Chapitre XXII. Les tentatives du provisoire août 1944-janvier 1946
p. 769-806
Texte intégral
1Dès son retour dans Paris libéré, le général de Gaulle tient à reconstituer l’appareil étatique de direction de l’économie et des finances, à l’heure où les difficultés et la poursuite des hostilités imposent des décisions difficiles. Pour la reconstruction de cet appareil, selon des principes définis à Alger, les gouvernants respectent un dosage subtil entre les continuités jugées nécessaires et les innovations rendues inévitables, du fait de la poussée de la Résistance.
2Alors que constitutionnellement la France se trouve toujours dans le provisoire, deux expériences successives marquent alors la direction des finances et de l’économie : celle de Pierre Mendès France, puis, après son départ, celle de René Pleven.
I. LA RELÈVE DE L’ÉTAT : RUPTURES ET CONTINUITÉS
3Au début des années soixante-dix, l’historien américain Robert Paxton a avancé l’idée d’une continuité des milieux économiques et administratifs entre Vichy et la future IVe République1.Encore faut-il différencier divers niveaux d’analyses.
4Il convient, pour l’examen de la direction des finances et de l’économie, de distinguer la situation des deux strates de l’État, les ministres d’une part, les hauts fonctionnaires de l’autre, avant de s’interroger ensuite sur l’attitude des représentants de l’État à l’égard de l’épuration des milieux économiques.
1. Le gouvernement de Gaulle : une « combinaison baroque »
La fusion Résistants de l’extérieur-Légistes de l’intérieur
5Le 5 septembre 1944, la presse annonce un remaniement du GPRF. A cette date, seuls les départements économiques ont été attribués : les Finances à Aimé Lepercq, dirigeant du CO des combustibles solides (remplacé en novembre par René Pleven), l’Économie nationale à Mendès France, la Production industrielle à Robert Lacoste, les Transports à René Mayer, l’Agriculture à François Tanguy-Prigent, le Ravitaillement à Paul Giaccobi, la Reconstruction à Raoul Dautry. D’après René Courtin, « cette combinaison baroque correspond à un barrage organisé contre la politique déflationniste de Mendès France »2. On se souvient que le Général conserve, en effet, plusieurs fers au feu. Jean Monnet, quant à lui, demeure « commissaire en mission », chargé de négocier l’application des deux plans d’importation avec les Alliés. Le remaniement a été l’occasion pour le général de Gaulle d’introduire quelques résistants majeurs de l’intérieur, tel Georges Bidault, qui s’installe au Quai d’Orsay pour une quarantaine de mois (avec la seule parenthèse du gouvernement Blum, à la fin de 1946). Mais leur nombre apparaît très réduit.
6Dans l’ensemble, en effet, le Général s’appuie plutôt, et, en particulier, pour les fonctions de direction économique, sur les Résistants de l’extérieur ou les Légistes de l’intérieur. Le gouvernement de septembre 1944 apparaît ainsi comme une sorte de fusion entre certains des commissaires du CFLN (Monnet, Mayer, Mendès France, Pleven, Tixier, Giaccobi), des membres du CGE (Lacoste, Parodi) et quelques techniciens (Lepercq, Dautry). D’ailleurs, plusieurs représentants des mouvements de Résistance intérieure soulignent ou déplorent la faible part des représentants des combattants de la France occupée au sein du premier gouvernement installé dans Paris libéré. En outre, tout en ne pouvant ignorer le programme du CNR, le général de Gaulle ne saurait accepter que ce Conseil vienne contrôler, voire concurrencer le Gouvernement. Dès le départ de l’Occupant et la cérémonie du 26 août, « le Conseil national de la Résistance entre dans l’histoire glorieuse de la Libération, mais n’a plus de raison d’être en tant qu’organe d’action »3. Comme pour la constitution du CFLN, le général de Gaulle ne s’embarrasse guère de considérations de stricte représentativité. Il veut rester souverain pour le choix des ministres.
7Le dosage politique ne reflète pas la participation respective des familles politiques à la lutte active contre l’Occupant (deux communistes, quatre socialistes, trois démocrates-chrétiens, trois radicaux, un modéré). Les anciens commissaires de Londres ou d’Alger, particulièrement bien représentés, entament, pour plusieurs d’entre eux, une longue carrière politique. On compte parmi eux quatre futurs présidents du Conseil de la IVe République : René Mayer, René Pleven, Pierre Mendès France et Henri Queuille qui, lui, ne figure pas dans le gouvernement de septembre. Peu de dirigeants issus de la Résistance intérieure, à l’exception de Georges Bidault, de certains membres du CGE (Robert Lacoste, Alexandre Parodi, Pierre-Henri Teitgen), voire... de François Mitterrand, sont promus durablement à des fonctions gouvernementales.
Ruptures et continuités ministérielles
8Pour raisonner en termes de continuité ou de rupture ministérielle, il importe de distinguer les hommes, leurs familles politiques et leurs origines socio-professionnelles.
9Chez les nouveaux responsables ministériels de la direction des finances ou de l’économie, le renouvellement des hommes est net par rapport à la IIIe République, et total par rapport à Vichy. Si l’on ne compte pas Henri Queuille, seul Pierre Mendès France — et à un poste subalterne — a exercé des fonctions ministérielles avant 1940.
10Du point de vue des familles politiques représentées au GPRF, la rupture est beaucoup moins tranchée, par rapport à 1938-39. La poussée socio-politique de l’opinion vers la gauche à la Libération ne se traduit que partiellement dans la composition gouvernementale. Le général de Gaulle est conduit à réduire le déphasage au lendemain des premières élections législatives du 21 octobre 1945, et doit alors se séparer de certains de ses collaborateurs, tels René Mayer, Alexandre Parodi, Robert Lacoste ou André Diethelm4. Malgré l’absence de représentants des partis modérés d’avant guerre dans le GPRF de septembre 1944 et la présence de communistes (ils ne sont que deux jusqu’en novembre 1945), la poussée vers la gauche est amortie au gouvernement par le poids important des éléments centristes, qu’ils soient de tradition catholique — à travers la percée des démocrates-chrétiens — ou laïque. Ainsi, décalage symbolique, les radicaux apparaissent en bonne place dans le gouvernement, alors que, un an plus tard, le radicalisme s’effondre dans l’électorat, en référence à ses résultats d’avant guerre.
11Enfin, on ne note pas de véritable rupture quant à l’origine socio-professionnelle des ministres. Tous sont massivement issus des classes moyennes, vivier des dirigeants de la République. On peut toutefois noter l’accentuation d’une tendance, perçue lors de la IIIe République finissante et déjà sensible au sein du CFLN : la place accrue des « techniciens » ou de ceux qui ont exercé des responsabilités antérieures dans les affaires privées (René Mayer, René Pleven, Jean Monnet, Aimé Lepercq) ou les entreprises d’État (Raoul Dautry).
2. Continuités administratives et ruptures symboliques
Amortir la poussée épuratrice
12Des clivages apparaissent à Alger sur l’ampleur de l’épuration administrative. Dans un discours prononcé à l’Assemblée consultative, le 21 janvier 1944, Étienne Fajon (PC) formule ainsi de vifs reproches à Paul Giaccobi sur les hauts fonctionnaires dont il s’entoure au commissariat à la Production5. Les Commissions d’Épuration, rapidement mises en place dans les ministères, se montrent d’une rigueur inégale. Les départements liés à la répression ou très au contact avec l’Occupant (l’Information) sont beaucoup plus épurés que les Finances ou les ministères techniques6.
13On a vu le souci unanime des commissaires d’Alger — de Pierre Mendès France à Jean Monnet, en passant par Paul Giaccobi — de limiter les bouleversements dans les services de direction des finances et de l’économie. Or, il s’agit pour eux d’amortir la poussée épuratrice, présente dans les fractions dominantes de la Résistance, en particulier parisienne. En effet, des Comités de Libération (CDD se sont constitués dans les administrations centrales des ministères. Leur composition est variable. Chargés de représenter l’esprit de la Résistance de l’ensemble du personnel, la part des activistes les plus intransigeants — fréquemment issus de la CGT ou des anciens FTP — apparaît, sinon dominante arithmétiquement, du moins hégémonique moralement, et radicale en matière d’épuration. Mais le cas n’est pas général. Ainsi, aux Finances, selon le témoignage de François Bloch-Lainé, le CDL est monté hâtivement par Robert Lacoste (ancien fonctionnaire des Finances) afin « d’éviter un vide dont les communistes eussent tiré parti », et agir « contre l’appareil abusif du Comité parisien de libération, investi par le PC et contre l’impérialisme FTP »7. Robert Lacoste veille également à limiter les bouleversements dans son propre ministère. En se portant garant de certains responsables, tel Henri Lafond, ancien secrétaire-général à l’Énergie sous Vichy (et démissionnaire), il leur épargne des sanctions18. Aux termes de l’ordonnance du 27 juin 1944, les Commissions d’Épuration relaient, à partir d’octobre 1944, les CDL. Leur pouvoir n’est d’ailleurs que consultatif, la décision en matière de sanction appartenant au ministre. Et le général de Gaulle fait savoir, en février 1945, qu’il tient à voir s’achever la procédure d’épuration des ministères9.
Une continuité administrative sur l’ensemble
14Les modifications parmi les hauts fonctionnaires ont été, au total, très limitées dans les administrations financières, économiques et techniques.
15Parmi les dix-huit directeurs, directeurs généraux ou chefs de service de l’Administration centrale des Finances et de l’Économie, trois seulement n’étaient pas en place avant août 1944, dont un, F. Didier Gregh, remplace Dagnicourt, le directeur du Budget, mort accidentellement lors des combats de la Libération10. Les deux autres directeurs remplacés l’ont été par Pierre Mendès France : à Louis Coquelin, directeur du Commerce extérieur — remis à la disposition de l’Inspection des Finances — succède Robert Marjolin (nommé directeur des « Relations économiques extérieures »), qui rejoint peu après Jean Monnet. Joseph Ripert, directeur des Assurances, révoqué de ses fonctions et de l’Inspection des Finances, est remplacé par Louis Gache, ancien directeur-adjoint du Budget11. Les ministres les plus proches du général de Gaulle, tout en souhaitant éviter une épuration trop radicale, tiennent cependant à ne pas prêter le flanc à des critiques, quant à une trop grande complaisance. Dès Londres, René Pleven a annoncé à Jacques de Fouchier, à propos de Henri Deroy, qu’il fallait se résoudre à une certaine rigueur, « au risque de certaines injustices peut-être, mais pour écarter tout soupçon d’une quelconque solidarité de classe vis-à-vis des traîtres »12.
16Si, sur l’ensemble des hauts fonctionnaires, la continuité l’emporte largement, pour de hautes responsabilités très en vue, les changements sont d’autant plus nets, qu’ils représentent une faible part du total. Et ceci d’une double manière.
Des ruptures symboliques au plus haut niveau
17Parmi les neuf inspecteurs des Finances « épurés », la plupart ont occupé des fonctions plus « politiques » que « techniques » : Yves Bouthillier, Paul Baudoin, Jacques Barnaud, Jacques Guérard, ou encore Yves de Boisanger, gouverneur de la Banque de France13. Il en est ainsi également pour certains répartiteurs importants de l’OCRPI14. Le petit nombre de révocations ou de suspensions aux Finances ou à la Production industrielle est compensé par leur caractère exemplaire ou symbolique. À l’inverse, dans un milieu où les collaborationnistes politiques apparaissent peu nombreux, mais où les résistants actifs sont également (si ce n’est plus) rares, les hauts fonctionnaires qui, très minoritaires, ont rallié de manière relativement précoce Londres, Alger ou des mouvements clandestins, se trouvent récompensés par une promotion accélérée, prime de leur non-représentativité en quelque sorte. Ainsi, les quelques révocations prononcées sous Vichy sont annulées, dès le 26 août. Parmi les inspecteurs des Finances, il en est peu qui aient été frappés : Hervé Alphand, Louis Closon, André Diethelm, Maurice Couve de Murville, Guillaume Guindey, Jean Rioust de Largentaye, Jacques Leroy-Beaulieu, Jacques de Fouchier...15.
