Le grand réveil de la Cour des comptes (1914-1941) : du jugement des comptes au contrôle de la gestion des administrations
p. 91-132
Plan détaillé
Texte intégral
Introduction
1Il est communément admis que, depuis les grandes réformes budgétaires et comptables de la Restauration et de la monarchie de Juillet qui ont renforcé le rôle de la Cour des comptes fondée en 1807 par Napoléon Ier1 jusqu’aux innovations de la Libération et de la IVe République commençante, la Cour des comptes, appuyée sur l’indestructible monument du décret de 1862 sur la Comptabilité publique, aurait vécu un long fleuve tranquille, celui des institutions vénérables et établies, placées à l’écart de la gestion des affaires courantes. Pourtant, pouvait-elle traverser la première moitié du XXe siècle, deux guerres mondiales, une crise politique, financière et budgétaire majeure de l’État, un changement de régime politique, sans voir sa place réexaminée au sein du système de gestion des finances publiques ? Pouvait-elle échapper au vaste ébranlement qui, dans l’entre-deux-guerres, a atteint l’État, ses missions, son organisation, son fonctionnement et sa représentation ? De fait, le premier XXe siècle apparaît pour la Cour des comptes comme un moment particulièrement dense en questionnements, en projets et même en réalisations, signant son réveil après un long assoupissement et marquant son irruption sur le devant de la scène de la réforme de l’État et de la gestion publique. Alors que les contraintes politiques, économiques et financières de l’entre-deux-guerres font du contrôle budgétaire une préoccupation centrale des pouvoirs publics, ces derniers pouvaient-ils ne pas s’intéresser à la place et au rôle de la Cour des comptes dans le contrôle de la dépense ? Cette dernière devait-elle rester inféodée au ministère des Finances, devenir l’auxiliaire active du Parlement ou bien se constituer en troisième pôle indépendant dans une triangulation la reliant d’un côté au pouvoir exécutif (le ministère des Finances ou la Présidence du Conseil) et de l’autre au pouvoir législatif (les commissions des finances de deux Chambres) ? Jusque-là cantonnée à la toute extrémité de la chaîne de l’exécution budgétaire, assignée au strict jugement des comptes et des comptables, sous-utilisée, ne pouvait-elle prendre une part accrue dans le contrôle des ordonnateurs et dans le contrôle de la gestion des administrations, voire dans leur gestion tout court ? Pour ce faire, quelle mue devait-elle accomplir et quels outils de gestion devait-elle forger ? C’est de cette ambition que nous voulons tracer les linéaments, en essayant de restituer les tâtonnements et les initiatives qu’ont prises en faveur de la rénovation de la Cour des comptes les différents acteurs du système financier entre 1914 et 1941.
I. Le temps des propositions, 1914-1924
A. Le projet de loi Caillaux de janvier 1914
2Si Joseph Caillaux est passé à la postérité dans l’histoire des finances publiques pour les réformes fiscales qu’il est parvenu à faire voter entre 1900 et 1914, et en particulier celle de l’impôt sur le revenu, il ne faut pas oublier que cet inspecteur des Finances qui est l’un des premiers ministres des Finances techniciens du XXe siècle, s’est également intéressé au système comptable et budgétaire, et notamment au contrôle de la dépense publique. En 1909, Caillaux crée une première commission sur le contrôle administratif de l’exécution du budget, dont les importants travaux sont prolongés par la commission Klotz de 1911 sur le contrôle des dépenses engagées et aboutiront à la loi du 15 juillet 1911. Revenu rue de Rivoli en 1913, désireux de parachever le système mis en place par Klotz, Caillaux remet l’ouvrage sur le métier et, le 15 janvier 1914, dépose sur le bureau de l’Assemblée un ambitieux projet de loi portant organisation du contrôle de l’exécution du budget2.
3Ce texte monument n’a pas de précédent et va constituer pendant plus de vingt ans la référence incontournable pour tous les réformateurs désireux de rénover le système de contrôle budgétaire. Il englobe dans un même texte la réforme du ministère des Finances, qui se voit dotée d’un corps de contrôleurs aux pouvoirs renforcés, et celle de la Cour des comptes, à qui le ministre souhaite confier en dernier ressort et pour le compte du Parlement le contrôle supérieur de la gestion des administrations. Toute l’originalité du projet repose sur la revalorisation du rôle de la Cour des comptes, constituée en second pilier du système financier à côté du ministère des Finances. L’objectif ultime est de donner au Parlement les moyens de prendre des « sanctions administratives » contre les fonctionnaires fautifs, des « sanctions budgétaires » contre les administrateurs en réduisant les crédits mal employés ou inutiles, et enfin « des sanctions politiques en mettant au besoin en cause la responsabilité ministérielle ». Dans cette organisation, la Cour des comptes est conçue comme l’auxiliaire technique du Parlement et le principal organe d’information des Chambres, tout en se voyant placée au sommet du système pyramidal de contrôle administratif et budgétaire.
4Le projet Caillaux du 15 janvier 1914 établit donc un contrôle permanent des actes financiers des administrations, investit de ce soin des agents du ministère des Finances, les contrôleurs des dépenses engagées, et soumet au contreseing du ministre des Finances tous les décrets, décisions et arrêtés ayant pour effet de créer des charges permanentes pour l’État. En ce qui concerne les contrôleurs, le texte prévoit qu’ils vérifieront dans le détail les opérations de recettes effectuées par les administrations centrales, que leur seront soumis tous les projets de lois ayant pour effet de créer des charges permanentes pour l’État et toutes les demandes de crédit, qu’ils surveilleront les lois, décrets et ordonnances, qu’ils signaleront les erreurs, fautes et abus dans le maniement des deniers publics et qu’ils proposeront les sanctions à prendre contre les administrateurs, ainsi que toute mesure de réforme tendant à perfectionner le fonctionnement des administrations ou à procurer des ressources. Leurs observations seront validées par le Comité des contrôleurs et transmises au ministre concerné ainsi qu’au ministre des Finances qui en saisira la Cour des comptes. Leurs rapports d’ensemble, accompagnés des explications données par les services et des observations finales du Contrôle, seront transmis au premier président de la Cour des comptes.
5La mesure la plus innovante et la plus hétérodoxe tient à la création à la Cour des comptes d’« une section spéciale du contrôle budgétaire », qui pourra demander aux ministères de faire procéder à des enquêtes sur tel ou tel point particulier, qui recevra les rapports particuliers et les rapports d’ensemble des corps de contrôle (l’Inspection des finances est évidemment visée dans cet article) et les discutera selon une procédure contradictoire. Les départements ministériels y seront représentés par des commissaires du Gouvernement dotés d’une voix délibérative et la Cour pourra s’associer la contribution de fonctionnaires « capables de lui apporter des éclaircissements sur des affaires expressément désignées, notamment des contrôleurs des dépenses engagées », dotés d’une voix consultative. Les infractions constatées feront l’objet d’un rapport particulier au président de la République, publié dans les huit jours par les soins du procureur général, tandis que le rapport public annuel, délibéré au sein de la Section spéciale de contrôle budgétaire, remis au plus tard le 15 juillet au président de la République, sera publié dans les huit jours suivants directement par le procureur général, sans l’intermédiation du ministère des Finances3. Dans ce nouveau système, la Cour des comptes devient l’organe de centralisation de l’information sur la gestion des administrations et le siège de la coordination du contrôle budgétaire pour le compte du Parlement.
6Il n’est pas surprenant que le projet de loi ait suscité des objections ou des oppositions, car les innovations contenues dans le projet modifient l’équilibre des pouvoirs entre les différents acteurs institutionnels et suscitent de nombreuses interrogations : quelle est la nature du contrôle effectué par le contrôleur des dépenses engagées sur l’ordonnateur (régularité ou opportunité) ? N’y a-t-il pas un risque de rupture de l’égalité républicaine entre les ministres au bénéfice du ministère des Finances ? Le ministère des Finances peut-il accepter sans difficultés la communication des rapports des corps de contrôle à la Cour des comptes, y compris ceux de l’Inspection des finances et la publication indépendante par la Cour de ses observations ? En instituant une section spéciale budgétaire, Caillaux ne fait-il pas basculer la Cour, jusque-là pure juridiction, du côté de la gestion des administrations ? L’ouverture des délibérations de la Section spéciale budgétaire aux commissaires du Gouvernement n’attente-t-elle pas à l’indépendance de la Cour ? Le projet de loi Caillaux, novateur et ambitieux, ne laisse pas de surprendre et suggère en tout cas que le ministre estime que la Cour des comptes dispose en son sein des compétences financières et comptables suffisantes pour réaliser cette réforme4.
7De fait, dans les années 1910 et 1920, la Cour des comptes peut tout à fait rivaliser numériquement et qualitativement avec la rue de Rivoli, car elle dispose de ressources humaines et d’une expertise en finances publiques largement équivalentes à celles du ministère des Finances5. Et pour cause, la plupart de ses cadres supérieurs et dirigeants proviennent de la rue de Rivoli ou y ont exercé des responsabilités ; c’est ainsi que le premier président Charles Laurent (1907-1909), le président Payelle (1908-1933), le président Courtin (1913-1924), le procureur général Privat-Deschanel (1912-1920), le procureur général Bloch (1913-1933), le conseiller maître Fravaton (1913-1919), le conseiller maître Féret du Longbois (1917-1923), le conseiller maître puis président de chambre Arnauné (1907-1926) ont été directeurs aux Finances avant 1914, tandis que de jeunes magistrats prometteurs ont fait leurs classes dans les services ou dans les cabinets ministériels des Finances des années 1910 ou 1920 (de Fouchier, Labeyrie6)…
8Voté par la Chambre des députés le 31 mars 1914, mais privé de son principal porteur politique du fait de la démission du ministre impliqué dans l’affaire Calmette, perturbé par le déclenchement de la guerre, le projet de loi Caillaux, en dépit des efforts de Noulens, ancien rapporteur général du Budget à la Chambre et ministre des Finances du cabinet Viviani pendant l’été 1914 (projet de loi n° 313), ne sera jamais voté par le Sénat.
B. La commission Selves de 1917-19187
9Trois ans et demi plus tard, Louis Klotz, ministre des Finances de Clemenceau, à la fois continuateur et compétiteur de Caillaux dans l’ordre des finances publiques, reprend le dossier et installe en décembre 1917 une commission « chargée d’étudier les réformes à apporter dans l’organisation du Contrôle de l’exécution des budgets ». Présidée par le sénateur et ancien ministre Justin de Selves, mais animée principalement par des magistrats de la Cour des comptes, la commission organise son travail autour de trois axes : le contrôle administratif, le contrôle « judiciaire » (on ne dit pas encore juridictionnel), le contrôle parlementaire. Le projet de loi Caillaux sert de base de travail en sous-commission, non sans quelques divergences entre les rapporteurs. Ainsi, soucieuse de ne pas laisser la Cour empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, c’est rue de Rivoli et non rue Cambon que la sous-commission Courtin du contrôle administratif loge le comité budgétaire central et le Conseil de discipline financière envisagés. À l’opposé, la sous-commission Payelle du Contrôle juridictionnel, s’inspirant directement du projet Caillaux, souhaite « fortifier le contrôle judiciaire » et accorder à la Cour « des moyens nouveaux et des pouvoirs plus étendus, notamment en ce qui concerne la gestion des ordonnateurs sur laquelle elle n’a pas un droit de regard suffisant ». Sont ainsi réclamées l’instauration d’un contrôle de la Cour sur les recettes et les comptes spéciaux du Trésor, l’obtention d’un droit d’enquête au sein des administrations, la transmission des rapports des corps de contrôle des ministères à la Cour, notamment ceux du contrôle des dépenses engagées et de l’Inspection générale des finances8, la possibilité de convoquer les contrôleurs pour une discussion contradictoire qui viendrait enrichir d’une procédure orale une procédure jusque-là uniquement écrite (référés, déclarations générales de conformité, rapport annuel). En revanche, le conseiller maître Féret du Longbois se montre sceptique face à l’idée de Courtin de créer un Conseil de discipline financière et ne reprend pas non plus l’idée de Caillaux d’une section supérieure de contrôle budgétaire logée à la Cour des comptes, il préfère opter pour une publicité renforcée du rapport annuel. En dépit des divergences et des hésitations qu’elles manifestent, les réflexions de Courtin, Payelle, Bloch et Féret du Longbois, qui s’inspirent toutes du projet Caillaux, attestent de l’existence d’un courant modernisateur en faveur d’une rénovation du rôle de la Cour des comptes et d’un rapprochement entre cette dernière et la gestion des administrations.
C. Le projet Féret du Longbois de 19219
10Aux lendemains de la guerre, alors que les charges publiques explosent, la Chambre du Bloc national exige la réduction du déficit budgétaire et un meilleur contrôle des dépenses publiques10. Tandis que l’administration centrale du ministère des Finances est elle-même en pleine réorganisation11 et que la direction de la Comptabilité publique se trouve submergée par l’arriéré comptable issu de la guerre, la conférence des présidents de chambre de la Cour des comptes se concerte sur la réponse à apporter à la proposition de loi déposée en 1921 par le député Fleury-Ravarin, tendant à la réforme du fonctionnement et du recrutement de la Cour des comptes et prévoyant à la fois une auxiliarisation de la Cour par le Parlement et un rapprochement du contrôle administratif et du contrôle judiciaire12. Très attachée à la séparation des pouvoirs et à son indépendance juridictionnelle, la Conférence charge le conseiller maître Féret du Longbois d’élaborer un contre-projet plus en harmonie avec la conception que cette dernière se fait de ses missions. Le premier président rappelle d’entrée de jeu la « doctrine » : « la Cour ne saurait être juge de l’utilité des dépenses autorisées par le Parlement ni être à la fois l’organe du contrôle administratif et du contrôle judiciaire » ; le contrôle administratif doit être assuré par le ministre (et non par la Cour elle-même), assisté collégialement d’un Comité de fonctionnaires supérieurs, chargé du contrôle à la fois technique et financier des engagements de dépenses13. C’est la doctrine Courtin qui s’oppose aux innovations avancées par Caillaux.
11S’inspirant du projet de loi Caillaux de 1914 et des propositions de la commission Selves de 1917, Féret du Longbois souhaite cependant renforcer le contrôle de la Cour sur l’exécution du budget, mais il récuse le modèle anglais de l’Audit Office proposé en modèle par le député Fleury-Ravarin et ne souhaite pas voir la Cour s’engager dans une discussion contradictoire avec les administrations sous le contrôle des commissions des finances du Parlement. Il réclame cependant la transmission à la Cour de tous les rapports de corps de contrôle, qu’ils soient particuliers ou d’ensemble, ainsi qu’un droit d’initiative pour la prescription de toutes les enquêtes et investigations que la Cour jugera utile à Paris et en province ; ce droit d’enquête serait octroyé à une commission spéciale qui sera « l’organe d’instruction et d’approvisionnement du rapport public ». De façon alambiquée, il suggère la création au ministère des Finances « d’un organisme plus mobile et plus étroitement mêlé aux pratiques quotidiennes des administrations, une commission qui serait présidée par un président de chambre de la Cour » et qui siégerait rue de Rivoli. Ce « Comité permanent de contrôle » serait l’auxiliaire de la Cour et communiquerait avec elle sans intermédiaire ; il comprendrait quatre magistrats désignés par le premier président, trois inspecteurs des Finances choisis par le ministre des Finances, le directeur du Budget et du Contrôle financier, le directeur de la Comptabilité publique et les directeurs ou chefs de service de qui relèvent les corps de contrôle des ministères.
12Ainsi donc, Féret du Longbois a-t-il fini par se rallier à la proposition Courtin de la commission Selves ! Sans doute espère-t-il qu’en logeant ce « Comité permanent » rue de Rivoli et qu’en ménageant une composition paritaire avec l’Inspection, ce dernier obtiendra plus facilement la communication des rapports des inspecteurs des Finances et des contrôleurs des dépenses engagées14. L’idée d’une commission de discipline financière a quant à elle disparu, Féret du Longbois ne voyant pas quelles sanctions crédibles cette commission pourrait appliquer aux ordonnateurs et aux administrateurs défaillants ! Au projet Fleury-Ravarin qui confiait au Parlement le contrôle financier supérieur, au projet Caillaux qui introduisait le contrôle budgétaire au sein de la juridiction, Courtin et Féret du Longbois, en magistrats respectueux de la séparation des pouvoirs, préfèrent celui d’un Comité permanent de contrôle rattaché au ministre des Finances, mais auquel la Cour prendrait une part active. Le projet Féret du Longbois, adopté à l’unanimité par la conférence des présidents, reste sans suites politico-administratives, privé de son principal initiateur qui meurt prématurément en juin 1921.
D. Le projet Lasteyrie de 1922
13Poursuivant l’œuvre de Klotz et de Doumer, Charles de Lasteyrie, inspecteur des Finances et ministre des Finances de Poincaré (1922-1924), poursuit la rénovation et la rationalisation du système financier public mis à mal par quatre années de conflit et débordé par les nouvelles interventions économiques et sociales de l’État. Il achève la réorganisation de l’administration centrale des Finances (décret du 28 juin 1923) et s’attaque à la liquidation des dépenses de guerre en créant le Service d’apurement des comptes spéciaux du Trésor (loi du 1er décembre 1922) que Denoix, directeur du Budget de 1920 à 1925, qualifie de véritables budgets « occultes15 ». C’est sous son ministère que les travaux et les réflexions conjointes du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif sur le contrôle des dépenses engagées aboutissent, avec la loi Marin du 10 août 1922 et le règlement d’administration publique du 15 juin 1923, et que la loi relative à l’apurement des comptes des exercices de guerre et des exercices arriérés est votée16. En dépit de tous ces efforts, le ministre des Finances voit son attention appelée par les difficultés persistantes de la direction de la Comptabilité publique, de la caisse centrale du Trésor et du Mouvement général des fonds en matière d’écritures comptables et de suivi de la Trésorerie17. Au-delà des difficultés conjoncturelles qui affectent la comptabilité aux lendemains du conflit, se fait jour chez les responsables des finances publiques l’idée selon laquelle nulle réforme du contrôle des dépenses et des recettes ne peut être réalisée sans une réforme préalable ou parallèle de la comptabilité publique.
14En novembre 1922, Lasteyrie transmet à la Cour des comptes un projet qui propose à la fois une réforme de la comptabilité publique et une réforme du contrôle judiciaire18. D’après le rapport effectué par Brin, conseiller référendaire promis à un grand avenir à la Cour19, les auteurs du projet ministériel proposent dans une première partie une refonte totale du système comptable public : la responsabilité des ordonnateurs se substituerait à celle des comptables ; ce seraient les ordonnateurs qui présenteraient à la Cour leurs comptes de gestion avec toutes les pièces justificatives et qui assumeraient la responsabilité financière jusqu’alors assurée par les comptables ; en conséquence, le contrôle des comptables sur les ordonnateurs (article 91 du décret du 31 mai 1862) serait supprimé. Le contrôle judiciaire des comptables du Trésor quant à lui serait partagé entre la Cour des comptes et les Conseils de préfecture institués juges de premier ressort.
15Devant ce projet révolutionnaire, la réaction de la Cour des comptes ne se fait pas attendre ; sous le phrasé administratif et lisse du compte-rendu de la conférence des présidents perce l’indignation des magistrats, ainsi que leur opposition frontale à la philosophie administrative, financière et comptable du projet : réduction des comptables à la fonction de caissiers, perte du contrôle des dépenses des ordonnateurs, affaiblissement du ministre des Finances contrôleur général de l’exécution du budget, absence de garantie pour le Trésor public, risque de demande de hausse des traitements ou d’indemnités spéciales des ordonnateurs, sanctions difficiles ou inapplicables. Les présidents sont unanimes « pour que la responsabilité des comptables soit intégralement maintenue » au nom de « la sauvegarde de l’ordre comptable », du respect de[s] « principe[s] de la loi organique de 1807 » et du décret de 1862. La Cour des comptes partage néanmoins avec le ministre une préoccupation centrale : comment « mettre en cause les ordonnateurs devant la Cour pour des cas limités et précis », d’autant plus que dans de nombreux cas les comptables ne sont au final pas sanctionnés ?
