Chapitre XXXIII. Stabilisation et expansion (1949-premier semestre 1950) I. L’apogée du financement public américain et ses contraintes
p. 1173-1228
Texte intégral
1L’examen des statistiques comme celui des débats entre responsables français sur les dépenses publiques font apparaître une corrélation assez étroite entre l’intensité de l’aide Marshall à la France et celle de l’effort de financement public des investissements1.
2Il convient de prendre la mesure de cette corrélation, grâce à des constats d’histoire « froide », avant d’analyser, en termes d’histoire « chaude », les voies et moyens par lesquels l’aide américaine a pu servir l’État français dans sa tâche de relèvement économique et de stabilisation financière. Il s’agit, en particulier, de savoir jusqu’à quel point cette évolution a été souhaitée, maîtrisée ou subie par les responsables français, et quelles en ont été les éventuelles contreparties.
I. LA MESURE : UN POIDS LIMITÉ, MAIS DÉCISIF
3L’aide Marshall est — on le sait — doublement utile à l’économie française : en dollars, son impact est commercial, à travers les importations qu’elle rend possibles ; en francs, son rôle est financier, grâce au financement des dépenses assuré par la contre-valeur.
1. Les dollars Marshall : l’approche commerciale
4La France a reçu 2,149 milliards de dollars pendant la période s’écoulant du vote de la loi (avril 1948) à la fin de l’année 1950, ce qui représente vingt pour cent de l’aide totale, et situe la France immédiatement après les Britanniques (2,694 milliards de dollars)2.
5Du point de vue du commerce extérieur français, les importations au titre de l’aide Marshall en 1949 et 1950 représentent, en valeur, respectivement, trente et vingt pour cent du total des importations. Lors de ces deux années, elles sont constituées de produits provenant, pour soixante pour cent des États-Unis, et, pour plus des deux tiers (en 1949), et pour trois quarts (en 1950), de la zone dollar (cf. supra, pages précédentes). Il n’est pas aisé de retrouver dans le détail le type de produits importés ; le coton et le pétrole apparaissent toutefois comme les postes les plus importants et, ajoutés au charbon, représentent presque la moitié du total. Des statistiques élaborées par l’ECA, portant sur les importations au titre de l’aide Marshall du vote de la loi à la fin de 1950, attribuent aux « machines et outillages » vingt-deux pour cent du total, et six pour cent aux métaux non ferreux (cf. graphique 11, p. suivante). Alan Milward alloue aux machines, matériel de transport et métaux plus du cinquième des importations au titre de l’aide Marshall en 1949, et près du double en 19503. Ces chiffres ne recouvrent pas en totalité des marchandises qui n’auraient pu être acquises sans les dollars Marshall. Mais une grande part, et, en particulier, les plus élaborées d’entre elles, ne pouvaient être obtenues que grâce à des dollars — que la France n’aurait pu se procurer en quantités suffisantes, même dans l’hypothèse (assez irréaliste) d’une limitation plus rigoureuse de la consommation et d’un surcroît d’exportations — et uniquement sur le marché américain. Même en révisant en baisse les pourcentages cités plus haut, il ne faut pas seulement tenir compte de la part du total occupée par les équipements, mais de l’impossibilité d’y substituer des matériels d’une autre provenance, et d’autres moyens d’achat. Ainsi, les « laminoirs à chaud », importés en 1950 pour une valeur de 1,2 milliard de francs, représentent moins de un pour cent du total des importations Marshall. Mais ils ne pouvaient être commandés ailleurs et payés autrement qu’en dollars. Or, ils sont nécessaires à la réalisation des objectifs du Plan Monnet. L’aide américaine pèse donc par son poids relatif, mais également par son rôle stratégique, permettant de surmonter à la fois des goulots technologiques — par des machines et équipements disponibles uniquement aux États-Unis — et le dollar gap. De ce fait, la poursuite des objectifs du Plan Monnet repose sur la continuité de l’aide financière et des opportunités commerciales offertes par le Plan Marshall.
6Cependant, comme le répète Jean Monnet, la dépendance commerciale, inévitable pendant la durée du Plan, doit être progressivement atténuée, à travers ses réalisations. Les importations au titre du Plan Marshall ne font d’ailleurs que consacrer une situation de fait depuis 1945, la part considérablement accrue de la zone dollar dans les importations françaises (cf. graphique 12, infra, p. suivante).
2. Les francs Marshall : l’approche financière
7La contribution financière de l’aide Marshall à la réalisation du premier Plan peut se mesurer doublement : à travers la part des investissements dans l’affectation des fonds de contre-valeur, et, inversement, au poids de ces fonds, parmi les divers modes de financement.
L’imbrication Plan Monnet-aide Marshall
8Premier constat : en 1948-50, les fonds de contre-valeur ont massivement été affectés au financement des investissements du Plan. En 1948, leur part représente entre les trois quarts et les quatre cinquièmes du total de la contre-valeur — si on inclut ou non la reconstruction « économique », et selon que l’on se réfère à la contre-valeur des seuls dons ou de la somme des dons et prêts. En 1949, cela oscille entre soixante-dix et quatre-vingt-dix pour cent et, en 1950, autour de quatre-vingt-trois pour cent (cf. infra, graphique 13).
9Second constat : en retour, les francs de contre-valeur affectés au FME occupent une place prépondérante dans le total des sommes versées par le Fonds : plus de deux tiers en 1948, plus des quatre cinquièmes en 1949, un peu moins de la moitié en 1950. Si l’on descend jusqu’à certaines branches ou entreprises, le pourcentage peut être encore supérieur (cf. infra tableaux). Quand on confronte l’évolution des deux variables — volume de la contre-valeur affectée au FME, volume des versements du FME — la corrélation dans la croissance est assez bonne en 1948-1949 (cf. infra, graphique 13). En 1950, on s’aperçoit toutefois que, malgré la régression du volume de la contre-valeur réservée au FME, les crédits du Fonds progressent, au point que plus de la moitié de ses ressources ne sont plus issues de l’aide américaine. L’évolution semblerait donc indiquer une certaine émancipation du FME à l’égard des fonds Marshall, sans que cela signifie une réduction de ses versements. Mais, comme on l’a vu, les archives nous apprennent que, lors des débats préparatoires à la fixation des chiffres pour 1950, l’aide Marshall a toujours été comptée pour 250 milliards de francs 1949 — soit environ 233 milliards de francs 1950. Or, en définitive, le FME n’a bénéficié que de 140 milliards de francs 1949, soit un chiffre de plus de quarante pour cent moindre. La corrélation aurait été vraisemblablement plus forte si, dès l’automne de 1949, les responsables français avaient connu le montant exact de contre-valeur disponible pour l’année suivante. Dans cette hypothèse, en effet, compte tenu de l’âpreté des débats et de la pression pour éviter tout financement inflationniste, il est très probable que Jean Monnet et la Triple Alliance n’auraient pas pu empêcher une réduction plus forte des crédits du FME. Cela rend compte d’ailleurs de la chute brutale — de 84 % à 44 % de 1949 à 1950 — de la part de la contre-valeur dans les versements du FME. Autrement dit, misant sur un apport d’Outre-Atlantique équivalent à celui de l’année précédente, les experts de la Commission des Investissements ont, en gros, fait admettre par le Ministre, puis par le Parlement, un effort d’investissement voisin de celui de 1949 — la croissance en volume équivalant à peu près à celle du revenu national, estimé à neuf pour cent par la Commission des Comptes de la Nation.
10Ainsi, malgré la diminution sensible de l’aide Marshall, l’effort de financement public a été maintenu en 1950 pratiquement à son apogée de 1949, en grande partie parce que les prévisions de ressources étaient très largement surestimées. De ce fait, la part plus forte de la couverture des charges d’investissement par les ressources nationales n’a pas été définie au préalable de manière délibérée, mais résulte de décisions prises, en méconnaissance de cause, pour ainsi dire.
11D’ailleurs, en 1951, on retrouve une corrélation, dans le sens de la baisse cette fois. La réduction sensible de l’aide Marshall, dont une part beaucoup plus faible que les années précédentes a été affectée au FME, est parallèle à une chute nette des crédits de ce dernier. Sous réserve de cette distorsion de 1950, on constate, pour les années 1948-1950, une corrélation entre les trois variables suivantes :
la part de contre-valeur consacrée aux investissements productifs ;
le volume correspondant (en francs constants) ;
le volume des crédits du FME.
12Autrement dit, l’apogée du financement public français des investissements correspond au double apogée de l’aide Marshall et de l’affectation de sa contre-valeur en francs aux investissements. À partir de 1951, on entre dans une autre logique, en valeur absolue (régression de l’aide en volume) et relative (diminution de la part de contre-valeur affectée aux investissements).
Un poids financier global limité, mais décisif
13On ne peut, pour mesurer l’influence du Plan Marshall sur le relèvement de la France, en rester à une approche financière globale.
14Certes, les fonds de contre-valeur affectés aux investissements représentent une part assez faible des charges totales de Trésorerie. De même, ils ne comptent que pour dix pour cent (sur l’ensemble de la période d’application du Plan Marshall) de l’investissement total, ou treize pour cent, selon les estimations4. Si on décompose déjà par année, la contre-valeur affectée aux investissements et à la construction atteint jusqu’à vingt-cinq pour cent des investissements totaux de la métropole en 1949, d’après les chiffres de la Commission des Investissements, qui sous-estiment, il est vrai, les ressources privées.
15Mais surtout, on ne peut se limiter à une analyse macro-économique : si on descend jusqu’au niveau méso- et même micro-économique, notamment jusqu’à l’examen des investissements des entreprises de base du Plan — dont l’essor est stratégiquement décisif pour le relèvement des autres branches — on s’aperçoit que les fonds de contre-valeur ont occupé une place souvent prépondérante, et parfois quasi exclusive. Ainsi, pour les quatre grandes entreprises nationales, sur les trois années 1948, 1949, 1950, ils représentent entre la moitié et la totalité des versements du FME ; en 1949 — toujours année apogée — ils atteignent quatre-vingt-dix-neuf et cent pour cent des crédits du FME pour les CDF et EDF (cf. supra, page précédente).
Le FME, l’aide Marshall et les Quatre
16On est en droit de se demander, pour cette année-là et pour ces entreprises, de quelle autre source auraient pu provenir les ressources nécessaires au financement de leurs investissements5.
17Une forte corrélation apparaît entre la part des Quatre Grands nationalisés dans les versements du FME, le poids des fonds de contre-valeur dans ces versements, ainsi que celui des Quatre Grands dans le total de la contre-valeur affectée au FME (cf. tableau 1, ci-dessus). Autrement dit, les crédits du FME ont été d’autant plus employés à financer les investissements des Quatre, qu’il a pu y consacrer une fraction importante de la contre-valeur. Si l’on ajoute la CNR et les firmes sidérurgiques, on atteint entre les deux tiers (en 1949), et quatre vingt-dix-sept pour cent (en 1948) des fonds de contre-valeur employés par le FME. (cf. tableau 2, page précédente). L’aide Marshall a donc bien massivement été employée, jusqu’à la fin de 1950, au financement public des investissements des activités de base, qui n’aurait pu être assuré avec une telle ampleur, sans cet apport extérieur de francs. Et, même si, financièrement, elle ne représente qu’un dixième de l’investissement total, l’équipement de base constitué grâce à l’emploi de sa contre-valeur en francs a été économiquement et techniquement nécessaire à la réalisation des neuf autres dixièmes. De même, les fonds de contre-valeur ne représentent qu’une part somme toute modeste des charges de trésorerie. Mais — comme on l’a vu en 1948 et 1949 — dans l’ajustement annuel des ressources aux charges, la nouvelle orthodoxie a consisté à financer les dépenses ordinaires par des recettes permanentes, à assurer la Reconstruction par un surcroît d’impôts, au titre de la solidarité nationale, et, enfin, à envisager les dépenses d’Équipement à l’aide de la contre-valeur et de recours très hypothétiques à l’épargne (cf. graphique, p. suivante). Ainsi, globalement, les francs issus de l’aide américaine ne couvrent qu’une fraction limitée des charges totales, mais une part décisive des charges d’investissement. Et sans leur présence, la volonté exprimée par le ministre des Finances de financer les dépenses publiques sans inflation aurait conduit à amputer beaucoup plus gravement encore celles consacrées à l’investissement, faute de ressources certaines.
II. LA PROCÉDURE : LA COMMUNION DANS LES POSTULATS DE HARVARD
18Au-delà des constats statistiques, l’historien se doit d’éclairer la route empruntée pour parvenir à de tels résultats, et de préciser, en particulier, les interventions respectives des responsables français et américains. Il convient d’analyser la portée de la générosité de Washington, et de mesurer quelles ont pu en être les contreparties, les « sauces accompagnant le plat » (F. Bloch-Laine)6.
19Les responsables américains disposent d’un double moyen d’infléchir les décisions françaises : le choix des marchandises acquises par les dollars Marshall, et celui des projets financés par leur contre-valeur en francs. À partir de ces deux postes d’observation, on peut mieux apprécier quelle a été, chez les autorités françaises, face à leurs interlocuteurs, la part de dépendance, de résistance ou de convergence.
1. Les pressions commerciales : réelles, mais marginales
20Les programmes annuels d’importations financés à l’aide des dollars Marshall sont établis sur une base trimestrielle par les différents États, et transmis à l’ECA par l’entremise de l’OECE.
