Chapitre XXV. Le grand tournant : la France et l’élaboration du plan Marshall (mai-novembre 1947)
p. 881-914
Texte intégral
1Alors que le premier semestre d’application des objectifs économiques de reconstruction et de modernisation, définis à la fin de 1946, achoppe sur l’absence de moyens, notamment financiers, le discours de Harvard semble répondre aux besoins français, désormais pressants.
2Mais les retombées du discours vont bien au-delà de la question financière. Tout en apportant l’espérance d’alléger — après un délai nécessairement long — les charges financières françaises, le Plan annoncé par le général Marshall ne risque-t-il pas de briser le fragile consensus obtenu par Jean Monnet autour du premier Plan ?
I. LA FRANCE ET LE DISCOURS DE HARVARD (AVRIL-JUIN 1947)
3La situation économique et financière française a été l’un des enjeux — parmi d’autres — des principes énoncés par le général Marshall dans son discours de Harvard, le 5 juin 1947 et, en retour, elle a été largement tributaire de cette nouvelle orientation de la politique extérieure américaine.
1. Finances françaises et politique américaine (avril-5 juin)
Le crédit de la BIRD : « esprit commercial » ou « arrière-pensées politiques » ?
4À la mi-avril, lors de la conférence de Moscou, Georges Bidault a entretenu, comme convenu, le général Marshall des difficultés de négociation avec la BIRD. Le 18 avril, lors d’une conversation avec Henri Bonnet, John Mac Cloy assouplit sa position au sujet de la « clause-or », mais reste ferme sur un taux d’intérêt assez élevé, un crédit limité à 250 millions de dollars, et des engagements étendus en matière de contrôle de l’utilisation du crédit. Cependant, le 9 mai, cinq jours après la révocation des ministres communistes par le gouvernement Ramadier, l’accord est conclu1.
5Au-delà de la coïncidence chronologique, quelle filiation peut-on établir ?
6Du côté américain, le réaménagement du gouvernement français a sans doute contribué à lever quelques-unes des « réticences », exprimées encore en avril. Mais il n’y a pas alors de véritable rupture avec les conditions d’attribution des crédits obtenus par Léon Blum en 1946. Les dirigeants français ont employé le « chantage des faibles » auprès du Département d’État, qui a exercé une certaine pression sur les dirigeants de la BIRD, animés d’un « état d’esprit commercial ». D’ailleurs, le prêt est insuffisant pour les besoins français, et relève de conditions commerciales assez avantageuses pour la BIRD. Du côté français, on sait que la raison immédiate de la révocation des ministres communistes par Paul Ramadier résulte de leur refus de voter la confiance à l’Assemblée sur la politique économique et sociale intérieure2. Du côté de la SFIO comme du PCF, l’épisode n’est pas alors conçu comme durable. Une note manuscrite de Léon Blum à Paul Ramadier — retrouvée dans les archives de ce dernier — semble l’attester. On y lit les conseils suivants : « Bien marquer qu’il ne s’agit pas de faire les briseurs de grève (comme Daladier en 1938), encore moins les démolisseurs de l’organisation ouvrière. Bien marquer qu’il ne s’agit pas d’un changement de majorité (...) Lorsque la difficulté qui a conduit le PC à considérer qu’il était de son devoir de se retirer du gouvernement aura été surmontée (avec son concours, nous l’espérons bien) il doit retrouver sa place intacte au gouvernement »3. Comme le signale Paul Ramadier, quelques mois plus tard, les socialistes ne sont pas alors « libérés de l’hypnose » vis-à-vis des communistes4.
7Fait significatif, lors du débat de ratification du contrat entre le Gouvernement français et la BIRD, les communistes s’abstiennent à la Commission des Finances de l’Assemblée (parce qu’il n’a pas été précisé l’utilisation qui serait faite des crédits), mais votent favorablement en séance plénière, le 23 mai. Et les réserves de Jacques Duclos portent davantage sur l’attitude des dirigeants de la BIRD, que sur celle du gouvernement français. Il souligne que les conditions d’attribution du prêt sont beaucoup plus coûteuses que celles des crédits précédents (trente ans, 3,25 % d’intérêt et 1 % de commission, contre 2 % en trente-cinq ans pour le crédit de 720 millions, au terme des accords Blum-Byrnes, et 3 % en 25 ans pour le crédit EX-IM Bank de 650 millions en juillet 1946, ou, a fortiori, les 2 % en 55 ans pour le crédit britannique de décembre 1945) : « Cela coûte cher d’être pauvre », résume le porte-parole du PC5. D’autre part, il rappelle la déclaration de John Mac Cloy, prononcée lors de la signature, le 9 mai (« la France constitue un pivot de l’Europe occidentale ») et souligne qu’on dénote « des arrière-pensées politiques derrière cette formule »6. Il mentionne certains articles contraignants pour le sentiment national — l’article 4 de la section VII, qui traite de l’interruption possible du prêt en cas de situation exceptionnelle, et, surtout, l’article 7 de la section II, qui offre aux représentants de la BIRD l’accès aux produits payés par les fonds de l’emprunt, et la possibilité de les inspecter — mais conclut en précisant que son groupe ne veut pas voter négativement, « pour ne pas gêner le gouvernement »7. En fait, les principales critiques des dirigeants communistes à l’égard de la politique gouvernementale ne portent pas alors sur la conclusion des emprunts aux États-Unis, qui se situe dans la continuité de ceux négociés en 1945-46, avec leur accord — ce que ne manque pas de souligner Robert Schuman — mais sur la politique allemande, qui, à leurs yeux, devrait rapporter à la France du charbon au titre des réparations, et alléger d’autant les besoins en dollars. Maurice Thorez n’hésite pas à profiter d’une interruption, lors de l’intervention de Jacques Duclos, pour lancer : « Le charbon au titre des réparations, et sans dollars, voilà la solution du problème »8.
Les dirigeants français surpris ou avertis (mai 1947) ?
8Mais l’événement, de politique intérieure française à l’origine, s’imbrique dans une conjoncture internationale en pleine évolution, depuis le discours de Truman au Congrès, le 12 mars, au sujet de l’aide financière à la Grèce et à la Turquie, à la suite des difficultés monétaires et financières britanniques, ainsi que l’échec de la Conférence de Moscou sur l’Allemagne, le mois suivant.
9Quelques jours après l’accord sur le crédit de la BIRD, l’ambassadeur de France à Washington signale qu’il est « exact que l’Administration se rend compte plus clairement qu’autrefois de la nécessité d’apporter une aide au relèvement européen »9. Il informe le Quai d’Orsay que le général Marshall va demander au Comité restreint, constitué auprès de lui, « d’étudier et de lui soumettre un plan d’ensemble, d’accord avec les services officiels intéressés ». Mais, selon lui, ce plan ne pourrait guère être présenté aux Chambres avant le début de 1948, où il faudrait compter avec la centaine d’élus républicains, déjà hostiles aux crédits, lors des débats sur la Grèce et la Turquie10. Il conclut : « ... Le secrétaire d’État est, d’après des renseignements de source sûre, décidé à donner le pas, dans la définition de la politique américaine, aux entreprises constructives de restauration économique. Il désirerait que l’attention publique ne continuât pas de se concentrer sur le côté purement politique des relations internationales. Étant donné ces dispositions, une coopération franco-américaine dans l’élaboration d’un programme d’avenir est particulièrement indiquée »11.
10On ne peut donc soutenir que les autorités françaises se soient trouvées surprises par les grandes lignes du discours de Harvard12. Mais l’imprécision était grande, quant aux modalités et aux délais de l’aide pressentie. Une seule certitude toutefois : la complexité des procédures américaines, accrue par le poids des courants isolationnistes, et l’ampleur des besoins européens ne laissaient guère d’espoir pour un soulagement rapide.
Le discours de George Marshall : les postulats de Harvard
11Le discours prononcé à Harvard le 5 juin 1947 — « un des grands textes de l’histoire politique du monde » (Robert Marjolin)13 — résulte en particulier des réflexions de William Clayton, et de la section du « Planning », créée en mai au Département d’État et placée sous la présidence de George Kennan. Henri Bonnet confirme toutefois, quelques mois plus tard, que le général Marshall a écrit de sa main les principaux passages. Tout en reprenant certains éléments de la doctrine Truman énoncée en avril, sur la défense des « institutions libres », le discours de Harvard s’en démarque. L’action extérieure des États-Unis ne peut se limiter à une aide militaire et à une bataille politique et idéologique. Le discours de Harvard met l’accent sur « les entreprises constructives de restauration économique ». Certes, l’objectif de l’aide annoncée par le secrétaire d’État n’est pas aussi « platonique » que « combattre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos »14. La décision de l’aide à l’Europe procède de vues à moyen terme, selon lesquelles le relèvement économique européen répond à un double objet. D’abord, réduire le « dollar gap » des États européens et reconstruire ainsi une économie internationale conforme aux principes définis à Bretton Woods et lors des conférences préparatoires à la constitution de la future Organisation internationale du Commerce. Mais il constitue aussi l’un des meilleurs investissements idéologiques contre l’influence soviétique et communiste en Europe : tel était l’un des principaux postulats de Harvard. Cette analyse procède d’une grande largeur de vue, dans la mesure où elle ne coïncide pas nécessairement avec les intérêts financiers et commerciaux immédiats des États-Unis, comme des firmes américaines. Ce qui va entraîner des ajustements difficiles avec le Congrès — à travers lequel peuvent s’exprimer des intérêts privés — qui va rester maître du volume de l’aide.
2. Les réactions françaises au discours de Harvard (5-27 juin)
Un « plein accord »
12En France, la réaction générale au discours du secrétaire d’État est bonne, voire enthousiaste dans le cas de Léon Blum, qui intitule son article du Populaire « Le prêt-bail de la paix »15. De manière officieuse, Georges Bidault fait immédiatement connaître au général Marshall « le plus grand intérêt » à l’égard de ses propositions, de la part du gouvernement français, qui « partage ses vues » sur un programme d’ensemble de reconstruction européenne16. Quelques heures plus tard, il envoie aux ambassadeurs de Londres et Washington des instructions ainsi formulées : « Nous sommes pleinement d’accord sur l’analyse faite par le secrétaire d’État des difficultés présentes de l’Europe et de ses difficultés. Nous mesurons les dangers graves qui menacent le monde si l’état d’instabilité économique et financière de l’Europe venait à se prolonger »17. Et, comme l’y convie le discours de Harvard, le Quai d’Orsay tente de bâtir très rapidement un projet, afin de répondre à la proposition américaine.