16Dans une deuxième partie, le projet Lasteyrie prévoit une réforme du contrôle judiciaire, qui confierait à la Cour le soin de juger l’engagement et l’utilité de la dépense. On notera avec intérêt la préoccupation nouvelle du ministre pour les résultats de l’action administrative et son idée d’y associer la Cour des comptes, même si le rapporteur la récuse aussitôt : selon Brin, le contrôle de l’engagement échappe à la Cour, comme « le contrôle de l’utilité échappe à la compétence de la Cour qui ne procède pas à des enquêtes sur place et n’a pas de lumière technique20 ». Par ailleurs, Brin proteste contre la décentralisation du jugement des comptes, s’insurge contre le fait de le confier aux conseils de préfecture qu’il trouve trop peu compétents et offrant trop peu de garanties, et dénonce le « fractionnement du contrôle judiciaire » qui constitue un « retour aux anciennes chambres des comptes » ; il craint aussi le recrutement d’agents supplémentaires dans les préfectures… Le rapporteur se prononce donc pour le « maintien purement et simplement d’un corps unique de contrôle judiciaire ».
17Enfin, dans la troisième partie de son rapport, Brin se prononce contre la modification des règles d’imputation (date d’ordonnancement et non plus du service fait), contre la suppression de la comptabilité des exercices clos et redit son attachement au système de l’exercice, qui offre selon lui de meilleures garanties de bonne gestion et de contrôle pour établir la situation financière des budgets successifs. Au final, la conclusion de Brin est sans appel : « Il n’y a à retenir du projet ministériel que quelques dispositions accessoires » ; le projet ministériel est « inutile et dangereux21 ». Certes, le projet poursuit un but honorable : soulager la direction de la Comptabilité publique, dégager des locaux pour le ministère des Finances et pour la Cour des comptes ; certes, « les cadres actuels de la Comptabilité publique sont insuffisants en quantité et en qualité »… Mais il existe, selon le rapporteur, « d’autres moyens que le bouleversement total de la comptabilité publique et la dispersion de la Cour des comptes ». Et Brin de lister les voies à explorer : répartir les attributions du TPG entre plusieurs types de comptables (par spécialité), constituer la comptabilité publique en régie, inciter les corps de contrôle à modifier leurs méthodes de travail et leur trouver des débouchés dans la maîtrise, et surtout, reprendre le rapport Féret du Longbois, approuvé par la Cour en 1921 et transmis à Doumer, ministre des Finances à l’époque, qui propose un contrôle accru des ordonnateurs et dont les conclusions répondent aux préoccupations des commissions financières du Parlement. Selon le rapporteur, l’intérêt principal du projet Féret du Longbois consiste en la création d’un « comité permanent de contrôle et d’instruction présidé par un président de chambre et dont la mission serait de procéder à l’examen des rapports des corps de contrôle, d’y relever pour les porter à la connaissance de la Cour des comptes les irrégularités, les fautes et les malfaçons imputables aux administrateurs et aux ordonnateurs, et de procéder avec les pouvoirs les plus étendus à toutes recherches, constatations, enquêtes sur pièces et sur place qui paraîtraient utiles ou seraient demandées par la Cour, en vue de la préparation du rapport public22 ».
18En 1922, le projet Féret du Longbois fait donc l’unanimité des présidents de chambre, il constitue une voie moyenne pour la rénovation de la Cour des comptes, entre une conception strictement juridictionnelle qui apparaît désormais comme dépassée et la solution hétérodoxe et aventureuse proposée par le ministre des Finances Lasteyrie. Trop radical, trop étranger à la tradition française et au droit budgétaire et comptable sédimenté depuis les monarchies censitaires, le projet Lasteyrie est récusé ! Néanmoins, de Caillaux à Brin, en passant par Courtin et Féret du Longbois, l’idée d’un organe supérieur de contrôle budgétaire, placé dans la main de la Cour des comptes, alimentant un rapport public rénové, fait son chemin, s’attachant les esprits les plus ouverts et les plus entreprenants…
19Sous le cabinet Poincaré, alors que la réforme de l’État est pourtant l’une des priorités de l’agenda gouvernemental23, une seule réforme, à la veille de la chute du Gouvernement, concerne la Cour des comptes, et elle est bien modeste : le décret du 13 mars 1924 oblige les ministres à répondre aux référés dans un délai de quatre mois pour la métropole et de huit mois pour les colonies, directement à la Cour, avec copie à la direction du Budget et du Contrôle financier. La montagne accouche d’une souris ! Sous le cartel des gauches, en 1925, en dépit du retour prometteur mais trop éphémère aux Finances de Caillaux réhabilité, la réforme structurelle du contrôle budgétaire et de la comptabilité publique s’efface derrière les urgences monétaires et financières du moment24. À la fin des années 1920, en dépit des efforts de ministres et de magistrats réformateurs, le volet Cour des comptes des projets de réforme du système de gestion des finances publiques, qui conjuguent une réflexion ancienne sur le contrôle de la gestion des administrations et la volonté plus conjoncturelle aux lendemains de la guerre de mettre en place un dispositif de contrôle budgétaire permettant de réduire ou de réguler les dépenses25, n’a pas abouti ; la Cour des comptes, après cette brève séquence d’effervescence réformatrice, retourne sagement à sa mission séculaire : le jugement des comptes. Pourtant, sous la pression de l’opinion, la Cour se voit contrainte de se mettre en mouvement.
E. Premières mobilisations de la Cour des comptes
20À l’instar de la direction de la Comptabilité publique26, la Cour subit dans la seconde moitié des années 1920 de graves difficultés dans la reddition des comptes, l’arriéré s’accumulant en même temps que les liasses de pièces justificatives dans les arrière-cours de la rue Cambon. Dès 1926 et jusqu’au milieu des années 1930, les désordres et les retards français en matière d’apurement des comptes publics font l’objet de critiques récurrentes de la part de l’administration des Finances et de la Cour des comptes « en interne », ainsi que de la part des parlementaires et des experts financiers internationaux qui, au sein des diverses commissions internationales de la SDN, se livrent à des études comparées des systèmes budgétaires et comptables d’une soixantaine de pays (cf. le rôle éminent du contrôleur général Robert Jacomet27).
21Les procès-verbaux des conférences des présidents de chambre, très répétitifs et routiniers de 1923 à 1925, attestent à partir de 1926 de la montée de la pression au sein de (sur ?) la Cour des comptes28. À défaut de connaître une réforme refondatrice impulsée d’en haut, prenant conscience de l’impérieuse nécessité qu’il y a à résoudre l’arriéré comptable qui la discrédite, c’est sur sa réorganisation interne que la Cour se penche. À partir de mars 1926 et tout au long de l’année 192729, puis de façon plus espacée jusqu’en 1931, de nombreuses séances de la conférence des présidents, sous l’impulsion décisive du procureur général Bloch30, sont consacrées à la redéfinition des méthodes de travail des magistrats, à la simplification des méthodes et à la recherche d’une hausse des rendements : révision du barème des vacations des rapporteurs pour accroître la qualité et le nombre des rapports ; adoption de la vérification « par épreuves » et simplification des méthodes d’examen des pièces justificatives ; recherche d’un meilleur roulement des rapporteurs entre les Chambres ; recherche d’un contrôle et d’une mesure des travaux effectués dans chaque chambre ; recherche d’une répartition méthodique et rationnelle des comptabilités par chambre ; débat sur l’idée d’une spécialisation par chambre31 ou d’une spécialisation des magistrats en fonction de leurs capacités ; fixation des semestres de travail et diminution de la durée des vacances ; renforcement de la discipline des magistrats et des rapporteurs concernant les retards, les absences injustifiées et les négligences ; mise au point d’un « registre de charge » par chambre et d’un registre particulier de charges par rapporteur ; établissement d’une liste des commissions auxquelles participent les magistrats… Fin 1929, les efforts commencent à porter leurs fruits et le 20 novembre 1929, le premier président Payelle se félicite du fait que les comptes de l’année 1918 vont enfin pouvoir être examinés et que le Comité spécial d’apurement a réussi par son plan de réduction de l’arriéré et par des « méthodes de célérité inédites » à couvrir les années 1917-1920 ; il est alors décidé que les exercices 1926-1929 seront apurés de la même façon « expéditive ».
22Outre ces efforts d’accroissement de la productivité, suite aux plaintes des parlementaires qui déplorent la non-publication annuelle du rapport public et les difficultés à se le procurer, le 1er mai 1929, la conférence des présidents rouvre le dossier du rapport public32 ; ce dernier a été suspendu pendant les années de guerre et n’est plus publié que tous les deux ans depuis 1918. Contre l’avis du président Chotard qui s’inquiète de la capacité de la Cour à alimenter un rapport public annuel (sic), sur l’insistance de Bloch qui propose le renforcement du nombre de conseillers maîtres siégeant au Comité du rapport public et la comparution directe du rapporteur auteur du renvoi devant ce même Comité, la Cour des comptes décide le retour au principe d’un rapport public annuel et demande au ministère des Finances de distribuer le rapport au Parlement six mois après sa transmission au président de la République, comme avant 191433. Sans succès. Finalement, le décret du 5 décembre 1929 fixe le délai de réponse des administrations à sept mois après les observations de la Cour, progrès bien mince dans un calendrier auquel son étirement retire toute efficacité. Ces perfectionnements internes apparaissent fort timides par rapport aux projets des années 1914-1921, et ce n’est qu’avec le ministère Tardieu début 1930 que la réforme du système de gestion des finances publiques et donc de la Cour des comptes est remise véritablement à l’agenda.
II. Le temps de la maturation, 1929-1934
A. La commission Chéron pour la réforme de la Comptabilité publique et du Contrôle (1930)
23Le gouvernement Tardieu, qui bénéficie des fruits durables de la stabilisation monétaire et du redressement budgétaire opérés par le gouvernement Poincaré en 1926, entreprend un ambitieux programme de modernisation économique et sociale (plan d’équipement national, assurances sociales, etc.) et met en avant sa volonté de réformer l’État, qu’il veut rendre moins aveugle et plus efficace, notamment par l’appel aux « techniciens »34.
24L’une des premières réformes administratives du cabinet Tardieu a trait au système budgétaire et comptable. Le 27 décembre 1929, à l’issue de seize années de débats mettant aux prises d’un côté les juristes et les experts de finances publiques, de l’autre les directeurs de la Comptabilité publique, les magistrats de la Cour des comptes et les parlementaires de la commission des finances, la loi fixant la date de l’ouverture de l’année financière au 1er avril au lieu du 1er janvier est votée ; par ce changement de date, ses auteurs espèrent mettre fin au système des douzièmes provisoires et voter le budget en temps et en heure35. Dans la foulée, Chéron, ministre des Finances de Poincaré puis de Tardieu, crée le 21 janvier 1930 la commission de réforme de la Comptabilité publique et du Contrôle36, qu’il charge, en application de la nouvelle loi, de mettre à jour les règles de la comptabilité publique et du décret de 1862, d’étudier si le changement de date doit être étendu aux collectivités locales et, subsidiairement, si le système de la gestion doit être substitué à celui de l’exercice. Rassemblant la quasi-totalité des experts de la comptabilité publique de l’époque, divisée en trois sous-commissions d’inégale importance, la commission, de simple commission d’application qu’elle était à l’origine, se mue en commission réformatrice et travaille pendant plus de quatre années sur l’aggiornamento de la comptabilité publique et du contrôle de l’exécution du budget37.
25La première sous-commission, présidée par Chotard, premier président, devait étudier l’extension de la loi du 27 décembre 1929 aux budgets des collectivités locales et la question de la substitution du système de la gestion à celui de l’exercice ; à ces deux questions, après études comparatives à l’étranger, la commission répond par la négative. Elle fait des propositions en revanche pour réduire les délais d’exécution du budget, pour perfectionner la procédure des exercices clos et pour raccourcir les délais de production des pièces comptables destinées à la Cour et à leur centralisation. Définitivement sceptique sur l’efficacité de la loi du 27 décembre 1929, quelques semaines à peine après le vote de la loi, elle émet la possibilité de revenir à la date du 1er janvier38.
26La deuxième sous-commission, présidée par Drouineau, inspecteur des Finances, se consacre à la mise à jour des règles de la comptabilité publique et à la réécriture du décret de 186239. De février 1930 à mai 1934, elle effectue au fil de ses quarante et quelques séances un travail considérable de regroupement, de rationalisation et de simplification de la présentation des écritures centrales, des comptes des ministères et du compte général du ministère des Finances40, de réécriture des circulaires, des instructions et des articles du décret de 1862 : 4 000 articles sont étudiés et discutés41, un avant-projet de loi rédigé, le décret de 1862 intégralement remis à jour… À partir des 1 200 comptes qu’elle a examinés, la sous-commission propose aussi l’élaboration d’un « projet type de classement » uniforme et l’adoption d’une nouvelle classification des comptes par nature des opérations et non selon les besoins des services. À terme, l’objectif est de « faire apparaître séparément et de façon très apparente la situation du budget et de la trésorerie », ainsi que d’« établir et de publier chaque mois une situation comptable complète et claire fournissant au Parlement les éléments de contrôle qui lui font défaut », afin de suivre « comme en Angleterre avec précision et à intervalles rapprochés les résultats de l’exécution du budget et les mouvements de trésorerie ». Il s’agit d’« apporter à l’avenir dans la présentation des comptes l’ordre et la clarté qui sont pour le Parlement la condition même d’une exacte information et d’un contrôle efficace ». Le rapport général de la sous-commission est approuvé le 19 octobre 1932 par la commission plénière et le ministre, pour une entrée en vigueur du nouveau régime comptable au 1er janvier 193442. Ces travaux vont trouver une issue partielle dans les décrets-lois de 1934 sur la comptabilité, mais la refonte exhaustive du décret de 1862 ne verra jamais le jour. Dans ce travail de rationalisation43, les hauts fonctionnaires du ministère des Finances et de la Cour des comptes, font davantage œuvre de mise à jour, de simplification et de perfectionnement que de refondation, au grand dam de Labeyrie jeune conseiller maître que ses ambitions poussent à vouloir réformer le « système financier » tout entier (voir infra)44. De fait, dans les travaux de la sous-commission, à aucun moment, il n’est fait allusion aux projets réformistes de Labeyrie et les articles concernant la Cour des comptes dans le projet de décret n’organisent qu’un toilettage timide des dispositions anciennes45.
27La troisième sous-commission, présidée par le conseiller d’État Tardit, se consacre quant à elle à la réforme du contrôle juridictionnel. Elle propose de retirer aux conseils de préfecture et aux conseils privés des colonies, jugés inefficaces, leurs attributions en matière d’apurement des comptes de gestion et de confier à la Cour le soin de juger les comptes des receveurs spéciaux, tout en chargeant les TPG d’arrêter les comptes des communes et des établissements publics dont la comptabilité n’est pas confiée à un receveur spécial. Elle propose surtout, dans la filiation directe du projet de loi Caillaux de 1914 qui est à cette occasion rediffusé au sein de la commission Chéron par Labeyrie46, de modifier l’organisation et la compétence de la Cour, en instituant un comité de contrôle financier chargé d’exercer une surveillance sur l’ensemble des actes de la gestion financière de l’État, logé à la Cour. Ces travaux donnent lieu à deux avant-projets de loi, le premier sur l’apurement des comptabilités locales, et le second en décembre 1930 de Maurice Petsche, sous-secrétaire d’État aux Finances, sur la réforme de la Cour des comptes.
B. Le premier rapport Labeyrie (26 juillet 1930)
28C’est dans le cadre de cette sous-commission du contrôle juridictionnel que s’inscrit la contribution de Labeyrie, conseiller maître à la Cour des comptes47. Sa note technique, d’une cinquantaine de pages, présente neuf propositions de réforme quasiment exclusivement centrées sur la réforme de la comptabilité publique48. L’auteur propose que soit instaurée, en parallèle à la comptabilité de la Trésorerie tenue par les comptables du Trésor et vérifiée sur place, une « comptabilité générale du budget et des services autonomes de l’État » distincte de la précédente, « tenue localement par des contrôleurs généraux, chargés pour le compte du ministre des Finances de vérifier la régulière justification des actes financiers des administrateurs dont ils auront préalablement suivi l’engagement ». Dans cette nouvelle organisation, la Cour des comptes se contente de vérifier succinctement la comptabilité de la trésorerie, elle centralise et contrôle de façon détaillée les comptabilités des contrôleurs généraux, puis elle en rapproche les résultats de la comptabilité centrale du budget tenue aux Finances. Exerçant « seule pour le compte du Parlement le contrôle supérieur de l’emploi des deniers publics », elle rend public dans son rapport annuel le résultat de son contrôle et certifie les résultats des deux comptes indépendants présentés par le ministre des Finances, celui du Trésor et celui du Budget.
29Cette première note de Labeyrie reprend certaines des propositions de Caillaux concernant le contrôle supérieur effectué par la Cour des comptes sur la gestion des administrations (centralisation de tous les rapports des corps de contrôle, publication en direct du rapport annuel, procédure contradictoire d’examen et de discussion avec les représentants des administrations, rapports publics spéciaux en cas d’irrégularités graves ou de préjudices causés à l’État). Il emprunte une voie tout à fait nouvelle en s’attaquant à la réorganisation du ministère des Finances, en instituant une nouvelle comptabilité budgétaire sans laquelle il ne saurait y avoir de connaissance des résultats de l’action administrative, en créant un nouveau corps de contrôleurs généraux rattachés à la direction du Budget et en confiant à la Cour des comptes le soin d’établir de véritables déclarations de conformité. En revanche, dans ce schéma, plus n’est besoin comme en 1914 de créer une section supérieure de contrôle budgétaire au sein de la Cour des comptes, puisque c’est la Cour tout entière qui devient l’organe supérieur du contrôle budgétaire des administrations. Autour de la réforme comptable, qui mobilise tous les acteurs du système financier entre 1930 et 1934, s’affrontent en réalité deux conceptions antagoniques du pilotage financier de l’État, portées d’un côté par le couple historique que forment le Mouvement général des fonds et son auxiliaire, la Comptabilité publique, centré sur la trésorerie et adossé au réseau des comptables, et de l’autre, par un couple institutionnel alternatif que pourraient constituer la Cour des comptes et la nouvelle direction du Budget, centré sur le contrôle des ordonnateurs et appuyé sur un puissant dispositif de contrôle budgétaire.
30Labeyrie, en même temps qu’il communique sa note à la commission Chéron et à Petsche, sous-secrétaire d’État aux Finances, la transmet sans doute également à Caillaux, son mentor, qui a retrouvé son siège de sénateur depuis 1927. De fait, quelques jours tard, le 21 août 1930, le journal Le Capital, édition économique publie une tribune de l’ancien ministre des Finances, « La comptabilité budgétaire, nécessité d’une réforme », dans laquelle Caillaux dénonce à nouveau le retard français dans l’apurement des comptes49, met en cause les capacités de l’administration des Finances, invoque son ancien projet de réforme de janvier 1914 et se fait l’écho des projets de son ancien collaborateur : « Une refonte, qui prendra pour point de départ le projet de 1914, du système de comptabilité organisé sous la Restauration est indispensable. Si on ne l’entreprend pas, si on ne la réalise pas très vite, avec l’accroissement des dépenses, avec surtout les charges singulières qu’on a tendance à infliger à l’État […], on sera bientôt perdu dans les chiffres, noyé dans des comptabilités inextricables ». Il s’agit de mettre fin à « l’embrouillamini général de comptabilités ». Les réactions de l’administration des Finances à la note de Labeyrie puis à l’article de Caillaux se bornent à une réserve prudente dans le premier cas et à une note de justification dans le second, expliquant au ministre le travail en cours mené par la direction de la Comptabilité publique pour remédier à l’arriéré et au désordre des comptes50.
31De façon générale, au tournant des années 1930, la réforme de la comptabilité publique suscite un véritable intérêt chez les réformateurs de la gestion des finances publiques. Suite aux travaux de la commission Chéron, une commission de réforme de la comptabilité au ministère de la Guerre est créée en 1932 ; c’est Brin, conseiller maître, qui en prend la présidence et qui y mène à bien la réorganisation de la comptabilité-matières51. Aux initiatives ministérielles, il faut ajouter les réflexions d’individualités anticonformistes ; c’est ainsi que la revue L’État moderne ouvre ses colonnes aux travaux de Marcel Soquet, directeur financier d’une chambre de commerce et d’industrie. Pas moins de quatre numéros en 1930 et 1931 explorent sous la plume de ce dernier les avantages comparés de la comptabilité commerciale, de la comptabilité des entreprises industrielles et de la comptabilité publique et réfléchissent à la façon dont les responsables publics pourraient s’inspirer de la comptabilité des entreprises. Les propositions de réforme de Soquet seront réunies dans un ouvrage, La réforme de la comptabilité publique, publié en 1934.
