’effectif de 1947. Les résultats sont cette fois-ci plus tangibles : un rapport début 1947, un décret du 16 avril 1947 qui édicte la suppression des 50 000 emplois et qui, face à la résistance et l’inertie des ministères, fixe lui-même la répartition des emplois à supprimer102. Ce plan de réduction touche, conformément aux instructions gouvernementales, des auxiliaires, des contractuels ou des fonctionnaires titularisés depuis 1940, mais suscite à nouveau l’insatisfaction des responsables budgétaires103.
51Une nouvelle loi, celle du 25 juin 1947, prise cette fois-ci par le gouvernement Ramadier, porte à 30 milliards le montant des économies exigées et institue un nouvel organisme pour préparer ce nouveau plan : la commission de la Guillotine104, composée de Ramadier, président du Conseil, Teitgen, vice-président du Conseil chargé de la réforme administrative, Schuman, ministre des Finances, Gouin, ministre d’État président du conseil du Plan, Delbos et Roclore, ministres d’État. Les parlementaires ont disparu, laissant la place à un directoire politique et exécutif de la réforme administrative. Ce dispositif, pas plus que les précédents d’ailleurs, n’implique que les hauts fonctionnaires aient disparu, au contraire ; c’est la direction du Budget qui fait tout le travail d’instruction et d’enquête, appuyée sur les contrôleurs des dépenses engagées, selon une procédure de « peignage » des chapitres budgétaires désormais routinisée. La commission, dont le secrétariat est rattaché au secrétariat général du Gouvernement, statue après instruction sur dossier, sur audition des ministres, selon le modèle des « conférences budgétaires105 ». C’est à la Cour des comptes qu’est confiée la responsabilité de centraliser l’état d’avancement des économies et d’en communiquer les résultats aux présidents des commissions des finances des deux Assemblées, tandis que de son côté le ministère des Finances met au point le plan d’économies. N’ayant pas terminé ses travaux, la commission de la guillotine est prorogée sous le gouvernement Schuman par la loi du 6 janvier 1948106, Mayer étant ministre des Finances et Biondi conservant la réforme administrative et la fonction publique.
52Selon Édouard Bonnefous, les résultats de ces trois initiatives auraient été maigres, mais on sait combien le futur ministre de la Réforme administrative est de parti pris sur toutes les expériences qui l’ont précédé107. Selon lui, elles auraient créé « plus de peur que de mal », car leurs propositions seraient restées en deçà des impératifs de la loi et les décrets d’application en deçà des propositions. Comme dans l’entre-deux-guerres, les administrations auraient réussi, par une manipulation des crédits, par le jeu des mises à la retraite, des vacances de postes et des mutations et surtout par l’obtention des délais de grâce, à limiter les conséquences des mesures prises. Sauf à la SNCF, concède Bonnefous.
53Manifestant la même détermination que Reynaud, ministre des Finances dans le gouvernement Marie, en application de la loi du 17 août 1948108, le cabinet Schuman pousse les feux : Christian Pineau, ministre des Finances, en accord avec Biondi, secrétaire d’État à la réforme administrative, et Poher, secrétaire d’État au Budget, entreprend par le décret du 6 septembre 1948 de « dégraisser » les emplois de direction ; l’objectif est de revenir à l’état de 1939, avec une marge d’augmentation de 10 % et une réduction des postes d’encadrement de 20 % (directeurs, chefs de service, sous-directeurs, directeurs adjoints). Cette fois-ci, c’est le CCECRSP qui est chargé de l’étude préparatoire et qui vient prêter main-forte à la direction du Budget. Le plan de suppression d’emplois est présenté le 23 janvier 1949 par le gouvernement Queuille109.
54Parallèlement, le gouvernement tente une nouvelle méthode de travail, avec un nouveau partenaire de réforme, le ministère de l’Intérieur (Jules Moch, secondé par Raymond Marcellin) : par le décret du 7 juin 1949, il institue les commissions départementales d’économies. Ces commissions, consultatives, une par département, sont présidées par le préfet, composées du TPG, du directeur des Domaines, de deux conseillers généraux, du maire du chef-lieu du département et de deux maires désignés par le préfet ; le secrétariat est assuré par les services de la préfecture. Elles sont chargées de rechercher et de proposer toutes les mesures d’économies susceptibles de réduire le coût du fonctionnement des services extérieurs des administrations civiles de l’État, des établissements publics, des organismes de sécurité sociale ainsi que tous les organismes chargés d’un service public. Elles doivent dresser la liste des services existant dans le département en précisant leur emplacement et leur importance, proposer les compressions possibles d’effectifs et la suppression des services inutiles, rechercher « les causes du rendement insuffisant du personnel et les faits de toute nature dont peut résulter une utilisation défectueuse du personnel, du matériel ou des locaux110 ». Elles ont trois mois pour rendre leur rapport au préfet, qui le transmet parallèlement au ministre de l’Intérieur et au secrétaire d’État aux Finances (Edgar Faure), c’est-à-dire à la direction du Budget. Il n’est prévu au départ ni de commission centrale ni de remontée directe au président du Conseil.
55Sur chacun des rapports de compression d’effectifs ou de réorganisation des services remontés par les commissions départementales111, la direction du Budget fait un « rapport au ministre » ou une « note de conclusions » dans laquelle elle évalue les mesures proposées. Une note de synthèse de la direction du Budget nous renseigne sur le bilan qu’elle tire de ces travaux préfectoraux et départementaux, la conclusion est sans appel : les commissions n’ont proposé aucune suppression d’emploi ou presque, sauf rare exception ! C’est le même constat que pour les commissions tripartites de 1933 : l’administration ne veut ni ne peut organiser sa propre automutilation. Bien plus, la direction du Budget souligne que les commissions départementales en ont profité pour demander la transformation des postes d’auxiliaires en postes de titulaires et un accroissement de leurs moyens matériels ! Si l’on se penche sur un département ministériel comme celui du ministère des Finances et des Affaires économiques, les fiches de synthèse de la direction du Budget montrent que les commissions se sont montrées plus sévères en termes de suppression d’emplois pour les services des Affaires économiques que pour les services des Finances… Les premiers sont-ils réellement en surnombre d’emplois ? Ces fiches reproduisent-elles fidèlement le diagnostic porté par les commissions départementales, au sein desquelles, rappelons-le, siège un représentant du Trésor public peu enclin à la mansuétude pour les services économiques de création récente et nécessairement sensible aux intérêts de son propre service, ou s’agit-il de la présentation qu’en fait la direction du Budget pour alimenter ses propres argumentaires ? Quoi qu’il en soit, dans les différents rapports des commissions départementales, on trouve de très nombreuses suggestions de réforme ou de réorganisation des services administratifs locaux, parfois contradictoires ; la variété et l’hétérogénéité des mesures proposées trouble d’ailleurs le principe de « cohérence d’ensemble » dont la direction du Budget se veut la représentante et l’interprète.
56Enfin, six mois plus tard, la commission nationale d’économie112 est créée par le gouvernement Bidault pour préparer le nouveau programme d’économies prévu par la loi de finances du 31 janvier 1950113. L’objectif est ambitieux, à nouveau 75 milliards d’économies en 1950-1951 (dont 20 milliards pour le premier semestre). La commission est chargée de centraliser les conclusions du CCECRSP et les résultats des travaux des commissions départementales d’économies, dont les résultats sont communiqués parallèlement aux commissions des finances du Parlement. À l’origine, les offices étaient compris dans le champ d’étude de la commission, dotés d’une enquête et d’un rapport spécial, mais lors du décret de composition, les offices ont disparu du champ d’intervention de la commission. La commission est présidée par Edgar Faure, secrétaire d’État aux Finances, qui reprend officiellement la main après plusieurs expérimentations pilotées par la Présidence du Conseil et Biondi ; elle est composée de Barangé, député et rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, de Berthouin, sénateur rapporteur général de la commission des finances du Sénat, de Denais, député, de Gozard, député, de Walker, sénateur, de Brin, premier président de la Cour des comptes et président du CCECRSP, de Loriot, président de section au Conseil d’État, de Pelletier, IGAME, de Goetze, directeur du Budget, de Morin, préfet, de Lafond, membre du Conseil économique et social et… de Paul Planus, ingénieur-conseil en organisation. Les représentants des fédérations syndicales de fonctionnaires ont disparu, laissant la place à une formule qui panache cinq parlementaires (4 députés, 1 sénateur), cinq hauts fonctionnaires (l’Intérieur est bien représenté), et, de façon minorée, les représentants des « forces vives de la nation » (un membre du Conseil économique et social). Le directeur du Budget, qui n’avait plus figuré dans aucun Comité d’économies depuis 1933, siège aux côtés de Planus, ingénieur-conseil en organisation privé, inaugurant une collaboration prometteuse114. La commission, qui a deux mois pour établir son plan, recrute une quarantaine d’enquêteurs (37), piochés dans les différents corps de fonctionnaires. La procédure repose néanmoins essentiellement sur la direction du Budget115, qui est assistée du CCECRSP, des corps de contrôle et de la Cour des comptes, ainsi que des commissions départementales d’économies coordonnées par Morin. La commission tient 70 séances de travail et auditions.
57Pour la première fois depuis le rapport Marin de 1923, un rapport général est remis au ministre des Finances (65 p.), le 8 août 1950. Selon Bonnefous, ce rapport « est un véritable catalogue des points faibles de l’administration » et « aurait pu constituer un honorable départ pour une révision totale des services » ; c’est en quelque sorte le rapport que le CRA de Reynaud n’a jamais produit en 1939. Et Bonnefous de conclure pour une fois admirativement : « Il suffit de lire la liste des principales mesures proposées pour constater que la commission constituée par M. Bidault et présidée par M. E. Faure avait établi un plan de réforme dont l’ampleur rappelait l’expérience de M. Poincaré ». La commission propose une dizaine d’axes de travail qui dépassent largement la méthode de l’ajustement par les effectifs : 1) le dégonflement des administrations centrales qui ont procédé à une concentration excessive des tâches et qui ont appelé de nombreux fonctionnaires des services extérieurs dans les services centraux et ce, en violation des impératifs budgétaires, et notamment de la suppression des postes vacants ; 2) la suppression des échelons régionaux inutiles qui s’interposent entre les ministères et les services locaux ; 3) une définition claire des tâches et des attributions des services préfectoraux et des services locaux des ministères pour mettre fin aux doubles emplois et renforcer l’autorité des préfets ; 4) l’allégement des contrôles, des contraintes et des personnels correspondants, au fur et à mesure que l’État renoncera aux tâches exceptionnelles nées des circonstances ; 5) à la suite de l’inflation des titres administratifs, la remise en ordre des appellations et des traitements correspondants ; 6) le contrôle de la présence et des horaires de travail pour mettre fin à l’absentéisme ; 7) la réduction des frais de mission à l’étranger et des rémunérations de cabinet ; 8) la compression, la réorganisation et la centralisation des services sociaux et automobiles ; 9) la réforme du régime des marchés de l’État par la rationalisation des commandes, la publicité, le renforcement des vérifications et contrôles, l’amélioration du financement des paiements ; 10) la réduction des honoraires d’architecte ; 11) la poursuite d’une politique de constructions administratives ; 12) la meilleure présentation budgétaire des dépenses d’équipement116; 13) la suppression des subventions économiques. Faisant application de ces principes, la commission propose dans son rapport des mesures et des estimations chiffrées pour ses propositions de réorganisation ou de suppression et fait apparaître des réductions importantes au sein des chapitres de subventions économiques.
58On voit que la suppression d’emplois n’est plus l’unique mesure d’économies et que l’inspiration se trouve davantage du côté du comité Marin de 1922 ou du CRA de Reynaud que des commissions d’économies de 1945-1948 ; la commission a tenté d’intégrer les recommandations de la Cour des comptes, du CCECRSP et des commissions départementales d’économies et se propose d’engager un véritable programme de réforme de l’organisation administrative et de ses procédures. Dès l’introduction (p. 13), les auteurs prennent le temps d’expliquer que les abattements forfaitaires et les suppressions d’emplois ne sont pas efficaces et peuvent même être dangereux : ils créent des « situations douloureuses » et « risquent de paralyser certaines activités utiles à la vie de l’État » et, parfois, ils peuvent « se révéler coûteux ». Pour la première fois depuis 1945, les responsables de la gestion de l’État, directeur du Budget inclus, réfutent les outils de la politique d’économies et se démarquent de la version budgétaire de la réforme administrative.
59La commission nationale d’économies marque ainsi paradoxalement la fin de la politique publique de réforme de l’administration par les économies budgétaires initiée en 1919, ouvrant la voie à d’autres versions plus qualitatives de la réforme administrative, telles que l’introduction de l’organisation scientifique du travail ou la politique de productivité dans les services publics. La CNE marque également le retournement qualitatif de la direction du Budget qui, souhaitant devenir un acteur majeur de la réforme administrative, veut désormais expérimenter d’autres outils que la compression des coûts et le rationnement budgétaire. À cet égard, le rapport insiste bien sur la nécessité d’introduire dans l’administration un organe permanent chargé de suivre les questions d’organisation des services, de réformes et d’économies tout en précisant bien que cela doit se faire en lien avec le ministère du Budget. Outre ces principes généraux, la commission propose une série de mesures structurelles de réforme pour certains ministères sectoriels : le transfert aux services préfectoraux des tâches des services extérieurs de l’Agriculture et de la Santé, la suppression des ingénieurs en chef adjoints au ministère des Travaux publics, la réorganisation du ministère de l’Économie nationale, la suppression de services au ministère du Commerce et au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, la réorganisation du système judiciaire, la réorganisation des services du Tourisme, la fusion des postes de consul et d’attaché commercial, la publication du budget de la préfecture de Police en annexe de celui du ministère de l’Intérieur, la création de dix nouvelles compagnies de CRS par transformation d’inspecteurs de la Sûreté nationale, etc.117
60Pour conclure sur cette période, la séquence 1945-1950 constitue un âge d’or de la version budgétaire de la réforme administrative, en même temps que son chant du cygne. Les gouvernements successifs de la première IVe République recueillent l’héritage de l’avant-guerre et recyclent les recettes des années 1930118 ; ils sélectionnent parmi elles les mesures qui leur semblent les plus conformes aux attentes de l’opinion ou du moins les plus acceptables politiquement119, pour les abandonner après 1950, en grande partie dévitalisées et discréditées. Composées majoritairement de représentants de la classe politique à l’inverse des comités techniciens ou technocratiques des années 1930, les commissions d’économies et de réforme administrative de la fin des années 1940 ne sont pas seulement des dispositifs techniques corrélés au déficit budgétaire et voués à sa résolution, mais constituent des outils politiques symboliques destinés à envoyer des signaux et à obtenir la confiance ou le soutien politique de tel ou tel groupe social ou électoral (rentiers, anciens combattants, épargnants, artisans et commerçants, paysans, patrons, fonctionnaires). Chaque chef du Gouvernement souhaite dès lors avoir son propre comité d’économies, ce qui explique que, compte tenu de l’instabilité gouvernementale et des micro-alternances politiques qui marquent les coalitions gouvernementales sous la première IVe République, l’on ait assisté à une telle cascade de commissions d’économies entre 1945 et 1950 !