La version française du futur Plan Marshall : l’exégèse de Jean Monnet
13Les services de Hervé Alphand tiennent à montrer à Washington qu’ils ont bien compris la portée exacte des propos de George Marshall, et que la France est la mieux placée pour y répondre. En accord avec Jean Monnet, le Quai d’Orsay estime qu’à travers le premier Plan — « bien connu du gouvernement américain » — la France a montré la voie : « Sur le plan européen, c’est le même effort, dans chaque pays, qui doit être poursuivi »18. Il propose de faire un bilan pour chaque pays, et de combler le déficit ainsi constaté en équipements et matériel, d’abord par une « action intereuropéenne », et, seulement ensuite, le solde, la « marge », par une aide extérieure (en équipements et produits de consommation ne pouvant être couverts par des exportations), principalement américaine. Mais elle ne serait dispensée que pendant une période limitée — trois à quatre ans — « répit » nécessaire à la reconstitution de l’appareil productif19. C’était la reprise du raisonnement, présenté un an auparavant à Washington par Jean Monnet pour la France seule, avec toutefois une triple différence par rapport au printemps de 1946 :
- l’aide ne serait pas attribuée en ordre dispersé, mais globalement à tous les États européens acceptant l’offre ;
- une concertation entre Etats européens, afin d’augmenter la production et répondre à leurs besoins respectifs, devrait réduire le montant de l’aide américaine à solliciter ;
- aucun gouvernement européen ne comprend plus de ministres communistes, depuis les mois de mars (en Belgique), ou de mai 1947 (en France et en Italie).
14Le discours de Marshall confirme Jean Monnet dans l’idée — qu’il fait adopter par Georges Bidault — que l’Administration américaine attend des Européens qu’ils s’organisent. Car ainsi, l’aide américaine, pour laquelle — quelles qu’en soient les formes, alors totalement inconnues — il faudra solliciter le Congrès, pourra être limitée, dans le temps et dans son montant. Elle ne doit apparaître que comme le complément des efforts nationaux et intereuropéens : « self-help » d’abord, « mutual help » (entre Européens) ensuite, « help » (demandée à Washington) enfin. Les responsables français n’ignorent pas la très grande proximité de vues entre plusieurs personnalités du Département d’État et le Commissaire général au Plan. D’ailleurs, dès le lendemain du discours de Harvard, le Washington Post publie un article — « vraisemblablement inspiré par les milieux officiels américains » (Henri Bonnet) — où il est affirmé « qu’il incombe à la France de prendre l’initiative de ce programme de reconstruction. Elle seule jusqu’à présent a (...) démontré sa capacité de faire face à de tels problèmes »... et s’il ne serait « pas possible à Jean Monnet d’entreprendre l’élaboration du programme suggéré par le général Marshall »20.
15Dès le 8 juin, le Quai d’Orsay a transmis à Henri Bonnet un projet français répondant à l’invitation du général Marshall. Le 12 juin, les Britanniques sont contactés21. Ernest Bevin souhaite se rendre en France, et conduire une étude concertée. Le lendemain, Henri Bonnet a une conversation confidentielle et encourageante avec le secrétaire d’État.
Le projet de Conférence à Trois
16Au même moment, Jean Monnet envisage le projet — dont il fait d’abord part à Vincent Auriol — de comités spéciaux, composés d’experts, qui travailleraient par grands produits, et réfléchiraient sur les objectifs de 1947, puis des années suivantes. Il met en garde le président de la République, quant à un optimisme exagéré : « Il ne faut pas croire que les crédits américains serviront à tout »22. Il rejette l’idée d’une convocation de la Commission économique de l’O.N.U., et insiste sur le fait que les autorités américaines ne veulent pas seulement solder un déficit, mais bâtir « un plan de production et de coopération européenne »23. Vincent Auriol lui exprime son accord et son souci de transmettre ce projet à Georges Bidault. Les idées de Jean Monnet inspirent le projet élaboré par Hervé Alphand, le 16 juin. L’idée d’une vaste conférence, « machinerie trop lourde et trop lente », a été écartée, au profit d’une réunion de comités spécialisés, dirigés par un Comité directeur, comprenant des représentant des Quatre Grands, ainsi que de la Tchécoslovaquie et des Pays-Bas24. L’une des principales questions à trancher était la place de l’Europe orientale. Le 9 juin, Henri Bonnet informe les plus hauts responsables français que Georges Kennan a transmis un rapport au Département d’État sur les projets de reconstruction en commun de l’Europe, d’après lequel « les États-Unis doivent s’attaquer essentiellement à rétablir en Europe occidentale une économie saine et équilibrée... si ce résultat peut être atteint, la force d’attraction de cette région redevenue prospère amènerait les nations d’Europe orientale à demander à être associées à cette œuvre, alors qu’elles risqueraient de se montrer plus réticentes ou de poser des conditions plus délicates si leur participation était sollicitée »25. Une telle réflexion chez l’un des principaux rédacteurs du discours de Harvard étaye l’idée que, malgré la lettre du texte, l’invitation ne s’étendait pas jusqu’à l’Oural26.
17L’ambassadeur de France ajoute : « Cette prise de position n’est pas surprenante, les événements des dernières semaines ayant (...) accentué la tendance de la politique américaine à consolider des centres d’opposition à l’influence russe et au communisme ou à en favoriser l’établissement où elle le croit possible ou désirable »27. En revanche, la politique extérieure française ne vise pas, à cette date, à écarter l’Europe orientale ou l’URSS. Dès le 14 juin, Georges Bidault fait contacter Moscou. Le projet Alphand du 16 juin retient comme premier point de ne pas limiter la future rencontre à l’Occident28. À la suite de la visite de Ernest Bevin à Paris, où il rencontre, le 17 juin, Paul Ramadier et Georges Bidault, il est finalement retenu de convoquer à Paris, dans un délai rapproché, une conférence des trois ministres des Affaires étrangères (France, Royaume-Uni, URSS). L’acceptation de Molotov, le 22 juin, constitue une surprise pour le Quai d’Orsay qui, quelques jours auparavant, à la lumière des premières réactions soviétiques, pronostiquait le refus. En particulier, la Pravda du 16 juin a traité la proposition Marshall de « nouvelle édition de la doctrine Truman ». Et l’ambassade de France à Moscou signalait encore le 20 juin que le Kremlin y voyait « un traquenard tendu à l’instigation de M. Bevin »29.
3. La France et la Conférence de Paris (27 juin-3 juillet)
Un « dialogue de sourds »30
18En cinq séances, tenues dans le salon des « perroquets » au Quai d’Orsay, la Conférence se solde par un échec. Le 27 juin, Georges Bidault présente les propositions françaises, qui reprennent les projets du 16 juin (constitution de six comités ad hoc, et d’un comité directeur tripartite — France, Royaume-Uni, URSS ; examen en commun des efforts nationaux, puis européens, avant d’évaluer l’aide américaine)31. Le lendemain, Molotov refuse d’inclure dans l’ordre du jour « l’examen des différents programmes économiques des pays européens, objet de leur souveraineté nationale, ni l’examen des relations économiques entre ces divers pays ». Il ajoute : « C’est là que réside la différence fondamentale entre les suggestions françaises et celles de la délégation soviétique »32, et propose de s’en tenir à la seule détermination de l’aide américaine. Le 30 juin, Ernest Bevin fait une proposition proche de celle de Georges Bidault (comportant notamment l’examen des efforts nationaux et de l’entraide européenne avant d’examiner le montant de l’aide), mais élargissant la composition du Comité directeur. Molotov réitère son refus d’établir un plan général pour l’économie européenne, dont il juge la tentative vaine33.
Jean Monnet tente de sauver la Conférence (30 juin)
19Au soir du 30 juin, Jean Monnet transmet une lettre, accompagnée d’un mémorandum, à Georges Bidault34. Selon lui, l’impasse dans laquelle se trouve la conférence repose sur un « malentendu » et une « crainte », de la part des Soviétiques. Le « malentendu » provient d’une mauvaise interprétation de la proposition française d’établir un « plan général européen », qui ne signifie pas pour ses promoteurs un droit de discuter les activités intérieures des différents pays. En outre, la délégation soviétique doit éprouver la double « crainte » que, à travers l’aide proposée, les accords économiques entre l’URSS et les États d’Europe orientale soient remis en cause et que soit l’économie soviétique ne reçoive pas d’aide directe des États-Unis, soit, dans l’hypothèse inverse, cela devienne un prétexte d’ingérence. Au cas où le « malentendu » ne serait pas supprimé et la « crainte » dissipée, la rupture entre participants serait « une étape décisive vers la scission de l’Europe ». Or, le Commissaire général du Plan insiste sur la gravité des conséquences d’un tel événement, pour la situation intérieure française : « ... Dans la nécessité où nous sommes de rechercher un appui économique américain, ce serait donner à cet appui une signification politique. Les conséquences, au point de vue intérieur français, en seraient graves et ajouteraient, dans une immense mesure, aux difficultés matérielles que, de toute manière, nous aurons pour mettre en œuvre notre relèvement économique, des difficultés politiques constantes ». En bon connaisseur des préoccupations des responsables d’outre-Atlantique, Jean Monnet anticipe, comme il l’avait fait à la fin de 1945, sur les contreparties probables de l’aide sollicitée : « ... Au mieux, l’Amérique sera amenée à poser certaines conditions aux crédits qu’elle accordera. Je ne doute pas que ces crédits ne nous seront pas donnés si nous ne sommes pas engagés dans une remise en ordre de nos affaires économiques intérieures. En effet, ces crédits américains ne seront consentis que si les pays qui les reçoivent doivent être un jour en mesure de rétablir l’équilibre et notamment d’exporter ». Il évoque les contraintes, issues de l’état de l’opinion publique intérieure, qui pèseraient alors sur le gouvernement français : « Étant donné la susceptibilité de l’opinion publique sur ces sortes d’intervention, il est certain que le jour ou (sic) ces conditions se manifesteraient, la crainte que les Soviets expriment aujourd’hui d’une intervention étrangère dans les affaires des pays d’Europe apparaîtra parfaitement fondée. Le gouvernement français se trouvera alors dans une position impossible pour discuter ces conditions ». Par conséquent, « la France doit faire l’impossible pour éviter une rupture de la Conférence ». Pour ce faire, il suggère à Georges Bidault de reprendre les termes d’une communication, préparée par Hervé Alphand, qui insiste sur la nécessité d’un accord avec les Soviétiques, de faire part de la décision de remettre la réunion au 1er juillet, de manière « aussi spectaculaire et dramatique que possible », et d’inviter Molotov à une conférence privée, le soir même. À ses yeux, la position française consiste à mettre l’accent sur la nécessité pour l’Europe de s’aider elle-même avant de faire appel à Washington, mais il ne saurait s’agir d’une « Europe rétrécie », ou d’« un bloc occidental ». Et, même en cas de refus soviétique, la France devrait faire en sorte que « la porte reste ouverte à une coopération ultérieure ».
