Débat
p. 189-200
Note de l’éditeur
Modérateur : Philippe Mazuel
Texte intégral
1De la salle
Votre dernière phrase m’a beaucoup intéressé, à savoir qu’il ne faut pas instrumentaliser le développement, mais lorsque nous regardons les accords de Cotonou, il y a un ou deux points qui me chiffonnent, enfin un surtout, celui sur l’émigration, notamment l’obligation des États ACP d’avoir à accepter les émigrés et potentiellement les expulser. L’autre point, très court aussi, c’est le problème de la sécurité qui intervient aussi dans ce traité de Cotonou. Comme vous aimez les formules intéressantes, tout à l’heure j’ai oublié de la donner : « L’addition des misères ne fait pas l’abondance ».
2Bernard Petit
Dans Cotonou, pour la première fois, il y a des dispositions, mais ce n’est pas celles que vous venez de citer. Relisez l’accord. Les dispositions sur les migrations dans l’accord de Cotonou prévoient essentiellement la possibilité de créer dans les pays qui sont sources d’immigration (Afrique de l’Ouest en particulier) des centres dans lesquels seront données toutes les informations nécessaires aux gens qui veulent immigrer de façon normale, organisée, légale, pour que, lorsqu’ils vont dans un pays, ils aient toutes les informations sur ce qui va se passer, leur donnant aussi des possibilités d’emploi dans certains pays.
3L’autre disposition est celle qui concernait la Libye en particulier, dans une relation avec l’Italie où il a été demandé (ce n’est pas dans l’accord de Cotonou) aux Libyens de veiller à éviter les transferts illégaux de migrants qui venaient d’Afrique noire vers l’Europe et en particulier l’Italie.
4Quelle était votre question sur la sécurité ?
5De la salle
Dans l’accord de Cotonou…
6Bernard Petit
Il n’y a pas de disposition sur la sécurité dans l’accord de Cotonou. En revanche, je disais que la politique de développement est un élément essentiel pour répondre aux défis de la mondialisation et en particulier celui de la sécurité.
7Dieter Frisch
Bernard Petit et moi-même sommes tellement en symbiose d’idées depuis longtemps que je ne peux le contredire sur rien. Je voudrais simplement donner une précision. Lorsque j’ai fait une conférence, il y a quelque temps, dans une université allemande, un peu sur la tonalité de Bernard Petit, il y a quelqu’un dans le public qui a dit : « Mais dans ces conditions (c’était avant la ratification), il faudrait peut-être bloquer la ratification du traité de Lisbonne ». J’ai dit : « De grâce, non, parce que ce n’est pas ce que nous voulons dire ». Nous devons en tant qu’Européens engagés dans le processus d’intégration, être satisfaits qu’il y ait des avancées dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité. Et donc, que ce volet ait été ajouté, en le précisant au-delà de Maastricht, est une bonne chose. Le problème est uniquement (mais c’est important) la démarcation de ce nouveau domaine, qui a sa raison d’être et qui est un pas en avant, par rapport à la politique de développement. Et sur ce point, je donne tout à fait raison à Bernard Petit. Nous avons oublié, me semble-t-il, que la politique de développement doit être un élément activement complémentaire (et le traité ne dit pas le contraire) des autres dimensions de l’action extérieure. Le traité de Lisbonne ne subordonne pas les autres dimensions à la politique extérieure et de sécurité commune, le terme parapluie est « action extérieure » et, sous cette action extérieure, se regroupent la politique extérieure de sécurité, la politique commerciale et la politique de coopération au développement. Je crains que nous n’allions dans la direction d’utiliser de plus en plus des ressources qui sont, en fait, destinées au développement, au long terme, pour la prévention des crises, pour les mettre dans la gestion des crises, c’est-à-dire dans les besoins au jour le jour de la politique extérieure de sécurité. J’ai lu hier que nous avons à nouveau alloué à l’organisation de l’AMISOM, qui sont les troupes de l’Union africaine en Somalie, une nouvelle tranche de 50 millions. Je ne suis pas du tout contre cela. L’Union européenne, avec une ambition de politique extérieure, doit être capable de faire, mais elle ne devrait pas le prendre sur le Fonds européen de développement. Ces montants ne sont même pas déclarables à l’OCDE parce qu’ils ne répondent pas à la définition de l’aide publique au développement.
