Chapitre XIX. Vichy, l’Allemagne et le capital français (1940-1942)
p. 631-669
Texte intégral
1Dès les débuts de l’Occupation »n, certains dirigeants allemands semblent intéressés par des fractions du capital français, situées en France ou à l’étranger. Certains industriels ou commerçants français se trouvent ainsi conduits à engager des négociations, mais la plupart se retranchent derrière l’État, qui doit à la fois mettre en place des structures administratives et élaborer une doctrine. Désormais, le capital convoité s’insère dans la stratégie générale de Vichy, comme monnaie d’échange contre d’éventuelles contreparties. L’histoire de quelques-unes de ces négociations éclaire dans leur diversité, voire leurs antagonismes, les positions respectives des autorités de Vichy d’une part, celles des entrepreneurs de l’autre, face à leurs interlocuteurs allemands. Elle permet également de saisir les retombées de l’Occupation pour certaines productions.
I. STRUCTURES, LÉGISLATION ET PRATIQUES INITIALES (JUILLET-OCTOBRE 1940)
2L’une des préoccupations des responsables du gouvernement de Vichy consiste à vouloir maîtriser les relations entre le capital des entreprises françaises, situées sur le territoire national ou à l’étranger, et leurs différents interlocuteurs allemands. Mais les rivalités s’aiguisent pour s’assurer cette maîtrise, en particulier entre Pierre Laval d’un côté, et Yves Bouthillier de l’autre. Il en résulte, dans les premiers mois, une certaine cacophonie gouvernementale, dont l’Occupant peut tirer parti.
1. Des structures nouvelles : « s’interposer entre les Français vendeurs et les Allemands acheteurs ».
3Le ministre des Finances veut interposer ses services entre l’Occupant et les Français engagés avec lui dans des discussions financières, en particulier dans la perspective de la « négociation d’ensemble » escomptée. Dès l’été 1940, plusieurs décisions sont prises. Un projet de loi de juillet permet de limiter les achats immobiliers et mobiliers pour les étrangers ; plusieurs fois remanié, il aboutit à l’adoption du décret du 10 octobre 1940 qui, complétant la législation de septembre 1939 sur le contrôle des changes, soumet à l’autorisation gouvernementale toute cession de participations, libellées en devises ou en francs1. Peu après, une instruction adressée à la délégation de Wiesbaden envisage de restreindre les cessions éventuelles à trente pour cent du capital et d’obtenir en échange des participations dans des entreprises allemandes ou des intérêts allemands à l’étranger. En août 1940, afin de centraliser et coordonner toutes les affaires de ce type, Yves Bouthillier élève au rang de direction — intitulée « des Finances extérieures » — les services du Trésor, jusque-là soumis au directeur adjoint, Maurice Couve de Murville, qui les avait en charge auparavant. Ce dernier assume cette responsabilité jusqu’à son départ pour Alger en février 1943, où il rejoint les rangs des fidèles du général Giraud. Cette direction, en particulier à travers le Service des intérêts étrangers en France, confié en novembre à M. Berthoud, a la mission d’étudier, de contrôler et d’accorder toute autorisation éventuelle de participation à des interlocuteurs allemands : une lettre, datée du 7 novembre 1940, en informe tous les ministres. Il n’est pas fait mention d’un rejet systématique des cessions, mais d’un examen sous la condition qu’elles « trouvent dans leurs modalités mêmes une justification suffisante (...) ou dans une négociation d’ensemble avec les autorités allemandes... »2.
2. Les premières cessions : une monnaie d’échange pour Pierre Laval.
• Les mines de Bor et l’enjeu de la controverse Laval-Bouthillier (octobre-novembre 1940).
4On sait que ce dispositif n’est mis en place par les Finances qu’après l’affaire de Bor et les failles qu’elle a révélées entre responsables français. Les 4 et 5 octobre, sur l’injonction de Bouthillier, Boisanger est chargé de n’envisager la cession des actions de la Société française des mines de cuivre de Bor en Yougoslavie que dans une « négociation d’ensemble » sur les problèmes économiques et politiques pendants à Wiesbaden3. Dès la fin de juillet 1940, en effet, un commissaire allemand, Kuntze, a été désigné auprès de la Compagnie de Bor par Goering, qui nomme en août l’un de ses amis, le Consul Neuhausen, directeur des établissements de la compagnie. Ce dernier engage des négociations directes avec les banquiers français — Mirabaud et Champin — contrôlant Bor, et les invite à prendre contact directement avec Pierre Laval qui, quelques jours après l’entrevue de Montoire, les presse de céder les actions, malgré les réserves de Bouthillier et de Baudoin avant sa démission. Le protocole du 6 novembre règle les détails de la cession, dont le paiement est effectué par des francs des « dépenses d’occupation » pour 1,8 milliard. Dans une lettre, datée du 26 novembre, le vice-président du Conseil, devenu, après Montoire, également ministre des Affaires étrangères, souligne pour Bouthillier « l’intérêt qu’il y avait, pour faciliter les négociations avec l’Allemagne, à répondre favorablement au désir exprimé par M. l’ambassadeur Abetz »4. Yves Bouthillier cède, tout en demandant aux banquiers français de tenter néanmoins d’obtenir des « contreparties plus intéressantes pour la France qu’un règlement en francs »3. Cette querelle intravichyste se trouve quelque peu obscurcie après la Libération : lors de son interrogatoire devant le juge Lancier, le 4 septembre 1945, Pierre Laval a affirmé s’être assuré du soutien du Conseil des ministres, avant d’engager effectivement la cession des participations, ce que Yves Bouthillier nie dans ses Mémoires5. La controverse reflète bien davantage une opposition de responsables sur les modalités (notamment les avantages attendus en retour) que sur le principe de la cession. Chacun de leur côté, le vice-président du Conseil et le ministre des Finances pense être le mieux placé pour conduire l’opération, et en tirer les meilleurs avantages, sous forme de contreparties dans une « négociation d’ensemble ». Mais Yves Bouthillier escompte négocier la cession en même temps que les problèmes débattus à Wiesbaden, alors que Pierre Laval accepte de céder avant la négociation générale que, grâce à Abetz, il croit, à tort, imminente. De plus, comme il l’indique lors de ce même interrogatoire, il a établi une « hiérarchie » entre les questions : face à la libération des prisonniers, à l’assouplissement de la ligne de démarcation et au rattachement à Paris de l’administration du Nord-Pas de Calais, qu’il espère négocier, la question de Bor lui apparaît d’autant plus de moindre importance, que la France ne peut plus contrôler les mines, dans une Yougoslavie désormais sous emprise allemande6.
• L’or belge, Havas et Hachette.
5Il en est de même pour les deux cents tonnes d’or belge, confiées à la France en juin 1940 et mises à l’abri en AOF : le 29 novembre 1940, Pierre Laval donne l’ordre de transférer l’équivalent à Bruxelles, malgré les réticences de Yves Bouthillier7. En même temps que Pierre Laval satisfait Goering par la cession des mines de Bor et Ribbentrop par celle de l’or belge, il répond aux demandes d’Otto Abetz sur les entreprises françaises de publicité. La loi du 27 septembre 1940 sépare en deux les activités de l’agence Havas : la branche « information » est acquise par l’État français (pour 25 millions), et la branche « publicité » est cédée partiellement — à travers une participation de 47,6 % — à l’agence allemande Mundus (38 millions sur 80). L’affaire est réalisée le 5 mars 1941. En octobre 1940, Pierre Laval conclut également un accord à propos de la société Hachette, dont la branche Messageries deviendrait une société franco-allemande, dans laquelle le groupe Mundus obtiendrait la moitié du capital. Mais l’affaire n’aboutit pas avant l’éviction de Pierre Laval, et s’enlise ensuite. En cet automne de 1940, Pierre Laval comme Yves Bouthillier sont convaincus de l’intérêt de la négociation avec l’Occupant. Mais le premier la conçoit en responsable assuré (non sans illusions) de tenir les fils de la grande politique, auprès de laquelle ces différentes affaires semblent subalternes, alors que le second l’envisage en technocrate prudent, soucieux d’obtenir des avantages simultanés.
6Cependant, Yves Bouthillier ne considère pas la collaboration financière avec les Allemands seulement en réponse à leur sollicitation. Ainsi, le 5 février 1941, lors d’une séance du CEI, il fait état des études réalisées sur le projet de chemin de fer transsaharien (le « Méditerranée - Niger »), d’où il ressort que les ressources françaises apparaissent insuffisantes. Le procès-verbal de la réunion indique alors : « M. Bouthillier estime que le Transsaharien doit constituer le premier chantier de la collaboration franco-allemande. Il reste à savoir si nous devons néanmoins prendre l’initiative de l’entreprise et commencer les travaux seuls pour n’y associer les Allemands que par la suite »8. Même si le projet s’ensable quelque peu en 1941, il témoigne d’intentions initiales. Quoi qu’il en soit, le résultat de ces tentatives dépend en grande partie de l’intérêt manifesté par l’Occupant. Or, il se porte sur un nombre limité d’intérêts à l’étranger et en France même.
II. CESSIONS DE PARTICIPATIONS FRANÇAISES À L’ÉTRANGER
1. Les cessions contre des titres d’emprunt étranger.
7Peu après cette affaire, le 21 novembre 1940, à Wiesbaden, Hemmen évoque la possibilité de régler une part des dépenses d’occupation par la cession de participations françaises, notamment dans les pétroles roumains qui intéressent l’Allemagne pour son effort de guerre : il s’agit en particulier de la Steaua Romana (au capital de un milliard de lei, contrôlé aux deux tiers par la Steaua française, à laquelle participe l’Omnium française des Pétroles et la Banque de Paris) ainsi que la compagnie Concordia au capital de 650 millions de lei contrôlé par la Compagnie financière belge des Pétroles, dans laquelle la moitié du capital (300 millions de francs) est détenue par des intérêts français, dont l’Union parisienne et la société Colombia (au capital de 380 milliards de lei, dont la moitié appartient à des portefeuilles français)9. Du point de vue de la production effective, seuls trois millions de tonnes, issues des installations de ces sociétés, sont exportées avant la guerre, dont seulement 200 000 tonnes parviennent en France10. Le refus, exprimé par la délégation française le 22 novembre 1940, porte principalement sur le mode de paiement : les responsables français ne veulent plus, comme dans le cas des mines de Bor (1,8 milliard), d’un prélèvement sur le compte des frais d’occupation11. Il s’agit là d’une position de principe, qu’on va retrouver. Le même jour toutefois, Maurice Couve de Murville fait part de l’acceptation de la cession de la Banska à Hutni en Bohême à un groupe allemand comprenant la Deutsche Bank et la Boemische Bank. Filiale de la Banque française de l’Union européenne, l’établissement, par son directeur général, Aimé Lepercq — nommé peu après président du CO des Combustibles minéraux — a engagé des pourparlers dès l’Armistice, car la gestion de cette filiale française est rendue inextricable, du fait que son activité s’étend sur des territoires relevant de quatre juridictions différentes. La cession pour 330 millions de francs est alors sollicitée auprès des Finances extérieures, qui acceptent12. Et le 16 janvier 1941, lorsque Schöne, vice-président de la Délégation allemande pour l’Économie à Wiesbaden, propose la cession des participations françaises de la Banque commerciale roumaine, de la Banque générale de Crédit hongrois, ainsi que celles des compagnies pétrolières roumaines mentionnées en novembre 1940, il signale que les objections françaises venant « principalement » du paiement sur le compte des frais d’occupation, l’Allemagne peut offrir la « contrepartie » de l’achat par les titres de l’emprunt hollandais 4 % 193913. Les responsables français saisissent l’occasion, et, les 7 et 14 mars 1941, l’accord se fait sur la cession des participations déjà citées ainsi que celles des Charbonnages de Tréfail et de la Norvégienne de l’Azote, contre les titres de l’emprunt14.