61Dans cette configuration, la direction du Budget partage le travail technique de compression budgétaire avec la Cour des comptes (en 1946), avec la direction de la Fonction publique (le reclassement des fonctionnaires en 1949-1950), avec le CCECRSP (en 1948 et en 1950) et avec les successifs comités d’économies dont elle est le bras exécutif. Après 1950, elle reste seule en première ligne, les comités d’économies ayant disparu et la Cour des comptes ayant déclaré forfait, en proie à une sévère crise d’indigestion suite à la création en 1948-1950 de la commission de vérification des comptes des entreprises publiques (CVCEP), de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) et de la VIe chambre (contrôle des organismes de sécurité sociale). Dans son travail d’étude, d’enquête et de préparation des plans d’économies qui se succèdent à jet continu de 1945 à 1950, les outils principaux du Budget sont d’une part la circulaire et d’autre part le contrôle des dépenses engagées dans les départements ministériels (rebaptisé en 1953 contrôle financier), par qui transitent toutes les demandes d’informations, dans un sens puis dans l’autre : évaluation des effectifs, états comparés des effectifs 1938-1944, états comparés d’occupation d’immeubles (1938-1945-1949), demandes de propositions de suppressions d’emplois ou de transformation ou de réorganisation interne120. De son côté, dans le cadre de la politique d’économies de 1945 à 1950, mais aussi de l’inventaire Schuman et du reclassement des fonctionnaires qui absorbe la majeure partie de l’énergie de la sous-direction PCM, la direction du Budget fait un énorme effort pour recenser les fonctionnaires et pour chiffrer les augmentations et les diminutions d’effectifs121. Les archives de la direction du Budget de 1946 à 1950 montrent la difficulté persistante que la direction rencontre pour obtenir de la part des ministères « dépensiers » des suppressions de postes et la résistance sociale des services122, qui utilisent avec succès les moyens traditionnels pour tourner les mesures de suppression : jeu sur les vacances de postes, jeu sur l’écart entre effectifs budgétaires et effectifs réels, suppressions de postes auxiliaires et contractuels, demandes de dérogations et d’exceptions, délais de réponse et d’application qui s’allongent de mois en mois… Au final, aux yeux des autorités gestionnaires, le bilan quantitatif des économies se révèle faible et décevant123. À la question écrite posée par le député Scherrer (QE n° 11100) le 8 juillet 1949 sur les réductions effectives de fonctionnaires en 1948-1949, la direction du Budget répond qu’elles peuvent être évaluées à 58 910 emplois sur 1 050 000 fonctionnaires, soit à peine 5 % des dépenses de personnels civils. La raison principale avancée par la direction pour expliquer la faiblesse de ce résultat est que « les suppressions touchent le petit personnel ou les auxiliaires ». En outre, la direction se dit tenue dans l’ignorance des dates réelles de licenciement, du montant des indemnités et de la charge des pensions allouées ! En définitive, pour les agents publics de la fonction d’État, les suppressions effectuées entre 1946 et 1950 s’élèveraient à 150 000 emplois, mais elles auraient été compensées par les titularisations d’auxiliaires, par l’intégration de fonctionnaires de la FOM et des DOM, ainsi que par des rétablissements d’emplois ou par des créations d’emplois à l’Éducation nationale et aux PTT. Les plans d’économies auraient donc au mieux endigué la marée montante des dépenses, mais au prix d’une dépense d’énergie considérable. En réalité, c’est dès 1949 que le procès des commissions d’économies et de compression des emplois est instruit à la direction du Budget. Dans une note du 28 octobre 1949, François-Didier Gregh, directeur du Budget, conclut à « l’échec des mesures traditionnelles de compression des emplois » ; son successeur, Roger Goetze, reprend cet argument en l’amplifiant pour promouvoir une autre politique. De fait, au cours des années 1950, les notes au ministre du directeur du Budget sur les économies à attendre d’une politique de personnel restrictive sont toujours assorties de mentions négatives, minorantes ou péjoratives : « théoriquement », « on peut espérer en attendre », emploi permanent du conditionnel, « réalisation problématique », « sacrifier », « difficilement réalisables », « illogique », « économie théorique », « caractère hypothétique124 »… Les abattements forfaitaires sont dénoncés comme « le plus souvent inapplicables et parfois nuisibles lorsqu’ils sont appliqués ». Bastion dans les années 1930 de la réforme administrative par les économies budgétaires, désillusionnée par la faiblesse des résultats, la direction du Budget rejoint le CCECRSP dans son diagnostic d’inefficacité des comités d’économies, contribuant à la dévalorisation technique de cette politique de gestion publique.
62Après la commission nationale d’économies de 1950, les commissions d’économies disparaissent entre 1951 et 1958 de l’agenda gouvernemental, et avec elles, l’affichage de la politique publique correspondante. Comment expliquer ce retournement, ce désinvestissement politique et cette convergence dans le scepticisme125, alors que, de 1945 à 1950, c’est le consensus contraire qui a régné dans la classe politique ? On en est réduit à lister une série d’hypothèses : délitement des coalitions politiques qui ont porté ces politiques d’économies, coup d’arrêt mis par la grande grève des fonctionnaires de l’été 1953 à toute velléité de compression ou de suppression d’emplois, résistances fortes des acteurs sociaux et politiques (services, syndicats, partis politiques, parlementaires), épuisement de la croyance en la possibilité de mettre en place des politiques de suppressions d’emplois du fait de la « cristallisation » introduite par le statut de la fonction publique, prise de conscience de l’impossibilité politique de recourir à des moyens coercitifs aussi brutaux qu’en 1933-1935126, faiblesse réelle des résultats des programmes successifs de réduction des effectifs, découragement et déception des acteurs administratifs de la réforme administrative, lassitude par rapport à des méthodes qui apparaissent comme héritées du passé, volonté de moderniser les méthodes de travail et attrait pour la nouveauté, adoption d’une nouvelle croyance selon laquelle la rénovation de l’État passerait davantage par des mesures qualitatives que par des restrictions quantitatives, abandon de la doctrine libérale traditionnelle sur le rôle de l’État et « conversion » idéologique au rôle économique, social et providentiel de l’État, acceptation de la croissance du nombre des fonctionnaires en accompagnement des nouveaux besoins de la société, avènement d’une nouvelle génération de gestionnaires pragmatiques et réalistes, influence d’autres théories de la réforme administrative inspirées des États étrangers ou de l’entreprise publique, prise de conscience que les économies budgétaires les plus fructueuses se situent non pas du côté du « train de vie de l’État », mais du côté des subventions économiques127…
63Quoi qu’il en soit, de 1951 à 1958, plus aucun comité d’économies et de réforme administrative n’est réuni en tant que tel, laissant la place à une nouvelle répartition des tâches : à la direction du Budget, la fonction permanisée et routinisée de recherche des économies lors de l’élaboration annuelle de chaque projet de loi de finances (« peignage » des budgets et rabotage des crédits de fonctionnement) ; aux nouveaux organismes permanents de réforme administrative, les effets d’affichage politique, les expérimentations gestionnaires et la rénovation de la gestion publique (le CCECRSP et les études de coûts et rendements, le Comité de réforme administrative de Bonnefous, le secteur Organisation du Commissariat général à la Productivité et la politique de productivité administrative…) Le divorce est consommé entre les économies budgétaires et la réforme administrative, qui entame pour quelques années, de 1952 à 1958, une existence autonome, à la recherche de voies alternatives, moins impopulaires et plus efficaces que la version budgétaire ; une autre politique publique de réforme administrative s’esquisse…
IV. Le chant du cygne : la dernière commission d’économies de la IVe République ou la première de la Ve République ?
64Alors que la France s’enfonce dans le conflit algérien et que la crise budgétaire s’installe, le gouvernement Guy Mollet aux abois renoue avec la recherche des économies128, mais c’est finalement le gouvernement du général de Gaulle qui, après la crise politique de mai 1958, remobilise l’antique modèle du comité de réforme administrative pour asseoir la préparation du redressement économique et financier et la restauration de l’État dont il se veut l’artisan.
65Le comité Rueff, du nom de son principal animateur, est institué le 30 septembre 1958 par Antoine Pinay, ministre des Finances du général de Gaulle. Sa composition le rapproche davantage de celle du comité des experts de 1926 que des comités d’économies des années 1930 ou 1940129 ; il ne compte aucun membre de la classe politique et seulement un haut fonctionnaire en exercice dans l’administration ; ses membres, représentants des « forces vives de la nation » ou experts, appartiennent majoritairement au monde bancaire et financier et à celui de la grande entreprise. Son ancrage administratif n’en est pas moins intéressant, puisque le secrétariat du comité est assuré par Paul Questiaux, inspecteur des Finances130, chef du bureau E2 Coûts et rendements de la direction du Budget, gestionnaire des crédits de productivité administrative, et par Marc Viénot, inspecteur des Finances, chargé de mission à la direction du Trésor. Le comité, qui travaille sur notes écrites et auditionne de très nombreux acteurs du monde économique et financier, se réunit jusqu’à la remise de son rapport le 8 décembre 1958. Le rapport Rueff, bien connu pour ses préconisations de réformes structurelles dans le domaine économique et budgétaire, l’est beaucoup moins pour ses préconisations en matière de réforme administrative ; pourtant, un chapitre entier, certes court, « Réformer l’administration », y est consacré. Fortement inspirés par la nouvelle « doctrine » de la direction du Budget depuis 1950, les auteurs du rapport commencent par tirer les enseignements du passé et renouvellent la condamnation de la politique des économies budgétaires héritées des années 1930 et 1940 : « Ce n’est pas par la procédure budgétaire que l’on peut réaliser de véritables économies ». Ils mettent en cause la défectuosité de cette dernière et l’enfermement dans lequel les gestionnaires publics se trouvent placés du fait de la structure des dépenses publiques et du vote du budget : les « services votés » sont reconduits d’une année sur l’autre et la discussion du budget se cantonne à la discussion des mesures nouvelles, c’est-à-dire aux hausses de crédits131. Le rapport pointe également l’impuissance des commissions de réforme et souligne leurs handicaps : le manque de temps, les conclusions non étudiées et non suivies. Les auteurs concluent : « Une action réformatrice demande de la persévérance, de la ténacité et de l’autorité. Elle ne peut avoir de résultats financiers immédiats, ne serait-ce que parce que la résorption des effectifs en excédents ne peut se faire que progressivement au fur et à mesure des vacances. Au vu de cette constatation, nous avons estimé que le souci de la vérité budgétaire nous interdisait de tenir compte de la réforme administrative pour l’évaluation des dépenses de 1959 ».
66Autrement dit, la réforme administrative ne peut permettre de dégager à court terme des économies budgétaires… En revanche, les auteurs du rapport engagent le Gouvernement à « tenir » dans le temps pour « arrêter le gonflement jusqu’à présent continu des dépenses publiques et à maintenir l’équilibre du budget ». Pour l’avenir, de grandes orientations générales sont dégagées : « alléger les dépenses, accroître l’efficacité et la rapidité de l’administration ; simplifier ses rapports avec les administrés ». Le rapport liste une série d’actions prioritaires telles que « réviser l’architecture des administrations centrales » en faisant la chasse aux doubles emplois, revoir « le découpage administratif du territoire qui appelle une refonte complète », entamer « la révision minutieuse de tous les détails de fonctionnement », engager « la suppression des formalités inutiles et étudier à fond les possibilités nouvelles qu’étendent chaque jour les progrès des techniques d’organisation ». On reconnaît là le programme de travail de Questiaux et du bureau E2 à la direction du Budget depuis 1955, celui du CCECRSP et du Commissariat général à la Productivité. Le comité Rueff descend dans le détail des procédures et propose pour les deux premiers sujets de constituer des petits groupes de travail composés de fonctionnaires des corps de contrôle, de la Cour des comptes et du Conseil d’État ; en revanche, pour la révision du fonctionnement de l’administration et la mise en place des techniques d’organisation, il préconise la création d’un bureau Organisation et Méthode dans chaque ministère et l’importation des méthodes des cabinets privés de conseil, ainsi que la nomination dans chaque ministère d’un fonctionnaire spécialisé dans ces questions, le tout coordonné par un membre du Gouvernement.
67Les préconisations économiques du rapport Rueff alimentent le plan de redressement économique et financier de décembre 1958, élaboré et orchestré par Goetze ancien directeur du Budget, conseiller du général de Gaulle ; ce plan réalise le retour du budget à l’équilibre, mais s’il inclut la suppression de nombreuses et coûteuses « subventions économiques » et quelques économies sur le fonctionnement des services ou sur la pension des anciens combattants, il ne comporte aucun plan systématique de suppressions d’emplois et renvoie la réforme administrative à un horizon futur. De fait, c’est l’article 76 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 qui institue la commission de réforme administrative attendue.
