Chapitre XXVII. Le semestre noir (II). Conditions et contraintes de l’appel à Washington
p. 939-987
Texte intégral
1La réponse favorable au discours de Harvard entraîne, pour la direction de l’économie et des finances françaises, l’apparition de problèmes nouveaux. Dans la mesure où elle provoque, pour partie, la rupture avec les communistes, elle implique une approche nouvelle dans trois domaines — la stabilisation financière, la politique allemande, et l’exécution du premier Plan — selon des termes qui avaient été, dès juillet 1947, fort bien pressentis par Jean Monnet.
2L’occasion est ainsi offerte à ce dernier d’exercer une influence sur la politique économique et financière, nationale et internationale, bien au-delà de ses fonctions officielles de la rue de Martignac.
I. LA FRACTURE ET LA HANTISE DE LA « PLAIE OUVERTE »
1. Le parti communiste et la politique du refus
3L’acceptation de la proposition du général Marshall et la rupture consécutive avec l’URSS vient aggraver les relations entre la coalition gouvernementale et les communistes, évincés un mois plus tôt.
4Cependant — on l’a vu — leur éviction ne les a pas empêchés de soutenir le gouvernement sur les crédits de la BIRD. Et, même après l’échec de la Conférence à Trois, au début de juillet, le PC, malgré des critiques très vives à l’égard du futur plan Marshall, se présente encore, au cours de l’été, comme un parti de gouvernement, dont la France ne pourra se passer pendant longtemps1. Mais la rupture politique du 5 mai, conçue, de part et d’autre, comme n’étant pas nécessairement durable, en regard de la conjoncture économique et sociale intérieure — Jean Monnet conseille encore à Vincent Auriol de faire appel aux communistes à la fin de juin — s’imbrique étroitement dans une fracture internationale, qui, elle, s’avère assez vite comme un infléchissement de longue durée. On sait que la politique du parti communiste témoigne de ce décalage entre conjoncture nationale et internationale entre juin et septembre 1947 : il faut attendre la Conférence des Neuf à Szklarska Poreba (ex-Schreiberhau), en Pologne, le discours de Jdanov sur les « deux camps », la violente critique, par délégués yougoslaves interposés, de la politique du PCF, et la naissance du Komin-form, pour que, à la session du Comité central des 29 et 30 octobre, Maurice Thorez aligne le parti français sur la politique commune de « résistance (...) aux plans impérialistes d’expansion et d’agression »2. Dans son rapport, le secrétaire général du PCF procède à son « mea culpa » — selon l’expression de Caffery — et dénonce la politique américaine de « domination mondiale », ainsi que l’« intention américaine de coloniser la France »3. Dès lors, les analyses et la pratique du PCF sont réinterprétées, selon la grille de lecture manichéenne des thèses énoncées par Jdanov, et l’orientation fondamentale devient désormais une politique systématique de refus du plan Marshall. Tout événement financier, économique ou politique en relation avec le futur plan est présenté comme un élément du « plan de vassalisation » de la France. La politique du refus n’en reste d’ailleurs pas à une dénonciation : elle trouve une occasion de se manifester lors des grandes grèves de novembre 1947.
2. Les grèves de novembre-décembre et la scission de la CGT
5Alors que les grèves de septembre, et même en partie d’octobre, inquiètent plutôt les dirigeants communistes, le tournant intervient à la direction de la CGT au même moment qu’au PCF, à la fin du mois d’octobre : les « unitaires » soutiennent désormais seuls les grèves, qui se généralisent à la fin novembre. Fondées sur un mécontentement réel, lié au retard des salaires sur l’évolution du coût de la vie, elles font également référence à la défense de l’indépendance nationale, menacée par l’« impérialisme américain » et le Plan Marshall4. L’extension et, parfois, la violence des grèves résulteraient, pour la plupart des membres du gouvernement français, de l’exploitation politique par les dirigeants communistes de la situation matérielle, objectivement dramatique, de nombreux salariés, en particulier ouvriers5. C’est également l’interprétation de l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris, Jefferson Caffery, qui, à la fin de novembre, doute que les communistes soient assez puissants pour réussir une grève générale totale, mais redoute qu’ils ne parviennent à créer un grand désordre, et à saboter le plan Marshall en gestation6. Il fait part au secrétaire d’État de sa conviction que la stratégie de Moscou comme celle du PC mise sur l’isolationnisme américain, pour appuyer la demande d’aide intérimaire et recommander une aide, substantielle et rapide, au gouvernement français, à travers le futur Plan7. Il défend également l’idée d’un appui à la gauche non communiste et, en particulier, aux chefs syndicalistes anticommunistes, qui n’ont pas été capables de mettre sur pied une organisation efficace, « principalement faute de fonds »8. Peu avant la scission effective de la CGT, il fait fréquemment référence, dans ses télégrammes au Département d’État, aux réflexions de socialistes français, en particulier de Léon Blum : ces derniers soutiennent que le relèvement économique et démocratique de la France dépend de l’influence de la gauche non communiste, et de l’organisation de puissants syndicats anticommunistes, pour lesquels ils sollicitent un financement, en particulier auprès du CIO et de l’AFL9. A la fin de novembre, Léon Blum assure Caffery qu’il lui semble possible — même si ce n’est pas pour l’immédiat — « de casser la domination du PC sur la CGT (...) la seule grande arme des communistes »10. La scission de la CGT, une fois consommée, apparaît à l’ambassadeur américain comme « l’événement le plus important depuis la Libération de la France du point de vue des intérêts des États-Unis en Europe et de la survie de la démocratie »11. Désormais, à ses yeux, avec la CGT-FO, les « chefs non communistes » pourront donner leur mesure, alors que jusque-là, ils « venaient pleurer à l’ambassade américaine »12. Au même moment, Paul Ramadier estime que « [de la scission] par-dessus tout dépend la libération du parti socialiste de l’emprise communiste, le mythe de l’unité ouvrière est encore puissant »13. Mais, malgré son affaiblissement, dû à l’échec de la grève et à la scission, la CGT, demeurée sous l’emprise des « unitaires », reste largement dominante dans la classe ouvrière syndiquée.
3. La hantise de la « plaie ouverte »
6Or, à quelques jours de distance, les représentants de la CGT quittent plusieurs instances de concertation : d’abord, le Comité national des Prix, puis Pierre Le Brun déserte la Commission du Bilan. De même, dans les commissions de modernisation du Plan Monnet, les membres ou responsables communistes cessent progressivement de prendre part aux travaux14. Le consensus socio-politique, voulu et bâti par Jean Monnet autour du premier Plan, se trouve durablement brisé. Le PCF et la CGT mènent alors, pour une longue période, une campagne systématique de dénonciation de la « marshallisation » de la France, qui entraînerait l’abandon des objectifs initiaux du Plan Monnet, provoquerait l’alignement sur la politique américaine, en particulier à propos de l’Allemagne, et compromettrait le relèvement économique, ainsi que l’indépendance nationale15. Comme l’avait pressenti Jean Monnet, l’existence d’un « fort parti communiste » risquait de maintenir, voire d’infecter « la plaie ouverte » par la grande fracture de juillet 1947. Et sur certains aspects de politique extérieure, telle la question allemande, les critiques communistes trouvaient un écho bien au-delà de leur aire d’influence traditionnelle, dans divers milieux, particulièrement sourcilleux quant aux empiétements éventuels sur la souveraineté nationale, surtout à propos de la sécurité de la France face à l’Allemagne16. D’autre part, la lenteur du relèvement du pouvoir d’achat des salariés, et surtout des ouvriers — encore nettement inférieur en 1947 à celui de 1938, malgré l’adoption de la Sécurité sociale — offrait au PC et à la CGT l’occasion de conforter leur « fonction tribunicienne », dans la mesure où la gauche non communiste et FO ne parvenaient pas, malgré les espoirs de Léon Blum comme de Jefferson Caffery, à leur disputer l’hégémonie en milieu ouvrier, même si elles marquaient des points chez les employés ou les fonctionnaires. Ainsi, les responsables français ne pouvaient manquer d’intégrer cette donnée, et de tenter de prévenir, dans la mesure où les circonstances et leurs propres choix le permettaient, les motifs d’indignation communiste.
7Par son triple avertissement de juillet, Jean Monnet avait largement tracé la route en indiquant les trois domaines, où l’« initiative » du gouvernement français devait particulièrement se manifester pour panser la « plaie ouverte » : la stabilisation financière et monétaire, la politique allemande, et le premier Plan.
II. LA STABILISATION FINANCIÈRE ET MONÉTAIRE : CONTRAINTES, CONVERGENCES, CONNIVENCES
1. « Prendre l’initiative » (Jean Monnet)
8Jean Monnet a obtenu de Paul Ramadier et de Robert Schuman la constitution de la Commission du Bilan, aux travaux de laquelle il tenait à associer toutes les forces sociales du pays, dont la CGT, comme pour l’élaboration du Plan. Dès lors, la stabilisation future apparaîtrait comme une « initiative » française — ainsi qu’il l’avait recommandé dès juillet à Georges Bidault — afin que « l’assainissement financier, qui (nous) est en tout état de cause nécessaire, n’apparaisse comme une ingérence américaine dans nos affaires intérieures »17. Le 4 août, en présence de Vincent Auriol et de Léon Blum, le Commissaire au Plan réitère le même conseil18. Et, quelques jours plus tard, Henri Bonnet confirme, de Washington : « Un effort d’assainissement fera ici une impression considérable »19. Les préoccupations américaines sont effectivement formulées, de façon ferme et discrète. À Paris, à la fin du mois d’août, William Clayton, en présence de Georges Kennan, Jefferson Caffery et des représentants du CCEE (dont Hervé Alphand), met en garde les gouvernements des Seize sur le fait qu’ils « doivent s’engager immédiatement à prendre les mesures intérieures pour stabiliser leur économie et leur monnaie et recréer la confiance dans leur système financier »20. Dès le début de septembre, les travaux de la Commission du Bilan sont amorcés — coordonnés par Pierre Uri — sous le contrôle de Jean Monnet, qui, selon ses souhaits, peut ainsi occulter l’« ingérence ».
2. À Paris : une double origine
9Mais, outre les travaux de la rue de Martignac, des projets français de stabilisation ont également été préparés rue de Rivoli, autour de Robert Schuman, à la fois en matière financière et monétaire.
10À la direction du Budget, François-Didier Gregh a, dans les premiers mois de 1947, souligné la nocivité du système français des subventions. Dès 1946, il a transmis à la présidence du Conseil, des études parlant d’échec en ce domaine. Pour la préparation du budget 1947, le directeur du Budget a réclamé un effort général de rigueur, portant à la fois sur les attributions de l’État, l’organisation administrative et les moyens de financement21. Parallèlement, Guillaume Guindey, alors directeur des Finances extérieures, affirme s’être, dès le printemps 1947, entretenu avec Robert Schuman et René Mayer de l’éventualité de mesures destinées à « renverser la vapeur », par rapport à « la politique de facilité » menée jusque-là, en particulier l’attention insuffisante prêtée à l’équilibre de la balance des comptes. Il a notamment transmis à Robert Schuman une note détaillée, d’autant plus confidentielle qu’elle contenait des propositions relatives à une dévaluation profonde du franc22. Louis Franck fait effectivement état de bruits, à l’automne de 1947, au sujet d’un « plan d’assainissement financier confié à la prudence de M. Schuman et à la routine de l’Inspection des Finances. (...) La dévaluation était dans l’air »23. De surcroît, un message de Robert Schuman à John Snyder de janvier 1948, retrouvé dans les archives de Georges Bidault, évoque les entrevues — mentionnées plus haut — entre les deux hommes, à Londres et à Paris, à la fin de septembre 1947. Le ministre des Finances de l’époque, devenu président du Conseil, rappelle avoir entretenu le secrétaire de la Trésorerie américaine de son projet, quant à « l’assainissement et la stabilisation financière et économique de la France ». Le contenu comportait une « première étape », marquée par « l’équilibre rigoureux du budget » et « l’arrêt des recours à la Banque de France » (« source principale de l’inflation »), la seconde étape consistant à définir une « parité raisonnable du franc » afin de « restaurer la confiance dans la monnaie nationale. John Snyder, « qui (a) connu ce programme au moment même où il a été conçu », aurait exprimé alors sa « compréhension » et sa « sympathie » pour les projets exposés par Robert Schuman24.
3. Les premières mesures : Jules Moch précurseur de René Mayer
11Comme annoncé à John Snyder, Robert Schuman entreprend d’atteindre la première étape de son programme, sous le gouvernement de Paul Ramadier. Après avoir présenté des projets au Conseil des ministres, ce dernier annonce à la radio, le 9 octobre, sa volonté d’équilibrer le budget ordinaire en 1948, en particulier grâce à des économies sur les fabrications militaires, les travaux de construction et d’équipement. Peu avant, Robert Schuman a affirmé publiquement : « Dès 1948, nous devons cesser de recourir aux avances de la Banque de France »25. Quelques semaines avant sa chute, le gouvernement Ramadier a fixé les grandes lignes de la stabilisation financière : équilibre du budget ordinaire pour 1948, arrêt de tout engagement de dépenses sur le budget extraordinaire, arrêt des avances de l’Institut d’Émission, ébauche d’une réforme fiscale26. On sait même que Jules Moch envisageait la fin des subventions, le réajustement des prix industriels, la limitation du déficit à cent ou 120 milliards (qu’il escomptait résorber par des mesures ultérieures), la fin de la plupart des contrôles de prix, sauf pour les produits alimentaires. Et lorsque, la veille de la démission de Paul Ramadier, Vincent Auriol reçoit Emmanuel Mônick, celui-ci évoque la nécessité d’assurer la stabilisation des prix et des salaires, ainsi que l’équilibre du budget, avant d’envisager, dans un second temps, une « ponction monétaire » et la résolution de la question des taux de change, mais, précise-t-il, afin d’éviter la « panique monétaire », « la question monétaire doit être la dernière pierre de l’édifice »27.
12Ainsi, avant même l’arrivée de René Mayer rue de Rivoli, la voie vers la stabilisation financière, monétaire et économique a été largement tracée. Il y a, de ce point de vue, davantage continuité que rupture entre le gouvernement Ramadier dernière manière — y compris avec Jules Moch à l’Économie nationale — et l’équipe Schuman-Mayer.
4. Paris et Washington : dépendance, convergence, connivence
13Le programme de stabilisation, annoncé au début de janvier 1948 et connu sous le nom de plan Mayer, résulte donc du cheminement de réflexions parallèles, menées rue de Rivoli et rue de Martignac. Le contenu est issu de travaux réalisés par les services français. Cependant, il répondait aux attentes pressantes de Washington, formulées dans les mises en garde confidentielles de William Clayton. Les premières décisions destinées à préparer la stabilisation financière illustrent, sur un terrain particulier, les relations complexes qui se tissent alors entre Paris et Washington. Par souci de clarification, distinguons quatre aspects différents : la position réelle (à travers les archives) des responsables français, la plus ou moins grande intégration par avance des arguments américains, la pression effective (publique et/ou confidentielle) de Washington, et la présentation qui est faite à l’opinion de la politique financière française.