2. Controverses.
8On a vu comment le ministre des Finances était prêt à accorder des cessions de participations françaises, à concurrence d’un montant de vingt millions de francs quotidiens, pour prix de l’abaissement du tribut à 140 millions. Mais l’accord mort-né de juillet 1941 clôt la série des négociations à Wiesbaden à propos de cessions nouvelles15. Le ministre des Finances était prêt à céder des titres de la dette balkanique et des participations dans des affaires situées en Pologne. Plusieurs de ces dernières sont effectivement transférées en novembre 1941 (Mines et Tubes de Sosnowice, Houillères de Dombrowa...). Dans leurs écrits d’après guerre, Yves Bouthillier d’une part, Pierre Laval et Pierre Cathala de l’autre se sont opposés sur le bien-fondé de ces transferts, somme toute limités. Pour le ministre des Finances de 1940-41, ces cessions n’étaient en fait que des « régularisations », car portant sur des affaires quasi-inaccessibles, situées dans des territoires dominés économiquement et militairement par l’Allemagne, dont parfois les dirigeants français avaient été chassés, et pour lesquelles pouvaient peser les menaces de réquisitions ou de nationalisations16. Du côté allemand, cela correspond au souci de réduire l’influence financière française dans l’Europe centrale et orientale occupée ou « alliée », comme en témoignent des documents de la division de la politique commerciale de la Wilhemstrasse, dès juin 1940. En outre, il faut voir dans le cas du pétrole roumain, la volonté de s’assurer l’approvisionnement de produits essentiels à la poursuite de la guerre17.
III. LE CAS DE FRANCOLOR : LA REVANCHE SUR 1918
9Les visées allemandes sur le capital situé en France même apparaissent relativement limitées, malgré les déclarations prononcées après guerre par certains dirigeants de Vichy sur l’ampleur de l’appétit allemand18. La plus importante et la plus connue de ces opérations est celle intéressant la fondation de la Société Francolor. Nous pouvons éclairer plus précisément le rôle pris par les représentants de l’État, grâce aux archives des services de Jacques Barnaud et aux dossiers de la Commission nationale interprofessionnelle d’Épuration (CNIE), consacrés aux principaux dirigeants de la société Francolor après la guerre19.
1. Les premiers contacts (août-novembre 1940) : une initiative française malencontreuse ?
10Le cas de ces dirigeants a été examiné par une sous-commission, puis par la Commission nationale d’Épuration les 21 et 22 juillet 1947, et a fait l’objet de plusieurs rapports de commissaires du gouvernement (en juillet 1946, puis en mars 1948, enfin en octobre 1948). L’une des pièces versées au dossier, qui comprend plusieurs copies de documents originaux, est une brochure confidentielle, écrite en 1942 par René-Paul Duchemin, président des Établissements Kuhlmann, sans mention d’éditeur, et intitulée Histoire d’une négociation (21 novembre 1940-18 novembre 1941)20.
• Un « incident » dans une « lutte trentenaire ».
11Les questions que se sont posé les membres de la Commission d’Épuration en 1946-48 ne sont pas nécessairement les plus utiles pour l’historien. Elles éclairent néanmoins, sur un cas particulier, la manière dont les dirigeants de l’État ont conçu leur rôle d’interposition entre industriels français et allemands. En fait, comme l’indique le Commissaire du gouvernement, l’épisode de 1940 n’est qu’un « incident » dans « la lutte trentenaire opposant l’industrie chimique française et allemande »21. En 1914, les firmes allemandes disposent d’un quasi-monopole de la production mondiale des matières colorantes (quatre-vingt-cinq pour cent du total, contre six pour la Suisse, et un pour cent partagé entre la France et l’Angleterre) et contrôlent même quatre-vingt-huit pour cent du marché français (sur 9 000 tonnes de produits consommées par an, les firmes françaises n’en fabriquent que 750 ; 6 250 tonnes sont produites par des filiales de producteurs allemands et 2 000 sont importées d’Allemagne). À l’occasion de la Première Guerre mondiale et de son issue, l’industrie de la chimie organique française tente de profiter d’une situation favorable, pour s’emparer d’une partie du potentiel allemand et se renforcer. Les succursales des firmes allemandes en France sont réquisitionnées et quelques-unes sont remises en route pendant le conflit, grâce à l’importation de produits intermédiaires suisses. Le 31 janvier 1917, est alors constituée la Compagnie nationale de Matières colorantes et de Produits chimiques (CNMC), dont F..., déjà administrateur de la Société des Produits chimiques de Saint-Clair du Rhône, devient peu après le directeur22. Formé en Russie au début de la guerre, cet industriel, attaché au cabinet de Louis Loucheur, se trouve, après l’Armistice de 1918, chargé du contrôle des usines allemandes de produits chimiques en Allemagne occupée. En décembre 1919, la CNMC fusionne avec la Société des Colorants français, fondée également au début de 1918. Parallèlement, F... négocie avec Bayer et les sociétés qui formeront, en 1925, l’IG Farben. Il signe en 1920 le « contrat Gallus » assurant pour quarante-cinq années les procédés, produits et expérience de l’IG Farben à la seule Compagnie nationale, en échange d’un forfait de 16,66 millions, d’une redevance annuelle et d’un engagement de livraison à l’IG Farben des inventions et informations. À la fin de 1923, les Établissements Kuhlmann fusionnent avec la Compagnie nationale, la Société des Matières colorantes et des produits chimiques de Saint-Denis, Saint-Clair du Rhône, les Établissements Steiner, l’industrie chimique de Mulhouse. Et, quelques mois plus tard, le contrat Gallus est rompu, du fait de l’occupation de la Ruhr. Dès lors, la concurrence franco-allemande reprend et s’exerce jusqu’à la signature d’un cartel provisoire, le 15 novembre 1927, entre Kuhlmann et l’IG Farben : le groupe français est assuré de 11,5 % de la production franco-allemande, du monopole de la fourniture au marché français (métropole et Empire), ainsi que de la part des marchés étrangers atteinte dans les années 1924-27. Le gouvernement français en a alors approuvé la signature. En 1929, le Cartel est définitivement institué jusqu’en ... décembre 1968 ; il est même étendu à l’industrie suisse et, en 1932, à l’Imperial Chemical Industries. Ce cartel à quatre présente, jusqu’à la guerre, des aspects favorables pour le groupe français, puisqu’il n’existe plus de concurrence sur le marché français, et même un surcroît d’exportations (près de 4 700 t en 1939), malgré la crise. En 1940, les profits de Saint-Clair sont multipliés par 2,4 par rapport à 1925 et ceux de Kuhlmann par plus de cinq. Et ce fut l’une des rares périodes où l’industrie chimique française, regroupée désormais dans la Centrale des Matières colorantes, peut, malgré l’apparition de nouvelles industries, occuper une telle part des importations des États acheteurs.
12Le cartel est suspendu de fait par le décret du 1er septembre 1939. Pendant la retraite de 1940, les usines sont évacuées : certaines, comme celle de Kuhlmann à Villers-Saint-Paul (dans l’Oise) sont réquisitionnées, d’autres séquestrées (usine Kuhlmann de Dieuze en Lorraine) ou arrêtées (celle de Mulhouse). Dans les semaines suivantes, les réquisitions sont levées, après des prélèvements sur les stocks. Mais les problèmes les plus aigus sont ceux de l’approvisionnement en produits intermédiaires, assuré, pendant le fonctionnement du cartel, par l’industrie suisse, qui usurpait ainsi la place traditionnelle des firmes allemandes. Peu avant la défaite, le groupe suisse (Ciba, Geigy et Sandoz) a prévenu les dirigeants du groupe français que, pour l’IG Farben, la guerre avait rompu les accords de 1929.
13Désormais, avec la victoire de la Wehrmacht, les industriels français se doutent que l’IG Farben, qui n’a jamais accepté la fondation des entreprises françaises de matières colorantes, à travers l’occasion de la Première Guerre, va lutter pour s’assurer la domination mondiale. La firme allemande ne tarde d’ailleurs pas à exprimer ses exigences à Berlin.
• Stratégie allemande et initiative française malencontreuse.
14Les archives allemandes ont montré en 1947 que, dès juillet 1940, l’IG Farben a exprimé au ministre de l’Économie du Reich le souci de faire cesser les effets, néfastes sur les exportations allemandes, de la production française, et de s’assurer cinquante pour cent du capital de son industrie, à l’exception des deux firmes de Mulhouse, travaillant à 100 % pour l’Allemagne, et de la Société de Saint-Denis, dont la fondation préexiste à la Première Guerre mondiale (et qui ne peut donc être considérée comme issue de la politique agressive des firmes et du gouvernement français, manifestée à l’occasion du conflit). En 1924 déjà, l’IG Farben avait échoué dans la constitution d’une société en France avec une participation de même ampleur. Le 3 août, les propositions sont transmises au ministre de l’Économie : il s’agit de constituer une Société franco-allemande, sous domination germanique. Sa production doit se limiter au marché français (métropole + Empire)24. Mais, au même moment, il semble que certains industriels français aient voulu tenter une démarche pour contacter leurs homologues allemands. Les séances de la Commission d’Épuration et les rapports en 1947-48 ont porté tout particulièrement sur deux griefs formulés à l’égard des dirigeants de la Société Francolor : le premier se rapporte à l’existence d’initiatives françaises précoces pour prendre contact avec l’IG Farben (le second ayant trait au transfert de main-d’œuvre). Un rapport de juillet 1946 signale que le dossier de l’affaire ne contenait aucun renseignement sur le sujet jusqu’en mai 1946. À cette date, une copie de l’enquête américaine sur l’IG Farben, au procès des industriels allemands à Nuremberg, révèle des rapports d’agents allemands qui « sont accablants pour F... », alors président de Saint-Clair et directeur général de la branche organique de Kuhlmann25. Des extraits des rapports établis par le colonel américain Bernstein indiquent que Von Schnizler, directeur du Département des Matières colorantes de l’IG Farben, a déclaré, lors de son interrogatoire, avoir appris par ses agents à Paris, notamment le docteur Kramer, que F... aurait tenté de les contacter en août26. Mais le directeur allemand a pensé « qu’il était judicieux de laisser les Français mijoter dans leur propre jus, et d’attendre qu’ils demandassent l’ouverture de telles négociations privées par la voie de la Commission d’Armistice »27. L’affaire rebondit alors. Parmi les nombreuses dépositions, lors des séances de la CNIE des 21 et 22 juillet 1947, un ingénieur chimiste, officier de renseignement d’un réseau de résistance, signale que, le colonel Bernstein étant lié à Dupont de Nemours, le document peut être contestable28. Toutefois, deux rapports de commissaires du Gouvernement en 1948 signalent que, en octobre 1940, F... « fait des avances » au docteur Kramer (lors d’une rencontre à l’Hôtel Claridge), qu’il sollicitait depuis le mois d’août, et aurait parlé d’« intégration de l’Industrie française dans l’économie européenne sous une direction allemande »29. Parallèlement, il apparaît que, dès le 22 juillet, deux directeurs commerciaux de Kuhlmann — sans qu’on puisse établir de manière certaine que ce soit sur la demande de F... — prennent contact avec Yves Bouthillier, afin d’obtenir une représentation à la Commission de Wiesbaden face aux industriels allemands. Malgré l’avis défavorable de Jean Bichelonne et de Drillien pour les Finances, le général Huntziger informe alors les Allemands à Wiesbaden du désir des industriels français de rencontrer leurs homologues allemands. Mais l’affaire en reste là à l’été30.
15Un extrait de procès-verbal du Comité directeur du Département des colorants de l’IG à Francfort, le 15 octobre 1940 — saisi par les services américains — fait état du rapport de Kramer, dans lequel F... aurait parlé de « collaboration intime », de « mariage », et affirmé que les Établissements Kuhlmann seraient «entièrement disposés à abandonner 51 % »31. Et le 23 octobre, F... voit à Bâle des industriels suisses afin d’obtenir une entrevue avec Von Schnizler. Quelle que soit l’authenticité de ce document, le commissaire du gouvernement conclut en 1948 : « Ce sont les interventions personnelles de (F...) qui paraissent avoir abouti à la convocation de Wiesbaden »32.
2. La rencontre de Wiesbaden (21-22 novembre 1940) : la Division allemande du travail.
• « Collaboration loyale » contre « Führung ».
