Débat
p. 129-138
Note de l’éditeur
Modératrice : Laure Quennouëlle-Corre
Texte intégral
1De la salle
L’aide financière a-t-elle profité aux pays aidés ? A-t-elle été utile ? Quel rôle les femmes ont-elles joué dans les politiques de développement initiées par la CEE ?
2Dieter Frisch
Sur la première question, je n’ai pas de chiffres. Je peux simplement dire que si nous regardons bien, aussi longtemps que nous avons financé des projets, les résultats étaient très visibles. C’est-à-dire, si nous financions une route, la route était là, si nous financions un hôpital, l’hôpital était là. Alors, nous avons beau dire que c’est une entreprise européenne qui a réalisé cette route et ensuite la conclusion est facile, à savoir que l’argent est revenu en Europe : dans un sens, c’est vrai, mais en réalité l’hôpital que nous avons financé ne se trouve pas en Europe mais dans le pays en question, donc même si du fait de l’entreprise qui réalise quelque chose, cet argent vient en partie en retour, le bien produit ou l’infrastructure créée est tout de même dans le pays. Très souvent, ceci n’est pas bien vu. Aujourd’hui, nous passons de plus en plus dans des formes d’aide où nous finançons sectoriellement ou même généralement les budgets. Là aussi, nous pouvons dire que cet argent va dans les pays et en fait, ce qui revient ce sont plutôt les rémunérations de consultants, de l’assistance technique, etc., mais je ne pense pas que nous pouvons si facilement dire que l’argent ne va pas dans ces pays. Ce qui est réalisé est réalisé dans ces pays, même si des entreprises extérieures y contribuent.
3Si l’assistance et l’aide étaient utiles, là, il y a toute une littérature sur l’utilité ou l’inutilité de l’aide. Je suis arrivé à la conclusion que l’aide est utile et reste utile dans la mesure où elle vient en appui d’une bonne politique. Dans un pays où la gestion des ressources propres du pays n’est pas bonne, l’aide venant de l’extérieur ne pourra pas changer fondamentalement les choses. L’aide est toujours un appui, un plus à quelque chose, et dans la mesure où la politique est bonne, l’aide est utile. Pour le reste, c’est effectivement de l’argent en bonne partie jeté par les fenêtres.
4Sur le rôle des femmes, je ne me considère pas spécialement comme compétent. Nous avons, au moins dans nos structures, essayé d’avoir des femmes à des niveaux de décision et d’encadrement. Lorsque les Européens parlent du rôle de la femme dans le développement, je leur dis parfois : « mais en Afrique, au moins en Afrique de l’Ouest, les femmes jouent souvent un rôle plus important qu’en Europe », au moins dans l’économie.
5Philippe Hugon
Ce sont des questions assez fondamentales et qui demanderaient beaucoup de temps pour y répondre. Nous pouvons dire qu’il y a eu quand même une augmentation significative durant la période des fonds du FED qui sont passés de plus de trois milliards d’écus à plus de dix milliards à la fin de la période, et que globalement, quand même, l’Union européenne, par ses États membres et en tant que Commission, a joué un rôle important au niveau de l’aide mondiale. Après, vous avez les problèmes de l’efficacité de l’aide. Il est plus facile de voir les résultats d’un projet qui a été le point de départ. Quand nous sommes dans l’ajustement et que les questions se situent davantage au niveau des budgets, nous pouvons constater qu’en termes de résultats, nous abondons des budgets et nous essayons de voir si le niveau de la santé, de l’éducation ou un certain nombre d’objectifs ont été ou non atteints.
6Je voudrais simplement dire, au point de vue évaluation de l’aide, que l’aide, en aucun cas, ne peut être un substitut des pratiques d’acteurs porteurs de projets. Elle peut jouer un rôle de sécurisation des flux. Elle peut jouer un rôle d’appui à des dynamiques endogènes. Elle ne peut, en aucun cas, s’y substituer de manière durable.