8De la salle
Je voudrais revenir sur la conclusion de l’exposé de M. Olivier Cattaneo qui a terminé par l’allusion aux grandes entreprises et au secteur privé. La semaine dernière, à Busan, au forum sur l’efficacité de l’aide, Hillary Clinton a rappelé qu’il y a cinquante ans, l’aide constituait 60 % des ressources des pays sous-développés et que maintenant ce n’est plus que 13 %. C’est donc démontrer que le secteur privé joue désormais un rôle majeur dans le développement. Si vous voulez le dire d’une autre façon, sans le secteur privé, il n’y a pas de développement possible, même la Chine communiste l’a compris. Mais il faut ajouter tout de suite que si nous voulons que les richesses créées par les entreprises déclenchent le développement, c’est-à-dire se diffusent dans les populations, il faut l’État de droit. Nous nous apercevons de plus en plus que, sans faire d’angélisme, parce qu’il y a des crapules partout, les grandes entreprises, dans certains pays, sont porteuses de l’État de droit parce qu’elles ont des règles connues, respectées. Elles payent leurs personnels régulièrement. Leurs écoles, leurs hôpitaux sont souvent des références et des modèles pour les populations. Si nous voulons que l’aide soit efficace, il faut que la concertation avec le secteur privé se passe très en amont, dès la conception de l’aide.
9Et là, je voudrais compléter l’exposé de Corinne Balleix sur la politique française. Vous le savez, madame, depuis plus de cinq ans, l’Administration française a parfaitement compris cela, puisque le secteur privé est représenté au conseil d’administration de l’AFD et c’est un pas extrêmement important. Je me pose la question : serait-il possible, au niveau européen, d’organiser une telle concertation ?
10De la salle
J’ai entendu, avec beaucoup d’attention, tout le débat concernant les efforts faits par tous les États européens pour aider le continent africain à sortir principalement de sa pauvreté, puisque c’est l’objectif que tous ces États ont recherché. Mais, depuis des décennies, le résultat est là. Il y a toujours de la pauvreté. Alors, la question que je vous pose : ne serait-il pas tout simplement possible d’abolir la pauvreté, puisque vous n’y arrivez pas avec cette méthode ? Je termine, la raison pour laquelle je fais ce comparatif, c’est que, vous savez, l’humanité a subi un autre fléau dans le passé qui est l’esclavage. Cet esclavage a été aboli, et aujourd’hui l’humanité peut fièrement affirmer que nous sommes venus, plus ou moins, à bout de ce fléau. Ce deuxième fléau, la pauvreté, dans mon esprit, est pire que l’esclavage. Est-ce qu’il ne faut pas tout simplement l’abolir ?
11De la salle
Je voudrais intervenir essentiellement sur les accords de partenariat économiques mais aussi sur les migrants que nous sommes. Ma première question est la suivante, il y a de cela environ deux ans, il y a eu une forte mobilisation au niveau de vos accords qui devaient être ratifiés, en tout cas selon l’Union européenne, à travers M. Louis Michel qui a pris son bâton de pèlerin pour aller voir les États africains pour qu’ils puissent ratifier ces accords. Je me souviens, en tant que membre de la société civile, que nous nous sommes mobilisés pour dénoncer ces accords. Mais rien n’y fit, ces accords ont été promulgués, activés de part et d’autre, en mettant la préférence européenne sur les agriculteurs européens et non pas sur les agriculteurs africains.
12Au niveau des migrants que nous sommes, la part de transfert des fonds au niveau des migrants aujourd’hui a été écrite partout. Il y a eu des textes, de la littérature dessus. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que l’apport, en tout cas financier, des migrants des pays africains est une part très notable dans le produit intérieur brut, mais comment se fait-il, qu’aujourd’hui ces migrants soient exclus de part et d’autre ? D’une part dans notre pays, dans le pays d’adoption où nous sommes, mais d’autre part aussi dans notre pays d’origine. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, où nous parlons des transferts de cerveaux, des déportations de cerveaux, il ne soit pas fait la part belle à ces migrants, qu’il ne leur soit pas offert des opportunités ici, mais aussi dans leur pays d’origine ?
13De la salle
Je voudrais apporter quelques nuances pour contester qu’il y ait une influence de la coopération européenne sur la coopération française autour de quatre points. Le concept d’agence plutôt que de caisse a, en fait, été largement inspiré d’expériences canadiennes, suédoises et allemandes et non pas de l’expérience européenne. Sur l’efficacité de l’aide, avec tout le travail qui a été fait à l’OCDE, je rappelle simplement pour l’histoire qu’il a été animé par un Français, membre de cette maison d’ailleurs, conseiller financier et actuellement ambassadeur au Tchad, et je crois que, sur le travail fait sur la pyramide de l’efficacité de l’aide qui a débouché sur la déclaration de Paris, il y a eu une assez forte influence française et non pas une influence internationale par le truchement de l’Europe.