16Les industriels français (représentés par René-Paul Duchemin, Président-directeur général de Kuhlmann et Thesmar, PDG de la Société de Saint-Denis) et allemands se rencontrent effectivement à Wiesbaden, les 21 et 22 novembre 1940, en compagnie des représentants des Administrations. De manière un peu grossière, le général Blanchard, directeur des Industries chimiques au MPI, et R.-P. Duchemin font référence à la récente entrevue de Montoire et à 1’« accord sur le principe d’une loyale collaboration » pour réclamer la reconduction pure et simple du cartel de 1929 !33 Hemmen trouve l’allusion « tout à fait déplacée », et Von Schnitzler, confirmant que le cartel est dissous, lit un mémorandum, dans lequel est affirmé que l’IG Farben règle le marché mondial, grâce à la science et à la technique allemande. Il ajoute : « Il faudra à l’avenir éviter toute concurrence dans le cadre européen et (que) l’industrie française devra s’adapter à l’industrie allemande »34. Il rappelle 1’« injustice » commise à l’égard de la production allemande en 1918 et en 1924, qui n’a jamais été vraiment « réparée » (il insiste sur l’exploitation en fraude des brevets allemands et l’espionnage des chimistes français déguisés en officiers en Rhénanie en 1918), et conclut : « L’exportation française, factice et déloyale, doit cesser »35. Il justifie l’idée de « Führung » de l’industrie allemande — qui implique direction, contrôle et participation au capital — sur les matières colorantes en Europe, grâce à sa supériorité scientifique et technique : « C’est là la seule forme de collaboration qui nous intéresse, la seule qui puisse être utile à l’industrie française »36. Hemmen va dans le même sens, non sans sophismes : « C’est parce qu’il s’agit pour nous de l’avenir de l’Europe que nous vous offrons une possibilité de vivre tout en excluant les risques de conflit. (...) nous revenons en un sens aux principes de l’économie classique, puisque nous renonçons à l’erreur qui voulait que tout le monde produisît de tout (...). Nous ne voulons ni réduire vos ouvriers au chômage, ni vous faire perdre vos capitaux. Vous existez, c’est un fait ; mais il faut que vous continuiez d’exister dans le cadre européen (...) on vous demande de prendre la place qui vous revient dans le cadre de l’IG (...) mais pas pour vous livrer à une concurrence désordonnée comme avant la guerre. C’est d’ailleurs là la ligne de notre politique générale économique (sic) avec la France (...). Car nous ne demandons qu’à collaborer avec vous, à « coopérer » comme vous dites. Et c’est en ce sens qu’il faut comprendre l’entrevue du Führer et du maréchal Pétain. Il s’agit de travailler pour l’avenir et non de s’entendre pour exploiter des conventions conclues avant la guerre sur la base de la situation créée par le traité de Versailles »37. Le représentant de la Wilhelmstrasse indique que l’accord entre industriels français et allemands doit prévaloir et « servir d’exemple aux autres industries »38.
• Le « diktat » allemand.
17Le lendemain, une nouvelle réunion à Wiesbaden est consacrée à l’examen du mémorandum allemand transmis la veille. Von Schnizler précise qu’il s’agit là des bases d’une « nouvelle collaboration qui figurera dans le traité de paix et qui sera valable pour toujours »39. Il confirme la nécessité de « normaliser » l’exportation des firmes françaises (« car elle n’était pas saine »), en leur laissant seulement le marché français, une représentation sur le marché belge et quelques autres pays voisins40. Son collaborateur Ter Meer ajoute qu’il doit y avoir une concentration (« certains établissements doivent fermer, comme certains ont fermé en Allemagne »). Sans les conséquences, néfastes pour l’Allemagne, de la guerre de 1914-18, il n’y aurait pas eu, selon lui, 1’« organisation malsaine » d’établissements trop nombreux et inefficaces (« depuis dix ans, l’industrie française n’a pas inventé un seul colorant »)41. Il est proposé la constitution d’une seule société, englobant toute l’industrie française des colorants — seules quatre usines subsisteraient (Villers, Oissel, Saint-Denis et Saint-Clair) — dans laquelle les Allemands détiendraient 51 % du capital, mais le président serait français. En outre, cette société devrait conclure un accord de production avec la SOPI (Société pour l’Importation de Matières Colorantes et de Produits chimiques), représentant l’IG Farben à Paris, et importerait notamment les produits intermédiaires allemands, faisant ainsi cesser les importations suisses. Ter Meer confie : « Probablement notre collaboration n’ira pas jusqu’à vous livrer nos dernières découvertes (...) mais les produits nouveaux seraient importés en France au bout de dix ou quinze ans... »42. René- Paul Duchemin parle de « diktat », d’accord « exorbitant », et surtout précise : « La décision appartient à mon gouvernement »43.
3. L’appel à l’État français et la fondation de Francolor.
• « Il appartient au gouvernement... ».
18Dès lors, les industriels se retranchent derrière le gouvernement. Dans une lettre adressée au ministre de la Production industrielle, le 26 novembre, ils parlent de menace de réduction en « servage » de l’industrie française, du danger d’un précédent. Mais, dans le même temps, ils redoutent que la rupture n’entraîne l’arrêt des usines, faute de matières premières, ou même la reprise des réquisitions. Ils concluent, en s’en remettant à l’État : « Vous comprendrez, monsieur le ministre, que la décision à prendre dans ces circonstances est exorbitante de nos possibilités et qu’il appartient au gouvernement de nous donner les directives qui dicteront notre réponse à la demande de l’IG »44. Après concertation avec Jean Bichelonne, René-Paul Duchemin demande la constitution d’une société de vente franco-allemande, avec 49 % pour le capital allemand. Sans résultat. Après la crise du 13 décembre 1940, la négociation reprend le 20 janvier 1941, au siège de la SOPI. Les représentants de l’IG maintiennent leurs propositions, en ajoutant toutefois que leur participation s’effectuera en actions — c’était l’une des objections du gouvernement français, qui refusait un transfert en argent — et qu’ils se contenteraient de la parité45. Le lendemain, René-Paul Duchemin se réfugie derrière le fait que le gouvernement de Vichy est hostile à une participation allemande supérieure à 25 %. Les Allemands refusent, et soulignent que les industriels français acceptent, à titre privé, la part de 51 %. Et, à partir de ce moment, l’IG annonce que les 51 % constituent une condition sine qua non46. D’après le rapport de Kramer du 31 janvier 1941, F... lui aurait rendu visite pour l’informer de son départ pour Vichy, afin de convaincre René-Paul Duchemin d’accepter les 51 %47. Selon le rapport du Commissaire du gouvernement, le choix de l’IG Farben « paraît dès cet instant fixé sur le président de la nouvelle société, qui sera F... »48. René-Paul Duchemin affirme avoir envoyé au général Blanchard une note, le 31 janvier, demandant de ne pas céder plus de 50 %49.
19Pendant les mois de janvier et février 1941, le gouvernement en reste à sa proposition de 25 %, et paraît plus intransigeant que les industriels. Lorsque Pierre Pucheu arrive à la Production industrielle, le 23 février 1941, il propose, peu après, la ventilation suivante du capital : 45 % à l’IG Farben, 45 % au groupe français et 10 % à l’État français. Il semble que le nouveau ministre veuille ainsi introduire, à cette occasion, les représentants de l’État dans la Société. L’IG refuse. René-Paul Duchemin s’en tient à 50/50 et ajoute la proposition de nomination d’un commissaire du gouvernement. En vain.
• L’acceptation de la cession (12 mars 1941) : une responsabilité de Vichy ?
20Yves Bouthillier affirme dans ses Mémoires que le Conseil des ministres du 1er mars 1941 accepte finalement les 51 % par crainte d’une rupture. Il ajoute que la question de la responsabilité précise de la décision est « de nul intérêt »50. Il apparaît cependant que la décision n’a pas été clairement prise au Conseil, puisque le 6 mars, Pierre Pucheu réitère son refus à Kramer, ainsi que son souci d’obtenir une participation de l’État. Or, dès le 2 mars, Jacques Barnaud, face au même interlocuteur, annonce l’accord du gouvernement français, sous une triple condition : que le président soit toujours français, que la société nouvelle ne freinera pas la recherche française, et qu’il s’agisse d’un cas particulier, ne pouvant être invoqué à titre de précédent. Et le 6 mars, Boisanger donne son accord de principe à Schöne après une conversation avec Bouthillier, dans laquelle ce dernier a laissé entendre l’accord du gouvernement51. Toutefois, le 10 mars, à la SOPI, devant von Schnizler, Pierre Pucheu et Jean Bichelonne persistent dans leur refus : c’est l’industriel allemand qui leur apprend l’accord de principe du gouvernement de Vichy !52 Le ministre de la Production industrielle, alors placé dans une « fausse situation », se rallie. L’accord est scellé, le 12 mars, à l’hôtel Majestic, sous la présidence du docteur Michel. Von Schnitzler confirme que le pourcentage se justifie par la puissance de l’industrie allemande avant 1914, mais que l’IG, comme le demande Pierre Pucheu, « ne revendique pas le monopole de droit sur le marché français »53. Jacques Barnaud considère que, de ce fait, « la participation à 51 ou 50 % aurait perdu de son importance »54. Il aurait préféré 50 % pour les « répercussions psychologiques » sur l’opinion française, mais l’accord est rendu possible, grâce à l’attribution permanente de la présidence à un Français, à la parité du nombre d’administrateurs — ces deux conditions étant rendues immuables par la loi française — et à l’engagement de ne pas évoquer ce cas comme un précédent55. Comme l’indique le Commissaire du gouvernement : « Il semble que le Conseil des ministres de Vichy ait autorisé le pourcentage de 51 % à l’insu des services de Paris »56.
21Pour des raisons de politique générale, le gouvernement se montre plus conciliant que les services de la Production industrielle, dont la double préoccupation consistait à limiter la part allemande et à assurer une participation de l’État. Du côté des industriels, « il paraît établi que le groupe français et notamment MM. Thesmar et Duchemin ont refusé le pourcentage majoritaire de 51 % bien qu’il ait été aux yeux de F... « un geste genereux de l’IG »57. Le 20 mars, les industriels reprennent la protestation de René-Paul Duchemin contre les termes de l’accord conclu le 12. La convention est toutefois établie en septembre 1941, et signée le 12 novembre entre les industriels.
• La naissance de Francolor (novembre 1941).
22La société est constituée par la totalité de l’actif des trois sociétés françaises : sur un capital de 800 millions de francs divisé en 80 000 actions, l’apport des Établissements Kuhlmann représente 48 000 actions (61 %), celui de la Société de Saint-Denis 21 000 (27 %) et celui de Saint-Clair du Rhône 9 600 (12 %)58. Chacune des sociétés cède 51 % de ses actions à l’IG Farbenindustrie, en échange de 12 750 actions de cette société (d’une valeur nominale de 1 000 RM chacune), ainsi réparties : 7 778 actions pour Kuhlmann, 3 442 pour Saint-Denis et 1 530 pour Saint-Clair. Une loi, datée du 10 décembre 1941, fixe le statut juridique et fiscal de la société, baptisée Francolor. Le gouvernement concède des dérogations fiscales, en échange de l’agrément par lui des administrateurs, refusé initialement par les industriels59. La convention entre industriels est approuvée par une loi, promulguée en juin 1942. D’après l’interrogatoire de von Schnitzler par les Américains, les Allemands auraient proposé le nom de F..., président de Saint-Clair, qui devient président de la nouvelle société, les trois autres administrateurs français étant Duchemin, Thesmar et Despret60.
4. Bilan et interprétation : un cas limite et/ou significatif ?
• Une triple vulnérabilité.
23Le cas de Francolor présente une triple caractéristique, qui la rend peu comparable à d’autres tentatives voisines. Tout d’abord, il faut souligner l’écrasante domination scientifique, technique, financière et commerciale de l’industrie allemande des colorants en 1914 — y compris sur le marché français — et la volonté inébranlable de ses dirigeants de prendre leur revanche sur les effets de la défaite allemande en 1918 et sur les avantages qu’en ont retiré les firmes françaises, avec lesquelles ils ont « un compte à régler »61. De surcroît, l’industrie française est tributaire de l’Allemagne pour ses approvisionnements en produits intermédiaires. De leur côté, les autorités du Reich disposent d’une capacité de production considérable avec l’IG Farben, et ne se trouvent pas dans une position de demandeurs à l’égard des capacités françaises, comparativement fort modestes. Seconde caractéristique, une partie importante des usines françaises se trouvent en zone occupée et, de plus, consacrées, au moins partiellement, à des productions à des fins militaires. Le risque peut paraître élevé, aux yeux des dirigeants français, de réquisitions éventuelles ou de transferts de matériel. Enfin, la constitution de la société Francolor en 1941 (comme la branche des matières colorantes depuis 1917) est largement marquée par la personnalité de son président qui, à travers les controverses d’après guerre à ce sujet, semble avoir pour le moins facilité la conclusion de l’accord du 12 mars 1941, ainsi que les transferts de main-d’œuvre. Cependant, au-delà de traits spécifiques, la constitution de cette société éclaire des aspects importants de la politique de l’État à l’égard des autorités allemandes comme des industriels français.