7Nous avons aussi un autre problème qui est très compliqué, ce sont les effets intertemporels. Nous pouvons avoir un débat par exemple sur les mesures prises à partir des années 1990 qui étaient des politiques de rigueur financière. Est-ce qu’elles n’ont pas contribué, in fine, quand même, à faire en sorte que les situations financières ne soient pas trop détériorées, même si la situation économique l’a été et donc si, avec un certain délai, il n’y a pas des effets positifs qui apparaissent ? Nous avons aussi cette question qui est très difficile à régler parce que la plupart des tests, économétriques notamment, ont beaucoup de mal à intégrer ces effets intertemporels.
8De la salle
Merci pour ces exposés qui ont bien montré sur la période le développement de l’aide européenne. Sur cette période, nous voyons que l’aide française reste supérieure en volume à l’aide européenne et donc le thème de la complémentarité évoqué était effectivement extrêmement important, je suppose, pour les acteurs européens. À cet égard, je voudrais savoir quel regard était porté depuis Bruxelles sur l’assistance technique, notamment l’assistance technique française qui était l’essentiel de l’aide bilatérale française aux pays africains. Et de même, un autre instrument qui était un peu original : quel regard était porté depuis Bruxelles sur la Zone franc, sujet encore d’actualité. Par rapport à la première table ronde, je voudrais savoir quelle a été l’attitude de la Guinée Conakry de Sékou Touré par rapport à la politique d’association après l’Indépendance.
9De la salle
Je voudrais axer mon intervention sur deux points, le premier concerne les enjeux de l’aide au développement à ce jour. À écouter les différents panélistes, quand j’écoutais M. Gérard Bossuat dans l’introduction scientifique, il a prononcé le mot « mystère » trois fois. Et nous regardons le processus de développement à l’aide, il y a beaucoup de mystère. Qu’en dites-vous par rapport à cela ? Ma deuxième question est la suivante : ne faudrait-il pas voir la problématique des textes institutionnels ? Les différents partenaires en jeu, qui sont les politiques qui, de nos jours, sans jeter la pierre à quelqu’un, ne sont plus d’actualité parce que la tendance va à l’implication de la société civile, au partenariat public-privé, en donnant la prééminence à d’autres personnes pour engager d’autres thématiques comme l’eau, l’agriculture, etc. Aujourd’hui, l’Afrique a besoin de quoi ? Que devons-nous retenir par rapport à l’avenir, les enjeux de 2020 et 2015 par rapport aux objectifs du millénaire ? Quelle est la vraie problématique du développement à ce jour ?
10De la salle
J’ai beaucoup aimé la distinction de M. Frisch entre la politique de la France et celle des Français. Du point de vue de la politique de la France, vous vous êtes interrogé sur ce qu’était au fond la politique de la France. J’ai été un peu étonnée qu’il n’y ait eu aucune référence à la pensée du général de Gaulle, sur ce que devait être la politique de coopération. Or, dans une conférence de presse de 1963, il a consacré de longs développements à ce que devait être la politique de coopération et il a exprimé quatre idées qui me semblent prémonitoires par rapport aux évolutions que vous avez décrites ensuite de ce que sera la politique de la France. La première idée est que le fondement de la politique de la France devait être la solidarité et pas les avantages économiques. Comme cela devait être la solidarité, j’aimerais rappeler que le problème de la stabilisation du prix des matières premières a été traité dès le début des années 1960, notamment par un rapport qui était très intéressant où nous voyons l’influence, certainement, du général de Gaulle.