La convergence
14Plusieurs faits ne sont guère contestables. D’abord la pression américaine s’est exercée sur la France, comme sur les quinze autres Etats européens, en faveur de l’assainissement intérieur. Elle ne s’est pas manifestée publiquement, et a été formulée à travers les avertissements de William Clayton et Jefferson Caffery, au mois d’août 1947. Ensuite, il n’est pas douteux que le Commissaire au Plan, comme le ministre des Finances, étaient eux-mêmes convaincus du bien-fondé de telles mesures. A ce stade, on peut parler de convergence, même s’il est vrai que l’extrême dépendance en dollars de la France ne lui laisse guère de possibilité de s’écarter grandement des préférences de Washington en matière financière. Depuis les négociations de mai 1946 au plus tard, les responsables français savent que l’Administration américaine n’attribue pas de ressources nouvelles, sans formuler de fermes suggestions sur l’emploi de toutes les autres.
L’intégration par avance
15Ainsi, les responsables français ont aussi intégré par avance les préoccupations des futurs créanciers. À la fin de septembre, Robert Schuman ne manque pas d’ailleurs de consulter son homologue américain sur ses projets de stabilisation. Quant à Jean Monnet, sa perception des attentes de l’Administration américaine est tellement aiguisée, et ses propres conceptions en matière de stabilisation à ce point voisines de celles du Département d’État, qu’il pense oeuvrer, d’un même mouvement, au relèvement français et à la coopération avec Washington. Il n’est jusqu’aux méthodes de la Commission du Bilan, qui acclimatent en France les travaux anglo-saxons sur le Revenu national — que ce soient ceux de Simon Kuznets ou ceux du groupe de Cambridge. Louis Franck, qui participa aux travaux de la Commission, compare cette reprise de contact avec la pensée économique anglo-saxonne (après la période de sevrage de l’Occupation) à une « grande bouffée d’air frais et salubre (...) transmise par les explorateurs de la rue de Martignac »28. Quoi qu’il en soit, l’assainissement financier intérieur apparaît désormais aux responsables en France intimement lié aux chances de succès du futur plan Marshall, et à la chronologie de sa préparation à Washington. Ainsi, lors du Conseil des ministres du 8 octobre, Vincent Auriol demande à Paul Ramadier si son discours sur les économies budgétaires n’est pas inopportun, puisque le Congrès américain a été ajourné. De même, Emmanuel Mönick pense que les mesures de stabilisation doivent intervenir avant le vote du plan Marshall, pour que la France bénéficie des meilleurs atouts29. Les avis exprimés aux États-Unis en matière financière constituent autant de paramètres — parmi d’autres — pour les décideurs français. A la fin de l’année 1947, Robert Schuman, une fois investi président du Conseil, n’hésite d’ailleurs pas à demander à Jefferson Caffery, outre son avis sur les mesures prises par René Mayer, son sentiment personnel quant à la compétence même de son ministre des Finances !30. La politique financière française est, pour le moins, sous influence.
De la convergence à la connivence
16La mise en chantier du Plan Marshall a, sans doute, accéléré l’élaboration des mesures de stabilisation, qui étaient déjà en gestation rue de Rivoli et rue de Martignac. Mais, en retour, les suites du discours de Harvard ont conforté, sur l’échiquier politique français la position de ceux qui, avant même juin 1947, penchaient pour l’assainissement financier, que ce soit parmi les hauts fonctionnaires des Finances ou autour de Jean Monnet. La levée de l’hypothèque Ramadier et Blum, et l’arrivée du gouvernement Schuman-Mayer — à la satisfaction du Département d’État — apparaissent comme la promesse d’une systématisation des mesures de stabilisation proposées jusque-là. Ainsi, dans ce cas, la dépendance s’efface derrière la convergence, qui prend même les traits d’une certaine connivence, stabilisatrice et libérale.
Une déception : l’échec du crédit de stabilisation
17Cela ne peut toutefois masquer un motif de déception pour les responsables français, qui souhaitaient un supplément de crédits ou d’or, pour faciliter la politique de stabilisation intérieure. Or, malgré la présentation de cette demande, à l’échelle des Seize, par Hervé Alphand, on a vu que l’Administration américaine ne l’intégrait pas dans ses calculs31. Les autorités françaises qui, selon les termes d’un marchandage fréquemment conseillé par Jean Monnet, ont réclamé de l’or en échange des engagements de stabilisation, ne peuvent espérer, du fait de la dérobade de Washington, échapper aux retombées intérieures — nécessairement douloureuses — de l’assainissement financier. Lors de son dîner confidentiel avec Clayton, le 30 juillet, Jean Monnet a été averti qu’il lui serait « extrêmement difficile » d’obtenir satisfaction sur ce point, car, autant il paraissait plausible, aux yeux du sous-secrétaire d’État, de justifier, auprès de l’opinion américaine et du Congrès, une aide en charbon ou en nourriture, autant l’attribution d’or pour un fonds de stabilisation lui semblait beaucoup plus malaisée à défendre32.
III. LA POLITIQUE ALLEMANDE : ABANDON, INITIATIVE OU SURSIS ?
18Malgré un certain rapprochement de la politique française vers les Anglo-saxons à la conférence de Moscou du printemps 1947, les désaccords subsistent sur la question centrale de la répartition du charbon de la Ruhr et surtout de la production sidérurgique allemande, toujours limitée aux 7,5 millions de tonnes fixées en mars 1946 par le Conseil de Contrôle de Berlin.
1. Trois facteurs d’évolution de la politique anglo-saxonne en Allemagne
19Depuis l’échec de la Conférence de Moscou, et la rupture de fait entre les Quatre sur la politique allemande, les événements se précipitent. Trois facteurs principaux peuvent expliquer, au début de juillet, l’importance des décisions des deux commandants en chef anglo-saxons, et, surtout, celles du général Lucius D. Clay.
Vers la coupure ?
20Tout d’abord, l’aggravation de la rivalité américano-soviétique rend de plus en plus probable la coupure de l’Allemagne. Dès le 25 mai, un Conseil économique allemand est installé dans la bizone, auquel est opposée, le 14 juin, une Commission économique allemande dans la zone soviétique. L’échec de la conférence des ministres-présidents des Länder, à Munich, le 6 juin, confirme la rupture de Moscou33.
Washington prend le relais de Londres
21Second élément : la crise économique et financière britannique, beaucoup plus grave que ne le pensaient les dirigeants de Londres, pèse sur leur politique allemande, et les contraint à faire appel à leurs partenaires américains de la bizone. Dès la fin de l’année 1946, des responsables britanniques se posaient même la question de l’évacuation des troupes, du fait du fardeau financier34. Ainsi, sans aller jusqu’à cette situation extrême — comme cela s’était produit pour la Grèce, quelques semaines auparavant — le relais américain répond à la semi-défaillance britannique. En particulier, les Américains s’assurent des positions renforcées pour le contrôle de l’exploitation du charbon de la Ruhr, et font pression pour l’abandon des projets britanniques de nationalisation qui seraient, d’après eux, en partie responsables des faibles résultats de l’extraction des mineurs allemands. Le point de vue des autorités américaines est appelé à peser davantage sur le sort de la bizone, dans la mesure où ils en supportent presque seuls la charge financière, notamment celle de la balance commerciale, déséquilibrée par de lourdes importations alimentaires, non compensées par des surplus exportables insignifiants, du fait de la limitation de la production industrielle à un niveau équivalent à la moitié de celui de 193835.
Relèvement allemand et plan Marshall
22Enfin, la proposition Marshall et la négociation des Seize à Paris impliquent, dans l’esprit des responsables du Département d’État, que les ressources allemandes doivent être comptées dans celles qui doivent être mobilisées pour le relèvement européen : la future aide américaine en serait d’autant diminuée. Georges Bidault a accepté que les ressources de l’Allemagne — sans préjuger des décisions économiques et politiques des Quatre à ce sujet — soient prises en compte dans les travaux de la future conférence européenne. Mais, comme Molotov l’a fortement souligné lors de la rupture de la Conférence des Trois, l’acceptation de la future aide Marshall signifie-t-elle celle du relèvement prioritaire de l’Allemagne ? Dans le cas de la France, dont la politique allemande — objet d’un assez large consensus national — est particulièrement rigoureuse et exigeante, il y a là matière à inquiétude.
Les inquiétudes de Georges Bidault : « le grand argument des communistes »...
23Une semaine après la rupture de la Conférence des Trois, Georges Bidault rencontre William Clayton, en présence de Jefferson Caffery, Jean Chauvel et Hervé Alphand. D’emblée, le ministre français souligne la nécessité de ne pas introduire de « novation aux principes en vigueur » en matière de politique allemande : « Les États-Unis ne doivent pas ignorer que le grand argument des communistes consiste à déclarer que les États-Unis et la Grande-Bretagne souhaitent que l’on s’occupe de la reconstruction de l’Allemagne avant celle de la France et que le gouvernement français abandonne ses positions en ce qui concerne les réparations, la Ruhr et ses autres revendications allemandes »36. Tout en soulignant que le gouvernement français n’a pas changé de point de vue, il prévient qu’un changement dans les institutions de la Ruhr « décidé séparément serait redoutable et mettrait le gouvernement français dans une position difficile »37. William Clayton, tout en félicitant Bidault et Bevin pour leur rapidité à répondre au discours de Harvard, réclame un règlement et un relèvement rapide de la Ruhr pour la production de charbon et d’acier, dans la mesure où l’un des objectifs du Plan Marshall est l’autosuffisance européenne en produits de base, et où les dollars seront proportionnés à l’effort de production européen38. Bidault rappelle que l’accroissement de la production de la Ruhr ne signifie pas la fusion des zones d’occupation. Il réclame l’application de l’accord occidental de Moscou et l’intégration des ressources sarroises. De plus, il réitère la position française affirmée en 1945 : « La France est capable, si elle reçoit suffisamment de coke de la Ruhr, d’augmenter très sensiblement sa production sidérurgique et de répondre, avec l’aide de la Belgique et du Luxembourg, à tous les besoins de l’Europe occidentale, y compris les besoins allemands ». Et il met en garde le sous-secrétaire d’État sur les risques d’une décision, au sujet d’une élévation du niveau industriel de l’Allemagne, en particulier pour l’acier. En mars 1946, le Conseil de Contrôle de Berlin l’a fixé à 7,5 millions de tonnes. À la Conférence de Moscou, il a été question de l’élever entre dix et douze millions de tonnes (selon les déclarations des trois délégations occidentales), mais la délégation française a proposé, et obtenu, le renvoi de la question dans une commission technique. Quoi qu’il en soit, le ministre des Affaires étrangères ne voit guère d’urgence à une telle décision, puisque le plafond défini en 1946 n’est pas même atteint, et que la production sidérurgique s’établit, à ce moment, entre trois et quatre millions de tonnes. Pire, une déclaration sur la révision du plafond sidérurgique de l’Allemagne serait particulièrement inopportune, au moment où va s’ouvrir la Conférence des Seize : « Cette décision pourrait faire croire que l’on désire restaurer l’économie de l’Allemagne avant celle des pays qu’elle a attaqués (...) commencer notre travail européen en abandonnant les réparations et en augmentant le niveau de l’industrie allemande aurait des conséquences très graves en Europe. Aucun gouvernement français ne pourrait l’admettre (...) si une telle déclaration était faite (...) la conférence qui doit se réunir samedi serait vouée à l’échec et il n’y aurait pas d’Europe »39.
Le relèvement allemand, mais pas « en premier lieu »
24Georges Bidault fait un pas en direction de ses interlocuteurs et reconnaît : « La France admet que la reconstruction de l’Allemagne est un élément de la reconstruction européenne, mais elle ne doit pas venir en premier lieu »40. William Clayton, tout en affirmant comprendre les craintes des dirigeants français — « personne ne songe aux États-Unis à reconstruire l’Europe autour d’une Allemagne dominante » — ne laisse guère d’espoir quant aux réparations, et insiste sur l’urgence de retrouver le niveau de production de l’avant-guerre dans la Ruhr, en particulier pour alléger le fardeau des charges d’occupation, qui pèse sur les épaules des contribuables alliés, et principalement américains41. Dans le compte-rendu de cette conversation, que Caffery rédige pour le général Marshall, l’ambassadeur recommande les plus grandes précautions et conseille d’éviter toute déclaration publique, à ce moment précis, sur les réparations ou le niveau de l’industrie allemande « qui aurait des effets défavorables sur la conférence de Paris ou conforterait les communistes dans leur tentative de discréditer ses efforts et ceux du gouvernement français »42.
2. Les accords Clay-Robertson et le sursis pour la France
Les accords Clay-Robertson : un fait accompli
25Au même moment, à Berlin, les généraux Clay et Robertson, commandants en chef des armées d’occupation américaine et britannique, se mettent d’accord sur un projet de relèvement du niveau industriel de la bizone — portant la production d’acier à 10,7 millions de tonnes par an — et envisagent de confier l’administration de l’industrie charbonnière à des séquestres allemands, responsables devant le Conseil économique bizonal43. Ces décisions se trouvaient dans le droit fil des préoccupations du Pentagone, depuis l’échec de la Conférence de Moscou. Un important rapport de Robert Murphy, conseiller politique auprès du commandement de Berlin, transmis à Marshall le 30 juin, développe les différents arguments en faveur d’une politique nouvelle. Il critique la politique charbonnière des Britanniques, et attribue les chiffres trop faibles de la production (215 000 tonnes par jour, au lieu des 300 000 espérés) à une mauvaise direction et aux incertitudes quant à la propriété future des mines. Il recommande de redonner confiance aux Allemands, de les faire participer au relèvement européen, grâce à une réforme monétaire, à une révision de la politique de dénazification afin de réintégrer des techniciens, à l’encouragement au commerce privé, et à l’intégration de l’Allemagne dans une aire de commerce européen libérée de ses entraves. Le relèvement industriel de la bizone doit provoquer un « choc psychologique », redonner l’espoir aux Allemands et éviter l’éventualité d’une résistance similaire à celle de 192344. Le général Marshall approuve le plan Clay-Robertson. Cependant, il obtient du Département de la Guerre qu’il ne soit pas publié, dans le souci de ménager les dirigeants français, qui sont informés de son contenu après son adoption.
26La réaction de Georges Bidault est vive et immédiate : le 16 juillet, il écrit une lettre personnelle au secrétaire d’État, dans laquelle il fait part de ses craintes que la publication des accords ne justifie aux yeux de l’opinion française la position de Molotov et des communistes, ne place le gouvernement français dans une position intenable et ne le conduise lui-même à se retirer. Il oppose à la « psychologie des Allemands », argument essentiel invoqué pour justifier la décision anglo-américaine, celle des Français, qui devrait inciter au contraire à la prudence45. Le général Marshall accepte, dans sa réponse du 21 juillet, de surseoir à la publication, et propose d’engager des discussions avec le gouvernement français46. La décision du Département d’État entraîne la colère du Général Clay, qui parle de démission, et n’empêche pas le secrétaire à la Guerre, Royall, lors d’une conférence de presse à Berlin, le 1er août, de passer outre. Après un certain flottement, le secrétaire d’État adjoint, Robert Lovett, rassure Henri Bonnet, invoque une certaine pagaille (« shambles ») et confirme les termes de la lettre de G. Marshall47.