• Vichy et la « responsabilité devant l’histoire ».
24La question de savoir qui a pris la responsabilité de signer l’accord peut apparaître de faible intérêt, dans la mesure où, dès le 3 août, Berlin est averti de la volonté de l’IG de faire respecter la division allemande du travail et, notamment, de faire cesser toute concurrence, jugée « artificielle », à ses exportations en Europe. F... ne manque pas d’invoquer le fait pour justifier son attitude. Cependant, elle peut éclairer les ambiguïtés des relations entre industriels et État français. L’impulsion initiale revient sans doute à certains dirigeants de Kuhlmann. Le Commissaire du gouvernement conclut, en octobre 1948 : «la constitution de Francolor (...) a été provoquée par les initiatives de F... dont les vues en la matière n’ont pas même reçu l’approbation de tous les membres du gouvernement de Vichy »62. Cependant, l’initiative des industriels français de reprendre contact avec leurs homologues allemands afin de leur proposer, non sans ingénuité, une collaboration sur les bases d’avant guerre, les conduit nécessairement à solliciter l’appui de l’État français. Et face au « diktat » allemand, leur réaction est de se retrancher derrière lui. Ainsi, l’attribution de 51 % du capital relève d’une décision gouvernementale, pour laquelle Yves Bouthillier et Jacques Barnaud semblent avoir précipité les événements, contre l’avis de Pierre Pucheu et Jean Bichelonne. Le Commissaire du gouvernement croit pouvoir affirmer en 1947 : « Seul le gouvernement de Vichy doit en prendre toute la responsabilité devant l’Histoire »63. Sur la question des 51 %, les quatre futurs administrateurs, semble-t-il, se sont divisés : R.-P. Duchemin, Thesmar et Despret hostiles, F... favorable. Ce clivage, ainsi que l’attitude à l’égard des transferts de main-d’œuvre, expliquent les décisions de la CNIE, le 22 juillet 1947 : la mise hors de cause pour les trois premiers, la condamnation du quatrième à 1’« interdiction de conserver un poste de commandement dans les entreprises de produits chimiques » (ce dernier se réfugie en Suisse avant la clôture de l’information, lorsqu’il est averti de la sanction prononcée par la CNIE)64. Après la guerre, les débats devant la Commission d’Épuration ont été rendus quelque peu confus, du fait qu’elle faisait comparaître des individus, et s’attachait autant aux opinions personnelles des dirigeants qu’à leur gestion d’entreprise.
• La gestion : aucun grief.
25Dans le cas de Francolor, aucun grief n’est retenu pour les quatre administrateurs en matière de gestion, du fait des « conséquences pratiques insignifiantes » pour l’effort de guerre allemand. Le rapport Marot et les conclusions successives des commissaires du gouvernement insistent sur le fait que la constitution de la société n’a apporté aucun avantage particulier, ni aux sociétés françaises, ni aux actionnaires de Francolor, ni à l’IG Farben65. Une partie de la presse de l’époque, issue de certaines fractions de la Résistance, se montre moins bienveillante66. L’activité de Francolor (depuis sa constitution, le 1er janvier 1942, jusqu’au 30 juin 1944) a été examinée, afin de mesurer quelle en avait été la part profitable à l’Occupant. S’appuyant sur les données du CO de l’Industrie chimique, l’Administrateur provisoire de Francolor, Marot, ingénieur général des Poudres, rédige, en juin 1946, un rapport dans lequel on trouve les indications suivantes sur le chiffre d’affaires67 :
26Ainsi, pendant les deux ans et demi de fonctionnement, l’activité de Francolor a atteint les deux tiers de celle que les établissements effectuaient avant la guerre et même 55 %, si l’on ne compte que les matières colorantes. La convention du 18 novembre 1941 entraîne une chute d’un tiers des fabrications, au détriment des exportations, qui se réduisent à presque rien (limitées à la Belgique, l’Espagne et le Portugal). Les livraisons à l’Allemagne ont porté, respectivement en 1942, 1943 et 1944 (premier semestre), sur 12,9 %, 22,5 % et 6 % du chiffre d’affaires. Cela représente entre 265 et 296 millions, soit entre 17 et 19 % des 1,518 milliard du chiffre d’affaires des trente mois, selon les estimations68. Les livraisons ne comprennent qu’une part très faible de matières colorantes, et aucune quantité d’explosifs, malgré l’existence à l’usine d’Oissel d’une importante capacité de production de mélinite. Ainsi, la société n’a pas fourni aux Allemands de produits livrés, avant la guerre, par les sociétés mères à la Défense nationale, sauf le phénol. Il n’y a donc pas eu de livraison de produits directement utilisables pour la guerre, mais « certains pouvaient indirectement le devenir »69. Von Schnizler a déclaré à Nuremberg que Francolor avait approvisionné la Wehrmacht en produits intermédiaires, dont les plus importants étaient le phénol et les stabilisateurs de la poudre70. Le rapport Marot signale, cependant, à titre de comparaison, que le coefficient d’activité de l’ensemble des usines françaises de produits chimiques correspondant aux livraisons à l’Allemagne — pour une valeur totale de 1,6 milliard — apparaît « du même ordre de grandeur» que celui de Francolor71. En outre, les bénéfices de Francolor se présentent ainsi72 :
27En 1942, après compensation entre les dividendes dus par l’IG, Francolor reste débitrice de 1,530 million, versé à l’IG par le clearing. En 1943, le bénéfice n’a pas été réparti. Et la société n’est pas soumise à la législation sur les bénéfices illicites. Ainsi, en juillet 1947, aucun grief n’a été retenu par la CNIE contre les dirigeants de la société pour leur gestion73.
• Les transferts de main-d’œuvre.
28En revanche, il semble que F... se soit employé à faire fermer les entreprises concurrentes non représentées dans le groupe français (notamment les usines de Marboux Camell à Lyon et de la Société des Matières colorantes de Croix de Wasquehal, Roubaix et Rime-Ertvelde), au point que Francolor dispose, en 1942, du «quasi-monopole des produits tinctoriaux de synthèse en France »74. Et, surtout, il apparaît que, les services allemands considérant la société comme une réserve de main-d’œuvre pour l’IG, « F... favorisa cette politique et fit pression sur le personnel pour qu’il partît en Allemagne volontairement »75. Il semble que, dès juillet 1942, la propagande soit organisée dans les usines pour « la Relève » et que, le 12 octobre 1942, le Président ait incité les ouvriers pressentis à Villiers-Saint-Paul à partir volontairement76. Les documents américains sont dépourvus d’ambiguïté. Von Schnizler, le 26 août 1942, rassure Krauch, Chef de l’industrie chimique pour les services du Plan de Quatre Ans, quant à la bonne volonté du Président de Francolor, mais signale que les transferts de main-d’œuvre seront limités, du fait que la société fabrique des produits intermédiaires organiques pour la Wehrmacht77. Au total, 787 ouvriers ou employés sont partis en Allemagne (sur un effectif total de 4 664), dont seulement soixante étaient volontaires. F... nie avoir exercé une pression sur le personnel, alors que de nombreux témoignages contraires sont recueillis dans les dépositions78. Au-delà de cette différenciation, opérée entre les dirigeants par la Commission d’Épuration, la situation de Francolor éclaire des traits importants des relations entre l’État et l’industrie.
• La force de l’État appuyée sur une double faiblesse française.
29Au-delà des divergences entre industriels sur l’acceptation des 51 %, leur position d’ensemble à l’égard de l’État paraît ambiguë. La réponse, rédigée le 23 avril 1941 par Pierre Pucheu — qui n’est pas, on l’a vu, le plus prompt à accepter les 51 % — à la protestation de R.-P. Duchemin, apporte des éléments : « Vous avez marqué votre désir de laisser au Gouvernement français la responsabilité de cette acceptation (...) si elle n’a pas été librement consentie par vous, elle ne vous a pas été non plus imposée malgré vous. Non seulement vous n’avez, à aucun moment, demandé que les pourparlers fussent rompus, mais, au cours de plusieurs démarches faites auprès de mes collaborateurs, vous avez manifesté la très vive inquiétude que vous inspirait la perspective d’une rupture »79. Ainsi, au-delà de leurs sentiments personnels à l’égard de l’Occupant, les industriels français ont, dans leur ensemble, éprouvé la crainte qu’une rupture n’entrainât une prise de possession directe et le transfert du matériel en Allemagne : ils ont d’ailleurs ainsi justifié la cession à leur personnel80.
30Lors de son interrogatoire, R.-P. Duchemin a précisé : « Nous savions ce que les Allemands avaient fait en Pologne et en Tchécoslovaquie où ils ont nommé un gauleiter des produits chimiques ». Il a évoqué le cas des deux usines Kuhlmann de Dieuze (Lorraine) et de Mulhouse, travaillant à 100 % pour l’Allemagne, ainsi que le souvenir tenace des épisodes de la Première Guerre, notamment l’enlèvement du matériel des usines du Nord ; il a ainsi conclu sa déposition : « Nous y avons gagné de garder toutes nos usines intactes »81. Comme le rappelle Yves Bouthillier, les Allemands faisaient de leur participation majoritaire une condition sine qua non de l’accord, et le gouvernement, comme l’ensemble des industriels, jugeait la rupture inconcevable : ainsi, « le gouvernement couvrait du commandement de l’autorité légitime les industriels français quant au principe de l’accord »82. La protestation de R.-P. Duchemin ou de Thesmar, après l’acceptation décidée à Vichy, n’avait plus grande signification, dès le moment où, devant la détermination des industriels de l’IG, ils avaient fait appel à l’État français. En retour, les autorités de Vichy se sont trouvé investies de la responsabilité de décider, en lieu et place des chefs d’entreprises, du fait d’une double faiblesse française / celle provenant de l’infériorité et de la dépendance de l’industrie des matières colorantes face à sa concurrente d’Outre-Rhin, celle issue des conditions générales de l’Armistice et de l’Occupation.
5. Un cas voisin : France-Rayonne.
31La constitution de la société France-Rayonne relève de conditions proches de celle de Francolor : même suprématie technique allemande sur les fibres artificielles, même lutte avant la guerre, de la part de l’IG Farben, pour l’emporter sur le cartel français du Comptoir des textiles artificiels, même dépendance extrême des firmes françaises à l’égard des matières premières. En novembre 1940, le ministère des Finances est saisi du projet de constitution d’une société franco-allemande, qui construirait une usine de fibranne en France. Le 28 décembre 1940, Yves Bouthillier, suivant en cela les conseils de Maurice Couve de Murville, accepte les termes d’un contrat, signé le 3 décembre entre la Zellvolle und Kunseidenring (ZKR) et France-Rayonne83. La ZKR et les usines allemandes apporteront « leurs expériences et leurs connaissances » (§ 1) ; la ZKR « s’occupera autant que possible de garantir l’approvisionnement de (France-Rayonne) avec les matières premières » (§ 6)84. En échange, le groupe allemand reçoit une participation d’un tiers au capital de la nouvelle société.
IV. LE PROJET AVORTÉ DE CONSTRUCTION D’UNE USINE D’ALUMINE (JUIN 1941-MAI 1942) : AUTRE ISSUE, LOGIQUE VOISINE
32Les dossiers de Jacques Barnaud contiennent de nombreux documents relatifs à la négociation — qui s’étale de juin 1941 à mai 1942 — relative à la construction d’une usine d’alumine en France, avec la collaboration allemande. Cette affaire présente des traits différents, voire antagonistes, de ceux de Francolor et, dans le même temps, permet de confirmer certains enseignements tirés plus haut.