11La deuxième idée était de respecter la souveraineté des États. Pour le général de Gaulle, l’aide ne devait pas être un instrument de la guerre froide et nous devions aider des pays, même des pays avec un système communiste, ce qui était extrêmement novateur. De plus, le général de Gaulle pensait que si l’Afrique devait rester prioritaire, il fallait avoir une ouverture aux autres pays, ce qui a été fait par la suite et, notamment, le continent qui avait beaucoup d’importance pour lui l’Amérique latine. Enfin, le quatrième point important de sa conférence de presse était que la politique de coopération devienne fondamentalement une politique européenne. Il a souvent été dit que le général de Gaulle n’était pas pour l’Europe, mais en fait, là, il a pris position très fortement pour une politique européenne, et ensuite, c’est bien devenu une politique européenne. En vous entendant, j’ai été très frappée par le décalage qu’il y avait entre la position souvent de M. Ferrandi et celle du chef de l’État.
12Gordon D. Cumming
Je vais faire des commentaires sur certaines questions. Sur la Zone franc, je pense que le gouvernement de Thatcher n’appréciait pas la Zone franc, c’était, de son point de vue à elle, protectionniste et, sous le gouvernement conservateur, elle s’est rangée du côté de la Banque mondiale, se faisant de la France un ennemi à ce niveau-là. Je pense d’ailleurs que la dévaluation de la Zone franc n’était pas vraiment choisie. C’était parce que la Banque mondiale n’était plus prête à suivre la France dans ce domaine.
13Pourquoi les femmes n’ont pas été impliquées dans cette politique européenne ? Il faut voir que la notion de genre arrive très tard dans les débats, à savoir dans les années 1980, et c’est plutôt une notion anglo-saxonne et nordique. Même aujourd’hui, je dirais que la notion de la femme dans le développement n’est pas vraiment très présente dans les débats français, même dans les ONG françaises.
14J’ai un commentaire sur le montant octroyé. Je dirais qu’il y avait une question de retour de l’argent en France et en Angleterre. En fait, cette question est la raison pour laquelle tout le monde en Grande-Bretagne était d’accord sur ce système, parce qu’il y avait ce retour d’argent, parce qu’il y avait ces contrats, parce que le commerce était avantageux, sinon les Britanniques auraient dit beaucoup plus de choses négatives. Mais une chose était claire, c’était une différence en termes d’appréciation. Les Britanniques pensaient qu’en termes d’efficacité, l’aide européenne n’était pas efficace. D’ailleurs, les Britanniques commençaient à publier leurs évaluations et à les distribuer à leurs partenaires européens pour encourager la transparence, mais aussi pour dire qu’ils trouvaient que ce n’était pas très transparent.
15Giuliano Garavini
In fact, I have only a general remark hoping it can answer some of the things you have asked. I recently read a book by the American economist Dani Rodrik who wrote this book called “The paradox of globalisation” which I think is one of the best essays written up-to-date on the questions of economic globalisation. What he says is that up to the 1980s the world economy worked according to the rules set up at Bretton-Woods, which meant opening but at the same time left quite a lot of freedom in terms of political choices to the nations states. So you could be a communist country, a social democratic country, have a lot of investment in welfare state and so on and so forth. After the 1980’s we leave in an era we could define as an era of hyper-globalisation, which is a new form of world economy, that has much more impact on the internal choices of the single countries. And in this era of hyper globalisation, a lot of countries have profited from the expansion of global finance and trade, first of all countries such as China, India, Brazil. But the majority, in numerical terms, have not profited from the era of hyper globalisation. So how does this link to the question of aid ? Aid in itself, it’s a bad thing, because if you need aid, this means that structurally there is a lot of unbalance in the world economy. The thing that is worrying in these days is that even most of the largest economies continue to grow, there is always much more aid that is needed to counter growing poverty in large parts of the world. But the aid that is always given on conditional terms and carries with it political dependency.
16Philippe Hugon
Je voudrais faire un commentaire sur la question concernant la Zone franc. Il faut savoir que toutes les zones monétaires ont disparu, la Zone sterling, la Zone escudo, même s’il y a eu quelques essais, et il est resté la Zone franc. Cela a toujours été une des spécificités des relations de la France par rapport aux autres États membres. Parfois, cela a été un élément de tension ou d’incompréhension. Il faut simplement rappeler historiquement que lorsque la zone franc a été créée, les accords entre le Trésor français et les banques centrales africaines ont été considérées comme des accords budgétaires et non pas comme des accords monétaires, donc restant du niveau de la souveraineté nationale de la France dans sa gestion.
