Chapitre XVII. Le premier Vichy : l’engrenage dirigiste et ses ambiguïtés (juillet 1940-avril 1942)
p. 541-590
Texte intégral
1Le fonctionnement de l’appareil de direction financier, monétaire et économique reflète la « double équivoque originelle » analysée dans le précédent chapitre, et notamment le fait qu’il réponde à des contraintes de court terme et aussi à des perspectives conçues comme durables et nécessairement liées à la place envisagée pour l’Occupant. La direction de la monnaie et des finances, comme celle des prix et des salaires, s’appuie en grande partie sur des textes et pratiques, déjà expérimentées pendant la « drôle de Guerre » par Yves Bouthillier, qui apparaît comme le maître d’œuvre. Dans le domaine industriel, en revanche, experts et gouvernants doivent faire fonctionner le nouvel appareil dirigiste mis en place à partir de l’été 1940.
I. LA DIRECTION DE LA MONNAIE ET DES FINANCES : LA « POLITIQUE DU CIRCUIT » (JUILLET 1940-AVRIL 1942)
2La direction de la monnaie et des finances connaît une assez grande continuité dans ses principes et ses responsables, par rapport à la « drôle de Guerre », comme en témoigne la présence d’Yves Bouthillier, expert promu au rang de gouvernant. Mais la politique financière et monétaire poursuivie, notamment celle du « circuit » et du franc fort, est soumise à la contrainte majeure des exigences allemandes, qui fonctionne à la manière d’une « triple pompe aspirante » (Yves Bouthillier).
1. La « triple pompe aspirante » (Y. Bouthillier).
3Aux premiers jours de l’Occupation, trois exigences allemandes, au-delà même des termes de l’Armistice, vont lourdement peser sur la direction des finances et de l’économie. Dès le 19 mai 1940, peu après la percée de Sedan, une ordonnance du commandant en chef de l’armée fixe la valeur du mark à vingt francs, le surévaluant d’environ quarante pour cent par rapport au niveau des prix relatifs de 1939. En outre, le 8 août, à la Commission d’Armistice de Wiesbaden (instituée d’après l’article 22 de l’armistice), Hemmen signifie aux délégués français l’exigence de verser 400 millions de francs par jour, pour l’entretien des troupes d’occupation : c’est bien l’application de l’article 18 de l’Armistice, mais les chiffres avancés excèdent de beaucoup les besoins, même élevés, de la Wehrmacht1. Et, le même jour, le Reich notifie sa volonté de conclure un accord commercial avec la France. Le 14 novembre, 1’« accord de compensation » est effectif, dont une clause précise que « l’office de compensation de Paris procédera au paiement en France à concurrence des sommes versées en marks dès la réception des avis ». Dans les faits, comme les « exportations » françaises vers l’Allemagne doivent largement l’emporter, l’accord de clearing met à la charge du Trésor le déséquilibre des échanges, dès le moment où le solde, grandissant en faveur de la France, n’est jamais réglé. Malgré les protestations de Yves Bréart de Boisanger, sous-gouverneur de la Banque de France, qui dirige la section économique de la Délégation française à Wiesbaden — aidé par Maurice Couve de Murville et Jean Bichelonne, secrétaire général à l’Industrie — rien n’y fait. Ces débats, connus grâce à la publication des Comptes-rendus de la Délégation française près de la Commission d’armistice, soulignent la détermination allemande originelle à outrepasser les termes de l’Armistice. Et il faut ajouter que, au même moment, se sont engagées des négociations économiques sur des « contrats » de livraison ou des cessions de participations, ce qui élargit la marge de manœuvre de l’Occupant2. Cette « triple pompe aspirante » constitue un système habile pour piller les ressources françaises : le cambrioleur s’assure la maîtrise du compte en banque de sa victime — régulièrement provisionné par elle — avant de lui acheter ses biens3. Pour les responsables des Finances, la menace de mise en circulation des sommes ainsi aspirées est vécue comme le facteur majeur de déséquilibre, une véritable épée de Damoclès suspendue sur l’intégrité du franc.
2. La politique du « franc lourd » et l’engrenage dirigiste.
4Ces contraintes rendent plus malaisée l’application de la « fermeture du circuit » : Yves Bouthillier doit poursuivre et radicaliser la politique qu’il a menée, en qualité de secrétaire général des Finances, sous Daladier-Reynaud.
• Le drainage vers le Trésor.
5Les préoccupations de la « direction du Trésor » — héritière en 1940 du Mouvement général des Fonds — n’ont guère varié. Après les avances importantes de la Banque de France en juin et juillet (neuf et quinze milliards), la situation s’améliore à l’automne et, en octobre, les avances se réduisent à 350 millions, alors que l’emprunt à court terme et la fiscalité rapportent 6,3 et 5,5 milliards, soit la presque totalité des ressources consommées par le Trésor. Une note de trésorerie y voit « le témoignage évident que les mesures économiques prises par le gouvernement et le maintien général de la confiance dans le crédit public ont parfaitement réussi à ramener vers le Trésor les disponibilités forcées que crée provisoirement la stagnation présente des affaires industrielles et commerciales »4.
6En 1940, sur 220 milliards consommés par le Trésor, les recettes budgétaires représentent soixante milliards, et les avances de la Banque cinquante-cinq — soit un quart, malgré la secousse financière de mai-juin. La direction du Trésor se félicite du fait que les émissions à court terme aient permis de récolter près de soixante-dix milliards, soit un tiers du total. Et, dans les prévisions pour 1941, la perspective de faire appel au marché financier et monétaire pour quatre-vingt-dix milliards apparaît réaliste, « si aucune reprise économique ne vient offrir aux capitaux un autre emploi que le placement en valeurs du Trésor5. Entre l’automne 1940 et le début de 1941, Yves Bouthillier met ainsi en place les principaux rouages et principes de la direction des finances et de l’économie, qui vont se maintenir jusqu’en 1944, sans changement important. L’objectif fondamental du ministre des Finances est d’éviter que des fuites ne se produisent dans le circuit. Or, plus les autorités d’Occupation puiseront rapidement dans le compte ouvert pour elles, plus les risques seront grands de voir les francs qu’elles auront dépensés se porter vers des biens et des services en quantité insuffisante, à la suite de la pénurie, des difficultés issues du conflit et de leurs propres prélèvements. D’où, les divers rouages d’un dispositif destiné à attirer vers le Trésor les sommes que l’Occupant — et secondairement l’État français — le contraint à faire sortir. La finalité essentielle du ministre — et son successeur poursuit cette politique — est de défendre le franc, quelle que soit l’ampleur du malheur des temps : « Nous prîmes la résolution (...) de rendre à notre pays, le moment venu, un franc aussi lourd que possible afin de permettre à la société française de rester forte »6. Un calcul sommaire montre cependant les implications d’une telle détermination. Sur un revenu national, estimé alors grossièrement autour de 220 milliards de francs, les Allemands s’apprêtaient à en prélever 150 : il restait moins de 100 milliards à partager (contre environ le double en 1938), ce qui revenait à demander une réduction de moitié du niveau de vie moyen. Ainsi, les Français disposaient d’un double pouvoir d’achat, celui nécessaire à satisfaire ce niveau de vie, amoindri et tolérable, et l’autre, nuisible s’il s’employait, que l’État allait s’ingénier à stériliser. Ces principes, défendus par Yves Bouthillier et acceptés par les autres ministres, entraînent les responsables dans un engrenage dirigiste, totalement inédit en France.