18Alors que l’Inspection des Finances est ouvertement mise en cause dans une partie de la presse résistante et même par certains responsables, dont Jean Monnet, les inspecteurs des Finances cités ci-dessus vont détenir souvent une importante parcelle de la direction des finances ou de l’économie16. Guillaume Guindey a souligné l’ampleur exceptionnelle et la relative longévité des pouvoirs pris en charge par quelques-uns de ses camarades de l’Inspection et par lui-même17. Mais, en 1944, la plupart d’entre eux sont jeunes (nés peu avant, voire peu après 1910), et ne peuvent encore assumer les plus hautes fonctions administratives, restées entre les mains des titulaires en place. Lors des premiers remaniements, ils vont toutefois y accéder. Ainsi, après le 25 août, la direction du Trésor, l’un des services « stratégiques » de la rue de Rivoli, connaît cette cohabitation symbolique de l’amalgame souhaité : Jacques Brunet reste directeur, mais il est secondé par plusieurs sous-directeurs, dont Guillaume Guindey (aux « Finances extérieures »), venu d’Alger, et François Bloch-Laine, résistant notoire de l’intérieur. Quelques mois plus tard, les deux hommes deviennent eux-mêmes directeurs. Au Budget, la direction est assurée, dès 1944, par des résistants d’Alger, F. Didier Gregh, puis Roger Goetze.
19Ainsi, aux Finances, la continuité administrative globale se trouve tempérée, au sommet de la hiérarchie, par la promotion d’un petit nombre de jeunes hauts fonctionnaires (issus du sérail), dont le patriotisme est incontestable, qui amorcent ainsi, pour la plupart, une longue carrière. La période de la guerre et de la Résistance contribue ainsi à rajeunir les plus hauts cadres administratifs : en retour, leur longévité à la tête des affaires de l’État — et, pour certains, des affaires privées ensuite — s’en trouve accrue.
20Au ministère de la Production industrielle, les directeurs sont remplacés en plus grand nombre qu’aux Finances18. Aux Transports, ils ont été tous maintenus19. Dans son Journal, René Mayer signale toutefois la campagne de presse, menée à l’automne de 1944, contre Le Besnerais, directeur général de la SNCF, dont il doit se séparer, début octobre20. L’épuration des CO et de l’OCRPI, plus délicate, car elle touche plusieurs centaines de responsables, s’étend sur une plus longue période. Elle s’insère dans la refonte des CO en Offices professionnels, abordée plus loin. Seuls, quelques responsables de haut rang ont été démis définitivement de leur fonction en septembre 1944 : Henri Culmann, secrétaire général à l’Organisation industrielle et commerciale, Jarillot, secrétaire général à la Production industrielle, Charbonneaux, directeur de l’Électricité et de Calan, directeur du Commerce intérieur21. Robert Lacoste veut suivre une voie moyenne, éliminant quelques-uns des répartiteurs ou des présidents de CO les plus compromis, tout en voulant conserver la plus grande part des responsables qui ont mis en place la répartition industrielle depuis 1940. La Commission d’Épuration de l’OCRPI, des Sections de Répartition, du CII et des CO est définitivement instituée par un arrêté du 15 janvier 1945. Cette date s’explique par l’adjonction tardive de représentants permanents du personnel des CO (un délégué CGT et un délégué CFTC, ce dernier sur la suggestion du président de la Commission, Marcel Poimbœuf). Or, le souci, exprimé de manière très ferme par le général de Gaulle à Robert Lacoste dans une lettre du 13 janvier 1945, d’en finir rapidement (le 15 mars 1945 !) avec l’épuration administrative, précipite le travail des 125 membres de la commission22. Le représentant de la CGT s’en inquiète auprès du MPI : « l’épuration ne fait que commencer. À part deux hypothèses, nous n’avons eu jusqu’à ce jour à nous prononcer que sur le cas de subalternes irresponsables. L’épuration reste à faire »23. La transformation des CO en Offices professionnels s’étale sur une bonne partie de l’année 1945. Parmi les quarante-six personnalités nouvelles, chargées d’y exercer les fonctions de commissaires provisoires, peu (moins du quart) y sont au titre de leurs responsabilités dans la Résistance : Jean-Pierre Lévy est nommé commissaire de l’Office de l’Industrie du Cuir, Georges Reber du Commerce. La plupart sont soit des fonctionnaires, soit des anciens membres des CO, soit des industriels. Les « experts » ont été préférés aux « patriotes »24.
3. L’État et l’épuration économique : sanctions individuelles contre condamnation d’une classe
La double lecture
21L’essor de la Résistance s’accompagne, non sans ambiguïté, ni contradictions, d’une volonté purificatrice ou rénovatrice d’autant plus prononcée que, dans une large fraction de l’opinion, les élites sociales sont largement assimilées au régime de Vichy et à ses drames. Le programme du CNR, publié le 15 mars 1944, reflétant la diversité des courants de la Résistance intérieure, prévoit le « châtiment des traîtres et (...) l’éviction dans le domaine de l’administration et de la vie professionnelle de tous ceux qui auront pactisé avec l’ennemi ou qui seront associés activement à la politique des gouvernements de collaboration ». Or, la confrontation des différents projets préparatoires au programme du CNR et l’examen d’autres réflexions contemporaines sur l’épuration, semblent montrer qu’il existe deux lectures du texte cité plus haut :
22— Pour les communistes et d’autres résistants des mouvements à leurs côtés, l’épuration n’est pas seulement une punition individuelle d’ordre politique, mais représente une condamnation sociale collective : l’épuration ne se distingue pas de la « suppression des trusts », responsables à la fois de la défaite, de la trahison et de la collaboration25. Yves Farge semble partager cette conception, dans le discours qu’il prononce place Bellecour, un mois après la libération de Lyon, en qualité de Commissaire de la République : « La justice patriote doit trouver son prolongement dans la justice sociale. C’est en dressant le réquisitoire d’une classe dirigeante défaillante que l’on rendra justice à tout un peuple qui n’a jamais capitulé (...) Il faut frapper vite, juste et fort »26.
23— Pour des dirigeants d’autres mouvements et courants de pensée — socialistes compris — signataires de la Charte (qui ne mentionne pas les « trusts »), l’épuration n’est pas directement dirigée contre les « trusts ». Elle est dissociée, dans le texte, des nationalisations, et apparaît comme la sanction individuelle d’un comportement politique explicite. Dans les services d’Alger, l’interprétation des formes de l’épuration — qui a fait l’objet d’études, tant au CGE qu’au commissariat à la Justice du CFLN — se rapproche d’autant plus de la seconde lecture qu’ils envisagent, le général de Gaulle en tête, à surseoir à toute réforme profonde avant des élections générales.
24L’épuration économique se met en place tardivement et fonctionne avec lenteur (l’ordonnance sur la Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration date du 16 octobre 1944). Des rivalités opposent le ministère de l’Économie nationale (où un service général de répression de la collaboration économique ne peut vraiment se mettre en place, faute de moyens, malgré la volonté de certains fonctionnaires) et le ministère de la Production industrielle. Or, nombreux avaient été ceux pour dire que l’épuration devait être rapide pour être efficace. La faiblesse des moyens et la difficulté des enquêtes, où se mêlent des affaires de nature fort hétérogène, conduisent à prolonger les travaux jusqu’en 1949 ! Dès les premières séances de la Commission, deux conceptions s’affrontent :
Celle des représentants de la CGT et de certains éléments de la Résistance, qui y voient l’occasion de condamner solennellement « les trusts », dans la lignée des mesures de séquestre prises dès la Libération à l’échelon local27.
Celle des représentants des grands ministères économiques (Production industrielle, Économie nationale, Travail), dont les objectifs principaux consistent à blanchir définitivement tous les chefs d’entreprises non reconnus coupables, afin de rétablir la paix sociale et d’éviter les bouleversements, au nom du relèvement économique28.
25Les dossiers, classés par entreprises, du Comité national interprofessionnel d’Épuration — dont nous avons déjà utilisé certains matériaux pour analyser la période de Vichy — révèlent par quels mécanismes le nombre global de condamnations effectives fut, somme toute, faible (de l’ordre de 1/7)29. Tout d’abord, ce sont des individus, toutes qualifications confondues, qui comparaissent (même si l’élément patronal représente plus de 70 %). La Commission doit instruire des cas d’ampleur très inégale. Ensuite, les griefs en matière de collaboration portent bien davantage sur les propos rapportés (en faveur de l’Occupant, de la Relève, ou du IIIe Reich, comme dans le cas de l’affaire de Francolor), que sur les pratiques à la direction des entreprises, d’ailleurs beaucoup plus malaisées à caractériser en matière de collaboration : Quelle a pu être la part de contrainte ? Quels ont pu être les profits retirés des commandes allemandes alors que, en 1944, le fléchissement général de l’activité les a, de toute façon, amoindris ? Quelle a pu être l’ampleur du sabotage volontaire, alors que les matières défectueuses se multiplient ? D’une manière générale, signe d’une prudence certaine — spontanée, contrainte ou calculée ? — les chefs d’entreprises se sont peu exprimés alors sur les éventuels bienfaits ou méfaits de l’Occupation (à la différence des professionnels de la parole, publicistes, journalistes ou littérateurs). Enfin, les commissaires du Gouvernement manifestent le souci de concentrer les principaux griefs de collaboration, à propos de quelques entreprises importantes, sur les plus hautes autorités politiques déjà condamnées ou disparues (Laval, Bichelonne) ou sur certains chefs d’entreprises très controversés (tel J.F..., président de Francolor). Cette concentration des accusations sur quelques têtes permet de blanchir toutes les autres, qu’il s’agisse des responsables de l’Administration ou des affaires privées30.
26À différents niveaux, l’État a donc amorti la poussée socio-politique rénovatrice issue de la Résistance et perceptible dans l’opinion, comme en témoignent, par exemple, les sondages portant sur l’opportunité des nationalisations31. Certains responsables de la Résistance attendaient de la Libération la promotion d’une « élite surgie du sang » (Yves Farge)32. Certains autres en escomptaient même un transfert social de responsabilités. Benoît Frachon, secrétaire de la CGT réunifiée, s’exprime ainsi en novembre 1944 : « Durant ces quatre années d’occupation, la classe ouvrière a fait mieux que poser sa candidature aux postes qui lui reviennent dans la gestion et la direction de l’économie et de la politique française, elle a fait la démonstration qu’elle était digne de les occuper »33.
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27La relève de l’État vichyste combine une assez grande continuité administrative des fonctions de direction économique et financière, avec la promotion de quelques hauts fonctionnaires et de la plupart des responsables politiques issus de la Résistance, surtout extérieure. La continuité sociologique et professionnelle est assez remarquable entre les nouveaux « décideurs », par rapport aux anciens. Au total, l’ordre social et administratif a été maintenu, malgré, ou plutôt grâce au renouvellement des hommes au sommet. Le déphasage entre l’État et l’opinion à cet égard résulte d’une triple surreprésentation (déjà notée, avant même août 1944) dans la préparation et la mise en place des organes dirigeants de l’État reconstitué à la Libération :
la surreprésentation de la Résistance extérieure par rapport à la Résistance intérieure.
la surreprésentation, parmi les résistants de l’intérieur, des « légistes » sur les combattants.
la surreprésentation des courants néo-libéraux par rapport aux courants socialisants ou, a fortiori, communisants.