1. Des caractères triplement opposés.
33Tout d’abord, à la différence de celle des matières colorantes, l’industrie française de l’alumine dispose de grands atouts techniques, commerciaux et financiers. La technique des firmes françaises, très concentrées, est bien placée au niveau international. En outre, les approvisionnements en matières premières sont assurés en France même, un des principaux producteurs du monde de bauxite (près de 700 000 tonnes extraites avant la guerre). Et ces sociétés — qu’il s’agisse de Péchiney ou d’Ugine — disposent de ressources financières importantes. De plus, l’Allemagne se trouve dépendante de ses approvisionnements en bauxite — près de 100 000 tonnes ont été importées de France en 1938 — et même en alumine. À travers la Commission de Wiesbaden, il a été imposé, dès septembre 1940, des contrats de livraisons mensuelles85. Seconde différence, la plupart des usines se trouvent en zone « libre », ainsi que les ressources de bauxite. Enfin, les principaux dirigeants des firmes d’alumine et d’aluminium ne se sont vu, après la guerre, reprocher aucun fait de collaboration. Bien plus, Raoul de Vitry, président du Comité d’Organisation de l’Aluminium et du Magnésium (COAM), directeur général de la Compagnie de Produits chimiques d’Alais, Froges et Camargue (Péchiney), a participé à la résistance active (il a été membre du réseau Thermopyle). Jean Dupin, autre directeur de Péchiney, a été en rapport direct avec Pierre Lefaucheux et Pierre Le Brun86.
2. La proposition allemande de collaboration (juin-août 1941).
• Réactions de l’État et des industriels français.
34À la fin du printemps de 1941, les besoins allemands en aluminium sont tels qu’un groupe d’industriels — composé initialement de représentants des firmes Junkers et Hansa Leichtmetall AG (liée à l’IG. Farben) — prend contact avec les dirigeants de l’Aluminium français (Péchiney), puis avec ceux de la Société d’Électrochimie, d’Électrométallurgie et des Aciéries électriques d’Ugine. Leur proposition consiste à offrir leur participation à la construction d’une usine d’alumine située dans le Midi de la France — afin de bénéficier des gisements de bauxite proches et de coûts favorables — d’une capacité de production de 100 000 tonnes (qui pourrait, sous certaines conditions, être portée à 200 000 tonnes), destinée à alimenter les usines d’aluminium de Norvège exploitées par les Allemands. Jean Dupin en informe Pierre Pucheu et Jacques Barnaud, par une lettre du 11 juin 1941, et les rencontre à ce sujet le même jour, afin de considérer « l’intérêt-même du pays, que le gouvernement est seul en mesure d’apprécier »87. Quelques jours plus tard, une réunion, à laquelle participent les représentants de l’État (Jacques Barnaud et son collaborateur Terray pour la DGREFA, Pierre Pucheu et Henri Lafond pour le MPI) ainsi que les industriels de l’Aluminium français (Raoul de Vitry, Jean Dupin, d’Auvigny et Matter), fait le point sur la marche à suivre. Du point de vue militaire, industriels, ministres et hauts fonctionnaires partagent les mêmes vues. Comme l’usine ne sera achevée qu’à la fin de 1942, « ... il semble donc bien que ce projet ne puisse avoir d’influence sur la guerre »88. Lors des conversations du 17 juin, la question n’est pas même débattue : tous s’accordent sur la perspective probable d’une victoire allemande avant la fin de l’année 194289. Du point de vue financier, l’effort est estimé entre 600 et 800 millions de francs, sur lesquels le groupe allemand pourrait fournir 400 millions de machines et de matériel. Les industriels envisagent en échange la cession aux Allemands d’obligations, qui pourraient être transformées en actions après la guerre et « seulement (...) dans la mesure où un accord interviendrait sur la répartition des marchés d’aluminium dans le monde »90.
• Deux préoccupations contradictoires.
35Sur le terrain commercial, les industriels sont partagés entre deux préoccupations contradictoires. D’un côté, comme la capacité nouvelle envisagée à terme (200 000 tonnes) représente autant que la production effective, « les dirigeants de l’Aluminium français redoutent une surproduction d’aluminium dans la période de l’après-guerre, que le groupe allemand ne semble pas craindre »91. Mais, d’un autre côté, si les industriels rejettent la proposition, les Allemands peuvent envisager de construire l’usine en Yougoslavie, et d’accroître ainsi le développement de leur production d’aluminium, ce qui « pourra être de nature à affaiblir la position relative de l’industrie française lors des négociations de répartition de ventes ou de contingents qui pourront avoir lieu au moment où la paix interviendra »92. En revanche, si le groupe français accepte, « dans le cas de constitution d’un cartel en vue de répartir les marchés entre producteurs, l’augmentation de la capacité de production de l’industrie française présenterait un intérêt certain dans la discussion de la fixation des contingents d’attribution »93.
• Les trois conditions de Vichy.
36Jacques Barnaud et Pierre Pucheu ne formulent aucune « objection de principe » à l’opération : « Mieux vaut que cette usine soit construite en France qu’en Yougoslavie par exemple »94. Les représentants de l’État présentent toutefois trois conditions pour un accord éventuel :
- que le président-directeur général soit français et choisi parmi les administrateurs désignés par le groupe français, en accord avec le gouvernement ;
- que le groupe français détienne au moins 51 % du capital ;
- que le mode de financement soit étudié de telle sorte que l’État n’ait pas à intervenir indirectement par les « frais d’occupation ». Sur ce dernier point, Pierre Pucheu insiste pour que l’étude du financement s’effectue « en dehors de l’État français »95.
37Les négociations se poursuivent entre industriels allemands — auxquels se sont joints les dirigeants des Vereinigte Aluminiumwerke AG (en particulier le docteur Westrick) — et français. À la fin d’août, Raoul de Vitry informe Jacques Barnaud de l’existence de « divergences fondamentales » sur deux points : sur la satisfaction des besoins intérieurs français « gravement compromis actuellement par les contrats de livraisons », ainsi que sur « un règlement satisfaisant d’après guerre de l’ensemble de l’industrie européenne d’aluminium, réservant à la production française la place à laquelle elle a droit sur les marchés extérieurs ». Il sollicite « la confirmation de (votre) soutien », ainsi que le point de vue de Barnaud sur « les limites des concessions (...) admissibles »96.
3. Le coup de théâtre du 4 septembre 1941.
• Les Allemands financièrement nécessaires.
38Le 4 septembre 1941, les dirigeants de Péchiney, qui associent désormais ceux d’Ugine, informent les représentants de l’État (Barnaud et Terray, Boisanger et Raty pour la Délégation de Wiesbaden, et Lafond pour le MPI) des bases du protocole qu’ils sont en train de négocier au même moment avec les industriels allemands. Celui-ci porte sur la construction d’une usine d’alumine d’une capacité annuelle de 100 000 tonnes : son président-directeur général serait français, le financement porterait sur 800 millions de francs, le capital social représentant 200 millions (détenu à 60 % par le groupe Péchiney-Ugine et à 40 % par le groupe allemand, avec faculté pour ce dernier de porter sa participation à 50 % « lorsqu’un règlement satisfaisant de la situation de l’aluminium en Europe serait reconnu par les groupes participants »)97. Le matériel serait fourni par les Allemands pour 400 millions de francs payables, outre les quatre-vingts millions de capital, par des obligations. D’autre part, la société aurait le droit de prospection et d’acquisition des gisements de bauxite et livrerait la totalité de la production à l’Allemagne pendant la durée de la Guerre (à la fin des hostilités, le groupe français pourrait en conserver la moitié). Enfin, les deux groupes conserveront leur marché intérieur et étudieront en commun la division des marchés extérieurs. Une clause reste à mettre au point pour réserver l’accord définitif du groupe français, quant aux livraisons sur le marché intérieur français. Barnaud et Lafond demandent que la clause sur le droit de prospection et d’acquisition des gisements de bauxite soit supprimée, afin d’« éviter une immixtion allemande plus étendue », et obtiennent d’infléchir la négociation dans ce sens98. Mais la discussion porte surtout sur le financement. Comme Henri Lafond s’étonne de la demande de participation des Allemands — qui pourraient se contenter d’un contrat d’achat — les industriels expliquent la volonté allemande de s’assurer des droits, du fait de l’importance de l’aluminium dans les fabrications de guerre. Les dirigeants de Péchiney sont alors conduits à exprimer le fait que, tout en voulant éviter la mainmise des Allemands, ils souhaitent limiter leur propre contribution pour une double raison : à la fois l’ampleur des capitaux nécessaires et les risques de surproduction après la guerre. La position des industriels français apparaît alors fort délicate, puisqu’ils veulent obtenir de leurs homologues allemands la double garantie d’une lourde participation financière et de débouchés commerciaux, sans leur accorder pour autant de véritable pouvoir sur la future société. Le président de Péchiney, R. Piaton, l’exprime ainsi : « ... il convient de faire participer les Allemands le plus possible dans cette affaire, dont l’avenir après la guerre n’apparaît pas assuré, tout en restant maître de la nouvelle société »99.
• Le double malentendu.
39Les représentants de l’État ne partagent pas les craintes quant aux débouchés. En revanche, ils se montrent beaucoup plus inquiets sur les effets de la participation allemande : « Il est très grave d’accepter, même dans des conditions limitées, l’ingérence des Allemands dans ce domaine capital de l’activité économique nationale »100. Si bien que Jacques Barnaud ajoute que, face à cette ingérence, les risques financiers ne doivent pas entrer en ligne de compte et que l’État donnera très probablement sa garantie sous une forme à déterminer, de manière à ce que l’affaire reste dans des mains françaises. Un malentendu réciproque semble alors se dissiper brutalement. Les industriels affirment tomber de haut, car jamais pareille proposition ne leur a été faite. Jean Dupin confie, le surlendemain, avoir « peu goûté l’humour » de la réunion du 4 septembre !101. De leur côté, les représentants du gouvernement se déclarent « stupéfaits » d’avoir alors découvert que les difficultés ne provenaient pas d’une exigence formelle de participation allemande, mais de l’importance des capitaux à réunir !102. Quoi qu’il en soit, il est décidé de modifier « radicalement » l’orientation des négociations et de proposer désormais aux Allemands une société à capitaux entièrement français.
4. La signature du protocole de Berlin (novembre 1941).
40Dès lors, les industriels français mènent une double négociation parallèle, avec l’État et le groupe allemand.
• Négociation avec l’État français : « un premier pas vers la nationalisation » ?
41Deux réunions successives, les 9 et 16 septembre 1941, sont nécessaires pour établir les modalités de participation de l’État. Lorsqu’il est envisagé comme première solution de substituer purement et simplement l’État français au groupe allemand, pour les 40 % du capital social, Jean Dupin s’insurge, et « voit des inconvénients très réels à ce que l’État intervienne dans une affaire privée. Il y voit un premier pas vers la nationalisation de l’industrie de l’aluminium »103. En revanche, les représentants de Péchiney sont prêts à accorder à l’État une part des bénéfices, après paiement des dividendes. Yves Bouthillier accepte, sous réserve de nomination d’un commissaire du gouvernement. De plus, les industriels proposent de demander aux Allemands la fourniture de matériel pour 400 millions de francs, sans participation au capital, afin de réduire d’autant le concours de l’État : ainsi, le financement par le groupe allemand, une première fois évacué, est de nouveau proposé104. L’attitude de Péchiney s’explique aisément : Vogué signale à Terray qu’au dernier conseil de la société, Raoul de Vitry et Jean Dupin « ont beaucoup souligné les craintes qu’ils avaient d’une collaboration avec l’État français »105.
• Le protocole de Berlin (20 novembre 1941).
42Dès le début de septembre, le groupe allemand admet le principe d’un financement français exclusif. Les négociations se poursuivent à Berlin, jusqu’au 8 novembre, date à laquelle un accord établit les bases de la coopération entre industriels. Les industriels français en reprennent les termes pour rédiger un protocole en accord avec les autorités de Vichy106. L’accord prévoit la constitution d’une société nouvelle par le seul groupe français — Péchiney et Ugine — afin de construire une usine d’alumine d’une capacité initiale de 100 000 tonnes. La participation du groupe allemand au capital est différée. En revanche, il est institué un « Comité mixte », où les deux groupes seront représentés, afin de s’assurer de la bonne exécution du contrat, et le groupe français s’engage à fournir à son homologue allemand un million de tonnes d’alumine, s’assurant ainsi des débouchés pour la production de dix années. En échange, le groupe allemand fournira machines, matériel, matières premières et complément de main-d’œuvre, si nécessaire — pendant les discussions, il a été question d’un apport équivalent à 300 millions de francs. Enfin, l’article 7 évoque, de manière très générale, les bases de la collaboration pour l’après-guerre : les deux groupes s’engagent à trouver alors « un règlement (...) de l’ensemble de l’industrie européenne de l’aluminium ». Dans ce cas, le groupe allemand pourra revendiquer une participation dans la nouvelle société « pouvant aller jusqu’à 50 % »107.