• Le contrôle des changes et des revenus.
7Il faut d’abord renforcer le contrôle des changes, afin d’éviter la sortie des billets et la disparition des devises, mais aussi de réglementer l’entrée éventuelle de capitaux. En outre, il était possible d’élever les prélèvements fiscaux mais, par tradition, les responsables d’alors y répugnent, en particulier par souci de ne pas amputer les patrimoines ou les revenus autres que ceux de l’agriculture qui, eux, échappent largement à l’impôt. Toutefois, la loi du 30 janvier 1941 institue une modification de l’impôt sur les bénéfices de guerre, qui ne deviennent imposables que s’ils dépassent la moyenne de ceux réalisés en 1937 et 1938. Et, en janvier 1942, l’impôt sur les bénéfices agricoles est révisé : son rendement passe d’une trentaine de millions de francs (!) à un peu plus d’un milliard en 1942. Plusieurs mesures sont destinées à contrôler les revenus, certains investissements et le marché financier en général. Outre les salaires et les traitements — on y reviendra — l’État soumet la répartition des dividendes à des règles strictes. La loi du 28 février 1941 interdit aux sociétés — jusqu’à la fin des hostilités — de répartir des sommes supérieures à celles des trois exercices précédant 1940. Et celle du 15 mars 1941 soumet à la taxation (de 33, puis 25 %) les actions et tous les titres libellés en monnaie étrangère, achetés depuis cette date et revendus dans le délai d’un an7. Elles sont destinées à enrayer le mouvement de hausse à la Bourse — 70 % d’avril 1940 à février 1941 — qui, fermée le 10 juin 1940, a été ouverte de nouveau le 14 octobre. Puis, à l’été 1941, d’autres mesures sont prévues pour décourager l’accès au marché : restriction de la réglementation des achats de valeurs, contrôle préalable des cessions de titres, autorisation d’élever par simple arrêté du ministre le taux des impôts sur les opérations de Bourse. Mais, seules les deux dernières sont acceptées par les Allemands, à la fin de 1941. En 1942, l’organisation des bourses de valeurs est fortement encadrée. Un Comité des Bourses est institué. Parallèlement, les agents de change limitent à trois, puis un pour cent, les écarts de cours, lors d’une même séance. L’édifice est couronné par la création de la Caisse centrale de Dépôts des Virements de titres (CCDVT). Rendu ainsi plus inaccessible et plus onéreux, le marché financier, déjà éprouvé par la Crise, allait mettre du temps pour se relever des coups ainsi portés par Vichy. De même, la loi du 16 novembre 1940 soumet à l’autorisation préalable toutes les transactions immobilières. Et l’interdiction d’acheter de l’or, décidée dès 1939, est confirmée.
• Le marché monétaire : le miracle des Bons ?
8Les revenus ainsi contrôlés, la fermeture du circuit consiste à faire refluer vers le Trésor la part maximale de l’épargne : les bons du Trésor ont constitué l’instrument essentiel de ce drainage systématique. Sur l’ensemble des années 1940-44, ils sont émis à concurrence de 491 milliards, soit presque quarante pour cent des charges totales de la trésorerie8. Obsédé dès 1939 — on l’a vu — par l’exemple de la guerre précédente, Yves Bouthillier se félicite d’avoir évité le moratoire en 1940, et limité les avances de la Banque de France jusqu’en 1942 à une proportion des charges moindre qu’en 1914-1918. Cette politique, fondée sur le recours au marché monétaire, poursuit, en fait, celle inaugurée dès 1938 : elle implique une étroite collaboration avec la Banque de France et les banques elles-mêmes. Les lois des 13 et 14 juin 1941 réglementent fermement l’organisation bancaire, soumise à un Comité permanent d’organisation — et non « provisoire », comme dans la loi du 16 août 1940 sur les CO — de cinq banquiers, tous nommés par le ministre des Finances, et contrôlée par une Commission de Contrôle des Banques, comprenant le directeur du Trésor, le gouverneur de la Banque de France et le président du CO. Elles résultent des travaux d’un Comité de travail, confié à Henri Ardant, président de la Société générale9. Le rôle essentiel des banques consiste à veiller à la bonne tenue du marché monétaire et, surtout, aux souscriptions de bons du Trésor. Les effets publics qui, en 1938, ne représentent qu’un tiers du portefeuille des banques, atteignent les quatre cinquièmes, lors du retour de Laval en avril 1942, et même les neuf dixièmes à la fin de 1943. De manière corollaire, en 1940 et 1941, les dépôts bancaires augmentent de quatre-vingts milliards (de 85 à 165 milliards), dans la même proportion (quatre-vingts pour cent) que la masse monétaire (qui passe de 150 à 270 milliards). Et les souscriptions des bons du Trésor à court terme dépassent même (148 contre 120 milliards) l’accroissement de la masse monétaire, bouclant ainsi le circuit. Le Trésor émet des bons sous des noms variés (bons du Trésor, bons d’épargne...) et avec des gammes larges (de soixante-quinze jours à deux ans).
9Dès l’automne de 1940, Yves Bouthillier s’efforce aussi de limiter la menace virtuelle des fonds thésaurisés, en faisant adopter plusieurs mesures, destinées à développer les paiements sans monnaie, et à faire séjourner les sommes les plus importantes dans le marché monétaire, en tentant de ralentir le plus possible leur vitesse de circulation. Plusieurs lois (22 octobre 1940 — 28 février 1941 — 17 novembre 1941) rendent obligatoire l’emploi de chèques pour les versements supérieurs à 3 000 francs et favorisent leur circulation. Dès le 12 septembre 1940, l’État finance des fabrications jugées utiles, grâce à des « lettres d’agrément » auprès de la CNME. Une loi du 12 octobre autorise le Trésor à régler certaines dépenses publiques par des traites sur le Crédit national qui, négociables sur le marché monétaire, peuvent s’apparenter à des bons. Enfin, les dépôts dans les Caisses d’Épargne voient leur plafond en élévation constante, et sont gratifiés d’une prime récompensant l’abstention de retrait pendant un an (Loi du 31 décembre 1940). En 1940, 1941 et 1942, le produit des bons du Trésor couvrent respectivement la totalité, puis deux tiers des dépenses effectives, prélevées par les services allemands sur leur tribut. Parallèlement, du fait de l’absence d’autres débouchés pour ces fonds, les taux d’intérêts peuvent être abaissés de 2 à 1,5 % aux bons à trois mois de 1939 à 1941, et de 2,75 à 2,25 % pour ceux à un an. De même, le taux de l’escompte est abaissé à 1,75 % en mars 1941. Là encore, la comparaison avec la Première Guerre mondiale est flatteuse (4 % pour les bons à trois mois ; 5 % pour les bons à un an ; 4 % pour le taux de l’escompte en 1914). Les bons du Trésor apparaissent, au moins jusqu’en 1942, comme les leviers privilégiés de la « fermeture du circuit », car ils jouent leur rôle de stérilisation du pouvoir d’achat excédentaire : « Ce fait merveilleux eût ravi les ministres des Finances les plus intelligents des temps modernes, de Calonne à Caillaux » ; ils forment « l’instrument de stabilité d’une économie étroite et austère »10. Mais le succès relatif de la politique de circuit reflète avant tout « le malheur où l’économie française avait été précipitée », et l’absence d’autres emplois que les bons d’État, à la fois pour les épargnants et pour les banques11.