II. LA LEVÉE DE L’HYPOTHÈQUE PMF (SEPTEMBRE 1944-AVRIL 1945)
1. « Trois mois d’efforts et de débats stériles » (Pierre Mendès France)
28Lorsque le général de Gaulle compose son gouvernement, le 9 septembre 1944, Pierre Mendès France devient ministre de l’Économie nationale, mais il faut encore près de trois mois avant qu’une ordonnance précise, le 23 novembre 1944, ses attributions et prérogatives. La question occupe l’ordre du jour de trois séances du Comité économique interministériel. Le premier projet de Pierre Mendès France, présenté le 9 octobre 194434, lui attribue la « direction d’ensemble » de la politique économique, la « préparation du Plan » et le « contrôle de son exécution ». Pour cela, il « oriente et contrôle » l’action des ministres chargés de la Production industrielle, de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Il se heurte à deux contre-projets, de Aimé Lepercq, puis de Robert Lacoste, qui souhaite, en vain, atténuer la subordination de son département. Mais le débat le plus vif porte sur la question des négociations internationales. Pierre Mendès France réclame « non seulement de centraliser et de coordonner la préparation des négociations économiques internationales, mais encore de les mener », conformément aux recommandations des groupes d’études d’André Philip et Jules Moch35. Or, le général de Gaulle intervient en personne pour limiter le rôle du ministre de l’Économie nationale à la préparation de la négociation qui, elle, « ne saurait être menée que par le ministre des Affaires étrangères », car, « il importe de centraliser toutes les relations avec l’étranger entre les mains d’une même personne »36. Pierre Mendès France doit s’incliner, le 16 octobre, après avoir toutefois posé la question en Conseil des ministres. D’autre part, les services de Hervé Alphand redoutent l’intégration du Secrétariat général du Comité économique dans le futur ministère. Ils proposent au général de Gaulle un compromis : envisageant l’« échec possible » du ministère de l’Économie nationale (alors qu’il n’est pas encore institué !), ils proposent le maintien d’« un Comité économique et d’un Secrétariat général fortement charpentés », comme recours. Une troisième séance est nécessaire, le 2 novembre 1944, pour aboutir au texte définitif. Dans ces discussions, c’est la direction de la politique économique internationale qui est apparue comme le terrain d’affrontement majeur. On va constater que son importance ne va pas cesser de croître.
29Officiellement, le ministre de l’Économie nationale décide à la fois de la politique économique quotidienne (il est Vice-Président du Comité économique interministériel : « toutes ordonnances, décrets, arrêtés ou décisions susceptibles d’avoir une répercussion sur l’ensemble de la politique économique » sont soumis à son contreseing) et des perspectives à moyen et long terme, notamment du Plan. L’organisation du ministère est fondée sur huit directions, ainsi que la DGEN (Direction générale à l’Équipement national), dont les travaux élaborés sous le régime de Vichy — la Tranche de démarrage — sont étudiés et publiés en novembre 194437. À l’exception de la direction du Plan et de la direction de la Documentation et des Études, qui ne sont pas encore véritablement constituées au début de 1945, le nouveau ministère hérite de l’essentiel des directions du Secrétariat général pour les Affaires économiques de Vichy. Pierre Mendès France s’appuie sur un cabinet de résistants, dirigé par Georges Boris, et maintient tous les directeurs, sous-directeurs et chefs de division en place sous l’Occupation (sauf le Directeur du Contrôle économique et celui des Relations économiques extérieures)38.
2. Un programme austéro-dirigiste
Plan et « réformes de structures »
30Au Conseil des ministres, le 17 novembre 1944, Pierre Mendès France fait un exposé (intitulé « Programme de travail du Ministère de l’Économie Nationale, octobre 1944-décembre 1945 »). Après avoir souligné l’importance de la pénurie, il énonce la nécessité d’un plan à la fois global et sélectif, c’est-à-dire fixant « un ordre d’urgence », « une hiérarchie des besoins » en vue de « la nécessité de reconstruire et rééquiper notre pays », « de manière cohérente et logique ». Il convient de suivre « inévitablement le même ordre » que le premier plan quinquennal russe, à savoir de consacrer la première étape du Plan à « l’équipement et à l’industrie lourde » (notamment les machines-outils), la seconde à « l’industrie semi-lourde et moyenne », la suivante à « la construction immobilière et le logement » et, enfin, à l’industrie destinée à servir les besoins de la consommation. « Cette hiérarchie sévère constitue pour nous un principe général, un fil conducteur ». Ce choix signifie des « sacrifices » sur la consommation, sur les salaires, qui, « pendant longtemps encore », n’assureront pas aux ouvriers le niveau de vie de 1938, ainsi que l’impossibilité de maintenir la semaine de quarante heures39.
31Cependant, de tels sacrifices ne seront acceptés que si le gouvernement prend quatre séries de mesures : des « réformes de structures », « l’assainissement monétaire », « le blocage des prix » et « l’orientation de la consommation ». Parmi les réformes de structures, Pierre Mendès France envisage surtout les nationalisations. Elles lui paraissent nécessaires à un double titre : politiquement, comme contrepartie démocratique à la politique de « sacrifices » imposée à la classe ouvrière ; économiquement, comme condition pour « placer la reconstruction matérielle dans un cadre coordonné et logique ». Cette conception des nationalisations comme moyen de ne pas reconstruire à l’identique est restée chère à Pierre Mendès France. Trente-quatre ans après, nous avons pu l’entendre citer le même exemple qu’en 1944 : il aurait été inepte de reconstruire les quelque 1 100 sociétés de production et de distribution d’électricité, alors que l’occasion se présentait de construire un réseau national cohérent40. La nationalisation doit affecter les éléments qui se trouvent « à la base de la reconstruction », soit, de manière urgente, le charbon (il juge la nationalisation des Houillères du Nord-Pas-de-Calais en bonne voie en novembre 1944), l’électricité et les banques, et, dans une deuxième étape, les assurances et une partie de l’industrie lourde, comme l’industrie de la machine-outil. Dans un texte de mars 1945, il précise la situation de ces différents secteurs à nationaliser, et ajoute la sidérurgie parmi les nationalisations urgentes41.
La cohérence économico-financière
32Ses propositions monétaires et financières sont déjà connues : Pierre Mendès France se fonde sur l’exemple de la Corse où, à son initiative, ont été décidés le blocage des comptes, ainsi que la restitution en espèces de sommes modiques. C’est la seule manière efficace, à ses yeux, d’éliminer le marché noir et de compenser les inégalités considérables de pouvoir d’achat. Il propose, d’autre part, de bloquer les prix, tant que le calcul des coûts sera impossible (du fait du ralentissement de la production), avant d’envisager des ajustements entre prix, salaires et loyers. Il envisage également une politique d’« utility goods ». Enfin, il préconise d’orienter la consommation, en alourdissant les impôts indirects sur les produits de luxe. Du fait de quatre « goulots » (transports, ports, fret et matières premières), il ne prévoit pas de reprise de la production avant l’été, voire l’automne 1945, d’autant plus que les trois derniers dépendent de la négociation avec les Alliés. Jusque-là, « il faut tenir notre front défensif, résister aux demandes qui, de toutes parts, risquent de l’enfoncer ». Cette période risque d’être particulièrement dure pour la classe ouvrière, du fait d’une recrudescence du chômage, d’où la nécessité de donner de « profondes satisfactions politiques »42.
33Pierre Mendès France articule ses objectifs de modernisation à long terme et les nécessités de la politique immédiate. Dans le court terme, trois séries de mesures — les nationalisations, la taxation des accroissements de fortune et la confiscation des profits illicites — réalisables à la seule condition d’effectuer un recensement général des fortunes au moment de l’échange et du blocage des comptes — ainsi que le blocage des prix, ont une fonction politique évidente : compenser, aux yeux des salariés et surtout de la classe ouvrière, les « sacrifices », réclamés au nom des priorités du Plan pour l’équipement. Mais chacune de ces mesures doit aussi étayer une politique sélective à longue portée en faveur des secteurs privilégiés par le Plan : les nationalisations permettent une grande politique nationale d’équipement ; le blocage donne la possibilité d’empêcher des consommations non prioritaires, alors que les déblocages peuvent être sélectifs, conformément aux orientations du Plan. L’État peut également prendre en charge certains amortissements et transformations d’outillages dans le cadre de la lutte contre la hausse des prix. La seule autre politique est celle de la « facilité » : c’est l’inflation. Cette politique s’inspire de principes explicitement keynésiens, connus à travers Georges Boris et Jean de Largentaye (premier traducteur de la Théorie générale), ainsi que par la politique britannique. Dans une situation de pénurie et d’inflation latente, la politique monétaire change de signe, par rapport à celle préconisée en période de dépression, et tend à comprimer la demande. D’autre part, PMF compte sur l’appareil dirigiste de Vichy pour faciliter cette compression : programme austère sur le terrain monétaire et financier, et dirigiste en matière économique. À ces remèdes techniques, PMF ajoute des « réformes de structures » hardies, telles les nationalisations, afin de ne pas laisser aux seuls communistes le bénéfice de mesures attendues d’une classe ouvrière, à laquelle des sacrifices vont être demandés.
34Un tel programme implique deux préalables ambitieux. L’un est monétaire (il s’agit des mesures de résorption, proposées en février), l’autre est institutionnel : seul un ministère de l’Économie nationale hégémonique peut mener à bien cette politique43.
3. Les obstacles à la réalisation
Une double opposition : Finances et Production industrielle
35La réalisation de ce programme de travail dépasse largement les moyens dont dispose le ministère de l’Économie nationale. De fait, les désaccords apparaissent avec Aimé Lepercq, jusqu’à sa mort accidentelle en novembre 1944, puis surtout avec René Pleven, à la fois sur la nationalisation du crédit, capitale pour Pierre Mendès France, « en raison du lien qui existe entre la nationalisation et l’assainissement monétaire », et sur la politique monétaire. Le texte de mars 1945 souligne les liens qui s’établissent entre la nationalisation, la ponction monétaire et le financement public sélectif de la reconstruction : « l’État se trouvera être le seul dispensateur du crédit... qui gérera seul (ou presque) la monnaie scripturale, de même que la Banque de France gère seule la monnaie fiduciaire »44. La nationalisation des banques de dépôts et le « contrôle » des banques d’affaires se trouvent à la base d’un projet d’ordonnance, distribué par le commissariat aux Finances, à Alger, dès le 21 août 1944, après discussion en première lecture au gouvernement : celui-ci donne son accord et autorise la soumission en son nom à l’Assemblée consultative, dont la Commission des Finances émet un avis favorable. La proposition, énoncée de nouveau le 17 novembre 1944 devant le Conseil des ministres, n’est pas suivie d’effet. De même, contrairement à l’avis de Pierre Mendès France, les banques d’Alsace-Lorraine sont restituées à leur propriétaire. René Pleven rétorque qu’il refuse de « bâcler » la nationalisation des banques, et qu’il ne suffit pas de « faire prendre par le Conseil des ministres une décision de quatre lignes ». Il ajoute, à propos du recensement des fortunes, qu’il n’a pas été « suffisamment préparé à Alger »45.