14Sur la prévisibilité, là aussi, mon témoignage s’inspire d’une expérience assez longue puisque nous avions, dès les années 1980, des orientations à moyen terme, et je dirais même que les dérogations à la loi organique de 1959 nous autorisaient à réfléchir en termes pluriannuels pour les financements de l’aide française. Nous avons d’ailleurs réintroduit ce dispositif avec ce que nous appelons les documents cadre de partenariat. Donc, la pluri-annualité de l’aide est en fait partagée par l’ensemble des partenaires européens et je conteste le fait que ce soit venu de Bruxelles.
15Enfin, juste pour l’histoire, le CICID figure de manière explicite dans un rapport très célèbre, qui n’a jamais été publié mais qui, malgré tout, est très célèbre : le rapport de Stéphane Hessel qui avait été commandé en 1990 et qui s’inspirait d’une expérience de coordination de l’aide qui date des années 1981-1983, rattaché à l’expérience de Jean-Pierre Cot. Je ne veux pas entrer dans une polémique, je dirais simplement qu’il y a deux choses. La première est qu’il y a eu une influence croisée entre Bruxelles et Paris sur certaines affaires. La deuxième, qui est une petite remarque, c’est que l’européanisation de l’aide française fait encore débat lorsque vous examinez les documents parlementaires ou lorsque vous accueillez les parlementaires français : ils posent encore régulièrement la question de la légitimité du transfert d’une fraction de notre aide par les institutions internationales mais également par les institutions européennes. Donc, c’est loin encore, au niveau politique, en France, de faire l’unanimité.
16Olivier Cattaneo
Concernant la concertation du secteur privé très en amont, je suis totalement d’accord avec vos propos. Je vais juste vous donner l’exemple de ce que nous avons fait cette année dans le cadre du G 20 français, par exemple sur l’agriculture. Nous nous sommes concertés avec les entreprises, durant les négociations. Il s’est trouvé que les priorités du secteur privé étaient totalement compatibles avec celles du secteur public. Nous sommes arrivés, en préparant nos propres papiers, aux mêmes priorités. Donc le plan d’actions adopté par le Gouvernement et par les membres du G 20 reflétait déjà les vues des uns et des autres.
17Ce n’était pas suffisant. Après, nous avons demandé au secteur privé de nous montrer comment les entreprises privées contribuaient déjà à ces objectifs qui allaient être adoptés par les membres du G 20. Là, encore une fois, ils nous ont donné 54 articles sur ce sujet. La troisième phase (mise en œuvre) est celle où nous leur disions comment nous pouvions établir un dialogue formel public/privé pour mettre en œuvre le plan d’action du G 20. Nous sommes en cours pour négocier avec la prochaine présidence (présidence mexicaine) pour que ce dialogue ne reste pas que dans la déclaration mais devienne vraiment quelque chose, une manière de faire la politique publique et d’aide à l’avenir.
18Bernard Petit
Le secteur privé ne peut pas être membre d’un conseil d’administration quelconque de la Commission, mais il est consulté depuis longtemps très en amont dans la définition des politiques, dans le débat sur le Livre vert. Avant Cotonou, le secteur privé était consulté en permanence. Aujourd’hui, c’est essentiellement la Banque européenne d’investissement qui est le bras séculier de mise en œuvre d’investissements avec le secteur privé où vous devez avoir un dialogue, mais en plus, dans la nouvelle politique (chaque fois qu’il y a un nouveau commissaire, il y a une nouvelle politique, cela s’appelle agenda for change), il y a un accent très fort sur le secteur privé pour que ce dernier, dans le cadre de pays où il y a l’État de droit, un environnement stable, sain, etc., puisse intervenir.
19Un petit mot sur Hillary Clinton. J’étais à Busan, je l’ai entendue. Elle a tout à fait raison. Pour des Américains, c’est facile de dire que l’aide publique ne représente que 13 % et le secteur privé 70 %, parce que les Américains sont les avant-derniers donateurs dans le monde, en termes d’aide publique, par rapport à leur revenu. Mais Hillary Clinton a dit quand même : « nous sommes les meilleurs ».