17Ceci étant, il reste toujours le non-dit de la question monétaire dans tout ce qui est politique de coopération et d’aide, puisque la question est traitée en termes de préférence commerciale, mais la question du taux de change n’est pas directement abordée dans les questions de compétitivité. Cela envoie donc à une autre question, à savoir comment est traitée la monnaie dans des politiques d’aide alors que c’était évidemment central par rapport à la question de la valorisation des produits ou à la question de la compétitivité de change.
18Dieter Frisch
Pour répondre au premier intervenant, je dirais que le fait qu’il y ait, à côté des aides européennes, des programmes des États membres dont le volume est parfois plus important que le programme européen, est un argument qui milite naturellement pour une forte coordination. Il ne s’agit pas qu’un ou deux pays déterminent ce que fait Bruxelles, ce qui importe est de se mettre beaucoup plus systématiquement autour de la table pour un peu répartir les rôles et arriver graduellement à une certaine division de travail. Nous en parlons depuis longtemps, mais les progrès sont très lents. Nous parlons de programmation conjointe encore maintenant à Bruxelles. La programmation conjointe est très souhaitée mais extrêmement difficile à faire parce qu’elle se heurte à de multiples difficultés.
19L’assistance française était initialement un peu envahissante, parce qu’elle était dans tous les ministères, etc., au moment de l’indépendance. Je crois que cela s’est normalisé entre-temps. Je n’ai rien de particulier à dire sur le fonctionnement de l’assistance française aujourd’hui. La Zone franc est une question entre la France et les pays membres. Les pays africains doivent eux-mêmes savoir où est leur intérêt. Moi, comme observateur, j’ai pensé que c’était plutôt un élément de stabilité pour eux, mais c’est à eux de mesurer le pour et le contre.
20La Guinée Conakry, après son départ initial (relation entre de Gaulle et Sékou Touré) est revenue dans le Club avec Lomé I en 1975 et a été traitée, à partir de là, comme un des pays ACP. Nous avons ouvert une délégation. Nous avons eu une coopération tout à fait normale.
21Concernant la question de notre collègue ivoirien, je dirais simplement qu’il faut principalement, à mon avis, une bonne gestion des ressources de l’Afrique pour son propre développement. Je crois que dans la mesure où les pays ont des ressources, et il y en a beaucoup qui ont des ressources importantes, il faudrait que ces pays soient prêts à mettre ces ressources au service du développement de leur pays. Malheureusement, lorsque vous regardez la corrélation entre dotation en ressources et développement, elle est rarement positive. Ceci est quelque chose qui m’inquiète. Ce n’est pas pour rien qu’après mon départ de la Commission, je suis devenu un des fondateurs de Transparency International.
22Je suis content du rappel de la déclaration du général de Gaulle qui m’avait échappé. Je ne suis pas remonté aussi loin dans le passé. La solidarité, c’est bien, mais il faut aussi savoir que du point de vue des majorités dont nous avons besoin pour appuyer notre politique, l’argument solidarité ne suffit malheureusement pas. Il faut aussi que nous puissions parler, et nous en avons le droit, des intérêts réciproques. Nous avons aussi des intérêts dans cette coopération – stabilité dans notre voisinage, accès aux matières premières, maîtrise de l’immigration par le développement… Ce n’est pas la peine de dire que c’est uniquement une affaire de solidarité ou une affaire humanitaire.