68La commission de réforme administrative dite de l’article 76132, créée en février 1959, est placée sous la présidence de Michel Debré, Premier ministre, assisté de Pierre Chatenet, secrétaire d’État chargé de la réforme administrative, de Wilfrid Baumgartner, ministre des Finances (qui sera totalement absent du dispositif) et de Valéry Giscard d’Estaing secrétaire d’État aux Finances, qui va animer et coordonner les travaux.
69Outre le secrétaire d’État à la réforme administrative et le cas échéant les ministres intéressés, la commission se compose de six membres permanents : Brunet, inspecteur des Finances et directeur général du Crédit national, Landucci, président de la société Kodak-Pathé et spécialiste de prospective, Laroque, conseiller d’État, ancien directeur de la Sécurité sociale et président de la Caisse nationale de Sécurité sociale, Lesage procureur général à la Cour des comptes, Roos, ingénieur général de l’Aéronautique et Hirsch, préfet de la Seine-Maritime. La commission comprend aussi, avec une voix consultative, le directeur général de l’Administration et de la Fonction publique (Gand), le directeur du Budget (Devaux) et le directeur général des Impôts (Blot).
70Ses missions, selon l’article 76, sont les suivantes : 1) Définir un programme d’économies susceptible d’être réalisé immédiatement dans les services civils et militaires de l’État, les entreprises nationales et les organismes de sécurité sociale, par simplification administrative ou suppression de services. 2) Établir une liste des biens domaniaux civils et militaires de l’État ainsi que des biens appartenant aux entreprises nationales et aux organismes de sécurité sociale susceptibles d’être aliénés sans porter préjudice au fonctionnement normal des services, entreprises ou organismes. 3) Proposer la création d’une institution de caractère permanent chargée de procéder à des enquêtes approfondies, à un rythme quinquennal, dans tous les grands services de l’État, des entreprises nationales et de la sécurité sociale, afin de proposer des mesures de rationalisation et d’en surveiller la mise en œuvre.
71La première mission est dans la parfaite filiation de tous les comités d’économies budgétaires du premier XXe siècle et marie à nouveau, huit ans après la commission nationale d’économies de 1950, réforme administrative et économies budgétaires. Comment expliquer cet apparent retour en arrière, alors que le rapport Rueff vient d’exposer les principes inverses et que Michel Debré lui-même n’a pas hésité à ironiser sur les programmes d’économies des années 1940, en disant que la France était gouvernée par son caissier133 ! Dans l’esprit du Premier ministre, sans doute s’agit-il moins d’un énième plan « d’échenillage » des chapitres budgétaires que d’un ambitieux plan de réforme administrative anti-doubles emplois134. La deuxième mission, elle, est plus innovante, et pose pour la première fois explicitement dans le cadre d’une commission de réforme administrative la possibilité d’une aliénation du domaine de l’État, amorçant une réflexion sur le périmètre de l’État et sur ce que pourrait être « son fonctionnement normal ». La troisième mission est plus étonnante, puisque l’article 76 propose de créer un organisme d’enquête administrative permanent ; or, il en existe un depuis 1946, rattaché au Premier ministre, le CCECRSP. Le déclin du CCECRSP est-il tel que les pouvoirs publics en sont arrivés à oublier son existence135 ? Est-ce un désaveu officiel de la Cour des comptes, en charge de l’animation du comité d’enquête ? L’ambition du Premier ministre est-elle vraiment de créer un nouvel organisme spécialisé dans l’enquête administrative ? Quoi qu’il en soit, aucune nouvelle structure n’est créée et c’est bien le CCECRSP qui récupère en 1960 les dossiers de la commission de l’article 76 et qui est chargé de mettre en œuvre les grandes enquêtes quinquennales souhaitées par Debré (décret du 14 octobre 1960, art 2136).
72Pour mettre en œuvre un tel programme, le secrétariat de la commission est confié au secrétaire d’État aux Finances, Valéry Giscard d’Estaing137, secondé par le spécialiste de la réforme administrative au Budget, Paul Questiaux. Quinze groupes de travail sont mis sur pied en février-mars 1959 pour couvrir l’ensemble de l’appareil administratif français138, présidés par quinze présidents appartenant pour l’essentiel aux grands corps (13 sur 15139) et composés de fonctionnaires représentant les principaux corps de la haute administration française140 ; la règle du « regard extérieur » et des missions d’enquête « croisées », chère au comité Bloch II, au CRA de 1938 et au CCE de 1946 est à nouveau mise en œuvre141.
73Les méthodes de travail sont soigneusement organisées142 : une lettre du Premier ministre est adressée à chaque ministre, définissant les pouvoirs et les attributions du groupe de travail, en même temps qu’une lettre de mission est envoyée à chaque président et à chaque membre des groupes de travail ; un rapporteur est désigné pour chaque groupe de travail, qui dispose de son propre secrétariat. Chaque groupe de travail doit présenter : 1) des suggestions concernant « les questions communes », 2) des propositions concernant l’aliénation des biens domaniaux, 3) des suggestions concernant les suppressions ou fusions de services, 4) des mesures de simplification administrative et les statuts du personnel concerné. Les conséquences des mesures proposées doivent être évaluées de façon chiffrée : les recettes nouvelles, les économies immédiates, les économies à partir de 1960, les économies ultérieures attendues, l’amélioration du fonctionnement des services. Les conditions nécessaires à la réalisation de ces réformes (décision ministérielle, circulaire, décret, arrêté, texte réglementaire ou législatif) doivent être indiquées, et en résumé, une fiche récapitulative budgétaire et juridique doit être fournie pour chaque proposition. Enfin, chaque groupe de travail doit remettre un rapport au secrétariat général de la commission, chargé de faire la synthèse finale. Pour gagner du temps, un questionnaire type, rédigé par le secrétariat, est remis à tous les présidents de groupes de travail, sur les problèmes de personnel143, sur les problèmes de matériel144, sur les problèmes de structure et d’organisation145 et sur les travaux d’administration générale146. Dans cette organisation, Questiaux joue un rôle pivot à la tête du bureau E2 Coûts et rendements, transformé en véritable bureau de la réforme administrative à temps plein, face à un CCE en pleine refondation et à une direction générale de l’Administration et de la Fonction publique mobilisée au même moment par d’autres sujets : la révision du statut des fonctionnaires, la réforme territoriale, le statut des administrateurs civils, la réforme de l’ENA, etc.
74Le Premier ministre, comme d’habitude, est pressé et impose un calendrier volontariste : la commission doit proposer des mesures immédiates pour la fin avril 1959, un deuxième train de mesures pour le mois de mai à déposer devant le Parlement et une troisième série de mesures destinées à la préparation du Budget en juin 1959. Pour aboutir à un tel résultat, Questiaux met en route trois séries de réunions : 20 mai, 20 juin, 15 juillet ; toutes les fiches doivent avoir été rédigées et envoyées aux services avant le 15 mai, puis être revenues assorties des « observations » des services pour le 15 juin ; au-delà, sur le modèle des conférences budgétaires, commence la phase des arbitrages et des auditions chez le premier ministre147. Une fois les décisions prises, ces dernières sont notifiées au ministre concerné par des « lettres d’exécution », dont un double est envoyé au secrétariat d’État aux Finances, qui les transmet à son tour à la direction du Budget148. Debré exige l’exécution de ses décisions dans les délais impartis, harcèle ses ministres et demande à connaître les « suites » qui leur ont été données. Pour cette phase d’exécution, qui s’est finalement étirée de l’été 1959 à mars 1960, voire jusqu’en mai 1960, la correspondance des ministres avec le Premier ministre et la commission montre les actions en résistance menées par les ministères sectoriels face aux injonctions du chef du Gouvernement : non-réponses ou délais de réponse démesurément allongés en dépit des lettres de rappel et de semonce, réunions repoussées, demande d’études complémentaires, manœuvres dilatoires, discussion pied à pied des propositions de la commission… Les mesures de personnels, de structures et d’effectifs sont les plus difficultueuses et sont dévolues à l’arbitrage du Premier ministre.
75Dans ce dispositif, la patte de Michel Debré est aisément repérable. Lors de l’installation de la commission, le discours d’ouverture trahit la personnalité du Premier ministre et son style en matière de réforme administrative, objet de ses réflexions depuis le CRA de 1938 : le refus du scepticisme et le choix du volontarisme ; sa foi en la réforme et dans le mouvement (« ne pas accepter l’immobilité administrative », « lutter contre la lourdeur de l’État, qui oblige à commander quatre ou cinq fois pour que quelque chose aboutisse ») ; le mépris des critiques, des protestations et des agitations ; la rapidité d’action (« car c’est un fait d’expérience que les recherches d’économies ou de réformes lorsqu’elles s’étendent sur une trop longue période débouchent sur l’impuissance. C’est en deux ou trois mois que l’on aboutit ou que l’on n’aboutit pas ») ! L’organisation du travail de la commission porte indubitablement l’empreinte de la première expérience de réforme administrative qu’a connue Debré lors de son travail auprès de Paul Reynaud en 1938 au CRA et qu’il réplique à grande échelle pour son propre compte tout en introduisant quelques innovations méthodologiques : constitution de groupes de travail pluridisciplinaires, par ministère et par problème ; établissement d’une « feuille de route » (feuille d’observations) qui sert de plan de travail ; dépouillement exhaustif des rapports des corps de contrôle et des organismes de contrôle ; création de « sections d’étude » spécialisées et intergroupes ; utilisation des rapports de groupes de travail pour l’élaboration des textes de réforme ; volonté de diriger les groupes de travail selon un plan d’ensemble… C’est sans doute cette expérience du CRA qui explique chez Debré le recours, dix ans après la commission nationale d’économies, à l’antique système des commissions de réforme administrative : Debré, ayant quitté les affaires début 1946, n’a pas connu les déceptions engendrées par les commissions d’économies budgétaires de la seconde moitié des années 1940 et en est resté au modèle Reynaud, auréolé de son rôle dans la préparation de la guerre ; il n’a pas connu le mouvement de déprise et de désillusion des acteurs gouvernementaux engagés dans la politique de réduction des effectifs des années 1940, et sa « virginité » gouvernementale explique le maintien de sa croyance dans l’impact et l’efficacité des politiques d’économies ou de réforme des structures. Enfin, dans le cadre du projet de restauration de l’État que portent les gaullistes, la commission de l’article 76 constitue un signe symbolique adressé à la classe politique, à l’opinion et aux hauts fonctionnaires, dont le nouveau régime veut s’assurer le soutien. Le dernier Gouvernement de la IVe République a lui aussi politiquement besoin de son comité de réforme administrative, comme les gouvernements de la première IVe République en leur temps, mais cette fois-ci pour attester de la volonté gaullienne de reprendre en main l’État, de lui imprimer sa marque, de le reformater et de tourner la page des impuissances de la IVe République. Et tant pis si dans le même mouvement sont « oubliées » les innovations dont cette dernière a été porteuse dans la seconde moitié des années 1950149.
76En dépit de l’impulsion du Premier ministre et du temps dont a disposé le Gouvernement en 1959-1960, la commission de l’article 76 ne remet pas de rapport final et c’est à la Cour des comptes qu’il revient de dresser le premier bilan des travaux de la commission de l’article 76 en 1961 dans son rapport sur le projet de loi de règlement de 1960. Le plan d’économies devait atteindre au moins 150 millions de NF ; l’arrêté du 29 février 1960 publié le 2 mars 1960 affiche avec enthousiasme 180,4 millions d’économies. Mais les estimations de la Cour a posteriori en termes d’économies réelles ne sont pas aussi optimistes : la Cour les évalue à environ 115 millions de NF. Si l’on examine de plus près les trois points d’appui du plan d’économies, le plan d’aliénations serait un échec quasi complet150 ; la Cour évalue à seulement 3 % du programme escompté le total des ventes réalisées en 1959-1960 soit 1 421 000 NF ; idem en 1961, avec seulement 3 millions de NF. La déception est forte chez les responsables budgétaires. Pourquoi cet échec ? La Cour en liste les motifs : des biens dont la vente était prévue ont été retirés sur demande des ministères ; des biens sont en vente mais les transactions et les négociations sont très longues ; des biens sous séquestre n’ont pu être vendus. « L’exécution du programme d’aliénations s’est révélée décevante ; aux difficultés d’ordre juridique et économique s’ajoutent des réticences administratives, qui s’expliquent sans doute par le médiocre intérêt que des ventes faites au bénéfice du Trésor suscitent auprès des services affectataires ». Autrement dit, les services n’ayant aucun bénéfice direct à cette opération se montreraient fort peu motivés ; en correctif, la commission suggère de retourner l’indemnité ou de l’aliénation au service ayant cédé l’immeuble. Le plan de cession des participations de l’État, lui, se révèle un peu plus encourageant, notamment du côté des Charbonnages de France.