20Je vous ai dit ce que je pensais des APE ; à mon sens il n’y a pas de solution alternative. Je n’en connais pas. Si vous en connaissez une, il faut la mettre sur la table, parce que le système de préférences quel qu’il soit est ouvert par définition à tout le monde et donc il n’y a pas de mécanisme qui protège un certain nombre d’avantages acquis des ACP. Je n’en connais pas. Cela étant dit, il y a la façon de négocier les APE, la façon de négocier avec l’ensemble des parties prenantes de la société civile. Je vous ai dit mon sentiment, et que nous avions eu tort de donner la négociation à la direction générale du Commerce. Je vais vous dire une petite anecdote. À l’époque où nous avons négocié Cotonou et où nous avons lancé les APE, j’avais une direction comportant cinq divisions. L’une d’entre elles était la division Commerce et les objectifs des gens de cette division Commerce étaient, chaque fois qu’une décision européenne était prise au plan interne, de voir comment elle allait affecter les pays ACP, pour les protéger et pour prendre des mesures différentes. Un jour, mon commissaire m’appelle, c’était un Danois, et me dit : « Bernard, cette division va partir à la direction générale du Commerce ». J’ai répondu : « Non, il ne faut pas, c’est une erreur, etc. ». Il m’a dit : « Si, il ne faut pas que tu t’obstines à protéger comme cela ta grande direction et ton personnel. » J’ai répondu : « Ce n’est pas pour protéger mon personnel. Ces gens défendent les intérêts des pays en voie de développement. À la DG Commerce, ils vont défendre les intérêts de l’Union européenne ». Ils sont partis à la DG Commerce et ont défendu les intérêts de l’Union européenne, malheureusement.
21Philippe Mazuel
Concernant la question sur les migrants, ce que je comprends dans cette question est que vous dites que les transferts de fonds sont très importants, donc vous demandez quel est l’avenir de ces personnes de part et d’autre. Mais je pense que derrière, en filigrane, il y a aussi : comment sont associés ces gens, qui sont des acteurs économiques importants, à la décision, à la conception des politiques ?
22Issiaka Mandé
Je pense qu’il y a des expériences différentes par pays. Le pays qu’il faut saluer sur ce point de vue, qui a vraiment de l’avance par rapport à tous les autres pays, est le Mali, qui associe parfaitement les migrants maliens de la région parisienne dans les actions du développement. C’est un électorat qui a de l’influence. Ce n’est pas encore le cas au Burkina.
23Le code des investissements maliens ne fait pas la différence entre le Malien d’origine et celui qui aurait adopté une autre nationalité. Pour le Malien, il reste toujours Malien, donc il a les mêmes droits que le Malien national. À ce niveau, il y a peut-être une réflexion à approfondir.
24Quant au transfert des ressources des migrants, il y a eu une littérature au départ qui consistait à dire qu’en fait c’étaient plus des dépenses de prestige. Nous avons dépassé en fait cette phase. Il y a encore de temps en temps des gens qui font le grand mariage aux Comores, mais c’est très rare au niveau des migrants. Ce sont vraiment des actions de développement. Le transfert d’argent des femmes s’est véritablement injecté au niveau de la famille dans des actions telles que la santé, l’éducation des enfants. Le rapport du FNUAP de 2004 est extrêmement parlant là-dessus.
25Oui, les migrants sont d’ici et de là-bas. Des programmes sont mis en place au niveau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour mettre au service des communautés d’origine de ces migrants l’expérience ou le capital accumulé à l’extérieur.
26Dernier élément sur ce programme, c’est aussi le programme au niveau de la mobilité de ceux qui sont hyperqualifiés, le programme Top Ten par exemple qui permet aux enseignants d’origine africaine d’aller donner des cours dans les universités de leur pays d’origine. Ceci est entièrement financé par l’OIM avec un soutien du Programme des Nations unies pour le développement. C’est peut-être une possibilité à creuser mais il est évident que le transfert d’argent est quelque chose qui fascine, qui passionne tout le monde parce qu’il y a plus d’argent à mobiliser par ailleurs. Le FMI en fait son « dada », la Banque mondiale en fait son « dada », mais nous n’en savons pas plus que cela. Les études ne sont pas encore assez fiables, sinon nous dirions : « Oui, le PIB est très important ». Dans le cas du Burkina, je lisais que le transfert des ressources de la diaspora est le différentiel de la croissance du budget en 2010 et 2011. Je ne sais pas sur quel chiffre les gens se basent mais toujours est-il que les volumes sont de plus en plus importants. Pour que ce soit pris en compte, il faut probablement canaliser cet argent à travers des programmes précis, donc insister pour qu’il y ait un taux de bancarisation plus important dans le pays. Cela veut dire que celui qui transfère son argent via les canaux officiels doit avoir une valeur ajoutée, autrement il va continuer à le faire transporter par la valise. Il faut aussi diminuer le coût des transferts.