21Déjà, en 1948, l’Administration de l’aide a diminué, « de sa propre initiative », le chiffre de certaines importations de produits rares et a augmenté celui de certaines autres — notamment en élevant le chiffre, sur proposition du Département de l’Agriculture, des importations européennes de tabac (le programme français de 0,5 million de dollars est ainsi multiplié par quatre). De plus, certains achats, prévus initialement ailleurs qu’aux États-Unis, sont reportés sur le marché américain : ainsi, pour le coton, « l’administration américaine désire faciliter dans toute la mesure du possible nos achats de coton aux États-Unis en interdisant ou en ralentissant nos achats « off shore » »7. En 1949, l’ECA remanie dans le même sens les programmes européens et réduit certaines demandes (pour les métaux non ferreux, les produits pétroliers, le matériel de raffinage). Le Quai d’Orsay voudrait avoir l’assurance que de telles réductions « ne sont pas le résultat de pression, d’intérêts privés américains voulant se réserver les matières premières rares et éviter la concurrence sur un marché étroit »8. Et les services français ne peuvent admettre que l’ECA introduise des produits non demandés (le blé pour la France), ou accroisse la part de certains autres (coton, tabac), afin d’obtenir le soutien au Congrès des représentants des régions productrices. Mais ces interventions intempestives sont amorties par l’OECE, qui donne ses recommandations pour la répartition finale (et annule les importations de blé pour la France) et par la mission Bruce, qui veille à éliminer des réductions nocives9. Les commissions du Congrès tentent ainsi, à plusieurs reprises, d’obtenir le financement de surplus par les dollars Marshall. En juillet 1949, un amendement du sénateur Mac Clellan, adopté par la Commission des Finances du Sénat, oblige l’ECA à financer les surplus déclarés par le Département de l’Agriculture, jusqu’à concurrence de 1,5 milliard de dollars. Henri Bonnet relève cette tendance du Congrès qui, selon lui, « modifie le caractère initial du Plan Marshall »10. Mais Dean Acheson, pour le State Department, et Paul Hoffman, pour l’ECA, parviennent à faire retirer l’amendement : au-delà de l’intérêt immédiat de certains producteurs, ils mesurent l’enjeu économique et politique plus général du Plan Marshall, et perçoivent les « inconvénients politiques » du vote d’un tel amendement, qui « donnerait (...) raison aux communistes qui soutiennent que le Plan Marshall est un instrument égoïste destiné, d’une part, à soutenir l’équilibre économique des États-Unis et, d’autre part, à servir l’expansion dans le monde de l’impérialisme américain »11. Les risques de surproduction directe des produits bruts étaient, en réalité, fort limités pour l’économie américaine, du fait de l’ampleur des besoins mondiaux, et de l’appauvrissement des États européens. Les débats les plus âpres ont bien davantage porté sur les « produits rares », disputés entre Américains et États de l’OECE. Dans le cas de la France, les achats ont porté sur les catégories de produits jugés les plus nécessaires par l’administration française, et inclus dans les programmes d’importation. Seuls, quelques surplus agricoles ont été ajoutés in extremis, lors des votes de renouvellement de l’aide au Congrès : leur volume représente une part limitée pour l’économie française, même s’il n’est pas négligeable pour certains producteurs (les 29 000 tonnes de tabac importées en 1950 ont mobilisé 681 millions de dollars, pas même 0,5 pour cent du total annuel)12.
22En revanche, les contraintes ont été plus fortes, quant aux choix des fournisseurs de ces produits, lorsqu’ils étaient disponibles aux États-Unis : au printemps de 1950, soixante-quatorze pour cent des fonds de l’ECA à la France ont été dépensés pour des importations américaines13. De ce point de vue, l’aide a contribué à resserrer l’éventail des fournisseurs. Mais les achats aberrants du point de vue économique (charbon, blé américains) étaient plus importants en 1947, avant le Plan Marshall qu’en 1949-50, lors de son application : c’est le reflet du relèvement progressif de l’économie française. D’ailleurs, dès 1948, « différents fonctionnaires de l’ECA (...) ont, à plusieurs reprises, souligné la nécessité absolue (...) de prévoir une partie importante (du) programme sous forme d’importations d’équipements, afin que le Plan Marshall ne soit pas considéré comme un programme de secours, mais bien comme un programme de reconstruction »14. Barry Bingham, qui remplace David K. Bruce à la fin d’avril 1949 à la tête de la Mission de l’ECA à Paris, souligne d’ailleurs, l’année suivante, pour la Commission des Affaires étrangères du Sénat, les progrès accomplis dans les importations françaises : « L’aide américaine ne joue plus un rôle de secours, mais contribue à la reconstruction et à la modernisation de l’industrie française »15. Les importations de la zone dollar nécessaires au ravitaillement (fourrages, matières grasses, huile...) ainsi que le charbon, sont réduites à une part négligeable, au profit des machines et équipements, et de certains produits de base indispensables : coton brut, pétrole et métaux non ferreux. La part de la zone dollar dans le total des importations régresse pendant l’application du Plan Marshall et, en 1950, retrouve le pourcentage d’avant guerre. Le mouvement se confirme en 1951-5216 (cf. p. suivante, graphique 16). A l’inverse, les pays de l’OECE autres que ceux appartenant à la zone sterling retrouvent leur niveau d’avant guerre, soit un tiers des importations en provenance de l’étranger.
23Les enjeux commerciaux du Plan Marshall, dès leur énoncé dans le discours de Harvard, procédaient d’une largeur de vue beaucoup plus vaste que la seule recherche de débouchés pour des produits, dont la surproduction était d’ailleurs fort hypothétique à la fin des années quarante.
2. La contre-valeur salvatrice et/ou humiliante ?
24L’année 1949 contraste avec la fin de l’année précédente où — on l’a vue — la « crise française » a incité l’ECA à suspendre les déblocages de contre-valeur.
La préoccupation majeure de l’ECA : la stabilisation monétaire et financière
25Les tuteurs de l’ECA manifestent le souci de voir financer les charges de trésorerie sans inflation, maintenir une fiscalité et un contrôle du crédit rigoureux, et améliorer la balance commerciale par des exportations accrues, dans la perspective de la « viabilité » en 1952.
26Au printemps de 1949, alors que plusieurs en France redoutent une certaine déflation — tel Paul Reynaud, qui en fait part à Truman et à Hoffman, lors d’une visite privée à Washington, à la fin avril — pour les représentants de l’ECA à Paris, le mal français reste la menace inflationniste, alimentée par l’ampleur de la demande civile, aggravée par les besoins militaires : « Problems of deflation (...) are unlikely avise in France in near future. Conditions remain essentially inflationnary. Employment is at high level and labor is still a bottleneck. Drain of military operations in Indochina is added to large current and prospective demands for investment and reconstruction expenditures »17. Pierre Mendès France ne pense pas différemment, à cette même date18. Le dernier déblocage de quarante-cinq milliards de décembre 1948 a été sévèrement critiqué aux États-Unis. Les correspondants en Europe de la presse américaine dénoncent le manque de réel effort pour arrêter l’inflation. Un éditorial du Washington Post évoque : « Le contraste entre l’austérité britannique et l’extravagance française est frappant »19. Cependant, malgré les incertitudes et les menaces issues d’un effort militaire supplémentaire, les responsables américains à Paris se montrent relativement soulagés, en particulier après le vote de la loi des maxima, et le lancement de l’emprunt Petsche. Et, à la fin de janvier 1949, Jefferson Caffery juge la situation plutôt satisfaisante, du point de vue de la stabilisation financière et monétaire20.
Avril-août 1949 : les déblocages mensuels
27Aucun déblocage de contre-valeur n’est accordé pendant la durée des débats au Congrès, jusqu’au vote de l’aide pour l’année 1949-50, le 2 avril 1949. Le Trésor ne peut disposer que de la contre-valeur des prêts (vingt-neuf milliards en février), dont le déblocage n’est pas suspendu à l’accord de l’ECA. Comme l’année précédente, Acheson, Hoffman et Harriman, soutenus par une majorité bipartisane, ont dû affronter l’obstruction d’une minorité isolationniste, conduite par les sénateurs Taft, Russell et Wherry, qui ont tenté, en vain, de réduire de dix pour cent les chiffres proposés, afin d’alléger la pression fiscale21. Le surlendemain, David Bruce, tout en affirmant à Hoffman que « la situation française connaît un équilibre fragile », conseille d’accepter un déblocage de vingt-cinq milliards de francs pour avril. Il considère que, même si la politique française n’est pas entièrement satisfaisante (notamment à cause d’un contrôle jugé insuffisant du crédit et de la fraude fiscale), et si l’équilibre budgétaire pour 1949 est incertain sans nouvelles mesures, l’ECA doit « continuer à soutenir une politique qui (...) est la plus saine que ce pays ait adoptée en une décennie. Aussi longtemps que l’administration Queuille manifeste la volonté de s’attaquer aux difficultés, elle mérite toute l’assistance que nous pouvons lui apporter. Refuser la contre-valeur créerait une crise gouvernementale. Outre la dégradation économique qui s’ensuivrait, je ne crois pas qu’en ce moment aucun autre gouvernement pourrait faire mieux et je doute sérieusement qu’il aurait le courage de faire autant d’efforts »22. David Bruce, devenu ambassadeur de France le 9 mai, maintient une opinion favorable à l’égard de Henri Queuille, auquel il parle du prestige qu’il a acquis auprès des Américains23. Barry Bingham — propriétaire du Louisville Courrier et « démocrate conservateur » (Armand Bérard) — qui le remplace à la tête de la mission de l’ECA à Paris, adopte une attitude analogue24. Vingt-cinq milliards sont encore débloqués en mai, afin de financer des projets d’investissements de l’industrie privée. Bingham soutient la politique de stabilisation de Maurice Petsche, rendue plus difficile par des dépenses imprévues pour l’Indochine et le déficit de la SNCF. À ses yeux, le mérite du ministre des Finances est d’autant plus grand qu’il fait supporter la charge fiscale des dépenses par les couches sociales dont il tire son soutien politique25. Les déblocages mensuels se succèdent d’avril à septembre, pour un total de 226 milliards de francs, soit plus des trois quarts des crédits d’investissements pour 194926. À la fin de juin, Bingham se félicite même de la proposition française — qu’il fait accepter — d’affecter vingt milliards de contre-valeur à la réduction de la dette publique : « Ainsi, (...) les objectifs du Programme de Relèvement Européen sont en voie de réalisation »27. Au début du mois d’août, Bingham répond favorablement à une démarche de Queuille, réclamant un déblocage de trente milliards pour financer les dépenses de reconstruction et d’équipement des mois d’août à octobre, à condition qu’il n’y ait pas de modification dans la « politique proclamée par le gouvernement français de couvrir toutes les dépenses publiques par des ressources non inflationnistes »28. Dans sa lettre, le chef du gouvernement français s’est engagé à continuer ses efforts en vue d’assurer la « stabilisation intérieure et de promouvoir la libéralisation du commerce extérieur et des paiements »29. Henri Queuille et Maurice Petsche font valoir qu’ils s’attachent à s’engager dans une politique de libéralisation — préoccupation désormais aussi importante pour les hommes de l’ECA que la stabilisation financière et monétaire — bien qu’elle soit « impopulaire au sein du peuple français »30. Mais, à la fin du mois d’août, l’administration française reconnaît « que le programme de stabilisation est en sérieux danger »31. La trésorerie connaît des difficultés, et Bingham confie à Hoffman que la pression sur les prix et les indications du marché de l’or et des devises révèlent les limites de l’efficacité gouvernementale à contenir la pression inflationniste32.
La force du faible : le chantage à la crise gouvernementale
28Comme l’année précédente, l’automne vient assombrir l’embellie du printemps.
29La dévaluation surprise de la livre sterling, le 15 septembre, s’ajoute encore pour perturber la politique de stabilisation. Henri Queuille se plaint auprès de David Bruce du « manque complet de loyauté » à l’égard de la France, écartée de la conférence monétaire tripartite (Canada, Etats-Unis, Royaume-Uni), et dont le gouvernement a été informé de « manière cavalière », à l’ultime minute33. Au même moment, l’ECA demande à Bingham de faire pression afin d’obtenir des dépenses supérieures, à partir des fonds de contre-valeur, pour accroître la production agricole — dans la perspective de susciter l’espoir de stimuler l’investissement privé — et de financer des projets d’accroissement de productivité34. La réponse de Bingham est significative de l’état des relations nouées entre la mission de l’ECA et le gouvernement français. Il préconise de « trouver, ou de créer par la persuasion, des groupes influents dans le gouvernement français qui veulent voir institué un type de programme agricole comme celui auquel nous pensons, et de travailler avec eux jusqu’à sa réalisation ». Il ajoute que cette méthode, faite de persuasion, « a été le secret du succès de la Mission pour influencer les Français sur des questions telles que le contrôle du crédit, le financement non-inflationniste et la libération du commerce »35. En octobre, la crise gouvernementale, née du désaccord entre Henri Queuille et les ministres socialistes sur la politique des salaires, incite l’ECA à la prudence.
30Peu après la constitution du gouvernement Bidault, le 28 octobre, Bingham juge la situation de la trésorerie trop précaire pour consentir un nouveau déblocage. À la fin de novembre, Maurice Petsche, demeuré rue de Rivoli, sollicite une rencontre avec Bruce, Harriman et Bingham, au cours de laquelle il leur présente « un émouvant appel, insistant sur la nécessité de poursuivre le déblocage de contre-valeur en 1949 »36. Il exerce sur eux le chantage de l’élévation du plafond des avances de la Banque de France et affirme ne pouvoir attendre, sans un miracle, au-delà du 5 décembre. De plus, le refus américain, en regard avec les bons résultats de sa gestion en 1949, « serait interprété comme un manque de confiance de la part des États-Unis et conduirait à des difficultés presque insurmontables dans l’actuel gouvernement français »37. Les trois responsables américains répondent que « leur principale préoccupation (est) la menace d’une nouvelle inflation des prix en France », et poussent le ministre à entreprendre deux séries de mesures : le renforcement du contrôle du crédit, et une plus rapide introduction de la concurrence étrangère par des importations accrues. À défaut du retour à la stabilité, l’ECA ne peut accepter de débloquer la contre-valeur pour les dépenses de 1950. Ils confient toutefois à Hoffman qu’ils inclinent à penser, comme Maurice Petsche, qu’un refus serait interprété comme une action injustement punitive, et ferait davantage de mal que de bien38. Le 6 décembre, William Foster, l’adjoint de Hoffman à Washington, accepte de débloquer trente-sept milliards de contre-valeur, « en dépit de l’insatisfaction à l’égard de la politique française vis-à-vis de ses engagements de lutter contre un financement inflationniste » ; mais le refus « n’apporterait aucune amélioration pour la politique monétaire de la France durant les mois à venir et des répercussions politiques défavorables (...) l’emporteraient sur les avantages éventuels »39. Mais sont rappelés les engagements en faveur d’un financement non inflationniste des dépenses publiques, d’un maintien des contrôles du crédit, et d’une libération progressive des échanges et des paiements. D’autre part, la Mission de l’ECA est chargée d’avertir le gouvernement français qu’elle ne se sent pas engagée par le chiffre de 250 milliards de francs de contre-valeur qui « apparaît sans réserves dans toutes les versions du budget pour 1950 »40.