La rupture du Salon des Perroquets (2 juillet)
20Georges Bidault, qui préside la quatrième séance, le 1er juillet, présente une nouvelle proposition française. Suivant en cela les suggestions de Jean Monnet, il précise, à l’adresse de Molotov, que le plan économique général ne saurait impliquer une intervention dans les affaires intérieures des États, mais le simple recueil et la coordination des renseignements économiques fournis bénévolement par les États européens, à leur gré. Cependant, il maintient l’idée d’une entr’aide mutuelle européenne, préalable à toute demande d’aide américaine. Puis il achève sa déclaration avec gravité : « Nous sommes arrivés à un moment où les décisions qui seront prises peuvent avoir des conséquences étendues et redoutables, ou, au contraire, très heureuses 35. Lors de la cinquième (et ultime) séance du 2 juillet, la rupture, redoutée par Jean Monnet, est consommée par la déclaration de Molotov, en forme de refus. Il rejette une forme de coopération internationale « fondée sur la position prédominante d’une ou de plusieurs grandes puissances vis-à-vis d’autres pays »36. À propos du « Comité directeur » (pour lequel il était précisé, dans le projet français, qu’il s’adresserait aux Commandants en chef, afin d’obtenir des renseignements sur les « besoins et disponibilités de l’Allemagne »), Molotov dénonce le fait qu’il « s’occupe également de l’utilisation des ressources allemandes, bien qu’on sache que les demandes de réparation justifiées de la part des pays alliés... (« qui ont consenti les plus grands sacrifices au cours de la guerre ») n’ont pas jusqu’ici reçu satisfaction »37. Il conclut : « Les crédits américains serviront non pas à reconstruire l’Europe sur le plan économique, mais à opposer une partie des pays européens aux autres pays européens comme il apparaîtra avantageux à certaines grandes puissances qui aspirent à dominer les autres pays »38. Réutilisant le terme « décisif » — employé dans la dernière proposition de Georges Bidault pour qualifier l’« appui des États-Unis » — le ministre soviétique manifeste clairement qu’il ne compte plus sur une aide extérieure pour l’URSS : « ... Pour les pays européens, ce sont les mesures d’ordre intérieur et l’effort national de chaque pays qui doivent avoir une importance décisive, et non l’espoir d’un appui qui devrait venir du dehors, qui ne doit avoir qu’une importance secondaire. Même dans les conditions les plus difficiles, l’Union Soviétique a, toujours et avant tout, compté sur ses propres forces... »39. Dans sa réponse, Georges Bidault, appelant à son secours les exemples de Marengo et de Waterloo — agrégation d’histoire oblige ! — tente de préciser les différences entre « décisif » et « principal ». Mais l’heure n’est plus à la sémantique, et bien que, in fine, le ministre français exprime « l’espoir qu’aucun refus n’est définitif », le départ de la délégation soviétique apparaît comme une rupture durable.
La France dans une « Europe rétrécie » (Jean Monnet)
21Dès le lendemain de la rupture avec l’URSS, Ernest Bevin et Georges Bidault s’entretiennent, et publient un communiqué annonçant la création d’une « organisation temporaire », chargée de réunir les données, à partir desquelles il lui incombera de « dresser un programme de reconstruction européenne, dans lequel les ressources et les besoins de chaque pays seront coordonnés ». L’invitation est transmise à tous les pays européens — sauf l’Allemagne, l’URSS et « à l’exception provisoire de l’Espagne », soient vingt-deux — pour une Conférence devant siéger à Paris le 12 juillet, avec pour base la seconde proposition française du 1er juillet40. La « scission » de l’Europe est matérialisée par une double liste : celle des quatorze réponses favorables (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Islande, Irlande, Danemark, Norvège, Suède, Portugal, Suisse, Italie, Grèce, Turquie), et celle des huit refus (Albanie, Hongrie, Pologne, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie, Finlande). Les archives de Georges Bidault confirment que plusieurs États d’Europe orientale se sont ravisés. Le gouvernement polonais qui, par la voix de son ambassadeur, s’était déclaré « vivement intéressé » par la proposition Marshall le 23 juin, refuse l’invitation franco-britannique le 9 juillet, soulignant le risque d’un relèvement de l’économie allemande, avant celle des pays ravagés par la guerre. Le gouvernement tchèque, unanimement favorable à l’offre américaine — d’après les informations transmises par Masaryk à l’ambassadeur Dejean — revient sur sa décision, peu après celle de la Pologne et la rencontre Gottwald-Staline41. La Yougoslavie, dont l’ambassade s’était également montrée « intéressée » le 28 juin, se ravise le même jour que Varsovie42.
22Comme Jean Monnet l’avait pressenti et redouté l’avant-veille de la rupture, le départ de Molotov, le 2 juillet, a constitué « une étape décisive vers la scission de l’Europe ». Sous les lambris du Quai d’Orsay, une page de l’Histoire — celle de la Grande Alliance — s’achevait. Une autre, lourde de tensions, notamment en Europe, s’ouvrait. Et, bien que le Commissaire général au Plan ait voulu l’éviter, seule une « Europe rétrécie » répondait au discours de Harvard.
II. LE TRIPLE AVERTISSEMENT DE JEAN MONNET (24 JUILLET 1947)
23Faute d’avoir pu éviter la rupture redoutée, le Commissaire général au Plan en expose les effets prévisibles dans un mémorandum, daté du 24 juillet 1947 et transmis à Georges Bidault43.
1. Trois constats
La rupture
24Jean Monnet constate tout d’abord « la rupture dont les Soviets ont pris l’initiative et la responsabilité lors de la conférence de Paris ». Dans le projet de mémorandum, préparé deux jours auparavant — et qui ne semble pas avoir été envoyé à Georges Bidault — il pousse plus loin l’analyse sur les raisons profondes qui ont guidé l’attitude des dirigeants soviétiques. La cause fondamentale de la mésentente, selon lui, provient d’une approche antagoniste de la coopération entre États. L’URSS, qui, pendant la guerre, n’a jamais voulu fournir d’informations précises sur ses finances et son économie, ne peut accepter de coopérer sous la forme envisagée : « La forme de coopération qui est naturelle aux pays de l’Ouest européen, de l’Angleterre et des États-Unis, est une forme à laquelle les Soviets ne peuvent se plier (...). D’une part, énoncer des besoins, de l’autre, justifier des besoins et établir une collaboration constante »44. Le refus soviétique a été rendu possible parce que la reconstruction de l’URSS peut s’effectuer « sur ses propres bases » : « Elle le peut (...) tout indique qu’elle le veut »45. D’ailleurs, au moment de la rupture, Georges Bidault a reçu une note de renseignements du SDECE sur l’état d’esprit des délégués soviétiques à la Conférence de Paris. La présence de Molotov, accompagné de quatre-vingt-onze experts à Paris, aurait constitué une surprise pour l’ambassade soviétique : elle signifierait le poids de la tendance Mikoyan au bureau politique du PCUS, ainsi que des économistes, soucieux d’accueillir avec intérêt la proposition américaine. Mais Molotov lui-même aurait été d’emblée défavorable à un accord avec les États-Unis : « Depuis la prise de position antisoviétique de Truman, les Russes se sentent acculés à la défensive »46. D’après des renseignements rapportés par des délégués soviétiques, le grand argument de Molotov reposerait sur l’idée que l’URSS ne peut négocier dans « une position d’infériorité par rapport aux États-Unis », ce qui est le cas, depuis l’aide apportée à la Grèce et à la Turquie, et l’éviction des communistes en Italie et en France, « condition politique à l’aide américaine ». Selon lui, des crédits américains fournis à des gouvernements centristes entraîneraient rapidement l’investissement de l’industrie européenne par le capital américain, et seuls des gouvernements de gauche pourraient maintenir l’indépendance européenne à l’égard de l’impérialisme financier de Washington. D’ailleurs, les délégués soviétiques auraient été convaincus que, même en cas de signature d’un accord acceptable par l’URSS, « Washington [aurait trouvé] d’ici quelques mois un prétexte pour opérer une discrimination entre les pays à aider pour en exclure les Soviets et les pays slaves ». Ils redoutent d’être « les dupes d’une manœuvre américaine », le plan Marshall se résumant à « un déguisement habile et aimable du plan Truman destiné à mettre en échec l’influence soviétique et communiste en Europe »47. La thèse de Molotov, telle que rapportée par des membres de la délégation soviétique, serait que le préalable consiste à reprendre l’initiative en Europe, avant d’envisager un vaste accord américano-soviétique préparé au sommet : « Cet échec [celui de la doctrine Truman] est la condition préalable à un changement profond de la politique de l’URSS »48.
L’inévitable dépendance financière de la France
25Le second constat pour Jean Monnet consiste à considérer que la France, à la différence de l’URSS, ne peut envisager un « processus de développement essentiellement interne », la « voie lente », car « les crédits et les échanges sont les conditions immédiates et à l’avenir essentielles à la vie des pays d’Europe, et en particulier à la vie et à la prospérité de la France »49. Ainsi, la coopération avec les pays anglo-saxons est « maintenant inévitable ».
La hantise de la « plaie ouverte »
26Les conséquences de cette coopération sont lourdes pour la France : « Cette coopération prendra nécessairement une forme politique (...) L’existence d’un fort parti communiste laissera constamment ouverte la plaie que la séparation avec les Russes crée dans la conduite des Affaires étrangères françaises »50. Or, la « plaie » peut être envenimée par les conditions mêmes de l’attribution de l’aide américaine qui se prépare : Jean Monnet, conseille, comme à son habitude, de prendre la mesure exacte des préoccupations américaines, et de les intégrer par avance dans les décisions à venir.
2. Deux exigences américaines à anticiper : le relèvement allemand et la stabilisation intérieure
27Jean Monnet mentionne essentiellement deux exigences américaines, dont l’ajustement aux orientations de la politique française — profondément bouleversées par les suites du discours de Harvard — apparaît fort délicat : d’une part, le relèvement allemand, d’autre part la stabilisation financière.
La crainte d’un « nouveau Munich »
28L’aide américaine dépend de la coopération européenne qui, elle-même, est largement tributaire du problème allemand : « C’est seulement si un programme d’ensemble européen, comprenant un règlement allemand, est présenté au Congrès et à l’opinion publique américaine que nous aurons une chance de succès »51. Jean Monnet signale que les Américains sont déjà engagés avec les Britanniques pour régler seuls les questions dont dépend la production d’Allemagne occidentale. Il pense personnellement que « le relèvement allemand lui-même est une nécessité pour une Europe prospère »52. Mais si la contribution allemande, en particulier le charbon de la Ruhr, est nécessaire à la reconstruction de l’Europe, partant à celle de la France, il faut écarter deux conséquences possibles : tout d’abord, éviter que le relèvement de l’Allemagne ne soit plus rapide que celui de la France et des pays victimes ; ensuite, qu’il ne menace la sécurité de la France : « On redoute de nous voir, pressés par la nécessité d’obtenir ces crédits américains, accepter un règlement du problème allemand qui sacrifie nos préoccupations essentielles de sécurité »53. Il met en garde : « Sans règlement allemand et statut de la Ruhr satisfaisants, cette politique prendra, aux yeux des Français, l’aspect d’une « abdication nouvelle » : nous nous sommes inclinés en 1940 devant la force allemande — maintenant poussés par la nécessité, nous nous inclinons devant la force des crédits américains »54.
