Chapitre XXIX. Le « grand cabinet Schuman-Mayer » (II) : ajustement occidental et conversion
p. 1021-1062
Texte intégral
1Parallèlement à la stabilisation financière et aux ajustements libéraux du plan Mayer, le gouvernement Schuman fait approuver l’accord bilatéral qui consacre le bénéfice de l’aide Marshall pour la France. Mais cet ajustement occidental entraîne à la fois des apports précieux financièrement et des contraintes nouvelles.
2Désormais, l’État dispose de la perspective de ressources financières importantes, qui permettent d’envisager la construction d’un appareil stable de financement des investissements du Plan. Un double débat se développe alors au sein de l’État, pour définir qui doit en assurer la maîtrise et pour préciser quelle doit être l’ampleur des charges d’équipement à supporter.
I. LE TRIPLE AJUSTEMENT OCCIDENTAL
1. La France et le vote de l’aide Marshall : apports et contraintes
3La France est d’autant plus intéressée par le vote rapide du plan Marshall que sa trésorerie en dollars connaît une situation critique, malgré l’aide intérimaire.
4Au début de mars, il est question d’un épuisement des ressources du Trésor en or et en devises pour le 20 du mois, alors que Robert Lovett annonce que les États-Unis ont « gratté les fonds de tiroirs » pour accorder une aide d’urgence à la France. Il faut l’intervention du président Truman pour obtenir un complément à l’aide de décembre1. L’intérêt de la France est que l’aide Marshall soit à la fois suffisante, soumise à un contrôle et à des conditions peu contraignantes. Ce sont ces questions qui occupent les débats du Congrès, de janvier à avril.
Les postulats de Harvard : « l’investissement le moins cher et le plus sûr de maintenir la paix »
5On retrouve, lors des débats du Congrès sur l’aide Marshall, les divergences rencontrées à propos du vote de l’aide intérimaire.
6Les parlementaires isolationnistes à la Chambre et au Sénat, en particulier l’aile droite des Républicains, sous la conduite du sénateur Robert A. Taft, veulent limiter l’aide à des crédits de secours, comme dans l’UNRAA et l’assortir de conditions contraignantes : ils sont en partie soutenus par les Républicains qui tiennent à réduire les impôts, et ceux qui souhaitent ne pas négliger la Chine ou l’Amérique latine. Ils reçoivent également le renfort de l’ex-Président Hoover, qui reprend le projet Herter. Le centre le plus actif de l’opposition s’organise autour du Republican Study Group, présidé par Wherry et inspiré par Taft : il propose une aide, réduite à quatre milliards de dollars pour les premiers quinze mois, surtout en crédits remboursables. Le montant apparaît ainsi comme « un cheval de bataille de l’opinion »2. Cependant, l’Administration cherche à obtenir que la politique d’aide à l’Europe soit bipartisane : pour cela, elle dispose de l’aide précieuse d’Arthur H. Vandenberg, président de la puissante et décisive Commission des Affaires étrangères du Sénat. La procédure parlementaire, longue et complexe, s’étale du début de janvier — avec les débats dans les commissions des Affaires étrangères des deux Chambres — jusqu’au 2 avril, date à laquelle le projet de loi est voté par l’ensemble du Congrès, avant d’être signé le lendemain par le président Truman.
7Le plaidoyer présenté par le général Marshall et ses partisans s’appuie surtout sur l’argument suivant : les crédits votés permettront aux États européens de se relever et, ainsi, de résister « aux appels démagogues de la misère et des privations »3. En outre, il soutient que « le rejet de son programme entraînerait des dépenses plus grandes pour les États-Unis que son acceptation, du fait de la détérioration politique et économique qui en résulterait pour l’Europe et le monde »4. Arthur Vanderberg précise l’argument dans son « magistral discours » (Henri Bonnet), lors de la discussion finale du projet de loi devant le Sénat (le 1er mars). Il fait ressortir que « le rejet de l’ÉRP qui accroîtrait les risques encourus par le peuple américain, rendrait nécessaire le vote immédiat de sommes encore plus fortes pour la Défense nationale ». Il dénonce ceux qui cherchent à réduire les crédits comme d’« inconscients saboteurs », et présente l’ERP comme « l’investissement le moins cher et le plus sûr possible de maintenir la paix »5.
L’anticommunisme, meilleure arme contre l’isolationnisme
8Les partisans de l’aide Marshall vont bénéficier d’un atout supplémentaire : les effets produits à Washington par la tension internationale, accrue par les événements de Prague, et les craintes suscitées par les élections générales italiennes, fixées au 18 avril.
9Tout d’abord, au Sénat, le projet de loi de la Commission des Affaires étrangères est adopté, dans la nuit du 13 au 14 mars, à une majorité écrasante et clairement bipartisane : soixante-neuf voix (trente-huit démocrates et trente et un républicains), contre seulement dix-sept (treize républicains et quatre démocrates). Comme le rapporte l’ambassadeur de France : « On ne s’attendait pas à un succès aussi considérable »6. Mais, outre « l’action remarquable » du sénateur Vandenberg, il faut y voir le résultat de l’aggravation de la Guerre froide : « Il n’est, en outre, pas douteux que les événements survenus dans les dernière semaines en Tchécoslovaquie et en Finlande, de même que la menace d’une extension du communisme en Italie, ont contribué à la constitution d’une forte majorité en faveur de l’ERP et ont hâté la décision finale du Sénat »7. Lors des débats de cette séance « historique », pour la première fois, est apparue l’expression « hémisphère occidental ». Autre source de satisfaction pour la diplomatie française, le montant de l’aide pour la première année s’avère supérieur à celui qui était pressenti quelques semaines auparavant : 5,3 milliards de dollars, pour les douze premiers des cinquante et un mois de la durée totale du Plan, alors que le général Marshall, à la fin de janvier (avant les événements de Prague) parlait d’un compromis possible autour de 4,5 milliards8. Sur ce total, le projet du Sénat attribue plus d’un milliard à la France (près de 1,3 milliard avec les TOM, la ZFO et la Sarre), somme, il est vrai, inférieure de 300 millions à celle accordée à la bizone — si on ajoute aux 750 millions de l’aide les 800 millions pour les frais d’occupation9. D’autre part, au début de mars, les Représentants, jusque-là plus réservés que le Sénat à l’égard du Département d’État, se montrent décidés à voter la loi avant le 7 avril, afin qu’elle puisse entrer en vigueur « avant les élections italiennes qui leur causent de vives inquiétudes »10. Pierre Baraduc signale, au même moment, à Henri Bonnet l’importance du mois d’avril « qui peut être décisif pour l’Europe occidentale tout entière », et, plus précisément, du 18 avril, d’où il ressort « la nécessité de présenter avant l’événement de ce jour un résultat à l’opinion italienne. Les lenteurs américaines contribuent dangereusement à alimenter la propagande des adversaires du Plan Marshall et des projets de coopération »11. Contre toute attente, la Commission des Affaires étrangères de la Chambre maintient le chiffre de 5,3 milliards du Sénat, et écourte d’une dizaine de jours la durée des débats. Le 20 mars, Henri Bonnet constate : « Le désir de voir le plan entrer en vigueur assez longtemps avant les élections italiennes pour que la crainte d’en perdre le bénéfice puisse avoir son effet explique le changement d’attitude des Représentants »12. Lors du vote final à la Chambre, le 2 avril, la majorité est considérable, et comprend même davantage de républicains que de démocrates : 329 voix favorables (dont 158 démocrates et 171 républicains), contre 72 voix hostiles (soixante-et-un démocrates et onze républicains). Ainsi, les efforts, déployés de manière convergente sur les deux rives de l’Atlantique, afin d’empêcher la victoire du bloc socialistes-communistes aux élections italiennes, ont raison des « lenteurs américaines », et des velléités d’économies du sénateur Taft. Significatif à cet égard, le ralliement de l’ex-président Hoover, qui, le 24 mars, accepte désormais les 5,3 milliards demandés par l’Administration et le Sénat, « pour des raisons d’urgence politique »13. En Italie, l’intervention des représentants officiels américains pour les élections contribue sans doute autant que le vote rapide du Plan Marshall à assurer le triomphe de la démocratie chrétienne (48,5 % des voix, contre 31 % à l’alliance socialiste-communiste)14. En France, les autorités financières et diplomatiques se félicitent de pouvoir ainsi disposer, plus tôt — en janvier, Henri Bonnet évoquait la date du 1er juin comme probable — et en plus grandes quantités, des dollars Marshall. Avant même que l’organisation de l’ERP ne soit mise en place, un milliard de dollars se trouve rapidement réparti entre les Seize15. Cependant, le résultat n’a pu être acquis que grâce à l’amplification de l’anticommunisme, dans une conjoncture de guerre froide accrue, et à travers le recours dramatique au « chantage du faible », cette fois-ci appliqué à l’Italie : en France, la « plaie ouverte » par la rupture de l’année précédente n’allait pas se fermer de sitôt.
10Et la générosité des parlementaires américains pouvait se doubler du souci d’organiser l’aide sous un contrôle strict.
L’organisation de l’aide : le poids de l’ECA
11L’un des points les plus délicats pour l’Administration est de faire accepter son contrôle sur la gestion de l’aide.
12Le plan Herter prévoyait un Comité directeur bipartisan de huit parlementaires. Même le sénateur Vandenberg, acquis au principe du Plan Marshall, ne souhaite pas en confier l’exécution au seul Département d’État, car il s’agit d’une tâche ayant trait aux « affaires », à ne pas laisser traiter par des diplomates16. Après un mois de débats, le compromis résulte en grande partie de la reprise par Vandenberg de suggestions de la Broo-kings Institution, donnant à l’Administration de l’ERP une forme voisine de celle du contrôle de l’énergie atomique. Il est décidé de créer une Administration de Coopération Économique (ECA), dont l’Administrateur, nommé par le Président et responsable devant lui, a rang de ministre, et ne se trouve pas soumis au Département d’État. Selon Henri Bonnet, ses pouvoirs « paraissent discrétionnaires pour déterminer la forme et la mesure dans laquelle l’assistance (serait) accordée aux (participants) : il prendrait sa décision d’après la manière dont le pays intéressé se conformerait à ses (engagements) »17. Il est assisté d’un ambassadeur « ambulant », représentant le gouvernement américain auprès de l’organisme permanent, créé en Europe par les États bénéficiaires. En effet, le Département d’État, hostile, au début de l’année, à la convocation d’une Conférence des Seize, lève son objection et, le 15 mars, celle-ci se tient à Paris : peu après, est créée l’OECE (Organisation européenne de Coopération économique) regroupant les États participant à l’ERP. L’ambassadeur « ambulant » assure la liaison avec les différentes missions de l’ECA, installées dans chacune des seize capitales. En outre, l’Administrateur est assisté d’un comité parlementaire consultatif, le Capitole pouvant ainsi exercer une surveillance de l’emploi des fonds. Enfin, il est prévu que, outre le vote de la loi américaine sur l’ERP, rappelant les objectifs définis dans le Rapport des Seize, chaque État signe un accord bilatéral. L’OECE, quant à elle, est chargée d’établir des rapports sur l’emploi des fonds et de répartir l’aide votée par le Congrès chaque année. Pour les États bénéficiaires, et en particulier la France, cette organisation apparaît moins favorable qu’une gestion directe par le Département d’Etat, jugé mieux disposé à l’égard des Seize. D’ailleurs, il est prévu que l’Administrateur est en droit de demander aux États participants de soumettre à son approbation les programmes établis pour accroître la production de charbon, d’acier, de denrées alimentaires et le développement des transports intérieurs. Le Département d’État a tenté, en vain, de faire retirer cette disposition par la Commission sénatoriale des Affaires étrangères. Et l’ambassadeur à Washington souligne qu’« on peut regretter que l’Administrateur reçoive des pouvoirs discrétionnaires pour mettre fin à l’assistance »18. L’ECA apparaît comme « le bras séculier » du Congrès19. Cependant, du fait des personnalités choisies pour diriger l’ECA, l’organisation ainsi conçue se montre vite aux responsables français moins contraignante que dans le cas d’une soumission directe de l’aide au Congrès, comme le recommandait le plan Herter, appuyé par les parlementaires les plus réservés sur la politique d’aide à l’Europe.
13Trois jours après avoir signé la loi sur l’aide Marshall, Harry Truman désigne Paul G. Hoffman, Président de la Studebaker Corporation, comme administrateur, témoignant ainsi de la « propension à faire confiance pour des tâches importantes à des hommes d’affaires plutôt qu’à des fonctionnaires »20. Président du Committee for Economic Development, ami personnel d’Arthur Vandenberg, soutenu par Averell Harriman (il a fait partie du comité présidé par le secrétaire au Commerce), l’homme est critiqué dans les milieux syndicalistes et, sans être impliqué dans la politique active, est présenté comme républicain. Connu pour être l’adepte d’une politique nettement anti-inflationniste, il s’est déclaré partisan de l’inclusion de l’Allemagne occidentale dans l’ERP : « Il a déclaré que le potentiel de production de ce territoire devait être rétabli aussi rapidement que possible afin qu’il ne soit pas une charge permanente pour les Alliés »21. Un mois plus tard, Truman nomme Howard Bruce administrateur adjoint de l’ERP, et Charles S. Dewey directeur des services du comité de surveillance parlementaire de l’ERP. Ce dernier est considéré à l’ambassade de Washington comme un « grand ami de la France »22. Peu après, David K. Bruce est envoyé à Paris comme chef de la Mission spéciale de l’ECA en France. Il devient, avec William Tomlinson, représentant de la Trésorerie, l’interlocuteur privilégié des autorités françaises pour les questions relatives à l’aide Marshall. Tous deux établissent de bons contacts avec Jean Monnet qui, une fois encore, va s’appuyer sur son réseau d’amitiés américaines. Il profite de son voyage à Washington, en avril, pour effectuer d’utiles visites, dont une à Paul Hoffman.