La réaction de Georges Bidault : la forme et le fond
27Il est assez communément admis que, malgré l’accélération de l’infléchissement de la politique anglo-saxonne à l’égard de l’Allemagne — déjà constaté lors du discours de Byrnes à Stuttgart en septembre 1946 — la France aurait continué à mener des « combats de retardement » (Jean Monnet) en maintenant ses revendications de 1945, jusqu’à son alignement en juin 194848.
28La situation paraît, dans les faits, plus complexe : la réaction de Georges Bidault aux accords Clay-Robertson illustre quelques-unes des contradictions de la politique française d’alors. Il convient de distinguer, dans les vives protestations du ministre des Affaires étrangères, celles relatives au contenu des accords anglo-saxons et celles qui se rapportent à leurs modalités d’élaboration et de présentation à l’opinion française. Au soir du 17 juillet, en transmettant une lettre pour le général Marshall, Georges Bidault exprime à Jefferson Caffery son amertume, due au fait que « tout cela » se soit déroulé derrière son dos. À l’objection qui lui est faite des inconvénients, ainsi constatés, du refus de fusionner la ZFO avec la bizone, il rétorque : « Oui, je sais cela et je sais parfaitement que notre zone doit se joindre à la vôtre mais je ne peux pas le faire sous la menace du fusil »49. Bidault affirme également avoir pleine conscience que la France doive éventuellement « marcher avec Washington », mais insiste le plus fortement qu’il peut sur « l’impossibilité pour le Français moyen d’en faire autant à ce moment critique ». Et il déclare pressentir déjà, à travers tout le pays, la montée de l’hostilité pour ces propositions, « magnifiquement amplifiée par la propagande communiste »50. La veille, lors d’une conversation avec l’ambassadeur américain et Averell Harriman, Georges Bidault a présenté la même argumentation : « Il est parfaitement clair que nous devons accomplir la fusion des zones, que l’on doit permettre aux Allemands de vivre et de produire, et que les positions catégoriques que nous avions défendues au début devront être modifiées ». Mais il ajoute : « Nous avons 180 communistes (à l’Assemblée) qui disent : « Le plan Marshall signifie l’Allemagne d’abord ». Si quelque chose les autorise à dire cela une fois encore (...) je vous affirme que le gouvernement ne survivra pas »51. Le ralliement à une fusion avec la bizone n’est pas une position personnelle du ministre : il est, dès juillet 1947, envisagé comme inévitable par le Quai d’Orsay, au sein duquel s’est déroulé un débat à ce sujet52. Le 21 juillet, à Washington, Henri Bonnet confirme au général Marshall en personne avoir été autorisé à lui dire que, en cas d’échec de la Conférence des Quatre, en novembre, la France serait prête à fusionner sa zone d’occupation avec la bizone. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une position publique53. La véhémence de la réaction de Georges Bidault à la nouvelle des accords Clay-Robertson n’était pas tant due à l’hostilité au relèvement industriel de l’Allemagne — auquel le Quai d’Orsay semble alors (mais non publiquement) se résigner — qu’à la crainte de ne pouvoir faire accepter cette résignation par une grande partie de l’opinion, fortement prévenue contre la renaissance d’un danger allemand, et sensible au refus communiste. Lors d’une réunion confidentielle entre responsables américains, à Paris, au début du mois d’août, Jefferson Caffery a confirmé que « publiquement la France continuerait à parler d’une version modifiée du Plan Morgenthau, mais que, de manière informelle, il était assuré que la France souhaitait trouver un compromis sur une solution mutuellement acceptable »54.
Vers une « initiative » française pour éviter un « nouveau Munich »
29Dès l’été de 1947, le Quai d’Orsay d’une part, et Jean Monnet d’une autre, sont conduits à redéfinir les termes de la politique allemande de la France55.
30Ainsi, René Massigli, dans une lettre « personnelle » à Georges Bidault, pose clairement les termes du débat : « La question est donc de savoir si nous préférons nous en tenir à une position négative, accompagnée de protestations solennelles, ou envisager un compromis (...) Que gagnerions-nous à une affirmation pure et simple de nos principes ? Nous ne devons pas nous faire d’illusion. Nous n’empêcheront (sic) pas les Anglo-Saxons de pousser la restauration industrielle de la Ruhr (...) Ce que nous n’avons pas accepté aujourd’hui, nous aurons sans doute à l’accepter demain ». L’ambassadeur à Londres ajoute cependant que ses réflexions « font abstraction (...) de toutes considérations de politique intérieure »56. Or, là justement se dressait le principal obstacle. L’Economist du 19 juillet souligne toutefois que la France dispose, à ce moment, d’un atout, du fait qu’elle est le pays clé pour la réussite du futur Plan Marshall : « Jusqu’ici la création (...) d’une « Allemagne forte et prospère » a été traitée exclusivement comme une affaire anglo-saxonne (...). Si l’Allemagne occidentale doit être incluse dans l’offre Marshall, les projets sur le niveau de production ne peuvent appartenir seulement aux Britanniques et aux Américains. Et comment concilier le plan américain et les vues de la France ? (...). S’il [le gouvernement Ramadier] était exposé à subir une défaite politique de première grandeur sur une question qui tient fort à coeur à la plupart des Français, les communistes verraient grandement leurs chances de revenir au pouvoir et d’y faire la loi. Il n’est pas difficile d’imaginer quel sort serait alors réservé à l’offre Marshall »57.
31Les dirigeants français peuvent-ils ainsi user du chantage du faible pour atténuer les concessions en matière de politique allemande ? C’est alors que Jean Monnet, une fois encore, peut exercer ses talents d’inventeur de compromis dynamiques, destinés à masquer une dépendance mal supportée.
3. L’accord du 29 juillet entre Jean Monnet et William Clayton sur le contrôle international de la Ruhr : l’ébauche d’un compromis
32Dans le mémorandum transmis le 24 juillet à Georges Bidault, puis à Vincent Auriol, Jean Monnet n’a guère développé le compromis à bâtir avec les puissances anglo-saxonnes sur l’Allemagne. Dans un projet antérieur — retrouvé dans les archives de Jean Monnet — qui n’a sans doute pas été envoyé, ce dernier y était plus précis, sur un projet d’« internationalité de la Ruhr »58.
Le compromis Monnet-Clayton du 29 juillet
33Le 29 juillet, Jean Monnet rencontre confidentiellement William Clayton, lors d’un dîner en tête-à-tête. Les deux hommes conviennent que, si aucun règlement d’ensemble ne peut intervenir à propos de l’Allemagne avant la Conférence des Quatre de novembre, il est bon d’engager immédiatement des conversations à ce sujet, à un haut niveau. Le commissaire au Plan fait valoir que la France est le pays clé pour la mise en oeuvre du plan Marshall, et évoque les risques pour ce dernier, si un accord n’intervient pas sur l’Allemagne. Il reconnaît la nécessité du relèvement de la production allemande et même de la fusion avec la bizone, mais pose la question du contrôle international de la Ruhr. Le sous-secrétaire d’État, tout en rejetant l’internationalisation de la Ruhr ou son détachement de l’Allemagne, admet l’idée d’une Autorité internationale, dotée du pouvoir de répartir la production entre la consommation allemande et l’exportation59. Quelques jours plus tard, Jean Monnet est invité à déjeuner par Vincent Auriol, avec Léon Blum. Il répète devant eux sa conviction que l’ajustement entre la politique américaine de relèvement de la production allemande, et les exigences françaises de sécurité passe par la question de « l’exploitation nécessaire de la Ruhr sous contrôle ou gestion internationaie »60. Cela rejoint les préoccupations des deux dirigeants socialistes. Léon Blum vient d’écrire plusieurs éditoriaux du Populaire sur le problème allemand. Tout en affirmant que « personne ne saurait admettre que la reconstruction de l’Allemagne devançât ou primât celle des nations que l’agression allemande a ravagées », il y soutient que la sécurité française ne repose pas sur une limitation quantitative de l’industrie lourde allemande — selon la politique officielle de la France — mais sur « la maîtrise internationale de sa gestion »61. Lors du déjeuner à l’Elysée, il parle d’un contrôle international de la Ruhr — qui serait exploité comme la Tennessee Valley Authority — grâce auquel la production d’acier serait limitée aux besoins vitaux et pacifiques de l’Allemagne, et répartirait le surplus pour les réparations62. Ces idées convergent alors avec les projets du député travailliste Crossman sur une « Autorité de la Vallée de la Ruhr », présentés au même moment. Vincent Auriol développe peu après, dans une lettre à Georges Bidault, des propositions voisines, dans lesquelles l’influence de Jean Monnet est visible63. Chez Léon Blum, Vincent Auriol comme chez Jean Monnet, le contrôle international doit s’étendre à l’URSS, et concilier la sécurité, les réparations et l’allégement des charges financières de la bizone. L’« initiative » française d’un contrôle international de l’industrie lourde de la Ruhr pouvait être l’objet d’un compromis avec Washington, et empêcher ainsi que le recul sur le relèvement industriel allemand n’apparût comme une « abdication ». Jean Monnet, après son entrevue avec Clayton — dont il dit qu’il est « la personnalité la plus influente auprès de Truman » — confie à Vincent Auriol qu’un arrangement est possible avec lui, et que Georges Bidault et lui-même s’emploient à le conclure64.
Jean Monnet souffle son plan à Georges Bidault
34Le 6 août, William Clayton, Georges Bidault et Jean Monnet abordent la question, lors d’un déjeuner confidentiel. Le ministre français des Affaires étrangères convient que la France ne s’opposera pas à l’élévation du niveau industriel allemand, si elle peut disposer de l’assurance que les ressources de la Ruhr ne seront pas utilisées une nouvelle fois dans une guerre contre elle. Pour cela, il évoque le projet d’un bureau international (« international board »), qui répartirait la production de charbon, de fer, d’acier (et éventuellement de produits chimiques) entre l’Allemagne et les autres pays. Ce bureau comprendrait des représentants des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, du Benelux et, après le traité de paix, de l’Allemagne. Il n’aurait aucun pouvoir sur la gestion ou la propriété, mais seulement sur la répartition65. Bidault souligne le fait que la France abandonne ainsi ses projets antérieurs sur le détachement politique de la Ruhr, sur son internationalisation, et qu’elle se désintéresse de la question de la nationalisation ou non des entreprises de la Ruhr, mais sous la condition que l’accès à leurs produits ne soit pas soumis seulement à la volonté des Allemands, comme dans le passé. Ainsi, lors de conversations, certes informelles, mais à un haut niveau, Georges Bidault, conseillé par Jean Monnet, effectue des pas importants, afin d’aboutir à une convergence de vue avec le Département d’État. Il n’hésite pas à s’écarter de la position officielle du gouvernement Ramadier — et en particulier des ministres socialistes — sur la participation de l’URSS, comme sur la gestion des entreprises de la Ruhr. Lors du Conseil des ministres du surlendemain, Georges Bidault se déclare optimiste, et affirme que le Département d’État risque de pencher en faveur de la France, à la différence des services du général Clay66. Il est vrai que William Clayton a trouvé « raisonnables » les propositions du ministre français. Il a même conclu son compte-rendu pour le général Marshall, en conseillant d’accepter les suggestions françaises comme base de discussion. Comme l’a pressenti Jean Monnet, la France dispose à ce moment précis d’un atout : son rôle à la Conférence des Seize, décisif pour la réussite du Plan Marshall. Le sous-secrétaire d’État signale en effet que la France est « le pays-clé des seize participants » et que si « la France devait se retirer ou si son gouvernement devait tomber des suites du profond mécontentement au sujet des décisions sur l’Allemagne, le plan Marshall tout entier serait probablement mis gravement en péril »67.
Un sursis pour la France
35Les importantes concessions annoncées par Georges Bidault à Clayton et l’appui de ce dernier pour des conversations sur la Ruhr incitent le Département d’État à envisager une consultation de la France sur les accords Clay-Robertson. Cette consultation ne peut toutefois aller très loin, puisque, le 26 juillet, à Washington, les représentants des départements d’État et de la Guerre se sont mis d’accord, pour que le gouvernement américain soutienne « vigoureusement » les accords Clay-Robertson, et les « défende contre toute suggestion de la part d’autres nations afin de les modifier, à moins qu’une rectification puisse apparaître nécessaire en cas de véritable menace pour le succès du plan économique européen (plan Marshall) ou face à la menace d’un effondrement de la démocratie en France »68. Sous réserve de ces hypothèses extrêmes, il ne pouvait s’agir, pour la France, que d’un sursis, puisqu’il était prévu, en toute hypothèse, d’annoncer publiquement le contenu des accords Clay-Robertson avant le 1er septembre69. Mais, simultanément à cette annonce, n’était-il pas possible de rendre public un compromis, destiné à conforter le gouvernement français ? Le général Marshall répond, le 9 août, à une lettre de Georges Bidault, en proposant une Conférence tripartite, qui se tiendrait rapidement à Londres, afin de débattre du niveau de l’industrie allemande. Robert Murphy transmet au secrétaire d’État la réaction hostile du général Clay à cette nouvelle, bien qu’il ait été annoncé que, en tout état de cause, la résolution finale ne pouvait être le fait que des puissances anglo-saxonnes70.
Vers un compromis avec les trois diplomates « francophiles » ?