27Je pense que la réflexion est amorcée, même au niveau du ministère français des Affaires étrangères, avec un programme d’immigration et de développement qui est encore plus intéressant que l’aspect migration et co-développement. Je ne sais pas ce qui est co-développé mais toujours est-il que ce sont les travers aussi du langage qui cachent des choses pas très intéressantes.
28Nous pouvons parler également de la problématique au niveau du personnel de santé. C’est très documenté par l’OMS. Effectivement, il est dit : « Oui, il y a autant de médecins béninois dans la région parisienne qu’au Bénin, autant de médecins nigériens aux États-Unis qu’au Niger, etc. ». Derrière cela, il faut peut-être canaliser cette expertise pour la mettre à disposition du pays.
29De la salle
Juste pour reprendre le point qui vient d’être évoqué, notamment sur la fuite des cerveaux dans le domaine médical. Le mouvement des personnes dans le cadre de l’OMC et du GATT, notamment pour les services, est très important. Je pense qu’il y a eu beaucoup d’initiatives assez intelligentes qui ont été prises récemment. Pour vous donner un exemple, les Pays-Bas n’ont pas suffisamment d’infirmières et ils doivent en faire venir de l’extérieur, mais ce que fera la coopération des Pays-Bas, ce sera de financer les études de ces infirmières aux Philippines, c’est-à-dire là où il n’y aura pas le problème d’un pays en développement qui utilise toutes ses ressources pour former des médecins, des infirmières qui ensuite partiront dans un pays riche, puisque le pays riche lui-même contribue à former ces personnes qui ensuite bougeront. Je pense qu’ici il y a vraiment des choses à faire, des initiatives pour l’aide qui peuvent être intelligentes pour permettre la circulation des personnes dans les meilleures conditions.
30Corinne Balleix
Concernant le régime de 1998, j’annonçais en conclusion qu’il y avait des nuances et des précisions à apporter et à souligner, qu’il y avait certaines limites à cette européanisation de la politique française. S’agissant en fait de l’Agence Française de Développement, je ne la rattachais pas spécifiquement à une expérience particulière. Je la rattachais au modèle d’Union public management qui a pu influencer l’agence canadienne, avec ces espèces d’étages, de cascades du niveau international au niveau européen, et le niveau européen s’appropriant certaines démarches internationales pour les répercuter ensuite au niveau français. S’agissant de prévisibilité de l’aide et de la coordination en vue de la cohérence des politiques en faveur du développement, je suis d’accord également avec vous.
31Avant 1997-1998, il y avait des efforts faits dans ce domaine, mais il se trouve que l’institutionnalisation est quand même venue à partir de 1997-1998.
32Ensuite, bien sûr, il y a des influences croisées, je pense que c’est vers là qu’il faut effectivement aller entre le niveau français, le niveau international et le niveau européen en matière de politique de développement.
33J’aurais pu ajouter quelque chose, s’agissant de cette européanisation, il semble que ce qui est important, c’est qu’à la limite, cette européanisation peut exister lorsqu’elle est une ressource pour les acteurs français de l’aide au développement. Je pense notamment à la RGPP, le travail de division, de répartition du travail entre bailleurs peut être un argument pour justifier, légitimer la concentration de l’aide française, et également pour justifier des suppressions d’emplois. La France résiste également à cette européanisation parce qu’elle considère qu’elle a certains messages à faire passer en propre, par exemple les spécificités dans sa politique de coopération dans le développement, telles la promotion de la coopération culturelle ou le soutien spécifique qu’elle veut pour l’Afrique, ce sont des choses qu’elle considère être vraiment capable de faire.
34La France a également un souci de visibilité permanente et constante, un maintien de cette visibilité y compris au sein de l’aide au développement. Par exemple, dans la division du travail, la France est parfois réticente à certaines coopérations déléguées si ces dernières se font au détriment de sa visibilité. Le rôle de la France a été important dans le cadre notamment de l’adoption du code de conduite sur la division du travail pour faire en sorte que la valeur ajoutée de chaque bailleur dans un secteur ou dans un espace géographique soit auto évaluée et que s’il y a des coopérations déléguées, il y ait un élément de réciprocité dans cette délégation. Tout cela, c’est pour maintenir la visibilité de l’aide française.