36Pour les nationalisations industrielles, Pierre Mendès France se heurte à Robert Lacoste. Au sujet des Houillères du Nord - Pas-de-calais, il propose une « nationalisation immédiate et rapide » de « tout ce qui est lié à l’exploitation minière ». « C’est, ajoute-t-il, ce qu’attend à l’heure actuelle l’opinion publique »46. Lacoste propose, le 26 octobre 1944, la réquisition temporaire, car « la politique gouvernementale ne doit pas engager définitivement la politique française sur les réformes de structures »47. Désavoué au Comité économique, il présente encore deux autres projets, avant que soit effectivement décidée l’ordonnance du 13 décembre 1944, qui ne clôt pas l’histoire de la mise en place de la nationalisation des houillères48. Dès septembre 1944, le ministère de l’Économie nationale saisit, à plusieurs reprises, le ministère de la Production industrielle sur la nécessité d’un projet d’ordonnance sur la nationalisation de l’industrie électrique. Robert Lacoste annonce la création, à la mi-octobre, d’une commission d’étude, nombreuse et hétérogène, qui ne tient sa première réunion que le 11 janvier 1945 et la seconde en mars, sans résultat. En mars 1945, Pierre Mendès France dénonce l’ajournement des nationalisations qui, souvent « équivaut à y renoncer définitivement », alors que le CNR et l’Assemblée consultative se sont prononcés sans équivoque (demande de délibération du 22 juillet 1944 — motion du 28 décembre 1944)49. Il fait adopter plusieurs décisions par le Conseil des ministres du 9 mars 1945 : le gouvernement invite le ministère de la Production industrielle à le saisir d’un projet d’ordonnance sur la nationalisation de la production et du transport de l’électricité, ainsi que sur la réforme de structure de l’industrie sidérurgique. Le 13 mars, le gouvernement charge le même ministère de mettre à l’étude la création d’une manufacture nationale des machines-outils. De même, le ministre des Finances est appelé à saisir « très prochainement » le gouvernement de propositions tendant à la nationalisation du crédit. Il semble que Pierre Mendès France ait largement surestimé la portée de ces déclarations, approuvées au plus haut niveau, il est vrai.
Modicité des moyens et lourdeur des tâches quotidiennes
37Certes, les moyens réels du ministère de l’Économie nationale sont modestes. Dans sa déclaration de novembre 1944, Pierre Mendès France insiste sur « l’absence d’informations et de renseignements sur l’économie française », sur la nécessité de regrouper les différents services de statistiques et de surmonter « l’esprit particulariste et autonomiste ». Signalant le « manque d’hommes de qualité », il avoue ne disposer que d’une « poignée de collaborateurs dont le dévouement ne compense pas le petit nombre »50. Il hérite surtout des intendants des Affaires économiques, mais il se heurte au ministère de la Production industrielle pour obtenir une partie des services statistiques de l’OCRPI, qui ne lui sont rattachés qu’en janvier 1945. D’autre part, les tâches quotidiennes sont très lourdes. Le ministère de l’Économie nationale propose les arbitrages de répartition des matières premières et du charbon, au sein du Comité économique. Mais l’imprécision des estimations, les aléas des approvisionnements et de la production font qu’il faut rectifier fréquemment : ainsi, les décisions de répartition du 30 mars doivent-elles être modifiées, dès le 27 avril51. De plus, la sous-répartition, effectuée par les Comités d’organisation, maintenus, progressivement réduits et très inégalement renouvelés dans leur direction, se manifeste par sa rigidité, ses retards, ses erreurs. Les Comités d’organisation sont progressivement transformés en Offices professionnels. Une brochure du ministère de la Production industrielle, intitulée Production et Liberté, signale, en septembre 1945, que les 128 comités d’organisation ont été réduits à 59 Offices professionnels. Parmi les cinquante-cinq commissaires provisoires nommés, quarante-six sont nouveaux, mais, parmi eux, dix sont des anciens agents des Comités d’organisation. D’autre part, les Offices professionnels sont d’importance inégale et certains commissaires en administrent plusieurs52. Robert Lacoste signale d’ailleurs à Pierre Mendès France : « J’éprouve de graves difficultés à trouver les personnalités compétentes, surtout en raison des rémunérations offertes »53.
38Les services de l’Économie nationale prévoient que les ministères techniques fourniront, avant le 1er décembre 1944, l’estimation de leurs ressources et de leurs besoins pour le premier semestre 1945, mais les délais ne sont pas respectés, et la programmation ne peut se faire avec précision. Le MEN dispose également de la fixation des prix, grâce à une ordonnance, approuvée par le Comité économique du 17 mars 1945, qui maintient dans ses grandes lignes le contrôle des prix de Vichy. A long terme, cette ordonnance fixe, pour quarante années, les fondements de la réglementation des prix en France. Mais, dans le court terme, le contrôle des prix est entravé par le fait que le ravitaillement est désorganisé, inefficace et la collecte très inégale54. La situation est d’autant plus difficile à dominer que de nombreux approvisionnements, figurant dans le plan d’importations, élaboré par Jean Monnet en novembre 1944, dépendent du système allié des Combined Boards. Or, l’État-Major allié ne donne des ordres d’expédition qu’après examen de justification pour chaque demande. Les relations avec le gouvernement français sont extrêmement tendues pendant tout l’hiver 1944. La France ne dispose ni des ports, ni du fret. Jean Monnet joue un rôle décisif pour négocier des assouplissements de procédure, jusqu’à la signature des accords de prêt-bail du 28 février 1945. Et Hervé Alphand ouvre le plus souvent l’ordre du jour des séances du Comité économique interministériel par l’examen des « négociations en cours ». Tout ce pan de la politique économique échappe au ministère de l’Économie nationale.
Le Plan impossible
39Le court terme commande. Mais les déboires de l’« économie dirigée » n’expliquent pas à eux seuls les difficultés du ministère de l’Économie nationale à engager la réflexion sur la reconstruction et la modernisation. L’équipe de Boris rassemble les données d’un Plan, mais sans vraiment répondre aux ambitions de la déclaration de Pierre Mendès France de novembre 194455. De toute façon, les obstacles surgissent, dès qu’il s’agit d’élaborer les cadres institutionnels de la planification. À la séance du 15 janvier 1945, Pierre Mendès France soumet au Comité économique interministériel un projet d’ordonnance « relative à l’application du plan national et au classement de certaines entreprises essentielles ». Le Comité décide de ne pas y donner suite. L’opposition est venue, en particulier, de Raoul Dautry et de Robert Lacoste56. Avant même la discussion, les services de Hervé Alphand ont émis des réserves (rigidité, exclusion du Secrétariat général du Comité économique, absence d’arbitrage) et s’inquiètent de voir le ministère de l’Économie nationale et le Conseil Supérieur du Plan (pas encore constitué) jouer un rôle dirigeant dans la détermination des priorités parmi les entreprises, à la fois dans le court terme de l’économie de guerre et le moyen terme de la reconstruction planifiée57.
4. Réflexions sur un échec
40La plupart des réflexions portant sur l’échec de Pierre Mendès France en 1944-1945 traitent surtout de sa politique monétaire58. Chronologiquement, sa démission intervient peu après la décision de « remise en ordre des salaires » au Comité économique interministériel59. Il est certain que le rejet de l’échange des billets avec blocage a joué un rôle décisif sur le moment qu’il a choisi pour quitter le gouvernement.
Objections techniques et choix socio-politiques
41Le rejet s’explique à la fois par des raisons techniques et politiques. Un rapport, rédigé par un fonctionnaire de la Production industrielle, signale, à propos de la Corse, que le blocage a conduit « à paralyser l’activité », et combien son application à l’ensemble du territoire risquait de créer chez le paysan « la défiance à l’égard du billet de banque »60. Il est vraisemblable que cela aurait rendu le ravitaillement impraticable, à un moment où l’on constate déjà une « véritable fuite devant la collecte »61. « L’éleveur refusera d’autant plus de vendre qu’il redoute une opération monétaire », menace Paul Ramadier, ministre du Ravitaillement, qui signale l’ampleur de l’abattage clandestin62. « Nous n’avions pas les moyens de cette politique », reconnaît Gaston Cusin, alors commissaire de la République à Bordeaux. Cependant, Pierre Mendès France n’ignore pas les difficultés tragiques du ravitaillement : « Le rationnement se dévore lui-même », écrit-il à Robert Lacoste, deux jours avant sa démission63. Mais sa situation est paradoxale : pour assurer le ravitaillement, il compte sur le « rationnement monétaire », alors que la direction de la politique monétaire dépend de René Pleven qui, lui, s’y refuse pour les raisons inverses. En outre, un autre problème technique faisait obstacle : les billets neufs nécessaires à l’échange n’étaient pas disponibles64.
42Le désaccord avec les Finances est, en fait, plus profond et porte sur l’ensemble de la politique du ministère de l’Économie nationale, à court comme à moyen terme. La lettre que Pierre Mendès France envoie à Pleven, le 4 avril 1945, afin de lui expliquer les motifs de sa démission, éclaire bien ce point. Pierre Mendès France voit dans le refus des mesures de blocage l’action de la Banque de France qui « a naguère imposé la déflation » et « aujourd’hui, toujours au nom de la confiance, exige une politique qui mène à l’inflation ». Il ajoute : « De même que l’appel à la confiance devait entraîner l’abandon de la politique d’assainissement, de même il devait vous porter à ajourner les réformes de structure. Je n’ai pas été surpris lorsque vous avez différé la nationalisation du crédit de plusieurs mois ; mais il en est de cet ajournement comme de celui de l’assainissement monétaire. Vous êtes pris dans un engrenage qui vous empêchera de réaliser l’un, comme il vous a empêché de réaliser l’autre... Votre politique est aussi logique que la mienne est cohérente »65.
43Il s’agit de l’opposition entre deux choix politiques. La position de Pierre Mendès France est pessimiste : ne comptant pas sur une reprise avant l’été 1945 et envisageant une limitation stricte de la consommation, il mise surtout les nationalisations et la taxation des profits, pour faire accepter cette politique par les salariés. René Pleven ainsi que la majorité des membres du gouvernement du général de Gaulle réduisent le nombre des nationalisations à celles qui ne peuvent être évitées (Houillères du Nord - Pas-de-Calais, Renault, Air France, Gnôme et Rhône), mais ne veulent pas s’aliéner la paysannerie, ni les petits entrepreneurs détenteurs de billets. De plus, ils ne peuvent ignorer l’engagement des communistes dans ce que ceux-ci appellent, depuis septembre 1944, « la Bataille de la Production ». Pierre Mendès France avait annoncé en novembre 1944 : « on ne peut ajourner en même temps les réformes de structures et le démarrage économique ». René Pleven pense échapper aux premières, en acceptant le second. Alors que Pierre Mendès France veut s’engager dans une politique sélective, conforme aux orientations du Plan, Pleven envisage de faciliter la tâche à tous les producteurs, d’où la relative faiblesse de ses mesures fiscales sur la fortune, les enrichissements et les profits illicites, ainsi que la tentation de l’inflation.
44De plus, le débat Pleven-PMF coïncide avec un événement extérieur important, ce qui n’a pas été suffisamment souligné. C’est en février 1945 que Jean Monnet obtient la signature des accords de prêt-bail avec Washington : accords « inespérés » dans leur générosité, commente René Pleven, le 19 février, au CEI66 Les facilités financières obtenues, qui allègent pour le Trésor le fardeau des importations, ne permettent-elles pas d’envisager de faire l’économie des remèdes austéro-dirigistes de PMF ? C’est ainsi que les services d’Hervé Alphand commentent l’événement, pour le général de Gaulle : « [Les accords] permettent à notre économie de se relever sans qu’elle soit obligée de subir les règles sévères qu’une trésorerie appauvrie serait en droit de lui dicter »67.
PMF victime d’un consensus hostile ou de positions peu conciliables ?