• Le marché financier : des conversions abusives ?
10Les responsables de la rue de Rivoli se gardent de solliciter trop le marché financier, qui assure jusqu’en 1944 une part très faible du total des charges de trésorerie12. En revanche, ils tiennent à profiter de l’absence d’emplois de l’épargne pour opérer diverses conversions, mais avec prudence. De mars à décembre 1941, cinq opérations diverses (par le Crédit national, la SNCF) permettent de convertir et de consolider cinquante milliards, et d’en récolter trente. Plus intéressant encore, en mars 1942, sont convertis deux emprunts particulièrement coûteux, parce qu’assortis d’une garantie de change : l’emprunt 4 % 1925 et 4,5 % de la « pause » de 1937. En effet, la livre s’est appréciée de 85 % depuis 1925, et le dollar de 110 % depuis 1937. Quant aux rares émissions, elles sont effectuées à un taux très faible. Il apparaît clairement que c’est sous le gouvernement de Vichy que le poids de la Dette régresse fortement dans les charges totales de la trésorerie : leur part passe d’environ un tiers pour les années 1934-36, à seulement un peu plus d’un dixième pour 1940-44. La rupture, que l’on note souvent pour l’après-guerre, date en fait des débuts de l’Occupation et de la politique systématique de conversion et d’extrême abaissement du loyer des capitaux, pratiquée par Yves Bouthillier13. Ce dernier, plusieurs années après la Libération, a avoué avoir été visité par le « démon de la pensée abstraite », et a évoqué « la contradiction (...) à faire avec tant de conviction une politique destinée à sauvegarder les patrimoines privés des Français et à amputer par d’incessantes conversions le revenu des créances »14. François Bloch-Lainé parle à ce propos de « conversions faites abusivement sous l’Occupation par des techniciens trop zêlés »15. Certes, l’inflation a relayé après la guerre le « zèle » des techniciens de l’Occupation. Mais, ajoutée aux mesures destinées à brider les opérations mobilières, cette politique de « baisse provocante du taux de l’intérêt »16 n’est pas restée sans effet sur la méfiance durable de l’épargnant français, et sur les difficultés, présentes longtemps encore après la Libération, pour ranimer un marché financier en plein marasme.
3. Les réalités du circuit en 1941-42.
• 1941 : fermeture relative.
11Au premier semestre de 1941, le circuit est assez bien fermé. Henri Deroy, le secrétaire général de la rue de Rivoli, peut se féliciter devant le Comité budgétaire, en juin 1941, d’avoir entrepris une opération de conversion, et lancé un emprunt au taux record de quatre pour cent ! Les émissions de bons à court terme rapportent environ dix milliards par mois, comme avant la défaite. À la fin de juin, Yves Bouthillier établit de nouveau un budget pour l’exercice 1941, débattu devant un Comité budgétaire, du fait de la disparition du Parlement. Mais, à l’automne, les dépôts dans les banques et les caisses d’épargne, qui se sont accrus dans la première moitié de l’année, se ralentissent, de même que les souscriptions aux bons, qui s’établissent ainsi à une moyenne de six milliards par mois pour l’année 1941. Et, malgré une centaine de milliards récoltés par l’emprunt, il faut accroître les avances de la Banque d’environ soixante-treize milliards, qui correspondent à la moitié du tribut allemand. En fait, l’Occupant utilise quatre-vingts pour cent (115 sur 144 milliards) du montant disponible sur son compte, proportion nettement supérieure à celle de 1940 (la moitié) : la vitesse d’utilisation s’accélère d’autant plus que, à Wiesbaden, la délégation française s’appuie sur l’importance du solde non dépensé pour souligner le caractère abusif des sommes versées. Au total, les effets à court terme et les ressources des correspondants du Trésor ont réussi à couvrir plus de soixante pour cent de l’impasse, et quarante-cinq pour cent du total des charges. Les avances de la Banque ont été limitées respectivement à trente- six et vingt-cinq pour cent. L’inflation fiduciaire réelle — la différence entre le recours aux avances de la Banque et la part non utilisée du tribut — se monte en fait à environ cinquante milliards, soit moins d’un quart du volume de la circulation au 1er janvier 1941 : cela donne la mesure de la fermeture relative du circuit. Les autorités financières pouvaient se montrer soulagées d’avoir limité le recours aux avances à une somme correspondant seulement à la moitié du prélèvement allemand qui, à lui seul, représente plus de la moitié des charges totales de la trésorerie.