23Nous avons été obligés pendant la guerre froide de respecter, un peu à outrance, la souveraineté de régimes avec lesquels beaucoup d’entre nous auraient préféré ne pas devoir travailler. Si, aujourd’hui, l’Éthiopie de Mengistu était candidate à Lomé, elle n’y entrerait plus. Nous ne pouvons plus comparer la situation d’aujourd’hui avec les conditions dans lesquelles nous avons travaillé jusqu’à la fin de la guerre froide.
24Guia Migani
Le traité de Rome est signé avant l’indépendance de la Guinée. Elle devient indépendante en 1958 mais le traité de Rome est entré en vigueur le 1er janvier 1958 et tout ce qui concerne la mise en route du FED prendra encore une année. Donc, à partir du moment où la Guinée de Sékou Touré ne signale pas qu’elle veut continuer à être associée à la CEE, cela évite de difficiles discussions entre les six. Dans les années 1959-1961, c’est le moment où la Guinée est très philo-communiste, donc il n’est pas question de s’associer à un club occidental. En plus, elle est très en pointe dans la lutte pour le panafricanisme, donc il n’est pas question de s’associer avec un accord qui partage l’Afrique. Avec Lomé I, elle entre dans le jeu.
25De la salle
En écoutant en particulier M. Frisch, je me demandais si finalement, devant la difficulté des États à se libérer de leur passé colonial, la Commission n’avait pas offert une alternative, notamment aux Français qui le souhaitaient, pour introduire un nouveau type de relations dans l’aide européenne vis-à-vis de l’Afrique, en y mettant de la solidarité, l’appropriation, etc. Quelque part, Cheysson a essayé et a mieux réussi à faire ce que Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération, a échoué à faire en quelques mois d’expérience. La Commission n’a cessé, notamment à travers tous les accords de Lomé, etc., de mettre en avant une politique de coopération qui n’était plus une politique purement de défense des intérêts économiques nationaux, mais une politique de solidarité et vraiment de développement, mais ne pensez-vous pas qu’elle a été très gênée pour la mettre en place et qu’elle a manqué d’efficacité pour la mettre en place parce que justement les États nationaux ont affaibli la Commission, parce qu’ils ne souhaitaient pas se délester de leurs pouvoirs, en multipliant les contrôles ?
26De la salle
Il y a finalement culture et culture. Je voudrais savoir quelle est la vision européenne concernant l’Afrique ? Comme tout le monde le sait, en 2050, nous allons être 9 milliards d’habitants. Comme vous savez, il y a le végétal pour se nourrir et il y a le végétal en ce qui concerne l’énergie. Quels vont être les choix stratégiques et économiques ?
27De la salle
J’ai eu le privilège d’avoir été le directeur des programmes de transformations institutionnelles de l’Union africaine et j’ai également 25 ans de carrière en France à la RATP et à la Caisse nationale des allocations familiales. Je suis un peu déçu par ce que j’ai entendu ce matin sur l’efficacité de l’aide. Je dirais plutôt que l’aide a été très efficace, tant pour le donneur que pour le receveur. Dans la mesure où, d’après ce que j’ai entendu ce matin de l’histoire de cette aide au développement, le donneur partait bien pour quelque chose, et je crois qu’il a eu en retour la monnaie de sa pièce. Peut-il dire aujourd’hui que l’aide au développement n’a pas été efficace ? Quant au receveur, en 1957-1958 en République du Congo, le Zaïre, combien y avait-il d’intellectuels ? Je suis Français, c’est vrai, mais dans mon pays d’origine, le Bénin, nous allions accueillir les intellectuels pour essayer de former les autres pays colonisés. Combien d’intellectuels ? Combien d’écoles ? Alors de 1960 à 1970, quelles ont été les évolutions en termes d’éducation, en termes de santé, en termes d’infrastructures ? Nous ne pouvons pas dire que l’aide a été inefficace. J’aimerais que ce qui s’est dit dans cette salle soit réfléchi, c’est-à-dire que nous ramenions cela à 1960 jusqu’à nos jours.