C. L’avant-projet de loi Petsche, novembre-décembre 193052
32Quatre mois après la note Labeyrie de l’été 1930, la commission Chéron examine fin novembre 1930 l’avant-projet de loi Petsche émanant de la sous-commission du contrôle juridictionnel et proposant une réforme importante de la Cour des comptes. Dans le gouvernement Tardieu, Petsche, conseiller référendaire à la Cour des comptes, qui a commencé sa carrière ministérielle en 1921 auprès de Loucheur, ministre des Régions libérées, en s’occupant de négociations financières internationales, est sous-secrétaire d’État aux Finances ; il est chargé de faire la liaison entre Paul Reynaud, ministre des Finances, et Louis Germain-Martin, ministre du Budget. La tendance du moment est encore et toujours au renforcement du contrôle des finances publiques ; le budget 1930 que Reynaud fait voter avec la loi du 16 avril 1930 est marqué par le renforcement du contrôle parlementaire sur la trésorerie et prévoit que le ministère des Finances communiquera tous les six mois aux Chambres un état des encaisses du Trésor et de la dette publique.
33Petsche, qui fait partie de ces jeunes ministres intéressés par la réforme de l’État53, reprend à son compte une partie des conclusions de la commission Chéron et présente un « projet de loi tendant à modifier l’organisation et la compétence de la Cour des comptes ainsi que les attributions des conseils de Préfecture interdépartementaux et des conseils privés des Colonies ». Discuté et approuvé en commission plénière le 24 novembre 1930 ainsi qu’en conférence des présidents à la Cour des comptes le 28 novembre 193054, le projet de loi Petsche suscite un rare consensus55. Rappelant dans l’exposé des motifs la nécessité d’un meilleur contrôle budgétaire et celle d’un contrôle accru sur les administrateurs, citant en référence le projet Caillaux de 1914, il propose, à côté des trois chambres existantes, la création d’un comité de contrôle financier, logé à la Cour des comptes et placé sous la présidence du premier président. Chargé de la centralisation des rapports des corps de contrôle et des observations de la Cour lors de son jugement des comptabilités, doté d’un droit d’initiative pour toute enquête ou investigation dans les ministères, le comité de contrôle financier s’appuiera sur une procédure contradictoire et bénéficiera de la présence des commissaires du Gouvernement représentant les services intéressés, dotés d’une voix délibérative. Les erreurs ou les abus seront signalés par le comité au président du Conseil des ministres en même temps qu’au ministre intéressé et au ministre du Budget. Le rapport annuel de la Cour des comptes sera rédigé par le comité de contrôle financier et publié huit jours après avoir été remis au président de la République par le premier président. Afin d’acquérir la formation adéquate à leurs nouvelles tâches, les auditeurs seront chargés pendant un an de missions d’étude dans les corps de contrôle des divers ministères et devront s’initier au contrôle sur place56. Et Petsche de conclure : si le projet était voté, il « permettrait d’obtenir une liaison logique, une coordination utile entre les divers contrôles. La Cour verrait se développer son rôle normal d’auxiliaire du Parlement. Le Comité de contrôle financier deviendrait un organe de liaison entre le contrôle parlementaire d’une part et les contrôles administratifs et judiciaires d’autre part » (p. 6).
34Dans une deuxième partie, conformément à la loi du 16 avril 1930 (art. 133) qui vient d’être votée, le projet de loi Petsche prévoit une réforme de l’apurement des comptes des collectivités locales et un contrôle des dépenses engagées local : d’une part « les attributions des conseils de préfecture et des conseils privés des Colonies en matière d’apurement des comptes seront transférés aux trésoriers payeurs généraux ou coloniaux, avec procédure d’appel devant la Cour des comptes », de l’autre, « les TPG dresseront chaque année des rapports d’ensemble où ils exposeront les observations que la vérification des comptes leur auront inspirées » et ils les transmettront à la Cour des comptes. Enfin, l’exposé des motifs annonce la mise en place d’une comptabilité pour les ordonnancements budgétaires, distincte de la comptabilité de caisse, tant pour les ordonnateurs centraux que secondaires, et rappelle la création décidée par l’article 133 de la loi du 16 avril 1930 d’un contrôle des dépenses engagées local. Le projet Petsche vise ainsi à l’intégration et à l’articulation des deux systèmes de contrôle financier, central et local.
35Le projet de loi est transmis au premier président et discuté en conférence des présidents lors de la séance du 28 novembre 1930, où il suscite la plus grande satisfaction57. Le premier président Payelle s’autocongratule en indiquant que les dispositions du projet « ont été élaborées au sein d’une commission où figuraient des membres et d’anciens membres de la Cour particulièrement autorisés ». Dix ans après la commission Selves et le projet Féret du Longbois, la Cour s’est ralliée au schéma Caillaux de 1914. La chute du gouvernement Tardieu le 13 décembre 1930 handicape sérieusement le projet de loi, qui est transmis aux ministres en juin 1931, mais qui se heurte à la résistance de ces derniers, hostiles à tout contrôle de leurs pouvoirs « dépensiers »58.
D. Le rapport Labeyrie du 24 novembre 1933
36C’est dans un contexte historique profondément différent que prend place le (second) rapport Labeyrie. Prenant conscience à partir de l’été 1932 de la gravité de la crise économique et confrontés à la montée du déficit budgétaire, les gouvernements du néo-cartel des gauches adoptent une politique d’économies et mettent leurs espoirs dans la réforme administrative et dans la réduction du train de vie de l’État59. Il devient urgent que les travaux de la commission Chéron aboutissent dans les meilleurs délais, car dans l’esprit des dirigeants, la réforme de la comptabilité est désormais la réforme préalable à toute politique de maîtrise des dépenses publiques. Les deux ministres des Finances et du Budget, Bonnet et Lamoureux, décident par décret du 8 avril 1933 que dans un délai de 6 mois devra leur être soumis « un projet de réorganisation complète de la comptabilité publique, comportant toutes améliorations et simplifications susceptibles d’être apportées aux règles de la comptabilité publique et au contrôle des finances publiques » et que ce projet devra s’appliquer aux établissements annexes de l’État. C’est à Labeyrie, qui vient de quitter le poste de secrétaire général du ministère des Finances auquel l’avait nommé le 21 décembre 1932 Palmade, ministre du Budget60, qu’est confiée à titre personnel par G. Bonnet la rédaction du rapport61. Nommé procureur général le 16 mai 1933, il est installé dans ces fonctions le 2 juin et succède à Bloch, nommé premier président, qui lui cède parallèlement la présidence du Comité supérieur d’économies créé en octobre 1932. À cette occasion, Labeyrie prend connaissance des résultats de la grande enquête lancée par le Comité d’économies et la direction du Budget sur les indemnités des fonctionnaires et découvre ou affecte de découvrir le sort très avantageux réservé aux comptables du Trésor et aux trésoriers payeurs généraux62 ; il complète ainsi sa connaissance des services du ministère des Finances jusque-là limitée à la seule administration centrale. Le 24 novembre 1933, il remet à G. Bonnet son rapport63.
37Se glissant dans les habits du marquis d’Audiffret, fondateur du « système financier » au XIXe siècle, Labeyrie développe en priorité une ambitieuse réforme de la comptabilité publique qui passe par la restauration de la comptabilité administrative, abandonnée selon lui depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Subsidiairement, le magistrat en profite pour régler ses comptes avec le ministère des Finances et pour proposer la refonte de ses structures et de ses personnels. Car sous couvert de réformer la comptabilité de l’État, c’est aussi la réforme du ministère des Finances que vise l’éphémère secrétaire général du ministère, son organisation, la répartition des tâches entre les directions, la pertinence des liaisons et des transmissions, le recrutement des cadres, le rôle et la responsabilisation des « chefs ». Laissant de côté la réorganisation des régies financières, chasse gardée de ses amis syndicalistes G. Mer et J. Patouillet, c’est à une attaque en règle de l’administration centrale des Finances que l’auteur se livre, sans précaution oratoire aucune64 : la direction de la Comptabilité publique, ses désordres et sa lenteur, l’inefficace direction du Budget, le Mouvement général des fonds et ses comptes de trésorerie non orthodoxes, les privilèges indus des TPG65, les percepteurs non contrôlés, les impuissants contrôleurs des dépenses engagées, les coûteux contrôleurs financiers proposés par la direction du Budget, l’inutile Inspection générale des finances qui n’accomplit pas les missions de vérification qui lui ont été confiées. En proposant l’institution d’un large corps unique et rationalisé de « contrôleurs comptables » qui absorberait les contrôleurs des dépenses engagées des administrations centrales, les futurs contrôleurs financiers des offices, et s’enrichirait de contrôleurs à l’échelon local, en rattachant ce corps à la direction du Budget rebaptisée direction de la Comptabilité générale et du Contrôle financier, en cantonnant les trésoriers payeurs généraux dans le rôle de simples caissiers pour le compte du Mouvement général des fonds, Labeyrie bouleverse l’organisation historique du ministère et ses situations acquises ! Au bénéfice de la Cour des comptes.
38En effet, en troisième partie, Labeyrie dresse un bilan très sévère du rôle de la Cour des comptes au sein du « système financier ». Selon lui, la Cour n’a pas les moyens d’exercer son contrôle sur les finances de l’État, pour six raisons principales : limitées au seul jugement des comptes, ses attributions sont trop restreintes ; elle ne dispose pas des documents comptables nécessaires ; les comptes des TPG qui lui sont soumis sont partiels, incomplets voire faux ; la Cour n’a aucune vue d’ensemble de la gestion des administrations ; sa productivité est faible ; ses observations sont formulées trop tardivement pour être utiles au Parlement. Sa proposition phare pour remédier à cette déréliction de la Cour des comptes consiste dans l’instauration d’un contrôle budgétaire de la Cour sur la gestion des ministères grâce à l’examen des pièces de comptabilité administrative transmises mensuellement ou trimestriellement à la Cour des comptes. Pour le reste, comme en 1930, Labeyrie se contente de reprendre les propositions de Caillaux de 1914 : la transmission à la Cour des rapports de tous les corps de contrôle, l’obtention d’un droit d’enquête dans les administrations, l’adoption d’une instruction contradictoire et orale qui permettra aux commissaires du Gouvernement de faire-valoir le point de vue des administrations contrôlées66 ; la publication accélérée du rapport public annuel effectuée directement par la Cour. Enfin, il conclut sur la nécessité de revoir les méthodes de travail en interne de la Cour. Élément nouveau et original par rapport à sa note de 1930, lorsqu’il réfléchit à la place de la Cour des comptes dans le contrôle de la dépense publique, c’est au modèle italien que Labeyrie fait référence ; ce dernier impose une séparation absolue entre la caisse qui effectue les opérations matérielles et la comptabilité qui enregistre les actes après les avoir contrôlés ; dans ce schéma, et plus encore depuis une loi récente de 1933, la Cour des comptes italienne prend une part active à l’établissement de la comptabilité de l’État et au contrôle préventif de la dépense67.
39Labeyrie, dans un contexte de crise budgétaire et financière aiguë, soutenu par ses amis politiques tant ministres que parlementaires68, se fait le héraut d’une grande ambition pour « le système financier » français et pour l’institution qu’il sert depuis plus de trente ans, la Cour des comptes, qu’il veut rajeunir et redynamiser. Nouvel Audiffret, il signe le premier et le dernier rapport du XXe siècle sur le « système financier » dans son ensemble, englobant dans une même réflexion la réforme de la comptabilité publique et du contrôle budgétaire, celle de l’administration centrale des Finances, celle des services financiers dits « extérieurs » et celle de la Cour des comptes dont il fait la clef de voûte de l’ensemble. Dans cette construction, il applique certes une « méthode cartésienne69 », mais assoit cette rénovation sur le bouleversement complet du ministère des Finances et du réseau du Trésor public, sur l’abaissement des trésoriers payeurs généraux, sur la transformation de la direction du Budget et sur la création d’un nouveau corps de contrôleurs comptables centraux et locaux70.
40Remis à la veille d’une crise politique et institutionnelle majeure, son rapport reste sans suites71; étonnamment, il n’est même pas évoqué en conférence des présidents, alors que Labeyrie, procureur général, y siège de droit72. Au printemps 1934, le Gouvernement préfère retenir pour sa réforme de la comptabilité publique les propositions moins subversives de la commission Chéron.
E. Le rapport Maulion, décembre 1934
41La crise politique de février 1934 a ébranlé la République et écarté du pouvoir les ministres du néo-cartel des Gauches ; avec l’arrivée des ministres conservateurs, Piétri et Germain-Martin, Labeyrie perd ses appuis politiques gouvernementaux, mais ses fonctions de procureur général près la Cour des comptes lui procurent dorénavant une indépendance et une position de poids dans le monde très étroit des finances publiques. En outre, la réforme de l’État demeure plus que jamais d’actualité et le gouvernement Doumergue qui a reçu les pouvoirs de légiférer par décrets-lois doit préparer pour la rentrée de septembre 1934 un vaste plan de réforme administrative.
42Parmi les décrets-lois du printemps 1934, celui du 28 avril donne au premier président de la Cour des comptes le pouvoir de procéder aux réformes nécessaires du décret de 1807, notamment « pour améliorer son rendement » (art. 5). Lors de la séance solennelle du 3 juillet 1934, tandis que le premier président Chotard proteste contre les décrets-lois du 28 avril et des 7 et 8 mai 1934 qui instaurent la limite d’âge et contraignent à la retraite les magistrats âgés73, en réponse à la diminution des effectifs de personnel, Labeyrie annonce son intention de changer les méthodes de travail de la Cour74 : moins de paperasserie, moins de formalisme, moins de contrôles tatillons, plus de suggestions positives de perfectionnement. Il préconise un contrôle plus rapproché de la Cour sur les collectivités locales, sur les offices et les établissements autonomes de l’État et souhaite utiliser le rapport public comme réservoir à idées pour la réforme administrative ; il conclut sur la nécessité urgente de faire de la Cour des comptes l’organe « de contrôle supérieur » pour toutes les comptabilités publiques.
43Les décrets-lois de juin et juillet 1934 réalisent la réforme de la comptabilité publique selon la commission Chéron, c’est à dire selon les vues des Finances75, mais Labeyrie refuse de s’en contenter et, pendant l’été 1934, il tente avec l’aide de ses alliés de la commission des Finances du Sénat une contre-offensive. Dans le cadre des travaux parlementaires des Chambres sur la réforme de l’État, le sénateur Maulion76 présente au nom de la commission de réforme de l’État du Sénat un rapport tout à fait révolutionnaire sur la Cour des comptes77. Le rapporteur se montre à son tour critique sur la comptabilité publique et reprend l’argumentaire désormais classique de Labeyrie sur sa nécessaire réorganisation78; mais l’essentiel n’est pas là, il propose que la Cour des comptes soit désormais soustraite à la tutelle du ministère des Finances et placée sous l’autorité du président du Conseil. Tout en continuant à recevoir trimestriellement les opérations du service de la Trésorerie accompagnées de leurs pièces justificatives, la Cour des comptes, qui serait désormais chargée du contrôle et de la comptabilité des recettes et dépenses publiques, disposerait de représentants délégués auprès des départements ministériels et des ordonnateurs secondaires dans les départements et les territoires outre-mer, qui exerceraient les attributions des contrôleurs des dépenses engagées actuels et des comptables publics79. Un comité supérieur de contrôle financier créé à la Cour serait chargé d’examiner les comptes transmis par les délégués ainsi que les rapports des corps de contrôle des divers ministères, « de surveiller l’observation des lois, décrets, arrêtés, ordonnances et décisions diverses, de signaler les erreurs, fautes, abus commis dans l’engagement des dépenses, le maniement des deniers, la consommation, la conservation des matières, la gestion des biens de l’État ainsi que diverses collectivités publiques, de proposer des réformes tendant à perfectionner le fonctionnement des services publics, à procurer des ressources, à réaliser des économies ».
44Des contrôles sur place seraient prévus ; en cas d’irrégularités ou de faits de nature à porter préjudice aux finances de l’État, le Comité supérieur de contrôle en ferait rapport au président du Conseil, au ministre intéressé et au ministre du Budget. Le Comité serait chargé du rapport public qui serait diffusé simultanément au président de la République et aux Chambres. Les départements ministériels seraient représentés au Comité supérieur de contrôle financier par des commissaires du Gouvernement dotés d’une voix délibérative et pourraient faire intervenir des « fonctionnaires susceptibles de fournir des éclaircissements ». La Cour des comptes établirait le compte des recettes et des dépenses de l’État, qu’elle accompagnerait d’un rapport contenant ses observations et ses vues en matière de réforme et d’une déclaration de conformité avec les comptes de trésorerie établis par le ministère des Finances. Ces documents seraient remis par le premier président de la Cour des comptes au président du Conseil qui les transmettrait au Parlement, pendant que les comptes de trésorerie seraient publiés par les soins du ministère des Finances.
45Dans ce schéma qui confie le contrôle budgétaire des ordonnateurs et des administrateurs à la Cour, cette dernière perd son caractère de juridiction, considéré comme incompatible avec les attributions qui lui sont dévolues, et devient, selon l’expression de Maulion, « une grande administration indépendante assimilable en tout point à l’Audit Office de la Grande-Bretagne80 ». Reprenant les grandes lignes des projets Caillaux et Petsche, le rapport Maulion s’inspire à la fois du modèle italien (contrôle préventif des dépenses) et du modèle britannique (contrôle de la gestion des administrations par l’Audit Office) ; il pousse jusqu’à leur extrémité les idées de Labeyrie en rattachant les contrôleurs comptables de 1933, rebaptisés délégués, à la Cour des comptes et non plus au ministère des Finances et recrée de toutes pièces une nouvelle administration comptable et budgétaire rattachée à la Cour et au président du Conseil ; ce faisant, il rompt totalement avec les fondements napoléoniens de la « haute juridiction » et avec toute la tradition juridique et administrative française. Qui pouvait soutenir politiquement et administrativement un tel projet ? Le ministère des Finances ? On peut sérieusement en douter. Le président du Conseil, Gaston Doumergue ? Caillaux lui-même ? Le Parlement et ses commissions des finances ? En l’état actuel des archives, il nous est impossible de répondre. Ce texte, qui fait une synthèse audacieuse des propositions Caillaux, Petsche et Labeyrie et emprunte autant au modèle de la Cour des comptes italienne qu’à l’Audit Office britannique, ne sera pas retenu par les pouvoirs publics. Il n’en révèle pas moins l’intérêt passionné que cette question du contrôle de la gestion des administrations soulève alors dans les milieux parlementaires, et notamment à la commission des Finances du Sénat. Quelques mois plus tard, lors du banquet du 6 décembre 1934 de L’État moderne, Labeyrie expose les réformes en cours en matière de comptabilité et redit son ambition de faire de la Cour des comptes le chef de file d’un plan de réforme général du système financier français.
III. Le temps des décisions : la réforme de la Cour des comptes et du Contrôle financier, 1935-1936
46Le nombre de mesures comptables, budgétaires et de contrôle financier prises entre 1934 et 1936 trahit l’effort que l’État entreprend pour rationaliser, clarifier, simplifier et réorganiser son système de gestion des finances publiques, alors même qu’il affronte une crise budgétaire et économique sans précédent et qu’il cherche à maîtriser les conséquences financières de ses interventions économiques et sociales en augmentation constante depuis 1918. Les réformes se succèdent, selon des temporalités et des sources d’inspiration différentes. Certaines mesures résultent des travaux de la commission Chéron de 1930, certaines du rapport Labeyrie de 1933, d’autres remontent au projet de loi Caillaux de 1914 ou à la commission Selves de 1918 ; d’autres proviennent des rapports publics de la Cour des comptes ou des commissions d’économies et de réforme administrative des années 1930 (le comité supérieur d’économies de 1932-1933, la commission des offices de 1933) ; d’autres enfin sont prises sous l’emprise de la crise budgétaire des années 1930 (les décrets-lois de 1934 et 193581) ou des réformes du Front populaire. Trois fils s’entrecroisent, fortement intriqués : d’un côté, la réforme de la comptabilité publique82 et du contrôle des dépenses engagées (1934-1935)83, de l’autre, celle du contrôle financier en 1934, 1935 et 1936, construction pyramidale sans précédent à laquelle nous allons nous attacher.