36Le 12 août, à Paris, Caffery, Douglas et Clayton reçoivent de nouveau, de manière informelle, Jean Monnet et Georges Bidault. Ce dernier précise les trois demandes du gouvernement français : trouver un moyen d’empêcher l’utilisation militaire de la capacité industrielle de la Ruhr, et de faire accéder la France à sa production de charbon et de coke, ainsi que repousser la publication du niveau de la capacité industrielle à la Conférence des Quatre, en novembre. Sans assurance sur les deux premiers points, le ministre français réaffirme que l’annonce publique d’un relèvement du niveau de l’industrie allemande constituerait un « choc » pour l’opinion française : ce n’est pas affaire de « logique », mais de contraintes, liées à la situation intérieure française71. Les responsables américains rappellent les trois raisons qui rendent nécessaire une telle publication : aucun programme de relèvement ne peut être formulé, sans estimation de la part de l’Allemagne ; le peuple et le Congrès américain doivent être assurés que tous les efforts ont été tentés pour alléger le fardeau financier, qui repose sur les épaules des contribuables d’outre-Atlantique ; enfin, le peuple allemand doit voir se réaliser la promesse qui lui a été faite d’une élévation de son niveau de vie, parallèlement au relèvement européen : « une défaillance pour tenir une telle promesse pourrait signifier le glissement de l’Allemagne, ou au moins de parties de l’Allemagne sous l’influence communiste et, en conséquence, l’établissement de la limite actuelle (« fronder ») se trouverait ainsi poussée vers l’ouest jusqu’à la frontière française »72. D’après le compte-rendu de Caffery, Bidault serait alors revenu en arrière, par rapport aux propos tenus avec Clayton, en évoquant l’inquiétude de la France sur le statut de la Ruhr. Il aurait parlé « d’une manière confuse » de quelque chose de voisin de la TVA, sans pour autant réclamer un contrôle de la gestion73. Ses interlocuteurs américains lui expriment alors, de manière officieuse, l’accord possible sur un simple bureau international (« international board »), disposant de pouvoirs sur la seule répartition. Et Caffery exprime au général Marshall sa crainte que, sans accord préalablement préparé sur les deux assurances réclamées par Bidault, ne se déclenche en France une violente opposition à la décision quant au niveau de l’industrie allemande. Cela risquerait d’entraver la suite, d’entraîner la chute du gouvernement français, de compromettre l’enthousiasme du soutien et même le leadership de la France pour le futur plan Marshall74. Le lendemain, 13 août, nouvelle rencontre des mêmes hommes, avec Hervé Alphand et Maurice Couve de Murville également du côté français. L’accord paraît se faire sur la constitution d’un bureau international, comprenant les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Benelux et l’Allemagne, dont le principe serait inclus dans le traité de paix. Il serait chargé de répartir la production de charbon, de coke et d’acier de la Ruhr, entre l’Allemagne et les autres pays. Alors que le ministre français réclamait un bureau dès la période d’occupation (et ne comprenant pas, à cette étape, de représentant allemand), ses interlocuteurs américains ont mis en avant deux arguments opposés, qu’il n’a pas contestés : la France ne pouvait manifester aucune crainte en matière de sécurité tant que l’occupation militaire se poursuivait ; et Washington pouvait difficilement admettre un système offrant, pour la conduite de l’économie allemande, une voix à des États qui ne supportent pas le poids financier des déficits75. Les trois responsables américains proposent alors au Département d’État d’accepter de rédiger un texte commun sur l’accord des Trois puissances occidentales — après s’être assuré de l’approbation de Londres — à propos de ce bureau international, qui serait publié simultanément avec l’annonce du relèvement industriel allemand. Un tel texte, d’après eux, aplanirait les principales difficultés avec la France, en particulier pour la Conférence de Paris sur le plan Marshall. Et les risques pour les projets américains de relèvement allemand seraient faibles, car les représentants du Benelux aideraient les puissances anglo-saxonnes, au cas où les Français manifesteraient une attitude brutale à l’égard du niveau de vie allemand76. Les trois diplomates apparaissent comme les tenants d’une politique francophile, au sens où ils tiennent relativement compte de l’argumentation de Georges Bidault, et reconnaissent un certain bien-fondé à sa conception des relations existant entre le niveau industriel allemand et la sécurité de la France. Ils prennent au sérieux le risque d’une crise gouvernementale française, qui pourrait résulter du mécontentement profond provoqué par l’annonce des accords Clay-Robertson, sans aucune contrepartie, en particulier sur la Ruhr. Cependant, ils ne s’écartent guère des propos du général Marshall, prononcés à la Conférence de Moscou, sur l’accès aux ressources de la Ruhr pour les Etats européens, en proposant que le futur « bureau international » ne s’occupe que de la répartition du charbon et de l’acier. Et ils prennent soin de ne pas affaiblir les pouvoirs du commandement militaire américain à Berlin, puisqu’un tel bureau était prévu pour la période postérieure au traité de paix.
Jean Monnet : un « pas considérable dans le sens de nos objectifs »
37Au même moment, Jean Monnet recommande d’accepter résolument le compromis proposé par William Clayton. Il conseille de tenir compte et, avant même les négociations pour le plan Marshall, d’intégrer les préoccupations de Washington : « ... au milieu de tous ces règlements, nous trouverons les États-Unis ; dans l’immédiat, c’est d’eux principalement que dépendent les solutions adoptées ; que nous le voulions, ou non, nous sommes engagés dans une suite de négociations avec les États-Unis, l’une réagissant sur l’autre (...) »77. Faisant référence à la politique allemande, il ajoute : « Cela veut dire évidemment revoir certaines dispositions prises par nous dans le passé (...) ces positions n’ont été acceptées par personne. Elles sont maintenant un fardeau que l’intérêt national nous commande d’échanger pour des vues positives et réalistes »78. Il reconnaît que le projet de compromis sur la Ruhr élaboré avec William Clayton n’est qu’une « solution partielle », par rapport à la position française. Mais, toujours fidèle à sa démarche pragmatique du pas à pas, il souligne qu’un tel accord laisse entière la liberté de réclamer l’internationalisation des mines de la Ruhr. Selon lui, l’acceptation d’une Autorité internationale de la Ruhr par les Anglo-saxons représente à la fois « un pas considérable dans le sens de nos objectifs » et « pour la première fois, une base de propagande réelle pour nos idées qui nous a manqué jusqu’à maintenant »79. Il propose, pour l’immédiat, d’accepter les niveaux proposés de l’activité allemande dans leur ensemble, mais en ralentissant la cadence prévue. À la différence des autorités militaires de la bizone, qui ont donné « la priorité à l’Allemagne » par rapport aux autres pays européens, il convient au contraire d’accroître les livraisons pour les Seize, notamment en charbon et en coke : « La méthode la plus efficace consiste à lier le relèvement du niveau de production industrielle en Allemagne aux efforts faits par elle pour augmenter son extraction de charbon »80. Faute d’une modification des chiffres, l’objectif, pour la France, des douze millions de tonnes d’acier pour 1951, ne pourra être atteint, à deux ou trois millions de tonnes près. Le Commissaire au Plan suggère donc d’accepter les niveaux d’activité contenus dans les accords Clay-Robertson, à condition que le rythme pour les atteindre soit commandé par la production allemande de charbon et la contribution en coke et en charbon au relèvement européen, ce qui implique de compléter les accords de Moscou, et de prévoir un accord sur le coke. Il ajoute qu’il faut saisir l’occasion, et, en particulier, les bonnes dispositions de William Clayton : « Nous savons que Clayton a eu les plus grandes difficultés en face de l’opposition de Clay et des services allemands pour que des conversations soient actuellement poursuivies avec le gouvernement français (...) le gouvernement américain, dans ces affaires, n’est pas « UN ». M. Clayton représente pour nous l’appui principal »81. L’échec des conversations engagées aurait, selon lui, des « répercussions sérieuses », notamment en reportant les arrangements relatifs au coke et au charbon.
38En fait, si le compromis ne peut être alors conclu, cela ne résulte pas des hésitations des autorités françaises, mais des résistances du Pentagone et du général Clay, et du recul consécutif du Département d’État.
Le barrage du général Clay et du Pentagone et le recul du Département d’État
39Le 14 août, Robert Lovett précise à Caffery et Clayton la réaction du Département d’État : il ne saurait être question de retarder au-delà du 1er septembre l’annonce des accords Clay-Robertson, pour les trois raisons évoquées par Caffery lui-même82. Et, surtout, malgré une certaine compréhension pour les préoccupations françaises, il est exclu de prendre une décision lors des prochaines conversations de Londres, quant à la proposition de contrôle international de la Ruhr : outre l’accord de Londres, qu’il est nécessaire d’obtenir, le secrétaire d’État adjoint objecte le fait que la politique à l’égard de la Ruhr n’est pas encore arrêtée à Washington83. Un mémorandum, rédigé le 23 août par le Bureau des Affaires européennes, fait clairement le point sur ce compromis avorté. Les Britanniques ne sont pas hostiles à un contrôle international de la Ruhr, sous la condition qu’il se combine à la nationalisation allemande de la production de charbon, de fer et d’acier84. Mais l’affaiblissement financier britannique empêche une grande fermeté sur ce point. De fait, le général Robertson a déjà cédé. En fait, l’opposition véritable provient du Département de la Guerre et du Commandement militaire en Allemagne, qui rejettent toute forme de contrôle applicable seulement à la Ruhr — excluant les ressources de Silésie de la zone orientale — même en liaison avec le traité de paix. D’une manière générale, le Pentagone et le général Clay redoutent que les préoccupations françaises quant à leur sécurité ne mettent en péril le développement économique allemand, jugé nécessaire pour mener à bien l’occupation alliée, et alléger le fardeau financier85. D’ailleurs, dès le 12 août, George Marshall donne comme instructions à Lewis W. Douglas pour les conversations de Londres de soutenir « vigoureusement » le contenu des accords Clay-Robertson, de ne pas engager de discussion sur le contrôle international de la Ruhr ou sur les réparations avec les Français. Il peut y avoir une éventuelle révision de la position américaine sur le niveau de l’industrie allemande — qui serait alors décidée à Washington, en accord avec le Pentagone — seulement si l’ambassadeur juge qu’il existe « une véritable menace à l’égard du succès du plan économique européen ou de la démocratie en France »86. Les représentants américains à Paris s’inclinent, mais recommandent d’engager, dès la fin des conversations tripartites de Londres, des négociations avec la France sur le contrôle de la Ruhr, eu égard à son impact sur la préparation du plan Marshall. L’ambassadeur américain à Paris redoute, en particulier, que, sans accord préalable, les Français ne remanient pas les objectifs de production d’acier accompagnant le plan Monnet — prévoyant pour 1951 12,7 millions de tonnes — ce qui compromettrait l’équilibre du futur plan Marshall87. Mais les représentants de Washington à Paris sont seulement autorisés à dire à Georges Bidault, le 19 août, que, « dans des circonstances plus appropriées », le Département d’État sera content de considérer avec sympathie (« to give sympathetic consideration ») la proposition française sur la Ruhr88. Malgré les apaisements prodigués par Jefferson Caffery quant à la référence qui devra être faite aux intérêts de la France, lors de l’annonce publique de la révision du niveau industriel allemand, Georges Bidault ne cache pas sa déception, et même sa contrariété. Il indique qu’aucun gouvernement français ne pourra accepter l’annonce d’une révision du niveau industriel allemand, sans une déclaration simultanée sur des assurances, quant à la sécurité de la France et à son accès aux ressources de la Ruhr89. Dans le mémorandum du Département d’Etat, il est précisé que, lors des conversations de Londres, il faut s’attendre à « une grave crise », si les représentants de Washington ne font que réaffirmer une position négative à l’adresse des Français90. Au Conseil des ministres du 20 août, Georges Bidault fait état de l’« impasse » dans laquelle se trouvent les conversations franco-américaines sur la Ruhr91.
4. La conférence tripartite de Londres (22-27 août 1947) : le sursis
40On dispose, pour connaître le contenu des conversations de Londres des notes de Jean Monnet, ainsi que de certains compte-rendus de Lewis W. Douglas à Washington92.
La position française : lier relèvement industriel allemand, livraisons de charbon et de coke, et réparations
41La position française est présentée à Londres par Hervé Alphand, qui dirige la délégation, aux côtés de René Massigli. Elle s’appuie en grande partie sur les suggestions formulées par Jean Monnet. Cependant, le Quai d’Orsay souhaite des garanties plus importantes, et — comme on l’a vu, lors de la seconde rencontre Bidault-Clayton — à la différence des propositions de Jean Monnet, ne veut pas abandonner l’internationalisation de la gestion des mines et entreprises de base de la Ruhr pour le seul contrôle de la répartition. Hervé Alphand précise, dans une note du 18 août, les préoccupations françaises. Comme Jean Monnet, il ne s’oppose pas au relèvement industriel allemand en soi, mais refuse qu’il ne soit plus rapide que celui des autres États européens, à la fois parce que cela compromettrait la réussite du plan Monnet, et que cela conforterait la thèse, énoncée par Molotov en juillet, sur la priorité accordée à l’Allemagne sur ses victimes dans le plan Marshall. En particulier, si les dix millions de tonnes d’acier étaient atteintes rapidement en Allemagne, cela signifierait que le coke allemand serait utilisé en Allemagne même, ce qui priverait la sidérurgie française de livraisons vitales, et l’empêcherait d’atteindre l’objectif des douze millions de tonnes pour 1951 : « Il faut donc trouver un moyen d’indiquer que le relèvement de la production allemande sera progressif et tiendra compte des besoins des pays voisins »93. Ainsi, il convient d’obtenir un accord « pour que le relèvement de l’industrie allemande ait lieu progressivement, compte tenu de la nécessité d’exporter du charbon à destination des pays libérés »94. Il importe de subordonner l’élévation du niveau de production sidérurgique aux exportations de charbon : pour ce faire, il s’agit de compléter les accords d’avril 1947, en précisant la part de charbon allemand réservée à l’exportation, et d’aboutir à un accord similaire pour le coke. Hervé Alphand espère faire jouer deux arguments pour trouver un terrain d’entente avec Washington. Le premier, qui lui a été soufflé par Jean Monnet, est exprimé le premier jour de la Conférence. Il redoute que le niveau industriel des accords Clay-Robertson ne compromette les objectifs du Plan Monnet, notamment les douze millions de tonnes d’acier, qui forment « la base des accords financiers de la France avec les États-Unis »95. Jean Monnet a toujours laissé entendre que les accords Blum-Byrnes reposaient sur une approbation du premier Plan. Mais, dans l’esprit des dirigeants américains, il n’y avait pas d’accord contraignant dans ce domaine. Reste l’objection financière des charges de l’occupation, constamment mise en avant par les autorités de Washington, et encore davantage par le général Clay. Hervé Alphand escompte aussi une évolution dans ce domaine : « Ce qui compte en réalité maintenant pour l’Amérique, n’est-ce pas le déficit global européen et non pas uniquement le déficit allemand ? » 96
42Ainsi, le Quai d’Orsay espère que désormais la politique allemande de Washington va se trouver subordonnée à sa politique européenne, définie par le plan Marshall, au sein de laquelle le relèvement de la France devrait primer sur celui de l’Allemagne.
43Le 22 août, René Massigli et Hervé Alphand défendent les positions françaises. Ce dernier insiste sur le fait que les prévisions de la bizone pour le charbon restent inférieures à celles de l’avant-guerre, et sont donc insuffisantes pour assurer le relèvement européen, envisagé parallèlement à la Conférence de Paris. Il rappelle également les exigences françaises en matière de réparations, ainsi que les liens entre les questions de sécurité et celles du contrôle de la gestion et de la répartition de la production de la Ruhr97.
Des « satisfactions verbales » pour la France
44Les jours suivants, les délégués français n’obtiennent satisfaction sur aucun point.
