Conclusions de la sixième partie
p. 988-990
Texte intégral
1Comme en 1936 et en 1940, la direction des finances et de l’économie est soumise en 1944 à une « poussée exogène », liée aux bouleversements socio-politiques de la Libération. On peut percevoir dans quelle mesure les nouveaux gouvernants se sont attachés à « amortir » cette poussée, en mesurant l’ampleur des changements opérés parmi les responsables, les structures de l’appareil économique et financier de l’Etat, comme dans ses orientations.
2Les renouvellements d’experts affectent surtout les postes de très haut niveau et apparaissent d’autant plus symboliques qu’ils sont limités. En retour, plusieurs des experts issus du sérail mais promus pour leur appartenance notoire à la Résistance, extérieure ou intérieure (Guillaume Guindey, François Bloch-Lainé, François-Didier Gregh, Roger Gœtze, Pierre-Paul Schweitzer, Jean Saltes...) bénéficient ainsi d’une sorte de « prime de non-représentativité » de leur milieu socio-professionnel et vont occuper de hautes responsabilités pour une longue période dans l’appareil d’État (au même titre que, à un autre niveau, le général de Gaulle lui-même).
3Parallèlement, les structures vichystes de répartition par les prix et les quantités se trouvent en grande partie maintenues. Toutefois, de manière précoce, elles sont rendues inefficaces, du fait de libérations prématurées, du rejet par une grande partie de l’opinion d’institutions assimilées aux heures noires de l’Occupation et de l’atténuation progressive des goulots matériels. Cela contribue à restaurer l’hégémonie des Finances, d’autant moins contestée que l’expérience malheureuse de Pierre Mendès France compromet pour une grande part l’émergence d’un grand ministère de l’Économie nationale. Son échec, puis celui d’André Philip en 1946-47 scellent la fin des espoirs des anciens planistes (plus ou moins fidèles au Plan de la CGT de 1934-35) d’articuler le dirigisme de court terme par la répartition et la planification à moyen terme et d’assurer la relève de l’Inspection des Finances, en particulier par les anciens intendants des Affaires économiques de Vichy. Le Commissariat général au Plan apparaît comme l’innovation la plus importante, mais en marge de l’Administration traditionnelle et indissolublement attachée à la personnalité originale de son premier responsable, Jean Monnet, dont l’influence résulte pour partie de son rôle stratégique, au carrefour de la définition des objectifs économiques — appuyée sur un apparent consensus social bâti autour du Plan — et l’obtention des moyens financiers, américains au premier chef.
4Après la pause dans les « réformes de structures » à la mi-1946 et l’infléchissement vers le centre, il demeure de la poussée résistante un double héritage : la définition d’objectifs économiques élevés pour l’équipement et de perspectives de concertation sociale autour du cercle vertueux de la croissance. Mais l’écart apparaît considérable entre les charges issues de ces objectifs et les ressources, amoindries par les retombées de la guerre et de l’Occupation. Il en résulte une dérive inflationniste et une crise de trésorerie en francs et surtout en dollars.
5L’acceptation du plan Marshall apporte la perspective de ressources financières, mais aussi l’annonce de contraintes issues de « la plaie ouverte » par la rupture du tripartisme. Le « semestre noir » (seconde moitié de 1947) voit se conjuguer une situation de pénurie financière aiguë et une violente crise socio-politique.
6L’« ajustement atlantique » de la direction des finances et de l’économie renforce la position des experts et des gouvernants qui souhaitent lever unе triple hypothèque : celle d’un appareil dirigiste de plus en plus inefficace (c’est Paul Ramadier et Jules Moch qui montrent la voie, dès l’automne 1947) ; celle d’un « gap » inflationniste, dénoncé conjointement par Jean Monnet et la Commission du Bilan et le groupe austéro-libéral des Finances autour de Guillaume Guindey ; enfin, celle d’une politique allemande déphasée par rapport aux orientations de Washington.
7Le « triple avertissement », formulé par Jean Monnet auprès des gouvernants en juillet 1947, met l’accent sur la nécessité de ne pas donner l’impression que cet ajustement atlantique signifie une mise sous tutelle de la politique française, et sur l’impératif de prévenir au sein de l’opinion française tout « soupçon d’injonction extérieure ». L’ajustement atlantique signifie le retour à une certaine « logique austéro-libérale », sous réserve d’observer une triple nécessité. Tout d’abord, stabiliser monnaie et finances publiques sans s’engager dans une perspective déflationniste : le commissaire au Plan insiste fortement sur l’importance de maintenir vivant le Plan, symbole du consensus social bâti autour de la modernisation, qui donne un « sens national » à l’effort entrepris et fournit l’instrument de conversion de la dépendance financière du moment en « promesse d’indépendance économique future ». D’autre part, prendre des initiatives constructives afin d’éviter l’impression d’un « nouveau Munich » par l’alignement sur la politique américaine à l’égard de l’Allemagne.
8Enfin, obtenir l’assentiment des donateurs d’Outre-Atlantique sur la perspective de moderniser avant de libérer les échanges extérieurs, et construire ainsi un consensus atlantique, de telle sorte que la réalisation simultanée et solidaire des plans Monnet et Marshall constitue l’application jugée la plus bénéfique à Washington comme à Paris des « postulats de Harvard ».
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