• L’approbation de Vichy.
43Le 12, puis le 18 novembre, le protocole est examiné par les industriels français, en compagnie des représentants de l’État. Les premiers évoquent la persistance des deux seuls points de désaccord : la part du marché français dans les livraisons d’aluminium (que les industriels veulent accroître, par rapport aux « contrats » d’alors) et la sauvegarde des intérêts de Péchiney dans une usine de Norvège sous contrôle allemand (les industriels ne veulent pas qu’elle serve de monnaie d’échange après la guerre, lors de l’organisation du marché mondial de l’aluminium). Il est décidé que les industriels négocieront directement le renouvellement, sur des bases plus favorables, du contrat d’aluminium et tenteront d’obtenir des garanties pour l’après-guerre sur leur usine de Norvège. Henri Lafond ajoute même qu’on peut « aller loin dans des concessions relatives à l’approvisionnement en aluminium du marché français pendant la guerre », mais qu’il « importe de tenir très ferme pour la sauvegarde des intérêts français en Norvège »108. Le 20 novembre, le groupe français envoie donc au groupe allemand le protocole, signé par R. Piaton (Péchiney) et G.-J. Painvain (Ugine), en même temps qu’une lettre contenant la proposition de négociation sur les deux points en litige, ainsi que des renseignements techniques et des plans sur la future usine109. Du côté français, on pense désormais s’acheminer vers un accord rapide : la balle se trouve à Berlin. Parallèlement, le 18 novembre, industriels et hauts fonctionnaires ont examiné les modalités de financement par l’État. Comme, sur un capital total estimé à 1,1 milliard de francs, les actions ne représentent que 200 millions, il reste à trouver 900 millions : 500 pourraient être fournis par l’intermédiaire du Crédit national, et 400 autres par une émission d’obligations, avec garantie de l’État. En contrepartie de l’apport de 80 % des fonds par l’État, Jacques Barnaud obtient l’accord des industriels sur l’attribution de la moitié des bénéfices110.
5. L’État allemand revient sur l’accord (février-mai 1942).
44Pendant une partie de l’hiver 1941-42, le groupe allemand ne répond pas à ses interlocuteurs français.
• Un « test » de la collaboration.
45Et le 4 février 1942, Hemmen transmet un mémorandum à Boisanger pour lui faire part de l’échec des pourparlers entre industriels, ainsi que de la proposition de leur reprise au niveau gouvernemental, sous sa conduite. Une semaine plus tard, le président de la Délégation française exprime nettement son désaccord, signale que les « avant-projets sont prêts sur le plan technique », et que le protocole (contenant les bases de l’accord arrêté en commun au début novembre), revêtu de la signature des industriels français avec l’approbation gouvernementale, se trouve entre les mains du groupe allemand111. Jacques Barnaud, lors d’une réunion avec les dirigeants de Péchiney, précise que les industriels allemands n’ont, en fait, jamais rompu les pourparlers et ajoute — ce qui se confirmera ensuite : « On peut croire que c’est le gouvernement allemand qui freine leur aboutissement dans l’espoir d’obtenir finalement une participation au capital de la société »112. Le 19 mars 1942, une réunion des délégations auprès de la Commission d’armistice oppose Hemmen et Schöne d’une part, à Boisanger, Lafond et Raty de l’autre. Hemmen réclame effectivement une participation allemande de 50 % à la future société afin, dit-il, de s’assurer la réception des livraisons prévues, et d’offrir une contrepartie au débouché garanti et au matériel fourni. Henri Lafond lui rétorque qu’une participation allemande ne se justifie pas, du fait de la bonne position française, à la fois du point de vue technique — « la technique française est sans rivale » — financier, et de l’apport en bauxite, entièrement assuré par les mines françaises. Il ajoute qu’il est sans inquiétude quant aux débouchés pendant ou après la guerre, contrairement à ce que pense Hemmen et « peut-être aussi les industriels de l’Aluminium », et que le clearing franco-allemand peut payer machines et matériel113. Il souligne avec habileté que les Allemands se trouvent en position de demandeurs, seule l’urgence des besoins de la Wehrmacht justifiant la construction rapide de l’usine. Hemmen confirme : « L’Allemagne ne pourra tolérer aucun retard dans la construction de cette usine ». Il parle de « test qui sera le plus bel exemple de cette collaboration dont on parle tant et qu’on applique si peu »114. Il manie à la fois la menace — « Il faut que la France comprenne qu’elle a un intérêt considérable à demeurer en bons termes avec l’Allemagne » — et la séduction115. À propos des intérêts de Péchiney en Norvège, il fait comprendre que, tant que la guerre se poursuit, il ne peut être question d’envisager autre chose que l’utilisation maximale des ressources, mais que, après la fin des combats, il est possible d’envisager « des participations françaises dans les pays actuellement occupés par les armées allemandes ». Il cite notamment le cas de la Russie, où « les intérêts français pourraient reprendre en pleine harmonie avec les groupes allemands le contrôle des affaires qui leur a été retiré depuis la Révolution russe »116. Il confie même : « Après la guerre, le gouvernement allemand verrait avec faveur l’entrée des intérêts français dans des entreprises purement allemandes », sauf en Alsace-Lorraine, où ne doit s’introduire « aucune ingérence étrangère »117. Henri Lafond reprend la balle au bond, à propos de la participation allemande dans la société nouvelle, et demande si l’Allemagne est disposée à accorder une participation équivalente dans une affaire allemande : « La collaboration ne doit pas être à sens unique »118. Hemmen répond que, « personnellement », il approuve la conception de la collaboration en termes d’« égalité de droits » ; il ajoute même — non sans audace, quand on connaît les propos proférés au même moment par le dirigeant nazi sur la collaboration avec la France — que le maréchal Goering partage les mêmes vues. Mais il précise que « le sentiment public en Allemagne ne comprendrait pas ». Une participation à 50 % « ne correspond pas aux possibilités politiques actuelles. Les militaires ne comprendraient pas. Ce sera pour l’après- guerre »119. Il accepte de confirmer par écrit l’engagement d’une participation française dans l’industrie allemande d’après guerre, mais, tout en renonçant à des prétentions sur le capital de la société à créer, réclame la moitié des sièges de son CA et de son Comité de direction.
• L’enterrement.
46Quatre jours plus tard, chez Jacques Barnaud, les experts français rendent compte de leur entrevue auprès des dirigeants de Péchiney, qui se déclarent « tout à fait opposés à une participation allemande au Conseil d’Administration », mais acceptent la nomination d’un commissaire allemand doté d’un certain droit de vote et de pouvoirs jusqu’à la fin de la guerre. La clause contenue dans l’article 7 du protocole (sur la participation maximale à 50 % pour l’après-guerre) serait subordonnée à un accord général sur l’industrie européenne de l’aluminium120. Hemmen est informé de la proposition du groupe français, le 31 mars 1942, par Boisanger121. Le 16 avril, deux réunions successives des délégations auprès de la Commission d’Armistice — la seconde en présence des industriels français et allemands — sont chargées d’accorder les positions. Le représentant du Reich accepte la proposition de nommer un commissaire allemand, sous la condition qu’il demeure en place jusqu’au règlement des participations. Mais il trouve la formule du protocole sur la subordination « trop incertaine », quant à la participation allemande à une entente générale pour le temps de paix, et admet : « Le gouvernement allemand n’a pas accepté les conclusions de l’accord de Berlin »122. Pour les industriels français, tel R. Piaton, la formule de Berlin est « la plus souple et la plus efficace » (...). Notre désir est d’arriver à un accord d’ensemble entre industriels. Il se peut qu’ (...) il soit possible plus tard de fixer un plan d’exploitation européen au mieux des intérêts respectifs et des possibilités »123. Mais Hemmen souhaite des garanties précises : « Notre idée politique est d’organiser l’Europe ; vous voulez entrer dans le jeu ; la question est très large ... » Espérant toujours que la guerre sera finie en 1943, il se demande comment assurer les huit années suivantes, couvertes par le contrat. Piaton et Vitry se retranchent derrière la Commission mixte du protocole. Plusieurs séances de la Commission d’armistice sont consacrées à la question, à la fin d’avril, alors que Pierre Laval est de retour. Mais, au début de mai, Hemmen confie à Boisanger que « Berlin exigeait de nouveau une participation allemande au capital dans l’affaire »124. À la suite du refus français (État et industriels), l’affaire en reste là. Cette issue, opposée à celle de Francolor, ne saurait masquer des principes et perspectives de négociations voisines. On y reviendra.
V. LES PROJETS AVORTÉS DANS L’INDUSTRIE DU CAOUTCHOUC (AOÛT 1941-NOVEMBRE 1942)
1. L’échec des participations allemandes.
• L’acceptation du principe.
47À partir de 1941, du fait de la réduction sensible des arrivages de gomme naturelle en provenance d’Indochine, le ministère de l’Industrie du Reich propose de fournir du buna, gomme synthétique, en échange d’une collaboration technique avec les firmes françaises, une participation financière, un engagement d’achat de longue durée et un partage des marchés extérieurs. Lors d’une réunion de liaison Finances-Production industrielle, il est décidé, sur proposition de Couve de Murville, d’opposer un refus de principe aux demandes de participations allemandes125. Cependant, lors des trois jours de conversations à Berlin (6-8 août 1941), les négociateurs français du MPI et des Finances, après avoir tenté de le rejeter, acceptent le principe de participations allemandes dans les firmes Dunlop (sur une fraction de la part des capitaux anglais), Goodrich (sur les actions détenues par des Américains), Hutchinson (pour laquelle un accord de cession de 12 000 actions au groupe italien Semperit est en voie d’être conclu), Englebert, Bergougnan et Michelin, sous réserve de préciser les modalités dans chaque cas. En échange, les Allemands proposent de livrer 800 tonnes de buna jusqu’à la fin de 1941, ainsi que les tours de main et procédés de fabrication, entièrement allemands126. Blanchard, directeur des Industries chimiques, fait remarquer la disproportion existant entre les chiffres proposés par les Allemands et les 30 000 tonnes de gomme naturelle réquisitionnées ou livrées, aux termes d’un accord obtenu le 10 septembre 1940 à Wiesbaden. Il laisse entendre, à propos des participations, que le Gouvernement ne pourra sans doute pas accorder son approbation aux autres projets, si les dirigeants de Michelin continuent d’opposer un refus de principe127.
• La résistance de Michelin et ses effets.
48Dans toutes les sociétés, on semble s’acheminer vers un arrangement, sauf dans le cas de Michelin. Eckerl, représentant le ministère de la Production du Reich, précise que c’est notamment la filiale belge de Michelin, à Zuen (près de Bruxelles) qui l’intéresse, car située dans un « pays de protectorat allemand, probablement à titre définitif ». Il ajoute que « Michelin devra tôt ou tard partager le marché belge avec l’industrie allemande qui va s’y établir »128. Peu après, une réunion de liaison Finances-MPI, en présence de Barnaud, Bichelonne, Blanchard et Perret (Répartiteur du Caoutchouc) décide de la marche à suivre. Jean Bichelonne suggère de demander des participations françaises dans des entreprises allemandes. Blanchard considère qu’un accord excluant Michelin paraît difficile « pour des raisons psychologiques », la seule entreprise refusant des participations allemandes risquant de se trouver au chômage. En retour, il interroge : « Est-il admissible que l’intransigeance de la seule maison Michelin risque de réduire au chômage toute l’industrie française du caoutchouc ? »129. Une note du 13 août résume les termes du débat : « Le gouvernement est à la fois soucieux de respecter la liberté de disposition des maisons françaises de caoutchouc et d’éviter un arrêt complet dans cette industrie »130. Puiseux, dirigeant de Michelin, est alors convoqué par Barnaud, Bichelonne et Perret. Nous avons retrouvé le procès-verbal manuscrit de l’entretien. Face aux représentants de l’État et du Répartiteur du Caoutchouc, qui évoquent l’acceptation probable par les Allemands de la cession de la filiale tchèque de Michelin et d’une participation minoritaire dans sa filiale belge, l’industriel maintient son refus, par souci de préserver, dans le futur, le marché d’exportation belge, même au prix du non-approvisionnement en buna : « J’ai fait mon choix : sacrifier le présent pour sauver l’avenir »131.
• Le protocole Bichelonne - Eckerl (23 août 1941).