45Sir Gilmour Jenkins, président de la délégation britannique, affirme que les « conditions » exprimées par la France sont hors de la compétence de la Conférence, chargée d’examiner techniquement le niveau de l’industrie allemande. Hervé Alphand fait remarquer que la sous-estimation des capacités industrielles allemandes d’acier a pour but de réduire le volume des réparations futures. En effet, la réunion des experts « permit de constater que les réparations prévues étaient extrêmement limitées, même dans le domaine de l’acier ». À l’inverse, le délégué français tente de réduire les capacités destinées à l’Allemagne, mais les délégués américains font alors « un barrage systématique »98. Lewis W. Douglas rapporte au général Marshall que la délégation américaine n’était pas disposée à faire de concessions, puisqu’il ne lui semblait pas qu’il y eut, à ce moment, de danger pour le plan Marshall, ni pour la démocratie française99. Le 26 août, les délégués français reçoivent le projet anglo-américain de statut de la Ruhr, qui prévoit notamment la remise des mines entre les mains des Allemands. Les Français n’obtiennent pas de déterminer le rythme du relèvement industriel allemand, ni de le lier à la question du charbon, qui doit être examinée en octobre à Berlin. Pour le reste, les conversations aboutissent à la publication effective, le 29 août, des accords Clay-Robertson, tenus secrets jusque-là. Ainsi, la France a obtenu un sursis de six semaines. Le dernier jour, il a été toutefois question de rédiger le communiqué, de telle sorte que la France reçoive des « satisfactions verbales » sur « la nécessité de ne pas donner à l’Allemagne de priorité pour son relèvement », afin que le gouvernement français puisse en faire état devant l’opinion100. En outre, Lewis W. Douglas, conformément à ses instructions, évoque auprès de la délégation française l’engagement prochain de discussions sur la Ruhr, et le souci de Washington de « considérer avec sympathie » les propositions françaises.
5. La cassure est-ouest et le report des décisions (septembre-décembre 1947)
46Les autorités françaises tentent, à la fois, d’obtenir satisfaction sur la Ruhr et sur les approvisionnements de charbon et de coke.
La conférence de Berlin (septembre-octobre) : trois avantages limités
47Renvoyée de Londres à une conférence tripartite à Berlin, la question charbonnière est abordée de telle sorte que la France peut améliorer quelque peu les accords d’avril 1947 par ceux du 22 octobre 1947. Les Anglo-saxons admettent le principe de lier la consommation à la production, afin de préserver les exportations des fluctuations de l’extraction. Les accords Alphand d’avril avaient été largement illusoires, puisque l’accroissement de la part française dans les exportations était suspendu à une augmentation de production, qui ne s’était pas produite. D’autre part, les exportations de coke sont désormais prévues selon une part des attributions de charbon. Enfin, la France obtient le principe de l’attribution du charbon sarrois. Il faut attendre la fin de l’année pour que la constitution de la Sarre, élaborée par le Landtag élu le 5 octobre, soit promulguée, et que le chef du premier gouvernement sarrois, Johannès Hoffmann, à peine installé, accepte l’union économique avec la France. Cela ne peut toutefois suppléer en quantité, ni en qualité, les insuffisantes livraisons de la Ruhr. En effet, les livraisons de la Sarre atteignent à peine 100 000 tonnes mensuelles jusqu’en novembre, et moins de 150 000 en décembre. D’autre part, le charbon sarrois n’est pas cokéfiable, alors que les besoins dans ce domaine sont vitaux pour la sidérurgie. En décembre, toutefois, pour la première fois de l’année, les importations de la Ruhr excèdent les deux cent mille tonnes. Au total, sur l’année 1947, la France a reçu moins de deux millions de tonnes de charbon en provenance de la Ruhr (même en incluant le bassin de Cologne), soit à peine 150 000 tonnes de moyenne mensuelle : on était loin des espoirs d’atteindre un million de tonnes par mois, énoncés dès la première session du Conseil du Plan (16-19 mars 1946), et répétés dans le Rapport général de novembre 1946, ou même des 500 000 tonnes escomptées en mars 1947101.
La Ruhr : plan Bidault, rupture Est-Ouest et report des débats
48En septembre, le Quai d’Orsay élabore des propositions précises pour la constitution d’une Autorité de la Ruhr, qui aurait un droit de contrôle sur la production, les investissements et la répartition. On trouve également la trace d’un plan Bidault, à la fin d’octobre102. Faisant état de l’échec de la solution anglaise — « le mineur allemand ne veut pas travailler pour l’anglais » — du refus de la « dangereuse solution » américaine — consistant à remettre les mines entre les mains des Allemands eux-mêmes — et de l’impossibilité de la solution d’internationalisation quadripartite, proposée par la France en 1946, mais rejetée par Washington, hostile à des intérêts soviétiques dans la Ruhr, il est question de trouver une solution « européenne »103. Mais il s’agit de tenir compte du « drame technique » de la sidérurgie française, qui a un besoin vital du charbon cokéfiable de la Ruhr, car celui de la Sarre ne suffit pas. Pour Georges Bidault, il faut maintenir l’objectif de douze millions de tonnes d’acier en 1951 pour la France, et celui de dix millions pour l’Allemagne — soit la moitié du niveau de 1939 — car, à la différence du plan Clay, qui prévoit la renaissance d’un bassin industriel, Bidault veut limiter la Ruhr à son rôle de producteur de charbon : « Au lieu de faire de la Ruhr un arsenal, on en fait une mine domaniale européenne »104. Pour des raisons de sécurité, le ministre français souhaite faire parvenir du charbon de la Ruhr vers les hauts fourneaux lorrains, afin d’assurer à la France la prépondérance sidérurgique continentale105. Les Américains refusent de débattre de la question avant le Conseil des ministres des Affaires étrangères, qui doit se réunir à Londres à la fin de novembre. Cette conférence, dite de « la dernière chance » — dont les 550 heures s’étalent du 25 novembre au 15 décembre — se solde par un échec total, auquel les responsables américains comme Georges Bidault étaient résignés par avance. Le surlendemain, le général Marshall évoque avec Georges Bidault la nécessité de conversations tripartites sur la fusion de la ZFO avec la bizone, et sur la Ruhr106. Le sort des ressources allemandes, dont une partie est escomptée pour la réussite du plan Monnet, est donc reportée à une nouvelle Conférence tripartite, qui doit s’ouvrir à Londres, au début de l’année 1948.
6. L’Allemagne au cœur des relations franco-américaines
49Comme l’avait annoncé Jean Monnet, la question allemande a traversé les discussions franco-américaines, autour du futur plan Marshall. Aussi, convient-il de s’arrêter, en cette fin d’année 1947, sur l’état des relations entre Washington et Paris à propos de l’Allemagne.
Le « prix » payé par Washington : des engagements lointains sur le contrôle international de la Ruhr
50À l’issue des conversations de Londres du mois d’août, afin d’obtenir l’accord du gouvernement français sur le communiqué final, Lewis W. Douglas est autorisé par le général Marshall à dire que le « gouvernement américain était prêt à engager rapidement des discussions et à considérer avec sympathie l’établissement, en liaison avec le traité de paix, d’un système international chargé de garantir que l’accès de la production de la Ruhr ne sera pas à l’avenir, comme c’était le cas avant la guerre, soumis exclusivement à la volonté allemande »107.
51Ainsi, l’ébauche de compromis, élaborée entre Jean Monnet et William Clayton le 29 juillet, est le « prix » payé par les États-Unis pour la participation française au plan Marshall, comme le souligne Alan Milward dans un ouvrage récent108.
52Il ne faudrait toutefois pas surestimer le montant de ce prix. Comme le signale le mémorandum du Département d’État, il ne s’agit que d’un engagement à terme, puisqu’il ne doit entrer en application qu’au moment de la signature du traité de paix. Or, deux éléments peuvent alors en affaiblir la portée. Tout d’abord, « les conditions politiques de la France peuvent être très différentes de celles d’aujourd’hui »109. Autrement dit, le gouvernement français ne disposera peut être plus de l’atout qu’il détenait en août 1947, son rôle indispensable au lancement du plan Marshall. De fait, quelques mois plus tard, la marge de manœuvre et les possibilités de marchandage d’une France, désormais durablement engagée dans l’aventure du plan Marshall, allaient se trouver des plus réduites. D’autre part, les responsables du Département d’État estiment, dès ce moment, qu’on ne peut « attendre qu’un pays se développe suivant des voies démocratiques avec un groupe d’États étrangers profondément impliqués dans le contrôle indéfini de ses ressources de base »110. Ainsi, le relèvement politique d’une Allemagne occidentale doit, à terme, rendre caduc un éventuel contrôle de la répartition des productions de la Ruhr. De plus, les propositions françaises de contrôle international de la répartition sont jugées par les auteurs du mémorandum « proches » des vues américaines : la « différence fondamentale » réside dans les moyens d’assurer une répartition équitable des ressources de la Ruhr, le principe en ayant été admis par le général Marshall à Moscou, en avril. Les Français souhaitent un contrôle direct par un Bureau international de répartition, alors que le Département d’État suggère le recours à une agence internationale, seulement au cas où la gestion des ressources, confiée aux Allemands, ne répondrait pas aux demandes légitimes des autres États111. Certes, plusieurs personnalités du Département d’État proposent ainsi de s’écarter de l’avis du Pentagone et du Commandement de Berlin, hostiles à tout contrôle applicable à la seule Ruhr, même en liaison avec le traité de paix112. Mais, au mois d’août 1947, la France ne reçoit que des « satisfactions verbales », les véritables discussions sur la Ruhr se trouvant reportées au début de l’année 1948. Et il n’est guère pensable que le général Marshall puisse alors accepter un engagement à ce sujet, sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de la Guerre et du général Clay, responsables, en dernier ressort, de la sécurité de l’Allemagne occidentale, partant de l’Europe du plan Marshall. Même au cas — qui ne s’est pas produit — où le Département d’État aurait dû prendre un engagement ferme sur la base du compromis Monnet-Clayton, le « prix » ainsi payé par Washington, pour apaiser le gouvernement français et s’assurer de sa bonne volonté à la Conférence de Paris, n’aurait pas été très élevé, en dépit des violentes protestations de Lucius D. Clay.
Le « prix » du plan Marshall pour la France : une « concession très considérable »
53Le mémorandum du Département d’État souligne que, dans les conversations confidentielles franco-américaines à Paris au mois d’août 1947, Georges Bidault a fait des propositions, qui représentent, par rapport à celles formulées en avril à Moscou « une concession très considérable et un effort pour rejoindre les vues américaines »113. En particulier, le responsable français a annoncé l’abandon des positions antérieures françaises sur le détachement politique de la Ruhr, sur son internationalisation, et a même affirmé se désintéresser de la question de la nationalisation des entreprises de la Ruhr. Ainsi, contrairement à ce qui a été parfois écrit, Georges Bidault était prêt à suivre le conseil de Jean Monnet, et à abandonner le « fardeau » des revendications françaises de 1945 sur l’Allemagne114. Mais, bien évidemment, cette révision ne pouvait être rendue publique, que si la France obtenait explicitement de Washington la double assurance que le relèvement industriel allemand, désormais accepté par Paris, n’était pas de nature à compromettre la sécurité de la France, ni son accès aux ressources charbonnières de la Ruhr. De même, le ministre français est résigné, dès juillet, à la fusion de la ZFO dans la bizone. Mais, comme Washington répugne à s’engager, Georges Bidault maintient publiquement le discours ancien sur l’Allemagne. Il ne saurait être question de faire état de cette « concession », sans contrepartie tangible sur le contrôle de la Ruhr : le ministre se heurterait non seulement à la colère des communistes et de nombreux nationalistes, mais également aux critiques de certains de ses ministres, en particulier socialistes, ou encore à celle de Vincent Auriol, qui déplore le « pessimisme » et le « fatalisme » de l’hôte du Quai d’Orsay, coupable déjà, à ses yeux, de ne pas déployer assez d’efforts pour éviter la cassure en deux blocs115. C’est à la fois la contrainte de l’opinion publique française — dont Jefferson Caffery dit qu’il se soucie beaucoup, par ambition de carrière — et la dérobade du Département d’État, qui empêchent Georges Bidault d’opérer l’ajustement de la politique allemande, auquel lui-même et une partie des diplomates s’étaient résignés. René Massigli n’a-t-il pas ainsi achevé sa lettre « personnelle » de la fin juillet : « Je suis convaincu que le ministre des Affaires étrangères qui viendrait dire au Parlement : « Voilà ce que j’ai accepté ; mais j’ai obtenu en échange telle et telle garantie d’occupation ; de surcroît j’ai permis que le Plan Marshall prenne vie », je suis convaincu que ce ministre des Affaires étrangères serait acclamé »116. Il semble, d’après les télégrammes de Caffery, que, en août 1947, l’amertume de Georges Bidault à l’égard de Washington résulte surtout du recul final du Département d’État : il a ainsi été frustré d’un accord sur la Ruhr, dont il aurait pu s’attribuer le mérite aux yeux de l’opinion française, et qui aurait pu occulter l’abandon des autres revendications françaises sur l’Allemagne117.
54Une telle occasion ne pouvait guère se présenter aussi favorablement quelques mois plus tard, car les atouts de la France seraient alors moindres, et l’abandon risquait de n’être compensé par aucune contrepartie. Dès juillet 1947, les responsables américains ont pu ainsi testé la fermeté des responsables français dans leur politique à l’égard de l’Allemagne. Dès cette date, une partie de ces derniers étaient prêts à changer de politique allemande, pour peu que Washington les eut aidés par un geste positif sur la Ruhr, destiné à détourner l’attention de l’opinion.
Le rôle stratégique de Jean Monnet : convertir la dépendance en convergence
55Jean Monnet a été le principal artisan du compromis, en proposant d’éliminer le « fardeau » des revendications françaises anciennes, inassimilables par Washington, et en mettant en relief la revendication du contrôle international de la répartition des produits de la Ruhr, dont il savait qu’elle n’était pas très éloignée des analyses défendues au Département d’État par William Clayton, et par le général Marshall lui-même. Une fois de plus, il a été l’inventeur du compromis dynamique — sorte de plus grand commun dénominateur entre politiques française et américaine — apte à convertir une dépendance humiliante en une convergence honorable : ainsi, l’ajustement de la politique allemande de Paris à celle de Washington — jugé inévitable du fait de la sollicitation de l’aide financière — pouvait ne pas apparaître comme une « abdication », comme un « nouveau Munich », pour prix des futurs crédits Marshall.
56Mais, une fois encore, le Commissaire au Plan a péché par optimisme : le Département d’État n’était pas prêt à passer outre le veto de la Guerre, ni celui du général Clay. En revanche, il se montre fort lucide sur le fait que les conditions, relativement favorables pour la France à l’été 1947, ne le seront plus autant par la suite118. En outre, le projet de mémorandum du 22 juillet prévoyait un contrôle international de la Ruhr intégrant l’URSS, afin d’empêcher la rupture en novembre : à partir du moment où celle-ci est consommée, le projet sur la Ruhr ne peut être qu’« occidental », et sa fonction d’apaisement de la « plaie ouverte » en direction des communistes en France, perd toute efficacité. De ce point de vue, Georges Bidault ne partageait pas l’optimisme de Jean Monnet et s’était résigné — en juillet, avec certitude ; dès Moscou, en avril, selon la plupart des témoignages — à la cassure est-ouest et à l’ancrage occidental de la France119.