45Les opposants aux choix de Pierre Mendès France forment une « coalition hétéroclite », mais aux arguments fort dissonnants68. Ainsi, si les communistes critiquent le ministre de l’Économie, c’est parce qu’il n’envisage pas dans le présent « la remise en route de tout ce qui reste de notre capacité de production », parce qu’il ne combat pas « l’absence de volonté de procéder à l’épuration » ou la « peur des initiatives populaires »69. Quant aux mesures monétaires de Pierre Mendès France, les communistes ne croient pas à leur efficacité, notamment parce que « les trusts et les grosses fortunes pourront y échapper par des transactions sur l’or, les devises ou la spéculation des stocks ». Cela n’empêche pas Jacques Duclos de dénoncer la trop grande timidité des projets de René Pleven sur la confiscation des profits illicites et le prélèvement sur les grosses fortune705. Certes, Pierre Mendès France parle de « l’accession de classes nouvelles aux responsabilités collectives ». Il évoque d’ailleurs la « déception » éprouvée par « ceux qui placent les réformes de structure au rang de leurs revendications principales », « en constatant qu’une mesure de nationalisation n’entraîne guère de changement dans la composition ou l’esprit de la direction des cadres »71. Et cependant, face au projet d’ordonnance d’Alexandre Parodi instituant les comités d’entreprises, il craint qu’ils n’aient « des pouvoirs trop étendus en matière économique »72. Et c’est sur sa demande, que le Comité économique interministériel décide « de ne communiquer au comité d’entreprise que les documents présentés à l’assemblée générale des actionnaires », de supprimer l’article 2 (sur l’assistance éventuelle d’un expert comptable) et de relever l’âge électoral de 18 à 21 ans (alors que l’exposé des motifs le prévoyait à 18 ans, à cause de la participation des jeunes à la Résistance)73. Il a, d’autre part, limité, pour des raisons d’efficacité, les changements parmi les responsables comme parmi les institutions. Il est clair que, pour Pierre Mendès France, « la France ne dispose pas d’équipe de rechange »74, autre point qui ne peut que le séparer des communistes, dénonçant le « préjugé des connaissances techniques »75.
46Trop « austère » dans sa politique des salaires aux yeux des communistes et d’une partie des socialistes, trop « dirigiste » pour les libéraux ou néolibéraux de l’entourage du Général, le programme de PMF manquait d’appuis à la mesure de ses ambitions. De surcroît, il a manifesté ses propres incertitudes sur l’étendue de la démocratisation qu’il entendait mettre en œuvre. Dès lors que l’hypothèque PMF est levée, René Pleven cumule direction des finances et de l’économie.
III. L’INTERMÈDE PLEVEN OU LES INCONVÉNIENTS CUMULÉS D’UN SYSTÈME HYBRIDE (AVRIL 1945-JANVIER 1946)
47Alors que la pénurie, notamment charbonnière (en avril 1945, le niveau de production n’atteint que 60 % de celui d’avant guerre) et alimentaire, est loin d’être résorbée, la démission de PMF signifie, sur le terrain financier, la victoire de la méthode libérale de l’emprunt sur la solution dirigiste du blocage. Dans le domaine économique, elle accroît les incertitudes. Héritant de l’appareil dirigiste de Vichy, René Pleven, en souhaitant ranimer de manière précoce des ajustements libéraux, tout en réunissant les fondements d’un Plan, se trouve à la tête d’un appareil de direction hybride qui ne parvient pas à accompagner le relèvement de la production de l’assainissement commercial, financier et monétaire.
1. Intégration et réforme de l’Économie nationale
48L’Économie nationale est désormais placée sous l’autorité du ministre des Finances, comme au temps de Vichy. Elle est confiée à Gaston Cusin (ancien collaborateur de Vincent Auriol et commissaire de la République à Bordeaux, alors secrétaire général du CEI), qui prend le titre de Délégué à l’Économie nationale et dispose de toute latitude pour diriger ses services76. Les archives de Gaston Cusin contiennent les projets successifs de réorganisation des directions de l’Économie nationale. En juin, il propose à René Pleven la concentration des neuf directions issues du décret de novembre 1944 en six nouvelles (Organisation économique, Plan, DREE, Coordination, en sus de la direction du Personnel et de celle du Contrôle économique), ainsi justifiée : « le MEN, qui n’a jamais réussi, depuis douze ans, à asseoir son autorité, ne s’imposera que si les affaires qui lui sont soumises sont traitées rapidement, dans un esprit qui fasse prévaloir les considérations économiques sur la « déformation budgétaire » qu’on reproche à ses fonctionnaires »77. Proposant plusieurs projets successifs, il se heurte à la Production industrielle, qui souhaite lui ôter le contrôle de la politique des prix et de la répartition78. En septembre, René Pleven propose une réorganisation des services du ministère de l’Économie nationale. Considérant que, jusqu’à cette date, la combinaison de l’élaboration du plan, de la détermination de la politique à long terme et de la conduite des affaires courantes est restée sans solution, à cause des « mauvaises habitudes administratives » et « des oppositions de personnes », il propose de simplifier l’organisation des services en réduisant le nombre de directions, dont la « multiplicité ne permet pas à un seul homme de contrôler leur activité »79. Dans une première étape, il prévoit de les réduire à six, puis dans un délai de deux mois, à cinq : Contrôle économique, Plan et Documentation (d’abord dissociés, puis réunis), Prix et Organisation économique, Programmes, Relations extérieures. Reprenant les termes de la note de Gaston Cusin, René Pleven fait approuver le projet par le CEI, le 25 octobre 1945, malgré quelques controverses avec Robert Lacoste, qui conteste l’autorité du MEN sur la répartition et sur le Plan80.
2. La direction quotidienne de l’économie et des finances : le dirigisme ambigu et ses déboires
La thérapeutique financière libérale : emprunt et échange sans blocage
49L’« emprunt de la Libération », clos le 20 novembre 1944 — il coûte la vie à Aimé Lepercq, victime d’un accident de voiture dans le Nord, lors de la campagne pour les souscriptions — rapporte 135 milliards pour 1944 (et soixante-deux pour 1945). Il permet de couvrir 60 % de l’impasse en 1944 et encore 20 % en 194581. Le Trésor bénéficie — mais cette fois-ci pour le crédit à long terme — des facilités offertes par la pléthore de liquidités sans opportunités d’emploi. La circulation fiduciaire, qui était passée de 500 milliards à la fin de 1943 à 650 milliards à la Libération, retombe à 572 milliards, à la fin de 1944. « Inutile et malhonnête », selon François Bloch-Lainé, l’emprunt est assorti de conditions de rémunération peu généreuses (rentes perpétuelles à 3 %, émises au pair), si l’on songe à l’accélération contemporaine de l’inflation82. Ces conditions ne sont pas étrangères, à terme, aux difficultés de placement d’émissions ultérieures (il faut attendre 1949, si l’on excepte l’emprunt libératoire de 1948) et à la régression relative du crédit à long terme dans la couverture de l’impasse. Il était tentant, pour le Trésor, de prolonger les pratiques de l’Occupation, et profiter du faible coût de l’argent. Mais les contraintes de l’Occupation n’étaient plus là pour préserver (relativement) par la répression la valeur de la monnaie. À l’emprunt s’ajoute, en juin et juillet 1945, un échange des billets, mais sans blocage, et le vote d’un impôt de « solidarité nationale »83. Les réticences exprimées par René Courtin dans le Rapport du CGE à l’égard du projet de PMF ont triomphé. L’échange des billets entraîne une réduction de la circulation fiduciaire d’environ 200 milliards, mais largement compensée par un accroissement de la monnaie scripturale, dont le Trésor peut profiter pour ses besoins de court terme. La résorption nette de la masse monétaire globale — équivalant aux billets non présentés — atteint environ vingt milliards, soient à peine 5 % de la circulation fiduciaire qui, à la fin de 1945, représente environ la même valeur (en francs courants) qu’un an plus tôt, soit 570 milliards84. Comme l’avaient redouté certains par avance, l’opération d’échange s’avère assez illusoire, quant à l’élimination des billets « impurs » de l’Occupation. Le résumé des rapports des secrétaires généraux aux Affaires économiques indique, pour la première quinzaine de juin, au sujet des « plus grosses remises » : « ce sont en général des gens de condition assez modeste qui les ont effectuées : garçons-coiffeurs, barmans, chauffeurs de taxis,... Il semble bien que les gros bénéficiaires de la période d’occupation s’étaient dessaisis de la plus grande part de leur papier-monnaie »85.
L’impossible « conciliation de la liberté et de la contrainte »
50D’autre part, les réticences (connues) de René Pleven et de son ministre du Ravitaillement, pourtant socialiste, Paul Ramadier, à l’égard de l’« économie dirigée » ne peuvent manquer d’en affaiblir l’efficacité auprès des producteurs, notamment agricoles. Le secrétariat général du CEI s’inquiète, en mai 1945, des difficultés du ravitaillement provenant « essentiellement du faible rendement de la collecte »86. Pleven et Ramadier s’engagent, au printemps de 1945, dans des expériences de « liberté de prix », qui s’avèrent inopportunes. Ils procèdent ainsi contre les avis des services de l’Économie nationale, en particulier les secrétaires généraux aux Affaires économiques : ce sont les anciens « intendants » de Vichy, maintenus pour la plupart par Gaston Cusin, qui ne leur a souvent fait effectuer qu’un « tour de valse », en les changeant de région87. Devenus les cadres du dirigisme pendant l’Occupation, ils constituent le principal groupe de pression en faveur de son maintien88. Le scepticisme de René Pleven à l’égard du blocage décidé par PMF apparaît profond. Dans la lettre personnelle qu’il lui envoie, le 17 avril, il accuse : « Croyez-vous que le blocage des prix que vous avez imposé envers et contre tout jusqu’à ces dernières semaines a été favorable à une reprise de la production ? non seulement vous n’avez pas favorisé la reprise de la production, mais vous l’avez comprimée »89. Le bilan d’une première expérience de « secteur libre » pour les fruits et légumes, tentée au même moment, « semble être un échec », à la réunion des secrétaires généraux du 26 mai. Un « silence général » succède à la question, posée par René Pleven, de savoir si le système a donné satisfaction dans une quelconque région de France90. Le procès-verbal conclut : « Les consommateurs placés devant l’alternative d’avoir des fruits et des légumes en abondance, mais à des prix élevés ou des fruits et légumes en quantités bien infimes, mais à des prix plus abordables, semblent se prononcer pour la seconde solution »91.
51Mais la décision la plus funeste pour l’évolution ultérieure a été celle prise par Christian Pineau — ministre (également socialiste) du Ravitaillement, qui remplace Ramadier en mai — de supprimer les Commissions d’Achat, les impositions de bétail et la taxation à la production de la viande. Il est vrai que, en mai, Paul Ramadier a parlé d’une « situation catastrophique » de l’approvisionnement, et René Pleven d’une « crise d’autorité » de l’État, qui ne parvient pas à se faire respecter par certains préfets, pour les pourcentages de réalisation du plan d’approvisionnement2. Et en juillet, les secrétaires-généraux constatent : « ... les agriculteurs considèrent les fournitures au Ravitaillement comme une contrainte inadmissible dans la conjoncture actuelle »92. Jouant l’apaisement à l’égard des producteurs, René Pleven espère annuler la hausse des prix par une politique de subventions pour les denrées alimentaires, décidée au CEI, le 11 septembre 194593. Elles représentent 85 milliards pour 1945, soit un cinquième des dépenses budgétaires. Les prix de détail ont été certes fortement relevés, mais cela n’empêche pas les prix à la production de s’envoler. Les secrétaires généraux aux Affaires économiques commentent ainsi l’initiative ministérielle, quelques semaines plus tard : « L’annonce de décisions d’un caractère plus libéral, de la part du gouvernement, quoique accueillies d’abord avec un certain scepticisme, tend à créer un incontestable apaisement. Mais elle détermine en même temps les agriculteurs à considérer comme caduques les réglementations, avant même qu’elles soient abrogées et remplacées par un nouveau régime »94.