La stabilisation financière préalable
29D’autre part, selon Monnet, « il est inévitable que les États-Unis en viennent à poser la question de la situation financière intérieure de certains pays européens et à poser, par conséquent, le cas de la France »55. Il ajoute que la période de recours aux crédits américains sera « particulièrement difficile », qu’il faudra vraisemblablement négocier les crédits chaque année, et en discuter l’affectation, d’où des « frictions renouvelées » à prévoir.
Les contradictions entre aide financière américaine, indépendance économique française et relèvement allemand
30Le grand intérêt du mémorandum de Jean Monnet provient, en grande partie, du fait qu’il rassemble en un tout les différentes pièces du puzzle que forment les multiples facettes de la politique française : d’après lui, le relèvement de la France, les crédits américains, le commencement de coopération en Europe occidentale, le règlement du problème allemand et la participation allemande au relèvement européen constituent « les éléments indissolublement liés d’un seul et même problème »56.
31Cependant, la dépendance financière à l’égard des États-Unis ne sera acceptée par l’opinion française qu’à la mesure où elle sera justifiée par la reconquête de l’indépendance française et par la priorité du relèvement français sur le relèvement allemand.
32Afin d’effacer l’impression d’une soumission sur ces deux questions, le Commissaire général au Plan formule trois suggestions.
3. Un triple avertissement
La révision de la politique allemande de la France
33Malgré la volonté des Anglo-Saxons de relever la production de la bizone, la France détient encore des atouts : elle dispose à ce moment du « maximum de force », car, sans elle, la « coopération européenne » est impossible, et « les États-Unis ne sont pas assez engagés pour ne pas ajuster leur position »57. Il convient donc de définir rapidement une position sur l’Allemagne, afin que les décisions qui seront prises à la Conférence des Quatre de l’automne en soient peu éloignées, sans pour autant risquer de compromettre des crédits américains. À défaut d’un accord sur l’Allemagne satisfaisant pour la France, l’aide financière américaine apparaîtrait comme le prix de l’abandon d’une politique française indépendante dans ce domaine : « Il sera trop tard pour faire changer les Américains sur leurs positions allemandes. Nous serons alors obligés malgré cela de continuer l’action entreprise pour les crédits — et les Français interpréteront cette situation comme une abdication — le « nouveau Munich » prendra alors tout son sens (...) Le problème allemand est au cœur de la négociation avec l’Amérique sur les crédits, car c’est lui qui, pour tous les principaux intéressés, en est la difficulté majeure »58.
34Dans le mémorandum transmis à Georges Bidault, Jean Monnet en reste à des généralités sur la politique allemande : « règlement allemand », « statut de la Ruhr satisfaisant », intégration dans le programme européen. Dans les projets antérieurs, il s’est montré plus explicite. La tactique consiste, selon lui, à empêcher la séparation en deux, à fixer le niveau industriel à la fois à l’Est et à l’Ouest : « Le moment est venu d’amener Anglais et Américains à réviser leurs positions »59. Mais, pour ce faire, il envisage une révision de la politique française suivie depuis 1945. Il propose le compromis suivant : abandonner la revendication d’internationalisation de la rive gauche du Rhin et « éliminer les illusions sur les réparations ». En échange, il convient d’obtenir des Alliés le « contrôle international de la Ruhr », qui est « l’élément essentiel de la paix européenne », car, en assurant l’utilisation exclusive de la production à des besoins de paix et, notamment, celle du charbon pour l’Europe toute entière — en fonction du programme de relèvement européen — on diminue « les soupçons que la Ruhr est utilisée à préparer la guerre »60. Il ne peut y avoir de « psychologie de paix », si les « Russes » pensent que la Ruhr est reconstruite contre eux. En revanche, il pense que l’Allemagne peut participer à la coopération européenne, dans un cadre de paix pour tous les peuples d’Europe, y compris l’URSS. Il s’agit de faire de la Ruhr un « actif européen »61.
L’assainissement financier : « prendre l’initiative »
35Il importe, aux yeux de Jean Monnet, que l’assainissement financier, « ... nécessaire en France, n’apparaisse pas comme une ingérence américaine dans nos affaires intérieures et ne semble nous être imposé. Nous avons donc tout avantage à prendre l’initiative »62. La grave crise des paiements en dollars, qui culmine en août, lui donne l’occasion d’approfondir ses propositions en matière de stabilisation financière et monétaire.
Le Plan, instrument essentiel du consensus national
36Pour le Commissaire au Plan, il n’est pas suffisant que l’opinion publique voie les avantages matériels apportés par les crédits américains : « Il faut aussi qu’elle y voie la promesse de l’indépendance économique future vers laquelle la conduit le Plan de modernisation dont la réalisation rapide est rendue possible par les crédits américains »63. C’est déjà le raisonnement de Jean Monnet en 1945-46. Il lui plaît de répéter que l’aide américaine est « provisoire » et « productive » :en facilitant l’effort français d’équipement, elle doit contribuer, à terme, à sa propre disparition. « Or, psychologiquement, cet effort d’équipement est aujourd’hui, pour l’opinion, concrétisé par le Plan ». Le Plan donne « un sens national » à cet effort ; il est « la garantie de l’indépendance économique de la France » : « C’est, en définitive, la notion de plan qu’il faut maintenir vivante pour donner à la coopération européenne et aux crédits américains une base de consentement solide dans l’opinion »64. Il confirme l’idée dans la lettre qui accompagne son mémorandum, en ajoutant que le Plan est « indispensable pour que les Français placent les crédits américains dans leur véritable perspective et n’aient pas rapidement l’impression d’une prise de contrôle »65. En outre, il se plaît à croire que le Plan français est une contribution au travail de la Conférence européenne, car il montre la voie aux autres pays, et converge avec les préoccupations des dirigeants américains. Le rôle essentiel du Plan pour « assurer de façon durable (notre) indépendance économique », est de contribuer à ce que l’économie française puisse exporter assez pour payer les importations essentielles. Pour la période du Plan (1947-fin 1950), il chiffre le déficit des paiements à quatre ou cinq milliards de dollars. Ainsi, un an après les accords de Washington, il retrouve un chiffre voisin. Sous la condition d’infléchir la politique allemande, et d’amorcer une politique de stabilisation, l’aide américaine peut ainsi apparaître comme « une contribution à la réalisation du Plan français ».
37À cette date, Jean Monnet espère que le premier Plan peut assurer l’articulation entre le consensus national à préserver et la coopération nécessaire avec Washington. C’est, selon lui, le meilleur remède pour panser « la plaie ouverte » par la rupture du 2 juillet.
III. LA FRANCE, LES SEIZE ET LE FUTUR PLAN MARSHALL (JUILLET-NOVEMBRE 1947)
38Le 12 juillet 1947, les Seize se réunissent au Grand Palais. Dès le lendemain, la Conférence crée le Comité de Coopération économique européenne (CCEE), dont la tâche principale est de rédiger un rapport sur le relèvement européen, afin de répondre au discours de Harvard. Ce travail va durer deux mois et demie, jusqu’au 22 septembre.
1. L’organisation de la Conférence
39La délégation française, conduite par Hervé Alphand et Robert Marjolin, et largement inspirée par Jean Monnet, joue un rôle majeur dans l’élaboration du rapport, au même titre que la délégation britannique, dirigée par Sir Olivier Franks, élu président du CCEE.
Chiffrer le « dollar gap » européen
40L’absence et le silence des Américains ne sauraient faire illusion : ils tiennent à ne pas se manifester publiquement, afin de donner l’impression d’une initiative européenne, mais les représentants des futurs débiteurs ne peuvent manquer de s’interroger sur les intentions de leur créancier, et d’ailleurs, des responsables américains (en particulier William Clayton, qui reste à Paris en juillet et août), lors des conversations particulières, ne manquent pas de faire part à leurs interlocuteurs, le plus souvent britanniques ou français, de ce qui est attendu d’eux à Washington66. Le Commissaire général au Plan, une fois de plus, va pouvoir exercer ses talents d’intermédiaire obligé.
41Dès le 18 juillet, Jean Monnet, après avoir rencontré William Clayton et Averell Harriman, informe Georges Bidault de trois décisions de l’Administration de Washington : le rapport européen sera d’abord analysé par des experts ; ensuite, les commissions du Sénat et de la Chambre l’étudieront et (contrairement à la procédure du prêt-bail, où le Congrès avait décidé avant d’être informé de l’emploi des fonds, par un compte rendu a posteriori) les décisions seront prises (montant, formes et conditions de l’aide) après un examen des programmes détaillés ; enfin, comme les discussions seront rendues publiques, il est important de créer la conviction de l’urgence et de la nécessité de l’aide : « L’Administration compte visiblement sur les Européens pour créer cette conviction »67. Dès ce moment — mais les éléments de cette situation vont se maintenir pendant toute l’application du Plan Marshall — les pays européens ne se trouvent pas en face d’un interlocuteur américain unique, mais sont confrontés à une procédure américaine complexe, à étapes multiples, où se mêlent à la fois des experts, des hommes politiques et l’opinion en général. L’avant-projet de rapport résulte d’un premier travail, effectué par le Commissariat général au Plan, amendé par la délégation britannique. Le point essentiel du rapport consiste à chiffrer le déficit de la balance des paiements des Seize pour les quatre années à venir, après avoir évalué la portée des efforts nationaux et intereuropéens pour le réduire. Une organisation se met en place : à côté du Comité de coopération, représentant les seize États, se constitue un Comité exécutif, plus restreint, et quatre comités techniques, ainsi qu’une Commission d’experts — dirigée notamment par Guillaume Guindey et Sir David Waley — chargée de rédiger un questionnaire sur l’évolution de la balance des paiements68. Robert Marjolin, faisant fonction de secrétaire général de la Conférence, a parlé d’une grande communauté de vues entre ces experts, dont la plupart étaient anglo-saxons, et tous keynésiens69. D’emblée, les experts comme les responsables européens sont avertis que le montant, les formes et conditions de la future aide dépendront largement du débat engagé aux États-Unis entre Congrès et Administration. Les termes en sont commandés par l’affrontement entre les isolationnistes, tenants de l’optique financière étroite et partisans de réduire l’aide au maximum — ils forment une minorité bruyante au Congrès, et surtout à la Chambre basse — et les « internationalistes » qui, au sein de l’Administration et, notamment, du Département d’État, sont convaincus par les postulats de Harvard et recommandent une aide substantielle. Cependant, les nuances intermédiaires sont multiples entre ces deux tendances et les contraintes parlementaires — notamment le caractère bi-partisan de la politique européenne — impliquent nécessairement des formules de compromis. D’autre part, même les responsables de l’Administration favorables à une aide substantielle ne peuvent manquer d’envisager les réactions du Congrès par avance, et sont tentés de la limiter par la recherche d’autres ressources. Et, en particulier, le Département d’État cherche, dans les faits comme dans leur présentation publique auprès de l’opinion et des parlementaires, à réduire le chiffre du déficit prévisible des États européens à l’égard des États-Unis — et donc l’aide en dollars qui en résulte — grâce à trois moyens principaux, qui sont destinés à jouer un rôle essentiel dans le débat public, lors des multiples étapes jusqu’au vote du Plan Marshall.