Revendications « légitimes » et « illégitimes »
57Les contacts que Jean Monnet a établis, en particulier avec William Clayton, lui ont permis de mesurer la part des revendications françaises sur l’Allemagne, acceptables par Washington. Dans la conversation informelle du 29 juillet, William Clayton a donné son sentiment personnel sur la politique française à l’égard de l’Allemagne. La réduisant à trois composantes, il affirme en approuver les deux premières — le souci de sécurité ; la volonté de ne pas dépendre seulement de l’Allemagne pour l’accès aux ressources de la Ruhr — mais rejeter la troisième, à savoir la volonté d’abaisser énergiquement l’industrie lourde de la Ruhr, afin de construire en France les industries correspondantes120. Ainsi, l’un des responsables américains les plus attentifs aux préoccupations françaises déniait toute légitimité au souci de « compétition » de la part de la France, et ne reconnaissant aucune validité aux projets français d’hégémonie continentale industrielle, en particulier sidérurgique. Une semaine plus tard, lors d’une réunion interne — avec Caffery, Douglas et Murphy — sur le plan Marshall, le sous-secrétaire d’État reconnaît dans la position française sur le niveau industriel de l’Allemagne deux types d’« intérêts légitimes » — le souci de la sécurité militaire et le désir de diminuer la dépendance économique à l’égard de l’Allemagne. Toutes les autres préoccupations lui apparaissent comme autant d’« intérêts illégitimes », à rejeter121. Jean Monnet savait, dès ce moment, combien il serait difficile d’aller au-delà des bornes fixées par William Clayton, dont les positions personnelles lui semblaient déjà parmi les plus favorables à la France. C’est pourquoi, il avait insisté sur la nécessité de situer la politique française dans ce cadre, d’abandonner par avance le « fardeau » des réparations, du détachement politique ou de l’internationalisation de la Ruhr, et de concentrer les demandes sur le contrôle international de la répartition.
58C’est également à cette époque que les autorités françaises peuvent mesurer le faible poids des réparations et restitutions allemandes dans le relèvement français. Une note du MEN pour le CEI — retrouvée dans les papiers Cusin — estime, à la fin d’octobre 1947, leur montant global (vingt milliards de francs) « très inférieur aux espoirs que la France avait mis dans les réparations allemandes »122.
La double contradiction de la politique allemande de la France : sécurité, plan Marshall et relèvement allemand
59Les objections majeures de la France au relèvement prioritaire de l’industrie allemande — tel qu’esquissé dans les accords Clay-Robertson — se fondaient d’abord sur le souci de sécurité. Or, pour les responsables américains, la sécurité était assurée par les armées d’occupation, auxquelles il fallait accorder les moyens (financiers et politiques) d’exercer leur tâche. Et lors d’une rencontre entre Henri Bonnet et le général Marshall, à la fin de juillet, ce dernier a refuté l’idée de l’actualité d’une menace allemande pour la France, mais, en revanche, a souligné que le vrai danger « serait une Allemagne dominée par l’Union soviétique avec le potentiel militaire utilisé en alliance avec les Soviets »123.
60Si la sécurité française, vue de Paris, signifiait la limitation du relèvement industriel de l’Allemagne, la sécurité occidentale, vue de Washington et de Berlin — dont la sécurité française n’était qu’une composante, parmi d’autres — exigeait au contraire l’abandon des entraves à l’égard du niveau de l’industrie allemande.
61Une seconde contradiction provenait de la préparation du plan Marshall. La France pouvait difficilement justifier ses demandes substantielles de dollars en faveur du relèvement économique, au nom de la lutte commune contre le communisme, sans accepter qu’un tel raisonnement ne pût s’appliquer au cas de l’Allemagne, dans sa portion occidentale. En outre, le talon d’Achille de la diplomatie française était la ZFO. Comme les Britanniques, un peu plus tôt, les Français connaissent des difficultés financières pour gérer leur zone, à la fin de 1947 : la balance commerciale, excédentaire jusque-là, devient déficitaire, avec le rattachement économique de la Sarre à la France. Dès octobre, Emile Laffon, Commissaire civil, a confié à Vincent Auriol qu’on ne pouvait plus parler d’une zone ... « économiquement française parce que (nous) dépendons de la zone anglo-saxonne »124.
62Le « gage » que pensait détenir le général Kœnig devenait illusoire, dès le moment où les dollars Marshall apparaissent nécessaires pour assurer l’équilibre de sa gestion. C’était pure logique que Washington utilise la situation l’année suivante, à l’heure de la mise en œuvre du Plan.
IV. L’AJUSTEMENT DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE : POLITIQUE COMMERCIALE ET DÉFENSE DU PLAN MONNET
63Dès 1945-46, la politique économique et commerciale française avait dû — on l’a vu — s’ajuster aux vues américaines, contenues dans ce qui, à Washington, apparaissait comme les deux piliers de la reconstruction du monde d’après guerre, le système monétaire, bâti à Bretton-Woods, et l’Organisation internationale du Commerce, dont les principes avaient été posés dans le Livre Blanc. Mais le milieu de l’année 1947 a été fatal au premier, à la suite de la défaillance britannique. Quant au second, il n’est pas encore mis en place. Et, désormais, un troisième pilier, à travers l’offre Marshall, modifie l’architecture générale.
64L’ajustement de la politique économique était d’autant plus nécessaire qu’en cette fin d’année 1947, le plan Monnet, espoir du relèvement français, semblait mal engagé.
1. La politique commerciale à l’heure du GATT : un « délai de convalescence »
Les deux réserves de la France
65La position de la France sur la politique commerciale repose sur les instructions données lors des accords Blum-Byrnes, sur les décisions du Conseil du Plan, et sur les instructions transmises pour la première (à Londres), puis la seconde session du Comité préparatoire de la Conférence internationale du Commerce et de l’Emploi, qui se tient à Genève, du 10 avril au 23 août 1947. André Philip, qui dirige la délégation française et s’est personnellement beaucoup intéressé aux débats de Genève, s’est employé à obtenir deux grandes dérogations aux grands principes de libération inconditionnelle, défendues par les Américains125. Tout d’abord, il s’est attaché « à obtenir une protection équitable pour (notre) économie en cours de modernisation », en particulier le maintien d’un programme d’importation, la possibilité de ne pas se conformer à la règle de non-discrimination, et de conclure des accords bilatéraux126. En outre, le ministre de l’Économie nationale a voulu préserver la préférence impériale, et faire reconnaître la possibilité de conclure des unions douanières « régionales », avec des pays à structure économique et niveau de vie comparable127. Dans les discussions avec les représentants américains, les Français peuvent bénéficier d’un double renfort. D’abord, celui des délégués européens, en particulier britanniques, soucieux de conserver certains moyens de protection pendant la période transitoire de réparation des destructions de la guerre et de modernisation, en vue de la compétition future. Lors de la dernière séance de la seconde session à Genève, le délégué du Royaume-Uni, Harold Wilson, alors président du Board of Trade, en réclamant le rétablissement des économies nationales, avant toute application stricte des principes du commerce multilatéral, s’oppose au délégué américain, Wilcox, qui tente d’intervertir les propositions128. D’autre part, les représentants des pays peu industrialisés s’opposent au principe de la clause de la nation la plus favorisée, défendu par Washington : c’est en particulier le cas de certains États latino-américains, comme le Mexique, dont le ministre des Affaires étrangères déclare, quelques semaines plus tard à La Havane, « qu’appliquer l’égalité aux inégaux condamnerait à végéter les peuples les moins fortunés »129.
L’état du compromis entre « automatismes » et « dérogations »
66Deux négociations se mènent parallèlement à Genève : l’une sur l’abaissement des tarifs douaniers, l’autre sur la rédaction de la Charte instituant une Organisation internationale du Commerce.
67Le 23 août, le Comité préparatoire adopte un projet de Charte, dont le texte sera soumis à la Conférence finale, qui doit se tenir à La Havane, à partir du 21 novembre : divisé en neuf chapitres et cent articles, le projet établi à Genève contient les principes généraux du commerce international. Parallèlement, les négociations tarifaires multilatérales se poursuivent : une centaine aboutissent à des accords intéressant vingt-trois États, et environ la moitié du commerce international. Et, le 30 octobre, les vingt-trois décident de mettre en vigueur la partie proprement commerciale de la Charte, le GATT. Dès la fin août, lors de l’adoption du projet de Charte, André Philip fait le point pour le CEI. Il signale que « la Délégation française a dans de nombreux cas réussi à obtenir que les automatismes que l’on voulait créer soient tempérés par de nombreuses dérogations ». Le texte du projet se présente donc, selon lui, comme « le résultat de la confrontation des thèses à tendances libérales présentées par la Délégation américaine et des oppositions manifestées contre la mise en œuvre automatique de ces tendances »130. Les idées libérales sont largement présentes dans le premier chapitre, qui expose les finalités de la future OIC. Toutefois, « on a également tenu compte des idées mises en avant par feu Lord Keynes concernant la théorie du plein emploi »131. À ce propos, la délégation française a fait introduire, dans un autre chapitre, un article sur la nécessité de convoquer une conférence spéciale, au cas où une crise économique mondiale se produirait. Le chapitre le plus important est celui qui est consacré aux règles de la politique commerciale. Objet de « longues et pénibles discussions », le texte « reflète un compromis anglo-américain »132. La délégation française y obtient deux dérogations essentielles. La première porte sur les restrictions quantitatives : ainsi, les États souffrant de difficultés financières pourront maintenir un programme d’importations, tant qu’ils n’auront pas équilibré leurs comptes extérieurs. À la suite d’une initiative britannique, il a d’ailleurs été signalé que les difficultés financières provenaient du déséquilibre fondamental, dû à la position des États-Unis, la quasi-totalité des autres États étant leurs débiteurs. Comme le remarque le commentateur du Monde : « Il était difficile à ceux-ci [les délégués américains] de faire autrement. En admettant que les importations fussent entièrement libres dans tous les pays appauvris par la guerre, avec quoi seraient-elles payées ? »133. La seconde dérogation porte sur les discriminations, condamnées dans les principes de la Charte et du GATT. Les États connaissant des difficultés financières sont autorisés à maintenir, jusqu’en 1952, des accords bilatéraux de caractère discriminatoire. Ainsi, la France bénéficie du maintien de protections pendant une période correspondant à la durée de son relèvement, un « délai de convalescence », avant d’affronter la compétition commerciale134. Cependant, de telles pratiques devaient être soumises à un contrôle de la future OIC, et à certains critères financiers. De plus, les Britanniques, soutenus par les Américains, ont réussi à faire inscrire une clause accordant la priorité aux devises convertibles pour le règlement des exportations des différents États. Ils escomptaient tirer parti de la convertibilité de la livre pour exercer un certain contrôle du commerce européen, à travers la canalisation des exportations de certains produits rares. Mais l’abandon de la convertibilité de la livre modifie la situation.
68Restait la question la plus longuement débattue, celle des préférences.
Les préférences impériales : le « compromis sur les principes et le sacrifice sur les personnes »
69L’affrontement sur les préférences impériales a été l’un des plus âpres à Genève. Mettant aux prises délégués américains et britanniques, il recoupe, il est vrai, l’un des enjeux principaux du Livre blanc américain, le démantèlement du bloc sterling. On sait que Washington a dû renoncer à sa hâte — consignée dans l’accord corollaire du prêt de décembre 1945 — de rétablir la convertibilité de la livre. Les dirigeants américains doivent également se résigner à accepter, pour l’essentiel, le maintien de la préférence impériale : le conflit a toutefois duré près de deux mois et a entraîné la démission de William Clayton, qui abandonne son poste de sous-secrétaire d’État pour les Affaires économiques à la mi-octobre135.
70Les Français, par ricochet, peuvent également maintenir des liens préférentiels avec l’Union française.
Les unions douanières : « le compromis est une vertu » (William Clayton)
71On sait que plusieurs responsables français envisageaient différentes formes d’unions douanières, comme étape préalable à un multilatéralisme généralisé136. Dès avril, André Philip a fait inclure dans les instructions de la délégation française la tâche de faire admettre la conclusion « d’accords bilatéraux avec des pays voisins, afin de préparer des unions douanières « régionales » élargissant progressivement les marchés nationaux »137. Le ministre de l’Économie nationale justifie une telle demande, par l’exiguïté du marché intérieur de la plupart des pays de l’Europe occidentale, « par rapport aux exigences de la technique de la production moderne »138. La question s’imbriquait, on l’a vu, avec la préparation du rapport des Seize, dans lequel William Clayton souhaitait voir la mention des efforts d’intégration européenne139. A la fin de juin, René Massigli remarque que William Clayton envisage les négociations de Genève « à la lumière de la vieille (doctrine) américaine de non-discrimination » ainsi que « les possibilités d’intégration des économies européennes (...) sans paraître se rendre compte que les solutions envisagées respectivement pour les deux ordres de problèmes se contredisent »140. En fait, William Clayton est conduit à renoncer au principe de non-discrimination généralisée. Hervé Alphand signale à Georges Bidault, au début d’août, le ralliement du sous-secrétaire d’Etat à l’établissement d’unions douanières et la rédaction d’un chapitre du Rapport générai des Seize à ce sujet141. On sait que la France propose alors aux Seize la constitution d’une commission travaillant sur un projet d’union douanière. Lors du Conseil des ministres du 8 août, Georges Bidault signale les réticences britanniques, mais les possibilités du côté du Benelux et de l’Italie. Il ajoute qu’en cas d’union limitée à l’Italie et à la France, celle-ci serait perdante, alors que si le Benelux s’y joignait, cela lui serait hautement bénéfique142. Et, dans un discours radiodiffusé à Paris le 10 septembre, William Clayton souligne que, bien plus qu’à Londres, le projet de Charte de Genève correspond davantage à un compromis — « le compromis est une vertu, non un défaut » — à travers les exceptions envisagées : « Une des exceptions envisagées n’est-elle pas cette union douanière européenne recommandée par l’Amérique elle-même ? »143. Il parle en outre de l’Union étroite entre le plan Marshall et l’Organisation internationale du Commerce », l’un pourvoyant aux besoins immédiats, et la seconde intéressant les relations à plus long terme144.
72À Genève, c’est André Philip qui fait introduire dans la Charte le droit des États membres à instituer des formes d’intégration régionale, dans l’attente de la création d’une union douanière.
Washington : l’ajustement nécessaire des objectifs
73Les autorités de Washington ont, en cette année 1947, fortement révisé leurs principes de reconstruction économique mondiale.