14Outre l’organisation, les autorités françaises se montrent préoccupées par les conditions d’attribution de l’aide, telles que définies dans la loi.
Les conditions issues de la loi sur l’ERP et les « méfaits du tabérisme »
15Le texte de la loi sur l’ERP, voté le 2 avril, résulte de compromis entre le Sénat et la Chambre des Représentants. Des deux assemblées, celle-ci a voulu assortir l’aide de conditions plus contraignantes, y compris politiques. Le Sénat se montre plus compréhensif à l’égard de l’Administration, qui souhaite atténuer les propositions des Représentants, afin de rendre l’aide plus acceptable par les Européens. Ainsi, les conditions politiques se trouvent écartées23. La Chambre voulait en outre faire bénéficier l’Espagne du bénéfice de la loi. Le Quai d’Orsay proteste auprès du Département d’État, car une telle initiative « renforcerait les arguments de la propagande communiste »24. Après intervention de l’Administration, le Sénat parvient à faire reculer la Chambre sur ce point. En échange, les sénateurs acceptent d’inclure l’interdiction de toute réexpédition de marchandises vers les pays socialistes — à laquelle la France notamment est opposée — en l’atténuant toutefois par la référence à l’appréciation de l’Administrateur. De même, l’idée d’affréter 200 navires américains pour les expéditions vers l’Europe est abandonnée, au profit de la clause, moins contraignante, de l’obligation des cinquante pour cent du tonnage sous pavillon américain. Et la proposition de fournir des matières stratégiques européennes en remboursement est maintenue, mais quelque peu assouplie. Enfin, il est prévu une commission de contrôle parlementaire, mais limitée à dix membres et composée à égalité par des élus des deux assemblées. D’autre part, même après le vote de la loi, les sujets d’inquiétude demeurent pour les États européens. En effet, dans la procédure complexe d’attribution définitive, l’aide est examinée par les Commissions d’Appropriation des deux assemblées. Or celle de la Chambre, dirigée par le représentant Taber, tient à la fois à réduire les crédits et à multiplier les contraintes, notamment réserver dix pour cent des crédits pour l’achat de « matières stratégiques » essentielles pour les États-Unis, obliger l’achat de certaines denrées prélevées sur les stocks américains (notamment pour la laine, les engrais, le lait en poudre...)25. Le général Marshall, Paul Hoffman et le sénateur Vandenberg s’emploient à atténuer quelque peu ces restrictions. Une partie de la presse américaine dénonce les « méfaits du tabérisme » et le « sabotage de l’ERP », qui risquent de résulter des exigences de la Commission de la Chambre, et souligne le bénéfice que la propagande soviétique peut en tirer26. A la fin de juin, l’ambassadeur à Washington constate ainsi, avec soulagement : « L’acharnement de la fraction la plus conservatrice des Républicains n’a pas réussi »27. Paul Hoffman dispose, en fin de compte, d’un peu plus de cinq milliards de dollars à répartir — 5,050 milliards, soit quatre-vingt-seize pour cent de la somme initiale — pour les douze mois à venir. La retenue pour « matières stratégiques » est abaissée à cinq pour cent du total, les achats « off shore » ne peuvent être effectués à un coût supérieur à ceux du marché américain, l’obligation d’achat de lait en poudre est retirée. En revanche, l’épuisement des stocks de laine de la Commodity Credit Corporation est maintenue.
16Enfin, encore faut-il s’assurer que les accords bilatéraux n’aggravent pas les termes de la loi.
L’accord bilatéral : un projet initial « inacceptable »
17Le 27 mai, le gouvernement américain transmet — comme aux quinze autres gouvernements européens — un projet d’accord bilatéral au Quai d’Orsay, qui est tenu de formuler ses remarques rapidement, car il est précisé que l’entrée en vigueur ne peut intervenir après le 3 juillet, sous peine de suspension de l’aide. Or, ce projet initial « contient un certain nombre de dispositions qui le rendent inacceptable par les gouvernements européens et il est de nature à créer du point de vue politique les plus graves malentendus sur la portée du Plan Marshall »28. Certains des articles proposés accentuent « le caractère désobligeant de certaines dispositions de la loi », notamment sur les engagements en faveur de la stabilisation monétaire et financière, sur les informations à fournir et sur les facilités accordées pour l’accès à certains produits stratégiques (le gouvernement américain prévoit d’accorder le traitement national aux ressortissants américains intéressés, et même un rôle de bons offices du gouvernement français, pour obtenir ces mêmes produits de la part de pays tiers)29. Et d’autres articles contiennent des dispositions nouvelles par rapport à la loi. Deux d’entre elles inquiètent particulièrement les services français : l’engagement inconditionnel d’étendre à l’Allemagne, au Japon et à la Corée le bénéfice de la nation la plus favorisée, et la possibilité pour le seul gouvernement américain de rectifier le taux de change des monnaies, « en fonction des nécessités du commerce international », décidée à la suite d’engagements pris par John Snyder devant le Congrès30. Paris souhaite une démarche concertée des Seize. Le 7 juin, lors d’une séance secrète du Conseil de l’OECE, il est décidé que les ambassadeurs de France, du Royaume-Uni, de Suède et du Danemark à Washington entreprennent des négociations immédiates avec le Département d’État. Un comité de travail parvient à obtenir certains aménagements, à la suite de discussions avec William Thorp et ses collaborateurs. Il faut distinguer, selon les termes d’une note transmise à René Mayer, « les difficultés de fond » et ce qui, dans le projet, peut apparaître « choquant dans sa forme »31.
18Sur le fond, le gouvernement français obtient le retrait des prérogatives américaines en matière monétaire : reste seul l’engagement de faire « tous ses efforts (...) pour stabiliser (sa) monnaie »32. Pour l’article 5 — « accès à certains produits » — le droit est reconnu aux États-Unis de se fournir en matières stratégiques dans les TOM, sous réserve toutefois que le gouvernement français négocie préalablement « chaque fois que cela sera possible ». La clause ne peut jouer que pour une liste de produits préétablis, parmi lesquels les responsables américains ont affirmé ne s’intéresser vraiment qu’à l’uranium, au plomb du Maroc et au nickel de Nouvelle-Calédonie33.
Le fond et la forme : les déphasages entre gouvernement et opinion
19D’autre part, se posait la question du « traitement national » réclamé pour les ressortissants américains.
20Sur le fond, la question a déjà été tranchée, dans les faits, dès le début de l’année, à propos de la réponse à fournir à des demandes étrangères de participations à la recherche pétrolière dans les TOM, notamment en Tunisie. René Mayer, au CEI du 27 février, a affirmé que « dans la mesure où la Métropole n’a pas, pour des raisons financières ou techniques, assuré l’équipement indispensable au développement des territoires, il convient d’autoriser la participation de l’étranger à leur mise en valeur »34. Quelques semaines plus tard, Georges Bidault et Robert Lacoste inclinent dans le même sens35. Ainsi, la plupart des responsables français ne sont pas hostiles, sous réserve de négociations, à cet « accès aux ressources ». René Mayer, lors de l’ultime Conseil des ministres du 28 juin, répète d’ailleurs que la France ne trouvera jamais les capitaux nécessaires à l’outillage de la France d’Outre-Mer36. Cependant, il est nécessaire que la forme du texte de l’accord ménage les susceptibilités parlementaires, et celles de l’opinion. Aussi, sur la suggestion de Vincent Auriol, au lieu de mentionner l’engagement « d’accorder le traitement national aux ressortissants américains », l’article 5 § b se réfère à « l’exploitation de ces ressources dans des conditions équivalentes à celles dont jouissent les ressortissants français »37. De même, afin de faire disparaître la mention de la clause de la nation la plus favorisée à l’Allemagne, elle n’est signalée que dans un échange de lettres, de manière atténuée, il est vrai, par rapport au texte initial38.
21L’accord bilatéral, signé le 28 juin, est ratifié quelques jours plus tard à l’Assemblée nationale, à une majorité confortable (341 voix contre 184). Si, pour l’essentiel, seuls les communistes et les progressistes de Pierre Cot émettent un vote hostile — Auguste Lecœur évoquant un « Munich économique », à travers des « tutelles inadmissibles » — plusieurs députés, de sensibilité diverse, formulent des réserves sérieuses, et ne sont pas loin de souscrire aux propos que Maurice Thorez a tenus peu avant à un journaliste américain : « Nous ne demandons pas mieux que vous nous aidiez à faire cuire notre soupe, mais nous n’estimons pas que cela vous donne le droit de venir dans notre maison et, toutes les cinq minutes, de soulever le couvercle de la marmite pour voir ce qui y bout »39. Dans son plaidoyer, René Mayer ne manque pas d’évoquer les avantages indubitables de la future aide, notamment pour parachever la stabilisation intérieure — « Avec l’aide américaine, nous pouvons stabiliser définitivement la monnaie nationale » — et assurer le financement des investissements, par la contre-valeur en francs. Mais il souligne surtout le fait que la France n’a guère le choix : « Trouvez un autre donateur ! », s’exclame-t-il à l’adresse de ses contradicteurs40. Les possibilités apparaissent d’autant plus restreintes que, depuis les événements de Prague et parallèlement à la signature — le 17 mars — du pacte de Bruxelles, Georges Bidault sollicite, auprès du général Marshall, l’aide militaire de Washington41. Alors que les principaux responsables de la Troisième Force se félicitent de l’aide ainsi obtenue, et se résignent à se soumettre à ses conditions, l’opinion française ne manifeste guère d’enthousiasme. Un sondage, effectué en juin 1948, portant sur les mobiles supposés de l’aide, révèle que seulement seize pour cent des Français pensent que « l’Amérique est sincèrement désireuse d’aider les peuples affamés ou sans logis » — contre trente-trois pour cent en Angleterre, et quarante-quatre en Allemagne — alors que soixante-quatre pour cent estiment que « l’Amérique veut éviter l’expansion du communisme en Europe »42.
2. L’ajustement européen : Allemagne et OECE
22La question allemande est désormais imbriquée à l’aide Marshall et à l’organisation de Coopération européenne. La politique américaine pousse, en ce début de 1948, à la fois à l’unification économique de l’Allemagne occidentale et à son intégration au programme de relèvement européen.
23La France, dès le début de janvier, est placée, comme en juillet 1947, devant un nouveau fait accompli des généraux Clay et Robertson : la Charte de Francfort crée pour la bizone une sorte de gouvernement économique, composé d’une Chambre et d’un Exécutif, responsables devant le Conseil. Bien que provisoire, cette structure, sans préfigurer un gouvernement allemand, témoigne du moins de la volonté du Commandement allié d’aller rapidement dans ce sens. La France proteste, mais se trouve dans une position très inconfortable : elle ne peut à la fois conserver une zone d’occupation séparée et, dans le même temps, vouloir être consultée sur l’organisation de la bizone. À la fin de février, René Massigli informe Georges Bidault que Lewis Douglas l’a entretenu (il « insiste sur la nécessité d’intégrer au plus tôt l’Allemagne occidentale dans la communauté européenne ») et l’a averti que « la fusion des trois zones était essentielle (...) aux yeux de son gouvernement ». Il a évoqué l’urgence d’une réforme monétaire et d’une politique uniforme en matière de commerce extérieur43. Deux jours plus tard, s’ouvrent les interminables « conversations de Londres », dont l’objet est de débattre entre les Trois du futur État allemand44.
L’Autorité internationale de la Ruhr : un « pis-aller » ?
24Les Français proposent leur projet de l’automne précédent. Tout en renonçant à la séparation politique de la Ruhr, ils souhaitent une autorité internationale, qui disposerait des pouvoirs de gestion et de contrôle des mines et des industries sidérurgiques, au sein d’un État démilitarisé, décentralisé et en partie occupé. Dès l’ouverture de la première session, toujours soucieux de distinguer « revendications légitimes » et « illégitimes » des Français, les États-Unis, en la personne de Lewis Douglas, acceptent la constitution d’une Autorité internationale de la Ruhr — retenue dans le principe en août 1947, on l’a vu — mais dont les pouvoirs se limitent au contrôle de la seule répartition du charbon, du coke et de l’acier, entre la consommation intérieure et les exportations. La question de la propriété des mines n’est pas soulevée dans un premier temps, dans la mesure où les désaccords entre les Trois — « socialisation » pour Londres ; « internationalisation » pour Paris ; retour à des propriétaires allemands privés pour Washington — subsistent. Les Américains acceptent, contrairement à ce qui a été affirmé à l’été précédent, un contrôle, auquel les Français participent, avant même la signature d’un traité de paix. Certes, les responsables français obtiennent, outre l’Autorité internationale de la Ruhr (AIR), certaines satisfactions, notamment la création d’un Office militaire de Sécurité et l’assurance de livraisons de charbon. Mais, du fait d’une crainte accrue du danger soviétique (avant le blocus de Berlin), les Américains tiennent grand compte des propositions soudaines du général Lucius D. Clay de précipiter la formation de l’Allemagne occidentale45. Dès lors, l’AIR ne peut être qu’un « pis-aller » (Raymond Poitevin), et la conférence marque l’effondrement des thèses françaises, l’alignement sur la politique allemande anglo-saxonne, ce qui, compte tenu de l’état de l’opinion en France, coûte en partie son ministère à Georges Bidault, désormais durablement écarté du Quai d’Orsay au profit de Robert Schuman qui, dès l’automne de 1948, tente de bâtir, dans le cadre occidental, une nouvelle politique allemande constructive46.