A. Le contrôle financier des offices
47Plusieurs sources alimentent la mise en place des nouveaux dispositifs de contrôle sur les offices. Outre la pression constante depuis les années 1920 du Parlement et des commissions des finances, les initiatives en matière de renforcement des contrôles proviennent de l’Inspection, de la Cour des comptes, du contrôle des dépenses engagées et de la direction du Budget et du Contrôle financier elle-même, dont les deux directeurs entre 1930 et 1935 sont successivement Erik Haguenin84 et Yves Bouthillier, tous deux inspecteurs des Finances et tous deux artisans de la politique de déflation budgétaire. Le dernier pôle d’impulsion est la commission des offices créée par la loi du 28 février 1933 dans le cadre de la politique d’économies budgétaires de Bonnet et de Lamoureux85, dont le rapport final, établi par Brin en 1935, ne sera publié au Journal officiel que le 4 juin 193686, mais dont les premiers résultats aboutissent sous Germain-Martin avec les décrets du 28 février, du 4 avril, du 17 avril, du 25 juillet et du 15 décembre 193487. Ces décrets notamment codifient les règles de gestion et de contrôle applicables aux offices et étendent le contrôle de la Cour des comptes aux organismes para-étatiques et « autonomes » qui se sont multipliés depuis la guerre. Ils obligent les offices à présenter au ministre des Finances, deux mois avant l’ouverture de l’exercice, leur projet de budget et attribuent à un agent chargé du contrôle financier représentant du ministère des Finances le rôle de contrôleur des dépenses engagées ; ils organisent par ailleurs un système complexe d’approbation des comptes qui s’apparente à une certification des comptes par la Cour88 ; enfin, ils suppriment les offices faisant double emploi ou devenus inutiles.
48Les décrets-lois du 25 octobre 1935 rendent ces premiers dispositifs opérationnels en créant pour les « établissements autonomes » des postes supplémentaires de contrôleurs financiers, recrutés parmi les corps d’inspection et de contrôle89, nommés par le ministre des Finances et placés sous l’autorité de la direction du Budget90 ; cette dernière, qui mérite plus que jamais sa seconde titulature (« et du Contrôle financier »), connaît sans doute avec ce contrôle des offices son apogée sous la IIIe République. Ce dispositif du contrôle financier est étendu par le décret du 30 octobre 1935 aux sociétés ayant fait appel au concours financier de l’État91 et connaîtra un ultime prolongement par le décret-loi du 20 mars 1939 aux associations, ainsi qu’aux fondations reconnues d’utilité publique dont plus de la moitié des ressources est fournie par l’État92.
B. Le contrôle financier des administrations centrales
49À l’échelon ministériel central, le décret-loi du 30 octobre 1935 portant réforme de la comptabilité et du contrôle financier (art. 8 à 18) institue des comités de contrôle financier dans chaque ministère en leur attribuant les missions de contrôle définies par les articles 150 et 151 de la loi du 13 juillet 191193. Les comités ministériels de contrôle financier ont qualité pour examiner tous les projets et toutes les mesures de caractère financier émanant du département ministériel auquel ils sont attachés ; ils ont pour mission de veiller à l’observation des lois, des décrets et des décisions ministérielles qui régissent le fonctionnement des différents services ; ils contrôlent l’exécution du budget et signalent les abus, les erreurs et les fautes, recherchent les économies à réaliser et proposent les réformes qui leur paraissent opportunes touchant l’organisation administrative du département ministériel auprès desquels ils exercent leur mission. Leur contrôle peut s’exercer sur tous les établissements autonomes et collectivités, dépendant dudit département et leur compétence s’étend sur toutes les opérations administratives tant de l’administration centrale que des services extérieurs. Les comités de contrôle financier disposent d’un droit d’enquête sur pièces et sur place et peuvent faire appel aux compétences des inspections ministérielles et de la Cour des comptes. Les remarques et constatations des différents comités ministériels de contrôle sont reprises dans un rapport général annuel, adressé au ministère des Finances et communiqué au président du Conseil, à la Cour et au Parlement. Enfin chaque comité de contrôle financier ministériel est chargé de surveiller la suite donnée aux observations formulées par la Cour.
50Les comités de contrôle financiers, qui comptent quatre ou cinq membres94, sont présidés soit par des magistrats de la Cour des comptes soit par des inspecteurs généraux des Finances (sauf aux Armées et à la Marine) ; ils sont composés pour moitié par des magistrats ou des inspecteurs des Finances ; le contrôleur des dépenses engagées est membre de droit avec une voix consultative. Ils sont réunis trimestriellement en conférence par le ministre des Finances. Le nouveau dispositif collégial de contrôle budgétaire, qui coiffe désormais le contrôleur des dépenses engagées, associe pour la première fois dans l’histoire des magistrats de la Cour non seulement au contrôle de la gestion des départements ministériels mais à leur gestion tout court, notamment à la préparation du budget ministériel. En revanche, alors que cette proposition a été récurrente entre 1914 et 1934, le décret-loi ne prévoit pas d’échelon supérieur de contrôle budgétaire à la Cour des comptes ; on peut supposer que le ministre des Finances Germain-Martin et le directeur du Budget Y. Bouthillier s’y sont directement opposés, afin de conserver au ministre des Finances les fonctions de contrôleur général des Finances.
51La victoire du Front populaire et les règlements de comptes politiques internes qui s’ensuivent au ministère des Finances, le souhait de limiter la puissance de la direction du Budget, la volonté de rationaliser l’organisation centrale des Finances et de parachever la mise en place d’un système de contrôle financier efficace et spécialisé par type d’organisme, conduisent le nouveau ministre des Finances socialiste, Vincent Auriol, à scinder en deux la direction du Budget et du Contrôle financier95 et à créer le 14 novembre 1936 une direction distincte pour le Contrôle financier et les Participations publiques96. Cette dernière emporte avec elle le contrôle financier des offices administratifs, industriels et commerciaux, celui des collectivités locales et des colonies… et les postes de contrôleurs financiers ; elle fonctionne comme le bras armé de la commission des offices dont elle met en œuvre les conclusions. La direction du Budget, amputée, recentrée sur la préparation du budget de l’État et les écritures budgétaires, ne conserve plus que le contrôle des dépenses engagées des administrations centrales97.
52Par ailleurs, à peine installé, jugeant l’organisation du contrôle financier incomplète ou inachevée, Auriol, remet l’ouvrage sur le métier98 : conseillé par Labeyrie qui vient d’être nommé le 6 mai 1936 gouverneur de la Banque de France mais qui garde ses fonctions de procureur général à la Cour et qui préside la commission préparatoire à la réforme de la comptabilité administrative, il dépose le 18 juin 1936 sur le bureau de l’Assemblée un nouveau projet de loi tendant à la réforme de la comptabilité et des contrôles, inspiré du projet Labeyrie de 193399.
C. La réforme de la Cour des comptes et la création du Comité supérieur de contrôle financier
53Alors que le nouveau projet de loi est adopté par la Chambre des députés le 26 juin 1936100, Labeyrie peut enfin croire toucher au but, mais la commission des finances du Sénat refuse la création de postes des contrôleurs comptables, qui constitue pourtant la proposition pivot du système labeyrien. Les raisons de ce refus sont sans doute à la fois budgétaires101, techniques, doctrinales, organisationnelles et administratives102, voire politiques, car il ne faut pas sous-estimer la rivalité et les divergences qui peuvent opposer Caillaux, président de la commission des Finances du Sénat, et Auriol ministre socialiste du gouvernement Blum, dont Labeyrie s’est rapproché depuis la constitution du Front populaire. En définitive, les sénateurs, jugeant que les cadres de la comptabilité publique définis en 1930 et mis en place en 1934-1935 sont suffisants, estiment que la priorité consiste dans l’achèvement de l’édifice pyramidal du contrôle financier et surtout dans la réforme de la Cour des comptes103.
54Se ralliant au point de vue du Sénat, de Petsche et de Caillaux104, Auriol abandonne les contrôleurs comptables de Labeyrie105, scinde en deux son projet de loi, avec d’un côté les décrets du 1er septembre 1936 sur la comptabilité administrative et le contrôle des dépenses engagées local, et, de l’autre, la loi du 13 août 1936 sur le contrôle financier supérieur. Dans son étude, C. Descheemaeker montre comment la réforme de la comptabilité administrative de 1936, en dépit de l’échec quasi immédiat du contrôle des dépenses engagées local, a fini au terme d’un cheminement long et sinueux par atteindre ses objectifs et par renouveler profondément le contrôle de la gestion des administrations par la Cour des comptes. À l’inverse, la loi de finances du 13 août 1936 (art. 21 et 22) sur le contrôle supérieur financier qui a pourtant connu un succès immédiat n’a pas perduré au-delà de 1940.
55La loi du 13 août 1936, voulue expressément par les parlementaires, institue donc à la Cour des comptes un comité supérieur de contrôle financier, qui « a pour mission de coordonner l’action des comités de contrôle financier institués par l’article 8 du décret du 25 octobre 1935106 et de préparer le rapport annuel107 ». Très inspiré du projet Petsche de 1930, ce Comité supérieur de contrôle financier, présidé par le premier président, comprend le procureur général, un président de chambre108 et six conseillers maîtres. Des conseillers référendaires et des auditeurs sont adjoints audit comité en qualité de rapporteurs ; suite à leur nomination, ces derniers doivent effectuer un stage d’un an dans les services de contrôle des différents ministères. L’article 21 précise que les présidents des comités de contrôle financier institués dans chaque ministère par le décret du 25 octobre 1935 assistent aux séances du comité supérieur de contrôle avec voix consultative pour les affaires ressortissant à leur département.
56Le comité supérieur de contrôle se confond donc désormais avec le comité du rapport public lui-même rénové par la mise en place de la réforme de la comptabilité administrative et par la création d’une IVe chambre chargée d’instruire le rapport annuel109. Dans une note aux rapporteurs, le premier président Guinand précise :
« La IVe chambre est chargée essentiellement de réunir les éléments du rapport public ; elle ne rend pas d’arrêt ; elle est dotée non pas d’un greffe mais d’un secrétariat ; elle est en quelque sorte l’organe d’instruction du comité supérieur de contrôle lequel, présidé par le premier président, comprend le procureur général, les membres de la IVe chambre, et, en outre, avec voix consultative, les présidents des Comités de contrôle financier et les commissaires de gouvernement. Des conseillers référendaires et des auditeurs sont désignés pour participer aux travaux de la IVe chambre ; en principe, ils assureront les fonctions de rapporteurs auprès du comité supérieur. Les membres de la IVe chambre ainsi que les conseillers référendaires et les auditeurs attachés à celle-ci seront, sous réserve d’un roulement ultérieur, spécialisés dans l’étude des questions ressortissant à un ministère déterminé110 ».
57Ainsi donc, du gouvernement Laval au gouvernement Blum, le renforcement du contrôle de la gestion des administrations est un sujet qui a fait consensus à droite comme à gauche, au ministère des Finances, à la Cour des comptes comme au sein des commissions des finances, et qui a mobilisé de 1930 à 1936, dans un effort de persévérance, de cohérence et de rationalisation, toutes les énergies des réformateurs des finances publiques111. Au terme d’un processus de réforme qui a duré plus de vingt ans, ce que Caillaux, ministre des Finances, n’a pu obtenir en 1914, la triple alliance de Caillaux, président de la commission des finances du Sénat, de Petsche, membre de la commission des finances de l’Assemblée, et de Vincent Auriol ministre des Finances, a fini par l’obtenir112.
D. La Cour des comptes et le contrôle de la gestion des administrations
58Les archives du ministère des Finances et de la Cour des comptes montrent que l’échafaudage pyramidal de 1935-1936 destiné au contrôle financier de la gestion des administrations publiques a fonctionné réellement dès 1936113.
59Les comités de contrôle se mettent en place progressivement dans les ministères tout au long de l’année 1936 et 1937114, rencontrant ici ou là quelques résistances corporatistes ou administratives ; c’est dans les ministères militaires que la nouvelle organisation a le plus de difficultés à s’imposer, du fait des réticences des contrôleurs généraux de l’Armée ou de la Marine à se laisser coiffer par des membres de la Cour ou par des inspecteurs des Finances. Les magistrats de la Cour eux-mêmes ne sont pas exempts de cette attitude corporatiste ; Brin, nommé par décret du 7 décembre 1935 membre du comité de contrôle du ministère de la Guerre, proteste auprès du premier président et demande à ne plus être placé dans la dépendance ou sous la tutelle de la direction du Contrôle financier du ministère de la Guerre115; autrement dit, il n’accepterait de siéger dans le comité de contrôle qu’à la condition d’en être le président ! Certains établissements autonomes, certaines collectivités publiques comme la Ville de Paris ou le département de la Seine rechignent à appliquer les nouvelles dispositions du contrôle financier et du contrôle des dépenses engagées, de même que le ministère de l’Intérieur s’obstine à nommer un contrôleur des dépenses engagées issu des préfectures et non du ministère des Finances.
60Le nouveau Comité supérieur de contrôle, qui vient couronner tout l’édifice financier et qui se confond avec la nouvelle IVe chambre tout en faisant office de comité du rapport public, est mis en place le 5 novembre 1936116. Son organisation s’achève en avril 1937 par la nomination des commissaires du Gouvernement chargés de représenter les services et d’assister aux séances du comité supérieur de contrôle, auxquelles par ailleurs participent les présidents des comités ministériels de contrôle financier et les contrôleurs des dépenses engagées. Enfin, par une lettre du 16 août 1938, Labeyrie, qui a succédé à Guinand en septembre 1937, invite les contrôleurs financiers des offices à participer aux séances du comité supérieur, en attendant la mise à jour du décret-loi du 30 octobre 1935117. De nombreuses séances entre présidents de chambre ont lieu à partir de 1937 pour répartir la charge de travail et pour permettre à la Cour d’assumer sa nouvelle mission de contrôle financier sans pour autant délaisser ses anciennes attributions juridictionnelles118.
61Les archives de la Cour montrent que les rapports annuels des comités de contrôle financier ministériels et les rapports des contrôleurs des dépenses engagées parviennent à la Cour dès la fin de l’année 1936119, qu’ils sont communiqués aux magistrats chargés des rapports sur la comptabilité administrative et que ces derniers les utilisent effectivement, notamment pour préparer les insertions au rapport public. Le 14 janvier 1937, il est décidé que les observations émanant des comités de contrôle financier ministériel seront présentées, afin d’être mieux mises en valeur, dans une partie distincte du rapport public120. La IVe chambre, en tant que comité chargé du rapport public reçoit également les rapports des contrôleurs des dépenses engagées et, sur demande spéciale, ceux de l’Inspection générale des finances121. Enfin, elle est également en relations étroites avec la direction du Budget122. En vue d’une insertion au rapport public ou d’une séance à venir du comité supérieur de contrôle, la IVe chambre peut commander des enquêtes générales et transversales et utiliser, outre ses propres rapporteurs123, les corps d’inspection des ministères, ce qui est une innovation considérable. Les sujets étudiés par la IVe chambre sont extrêmement variés124: les subventions ; la comptabilité industrielle et la comptabilité permettant d’établir un prix de revient ; les coûts des procès et de la justice ; les marchés de fournitures ou de construction, les opérations immobilières, l’achat des terrains, les HBM ; la présentation et la nomenclature budgétaire, avec un « classement rationnel des dépenses » ; les dépenses de personnel et de régies ; l’établissement d’une comptabilité des avances consenties par l’État ; les régies d’avances ; la réglementation des heures supplémentaires dans l’enseignement ; la standardisation du mobilier ; les dépenses d’électricité et de chauffage ; la tutelle financière, budgétaire et comptable des collectivités locales et le contrôle des subventions ; le sauvetage ou le renflouement d’établissements bancaires privés et plus généralement les interventions de l’État en faveur d’organismes privés ; les conséquences que pourrait avoir la nationalisation des industries de guerre sur les dépenses de matériel et de personnel ; la réorganisation et le contrôle de la Caisse des dépôts et de ses activités125 ; le contrôle des participations de l’État et le rôle de l’État actionnaire ou commanditaire ; le contrôle des offices ; les pratiques de détachement et de mise en disponibilité ; la réglementation des indemnités ; la réorganisation de départements ou de services ministériels126…
62Les archives de Charra, commissaire du Gouvernement et secrétaire général du ministère des Finances en 1938, successeur de G. Mer et prédécesseur de Bouthillier, ancien directeur adjoint du Budget, conservées pour les mois de mai et juin 1938127, confirment l’intense activité du Comité supérieur de contrôle présidé par Labeyrie. Convoqué une fois par semaine, Charra vient répondre devant le comité de la gestion du ministère des Finances et de ses services, mais aussi des recettes et des offices placés sous sa tutelle128. La procédure d’examen, dans la continuité des préconisations de Caillaux en 1914, de Bloch en 1917, de Labeyrie en 1933 et de Maulion en 1934, est contradictoire et elle n’est plus exclusivement écrite, contrairement aux traditions de la Cour. Avant la séance, le premier président envoie au commissaire du Gouvernement la série de questions qui vont être abordées en séance ; chaque sujet donne lieu préalablement à une note ou à un rapport établi par les chambres concernées, communiqué aux services correspondants ainsi qu’au président du comité de contrôle financier ministériel. Coordonnés par le commissaire du Gouvernement, les services répondent et justifient leur action par écrit en présentant un tableau contradictoire des réponses, examiné en séance. En séance, le commissaire du Gouvernement, assisté du contrôleur des dépenses engagées, du président du comité de contrôle financier ou des directeurs techniques concernés répond aux observations du comité. Le comité établit ensuite ses conclusions et ses préconisations en vue d’une éventuelle insertion dans le rapport public129.
63La Cour des comptes, déjà fortement associée à la gestion ministérielle des services dans le cadre des comités d’économies budgétaires et de réforme administrative, dans les comités de contrôle financier et dans les nouvelles fonctions de contrôleurs financiers des offices, étend grâce à la réforme de 1936 son contrôle et son expertise en direction des nouveaux organismes économiques et sociaux de l’État130. L’ambition de s’ériger en instance supérieure du contrôle administratif, l’extension des attributions de la Cour dans le domaine de la préparation et de l’exécution budgétaire, la rénovation des méthodes comptables et la création de nouveaux outils de contrôle et de gestion achèvent de dessiner une nouvelle Cour des comptes, bien éloignée de sa stricte et traditionnelle fonction juridictionnelle. Conçue dans l’espoir de mieux connaître et de mieux contrôler la dépense publique131, la réforme de 1936, en combinant les deux volets de la comptabilité administrative et du contrôle supérieur financier, bascule la Cour des comptes du côté de la gestion des administrations et des ordonnateurs, ouvre à la rue Cambon de larges perspectives en matière de réforme administrative132 et érige la Cour en pôle concurrent de la rue de Rivoli, alors qu’à la même époque la direction du Budget et la direction du Contrôle et des Participations publiques forgent leurs propres outils de suivi et de contrôle. À cet égard, ne peut-on considérer le Comité de réforme administrative créé par P. Reynaud en 1938 après la chute du Front populaire, présidé par G. Pichat, membre du Conseil d’État mais logé rue de Rivoli, animé par A. Boissard, inspecteur général des Finances et rattaché directement à Y. Bouthillier, secrétaire général du ministère des Finances, comme un comité rival, destiné à faire pièce au comité supérieur du contrôle financier maîtrisé par la Cour des comptes, mis en place par le gouvernement Blum et présidé par Labeyrie, éternel compétiteur et adversaire de Bouthillier depuis 1930133 ?
64Quoi qu’il en soit, les travaux de la IVe chambre et du Comité supérieur de contrôle financier, tant par leurs sujets que par leurs méthodes de travail, préparent et annoncent ceux du Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics de 1946 et ceux de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques de 1948. À la croisée de ces innovations et de ces apprentissages, émerge la figure du conseiller maître Brin, qui se fera le passeur sous la IVe République de plusieurs expérimentations de l’entre-deux-guerres : le contrôle des offices, les enquêtes, le contrôle sur place, les rapports de comptabilité administrative, la procédure contradictoire et orale, l’évaluation de la gestion d’un département ministériel, le prix de revient…
65Point d’aboutissement de plus de 25 ans de réflexion et de débats sur le « système financier », l’échafaudage pyramidal du contrôle financier construit en 1934-1936 constitue la réponse principale apportée dans l’entre-deux-guerres à la question de la gestion et plus particulièrement à la maîtrise de la dépense publique. Le dispositif prend plusieurs visages : le premier, coercitif, celui d’un empilement des contrôles et d’un véritable carcan pour les ordonnateurs134, qui ne résistera d’ailleurs pas à l’épreuve de la guerre ; l’autre, plus novateur, celui d’une modernisation du rôle de la Cour des comptes par son association au contrôle de la gestion des administrations. Ainsi, en 1938, le procureur général Godin, dans son discours lors de l’audience de rentrée de la Cour des comptes du 4 octobre, peut-il se féliciter de l’alliance objective nouée entre la Cour, le Comité de contrôle supérieur, les comités de contrôle financier ministériels et les commissaires du Gouvernement. Parlant du ministère des Finances et de la Cour135, il les qualifie ainsi : « non point deux adversaires en présence, mais des alliés, attachés à la réalisation d’un même idéal de rectitude financière ; ainsi, la main dans la main, le juge et l’autorité exécutive chercheront ensemble les erreurs toujours possibles et les abus même inconscients ».