« Une arme délicate et fragile »
31À l’issue de cette année 1949 — où les fonds de contre-valeur (263 milliards de francs de dons, et 46,4 milliards de prêts) ont financé près des trois quarts des versements du FME et vingt pour cent de ceux de la CAREC — l’ECA de Washington se livre, pour la Mission de Paris, à une réflexion sur l’efficacité de son contrôle sur les déblocages : « Nous avons toujours reconnu qu’un tel contrôle constituait une arme délicate et fragile et que son efficacité était limitée par la plus ou moins grande répugnance du gouvernement français à solliciter l’élévation du plafond de la Banque de France ou à recourir à d’autres moyens de financement en cas de refus de déblocage de la contre-valeur »41. Il est vrai que, du côté français, les négociations mensuelles ont pu être ressenties, dans leur forme, comme une « tutelle déplaisante », impliquant des justifications permanentes d’orthodoxie à l’égard des principes monétaires, financiers et commerciaux de l’OECE. Mais, dans leur contenu, les déblocages ont porté sur des projets d’équipement du Plan, retenus par le gouvernement français et approuvés par le Parlement : le SGCI est chargé de définir avec la Mission de l’ECA une liste d’éligibilité, contenant les projets à financer par la contre-valeur. Il fait appel aux ministères techniques et au Plan pour constituer des dossiers détaillés sur chacun des projets : la direction de la Coordination industrielle du ministère de l’Industrie assure la préparation des grands projets industriels42.
Les « dividendes du Plan Marshall »
32Une exception toutefois : la « recherche de matières premières » dans les territoires d’Outre-Mer. Elle résulte — on s’en souvient — des engagements pris dans l’accord bilatéral. William Tomlinson a obtenu que, dans les deux derniers déblocages de novembre-décembre 1948, dix milliards (sur quarante-cinq) y soient consacrés. Les fonds ont été employés en 1949, par l’entremise du FME. Cette initiative coïncide avec la mission conduite en Europe par Even Just, Directeur de la Division des produits stratégiques à l’ECA. En fait, l’intérêt américain se porte surtout sur les ressources de l’Empire britannique. L’objectif apparaît autant économique — accroître les stocks aux États-Unis et pénétrer les empires coloniaux — que politique : manifester clairement à l’opinion américaine et au Congrès les avantages matériels retirés d’une aide, jugée trop unilatérale dans les milieux isolationnistes. Ainsi, lors de l’arrivée à New York, en octobre 1948, de la première cargaison de « produits stratégiques » négociée par la mission Just — il s’agit de 1 000 tonnes de caoutchouc britannique — le New York Times ne manque pas de célébrer bruyamment « le premier dividende du Plan Marshall »43.
33On a vu que les principaux ministres français n’étaient pas hostiles, par principe, à la participation américaine à la mise en valeur des TOM — sous réserve de quelques précautions — afin de pallier l’insuffisance notoire des moyens de financement44. Quoiqu’il en soit, les responsables américains ne renouvellent pas leur pression après décembre 1948 pour des déblocages de « matériaux stratégiques ». Les dix milliards ne sont pas accrus par la suite : ils sont dépensés pour l’essentiel en 1949 (9,486 milliards de francs), les reliquats sont débloqués en 1950 (334 millions) et 1951 (200 millions). Le détail des opérations souligne le poids de l’Afrique du Nord, du programme routier africain et de la société Le Nickel en Nouvelle-Calédonie45.
34Le quasi-arrêt des déblocages après 1949 résulte, pour une grande part, des déceptions américaines. Une note de Bingham à Hoffman, à la fin de 1949, souligne les grandes difficultés pour rendre l’aide américaine efficace dans les TOM, inhérentes, selon lui, « à des régions où les communications sont mauvaises, les travailleurs non qualifiés, le développement économique primitif, et la machine administrative pas très élaborée »46.
Pour 1950 : rationaliser les déblocages
35À l’aube de l’année 1950, les services de l’ECA ne se montrent pas satisfaits de la procédure, employée en 1949, des déblocages mensuels : « Monthy releases tend to weaken our bargaining position and are particularly susceptible to incomplete review of situation and exchange of promises which cannot be or are not realized »47. L’ECA Washington comme la Mission de Paris préfèrent une négociation globale sur la liste d’éligibilité pour 1950, comportant des « engagements précis » (« precise commitments ») du gouvernement français sur le maintien ou la réalisation de la stabilité financière et sur d’autres objectifs48.
36Pour 1950, ils constatent les progrès réalisés en matière de recettes dans le budget qui, cependant, « laisse la porte ouverte à un financement inflationniste du déficit » ; ils reconnaissent qu’« il est probablement impossible pour des raisons tactiques d’obtenir des économies budgétaires supplémentaires en ce moment (...) mais il sera sans doute nécessaire d’exercer de fortes pressions sur le gouvernement pour qu’il demeure sous les plafonds actuels »49. Et l’adoption d’une nouvelle loi des maxima pour 1950 doit être une condition préalable à tout déblocage de contre-valeur en 1950. Ainsi, la rationalisation de la procédure budgétaire apparaît aussi comme une exigence de Washington. Les responsables de l’aide Marshall attendent des autorités françaises que, en 1950, elles mènent une politique de restriction du crédit. Mais surtout, ils comptent faire dépendre le déblocage de contre-valeur d’une réelle politique de libération des échanges extérieurs et de lutte contre les pratiques de limitation de la concurrence (« restrictive business practises »), qui menacent la stabilité des prix. Parce qu’ils en espèrent un moindre harcèlement, les services français préfèrent également négocier l’affectation globale des fonds de contre-valeur pour 1950, à partir des projets approuvés par le Parlement50.
37Les négociations n’aboutissent qu’à la fin du mois d’avril 1950 : une première avance de vingt milliards de francs est toutefois accordée en janvier, puis une seconde en février51. À la fin du mois de février 1950, Barry Bingham présente devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat les résultats français. Pour lui, « la conséquence la plus marquante de l’aide Marshall pendant ces deux dernières années a été de juguler l’inquiétante tendance inflationniste »52. Il se félicite notamment de l’accroissement des rentrées fiscales (estimées à trente pour cent de la production nationale), de la compression des crédits bancaires, de la limitation des dépenses publiques, ainsi que du refus du gouvernement Queuille d’augmenter le pouvoir d’achat. Mais il déplore la part trop réduite des investissements consacrée à la Reconstruction immobilière — estimée à vingt-deux pour cent du total — la productivité encore trop faible, et le déficit commercial trop élevé avec la zone dollar (sans parler des efforts insuffisants en matière d’intégration européenne, sur laquelle on reviendra) : « Il faut que la France produise davantage et à meilleur compte pour améliorer le niveau de vie de l’ouvrier et avoir de quoi payer les importations essentielles »53.
La politique des « secteurs critiques »
38L’ECA manifeste son intention d’intervenir de manière plus précise sur l’affectation des fonds de contre-valeur en réservant vingt milliards de francs — soit un peu moins de dix pour cent du montant total escompté, mais plus de dix pour cent du montant réel — à certains « secteurs critiques » (« critical sectors »). Foster, au nom de l’ECA Washington, précise pour Bingham que cette démarche ne modifie pas les relations franco-américaines antérieures. Cependant, les tuteurs jusqu’à présent se préoccupaient davantage de la politique monétaire et financière. Désormais, la réalisation de la stabilisation financière les incite à s’intéresser davantage au contenu économique des programmes d’investissements54. Tout en reconnaissant que l’approbation ultime et globale appartient au Parlement, les responsables de l’ECA se réservent la possibilité de négocier certains changements, jugés désirables. Ils justifient ces interventions par l’exemple d’autres pays de l’OECE, où leur approbation des déblocages s’est exprimée sur l’examen détaillé de chaque projet. Le Plan Monnet a, dans une certaine mesure, préservé la France de cette enquête systématique puisque, à l’exception des « produits stratégiques », les programmes financés étaient ceux du Plan. L’ECA souhaite notamment financer, sur les vingt milliards réservés, des programmes en faveur des logements bon marché, de la productivité, du tourisme, de l’agriculture55.
39Maurice Petsche se rebiffe dans un premier temps, et rétorque que l’ensemble des projets déjà approuvés sont trop avancés pour être réduits, argument qui ne convainc pas l’ECA56. Les responsables de Washington pensent que l’opposition de Petsche pour de tels projets résulte de son conservatisme social, et de sa polarisation sur la stabilité financière : « It seems probable that Petsche’s opposition may result in part from lack of sympathy with our support of welfare and other measures identified with other political and social groups, as well as from his predominant concern with financial stability »57. La Mission de Paris est d’ailleurs incitée par Washington à s’assurer le concours des « responsables du Plan Monnet ou des syndicats ouvriers non communistes »58. Une telle orientation converge avec la politique de soutien plus ou moins appuyé à l’équipe de Monnet, d’une part, et à la gauche non communiste, d’autre part. D’ailleurs, à la mort de Léon Blum, le 30 mars 1950, l’ambassadeur David Bruce présente à Dean Acheson l’événement comme « un sérieux coup pour les relations franco-américaines, parce qu’aucun autre dirigeant de la gauche anticommuniste en France n’entretient des relations d’une nature aussi proche qu’il ne le faisait »59. L’ECA tient toutefois à signaler à sa mission parisienne qu’elle n’agit pas par seul souci d’une certaine popularité politique, en défendant les « secteurs critiques » : « ECA support of workers’housing, cushioning of unemployment, productivity, agricultural investment, etc. is not based on desire for political popularity but on conviction that these measures would encourage social stability and promote economic recovery along lines essential to realization of ERP objectives in France »60. L’ECA-Washington, l’ECA-Paris et Bruce redoutent que la croissance et la politique de stabilisation de Queuille-Petsche ne s’accompagnent pas d’une amélioration assez sensible du niveau de vie, ce qui, à leurs yeux, risque de renforcer les critiques du PC. Et Bingham signale à Hoffman, à la fin d’août 1949, le fait que « le gouvernement [Queuille] puisse sous-estimer la gravité du mécontentement ouvrier »61. Les négociations sur les « secteurs critiques » s’avèrent délicates. Le gouvernement français, pour prix de l’insertion de certains programmes, peut obtenir un déblocage global qui évitera les éprouvantes sollicitations mensuelles de l’année précédente. D’autre part, les « secteurs critiques » correspondent, en partie, aux nouvelles priorités, ajoutées dans les dernières versions (celles de 1948 et de 1949) du Plan, et, en particulier, au souci de rattraper le retard de la construction immobilière.
40L’accord intervient le 26 avril : Maurice Petsche obtient un déblocage de trente-deux milliards pour avril (ce qui porte le total du trimestre à plus de soixante-dix milliards), et l’assurance d’un autre déblocage de soixante-dix milliards en juin62. Au total, sur les vingt milliards réservés, douze sont affectés à la construction de HLM et 1,4 à la reconstruction d’hôpitaux, d’écoles et d’hôtels, le reste venant gonfler divers postes, dont l’agriculture. À la fin de l’année, les services français — qui escomptent encore 230 milliards de francs de contre-valeur en juin — comptabilisent les fonds de contre-valeur pour 181 milliards seulement : l’ECA a ainsi pesé sur le choix d’environ onze pour cent du total. Mais l’habitude était prise et allait porter sur des chiffres supérieurs en 1950-51.
3. La contre-valeur au service de la productivité : l’invitation au voyage
41On se souvient que le rapport de la Commission de la Main-d’œuvre du Plan Monnet (présidée par le dirigeant communiste de la CGT, André Tollet) a préconisé, à l’automne de 1946, l’accroissement de la productivité, en particulier grâce à un programme de formation professionnelle, et sous réserve de l’assurance que « toute augmentation de productivité se traduira par un accroissement réel du niveau de vie ». Ainsi, se trouvaient jetées les bases d’un large compromis social — incluant alors les communistes — autour de la croissance. Mais avec la « plaie ouverte » par la rupture de 1947, le thème de la productivité prend un tour nettement « atlantique ».
La campagne pour la rationalisation au MEN : le fantôme de Jean Coutrot
42Outre les travaux de la sous-commission de la Commission de la Modernisation de la Main-d’œuvre, d’autres initiatives de l’Administration soulignent l’intérêt pour la productivité.
43Le MEN reprend les travaux et les contacts que Jean Coutrot a jadis établis (entre 1936 et 1940) au COST, avec le CNOF (Jean Chevalier), l’AFNOR (Ernest Lhoste), la CEGOS (Albert Caquot, Noël Pouderoux), le Commissariat à la Normalisation (P. Salmon). Un conseiller technique de l’Économie nationale participe au groupe de travail sur la productivité. En 1946, la direction du Plan organise des conférences de liaison, afin surtout de diffuser la propagande productiviste. Le 17 juin 1947, une conférence est présidée par André Philip, qui lance une campagne d’information, et avance l’idée d’un Comité français de Rationalisation, à composition quadripartite (Administration, professions, organismes publics et privés de rationalisation, organismes d’information et de publicité). Puis, c’est la direction des Programmes qui, au MEN, est chargée d’assurer la coordination de la campagne de diffusion sur « l’organisation rationnelle ». En janvier 1948, une note détaille les thèmes développés par le secrétaire d’État à l’Économie nationale, lors d’une réunion de coordination. L’orientation reprend largement les thèmes de Jean Coutrot. Il s’agit de justifier « la référence américaine », où rendements et salaires réels sont quatre à cinq fois supérieurs à ceux de la France. La cause doit en être cherchée dans « l’étendue des marchés » et dans « l’organisation rationnelle des entreprises »63. Ainsi, « la rationalisation conditionne le relèvement de la productivité à long comme à court terme »64. Le rôle de l’information, avec la participation du CNOF, de la CEGOS, est nécessaire pour créer un « choc psychologique » et « gagner les couches profondes du pays à la cause de l’organisation »65. Quatre objectifs sont définis. Ils reprennent les principales perspectives de l’Humanisme économique et du COST. Tout d’abord, la normalisation66. Ensuite, la rationalisation des industries, mais conçue d’une manière « très différente » de celle des Comités d’organisation, qui « ont laissé un mauvais souvenir ». Il ne s’agit pas d’« administrer la pénurie », ni d’opérer une concentration brutale, malgré la « dispersion de l’industrie » : « Ne pas chercher à faire disparaître les petites et moyennes entreprises, facteur de stabilité sociale, mais les coordonner en les amenant à se spécialiser et à s’intégrer à des chaînes industrielles comme aux États-Unis »67. Troisième orientation : l’« organisation des marchés », sous le signe d’une économie concurrentielle. Il importe d’éviter que « le corporatisme malthusien s’insinue derrière la façade d’ententes de rationalisation »68. Enfin, faciliter de nouvelles relations sur le marché du travail. L’Économie nationale pense ainsi, après les années de pénurie, « sous le signe de l’économie concurrentielle renaissante inaugurer une forme souple et décentralisée de planisme (...) L’organisation scientifique apporterait ainsi la recette de cette économie orientée, dont il fut question avant la guerre, mais que l’on ne parvenait pas à définir, parce qu’il lui manquait son objectif et sa méthode : la conquête du bien-être par l’économie des moyens »69.