12Après la crise du 13 décembre 1940, ouverte par le renvoi de Laval, et parallèlement aux négociations menées par l’amiral Darlan — débouchant sur les accords de Paris du 28 mai 1941 — des discussions s’engagent sur les frais d’occupation. À la suite d’une conférence, tenue rue de Lille, le 8 mai 1941, entre Abetz, Hemmen, Vogl et Bouthillier, Darlan, Barnaud et Benoist-Méchin, une négociation s’ouvre : les versements, à partir du 11 mai, sont abaissés à 300 millions de francs journaliers17. Lors des discussions de juin, les Allemands proposent de réduire les versements à 200 millions, en échange d’une fraction (20 millions de francs par jour), réglée grâce à un transfert de valeurs. Yves Bouthillier acquiesce, contre l’avis des Finances extérieures et de son directeur, Maurice Couve de Murville18. Mais cet accord des 3-21 juillet 1941, accepté en Conseil des ministres, est victime de l’échec de la politique d’« ère nouvelle » de Darlan - Benoist-Méchin et du triomphe, du côté allemand, de la ligne Ribbentrop, pour laquelle le Reich refuse de « transformer l’armistice en collaboration »19. Dès le 16 juillet, le chef de la Wilhelmstrasse rejette tout accord. Une semaine après, le général Vogl, qui dirige la Commission de Wiesbaden, exprime aux représentants français la volonté du ministre de ne plus envisager aucune solution aux négociations en cours, dont celle sur les frais d’occupation. Yves Bouthillier note : « La porte de la négociation avec le Reich fut fermée. Elle ne se rouvrit jamais plus (...). J’eus le sentiment alors que la collaboration économique avec le Reich était morte »20. Cet accord mort-né souligne toutefois le clivage au sein des hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli et de l’Inspection des Finances. La priorité pour Yves Bouthillier consiste à réduire les frais d’occupation, par souci de défense du franc : « Je devais éviter qu’au malheur de l’Occupation ne s’ajoutassent les souffrances qu’eût infligées au peuple français une débâcle monétaire »21. Il considère comme un moindre mal de transférer vingt millions de francs de valeurs par jour, dans la mesure où ce chiffre lui paraît limité, et peut être couvert par les titres de la dette balkanique ou par des participations en Pologne, qui échappent de fait à leurs propriétaires. En outre, il se retranche derrière le fait que la désignation des valeurs devait, aux termes du texte de juillet, résulter d’un commun accord. Pour les responsables des Finances extérieures, la cession de valeurs semble au contraire plus grave, dès le moment où la lutte contre l’inflation leur apparaît comme une cause perdue. Au total, la réduction des versements entre mai et décembre 1941 explique que, pour l’année, le circuit ait été assez bien fermé. Mais, au-delà de la pression inflationniste effective, exercée par l’ampleur des dépenses opérées par l’Administration militaire allemande sur son compte, s’ajoute la pression virtuelle des sommes non dépensées : ainsi, au 31 décembre 1941, soixante-cinq milliards restent disponibles, et pèsent sur les perspectives de l’exercice suivant.
• La dégradation en 1942.
13Les débuts de l’année 1942 se présentent de manière plus sombre. Une double action nocive des Autorités d’Occupation rend compte de la dégradation de la situation financière. Tout d’abord, les prélèvements sur les matières premières, la production et les moyens de transports s’accentuent, aggravent la pénurie et la difficulté de tenir les prix. Corollairement, la vitesse d’utilisation du tribut s’accélère : de sept milliards mensuels en 1940, à huit en 1941, ce sont désormais onze à douze, qui sont prélevés au premier semestre de 1942. Les versements mensuels, maintenus à 300 millions, n’augmentent pas en volume jusqu’à la crise de novembre 1942, mais la cadence des prélèvements atteint désormais quatre-vingts pour cent et porte aussi sur le solde de 1941. Ce qui a limité l’inflation l’année précédente aggrave la situation, l’année suivante. À la fin du printemps de 1942, peu après le retour de Laval, on constate un dérapage des prix, une certaine fuite devant le franc et un gonflement du marché noir. Cependant, pour des charges de trésorerie voisines de celles de 1941 — autour de 300 milliards — l’impôt en couvre environ un tiers et l’emprunt environ quarante pour cent, soit plus de soixante pour cent de l’impasse. Le recours aux avances de la Banque est légèrement moindre qu’en 1941 — soixante- sept milliards contre soixante-treize — et constitue une part inférieure de l’impasse (trente-trois, contre trente-six pour cent), mais il faut lui ajouter le dégonflement du solde de 1941 sur le compte de l’Administration militaire allemande, pour près de cinquante milliards. Ainsi, la stabilité relative de l’année 1941 se trouve contrebalancée par les difficultés de 1942, bien que le tribut financier soit sensiblement voisin (même part des charges totales de trésorerie) : la circulation fiduciaire augmente de plus de quarante pour cent (passant de 270 à 382 milliards). Au total, l’emprunt et l’impôt ont couvert les trois quarts des charges totales du Trésor en 1941-42. Mais, l’ouverture inexorable du circuit, du fait des difficultés et d’une pression allemande croissantes à partir de novembre 1942, allait compliquer la tâche de la rue de Rivoli.
II. PRIX, RAVITAILLEMENT ET SALAIRES
14Afin de maintenir le circuit le plus clos possible, le ministre des Finances est conduit, dès l’automne 1940, à compléter sa politique monétaire et financière par une armature dirigiste, destinée à tenir prix et salaires.
1. La politique des prix : des « mesures austères ».
15Une loi du 21 octobre fixe la Charte des prix, qui tente d’harmoniser et de renforcer les textes législatifs et réglementaires publiés depuis la loi proposée par Charles Spinasse, en août 193622. Du système de simple surveillance de 1936, le décret-loi du 9 septembre 1939 a institué le blocage (au niveau atteint le 1er septembre 1939), ce que la Charte confirme. En outre, les organes créés connaissent la double évolution de l’étatisme et de l’autorité croissante. Au Comité central des Prix, la majorité se situe nettement du côté des fonctionnaires, qui disposent de sept sièges, contre seulement trois pour les représentants des producteurs et consommateurs. Et les organismes de surveillance, consultatifs à l’origine (1936), acquièrent des pouvoirs de décision. Parallèlement, le ministère des Finances dispose d’une sous-direction des Prix, fortement étoffée par rapport à l’avant- guerre, sous l’autorité de M. Fourmon.
16Le ministre des Finances souhaite « tenir » les prix, dans la perspective de sa politique du « franc lourd ». Il sait toutefois que pour assurer une certaine production, notamment agricole, il ne peut être question de s’en tenir strictement au niveau de 1939, d’où les tâtonnements successifs. Au début de mars 1941, Yves Bouthillier fait confirmer par le CEI unanime le principe du blocage avec dérogations possibles23. Et, à la séance du 22 mars, « il fixe (...) la doctrine qu’il demande aux membres du Comité d’approuver : le franc actuel, même s’il doit subir de petites amputations, doit durer jusqu’à la paix. C’est une condition essentielle pour conduire des négociations acceptables »24. Même si la Charte issue de la loi du 21 octobre permet de taxer les prix de vente à tous les stades, le ministre doit rédiger une succession de circulaires et d’arrêtés entre janvier et juillet 1941, afin de bâtir le régime des « taux de marque ». Aux termes du décret du 9 septembre 1939, malgré l’affirmation du blocage, les préfets devaient s’arranger pour désigner des contrôleurs — non rémunérés — parmi d’anciens fonctionnaires. Mais — on l’a vu — lors de la débâcle, l’administration des prix n’existe toujours pas. Elle se met en place à l’automne de 1940. Désormais, la prééminence du ministre est incontestable, puisque lui seul détient un pouvoir délibératif, le Comité central des Prix et les comités départementaux n’ayant qu’un rôle de conseil.