74Le système bâti à Bretton-Woods est compromis par la défaillance de la livre sterling. L’offre Marshall doit suppléer ses insuffisances, issues, pour une grande part, d’une sous-estimation des difficultés financières européennes. Les principes énoncés dans le Livre Blanc, lors de la négociation du crédit avec Lord Keynes, doivent également être révisés, du fait de l’ampleur des problèmes de reconstruction européenne. La prise de conscience de ces problèmes, manifestée par le discours de Harvard, conduit à renoncer « aux vues assez superficielles et purement théoriques de certains dirigeants américains, et principalement de M. Clayton »145.
75Les responsables américains doivent abandonner la perspective d’un retour rapide au multilatéralisme généralisé, et accepter des étapes de transition, à la fois dans le temps et dans l’espace.
76Les Français ont pu s’appuyer sur le contenu des accords Blum-Byrnes pour faire accepter le « délai de convalescence », correspondant à la durée du Plan Monnet. De plus, Washington doit admettre que certains États européens amorcent seulement une libération des échanges entre eux, tout en maintenant des discriminations à l’égard des États-Unis, et conservent des relations préférentielles avec leur espace colonial. Guillaume Guindey a écrit récemment que les Américains « ont eu la sagesse de comprendre qu’il était conforme à l’entreprise de relèvement de l’Europe de favoriser le développement des échanges entre les pays membres de l’OECE »146. De tels compromis ne signifiaient pas d’ailleurs que les autorités américaines n’allaient pas s’employer à pousser les États européens, à travers le plan Marshall, à passer aux actes. Mais cette révision des projets de 1944-45 a été souvent mal reçue aux États-Unis mêmes, dans les milieux parlementaires et la presse en particulier, d’où, sans doute, le sacrifice expiatoire de William Clayton. Lors de la parution du projet de Charte, le commentaire du Monde relativise quelque peu l’ampleur des concessions américaines : « Les Américains n’ont pas tout lâché, comme les journaux de chez eux l’écrivent. Ils se sont tout simplement rendu compte qu’une restauration du libre-échange dans un monde cassé était impossible sans période de transition. L’OIC doit, pour eux, préparer un état d’esprit libre-échangiste en jouant le rôle d’un vaste forum de l’économie mondiale où les justifications de chaque particularisme seront soumises au crible de la critique des plus purs libéraux »147. Les critiques Outre-Atlantique vont cependant être telles à l’égard des concessions accordées, que l’OIC elle-même ne verra jamais le jour.
La position française : la convergence sur les objectifs et les inquiétudes sur les étapes
77Une note confidentielle des services d’Hervé Alphand pour la présidence du Conseil fait le point sur le GATT, quelques jours après la signature du protocole (30 octobre 1947) par les pays anglo-saxons, le Benelux et le Canada, et peu avant la date limite (15 novembre), avant laquelle la France devait le signer. Avant l’examen au CEI, la note précise que « aucun membre du gouvernement ne songe à ne pas signer avant le 15 novembre », mais qu’on dénote une « tendance générale à considérer que nous devrons signer parce que nous ne pouvons faire autrement »148. Les critiques les plus sévères proviennent de la CGT — notamment de la part de Pierre Le Brun et Jean Duret — de la CGA et de Pierre Mendès France. Les dirigeants de la CGT rendent publique, à la mi-septembre, une lettre adressée à Paul Ramadier le 25 juin, dans laquelle ils s’inquiètent du fait que « l’abolition des mesures discriminatoires entraveraient la réalisation du Plan Monnet, compromettrait l’indépendance nationale et exposerait notre pays aux répercussions éventuelles d’une crise en Amérique »149. Les amendements apportés au projet initial, destinés à préserver les intérêts de l’économie française convalescente, apparaissent, aussi bien à la CGT qu’à PMF, sans grande valeur : « [ils] reconnaissant que la délégation française a obtenu à Genève le maximum de concessions possibles des États-Unis mais que l’on n’améliore pas la peste (...) l’Accord sera ce qu’en fera le Comité des Puissances signataires où, disent-ils, les États-Unis seront les maîtres »150.
78Mais les services d’Hervé Alphand recommandent une lecture plus optimiste de l’Accord, à l’aide de quatre arguments. Tout d’abord, les idéaux libéraux, qui animent l’action de Washington, ne sont pas, à terme, contradictoires avec les intérêts bien compris de l’économie française : « Il est très certain que de tels idéaux correspondent aux intérêts des États-Unis, mais il n’est nullement prouvé que l’affirmation de tels principes soit contraire aux intérêts de la France surtout s’il est prévu, comme l’accord l’a fait, que le retour au libéralisme comporte des étapes »151. Or, il est précisé que ces étapes peuvent être longues, puisque équivalentes à la durée nécessaire à la fois au rétablissement de la balance des comptes et à l’achèvement du plan Monnet. Et, à l’issue de ce délai, le tarif douanier, élaboré par les services ministériels français au cours des négociations de Genève — appelée tarif douanier de 1948 — est destiné à assurer une protection raisonnable à une économie française, modernisée et rendue « viable »152. Les concessions tarifaires françaises ont été à la fois faibles — les produits agricoles conservent en particulier des tarifs élevés — et sans portée immédiate, alors que les produits français bénéficient de réductions tarifaires applicables sans délai. Ensuite, l’Accord se trouve dans le droit fil de l’article VII des accords de prêt-bail, acceptés par la France en 1945, de l’échange de lettres de décembre 1945 et des accords Blum-Byrnes de mai 1946. De ce point de vue, le gouvernement français n’a fait que continuer à suivre le conseil de Jean Monnet (de 1945-46) sur la présentation de la politique française aux interlocuteurs de Washington : moderniser d’abord, libérer ensuite. Troisième argument : l’expérience des négociations de Genève tendrait plutôt à montrer que les thèses américaines ne sont pas nécessairement dominantes dans les organismes internationaux : « il ne dépend que de nous de constituer une majorité sur nos thèses et elle existera si on aboutit à des vues communes avec l’Angleterre et les dominions »153. À cette date, le Quai d’Orsay, comme Jean Monnet, compte sur Londres pour des projets européens, dans la mesure où sa résistance aux exigences multilatérales américaines a coïncidé avec les inquiétudes françaises. Mais il s’agit bien plus de la convergence de refus que de la rencontre de démarches constructives. Enfin, il n’est pas possible de ne pas tenir compte du futur Plan Marshall, que le Congrès va commencer à examiner, le surlendemain du 15 novembre. Les services du Quai d’Orsay espèrent que, en signant à cette date, la France pourra obtenir du gouvernement américain qu’il empêche le Congrès de poser la question des pratiques commerciales. À défaut de signature, au contraire, peut-être faut-il s’attendre, comme le redoutent les Britanniques, à des exigences plus grandes sur l’abandon des pratiques observées alors. D’autre part, le refus de signer empêcherait la France, comme les vingt et un autres États, de bénéficier de la réduction des droits américains, applicable dès le début de 1948154. Ainsi, la France signe l’Acte final du GATT et publie son nouveau tarif, tout en maintenant les pratiques discriminatoires et le bilatéralisme.
79Entre les principes affirmés et les dérogations obtenues, la politique commerciale française a trouvé un terrain de compromis n’hypothéquant pas le relèvement de l’économie et préservant la perspective du plan Monnet.
2. Faillite, révision ou sauvetage du Plan Monnet ?
80En cette fin d’année 1947, la réalité économique paraît éloignée des objectifs consignés dans le Rapport Général de novembre 1946.
Le Plan à la dérive ?
81L’écart entre objectifs fixés et production effective est éloquent : (voir graphique, page suivante).
82Dans les faits, ce n’est pas la situation financière, pourtant dramatique, de la seconde partie de l’année, qui a le plus pesé. Mais, en amont, le déficit des approvisionnements, particulièrement en charbon et en coke, rejaillissant sur la sidérurgie, entrave la réalisation des programmes d’équipement, et empêche la production industrielle de dépasser le niveau de 1938 (sauf pour les mois d’avril et mai), qui était encore une année de dépression. Les grèves de novembre-décembre contribuent à limiter la production nationale annuelle de charbon à un total inférieur à celui de 1946. Il convenait de réajuster le tir, d’autant plus que l’inflation, de surcroît, menaçait le Plan.
La commission Boutteville et la pause (octobre-novembre)
83Jean Monnet a conseillé, dès septembre, un « freinage modéré » des investissements, par souci d’éviter d’aggraver l’« écart inflationniste », que la Commission du Bilan est chargée de mesurer. Parallèlement, le 1er octobre, une Commission des Investissements des Activités de Base est créée, au sein du Commissariat au Plan, et placée sous l’autorité de Roger Boutteville. Chargée de proposer un « allégement immédiat et substantiel de l’effort de trésorerie », tributaire de la réalisation des programmes d’équipement de base du Plan Monnet, la Commission procède cependant avec prudence, afin d’éviter que l’idée de pause n’aboutisse à provoquer de façon durable (...) le découragement, prélude à l’inertie »155. Elle reprend le raisonnement de Jean Monnet sur la nécessaire et délicate conciliation entre la volonté de stabilisation financière et monétaire, et le refus d’une déflation préjudiciable à la modernisation : « Si le rétablissement d’une situation saine répond, dans l’immédiat, à une nécessité inéluctable, le relèvement du Pays est lié, en définitive, au développement de ses ressources essentielles, procédant des activités de base »156. La Commission propose une pause, limitée au premier semestre 1948, et fondée sur la « discrimination » entre les « opérations intéressant le relèvement du niveau de la ressource », et celles qui visent des progrès techniques de moindre urgence. Elle examine donc l’ensemble des programmes, à la fois du point de vue de leur coût financier, et de leur intérêt économique. Un premier rapport, de dix-huit pages, présenté au début novembre, définit de grandes orientations et propose, pour les programmes d’investissements, des réductions provisoires, qui seront révisées en décembre, à la suite des conclusions de la Commission du Bilan, et des ajustements de prix et de salaires consécutifs au plan Moch et aux grèves157. (Cf. tableaux, p. suiv.).
84Le rapport propose de réduire l’ensemble des programmes semestriels de près de vingt-six milliards — sur les 97,75 prévus — soit de 26,5 %. Les plus fortes amputations frappent la SNCF — les prévisions sont réduites de 32,5 à 20 milliards, soit 38,5 % — pour laquelle il est demandé une « compression sévère sur tous les postes »158. La Commission propose l’arrêt pendant six mois de toute commande de matériel roulant — y compris de wagons, dont le nombre apparaît pourtant insuffisant — l’abandon de plusieurs projets de reconstruction et de toute opération nouvelle, ainsi que le retardement des mises en service de l’électrification Dijon-Lyon. Ce fort ralentissement du rythme des opérations se justifie, aux yeux de la Com mission, par le « très remarquable effort accompli par la SNCF depuis trois ans dans le domaine des installations fixes »159. Les abattements pour les charbonnages et l’électricité sont à la fois plus réduits — 22,6 % pour CDF et 10 % pour EDF — et plus sélectifs : ils portent surtout sur les logements des charbonnages, les travaux de distribution de l’EDF, ainsi que sur le démarrage de certains chantiers hydro-électriques. Il est vrai que les programmes électriques avaient déjà été révisés une première fois — et les prévisions d’investissements pour 1948 abaissées de soixante-treize à cinquante-huit milliards — décalant la réalisation des objectifs du Plan d’environ dix-huit mois, à la suite d’un examen des possibilités des entrepreneurs et des constructeurs. En revanche, le programme de la sidérurgie est peu modifié, du fait de la relative faiblesse des programmes, et de la lenteur de leur démarrage. D’autre part, la Commission recommande — au moment même où le gouvernement Ramadier (dernière mouture) s’y emploie — d’accroître les prix de vente, en particulier pour les entreprises nationales, afin d’étendre l’autofinancement. La Commission, en outre, réclame des entreprises du secteur nationalisé (notamment les Charbonnages) de serrer de plus près les coûts, dans les prévisions de dépenses : « Si la notion de rentabilité est dans une certaine mesure dépassée pour certains investissements des activités de base, il est toujours possible et utile (...) de supputer avec précision leur utilité économique. L’étude des prix de revient futurs, qui est de règle dans l’économie privée, devrait donc être entreprise et poursuivie systématiquement par les diverses branches du secteur public »160. Tout en rappelant les entreprises nationales aux principes d’une gestion équilibrée — un tableau met en évidence l’insuffisance des recettes d’exploitation sur la base des tarifs en vigueur, qui s’étale de vingt-neuf pour cent à la SNCF, à près de soixante-quinze pour cent pour les Charbonnages — la Commission évoque également les « errements budgétaires en vigueur chez les diverses Administrations », et recommande de se tenir impérativement dans la limite des crédits de paiement correspondant aux chiffres ainsi révisés161. Les réajustements des prix et des salaires, et la constitution du gouvernement Schuman-Mayer conduisent la Commission à rectifier ses chiffres à la fin de décembre.
Le bilan à la fin de 1947 : la plupart des grands programmes déjà engagés
85Les goulots dans les approvisionnements, les difficultés financières et la crise socio-politique de la fin de l’année semblaient avoir eu raison du Plan Monnet, tel qu’il avait été conçu dans le document gris de novembre 1946. Depuis cette date, la lente élaboration de l’aide Marshall et la fracture avec les communistes imposaient, aux yeux de Jean Monnet, de faire vivre le Plan, symbole de l’« effort français ». Mais les retards accumulés et les inquiétudes pour l’avenir paraissaient, à ce moment, donner raison aux communistes, qui dénonçaient l’abandon des objectifs originels du Plan Monnet, pour prix de la « marshallisation » de la France162. Selon le Commissaire général au Plan, la menace principale était désormais financière et monétaire. Dans son premier rapport sur l’exécution du Plan, rédigé en novembre 1947, il met en garde : « L’inflation persistante est l’obstacle essentiel à une réalisation intégrale, ordonnée et saine du plan ».
86Les travaux de la Commission du Bilan et de la Commission Boutteville vont lui permettre de sauver le Plan, en l’ajustant à la nouvelle conjoncture socio-politique nationale — en particulier la formation du gouvernement Schuman-Mayer — et internationale, avec le déblocage de l’aide intérimaire et les ultimes débats sur le Plan Marshall.
87Si cette première année du Plan Monnet fut noire, elle a toutefois permis le lancement de la plupart des grands programmes d’équipement. À la fin de 1947, l’équivalent de quatre-vingts pour cent des « grands ensembles » des houillères — quarante-deux sur cinquante-trois — les quatre cinquièmes des programmes de l’électricité, les trois quarts des programmes de la SNCF et quarante pour cent des programmes des carburants ont été engagés. Seuls les investissements pour la sidérurgie et l’agriculture ont connu un démarrage plus lent. Certes, ces vastes programmes d’équipement avaient été engagés sans garanties sérieuses sur les ressources nécessaires à leur financement : « Il [le premier Plan] avait foncé les yeux fermés. Mais eût-il jamais démarré s’il n’avait pas fermé les yeux ? », s’interroge, trente ans après, le directeur du Trésor d’alors163.