28Ma deuxième question est peut-être une question qui porterait sur le débat de la troisième table ronde, mais je vais quand même l’évoquer, en raison de la crise actuelle que nous traversons, avec la puissance qu’est devenue la Chine, l’aide au développement ne devrait-elle pas s’établir sur de nouveaux paradigmes pour que, dans les dix années à venir, les nouveaux indicateurs permettent de nous dire qu’elle sera effective et efficace ?
29Dieter Frisch
En ce qui concerne les États membres voulant contrôler de plus en plus la Commission, je n’ai pas, dans ma période, l’impression que la Commission a perdu en autonomie vis-à-vis des États membres. C’est d’ailleurs l’idée qui est un peu sous-jacente dans ce débat, à savoir que les États membres, que ce soit la France, la Grande-Bretagne, poussent l’Europe ou la Commission à faire telle ou telle chose. J’ai une certaine confiance en nous-mêmes et en ce que nous avons fait. Si vous regardez, à travers toute cette période, le rôle de la Commission, les initiatives de la Commission ont été très souvent déterminantes ; contrairement à aujourd’hui où la Commission, avec la méthode des livres verts où vous consultez tout le monde – c’est très démocratique, d’accord – mais vous consultez aussi les États membres avant de prendre une initiative. Nous sommes dans une situation où la Commission ne prend plus la liberté, comme elle le faisait avant, de dire, de son initiative, ce qu’elle pense que l’Europe devrait faire. Le mémorandum de 1971 était la première initiative de ce genre. Le mémorandum de Deniau était un papier qui allait contre l’avis de certains, y compris de sa propre nationalité. L’action de Cheysson allait au-delà. Je dirais donc plutôt que la Commission a pris un degré d’autonomie tout à fait suffisant. Que les États membres nous contrôlent et regardent ce que nous faisons, je trouve cela normal.
30En ce qui concerne l’Afrique, c’est un grand sujet. Mon avis est que certains, d’une façon un peu légère, considèrent l’Afrique comme le grenier mondial ; moi, je la vois pour le moment comme importatrice nette. L’Afrique doit s’occuper de sa propre alimentation en premier lieu. Je trouve que toute cette évolution vers les biocarburants est erronée d’une façon générale, pas seulement en Afrique. Je crois que pour nourrir 9 milliards ou plus de personnes dans ce monde, il faudra 70 % d’augmentation de la production alimentaire pour satisfaire les besoins de cette population. Je pense que cela vaut la peine de mobiliser tout le potentiel agricole. Je vois même la politique agricole commune européenne, que nous avons toujours vue en conflit avec la politique du développement, dans un nouvel éclairage, depuis que nous savons vers quel monde nous sommes en train de nous diriger. Je suis donc contre ces biocarburants et je suis contre l’accaparement des terres en Afrique pour en produire, je ne sais pas pour qui, mais apparemment pas pour les Africains.
31De la salle
Vous avez beaucoup parlé d’aide et de développement mais quand vous dites « l’aide », ce n’est pas réellement une aide, c’est une coopération, parce que vous dites « l’aide » alors que le pays donateur en tire un bénéfice aussi. Le problème de l’Afrique, ce sont les hommes africains aussi. C’est aux hommes et aux femmes africaines de se prendre en charge pour développer leur propre pays. M. Frisch a parlé de tout ce qui est agriculture, il faut l’autosuffisance agricole pour les pays africains. Nous n’avons pas besoin de planter du riz, parce l’usage alimentaire dans nos pays, c’est manger le mil et le sorgho, etc., et pas du riz. Nous ne sommes pas Chinois. Le problème des Africains aussi est de donner la parole aux femmes et seules les femmes africaines pourront relever les défis parce que les hommes ne font que des bêtises.