La mesure des attentes de Washington
42Dès le début du mois d’août, Hervé Alphand, à partir d’entretiens qu’il a eus avec diverses personnalités américaines, dont William Clayton, résume les trois procédés envisagés dans une note (avec la mention « très secret ») pour son ministre70.
43Le premier moyen de réduire l’aide américaine consiste à précipiter le « relèvement de l’Allemagne », et notamment de la Ruhr. Cela confirme les craintes de Jean Monnet, formulées quelques jours plus tôt. Le second moyen implique que les États européens s’engagent dans une rigoureuse politique de stabilisation financière et monétaire intérieure. D’après les propos du sous-secrétaire d’État, le gouvernement américain va devoir reconnaître que les dollars déjà fournis aux États européens n’ont pas été suffisants. Mais il ne pourra obtenir une « aide substantielle » du Congrès que s’il le persuade qu’il s’agit d’une opération destinée à rétablir une fois pour toutes le relèvement européen : « D’après M. Clayton, le Congrès ne sera convaincu que si, en même temps, chacun des pays bénéficiaires présente un programme d’assainissement et de stabilisation intérieure. L’existence et l’exécution de ce programme sont indispensables au succès de la négociation entreprise à la suite du discours de M. Marshall »71. Le responsable américain précise encore : « Les crédits américains doivent permettre à la France de libérer son économie des contrôles des prix, de la monnaie et du ravitaillement qui contribuent dans une large part, d’ailleurs, à ralentir le développement de la production nationale. C’est certainement dans un sens libéral et par une économie donnant plus de place à l’initiative privée que la France peut retrouver sa prospérité. L’affirmation de cette tendance est également nécessaire pour créer en Amérique le climat indispensable au succès des suggestions de M. Marshall »72. Ces deux recommandations de Clayton recoupent très exactement les avertissements contenus dans le mémorandum de Jean Monnet. Le représentant du Département d’État en ajoute une troisième : il insiste sur la nécessité de « changements fondamentaux » dans les échanges entre pays européens à travers « l’élargissement des frontières économiques par l’établissement d’unions douanières »73.
44Les responsables français ont ainsi pris la mesure des attentes d’outre-Atlantique, dont la satisfaction commande la réussite du futur Plan Marshall.
2. La France, meilleure élève des Seize ?
45Les travaux de la Conférence se poursuivent au Grand Palais, pendant les mois de juillet et d’août. Des questionnaires et des tableaux (portant sur la productions vitales, les importations, les balances des paiements) sont rapidement confectionnés et, transmis dans les seize capitales, doivent être remplis pour être regroupés, afin que le Comité de coopération économique en élabore la synthèse. L’étroitesse des délais, ainsi que l’absence fréquente de plan ou de comptabilité nationale, peuvent laisser supposer que beaucoup des chiffres ainsi rassemblés (en particulier ceux portant sur les années 1949-51) étaient fort approximatifs. Et ce ne devait pas être seulement le cas (extrême) de la Grèce, dont le délégué n’avait pas cru bon de transmettre les tableaux dans sa capitale, mais les remplissait lui-même dans son bureau du Grand Palais, sans le secours d’une abondante documentation. Apostrophé par Robert Marjolin, il aurait rétorqué : « C’est vrai, je dois beaucoup inventer (...) mais croyez-vous qu’à Athènes ils en savent plus que moi ? »74.
Une balance globale ou par pays ?
46Le mode de présentation dans le rapport général suscite une controverse, en particulier entre délégués français et britanniques.
47Au début du mois d’août, Jean Monnet, toujours soucieux de devancer les attentes américaines, dépose un mémoire sur le bureau de la Conférence. Il le transmet à Paul Ramadier et à Georges Bidault, avant de le présenter à Vincent Auriol, le 6 août. Il y formule trois mises en garde. Tout d’abord, il déconseille fortement d’inscrire le total du déficit des Seize à l’égard du reste du monde — que le Comité de la balance des paiements évalue, dès cette date, à environ vingt-neuf milliards de dollars pour les années 1948-51. Il recommande, au contraire, d’établir une balance pays par pays. D’autre part, il juge indispensable d’indiquer les mesures déjà prises par les Etats européens pour la stabilité financière intérieure et contre l’inflation, afin de convaincre l’opinion américaine de l’utilité de l’effort demandé. Enfin, il souligne l’intérêt d’isoler le programme d’aide de la première année de celui des années suivantes, largement suspendu à celui-là75. Cependant, la délégation britannique se montre beaucoup moins soucieuse de souligner la place des efforts nationaux ou intereuropéens, et préfère s’en tenir à la présentation d’un déficit européen global, donc de la note à payer par Washington.
La mention d’une union douanière
48Parallèlement, Hervé Alphand — répondant directement à la recommandation de William Clayton — propose, à la mi-août, la mise en place d’un Comité d’étude sur les projets d’union douanière entre les Seize. Mais il redoute que la diminution des restrictions quantitatives entre États européens — proposée par les délégués britanniques — ne heurte les États-Unis : « Est-ce une bonne présentation vis-à-vis des États-Unis de dire que nous allons tous maintenir nos restrictions quantitatives à l’égard de l’Amérique et les relâcher entre nous ? »76. Il ajoute, faisant référence aux travaux de la Conférence de Genève : « Dans la situation actuelle, la seule mesure possible puisqu’elle est dans la Charte et qui nous permettrait d’accroître, même par des moyens discriminatoires, le commerce européen, c’est l’union douanière »77. Il souligne qu’une telle entreprise ne peut être réalisée rapidement, qu’elle se heurte à des difficultés considérables, en particulier du fait que « des ajustements très pénibles seraient nécessaires, car des industries concurrentes se trouveraient brusquement en compétition »78. Mais il voit aussi « les avantages immenses » de telles décisions, qui « frapperaient l’imagination des États-Unis », et qui, à terme, sont conformes à une évolution jugée irréversible : « A un moment ou à un autre, il sera indispensable de réduire le nombre des frontières économiques en Europe, et de créer des espaces libres qui permettraient d’entrer en compétition avec le reste du monde »79. La proposition de créer une commission de travail est alors acceptée, mais elle ne commence à fonctionner qu’au moment où le rapport est achevé. De plus, à l’initiative de la France, à la fin du mois d’août, le Comité exécutif aborde la question des efforts nationaux et intereuropéens : il étudie les perspectives de développement de sept productions vitales (charbon, électricité, pétrole, acier, engrais, tracteurs agricoles, corps gras), ainsi que les possibilités de transférabilité des devises européennes.
49À cette date, la synthèse est en vue pour le rapport, qui devait primitivement être adressé au gouvernement américain le 1er septembre. Mais, contrairement aux recommandations de Jean Monnet et de la délégation française, il est fait état, dans le rapport général, d’un déficit global des Seize pour les quatre années, estimé à vingt-neuf milliards de dollars80. Le Conseil des ministres, réuni le 27 août, s’en émeut. Pierre-Henri Teitgen, assurant l’intérim de Bidault, reconnaît que, à l’instigation des Britanniques, les Seize ont, comme le préconisait Molotov, surtout additionné des besoins, sans définir une aide de l’Europe à elle-même. Il affirme que les Américains « refuseront d’examiner des demandes aussi considérables », et suspecte Londres, en cas de refus, de se réserver une aide pour la bizone et la seule Angleterre. Vincent Auriol fait attribuer alors à Jean Monnet la coordination des travaux des experts français (sous la responsabilité de Robert Schuman), afin d’infléchir l’attitude des Seize81.
3. La France et les controverses sur le Rapport général.
Le rejet du Rapport général
50Le 28 août, William Clayton déclare aux responsables de l’ambassade de France que l’Administration américaine est « effrayée par le montant considérable des estimations du Comité des Seize... [qui] témoignent d’une méconnaissance essentielle du véritable sens du plan Marshall »82. Le lendemain, le général Marshall lui-même provoque le départ de George Kennan pour Paris, afin d’ajuster les vues européennes et celles de Washington. Il semble que l’action de Clayton et de Caffery ait été contestée au Département d’Etat83. Les évaluations effectuées à Paris ont été considérées à Washington comme un « bilan de faillite ». Le secrétaire d’État pense à l’opinion et au Congrès, qui ne veut pas solder un déficit, mais participer à une « entreprise positive »84. Le 30 août, des entretiens s’ouvrent à l’Ambassade américaine à Paris, entre représentants américains (Caffery, Clayton, Douglas et Kennan, arrivé depuis peu) et européens (Alphand, Sir O. Franks, Hirschfeld, Campilli et un délégué norvégien)85. William Clayton réaffirme que le total de l’aide avancée par le Comité financier est « beaucoup trop considérable » et qu’il ne manquerait pas de faire « la plus mauvaise impression aux États-Unis ». Il réclame cinq modifications principales au rapport des Seize. À propos de la durée et du montant de l’aide, il recommande d’indiquer que l’Europe, au bout de quatre ans, pourra se passer d’une aide qui, d’ailleurs, devra aller en s’amenuisant : l’Europe doit être « viable » après 1951. Puis, les Européens devront apporter le témoignage du relèvement de leur production, notamment en matière agricole et charbonnière. Les programmes à long terme ne doivent pas prendre le pas sur les programmes immédiats. De plus, « ... les pays participants doivent s’engager immédiatement à prendre les mesures intérieures nécessaires pour stabiliser leur économie et leur monnaie et recréer la confiance dans leur système financier »86. En outre, ils doivent développer les échanges entre eux, conformément à la Charte internationale du Commerce (alors en cours d’élaboration), avec la référence spéciale aux unions douanières. Enfin, ils sont tenus de créer une organisation multilatérale européenne, destinée à « surveiller l’exécution » de l’aide et à traiter avec les États-Unis, qui passeront des accords bilatéraux.