88Il était important que la plus grande part des opérations d’équipement aient été engagées avant les ajustements et la stabilisation qui s’annonçaient. La suite allait le montrer.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XXVII
89La fracture nationale, tributaire de la fracture internationale marquant l’entrée dans la Guerre froide, représente, comme le redoutait Jean Monnet dès juillet 1947, une « plaie ouverte » au sein de la communauté française. La crise socio-politique de l’automne 1947 en est l’illustration. Et le triple avertissement du Commissaire au Plan trouve une confirmation. L’ajustement des objectifs économiques et financiers aux données de la future aide Marshall doit anticiper, selon le conseil de Monnet, les objections éventuelles sur une amputation de l’indépendance française, et ainsi éviter d’envenimer la « plaie ouverte ».
90Or, l’ajustement et ses contraintes ne se posent pas dans les mêmes termes selon le type de problèmes.
91En matière de politique intérieure — que ce soit pour la stabilisation financière et monétaire ou la poursuite des objectifs du Plan — il se crée un assez large accord entre Paris et Washington sur la perspective d’une stabilisation qui n’entraîne toutefois pas une action déflationniste mettant en cause la réalisation à terme du Plan Monnet. Le Commissaire au Plan est l’un des principaux artisans des bases d’un consensus atlantique anti-inflationniste mais expansionniste. Il en a parlé de manière prématurée lors des négociations Blum-Byrnes. Désormais, cela constitue la version française des « postulats de Harvard ». Mais cette convergence générale n’empêche pas les difficultés dans les ajustements de court terme, notamment sur les interprétations et les modalités pour ne pas heurter l’opinion française.
92En matière de politique internationale, il faut distinguer deux domaines.
93En politique commerciale, la France peut maintenir des dérogations transitoires aux principes de libération réclamés par les États-Unis, dans la mesure où de nombreux États, dont le Royaume Uni, les réclament également. Là encore, la position défendue par Jean Monnet dès 1945 — « moderniser d’abord, libérer ensuite » — a dû être acceptée par Washington, dont les objectifs du Livre blanc ont été révisés en baisse.
94Pour la politique allemande, même si Paris obtient un sursis, il apparaît qu’il ne pourra guère être possible de maintenir les positions — isolées — de 1945 et, en particulier, celle sur le relèvement de la production allemande et la substitution de la France à l’Allemagne pour l’hégémonie sidérurgique en Europe.
95Malgré la tentative de Jean Monnet et Georges Bidault de convertir en convergence ce qui peut ainsi apparaître comme une dépendance française, il ne semble plus possible, à l’aube de 1948, d’occulter le recul.
Notes de bas de page
1 Cf. l’appui du PC pour la collecte de blé et les interventions de Maurice Thorez au Congrès de Strasbourg, en juin 1947. Cf. Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 309, Alfred Grosser, op. cit., p. 91 et Annie Lacroix, La CGT..., op. cit., p. 289 et suiv.
2 L’Humanité, 30 octobre 1947. Cf. Lily Marcou, Le Kominform, Paris, 1977.
3 FRUS, 1947, vol. III, p. 787, Caffery à Marshall, télégramme 4699, 3 novembre 1947.
4 Annie Lacroix, La CGT..., op. cit., p. 318 et contribution au Colloque « La modernisation de la France 1944-1952 » (FNSP, 4-5 décembre 1981).
5 Vincent Auriol, Journal..., op. cit, t 1, p. 557 et Archives P. Ramadier, d. 1947, « Réflexions sur 1947 », décembre 1947, 25 p.
6 FRUS, 1947, vol. III, p. 804-6.
7 Ibid., p. 813-4.
8 Ibid., p. 804 ; c’est déjà son propos en mai, Ibid., p. 712.
9 Ibid., p. 801-4. Cf. également Alfred Grosser, Les Occidentaux..., op. cit., p. 94.
10 Ibid., p. 803.
11 Ibid., p. 820, s.p.n.
12 Ibid.
13 Archives P. Ramadier, d. 1947, doc. cit.
14 Cf. Louis Franck, 697..., op. cit., p. 33-38 ; Vincent Auriol, Journal, op. cit., t. 1, p. 614-615 ; Jean Monnet, Mémoires, op. cit., p. 303-304.
15 Cf. Annie Lacroix, La CGT..., op. cit., p. 327 et suiv.
16 Cf. infra, Bidault à Caffery.
17 JM, AMF 14/1/6, doc. cité ; cf. supra, chapitre XXVI.
18 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 383.
19 AN, 457 AP 20, d. 530-5, télégramme de Henri Bonnet, n° 2627-34, Washington, 9 août 1947, 4 p.
20 JM, AMF 14/1/14, c. r. des entretiens du 30 août 1947 à l’Ambassade des États-Unis.
21 On trouve plusieurs de ses notes au président du Conseil dans AN, F60 671 et AN, F60 672-673.
22 Interview (Paris, 10 décembre 1981) et témoignage (Institut Pierre Renouvin, 12 décembre 1986).
23 Louis Franck, 697..., op. cit, p. 35. Il cite les noms de Baumgartner, Mönick et Brunet.
24 AN, 457 AP 21, d. « Aide intérimaire et Plan Marshall », s. d. janvier-février-mars 1948, télégramme signé Bidault, n° 300-312, 19 janvier 1948, 5 p.
25 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 464 ; cf. également Ibid., p. 798, note 28 et p. 805, note 22.
26 Ibid., p. 507, p. 554 et p. 805, note 22.
27 Ibid., p. 548.
28 Louis Franck, 697..., op. cit., p. 40.
29 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 465.
30 FRUS, 1947, vol. III, p. 823-4, télégramme de J. Caffery à G. Marshall, « secret », n° 5594, 29 décembre 1947.
31 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., p. 383 ; cf. supra, chapitre XXV.
32 Cf. infra.
33 Cf. les divers ouvrages d’Alfred Grosser, ainsi que les contributions de René Girault, Robert Frank et Catherine de Cuttoli-Uhel pour le colloque « La puissance en 1948 » (Augsbourg, 1984), publié sous le titre La puissance française en question ! 1945-1949, Paris, 1988, 471 p.
34 JM, AMG 20/1/7, lettre « personnelle » de René Massigli à Georges Bidault, Carlton Gardens, 28 juillet 1947.
35 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s. d. B, « l’Afrique regarde l’Europe. Les deux Europe de 1947 », s. d., 13 p.
36 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s. d. B. Notes sur la Conférence, c. r. de la conversation entre Georges Bidault et William Clayton, 9 juillet 1947, 9 p. On trouve également la version de Jefferson Caffery in FR US, 1947, vol. II, p. 983-86.
37 Idem.
38 Idem.
39 Idem.
40 Idem.
41 Idem.
42 FRUS, 1947, vol. III, p. 986, traduit par nous.
43 C’est également la fin des réparations.
44 FRUS, 1947, vol. II, Robert Murphy à Georges Marshall, secret, urgent, n° 1569, p. 977-983. Lucien D. Clay n’a pas voulu informer les Français (Vincent Auriol, Journal.., op. cit., t. 1, p. 365 et 457 AP 20, d. 530-4, s. d. B, note pour le Président, signée Hervé Alphand, 17 juillet 1947, 4 p.).
45 FRUS, 1947, vol. II, p. 991-2. Cf. également Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 354.
46 Ibid, p. 1003-1004.
47 Ibid, p. 1013-1016 et 1018-1020.
48 Jean Monnet, Mémoires, op. cit., p. 325 ; Alfred Grosser, La IVe République et sa politique extérieure, Paris, 1962, p. 207-208.
49 FRUS, 1947, vol. II, p. 991 et Ibid., p. 349, traduit par nous.
50 Ibid., p. 996, traduit par nous.
51 Ibid., p. 998, traduit et souligné par nous.
52 Catherine de Cuttoli-Uhel, contribution citée.
53 FRUS, 1947, vol. II, p. 1002.
54 Ibid., p. 349, c. r. de la réunion entre W. Clayton, J. Caffery, L. Douglas et R. Murphy, traduit et souligné par nous.
55 Cf. supra, chapitre XXV.
56 JM, AMG 20/1/7. Lettre « personnelle » de René Massigli à Georges Bidault, 3 Carlton Gar-dens, 28 juillet 1947, 10 p.
57 MAE, B. 9.6, d. 1947, circulaire du SIP, 21 juillet 1947.
58 JM, AMF 14/1/4, Mémorandum pour Georges Bidault, 22 juillet 1947, 15 p.
59 FRUS, 1947, vol. II, p. 1011-1012.
60 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 382-383.
61 Le Populaire, 20 juillet 1947. Cf. également ses articles des 20 au 26 juillet 1947.
62 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 383.
63 Ibid, p. 700-703, annexe VIII.
64 Ibid., p. 382.
65 FRUS, 1947, vol. II, p. 1022-1023.
66 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 391.
67 FRUS, 1947, t. II, p. 1024, traduit par nous.
68 Ibid., р. 1009-1100, traduit par nous.
69 Ibid.
70 Ibid., р. 1026.
71 Ibid., р. 1029-1030.
72 Ibid., traduit par nous.
73 Ibid, p. 1031.
74 Ibid.
75 Ibid.
76 Ibid., p. 1034.
77 JM, AMG 20/3/14, projet de note sur les conversations Bidault-Clayton, 18 août 1947, 5 p.
78 Idem.
79 Idem.
80 JM, AMG 20/3/15, note de Jean Monnet sur le « relèvement des niveaux de l’industrie allemande ».
81 JM, AMG 20/3/14, doc. cité.
82 FRUS, vol. II, p. 1037.
83 Ibid, p. 1036 et 1041.
84 Ibid, p. 1050-1054.
85 Ibid., p. 1051 et 1061.
86 Ibid., p. 1028 et traduit par nous.
87 Ibid, p. 1040.
88 Ibid., p. 1042.
89 Ibid.
90 Ibid., p. 1054.
91 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. I, p. 402.
92 Cf. JM, AMG 20/3/18 à 20/3/24 et FRUS, 1947, vol. II, p. 1048-1049 et p. 1055-1058.
93 JM, AMG 20/3/16, note de Hervé Alphand a/s l’attitude française sur le relèvement du niveau de l’industrie allemande, 18 août 1947.
94 Idem. Cf. également FRUS, 1947, vol. II, p. 1049.
95 FRUS, 1947, vol. II, p. 1048.
96 JM, AMG 20/3/16, note citée.
97 Idem, et FRUS, 1947, vol. II, p. 1048-1049.
98 JM, AMG 20/3/18, c. r. des conversations tripartites sur le niveau de l’industrie dans la bizone et le regime des mines de la Ruhr, 3 p.
99 FRUS, 1947, vol. II, p. 1056-1057.
100 JM, AMG 20/3/18, doc. cité.
101 AEF, 5 A 13, c. r. de la séance du 7 mars 1947 du CEI, p. 5.
102 Cf. Alan Milward, The Reconstruction of Western Europe 1949-1951, Londres, Methuen, 1984, p. 142.
103 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s. d. B, doc. cité.
104 Idem.
105 Idem.
106 FRUS, 1947, vol. II, p. 813-815.
107 Ibid., p. 1063.
108 Alan Milward, The Reconstruction..., op. cit., p. 142.
109 FRUS, 1947, vol. II, p. 1054, traduit par nous.
110 Ibid., traduit par nous.
111 Ibid.
112 Ibid., p. 1051 et 1053.
113 Ibid., p. 1053, traduit par nous.
114 Cf. Alfred Grosser, La IVe République..., op. cit., p. 208.
115 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 542 et p. 629.
116 JM, AMG 20/1/8, doc. cité.
117 FRUS, 1947, vol. II, p. 1041-1042.
118 JM, AMG 20/3/20, note de Jean Monnet, s. d.
119 Cf. les Mémoires de Jean Chauvel, René Massigli, Paul-Henri Spaak et Georges Bidault, ainsi que Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 629.
120 FRUS, 1947, vol. II, p. 1012.
121 Ibid, vol. III, p. 349-350, traduit par nous.
122 AEF (Papiers Cusin) 5 A 13, note du service des Réparations, 28 octobre 1947, 6 p., 1947.
123 Ibid., vol. II, p. 1002, traduit par nous.
124 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 458 et p. 542, note 8.
125 Témoignage Louis Franck (Neuilly, décembre 1986). Ce développement a été partiellement repris de Michel Margairaz, « Autour des accords Blum-Byrnes... », art. cité.
126 AN, F60 903, c. r. de la séance du 8 avril 1947 du CEI, p. 1.
127 Idem.
128 Le Monde, 26 août 1947, p. 5.
129 Cité in Daniel Jouanneau, Le Gatt, Paris, 1980, p. 17.
130 AN, F60 903, doc. 46, communication d’André Philip pour le CEI, p. 3.
131 Idem.
132 Idem, p. 5.
133 René Dabernat, Le Monde, 7/8 septembre 1947, p. 5 (b).
134 Ibid., 23/24 novembre 1947, p. 5 (c).
135 Le Monde, 17 octobre 1947, p. 1 (a). Clayton devient toutefois le chef de la délégation américaine à la Conférence de La Havane.
136 Cf. supra, chapitre XX.
137 AN, F60, doc. n° 13, c. r. de la séance du 8 avril 1947, 7 p.
138 Idem, doc. n° 46 cité.
139 Cf. supra, chapitre XX.
140 AN, 457 AP 20, d. 530-3, s. d. B, télégramme de René Massigli à Georges Bidault, Londres, n° 1441-7, 25 juin 1947, 4 p.
141 Idem, note de Hervé Alphand pour Georges Bidault, 17 juillet 1947, 4. p.
142 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 391.
143 Le Monde, 12 septembre 1947, p. 1 (a).
144 Ibid.
145 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s. d. B, télégramme de Hoppenot, Berne, 18 septembre 1947, 1 p.
146 Guillaume Guindey, Mythes et réalités de la crise monétaire internationale, Paris, 1973, p. 25 ; et interview (Paris, 10 décembre 1981).
147 René Dabernat, Le Monde, 7/8 septembre 1947, p. 5.
148 MAE, A 194-5, note pour M. Morin pour information personnelle et confidentielle du président, DAEF, 3 novembre 1947, 6 p.
149 Le Monde, 19 septembre 1947, p. 4 (a).
150 Ibid. ; pour PMF, cf. Œuvres complètes, t. 2, p. 199.
151 MAE, A 194-5, note citée ; cf. Hervé Alphand, L’étonnement..., op. cit., p. 200.
152 Idem ; cf. Le Monde, 23-24 novembre 1947.
153 Idem.
154 Les réductions portent sur 70 % des produits français frappés avant la guerre — surtout des produits de luxe — par les tarifs américains.
155 AEF, 5 A 13, d. Présidence du Conseil. CGP, commission des activités de base, premier rapport, novembre 1947 (18 p.), p. 2.
156 Idem, p. 1.
157 Idem, tableaux p. 15.
158 Idem, p. 9.
159 Idem, p. 9.
160 Idem, p. 5.
161 Idem, tableaux p. 16 et 17.
162 C’est l’interprétation de Annie Lacroix, La CGT..., op. cit., p. 316 et s.uiv.
163 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 106.
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