66Enfin, l’instauration de ce dispositif qui réunit sous une même tête contrôle a priori et contrôle a posteriori peut également s’entendre comme l’étape préalable et nécessaire à l’appréciation des résultats de l’action de l’administration et à l’évaluation de la gestion d’un département ministériel. Cette ambition, qui ne prendra corps que sous la IVe République, voire sous la Ve République, perce dans les propos du ministre des Finances et de Labeyrie le 16 octobre 1936, lors de l’installation du premier président Guinand, en présence de Daladier, ministre de la Défense nationale, de Gardey, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, et de Mauger, président de la commission des comptes définitifs du Sénat. Se référant à Mollien, Auriol, conclut en s’adressant aux magistrats : « Nous avons voulu faire de la Cour des comptes le grand organe de contrôle financier que possèdent la plupart des nations étrangères. Nous avons voulu que l’action de la Cour fût prompte, efficace et éclatante […] C’est à ce dessein que répondent l’établissement des nouvelles règles de la comptabilité publique et la création du comité supérieur de contrôle financier. Désormais, suivant pas à pas l’exécution financière des différents services de l’État, vous serez mieux à même d’en apprécier la gestion. Par les contacts permanents que vous aurez avec les représentants de l’administration, vous connaîtrez mieux les difficultés auxquelles ceux-ci se heurtent sans cesse […] ».
67Et le procureur Labeyrie de préciser : « Hier, votre action principale consistait à rechercher les fautes commises par les comptables et à arrêter leurs comptes ; ce n’est qu’incidemment que vos regards se portaient sur la gestion administrative que vous pouviez seulement apercevoir à travers la responsabilité des comptables. Demain, ce dont vous vous trouverez chargés, c’est principalement de l’examen direct des actes des administrateurs. […] Vous n’aurez plus à vous attacher presque uniquement à l’application étroite de dispositions réglementaires de détail, mais surtout à rechercher non seulement si les administrateurs ont bien suivi les instructions reçues, dans leur esprit plutôt que dans leur lettre, mais également si la volonté du législateur a été respectée et si leur gestion a été conforme à l’intérêt public. Votre contrôle devra s’élever au-dessus du formalisme qui le dirigeait jusqu’ici ».
68Il ne s’agit donc plus de partir en chasse des erreurs factuelles, des fautes, des irrégularités ou des abus, mais « d’apprécier la gestion » des administrations, et ce grâce aux nouveaux outils mis à disposition de la Cour : la comptabilité administrative des ministères, les séances du Comité supérieur de contrôle financier, le rapport public… Le cap est donné et, même si la Cour mettra quelques années à se conformer effectivement à ses nouvelles missions, elle ne le modifiera plus !
69Face aux exigences du réarmement et pendant la durée de la guerre, le dispositif de contrôle financier, soumis à de très fortes tensions136, est partiellement suspendu et le Comité supérieur de contrôle financier ne se réunit plus. Lors de l’instauration du régime de Vichy, le « système financier » est profondément bouleversé : avec la suppression du Parlement et des commissions des finances, c’est en effet l’un des piliers du système financiaro-budgétaire qui disparaît. Par le décret du 24 août 1940, le nouveau ministre des Finances Bouthillier, qui en vertu de la loi du 17 juillet 1940 a relevé de ses fonctions le premier président Labeyrie, demande à Drouineau, chef du Service de l’inspection des finances, faisant office de premier président de la Cour des comptes, de préparer un « projet de réforme des contrôles juridictionnels et administratifs s’exerçant sur les comptables et les ordonnateurs ». Après de nombreuses consultations au sein de la Cour, le contrôle juridictionnel est finalement maintenu et modifié par les lois du 4 avril, du 16 mai et du 29 octobre 1941 ; les méthodes de travail, en partie inspirées par celles de l’Inspection avec qui les liens sont resserrés, sont renouvelées, notamment par l’introduction du contrôle sur place maintes fois évoqué dans les années 1930, tandis que la mise en œuvre des contrôles de comptabilité administrative introduits par la réforme Labeyrie de 1936 se poursuit résolument. Le rapport public en revanche concentre les critiques du nouveau premier président, qui veut lui substituer une nouvelle procédure, « logique et expéditive dans un régime d’autorité », celle qui consiste à signaler par voie de référé les fautes de gestion « directement et immédiatement au secrétaire d’État et au chef de l’État137 » ; il lui est finalement substitué un simple « compte-rendu d’activités » annuel remis au chef de l’État français, dont on dispose de 1942 à 1944.
70C’est en réalité du côté du comité budgétaire, créé par décret le 16 novembre 1940 et installé le 30 novembre, présidé par Drouineau et censé remplacer les commissions des finances dans la discussion du budget, que le rôle de la Cour des comptes connaît ses plus grands changements. La Cour assure à partir du printemps 1941 le secrétariat général du comité budgétaire (Bresson)138; elle lui fournit, outre son président et son rapporteur général (Rosset, assisté de Chalandon et de Sarget), une vingtaine de rapporteurs enquêteurs de tous grades139, chargés de l’examen des budgets présentés par les différents départements ministériels140. Drouineau met dans ce nouveau dispositif budgétaire voulu par Bouthillier tout son espoir141 :
« Dans notre organisation financière, seule la Cour, où viennent se centraliser toutes les pièces de dépenses, est en mesure d’établir un tableau complet et exact de l’emploi des crédits. Et cependant, par une lacune incroyable, aucun usage n’était fait de ce merveilleux instrument142. En constituant à la Cour le secrétariat général du Comité budgétaire, en faisant examiner par les conseillers, aussitôt l’arrivée des pièces à la Cour, les pièces justificatives de dépenses pour les chapitres de budget qui sont les plus intéressants à surveiller, en établissant une liaison constante entre les rapporteurs et le secrétariat général du Comité, j’espère pouvoir donner à celui-ci, au moment de l’élaboration du budget de 1942, des renseignements précis et utiles pour la détermination des dotations budgétaires. Et quelle que soit la forme que la constitution future donnera à l’autorité budgétaire, j’ai la conviction que l’expérience en cours deviendra la base d’une institution durable et féconde ».
71Et Bouthillier de répondre en détaillant ses attentes à l’égard des magistrats de la Cour :
« Le régime que nous voulons construire est fondé sur les deux principes d’autorité et de responsabilité ; mais l’autorité n’est légitime qu’avec la garantie du contrôle et la responsabilité n’est assurée que par la rigueur des sanctions […] C’est dans [le] contrôle sur les administrateurs que je vois pour l’avenir le développement le plus remarquable de votre rôle. […] C’est sur vous et sur vous seuls que peut compter le Gouvernement pour être exactement renseigné […] Désormais, il ne dépendra que de la haute valeur de vos travaux que vos conseils soient considérés comme des arrêts […] Informateurs du chef de l’État pour les fautes individuelles, informateurs de l’autorité budgétaire et du secrétaire d’État aux finances pour les fautes de l’administration, votre tâche est immense ».
72Les contrôles de comptabilité administrative menés par la Cour sont donc mis à contribution pour alimenter le comité budgétaire en informations et en argumentaires contre les demandes de crédits des ministères « dépensiers143 ». Cet espoir sera en grande partie déçu et le comité budgétaire, privé de l’appui que constituait la puissante commission des Finances du Sénat, ne remplira aucunement l’office que le ministre des Finances et le premier président de la Cour des comptes voulaient lui voir jouer144. Quoi qu’il en soit, avec le comité budgétaire, construction financière ultra-centralisée qui cumule les missions des commissions des finances de l’ancien Parlement, celles du Comité supérieur de contrôle financier145 et doublonne en partie le travail de la direction du Budget, la Cour des comptes se voit basculer du côté du pouvoir budgétaire ; devenue non plus l’auxiliaire du Parlement, comme le voulait la tradition républicaine, mais l’auxiliaire de l’exécutif, elle se trouve de facto associée à la préparation et à la discussion du budget autant qu’au contrôle de son exécution.
73C’est aussi dans le cadre du comité budgétaire que Drouineau relance les travaux effectués à la Cour en 1939 sur la définition de la responsabilité des administrateurs et sur « l’organisation d’une procédure capable de mettre en jeu des sanctions effectives de cette responsabilité146 ». Ne croyant pas à l’empilement des contrôles financiers, c’est dans un régime nouveau de responsabilité et de sanctions pour les administrateurs qu’il met en réalité ses espoirs : « Le jour où une faute grave sera punie immédiatement, sévèrement et avec publicité, le contrôle financier deviendra un rouage efficace et bienfaisant dans la vie publique147 ». Vingt-cinq ans après la commission Selves consacrée à la réforme du « système financier » (1918), alors que le Comité supérieur de contrôle financier vient d’être abandonné, c’est la proposition du président Courtin en 1918 qui se trouve désormais inscrite à l’agenda de la réforme des finances publiques, celle d’une « chambre de discipline budgétaire148 ».
74À la Libération, l’ancien échafaudage à trois étages du contrôle financier mis en place en 1935-1936, carcan rigide et inadapté aux exigences des décideurs et des gestionnaires de la Reconstruction149, n’est pas rétabli, même s’il n’a jamais été abrogé ; il tombe dans l’oubli. Le dispositif de 1922 reste seul en place pour les administrations centrales, amendé et perfectionné en 1953, complété par le contrôle d’État en 1944 pour les entreprises publiques puis par le contrôle financier local en 1971. La préoccupation du contrôle qui a tant marqué l’entre-deux-guerres s’efface au second plan devant d’autres priorités plus économiques et plus économistes : la valorisation de l’intervention de l’État, le rôle positif de la dépense publique, la planification, la modernisation de l’économie et de l’État, la mystique de l’investissement, la productivité, la prévision, la croissance, l’expansion… Pour la Cour des comptes, parmi les réformes des années 1930 et 1940 subsiste essentiellement la réforme de la comptabilité administrative, définitivement acquise mais rapidement occultée par les réformes de la toute jeune IVe République au parfum d’innovations150: la constitutionnalisation du rôle budgétaire de la Cour auprès des commissions des finances du Parlement (art. 18 de la Constitution du 27 octobre 1946151), le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics en 1946, la Ve chambre pour les organismes de Sécurité sociale (loi du 31 décembre 1949), la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques (loi du 6 janvier 1948) et la Cour de discipline budgétaire et financière (loi du 29 janvier 1948). Ces initiatives institutionnelles recueillent les fruits des efforts de l’entre-deux-guerres pour renforcer le contrôle sur les administrations et les ordonnateurs et manifestent l’intérêt que les responsables publics portent désormais à la gestion des services publics. Vaccinée contre la tentation vichyste de devenir l’auxiliaire du seul pouvoir exécutif, la Cour des comptes réoriente ses regards vers le Parlement et entame la longue marche soixantenaire qui la mènera à « l’équidistance » entre l’exécutif et le Parlement…
Conclusion
75Entre 1914 et 1948, la Cour des comptes connaît un moment réformiste particulièrement dense, qui n’a pas d’équivalent selon nous au XXe siècle, jusqu’à la séquence de la LOLF votée en 2001. Cette séquence s’explique par une configuration exceptionnelle : un contexte de crise budgétaire qui place la gestion des finances publiques au premier plan des préoccupations gouvernementales, des hommes politiques intéressés par la rénovation du « système financier » et plus particulièrement par le rôle de la Cour au sein de ce système, (Caillaux, Chéron, Petsche, Maulion, Gardey, Mauger, Auriol, Bouthillier), des hauts fonctionnaires entrepreneurs de réformes, convergents, persévérants et appuyés politiquement (Courtin, Féret du Longbois, Bloch, Labeyrie, Drouineau, Bouthillier), des objectifs clairs (mettre en place un contrôle de la gestion des administrations), des réformes « gestionnaires » discrètes, en apparence modestes mais réellement mises en œuvre (la réforme comptable, la réforme du contrôle financier, la réforme de la Cour des comptes), l’apprentissage de méthodes de travail nouvelles et l’acquisition de métiers nouveaux (conseil, enquête, contrôle sur place…). La Cour prend dans ces années-là des initiatives administratives et politiques de premier plan et se voit soutenue à partir des années 1930 tant par le pouvoir exécutif que par les commissions des finances qui se préoccupent de sa place dans le système financier ; elle renforce son contrôle en matière de comptabilité et de gestion pour les administrations centrales, étend ses interventions vers le secteur économique (les offices) et social (les associations), prend pied dans la réforme administrative et la réorganisation des services et déborde à l’extrême fin de la période sur le pouvoir budgétaire… Cette dynamique l’autorise à faire jeu égal dans la période avec un ministère des Finances qui ne connaît pas encore l’expansion quantitative et qualitative qui sera la sienne dans l’après 1948 et lui permet de disputer à ce dernier, voire de prendre, momentanément, le leadership dans la réforme du système de gestion des finances publiques et de l’État.
Notes de bas de page
1 La mission dévolue à la Cour des comptes par Napoléon Ier réside essentiellement dans le jugement des comptes des comptables de l’État ; les réformes de la Restauration et de la monarchie de Juillet ont confié à la Cour le contrôle supérieur des finances de l’État en lui demandant notamment de garantir par une déclaration annuelle la conformité des comptes des comptables qu’elle juge, avec les comptes administratifs ministériels et avec le compte général de l’administration des Finances. Sur l’échec de cette ambition, voir la contribution de C. Descheemaeker dans ce même volume.
2 Projet de loi n° 3390, 10e législature, 15 janvier 1914.
3 Selon la loi du 22 avril 1832, le Rapport annuel de la Cour doit être imprimé et distribué aux chambres, mais le décret du 31 mai 1862 (art. 447) a précisé que le rapport devait être désormais accompagné des « éclaircissements de l’administration », ce qui ralentit considérablement la procédure de publication puisqu’il faut désormais attendre les réponses des services aux observations de la Cour… Le resserrement du calendrier, réclamé par Caillaux, est donc tout à fait stratégique : il permettrait à la Cour de peser dans la préparation du budget, ainsi que dans les débats parlementaires qui accompagnent la discussion et le vote du budget.
4 Il est difficile de dire si des magistrats de la Cour ont contribué directement à ce projet de loi ; en revanche, on sait que, de 1917 à 1936, ils en ont fait la référence de tous leurs projets de réforme. Nous n’avons pas d’informations particulières sur l’élaboration et la rédaction de ce projet de loi, qui à ce jour a pour seul auteur identifié Joseph Caillaux. Notons que son jeune chef de cabinet est à l’époque Émile Labeyrie dont il sera question plus loin.
5 La Cour des comptes se compose en 1914 de trois chambres. Outre le premier président, le procureur général, l’avocat général et le greffier en chef (futur secrétaire général à partir de 1925), on décompte trois présidents de chambre, 18 conseillers maîtres, 92 conseillers référendaires, 27 auditeurs, soit au total 144 magistrats. Nous remercions J. F. Potton de nous avoir communiqué ces informations.
6 Il faut attendre 1933 pour voir nommer un premier président et un procureur général issus de la Cour : Maurice Chotard issu de l’auditorat et Émile Labeyrie, en provenance de la première présidence.
7 SAEF, B 33 972.
8 Une seule de ces préconisations sera reprise dans la loi Marin du 10 août 1922 sur le contrôle des dépenses engagées : la communication à la Cour des comptes des rapports d’ensemble des contrôleurs des dépenses engagées (art. 7), mais pas ceux de l’Inspection des finances. Sur la loi Marin, son contenu, ses prolégomènes et ses enjeux, Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées, Évolutions d’une fonction, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004.
9 Séances du 4 et du 11 mars 1921, archives de la Cour des comptes, Registre des conférences des présidents 1895-1922, 2004 001/1.
10 Sur les retards et les désordres comptables, F. Faure et Fleury-Navarin, « La Cour des comptes et le contrôle des dépenses publiques », in Revue politique et parlementaire, 1921, p. 5-26. Les comités d’économies et les réformes administratives se succèdent entre 1920 et 1922 : commission Selves 1917-1918, commission Courtin en 1918-1919, commission d’économies Hébrard de Villeneuve à l’été 1919, création de la direction du Budget en octobre-novembre 1919, Comité supérieur d’enquête sur les économies dit comité Bloch en 1920, comité Marin de réforme administrative en 1922…
11 La direction du Budget est instituée par la loi du 21 octobre 1919 et le décret du 7 novembre 1919. Cf. Nathalie Carré de Malberg, « La naissance de la direction du Budget et d’un contrôle financier et les grandes étapes d’un développement contrasté 1919-1940 », in colloque Comité pour l’histoire économique et financière de la France, La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, 2001, p. 65-104.
12 Proposition de loi Fleury-Ravarin, Documents parlementaires, Chambre des députés, Journal officiel, annexe n° 2065, p. 763, 1921, 8 articles. « Nous voudrions un organe chargé de la vérification méthodique des opérations effectuées, des pièces comptables et des comptes, dans lesquels est retracée toute la vie financière de l’exercice écoulé, un organe qui vienne dire au Parlement tout ce qu’il y a d’intéressant dans ces comptes, toutes les infractions au budget ou aux volontés du Parlement, tous les abus, toutes les dépenses paraissant inutiles, tout ce qui annonce ou peut faire redouter le gaspillage des deniers publics ». Selon le député, cet organe ne saurait être que la Cour, qui reprendrait les attributions du Comité supérieur d’enquête de 1920 et qui serait dotée des plus larges pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place. Son rapport annuel, complété des référés et des réponses des administrations, serait adressé avant le 1er juillet, à l’instar de la Grande-Bretagne, de l’Italie ou de la Belgique aux commissions des finances de la Chambre et du Sénat qui pourront convoquer devant elles le procureur général, le ministre des Finances et les chefs de service des administrations contrôlées pour des séances contradictoires. Outre le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et plus particulièrement des commissions des finances, le projet parlementaire est marqué par la volonté d’associer la Cour au contrôle administratif de la dépense et de « rajeunir » les méthodes de travail de la Cour (contrôle sur pièces, droit d’enquête, séances contradictoires orales, référés, rapport public, communication des rapports d’inspection, etc.). Fleury-Ravarin, né en 1861, sénateur puis député du Rhône, a réussi avec succès l’auditorat du Conseil d’État ; il s’est intéressé avant 1914 aux questions de fiscalité et aux budgets des chemins de fer. Sur les propositions de Faure et Fleury-Navarin, « La Cour des comptes et le contrôle des dépenses publiques », op. cit.
13 Séance du 11 mars 1921, Registre des conférences des présidents 1895-1922, 2004 001/1.
14 La conférence des présidents de manière significative se refuse à autoriser la Cour à communiquer ses référés au Parlement, au nom de l’indépendance de la juridiction.
15 Mémoires de G. Denoix, premier directeur du Budget, in La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001, p. 521-569.
16 Préparé par la commission Colson en 1921, le projet de loi gouvernemental déposé le 8 novembre 1921 est voté le 29 décembre 1923.
17 SAEF, B 59 119, commission Courtin, 7 août 1918.
18 Conférence des présidents, 29 novembre 1922, 2004 001/2, et lettre du ministre des Finances au premier président de la Cour des comptes (SAEF, B 12 387).
19 Pierre Brin, né en 1882, est conseiller référendaire en 1921 et conseiller maître en 1930. Il fait ses premières armes dans la réforme administrative en tant que secrétaire rapporteur du Comité d’enquête sur les économies administratives de 1920 à 1925. Président de la commission de réforme de la comptabilité du département de la Guerre le 30 juin 1930, il assure le secrétariat de la commission sur les Offices de 1933-1934 et en rédige le rapport général, publié en 1936. Vice-président du Conseil supérieur des assurances sociales en 1936, il est nommé président de chambre en 1937, procureur général en octobre 1944 puis premier président en 1948. Il préside à partir de 1946 le Comité central d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics.
20 On mesure le chemin que va parcourir Brin, futur président du Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics après 1945.
21 Registre des conférences des présidents de chambre, 29 novembre 1922, p. 9.
22 En 1946, Brin, présidera le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics ; cet organisme aura pour principale activité la réalisation d’enquêtes sur pièces et sur place dans les services publics.
23 Le rapport Marin est publié au Journal officiel le 10 décembre 1923, mais nulle mesure de réforme n’a été prévue pour la Cour des comptes par la commission Marin, qui compte pourtant le procureur général Bloch parmi ses membres.