La France et le compromis
51Les représentants européens à la Conférence décident de « corriger » le rapport, notamment en réduisant le déficit avec le continent américain de vingt-neuf à 22,5 milliards de dollars. Puis, une nouvelle rencontre a lieu à l’ambassade américaine. Clayton n’est pas dupe de la diminution, effectuée in extremis sur le chiffre global. Il se montre toujours aussi peu satisfait, considérant que le déficit pour 1951 est encore trop élevé, que l’éventualité d’autres crédits n’a pas été assez explorée (crédits d’équipement par la BIRD ; crédits privés), que les importations en provenance des États-Unis n’ont pas été distinguées de celles des autres États américains — il n’est pas sûr, ajoute-t-il, que le Congrès voudra accepter de financer des approvisionnements autres que ceux provenant des États-Unis. Enfin, à propos des mesures de stabilisation, il considère que les Seize n’ont pas suffisamment insisté sur le fait que « l’effort national sur le plan budgétaire et monétaire doit précéder l’aide extérieure »87. Il fait part de l’avis du Département d’État d’ajourner la fin de la conférence de deux à trois semaines, afin de « modifier sensiblement » le rapport — qui serait seulement présenté comme un « essai préliminaire » — en compagnie des experts américains. Sir Oliver Franks et Hervé Alphand acceptent l’éventualité de présenter le rapport comme « provisoire », mais rejettent celle d’apporter des modifications substantielles en deux ou trois semaines, et déconseillent fermement le report : « Les effets politiques en seraient désastreux »88. Le même jour, Georges Bidault, lors d’une conversation avec Jefferson Caffery, s’étonne également des réactions américaines, d’autant plus que « le rapport a été modifié sur la demande de la France dans le sens souhaité par le gouvernement américain »89. Il ajoute que le gouvernement français refuse tout ajournement de la Conférence, car, dans cette éventualité, cela entraînerait « la débandade des pays européens, à commencer par les pays Scandinaves » ; de plus, l’information « parviendra à la connaissance de l’Union soviétique et lui fournira l’occasion de triompher à nouveau, de parler à nouveau d’atteinte à la souveraineté et à l’indépendance des États »90. Quelques jours plus tard, Hervé Alphand propose et obtient du Comité de coopération qu’il incorpore la proposition française de l’établissement d’unions douanières avec tous les pays qui le désireraient « et dont les économies seraient susceptibles de se combiner avec l’économie française pour former un ensemble viable ». Il propose également d’instituer, pour les quatre années prévues dans le rapport, une organisation chargée de l’application du programme des Seize. Au total, la fin des travaux est repoussée seulement de quelques jours, la Conférence elle-même étant considérée comme une première session. Le rapport général, quelque peu remanié dans le sens souhaité par Clayton, est achevé le 22 septembre, et rendu public par Hervé Alphand, rapporteur général. Il n’est pas présenté comme définitif, « satisfaction de forme » pour le Département d’État91.
52Divisé en sept chapitres, le Rapport général fait reposer le programme de redressement européen (PRE) sur quatre éléments : l’apport de production, la stabilisation financière intérieure, la coopération économique européenne, enfin la couverture du déficit de la balance des paiements à l’égard du continent américain, qui était en fait la « clé » du programme92. Tous les efforts de Clayton et du Département d’État avaient été dominés par l’idée d’insister sur les trois premiers éléments, afin de réduire le quatrième. Dans le document final, il est fait état d’un déficit total des pays participants de vingt et un milliards de dollars — sur quatre ans — avec le continent américain (dont quinze avec les États-Unis), compensé par un excédent de trois milliards avec les autres pays. Pour recevoir l’aide future, les Seize ont souscrit un triple engagement : accroître leur production nationale (il s’agit d’objectifs très généraux sur les grandes productions, correspondant d’ailleurs, pour la France, aux secteurs de base du Plan Monnet), stabiliser leurs finances intérieures et engager une coopération économique entre eux. Pour ce dernier point, pour lequel les représentants de la France, à la différence des Britanniques, n’ont pas ménagé leurs efforts, il est envisagé trois formes principales de coopération : pour certains programmes de production (notamment l’hydroélectricité, le coke, l’acier), pour les relations commerciales (suppression des restrictions quantitatives entre États européens et constitution d’unions douanières), pour les relations monétaires (organisation d’un système de convertibilité des monnaies européennes)92. En fin de compte, selon Hervé Alphand — suivi en cela par Jean Monnet, Vincent Auriol ou Léon Blum — le Rapport général ne fait pas seulement état d’une liste de besoins, mais ébauche un « programme constructif », pour que l’Europe produise davantage et s’entraide : « C’est la position française constamment adoptée par la France depuis le discours de Marshall »93.
4. Cinq semaines et cinq objets de débats à Washington (octobre-novembre)
53Du 1er octobre au 4 novembre, les délégués du Comité de coopération économique européenne vont s’entretenir à Washington avec diverses personnalités américaines, au sujet du Rapport général et de la future aide.
54Aux États-Unis, plusieurs comités travaillaient depuis le mois de juin sur la proposition Marshall. Tout d’abord, le 22 juin, le président Truman manifeste le souci de s’appuyer sur des experts indépendants, en nommant trois comités d’études (extraparlementaires), dont le plus important est présidé par Averell Harrimann, secrétaire au Commerce, remplaçant à ce titre, l’ancien vice-président démissionnaire, Henry Wallace. Les deux autres sont dirigés par Owen Young et Robert La Follette94. En réaction à cette création, la Chambre des Représentants constitue un Comité spécial d’étude, composé de vingt-huit membres de toutes les commissions, qui est chargé d’enquêter en Europe même sur les besoins des nations étrangères et sur les disponibilités américaines. Composé de cinq sous-comités à direction bipartisane, il est dirigé par le républicain Christian Herter, lié à Herbert Hoover, et qualifié généralement d’« internationaliste prudent ». Ce dernier comité, à prédominance républicaine, comprend plusieurs parlementaires qui nourrissent de fortes réticences à l’égard des orientations du Département d’État95. Le quotidien libéral P.M., publié à Long Island — reflétant, certes, une position minoritaire dans l’opinion, proche de celle de Henry Wallace — définit ainsi la position probable du Comité Herter : « Accorder une aide, mais pas trop grande, avec la garantie que les États-Unis auront un contrôle quasi complet sur les pays en cause, que la socialisation sera arrêtée, que la libre entreprise sera restaurée... et que les communistes n’en tireront pas un centime directement ou indirectement »96. Ainsi, la proposition Marshall fait l’objet d’un débat, à la fois dans les milieux parlementaires et l’opinion publique en général depuis trois mois, lorsque les délégués des Seize arrivent à Washington. Ils s’entretiennent avec différents responsables du Département d’État et plusieurs membres du Comité Harriman. Ces différentes rencontres se déroulent alors que les trois grands rapports (rapport Krug sur l’inventaire des ressources et les répercussions de l’aide ; rapport du Conseil des experts économiques, présidé par E.-J. Nourse ; rapport Harriman), sur lesquels Harry Truman va fonder ses recommandations pour le Congrès, sont en voie d’achèvement. Seul le rapport Krug est publié avant la fin des discussions entre les Seize et leurs interlocuteurs américains97.
55Certains points du futur Plan ne sont pas encore arrêtés par l’Administration. Cependant, les principaux sujets de débat sont abordés lors de ces conversations, dont on peut suivre les différents épisodes, à travers les informations données par Hervé Alphand et Robert Marjolin (retrouvées dans les archives de Georges Bidault ou dans celles du Quai d’Orsay), et divers documents des archives américaines. Le déroulement se résume ainsi : au cours de plusieurs rencontres, la délégation du CCEE justifie les orientations du Rapport général, fournit des précisions supplémentaires, grâce à des questionnaires envoyés aux seize États, et s’informe des projets américains. Puis, à l’initiative de la délégation française, elle remet, le 28 octobre, un aide-mémoire sur les questions en suspens à Robert Lovett, sous-secrétaire d’État. Ce dernier rédige, en réponse, un aide-mémoire aux délégués européens et le commente, lors d’une ultime réunion, le 4 novembre98. Peu après, le rapport Harriman est publié, et le général Marshall et Robert Lovett, devant les commissions des Affaires étrangères (Chambre et Sénat), donnent les orientations essentielles du Département d’État sur le futur Plan. Cinq questions principales sont surtout débattues : le montant de l’aide, ses diverses formes, les conditions de son utilisation, ses contreparties et l’organisation chargée d’en surveiller l’exécution.
Le montant de l’aide : quelques inquiétudes
56La délégation française pèse pour que les vingt-deux milliards de déficit global, estimés dans le Rapport général, ne soient pas trop réduits. Mais, dans le même temps, elle fait inscrire dans l’aide-mémoire des Seize un certain nombre d’assouplissements, afin de tenir compte des préoccupations américaines : il y est précisé qu’il ne peut s’agir que d’un « ordre de grandeur », et que le calcul exact du déficit est impossible, du fait d’incertitudes trop grandes. Il est également mentionné que la restauration de l’équilibre des paiements exigera peut-être une durée plus longue99. En outre, suivant en cela les conseils de Jean Monnet, l’importance de l’année 1948 est soulignée : les Seize réclament, outre les sept à huit milliards de dollars pour couvrir les importations, trois milliards de dollars pour reconstituer leurs réserves, et assurer la stabilisation monétaire et financière intérieure. Enfin, pour prévenir les objections répétées sur l’insuffisance de certains approvisionnements aux États-Unis, il est affirmé que cela aurait plutôt tendance à accroître qu’à réduire les chiffres de l’aide envisagée100.
57Les réactions américaines ne peuvent satisfaire entièrement les Seize. Robert Lovett reconnaît, au nom du Département d’État, que la future aide ne saurait être un simple programme de secours (programm of temporary relief), ni apporter une solution « hésitante et fragmentaire ». Il admet que le rapport de la Conférence de Paris fournit une « analyse raisonnable du problème » et « donne les lignes fondamentales de l’action à poursuivre pour réaliser un relèvement véritable de l’Europe »101. Mais, dans le même temps, Hervé Alphand rapporte que « les services américains ont constamment cherché à montrer que les demandes présentées étaient trop fortes et que, notamment, elles dépassaient sensiblement les disponibilités existant dans le monde »102. À cet égard, il apparaît que l’une des préoccupations du Département d’État n’est pas, à ce moment, la crainte quant à un risque de surproduction, mais, au contraire, quant aux effets de l’« état critique d’insuffisance » de nombreux produits essentiels à la reconstruction de l’Europe, et de capacités américaines d’exportation « strictement limitées ». Il redoute en particulier l’éventualité d’une « indésirable spirale d’inflation »103. Le rapport Krug a d’ailleurs été utilisé pour apaiser l’opinion. Il affirme que « la cause de certaines difficultés avec lesquelles l’économie nationale se trouve actuellement aux prises n’est pas due aux achats effectués sur le marché par les pays étrangers ». Il y est même ajouté que « le Plan Marshall (...) s’il devait être exécuté, réduirait plutôt qu’il n’augmenterait la cadence actuelle des exportations »104. Aussi les responsables américains révisent-ils en baisse l’estimation du déficit global, en dépit du raisonnement des Seize : le général Marshall parle d’un total compris entre seize et vingt milliards, et le rapport Harriman de dix-sept. De surcroît, pour la première année, au lieu des sept milliards demandés (auxquels il était escompté d’ajouter des crédits pour l’équipement, et les trois milliards pour la stabilisation), Marshall évoque le chiffre total de six milliards, et le rapport Harriman celui de 5,750 milliards, tout en rejetant sur le FMI tout crédit de stabilisation105. Et, dès le 25 octobre, Lovett affirme que le Département d’État ne peut garantir un tel crédit et — ce que Jean Monnet a annoncé dès le mois d’août — que le Congrès ne peut s’engager que pour un an, l’Administration se bornant à solliciter l’approbation du principe et le vote des appropriations pour la seule année 1948106.