77Mais c’est le plan d’économies sur le fonctionnement des administrations qui suscite le plus de déception. Il était prévu 117, 63 millions d’économies, qui devaient affecter prioritairement les Armées, l’Éducation nationale, les services de l’Information, l’Agriculture, les Affaires étrangères et l’Aviation civile. Selon la Cour : « Les réductions de crédits ont été rendues possibles par une certaine aisance budgétaire. L’importance des crédits disponibles dans certains chapitres, les possibilités offertes par les procédures de transfert, de répartition, de virement et de report de crédits ont permis d’effectuer les réductions demandées, sans qu’il ait été toujours nécessaire pour autant de réaliser immédiatement les mesures d’économies réelles prévues par le programme. Certaines d’entre elles ne pouvaient avoir d’effet qu’à long terme et ne pouvaient se traduire sans délai par des réductions de dépenses importantes ». Autrement dit, les économies ont été en grande partie virtuelles ou assorties, comme le dit la Cour maniant l’art de l’euphémisme, de « succès divers ». En outre, les réductions de crédits ont été compensées par des créations d’emplois en 1960 et 1961, notamment dans l’Éducation nationale. De façon générale, qu’il s’agisse des économies de fonctionnement dans les administrations, les offices, les entreprises nationales ou le secteur semi-public, « les résultats des mesures d’économies retenues sont très difficiles à dégager… ». Et la Cour de conclure en grisaille : « Les résultats obtenus en exécution de l’arrêté du 29 février 1960 se révèlent somme toutes des plus décevants. Si les cessions de participations financières ont été dans l’ensemble effectuées comme prévu, les aliénations de biens domaniaux n’ont donné que des effets minimes ; et les économies de gestion réelles sont souvent restées très inférieures aux recettes d’ordre inscrites à la ligne spéciale de produits divers. Toutefois, comme la Cour l’a fait observer dans son rapport sur le projet de loi de règlement de l’année 1957, il n’en faudrait pas pour autant en conclure à l’inefficacité totale de la politique d’économies. Non seulement celle-ci a effectué une action générale de freinage des dépenses, mais encore, elle obtient dans des secteurs divers des résultats non négligeables […] Une nouvelle fois, l’expérience montre que les économies doivent inciter à écarter toute improvisation. La réorganisation administrative est une œuvre de longue haleine qui, pour porter ses fruits, exige des efforts constants et prolongés ».
78Reste à évaluer le plan de réforme administrative lui-même, pour lequel aucun rapport général n’est rédigé. Debré, tout au long de l’année 1960, fulmine contre la lenteur des travaux et des résultats, même après ses propres arbitrages ; il se livre à un véritable harcèlement du secrétaire d’État aux Finances, des ministres et des présidents de groupe de travail151. De fait, un an après les premiers examens de dossiers effectués par la commission en avril-mai 1960, certains ministères n’ont toujours pas répondu aux fiches transmises par la commission, qui restent en suspens, sans décision ni arbitrage152. Les questions ayant trait aux réformes de structures et aux personnels sont les plus nombreuses. Par exemple, pour l’Intérieur, 40 fiches restent en suspens, à l’Industrie, 10, et ainsi de suite… Et le ministère des Finances n’est pas en reste153. Lors de l’établissement du bilan de la commission, fin 1960, Questiaux met en cause dans l’allongement des délais l’utilisation de la procédure contradictoire154. Avec cet échec, le discours des réformateurs de l’administration s’enrichit d’une nouvelle strate de remarques plus ou moins amères sur les « résistances », les manœuvres de « contournement » et l’inertie opposées par les services aux interventions externes, omettant de considérer que ces « résistances » portent parfois, non seulement la marque de la défense d’intérêts catégoriels, mais aussi la trace de projets politico-administratifs alternatifs. Ainsi en est-il par exemple de la rivalité entre l’INSEE et le SEEF, qui finit par voir en 1965 son existence consacrée par son érection en direction de la Prévision, alors que le Plan a été rattaché en 1962 au Premier ministre155.
79Le CCECRSP, qui prend la succession de la commission de l’article 76 à partir du 21 décembre 1960156, établit tout au long de l’année 1961 le bilan des fameuses « fiches », reprend celles non examinées ou laissées en suspens (une soixantaine) et établit leurs « suites157 ». Ses premiers avis commencent à tomber à partir de l’été 1961 et le CCE transmet ses conclusions à la direction du Budget pour qu’elle les intègre dans les futures lois de finances. Tout au long de l’année 1961 et jusqu’au début de 1962, le CCE travaille en étroite liaison avec le Budget et le secrétariat d’État aux Finances, qui cherche à promouvoir « des enquêtes en profondeur » dans les services, conformément aux souhaits du premier ministre158. Pour mesurer le véritable impact des travaux de la commission de l’article 76, il faudrait donc faire un bilan des « suites », ministère par ministère, sur une durée de cinq ans au moins.
80Si l’on prend par exemple le cas du ministère de Finances, dans le cadre de la chasse aux doublons, il y a eu deux principales décisions prises presque immédiatement par le premier ministre et entrées en application dans l’année 1960 : la fusion du Commissariat général au Plan et du Commissariat général à la Productivité159 et la suppression de la direction générale de la Coordination économique et des Entreprises nationales de Pierre du Pont (DGCEEN160). L’objectif était d’« améliorer l’efficacité de l’action administrative par une organisation plus rationnelle des services » et de « réaliser des économies budgétaires par la suppression des doubles emplois ». Hormis chez les deux responsables respectifs, Gabriel Ardant et Pierre du Pont dont les postes ont été supprimés, ces deux décisions n’ont guère rencontré de résistance de la part des services concernés (les deux directions avaient un grand nombre d’agents) et elles ont été fort bien accueillies par les grandes directions du ministère des Finances bénéficiaires, qui se sont partagé les dépouilles des services sacrifiés. Bilan des économies ? De l’aveu même de Valéry Giscard d’Estaing, ces dernières se sont révélées faibles, car « elles étaient forcément limitées par l’impossibilité de licencier les fonctionnaires titulaires et même les agents contractuels susceptibles de bénéficier d’une titularisation ». Les résultats sont d’un licenciement et de 7 agents remis à disposition pour la DGCEEN (sur 59), de 22 licenciements pour le Commissariat à la Productivité et de 9 remises à disposition, plus 1 retraite, sur 162 agents. Les autres fonctionnaires sont reclassés, intégrés ou remis à disposition de leurs administrations d’origine. Au total, l’allégement des effectifs du secrétariat d’État aux Affaires économiques se monte à 79 agents sur 213 agents, soit un peu moins de 40 % des effectifs considérés.
81Par ailleurs, le groupe de travail n° 5 de la commission, consacré au ministère des Finances et des Affaires économiques, a mis à son programme de travail pas moins de 43 fiches, qui sont autant de propositions de réforme des services161. Le dossier le plus important est celui de la compétition entre l’INSEE et le SEEF que, dans le cadre de la chasse aux doublons, la commission veut fusionner. La résistance de Gruson et sa victoire finale contre Closon ont fait l’objet d’une partie importante de la thèse d’A. Terray162. Y sont étudiées toutes les opérations menées par Gruson pendant trois ans pour empêcher la suppression de son service et pour convaincre le premier ministre et le ministre des Finances, Baumgartner, de la nécessité de conserver un service de prévision économique au sein du ministère : notes au ministre, lettres personnelles, rapports, interventions, entretiens personnels, délais de réponse, refus de discussion ou silences opposés à telle ou telle question… Outre ce dossier rendu fleuve du fait de l’énergie déployée par Gruson, d’autres recommandations du groupe de travail n° 5 contrarient les services du ministère des Finances et les syndicats, qui entrent eux aussi en résistance163 : la suppression d’une vingtaine de recettes des finances (à raison de 4-5 par an) et d’une centaine de perceptions (sur 2 ans164) ; la réduction du nombre des entrepôts de tabacs fabriqués qui seraient ramenés à 25 ou 30 sur le territoire ; l’établissement d’un plan de regroupement des laboratoires de province ; la création d’un bureau central de liquidation des pensions. La plupart de ces dossiers vont traîner en longueur jusqu’en 1965… À son arrivée rue de Rivoli en 1966, Debré qui a éprouvé en tant que Premier ministre la formidable capacité de résistance administrative du ministère des Finances, renouera le fil avec la commission de l’article 76 et remettra sur le métier l’ouvrage de la réforme administrative des Finances, avec succès cette fois-ci, du moins en ce qui concerne la fusion des services fiscaux (1968).
82Même si toutes les propositions de réforme n’ont pas été menées à leur terme, la commission de l’article 76 a créé une dynamique qui s’est prolongée au ministère des Finances sur toute la décennie jusqu’en 1968165, tant sous Valéry Giscard d’Estaing devenu entre-temps ministre des Finances que sous Michel Debré revenu rue de Rivoli en 1966-1968 : chasse aux doublons et restructuration en 1962 de la direction générale des Prix et des Enquêtes économiques qui va absorber en 1965 la direction du Commerce intérieur, fusion des corps des fonctionnaires de la direction des Prix (inspecteurs généraux de l’économie nationale, experts économiques, commissaires aux Prix166), clarification des missions et partage des tâches entre le Plan, l’INSEE et le SEEF qui va être élevé au rang de direction autonome, remise en route de la « fusion » au sein des services des Impôts (fusion en 1960 des services centraux et ouverture du chantier de la fusion des services extérieurs), réunification de la direction du Trésor et de la direction des Finances extérieures en 1965, rationalisation et fusion des services du Matériel et des services généraux de Rivoli et quai Branly (ateliers d’impression, services automobiles, ateliers mécanographiques), mise en place de commissions transversales telles que la commission permanente de mécanographie à l’échelle interministérielle167, réorganisation de certains services particuliers (l’Imprimerie nationale), refonte du réseau territorial des services locaux (perceptions et recettes postales), révision de certains codes comme celui des pensions, mise à l’étude de l’allégement des contrôles financiers, prise de conscience de l’importance de la question de l’information et de l’informatique, etc. Cette dynamique de fond, cet élan qui tranche avec le scepticisme, le découragement et l’impuissance de la fin de la IVe République, est très perceptible dans les archives et dans les témoignages des hauts fonctionnaires du ministère des Finances ; il serait nécessaire de vérifier si la commission a suscité dans son sillage un même élan et une même effervescence dans les autres départements ministériels.
Conclusion
83La commission de l’article 76 est à l’échelle de l’État tout entier à la fois la dernière des grandes commissions d’économies budgétaires et de réforme administrative de la IVe République et la première de ce type pour la Ve République ; n’ayant été suivie d’aucune autre grande commission de ce type avant le début des années 1980, elle apparaît finalement comme un apax, c’est-à-dire comme une forme unique et isolée historiquement. Avec elle s’épuise un cycle de discours et de dispositifs à caractère budgétaire, de plus en plus exhaustifs, qui ont commencé en 1919 et qui ont expérimenté tous les outils possibles et imaginables en matière de suppressions d’emplois, de compressions des rémunérations, de restriction des effectifs, de fusion, de réorganisation et d’aliénations… À l’issue de ce cycle qui a duré quarante ans, soit deux générations successives de fonctionnaires que l’on pourrait symboliser par Maurice Bloch et Gabriel Ardant, le diagnostic qui consiste à dire que les commissions d’économies et de réforme administrative sont d’une efficacité réduite, voire nulle, semble partagé par l’ensemble des acteurs politiques et administratifs, exécutif, administration, Parlement, opinion… En tout cas, qu’il ait été discrédité ou qu’il soit devenu tout simplement inutile, ce dispositif des commissions n’est plus répliqué après 1959.
84Est-ce à dire que la préoccupation d’économies disparaît pour autant ? Non évidemment, car c’est la direction du Budget qui, armée de l’assurance et des pouvoirs que lui confère l’ordonnance organique de janvier 1959, fait fructifier cet héritage dans son travail de préparation du budget et des projets de lois de finances, dans l’épreuve des « conférences budgétaires » et dans son travail de régulation budgétaire avec les contrôleurs financiers des ministères « dépensiers » ; le souci de la progression des services votés ne la quittera d’ailleurs pas de toutes les années 1960 et contribuera à son intérêt pour la RCB naissante.
85Si l’on admet l’hypothèse selon laquelle la création des commissions d’économies et de réforme administrative constitue une politique symbolique et permet aux pouvoirs publics d’adresser des signaux politiques à l’opinion, au Parlement, à l’administration et à certains groupes sociaux qui sont autant de soutiens électoraux, on peut penser que l’abandon de cette politique administrative jusqu’alors étroitement couplée au régime parlementaire de la IIIe et de la IVe République est directement corrélé aux changements provoqués par le passage à la Ve République et par « la restauration gaullienne » de l’État. Le renforcement du pouvoir exécutif, qui n’a plus besoin de comité collégial pour couvrir ou cautionner ses arbitrages budgétaires ni d’expertises externes pour préparer ses décisions de réforme administrative (les services centraux et permanents sont désormais assez forts et assez outillés), la stabilité et la légitimité du pouvoir gaullien qui dispense le Gouvernement de former tous les six mois des coalitions politico-administratives pour assurer ses politiques publiques, la disparition du discours anti-fonctionnaires et à l’inverse, la promotion de la figure du haut fonctionnaire technicien et modernisateur, incarnation de l’intérêt général, l’acceptation du nouveau rôle de l’État conducteur de la croissance et du développement social, la mystique réactivée de la modernisation, sont autant de facteurs qui rendent obsolètes ou inutiles les comités d’économies et de réforme administrative. Le paradigme de l’expansion et de la croissance succède à celui du contrôle et du rationnement ! D’un point de vue plus technique, les progrès dans les années 1960 de la statistique des fonctionnaires et des recensements de l’INSEE (1962) comme des dénombrements de plus en plus précis établis par les directions du personnel ou des finances dans les ministères et par la direction du Budget rendent également moins utiles les comités d’enquêtes, qui jusque-là s’employaient à combler les lacunes de l’État dans la connaissance des effectifs et des emplois publics.
86Le phénomène le plus décisif est cependant, et de loin, la disparition du déficit budgétaire et l’installation durable de la croissance. Ces deux derniers éléments permettent en effet aux responsables de la gestion publique de tenter de construire une autre gestion des finances publiques, plus qualitative et moins compressive que précédemment, incarnée dans la rationalisation des choix budgétaires (RCB) qui se développe de 1965 à la fin des années 1970, avant qu’un nouveau cycle de contrainte budgétaire ne redémarre à partir des années 1990 dans un tout autre contexte historique, favorisant la réactivation des grandes commissions de réforme administrative et d’économies budgétaires, dont la révision générale des politiques publiques (RGPP) représente l’une des formes contemporaines les plus achevées. La RCB dans cette optique constituerait une parenthèse exceptionnelle, rendue possible par une croissance et une conjoncture budgétaire exceptionnelles, une expérience de l’abondance au milieu d’un siècle de contrainte financière, de dette et de rationnement budgétaire.