17Dans les faits, la procédure est lourde, puisque les prix sont débattus dans les services ministériels à Paris, puis au Comité central des Prix, et, pour les plus importants, au CEI, puis les arrêtés sont encore examinés par les Allemands, avant d’être signés par les ministres à Vichy. En outre, la baisse d’activité de l’hiver 1940-41 alourdit les coûts, ce qui entraîne les demandes de dérogations. Olivier Moreau-Néret, secrétaire-général pour les questions économiques, et responsable des prix à la rue de Rivoli, estime que lorsque la baisse d’activité a été trop forte, il n’est pas possible d’accorder une hausse corrélative des prix et que, la riposte à l’élévation des coûts réside dans l’organisation de la profession25. Dans cette politique de prix administrés, il apparaît difficile de suivre une ligne de conduite très cohérente, face aux réclamations des professionnels26. Le souci apparaît toutefois, dans un premier temps, d’accorder des dérogations pour les prix agricoles, au début de 1941 : il est escompté qu’une partie du pouvoir d’achat des paysans pourra être stérilisée ou employée à l’achat de produits industriels, dont les prix seront plus lentement réajustés. Le prix du quintal de blé est effectivement relevé de 210 à 245 francs, contre plus de 300 réclamés par Hallé, président de l’Office27. Mais ce schéma se heurte, dans les faits, à une série d’obstacles.
• Les interventions allemandes.
18Tout d’abord, les services officiels de l’Administration militaire allemande se montrent particulièrement peu enclins à accepter les hausses présentées par la sous-direction des Prix28. Épisode parmi de multiples, au CEI du 21 juin 1941, alors qu’il est question d’élever les prix du plomb et du zinc, inchangés depuis avril 1940 — le retard atteint alors 2 000 à 2 200 francs par tonne — le procès-verbal signale l’opposition des Allemands, qui rend la situation « inextricable », et contient l’exclamation suivante : « ils ne veulent à aucun prix que nos prix atteignent les leurs »29. La compression des prix français accroît encore le pouvoir d’achat du tribut et permet d’éviter, aux yeux des Autorités d’occupation, des dérapages générateurs de troubles. À la fin de l’été 1941, dans une conférence prononcée à Paris, le Directeur du Travail en Allemagne incite les services français à s’inspirer du système allemand, et recommande une politique de subventions d’État associée au blocage, en particulier pour les produits de première nécessité. Les services de la rue de Rivoli jugent cette politique dangereuse, et craignent l’accroissement des charges pour le Trésor. Jacques Barnaud précise peu après, pour le CEI : « Les Allemands redoutent au premier chef une hausse des prix susceptible de provoquer la faillite du système des salaires et du ravitaillement. À cet égard, ils s’étonnent qu’il n’y ait pas en France un véritable dictateur aux prix disposant de moyens et d’une autorité dont n’approche pas notre service »30.
• Les fuites dans le circuit.
19Un second obstacle vient contrarier la politique gouvernementale : dès le début de 1941, il apparaît que des failles se glissent dans le système. En mars, Jean Berthelot, secrétaire d’État aux Communications, annonce : « Le contrôle des prix s’avère impuissant à faire respecter certains prix (...) la SNCF s’est trouvée récemment dans l’obligation, pour assurer son service, d’acheter à des prix supérieurs aux prix autorisés »31. Et, en mai, François Lehideux, commissaire à la lutte contre le chômage, réclame un « contrôle serré » à l’égard d’un « très grand nombre d’entreprises industrielles qui font des profits excessifs »32. Et les difficultés pour faire respecter les prix licites se doublent de celles pour assurer le rationnement effectif des quantités.
2. La politique du ravitaillement : le rationnement et ses limites.
20La loi du 11 juillet 1938 accordait à l’État le pouvoir de rationner. Le décret du 1er septembre 1939 sur le Ravitaillement général de la Nation en temps de guerre attribue ce pouvoir au ministre de l’Agriculture. Mais les services du Ravitaillement des produits de consommation ne se mettent vraiment en place qu’après la défaite, sous la responsabilité d’un nouveau secrétaire d’État, Jean Achard, puis Paul Charbin. Le rationnement de quantités, restreintes par la pénurie et les prélèvements, forme un complément à la politique des prix. Or, les difficultés de ravitaillement apparaissent de manière très précoce, et les défaillances du Ravitaillement sont soulignées par les réorganisations administratives successives, opérées au cours de l’année 1941. À la fin de juin, François Lehideux déclare au CEI, à propos du ravitaillement de Paris : « La situation devient tragique »33.
21Peu après, le maréchal Pétain et ses collaborateurs souhaitent une modification de l’organisation du Ravitaillement. Un projet est présenté au Conseil des ministres du 23 août : il est créé des répartiteurs régionaux et départementaux, qui sont des fonctionnaires, assistés par des comités interprofessionnels consultatifs34. Après la création des préfets régionaux, leur rôle devient primordial, selon les vœux exprimés par le Maréchal : il comprend l’établissement d’un bilan et l’application d’un plan mensuel, et leur assure l’autorité sur les différents services régionaux, en faisant d’eux les représentants de tous les ministres intéressés35. Malgré cela, plusieurs ministres, dès ce moment, signalent l’importance du marché noir et l’impossibilité de respecter les rations. Ainsi, pour la viande, alors que les prélèvements allemands se montent à un rythme de 170 000 tonnes annuelles (pour une production de 850 000 tonnes), la ration, même abaissée en mars de 350 à 250 grammes hebdomadaires par personne, n’est pas atteinte : selon René Belin, la ration effective dans les villes, serait, en moyenne, à peine deux fois moindre, chiffre confirmé pour Paris par Jean Berthelot, qui signale toutefois l’arrivée chaque semaine dans la capitale de1 200 tonnes de viande, soit cinq millions de rations à 250 grammes36. Jacques Barnaud indique : « Le marché noir est considérable en zone occupée », et François Lehideux rappelle la présence de viande dans tous les restaurants. Il ajoute que, pour les cuirs, les statistiques des peaux au Ravitaillement sont de moitié inférieures à celles de la Production industrielle, du fait d’un « abattage clandestin considérable dans les campagnes »37. De plus, à l’automne, il apparaît que la récolte sera très déficitaire. En septembre, Alfred Sauvy, appelé comme expert à la séance du CEI, précise que sur 1 400 calories journalières nécessaires, les 1 200 plus accessibles coûtent quatre francs, alors que les 1 200 autres nécessitent une dépense six fois supérieure38. En octobre, le président de l’Office du Blé signale que les céréales secondaires ne sont livrées qu’au marché noir, et que la fraude s’étend désormais au blé, l’Office, avec ses trente-cinq contrôleurs, paraissant impuissant39. Un projet de réorganisation du Ravitaillement est de nouveau adopté, sans guère de résultats40. Ainsi, les difficultés pour faire fonctionner l’appareil dirigiste du Ravitaillement sont contemporaines de sa mise en place. Dès le printemps de 1941, plusieurs ministres recommandent une répression accrue. Yves Bouthillier, en juin, déplore au CEI que la législation en vigueur soit « trop mollement appliquée par la Justice » ; et le procès-verbal ajoute : « Il se propose de substituer aux pénalités des mesures administratives (camps de concentration)»41. Mais, dès 1941, du fait de la modicité des rations effectives ou de certains prix autorisés à la production, le système ne peut être efficacement amélioré par ces seules mesures.