24 Le comité des experts, créé le 31 mai 1926, alerte néanmoins les pouvoirs publics sur les offices, qui se sont multipliés depuis la guerre et qui échappent au contrôle du ministère des Finances comme à celui de la Cour.
25 Le vote de la loi Marin sur le contrôle des dépenses engagées en 1922 est inséparable de la mise en place à la même époque des premières politiques publiques d’économies et de réduction des effectifs de fonctionnaires, de l’apparition des premiers Comités d’économies budgétaires et de réforme administrative et de la prise d’autonomie de la direction du Budget à partir de 1920.
26 Note de Brunet, sous-directeur, sur les retards accumulés dans la reddition des comptes, s. d., SAEF, B 50 366.
27 R. Jacomet, Les budgets. Le contrôle de leur exécution. Domat-Montchrestien, Paris, 1935 et L. Tallineau, « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire (1935) », in colloque La direction du Budget entre doctrines et réalités 1919-1944, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, p. 317-381.
28 Conférence des présidents, 10 mars 1927, 2004 001/2.
29 Conférence des présidents, séances du 10, 11, 19 et 28 mars, 27 juillet, 30 novembre 1927, 2004 001/2.
30 Cf. la note de Bloch, procureur général, aux rapporteurs en août 1926, son exposé en conférence des présidents le 24 janvier 1927, sa mercuriale du 31 janvier 1927 et sa note du 8 février 1927. Bloch a été directeur de la Comptabilité au ministère des Colonies en 1900-1901, directeur des Contributions directes au ministère des Finances et directeur de la Comptabilité publique en 1912-1913.
31 Par exemple, pour plus d’efficacité, l’idée est émise de créer une « chambre coloniale » ou de regrouper les comptes afférents à l’Empire dans une même chambre ; idem pour le contentieux. Mais des divergences importantes au sein de la Conférence opposent les partisans de la spécialisation et ceux de la tradition : selon l’ordonnance de 1838 et le décret du 31 mai 1862, « le principe de la juridiction financière, c’est le roulement, non la cristallisation des magistrats ».
32 Conférences des présidents, 1er mai, 30 juillet 1929, 7 novembre 1930, 2004 0001/2.
33 La proposition est bien en retrait de celle de Caillaux en 1914.
34 F. Monnet, Refaire la République, André Tardieu, une dérive réactionnaire (1876-1945), Paris, Fayard, 1993.
35 G. Jèze, professeur à la Faculté de droit de Paris, fondateur de la discipline des finances publiques, est l’un des plus actifs militants de la modification de la date d’ouverture de l’année financière ; il défend cette mesure depuis la commission Stourm de 1913 et invoque les modèles anglais, allemand, américain qui ont tous choisi la date du 1er avril. Il se heurte à l’époque à l’opposition unanime des magistrats de la Cour des comptes et des directeurs des Finances. Sa deuxième tentative en 1918 au sein de la commission Selves se solde par un échec ; en 1919, la commission Bloch chargée à nouveau d’étudier le changement du point de départ de l’année financière semble se rallier à la solution de Jèze, mais la commission des finances de l’Assemblée emmenée par Marin s’y oppose ; le ministère des Finances en 1920 présente à son tour un projet de loi en ce sens, mais aucun vote n’intervient. En 1926, le Comité des experts revient à la charge, précédé de plusieurs rapports d’experts, notamment le rapport Peytral de 1926. SAEF, B 50 364.
36 SAEF, B 33317 et décret du 21 janvier 1930, JO du 22 janvier 1930, p. 725. La commission a été modifiée par décret le 19 mars 1931 et le 27 mai 1932 afin de proroger sa mission en ce qui concerne l’amélioration et la simplification des règles de la CP (JO du 1er avril 1931 et du 27 mai 1932). Elle rassemble, sous la présidence de Petsche sous-secrétaire d’État aux Finances, Laurent, premier président honoraire de la Cour des comptes, Privat-Deschanel, procureur général honoraire, Bloch, procureur général, Tardit, président de section au Conseil d’État, Chotard, président de chambre, Fochier, conseiller d’État, Labeyrie, conseiller maître, Fouchier, conseiller maître, Sauvalle, inspecteur général des Finances, Drouineau, inspecteur général des Finances, Labussière, directeur de la Comptabilité de l’Intérieur, Guérin, directeur de la CP, Villard, directeur du Budget et du Contrôle financier, Guiraud, receveur, Veraguth, TPG, Goby, contrôleur de l’Armée. Lui sont adjoints des jeunes rapporteurs, Saint-Raymond et Lainé, conseillers référendaires, Hervé-Gruyer, auditeur, Ripert, Boissard et Allix, inspecteurs des Finances.
37 Au même moment, conformément à certaines préconisations de la commission et sur la pression du Parlement, le gouvernement Tardieu parachève la loi de 1922 sur le contrôle des dépenses engagées en l’étendant aux dépenses des ordonnateurs secondaires (loi de finances du 16 avril 1930, art. 133). La direction du Budget met à l’étude les modalités de ce nouveau contrôle (B 33 316).
38 Quelques jours après le décret du 16 décembre 1930 portant application du changement de date de l’année financière, la conférence des présidents de chambre essaie d’évaluer les conséquences du nouveau dispositif sur les comptables, sur la présentation des comptes départementaux, sur les arrêts de caisse et sur les transmissions à la Cour. Les magistrats réitèrent leur opposition à la nouvelle formule qu’ils qualifient d’« illogique et d’inutilement compliquée » (séance du 19 décembre 1930, 2004 001/2. p. 327). En 1931, en dépit du nouveau dispositif, le vote du budget n’évite pas les retards habituels. Un an plus tard, la loi du 31 mars 1932 abroge la loi du 27 décembre 1929.
39 Sur la réforme de la CP qui s’est déroulée de 1930 à 1936, B 33 230, 33 317, 50 367, 50 366, 50 365, 33 357.
40 Drouineau insiste sur le fait que la sous-commission doit se concentrer sur la réforme des écritures qui n’exige pas de loi, mais une simple décision ministérielle (PV du 5 mai 1930). Celle-ci prendra effet avec l’instruction du 20 novembre 1933 et sera parachevée par les décrets-lois de juin 1934.
41 Y compris les articles concernant le contrôle des dépenses engagées, les marchés publics, la procédure et la nomenclature budgétaire ou la Cour des comptes…
42 Pour un bilan des travaux de la commission, SAEF, B 50 366, note du 21 décembre 1933.
43 Drouineau et Bloch veulent intégrer la comptabilité des offices, qui échappe au contrôle des Finances et de la Cour.
44 Labeyrie se montre très critique dans son rapport de 1933 sur les travaux de cette sous-commission, parlant de « mesures fragmentaires dont l’application apportera sans doute quelques améliorations de détail, mais ne constitue nullement la réforme attendue à l’effet d’établir une comptabilité claire, complète, rapide de toutes les recettes et les dépenses de l’État » (Rapport, p. 79). En réponse, la direction de la Comptabilité publique dans sa note bilan du 21 décembre 1933 se félicite du travail accompli, notamment du fait qu’une « situation du Budget et du Trésor sera désormais établie et publiée mensuellement ; [qu’elle] permettra au Parlement de suivre en cours d’exercice l’emploi des crédits budgétaires, la marche du recouvrement des recettes, les variations de la situation comptable de la Trésorerie ».
45 B 33 317, séance du 17 mai 1934. L’inspecteur général des Finances Drouineau s’oppose comme à l’accoutumée à la communication à la Cour des rapports de l’Inspection. Quant aux projets de Labeyrie sur la réforme comptable de 1930 et 1933, ils ne sont pas évoqués et leur auteur n’est pas auditionné.
46 Bloch et Labeyrie se prononcent d’entrée de jeu en faveur de l’extension des attributions de la Cour en matière de contrôle des ordonnateurs, au profit du Parlement (B 33 317, séance du 4 février 1930).
47 E. Labeyrie, qui a démarré sa carrière à la Cour des comptes en 1900 comme secrétaire auprès de son père Henri Labeyrie, premier président, est une « créature » de Caillaux : chef de son secrétariat particulier en février 1902 rue de Rivoli, il est nommé conseiller référendaire en septembre de la même année ; en 1913-1914, il est son chef de cabinet, puis en 1925 son directeur de cabinet sous le cartel des gauches ; il est nommé conseiller maître en 1925.
48 SAEF, B 50 317, Note Labeyrie du 26 juillet 1930, p. 54-56. Cette note a été précédée d’une première mouture, présentée le 1er mars 1930 à la Cour des comptes ; elle n’a pas été discutée au sein de la deuxième sous-commission Chéron consacrée à la comptabilité ! L’antagonisme Drouineau-Labeyrie trouve-t-il ici sa source ?
49 SAEF, B 50 366. Au cours de la discussion du budget 1932, le 30 mars 1931, Caillaux à la tribune du Sénat reprend le même argumentaire ; la CP assure sa défense auprès du ministre le 14 avril 1931. Le même thème sera repris dans le rapport Labeyrie de 1933 puis dans le rapport du sénateur Maulion de 1934, « Étude sur la réforme du Contrôle financier et de la Cour des comptes » (voir infra).
50 SAEF, B 50 317, note de J. Brunet, sous-directeur, 5 août 1930 et B 50 366, note au ministre de Guérin, directeur de la Comptabilité publique, 25 octobre 1930. Des propositions de Labeyrie, le sous-directeur retient la création d’une inspection des comptables directement placée sous l’autorité de la Comptabilité publique, le rattachement des contrôleurs généraux des Finances à la direction du Budget et le renforcement de la Cour. Il ironise sur le caractère « révolutionnaire » des mesures et suggère de ne pas diffuser prématurément la note.
51 Archives de la Cour, dossier de P. Brin. Les travaux de cette commission aboutissent à un premier décret du 25 décembre 1932, suivi de deux autres en 1934 et 1935. Pour ses services, Brin reçoit à deux reprises en 1932 et en 1936 les félicitations de Daladier, ministre de la Guerre, ainsi que les deux conseillers référendaires qui l’ont assisté, Grandsaignes et Walter, et le jeune auditeur Devillez.
52 B 50 317.
53 Les interventions de Petsche sur la réforme administrative sont repérées dès 1930 par L’État moderne. En 1932, Petsche, toujours associé à P. Reynaud, s’intéressera au contrôle des offices.
54 Le procureur général Bloch semble avoir pris une part active dans l’élaboration du texte Petsche ; en conférence des présidents, c’est lui qui présente le projet et qui répond aux objections présentées par les autres magistrats. Sont successivement évoqués le problème des commissaires du Gouvernement qui apparaissent comme « juges et parties » au sein du Comité de contrôle financier, le principe de la nomination des membres par le ministre des Finances, grave entorse à l’indépendance de la Cour, mais qui pourrait se résoudre par une désignation préalable par le premier président, le souhait du premier président de voir siéger au Comité les trois présidents de chambre à l’instar du Comité du rapport public. Une lettre est envoyée en ce sens à Petsche (note au ministre du 29 novembre 1930). Selon Bloch, les réunions du Comité de contrôle financier devront être fréquentes. (Conférence des présidents, séance du 28 novembre 1930, 2004 001/2).
55 Commission Chéron, séance du 24 novembre 1930, B 50 366 et 50 317 ; conférence des présidents, séance du 28 novembre 1930, 2004 001/2 ; Rapport Labeyrie de 1933.
56 Cette proposition est la seule véritable innovation introduite depuis le projet Caillaux ; elle trahit l’origine de Petsche, ancien auditeur à la Cour des comptes, et pointe l’effort de modernisation que d’aucuns voudraient voir faire par la Cour des comptes.
57 Conférence des présidents, 28 novembre 1930.
58 Selon Labeyrie, le projet Petsche aurait été enterré par les Finances (Rapport 1933, p. 77-79). Aucun document dans les archives de la CP ne confirme à ce jour cette affirmation et la CP semble avoir relayé normalement le projet auprès du ministre (cf. notes au ministre du directeur, 5 mars et 14 avril 1931, B 50 366). En revanche, la mise en place d’un contrôle des ordonnateurs rencontre une opposition intraitable du conseiller d’État Tardit, qui reste néanmoins isolé.
59 Dans les trois gouvernements radicaux de l’année 1933 (Daladier, Sarraut et Chautemps), se succèdent au Budget Lamoureux, Gardey et Marchandeau, tandis qu’aux Finances se maintient Bonnet. Les ministres du Budget et des Finances s’accordent pour poursuivre et accentuer la politique d’économies amorcée par leurs prédécesseurs, Palmade, Chéron et Germain-Martin (dispositif Palmade du 15 juillet 1932, création du Comité supérieur d’économies le 22 octobre 1932 ; décret Chéron de janvier 1933 suspendant le recrutement des fonctionnaires ; loi d’économies du 28 février 1933 ; plan d’économies de Gardey de novembre 1933 ; loi d’économies Marchandeau du 23 décembre 1933).
60 Le poste de secrétaire général aux Finances, occupé pour la dernière fois par Privat-Deschanel entre 1913 et 1919, a disparu après la guerre ; dans les années 1920 et au début des années 1930, c’est le directeur du Contrôle des administrations financières qui en fait office ; en 1932, c’est Bouthillier qui occupe le poste. En décembre 1932, contre tous les usages, alors qu’aucun magistrat de la Cour n’a jamais été nommé directeur rue de Rivoli, Labeyrie est nommé secrétaire général du ministère des Finances par Palmade, ministre du Budget… De façon éphémère puisque, dès le mois d’avril, Labeyrie est de retour à la Cour des comptes. Bouthillier continue d’occuper de 1932 à 1935 le poste de chef du Service du contrôle des administrations financières et deviendra secrétaire général du ministère des Finances en 1938, après le rétablissement du poste par V. Auriol en 1936.
61 Bonnet et Labeyrie fréquentent tous deux les banquets de L’État moderne qui s’apparente à l’époque à ce que l’on pourrait appeler à la fois un club et un think tank pour les gouvernements radicaux-socialistes d’avant 1936, notamment sur la réforme de l’État ou sur la réforme fiscale. Est-ce en compensation de son départ du secrétariat général des Finances que Bonnet a confié à Labeyrie la rédaction de ce rapport ?
62 Cf. son rapport p. 42-46.
63 Le rapport Labeyrie se trouve au SAEF (B 50 366) et à la bibliothèque de la Cour des comptes. Long de 93 pages, il comporte quatre annexes : une note de Le Vert, auditeur à la Cour, sur le service des comptables centralisateurs régionaux de l’administration des PTT, une note historique de Grandsaignes, conseiller référendaire, sur l’organisation des services financiers de l’État en France, le discours de Labeyrie du 2 juin 1933 lors de son installation comme procureur général et une seconde note de Grandsaignes sur la comptabilité publique italienne.
64 Labeyrie n’appartient pas à l’Inspection des finances ni à la caste des grands directeurs de la rue de Rivoli ; il a effectué la majeure partie de sa carrière sous la protection de Caillaux puis de Palmade et Bonnet et vient de quitter le poste transversal de secrétaire général des Finances pour le poste (inamovible) de procureur général à la Cour. Il a une liberté, voire une brutalité de ton, qui tranche avec les préconisations feutrées des traditionnelles commissions de la rue de Rivoli.
65 Labeyrie annonce clairement que leurs émoluments devront être « considérablement réduits » (p. 46).
66 Cette procédure contradictoire sera précisément celle retenue par le Comité supérieur de contrôle financier de 1936, mais aussi par le CCECRSP en 1946 et par la CVCEP en 1948.
67 Le cas italien semble bien connu des experts des finances publiques français. Étudié par l’inspecteur général des Finances Certes en 1887-1888, il l’est à nouveau de façon détaillée par le conseiller maître V. de Marcé pour le compte de la commission Selves en 1918, puis par l’inspecteur des Finances H. de Peyster, qui se spécialise dans les missions d’études internationales ; ce dernier se rend notamment en Italie en 1921 pour le compte du ministre des Finances Doumer. En 1933, Labeyrie commande une note sur la Cour des comptes italienne à Grandsaignes, conseiller référendaire. Dans cette note, l’auteur expose le contrôle préventif qu’effectuent les agents de la Cour des comptes italienne auprès des ordonnateurs (double visa) et les différentes réformes qui ont affecté cette organisation entre 1869 et 1928. Il montre comment « la comptabilité administrative est établie et contrôlée au jour le jour, ce qui facilite la reddition des comptes au Parlement et la rend très rapide. En même temps, le contrôle préalable assure d’une façon parfaite l’exactitude et la sincérité de la comptabilité ». D’une façon générale, les travaux menés au sein des commissions préparatoires de la SDN entre 1926 et 1932 en vue de la conférence sur le désarmement, ont permis de grands progrès dans l’étude comparative des systèmes budgétaires et financiers des pays représentés. À la suite de cette expérience fondatrice, R. Jacomet, contrôleur général de l’Armée et représentant de la France à la SDN, créera en 1935 avec le doyen Allix la section des finances publiques de l’Institut de droit comparé. Le 30 avril 1935, c’est à l’Institut de droit comparé que Grandsaignes prononce une conférence sur le contrôle préventif italien et ses avantages, publiée dans la Revue de droit comparé en 1937 (p. 43-70). Lors de cette séance, sont présents l’inspecteur général des Finances Peyster, V. de Marcé, conseiller maître et spécialiste des systèmes comparés de comptabilité publique et de contrôle financier en Europe, Labeyrie, procureur général, et Mauger, président de la commission des comptes définitifs du Sénat. La discussion est vive entre Grandsaignes partisan d’un contrôle préventif des dépenses et des recettes confié à un grand corps indépendant « qui ne négligerait pas la critique de la gestion », Peyster plus âgé, peu favorable au contrôle préalable en raison de la dilution des responsabilités et sceptique sur son efficacité sur le terrain, Marcé, qui rappelle ses propres travaux d’avant-guerre, Labeyrie, qui revient à la charge sur la nécessité de comptes plus exacts et plus rapides, et Mauger, très offensif sur la reddition des comptes définitifs et virulent contre le ministère des Finances.
68 Depuis 1932, Caillaux est président de la commission des Finances du Sénat.
69 Selon l’expression utilisée par le sénateur Maulion dans son rapport d’août 1934 (p. 8, voir infra).
70 Labeyrie dans son rapport de 1933 pointe le motif budgétaire dans l’échec de la création en 1930 d’un contrôle des dépenses engagées local : « Sans doute a-t-on reculé devant l’importance des crédits qui eussent été nécessaires à la création d’au moins 90 emplois nouveaux de contrôleurs de dépenses engagées dans les départements » (p. 42). Il ne semble pas voir que son projet en 1933, alors que la réduction des effectifs des fonctionnaires est un des objectifs prioritaires du Gouvernement, se heurte au même obstacle ! Dans son rapport, pas une fois il n’aborde la question du financement de sa réforme et la façon dont il pense obtenir du Parlement les créations de postes correspondantes.
71 On ne connaît pas les réactions des chefs de service de la rue de Rivoli, mais on peut imaginer qu’en écrivant ce rapport, Labeyrie ne s’est pas fait que des amis. Parmi eux, Drouineau, et surtout Bouthillier, inspecteur des Finances, avec qui il va croiser le fer à partir de 1934 jusqu’à l’épisode final en juillet 1940.
72 Séance solennelle, le 3 juillet 1934, 2004 001/27. Le rapport fait en revanche l’objet d’une note défensive de la part de la CP le 21 décembre 1933 (B 50 366).
73 Quatorze magistrats sont concernés selon le premier président. Labeyrie dénonce une « loi de sacrifice » et parle des magistrats « sacrifiés en expiation des prodigalités du Budget et de la Trésorerie » (2004 001/27. discours, p. 1).
74 Depuis son installation comme procureur général, Labeyrie ne cesse de vouloir moderniser les méthodes de travail de la Cour, qu’il s’agisse de la reddition des comptes et du travail juridictionnel, des relations avec les administrations publiques, de l’information du Parlement ou du contrôle de l’exécution du budget (cf. son discours de rentrée le 23 septembre 1933). Une commission interne dite des vacations est créée le 17 novembre 1933 pour mieux apprécier le travail des magistrats et leur productivité. Le retard qui s’accumule et qui enfle à partir de 1932, alors que la direction de la Comptabilité publique semble avoir amélioré ses résultats, met en cause la responsabilité de la Cour. Lors de l’audience solennelle du 1er août 1934, l’avocat général Saint-Raymond déclare que le nombre de comptes en attente est passé de 12 213 à 14 373 entre juillet 1932 et juillet 1934 et conclut sévèrement : « La Cour ne juge guère plus des deux tiers des comptes qui lui sont annuellement adressés ». Face à cette carence de l’institution, il réclame un changement dans l’organisation du travail : « La division du travail, la spécialisation des tâches sont, en matière industrielle, la condition nécessaire du développement de la production. […] Transposées dans le domaine de la vérification comptable, ces principes gardent leur valeur, mais rencontrent de sérieuses difficultés d’application. L’une des principales dans notre système de comptabilité publique provient du fait que les justifications relatives à chaque service sont dispersées dans la comptabilité de 90 départements. Les mêmes errements s’y reproduisent, les mêmes questions se présentent à l’examen des différents rapporteurs. Il importe que les pertes de temps et d’efforts qui en résultent soient désormais évitées. La généralisation du travail par équipe, sous la direction de magistrats expérimentés, doit permettre à ceux-ci de répartir entre leurs collaborateurs l’étude de diverses questions, de les guider dans leurs tâches, de les aider à résoudre les problèmes qui seront posés devant eux. De fréquents contacts entre les différentes équipes, la réorganisation des services de documentation, faciliteront cette économie des forces, conditions essentielles pour que la Cour puisse remplir le rôle qui lui a été dévolu par nos institutions » (2004 001/27).