Jean Monnet et la productivité
44L’Économie nationale, une fois de plus, traçait des orientations macro- et micro-économiques démesurément ambitieuses, par rapport à ses faibles moyens.
45Pendant ce temps, Jean Monnet, en contact avec les responsables américains, souhaite garder la haute main sur les questions de productivité. A l’automne de 1948, le Commissaire au Plan s’entretient avec des membres de la Mission de l’ECA à Paris, Meyers et Jolis, chargés d’améliorer la productivité du travail en France70. L’ECA souhaite la constitution d’un Comité franco-américain de la Productivité, sur le modèle du Comité anglo-américain existant (avec la participation de représentants du monde administratif et des affaires privées). Jean Monnet décide, en accord avec Hervé Alphand et le Quai d’Orsay, la constitution au Plan d’un groupe de travail, animé par Jean Fourastié, où représentants du patronat et des salariés sont chargés d’élaborer un programme d’action immédiate. Ce groupe de travail, purement national, fonctionne selon un régime différent du Comité britannique, « en raison des circonstances existantes en France »71. Dès le vote du Plan Marshall, J.-M. Silberman, Chef du service de la Productivité au Département du Travail, mène une enquête dans des entreprises en Angleterre et en France (où il reste deux mois), et suggère, dès l’été 1948, une direction technique, composée de représentants américains et européens, et chargée d’organiser des missions d’information aux États-Unis, la diffusion des pratiques et produits américains en Europe, et des rencontres entre ingénieurs et techniciens72. Le Royaume-Uni fait rapidement figure de référence : il s’y crée un Comité anglo-américain de Productivité (avec des représentants de l’Administration et des affaires privées). Assez vite, des missions sont organisées, en partie financées par les dollars de l’aide Marshall73. La présence d’Américains est justifiée, auprès de services français, comme un moyen de « résoudre les difficultés provoquées en Grande-Bretagne par la réticence des industriels à passer par l’entremise des organismes d’un gouvernement travailliste »74. Mais les services français (CGP, SGCI, Quai d’Orsay, MEN) sont unanimes à rejeter la solution mixte à la britannique, en particulier à cause du choix des participants aux missions. Pierre Grimanelli souligne trois ans plus tard — alors que la question rebondit — les « inconvénients psychologiques » d’un comité mixte : « Nos amis américains ne se rendent pas un compte exact des difficultés de ce genre d’opérations (...) (et) ne discernent pas les dangers de leur intrusion officielle dans le domaine complexe du choix des personnes »75. A l’automne de 1948, en France, la crise financière et socio-politique procure un double intérêt pour la campagne en faveur de la productivité. Elle pourrait, à terme, permettre d’économiser et de rentabiliser les investissements, menacés par la politique de stabilisation76. Elle devrait fournir des objectifs communs aux chefs d’entreprises, à la maîtrise et aux salariés, et détourner ainsi les ouvriers de l’influence de la CGT. En janvier 1949, Jean Monnet, en présentant l’état d’avancement du Plan pour la Commission du Relèvement européen de l’Assemblée nationale, insiste sur l’accroissement de la productivité, « question essentielle »77. Il rappelle qu’il est nécessaire d’accroître la production de trente pour cent d’ici 1952, en particulier pour exporter et assurer la « viabilité ». Rapportant les propos de J. M. Silberman, il ajoute : « Les entreprises américaines et l’ouvrier américain (...) sont dans un état d’esprit qui fait qu’ils sont constamment prêts à apporter une modification de détail à leurs procédés. C’est le contraire de la psychologie française selon laquelle il ne faut rien changer alors que la productivité implique un changement constant (...) il y a toute une éducation à faire des ouvriers, des ingénieurs et des patrons. Ce n’est pas par quelques voyages que nous changerons, c’est par un effort national »78. En outre, David Bruce presse les Français d’organiser des structures, afin de bénéficier de dollars, comme les Britanniques. Le 5 mai 1949, un Comité provisoire de la Productivité est créé, sous la présidence de Jean Monnet. Il s’occupe à la fois de la documentation, de la diffusion et des missions. Son rôle est de « mettre au point un programme pour rattraper le retard technique, accumulé au cours des dernières années, soutenir la concurrence internationale, rétablir l’équilibre convenable prix-salaires »79. Outre dix membres de l’Administration, on y trouve quinze représentants du CNPF, de la CGC, de la CGT-FO et de la CFTC80.
46Devenu Comité national de la Productivité en mars 1950, son secrétariat général est assuré par la direction des Programmes de l’Économie nationale. Sous son contrôle, l’Association française pour l’Accroissement de la Productivité (AFAP), fondée en février 1950, dispose d’une subvention de 93,5 millions de francs sur le budget des Affaires économiques, et doit réaliser le programme, et notamment les missions d’études aux États-Unis81. Les dépenses sont partagées entre les Gouvernements américains et français : mais la part française provient de la contre-valeur en francs de l’aide Marshall. Une note du 6 mai 1950 signale toutefois qu’on ne saurait lier cette action à l’existence de l’aide américaine, et qu’il conviendrait d’en affirmer le caractère permanent82. Le 18 août 1949, la première mission est organisée pour dix-sept techniciens de l’électricité, suivie par quatre missions de branches industrielles et d’une mission agricole83. Leur objet consiste à la fois à étudier les équipements techniques, l’organisation des services, les relations dans l’entreprise. Conformément à un protocole de septembre 1949, l’équipe de la mission est tripartite : le voyage et le rapport s’effectuent en commun. Selon la direction des Programmes, « l’application de cette méthode concourt efficacement à la politique de rapprochement et de meilleure compréhension des différentes catégories sociales, qui constitue l’un des objectifs essentiels de la politique d’accroissement de la productivité »84. Une limite toutefois dans le protocole : seuls les salariés de l’entreprise choisis par l’organisation patronale peuvent appartenir à la mission. Cette clause « permet éventuellement l’élimination de militants syndicalistes fort valables »85.
47La politique de productivité ne repose pas seulement sur des préoccupations techniques ou économiques, mais aussi socio-politiques. Réconcilier les salariés avec l’entreprise est d’autant plus nécessaire que la CGT accentue sa politique de refus et de dénonciation du plan Marshall. P.-O. Lapie, président de la Commission du Relèvement européen à l’Assemblée, a mis en garde Jean Monnet sur les illusions quant à la rapidité des résultats, du fait de la lenteur des « transformations psychologiques », et des « coutumes professionnelles qui, en France, ont une très grande puissance, ce qui n’existe pas en Amérique ». Rappelant même les grèves de Renault de 1909, lors de l’introduction du travail à la chaîne, il insiste sur le fait que les méthodes soient « acceptées », pour que les ouvriers puissent les appliquer86.
La productivité au service de la convergence sociale
48En décembre, il est décidé de lancer une campagne d’information et de propagande — sous la responsabilité du CGP, des Affaires économiques et d’organes d’information — sur le thème : « Produire mieux pour mieux vivre — Réalisations françaises »87. Un article, signé par J. Dayre, et intitulé « Qu’est-ce que la productivité ? Que peut-elle apporter aux travailleurs français ? », fait le point sur les objectifs de cette campagne. L’auteur annonce : « Le mot est à la mode. On le prononce en 1950 avec le même espoir que le mot « production » en 1945 »88. Comme Jean Coutrot en son temps, il tient à opposer accroissement de la productivité et « sweating System », identifie l’amélioration de la productivité au plus grand service contre le moindre effort : « L’expérience montre que le jeu de la concurrence finit toujours par résorber les profits non gagnés. En définitive, ce sont les travailleurs qui bénéficient des progrès de l’industrie. Les pays à haute productivité sont aussi les pays qui paient le mieux leurs ouvriers »89. Reprenant des calculs chers à Jean Fourastié, il signale qu’aux États-Unis le rendement du travail est deux à cinq fois supérieur et le pouvoir d’achat ouvrier trois fois supérieur à ceux de la France. En multipliant, comme il l’affirme possible, la productivité par deux en quelques années, la solution peut être trouvée au problème prix-salaires, « en améliorant le sort des uns sans être obligé de donner moins aux autres pour cela »90. La productivité est, près de quinze ans après 1936, de nouveau présentée comme le moyen de faire l’économie — dans toutes les acceptions — des antagonismes dans l’entreprise, et de dériver le syndicalisme ouvrier vers la concertation : « L’action pour la productivité que le gouvernement s’apprête à engager avec le concours des organisations de travailleurs, offre au syndicalisme français une occasion inédite d’affirmer son originalité et sa force créatrice »91. Cependant, en 1949, les statistiques fournies à l’OECE, montrent que, dans la plupart des branches, la productivité a à peine rejoint son niveau de 193892. A l’été de 1950, le programme d’« assistance technique » en est à ses débuts. Les responsables français savent que sa portée ne peut être mesurée dans le court terme. En outre, sa réussite dépend d’une convergence de vues avec les responsables de l’ECA et d’un bon accueil des partenaires sociaux en France. Or, la situation va se compliquer après l’été 1950.
4. Un consensus sur les postulats de Harvard
Le Plan Marshall, « arme principale de la guerre froide »
49D’un point de vue très général, responsables français et américains communient dans le respect des termes du discours de Harvard. L’approfondissement de la guerre froide a renforcé la conviction que les résultats économiques et financiers attendus de l’aide Marshall constituent la meilleure consolidation du camp occidental.
50À l’hiver 1948-49, plusieurs échos convergent dans ce sens. Henri Bonnet indique à Robert Schuman, le 6 janvier 1949 : « L’ERP est de plus en plus considéré dans ce pays comme l’arme principale de la guerre froide contre l’influence soviétique et de l’idéologie communiste en Europe »93. Devant les commissions réunies (Sénat, Chambre) des Affaires étrangères, Paul Hoffman et Dean Acheson « ont fait ressortir avec insistance que l’aide américaine par les espoirs qu’elle avait aussitôt suscités et les résultats déjà obtenus avait réussi à enrayer l’avance communiste en dépit des tentatives nombreuses et répétées pour faire échec au Plan Marshall »94. Le secrétaire d’État a ajouté que le but poursuivi par les États-Unis n’était pas seulement matériel, mais consistait à rechercher « grâce au retour d’un niveau de vie décent (...) l’attachement des peuples européens aux libertés démocratiques »95. Peu avant, le gouvernement français a envisagé l’éventualité d’une dissolution du PC, à la suite des grèves d’octobre 1948. Il l’a rejetée comme une « manœuvre maladroite et inopportune, une erreur de tactique »96. D’après le secrétaire général du gouvernement, les ministres considèrent que « les conditions de vie difficiles d’une grande partie de la population (...) créent un climat propice à l’agitation et que les communistes exploitent au maximum ». Il conclut : « Tout progrès réalisé dans la voie du redressement économique est donc, en définitive, contre le communisme, une arme plus sûre que des textes répressifs »97.
La France, « principal pion » de l’URSS
51Or, l’importance politique et stratégique internationale de la France excède son poids économique réel, et justifie une aide financière comparativement élevée (au second rang, juste derrière le Royaume-Uni).
52Au début de 1949, David Bruce, tout en justifiant le déblocage de fonds de contre-valeur, après avoir analysé la stratégie du PCF, précise, pour Paul Hoffman : « Ainsi il est clair que la France est aujourd’hui le principal pion que l’Union Soviétique a l’intention de jouer en Europe occidentale »98. Et le New York Times du 9 janvier 1949 affirme que, sans le Plan Marshall, « l’on peut raisonnablement penser que la France aurait été soumise soit directement, soit au moyen d’un gouvernement de Front populaire, à la domination communiste ou livrée à la guerre civile. Or, sans la France, toute la partie du continent européen située à l’est de l’Angleterre aurait été condamnée »99. Les termes sont assez proches dans les discours publics et les échanges confidentiels. Le raisonnement ne change guère, jusqu’aux premiers coups de feu de la guerre de Corée.
53Même le vote, le 6 octobre 1949, de la loi d’Aide pour la Défense mutuelle (MDAP) — dans la perspective du réarmement de l’OTAN, créée six mois auparavant — ne modifie pas, dans les premiers temps, les grandes lignes de la politique de Washington à l’égard de l’Europe, prioritairement tournée vers la reconstruction économique et le développement commercial. David Bruce l’exprime clairement à Dean Acheson, en mars 1950 : « US retains primary emphasis on economic reconstruction and development commercial exchanges in Europe and MDAP in no way modifies or contradicts this priority »100.
54L’histoire « froide » — à travers les statistiques — comme l’histoire « chaude » se rejoignent sur ce point : l’ECA a défendu l’idée que la meilleure utilisation des dollars Marshall et des francs de contre-valeur était encore de contribuer à la réalisation du Plan Monnet, pour peu que des augmentations du prélèvement fiscal et une rigoureuse politique de crédit écartent les risques de dérapage inflationniste. Les débats, parfois âpres, avec les autorités françaises n’infirment pas cette analyse, et ont porté sur des modalités d’application, non sur les finalités. Mieux, en certaines occasions décisives — comme à la fin de 1948 — la Mission de l’ECA est venue soutenir Jean Monnet face aux velléités déflationnistes. Le Plan Monnet a été, pour le meilleur et pour le pire, inextricablement (parce que financièrement, commercialement et technologiquement) lié au Plan Marshall. Et quant aux hommes, des vues assez proches étaient partagées entre l’ECA et la rue de Martignac.
Les réserves de Guillaume Guindey
55A posteriori, aucun responsable français n’a mis en doute l’usage qui fut ainsi fait de la contre-valeur. François Bloch-Lainé, vingt-cinq ans plus tard, résume la question ainsi : « Cet usage était (...) critiquable du point de vue théorique. Mais, dans la pratique, il nous a sauvés »101. Cependant, à l’époque, plusieurs inspecteurs des Finances de la rue de Rivoli — et non des moindres — se montrent fort réservés sur cet usage.