49Dès lors, les gouvernements français et allemand se mettent d’accord sur un protocole, signé par Bichelonne et Eckerl, le 23 août 1941, sur la communication de l’expérience allemande du buna et la conclusion d’une entente économique et technique. Il comprend l’approbation de la signature de contrats de collaboration et de participation au capital entre firmes. Le gouvernement français approuve le principe de participations allemandes, acquises sur une partie du capital anglais de Dunlop, sur une fraction du capital américain de Goodrich, sur les intérêts étrangers d’Hutchinson déjà cédés à la Semperit, sur la filiale belge de Bergougnan, ainsi que l’extension des accords entre Englebert-Belgique et une maison allemande. Pour Michelin, acte est pris de son refus, qui le prive de livraison de buna et limite, dans les faits, ses approvisionnements de caoutchouc naturel aux disponibilités et aux décisions du Répartiteur français et du Reichsbeauftragter Fur Kautschuk. Contre l’engagement — « sous réserve de force majeure » — de livraison de 800 tonnes de buna jusqu’à la fin de 1941 et de quantités croissantes ensuite, le gouvernement allemand pourrait commander jusqu’à 500 tonnes mensuelles de caoutchouc (contre 700 tonnes laissées pour les besoins français)132.
• L’échec.
50Les négociations se poursuivent pour définir les modalités des participations dans les autres sociétés. Dans le cas de Dunlop, les dirigeants Pétavy (directeur général) et Dutreux (président) ne veulent pas d’une participation immédiate supérieure à dix pour cent, alors que Jean Bichelonne semble mieux disposé133. Au début de novembre 1941, les contrats Hutchinson et Dunlop sont acquis. Puiseux, convoqué à Berlin, maintient son refus au sujet des filiales tchèque et néerlandaise de Michelin — les Allemands abandonnent leurs prétentions sur la filiale belge — en l’absence de garantie de présence effective sur ces marchés134. Certaines firmes, telle Bergougnan, s’appuient sur le refus de Michelin pour ne pas conclure. De toute façon, l’approvisionnement en gomme naturelle par un navire venu d’Indochine (pour 7 000 tonnes), à la fin de 1941, rend moins urgent le recours au buna, pour lequel, en outre, il apparaît que les firmes allemandes ne pourront tenir leurs promesses de livraisons : ainsi, l’affaire se perd dans les sables. L’attitude des responsables de l’État a toutefois été beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre Yves Bouthillier dans ses Mémoires, qui évoque un sabotage systématique135.
2. Le projet de construction d’une usine de buna.
51La question rebondit dès mars 1942, lorsque l’IG Farben et Rhône-Poulenc (auquel s’associe Ugine) s’accordent sur le principe de la construction en commun sur trois années d’une usine de buna d’une capacité de 12 000 tonnes annuelles. Les discussions sont portées alors sur le terrain gouvernemental. Les pourparlers se déroulent les 12 et 14 octobre. Ce dernier jour, lors d’une réunion au Majestic, Jean Bichelonne apporte l’accord de principe du gouvernement français. Il est prévu, à la demande des industriels français, préoccupés d’obtenir « des garanties multiples du fait de l’incertitude du marché à venir », que l’usine (dont le coût est estimé entre 1,2 et 1,5 milliard) sera en totalité construite aux frais de l’État français, dans l’Isère. Une société de gérance, constituée par les trois firmes (IG Farben, Rhône-Poulenc et Ugine) serait chargée de la construction, puis de l’exploitation en régie, pour le compte de l’État136. Le MPI fait admettre l’idée d’un contrat de dix ans, avec option sur l’usine en fin de bail pour les deux sociétés françaises. La participation de l’IG Farben se limiterait entre quinze et vingt pour cent du capital social de la nouvelle société. Elle mettrait toute son expérience technique et chimique à la disposition de la société de gérance. Il est prévu que « la production de l’installation sera mise à la disposition des besoins européens pour la durée de la guerre ». Le gouvernement français approuve l’idée d’une entente franco- germano-italienne137. Rougier, directeur adjoint des Industries chimiques au MPI indique aux Finances et à la DGRÉFA qu’il s’agit d’une fabrication déficitaire, puisque « de caractère autarcique dont le prix de revient est très élevé ». La possibilité de fabriquer le buna ne lui apparaît « pas très intéressante techniquement pour le pays », mais l’application des procédés techniques allemands peut « introduire la fabrication de toute une série de produits annexes pouvant représenter un intérêt considérable »138. Le 3 novembre 1942, dans une lettre confirmant les termes de l’accord, Jean Bichelonne précise pour le docteur Michel que la société « agira en suivant les règles habituelles de l’industrie privée ». Il fait part, en outre, de la demande de libération de prisonniers, dont le nombre sera fixé lorsque sera évaluée la consistance des travaux139. Quelques jours plus tard, le débarquement en Afrique du Nord et l’invasion de la zone Sud modifient les perspectives aussi bien du gouvernement de Vichy, qui ne donne pas suite au projet, que des autorités allemandes. De même, la nécessité de recourir aux brevets (tous allemands) de gazogènes à bois incite les autorités françaises à accepter la fondation en 1941 de la société des gazogènes Imbert — destinée à exploiter les brevets d’Imbert Gesellschaft, au capital de quinze millions, et de celle des Carburants français, au capital de vingt et un puis cinquante : les participations allemandes y sont respectivement de la moitié, et du tiers (puis du septième). La note (déjà citée) de la DGREFA de décembre 1941, présentant « un exposé succinct de la collaboration franco- allemande dans le domaine économique », recense, outre les affaires citées, la participation allemande à 51 % dans la Société vinicole de Champagne, et celle à 40 % dans la Société de gestion et d’exploitation du cinéma.
VI. UN BILAN LIMITÉ ET AMBIGU
1. Un bilan limité.
52Au début de 1942, les prises de participations allemandes aussi bien dans des sociétés situées à l’étranger qu’en France même se montent, sans doute, à environ 3,8 milliards de francs, ainsi ventilés :
53Cela représente une somme faible, en comparaison de celle dont les Autorités d’Occupation ont disposé jusqu’en avril 1942, au titre des frais d’occupation et du clearing franco-allemand, qui atteint environ 260 milliards : à peine 1,5 % du total. Ce montant relativement faible — même si, pour certaines branches comme la chimie, il correspond à la prise de participations importantes — résulte à la fois d’éléments de la politique allemande et de celle de l’État de Vichy. Contrairement à des propos rapportés par des ministres du maréchal Pétain — tel le « Tout nous intéresse » d’un directeur de la Dresdner Bank transmis par Yves Bouthillier — l’emprise allemande sur le capital français n’a été ni systématique, ni d’une égale ténacité141. Les motifs de demandes de participations révèlent le souci d’accéder à des ressources utiles pour la guerre (ex. : pétroles de Roumanie) ou de prendre une revanche sur la situation jugée aberrante de certains concurrents (ex. : Francolor). Pour leurs besoins immédiats, les Autorités d’Occupation privilégient les demandes sur la production courante, dont les négociations apparaissent beaucoup moins complexes et prolongées que celles relatives à des prises de participations. De plus, ces dernières se justifient lorsque les firmes allemandes apportent une partie de l’équipement ou des procédés techniques, mais toujours dans une position hégémonique. Enfin, cela implique la perspective d’une collaboration durable, même inégale, ce qui n’apparaît pas, du côté allemand, comme une préoccupation du moment. Et après 1942, les prétentions dans ce domaine se raréfient.
2. Les déconvenues dans la recherche d’une « collaboration constructive ».
54Même si le bilan se révèle limité, les débats sur les participations au capital éclairent les différentes facettes du rôle de l’État, placé en situation d’intermédiaire face à deux interlocuteurs, l’Occupant d’une part, les chefs d’entreprises françaises de l’autre. L’État français élabore rapidement le dispositif institutionnel et législatif chargé de contrôler les négociations engagées par des sociétés allemandes avec des entreprises françaises. Selon une tendance déjà notée, le renforcement de l’intervention étatique résulte d’une double faiblesse, à la fois économique et politique, à l’égard de l’Occupant. Et, de fait, des industriels n’hésitent pas, dans plusieurs cas, à se retrancher derrière l’État pour échapper à des exigences allemandes trop élevées. De plus, les principaux dirigeants de Vichy espèrent monnayer ces participations éventuelles, à l’intérieur d’une « négociation d’ensemble » à laquelle ils aspirent. Ainsi, à la séance du 18 avril 1941 du CEI, il est question des retombées de la loi du 23 juillet 1940 sur la liquidation des biens des Juifs déchus de la nationalité française. À propos des participations industrielles — notamment celles de la famille Rothschild — Yves Bouthillier précise que, malgré un système de vente amiable à des acquéreurs choisis, « on ne peut se dissimuler qu’il faudra consentir l’intrusion allemande dans nos affaires »142. Pierre Pucheu ne s’élève pas contre le principe, mais rejette une « négociation de détail » : « On consent, mais on ne reçoit rien. Il faut atteindre une négociation d’ensemble »143.
55François Lehideux va dans le même sens : « Collaboration oui — mais constructive — or actuellement nous ne sommes pas libres, nous ne négocions pas, nous subissons »144. La conclusion du procès-verbal de la séance exprime bien la pensée des gouvernants d’alors : « M. Lehideux résume l’avis général en indiquant que toutes les négociations actuelles ne sont pas à proprement parler des négociations, mais des discussions au cours desquelles on s’efforce de remédier aux exigences des Allemands. Il ne peut donc s’agir dans ce cas de collaboration, laquelle ne peut être que constructive. Ce n’est qu’au moment où s’engagera une discussion très générale et des négociations d’ensemble sur des bases bien arrêtées, que l’on pourra envisager la reconstruction de l’Europe »145.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XIX
56Yves Bouthillier est en droit d’affirmer dans ses Mémoires que « malgré les activités allemandes, malgré l’importance des sommes dont le Reich disposait, malgré la perturbation supplémentaire créée par la liquidation forcée d’entreprises juives, le capital français fut à peine entamé »146. Sous la réserve toutefois des entreprises « aryanisées » — qui peuvent représenter une part importante des actifs de certaines branches (cuir notamment)147 —, le capital français a été relativement préservé par les dirigeants du premier Vichy. Cependant, cela n’infirme pas la perspective générale, commune (au moins jusqu’en avril 1942) aux gouvernants, experts et chefs d’entreprises — quelle que soit la diversité de leurs convictions politiques personnelles, comme on l’a vu — d’une « pax germanica » pour l’après-guerre et d’une « division allemande du travail », dans laquelle le capital français se trouvera d’autant mieux placé qu’il aura conservé des positions au cours du conflit. Les réticences des experts-gouvernants de Vichy ne portent pas sur le principe de la collaboration financière, technique et économique qu’ils souhaitent « constructive », mais bien plutôt sur les modalités proposées, accordant, selon eux, une part trop écrasante aux intérêts allemands. Et la relative faiblesse des cessions aux Allemands reflète aussi leur répugnance à s’engager dans des négociations financières, nécessairement longues et plus contraignantes pour l’avenir que des « contrats » commerciaux portant sur la production courante. D’autre part, même si, pour les cessions, la responsabilité gouvernementale est engagée, la plupart des entrepreneurs n’ont pas répugné à se retrancher par avance derrière l’État. Quoi qu’il en soit, la faiblesse des contreparties accordées par les Autorités occupantes dissipe les attentes d’une « collaboration constructive ». Et, après avril 1942, il n’existe même plus l’illusion d’une collaboration financière possible. Enfin, à l’heure des bilans, la relative préservation du capital français, alors que d’autres éléments de la communauté nationale ont été douloureusement frappés, soulignera davantage combien l’efficacité du « bouclier » de Vichy a été relative et sélective.
Notes de bas de page
1 L’action économique en France..., op. cit., p. 83 et 172. JO, Lois et décrets, 24 octobre 1940.
2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy..., op. cit., t. 2, p. 113.
3 Ibid., p. 115-118.
4 Ibid., p. 513, Annexe 10.
5 Cf. Ibid., p. 120 et Laval parle, p. 171.
6 Laval parle..., op. cit., p. 172 ; cf. également Fred Kupferman, Laval..., op. cit., p. 271.
7 .Ibid., p. 272 et Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 135 et 159.
8 AN. F60 590, p.v. de la séance du CEI du 5 février 1941.
9 Cf. AN, F 37 29, d. « pétrole », s.-d. « Intérêts français à l’étanger », Note « intérêts français dans les pétroles roumains », PV/SD, s.-d., 2 p. ; DFCAA, t. II, p. 505-511 ; Pierre Arnoult, Les finances..., op. cit., p. 30.