35Je voudrais souligner également la notion de cohérence des politiques en faveur du développement. Dans le discours européen, il s’agissait d’éviter que d’autres politiques publiques (politique agricole ou commerciale par exemple) n’aient un impact négatif sur la politique de coopération au développement : l’action européenne ne serait pas « cohérente » si elle permettait que la politique d’aide soit amoindrie par l’interférence d’autres politiques publiques. Dans ses relations avec les institutions européennes, la France a présenté la réforme de l’aide française de 1997-1998 comme une contribution à la cohérence des politiques en faveur du développement. Pourtant, cette réforme permet l’émergence d’institutions qui sont davantage faites pour coordonner la politique d’aide avec d’autres politiques publiques nationales, que pour promouvoir spécifiquement la politique de coopération au développement par rapport à d’autres politiques publiques. Pour la France, l’objectif n’est donc pas de promouvoir la cohérence des politiques en faveur du développement, ce qui reviendrait à isoler artificiellement la politique d’aide de son environnement politique, stratégique ou commercial, mais simplement de coordonner les différentes dimensions de la politique étrangère de la France. Le Livre blanc sur la politique étrangère de la France affirme, d’ailleurs, clairement que l’aide au développement n’est qu’une composante parmi d’autres de l’action extérieure de la France. En cela, la France se rattache à la notion de Whole of the Government Approach, discutée notamment dans le cadre du CAD de l’OCDE.
36En outre, la France a joué un rôle dans la promotion au niveau européen, en particulier dans le traité de Lisbonne, de l’idée que la politique de développement constitue simplement un volet de la politique extérieure de l’Union : c’est la Whole of the Union Approach, version européanisée de la Whole of the Government Approach. Le discours européen sur la cohérence en faveur du développement a d’ailleurs considérablement évolué depuis l’adoption du traité de Lisbonne : il ne s’agit plus de protéger l’aide européenne de l’interférence d’autres politiques publiques, mais de rechercher des synergies, en faveur du développement, entre différentes politiques publiques (migration-développement, environnement-développement). Pour certaines ONG, le risque est cependant de mobiliser des fonds initialement destinés au développement à d’autres objectifs (lutte contre le changement climatique ou contre l’immigration clandestine), qui peuvent s’en éloigner.
37Philippe Mazuel
La dernière question et peut-être la plus difficile, abolir la pauvreté, je ne suis pas sûr que quelqu’un ait la réponse ici. En tout cas, cela prouve qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et qu’il y a un chantier à ouvrir. En tout cas, merci de ce parallèle entre l’abolition de l’esclavage et l’abolition de la pauvreté.
38De la salle
Ma question s’adresse à M. Olivier Cattaneo et à M. Issiaka Mandé qui a mis le doigt sur le problème que je vais soulever. Je voudrais tout d’abord vous remercier pour la qualité de votre présentation qui était intéressante aussi bien au niveau de la clarté que du contenu. Ma question fait écho aux propos que vous avez tenus sur la Chine, et notamment à l’exemple du bois non transformé qui était envoyé en Chine. En opérant ainsi, la Chine n’est-elle pas en train de reproduire en fait les anciens échanges, de type coloniaux, d’un Sud fournissant exclusivement des matières premières à un Nord fournisseur de produits manufacturés ? La Chine vit un peu comme un nouveau Nord, n’est-elle pas en train d’empêcher le développement des pays du Sud, n’est-elle pas aujourd’hui en train de scléroser un peu l’industrie naissante des pays les moins avancés ?
39Olivier Cattaneo
Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez dit et je pense que si nous devions faire une caricature dans un journal où il y aurait l’échelle du développement avec les pays développés tout en haut et les pays les moins avancés tout en bas, la Chine, très grosse, qui monterait l’échelle et qui casserait tous les barreaux en dessous d’elle, ce qui ne permet pas aux autres de monter. C’est un peu vos propos que je reprendrais sous cette caricature. Je pense que c’est vrai, malheureusement.
40Encore une fois, je ne pense pas que ce sera pour toujours. La transition doit se faire en Chine, mais aujourd’hui, effectivement, nous voyons que les valeurs portées par les firmes multinationales européennes ne sont malheureusement pas celles portées par les firmes multinationales chinoises. Beaucoup d’études ont été faites récemment, notamment par la Banque mondiale, sur ce sujet. Nous voyons qu’en fonction de la chaîne de valeurs dans laquelle le pays en développement s’inscrit, en fonction de la nature du marché ciblé, marché de pays émergent ou de pays déjà développé, les perspectives de monter dans la chaîne de valeurs des industries locales sont totalement différentes. Beaucoup d’études vont dans votre sens.