75 L’objectif prioritaire est l’établissement rapide et synthétique de situations de trésorerie trimestrielles.
76 Sénateur radical-socialiste du Morbihan, inscrit au groupe de la gauche démocratique, Paul Maulion a été vice-président de la commission d’administration générale, départementale et communale. En août 1934, il est le rapporteur général de la commission de la réforme de l’État.
77 Archives de la Cour des comptes, Rapport Maulion, 10 août 1934, « Étude sur la réforme du contrôle financier et de la Cour des comptes, présentée à la commission de la réforme de l’État du Sénat », le 10 décembre 1934.
78 Caillaux, depuis sa présidence de la commission des Finances du Sénat, tonne sur la mauvaise gestion des finances publiques et en appelle sans se lasser à une nouvelle comptabilité budgétaire, exacte et fiable : « On nous propose et nous votons des chiffres qui sont des prévisions, démenties nécessairement par les réalités, qu’il s’agisse de recettes ou de dépenses. Ce n’est que des années après que sont connus les résultats exacts », cité par G. Berstein in colloque sur La direction du Budget entre les deux guerres, op. cit., p. 186 (Journal officiel, Débats, séance du 26 février 1934). L’une des autres marques de cette attention accrue du Sénat pour la reddition des comptes est la mise en place le 24 janvier 1934 d’une commission des comptes définitifs ; composée de 18 membres, elle est vice-présidée par Chéron, ancien ministre (1934-1936) et présidée par Mauger, sénateur radical-socialiste jusqu’en 1938.
79 Selon Maulion qui a compris qu’il fallait anticiper les objections budgétaires, le coût serait équivalent à tous les corps de contrôle superposés ou juxtaposés déjà existants.
80 « La comptabilité administrative, centralisée à la Cour des comptes, permettra l’établissement très rapide des comptes de l’État. Les opérations ayant été vérifiées au fur et à mesure de leur réalisation, le rapport annuel de la Cour pourra être remis très peu de temps après la clôture de l’exercice. D’autre part, la vérification des comptes de la trésorerie, opération presque matérielle et faite trimestriellement, prendra également fort peu de temps. Les Chambres pourront donc être saisies en temps utile des documents nécessaires à l’exercice de leur contrôle. Il a paru opportun de laisser au ministre des Finances le soin de présenter lui-même le compte des opérations de la Trésorerie, qui sont de son ressort exclusif et dont la Cour se borne à vérifier l’exactitude. Les nouvelles dispositions entraîneront une modification profonde des méthodes de travail et de la procédure de la Cour des comptes. Cette haute assemblée perdra son caractère de juridiction incompatible avec les attributions qui lui sont dévolues. Elle se bornera en effet à exercer un contrôle sur les comptes de ses délégués et un contrôle sur les comptes de la Trésorerie, elle ne statuera plus par voie d’arrêt. Elle deviendra une grande administration indépendante, assimilable en tout point à l’Audit Office de Grande-Bretagne », Rapport Maulion, p. 26-27.
81 La politique de déflation budgétaire initiée par Germain-Martin atteint son acmé sous le gouvernement Laval, avec les décrets-lois d’économies de Régnier (réduction des dépenses publiques de 10 %, abattement sur les traitements des fonctionnaires, chasse aux cumuls des rémunérations et aux abus, réduction des subventions, prélèvements supplémentaires, etc.) Les archives de la Cour attestent du soutien du premier président Chotard à la politique de rigueur gouvernementale (séance solennelle, 2004001/27) ; le 19 juillet 1935, Chotard déclare : « La Cour des comptes est de tous les grands corps de l’État celui qui a la mission la plus directe de l’aider dans ce sauvetage des finances […] Nous sommes tous plus que jamais avec le Gouvernement, avec la légalité, avec le droit, pour la réalisation des réformes qui mettront dans le fonctionnement de l’État, la souplesse et la moralité ». Le 16 octobre 1935, il se félicite de la contribution des magistrats au redressement financier, soit dans les cabinets ministériels, soit dans les commissions de réforme administrative instituées dans les différents ministères, soit dans les Comités chargés de la révision des pensions et dirigés par le procureur général. Le 25 novembre 1936, il affiche sa satisfaction d’avoir obtenu un assouplissement du statut des magistrats, qui autorise « la position de mise en disponibilité pour exercice de fonctions publiques », « sans les enlever définitivement à la Cour » et qui permet de multiplier leurs concours au Gouvernement.
82 La question de la comptabilité et de sa réforme se situe dès 1920 et particulièrement dans la période 1930-1934 au cœur des préoccupations des responsables des finances publiques, qu’il s’agisse des ministres des Finances ou du Budget (Klotz, Lasteyrie, Chéron, Petsche, Palmade, Bonnet, Germain-Martin et Auriol), des hauts fonctionnaires des Finances (Célier, Chauvy, Privat-Deschanel, Denoix, Guérin, Brunet, Drouineau, Bizot, Devaux), des magistrats de la Cour des comptes (Fouchier, Féret du Longbois, Labeyrie, Bloch, Chotard, Brin, Pomme de Mirimonde, Marcé, Hervé-Gruyer, Grandsaignes), des experts des ministères techniques (R. Jacomet) ou des parlementaires experts en finances publiques (Fleury-Ravarin, Milliès-Lacroix, Bérenger, Marin, Faure, Brousse, Caillaux, Chéron, Petsche, Maulion, Mauger, Schmidt, Gardey). La référence à l’époque n’est pas seulement le modèle britannique souvent cité et commenté, notamment par Jèze et Jacomet, mais aussi l’exemple italien, bien connu des hauts fonctionnaires financiers français (Peyster, Marcé, Grandsaignes, Labeyrie). Cette préoccupation comptable est partagée dans les années 1930 par les professeurs de droit et de finances publiques (Jèze, Allix, Cassin, Reuter), qui dans la dynamique des travaux de la SDN, à partir de 1935, se mobilisent au sein de l’Institut de droit comparé et de sa toute nouvelle section des finances publiques. À cet égard, le diagnostic posé sur la comptabilité publique par les juristes de l’Institut de droit comparé rejoint largement celui de Labeyrie dans ses rapports de 1930 et 1933 : insuffisance des comptes des ministres, poids de la comptabilité de caisse, importance du ministère des Finances dans l’établissement des écritures, faiblesse de la comptabilité des ordonnancements, faiblesse du contrôle de la Cour sur l’exécution budgétaire et non participation au contrôle préventif des dépenses, faiblesse du contrôle parlementaire, focalisation sur la présentation des budgets aux dépens de la reddition et de la certification des comptes, etc. Sur l’Institut de droit comparé et la question budgétaro-comptable, L. Tallineau, « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire (1935) », in La direction du Budget 1919-1944, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999, p. 342-348.
83 Sur ces deux réformes, C. Descheemaeker infra.
84 SAEF, B 33 330 et B 33 316.
85 Loi du 28 février 1933, articles 78, 79 et 80, Journal officiel, Lois et décrets, 1er mars 1933, p. 2000. Rattachée à la Présidence du Conseil, cette commission est chargée d’examiner « dans un délai de trois mois à dater de la présente loi les statuts et les comptes des divers Offices autonomes dépendant de l’État, soit pour les incorporer dans les services normaux des ministères, soit pour apporter à leur organisation et à leur gestion toutes les modifications suggérées par l’expérience et imposées par les nécessités d’économies et le souci de clarté ». Elle est composée de quatre parlementaires, du directeur du Budget, de Decron, inspecteur général des Finances, de Brin, conseiller maître, de Laurent, secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires, d’un conseiller référendaire et d’un auditeur à la Cour des comptes (secrétaire).
86 Rapport général, P. Brin, commission des Offices, 15 septembre 1935, JO, annexe, 4 juin 1936, p. 437-446 et rapport public pour 1937-1938, Paris, JO, 15 décembre 1938, p. 29-34.
87 Par exemple, le décret du 19 avril 1934 fusionne l’Office des mutilés et celui des pupilles de la nation.
88 La mise en œuvre de cette déclaration spéciale de sincérité et de conformité prévue par l’article 22 du décret du 15 décembre 1934 est précisée par différents textes pour chacun des offices concernés, par exemple l’Office des combustibles liquides (décret-loi du 25 novembre 1935), le service des Alcools (décret du 18 décembre 1935), les Chemins de fer de l’État (arrêté ministériel du 11 mai 1936), l’Office industriel de l’azote (décret du 30 juillet 1936), l’Office national de la navigation (décret du 3 novembre 1936). Après la réforme de 1936 et la création de la IVe chambre, la nouvelle réglementation est précisée et complétée lors de la conférence des présidents du 5 février 1937, sur le rapport du conseiller maître Calan (2004 001/27, p. 367-369) : 1° jugement des comptes par la chambre juridictionnelle et arrêt rendu sur la responsabilité du comptable ; 2° examen du « deuxième cahier » d’observations par la IVe chambre avec présence du conseiller maître qui a rapporté à la chambre juridictionnelle et qui a voix délibérative à la IVe chambre ; 3° réunion de la chambre juridictionnelle et de la IVe chambre sous la présidence du premier président pour adopter le rapport, prononcer la déclaration spéciale de conformité et arrêter les termes du rapport qui devra accompagner cette déclaration. Voir aussi la note aux rapporteurs n° 195 du 12 février 1937, 2004 001/52.
89 En 1935, les contrôleurs financiers sont au nombre de dix ; en 1938, ils sont quinze, parmi lesquels cinq inspecteurs des Finances (Le Bec, Delsériès, Sergent, Tournier, Turquet) et sept membres de la Cour des comptes (Barrié, Devillez, Grandsaignes d’Hauterive, Hervé-Gruyer, Janton, Lorain). La direction centrale compte par ailleurs trois autres inspecteurs des Finances chargés de mission (Wailly, Herrenschmidt, Macaux).
90 Dès 1933, Labeyrie, qui soupçonne la direction du Budget de vouloir disposer de postes de débouchés pour ses administrateurs, juge les contrôleurs financiers de la direction du Budget coûteux et inutiles !
91 Les modalités de contrôle par la Cour des comptes sont précisées par la note du premier président aux magistrats n° 195 du 23 février 1939.
92 C’est le premier président Drouineau et le procureur général Godin sous Vichy qui organiseront le contrôle des associations subventionnées, désormais soumises au contrôle de la Cour des comptes (conférence des présidents, séance du 19 mai 1941 et arrêté du même jour, 2004 001/2) ; à cette fin, est mis en place un comité interne, qui établit des rapports et des notes à destination des départements ministériels, concluant soit au maintien soit à la suppression de la subvention.
93 La création de ces comités de contrôle financier ministériels, à caractère collégial, coiffant le contrôleur des dépenses engagées, a été évoquée dès 1918 par la commission Selves chargée d’étudier le contrôle administratif ; c’est notamment une des grandes idées de Courtin président de chambre à la Cour, qui voulait confier à de tels comités la préparation du budget ministériel en même temps que le contrôle de son exécution. Le nouveau premier président, Guinand, lors de son installation le 16 octobre 1936, en fait l’éloge.
94 Les ministères de la Guerre et de la Marine ont obtenu dans un premier temps la réduction des comités de contrôle financier à deux membres, dont un représentant des Finances (décret du 7 décembre 1935), mais en 1937, ils finissent par s’aligner sur le régime général.
95 Bouthillier, directeur du Budget, considéré comme le principal artisan de la politique de déflation budgétaire et administrative, est envoyé en disgrâce à la direction des finances de la Ville de Paris et du département de la Seine. Sur cette scission et les vicissitudes administratives que subit la direction en 1935-1936, N. Carré de Malberg, Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances 1917-1946, Les hommes, le métier, les carrières, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2011, p. 252-258.
96 CHAN, 552 AP 21 et SAEF, B 46 061.
97 En 1938, le contrôle des dépenses engagées compte 17 contrôleurs et 11 contrôleurs adjoints ; parmi eux, seulement deux inspecteurs des Finances (Cornille et Veyrac). Sous Vichy, le Budget recouvrera progressivement le contrôle des offices et des établissements à caractère administratif, industriel et commercial, puis le contrôle des colonies et des collectivités locales… et les postes de contrôleurs financiers des offices afférents.
98 Le cabinet Auriol compte trois membres de la Cour des comptes, Flouret et Grandsaignes, conseillers référendaires, et Janton, auditeur, qui suivent les dossiers de finances publiques, notamment la réforme de la comptabilité et des contrôles.
99 CHAN, 552 AP 21, Projet de loi n° 348, 18 juin 1936, JO, p. 959-960, un article unique, très général. Il est fait mention d’une coordination accrue des contrôles administratif, juridictionnel et parlementaire, de la mise en place d’un contrôle des administrateurs défaillants et d’un contrôle resserré des Offices.
100 Sur les débats parlementaires qui ont entouré le projet Auriol au cours de l’été 1936, voir le rapport Schmidt au nom de la commission des finances de la Chambre (n° 436, 25 juin 1936, JO, p. 1016-1019), le rapport Gardey au nom de la commission des finances du Sénat (n° 543, 9 juillet 1936), le rapport Gardey sur le collectif portant création du comité supérieur de contrôle (Sénat, 13 août 1936, JO, p. 1312), l’avis Mauger présenté au nom de la commission des comptes définitifs (n° 578, 21 juillet 1936), l’avis Maulion présenté au nom de la commission de réforme de l’État (Sénat, n° 586, 22 juillet 1936, JO, p. 343-347), le rapport Petsche au nom de la commission des finances de la Chambre sur le projet de création du Comité supérieur de contrôle (n° 1055, 8 août 1936, JO, p. 1650-1651). CHAN, Archives Vincent Auriol, 552 AP 21.
101 Le Front populaire mettant fin à la politique d’économies budgétaires du gouvernement Laval, Labeyrie a pu croire que le Parlement lui octroierait les postes de contrôleurs comptables dont il a besoin pour sa réforme… Espérance déçue par le blocage du Sénat, ultime gardien des deniers publics.
102 La commission des Finances du Sénat récuse le projet d’une Cour des comptes qui cesserait « de juger les comptes des payeurs pour se consacrer uniquement au contrôle et à l’examen critique de la gestion des ordonnateurs ». Gardey rappelle ainsi les principes qui doivent guider selon lui la mission de la Cour : « Quiconque a pénétré même sommairement dans les services comptables ne peut manquer d’avoir été frappé du souci constant qui y règne de ne pas donner prise à la moindre observation du juge des comptes […] D’autre part, si la Cour des comptes perdait ses attributions juridictionnelles pour devenir une sorte de surintendance générale, devrait-elle conserver son inamovibilité et son titre de cour ? Et si elle le conserve, ne peut-on entrevoir la possibilité de circonstances où le Parlement trouverait, non plus à son côté, mais en face de lui le corps dont il aurait si considérablement accru le rôle ? » (Rapport n° 543, p. 17). Le rapporteur conclut donc qu’il faut laisser les réformes comptables de 1934-1935 porter leurs fruits et ne pas légiférer à nouveau, alors même que la réforme commence à peine d’être appliquée et qu’il est risqué de toucher à « une administration établie » telle que la Comptabilité publique. On imagine aisément que Brunet, nouveau directeur de la Comptabilité publique et coauteur de la réforme de 1934 n’a pas souhaité rouvrir le dossier !
103 La commission des comptes définitifs du Sénat, présidée par Mauger, sénateur radical-socialiste, se prononce elle aussi en faveur d’une réforme de la Cour des comptes, ainsi que Petsche pour la Chambre.
104 Caillaux, depuis la fin des années 1920, estime que les projets de budget ne sont ni sincères ni crédibles ; depuis la crise de 1934 et l’adoption des décrets-lois, les budgets ne sont plus votés selon la procédure normale, mais selon des procédures exceptionnelles qui ne permettent pas à la commission des Finances du Sénat de procéder à un examen sérieux des propositions budgétaires (cf. G. Berstein, in colloque sur La direction du Budget entre les deux guerres, op. cit., p. 192). Sa conclusion est qu’il faut aller vers plus de contrôle a posteriori conformément à son intuition de 1914.
105 Avec l’abandon des contrôleurs comptables, la réforme du ministère des Finances tombe elle aussi ; le réseau des comptables du Trésor est maintenu et les trésoriers payeurs généraux demeurent les pivots du système financier à l’échelon local. La résistance de l’administration des Finances, l’opposition du Sénat et le manque de moyens budgétaires se sont ligués pour empêcher toute modification de l’organisation héritée du passé. Quant à la réforme de l’administration centrale des Finances, elle s’oriente dans une tout autre direction ; la scission de la direction du Budget, la création d’une direction du Contrôle financier et des Participations publiques, la recréation d’un secrétariat général absorbant la direction du Personnel et le Service du contrôle des régies financières, la création de comités consultatifs pour la réforme de la fiscalité et pour la gestion des régies financières doivent davantage au nouveau secrétaire général du ministère des Finances, G. Mer, fondateur de L’État moderne, haut fonctionnaire syndicaliste de l’Enregistrement et spécialiste du système fiscal, qu’à Labeyrie, réformateur du système comptable.
106 Le rapporteur du Sénat a pris soin de préciser que le comité supérieur de contrôle « remplira, dans des conditions à déterminer, une mission permanente de contrôle, mais sans intervenir dans le fonctionnement des services. Les examens sur place ne devront jamais avoir le caractère d’une inspection. Le comité coordonnera l’action des comités spéciaux de contrôle financier, mais ne pourra se substituer à eux » (Sénat, débats parlementaires, 1936, A. Gardey, séance du 13 août 1936).
107 Il faudra attendre la loi du 12 mars 1936 et le décret-loi du 2 mai 1938 pour que le rapport public soit dans le même temps distribué aux deux chambres, remis au président de la République et publié au Journal officiel.
108 On se souvient qu’en 1930, la Cour aurait voulu que les trois présidents de chambre soient membres de droit du Comité supérieur de contrôle financier.
109 Archives de la Cour, plumitif du comité du rapport public 2004 001/53 et 60.
110 Archives de la Cour, 2004 001/52, note aux rapporteurs n° 188, p. 2.
111 Le rapport au président de la République du 31 août 1936 signé par Auriol explicite très clairement cette filiation et cette continuité entre la commission Chéron, le projet de loi Petsche, le rapport Labeyrie, les décrets-lois de l’été 1934, les décrets du 30 octobre 1935 et la loi du 13 août 1936.
112 C’est compter sans la vigilance de Labeyrie qui, dès l’installation du nouveau premier président, Guinand, le 16 octobre 1936, fixe déjà un nouveau cap à la réforme du contrôle : « la réglementation de la responsabilité des ordonnateurs. Ce n’est que lorsque ceux-ci, qui détiennent une partie des pouvoirs de l’État, sauront que leurs fautes seront obligatoirement soumises à des juges chargés, en toute indépendance, d’en déterminer la gravité et d’appliquer des sanctions fixées par la loi, que le contrôle de leurs actes trouvera toute son efficacité ». La cour de discipline financière chère à Courtin resurgit à son tour…
113 SAEF, B 33 230 ; archives de la Cour et rapports publics 1936, 1938 et 1939.
114 En 1938 (tome XXXVI, p. 531-533) et en 1939 (tome XXXVII, p. 245-286), la Revue de science et de législation financières fait le point sur la mise en place des comités de contrôle ; elle mentionne passim que certains des rapports du contrôle des dépenses engagées de tel ou tel ministère ne parviennent toujours pas à la Cour.