Auteurs
Diplômé en sciences économiques de l’université de Bonn et en langues modernes de l’université de Heidelberg, Dieter Frisch a servi à la Commission européenne de 1958 à 1993, dont 24 ans dans diverses fonctions relatives à la politique de coopération au développement. Directeur général du développement de 1982 à 1993, il a été notamment négociateur des conventions de Lomé III et IV. Il est l’auteur de nombreux articles et notamment d’un opuscule sur La politique de développement de l’Union européenne : un regard personnel sur 50 ans de coopération internationale, ECDPM, 2008. Il est membre du conseil d’administration du Centre européen pour la gestion de la politique de développement (ECDPM, Maastricht) dont il préside le comité de programmation. Dieter Frisch est aussi cofondateur de Transparency International et en est membre du conseil consultatif et conseiller spécial pour les affaires européennes.
Philippe Hugon est professeur émérite de sciences économiques à Paris Ouest-Nanterre et directeur de recherche à l’IRIS, en charge de l’Afrique. Il travaille plus particulièrement sur l’économie et la géopolitique africaines, et sur le comparatisme entre l’Afrique et l’Asie. Auteur d’une centaine d’articles dans des revues spécialisées et de nombreux ouvrages sur le développement et l’économie politique internationale, il est directeur scientifique de la Revue Tiers Monde et responsable du chapitre Afrique subsaharienne de L’Année stratégique. Dernières publications : 3e édition de Géopolitique de l’Afrique, Paris, SEDES (2012) et 7e édition de L’économie de l’Afrique, Paris, La Découverte, 2012.
Gordon D. Cumming est professeur titulaire des sciences politiques à l’université de Cardiff. Il est membre honoraire de la Royal Historical Society et enseigne en tant que professeur invité à Sciences Po, Bordeaux. Il débute sa carrière au sein du ministère des Affaires étrangères britannique. Ses intérêts de recherche portent sur les politiques africaines et de développement de la France, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Il se focalise également sur les organisations non gouvernementales françaises et anglo-américaines ainsi que sur les politiques de renforcement de la capacité de la société civile. Il a produit des rapports pour l’Institut français des relations internationales ainsi que pour Chatham House. En outre, il a publié de nombreux articles, chapitres et livres (Aid to Africa, 2001 ; French NGOs in the Global Era, 2009 ; et, avec le professeur Tony Chafer, From Rivalry to Partnership : New Approaches to the Challenges of Africa, 2011).
Guia Migani est docteur en histoire de l’université de Florence et de Sciences Po Paris, elle est chercheur post-doc à l’université de Padoue. Elle travaille sur la politique européenne de coopération au développement, les relations eurafricaines, la guerre froide et l’intégration européenne. Son dernier projet de recherche porte sur l’évolution de l’aide européenne entre 1973 et 1986. Spécialiste des relations eurafricaines, elle a notamment publié La France et l’Afrique subsaharienne, 1957-1963. Histoire d’une décolonisation entre idéaux eurafricains et politique de puissance, Bruxelles, Peter Lang, 2008 et « Les accords de Lomé et les relations eurafricaines : du dialogue Nord-Sud aux droits de l’homme » in E. Robin-Hivert, G.-H. Soutou (dir.) L’Afrique dans la mondialisation, Paris, PUPS, 2012. Avec Antonio Varsori, elle a dirigé l’édition de l’ouvrage, Europe in the International Arena during the 1970s, Peter Lang, 2011.
Giuliano Garavini est chercheur post-doc en Histoire internationale à l’université de Padoue. Il est l’auteur de Dopo gli imperi. L’integrazione europea nello scontro Nord-Sud, Le Monnier, Florence, 2009, paru en 2012 chez Oxford University Press sous le titre : After Empires : European Integration, Decolonization and the Challenge from the Global South (1957-1986). Giuliano Garavini prépare un ouvrage relatif au choc pétrolier de 1973 et coordonne un projet triennal de recherche (FIRB), financé par le ministère italien de l’Éducation, sur le thème du conflit entre pétrole et énergies renouvelables dans les années 1970 et 1980.
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