52L’impossibilité pour l’État, à partir du printemps 1945 (et jusqu’en 1948) de maîtriser le prix de la viande en fait le prix directeur des produits alimentaires et contribue à précipiter l’inflation. Le système dirigiste, pour fonctionner, ne peut admettre de faille : dans ce cas, les prix, tenus jusque-là, s’engouffrent dans la brèche et s’alignent sur ceux des denrées déviantes. La situation s’est encore aggravée par l’annonce de la suppression de la carte de pain avant les élections d’octobre 1945, malgré les avertissements des secrétaires généraux quant à l’insuffisance des stocks de farine95. Dans une note rétrospective, Burnod, directeur général du Contrôle économique, ancien collaborateur de Gaston Cusin aux Douanes, souligne l’incohérence entre le maintien des organes vichystes de direction par les prix et les quantités, et la tentative d’ajustement libéral pour la viande (à la production). Il incrimine cette décision dans l’accumulation des déboires ultérieurs : « ... la suite des événements était inscrite dans ces décisions (...) En quelques semaines, le marché s’est trouvé en pleine anarchie. Dès lors, ni la taxation au stade du grossiste, ni l’institution du double secteur ne pouvaient apporter de solution satisfaisante : les éléments indispensables à une politique des prix avaient été éliminés »96. Et il souligne le caractère « illusoire » d’un système hybride : « Il est illusoire d’affirmer le principe de la concurrence et de le corriger par la fixation de « prix normaux ». Les conclusions qui ressortent des diverses « expériences » de la viande sont rigoureuses : la conciliation de la liberté et de la contrainte est impossible ; il n’est permis de faire alterner l’une et l’autre à des stades divers de la commercialisation, ni de laisser coexister l’une et l’autre dans des secteurs distincts, ni même de corriger la concurrence par une taxation aux manifestations occasionnées et détournées »97. En particulier, le système du « double secteur » exclut toute possibilité sérieuse de contrôle : « Cette situation a multiplié les frictions, exposé mes services à des difficultés et à des incidents et alimenté les critiques contre l’économie dirigée »98. Cette situation a été amplifiée par les dérogations préfectorales, qui aboutissent à renforcer « l’autarcie départementale ».
« Le fonctionnement défectueux de la répartition et du rationnement »
53L’« économie dirigée » ne fonctionne guère mieux pour la répartition des produits industriels de consommation.
54Peu avant la démission de PMF, Raymond Dreux, ancien responsable de la Section centrale de l’OCRPI sous Vichy devenu le directeur de la Répartition au MEN, alerte Georges Boris sur « le rétrécissement progressif en quantité et en valeur du volume des affaires correspondantes des produits rationnés » et le « développement parallèle du marché noir »99. Pierre Mendès France reprend les termes de cette note dans la lettre qu’il adresse, le 23 mars, à Robert Lacoste. Il met en cause le « fonctionnement défectueux de la répartition et du rationnement »100. Il apparaît, à travers les enquêtes de la direction de la Répartition, que les contingents de produits rationnés à répartir ne cessent de se réduire, parce qu’établis sur la base des déclarations de production des industriels, de moins en moins contrôlées, partant, de plus en plus inexactes. Ainsi « le rationnement se dévore lui-même »101. La diminution du nombre des titres de rationnement distribués aux consommateurs — du fait de la part croissante de production soustraite aux déclarations réglementaires — les rejette vers le marché noir. Dans les documents internes, Dreux, Boris et les responsables du MEN mettent en cause les défaillances de la Production industrielle : « L’origine essentielle de cette situation peut être recherchée dans le flottement qui apparaît au sein du ministère de la Production industrielle à l’égard des problèmes du rationnement. La disparition du Répartiteur général de POCRPI aboutit à disperser les questions relatives au rationnement entre les sections de répartition sans qu’aucun effort de regroupement n’ait été envisagé en contrepartie »102. Seul le service du Rationnement de la direction du Commerce intérieur du MPI, aux moyens réduits, est chargé, sans y parvenir, de coordonner le rationnement, qui, en grande partie, se trouve ainsi livré à la discrétion des organes locaux et départementaux, dont les responsables sont souvent encore ceux de l’Occupation. Yves Farge s’en plaint dans un rapport d’avril 1945, dans lequel il reproduit une étude du préfet du Rhône Longchambon — futur ministre du Ravitaillement — où celui-ci précise la multiplicité anarchique des organismes collecteurs103. Les enquêteurs du MEN signalent que, à l’exception de la vaisselle et des appareillages électriques, le rationnement apparaît complètement désorganisé et illusoire. Dans le cas des textiles, un rapport de l’Inspection des Finances de 1942 signalait déjà que, faute de surveillance au niveau de la production, le rationnement était « une escroquerie envers le public »104. Il s’agit, en l’occurrence, non pas de la désorganisation d’un service existant, mais de « l’effondrement d’une façade derrière laquelle il n’y a jamais rien eu »105. PMF, sans être ouvertement aussi sévère que ses services, s’adresse toutefois fermement à Robert Lacoste. Il déplore l’absence d’un service capable de poursuivre l’étude systématique et l’exécution du rationnement. Se référant à un discours de Churchill sur l’entrée du monde dans une « ère de restriction », il défend l’idée « que le rationnement doit constituer un élément durable de la politique économique du Gouvernement (...) le moment n’est pas venu de relâcher, mais au contraire de renforcer, l’exécution des services du rationnement »106. Les responsables de l’Économie nationale envisagent soit de demander une réorganisation vigoureuse de la répartition par la Production industrielle, soit une reprise en main par leurs propres services. Mais ni l’une, ni l’autre ne se précisent après la démission de Mendès France. Quelques semaines plus tard, Dreux signale le « caractère tragique de notre situation industrielle » : « Dans pratiquement tous les secteurs, les programmes envisagés, et même approuvés, sont loin d’être respectés »107. Il précise que les décisions prises par le CEI en matière de répartition des produits industriels de consommation sont « pour une large part techniquement inapplicables », et que le MPI se refuse à communiquer les différents budgets de répartition et programmes de production. Les deux directions responsables d’une « planification » (la direction de la Coordination industrielle au MPI et la direction de la Répartition du MEN) parviennent à communiquer, mais les difficultés de liaison se manifestent avec les directions du MPI : « Si une autorité réelle ne se manifeste pas dans ce Département tous les efforts actuellement poursuivis en vue de mettre de l’ordre dans l’économie française sont voués à un échec certain »108. Après la fin du conflit, en septembre, la situation n’est guère améliorée : « tantôt il y a des marchandises et pas de bons, tantôt des bons et pas de marchandises »109.
55À la suite d’une politique également hybride, laissant en place les organes locaux de répartition, tout en désorganisant l’appareil central mis en place sous l’Occupation, le MPI, comme le ministère du Ravitaillement pour les produits agricoles, s’avèrent incapables de faire coexister réglementation et rétablissement progressif de l’offre disponible. Dès la fin de 1945, il apparaît que l’appareil de direction Vichyste des prix et des quantités est à la fois partiellement maintenu par certains de ses rouages et devenu inefficace.
3. Le MEN et le Plan : Plan à petits pas ou « Plan-Arlequin » ?
La vaine constitution de la direction du Plan
56Du temps de Mendès France, la direction du Plan reste à l’état de projet. L’ordonnance constitutive du MEN avait prévu à la fois une direction du Plan et une direction de l’Équipement national (héritière de la DGEN de Vichy). Mais, du fait des doubles emplois, dès décembre 1944, il est décidé de ne conserver qu’une seule direction du Plan. Les retards proviennent alors de « la lenteur du Département de la Justice et de l’Intérieur pour régler le problème de M. Surleau »110.
57L’organisation interne primitivement envisagée comprend un Bureau du Plan, « organe pensant », dont Georges Boris assure le secrétariat général (après que, semble-t-il, Robert Marjolin ait refusé le poste, pour rejoindre Jean Monnet)111. Sont « pressentis » dans ce Bureau, outre Boris, des « experts » (Pirou, Joliot-Curie, Sauvy), des industriels (Lefaucheux ou Cacaud), un syndicaliste ouvrier (Bothereau), deux représentants agricoles (Lemoigne ou Lefebvre). Les services de la direction eux-mêmes reprendraient les sections centrales de l’ancienne DGEN. Le directeur n’est pas encore désigné, lorsque Mendès France démissionne (Bizot, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, en est le directeur adjoint). Monteil, ancien collaborateur de Vincent Auriol, dirige le secrétariat du Conseil supérieur du Plan, organe délibératif chargé de discuter le Plan112. En septembre 1944, Georges Boris a envisagé un Conseil supérieur du Plan composé de représentants des ministres, des grands organismes de crédit, d’économistes et de trois délégués du CNE. Mais, au printemps 1945, à la suite notamment des inquiétudes de dirigeants de la CGT, « cette composition a semblé insuffisante car, à caractère administratif trop marqué, elle accordait peu de place aux forces économiques du pays »113. Lorsque, le 2 mars 1945, le général de Gaulle annonce à la Consultative la reconstitution du Conseil national économique (CNE), supprimé depuis le 20 décembre 1940, il est alors question de le fusionner avec le Conseil supérieur du Plan.
L’expérience avortée du Conseil de l’Économie nationale
58Par un arrêté du 27 juin 1945, René Pleven crée un Conseil de l’Économie nationale de quinze membres, comprenant des industriels (Pierre Ricard, Paul Charlin, Henri Fayol, Léon-Georges Pinet), des commerçants (Pierre Fournier, André Roussel), des représentants agricoles (Philippe Lamour, Anthelme Lyonnet), des syndicalistes ouvriers (Léon Jouhaux, Pierre Le Brun, Louis Saillant, Gaston Tessier), ainsi que deux délégués de la Consultative (Albert Gazier et Roger Schwob) et Louis Armand, directeur de la SNCF114. On trouve dans les papiers de Gaston Cusin les procès-verbaux des premières sessions et des groupes de travail. Lors de la première réunion, le 19 juillet 1945, René Pleven, qui évoque « la fatigue générale de la population », formule un diagnostic sur la situation économique, particulièrement pessimiste sous trois aspects : « le manque de charbon freine actuellement notre effort industriel » (...) « l’outillage français à vieilli » (...) [il mentionne une moyenne de trente ans contre six aux États-Unis] (...) quel que soit le résultat des efforts accomplis ou à faire, nous resterons tributaires de l’étranger »115. Il est décidé de dresser un « inventaire » des ressources, qui doit être mis à jour périodiquement afin de bâtir ensuite un plan de remise en route : « Il s’agit de remplacer toutes les pièces d’une automobile pour en faire une neuve, sans, pour cela, cesser de l’utiliser », résume le ministre des Finances116. Plusieurs commissions sont alors créées (entreprises essentielles ; modernisation des entreprises ; équipement et modernisation de l’agriculture ; répartition ; coût de distribution ; reconstruction et équipement). Elles travaillent pendant l’hiver 1945-46, à la fois sur des questions immédiates et de plus long terme, d’ordre micro et macroéconomique117.
Le Plan à petits pas
59Un premier inventaire des ressources est présenté à la séance plénière du 27 août 1945118. Deux conceptions s’affrontent. Tout d’abord, Léon Jouhaux affirme : « Il y a un plan d’ensemble à établir ». René Pleven, quant à lui, pense que l’idée de bâtir une direction du Plan en 1944 n’était pas bonne, mais qu’il convient de créer un Conseil du Plan, composé d’hommes pris hors de l’Administration pour « leur expérience pratique ». Mais il rejette l’idée d’un plan immédiat : « il fait faire une analyse avant de faire la synthèse (...) Le Plan sera plus facile à dresser si les études effectuées dans les différents secteurs permettent de connaître de façon très précise les besoins de chacun d’eux (...) et leur degré d’urgence »119. Gaston Cusin, pour l’Économie nationale, penche également pour une élaboration progressive du Plan : « C’est par une synthèse progressive que le Conseil arrivera au plan qui est une synthèse définitive. Pour l’instant, nous sommes encore dans l’ère des programmes »120. Philippe Lamour résume la démarche des responsables des finances et de l’économie : « le travail consiste à établir une série de plans et à ajuster ces plans partiels à un plan général ». Il est décidé de répartir les différents secteurs entre les différents membres du Conseil et d’établir à l’Économie nationale des « monographies » sur les diverses branches, afin de préciser l’inventaire (on en trouve la trace dans les papiers de Cusin)121.
60Ainsi, se manifeste, aux Finances comme à l’Économie nationale, la conception d’un pian établi de manière progressive et ajusté à la politique de court terme. Et, à la séance du 11 septembre, le Conseil débat du programme d’importation pour 1946122.