115 Archives de la Cour, dossier personnel de Brin.
116 Le Comité supérieur de contrôle est composé du premier président (Guinand), du procureur général (Labeyrie), du président de la IVe chambre (Fouchier), des présidents des comités de contrôle financier ministériels et des commissaires de Gouvernement. Lui sont adjoints des rapporteurs : Savin, Bresson, Priem, Simonnet, Crépey…
117 Ce sera fait dans la loi de finances du 31 décembre 1938 (art. 63).
118 C’est l’occasion de renforcer certains principes expérimentés ou amorcés dans les années antérieures (la spécialisation des chambres et des magistrats), d’élaborer des nouveaux outils (le retour aux deux cahiers d’observations) ou de les transformer radicalement (le rapport public).
119 Plumitif du comité du rapport public, 2004 001/60. Le 5 novembre 1936, c’est la première séance de la toute nouvelle IVe chambre ; toute une série de rapports de comités de contrôle financier ministériels y sont examinés et discutés ; il en résulte la programmation d’une série de notes aux présidents des comités de contrôle financiers ministériels concernés. Le 12 novembre 1936, il est précisé que les relations et les correspondances entre la Cour et les comités de contrôle financier se feront par l’intermédiaire du président de la IVe chambre, Louis de Fouchier ; idem pour les contrôleurs des dépenses engagées. Le président de la IVe chambre peut envoyer des instructions générales aux présidents des comités de contrôle financier avec lesquels il correspond de manière très suivie. C’est ainsi par exemple que le 26 novembre 1936, le président de la IVe chambre prévoit une note générale à tous les présidents de comités de contrôle financier sur les abus en matière d’honoraires d’architectes. Le 10 décembre 1936, c’est avec le ministère des Finances, avec le président du comité de contrôle financier des Finances et avec le président du comité de contrôle financier du ministère des Colonies que le président Fouchier décide de correspondre.
120 Plumitif du comité du rapport public 2004 001/60, séance du 13 mai 1937. Cf. le rapport public de 1938, dernier rapport à avoir été publié au Journal officiel avant la guerre, qui reproduit les observations issues des rapports annuels des comités ministériels de contrôle financier pour la gestion 1936-1937. Le rapport pour 1939 (non publié) est lui aussi nourri de développements tirés des rapports des comités de contrôle financier et des travaux du comité supérieur de contrôle.
121 Un exemple : les résultats de l’enquête de l’Inspection des finances sur le service du contrôle des dépenses engagées et sur le service des approvisionnements de la commune de Toulouse sont communiqués à la IVe chambre (2004 001/60, séance du 19 novembre 1936 et séance du 4 février 1937).
122 2004 001/60, séance du 26 novembre 1936. La Cour et la direction du Budget se sont mutuellement promis de se donner communication du contenu de leurs correspondances respectives avec les comités de contrôle financier.
123 2004 001/61. La note n° 185 aux rapporteurs du 25 juin 1936 énumère les questions auxquelles il conviendra désormais de s’intéresser : les achats d’essence et l’absence de centralisation des achats de fournitures, les marchés publics et la « théorie de l’imprévision » ; les révisions de prix pour les marchés ; les primes d’avance et d’exactitude dans les marchés de fournitures et de travaux ; les retards dans l’exécution des marchés de travaux ; toutes les questions se rapportant aux subventions, etc.
124 Plumitif du comité du rapport public 2004 001/60, séances du 5 novembre 1936, 10 et 17 décembre 1936, 14 janvier 1937, 21 janvier et 29 janvier 1937, 4 février 1937, 17 et 18 mars 1937, 8 avril, 15 avril, 22 avril et 29 avril 1937, 13 mai et 27 mai 1937.
125 Séance du 29 janvier 1937. Faut-il ou non assujettir la Caisse au contrôle financier de l’État ? Sur cette question importante, c’est Brin qui mène le débat et qui fait part de son expertise.
126 Le 15 avril 1937, à l’ordre du jour, la réorganisation du ministère de l’Intérieur, le 29 avril 1937, celle de l’Éducation nationale et des Universités, le 27 mai 1937, celle du ministère des Colonies.
127 SAEF, B 33 230.
128 Voici quelques extraits des ordres du jour : séance du 4 mai 1938 : contrôle des dégrèvements ; sociétés des HBM et de crédit immobilier ; services de préservation antituberculeuse ; office d’HBM de Courbevoie ; détournements de M. X. Séance du 11 mai 1938 : contrôle des subventions de l’État aux compagnies de navigation ; contrôle des taxes aux affectations spéciales ; contrôle du musée du Trocadéro. Séance du 25 mai 1938 : contrôle des dépenses engagées de la Ville de Paris ; cumul des rémunérations publiques ; contrôle des recettes à l’impôt et aux Domaines. Séance du 1er juin 1938 : situation financière du budget annexe des PTT ; défaut d’envoi à la Cour des comptes des offices industriels marocains ; participations dans les mines de potasse et attributions aux départements d’Alsace-Lorraine ; ONIA. Séance du 8 juin reportée au 15 juin : comptes d’Alsace-Lorraine ; chemins de fer d’Alsace-Lorraine ; réorganisation du régime des chemins de fer d’intérêt général ; caisse de solidarité contre les calamités agricoles ; frais de trésorerie ; mise en vigueur de la réforme de la comptabilité instituée par le décret du 1er septembre 1936 ; clôture des recouvrements des contributions directes. Séance du 22 juin 1938 : sous-évaluation des dépenses obligatoires au moment de la présentation du budget ; procédures de règlement amiable en matière de marchés de travaux publics. Séance du 29 juin 1938 : prélèvement de 1 % en faveur des asiles de Vincennes et du Vésinet. Séance du 20 juillet 1938 : rapports du comité supérieur de contrôle financier et des comités de contrôle financier des différents ministères avec les contrôleurs financiers des offices et des établissements autonomes.
129 La réforme de 1936 sera parachevée par le décret-loi du 2 mai 1938 qui fixe de nouvelles règles pour la publication du rapport public au Journal officiel.
130 2004 001/27. Séance solennelle d’installation, 16 octobre 1936, discours de V. Auriol ministre des Finances et allocution du premier président Guinand qui insistent tous deux sur les interventions croissantes de l’État dans l’économie et dans les relations sociales : « L’extension incessante des attributions de l’État et des collectivités publiques, leurs interventions toujours plus nombreuses dans le domaine de l’activité économique, rendent particulièrement nécessaire l’application stricte des règles tutélaires qui sont de tous les temps et de tous les pays » (V. Auriol).
131 Le premier président Guinand, lors de son installation le 16 octobre 1936, affirme que la réforme de 1935-1936 « doit permettre d’une part la production rapide des comptes en vue d’éclairer à chaque instant le ministre des Finances et de renseigner le Parlement au moment même où ils sont appelés à prendre des décisions budgétaires, l’examen des comptes devant devenir l’élément essentiel de la justification des comptes ; d’autre part, le renforcement du contrôle que rendent nécessaire l’ampleur des dépenses publiques, la multiplicité des formes qu’elles revêtent et la complexité des services qu’elles doivent permettre d’assurer » (2004 001/27).
132 Le procureur général Godin lors de la séance solennelle du 4 octobre 1938 (2004 001/28) présente le bilan de la IVe chambre dite « administrative » pour 1937-1938. Sur les 400 questions dont a été saisie la IVe chambre, si plus de la moitié sont venues des chambres juridictionnelles, 60 sont issues d’« observations administratives » ou d’études réalisées par des rapporteurs de la Cour et 70 proviennent des comités de contrôle financier ministériels. Ces travaux ont alimenté 47 insertions au rapport public, 72 référés, 35 notes aux comités de contrôle financier, 16 notes au Parquet et préparé les 7 séances du comité supérieur de contrôle financier.
133 D’un côté Bouthillier, jeune inspecteur des Finances né en 1901, conseiller budgétaire et financier de Germain-Martin, ministre de droite, parfaite figure du jeune technocrate, antiparlementariste et partisan d’un régime d’autorité, directeur du Budget et principal artisan de la politique de déflation budgétaire de Laval, adversaire des syndicats de fonctionnaires ; de l’autre, Labeyrie, né en 1877, l’homme de Caillaux, arrivé à la Cour par la faveur politique, proche des milieux parlementaires radicaux-socialistes et socialistes, partisan du syndicalisme des fonctionnaires, ancien secrétaire général des Finances, adversaire de la politique « anti-fonctionnaires » de Doumergue et Laval, conseiller d’Auriol ministre SFIO… Entre ces deux hommes que tout oppose, la rivalité personnelle, générationnelle et politique se double d’une rivalité administrative et doctrinale dans la conception et la réforme du système de gestion des finances publiques.
134 Drouineau devenu premier président en 1941 se montre très critique à l’égard du système de contrôle financier mis en place dans l’entre-deux-guerres : « Le contrôle financier ne se suffit pas à lui-même. Il n’est qu’un moyen […] Un contrôle financier même rudimentaire sera efficace si ses constatations sont suivies de sanctions. À l’inverse, le contrôle financier pourra être savamment et puissamment organisé, s’il n’aboutit pas à des sanctions, il est inutile. C’est pour avoir méconnu cette réalité que, durant les cinquante dernières années on a sans cesse multiplié, réaménagé, superposé les organismes de contrôle financier, en croyant que leur inefficacité constatée venait de leur insuffisance. Le régime nouveau fondé sur la responsabilité effective des administrateurs peut permettre un renversement complet » (discours du premier président Drouineau lors de la réception à la Cour des comptes de M. Yves Bouthillier, ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances, le 5 juin 1941, p. 9, 2004 001/28). Le ministre des Finances, Bouthillier, n’est pas plus amène et parle dans sa réponse à Drouineau de la « manie verbale du contrôle » sous la IIIe République, « qui provoquant le pullulement des contrôles ruinait le contrôle même » (discours de Bouthillier, le 5 juin 1941, p. 2, 2004 001/28).
135 Les archives de la direction de la CP attestent de la coopération qui s’est établie entre la Cour des comptes, le Comité supérieur de contrôle, la direction du Budget et la CP dans les années 1936-1939.
136 SAEF, B 33 316. À partir de 1937, la direction du Budget et le CDE du ministère de la Défense nationale, maintes fois mis devant le fait accompli, protestent contre les multiples transgressions de la réglementation des marchés, des commandes et des engagements de dépenses commises par les services de la Guerre et du Réarmement…
137 Discours du premier président Drouineau lors de la réception à la Cour des comptes de M. Yves Bouthillier ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances, le 5 juin 1941, 2004 001/28.
138 Le comité budgétaire a tenu 14 sessions, jusqu’en juillet 1944.
139 21 exactement. L’Inspection des finances fournit le même nombre de rapporteurs, parmi lesquels Rueff, Ardant, Clappier, Delouvrier…
140 Les rapporteurs appartiennent à la Cour et à l’Inspection des finances. À partir de la loi du 16 mai 1941, la Cour connaît une hausse des effectifs de ses conseillers maîtres ; elle compte désormais 36 conseillers maîtres (8 par chambre), 70 conseillers référendaires et 34 auditeurs, auxquels s’ajoutent les quatre présidents de chambre, le procureur général et l’avocat général, ainsi que le premier président et le secrétaire général. La IVe chambre créée par la réforme Auriol-Labeyrie devient à partir du 30 octobre 1940 une chambre comme les autres.
141 Discours de Drouineau, 5 juin 1941.
142 Drouineau, en parlant ainsi, est d’une parfaite mauvaise foi ; c’était exactement le but de la réforme de 1936, dans son volet comptabilité administrative comme dans son volet Comité supérieur de contrôle financier.
143 2004 001/62. Drouineau définit soigneusement dans une note aux rapporteurs en date du 7 mai 1941 les relations entre le comité budgétaire et la Cour dans son contrôle de la comptabilité administrative : « La vérification des pièces de dépenses des chapitres spécialement signalés au budget de 1941 commencera aussitôt la réception des pièces à la Cour. Elle ne doit pas être une vérification par épreuves ni par sondages, mais une vérification intégrale et approfondie. Les observations mettant en cause la responsabilité des payeurs telles que : paiements injustifiés, erreurs de décomptes, etc. seront renvoyées au rapporteur du compte de gestion. Les observations mettant en cause la responsabilité des ordonnateurs telles que : irrégularités dans les marchés, critiques d’ordre administratif, etc. feront l’objet d’un référé. Les observations relatives au mauvais emploi des crédits seront renvoyées au secrétariat général du comité budgétaire. Les rapporteurs pourront consulter sans déplacement les dossiers du secrétariat général. En outre, les rapporteurs établiront en fin d’exercice le tableau général de l’emploi des crédits, selon un cadre de développement qui sera nécessairement approprié à chaque chapitre et sur lequel ils se mettront préalablement d’accord avec le secrétaire général du comité budgétaire. J’appelle tout spécialement l’attention de MM. les rapporteurs sur l’importance de ce travail. C’est en effet une des lacunes les plus graves de l’organisation actuelle que l’absence de ce compte rendu que seule la Cour des comptes est en mesure d’établir. En effet, le compte rendu par le ministre est purement financier et global. Les directeurs de divers établissements adressent bien à leur ministre un rapport annuel qui dans une certaine mesure pourrait atteindre le but recherché ; mais cette production est très fragmentaire. Les contrôleurs des dépenses engagées auraient avec leurs fiches d’engagement les éléments nécessaires pour établir ces relevés ; mais en fait, ils ne le font pas et d’ailleurs ils ne connaissent pas, par le détail, les dépenses faites sur les crédits de délégation. Seule donc la Cour a tous les éléments de cette récapitulation et les seuls éléments valables, puisque ce sont des paiements effectués. L’établissement de tous ces relevés, tous les enseignements comparatifs que l’on pourra en tirer, seront pour l’autorité budgétaire (quelle que soit la forme définitive que celle-ci puisse recevoir) un document capital pour la détermination des dotations budgétaires – ainsi que pour le jugement à porter sur le bon emploi que les administrations font des crédits qui leur sont alloués ». Le 5 octobre 1943, dans sa note pour les rapporteurs n° 256 au sujet de la comptabilité administrative, il insiste : « Il peut arriver que l’examen des mandats et pièces justificatives vous permette, non pas de relever des irrégularités indiscutables, mais de constater que des dépenses régulières en la forme sont inutiles, excessives, critiquables du point de vue d’une saine et économique gestion des crédits. Dans cette hypothèse, la seule suite à donner à vos découvertes, c’est le renvoi au comité budgétaire. Vous ne devez pas craindre de multiplier ces renvois. Le comité budgétaire en effet, lorsqu’il est saisi de demandes d’augmentation de crédits formulés par les administrations, manque le plus souvent d’éléments certains sur le point de savoir si les dotations des chapitres sont excessives ou insuffisantes. Tous les renseignements que vous lui communiquerez sur la gestion des crédits, tous les exemples de gaspillage que vous lui apporterez lui seront donc précieux ; ils constitueront en quelque sorte un témoignage de moralité sur le degré de confiance que l’on peut accorder à tel ou tel service. Ils lui fourniront ainsi une base solide de discussion pour écarter les demandes injustifiées de crédits » (2004 001/52).
144 Cf. de son propre aveu Bouthillier lui-même, Le drame de Vichy, Paris, Plon, 1950, p. 368-372. Voir aussi la lettre alarmiste adressée par le président du comité budgétaire (Drouineau) le 22 décembre 1941 au maréchal Pétain concernant « la progression constante et rapide des dépenses », comité budgétaire, Rapport au Maréchal de France, chef de l’État sur le budget de l’exercice 194, p. 21-22 et le rapport du comité budgétaire sur le budget de l’exercice 1944 où le président du comité budgétaire déplore la création de 190 000 emplois nouveaux en cinq ans, soit près de 40 000 par an (p. 15).
145 Les insertions au rapport public ont cependant disparu ainsi que la procédure contradictoire orale, marque distinctive du Comité supérieur de contrôle financier.
146 Rapport public 1939 non publié, 28 juillet 1939, p. 26- 30, 2006 001/43.
147 Discours du premier président Drouineau lors de la réception à la Cour des comptes de M. Yves Bouthillier, ministre secrétaire d’État à l’Économie nationale et aux Finances, le 5 juin 1941. En dépit de ses déclarations, Drouineau n’est guère précis sur la définition des responsabilités des administrateurs ni sur la nature des sanctions qui pourraient être introduites dans le droit comptable et budgétaire.
148 Selon Jean-François Potton, La Cour des comptes pendant les années noires (1939-1945), Paris, La Documentation française, 2010, p. 40, c’est l’auditeur Costa qui aurait rédigé plusieurs notes et rapports sur cette question ; leurs conclusions sont adoptées par le premier président et le comité budgétaire en 1943.
149 Conférence du président Brin à l’ENA le 12 octobre 1950, dossier personnel, Archives de la Cour. L’auteur indique deux raisons à l’abandon des comités de contrôle financier : ils « enserraient vraiment trop l’action du ministre » et « les corps de contrôle ministériels ne tenaient pas à être placés sous la tutelle de la Cour des comptes qui elle-même n’avait nullement réclamé une telle réforme ». P. Brin se montre ici bien oublieux de la réforme de 1936 et du soutien apporté par les responsables de la Cour des comptes à la mise en place du dispositif pyramidal de contrôle financier. D’ailleurs en 1947, le rapport public sur la gestion des administrations entre 1939 et 1945 n’est pas aussi catégorique et souligne bien que le contrôle de la gestion des administrations et des offices n’est plus aussi aisé, maintenant que l’ancien dispositif a disparu. Sans doute, en 1950, P. Brin veut-il se faire discret sur une réforme associée à E. Labeyrie, dont le nom depuis 1946 n’est plus en odeur de sainteté auprès des nouveaux pouvoirs publics. Sur l’opprobre jeté sur E. Labeyrie à la Libération, J.-F. Potton, La Cour des comptes..., op. cit., p. 20 ; 86-91.
150 La Cour des comptes, moins impliquée politiquement dans le régime du Vichy et dans la collaboration avec l’occupant, placée en retrait de la gestion économique au jour le jour de l’État sous l’Occupation, ne subit pas en 1944-1946 le même discrédit que l’Inspection des finances ni les mêmes mises en cause politiques ; entre 1946 et 1948, elle perçoit les dividendes de sa discrétion politique et de sa relative bonne tenue et voit ses missions étendues.
151 Archives de la Cour, séance solennelle du 30 juillet 1946, 2004001/29. « Devant l’augmentation des crédits budgétaires demandés par les diverses administrations, le Gouvernement et l’Assemblée constituante ont estimé que la Cour des comptes, qui seule connaît l’emploi fait des crédits budgétaires, était bien placée pour donner à la commission des finances des renseignements lui permettant de réduire en connaissance de cause des crédits exagérés ; et en application de la loi du 28 févriers 1946, consacrant cette nouvelle procédure, 24 magistrats de la Cour ont été adjoints, à titre de conseillers techniques » aux rapporteurs de la commission des finances. Trois mois plus tard, lors de la séance solennelle du 8 novembre 1946, le nouveau premier président Le Conte dit sa satisfaction de voir reconnue la place de la Cour dans le fonctionnement des institutions : « L’Assemblée nationale pourra charger la Cour des comptes de toutes les enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie » (2004001/29).
Auteur
Normalienne et agrégée d’histoire, Florence Descamps est maître de conférences en histoire à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle y anime un double séminaire sur la création et l’utilisation des témoignages oraux en histoire contemporaine et sur l’histoire du ministère des Finances au XXe siècle. Elle participe depuis 2005 au groupe de pilotage du séminaire Histoire de la gestion des finances publiques XIXe-XXe siècles et a codirigé la publication du premier volume des actes L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit comptable et budgétaire au XIXe siècle (1815-1914). Elle a publié de nombreux articles sur le ministère des Finances au XXe siècle et sur la réforme de l’État. Dernièrement, elle a publié « La RCB 1966-1971 : une première expérience managériale au ministère des Finances ? », in E. Godelier, M. Le Roux, G. Garel, A. David et E. Briot (dir.), Pensée et pratiques du management en France. Inventaire et perspectives 19e-20e siècles, 2011, consultable en ligne sur http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/sommaire/chapitre-2/la-rcb-1966-1971-une-première-expérience-managériale-au-ministère-des-finances.html?PHPSESSID=6a35f3663f90efc5f44bf6a739069703 ; « Les inspecteurs des Finances et la réforme de la gestion publique au XXe siècle », in F. Cardoni, N. Carré de Malberg et M. Margairaz (dir.), Dictionnaire historique des inspecteurs des Finances 1801-2009, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2012, p. 141-150 et « Les techniciens des Impôts et la naissance d’une expertise fiscalo‑financière : L’État moderne 1928-1939 », in F. Monnier et J.-M. Leniaud (dir.), Experts et décisions, Paris/Genève, Droz, 2013, p 47-57.
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