Le prix à payer pour les dollars Marshall ?
25Les accords de Londres scellent ainsi la fin de ce que William Clayton appelait l’année précédente les « revendications illégitimes » de la France au sujet de l’Allemagne, notamment en matière d’hégémonie sidérurgique. Et les désillusions définitives sur la place des réparations allemandes dans le relèvement français suivent de près. Il n’existe pas de document mettant en évidence chez les responsables américains la corrélation explicite entre l’alignement de la politique allemande de la France et l’attribution de crédits importants au titre de l’aide Marshall. Cependant, le lien apparaît explicitement à propos, non pas des crédits pour la France, mais pour la zone française d’occupation. Un télégramme de la direction des Affaires économiques, signale, de Londres, à la fin d’avril 1948 que le gouvernement américain fait de l’institution du « pool » du commerce extérieur en Allemagne une « condition préalable » de l’admission de la zone française au bénéfice de l’ERP. D’autre part, le lien a été intériorisé par avance par les décideurs français, à l’image de Georges Bidault qui, au Conseil des ministres du 26 mai 1948, a signalé l’impossibilité de « cumuler » l’assistance financière américaine et le maintien des thèses françaises47.
3. La bataille de la contre-valeur : une victoire pour Jean Monnet
Jean Monnet fait adopter le tryptique prélèvement, financement des investissements, contre-valeur
26Dès le mois de septembre 1947, en évoquant la nécessité d’une aide intérimaire, Jean Monnet suggère d’utiliser la contre-valeur en francs pour le financement de la Reconstruction et des investissements du Plan48. Il reprend l’idée dans une annexe à la lettre pour René Mayer du 6 décembre. À cette date, il envisage une double utilisation de la contre-valeur : une part devrait servir au financement de la Reconstruction de l’Équipement des Activités de base, le solde étant affecté au remboursement de la dette49. Parallèlement, au cours des négociations sur l’aide intérimaire, le Quai d’Orsay a fait adjoindre à l’accord bilatéral une annexe, dont la section I mentionne le dépôt à la Banque de France dans un compte spécial, ouvert au nom du Crédit national, de l’équivalent en monnaie française des dollars accordés pour les importations françaises : ces fonds, outre ceux servant à « couvrir les dépenses d’ordre administratif en monnaie française du Gouvernement des États-Unis », pourront être employés « pour des remboursements effectifs sur la dette nationale française ou par le retrait définitif de monnaie en circulation et à telles autres fins, y compris des mesures de nature à faciliter la stabilisation de la monnaie française qui pourraient être ultérieurement convenues entre les deux gouvernements »50. La porte reste donc ouverte pour définir l’utilisation effective.
27Le gouvernement français procède comme le propose Jean Monnet dans son mémorandum du 6 décembre. Il dépose un projet de loi — qui devient la loi du 7 janvier 1948 — instituant, parallèlement au « prélèvement exceptionnel », une Caisse autonome de la Reconstruction (CAREC), et un Fonds de Modernisation et d’Équipement (FME). Dans le même temps, il propose au gouvernement américain, au moment où est signé l’accord bilatéral sur l’aide intérimaire, d’utiliser les francs de contre-valeur « à des fins productives telles que la Reconstruction et l’Équipement »51. Le jour même de la signature — 2 janvier 1948 — Georges Bidault transmet à Jefferson Caffery une lettre, dans laquelle le ministre précise quelles sont les intentions de son gouvernement pour l’utilisation des francs du Compte spécial : il envisage — outre les dépenses administratives du gouvernement américain — des versements aux nouveaux organes de financement (CAREC et FME) contenus dans le projet de loi, déposé à l’Assemblée au même moment. Il rassure ses interlocuteurs, en signalant le « caractère temporaire » de ces deux organismes, et du financement de leurs ressources. Il ajoute : « Quand la situation monétaire sera assainie, et que des emprunts à long terme pourront être plus facilement placés pour faire face à la totalité des dépenses d’investissement reconnus nécessaires ... [les francs] seront affectés au remboursement de la dette contractée envers la Banque de France, et par conséquent, à la résorption de l’inflation monétaire ancienne »52. On reconnaît là les formules de Jean Monnet, toujours soucieux de mettre en évidence la volonté française d’arrêter de recourir aux avances de la Banque de France, objet des préoccupations des responsables de Washington.
L’affectation de la contre-valeur de l’aide intérimaire : un précieux précédent
28Les débats franco-américains sur l’application de l’aide intérimaire portent sur deux points — outre la détermination des marchandises à acquérir (qui ne posait guère de difficultés, du fait du caractère urgent des approvisionnements en produits vitaux : charbon, pétrole, blé...) : le contrôle et l’utilisation de la contre-valeur. Or, les solutions qui vont prévaloir à ce sujet risquent de créer un précédent pour l’aide Marshall proprement dite.
29Au début de janvier, Hervé Alphand fait savoir à Daniel J. Reagan, conseiller de l’Ambassade à Paris pour les Affaires économiques, que Wilfrid Baumgartner, directeur du Crédit national, sera probablement l’administrateur français de l’aide intérimaire. Il recommande que celui-ci dirige toutes les investigations réclamées par les autorités américaines, au sujet de l’utilisation des fonds de contre-valeur, afin d’éviter des incidents liés aux probables accusations des communistes, qui risquent de déployer leur propagande sur de prétendus espions américains53. Daniel J. Reagan convient que « de manière évidente (nous) avons autant intérêt que les Français à éviter des incidents qui pourrait servir les buts des communistes », mais rejette sa suggestion, en ajoutant que les investigations peuvent se dérouler de manière discrète54.
30Quant à l’utilisation des fonds, elle fait l’objet d’une réunion, dans le bureau d’Hervé Alphand, le 28 janvier. Daniel J. Reagan répond aux termes de la lettre de Bidault, en rétorquant que, contrairement aux propositions françaises, le Congrès américain a prévu les formes d’utilisation des fonds et « insiste sur le fait qu’il a reçu des instructions très précises pour demander qu’une part des fonds du compte spécial soit employée à éteindre notre dette intérieure »55. Et William Tomlinson, représentant de la Trésorerie, souligne, avec lucidité, que l’utilisation des fonds créera un « précédent pour l’application plan Marshall ». Il rappelle les engagements anti-inflationnistes contenus dans le Rapport des Seize, et la vigilance du Congrès à cet égard : or, il redoute que l’utilisation prévue ne soit inflationniste56. Jean Monnet expose le plaidoyer français : protestant de la volonté stabilisatrice et anti-inflationniste du gouvernement, attestée par les récentes mesures du plan Mayer, il évoque des risques graves pour le « redressement à long terme et l’équilibre du marché du travail », si les programmes de reconstruction et d’équipement sont réduits encore davantage : « Il est indispensable que la production (française) se maintienne et même soit augmentée pour que notre pays puisse participer effectivement au relèvement de l’Europe »57. Il oppose habilement les objectifs productivistes du futur plan Marshall à des mesures déflationnistes plus rigoureuses. Hervé Alphand évoque également « les conséquences très sérieuses » de réductions supplémentaires, agite le spectre du chômage, et propose la rédaction d’un mémorandum58. Quelques jours plus tard, Georges Bidault annonce à l’ambassade américaine que, sur sa demande, le Conseil des ministres vient de confirmer au Commissariat général au Plan « la coordination régulière, sur le plan intérieur, des travaux des différents départements ministériels intéressés à l’exécution des programmes d’aide américaine »59. C’est effectivement Jean Monnet qui rédige le mémorandum — en date du 14 février — transmis à l’ambassade américaine. Il y présente un exposé détaillé de la situation financière, avec les prévisions de trésorerie pour le premier semestre de 1948. Il rappelle « les mesures déjà prises par le gouvernement français en vue de la stabilisation », signale la résorption du déficit des finances publiques, prévue pour 1948 (à l’exception de la réparation des dommages de guerre), et mentionne les réductions importantes déjà opérées dans les programmes d’investissement, « qui s’étagent entre 30 % pour l’électricité et 50 % pour les chemins de fer ». Mais il ajoute qu’« une réduction massive des investissements prévus, outre qu’elle compromettrait gravement le développement de la production pendant les prochaines années et mettrait ainsi en question la possibilité pour la France d’équilibrer sa balance des paiements dans un délai raisonnable, serait désastreuse, dans l’immédiat, pour la politique même de stabilisation »60. Le Commissaire au Plan, fidèle à sa méthode, insiste sur la convergence fondamentale avec les perspectives stabilisatrices tracées à Washington : « Sur le principe il n’y a aucun désaccord : la contre-valeur en francs de l’aide intérimaire doit servir à la stabilisation de la monnaie française. La seule question en discussion est celle de savoir de quelle manière elle y contribuera le mieux »61. Ayant ainsi délimité les termes du débat, qui portent sur les modalités de parvenir aux mêmes fins, il justifie ainsi la position française : « Le gouvernement français considère, étant donné les mesures prises par lui en vue d’une telle stabilisation, que le résultat sera plus efficace si les francs encaissés grâce à l’aide intérimaire sont provisoirement utilisés au financement sans inflation des travaux les plus urgents de reconstruction et de modernisation, plutôt que d’être immédiatement et directement affectés au remboursement des avances de la Banque de France »62. Habilement, le Commissaire au Plan souligne la part faible — bien que décisive — de la contre-valeur, en regard de l’effort national — une quarantaine de milliards de francs sur un total de deux cent quarante — et sur le caractère provisoire de relais de ce financement public.
31Les conversations se poursuivent en février et mars, à l’Ambassade américaine : Jean Monnet et François Bloch-Lainé défendent la position française, en fournissant des informations complètes sur la trésorerie, attestant des efforts pour préparer l’arrêt des avances de la Banque de France. Jean Monnet précise, au début de mars, dans un projet de lettre pour René Mayer : « L’accord reste à trouver (...) Leur préoccupation essentielle [des Américains] est de nous voir affirmer de façon précise notre intention définitive de ne plus recourir, sauf événements exceptionnels, aux avances de la Banque de France »63. Il propose que le gouvernement français prenne les devants, fasse une déclaration affirmant que « l’objectif essentiel, dans l’immédiat, de la politique économique et financière du gouvernement est la stabilisation de la monnaie », qu’il s’engage à ne plus recourir aux avances de la Banque de France, et examine avec les représentants de Washington, en avril, les perspectives de trésorerie pour le second semestre. Il annonce son intention de mettre à jour le Bilan national à cet effet. À défaut de cette « initiative » française, le risque existe de devoir « accepter une surveillance étroite de nos finances intérieures »64. Or, de cette négociation, dépend non seulement le sort de la contre-valeur de l’aide intérimaire, mais « surtout celui des ressources en francs que les crédits Marshall permettent de dégager et qui s’élèveront selon les perspectives actuelles à 200 ou 250 milliards de francs »65. Les conseils de Jean Monnet sont entendus. Et le 22 mars, Daniel J. Reagan signale à Hervé Alphand l’accord de Washington pour l’utilisation de vingt-cinq milliards de francs de contre-valeur (sur les trente-quatre alors déposés au compte spécial), pour des dépenses de reconstruction et d’équipement. Dans une lettre du 2 avril, à l’Ambassade, le Quai d’Orsay demande la possibilité d’utilisation ultérieure aux mêmes fins. Au même moment, du fait de la pénurie aiguë de dollars et des difficultés de maintenir le ravitaillement, la France obtient un complément d’aide intérimaire66. Cependant, pour obtenir la garantie de la soudure en blé, Jean Monnet est envoyé à Washington. Il en profite pour essayer de consolider sa victoire sur la contre-valeur, et de l’étendre à celle de l’aide Marshall.
La contre-valeur de l’aide Marshall : un accord de principe
32À Washington, le Commissaire au Plan, en compagnie de Henri Bonnet, rencontre Paul G. Hoffman, qui vient d’être choisi par Harry Truman, comme Administrateur de l’Economic Cooperation Administration (ECA), chargée de la gestion de l’Economic Recovery Program (ERP) — soit l’aide Marshall — votée peu avant par le Congrès.
33Or, l’utilisation de la contre-valeur en francs de l’ERP doit être précisée dans un accord bilatéral, qui ne peut être conclu avant plusieurs semaines. Toutefois, la visite à Paul Hoffman est encourageante. Jean Monnet témoigne que la résolution américaine de « contribuer au relèvement européen par des crédits et à sa sécurité par un programme d’armement est réelle »67. Et Henri Bonnet retire la « meilleure impression » de la discussion sur les fonds de contre-valeur. A ce sujet, Paul Hoffman lui apparaît « certainement favorable en principe à leur emploi pour l’extension de la production (...), pour améliorer l’équipement des entreprises susceptibles de provoquer un accroissement de Revenu national »68. Quelques semaines plus tard, le Commissaire au Plan confirme à René Mayer, Robert Schuman et Georges Bidault : « Je n’ai aucun doute — mes conversations de Washington me l’ont confirmé — que les États-Unis seront d’accord pour que cette contrepartie soit appelée aux investissements productifs. Le développement de la production répond entièrement aux objectifs du Plan Marshall et l’Administrateur n’obtiendrait pas l’accord du Congrès pour financer d’autres dépenses par ce moyen »69.