10 Cf. AN, F 37 30, d. « Pétrole », s.-d. « Sociétés diverses », Note de M. Terray, MH, 6 mai 1941, 2 p.
11 DFCAA, t. 2, p. 505.
12 Yves Bouthillier, Le drame... op. cit., t. 2, p. 125.
13 Ibid., p. 514-516, Annexe 11, p.-v. de l’entretien du 16 janvier 1941 de M. Couve de Murville avec MM. Schöne et Hartlieb.
14 Pierre Arnoult, Les Finances..., op. cit., p. 330.
15 Cf. supra, chapitre XVII.
16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 132.
17 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 96.
18 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 122.
19 Cf. bibliographie in Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 101.
20 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 2, René-Paul Duchemin, Histoire d’une négociation (21 novembre 1940-18 novembre 1941), Paris, 1942, 187 p.
21 Idem, s.-d. 1, Rapport du commissaire du Gouvernement (M. Nicolet-Dubost), contre MM. F..., Duchemin, Thesmar, Breart de Boisanger, 30 octobre 1948, 15 p.
22 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité. Il existe, en outre, en 1918 la Société des matières colorantes et des produits chimiques de Saint-Denis, la Société Steiner et Cic, et Les Colorants français.
23 Source : Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
24 Idem, rapport cité ; cf. également Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 101-102.
25 Idem, s.-d. 1, Rapport du Contrôleur Ferré, 18 juillet 1946, 6 p.
26 Idem, Rapport du Contrôleur Ferré, cité.
27 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein..., 7 p., déposition Schnitzler, 30 août 1945.
28 Idem, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p.
29 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité, F... nie le fait in Idem, s.-d. 2, Rapport F..., 25 juin 1947, 15 p.
30 Idem, Rapport cité.
31 Idem, s.-d. 2, document du docteur Buhl, Réunions colorants, Francfort 15 octobre 1940, 3 p. (y assistent les principaux responsables du Comité directeur de l’IG).
32 Idem, Rapport cité.
33 Cf. DFCAA, t. II, p. 522. Le p.-v. des séances des 21 et 22 novembre 1940 se trouve également dans AN, F 37 32, d. « Produits chimiques ». On en trouve de larges extraits dans Yves Durand, Vichy 1940-1944, Paris, 1972, p. 42-43.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 AN, F 37 32, d. cité, p.-v. de la séance du 22 novembre 1940, n° 8258/DE, 7 p.
40 Idem, p.-v. cité
41 Idem, p.-v. cité.
42 Idem, p.-v. cité.
43 Idem, p.-v. cité.
44 Lettre citée in Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.
45 AN, F 12 9574, d. « CNIE - Francolor », s.-d. 1, rapport Nicolet-Dubost, cité.
46 Idem.
47 Idem, s.-d. 2, Extraits des Rapports établis par M. Berstein, n° 60, pièce n° 4, Rapport du docteur Kramer en date du 31 janvier 1941.
48 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
49 René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 44 ; cette note n’a pas été retrouvée.
50 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 184.
51 René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 33.
52 Ibid
53 Ibid., p.-v. de la séance du Majestic du 12 mars 1941 sous la présidence du docteur Michel.
54 Ibid., p.-v. cité.
55 Ibid., p.-v. cité.
56 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
57 Idem.
58 Idem, Renseignements transmis par l’Ingénieur général militaire des Poudres Marot, « Constitution de la Société Francolor », 17 juin 1946, 6 p.
59 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
60 Idem, questionnaire du 17 juillet 1945, interrogatoire, pièce n° 39.
61 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 197.
62 AN, F 12 9574, d. cité, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
63 Idem, Conclusions du commissaire du gouvernement Hamel, 1947, 7 p.
64 Idem, Décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juilet 1947, par le président Pepy, 10 p. ; cf. également Idem, Deuxième rapport (sous-commission de la CNIE), 31 mars 1948, 14 p.
65 Idem, Renseignements transmis..., Rapport Marot (Administrateur provisoire de Francolor) cité.
66 Idem, coupure d’Action, 29 août 1947.
67 Source : Idem, Rapport Marot, cité :
(1) 272 pour le 1er semestre et 82 pour le second.
(2) 93 pour le 1er semestre et 30 pour le second.
(3) 44 % pour le 1er semestre et 16 % pour le second.
68 Cf. Idem, selon que l’on reprend les estimations du rapport Marot ou de celui du Commissaire du Gouvernement en 1948.
69 Idem, Rapport du Commissaire du Gouvernement, cité.
70 Idem, Extrait des rapports établis par M. Berstein, cité.
71 Idem, Rapport Marot, p. 3.
72 Idem.
73 Idem, décisions rendues dans la première affaire Francolor, 21-22 juillet 1947, 10 p., doc. cité.
74 Idem, Rapport Nicolet-Dubost, cité.
75 Idem.
76 Idem. « À ceux qui refusaient, il déclara en substance : « Si vous ne voulez pas signer, vous partirez quand même et alors vous vous en repentirez », sans qu’on sache s’il s’agit d’une menace ou d’un constat.
77 Idem, décisions rendues..., doc. cité.
78 Cf. Idem, s.-d. 1, CNIE, p.-v. des séances des 21-22 juillet 1947, 81 p., et Idem, s.-d. 2, Rapport F..., 25 juin 1947, 15 p. F... aurait également organisé la conférence d’un orateur de la LVF envoyé par le préfet. Cf. Idem, s.-d. 1, 2e Rapport..., cité, 31 mars 1948, 14 p.
79 Idem, s.-d. 2, René-Paul Duchemin, Histoire..., op. cit., p. 43-44 ; souligné par nous.
80 Idem, s.-d. 1, premier rapport de la sous-commission, Note sur l’affaire Francolor, 16 avril 1947, 5 p.
81 Idem, s.-d. 2, Interrogatoire de René-Paul Duchemin, s. d., 4 p.
82 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 185.
83 AN, F 37 28, d. «Production industrielle», s.-d.» contacts avec les Allemands», contrat entre Zellvolle und Kunstseiden-Ring (ZKR) et France-Rayonne, 3 décembre 1940, 3 p. Cf. Ibid., p. 188-189 et Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 104-105.
84 Idem, Contrat..., cité, p. 2.
85 Cf. Alan Milward, The New Order..., op. cit., p. 238.
86 AN, F 12 9579, d. « CNIE - L’Aluminium français », Mémoire personnel de Jean Dupin, septembre 1946, 11 p.
87 AN, F 37 32, d. « Aluminium », s.-d. « construction d’une nouvelle usine d’alumine en France », Lettre de l’Aluminium français au ministre de la production industrielle, signée Jean Dupin, 11 juin 1941, 2 p.
88 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.
89 Idem, c. r. des conversations sur la construction d’une nouvelle usine d’alumine en France le 17 juin 1941, Note de M. Terray, MH, 19 juin 1941, 2 p.
90 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.
91 Idem, c. r. cité (cf. note 1).
92 Idem, Lettre de l’Aluminium français, citée.
93 Idem, c. r. de l’audience de MM. Dupin et d’Auvigny. dans le cabinet de Jacques Barnaud, 11 juin 1941, 2 p.
94 Idem, c. r. cité (cf. note 5).
95 Idem, c. r. des conversations..., cité (cf. supra note 1, page précédente).
96 Idem, Lettre du président du COAM à Jacques Barnaud, signée de Vitry, 21 août 1941, 3 p.
97 Idem, p.-v. de la réunion visant la construction en France d’une usine d’alumine, Note de M. Terray, MH, 4 septembre 1941, 5 p.
98 Idem, p.-v. cité.
99 Idem, p.-v. cité, intervention de Piaton.
100 Idem, p.-v. cité, intervention de Raty.
101 Idem, c. r. de la visite de Jean Dupin à Terray, 6 septembre 1941, 3 p.
102 Idem, Lettre de Jacques Barnaud au directeur général de l’Aluminium français, 1291-RFA, 12 septembre 1941, 3 p.
103 Idem, c. r. des conversations du 9 septembre 1941 sur les questions d’Aluminium, Note de M. Terray, 11 septembre 1941, 2 p.
104 Idem, c. r. de la réunion du 16 septembre 1941, MH, 18 septembre 1941, 3 p.
105 Idem, c. r. de la conversation entre MM. Terray et de Vogué, Note de Terray, 24 septembre 1941, 1 p.
106 Idem, Protocole, 20 septembre 1941, 7 p.
107 Idem, Protocole, p. 4.
108 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941 sous la présidence de Jacques Barnaud, Note de Mourre, 21 novembre 1941, 4 p.
109 Idem, observations sur le mémorandum allemand du 4 février 1942, s. a., 12 février 1942, 3 p.
110 Idem, c. r. d’une réunion tenue le 18 novembre 1941, cité (cf. note 1).
111 Idem, Lettre de Boisanger à Hemmen, 12 février 1942, 2 p.
112 Idem, c. r. de la réunion du 5 février 1942, 3 p.
113 Idem, Délégation française pour les affaires économiques, c. r. de la réunion du 19 mars 1942, n° P. 365/DE, 4 p.
114 Idem, Délégation..., c. r. cité.
115 Idem.
116 Idem.
117 Idem.
118 Idem.
119 Idem.
120 Idem, c. r. de la réunion du 23 mars 1942 chez Jacques Barnaud (présents : Barnaud, Raty, Lafond, Vitry, Piaton).
121 Idem, Délégation française pour les Affaires économiques, c. r. de l’entretien Hemmen-Barnaud du 31 mars 1942, n° P. 440/DE, 2 p.
122 Idem, Délégation..., n° P. 528/DE, 3 p. et n° 508/DE, 8 p.
123 Idem.
124 Idem, Délégation..., c. r. de la réunion du 6 mai 1942, 1 p.
125 AN, F 37 32, d. « buna », c. r. de la réunion de liaisons Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.
126 Idem, projet présenté par le ministère de l’Industrie allemand, 9 août 1941, 3 p. ; cf. également AN, F 37 27, d. « participations allemandes ».
127 Idem, c. r. des conversations des 6, 7 et 8 août 1941 à Berlin, Bave, 1941.
128 Idem, c. r. cité.
129 Idem, Liaison Finances - Production industrielle, 23 juillet 1941, 1 p.
130 Idem, note DGREFA, s. a., 13 août 1941, 1 p.
131 AN, F 37 27, d. « participations allemandes », « Caoutchouc - buna », 7 feuillets manuscrits sur le c. r. d’une réunion (présents Barnaud, Perret, Puiseux).
132 Idem, protocole signé Bichelonne et Eckerl, 23 août 1941, 8 p.
133 AN, F 37 32, d. « buna », Conférence de la Société Dunlop avec les délégués allemands à Luxembourg, signé A. Dutreux, 29-30 août 1941, « strictement confidentiel », 10 p.
134 Idem, c. r. de liaison Finances - Production industrielle, 5 novembre 1941, 1 p.
135 Cf. Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 216-217.
136 AN, F 37 34, d. « Construction d’une usine pour la fabrication du buna », c. r. de la réunion au Majestic du 14 octobre 1942, MS, 1 p.
137 Idem, c. r. des pourparlers 12-14 octobre 1942 (présents du côté français, Bichelonne, Barnaud, Perret, Grillet et Bô pour Rhône-Poulenc, Painvain et Gall pour Ugine.
138 Idem, Note pour M. Couve de Murville, C/MD, informations par Rougier, 31 octobre 1942, 2 p.
139 Idem, Lettre de Jean Bichelonne au docteur Michel, SM/275, copie DGREFA/2741, 3 novembre 1942, 2 p.
140 Cf. AN, F 37 27, d. « participations allemandes »..., cité et Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 125-133.
141 Ibid., p. 179.
142 AN, F 60 590, p.-v. de ta séance du 18 avril 1941 du CEI. Un bon exemple de ces débats : l’« aryanisation » des Galeries Lafayette, où le prétendant soutenu par les Allemands l’emporte sur celui de Yves Bouthillier.
143 Idem.
144 Idem. Souligné (à la main) dans le texte.
145 Idem. Souligné dans le texte.
146 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit, t 2, p. 179.
147 Cf. Henry Rousso, « L’aryanisation économique : Vichy, l’occupant et la spoliation des juifs », Yod, 15-16, 1982, p. 51.
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