41Issiaka Mandé
Je dirais que la Chine fait du commerce. Elle le dit très clairement. Elle met en place la stratégie dite gagnant/gagnant. Si vous voulez gagner, il faut savoir négocier. Je pense que c’est cela le gros problème de beaucoup de partenaires africains. Ils ne savent pas négocier encore. Le fond du problème, comme me l’avait rapporté un ami : lorsqu’il était étudiant à Genève et qu’il y avait les négociations de l’OMC (à l’époque le GATT), les Français prenaient une aile d’un hôtel, les Américains l’autre aile et les Burkinabés négociaient pour dormir avec eux car ils n’avaient pas assez de moyens. C’est aussi un problème. L’autre problème, c’est la capacité de négociations. Cela s’apprend aussi et je pense que nous avons encore beaucoup à faire au niveau des écoles de diplomatie au niveau africain, et aussi des « sachants » (comme il est dit chez moi). Ce n’est pas le ministère des Affaires étrangères qui est censé négocier certains contrats, puisqu’ils ne comprennent pas tout. Il y a des spécialistes au ministère du Commerce. Il faut savoir que les gens font du commerce et cela ne se fait pas avec des sentiments, ce n’est pas la couleur idéologique.
42Tout ceci est mis de côté pour bien négocier. Les Ivoiriens l’ont expérimenté lorsqu’ils se sont dit : « Oui, nous allons quitter la France, nous allons négocier avec les Sud-Africains ». Ils se sont rendu compte que les Sud-Africains noirs, les chefs d’entreprise, étaient beaucoup plus durs que les chefs d’entreprise français. Je pense que c’est beaucoup plus à ce niveau-là.
43Maintenant, sur la problématique du développement, en fait la Chine est un pays émergent. Il n’y a pas que la Chine, nous sommes aussi responsables. Lorsque je vais faire mes courses, je suis content d’avoir mon verre à un dollar, mais au fond, un verre à un dollar, cela pose quand même des problèmes. Il faut bien en payer le coût. Et quelque part, celui qui s’est fait le plus avoir, c’est au niveau africain. Mais par contre, je pense que nous pouvons voir le niveau macro, mais il faut voir au niveau des populations, c’est là où se trouve en fait le gros problème. Le pêcheur au Gabon qui est obligé de subir la concurrence du commerçant chinois, c’est cela qui pose problème pour le Gabonais. Le Sénégalais qui est obligé de subir le commerçant chinois qui fait du gros et du demi-gros et ensuite qui vient dans la rue vendre au détail comme lui, c’est un problème. Je pense que c’est à ce niveau-là qu’il faut mettre l’accent, mais sinon les Africains ont encore beaucoup à apprendre sur la capacité de négociation.
44Philippe Mazuel
Merci beaucoup à nos quatre intervenants qui ont apporté beaucoup d’éléments. Avant la pause, je voudrais rappeler votre attention sur le fait que nous avons une table ronde prospective et que nous avons l’honneur d’accueillir dans cette table ronde Son Excellence M. Tertius Zongo, ancien Premier ministre du Burkina Faso, qui a quitté ses fonctions au mois d’avril. Il a donc occupé ces hautes fonctions pendant quatre ans. À cette table ronde, il y aura également M. Omar Kabbaj, ancien ministre, conseiller de Sa Majesté le roi du Maroc et ancien président de la Banque africaine de développement, M. Philippe de Fontaine Vive, premier vice-président de la Banque européenne d’investissement et M. Dov Zerah, directeur général de l’AFD. MM. Bernard Petit et Dieter Frisch se joindront également à cette table, ils représenteront la Commission européenne.
Auteurs
Bernard Petit est directeur général honoraire de la Commission européenne, consultant pour la fondation Bill et Melinda Gates, président du conseil d’administration de la fondation TuBerculosis Vaccin Initiative (TBVI) et membre du conseil d’administration de la Fondation pour les études et la recherche sur le développement international (FERDI). Il a servi pendant 37 ans à la Commission européenne (1971-2008), exclusivement sur les questions de développement. Il a notamment exercé les fonctions de directeur des politiques globales et sectorielles, a été responsable de plusieurs divisions traitant en particulier des financements, de la programmation, des politiques macroéconomiques, de l’appui budgétaire et de la prospective. Responsable de la “Task force”, il a été chargé de la négociation de l’accord de Cotonou (1998-2000) et négociateur en chef de la première révision de cet accord (2004-2005). Il a occupé les fonctions de directeur général adjoint de la direction générale du Développement jusqu’en décembre 2008. Bernard Petit est titulaire d’un doctorat de spécialité de droit européen de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, diplômé du centre universitaire d’études des Communautés européennes de la Faculté de droit de Paris et de l’École supérieure de commerce de Marseille. Il est chevalier de l’Ordre national du mérite.