56Guillaume Guindey, directeur des Finances extérieures, l’un des hauts fonctionnaires les plus écoutés aux Finances, transmet, à la mi-janvier de 1949, une note de dix-sept pages à Henri Queuille, afin d’apporter — ce sont ses termes — sa « contribution à la définition d’une politique économique et financière »102. Selon lui, l’« élément le plus préoccupant » de la situation française est le déficit de la balance des comptes, et, surtout, la « tendance profondément décourageante » des exportations, qui « (nous) place dans un état de dépendance totale à l’égard des États-Unis et de dépendance relative à l’égard de certains voisins en Europe ». La solution britannique — « limiter la consommation par rationnement et rendre obligatoires les exportations par répartition autoritaire » — est cohérente, mais inapplicable en France. Depuis le gouvernement Schuman-Mayer et la « politique de retour progressif au jeu des mécanismes économiques naturels », le système de contrôle à la manière anglaise est impossible, car il n’existe « ni les conditions politiques, ni le climat psychologique, ni l’armature administrative nécessaire à sa mise en œuvre ». Or, selon lui, les deux ministères techniques (Industrie et Commerce ; Agriculture) sont davantage soucieux de l’approvisionnement du marché intérieur, que de l’équilibre de la balance des comptes. Et le CGP, qui est devenu favorable aux exportations en 1948 — sauf dans le cas de l’acier où les préoccupations de l’équipement national sont prioritaires — « a toujours annoncé et continue d’annoncer que le retour de la France à la viabilité s’accompagnera d’une amélioration du niveau de vie de la population par rapport au niveau actuel. Cette idée (me) paraît inexacte et sa publication dangereuse ». Or, le ministère des Finances, bien que responsable de la monnaie et de la balance des comptes, n’aurait « d’autorité sur aucun de ces trois organismes ».
Pour une « politique déclarée d’austérité »
57Reprenant des conclusions de la DREE et de Jean Filippi, le directeur des Finances extérieures suggère, pour accroître les exportations, une « limitation plus grande de la demande sur le marché intérieur ». Il propose d’arrêter la hausse nominale des salaires — considérant le niveau de vie moyen d’alors comme « acceptable » — et d’accroître la durée du travail, afin de consacrer entièrement la progression du Revenu national à augmenter les exportations. A défaut de couvrir la totalité des dépenses publiques par l’impôt et d’appliquer la politique britannique, il conseille de recréer l’épargne à long terme, grâce notamment à « une réforme profonde de la nationalisation », et à l’adoption de l’amnistie pour l’impôt de solidarité (afin d’arrêter le détournement de l’épargne vers l’or). Il conclut : « Ce serait là une politique déclarée d’austérité ».
L’usage de la contre-valeur pour le Plan : une drogue
58Il reste un point : l’usage de la contre-valeur. Pour Guillaume Guindey, l’État, en accroissant la demande (même s’il s’agit d’investissements) du montant de la valeur des marchandises Marshall, sans restreindre la consommation intérieure, perpétue le déficit de la balance commerciale : « on lui [le consommateur français] donne une nourriture supplémentaire, en même temps qu’une faim supplémentaire ». Pour que les exportations augmentent et que le déficit disparaisse, « il faudrait que la totalité [de la contre-valeur] fût stérilisée ». Pour obtenir une réduction partielle, le directeur des Finances extérieures suggère au moins une élimination progressive du recours à la contre-valeur, pour pouvoir s’en passer totalement en 1952. Il ajoute : « Si une partie de l’aide américaine n’est pas employée à des fins déflationnistes, nous restons dans le statu quo c’est-à-dire que nous nous installons dans un rythme de production et de consommation qui implique un déficit commercial égal au déficit actuel... L’utilisation de la contre-valeur de l’aide américaine, dans la mesure où elle nous permet de vivre sans procéder dès aujourd’hui aux réformes qui permettraient de couvrir l’ensemble des dépenses publiques par l’impôt et par l’emprunt, contribue à retarder le moment où nous redeviendrons viables ». Tout en reconnaissant que les « investissements sont indispensables », Guillaume Guindey considère que la conception de Jean Monnet lui « paraît inexacte et dangereuse », comme une « formule de facilité » qui « aboutit à perpétuer notre installation dans l’état de non-viabilité ».
5. Le déphasage État-opinion : le paradoxe
Les Français « les plus hostiles et les plus ignorants »
59La quasi-unanimité des hauts fonctionnaires et des hommes politiques de la Troisième force sont convaincus du rôle essentiel de l’aide Marshall dans le relèvement français.
60Mais ils ne s’étendent guère sur le sujet dans des déclarations ou écrits publics, sachant qu’une large fraction de l’opinion — bien au-delà de la base électorale du parti communiste — exprime des réserves sur les contraintes plus ou moins fâcheuses liées à l’aide. Les parlementaires et la presse américaine ne manquent pas de s’en plaindre. En janvier 1949, les journaux américains déplorent « l’ignorance des Français concernant la réalisation du Plan Marshall »103. Neuf mois plus tard, le rapport du Watchdog Committee consacré à la France estime à quatre-vingt-dix pour centla part des Français qui n’ont pas la moindre idée des dispositions techniques du Plan Marshall. Mais il est précisé que le gouvernement français est « inerte, par peur de se voir accusé d’être inféodé à Washington »104. En décembre, une enquête, confiée par l’ECA à Éric Stern, sur l’opinion publique européenne à l’égard du Plan Marshall, apporte une conclusion formelle : « Les Français sont à la fois les plus hostiles et les plus ignorants... », et sont soumis à « une propagande communiste active et efficace »105. Quatre pour cent de la population ( !) seulement considèrent l’aide comme un facteur important du relèvement de la France, contre quatre-vingt-deux pour cent des Hollandais, ou soixante-sept pour cent des Norvégiens106 ! Et l’annonce du réarmement — avant la guerre de Corée — émeut une portion importante de l’opinion, redoutant à la fois l’absence de défense efficace, en cas d’agression soviétique, et le risque d’être entraîné dans un conflit par la politique américaine107. Les dirigeants de l’ECA craignent qu’un tel déphasage ne porte préjudice aux chiffres annuels de l’aide, lors des débats du Congrès. Ils réclament, en particulier, une « publicité » plus grande pour signaler l’origine des fonds, lorsque certains projets sont financés grâce à la contre-valeur. Les services français leur ont fait comprendre précocement que leur intérêt bien compris réclamait plutôt une certaine discrétion. Mais le service d’information de l’ECA maintient sa pression. Quelques plaques commémorant l’aide Marshall sont apposées sur certaines usines hydro-électriques ou des lycées, dont le financement a été assuré grâce à la contre-valeur : mais elles sont peu nombreuses et n’intéressent pas des projets majeurs108. La propagande n’est pas à la mesure de ce que réclament les donateurs. C’est seulement à la fin de mai 1950 que la direction du Trésor demande aux organismes intermédiaires de crédit (Crédit national, Crédit foncier, Caisse nationale de Crédit agricole, Crédit hôtelier, commercial et industriel) d’ajouter un alinéa, afin d’informer les bénéficiaires des prêts de l’origine des fonds : on ne peut affirmer qu’il s’agisse d’une publicité tapageuse109. Alfred Grosser souligne que, dans le bilan qu’il dresse du Plan en 1951, Jean Monnet se montre également fort discret : il n’a pas oublié la « plaie ouverte » en 1947.
III. DÉBOIRES ET ESPOIRS DE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE : UNE CONTREPARTIE DE L’AIDE MARSHALL ?
61La période s’étendant du début de 1949 au milieu de 1950 est marquée par une combinaison d’échecs, de désillusions et de réussites partielles, en matière de coopération européenne.
62L’objet n’est pas d’étudier ces tentatives en elles-mêmes, mais d’apprécier leur poids dans la direction de l’économie et des finances françaises. Comme toujours depuis l’été 1947, la pression américaine apparaît beaucoup plus intense et efficace sur la politique économique internationale que sur les choix de développement intérieur de la France. Pour des raisons évidentes, en effet, toute initiative française en matière européenne doit s’ajuster aux attentes, parfois pressantes, de Washington en la matière.
1. Pressions américaines et hypothèque britannique
L’intégration européenne : un nouveau conte d’Hoffman
63On sait que, parallèlement à la mise en place du Plan Marshall, l’idée d’un marché européen a été d’abord américaine, professée en particulier à l’ECA, soumise à l’impatience du Congrès110.
64Paul Hoffman, le 1er décembre 1948, devant le Congrès de la National association of Manufacturers, signale les progrès accomplis en Europe dans la voie de la libération des échanges et des paiements (négociations pour le Benelux, pour l’union douanière franco-italienne, accords de paiements de l’OECE), mais les présente comme le commencement d’une évolution souhaitable : « Le but est la libre circulation des biens et des individus à travers l’Europe (...). Le point important est que la tendance séculaire à une compartimentation accrue a été renversée »111. Une série d’articles dans le New York Times de la fin de 1948, signés par Michael Hoffman, évoque « les vives pressions pour l’abandon par les pays européens de leur souveraineté nationale dans le domaine économique »112. Mais le même auteur relève, chez les Européens, « une certaine nervosité devant l’insistance avec laquelle les autorités américaines demandent la réalisation d’une unité économique »113. Dans les faits, jusqu’au début de l’été de 1949, l’ECA, malgré les impatiences d’un Congrès soucieux de constater des résultats significatifs dans la voie de l’unification européenne, se satisfait des premiers pas, si modestes soient-ils, comme l’accord de paiement du 16 octobre 1948 : encore s’agit-il d’accords bilatéraux entre membres de l’OECE114. Paul Hoffman affirme ne s’intéresser qu’à l’unification économique européenne. Mais, même ainsi limité, le projet frisait l’utopie.
L’hypothèque britannique
65Depuis les premières rencontres, à l’été de 1947, du Comité de Coopération économique, ce sont les représentants britanniques qui s’opposent le plus nettement à toute mesure perçue comme une menace pour leur souveraineté nationale, pour leur expérience travailliste de politique dirigiste d’austérité, comme pour le statut de la livre ou les préférences impériales115. Lors de la session des 25-26 octobre 1948 pour la création du Conseil de l’Europe, Ernest Bevin aurait, d’après René Massigli, eu cette remarque, d’ailleurs peu aimable pour ses collègues européens : « Quand les Américains regrettent l’incapacité de s’unir dont font preuve les Européens, il est aisé de leur répondre : que diriez-vous s’il s’agissait de fondre les pays sud-américains avec les États-Unis »116. Or, depuis la signature du pacte de Bruxelles, pour de nombreux responsables français, la marche à l’unification — même limitée aux échanges ou aux paiements — ne peut guère se concevoir sans le Royaume-Uni.
2. La double conception européenne de la France : organiser plus que libérer les échanges
66Depuis la fondation de l’OECE et la signature du pacte de Bruxelles, les autorités françaises se montrent favorables à des formes de libération différentes de celles prônées à l’ECA, attachée aux seules contraintes du marché dans une Europe occidentale libérée de toute entrave à la circulation des facteurs de production.
67La conception française s’appuie sur l’idée d’une organisation et d’une réglementation du marché, de la libre circulation limitée à quelques marchandises, et de la construction d’une institution intergouvernementale dotée de pouvoirs pour partager des marchés, spécialiser les investissements, peser sur certains prix117. L’ardeur européenne de la France est ambiguë, car les responsables français veulent bâtir divers dispositifs, destinés à amortir une libération, qu’on souhaite progressive, étalée et réglementée. Mais, au-delà de ces orientations, en 1949, on peut distinguer deux lieux d’impulsion pour les initiatives françaises : le Commissariat au Plan, et le ministère des Finances, avec le soutien du Quai d’Orsay.
Jean Monnet et la levée de l’hypothèque britannique
68Dans la refonte du Plan, à travers la réponse à l’OECE à la fin de 1948, l’intérêt de la coopération européenne réside dans les possibilités accrues d’exportations vers des pays où la France doit acheter beaucoup, ce qui permet d’alléger le dollar gap et de faciliter l’accès à la « viabilité »118. En outre, les économies d’échelle résultant d’un accroissement de la taille des marchés amélioreraient la productivité et, donc, la compétitivité de l’industrie et de l’agriculture françaises. La coopération européenne reste donc, dans l’esprit de Jean Monnet, bilatérale et minimale, l’essentiel demeurant la réalisation du premier Plan, offrant le sursis nécessaire pour raccorder l’économie française aux courants internationaux. En outre, le Plan doit s’ajuster à des clients potentiels. Or, les politiques d’austérité adoptées par des pays d’où la France doit importer de nombreuses denrées (zone sterling, bizone) écartent la possibilité d’y exporter des produits non essentiels. Pierre-Paul Schweitzer explique clairement, devant la Commission de l’Économie nationale du Conseil économique et social, la nécessité « de développer nos productions de base qui trouveraient preneur même dans une zone sterling austère et même dans une bizone qui n’aurait pas encore retrouvé son niveau de vie normal »119. Il ajoute : « Sir S. Cripps a répété mille et une fois que la politique dite d’austérité anglaise n’était pas uniquement quelque chose de passager dû à des restrictions draconiennes aux importations pour équilibrer la balance des paiements anglais, mais qu’il y avait une transformation fondamentale économique et sociale de l’Angleterre qui faisait que le Royaume-Uni était définitivement perdu comme débouché de tout ce qui est qualifié (...) de production non essentielle »120. En janvier 1949, Jean Monnet croit possible de dégager des surplus exportables « de produits de base aussi bien agricoles qu’industriels pour lesquels la clientèle est là »121. Il parle d’exporter de l’acier, et surtout des produits agricoles, grâce à des contrats à long terme pour le blé, la viande et les produits laitiers, dont il dit croire que les Anglais sont prêts à les conclure. Au même moment, il fait rédiger des projets de contrats bilatéraux d’exportation à long terme (jusqu’à 1952), à passer avec l’Angleterre, l’Allemagne et le Benelux122. Il ne s’agit donc pas de libérer, mais d’organiser les échanges, tout en maintenant les priorités du premier Plan.
69Des négociations s’engagent en ce même mois de janvier 1949 avec les experts britanniques, sans résultat. Les responsables de la rue de Rivoli, notamment Guillaume Guindey, se sont montré sceptiques sur l’intérêt de tels accords pour la balance avec la zone sterling123. Après une ultime et vaine tentative d’harmonisation des plans à long terme britannique et français, en mars 1949, entre Sir Stafford Cripps et Maurice Petsche, Jean Monnet propose une rencontre discrète à Sir Edwin Plowden, Chef planning officer, dans sa maison d’Houjarray. Pierre Uri y parle encore de contrats agricoles à long terme. Jean Monnet espère avancer vers une union franco-anglaise, « première étape de la fédération européenne ». Mais « Londres ne répond pas »124. Pour le Commissaire au Plan, l’hypothèque est levée : la coopération européenne ne pourra se faire avec l’Angleterre.
Jean Monnet hostile à la renaissance des cartels
70D’autre part, le Plan apparaît en désaccord avec le Quai d’Orsay et le SGCI sur les modalités d’organisation des échanges.