3. La politique des salaires : la compression.
• La « vertu » du « sacrifice » (Yves Bouthillier).
22Les salaires, bloqués par le décret du 10 novembre 1939 (au niveau atteint le 1er septembre 1939) n’ont officiellement pas varié depuis février 1938. Or, au printemps de 1941, les prix alimentaires sont supérieurs à ceux de 1938 de trente-cinq à quarante pour cent. À la fin de mars 1941, alors qu’il est question de relever les prix du blé, Yves Bouthillier déclare devant le CEI : « La politique des salaires est extrêmement sévère puisque tous ont été à peu près stabilisés. On arrive à la limite d’élasticité de la faculté d’achat des consommateurs »42. Jean Berthelot, quant à lui, « précise que le blocage des prix n’a joué jusqu’ici qu’à sens unique, seulement sur les salaires et pas sur les denrées »43. Mais le ministre des Finances, responsable en dernier ressort de l’équilibre général, poursuit : « ... si la guerre doit durer, notre système monétaire doit durer jusqu’au bout ; il faut donc être prudent et vivre à la limite des possibilités des sacrifices de la population et des possibilités des finances publiques »44. Dans ses Mémoires, il ajoute que, dans sa stratégie de retardement du processus d’érosion monétaire, « il est nécessaire de sacrifier la hausse des salaires à celle des prix et se résigner à laisser monter ceux-ci d’abord. (...) Osons voir les choses telles qu’elles sont. La vertu du système réside dans ce sacrifice »45.
23Cependant, en mai 1941, René Belin évoque 1’« effervescence urbaine sur les salaires », du fait de l’augmentation des prix des produits alimentaires, et Pierre Pucheu, alors ministre de la Production industrielle, considère comme « inévitable à brève échéance » le relèvement du salaire de base46. Il paraît d’autant plus difficile de maintenir le blocage intégral que, lors de la même séance, « le Comité reconnaît unanimement que la plupart des lois sociales ne sont pas appliquées »47. Et, dans un discours prononcé à Toulouse, le 14 mai 1941, René Belin confirme : « Nous savons très bien que les salaires ont été souventes fois (sic) amoindris, soit parce que les conventions n’ont pas été respectées, soit parce que le chômage partiel ou le chômage total (...) ont réduit les possibilités de vie de chaque foyer »48.
• Les ajustements du printemps 1941.
24Quelques mesures sont décidées pour atténuer les effets du blocage (qui demeure), selon l’importance de la famille. En février, le taux des allocations familiales est majoré. La loi du 29 mars 1941 crée le « sursalaire familial », à travers une allocation de salaire unique, dont le taux varie en fonction du nombre d’enfants. Ces mesures entraînent une revalorisation partielle, inférieure à dix pour cent. Puis, la loi du 23 mai 1941 accorde une augmentation aux seuls assujettis aux assurances sociales (dont les gains n’excèdent pas 30 000 francs par an) : elle se situe également autour de dix pour cent49. Enfin, René Belin est autorisé, à la fin mai, à envoyer une circulaire aux préfets et Inspecteurs du Travail afin d’envisager le relèvement des « salaires anormalement bas ». Mais le débat sur l’ampleur exacte de cette mesure va s’étendre sur plus de six mois.
• Un double obstacle.
25Pour une double raison, il apparaît que, comme pour les prix, dans certains cas, le blocage des salaires n’est pas respecté. Tout d’abord, certaines entreprises sont conduites à tourner le blocage des salaires, notamment pour les spécialistes, ou parce qu’il n’est plus supportable, avec l’élévation du coût des denrées alimentaires au printemps 1941. À la séance du CEI du 1er août 1941, il est question d’infliger une amende de cinq millions à la firme Gnôme-et-Rhône, pour avoir versé des salaires trop élevés. Jacques Barnaud juge la mesure « inopportune », au moment où « de nombreux salaires sont payés sous les tarifs des conventions collectives ». C’est René Belin, au contraire, qui penche pour la rigueur50. D’autre part, l’attitude des Autorités d’Occupation apparaît contradictoire à l’égard des salaires, en partie du fait de la multiplicité des services allemands. La sollicitude des Allemands à l’égard de la main-d’œuvre française apparaît dès les lendemains de l’armistice, à un moment où l’on recense près d’un million de chômeurs complet, (cf. graphique p. suiv.). L’Organisation Todt (ou OT) — du nom du ministre de l’Armement du Reich — chargée de construire des abris bétonnés pour sous-marins le long de la côte atlantique, tente d’attirer les chômeurs français, à partir de l’automne 1940. En mars 1941, le président de la Région économique du Nord signale la position des Allemands, qui consiste « à créer du chômage de façon à se procurer de la main d’œuvre qui paraît leur faire gravement défaut »51. Au même moment, François Lehideux juge « intolérable » la demande de la Wehrmacht d’exercer un contrôle sur les travaux contre le chômage, qui « ne se justifie que par une politique générale de recherche de la main d’œuvre »52. Dans le même temps, le Front du travail allemand (Deutsche Arbeits Front ou DAF) commence à ouvrir des bureaux d’embauche dans la zone occupée — surtout en Région parisienne, où se concentrent, à la fin de 1940, plus de la moitié des chômeurs — et à attirer, par l’annonce de salaires supérieurs à ceux des entreprises françaises, la main d’œuvre destinée aux usines de guerre en Allemagne. Les responsables français s’alarment, en particulier François Lehideux, qui constate, en mai, la disparition quasi- totale des chômeurs, à l’exception des « incapables »53. Il parvient à un accord avec le service d’Armement de la Wehrmacht (Rüstungsabteilung Der OKW ou « Rüstung ») pour maintenir la main d’œuvre en France, en échange du placement de commandes allemandes auprès de certaines usines françaises. Mais la surenchère entre les trois organismes (OT, DAF, Rüstung), qui s’ignorent, s’exerce en partie à travers une certaine concurrence sur les salaires directs ou indirects offerts à la main d’œuvre. À cela, s’ajoutent les contradictions allemandes quant à la position à l’égard des salaires français. Officiellement, l’Administration militaire allemande est hostile à tout relèvement des salaires. Mais, en septembre 1941, le secrétaire général au Travail signale les différentes attitudes des services allemands, à propos du relèvement des bas salaires, toujours en débat54. En particulier, les responsables français déplorent la campagne, jugée démagogique, orchestrée par la presse de la zone occupée (notamment Déat) — largement soumise à l’Ambassade d’Allemagne — en faveur d’un relèvement des salaires. En juin 1941, Jacques Barnaud proteste auprès des autorités militaires. En septembre, Yves Bouthillier propose d’intervenir auprès de la rue de Lille, en vue de « neutraliser la presse de la zone occupée, en ce qu’elle a de contraire à la réussite d’une politique économique à laquelle les Autorités d’occupation sont, comme nous, intéressés »55.