87De 1919 à 1950 se déploie une politique publique de gestion administrative, qui articule délibérément action budgétaire restrictive, réduction des emplois publics et réforme administrative et qui est portée alternativement ou conjointement par une juridiction (la Cour des comptes), par l’exécutif (le ministère des Finances/la présidence du Conseil) ou par cette administration consultative en plein essor à la fin de la IIIe République et sous la IVe République que constituent les comités d’économies et de réforme administrative. Dès l’origine, l’interrogation sur l’efficacité d’une telle politique est posée par les pouvoirs publics et les observateurs contemporains ; rudimentaire et aveugle, mais efficace avant 1940, ne serait-ce que par sa brutalité, elle se dote de dispositifs d’enquête et d’outils de plus en plus diversifiés, mais se heurte après 1945, en dépit d’un affichage politique affirmé, à la cristallisation juridique, budgétaire, organisationnelle et sociale de l’appareil administratif français. Décrédibilisées ou à tout le moins dévitalisées, remplissant de moins en moins les attentes budgétaires et politiques mises en elles, hormis des occasions exceptionnelles où elles sont ponctuellement ravivées (la commission de l’article 76 de 1959), les commissions d’économies budgétaires, collégiales, concertatives et temporaires, disparaissent pour plus de deux décennies de la scène administrative, laissant le champ libre à des dispositifs bureaucratisés et routinisés de compression budgétaire (DB) et à des organes d’enquête permanents de la réforme administrative (Cour des comptes, CCECRSP, DFP). C’est entre les mailles de ce dispositif que va percer la principale innovation gestionnaire des années 1960 et 1970, d’une tout autre origine et d’une tout autre inspiration, la rationalisation des choix budgétaires (RCB).
Notes de bas de page
1 Les ministères les plus concernés par la croissance des effectifs sont sans surprise après 1918 la Guerre, les Pensions et les Finances (le paiement des pensions, les dommages de guerre, la dette) et, après 1945, les Armées et les administrations économiques.
2 Deux grands axes de réforme sont identifiables : « le désencombrement de l’État » qui consiste à restituer au secteur privé certaines activités de l’État, en particulier les activités industrielles, et « l’industrialisation de l’État » qui consiste à introduire dans l’administration les « méthodes industrielles » des entreprises, c’est-à-dire l’organisation scientifique du travail. Cf. S. Rials, Administration et organisation (1910-1930). De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977.
3 Il faut attendre les années 1980 et surtout les années 1990 pour voir les pouvoirs publics renouer officiellement et publiquement avec les grandes commissions de réforme administrative et d’économies. Cf. P. Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), p. 262 et 372-388.
4 Sur l’administration consultative, C. Colson, « Le Conseil supérieur de la marine marchande et la défense des intérêts généraux », Revue politique et parlementaire, n° 263, 10 octobre 1916, p. 5-21 ; G. Dauphin, L’administration consultative centrale, Librairie Marcel Rivière, 1932 ; M. Lachaze, « Le règne des conseils ou la polysynodie dans l’administration française », Revue politique et parlementaire, n° 478, 10 septembre 1934, p. 483-494 ; H. Puget, « L’administration consultative centrale : conseils et commissions », in A. de Monzie, H. Puget et P. Tissier (dir.), Encyclopédie française, tome X, L’État moderne : aménagement, crise, transformations, Comité de l’Encyclopédie éditeur, 1935 ; J. Cahen-Salvador, La représentation des intérêts et les services publics, Recueil Sirey, 1935 ; Y. Weber, L’administration consultative, LGDJ, 1968 ; A. Chatriot, « Les instances consultatives de la politique économique et sociale », in G. Morin et G. Richard (dir.), Les deux France du Front populaire : chocs et contre-chocs, Actes du colloque du 4-6 décembre 2006, L’Harmattan, 2008, p. 255-266 ; F. Descamps, « Administration consultative et administration active : le cas des Comités d’économies et de réforme administrative de l’entre-deux-guerres », Revue administrative, n° 373, janvier-février 2010, p. 75-83.
5 Sur la question des effectifs des fonctionnaires et de leur « comptage », nous renvoyons aux travaux d’E. Ruiz, cf. « Compter : l’invention de la statistique des fonctionnaires en France (19890-1930) », in P. Bezes et O. Join-Lambert, « Comment se font les administrations », Sociologie du travail, 52 (2), avril-juin 2010, p. 212-233.
6 C’est notamment le point de vue de L’État moderne et du syndicat de l’Enregistrement (A. Budon et G. Mer). Cf. J. Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, 1848-1948, Paris, Presses universitaires de Lille, 1989, p. 248-250.
7 Précisons qu’à l’époque, la statistique des fonctionnaires est encore embryonnaire et que ce sont les ministères eux-mêmes, les directions du personnel et les directions de la comptabilité des ministères techniques qui tiennent la comptabilité de leurs emplois grâce à leurs fichiers de paye. Les contrôleurs des dépenses engagées n’ont pas encore les moyens de contrôler l’action des administrations en matière de recrutement et de rémunération, ce qu’ils obtiendront avec la loi de 1922 (visa préalable). La première tentative de mesurer scientifiquement les effectifs des fonctionnaires date de 1932, avec la publication de l’étude de Raymond Rivet, « Les statistiques des fonctionnaires en France et en divers pays », Bulletin de la SGF, octobre-décembre 1932.
8 J. Siwek-Pouydesseau, op. cit., 224-227.
9 SAEF, B 59 119.
10 E. Féret du Longbois, né en 1860, polytechnicien, a occupé successivement de 1907 à 1917 le poste de directeur de la Comptabilité publique puis du Contrôle des administrations financières, de contrôleur des dépenses engagées au ministère des Finances et de directeur du Mouvement général des fonds. Il a été nommé conseiller maître à la Cour des comptes en 1917.
11 SAEF, commission Courtin et Féret du Longbois, B 59 119.
12 M. Bloch né en 1861, inspecteur des Finances, a occupé le poste de directeur de la comptabilité au ministère des Colonies (1900), puis aux Finances celui de directeur général des Contributions directes (1908) et de directeur général de la Comptabilité publique (1912). Il a été nommé procureur général près la Cour des comptes en 1913.
13 Né le 4 juillet 1882, P. Brin accomplira toute sa carrière à la Cour des comptes, selon une trajectoire exemplaire qui le mènera de l’auditorat en 1908 jusqu’à la Première Présidence en 1948, en passant par le poste de président de chambre en 1937, de procureur général en 1944 et de président du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services publics de 1946 à 1952.
14 Bloch président, l’inspecteur général des Finances Sauvalle, Lavit contrôleur général de l’Armée, Monod représentant du ministère des Régions libérées, Féret du Longbois conseiller maître à la Cour des comptes.
15 Les commissions tripartites doivent être créées dans un délai d’un mois à partir de la loi de finances du 1er juillet 1923 : révision des cadres, simplifications, réforme des méthodes de travail, hausses du rendement, recherche d’économies et réduction du personnel… Cf. CHAN, 317 AP 48 ; L’État moderne, n° 1, janvier 1929 ; n° 2, mars 1929, p. 13-17 et p. 24-31 ; J. Siwek-Pouydesseau, op. cit., p. 237-238.
16 E. Labeyrie, futur procureur général en 1933 et futur réformateur du système de gestion des finances publiques, est son directeur de cabinet.
17 Selon la Fédération générale des fonctionnaires, les travaux n’auraient abouti qu’à « un immense bluff », in J. Siwek-Pouydesseau, op. cit., p. 249.
18 CHAN 317 AP 48. Dans les archives de Louis Marin, on trouve trace des difficultés du comité Bloch : échec des enquêtes écrites diligentées par Bloch, résistances des chefs de service, délais de réponse sans cesse rallongés, fermeture des ministères aux demandes et aux enquêtes, menaces de renvoi des contrôleurs des dépenses engagées, campagnes de presse fomentées par les ministères et les intérêts locaux…
19 CHAN 317 AP 48. Il tient sa première séance le 10 août 1922 et siège pendant plus d’une année.
20 Charles de Lasteyrie, lui-même inspecteur des Finances, ancien directeur des Services financiers du Blocus, s’attache résolument à la remise en ordre du ministère des Finances : réorganisation de l’administration centrale des Finances (décret du 28 juin 1923) et de la gestion du réseau des percepteurs et des personnels du Trésor, résorption et mise en place d’un service d’apurement des comptes spéciaux du Trésor (loi du 1er décembre 1922), création et organisation du contrôle des dépenses engagées (loi du 10 août 1922)…
21 Louis Marin, député de Meurthe-et-Moselle, rapporteur général du budget de 1917 à 1919, a fait partie d’un grand nombre de commissions à l’Assemblée : budget, finances, comptes définitifs, réorganisation économique, affaires étrangères, enseignement, traités de paix, Alsace-Lorraine, suffrage universel, programmes électoraux et règlement. En 1923, il est vice-président de la Chambre.
22 Paul Magny, ancien préfet de la Meuse et ancien directeur des affaires départementales à la préfecture de la Seine, directeur honoraire au ministère de l’Instruction publique et des Cultes, sénateur radical-socialiste à partir de 1914, président de la commission d’administration générale, départementale et communale, membre de la commission des finances des régions libérées d’Alsace-Lorraine.
23 Emmanuel Brousse, député de la Gauche démocratique, membre de la commission des crédits, vice-président des commissions de la marine et des finances après le conflit, sous-secrétaire d’État aux Finances dans les gouvernements Millerand et Leygues, spécialiste des finances publiques et partisan des économies budgétaires.
24 À la date de mars 1924, les commissions tripartites Blum ne sont toujours pas toutes constituées. Cf. second rapport Marin de mars 1924. CHAN 417 AP 109.
25 L. Marin procède d’ailleurs à un chiffrage de son plan de réforme et il évalue les fruits de sa première tranche de réorganisation à 650 millions de francs d’économies, avec l’espoir que son plan total aboutira au final à 4 milliards d’économies.
26 L. Marin est ainsi l’un des premiers hommes politiques à demander la création d’un grand ministère de l’Économie nationale, plus de dix ans avant le Front populaire.
27 Sur la pénétration du fayolisme dans les administrations, A. Chatriot, « Fayol et les fayoliens et l’impossible réforme de l’administration durant l’entre-deux-guerres », Entreprises et histoire, n° 34, décembre 2003, p. 84-97.
28 CHAN 317 AP 42.
29 Le rapport n’est guère disert sur les méthodes de travail du comité ; faute de moyens spécifiques, ces dernières n’ont sans doute pas été très différentes de celles des deux comités d’économies précédents : enquêtes écrites, questionnaires envoyés aux ministres et traités par les directions du personnel, lecture des rapports des corps de contrôle, travail sur les documents budgétaires et parlementaires…
30 Sur la réception du rapport Marin, CHAN 317 AP 42, 48 et 109 et conclusion du rapport Marin, JO, p. 953. Louis Marin prend la peine de lister toutes les manœuvres qui lui ont été opposées par les chefs de services, notamment : refus de renseignements, renseignements incomplets ou inintelligibles, réponses à côté, délais répétés pour fournir le moindre chiffre, protestations mal sonnantes, campagnes de presse organisées, refus de réponses…
31 CHAN 317 AP 48. Dans le projet de son deuxième rapport destiné à compléter le premier, Louis Marin prévoit d’ajouter aux suppressions des recettes et des perceptions la fusion de la régie de l’Enregistrement et de celle des Contributions directes, ainsi que celle des Contributions indirectes et des Douanes. Le Comité des experts au printemps 1926 reprendra la proposition de fusionner les services des Contributions directes et de l’Enregistrement et Poincaré, de retour au pouvoir, mettra en œuvre pendant l’été 1926 la suppression de 153 recettes et la fusion de l’Enregistrement et des Contributions directes.
32 N. Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et d’un contrôle financier et les grandes étapes d’un développement contrasté 1919-1940 », in colloque Comité pour l’histoire économique et financière de la France, La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, 2001, p. 65-104.
33 Commission Courtin et commission Féret du Longbois, SAEF, B 59 119.
34 Ces mécanismes sont bien connus des parlementaires spécialistes de finances publiques, des gestionnaires aussi bien que des syndicats de fonctionnaires. Cf. les analyses de L’État moderne en 1932-1933.
35 Face à la crise monétaire et financière qui secoue le cartel des gauches, R. Péret, ministre des Finances du gouvernement Briand, par le décret du 31 mai 1926, met en place un comité des experts qui doit établir des propositions pour un programme d’assainissement économique et financier. Les membres en sont Sergent, Duchemin, Fougère, Jèze, Lewandowski, Masson, Moreau, Oudot, de Peyerimhoff, Philippe, Picard, Rist et Simon. Le rapport rendu le 3 juillet 1926 propose de nombreuses mesures monétaires et financières (consolidation volontaire et progressive des bons de la défense nationale, création d’une caisse de gestion de ces bons administrée par la Caisse des dépôts et alimentée par les recettes du monopole des tabacs, stabilisation monétaire, accroissement de l’autonomie de la Banque de France, mesures budgétaires et fiscales, etc.), mais, il comporte aussi un petit volet de réforme administrative et d’économies (réduction des subventions aux collectivités locales, rationalisation des services locaux, fusion des administrations des Contributions directes et de l’Enregistrement en vue d’améliorer l’efficacité du contrôle fiscal et le rendement de l’impôt sur le revenu…)
36 Du mois d’août 1926 jusqu’à la fin décembre 1926, plus de 70 décrets de suppressions d’emplois sont pris par le Gouvernement.
37 Toutefois, un décret du 1er mars 1932 institue auprès de P. Reynaud, garde des Sceaux et vice-président du Conseil, un service de contrôle des administrations publiques, chargé de centraliser tous les rapports des corps de contrôle et d’inspection des différents ministères, de mettre en œuvre « la simplification » des rouages administratifs et de promouvoir la réforme administrative. L’initiative n’a pas de suite, stoppée par la chute du cabinet Tardieu en juin 1932, mais elle inspirera les travaux des conseillers de G. Doumergue sur la rénovation de la Présidence du Conseil après la crise de février 1934.