Les formes de l’aide : des incertitudes
58Le Comité Harriman envisage trois formes d’aides : une aide gratuite (pour les céréales, les combustibles et les engrais), des crédits gouvernementaux (pour les matières premières industrielles, les biens de consommation et une partie de l’équipement), et des crédits de la BIRD ou de banques privées pour certains biens d’équipement. Le Département d’État reprend la même distinction, avec cette différence que le général Marshall, dans son discours du 11 novembre, fait rentrer dans la première catégorie un plus grand nombre de produits (des matières premières, et même certains biens d’équipement). Deux questions préoccupent particulièrement les Seize : l’aide sera-t-elle fournie en dollars ou en marchandises ? Les achats ne seront-ils effectués qu’aux États-Unis ?
59L’aide-mémoire remis au Département d’État plaide, bien entendu, pour la plus grande souplesse : une aide surtout en dollars, des achats selon les canaux du commerce ordinaire, la plus grande part aux États-Unis, mais également dans d’autres États du continent américain. Hervé Alphand a particulièrement insisté, lors de la réunion du 25 octobre, sur la nécessité de pouvoir acheter sur « tous les marchés », et pas seulement sur celui des États-Unis. Robert A. Lovett « ne cache pas ses appréhensions » quant à l’attachement du Congrès à la notion d’aide en marchandises107. Dans son aide-mémoire, il ne peut que formuler l’espoir que, même dans ce cas, la souplesse du commerce privée soit préservée. Au même moment, Robert Marjolin se montre également très réservé : « Il sera impossible d’obtenir du Congrès la libre utilisation de l’aide accordée... Il apparaît probable que le Congrès limitera à une fraction de l’aide totale les possibilités d’achat hors des États-Unis »108. Lovett signale que, en contrepartie du risque pris par les États-Unis, l’Europe doit « prendre elle aussi un risque », notamment en changeant des habitudes109.
Les conditions d’utilisation de la contre-valeur : prévenir les attaques communistes
60En contrepartie des dollars ou des marchandises vendues dans les différents États bénéficiaires, des fonds en monnaie nationale vont se trouver disponibles. La position du Département d’État est encore incertaine à ce sujet. Les membres du Comité Harriman ont distingué les fonds de contre-valeur des dons, et ceux des prêts gouvernementaux.
61Pour la contrepartie des dons, il semble admis que les fonds appartiendront à l’État européen, qui pourrait en disposer, sous la réserve de ne pas les utiliser à la couverture des dépenses courantes110. Pour les fonds de contre-valeur des prêts gouvernementaux, le comité envisage qu’ils soient versés dans la Banque centrale de l’État européen, au compte du gouvernement américain, qui pourrait en user avec l’accord de l’État européen. Hervé Alphand et Robert Marjolin considèrent cette solution « inacceptable », de même que les autres délégués européens111. Dans l’aide-mémoire du CCEE, l’argument essentiel avancé est que l’utilisation de ces fonds « pose un problème politique délicat »112. Il est fait référence aux adversaires du Plan Marshall, qui ne manqueraient pas de « montrer que l’existence de ces fonds est à même de fournir aux États-Unis des pouvoirs considérables violant l’indépendance des pays européens intéressés »113. Il est proposé, en conséquence, que les gouvernements aient ces fonds à leur disposition, et les utilisent conformément à des accords bilatéraux (car l’utilisation variera selon les pays), étant entendu que, en tout état de cause, ils ne serviront pas à couvrir le déficit du budget ordinaire114.
62Lors de l’ultime rencontre du 4 novembre, Hervé Alphand prend la parole, pour défendre les mêmes arguments auprès de Lovett. Il soutient que la solution proposée répond au point de vue politique américain comme à celui des Européens. Et, dans le compte-rendu qu’il en fait pour Georges Bidault, il insiste sur le caractère politique de l’argument employé : « Nous avons insisté sur la nécessité de ne donner aucune justification, même superflue, aux attaques dont la politique américaine est l’objet sur le continent européen »115. Robert Lovett, dans son aide-mémoire, convient que les restrictions imposées à l’usage des fonds en monnaie locale ne doivent pas « faire obstacle ni porter atteinte au contrôle économique et financier de l’économie qui doit être exercé par le gouvernement de chaque pays »116. Et lors de la réunion du 4 novembre, il tient à rassurer ses interlocuteurs européens sur les inquiétudes éventuelles, qui pourraient surgir à la suite de certaines suggestions « extrêmes », issues de certaines fractions du gouvernement ou de l’opinion. Il leur demande de ne tenir compte que de la position de l’Administration en cette matière. Or, malgré de fâcheux précédents sur l’utilisation de la contre-valeur, il se montre sensible aux arguments politiques avancés par Hervé Alphand et « marque nettement que l’attention de l’Administration est attirée sur les inconvénients que pourrait avoir un régime de contrôle trop strict de la part des États-Unis »117. Il s’affirme favorable à la remise des fonds dans un compte spécial et à la conclusion d’accords mutuels.
Les contreparties de l’aide : les stocks de matières premières stratégiques
63Dans le rapport Krug, se trouvait suggérée l’idée que, en contrepartie de l’aide financière américaine, les pays participants délivrent certaines matières premières au gouvernement américain, à des fins de stockage pour des raisons stratégiques. Les délégués européens font part de leur crainte que cela ne réduise le montant des dollars sur lesquels ils pouvaient compter. Robert Lovett convient qu’il ne s’agit pas de réduire d’autant les exportations européennes vers la zone dollar, et que ces ressources éventuelles s’ajouteraient aux denrées exportées. De plus, il tient à minimiser la portée de cet engagement, et parle de « geste symbolique facilitant la présentation du projet devant le Congrès »118.
L’organisation de l’exécution
64Il est annoncé que le plan sera mis en place à travers un accord général, accompagné d’accords bilatéraux. Dans le premier projet de loi, dont Robert Marjolin a eu connaissance de manière confidentielle, il est question de faire gérer l’aide par une administration relevant du Département d’État, et de faire prendre les décisions essentielles par le NAC119. Mais il apparaît que la question risque d’être l’objet d’une importante controverse, lors des débats au Congrès. Car plusieurs de leurs membres, notamment dans la Commission Herter, sont particulièrement désireux de soustraire l’administration de l’aide au Département d’État, pour la réserver à une organisation comprenant une proportion importante de parlementaires120. Lors de l’ultime réunion avec les délégués du CCEE, Robert Lovett insiste pour que les Seize créent un organisme surveillant la bonne exécution du plan.
Trois confirmations et une absence inquiétante
65Le sous-secrétaire confirme son souci — dont le Rapport général a largement tenu compte — de voir les États participants affirmer trois engagements : leur volonté d’accroître leur production et leurs exportations, celle d’assurer la stabilité financière et monétaire — il fait explicitement référence au Rapport général pour cette question — ainsi que celle d’assurer un effort collectif, notamment en matière d’union douanière121. Une question a été très peu présente dans les débats, qui, cependant, préoccupait la plupart des États, à commencer par la France : la place de l’Allemagne dans le futur Plan.
66Lors de son exposé au Quai d’Orsay, le 13 novembre, Hervé Alphand ne cache pas que « la question de la répartition de ces sommes présente un point inquiétant »122. Il fait alors référence au rapport Harriman, qui attribue à l’Allemagne une part beaucoup plus importante de l’aide, par rapport à celle prévue par les Seize — jugée « équitable et suffisante » par la France123. Le Département d’État se montre beaucoup plus prudent, car on n’y ignore pas les appréhensions de la France, dont la participation est indispensable au futur Plan : il ne prend pas d’engagement précis. Toutefois, le général Marshall, dans un discours prononcé à Chicago le 16 novembre 1947, indique dans quel sens pèse l’opinion américaine : « Par égard pour le contribuable américain qui a versé des centaines de millions de dollars chaque année pour faire vivre les Allemands de la zone américaine, l’Allemagne doit être mise en état de se suffire à elle-même aussi rapidement que possible »124. Comme l’a annoncé Jean Monnet, il reste à savoir si, à travers le Plan Marshall, la politique française à l’égard de l’Allemagne, notamment en matière de sécurité, va devoir être abandonnée : bien plus que les conditions économiques et financières du Plan, cette question pouvait faire craindre le risque d’un « nouveau Munich ».
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XXV
67Le discours de Harvard et ses suites constituent un tournant pour la direction de l’économie et des finances françaises. Mais leurs effets apparaissent contradictoires. D’un côté, les dollars escomptés peuvent alléger — à quel terme ? — les charges de la reconstruction et de la modernisation.
68Mais, d’un autre côté, comme Jean Monnet en a averti Georges Bidault dès juillet 1947, la « plaie ouverte » par la rupture du tripartisme et l’hostilité de la CGT et des communistes au Plan Marshall rend plus complexe la tâche des gouvernants et leur impose en particulier d’anticiper les contraintes et contreparties prévisibles de la générosité de Washington. Cela implique notamment de « prendre l’initiative » pour la politique de stabilisation financière et monétaire et pour la politique allemande.
Notes de bas de page
1 MAE, A 196-7. Télégramme de Washington reçu le 21 avril 1947 et MAE, A 194-5. Télégramme n° 1245, 18 avril 1947, 3 p.
2 Annie Lacroix, La CGT..., op. cit., p. 224 et suiv.
3 Archives Paul Ramadier (consultées chez M. Claude Ramadier), dossier 1947, note manuscrite de Léon Blum à Paul Ramadier, 1 p., souligné dans le texte.
4 Idem, dossier 1947, note « Réflexions sur 1947 », décembre 1947, 25 p.
5 JO, documents parlementaires, Assemblée nationale, séance du 23 mai 1947, p. 1751.
6 Ibid., p. 1752.
7 Ibid., p. 1752.
8 Ibid., p. 1752.
9 MAE, A 194-5. Télégramme de H. Bonnet, n° 1658, 19 mai 1947, 5 p.
10 Idem.
11 Idem.
12 Comme l’écrit par exemple Jean Monnet, Mémoires, op. cit., p. 315.
13 Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 183.