Georges Boris et le « Plan-Arlequin »
61Un responsable de l’Économie nationale manifeste cependant son désaccord avec la conception d’un Plan à petits pas, dès la séance du 27 août. G. Boris parle de la nécessité d’un « cadre général qui aurait été tracé d’abord »123. Un mois plus tard, il rédige un document de 25 pages intitulé : « La politique du plan : choix nécessaire »124. Il commence par constater la « floraison » des plans qui sont « à l’ordre et à la mode du jour ». Il n’est pas d’administration, il n’est pas d’industrie qui n’établisse le sien », mais il dénonce : « ces plans, n’étant ni conçus selon les directives générales communes, ni adaptés les uns aux autres, ni coordonnés dans le temps, sont dépourvus de toute signification pratique, et que, du fait même de leur élaboration sans ordre ni synchronisation, et de leur publication prématurée, ils ne sont que des trompe-l’œil, plus propres à discréditer l’idée du plan qu’à la promouvoir »125. Il répète les principes, énoncés par Pierre Mendès France, de ne pas reconstruire à l’identique, de mêler « rénovation et reconstruction ». Il condamne vigoureusement et présente comme illusoire l’élaboration parcellaire de plans par secteurs, telle qu’elle se met en place, selon des perspectives voisines de celles définies par les groupes d’études de Jules Moch en 1944 : « le jour où l’on fera le compte de ce que l’ensemble de tous ces plans nécessite de main d’œuvre, d’énergie et de matières premières, on trouvera des multiples de ce dont la France dispose en réalité »126. Boris révèle d’ailleurs que, malgré leurs demandes, les services du Plan du ministère de l’Économie nationale n’ont pas eu connaissance de toute une série de plans parcellaires127. Il analyse la refonte opérée par R. Pleven comme un affaiblissement des services du Plan, « par confusion et par dilution ». La fusion de la Direction du Plan avec celle de la Documentation et des Études révèle une conception incohérente du Plan : « confier à un même esprit des travaux d’essences aussi opposées et nécessitant des aptitudes aussi différentes qu’un recensement et un schéma d’avenir c’est unir la carpe et le lapin et en attendre un phénix »128. Le rattachement de la DGEN (qui avait travaillé au plan décennal et aurait pu être utile à la Direction du Plan) à la Direction des Programmes lui paraît également un non-sens. De plus, la réforme nécessaire des services de statistiques exige un travail important, qui ne peut être mené conjointement avec les travaux de planification. Pour Boris, c’est la conception du « Plan mosaïque », du « Plan-Arlequin » qui triomphe. « Le ministère de l’Économie nationale n’aurait d’autre mission que de rassembler des morceaux tout faits, pour les couper et les rogner à la mesure... D’ordinaire, il n’en sort que du médiocre, quelquefois aussi du monstrueux »129. Boris reproche à Pleven d’aligner le travail de planification à long terme sur la politique immédiate de répartition, que le ministère de l’Économie nationale pratique en exerçant son arbitrage au sein du Comité économique. Et il rappelle les idées, déjà défendues par Pierre Mendès France : « Il n’y a de plan qui mérite ce nom et puisse intéresser passionnément l’opinion, qu’un plan établi sur la base d’un certain nombre d’idées maîtresses auxquelles le reste est subordonné »... « Un Plan directeur préconçu et préétudié doit commander tous les éléments qui s’y intègrent »130. En d’autres termes, postérieurs, « planifier c’est choisir », et notamment définir d’emblée une politique énergétique, une politique des échanges, des investissements. La méthode adoptée par Pleven consiste, selon lui, à « mettre la charrue avant les bœufs (ou plutôt la charrue sans les bœufs) »131. Boris revient sur l’organisation d’un Bureau du Plan, que Pierre Mendès France n’a pas eu le temps de mettre en place. Il doit être composé d’un nombre restreint (8 à 10 membres) de « savants », ou « techniciens éminents », « d’une largeur de vue qui leur permettent de s’élever au-dessus de leur spécialité et d’embrasser l’ensemble des problèmes », assistés par des « concours extérieurs et temporaires »132. Enfin, il ajoute que, pour asseoir son autorité, « il y aurait de multiples avantages à ce que le Bureau du Plan fût un rouage permanent de la présidence du Conseil » et que, pour garantir ses moyens d’action, il lui faudrait disposer « d’un droit d’investigation et d’enquête de manière à réduire les délais de réponse des administrations ou organisations »133.
Le troisième homme
62Boris se fait l’interprète de la conception mendésienne d’un Plan global, définissant par avance les équilibres macro-économiques et les articulant aux ressources financières. Un Plan qui demeure largement l’affaire du MEN et de quelques experts. Mais une telle conception ne peut être mise en œuvre depuis la démission de son principal inspirateur134.
63Une seconde conception, celle du Plan à petits pas, tend à se mettre en place, du temps de René Pleven, mais élaborée et appliquée par les services de l’Économie nationale et Gaston Cusin, ancien planiste. Après la démission du général de Gaulle, et le départ de Pleven, André Philip tente de la relancer. Il s’agit de faire du MEN le responsable de la direction économique immédiate, par les prix et la répartition, et de la raccorder, par étapes successives, à un Plan progressivement élaboré. C’est la conception « planiste », celle qui reprend les grandes lignes du rapport de Jules Moch de 1944. Cependant, dès l’automne 1945, le relèvement économique à terme est tributaire des importations. Or, comme le précise Robert Marjolin, à la séance du 11 septembre du Conseil de l’Économie nationale : « Le programme d’importation relatif à l’équipement doit être réalisé en presque totalité aux États-Unis et à cet égard, il est lié à la question des paiements à long terme qui n’est pas tranchée à l’heure actuelle »135.
64Dès cette date, un troisième homme, placé dans une position stratégique pour articuler la question de l’équipement, des importations américaines et des paiements à long terme, affirme aussi ses prétentions sur le Plan : Jean Monnet.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XXII
65L’appareil de direction financière et économique est reconstitué selon des principes élaborés à Alger. Le général de Gaulle renouvelle les gouvernants en faisant appel surtout aux Résistants de l’extérieur et aux légistes de l’intérieur. Parallèlement, l’Administration connaît un amalgame complexe et subtil entre des renouvellements de responsables, limités mais symboliques, et une continuité assez générale du haut personnel et des structures. D’une manière générale, l’appareil étatique de direction des finances et de l’économie a été peu bouleversé, afin de faire face aux difficultés de l’heure, mais aussi d’amortir la poussée rénovatrice de la Résistance.
66Le caractère provisoire des institutions et les difficultés matérielles rendent plus malaisée la stabilisation de l’appareil de direction économique et financier. Après le rejet du projet austéro-dirigiste de PMF, René Pleven fait l’expérience des déboires de la combinaison hybride entre le maintien d’éléments du dirigisme vichyste, largement discrédité et affaibli, et la velléité de renaissance de certains ajustements libéraux.
Notes de bas de page
1 Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 16.
2 René Courtin, Pour les autres..., op. cit
3 Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, t II..., op. cit, p. 317.
4 Charles de Gaulle, Lettres notes et carnets, mai 1945-juin 1951, Paris, 1984 (553 p.), p. 117 et suiv.
5 Étienne Fajon, discours à l’Assemblée consultative du 21 juillet 1944, reproduit in Le sabotage des trusts, brochure du PCF, 1944, p. 11-15.
6 Cf. Marcel Baudot, « La répression de la collaboration et l’épuration politique, administrative et économique » in CHSGM, La libération de la France..., op. cit., p. 759-784 ; cf. également Peter Novick, The Resistance versus Vichy : The purge of collaborators in liberated France, Londres, 1968, et trad. fr. 1985 (préface de J.-Pierre Rioux, avec bibliographie à jour).
7 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 68.
8 AN, F 12 10 103, d. « Commission d’épuration — 442 — 1944-1945 », Lettre du secrétaire général au Commerce et à l’Organisation économique à Lecourt, vice-président du Comité de Libération de Neuilly, 27 novembre 1944, 1 p.
9 Idem, Lettre de Robert Lacoste à Charles de Gaulle, n° 1525 SGE, 19 février 1945, 2 p.
10 Cf. infra, figure 12.
11 AN, F 60 442, d. « Organisation du ministère des Finances », on trouve les coupures du JO sur les radiations, nominations et déplacements.
12 Jacques de Fouchier, Le goût..., op. cit., p. 196 ; cité dans le texte.
13 AN, F 60 442, d. cité. La plupart sont suspendus dès la fin d’octobre 1944.
14 Idem.
15 Idem.
16 Fondation Jean Monnet pour l’Europe (Lausanne) [noté infra : J. M.], (Papiers Jean Monnet), AMF (Fonds sur le premier plan).
17 Guillaume Guindey, Interview du 1er février 1980, Bulletin du Centre d’Histoire de la France contemporaine, Paris X, p. 27.
18 Cf. infra, figure 12.
19 Cf. infra, figure 12.
20 René Mayer, Études..., op. cit., p. 346. Seuls Berthelot et Filippi aux Travaux publics sont relevés de leurs fonctions.
21 AN, F 12 10118, d. « Réorganisation du SGE », coupure du JO, décret du 30 septembre 1944.
22 AN, F 12 10 103, d. cité, Lettre de Robert Lacoste, citée.
23 Idem, Lettre de J. J. de Meyenbourg au secrétaire général de la Production industrielle, 24 février 1945, 4 p.
24 AN, F 12 10 118, d. cité, MPI, Production et liberté, brochure, septembre 1945, 23 p.
25 Cf. La haute trahison des trusts, brochure éditée par le PCF « quelque part en France » en avril 1944, ainsi que le rapport de Jacques Duclos présenté au Comité central du 31 août 1944, brochure PCF, 1944, p. 16-17.
26 Yves Farge, Rebelles, soldats et citoyens, Souvenirs d’un commissaire de la République, Paris, 1946 (332 p.), p. 225.
27 Antoine Prost, « Un mouvement venu d’en bas », in Claire Andrieu ef alii, Les nationalisations..., op. cit., p. 66 et suiv.
28 Cf. Henry Rousso, « Les élites économiques dans les années quarante », Mélanges de l’École française de Rome, 1983-2, p. 29-49.
29 Ibid., p. 47-48. Cf. AN, F 12 9549 à 9647, soit une centaine de cartons sur le Comité national interprofessionnel d’Épuration. En particulier AN, F 12 9554 à 9556, procès-verbaux des séances (de 1944 à 1951).
30 Cf. supra, chapitre XIX.
31 Cf. Antoine Prost, « Une pièce en trois actes » in Claire Andrieu et alii, Les nationalisations..., op. cit., p. 236-246.
32 Yves Farge, Rebelles..., op. cit., p. 225.
33 Benoît Frachon, Les communistes et la reconstruction de la France (22 novembre 1944), brochure PCF, 1944, 16 p.
34 AN, F 60 897, d. « 27 - dossier préparatoire à la séance du 9 octobre 1944 », doc. n° 66, projet d’ordonnance du Ministre de l’Économie nationale, 17 septembre 1944, 8 p. Une partie importante de ce développement a été présentée dans notre contribution « La mise en place de l’appareil de direction économique (1944-1947)... », citée.
35 Idem, doc. n° 68/d, p.-v. de la séance du 9 octobre 1944 du CEI.
36 Idem.
37 Cf. Richard Kuisel, « Vichy et la planification économique », Le Mouvement social, n° 98, janvier-mars 1977, p. 77-101 ; Philippe Mioche, Le Plan Monnet..., op. cit. On trouve le texte de la Tranche de démarrage dans les Papiers Dautry, 307 AP 124.
38 Cf. supra
39 AN, F 60 423, d. c Économie nationale - Organisation du ministère ». Programme de travail du Ministère de l’Économie nationale, octobre 1944-décembre 1945, 27 p. Document publié dans Pierre Mendès France, Œuvres..., op. cit., t. 2, p. 55-72.