38 Circulaire de la DB du 6 février 1933, SAEF, B 33 452.
39 Décret du 22 octobre 1932, article 4, SAEF, B 33 452.
40 Décret du 27 juin 1933.
41 Le secrétaire général est Lorain, conseiller référendaire à la Cour des comptes, les trois secrétaires rapporteurs sont Charnacé auditeur à la Cour, Closset auditeur au Conseil d’État et Ardant inspecteur des Finances.
42 SAEF, B 33 316, circulaire DB du 27 décembre 1932. Les réponses des contrôleurs des dépenses engagées s’échelonnent de décembre 1932 à mars 1933, plus ou moins innovantes, plus ou moins incisives (organisation, structures, auxiliaires, comptabilité, emplois, indemnités, subventions, travaux, contrôle). Les rapports des CDE insistent sur le nécessaire renforcement du contrôle sur les offices et certaines de leurs propositions seront reprises dans le cadre des travaux de la commission des offices de 1933.
43 SAEF, B 33 452. Entre autres, notes DB du 10 février, du 1er mars, du 7 mars 1933, du 30 mars 1933. La DB sert en réalité de secrétariat au comité supérieur des économies ; c’est elle qui instruit les demandes, suit les dossiers, relance et centralise les réponses des services.
44 M. Bloch demande à chaque ministre de lui faire parvenir un ou plusieurs tableaux lui faisant connaître la liste des indemnités ou suppléments de toute nature, remises ou allocations attribuées aux fonctionnaires, militaires, employés ou ouvriers au service de l’État, sur les crédits du budget général ou les budgets annexes. Il demande également des informations sur la nature de ces indemnités, leur taux, leur justification, la référence aux textes législatifs ou réglementaires qui les autorisent, le nombre et la catégorie des agents bénéficiaires, la dépense totale que représente chaque indemnité et le chapitre du projet de budget de 1933 dans lequel s’inscrit cette dépense. Le même exercice est demandé aux offices et aux établissements publics, qui arguent de leur statut pour essayer de se soustraire aux demandes de renseignements. En décembre 1933, le président du comité d’économies, E. Labeyrie, exige du ministre des Finances que les indemnités, primes, jetons de présence, versés aux administrateurs de l’État dans les sociétés dont l’État est actionnaire, soient soumises à la révision générale prescrite par le Parlement. Les réponses des directions des Finances se font attendre…
45 Pour les Finances, c’est le contrôleur général des Armées Bralley qui est en charge de l’enquête. Le principe du « regard extérieur », développé par le Comité de réforme administrative de 1938 puis par le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics de 1946, a donc été mis en œuvre dès 1933 par le comité Bloch II.
46 SAEF, B 33 452. Décret du 22 octobre 1932, article 5, décret du 20 novembre 1932 et loi du 28 février 1933, article 74. « Il sera institué dans chaque administration de l’État, office ou administration autonome, une commission d’économies qui sera chargée de proposer les simplifications possibles dans l’administration et les réformes applicables aux méthodes de travail. Cette commission procédera à une révision générale des cadres, elle proposera les réductions possibles de personnel ». Ces commissions tripartites sont composées à part égale de représentants des « organisations du public » (usagers, chambres de commerce, chambres syndicales), de membres représentant l’administration désignés parmi les hauts fonctionnaires et de représentants du personnel. Une soixantaine de commissions tripartites sont prévues. Pour les Finances, il est prévu une commission tripartite pour l’administration centrale, pour chacune des trois régies financières, pour la Comptabilité publique, pour les Douanes, pour les manufactures de l’État, pour l’Imprimerie nationale, pour les Monnaies et Médailles et pour le Service des laboratoires. Les archives des commissions tripartites du ministère des Finances nous renseignent sur les revendications et les propositions des services ainsi que sur l’attitude de la hiérarchie, plutôt conciliante, qui relaie avec bonne volonté les préconisations à caractère « gestionnaire ». Il semblerait que certaines d’entre elles aient été reprises dans certains des décrets-lois Doumergue du printemps 1934, mais cela reste à vérifier. En revanche, sans surprise, la suppression des indemnités fait l’objet d’un rejet parfaitement consensuel !
47 B 33 452. Selon les réformateurs de l’après-guerre, l’expérience des commissions tripartites aurait avorté ; mais les archives de la DB, ainsi que les articles de L’État moderne en 1933 (par exemple sur la réforme du Service des laboratoires) montrent que les commissions tripartites ont remonté des propositions à destination du comité supérieur, au grand bénéfice des directions du personnel et de la direction du Budget, qui faisant office d’intermédiaires obligés, ont amélioré leurs connaissances des services et des effectifs. Voir F. Descamps, « Une expérience de réforme administrative d’en bas en France : les commissions tripartites de 1933 ou la première tentative de cogestion administrative au ministère des Finances », in Actes du colloque Les réformes administratives vues d’en bas organisé par le CERAP, Université libre de Bruxelles, 14-15 mai 2009, volume III, Pyramides, n° 19, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1er semestre 2010, p. 153-178.
48 B 33 452, circulaires DB du 28 septembre 1933 et du 12 février 1934.
49 Circulaires DB du 9 avril 1934 et circulaire du 21 juillet 1934. Idem pour les offices. En octobre 1934, la DB s’attaque aux indemnités versées pour l’utilisation de véhicules personnels dans le cadre du service.
50 N. Carré de Malberg, Le grand état-major financier : les inspecteurs des finances, 1918-1946. Les hommes, le métier, les carrières, Paris, CHEFF, 2011, p. 254-255. Si Y. Bouthillier est considéré généralement comme le principal artisan de la politique de déflation budgétaire sous Laval, il est clair qu’E. Haguenin partage la même responsabilité sous Doumergue. L’histoire a retenu le nom du premier, mais le second n’a pas été en reste !
51 SAEF, B 33 452, Décrets-lois du 4 avril 1934, Journal officiel, « Réalisation d’économies en exécution de l’article 36 de la loi du 28 février 1934 ». Le rapport au président de la République expose en six points le diagnostic et l’argumentaire du gouvernement Doumergue (l’analyse de la situation ; la nécessité de l’équilibre budgétaire ; l’œuvre de réforme ; la lutte contre les abus et la réforme administrative ; les sacrifices demandés aux personnes ; subventions et dépenses de matériel) dans le cadre du plan de sauvetage des finances publiques. Ce texte porte principalement la marque de Germain-Martin, ministre des Finances, et de ses deux bras droits, Bouthillier, son chef de cabinet, directeur du Service de contrôle des administrations financières et Haguenin, directeur du Budget ; la patte de R. Dautry, conseiller du président du Conseil, hostile à l’abattement forfaitaire et partisan des méthodes d’organisation scientifique du travail et des services des ingénieurs-conseils privés, n’est guère perceptible, mais il aura sa revanche en 1935, au cabinet de Laval. Cf. les archives Dautry, CHAN, 307 AP 95 à 100.
52 B 33 452, circulaire DB du 7 avril 1934.
53 Les traitements inférieurs à 12 000 francs, jusqu’ici exonérés par la loi du 23 décembre 1933, sont réduits de 5 %, les traitements supérieurs à 100 000 francs de 10 % et les traitements intermédiaires voient leur prélèvement accru.
54 S’engage parallèlement le travail d’élaboration des décrets et des arrêtés d’application, ministère par ministère. Pour le ministère des Finances, les décrets s’échelonnent du 21 avril au 30 juin 1934 et énumèrent catégorie par catégorie les emplois supprimés dans les services extérieurs et à l’administration centrale.
55 Archives Dautry, CHAN, 307 AP 96, note du 20 septembre 1934, p. 10.
56 Au début des années 1930, la direction du Budget et son service des personnels civils et militaires (PCM), alliée au comité supérieur d’économies, tente d’améliorer sa connaissance des effectifs des agents publics. L’enquête de mars 1933 sur les indemnités, qui vise à obtenir des informations sur les rémunérations « réelles » des agents publics, en est un des moyens ; au même moment, en 1932, R. Rivet, à la SGF s’intéresse à la statistique des fonctionnaires.
57 Décret du 4 avril, Journal officiel, 5 avril 1934, p. 3499.
58 La circulaire du 7 avril 1934 constitue un véritable discours sur la méthode concernant la réforme administrative vue depuis la direction du Budget.
59 SAEF, B 33 316, circulaire DB du 22 juin 1935 et réponses des CDE.
60 Tout se passe comme si s’aiguisait la concurrence entre la présidence du Conseil, conseillée par R. Dautry, J. Toutée et J. Branger, et le ministère des Finances où c’est désormais Y. Bouthillier qui en tant que directeur du Budget pilote la déflation administrative et budgétaire. CHAN 307 AP 98, 18 juillet 1935.
61 Près de 400 décrets ont été pris en exécution de la loi du 8 juin 1935.
62 Les petits traitements inférieurs à 8 000 F sont soumis à un prélèvement de 3 % ; ceux compris entre 8 000 et 10 000 à un taux de 5 %.
63 Décret-loi du 3 juillet 1935. La commission prévoit la participation d’un président de chambre de la Cour (Amet président), d’un conseiller d’État (Bouffandeau), d’un recteur (Charlety), d’un président de section du conseil supérieur des Ponts et Chaussées ou des Mines (Kerviler), d’un inspecteur général des Finances (Poisson) et du directeur du Budget, ainsi que la nomination de conseillers maîtres pour diriger les missions de contrôle dans les ministères. Chaque mission est composée de deux enquêteurs, un membre du Conseil d’État et un inspecteur des Finances.
64 Décret-loi du 2 juillet 1935. Il est institué un comité supérieur des méthodes et des résultats de la gestion des administrations de l’armée, de la marine et de l’air, afin de rechercher et proposer toute mesure tendant à assurer cette gestion dans les conditions les plus économiques, tant en ce qui concerne les dépenses de personnels que de matériel. Il est composé d’un président de section du Conseil d’État (Chardon), d’un président de chambre (Valette), d’un inspecteur général des Finances (Boullay), de trois contrôleurs généraux des trois armes, et de rapporteurs pour enquêter dans les départements, sous la responsabilité de sous-commissions ministérielles.
65 Décret-loi du 17 et du 30 juillet 1935. Le comité supérieur de l’administration départementale et communale est chargé de veiller à la stricte application du contrôle en ce qui concerne les administrations départementales et communales ainsi que les établissements publics et de rechercher un nouveau statut financier pour les départements, communes et établissements publics. Il est présidé par E. Herriot ministre d’État assisté des ministres des Finances et de l’Intérieur, et comprend un président de section au Conseil d’État, un président de chambre à la Cour des comptes, un inspecteur général des services administratifs, le directeur de l’administration départementale et communale, le directeur du Budget, le directeur de la Comptabilité publique, le président de l’association des maires de France, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône.
66 Décrets-lois du 9 juillet et 15 juillet 1935. Dans chaque ministère, le comité d’économies est « chargé de rechercher et de proposer toute mesure tendant à la réduction ou à la suppression des dépenses, à l’amélioration des services publics par la simplification des rouages administratifs, la fusion ou la suppression de services ou d’emplois, la modification des méthodes et moyens de travail selon les procédés les plus modernes et l’amélioration du rendement du personnel ». La recherche traditionnelle des économies et la réforme administrative s’augmentent des nouvelles méthodes venues de l’industrie ou des cabinets de conseil en organisation que R. Dautry souhaite voir acclimater dans les administrations publiques. Les rapports des comités d’économies sont attendus à la présidence du Conseil pour le 1er septembre, mais ils s’échelonnent jusqu’au 25 septembre ; faute de directives, ils revêtent une forme hétérogène et ne comportent pas toujours les textes réglementaires attendus. Chaque comité d’économies ministériel est vice présidé par un conseiller maître ou un conseiller d’État ; il est composé d’un inspecteur ou d’un membre du corps de contrôle financier, d’un conseiller d’État ou d’un conseiller maître ; s’y ajoutent trois représentants du président du Conseil dont un membre du Conseil national économique et trois représentants du ministère concerné. Le principal élément innovant réside dans la participation de représentants de la présidence du Conseil, souvent choisis dans le milieu des ingénieurs et des organisateurs privés (cf. la lettre de J. Milhaud à R. Dautry, 24 juillet 1935 ou le rapport général pour le ministère des Travaux publics de Robert Satet, membre du CNOF, CHAN, 307 AP 98). Au ministère de l’Air, le comité de réorganisation est présidé par H. Chardon, président de section au Conseil d’État et le rapporteur général est J. Toutée. Au ministère des Finances, le comité d’économies, créé le 15 juillet 1935, réunit Fochier, conseiller d’État, vice-président, Allix, professeur de la Faculté de droit de Paris, Fournier, membre du Conseil national économique, Compagnon, secrétaire général du CNOF, Fouchier, conseiller maître à la Cour, Decron et Drouineau, inspecteurs généraux des Finances, Veraguth TPG, membre de L’État moderne et futur magistrat de la Cour des comptes, ainsi que le directeur du Budget.
67 Décret de création du 4 juillet 1935, Journal officiel du 5 juillet 1935 p. 7163 et décret du 4 décembre 1935, JO, p. 12780. La commission supérieure de révision des pensions est présidée par un conseiller d’État et composée d’un magistrat de la cour, d’un représentant du ministère des Pensions, d’un représentant du ministère des Finances, d’un médecin des hôpitaux et de quatre anciens combattants ; elle est subdivisée en sections et fonctionne sur mémoires. Les différentes sections de la commission supérieure des pensions sont présidées par un conseiller d’État ou un magistrat de la Cour des comptes ; la vice-présidence de la commission est confiée également à un conseiller maître ; des auditeurs peuvent être adjoints comme rapporteurs. Les commissions de révisions, dans les ministères, sont composées d’un membre de la Cour des comptes, d’un magistrat, de contrôleurs des Armées et de la Marine, d’un représentant des anciens combattants et des pensions, d’un médecin… Cinquante commissions au moins sont prévues.
68 De fait, leur installation a pris un temps infini et suscité de nombreuses résistances de la part des ministères contraints de se soumettre au contrôle des représentants du ministère des Finances (SAEF, B 33 316).