• Les Finances repoussent un relèvement général (automne 1941).
26Pendant l’été de 1941, les Finances organisent une enquête, menée dans une cinquantaine de départements, sur le coût de la vie. Il apparaît que l’augmentation depuis août 1939 se situe entre cinquante et soixante pour cent, sans tenir compte des prix des produits non réglementés ou, a fortiori, de ceux du marché noir. Aussi, à l’automne, le débat rebondit sur l’ampleur du relèvement des salaires « anormalement bas ». Le 12 novembre 1941, Jean Berthelot signale que la main d’œuvre française « a tendance à travailler de plus en plus pour les autorités allemandes qui offrent des salaires très supérieurs à ceux fixés par la loi »56. Afin de conserver la main d’œuvre, pour les travaux urgents en particulier, les entreprises doivent accorder des suppléments illégaux de salaires. Et, lors de la séance du 26 novembre du CEI, un clivage se dessine entre les Finances d’une part, les ministres techniques, René Belin et Jacques Barnaud d’autre part. René Belin pense que, afin de ne pas « compromettre la hiérarchie entre professions », le relèvement des « salaires anormalement bas » implique une révision générale57. Jacques Barnaud, François Lehideux et Jean Berthelot abondent dans le même sens, et insistent sur l’émigration de la main d’œuvre française vers l’Allemagne (« l’ouvrier français ne trouve plus en France des conditions de vie acceptables » — J. Barnaud), ou sur sa préférence pour des chantiers travaillant pour le compte des Autorités d’Occupation (qui ont toutefois affirmé leur accord pour interdire qu’on y surpaie les travailleurs français). Mais Olivier Moreau-Néret réaffirme la position de principe de la rue de Rivoli : « La révision générale des salaires a été écartée, celle des salaires anormalement bas ne saurait donc avoir de portée générale ». Il refuse en conséquence la proposition de René Belin, qui fausserait « tout le mécanisme d’homologation des prix »58. Comme pour les prix et la monnaie, la prééminence des Finances se manifeste pour les salaires : la révision des « salaires anormalement bas » s’opère donc de manière restreinte, par les inspecteurs du Travail et les préfets. Au début de 1942, les hausses s’échelonnent entre cinq à quinze pour cent (dans les cas de dénuement extrême).
• Rebondissement au début de 1942.
27Au début de 1942, le salaire moyen départemental — qui sert de base de calcul aux allocations familiales — est légèrement relevé. Mais, selon René Belin, les calculs opérés, qui ne portent pas sur les salaires réels, reviennent à établir un salaire moyen « rigoureusement arbitraire »59. A cette date, le coût de la vie a vraisemblablement augmenté de plus des deux tiers depuis 1938, alors que l’accroissement des salaires ne dépasse pas un tiers. Le 4 février, René Belin évoque « l’état d’irritation où se trouve actuellement la classe ouvrière ». Lui-même et Barnaud sont chargés d’engager les pourparlers avec l’Occupant au sujet d’un relèvement éventuel60. L’amiral Darlan est conduit à protester de nouveau auprès de Stuelpnagel, afin de faire cesser la campagne de la presse parisienne en faveur d’une augmentation des salaires. Les relations entre Vichy et les Autorités d’Occupation sont alors très dégradées en cet hiver 1941-42, qui voit notamment l’échec total de la rencontre Pétain-Goering à Saint-Florentin61. Le 13 février, René Belin informe le CEI que les Allemands ne se montrent pas hostiles à un accroissement général des salaires, « à condition que nous commencions par une étude sérieuse des possibilités de concentration des entreprises »62. Mais, comme il s’agit d’une étude qui ne peut être menée rapidement, et sur laquelle services français et allemands se confrontent depuis l’automne de 1941, il ne peut s’agir d’une condition contraignante. À la fin de mars, il semble se dessiner un accord pour un ajustement de quinze pour cent. Mais la crise gouvernementale, qui se solde par le retour de Pierre Laval, et les exigences allemandes en matière de main d’œuvre empêchent toute décision.
III. LA POLITIQUE INDUSTRIELLE OU LES AMBIGUÏTÉS DE L’ÉCONOMIE DIRIGÉE
1. Le rebondissement sur le choix des hommes : la crise de la Synarchie.
• De la « Synarchie » au « Groupe ».
28On sait que le débat a agité les milieux parisiens et vichyssois, lorsque, en février 1941, avec l’amiral Darlan, parvient au gouvernement une équipe de jeunes « techniciens », dont certains — Jacques Barnaud et Gabriel Le Roi Ladurie — ont des liens avec la banque Worms, et d’autres — Pierre Pucheu et François Lehideux — ont occupé des postes importants dans l’industrie (Japy et Renault). À travers l’imbroglio des rivalités intravichyssoises et parisiennes, Richard Kuisel a démonté les contradictions et l’inanité de la thèse du complot de la « Synarchie », telle qu’elle fut propagée à l’époque par la presse de la zone occupée, à la fin de février 194163. La mort de Jean Coutrot (en mai 1941), présentée comme mystérieuse, est exploitée pour conforter la thèse, et désigner le cerveau du complot. Plusieurs témoignages ont montré le caractère fantaisiste de cette accusation. En outre, les agendas personnels de Jean Coutrot, retrouvés dans ses archives, semblent laisser la trace de ses souffrances physiques et morales d’alors, qui l’ont sans doute conduit au suicide64. D’après les écrits de Jacques Benoist-Méchin de juin 1944 (publiés récemment), la flèche décochée contre le gouvernement Darlan, à travers le « roman-feuilleton » de la Synarchie, l’aurait été par Pierre Laval, irrité par son éviction humiliante du 13 décembre 1940, qui laissait ainsi supposer qu’il n’était pas le seul à pouvoir « mener à bien la négociation franco-allemande »65. Pour faire cesser la campagne de presse, il aurait fallu l’interposition des services du docteur Michel, « ne voulant pas laisser discréditer des hommes — tels Barnaud et Lehideux — avec lesquels (ils) négociaient depuis déjà plusieurs mois »66. En revanche, l’ancien secrétaire général à la Vice-présidence du Conseil parle bien, à propos de Pucheu, Lehideux, Barnaud, des frères Le Roi Ladurie, de Paul Marion et de lui-même d’un « groupe de camarades », d’un « petit cercle », d’une « équipe » en quête d’un chef de gouvernement, pour faire triompher « quelques principes fondamentaux », notamment la « Révolution par en-haut », engageant à la fois la Révolution nationale et la « réconciliation européenne », et faisant de l’Empire l’un des principaux points d’appui67. Le 25 février 1941, l’amiral Darlan à la recherche d’une équipe ministérielle aurait ainsi comblé les vœux du « Groupe ».