II. LA CONSTRUCTION D’UN APPAREIL DE FINANCEMENT PUBLIC DES INVESTISSEMENTS
34Dès le 20 décembre 1946, Jean Vergeot a rédigé pour Jean Monnet une « note relative à la création d’une caisse autonome des investissements publics et au statut du Commissariat au Plan »70. Un an plus tard, avec l’arrivée de l’un de ses proches, René Mayer, rue de Rivoli, Jean Monnet espère profiter des circonstances favorables, et notamment la perspective de la prochaine aide Marshall, pour ajouter à la maîtrise technique du Plan le contrôle de son financement. L’enjeu est de taille, puisque le Commissaire au Plan affirme ses prétentions à diriger le futur appareil de financement public des investissements.
1. La bataille du FME (décembre 1947-mars 1948)
Jean Monnet propose de créer et de contrôler un Fonds de Financement (décembre 1947)
35Dans une annexe au mémorandum transmis à René Mayer au début de décembre, Jean Monnet propose — on l’a vu — la création de deux institutions nouvelles, qu’il intitule respectivement « Caisse Autonome de Reconstruction » (CARec), et « Fonds de Financement des Activités de Base ». Pour ce dernier, il rédige même un projet de loi détaillé, comportant un exposé des motifs, et plusieurs articles, portant notamment sur l’organisation et les ressources71. Les arguments développés dans l’« Exposé des motifs » s’appuient sur l’expérience de la première année d’exécution du Plan. Les difficultés pour assurer la cohérence et la stabilité d’un financement effectif des activités de base du Plan ont été certes quelque peu occultées en 1947 par le goulot des matières premières et des devises. Mais, alors que celui-ci se résorbe, elles risquent désormais de représenter le principal obstacle à la réalisation du Plan Monnet. Or, d’après le Commissaire au Plan, « le développement des activités de base doit être impérativement poussé au rythme prévu, quelles que puissent être les adaptations que la conjoncture nationale et étrangère exigera dans les autres secteurs au cours de l’exécution du Plan »72.
36En 1947, le gouvernement a bien reconnu la priorité des « activités de base », et a orienté le financement dans ce sens, à travers les banques, le Crédit national ou la Caisse des Marchés, en accord avec les Finances. Cet effort a permis le lancement de programmes de travaux neufs aux Charbonnages, à l’EDF ou à la SNCF. Mais, cette méthode « n’est pas à la mesure du problème » ; les investissements des activités de base forment « un ensemble ordonné », qui ne peut souffrir de retards : « L’exécution d’un programme à long terme est incompatible avec un financement au jour le jour »73. Le projet de Fonds est destiné à apporté la « sécurité de financement », par la mobilisation de « ressources certaines pendant tout le cours de l’exécution du premier Plan de Modernisation et d’Équipement »74. Les commandes ne peuvent être passées aux entreprises, que s’il existe la « certitude des ressources », et elles doivent l’être suffisamment à l’avance, pour éviter les retards dans l’exécution des programmes. Pour ce faire, Jean Monnet propose la création d’un « Fonds National d’Équipement des Activités de Base ». Sa mission doit être « essentiellement temporaire : elle coïncide avec la période d’exécution du premier plan de Modernisation et d’Équipement et prend fin avec l’achèvement des objectifs fixés dans le Plan pour les secteurs de base ». Aussi, le titre IV du projet prévoit-il la liquidation effective du Fonds au 31 décembre 195075. Comme « l’intérêt national commande qu’aucun délai ne vienne retarder l’engagement des travaux les plus nécessaires à la renaissance du pays », le Fonds doit apporter « un concours prompt et efficace ». Dans ces conditions, il n’émet pas d’emprunt. L’épargne ne sera sollicitée qu’ensuite : il s’agit d’un financement de relais, assurant l’intérim du marché financier76. Il n’a pas à « se substituer » aux entreprises des secteurs de base, mais doit exercer une vigilance modernisatrice : « En contrepartie, il est en droit d’exiger que les réorganisations nécessaires (...) soient plus résolument et plus rigoureusement menées »77.
37Dans le titre II — sur les ressources — il est question pour l’État de doter le Fonds chaque année d’une somme équivalent au moins à soixante pour cent de la valeur des investissements nécessaires à la réalisation des tranches annuelles des programmes des activités de base. Pour 1948, le Fonds bénéficiera d’une fraction de la contribution exceptionnelle de stabilisation, et du solde net de la contre-valeur en francs de l’aide américaine. Ainsi, à travers ses ressources, le Fonds est, du fait de la conjoncture même de sa naissance, lié à la fois à la stabilisation et à la réalisation de l’aide américaine.
38D’autre part, Jean Monnet envisage une organisation originale, en vue de confier la conduite du Fonds à « un petit nombre d’hommes agissant en pleine indépendance, au mieux de l’intérêt général »78. L’article 2 du titre I fait référence à un Conseil de huit membres (cinq fonctionnaires et trois « personnalités compétentes »), sous l’autorité d’un Président-directeur général, nommé par décret contresigné par le ministre des Finances, après avis du Commissaire général au Plan79. Ainsi, Jean Monnet peut espérer — alors que le ministre des Finances n’a jamais été, depuis 1945, aussi proche de lui — atteindre l’apogée de son influence, en faisant de la rue de Martignac le poste où se décideraient, non seulement les objectifs économiques, mais aussi l’attribution des ressources financières.
39C’était sans compter avec la puissance de résistance de la rue de Rivoli.
La rivalité entre le Plan et les Finances : la crainte de « bandelettes stérilisantes »
40Dès réception de la lettre de Jean Monnet par René Mayer, les négociations s’engagent entre le Plan et les Finances sur le projet de « Fonds national de Modernisation et d’Équipement ». Mais il apparaît rapidement qu’« un point capital est en débat », quant à la direction du Fonds : au projet de Jean Monnet, les services de René Mayer opposent un Conseil de gestion formé de seuls hauts fonctionnaires issus de différents ministères, une « sorte de collège administratif ». Le Commissaire au Plan, par une lettre du 21 décembre, en appelle à l’arbitrage de René Mayer : « C’est pour trancher le débat que je fais appel à vous »80. Il reproche à la solution des Finances l’inconvénient d’engendrer la « confusion des responsabilités ». En revanche, sa proposition aboutit à la nomination d’un président-directeur général, consacrant tout son temps à sa nouvelle tâche, qui n’est pas seulement financière ou administrative, mais aussi économique et technique, car son rôle est de suivre la réalisation des programmes et de veiller à l’utilisation des fonds : « un rôle dynamique essentiel ». Il associe l’adoption de son projet à la réussite de la modernisation, « sans laquelle, après les crédits américains nous deviendrons ou l’Espagne ou les tributaires de ceux qui voudraient bien à leurs conditions nous consentir de nouveaux crédits »81.
41La loi du 7 janvier 1948, qui institue le « prélèvement exceptionnel », fait référence à un « Fonds de Modernisation et d’Équipement », alimenté par un tiers des ressources du prélèvement. Mais le statut de cet organisme nouveau reste en suspens. Il semble, d’après le témoignage d’Etienne Hirsch, confirmé par celui de Claude Tixier, que René Mayer ait été sensible aux arguments de Jean Monnet : d’ailleurs, ce dernier, dans une lettre à René Mayer du 13 janvier, le remercie d’avoir suggéré de nommer « Bernard », directeur général du Fonds82. Il ajoute, à propos de Wilfrid Baumgartner — directeur du Crédit national et, à ce titre, on l’a vu, gestionnaire de la contre-valeur en francs de l’aide Marshall — qui avait sans doute été pressenti : « Il ne comprend pas ce qu’il a (sic) de vital dans cette affaire et se perd dans des histoires administratives » ; il conclut, en affirmant qu’il s’agit là d’une « grande entreprise à mettre sur pied (...). Je compte sur vous pour ne pas la laisser entourer de bandelettes stérilisantes »83. Dans une nouvelle lettre, accompagnée d’un nouveau projet de loi, il enfonce le clou : « Il a paru nécessaire (...) d’organiser une liaison intime entre le Fonds national et le Commissariat général au Plan », afin de lui donner un rôle « beaucoup plus industriel que financier », de le débarrasser « de tout caractère bureaucratique », et d’en faire « un organisme fort, indépendant et capable d’exercer son influence sur le comportement de ses emprunteurs »84. Jean Monnet sait que, par sa carrière même, René Mayer ne peut être indifférent à l’argument selon lequel un organisme indépendant doit être, davantage qu’un service administratif, synonyme de sécurité de financement pour les grands emprunteurs privés comme pour leurs fournisseurs d’équipements. Il prend d’ailleurs l’exemple de la sidérurgie, et ajoute : « La sécurité du financement est aussi nécessaire à ces entreprises qu’aux entreprises nationalisées et pour les mêmes raisons »85. En outre, un « état-major peu nombreux, et dégagé de l’exécution matérielle des opérations », lui paraît le mieux à même de répondre rapidement au défi de la modernisation. Il répète : « La France a une échéance ». A la fin de l’aide américaine, en effet, la modernisation doit être telle que l’économie française soit en mesure de produire et d’exporter suffisamment pour assurer ses besoins intérieurs et ses importations indispensables. Le Fonds est vital pour opérer cette modernisation, grâce à son rôle de « relais financier (...) sans attendre que la stabilisation financière et la renaissance de l’épargne permette de recourir au marché financier ». Il doit, en outre, fournir la garantie que l’effort d’investissement ne sera pas cause d’inflation, et ne remette en cause les mesures de stabilisation ; d’ailleurs, « la création du Fonds (...) facilitera grandement la souscription de l’emprunt en France »86. Jean Monnet, selon sa méthode habituelle, n’hésite pas à offrir au responsable politique la possibilité de s’attribuer le mérite des idées qu’il lui suggère87. Enfin, ultime argument — et non des moindres — la bienveillance de Washington : « Je vous rappelle (...) qu’avant même d’avoir été adopté par le Gouvernement français, le Plan a été l’élément central des négociations qui ont permis d’obtenir les crédits américains en 1946. (...) rien ne peut mieux servir notre cause actuellement au Congrès que l’effort de stabilisation que vous faites, complété par l’effort de modernisation que rendra possible l’institution dont le Fonds est la clef de voûte »88.
René Mayer penche du côté de François Bloch-Lainé
42Cependant, René Mayer, après avoir hésité, « s’est incliné devant l’opposition de Bloch-Lainé »89.
43Le souci du directeur du Trésor est de ne pas « démembrer » la trésorerie, qui doit rester une, même avec l’impératif supplémentaire de la réalisation du Plan : il propose la constitution d’un compte spécial du Trésor, flanqué de comités techniques90. Jean Monnet, averti que son projet est abandonné rue de Rivoli, propose, le 21 février, « de surseoir pour l’instant à la création du Fonds de Modernisation », en particulier jusqu’au moment où le Plan Marshall sera approuvé, avec les perspectives de financement qu’il pourra ouvrir91. Peu après, une lettre adressée au Commissaire au Plan (elle est anonyme dans les archives Monnet, mais il s’agit sans doute d’un de ses collaborateurs de la rue de Martignac) prévient ce dernier que René Mayer « n’envisage pas de lui [il s’agit du FME] donner l’autonomie vis-à-vis des Finances que nous demandons »92. Le ralliement de René Mayer à la position de ses services proviendrait d’« intrigues diverses », du soutien de Roger Boutteville à la solution de Bloch-Lainé. Mais, plus généralement, le ministre des Finances « se veut un peu comme le « briseur » des féodalités administratives qui se sont constituées depuis la libération (...) le Commissariat en est une (...). Il nous l’a dit l’autre jour. Très jovialement d’ailleurs »93. Outre l’image, entretenue par René Mayer, de celui qui « remet de l’ordre dans la maison gouvernementale et administrative », on peut penser que le souci de maintenir l’unité de la trésorerie a également pesé : le tout jeune et léger Commissariat au Plan, malgré le dynamisme de son principal responsable, avait peu de poids pour s’imposer face au vénérable Mouvement général des Fonds, à propos de questions mettant en jeu, pour des sommes importantes, une part de la trésorerie de l’État94. Aussi, le 21 mars 1948, une loi fait fonctionner le FME, mais, à titre provisoire — qui va se prolonger sur plusieurs lustres — comme un compte spécial du Trésor.