69 CHAN, 307 AP 98, Note de J. Branger, août 1935, proposant de créer un conseil supérieur d’organisation des services publics, présidé par le président du Conseil et chargé de coordonner les travaux et les décisions des différents comités d’économies.
70 Pour une tentative d’évaluation à l’époque, « Note sur les travaux des commissions d’économies dans les ministères », et rapports ministériels correspondants, CHAN, 307 AP 100. L’auteur (Dautry ? Branger ?) fait état des difficultés à obtenir l’assentiment des ministres pour les mesures d’économies préconisées par les comités d’économies, à obtenir les projets de décrets correspondants et à chiffrer financièrement les mesures de réorganisation. À notre connaissance, aucun bilan administratif et budgétaire d’ensemble n’a été entrepris rétrospectivement.
71 Décret-loi de création du 12 novembre 1938, en application de la loi du 5 octobre 1938, JO, p. 12888.
72 Exposé des motifs, p. 12888.
73 Cité par E. Bonnefous, La réforme administrative, Paris, PUF, 1958, p. 76-77. Voir aussi CHAN, 74 AP 17, le discours de P. Reynaud à la radio le 12 novembre 1938 où il affirme son refus de l’abattement forfaitaire. De fait, dès 1935, certains hauts fonctionnaires de la présidence du Conseil ont dénoncé l’utilisation de l’abattement forfaitaire et « l’uniformité des compressions effectuées », « sans qu’il ait été fait de distinctions suffisantes suivant l’utilité plus ou moins grande des services » (CHAN, 307 AP 100, Rapport présenté par le Comité chargé de rechercher et de proposer toutes mesures tendant à la suppression ou à la réduction des dépenses publiques au ministère des Finances, p. 3).
74 Né en 1867, G. Pichat a été vice-président du Conseil d’État en 1937-1938. Le 3 avril 1938, il est nommé par Léon Blum à la présidence de la Cour supérieure d’arbitrage, créée pour le règlement des conflits collectifs du travail.
75 R. Villard, né en 1894, inspecteur des Finances, directeur du Budget et du Contrôle financier de 1929 à 1932, est en 1938 sous-gouverneur du Crédit foncier.
76 L. Hyon, administrateur des Douanes, proche des milieux syndicalistes et de L’État moderne, partisan d’une modernisation des méthodes de travail et favorable à la « collaboration » des agents, des usagers, des syndicats et de la hiérarchie, est nommé directeur général des Douanes par le Front populaire en novembre 1936, en même temps que G. Mer, nommé secrétaire général rue de Rivoli. Il conserve ce poste jusqu’à sa nomination au CRA le 21 novembre 1938, puis prend sa retraite en octobre 1939. Cf. J. Bordas, Les directeurs généraux des Douanes, L’administration et la politique douanière 1801-1939, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, p. 719-724.
77 T. Rosset, professeur de philologie, proche du parti radical, directeur de l’enseignement supérieur de 1938 à 1941.
78 J. Toutée, maître des requêtes, a été l’un des adjoints de R. Dautry au sein du cabinet de Doumergue en 1934.
79 A. Boissard, né en 1901, inspecteur des Finances, chef adjoint du cabinet Laval, président du Conseil, chef du service des prestations en nature du ministère des Finances de 1935 à 1938.
80 Le CRA est réputé pour avoir employé jusqu’à 80 enquêteurs rapporteurs ! Cf. la liste des rapporteurs incluse dans le décret du 13 décembre 1938, p. 1359. Parmi les personnes associées aux travaux du CRA, on compte une vingtaine de membres de la Cour des comptes : Brin, Chalandon, Berthoud, Savin, Le Conte, Merveilleux du Vignaux, de Thoré, Brouillet, Delaporte, Escoube, Walter, Hamelin, Priem, Lorain, Favier, Marcus, Parent, Forbin, Willier… Et au moins autant d’inspecteurs des Finances : Amaudric du Chaffaut, Boissard (Adéodat et Henri), Auboyneau, Colas des Francs de Parabère, Ardant, Richard, Fayol, Salaün, Marcotte de Sainte-Marie, Chomereau de Saint-André, Redouin, Gregh, Gruson, Schweitzer, Cardin, Mourre, Grièges, Brunet (André), Donati, Fayol, Fouchier, Fourmon, Frédet, Redouin, Devaux, etc.
81 SAEF, B 33 230/1. Bribes des archives de gestion du CRA (enquêteurs, rémunérations, frais de mission, indemnités, organisation des missions). Les frais de mission des enquêteurs et les indemnités sont payés par la direction du personnel du ministère des Finances et les paiements ont duré jusqu’en juin 1939. Chaque mission ministérielle est dotée d’une documentation particulière sur le ministère étudié (liste des directions et services, liste des commissions, conseils et comités et crédits affectés à leur fonctionnement, liste des services dépendant de l’administration centrale, liste des services extérieurs dotés ou non d’autonomie). A. Boissard entretient une correspondance avec les chefs de mission, notamment pour la restitution des rapports. La correspondance avec le ministre transite au cabinet par D. Leca, conseiller de Paul Reynaud ; A. Boissard correspond également avec le secrétaire général du ministère, Y. Bouthillier. De nombreuses interventions parlementaires dont la trace subsiste dans les archives relaient les inquiétudes des syndicats et des associations de fonctionnaires face à la menace de suppressions d’emplois et d’économies.
82 Par exemple, Henri Solus, professeur de droit à la faculté de droit de Nancy.
83 B 33 230/1. On possède le questionnaire d’enquête de la mission « Fonctionnaires » dirigée par Colas des Francs de Parabère, inspecteur général des Finances. Les questions étudiées sont les suivantes : conditions d’accès aux postes de rédacteur, accès à ces postes par les membres des services extérieurs ou détachements, postes discrétionnaires à la discrétion du ministre, qualifications et procédure de recrutement, concours communs, contrôle de l’absentéisme et de l’assiduité, contrôle des rendements, aménagement des locaux et des tâches, conflits d’intérêt dans les commissions de contrôle, personnels « inaptes » à l’emploi, possibilité de retraites anticipées pour ces personnels, possibilité de supprimer ces postes, possibilité de supprimer les postes de gardiens de bureau ou d’hommes de service par sous-traitance à entreprises privées, emplois ouverts aux femmes. Bizarrement, la fiche ne mentionne pas la question des effectifs…
84 SAEF, 1A 401. Lettre d’A. Boissard, secrétaire général, à Y. Bouthillier, secrétaire général du ministère des Finances, 13 janvier 1939. Il demande que ces directions « formulent dans des notes résumées les propositions de réforme ou d’économies qui leur paraissent pouvoir être réalisées le plus efficacement possible et le plus rapidement possible. Ces directions devraient d’autre part signaler les services où elles estiment que le comité aurait intérêt à diriger le plus rapidement possible l’activité de ses rapporteurs ». Ces directions sont en effet « particulièrement informées, en raison de leurs attributions, des défectuosités qui existent dans certains secteurs administratifs et qui sont dès maintenant en mesure de fournir des suggestions précises tendant à corriger ces défectuosités ».
85 SAEF, 1 A 401.
86 SAEF, 1 A 401 et CHAN, 74 AP 17, discours de P. Reynaud, 21 avril 1939. Dans ce discours, il annonce des économies sur les grands travaux, la réforme du service des Alcools, la réforme de l’Office du blé, la liquidation des participations de l’État, la réforme de la préfecture de Paris et de la Seine…
87 E. Bonnefous, La réforme administrative, Paris, PUF, 1958, p. 77-78.
88 SAEF, B 57 035. Le décret Chéron entraîne en 1930 un afflux des demandes de dérogation.
89 Pour un bilan macrobudgétaire, voir A. Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres (1931-1939), Paris, Fayard, 1967, p. 150-180 ; C. André, R. Delorme et G. Terny, « Les dépenses publiques françaises depuis un siècle », Économie et statistique, Année 1973, volume XLIII, p. 3-14 ; J. Bouvier, « Histoire financière et problèmes d’analyse des dépenses publiques », Annales. Économies Sociétés Civilisations, 33e année, n° 2, mars-avril 1978, p. 207-215 ; C. André et R. Delorme, L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publique de la France (1870-1980), Paris, Le Seuil, 1983.
90 Il existe depuis 1924 une instance de concertation et d’association des « forces vives » de la nation en matière économique et sociale, le Conseil national économique. Cf. A. Chatriot, La démocratie sociale à la française, L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002
91 E. Haguenin manifeste son tropisme réformiste et rationalisateur dès 1929, alors qu’il est directeur du contrôle des dépenses engagées rue de Rivoli ; son rapport annuel sur le budget 1928 est un modèle du genre et atteste des ambitions du futur directeur du Budget et du Contrôle financier quant à sa conception du rôle du contrôle des dépenses engagées, SAEF B 33 330, 30 octobre 1929. Voir quelques années plus tard sa circulaire aux contrôleurs des dépenses engagées du 26 avril 1933 sur le contenu de leurs rapports ou celle du 14 mars 1933 sur le contrôle des offices, SAEF, B 33316.
92 Sur le comité budgétaire et son incapacité à endiguer le flot des dépenses publiques et l’augmentation des effectifs de fonctionnaires, rapports d’activités au Maréchal Pétain 1942 et 1944, rapports publics de la Cour des comptes 1947 et 1948 et rapports du CCECRSP 1947 et 1948.
93 Ordonnance du 6 janvier 1945, article 2, SAEF, B 48 448.
94 Séance solennelle du 30 juillet 1945, archives de la Cour des comptes, 2004001/29.
95 Créations irrégulières d’emplois, désordres dans les traitements et les indemnités, avancement dans les grades, recrutement abusif d’auxiliaires, dépassements d’effectifs, « gonflement » du nombre d’agents techniques, chasse aux subventions abusives aux associations et aux fondations, emploi abusif d’automobiles, chasse aux frais de déplacement, etc.
96 Séance solennelle du 30 juillet 1946, Archives de la Cour, 2004001/29. Pour gagner du temps, la vérification de la comptabilité administrative du ministère est désormais confiée au magistrat chargé d’assister le rapporteur du Budget du même ministère à la commission des Finances de l’Assemblée
97 Jean Biondi, né en 1900, député SFIO, ancien résistant. Réélu député en 1945 et 1946, il entre dans le gouvernement Blum (décembre 1946-janvier 1947), dernier gouvernement provisoire et premier gouvernement purement socialiste du XXe siècle. De novembre 1947 à février 1950, il est continûment secrétaire d’État à la Fonction publique ou à la Réforme administrative. Il a été rapporteur de nombreuses lois, celle sur la nouvelle Constitution, celle du reclassement de la fonction publique et celle sur les budgets des collectivités locales et a porté, de bon ou mauvais gré, la politique d’économies et de réforme administrative de la fin des années 1940.
98 Cf. la circulaire de la Présidence du Conseil sur la constitution des commissions de révision ministérielles, 31 janvier 1945, SAEF, B 48 448. Ces dernières ont 6 mois pour rendre leur rapport.
99 La loi prévoit tous les dispositifs possibles (à l’exception de la baisse nominale des traitements et indemnités) : retraites prononcées d’office, recul de la limite d’âge pour la retraite, gel des recrutements, mise en détachement, mise à disposition obligatoire du Centre d’orientation et de réemploi (SAEF, B 57 035).
100 SAEF, B 57 035.
101 Circulaire de la DB du 4 janvier 1947, SAEF, B 57 035.
102 Affaires étrangères 45 ; Commissariat général aux affaires allemandes 7202 ; Agriculture 1885 ; Anciens combattants 1553 ; MEN 1000 ; Éducation nationale 1500 ; Finances 3500, FOM 163 ; Justice 786 ; Intérieur 3041 ; Ravitaillement 3000 ; Production industrielle 1639 ; Santé publique 1728 ; Travaux publics 1000 ; Radio 265 ; Défense nationale 265 ; Air 6500 ; Guerre 8200 ; Marine 2740 ; Présidence du Conseil 4800, etc.
103 SAEF, B 57 035. La direction du Budget se montre sceptique. Le plan de réduction des effectifs a bien engendré quelques innovations institutionnelles, telles que la création du Centre d’orientation et de réemploi au ministère du Travail (décret du 10 février 1946). Mais, créé pour centraliser les demandes d’emplois d’agents dont le poste a été supprimé et pour organiser leur reclassement, soit dans le public soit dans le privé, le COER présente un bilan contrasté et controversé (cf. le rapport de l’inspecteur des Finances Marcille, en date du 22 mars 1949, SAEF, B 57 035 et B 10 495).
104 Décret du 8 juillet 1947. Selon P. Huet (AO, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, entretien avec O. Feiertag, n° 5, 20 décembre 1990), le terme « Guillotine » aurait été substitué au terme « Hache », pour faire plus moderne (sic).
105 Philippe Huet, inspecteur des Finances, directeur de cabinet de Ramadier, chargé de suivre les travaux de la commission, décrit combien la direction du Budget était mobilisée dans cet exercice, notamment par « l’épluchage » un par un des budgets pour « en élaguer les aspects jugés les moins utiles, secondaires, superflus, excessifs ». Il raconte aussi les auditions finales, qui se sont déroulées de juillet à octobre 1947, à Paris et à Champs-sur-Marne, avec convocation des ministres devant le président du Conseil, le ministre des Finances jouant le rôle du procureur, entouré d’experts et de spécialistes, et décisions finales de suppressions de crédits ou d’emplois (entretien avec Olivier Feiertag, n° 5, du 20 décembre 1990, AO, Comité pour l’histoire économique et financière de la France).
106 La loi du 6 janvier 1948 est aussi celle qui institue la commission de vérification des comptes des entreprises publiques.
107 E. Bonnefous, op. cit., p. 86.
108 La loi du 17 août 1948 donne au Gouvernement la possibilité de faire la réforme administrative en utilisant la voie réglementaire.
109 Dans le gouvernement Queuille, J. Biondi est toujours secrétaire d’État à la Réforme administrative, tandis que M. Petsche, ministre des Finances, est secondé par A. Poher au Budget et E. Faure aux Finances.