40 Pierre Mendès France, Documents 1944-1945..., op. cit
41 AN, 307 AP 124 (Papiers Dautry), Pierre Mendès France, Les réformes de structures, 30 mars 1945, 85 p. + Annexes. Ce texte est évoqué par S. Kramer in Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, n° 111, 1978. Il a été reproduit dans Pierre Mendès France, Œuvres..., op. cit, t 2, Annexe 2, p. 573-612.
42 AN, F 60 423, d. « Économie nationale... », Programme cité.
43 Cf. notre contribution « Pierre Mendès France, la gauche et les « impératifs de l’efficacité économique », au Colloque « Pierre Mendès France et l’économie : pensée et action » (Assemblée nationale, 10-11 janvier 1988), Actes parus en 1989, aux éditions O. Jacob.
44 AN, 307 AP 124, texte cité (cf. note 1, page précédente).
45 AEF, 5 A 9 (Papiers René Pleven), Lettre de René Pleven à Pierre Mendès France, 17 avril 1945.
46 AN, F 60 897, d. 31 et 32, Note de Pierre Mendès France à Robert Lacoste, 17 octobre 1944, 1 p.
47 Idem, c. r. de la séance du 26 octobre 1944 du CEI.
48 Cf. Étienne Dejonghe, « Les houillères à l’épreuve », Revue du Nord, n° 227, octobre-décembre 1975, p. 643-686 ; et Rolande Trempé, « Les charbonnages, un cas social », in Claire Andrieu ef alii, Les nationalisations..., op. cit., p. 294-311.
49 AN, 307 AP 124, Texte cité.
50 AN, F 60 423, d. « Économie nationale... », Programme cité. Gaston Cusin résume : « Mendès avait un état-major brillant mais l’infanterie, sans encadrement, ne suivait pas », in Gaston Cusin, Les Services de l’Économie nationale (1944-1948), c. r. d’une séance de travail au CHSGM, sous la présidence de Jean Bouvier, le 12 décembre 1977, p. 19.
51 AN, F 60 899, c. r. de la séance du 27 avril 1944, du CEI.
52 AN, F 12 10 118, d. « Réorganisation du SCGE », MPI, Production et Liberté, brochure citée.
53 AN, F 12 10 141, d. « 18. Économie nationale », Lettre de Robert Lacoste à Pierre Mendès France, 8 janvier 1945, 3 p..
54 « Les services de la collecte dans les campagnes, ceux du contrôle des prix dans les circuits commerciaux étaient complètement désorganisés ». Gaston Cusin, Les services..., op. cit., p. 11.
55 Cf. Richard Kuisel, « Vichy... », art. cité ; Philippe Mioche, « La planification comme « Réforme de structure » : l’action de Pierre Mendès France, de 1943 à 1945 », Histoire économie et société, 1982-3, p. 471-488. Robert Marjolin révèle, dans ses Mémoires, avoir été pressenti par PMF pour la direction du Plan, mais avoir opté pour Jean Monnet.
56 AN, F 60 898, doc. n° 115, c. r. de la séance du 15 janvier 1945 du CEI.
57 Idem, Note du secrétariat général du Comité économique, 22 décembre 1944.
58 Cf. Paul Delouvrier, Roger Nathan, Politique économique..., op. cit. ; Jean Bouvier « Sur la politique... », contribution citée ; François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit. ; et récemment Jean Bouvier, François Bloch-Lainé, La France restaurée — 1944-1954 — Dialogue sur les choix d’une modernisation, Paris, 1986 (338 p.), p. 86 et suiv. ; ainsi que les témoignages de Guillaume Guindey, Emmanuel Mönick, René Pleven, Paul Delouvrier, Pierre Uri.
59 AN, F 60 899, c. r. de la séance du 17 mars 1945 du CEI. Une première démission est intervenue en janvier 1945. Cf. Jean Lacouture, Pierre Mendès France, Paris, 1981.
60 AN, F 60 893, d. « dossier II. Ravitaillement-Production », L’expérience corse et les problèmes de la Libération, Rapport de M. Picard, p. 14-15.
61 AN, F 60 898, Note du secrétariat général du Comité économique, 13 février 1945.
62 Idem, doc. n° 124, Note de Paul Ramadier, 8 février 1945.
63 AN, F 12 10 141, d. « 18. Économie nationale », Lettre de Pierre Mendès France à Robert Lacoste, 4 avril 1945, 4 p.
64 Témoignages de François Bloch-Lainé CCHSGM, 24 janvier 1977), de Emmanuel Mönick (Paris X, 23 avril 1979), de Guillaume Guindey (Paris X, 1er février 1980), de Paul Delouvrier (IHTP, avril 1986).
65 AEF, 5 A 7 (Papiers René Pleven), d. « correspondance avec PMF », Lettre de Pierre Mendès France à René Pleven, 4 avril 1945, 6 p.
66 AN, F 60 898, c. r. de la séance du 19 février 1945 du CEI.
67 Idem, Note du secrétariat général du Comité économique sur les accords de prêt-bail franco-américain, s. d., 4 p.
68 Jean Bouvier, « Sur la politique... », contribution citée.
69 Benoît Frachon, Les communistes et la reconstruction..., brochure citée, p. 5.
70 Jacques Duclos, Ce que doit être la politique financière de la France ?, discours à l’Assemblée consultative du 30 mars 1945, brochure, p. 8.
71 AN, 307 AP 124, texte cité.
72 AN, F 60 897, doc. n° 79, c. r. de la séance du 26 octobre 1944 du CEI.
73 Idem, c. r. cité.
74 AN, 307 AP 124, texte cité.
75 AN, F 60 893, d. « dossier II. Ravitaillement-Production », Lettre de François Billoux au Commissariat à la Production et au Ravitaillement, 12 juin 1944.
76 Gaston Cusin, Les services..., op. cit.
77 AEF (Papiers Gaston Cusin), 5 A 18, d. 1945, Note pour le Ministre, 20 juin 1945, 6 p.
78 Idem, c. r. d’une réunion avec Vallée, Couture et Beaurepaire (MPI), 22 septembre 1945, 6 p. ; Raymond Dreux, ancien responsable de la Section centrale de l’OCRPI devenu directeur de la Répartition au MEN, signale le refus du ministère de la Production industrielle de communiquer les différents budgets de répartition in Idem, Note pour le secrétaire général, 22 mai 1945, 4 p.
79 AN, F 60 901, doc. n° 201, communication de René Pleven pour la séance du CEI, 28 septembre 1945.
80 Idem, c. r. cité. L’ordonnance du 26 octobre 1945 institue six directions, au lieu de huit.
81 Cf. SEF, 1959, SS, n° 123, p. 320.
82 François Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 73.
83 Cf. AEF, 5 A 7 (Papiers Pleven).
84 AEF, 5 A 7 (Papiers Pleven), d. « IV. Impôt de solidarité nationale », exemplaire d’une étude de J. F. le Douarec.
85 AEF, 5 A 15 (Papiers Gaston Cusin), d. « Résumé des rapports périodiques des secrétaires généraux aux Affaires économiques », Résumé des rapports de la 1re quinzaine de juin 1945 (d’après le rapport de Marseille).
86 AN, F 60 900, Note du secrétariat général au CEI, 8 mai 1945.
87 Interview de Gaston Cusin, Paris, 17 mai 1984.
88 Interview de Louis Franck, Neuilly, 1er décembre 1986.
89 AEF, 5 A 7, d. « correspondance avec PMF », Lettre de René Pleven à Pierre Mendès France, 17 avril 1945, 2 p.
90 AEF, 5 A 15 (Papiers Gaston Cusin), d. « p.-v. des réunions des secrétaires généraux », p.-v. de la réunion du 26 mai 1945, 14 p. Cf. Idem, Résumé des rapports des secrétaires généraux, 1re quinzaine de mai 1945, 3 p.
91 Idem, p.-v. cité.
92 Idem, p.-v. de la réunion des 27-28 juillet 1945, 18 p.
93 AN, F 60 901, dpc. n° 197, c. r. de la séance du 11 septembre 1945 du CEI.
94 Idem, Résumé des rapports des secrétaires généraux, 1re quinzaine de septembre 1945, 4 p.
95 Idem, Résumé..., 1re quinzaine d’octobre 1945, 4 p.
96 AEF, 5 A 28 (Papiers Gaston Cusin), Note sur la Direction générale du Contrôle et des Enquêtes économiques, 6 janvier 1947, 30 p.
97 Idem, Note citée.
98 Idem.
99 AEF, 5 A 29 (Papiers Gaston Cusin), s. d. 682, Note pour M. Boris, RH YG, 13 mars 1945, 2 p.
100 Idem, Lettre de Pierre Mendès France à Robert Lacoste, 23 mars 1945, 2 p.
101 Idem, Lettre citée.
102 Idem, Note citée (cf. note 5, page précédente).
103 AEF, 5 A 15 (Papiers Gaston Cusin), Rapport du Commissaire de la République, Région Rhône-Alpes, 20 avril 1945, 12 p.
104 Idem, Note manuscrite à Boris, signée Berbigier, s. d.
105 Idem, Note citée.
106 Idem, Lettre citée, cf. note page précédente.
107 AEF, 5 A 18, d. « 1945 — organisation de l’Économie nationale », Note de Raymond Dreux pour le secrétaire général, 22 mai 1945, 4 p.
108 Idem, Note citée.
109 AEF, 5 A 15, d. « p.-v. des réunions des secrétaires généraux », p.-v. de la réunion des 14-15 septembre 1945, 15 p.
110 AEF, 5 A 18, d. cité, Note sur la direction du Plan, s. d.., 2 p.
111 Robert Marjolin, Le travail..., op. cit., p. 136.
112 AEF, 5 A 18, d. cité, Note citée (cf. note 1 ).
113 Idem, Note sur le Conseil supérieur du Plan et le Conseil national économique, 10 avril 1945, 4 p.
114 AEF, 5 A 9, d. « création et activité du Conseil de l’Économie nationale », Texte de l’arrêté du 27 juin 1945, 2 p.
115 AEF, 5 A 15, d. « Conseil de l’Économie nationale », c. r. analytique de la réunion du 19 juillet 1945, 13 p.
116 Idem, c. r. cité.
117 Cf. Idem, où sont présents plusieurs p.-v. de séances de commissions.
118 Cf. Gaston Cusin, Les services..., op. cit.
119 AEF, 5 A 15, d. cité, c. r. de la réunion plénière du Conseil de l’Économie nationale du 27 août 1945, 10 p. ; souligné par nous.
120 Idem, c. r. cité ; souligné par nous.
121 Cf. AEF, 5 A 74.
122 AEF, 5 A 15, d. cité, c. r. de la réunion plénière du Conseil de l’Économie nationale du 11 septembre 1945, 9 p.
123 Idem, c. r. cité.
124 AN, 307 AP 123 (Papiers Raoul Dautry), « La politique du Plan : choix nécessaire », Note de Georges Boris, 29 septembre 1945, 25 p.
125 Idem, Note citée, p. 4.
126 Idem, p. 8
127 Cf. JM, AMF 0/1/2, Mémorandum sur le premier Plan de Modernisation et d’Équipement par Jean Vergeot, 3/1/1966 ; cf. Philippe Mioche, Le Plan Monnet..., op. cit.
128 AN, 307 AP 123, Note citée, p. 8.
129 Idem, p. 9.
130 Idem, p. 10.
131 Idem, p. 11.
132 Idem, p. 13-14.
133 Idem.
134 Cf. le mémoire de maîtrise d’Olivier Feiertag (Paris VIII, 1988) et sa contribution au Colloque « Pierre Mendès France et l’Économie : Paris, 1989 : « Pierre Mendès France, Acteur et témoin de la planification française (1943-1962) ».
135 AEF, 5 A 15, d. cité, p.-v. de la séance du Conseil de l’Économie nationale du 11 septembre 1945, 9 p.
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