44Au début d’avril, Jean Monnet, alors à Washington, écrit à René Mayer que l’accord sur l’aide Marshall sera conclu avec la France seulement dans plusieurs mois. Il approuve par conséquent la création immédiate du Fonds, dont les « ressources (...) proviendront essentiellement de la contrepartie en francs des importations Marshall ». Cependant, il ne renonce pas à manifester une nouvelle fois son scepticisme, quant à la capacité de l’Administration des Finances à assurer le financement des investissements du Plan : « Nous voyons réapparaître les méthodes d’irresponsabilité que (...) je considère comme une des causes essentielles de nos difficultés actuelles »95. Il réitère ses propositions du 13 janvier, et considère que le système envisagé aux Finances « prive l’institution du Fonds de toute substance et mettrait en très sérieux danger l’exécution du Plan de Modernisation ». En outre, il signale que, par sa proposition, les interlocuteurs américains ont l’assurance que les ressources en francs issues de l’aide ne seront pas détournées pour les usages courants du Trésor96. Toutefois, comme le constate son collaborateur cité plus haut : « L’argument américain (...) que nous avons développé est sans aucun effet (...) il sera efficace le jour où ce seront les Américains eux-mêmes qui l’exploiteront »97. Une fois encore, Jean Monnet n’hésite pas à présenter ses propositions comme fournissant les meilleures garanties d’un accueil bienveillant outre-Atlantique : il en a usé ainsi pour le Plan en 1945-46. Mais les responsables des Finances, et en particulier François Bloch-Lainé, ne sont pas dupes, dans la mesure où les Américains n’emploient pas eux-mêmes l’argument, et où Jean Monnet le leur souffle98. Il aurait été question, rue de Martignac, de faire appel à Robert Schuman — c’est l’idée d’Etienne Hirsch — voire de susciter l’intérêt de certains parlementaires, malgré les risques d’une « démagogie à la Tanguy-Prigent » : mais ces velléités semblent n’avoir pas eu de suite99.
45En revanche, Jean Monnet ne désarme pas. Au début de juin, il transmet lettre et mémorandum à René Mayer (qu’il envisage, après accord, de faire parvenir aussi à Robert Schuman et Georges Bidault). Il plaide en faveur d’une reprise du rythme normal des programmes d’investissements du Plan, et réclame encore une « liaison organique » entre le FME, les Commissions de Modernisation et le Commissariat général au Plan, de manière que ce dernier « ait sans équivoque la responsabilité de faire servir effectivement l’emploi de ces ressources à la réalisation des programmes qui auraient été approuvés par le Parlement », afin de le soustraire « à la pression journalière des intérêts de toute nature et aux hésitations des services routiniers »100.
46Il invoque la lettre qu’il a reçue, à la fin d’avril, de la part du président du CNPF, qui se plaint des modifications apportées à la réalisation des programmes des activités de base en 1947. Il conclut : « Les chefs d’entreprises ne peuvent vivre à la petite semaine et, pour leur propre gouverne, ils ont besoin d’une vue générale d’avenir »101. Il défend l’idée d’un « rôle supplétif » du Fonds en matière de financement. L’organisme aura également une tâche d’incitation, particulièrement pour le secteur privé : « il pourra être nécessaire de les [les entreprises du secteur privé] pousser à la modernisation, à l’exportation, aux rationalisations et aux spécialisations »102. Un FME autonome à l’égard des Finances lui paraît d’autant mieux armé pour jouer, à l’égard du secteur privé, le rôle d’aiguillon de la modernisation, notamment par le biais d’« accords contractuels », prévoyant des accroissements dans les productions ou les exportations103.
2. L’« invention » de la Commission des investissements et le compromis Rivoli-Martignac
Le décret du 10 juin 1948
47Habilement, François Bloch-Lainé, assuré de conserver la tutelle sur le FME, n’abuse pas de sa victoire, et, pour désamorcer la pression du Plan, renonce à réserver au seul Trésor l’examen du financement des investissements du Plan. Aussi « invente »-t-il une Commission des investissements, créée par un décret du 10 juin 1948104. Cette institution est destinée à « pallier dans une mesure appréciable les inconvénients certains de cette dispersion de l’autorité ». Pour ce faire, elle réunit, sous la présidence du ministre des Finances, les responsables attachés à la définition des objectifs économiques (le Commissaire général au Plan, le directeur des Programmes économiques du MEN), les représentants des ministères dépensiers (ministères techniques, tels que l’Agriculture, l’Industrie et le Commerce, la Reconstruction et l’Urbanisme, les Travaux publics, les Transports et le Tourisme, les PTT ...) ainsi que les responsables des ressources et de la répartition du crédit (les directeurs du Budget et du Trésor, le Gouverneur de la Banque de France et le Président-directeur général du Crédit national)105. Le secrétariat est toutefois assuré par un haut fonctionnaire de la direction du Trésor, Jean Guyot. Appuyée sur sept groupes de travail spécialisés, la Commission est chargée d’examiner les plans de financement des programmes d’investissements, de suivre l’utilisation des crédits obtenus (et, en particulier, ceux du FME).
48Lors de sa première réunion, le 21 juin, René Mayer, en qualité de président, commente le décret du 10 juin, insiste sur le caractère consultatif de la Commission, qui doit « donner son avis (...) (et) ne saurait en aucun cas se substituer aux autorités de tutelle ». Il charge ses membres d’examiner le programme d’investissements pour le second semestre de 1948, d’étudier à cet effet le rapport de la Commission Boutteville sur les entreprises nationales, et de rechercher les modes de financement appropriés106. Si la Commission est particulièrement intéressée au secteur public et national en matière de ressources financières (à travers celles du FME), comme de programmes économiques (ceux des entreprises nationalisées), elle ne s’y limite pas, et peut examiner les programmes d’investissements privés (ceux des activités de base du Plan, sidérurgie et agriculture), et la recherche de sources de financement privé. François Bloch-Lainé prévoit d’ailleurs, à cette date, que le FME pourra consentir des crédits à des entreprises autres que nationalisées. Ainsi, le Trésor associe d’autres partenaires pour l’examen des programmes d’investissement. Le lendemain de cette réunion, un projet de statut du FME est transmis rue de Martignac, où Jean Monnet alerte immédiatement René Mayer : il proteste, une fois de plus, contre l’institution immédiate et définitive du FME, comme compte spécial du Trésor, « formule absolument contraire (...) aux conditions mêmes de réalisation du Plan de Modernisation », et s’oppose à ce que le FME fasse des avances directes au secteur privé. Il va jusqu’à menacer, en cas d’adoption par le gouvernement : « Je considérerai impossible d’assumer la responsabilité de cette réalisation »107 Il propose la transaction suivante : adopter le projet de décret proposé par le Plan, et lui adjoindre un article, reprenant la rédaction de François Bloch-Lainé, dans lequel il est spécifié que le Trésor agit provisoirement pour le compte du FME108.
Le compromis sur le maintien du provisoire
49Les négociations se poursuivent entre la rue de Rivoli et de Martignac : elles n’ont pas encore abouti lorsque le gouvernement Schuman-Mayer démissionne, le 19 juillet. Mais, en fait, le compromis est en vue. François Bloch-Lainé remet, au début d’août, un projet de décret laissant en suspens la forme définitive du FME, tout en permettant de le faire fonctionner. Et les avances sur les ressources affectées au FME seront effectuées, par arrêté du ministre des Finances, sur proposition du Commissaire général au Plan, après avis conforme de la Commission des Investissements. Jean Monnet accepte cette formulation, et confie, le 12 août, sa satisfaction à Paul Ramadier : « Bloch-Lainé m’a demandé de ne pas insister momentanément pour le règlement de cette question. J’ai accepté, à condition toutefois que rien ne soit fait qui préjuge de la solution finale dans un sens différent »109.
50En fait, Jean Monnet, entre janvier et juin 1948, a surtout exprimé une double inquiétude : d’une part, que les ressources du FME soient détournées par le Trésor pour des charges autres que celles du Plan, compromettant ainsi les objectifs de 1950-51. D’autre part, que la gestion du Fonds par le Trésor n’apporte pas les garanties d’indépendance pour les entreprises privées conduites à le solliciter, et qu’il n’apparaisse pas suffisamment comme un organisme « supplétif » et non durable, palliant la défaillance transitoire des moyens normaux de financement. Or, dès juillet, il est apaisé sur ces deux points, par la formule de compromis proposée par François Bloch-Lainé et, surtout, par l’attitude résolument modernisatrice et antidirigiste prise par ce dernier, lors des premières réunions de la Commission. Et, à la mi-août, il affirme, rassuré : « Je n’ai pas de doute que j’obtiendrai d’eux [les Finances] ce qu’ils ont pratiquement déjà accepté, à savoir que le Fonds serve au financement du Plan dans son ensemble »110. En effet, du fait des difficultés pour constituer un gouvernement — après l’éphémère cabinet Marie-Reynaud et la tentative avortée de Robert Schuman — c’est seulement le 1er octobre qu’un décret, signé par Henri Queuille et Maurice Petsche, consacre le compromis, dans les termes annoncés par Jean Monnet au mois d’août. Il est même prévu, afin d’atténuer le caractère « dirigiste », que, pour les entreprises privées, le FME consentira des avances par le biais des établissements spécialisés (Crédit national, Caisse des Dépôts et Consignations pour les entreprises industrielles des activités de base ; Crédit foncier de France et Caisse nationale de Crédit agricole pour les collectivités locales et exploitations agricoles) « dans les mêmes conditions que leurs opérations statutaires ou selon des modalités particulières fixées par conventions conclues entre le Ministre des Finances et ces établissements, après avis de la Commission des Investissements »111.
51Ainsi, le dispositif de financement du Plan, qui a fait défaut pendant la première année de son exécution, se trouve mis en place. La rivalité entre le Plan et le Trésor a largement contribué à façonner l’appareil de financement public, et, en particulier, deux de ses traits : le caractère provisoire du FME — qui va perdurer, à travers le FDES — et l’adjonction d’une Commission des Investissements et de ses groupes de travail — qui vont également subsister au-delà de l’existence du premier Plan, sous le nom de Conseil de direction du FDES.
3. Les investissements du Plan au premier semestre 1948 : pause transitoire ou prolongée ?
La révision par la Commission Boutteville et le « freinage modéré » des investissements
52À la fin de décembre 1947, la Commission des Activités de Base — ou Commission Boutteville — a dû réviser les chiffres contenus dans le premier rapport de novembre, compte tenu des modifications intervenues : augmentation des prix des travaux de vingt-cinq à trente-cinq pour cent, réduction des prévisions quant aux marges d’autofinancement, perspectives nouvelles de ressources financières. Les chiffres sont ainsi révisés (en milliards de francs courants) une première fois :
53Les investissements pour le secteur privé se décomposent ainsi pour le premier semestre :
54Mais, les grandes orientations sont maintenues, à savoir assurer « la réalisation des investissements indispensables dans la limite du possible ». En janvier 1948, la Commission Boutteville demande que les travaux, dont la cadence doit être définie par les réductions opérées, soient financés de manière intérimaire par des avances du Trésor, dans la limite des chiffres valables pour le premier semestre. Elle recommande en outre de mener les travaux « à allure prudente » et de « n’engager d’opérations nouvelles, de quelque importance, qu’à titre tout à fait exceptionnel ».
55En mars, le Parlement vote les programmes ainsi révisés. Le financement de la Reconstruction se trouve à la charge de la Caisse Autonome de la Reconstruction (CARec), effectivement créée : 181,5 milliards de paiements pour l’année — dont soixante-douze pour le premier semestre — sont autorisés par le Parlement, soit plus de dix pour cent de réduction (en volume) par rapport aux chiffres de 1947 (127,5 milliards de francs courants). Cela équivaut à diminuer les effectifs des chantiers d’environ un tiers, et de débaucher 100 000 ouvriers. À ce rythme, la reconstruction doit durer quinze années : plus de 450 000 immeubles détruits restent à construire, et le programme de 1948 n’en prévoit que 25 000. Comme le constate Jean Monnet, dans le mémorandum du 14 février 1948 destiné à l’ambassade américaine : « La politique de stabilisation entraîne de lourds sacrifices dans le programme de la reconstruction ». La CARec dispose de deux tiers du prélèvement exceptionnel (soit environ quatre-vingts milliards) et du produit d’emprunts locaux émis par des groupements de sinistrés (dix milliards pour le premier semestre).
56Quant aux programmes d’investissements du Plan, ils sont réduits de trente (pour l’électricité) à cinquante pour cent (pour la SCNF). Mais les principaux programmes d’équipement sont poursuivis, notamment les centrales thermiques de Gennevilliers et Harne (avec le matériel commandé aux États-Unis en 1945), les installations hydroélectriques (dont Génissiat), la mise en fonction du train à bande de Denain (commandé aux États-Unis en 1947). Le FME, comme on l’a vu, a, d’après les textes constitutifs, un rôle « supplétif » : il ne doit accorder ses ressources qu’en l’absence d’autre moyen de financement sur le marché des capitaux. Seul le programme agricole dans le secteur privé fait appel au FME, qui dispose de soixante-quinze milliards pour le premier semestre, grâce au tiers du prélèvement exceptionnel (estimé à trente-sept milliards) et à la contre-valeur (évaluée à environ quarante milliards).
57Ainsi, les dépenses de Reconstruction et d’Équipement se trouvent financées sans inflation, contrairement à la situation de 1946-47. Cependant, ce résultat a pu être obtenu seulement grâce à un freinage sensible des travaux, qui compromettrait les objectifs du Plan, s’il était maintenu. Et il n’aurait pas été possible sans l’apport de deux ressources conjoncturelles : le prélèvement contre l’inflation, retardé depuis 1944, mais qui ne saurait être qu’exceptionnel ; et l’aide intérimaire américaine, dont les effets ont été doublement décisifs.