Diplômé en sciences économiques de l’université de Bonn et en langues modernes de l’université de Heidelberg, Dieter Frisch a servi à la Commission européenne de 1958 à 1993, dont 24 ans dans diverses fonctions relatives à la politique de coopération au développement. Directeur général du développement de 1982 à 1993, il a été notamment négociateur des conventions de Lomé III et IV. Il est l’auteur de nombreux articles et notamment d’un opuscule sur La politique de développement de l’Union européenne : un regard personnel sur 50 ans de coopération internationale, ECDPM, 2008. Il est membre du conseil d’administration du Centre européen pour la gestion de la politique de développement (ECDPM, Maastricht) dont il préside le comité de programmation. Dieter Frisch est aussi cofondateur de Transparency International et en est membre du conseil consultatif et conseiller spécial pour les affaires européennes.
Olivier Cattaneo est avocat au Barreau de New York. Il est enseignant et chercheur associé auprès du groupe d’économie mondiale de Sciences Po à Paris. Il a travaillé comme expert des politiques commerciales et du développement à l’OCDE, l’AFD et la Banque mondiale. Il a également travaillé à l’Assemblée nationale et aux ministères du Travail, de la Santé et, plus récemment, de l’Agriculture dans le cadre de la présidence française du G 20. Docteur en droit international de l’IUHEI de Genève, il est diplômé de Sciences Po et de Georgetown, et World Fellow de l’université de Yale. Il est l’auteur de nombreuses publications sur le commerce et le développement, dont récemment, avec Gary Gereffi et Cornelia Staritz, Global Value Chains in a Postcrisis World, Banque mondiale, 2010.
Philippe Mazuel est directeur de la recherche de l’IGPDE. Il a successivement servi comme officier dans l’arme blindée cavalerie, responsable export dans l’industrie papetière, conseiller défense au cabinet du président de l’Assemblée nationale (Laurent Fabius), adjoint du préfet coordonnateur pour la justice et les affaires intérieures au SGCI, chargé de mission à la DG Élargissement de la Commission européenne et auprès des Nations unies au Kosovo, puis directeur des affaires européennes du cabinet de conseil Ethos Challenge (Groupe Axcess). Il est diplômé de l’IEP de Paris et de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Ancien maire adjoint d’Abbeville chargé de l’économie et de l’emploi, Philippe Mazuel est titulaire de la Croix de la Valeur militaire (Liban). Il est président du Parti des citoyens européens (PACE, AISBL).
Professeur au département de sciences politiques de l’université du Québec à Montréal (UQAM) et maître de conférences en histoire socio-économique de l’Afrique à l’université Paris VII, Issiaka Mandé collabore activement, en qualité de chercheur, avec le Centre international de recherches sur les esclavages (CIRESC-CNRS), le CIRDIS (UQAM) et le SEDET (université Paris Diderot). Ses recherches portent sur l’histoire socio-économique de l’Afrique contemporaine, l’histoire des populations de l’Afrique occidentale et la circulation migratoire des Burkinabés. Ses réflexions portent également sur la dimension diaspora de la migration internationale en Afrique en rapport avec l’État-nation, la citoyenneté et la question des nationalités. Il est actuellement impliqué dans des projets de recherche en histoire sociale et en économie du développement. Il a publié de nombreux articles et codirections d’ouvrages dont Les historiens africains et la mondialisation (Karthala), être étranger et migrant en Afrique (L’Harmattan) et Le Burkina contemporain : enjeux nouveaux (L’Harmattan, 2012).
Corinne Balleix est attachée auprès du Conseil d’État, actuellement rapporteur près la Cour nationale du droit d’asile. Elle travaille actuellement sur l’asile et l’immigration en Europe. Vacataire, elle anime un séminaire sur l’aide européenne au développement dans le cadre du collège universitaire de Sciences Po Paris ; elle intervient par ailleurs dans le cadre du master Études du développement auprès de l’Institut d’étude du développement économique et social (IEDES) de l’université de Paris I et dans le certificat en développement durable (formation continue) de l’IEP d’Aix-en-Provence. Spécialiste de politiques publiques européennes, elle donne des conférences de méthode sur les questions européennes dans le master Affaires publiques de Sciences Po Paris. Elle a été chargée de mission à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Corinne Balleix a publié en décembre 2010 un ouvrage sur L’aide européenne au développement à la Documentation française et en 1999 un ouvrage sur La France et la Banque centrale européenne (PUF). Elle est docteur en sciences politiques de l’université de Paris II-Panthéon-Assas.
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