71Dans une lettre à Hervé Alphand, le 14 janvier 1949, Pierre-Paul Schweitzer signale que Étienne Hirsch est intervenu à l’OECE, au nom de la délégation française, pour exprimer sa grande réticence à l’égard des cartels, « alors que, dans notre opinion jusqu’à présent, ceux-ci devaient jouer un rôle essentiel »125. Dès le mois d’octobre 1948, Jean Filippi, dans une note au SGCI, a précisé que l’effort d’investissement prévu par Jean Monnet ne serait accepté par les professionnels, que s’il existait des garanties de débouchés, « qui avant guerre étaient assurés par les cartels »126. Le Commissaire au Plan sait qu’il peut compter, de la part de l’ECA, sur une inquiétude partagée à l’égard de la renaissance des cartels. En revanche, il est sceptique sur la volonté des ministères techniques ou des Finances de se prémunir efficacement à ce sujet.
L’union douanière franco-italienne enlisée (avril 1949)
72En dehors du CGP, le Quai d’Orsay, depuis l’été 1947, tente de réaliser une politique d’union douanière organisée avec l’Italie, sans accorder, dès l’origine, un intérêt considérable — on l’a vu — à l’opération127.
73Pour cet accord limité, les Affaires étrangères et les Finances, avec le soutien des ministères techniques, ne souhaitent pas une simple union douanière, mais une union économique, avec harmonisation des législations128. La seconde commission mixte, créée par le protocole Bidault-Sforza de mars 1948, comprend désormais des représentants des organisations professionnelles et syndicales, qui émettent de nombreuses réserves sur la concurrence en matière agricole, industrielle (textile notamment) ou de main-d’œuvre. Son rapport, déposé le 22 janvier 1949, se montre fort prudent : les barrières douanières sont bien abolies au bout d’un an, mais les contingents subsistent pour plusieurs années, et un Conseil de l’Union douanière doit veiller à réaliser l’union économique par étapes, par l’harmonisation des deux législations sociales, agricoles, fiscales. Le traité est signé le 26 mars. Mais, deux semaines plus tard, Pierre-Paul Schweitzer le présente devant la Commission de l’Économie nationale du Conseil économique et social. Il rappelle que le choix de l’Italie était pratiquement le seul possible : « On a (...) procédé un peu par élimination »129. Mais il doit aussi justifier le plan à long terme, et subit les assauts aussi bien de Jean Duret pour la CGT (« la France se transforme en base agricole ») que de Maurice Byé. La Commission émet finalement un vote défavorable, et le gouvernement recule devant les oppositions conjuguées de la CGT, des cotonniers et des viticulteurs130. Mais la France risquait de ne pouvoir présenter aucun résultat concret à l’ECA.
Un projet austéro-libéral : Fritalux
74Pour franchir l’obstacle, le ministère des Finances envisage d’élargir l’union et de ne pas privilégier les barrières douanières : c’est le plan Petsche, fondé en fait très largement sur les propositions de Guillaume Guindey. Le système privilégie cette fois la suppression des contingents commerciaux et des restrictions à la circulation des capitaux. Le moyen d’amortir les effets de ces libérations repose sur un mécanisme de taux de change flottants131. À la fin août, l’accord est acquis, malgré quelques réserves, entre Paris, Rome et Bruxelles. Les représentants de l’ECA ont suivi officieusement les négociations132. Les Néerlandais sont alors associés aux trois autres États. Mais la crise du Plan Marshall accroît les pressions américaines.
3. La crise du Plan Marshall (été 1949) et ses effets
La fin d’un autre conte d’Hoffman : la viabilité de l’Europe en 1952
75La définition d’une politique économique et monétaire française internationale dépend, comme souvent depuis 1931, des oscillations dans la rivalité entre le dollar et la livre.
76Cédant à une certaine euphorie, à la suite du vote par le Congrès des crédits proposés par l’ECA — sans les réductions redoutées — Robert Marjolin croit bon d’affirmer, pour le premier anniversaire du Plan Marshall : « Une conscience nouvelle est née : une conscience européenne »133. Et, lors d’une conversation au micro de la Tribune de Paris, David Bruce, Robert Marjolin et Hervé Alphand rappellent l’objectif de la « viabilité » européenne en 1952, le but du Plan Marshall étant « de se rendre lui-même inutile »134. Mais, dès le mois suivant, la première récession américaine, après dix années d’économie de guerre et de hausses des prix consécutives, rend irréalistes les perspectives, déjà bien hypothétiques, de « viabilité » européenne pour 1952. Dans la seconde moitié du premier semestre 1949, les exportations européennes vers les États-Unis s’effondrent de plus d’un tiers. C’est la zone sterling qui est la plus frappée (en valeur absolue comme en pourcentage). Une telle évolution bouleverse les schémas optimistes, tracés peu avant par l’OECE. Le rapport du Président du Conseil et du secrétaire général de l’Organisation, le 31 août, retient comme « principale conclusion » que « le progrès n’est pas suffisamment rapide. Le problème dollar, quelle que soit l’amélioration constatée depuis deux ans, n’est pas en voie de solution »135. Et, dans son exposé à la presse, le lendemain, Robert Marjolin signale que, malgré les progrès européens dans la résorption de son déficit des paiements en dollars (de 7,5 milliards de dollars en 1947, à cinq en 1948-49, à l’espoir de moins de quatre en 1949-1950), ils ne se montrent pas assez rapides, « pour permettre à l’Europe d’atteindre la viabilité en 1952 »136. Le déficit en or et en dollars est particulièrement aigu pour le Royaume-Uni, d’autant que les réserves de sterling dans le monde sont abondantes.
La dévaluation de la livre et la fin des rêves de Bretton-Woods
77Comme lors de la crise de la livre sterling à l’été 1947, c’est la gravité des difficultés des paiements britanniques qui contraint le gouvernement américain à réviser ses positions.
78Il est conduit à renoncer à ses projets de démantèlement (au terme de cinq ans) de la zone sterling, énoncés à Bretton-Woods, puis radicalisés, lors de la conclusion du prêt négocié par Keynes en décembre 1945, et repoussés à l’issue du Plan Marshall en 1947. La dévaluation de la livre, de 30,5 % par rapport au dollar, par sa brutalité et l’absence de concertation européenne, réveille les vieilles hantises : les dévaluations concurrentielles des années trente. Il existe un risque d’éclatement de l’OECE entre le groupe d’États ayant maintenu des contrôles étendus (Angleterre, Pays-Bas, Scandinavie) et les autres. En fait, malgré le caractère unilatéral de la décision britannique, elle prélude à une série de réajustements de taux de changes en Europe, qui contribuent à établir un certain apaisement monétaire, et à définir des bases plus sûres pour retrouver l’équilibre des paiements extérieurs137. D’ailleurs, le gouvernement français se posait, au début de 1949, la question de la stabilisation définitive du franc, à l’issue de la dévaluation, alors probable, de la livre138. Ainsi, la dévaluation de septembre 1949 clôt l’ère des affrontements entre le dollar et la livre, ouverte dix-huit ans plus tôt. Même avec l’appui et le sursis offerts par les dollars Marshall, Washington ne peut espérer, même à moyen terme, réaliser ses rêves de Bretton-Woods139. Cette pacification des relations entre les deux grandes monnaies internationales entraîne deux séries de conséquences pour les dirigeants français : le désengagement britannique durable à l’égard de la construction européenne, et l’infléchissement des pressions américaines.
Dérobade britannique et réactions françaises
79Tout d’abord, cela conforte la « négativité anglaise » à l’égard de toute intégration européenne140.
80L’absence de sentiment d’un échec national en 1940 ou d’une décadence possible — comme en France — et le souci de maintenir une « relation spéciale » entre Washington et Londres, rendaient les dirigeants et l’opinion britanniques assez peu sensibles à l’idée d’unification européenne, d’autant que les apparences d’une zone monétaire puissante ont pu être sauvegardées. Cette dérobade britannique incite l’ECA à faire pression sur les autres Européens de l’OECE, et en particulier la France, pour aller de l’avant vers l’intégration économique. Mais le retrait de Londres compromet, aux yeux de nombreux responsables français, toute nouvelle tentative dans ce domaine : depuis les heures noires de 1940, et celles de 1947, l’allié britannique apparaît comme le partenaire obligé. C’était le sentiment de Jean Monnet et de son entourage (Robert Marjolin notamment), mais surtout celui de nombreux hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, sensibles aux avertissements de René Massigli. L’ambassadeur à Londres, ancien Directeur politique au Quai, puis Commissaire des Affaires étrangères à Alger, déplore qu’à Paris on prête une oreille attentive aux désirs d’intégration de Washington, sans veiller suffisamment à ménager les inquiétudes de Londres sur d’éventuelles limitations de souveraineté ou spécialisations économiques. Toutefois, au Plan, Jean Monnet et ses collaborateurs prennent leur parti de la défection britannique. Dès l’échec des conversations avec Plowden, ils se tournent vers d’autres perspectives. Certains, comme René Massigli, restent fidèles à un projet confédéral anglophile et déplorent le lancement d’initiatives françaises de coopération européenne ignorant l’Angleterre. Dans ses Mémoires, l’ambassadeur de Londres regrette que les responsables de l’ECA « encourageaient les fonctionnaires français — assez enclins à faire leur cour aux dispensateurs de dollars — à aller de l’avant sans se soucier davantage des Britanniques »141. Les regrets apparaissent d’autant plus grands à l’égard du retrait du Royaume-Uni, que la question de la réintégration de la RFA — née en mai 1949 — dans les échanges européens, et son entrée à l’OECE — en octobre 1949 — se présentent comme autant de menaces pour l’économie française.
La double pression américaine
81Lors de conversations économiques franco-américaines, le 15 septembre 1949, à Washington, Hoffman met en garde les ministres français présents : « He wished to underline the necessity of convincing the American Congress and the American people that the European countries were making substantive progress toward European unity if the Marshall were to continue. During the recent congressional hearings this had been the important question »142. Et, tout en restant évasif sur l’utilisation qui en serait faite, il confirme l’existence d’un « pool » de 150 millions de dollars, prélevé sur l’aide Marshall, pour des initiatives en matière d’unification économique. Maurice Petsche promet de mener à bien le projet Fritalux143. Et, le 26 octobre, Henri Bonnet signale que, lors de son prochain voyage en Europe aux fins de participer aux travaux de l’OECE, Paul Hoffman va exiger des résultats concrets en matière de coopération intereuropéenne, avant que le Congrès n’aborde les débats sur la troisième année des crédits Marshall : « Il y aurait au moins un risque sérieux de réduction massive s’il n’apparaissait pas que les pays européens se sont engagés résolument dans cette voie »144. Selon les propos rapportés de l’Administrateur de l’ECA, l’effort de « self help » serait satisfaisant, mais il resterait à remplir les engagements de « mutual help ». Et, dans les circonstances du moment, le seul succès rapide pourrait être la mise à exécution du projet Fritalux, officieusement discuté pendant les réunions financières de Washington, en septembre. Et l’ambassadeur de Washington confirme au Quai d’Orsay l’« appui sans réserve » de l’ECA pour le projet145. Au même moment, un rapport de Patrick Mac Mahon, pour le compte de la National Association of Manufacturers, après un voyage d’étude en Europe à l’été 1949, critique le maintien de systèmes bilatéraux146. Le 31 octobre, en effet, Paul Hoffman fait l’apologie, devant le Conseil de l’OECE, de l’« intégration », définie comme « la formation d’un grand marché unique, à l’intérieur duquel les restrictions quantitatives au mouvement des marchandises, les barrières monétaires aux mouvements des capitaux, et, éventuellement, tous les droits de douane, auraient été définitivement abolis »147. Le surlendemain, l’OECE décide de libérer au 15 décembre cinquante pour cent du volume du commerce d’importation de chaque État membre (sur la base des chiffres de 1948). Mais l’ECA n’est pas dupe : chaque État conservant la latitude de choisir les produits qu’il entend libérer, la libération intereuropéenne est illusoire.
82Une autre pression américaine apparaît. George Kennan, lors d’une réunion du Policy Planning Staff, le 11 octobre 1949, propose, face aux risques d’une montée d’un nationalisme allemand néfaste (« ugly german nationalism ») une union continentale, sous la direction de la France. Elle s’avère d’autant plus nécessaire que, à plus ou moins court terme, il envisage d’abandonner l’idée des démantèlements en Allemagne148. Comme souvent, les autorités françaises sont conduites à convertir cette pression en initiative.
4. De l’échec du Finebel à l’annonce du Plan Schuman (février-mai 1950)
L’échec du Finebel
83Encouragés par l’ECA, les quatre États poursuivent leurs négociations. Dans leur projet de la mi-novembre, les Français proposent une véritable union économique réglementée, avec comité financier, comité économique, coordination des investissements et institution d’une banque chargée d’organiser la spécialisation, ainsi qu’harmonisation des législations fiscales, monétaires et sociales149. À plusieurs reprises, Hervé Alphand laisse entendre que le projet permet d’échapper à deux menaces d’origine américaine : d’une part, une libération des échanges au niveau de toute l’OECE ; d’autre part, une intégration de la RFA dans l’organisation économique européenne150. Une libération limitée et réglementée par étapes, et l’adjonction ultérieure éventuelle de la RFA constituent la réponse française à la pression de l’ECA.
84Les discussions entre experts se poursuivent jusqu’au début décembre. Mais deux préoccupations néerlandaises se heurtent aux propositions françaises : une réduction tarifaire significative, et l’intégration immédiate de la RFA, principal débouché agricole pour La Haye. Le rapport des experts, publié le 16 février 1950 — où le Fritalux est rebaptisé opportunément Finebel — renvoie les questions en suspens au niveau ministériel. Or, à ce moment, l’attitude de l’ECA, originellement favorable, s’est modifiée. Un projet, élaboré par Richard Bissel, administrateur adjoint à l’ECA, envisage une union de clearing au niveau de toute l’OECE, avec une multilatéralisation des droits de tirage (contrairement au système d’aide indirecte de 1949), la future Union Européenne de Paiements (UEP). Au début de février, lors d’un entretien avec Webb (sous-secrétaire d’État) et Hoffman, Henri Bonnet est informé que le Finebel présente beaucoup moins d’attrait pour l’Administration américaine, car, à la différence de l’UEP, ce n’est qu’une entreprise régionale. Hoffman ajoute toutefois que cela peut constituer un « pis-aller », en cas d’échec de l’UEP : mais, dans ce cas, l’inclusion de l’Allemagne paraît « éminemment désirable » aux deux responsables américains, ajoutant que « Ce sentiment s’affirme aussi au Congrès »151. L’intérêt majeur de l’UEP provient du fait qu’elle peut être approuvée par Londres, résolument hostile au Finebel et à la participation éventuelle de la RFA. Lorsque les Britanniques présentent leur propre projet d’union monétaire européenne, le 7 mars 1949, le Finebel est bel et bien enterré, et, avec lui, l’union douanière plus limitée entre la France et l’Italie.