58D’abord, à travers la contre-valeur en francs :
59Ensuite, grâce aux dollars qui permettent de surmonter la disette de devises. On a déjà souligné les liens unissant volume de la production, importations et ressources en dollars. Pierre-Paul Schweitzer constate, dans un projet de rapport pour l’ECA, que, au premier semestre de 1948, l’aide intérimaire « a permis d’éviter un ralentissement extrêmement grave de l’activité économique »112.
60Depuis la fin de février, le volume global de la production atteint 112 % du niveau de 1938, et tend à plafonner, du fait de matières premières insuffisantes. Cependant, différence notoire avec l’année précédente, tous les besoins en charbon ont presque été entièrement satisfaits : ainsi, les attributions à la sidérurgie sont passées de 700 000 tonnes par mois à 880 000. Toutefois, cela n’a pas empêché le « rationnement sévère pour les besoins domestiques », le prélèvement abusif sur les stocks pour les matières premières importées — cinquante pour cent des importations normales de coton, par exemple — et le maintien d’une situation grave pour les matières premières inexistantes dans le programme d’aide intérimaire, comme les métaux non ferreux113. L’aide a donc apporté « un approvisionnement minimum en matières premières de base et en produits alimentaires », sans toutefois être « suffisante pour rétablir un courant d’importations correspondant à la pleine utilisation de la capacité de production existante »114. Dans ces conditions, Félix Gaillard, à travers le programme d’importations, a dû trancher dans le vif. Il n’a fait que poursuivre les choix de ses prédécesseurs : « Devant l’impossibilité de satisfaire tous les besoins, la priorité a été accordée aux industries de base et d’équipement telles que l’énergie, les matières premières nationales, la sidérurgie, le bâtiment » ; cette politique constitue « un renversement de la situation d’avant guerre », à travers le sacrifice des industries de consommation (textiles, corps gras, papier...), et « représente la mise en application des principes du plan Monnet »115.
Le bilan du Plan Mayer : le fragile « arrêt de l’inflation »
61Le prélèvement exceptionnel — qui rapporte quatre-vingt-dix milliards lors du premier semestre — joue un rôle « déterminant dans le renversement de la tendance inflationniste »116. Avec la réduction en volume des masses budgétaires — 975 milliards prévus pour 1948, contre environ 1 200 en 1947 — cette mesure rend compte, pour une grande part, de l’amélioration de la trésorerie, attestée par les mouvements sur les bons du Trésor ou les dépôts dans les caisses publiques.
62Au total, la trésorerie dispose, à la fin du semestre, d’un excédent de quatre-vingt-neuf milliards, soit pratiquement le montant du prélèvement exceptionnel. En outre, la circulation monétaire a été réduite d’environ soixante milliards, après le retrait de la circulation des billets de 5 000 F et le remboursement, échelonné jusqu’au 30 juin.
63De plus, les dépôts bancaires se sont accélérés, et des règlements scripturaux ont remplacé des transactions en billets. Le rapport pour l’ECA ne manque pas de souligner que « la France rapproche ainsi ses habitudes monétaires de celles des pays anglo-saxons »119. Et l’inflation indirecte du réescompte par la Banque de France des bons du Trésor semble arrêtée.
64Quant à l’évolution des prix, celle des prix industriels est marquée par une hausse en janvier-février, à la suite des décisions de réajustements et de la dévaluation. Les prix agricoles, libres ou taxés, se sont montrés relativement stables (de l’indice 1567 en janvier, à 1661 en juin) : pour la viande, l’anarchie du marché subsiste encore, mais l’augmentation des quantités offertes a permis d’éviter le dérapage de 1947120. La hausse saisonnière a été enrayée d’autant plus que, contrairement à la récolte catastrophique de 1947, celle de 1948 s’annonce remarquable. Et, comme le note Jean Monnet, en août, à partir des travaux de la Commission du Bilan : « Pour la première fois depuis la Libération, cette hausse passagère des prix alimentaires au printemps n’a pas été accompagnée d’une augmentation des salaires »121. Au total, l’indice des prix de détail — assez fruste, il est vrai, et faisant une part considérable (29 articles sur 34) aux produits alimentaires — est stabilisé à partir de la fin février (1519 à 1529 en juin), après toutefois un bond spectaculaire en janvier (de 1414 à 1519). Cependant, ces résultats n’ont pas été obtenus par le seul effet déflationniste d’un ajustement libéral aux coûts réels d’un marché désormais délivré de la pénurie. Le gouvernement Schuman a dû, le 30 mars, lancer une campagne pour la baisse des prix, et montrer l’exemple sur le prix du charbon domestique et le tarif du kilowatt-heure. Il y a eu entente avec FO et la CFTC pour isoler la CGT, favorable à une hausse de salaires122. En revanche, en abandonnant la rue de Rivoli, René Mayer ne peut ignorer qu’il lègue à son successeur une hausse, guère évitable, des prix agricoles, désormais en décalage défavorable — à l’inverse de la situation de 1946-47 — par rapport aux prix industriels. Les ciseaux ont été plus que fermés : ils tendent maintenant à s’écarter, mais de manière symétrique. D’autre part, le gouvernement n’a pas, malgré l’affirmation des intentions initiales, établi partout des prix « vrais », en liquidant toutes les subventions : trente milliards de subventions agricoles ont été maintenues.
65Quant aux échanges et finances extérieures, la situation semble meilleure qu’au plus profond de la crise de l’hiver 1947-48. La création d’un marché libre du dollar, ainsi que le rétablissement de la liberté de circulation intérieure de l’or n’a pas été aussi néfaste que ne le redoutait Pierre Mendès France. À partir de mars, la « profonde dépression » des exportations est surmontée, sans toutefois dépasser le niveau de 1947. Et il apparaît une certaine stabilisation des cours de l’or : de plus, l’écart entre le marché libre et le marché noir du dollar n’est pas estimé supérieur à dix pour cent123. En revanche, les rapatriements financiers et la valeur des « importations sans paiements » ne sont pas aussi spectaculaires que René Mayer l’escomptait : à peine quatre-vingts millions de dollars : 1948 n’est pas 1938, ni 1926, et René Mayer n’apparaît pas, dans l’imaginaire collectif des sauveurs miracles, comme un nouveau Paul Reynaud ou Raymond Poincaré.
66Ainsi, comme l’écrit Jean Monnet dans son commentaire du second rapport de la Commission du Bilan, le premier trimestre a permis, grâce aux mesures de janvier, l’« arrêt de l’inflation », mais sans qu’on puisse parler de « véritable stabilisation », car des efforts nouveaux semblent nécessaires, notamment dans les finances publiques, pour donner un caractère durable à cet acquis. Dès le mois de juin, la question se pose ainsi : faut-il poursuivre la politique de stabilisation, et au détriment de quelles dépenses ?
III. AUSTÉRITÉ OU RELANCE : JEAN MONNET ET LA CONVERSION DES FINANCES (JUIN 1948)
67Dès les débuts de l’année, face à la nécessité d’accroître le volume des exportations, René Mayer a laissé entendre qu’il fallait comprimer les coûts par des mesures rigoureuses. Ainsi, à la séance du 10 février du CEI, il pense que le problème des prix de revient « ne peut être résolu que par un allongement de la durée du travail, par un allégement des charges sociales résultant d’une révision du régime de la Sécurité sociale (...) et des économies dans le secteur nationalisé ». Il s’attire alors des remarques critiques de la part des ministres socialistes (Christian Pineau, Robert Lacoste), qui réclament un débat au Conseil des ministres à ce sujet124. Ces suggestions restent provisoirement sans suite. Mais, alors que doit bientôt être déposé un projet de loi sur les dépenses d’investissements du second semestre, la question est posée sur la poursuite de la politique de stabilisation.
1. « Nous devons (...) nous pouvons réaliser le Plan (...) il nous reste à le vouloir » (Jean Monnet).
68Dès le début de mai, Jean Monnet réaffirme à René Mayer sa volonté stabilisatrice : « La monnaie commande le financement et le Plan ne peut être pleinement engagé sans que soit assurée d’abord la stabilité monétaire »125. Mais la politique de stabilisation ne saurait signifier la poursuite du freinage des opérations d’investissement du Plan. Le souci d’équilibre doit porter sur les dépenses ordinaires. D’autant plus qu’à cette date, Jean Monnet exprime la conviction que les Américains ne toléreront pas l’affectation des fonds de contre-valeur à la couverture du déficit du budget courant : « Je ne vois donc pas en quoi la décision de retarder encore la pleine exécution du Plan améliorerait la situation de la Trésorerie »126.
L’exécution du Plan, « nécessité intérieure et extérieure »
69Le 7 juin, le Commissaire au Plan transmet au ministre des Finances une lettre et un long mémorandum, dans lequel il expose un vibrant plaidoyer en faveur d’une relance de l’effort d’investissements. Rappelant la célèbre alternative — « modernisation ou décadence » — du Rapport général de novembre 1946, et le décret du 16 janvier 1947, lui faisant obligation de veiller à l’exécution du Plan, il insiste sur le caractère nécessaire de la modernisation : « La réalisation du plan de modernisation est l’unique moyen pour notre pays, dont la vie quotidienne dépend de ses importations, de porter en 1952 le volume de sa production à un niveau lui permettant (...) de devenir un pays moderne à niveau de vie élevé participant largement à la vie du monde, tout en assurant son indépendance par le développement de ses productions essentielles et l’abaissement de ses prix de revient »127. En outre, il rappelle : « La France a une échéance » — celle du 30 juin 1952 — au terme de laquelle elle doit pouvoir se passer d’aide extérieure, qui, certes, dans l’intervalle, fournit un « répit » : « Les facilités seront passagères. Elles nous amènent à dépendre dans une large mesure des Etats-Unis, tant pour le maintien de notre vie économique que pour notre sécurité nationale. Ce n’est pas une situation qui puisse durer sans grand danger. Nous sommes aujourd’hui l’enjeu. Il nous faut rapidement transformer notre position d’assistés en une position de collaborateurs indépendants à une œuvre commune de redressement »128. Jean Monnet ne fait que reprendre les termes d’une lettre, transmise de Washington quelques semaines plus tôt, à l’adresse de Georges Bidault, dans laquelle il ajoutait : « L’Amérique n’est ni réactionnaire ni impérialiste. Sa contribution ne nous est pas donnée pour nous contrôler. Elle s’arrêtera si notre effort ne se manifeste pas »129. Avec la même conviction que lors de la gestation du Plan, il se plaît à répéter que ses objectifs convergent avec les préoccupations américaines, et de manière encore plus explicite depuis le discours de Harvard : « Leur continuité [celle des crédits Marshall] dépend essentiellement de l’effort que nous ferons pour assurer notre indépendance »130.
70Ainsi, il y a une double corrélation entre le Plan, l’aide américaine, et l’indépendance française à moyen terme : sans aide, pas de Plan ; mais sans Plan, pas d’aide, ni d’indépendance. Et si l’échéance de l’aide — qui, dès ce moment pour lui, se confond avec celle du Plan — n’est pas respectée, plane la menace d’un « intolérable abaissement du niveau de vie (...), d’un perpétuel endettement (...), de la servitude »131. Et, au-delà, la situation doit être placée dans une perspective européenne : « Il y aura une concurrence pour le relèvement entre la France et l’Allemagne. Le vide qui résulterait d’une carence de l’économie française serait fatalement comblé par un renforcement de l’économie allemande. [La France] laisserait la place à l’installation d’une nouvelle prépondérance économique de l’Allemagne »132.
Les hypothèques matérielles et financières sont levées
71« Nécessité intérieure et extérieure », l’exécution du Plan apparaît également comme une « possibilité » matérielle et financière.
72Tant qu’il subsistait le goulot du charbon, de l’acier, des dollars et des francs, il n’était pas possible d’engager à fond les investissements du Plan. Mais, désormais, ils s’estompent, grâce à l’amélioration de la production et, en grande partie, à la (double) aide Marshall : en dollars, pour acquérir les équipements et matières premières ; en francs, par le biais de la contre-valeur de ces dollars, « ressource normale du financement des investissements du plan »133. À cette date, Jean Monnet estime les besoins de financement à 1 300 milliards de francs (de 1948 à 1952), et escompte 800 milliards de contre-valeur, soit 60 % du total, le solde étant fourni « par la stabilisation et le retour de l’épargne dans la monnaie (autofinancement et émissions d’emprunts sur le marché) sans compter les possibilités de crédit de la Banque Internationale »134.
Stabilisation, modernisation et néo-orthodoxie expansionniste
73Le Commissaire a approfondi les réflexions élaborées lors du premier rapport de la Commission du Bilan à la lumière des récentes négociations avec les Américains. Ses conceptions de l’ajustement d’ensemble des charges et ressources de trésorerie reposent sur trois principes :
l’équilibre du budget ordinaire (civil et militaire) par des ressources permanentes ;
la couverture des charges de Reconstruction et des investissements autres que ceux du Plan par l’impôt et une fraction de l’épargne ;
le financement des investissements de modernisation par la contre-valeur de l’aide américaine et le solde de l’épargne.