110 SAEF, B 59 109. Les commissions départementales enquêtent sur la croissance des effectifs entre 1939 et 1949, sur l’implantation des services et la superficie des locaux occupés et sur les dépenses de matériel. Chaque service départemental fait l’objet d’une séance et d’une fiche spécifique ; le tout est regroupé ensuite par ministère. Les conclusions sont transmises, avec l’avis du préfet.
111 SAEF, B 10 495.
112 Loi de finances du 31 janvier 1950, article 31 et article 32.
113 M. Petsche est ministre des Finances et des Affaires économiques et E. Faure secrétaire d’État aux Finances.
114 À la suite de la commission nationale d’économies, R. Goetze fait appel à P. Planus pour la réorganisation et la modernisation de la direction du Budget ; de véritables innovations suivront cette intervention. F. Descamps, « Lorsque la direction du Budget faisait appel à un cabinet de conseil privé pour sa propre réorganisation… », Revue française d’administration publique, n° 131, décembre 2009, p. 513-525.
115 La direction du Budget établit les instructions qu’elle notifie par voie de circulaire au ministre concerné, ce dernier répond par écrit, puis est auditionné par la commission.
116 PH 42/97. Cours de Millet à l’ENA sur le budget et plus particulièrement sur le budget de reconstruction et d’équipement (BRE). La loi de finances du 24 mai 51 comportera l’intégralité des dépenses de reconstruction et d’équipement, de réparation des dommages de guerre et d’investissements économiques et sociaux.
117 Et Bonnefous de conclure en 1957, dans son ouvrage, p. 103, non sans acidité : « Il suffit aussi de lire cette liste pour voir que bien peu des mesures proposées furent suivies d’effets ».
118 Introduction, rapport général de la CNE, p. 13.
119 Le prélèvement sur traitement ou sur pension, l’abattement forfaitaire sur les rémunérations sont abandonnés, ainsi que le retardement de l’avancement ou la suspension de l’avancement (excepté pour les auxiliaires). SAEF, B 57 035.
120 SAEF, B 10 494. Par exemple, la DB demande par circulaire le 4 octobre 1948 « un état comparatif des personnels au 31 décembre 1938 et au 31 décembre 1948 avec précisions et observations sur l’augmentation des effectifs depuis 1938 » et « l’état des immeubles occupés aux mêmes dates par les services ».
121 SAEF, B 10 494. La mobilisation technique et statistique de la direction du Budget se lit dans la multiplication des tableaux de chiffres manuscrits conservés dans le Fonds Budget. La direction chiffre l’augmentation du nombre des fonctionnaires en 1950 à + 408 064 emplois supplémentaires par rapport à 1939.
122 SAEF, B 57 035 et B 10 494. Voir aussi SAEF, Archives Malécot, Rapport au ministre sur les perspectives budgétaires de l’année 1952, 12 juillet 1951, annexe XIII, 11 p.
123 SAEF B 57 035 et B 10 494.
124 Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Archives privées Goetze ; SAEF, PH 42/97.1, cours à l’ENA de Millet, administrateur civil de la direction du Budget (conférences du 17 mai 1951 et du 7 juin 1951).
125 En quelques années, une génération entière de « gestionnaires » de l’État – F.-D. Gregh, R. Goetze, G. Ardant, F. Bloch-Lainé, P. Brin, E. Léonard, A. Saramite, J. Dayre, R. Grégoire, E. Bonnefous, R. Catherine, P. Questiaux, ou R. Gaudriault – s’est déprise de la politique d’économies budgétaires…
126 Le contexte politique de l’après-guerre, la puissance des syndicats et du parti communiste, l’existence d’une direction de la Fonction publique ouverte à la négociation, l’inflation, rendent impossibles des mesures aussi agressives à l’égard des fonctionnaires que dans les années 1930.
127 Toutes les « notes au ministre » de R. Goetze de 1950 à 1956 manifestent ce glissement d’une priorité vers l’autre, archives privées, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
128 La direction du Budget est chargée en février 1967 par le ministre Ramadier de présenter un plan d’économies.
129 Ses membres sont Alexandre, de l’ordre des experts comptables, Brasart, président de la section des finances du Conseil d’État, Gignoux, membre de l’Institut, économiste, journaliste et ancien responsable du patronat français, Guyot, inspecteur des Finances et associé-gérant chez Lazard, Jeanneney, professeur à la Faculté de droit et de sciences économiques, Lorain, président de la Société Générale, Rueff inspecteur des Finances et ancien directeur du Mouvement général des fonds en 1936, Saltes sous-gouverneur de la Banque de France, Vitry président de Péchiney.
130 Aux dires de M. Caradet, administrateur du Budget (entretien avec P. Masquelier, entretien n° 4, du 25 mai 1998, AO du Comité pour l’histoire économique et financière de la France), J. Rueff et P. Questiaux auraient été placés dans le même bureau à la direction du Budget.
131 Ce défaut, souligné par les contemporains dès 1958 alors que le décret organique de juin 1956 venait à peine d’être pris, ne sera pas davantage résolu lors de la rédaction de l’ordonnance de janvier 1959 ; à partir du milieu des années 1960, la question des services votés nourrit la réflexion sur la rationalisation des choix budgétaires.
132 SAEF, PH 180/185 ; B 54 788 ; 8 D1 et 8 D2 ; 9 D1 à 9 D3. Arrêtés de création du 13 février 1959 et du 16 février 1959.
133 Article de Combat du 5 et 7 septembre 1947, SAEF, B 48 448.
134 Allocution du secrétaire d’État, SAEF 8 D1.
135 Il n’y a eu qu’une enquête en 1958…
136 Après cette reprise en main et cette redynamisation du CCECRSP, le CCE évolue dans le sens d’un organisme d’étude sur les grands problèmes d’administration et de fonction publique. La préoccupation budgétaire des coûts et des rendements chère à G. Ardant s’efface…
137 Le jeune secrétaire d’État aux Finances qui a déjà fait ses classes budgétaires auprès d’Edgar Faure en 1952 s’implique dans l’animation de la commission et dans l’organisation du travail. SAEF, 9 D1.
138 Groupe n° 1 : Services du Premier ministre ; groupe n° 2 : Justice et PTT ; groupe n° 3 : Intérieur ; groupe n° 4 : Éducation nationale ; groupe n° 5 : services et organismes du ministère des Finances et des Affaires économiques (présidé par Barjot, conseiller d’État, composé de Coubet, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pilliard, conseiller référendaire, et Rousseau, contrôleur de l’Armée) ; groupe n° 6 : Agriculture, Industrie et Commerce ; groupe n° 7 : Travaux publics et Transports ; groupe n° 8 : Travail, Santé publique, Population, Anciens combattants ; groupe n° 9 : Armées ; groupe n° 10 : Sécurité sociale ; groupe n° 11 : SNCF et RATP ; groupe n° 12 : EDF ; groupe n° 13 : Charbonnages de France ; groupe n° 14 : préfecture de la Seine et de Paris ; groupe n° 15 : Postes départementaux. Un groupe de travail particulier est constitué un peu plus tard, en novembre 1960, sur les problèmes relatifs aux pensions civiles et militaires (9 D1), ainsi que sur les problèmes mécanographiques (9 D2). Un certain nombre de questions transversales sont aussi confiées par V. Giscard d’Estaing à P. Questiaux tels que les marchés publics, les ensembles électro-comptables (9 D2) ou les ateliers industriels (9 D 3).
139 Les 15 présidents des groupes de travail sont Chasserat, Matthey, de Buffévent, Plouvier, Barjot, Crépey, Martin, Dobler, Favier, Habemont, Le Gall, Mettas, Béchet, Arnaud, Erhardt, soit sept magistrats de la Cour des comptes, trois inspecteurs généraux des Finances, trois conseillers d’État, un contrôleur général de l’Armée, un ingénieur général des Ponts et Chaussées.
140 Chaque groupe de travail compte trois à cinq membres, tous hauts fonctionnaires, sans aucun expert externe : 9 membres du Conseil d’État, 22 membres de la Cour des comptes, 6 inspecteurs des Finances, 2 ingénieurs des Mines, 2 administrateurs civils, 2 contrôleurs d’État, 2 ingénieurs des Ponts et Chaussées, 4 inspecteurs généraux de l’administration, 8 contrôleurs généraux de l’Armée, 2 contrôleurs de la sécurité sociale, 1 ingénieur des Manufactures de l’État, 1 ingénieur du Génie rural, 1 ingénieur des Eaux et Forêts, 1 conseiller civil, 1 commissaire du Gouvernement, 1 contrôleur civil, 1 ingénieur en chef des services agricoles. Dans les groupes de travail, les grands corps dominent, notamment les membres de la Cour des comptes qui viennent largement en tête, suivis des corps de contrôle, alors que le corps des administrateurs civils créé en 1945 est très faiblement représenté.
141 Pour le Premier ministre comme pour son secrétaire d’État, cette règle préserve la « liberté » et la « nouveauté de l’appréciation et du jugement » (cf. allocution d’installation, SAEF, 8 D1).
142 Sur l’organisation du travail, SAEF, 8 D1.
143 SAEF, 8 D1. « Problèmes de personnels » : effectifs comparés 1939-1950 et 1959 (mise à jour des tableaux de la CNE de 1950) ; conditions d’attribution des heures supplémentaires compte tenu des horaires et des temps de travail réels ; recensement et comparaison des effectifs employés à des travaux d’administration générale ; simplifications à apporter à la liquidation et au paiement des pensions des agents de l’État ; simplification à apporter dans les modes de liquidation et de paiement des rémunérations ; simplification dans la gestion des crédits et l’émission des ordonnances.
144 SAEF, 8 D1. « Problèmes de matériel » : utilisation des locaux à usage administratif ; acquisition du matériel ; conditions d’utilisation des ateliers et du matériel mécanographique.
145 SAEF, 8 D1. « Problèmes d’organisation et de structure » : regroupement éventuel sur le plan local des services multiples d’un même ministère ; détection de doubles emplois entre services départementaux des ministères et divisions des préfectures ; recherche des compétences parallèles des différents ministères sur des problèmes de même nature (commerce extérieur, planification, productivité, normalisation…)
146 8 D1. Évaluation des effectifs des agents affectés à ces tâches, comparaison entre les administrations, évaluation du coût en personnel et en francs d’une opération administrative, définition des normes d’utilisation du personnel et du rendement.
147 SAEF, 9 D1.
148 SAEF, 9 D2.
149 G. Ardant, commissaire général à la Productivité, qui a fait le choix de la fidélité politique à Mendès France, fait les frais de cette reprise en mains de l’État et quitte après 1959 la scène de la réforme administrative…
150 SAEF, PH 180/185.
151 SAEF, 9 D1 et Archives Michel Debré, FNSP 4 D2. Voir aussi F. Descamps, « Michel Debré et la réforme du ministère des Finances 1937-1968 », in Actes du colloque du 8 janvier 2004 organisé à Bercy par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, et Michel Debré, un réformateur aux Finances 1966-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 145-181.
152 SAEF, 9 D1.
153 SAEF, 9 D1. Restent par exemple en suspens pour les Finances les questions concernant un bureau central de liquidation des pensions, les achats centralisés des matériels et fournitures de l’État, la fusion entre l’INSEE et le SEEF. Sur ce dernier dossier, en dépit d’une décision de principe de Michel Debré, le ministre de Finances n’obtempère pas, refusant de laisser s’immiscer le Premier ministre dans son organisation interne. La question sera finalement réglée par une réorganisation des deux organismes en 1962, sans fusion, mais avec une nouvelle répartition des tâches.
154 SAEF, 9 D1. Note bilan de la commission.
155 Cf. A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, L’organisation de la prévision au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
156 Décret du 14 octobre 1960.
157 Cf. la lettre de M. Debré en date du 21 décembre 1960 au président du CCE, où le premier ministre insiste particulièrement sur les « suites » données aux décisions.
158 SAEF, 9 D1, note – bilan de P. Questiaux.
159 SAEF, B 54 788. Décret du 4 février 1959. Une commission d’étude est créée le même jour pour mettre en œuvre la fusion, sous la présidence de V. Giscard d’Estaing.
160 SAEF, B 54 788. La suppression de la DGCEEN avait déjà été étudiée par un groupe de travail animé par Lauré, inspecteur des Finances. La commission d’étude créée par décret le 4 février 1959, toujours sous la présidence de V. Giscard d’Estaing, organise le dépècement de l’ancienne direction du Quai Branly entre la direction du Budget, la direction du Trésor et la direction des Prix, qui se répartissent également les conseils d’administration et les commissions afférentes.
161 SAEF, 8 D2 et 9 D1. Certains groupes de travail ont instruit jusqu’à 75 fiches, comme aux Armées. Au total, à l’échelle de la commission tout entière, 512 mesures ont été étudiées et discutées, contradictoirement avec les services, et arbitrées. Les fiches du groupe n° 5 ont été examinées en présence de M. Debré lui-même le 16 mai 1959.
162 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, L’organisation de la prévision au ministère des Finances, 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
163 SAEF, 8 D2 et 9 D3. La direction du Personnel joue un rôle d’intermédiation non négligeable entre le groupe de travail n° 5, le cabinet du ministre et les services concernés dans cette stratégie de retardement ; elle élabore des contre-propositions, propose des nouvelles commissions pour étudier la faisabilité des mesures ou des délais d’application allongés, notamment pour le plan de résorption des perceptions rurales.
164 La Comptabilité publique obtient par force d’inertie le report de cette décision et mai 1968 ruine définitivement l’ambitieux plan de rationalisation du réseau des perceptions un temps envisagé par le ministre et ses conseillers.
165 SAEF, 8 D2. Divers dossiers sur les mouvements de réforme et de rationalisation aux Finances dans la période.
166 SAEF, 9 D3.
167 SAEF, 9 D2.
Auteur
Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État. Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.), Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011, consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne 1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz, 2013, p 47-57.
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