85Outre les obstacles extérieurs, le gouvernement français a dû tenir compte aussi de résistances intérieures. L’opinion française est inquiète d’une intégration de la RFA, surtout dans une union excluant le Royaume-Uni. Au-delà des segments anglophiles de l’Administration déjà signalés, le ministère de l’Agriculture n’accorde d’intérêt qu’à l’intégration de l’Angleterre ou même de la RFA, seuls débouchés substantiels à l’accroissement des exportations agricoles. Mais, surtout, l’attitude de plus en plus hostile de Jean Monnet a pesé. Une double objection rend compte de son évolution. L’expérience difficile de l’Union douanière franco-italienne confirme le Commissaire au Plan dans la conviction des limites d’arrangements intergouvernementaux, et, en revanche, du bien-fondé d’une certaine dose de supranationalité. D’autre part, dès l’origine, le Finebel est un plan Petsche et, sans doute, un plan Guindey. Au fur et à mesure des négociations, l’une des idées maîtresses est l’ajustement par un système de changes flottants. Autrement dit, la France pouvait être conduite à recourir à une politique de déflation, du fait de variations de taux de changes défavorables au franc. Il s’agissait donc d’un projet austérolibéral, qui privilégiait la libération des paiements, la « symbiose » avec les partenaires européens, par rapport à la croissance (avec, certes, ses risques inflationnistes). Une telle perspective heurtait les expanso-libéraux, en particulier au Commissariat au Plan.
L’annonce du Plan Schuman
86Malgré la mise sur pied de l’UEP, qui ne fonctionne qu’à l’été, le Congrès ne cache pas sa déception, devant la faiblesse des réalisations en matière d’unification économique, et envisage des abattements pour la troisième annuité du Plan Marshall.
87Les autorités françaises se trouvent placées devant un triple problème :
la pression américaine pour intégrer l’Allemagne dans un groupe régional ;
la menace d’une économie allemande revigorée pour l’économie française ;
les difficultés à envisager une organisation concertée des échanges, sans s’appuyer sur les cartels.
88À la fin de 1949, il apparaît que les Américains, les Britanniques comme les Allemands de Bonn souhaitent la disparition de l’Autorité internationale de la Ruhr152. Dès le mois d’octobre, Jean Monnet confie à Barry Bingham son inquiétude, quant au « danger d’une recrudescence des cartels nationaux et internationaux », et particulièrement de la position clé des Allemands dans ce mouvement. Or, Bingham note pour l’ECA, le Département d’État et la Trésorerie : « Monnet had no hope of successful opposition to German cartels by the United Kingdom or France but felt that « prompt and decisive action » by the United States could be effective, and he considered the next six months to be the critical period »153. Les responsables de l’ECA considèrent avec une « extrême suspicion » l’argument selon lequel on pourrait retenir les « bons » aspects des cartels, notamment pour la sidérurgie, et écarter les « mauvais ». Ils se prononcent résolument pour un marché concurrentiel154. Mais, au début de mai 1950, Paul Hoffman défend encore son idée d’un marché européen unifié. Devant la Chambre du Commerce des États-Unis, il répète ses analyses d’octobre 1949, et parle d’un « vaste marché unique » de l’Europe (« single large market »), dont il escompte une force d’attraction sur les États d’Europe orientale, à la mort de Staline155. Il mise sur une action au sein de l’OECE, alors que l’obstruction britannique et les divergences n’ont pas fléchi. Mais d’autres Américains suggèrent de trouver des solutions nouvelles à partir de la Ruhr : le Haut Commissaire en Allemagne, John Mac Cloy, ami de Jean Monnet, évoque, en octobre 1949, l’idée d’intégrer le contrôle de la Ruhr dans un schéma comprenant l’industrie lourde des États voisins, Grande-Bretagne comprise156.
89D’autres propositions en faveur d’une Autorité internationale pour l’acier de l’Europe occidentale se font entendre, au début de 1950, de la part de Harold Mac Millan et d’André Philip.
90Au printemps de 1950, « l’esquisse du plan était dans l’air »157.
« Changer les données en les transformant »
91Jean Monnet n’est pas parti d’une tabula rasa, mais l’originalité de son approche, habituelle chez lui, consiste à se trouver au carrefour de problèmes de nature différente et, en particulier, d’articuler, comme en 1947, la question économique du relèvement français, les rapports politiques franco-allemands, et les relations entre Paris et Washington.
92Une fois de plus, il propose de convertir la pression américaine en faveur d’un relèvement allemand jugé inévitable en une initiative française, propre à en atténuer les effets. Dans une note de réflexion préparatoire au mémorandum transmis à Georges Bidault, puis à Robert Schuman, datée du 1er mai, il constate que les Allemands demandent de porter le plafond de la production sidérurgique de dix à quatorze millions de tonnes. Or, ils sont soutenus par Washington, soucieux d’utiliser tout le potentiel d’Europe occidentale pour le réarmement, en particulier depuis l’explosion atomique soviétique. Il ajoute : « Nous refuserons, mais les Américains insisteront. Finalement, nous ferons des réserves, mais nous céderons »158. Il redoute, dans cette hypothèse, les risques de dumping allemand, les demandes de protection des industries françaises, l’arrêt ou le camouflage de la libération des échanges et la recréation des cartels d’avant guerre : « La France sera reprise par son malthusianisme d’antan, et cette évolution aboutira inévitablement à son effacement »159. Et après le constat des « impasses », dans lesquelles ont conduit les tentatives de libération des échanges et d’organisation de l’Europe, il propose de « changer les données en les transformant »160.
93Le projet proposé par Jean Monnet à Robert Schuman le 5 mai se présente comme le moyen de résoudre simultanément deux problèmes distincts : l’accès à égalité pour l’économie française aux ressources en charbon et en coke allemand — dont l’apport est nécessaire à la réalisation du premier Plan — et l’intégration partielle de la RFA, à travers deux productions décisives, dans des institutions supranationales, destinées à normaliser ses relations avec la France et le reste de l’Europe occidentale. D’où l’insistance de Jean Monnet pour conserver dans le texte définitif de la déclaration du 9 mai — issu du travail de Étienne Hirsch, Paul Reuter et Pierre Uri — la mention de « la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhéreront (...) premières assises concrètes d’une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix »161. Dean Acheson, en route pour la réunion de l’OTAN à Londres, ainsi que John Mac Cloy sont informés secrètement avant le gouvernement français (seuls René Mayer et René Pleven ont été mis dans la confidence, avant le Conseil des ministres du 9 mai). Le plan annoncé par Robert Schuman rejoint certaines propositions américaines antérieures : celle de Lewis Douglas à la Conférence de Londres au printemps de 1948, et même celle du général Marshall et de J. F. Dulles à Moscou, en 1947162. Et l’on sait que, depuis l’été 1947 au moins, les discussions de Jean Monnet avec William Clayton l’ont convaincu que la solution à l’organisation de l’Europe passait par un règlement satisfaisant de la Ruhr163.
94Mais l’originalité du plan Schuman repose sur la création d’un organisme, non pas international, mais supranational. Face aux Américains, inquiets de voir là un cartel déguisé, Jean Monnet insiste sur l’idée de créer un marché, où les différentes économies pourront s’affronter à égalité164. Cependant, il reste fidèle au projet, non pas d’une libération totale et immédiate, mais d’une organisation et d’une réglementation du marché du charbon et de l’acier. Lors de leurs premières discussions, à la Conférence de Londres, Monnet, Hirsch et Uri ont déclaré toutefois qu’une telle réglementation correspondait à une période de transition, destinée à égaliser les charges fiscales et sociales et les prix, ainsi qu’à coordonner les investissements165. Et devant John Mac Cloy, le 23 mai 1950, il présente les fonctions de la future Haute Autorité comme devant assurer la modernisation et l’amélioration de la qualité des produits, l’approvisionnement des marchés des pays membres en termes d’égalité, le développement des exportations communes, l’amélioration et l’égalisation des conditions de vie et de travail dans les industries concernées. Et, à la différence des cartels, elle doit assurer la disparition des producteurs inefficaces166. Étienne Hirsch a laissé entendre à Bruce que peut-être vingt pour cent de la capacité des charbonnages français devront être supprimés ; un fonds de reconversion devrait faciliter ces réductions167. Ainsi, le contrôle de ce marché serait assuré par un aréopage supranational, indépendant et antimalthusien, hostile aux pratiques des cartels de limitation de la production ou d’augmentation des prix. Une série de commissions et de groupes de travail (avec représentation des divers intérêts) et le nouvel esprit « européen » de ses animateurs constitueraient la garantie que la « Haute Autorité » travaille pour l’intérêt commun. Le modèle de fonctionnement du Plan Monnet était ainsi transposé au niveau européen. La conférence des six pays ayant accepté le Plan Schuman (France, RFA, Benelux, Italie) se déroule elle-même rue de Martignac, à l’été 1950, suivant des méthodes de travail déjà éprouvées en ce lieu168. Mais de telles orientations ont à surmonter de multiples obstacles, et, en particulier, en France, à la fois dans les milieux professionnels et dans les ministères. Leurs effets sur la direction de l’économie ne peuvent être immédiats.
95De plus, le déclenchement simultané de la guerre de Corée bouleverse les données nationales et internationales en précipitant le réarmement. Jean Monnet allait devoir reprendre son labeur de Pénélope.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XXXIII
96Les dix-huit mois qui séparent le début de 1949 des premiers combats de Corée connaissent l’apogée du financement public américain des investissements productifs du Plan Monnet. En effet, les dollars et les francs de contre-valeur issus de l’aide Marshall représentent une part globalement limitée des charges totales supportées par le Trésor, mais forment l’essentiel des ressources employées au financement de l’Équipement par le FME.
97Même si des divergences apparaissent entre responsables français et tuteurs de l’Aide sur le choix des approvisionnements commerciaux (payés en dollars) ou sur celui des équipements à financer (par les francs de contre-valeur), elles portent bien davantage sur les modalités d’application que sur les principes. Bailleurs et bénéficiaires communient autour des « postulats de Harvard » et l’idée que la réalisation du Plan Monnet constitue le meilleur usage de l’aide Marshall et l’investissement le plus bénéfique pour Paris, Washington et l’ensemble de l’« hémisphère occidental ».
98Seuls, quelques représentants du groupe austérolibéral de la rue de Rivoli, autour de Guillaume Guindey, redoutent que ces francs obtenus gratuitement de Washington incitent à se soustraire aux rigueurs nécessaires pour atteindre la « viabilité ».
99À plus long terme, les donneurs attendent de l’aide l’ébauche d’une véritable mutation culturelle macro- et micro-économique, à travers le dogme de la productivité. Mais les sommes débloquées pour les missions destinées à conforter sur place le modèle américain de développement apparaissent trop faibles pour des retombées immédiates.
100La France dispose en fait d’apports financiers bien supérieurs à son poids économique réel, en comparaison avec les autres États bénéficiaires. Cela tient à sa place politiquement stratégique pour la réussite du plan Marshall, due au fait que la France connaît la plus forte campagne de refus de l’aide, conduite par le parti communiste le plus influent et le plus redouté au sein de l’OECE.
101Ainsi, le caractère parfois humiliant de l’intrusion, même bienveillante, des tuteurs de l’ECA dans l’ensemble de la direction de l’économie et des finances, empêche les gouvernants d’en faire état auprès de l’opinion, beaucoup plus largement hostile ou indifférente que dans le reste de l’Europe Marshall.
102Enfin, les contreparties de l’aide se manifestent sous la forme d’exigences réitérées en faveur de la stabilité monétaire et financière — quasiment atteinte en 1949 — puis en direction de la coopération européenne. Mais la crise du Plan Marshall et les difficultés britanniques soulignent le caractère irréaliste des attentes européennes de l’ECA et la démarche plus pragmatique des dirigeants français, soucieux de ménager des étapes, d’ailleurs timides ou sans lendemain jusqu’à l’annonce du plan Schuman, nouvelle « initiative » de Jean Monnet.
Notes de bas de page
1 Cf. supra, chapitre I. Certains éléments de ce chapitre ont été présentés au séminaire « Relations internationales et économie », organisé par M. René Girault (Institut Pierre Renouvin. Université de Paris I) en avril 1985, en présence de Jean Bouvier.
2 AN, F60 ter 486, d. « 500-501 », Note de l’ECA - Mission spéciale en France, « Le programme de PECA en France (avril 1948 - décembre 1950) », 4 p.
3 Alan Milward, The Reconstruction..., op. cit, p. 103.
4 Ibid.
5 Ces entreprises sont bridées par des prix fortement tenus et ne peuvent escompter une augmentation de capital.
6 François Bloch-Lainé, Jean Bouvier, La France restaurée, op. cit., p. 182.
7 AN, F60 fer 386 b, d. 31 221, télégramme de Henri Bonnet à DAEF, Washington, n° 236, 22 juillet 1948, 9 p. La France doit également abandonner des achats au Pérou.
8 MAE, B.9.6., d. « 49 — Plan Marshall — 1949 », télégramme du SCE à Henri Bonnet, Paris, n° 750-754, 7 février 1949.
9 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 563-566, 9 février 1949, 1 p.
10 MAE, B.9.6., d. « Plan Marshall — 1949 », télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 2723-2725, 13 juillet 1949, 1 p.
11 Idem, note de Henri Bonnet au SCE, Washington, n° 3945, 20 juillet 1949, 2 p.
12 Gérard Bossuat (art. cité) signale également des achats au Maroc.
13 MAE, B.9.6., d. cité, circulaire n° 55 du SIP, 14 mars 1950, 7 p.
14 AN, F60 fer 386, d. 31222, télégramme de Henri Bonnet à la DAEF, 31 juillet 1948, 3 p.
15 Idem.
16 Cf. figure.
17 FRUS, 1949, vol. IV, p. 644, télégramme de REED (chef par intérim de la mission de l’ECA à Paris) à Hoffman, 23 mai 1949.