74Cette prise de position anti-inflationniste se veut également antidéflationniste : en aucun cas, l’aide américaine ne doit dispenser les autorités françaises d’entreprendre les efforts nécessaires pour équilibrer le budget ordinaire. D’ailleurs, selon Monnet, Washington ne le tolérerait pas : l’attribution de la contre-valeur pour le financement du Plan ne sera accordée qu’en récompense pour les efforts destinés à équilibrer les autres charges par des ressources certaines. Si cet équilibre n’est pas atteint, les donateurs d’outre-Atlantique refuseront l’emploi de la contre-valeur pour couvrir les dépenses courantes, et exigeront qu’elle serve à réduire la dette de l’État à l’égard de la Banque de France : alors, les investissements seraient sacrifiés, et, avec eux, l’espoir du relèvement et de la « viabilité ».
75« Nous n’avons donc pas de choix », conclut Jean Monnet, qui pense ainsi surmonter une double difficulté. La stabilisation ne doit pas sacrifier la modernisation, dont cependant les charges ne sauraient être financées par l’inflation, grâce à l’aide, généreuse mais vigilante, de Washington : « Le financement du plan doit se faire sans inflation (...) mais il ne faut pas non plus que la modernisation soit seule à faire des sacrifices à la stabilisation, alors qu’elle est le seul moyen pour notre pays d’accomplir ses autres tâches, y compris de maintenir une stabilité durable. Elle devrait par conséquent avoir la priorité. Or, par un véritable paradoxe, le régime financier jusqu’ici a abouti en fait à donner une priorité aux autres investissements »135.
Le Plan, « base d’unanimité nationale » et de coopération atlantique
76Le Plan reste le trait d’union, pour le Commissaire général, entre le consensus national et la coopération atlantique. Seul document élaboré et accepté par toutes les grandes forces sociales et toutes les formations politiques intérieures, le Plan matérialise pour l’étranger et, surtout, pour les donateurs, la « volonté de relèvement », garantie que leurs efforts financiers ne seront pas durables. Le Plan est la base de la participation française au programme des Seize présenté au gouvernement américain, et le fondement de la contribution française au programme Marshall, telle que soumise par le Département d’État au Congrès. Jean Monnet ne manque pas d’occasions de répéter que le Plan constitue à la fois le contrat qui lie les divers éléments de la communauté nationale, et celui qui fonde les accords de coopération avec Washington et les autres bénéficiaires de l’aide136.
« Il nous reste à le vouloir »
77Reconnaissant que, lors du premier semestre, il a « spontanément consenti (...) un certain ralentissement dans le rythme initialement prévu des investissements », il juge cette pause désormais achevée : « Le moment est donc venu de passer d’une réalisation du plan au mois le mois, à son engagement définitif sur les quatre prochaines années »137. Cela implique « d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’on n’arrêtera par les opérations commencées (...), cela signifie également un budget équilibré par ailleurs et les autres investissements notamment la reconstruction de logements et l’équipement de la défense nationale limités aux possibilités de les financer par l’impôt et l’épargne »138. Jean Monnet confirme le sacrifice, nécessaire et transitoire, de la Reconstruction : « La modernisation et le développement de la production sont la condition préalable d’une reconstruction plus rapide et moins coûteuse »139. Il propose que le programme d’investissements des grandes entreprises nationalisées pour le second semestre soit préparé et que, lorsque le Plan aura été ajusté à l’ERP par le Commissariat, et que son financement aura été assuré par le FME, il soit présenté au Parlement140.
2. La Commission des Investissements se convertit à l’« expansion économique »
René Mayer favorable à l’ajustement aux « ressources présumées »
78Lors de la séance du 21 juin, René Mayer a précisé que la tâche de la Commission des Investissements consistait à étudier le programme d’investissements du second semestre, en particulier à partir du troisième rapport de la Commission Boutteville — du 16 juin — et de rechercher les modes de financement. Le ministre des Finances l’invite à « proposer les réductions sur les évaluations d’ensemble dans les limites compatibles avec les ressources présumées et à formuler des suggestions sur l’ordre de priorité qu’il conviendrait d’observer dans les ajustements éventuels »141. Or, d’après les chiffres transmis à la même séance par François Bloch-Lainé, les charges d’investissements à prévoir pour le second semestre se montent à près de 280 milliards, pour des ressources escomptées entre 100 et 150 milliards, du fait des « incertitudes » (volume, taux de conversion, conditions de déblocages) quant à la contre-valeur de l’aide Marshall. Emmanuel Mônick ne manque pas d’observer : « La disproportion entre ces deux chiffres, ramenés à un semestre, pose un problème sur lequel la commission devra prendre position »142. Il n’était guère possible de couvrir l’« écart » par l’épargne apportée au marché financier, qui, en 1947, n’a guère représenté que quatre-vingt-dix milliards.
79La séance du 29 juin devait trancher.
La séance du 29 juin : un consensus expansionniste ?
80Après un exposé de Lavergne, sous-directeur des Finances extérieures, qui estime les fonds de contre-valeur entre 130 et 150 milliards (du fait des délais entre l’approbation des programmes et les déblocages effectifs), François Bloch-Lainé présente les estimations de charges d’investissements et de ressources correspondantes. Les investissements des Activités de Base, révisés par la Commission Boutteville, représentent un minimum de 109,7 milliards pour le secteur nationalisé. Reprenant en grande partie les raisonnements de Jean Monnet, les membres de la Commission ont eu « le souci, tout en limitant de la façon la plus stricte les dépenses d’investissement, de permettre la réalisation des objectifs essentiels qui conditionnent le rétablissement de l’équilibre économique à une date où l’aide américaine résultant du Plan Marshall doit prendre fin »1. En ajoutant les charges pour l’agriculture, les PTT, Air France et la flotte de commerce — certaines activités de base comme la sidérurgie, les carburants, le ciment financent leurs investissements, sans intervention directe du Trésor — et les crédits de Reconstruction, le total atteint 300 milliards143. Les ressources certaines se situent, en regard, entre 157 et 177 milliards, soit un « écart » de 120 à 140 milliards. Or, les disponibilités du Trésor atteignent 89 milliards : même en les employant à la couverture définitive d’investissements à long terme — ce qui incite la Commission à formuler des réserves, car il s’agit de « disponibilités précaires liées à l’évolution des trésoreries privées, des dépôts dans les banques et les caisses d’épargne » — il reste encore environ quarante à soixante milliards, à tenter de combler par l’emprunt144. Tout en souhaitant faire appel à l’épargne privée, et notamment favoriser l’émission de bons de cinq ans de la CNCA — les possibilités d’épargne chez les agriculteurs sont réelles, du fait de la bonne récolte à venir — le Trésor ne cache pas qu’il « n’était pas raisonnable d’escompter que la totalité de la différence entre les charges et les ressources du second semestre de 1948 pourrait être couverte par le produit d’emprunt à long terme »145. La conclusion du procès-verbal de la réunion commence ainsi : « La Commission aurait dû, en conséquence, proposer d’ajourner l’exécution de travaux d’un montant de 120 milliards environ », et ajoute : « La Commission s’est refusé cependant à prendre position en ce sens »146. Suit l’affirmation de la « conviction unanimement partagée par ses membres » de reprendre les propositions de la Commission Boutteville. La décision prend appui sur un triple argument : il s’agit d’opérations déjà engagées, pour lesquelles les dépenses correspondantes ont un « caractère inéluctable » ; l’interruption entraînerait des « désordres graves » dans la marche des chantiers ; enfin, une nouvelle réduction des autorisations de dépenses des entreprises nationalisées risquerait « de compromettre très gravement la réalisation des objectifs qui leur ont été assignés pour 1952 et qui sont la base de la politique économique suivie depuis deux ans. (...) L’abandon des programmes ainsi définis aboutirait à la négation même de la priorité des activités de base maintes fois affirmée, et signifierait au contraire la reconnaissance d’une priorité de fait aux autres catégories de dépenses publiques »147. Tout en reconnaissant la nécessité de « contenir les programmes d’investissements publics dans les limites du possible », la Commission se déclare « extrêmement sensible à l’importance capitale que présente la politique des investissements de base », et reprend la triple justification, maintes fois plaidée par Jean Monnet : le Plan comme garant de l’accroissement de la production, de l’« expansion économique espérée par la France » comme de l’équilibre financier et monétaire, et, enfin, de l’équilibre de la balance des comptes, indispensable à l’échéance de 1952148.
81Ainsi, la Commission recommande le financement des dépenses par le recours provisoire aux disponibilités de la trésorerie. Cependant, comme les ressources seront nécessaires pour les besoins de trésorerie, beaucoup plus importants en fin d’année, il convient de trouver des ressources supplémentaires, qui devront être permanentes, car « pendant des très longues années encore (...) l’État devra faire face, en tout ou partie, au financement d’importants programmes de reconstruction et d’investissements »149. Tout en recommandant une politique de recours à l’épargne — qui ne saurait suffire — la Commission préconise en outre l’alternative suivante : la recherche de recettes fiscales supplémentaires ou le dégagement, par une révision budgétaire, d’un important excédent de ressources pour 1949. L’intérêt des décisions prises unanimement lors de cette séance tient notamment au fait qu’elles engagent simultanément les services responsables de la dépense (Commissariat au Plan, ministères techniques, direction des Programmes), et ceux qui ont en charge les ressources ou la politique du crédit (Banque de France, direction du Budget, Conseil national du Crédit, direction du Trésor, direction des Finances extérieures). Certes, dès la séance précédente, Pierre Grimanelli a défendu l’idée que la charge du financement des investissements de base « ne serait nullement excessive par rapport au Revenu national », même au cas où il ne pourrait être possible d’y affecter la contre-valeur de l’aide Marshall. Mais le poids de la direction des Programmes, dans la hiérarchie tacite — et souvent la plus tenace — des services économiques et financiers, était incomparablement plus faible que celui du Trésor ou du Budget, d’autant plus qu’elle faisait figure d’antenne de la rue de Martignac. Cette troisième réunion de la Commission des Investissements a été150 d’ailleurs jugée suffisamment importante pour que les plus hauts responsables se soient déplacés en personne : François Bloch-Lainé, François-Didier Gregh, Jean Saltes, Jean Monnet, Roger Boutteville151.
René Mayer suit la Commission et réclame des pouvoirs exceptionnels (30 juin)
82Le Conseil des ministres du 30 juin est largement consacré à la question. René Mayer reprend les chiffres défendus par la Commission des Investissements. Il ajoute que le problème n’est pas d’ordre financier, mais politique. Il propose d’insérer une disposition tournant l’article 13 de la Constitution (« l’Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit »), en faisant attribuer des pouvoirs exceptionnels au Gouvernement, à travers ses prérogatives réglementaires152. Il pourrait en user, afin de renforcer les économies sur les entreprises nationalisées, la Sécurité sociale, les dépenses administratives, et d’accroître les taxes indirectes. Cela rejoignait les orientations préconisées par le ministre des Finances, dans une lettre envoyée peu avant à Robert Schuman, où il préconisait une poursuite de la politique de stabilisation, par la suppression des subventions maintenues, les économies budgétaires, la réduction des cotisations sociales, le freinage de la hausse des prix agricoles et le report de celle des salaires153. Ainsi, René Mayer se rallie à la politique de modernisation, recommandée par la Commission des Investissements, mais les charges en seraient supportées par les salariés (à travers les salaires et les prestations sociales), le personnel des entreprises nationalisées et de l’État, et les paysans. Les propositions sont, à un double titre, politiquement rejetées par le Conseil : par leur contenu, auquel s’opposent les ministres socialistes, par les modalités proposées, qui rappellent les décrets-lois honnis. Ainsi, par exemple, Jules Moch préfère réduire les crédits d’investissements — « il croit trop ambitieux le plan Monnet », lui faire dire Vincent Auriol — plutôt que de suivre René Mayer154.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XXIX
83Le premier semestre de l’année 1948 apparaît décisif pour la direction de l’économie et des finances intérieures et extérieures.
84L’entrée de la France dans le processus long et complexe de l’attribution de l’aide Marshall conduit les experts et les gouvernants français à communier avec leurs donateurs autour des « postulats de Harvard ». Jean Monnet, toujours soucieux de convertir une dépendance humiliante en une convergence dynamique, fait admettre aux gouvernants français comme à leurs interlocuteurs américains le principe selon lequel la réalisation du premier Plan constitue l’application la meilleure des objectifs, désormais communs entre Paris et Washington, définis par le plan Marshall. Selon les termes de son avertissement de juillet 1947 à Vincent Auriol, le Plan permet de conserver le « caractère national » aux charges de modernisation financées par la contre-valeur en francs des dollars Marshall. En revanche, l’ajustement en matière de politique allemande conduit à réviser en baisse les prétentions d’hégémonie économique, formulées en 1944-47. Le Commissaire au Plan est moins heureux dans la bataille du FME, dont le Trésor et François Bloch-Lainé sortent victorieux. Cependant, bien que le nouvel appareil de financement public des investissements du Plan (FME, Commission des Investissements) reste sous l’autorité du Trésor, Jean Monnet peut se féliciter d’y occuper une position intellectuelle importante — à défaut d’être institutionnelle — et, surtout, d’avoir converti les principaux responsables des Finances à une nouvelle orthodoxie expansionniste.
Notes de bas de page
1 AN, 457 AP 21 (Papiers Bidault), d. « Aide intérimaire et Plan Marshall » note pour le Président, DAEF, signé P. Baraduc, 2 mars 1948, 2 p. Le Sénat vote un complément de 55 millions de dollars, le 30 mars 1948.