14 Dean Acheson, Present at the Creation. My Years in the State Department, New York, Norton, 1969, p. 232.
15 Le Populaire, 8 juin 1947.
16 MAE, B Amérique, 9 politique étrangère, 6 Europe Plan Marshall (B.9.6 infra), d. 1947, lettre de G. Bidault à H. Bonnet, 7 juin 1947, 1 p.
17 AN, Papiers Bidault, 457 AP 20, d. 530-2, télégramme de G. Bidault aux Ambassades de Washington (n° 1799) et de Londres (n° 1668), 10 juin 1947,8 p. Cf. aussi Hervé Alphand, L’étonnement d’être, op. cit., p. 200, et G. Bidault au Conseil des ministres du 11 juin (Vincent Auriol, Journal du septennat, 1970, t. 1, p. 266).
18 Idem.
19 Idem.
20 MAE, B. 9, d. Plan Marshall, 1947, lettre de Henri Bonnet à Georges Bidault, 9 juin 1947, 2 p. Il évoque l’appui de Londres et de Paul-Henri Spaak.
21 AN, 457 AP 20, télégramme de René Massigli, 12 juin 1947, 2 p. L’ambassadeur à Londres redoute un accord séparé américano-britannique.
22 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1 p. 276.
23 Ibid. Le secrétaire général de la Commission économique n’a pas « toute la confiance des États-Unis » : il s’agit de G. Myrdal.
24 AN, 457 AP 20, note DAEF, « très secret », 16 juin 1947, 7 p.
25 MAE, B. 9, d. 1947, télégramme de H. Bonnet, n° 1903, 9 juin 1947.
26 Cf. Alfred Grosser, Les Occidentaux, Paris, 1978, p. 89.
27 MAE, Idem.
28 D’après Vincent Auriol, Journal, op. cit., t. 1, p. 200, l’attitude de Georges Bidault apparaît toutefois ambiguë.
29 AN, 457 AP 20, télégramme de Charpentier, n° 1941-1943, Moscou, 20 juin 1947.
30 Hervé Alphand, L’étonnement... op. cit., p. 201.
31 MAE, B. 9.6, d. 1947, liste des membres de la délégation française
32 MAE, B. 9.6, d. 1947, compte rendu de la séance du 28 juin 1947, de la conférence franco-anglo-soviétique CCFAS).
33 Idem, compte rendu de la troisième séance, 30 juin 1947.
34 JM, AMF 14/1/1, Mémorandum pour G. Bidault, 1er juillet 1947, 7 p. On trouve également ce document in AN, 457 AP 20, d. 530-2, s.-d. c. Toutes les citations, jusqu’à la note suivante, en sont extraites.
35 MAE, B. 9.6, d. 1947, c. r. de la séance du 1er juillet 1947 de la CFAS.
36 Idem, c. r. de la séance du 2 juillet 1947 de la CFAS.
37 Idem.
38 Idem.
39 Idem.
40 Idem, circulaire du service d’information et de presse (SIP), n° 166 IP, 3 juillet 1947, 1 p.
41 AN, 457 AP 20, d. 500.3. s.-d. A, télégramme de Dejean, Prague n° 527, 10 juillet 1947, 1 p. et n° 594-8, 7 juillet 1947, 2 p.
42 Idem, télégramme du 9 juillet 1947.
43 JM, AMF 14/1/6, Mémorandum remis à Georges Bidault le 24 juillet 1947 (reproduit dans Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, annexe VII, p. 695 et suiv.).
44 JM, AMF 14/1/14, Mémorandum pour Georges Bidault, 22 juillet 1947, non transmis.
45 Idem.
46 AN, 457 AP 20, s.-d. 530-2, note du SDECE, 54007, « très secret », 2 juillet 1947, 3 p.
47 Idem, souligné dans le texte.
48 Idem, souligné dans le texte.
49 Idem.
50 JM, AMF 14/1/6, doc. cit., souligné par nous.
51 Idem.
52 Idem, voir aussi JM, AMF 14/1/5, Mémorandum, 24 juillet 1947.
53 JM, AMF 14/1/5, doc. cité.
54 JM, AMF 14/1/6, doc. cité.
55 Idem.
56 Idem. « Texte lumineux », selon Pierre Nora in Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 786, note 12.
57 Idem.
58 Idem.
59 JM, AM F 14/1/4, doc. cité.
60 Idem.
61 Idem.
62 JM, AMF 14/1/6, doc. cité., s.p.n.
63 Idem, s.p.n.
64 Idem.
65 JM, AMF 14/1/7, lettre de Jean Monnet à Georges Bidault, 24 juillet 1947, 1 p.
66 Jean Monnet indique à Vincent Auriol que William Clayton est l’un des responsables les plus écoutés de Truman.
67 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s.-d. A, note de Jean Monnet, 18 juillet 1947, 5 p.
68 MAE, B. 9.6, d. 1947, compte rendu de la cinquième séance du Comité exécutif, 22 juillet 1947.
69 Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 187.
70 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s.-d. B, note pour le président, signée HA, « très secret », 2 août 1947, 4 p.
71 Idem.
72 Idem.
73 Idem. Georges Bidault confirme les propos tenus par Clayton au Conseil des ministres du 8 août 1947 (Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t 1, p. 391).
74 Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 186-187.
75 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 389 et note 24, p. 788, ainsi que JM, AMF 14/1/8, notes sur les différentes formes d’aides à recevoir des États-Unis, 9 août 1947.
76 MAE, B. 9.6, d. 1947, intervention de Hervé Alphand au Comité de CEE, 15 août 1947, 4 p. ; Idem, circulaire du SIP, n° 204 IP, 19 août 1947.
77 Idem.
78 Idem.
79 Idem.
80 Idem, et JM, AMF 14/1/8 à 14/1/12, où l’on trouve les principaux documents français de la conférence. JM, AMF 14/1/13, projet de mémorandum, 30 août 1947, 7 p. : Jean Monnet parle de réalisation d’une union douanière dans un délai de dix ans, par abaissement des tarifs douaniers de 10 % chaque année.
81 Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 408 et 411.
82 MAE, B. 9.6, d. 1947, télégramme de F. Lacoste, n° 2739-46, 29 août 1947, 1 p.
83 Cf. FRUS, 1947, vol. III, p. 345 et suiv.
84 MAE, B. 9.6, d. 1947, télégramme cité ; cf. Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 414.
85 JM, AMF 14/1/14, c.-r. des entretiens du 30 août 1947 à l’Ambassade des États-Unis.
86 Idem
87 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s.-d. B, c. r. des entretiens du 10 septembre 1947 à l’Ambassade des États-Unis, DAEF, 11 septembre 1947, 5 p., souligné par nous.
88 Idem.
89 AN, 457 AP 20, d. 530-4, s.-d. B, c-r. de la conversation Caffery-Bidault, 10 septembre 1947, 5 p.
90 Idem et cf. Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 414.
91 Idem, note de Hervé Alphand, DAEF, 11 septembre 1947, 4 p. et télégramme de Hervé Alphand, n° 2695-2701, 12 septembre 1947,4 p.
92 Idem.
93 Idem et Vincent Auriol, Journal..., op. cit., t. 1, p. 414.
94 MAE, B. 9.6, d. 1947, lettre de Henri Bonnet à Georges Bidault, n° 1554, 28 juillet 1947, 2 p. et FRUS, 1947, vol. III, p. 464.
95 Idem, lettre de François Lacoste à Georges Bidault, n° 1767, 27 août 1947, 5 p. La mission embarque sur le Queen Mary le 27 août ; on trouve la composition du comité dans la lettre de F. Lacoste.
96 Idem, lettre citée.
97 Idem, lettre de Henri Bonnet à Georges Bidault, 27 octobre 1947, avec une copie du New York Times du 19 octobre 1947.
98 Idem, circulaire du SIP, n° 304 IP, 14 novembre 1947, 5 p.
99 AN, 457 AP 20, d. 530-5, télégramme de Hervé Alphand, nos 3142 à 3149, Washington, 20 octobre 1947, 3 p.
100 MAE, B. 9.6, d. 1947, note de Robert Marjolin à Georges Bidault, n° 2143, Washington, 27 octobre 1947, 10 p.
101 FRUS, 1947, vol. III, p. 461-3. Traduit par nous.
102 AN, 457 AP 20, d. 530-5, note de Hervé Alphand, 10 novembre 1947, 12 p.
103 FRUS, 1947, vol. III, p. 462 ; AN 457 AP 20, d. 530-5, aide-mémoire officieux remis par M. Lovett à M. Alphand, le 4 novembre 1947, 4 p.
104 MAE, B. 9.6, d. 1947, lettre de Henri Bonnet à Georges Bidault, n° 2136, 27 octobre 1947.
105 Idem, circulaire du SIP citée.
106 AN, 457 AP 20, d. 530-5, télégramme de Hervé Alphand, nos 3236-40, Washington, 25 octobre 1947, 3 p.
107 Idem, télégramme de Hervé Alphand, nos 3241-46, Washington, 25 octobre 1947, 3 p.
108 MAE, B. 9.6, d. 1947, note de Robert Marjolin, citée. L’aide-mémoire confidentiel de Robert A. Lovett se trouve dans FRUS, 1947, vol. III, p. 461-463.
109 AN, 457 AP 20, d. 530-5, télégramme cité.
110 Idem, télégramme cité.
111 Idem, télégramme de Hervé Alphand, nos 3142 à 3149, Washington, 20 octobre 1947, 3 p. et MAE, B. 9.6, d. 1947, note citée.
112 FRUS, 1947, vol. III, aide-mémoire de la délégation du CCEE, Washington, 27 octobre 1947, p. 452-456. Traduit par nous.
113 Ibid., p. 455.
114 Ibid.
115 AN, 457 AP 20, d. 530-5, note de Hervé Alphand, 10 novembre 1947, 12 p.
116 FRUS... aide-mémoire cité. Cf. également FRUS, 1947, vol. III, p. 462.
117 Idem, note de Hervé Alphand, citée. Cf. FRUS, 1947, vol. III, p. 463 et suiv., c. r. de la rencontre entre la délégation du CCEE et des membres du Comité consultatif, 4 novembre 1947.
118 Idem, note citée.
119 Idem, télégramme de Robert Marjolin, n° 3458-62, Washington, 13 novembre 1947, 3 p. Le NAC est le National Advisory Council.
120 Idem, note de Hervé Alphand citée.
121 FRUS, 1947, vol. III, p. 462.
122 MAE, B. 9.6, d. 1947, circulaire du SIP — n° 304 IP, 14 novembre 1947, 5 p.
123 Idem, et AN, 457 AP 20, d. 530-5, télégramme DAEF, Paris, nos 3420-25 et 2749-54, 10 novembre 1947, 3 p.
124 AN, 457 AP 20, d. 530-5, discours du secrétaire d’État Marshall, prononcé le 16 novembre 1947 à Chicago.
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