18 Pierre Mendès France, Œuvres, op. cit., t. 2, p. 311.
19 AN, F60 ter 379, d. 121, télégramme de Henri Bonnet à Robert Schuman, 27 décembre 1948, 3 p.
20 FRUS, 1949, vol. IV, p. 627-630 ; télégramme de Caffery à Acheson, 22 janvier 1949.
21 MAE, B.9.6., d. cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1304-1306, 31 mars 1949 et n° 1373-1374, 3 avril 1949. Les 4,280 milliards de dollars ont été réduits à 3,778 après passage devant les deux commissions des Appropriations.
22 FRUS, 1949, vol. IV, p. 638 ; télégramme de Bruce à Hoffman, 4 avril 1949, 2 p., traduit par nous.
23 Ibid., p. 646 ; Bruce à Acheson, secret, 6 juin 1949.
24 MAE, B.9.6., d. cité, télégramme du 22 avril 1949, Washington, n° 1715-1717.
25 FRUS, 1949, vol. IV, p. 644-645.
26 Cf. tableaux, pages suivantes.
27 FRUS, 1949, vol. IV, p. 647, Bingham à Hoffman, 30 juin 1949, traduit par nous (noté infra t.p.n.).
28 Ibid, p. 648-9, traduit par nous. Cf. également Pierre Melandri, Les États-Unis..., op. cit., p. 212-222.
29 Ibid.
30 Ibid., p. 662, Bruce à Acheson, top secret, 22 septembre 1949, t.p.n.
31 Ibid., p. 650, Bingham à Hoffman, secret, 26 août 1949, tp.n.
32 Ibid.
33 Ibid., p. 661, Bruce à Acheson, cité ; cf. également Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 3, p. 324-326 ; et Georgette Elgey, La République..., op. cit., p. 437. Il s’agit d’une revanche sur la désinvolture de René Mayer, dix-huit mois plus tôt.
34 Ibid., p 652.
35 Ibid., t.p.n.
36 Ibid., p. 678, Bingham à Hoffman, secret, 21 novembre 1949, traduit par nous.
37 Ibid.
38 Ibid. Gérard Bossuat (art. cité) semble considérer qu’il existe un désaccord plus grand entre Paris et Washington.
39 Ibid., p. 685-686, traduit par nous.
40 Ibid.
41 Ibid., souligné par nous.
42 On trouve de nombreux dossiers de projets industriels in AN, F60 ter 487, 488 et 499.
43 MAE, B.9.6., d. cité, dépêche de Henri Bonnet, Washington, n° 2278, 19 octobre 1948, 1 p.
44 Cf. supra, chapitre XXVI.
45 On trouve le détail dans AEF, B. 34135, d. B 14 « matériaux stratégiques ». Cf. également G. Bossuat, article cité.
46 FRUS, 1949, vol. IV, p. 687 ; Bingham à Hoffman, 12 décembre 1949. Traduit par nous.
47 Ibid., p. 685, Foster à Bingham.
48 Ibid.
49 Ibid., traduit par nous.
50 Il ne semble donc pas que l’idée d’une négociation globale soit française à l’origine, comme Gérard Bossuat (art. cité) le laisse entendre.
51 Cf. supra tableau. Source : AEF, B.34 135, ch. 15 « Fonds libres ».
52 MAE, B.9.6., d. cité, circulaire n° 55 du SIP, 14 mars 1950, 7 p., souligné dans le texte.
53 Idem.
54 FRUS, 1950,vol. III, p. 1373, Foster à la Mission ECA en France, 21 avril 1950.
55 Cf. Gérard Bossuat, art. cit.
56 FRUS, 1950, vol. III, p. 1373, doc. cité.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 FRUS, 1950, vol. III, p. 1369, Bruce a Acheson, secret, 31 mars 1950, t.p.n.
60 Ibid.
61 FRUS, 1949, vol. IV, p. 651, Bingham à Hoffman, secret, 26 août 1949. T.p.n.
62 AEF, B 34135, note du 28 avril 1950, 1 p.
63 AEF, B. 18020, note pour le Ministre a/s diffusion de l’organisation rationnelle, janvier 1948, 4 p.
64 Idem.
65 Idem.
66 Il y a quasiment la reprise des exemples et raisonnements de Jean Coutrot.
67 Idem, note citée. On se souvient des propos de Jean Coutrot sur le « lest social de la France ».
68 Idem.
69 Idem ; souligné par nous. La note conclut sur la perspective de « préparer le mariage de raison et si possible d’amour entre la liberté et l’organisation ».
70 AN, F60 ter 378, d. « 113, amélioration de la productivité (octobre 1948-mars 1950) », lettre de Hervé Alphand à David Bruce, 14 octobre 1948, 1 p. Cf. également AEF, B. 16023, direction des Programmes, note n° 305, 24 avril 1951, 1 p.
71 AN, F60 ter 378, d. cité, DAEF à Ambassade de France à Washington, n° 18, 18 octobre 1948, 2 p.
72 Cf. la contribution de Antony Rowley au Colloque sur « La modernisation de la France, 1944-1952 », FNSP, 4-5 décembre 1981 (à paraître).
73 18 missions en septembre 1949.
74 AEF, B. 16023, note n° 466, 6 juillet 1951, 2 p.
75 Idem. Le directeur des Programmes refuse « toute immixtion étrangère, fût-elle inspirée par les sentiments les plus amicaux ».
76 Cf. supra, les remarques de Jean Monnet et Étienne Hirsch sur cette question.
77 JM, AMF 14/6/25, exposé de Jean Monnet devant la Commission du Relèvement européen. Assemblée nationale, 18 janvier 1949.
78 Idem.
79 AEF, B. 16022, direction des Programmes, note n° 29, 13 janvier 1950.
80 Jean Fourastié le dirige. Cf. du même, La productivité, Paris, 1re édition, 1952, 128 p.
81 Composée d’une direction de quatorze membres (7 représentants du gouvernement, trois des syndicats, trois du patronat, un des agriculteurs), l’AFAP siège à l’Économie nationale, quai Branly. Elle dispose de 250 millions de dollars pour 1950.
82 AEF, B. 16022, note n° 320, 6 mai 1950, 12 p.
83 AN, F60 ter 378, d. 113 cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 192, 20 septembre 1949, 2 p.
84 AEF, B. 16022, note n° 380, 25 mai 1950, 2 p. Les missions de salariés seuls, proposées par FO, sont rejetées.
85 Idem.
86 JM, AMF 14/6/25, doc. cité.
87 AEF, B. 16022, note au secrétaire d’État, n° 5, 5 janvier 1950, 3 p.
88 AEF, B. 16021, note au secrétaire d’État, n° 874, 24 décembre 1949, 1 p. ; cf. également Jean Dayre, Dimension des entreprises et productivité, Paris, 1950.
89 Idem.
90 Idem.
91 Idem.
92 AN, F60 ter 378, d. 111, audition de P.-P. Schweitzer au Conseil économique, 12 avril 1949, 36 p.
93 MAE, B. 9.6., d. « 49 — Plan Marshall — 1949 », note de Henri Bonnet à Robert Schuman, Washington, 6 janvier 1949, 1 p.
94 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 548-560, 3 p.
95 AN, F60 ter 378, d. 114, s. d. 1141, note transmise à P.-P. Schweitzer par le secrétaire général du Gouvernement, 26 novembre 1948, 7 p.
96 Idem.
97 Idem.
98 FRUS, 1949, vol. IV, p. 637, Bruce à Hoffman, traduit par nous.
99 MAE, B. 9.6., d. « 49 — Marshall 1949 », note de Henri Bonnet à Robert Schuman, 11 janvier 1949, 2 p.
100 FRUS, 1950, vol. III, p. 1364, Bruce à Acheson, 17 mars 1950.
101 François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, op. cit., p. 111.
102 AN, F60 ter 378, note pour le Ministre, secret, 16 janvier 1949, 17 p. Il n’est pas fait mention d’auteur, mais il est question de « ma direction » dans le texte, à propos de celle des Finances extérieures. Né en 1907, Guillaume Guindey était considéré comme le « patron » des hauts fonctionnaires moins âgés, tel François Bloch-Lainé. Toutes les citations jusqu’à la note suivante sont extraites de ce document.
103 MAE, B. 9.6., d. cité, note de Henri Bonnet à Robert Schuman, Washington, 6 janvier 1949, 1 p.
104 Idem, d. « 50 — Plan Marshall — 1949 », note de Henri Bonnet, Washington, n° 5301, 28 octobre 1949, 1 p.
105 Idem, d. cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 4362-4365, 13 décembre 1949, 1 p.
106 Idem. 13 % n’ont jamais entendu parler du Plan, 16 % sont nettement hostiles, 23 % sont sans opinion et 25 % formulent des opinions mitigées.
107 FRUS, 1950, vol. III, p. 1363, Bruce à Acheson, confidentiel, 17 mars 1950.
108 Cf. AN, F60 fer 486, document de l’ECA « programme ECA, avril 1948 — décembre 1950 », il est recensé deux lycées (Beauvais et Coutances) et deux usines (Pebernat dans les Pyrénées et Passy en Haute-Savoie).
109 AEF, B. 34315, d. « publicité », Lettre de Jean Guyot à Jacques Brunet, n° 9403, 25 mai 1950, 2 p.
110 Cf. Pierre Melandri, Les États-Unis..., op. cit., p. 169.
111 MAE, B. 9.6., d. « 49 — Plan Marshall — 1948 », dépêche de Henri Bonnet au SCE, Washington, n° 2620, 6 décembre 1948, 2 p.
112 Idem, dépêche du 17 décembre 1948.
113 Idem.
114 Cf. Diebold Jr., Trade and payments in Western Europe, New York, 1952.
115 Cf. Robert Frank, art. cité.
116 René Massigli, Une comédie..., op. cit., p. 161.
117 Cf. Alain Milward, The Reconstruction..., op. cit., p. 201.
118 Cf. supra, chapitre XXVI.
119 AN, F60 ter 378, d. 111, audition de P.-P. Schweitzer par la Commission de l’Économie nationale du Conseil économique, mardi 12 avril 1949, 36 p.
120 Idem.
121 JM, AMF 14/6/25, doc. cité.
122 Idem, 14/4/10, d. « Hoffman ».
123 Cf. Gérard Bossuat, art. cité.
124 Jean Monnet, Mémoires, op. cit., p. 330-331 ; cf. JM, AMF 22/3/3, d. « E. Plowden », note sur l’entretien Monnet-Plowden, 23 avril 1949. Cf. également Alan Milward, The Reconstruction..., op.cit., p. 201.
125 AN, F60 ter 389, d. 314, lettre de P.P. Schweitzer à Hervé Alphand, 14 janvier 1949, 2 p. Il y parle de « cacophonie » de l’Administration française.
126 AN, F60 ter 390, d. « Programme à long terme de la France », note de Jean Filippi au SGCI, octobre 1948.
127 Cf. supra, chapitre XXV.
128 Cf. Pierre Guillen, contribution in Raymond Poidevin, colloque cité.
129 AN, F60 ter 378, d. 111, doc. cité.
130 Idem.
131 AN, F60 ter 469, note de Gudlaume Guindey à Margerie (SGCI), 9 mai 1949 ; cf. également AEF, B. 33853, historique des projets d’assouplissement des changes et des échanges entre la France, l’Italie et le Bénélux, 14 novembre 1949.
132 Maurice Petsche le signale, à la réunion du 15 septembre 1949, cf. FRUS, 1949, vol. IV, p. 656.
133 MAE, B. 9.6., d. cité, circulaire du SIP n° 105, 4 avril 1949.
134 Idem, circulaire du SIP n° 293, 9 avril 1949.
135 Idem, d. « 50 — Plan Marshall — 1949 », Rapport du Président du Conseil et du secrétaire général de l’OECE, 31 août 1949, 8 p. et 2 tableaux.
136 Idem, circulaire du SIP n° 260, 7 septembre 1949.
137 Cf. Robert Frank, art. cité.
138 FRUS, 1949, vol. IV, p. 646.
139 Cf. Alan Milward, The Reconstruction..., op. cit., chapitre X et Pierre Melandri, Les ÉtatsUnis..., op. cit., p. 169.
140 Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 220. Cf. Myriam Camps, Britain and the European Community, Princeton, 1964.
141 René Massigli, Une comédie..., op. cit., p. 168 et suiv.
142 FRUS, vol. IV, p. 656, mémorandum sur les conversations américano-françaises sur les problèmes économiques.
143 Ibid.
144 MAE, B. 9.6., d. cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 3815-3818, 26 octobre 1949.
145 Idem.
146 AN, F60 ter 486, d. 500-501, Report on ERP (22 p.).
147 Cité in Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 213.s
148 FRUS, 1949, vol. I, p. 400 ; cf. Pierre Melandri, Les États-Unis..., op. cit., p. 169.
149 AN, F60 fer 469 et AEF, B. 33853, projet de mémorandum, SCE, 12 novembre 1949.
150 Idem, note de Henri Alphand, 5 décembre 1949.
151 MAE, B. 9.6., d. « 50 — Plan Marshall — 1950 », télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 534-542, 7 février 1950.
152 Cf. Pierre Gerbet, La construction de l’Europe, Paris, 1983, 498 p.
153 FRUS, 1950, vol. IV, p. 144.
154 Ibid., p. 445.
155 MAE, B. 9.6., d. cité, Hoffman, « Winning the peace », 2 mai 1950, 9 p.
156 Cf. Pierre Melandri, Les États-Unis..., op. cit., p. 43 ; René Massigli (op. cit., p. 195) y fait allusion.
157 René Massigli, Une comédie..., op. cit., p. 194.
158 JM, fonds AMG (archives sur le Plan Schuman), AMG 1 /1 /3, note de réflexion, 1er mai 1950, 6 p.
159 Idem, AMG 1/1/5, note de réflexion, 3 mai 1950, 9 p. Cf. les contributions du colloque d’Aix-la-Chapelle (1986) sur le Plan Schuman.
160 Idem, AMG 1/1/3, note citée.
161 Cf. Pierre Gerbet, Revue française de sciences politiques, vol. VI, n° 3, 1956.
162 Cf. FRUS, 1950, vol. III, p. 695 et René Massigli, Une comédie..., op. cit., p. 170 et Pierre Melandri, Les États-Unis..., op. cit., p. 43.
163 Cf. supra, chapitre XXV.
164 FRUS, 1950, vol. III, p. 695 ; il insiste sur ce point auprès de son ami Mac Cloy.
165 Ibid., p. 698 et 701, Bruce à Webb, Londres, 12 mai 1950.
166 Ibid., p. 707, Mac Cloy à Acheson, 23 mai 1950.
167 Ibid., p. 699.
168 Il y a cinq groupes de travail ; cf. Jean Monnet, Mémoires, op. cit., p. 385.
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Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006