2 MAE, B.9.6. d. « 49, Plan Marshall, 1948 », télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 549-53, 4 février 1948.
3 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 137-145, 11 janvier 1948, citations du général Marshall.
4 Idem, télégramme cité.
5 Idem, dépêche de Henri Bonnet, Washington, n° 917, 1er mars 1948.
6 Idem, dépêche de Henri Bonnet, Washington, n° 660, 17 mars 1948, 8 p.
7 Idem, dépêche citée.
8 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 549-553, s. d.
9 Le détail est donné in AN, 457 AP 21, d. « Aide Intérimaire... », note pour le Président, DAEF, 11 mars 1948, 3 p. : France : 1,09 milliard ; TOM : 0,134 ; ZFO : 0,66 ; Sarre : 0,09. Cela représente les 200-250 milliards de francs évoqués par Jean Monnet.
10 MAE, B.9.6., d. cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1029-1030, 8 mars 1948.
11 AN, 457 AP 21, d. « Aide intérimaire... », projet de texte préparé par P. Baraduc, s. d. 3 p.
12 MAE, B.9.6., d. cité, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1253-1255, 20 mars 1948.
13 Idem, dépêche de Henri Bonnet, Washington, n° 736, 26 mars 1948.
14 Cf. Alfred Grosser, Les Occidentaux..., op. cit., p. 94, note 20.
15 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 532-35, 4 janvier 1948 ; également présent dans les papiers Bidault.
16 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 137-145, 11 janvier 1948.
17 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 704-705, 13 février 1948.
18 Idem, dépêche de Henri Bonnet, Washington, n° 351, 16 février 1948, 6 p.
19 Pierre Melandri, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, Paris, 1980, 534 p.
20 MAE, B.9.6., d. cité, dépêche de Henri Bonnet à la DAEF, Washington, 6 février 1948.
21 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1475, 6 avril 1948.
22 Idem, dépêche de Henri Bonnet à la DAEF, Washington, n° 1055, 6 mai 1948.
23 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1431-1435, 2 avril 1948 ; lettre de Henri Bonnet à la DAEF, 6 avril 1948 (document également présent dans les papiers Bidault).
24 AN, 457 AP 21, d. « Aide intérimaire... », télégramme de la DAEF à Washington (n° 1732-1734) et à Londres (n° 1476-1478), Paris, 30 mars 1948, 2 p.
25 MAE, B.9.6., d. cité, télégramme de Henri Bonnet à direction d’Amérique, Washington, n° 1361, 16 juin 1948.
26 Idem, télégramme cité.
27 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, nos 2692-2694, 20 juin 1948 ; télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 2701-2706, 21 juin 1948.
28 Idem, note de la DAEF, Paris, 18 juin 1948, 9 p. ; confirmée le 23 juin par Georges Bidault in Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 2, p. 281.
29 Idem, note citée.
30 Idem, note citée.
31 AN, 363 AP 8, d. « accord bilatéral », note pour le ministre des Finances et des Affaires économiques, 7 juin 1948, 3 p.
32 Le texte de l’accord bilatéral est partiellement reproduit in Alfred Grosser, La IVe République..., op. cit., p. 220-221.
33 MAE, B.9.6., d. cité, note citée ; cf. Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 2, p. 286.
34 AEF, 5 A 14, c. r. de la séance du 27 février 1948 du CEI, doc. n° 024/A.
35 Idem, c. r. de la séance du 5 avril 1948 du CEI, doc. n° 032/A.
36 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 2, p. 287.
37 Ibid, p. 286.
38 La dénonciation est possible au bout de deux ans ; des taxes compensatrices sont prévues en cas de dumping. Le Japon et la Corée sont exclus.
39 JO, Débats parlementaires. Assemblée nationale, séance du 5 juillet 1948, p. 4309.
40 Ibid., p. 4328.
41 Cf. les messages de Georges Bidault des 4 mars et 13 avril 1948 ; cf. les contributions au Colloque (Augsbourg, 1984) publié : La puissance française en question 1945-1949 ! Paris, 1989, notamment celles dé René Girault, Robert Frank, Catherine de Cuttoli-Uhel.
42 MAE, B.9.6., d. cité, note citée.
43 AN, 457 AP 22, d. « Plan Marshall », s. d. « Plan Marshall et participation de l’Allemagne occidentale, décembre 1947-juin 1948 », télégramme de René Massigli, Londres, nos 701 à 705, 24 février 1948, 2 p.
44 La Conférence s’étale du 26 février au 6 mars, du 20 avril au 1er juin et du 11 novembre au 26 décembre, cf. Alan Milward, The Reconstruction..., op. cit., p. 145, 149 et suiv.
45 Cf. Catherine de Cuttoli-Uhel, La politique allemande..., contrib. citée, ainsi que le rapport de René Girault, cité ; cf. Alan Milward, The Reconstruction..., op. cit., p. 157. Le télégramme se trouve dans MAE, B.9.6. d. cité.
46 Ibid
47 Cf. Raymond Poidevin, Jacques Bariécy, Les relations franco-allemandes (1815-1975), Paris, 1979, 377 p., p. 328 ; cf. également Raymond Poidevin « Le facteur Europe dans la politique allemande de Robert Schuman (été 1948-printemps 1949) », in Actes du colloque sur la construction européenne, Paris, 1986 et du même, Robert Schuman (1886-1963), Paris, 1986, 356 p.
48 Cf. supra, chapitre XXV.
49 JM, AMF 11/4/1 C, projet de prélèvement à opérer sur les ressources du premier semestre en vue de la stabilisation, 8 p.
50 Notes documentaires et Études, n° 901.
51 MAE, A-194-6, d. « aide intérimaire », s. d. « accord », note de la DAEF, Paris, 2 janvier 1948, 5 p.
52 Idem, note de la DAEF, signée Georges Bidault, pour Jefferson Caffery, 2 janvier 1948, 3 p.
53 FRUS, 1948, vol. III, p. 593.
54 Ibid.
55 MAE, A-194-6, d. « aide intérimaire », s. d. « accord », c. r. de la réunion du 28 janvier 1948, 5 p. ; du côté américain : Reagan, Tomlinson, Thibaudeau, Conkright ; du côté français : Monnet, Baumgartner, Bloch-Lainé, Lavergne (Finances extérieures), Denis (CGP), Brunet, Boisgelin, Langevin. Document confirmé par JM, AMF 11/4/7 a.
56 Idem.
57 Idem.
58 Idem.
59 Idem, lettre de Georges Bidault à Jefferson Caffery, 4 p.
60 Idem, document également présent dans JM, AMF 12/3/1 a ; cf. également notre contribution au colloque « La puissance en 1948 » (Augsbourg. avril 1984), in La puissance française..., op. cit., p. 177-199.
61 Idem.
62 Idem ; souligné par nous.
63 JM, AMF 11/4/7 a, projet de lettre à René Mayer, 9 mars 1948, 6 p.
64 Idem.
65 Idem.
66 Cf. supra, chapitre XXVIII, I.
67 AN, 457 AP 21, d. « Aide intérimaire... », lettre de Jean Monnet à Georges Bidault, Washington, 18 avril 1948, 2 p.
68 Idem, télégramme de Henri Bonnet, Washington, n° 1687-1691, 3 p.
69 JM, AMF 11/5/17, mémorandum de Jean Monnet, 2 juin 1948, 16 p.
70 Idem, AMF 11/2/1.
71 Cf. supra, chapitre XXVIII, I.
72 JM, AMF 11/4/1 d, projet de loi portant création d’un Fonds national pour le financement des activités de base, 9 p.
73 Idem.
74 Idem.
75 Idem.
76 Idem.
77 Idem ; cf. également JM, AMF 11/4/2.
78 Idem ; il envisage la réunion de représentants du ministre des Finances, du commissaire au Plan, du gouverneur de la Banque de France, du PDG du Crédit national, ainsi que trois autres personnalités.
79 Idem.
80 JM, MAF 11/4/2 a, lettre de Jean Monnet à René Mayer, 21 décembre 1947, 4 p.
81 Idem ; il joint un projet de loi sur la création d’un FNME. Idem, 11/4/2 b.
82 Cf. François Fourquet, Les Comptes..., op. cit., p. 95 et René Mayer, Études..., op. cit., p. 144. Il s’agit sans doute d’Etienne Hirsch.
83 JM, AMF 11/4/3, lettre de Jean Monnet à René Mayer, 13 janvier 1948, 1 p.
84 JM, AMF 11/4/4 a, lettre de Jean Monnet à René Mayer, 3 p. ; et JM, AMF 11/4/4 b, projet de loi, 10 janvier 1948 ; voir également JM, AMF 11/4/1.
85 Idem.
86 Idem.
87 JM, AMF 11/4/4 a, lettre citée.
88 Idem.
89 Etienne Hirsch in François Fourquet, Les comptes..., op. cit., p. 95.
90 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 109.
91 JM, AMF 11/4/6 a, projet de lettre du 21 février 1948.
92 JM, AMF 11/44/8, lettre manuscrite à Jean Monnet, s. a., s. d. 5 p.
93 Idem.
94 Cf. Richard Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 399.
95 JM, AMF 11/4/10, lettre de Jean Monnet à René Mayer, Washington, 5 avril 1948, 4 p.
96 Idem.
97 JM, AMF 11/4/8, lettre citée.
98 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 109.
99 JM, AMF 11/4/8, lettre citée.
100 JM, AMF 11/5/1 f, mémorandum de Jean Monnet, 2 juin 1948, 16 p.
101 Idem.
102 Idem.
103 Idem.
104 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 109. Il s’agit du décret n° 48-964.
105 Statistiques et Études financières, 1949, supplément statistique n° 3, 2e rapport de la Commission des Investissements, p. 407.
106 AEF, B. 42 268, p.-v. de la séance du 21 juin 1948 de la commission des Investissements, 9 p.
107 JM, AMF 11/4/13, lettre de Jean Monnet à René Mayer, 22 juin 1948, 2 p. Jean Monnet a remis le mémorandum le 7 juin, sans avoir encore reçu de réponse.
108 Idem.
109 JM, AMF 11/6/1, lettre de Jean Monnet à Paul Ramadier, 12 août 1948, 2 p.
110 Idem.
111 Décret n° 48-15 997.
112 AN, F 60 ter 378, d. « III Généralités », rapport de P.-P. Schweitzer à Guillaume Guindey sur l’évolution économique de la France pendant le 1er semestre de 1948, s. d., 25 p. Ce rapport sert de base au discours de René Mayer à l’Assemblée nationale, le 5 juillet 1948.
113 Idem.
114 Idem.
115 Idem.
116 Idem.
117 Idem.
118 Idem.
119 Idem.
120 AEF, 5 A 14, c. r. de la séance du CEI du 26 avril 1948.
121 JM, AMF 10/2/2, mémorandum sur les premiers éléments des travaux de la Commission du Bilan, 25 août 1948, 17 p.
122 Cf. Louis Franck, 697..., op. cit., p. 50.
123 AN, F 60 ter 378, d. « 111. Généralités », rapport de P.-P. Schweitzer, cité.
124 AEF, 5 A 14, c. r. de la séance du 10 février 1948 du CEI, doc. n° 017/A.
125 JM, AMF 11/4/12, lettre de Jean Monnet à René Mayer, 8 mai 1948, 2 p.
126 Idem.
127 JM, AMF 11/5/1 d, lettre de Jean Monnet au président du Conseil, au ministre des Affaires étrangères, au ministre des Finances, 27 juin 1948, 4 p. ; souligné dans le texte.
128 JM, AMF 11/5/lf, mémorandum du 2 juin 1948, 16 p.
129 AN, 457 AP 21, d. « Aide intérimaire... », s. d. « Mise en route du Plan Marshall », lettre de Jean Monnet à Georges Bidault, 18 avril 1948, 2 p.
130 JM, AMF 11/5/1 d, lettre citée.
131 Idem.
132 Idem.
133 Idem.
134 Idem.
135 Idem.
136 Idem.
137 Idem.
138 Idem.
139 Idem.
140 JM, AMF 11/5/4 k, lettre de Jean Monnet envoyée à Robert Schuman et Georges Bidault, 28 juin 1948.
141 AEF, B 42268, p.-v. de la séance du 29 juin 1948 de la Commission des Investissements, 14 p., p. 9.
142 Idem, p.-v. de la séance du 21 juin 1948 de la Commission des Investissements, 9 p., p. 3.
143 Cf. tableau ci-joint, p. 71 bis.
144 Sans compter une subvention de vingt milliards pour le charbon importé, à prélever sur la contre-valeur de l’aide américaine.
145 AEF, B 42268, p.-v. cité, p. 8.
146 Idem, p. 9.
147 Idem, p. 9.
148 Idem, p. 13.
149 Idem, p. 14.
150 Idem, p.-v. de la séance du 21 juin 1948 de la Commission des Investissements.
151 Jean Monnet est relativement peu présent aux séances de la Commission, de 1948 à 1952, et se fait le plus souvent représenter par Etienne Hirsch.
152 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 2, p. 290-292.
153 C’étaient déjà les propositions formulées dans sa lettre du 12 juin (cf. supra). Claude Tixier a fait état de ce second plan Mayer (témoignage, Institut Pierre Renouvin, décembre 1986).
154 Vincent Auriol, Journal..., t. 2, p. 292.
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