29On trouve, en outre, un écho de cette campagne à la séance du 26 avril 1941 du CEI, au cours de laquelle Pierre Pucheu écarte les critiques quant à la composition des CO, et souhaite publier des chiffres à ce sujet, afin de démontrer la place restreinte des dirigeants des grandes entreprises parmi les membres des CO. René Belin juge l’idée malheureuse car, ajoute-t-il, « les membres des comités n’ont aucune responsabilité, ne peuvent qu’être consultés et seuls les présidents-responsables comptent »68. Il n’est jusqu’au Maréchal Pétain qui, le 12 août 1941, met en cause, à propos des CO, la « puissance des trusts », et annonce vouloir reprendre « contre un capitalisme égoïste et aveugle la lutte que les souverains de France ont engagée et gagnée contre la féodalité »69. Cela entraîne d’ailleurs la protestation d’industriels éminents, comme celle de Jean Dupin, directeur de Péchiney et membre du Comité de la Section des Métaux non ferreux. Ainsi, l’« anticapitalisme » verbal de certains des plus hauts dirigeants de Vichy reflète à la fois le souci de ne pas en laisser le monopole à la presse parisienne, mais aussi celui d’apaiser les inquiétudes (réelles) des entrepreneurs des petites et moyennes entreprises, face à l’emprise des grandes affaires sur l’appareil dirigiste.
• Un exemple : rivalités dans les textiles.
30L’arrivée de Pierre Pucheu, puis de François Lehideux au MPI a effectivement entraîné un certain malaise de la part de représentants de branches, où l’on trouve de multiples petites et moyennes entreprises. Ainsi, l’élimination par François Lehideux, à l’automne 1941, de Robert Carmichaël, à la fois Directeur général du Comité général d’Organisation de l’Industrie Textile (COIT) et Répartiteur de la Section des Textiles éclaire certains aspects de la controverse, et de ses retombées.
31Le 11 novembre 1941, Robert Carmichaël remet à Jacques Barnaud un dossier contenant sept pièces sur la démission, qui lui a été imposée peu auparavant70. Dès septembre, Lehideux souhaite le départ du Répartiteur, qui refuse. Le 8 octobre, le ministre donne l’ordre à Jean Bichelonne de préparer le décret changeant le titulaire. Quelques jours plus tard, Robert Carmichaël écrit directement au Maréchal et à l’Amiral Darlan et interprète ainsi sa disgrâce : « Représentant et défenseur de l’industrie moyenne, ma présence au poste important que le gouvernement avait bien voulu me confier, gênait trop évidemment certaines catégories d’intérêts : ceux-là mêmes (...) que vous avez condamnés dans votre discours du 12 août »71. Selon lui, l’attaque viendrait à la fois de hauts fonctionnaires de la direction des Textiles et des Cuirs et des « trusts » du textile, dont il existe des représentants directs dans les CO de branches. Elle est largement relayée dans la presse, notamment dans les Nouveaux Temps, ou La France au travail72. En contrepartie, le répartiteur trouve des appuis chez l’Occupant. Le 26 septembre, le conflit est débattu entre Bichelonne et Carmichaël au Majestic, en présence de trois responsables allemands (Momm, Weniger et Furmann)73. Et le 7 octobre, le docteur Michel demande à Barnaud de maintenir Carmichaël à son poste. Ce dernier compte sur ses bonnes relations avec le président Kehrl, responsable de toute la planification textile du Reich et des Territoires occupés, qui réclame son maintien comme négociateur principal, du côté français. Après le choix d’un premier remplaçant, qui se rétracte, les Allemands acceptent que A. Tiberghien, directeur du CO de la Laine, prenne la place de Robert Carmichaël, à condition que ce dernier puisse participer aux négociations franco-allemandes sur les contrats textiles, en qualité de conseiller technique74. Le compte-rendu d’une réunion entre représentants du MPI et des textiles français et les Autorités d’Occupation, au début du mois de mai 1941, évoque une question, qui a été l’une des sources de divergences (outre les rivalités de personnes). Kehrl parle de la concentration nécessaire de la production textile, notamment de coton, du fait du manque de matières premières. Il n’ignore pas l’objection des « répercussions sociales », issues des fermetures envisagées. F. Motte, directeur du CO du Coton, ajoute avoir signalé à Jean Bichelonne « le danger de la politique économique actuelle », et conclut : « Devant la situation présente, il faut absolument faire passer l’économique avant le social »75.
32Il apparaît que, face aux contraintes matérielles et à la « concentration » réclamée par l’Occupant, plusieurs responsables privilégient l’approche « économique », notamment l’appui sur les entreprises les plus efficaces et souvent les plus grandes : ils sont influents au MPI et à la direction de certains CO de branches. En revanche, certains autres en redoutent l’extension du chômage et les rancœurs des petites et moyennes entreprises : le « social » doit ainsi contrebalancer 1’« économique ». Ainsi, la campagne contre la Synarchie reflète des divergences réelles entre certaines fractions de dirigeants d’entreprises — et notamment le mécontentement de chefs de petites ou moyennes entreprises — face aux mesures de concentration réclamées par l’Occupant et nécessitées par la pénurie. Mais ces oppositions se trouvent exploitées, au cœur de l’imbroglio des rivalités intra-vichyssoises, par une campagne suscitée sans doute par Pierre Laval pour faciliter son retour. Dans les faits, François Lehideux, devenu ministre de la Production industrielle en juillet 1941, annonce, à la fin août, un certain regroupement des CO, leur réorganisation financière, ainsi que la création d’un comité consultatif tripartite (patrons, « collaborateurs », ouvriers) auprès des principaux CO. Le ministre, qui demeure délégué général à l’Équipement national pour la main d’œuvre sans emploi, espère ainsi harmoniser rationalisation industrielle et politique de l’emploi. Mais, pour l’essentiel, l’organisation des CO est maintenue en l’état.
2. L’organisation : la Charte du Travail, grande construction inachevée.
33Il n’est pas question d’analyser ici la politique, ni l’organisation sociale de Vichy. Cependant, elles nous intéressent, dès le moment où elles interfèrent avec la direction de l’économie. Or, les débats autour de la composition des CO et de la Synarchie se développent parallèlement à ceux portant sur la future Charte du Travail, et les recoupent en partie.
• Les perspectives initiales de René Belin : un dirigisme accru...
34En juillet 1940, les services du Travail — on l’a vu — sont regroupés avec ceux de la Production industrielle, sous l’autorité de René Belin. L’une de ses craintes est, du fait des effets de l’armistice et de la démobilisation, de voir se développer le chômage. Dès le mois d’août, plusieurs lois sont destinées à restreindre l’activité de certains travailleurs, afin de partager le travail : rétablissement de la limitation hebdomadaire à quarante heures — les heures supplémentaires sont payées au salaire normal, mais vingt pour cent du salaire sont versés par l’employeur à un Fonds de Solidarité — et même à moins, sur intervention du Préfet (loi du 13 août 1940) ; limitation de l’emploi de la main d’œuvre étrangère (loi du 29 août 1940) ; exclusion des femmes mariées, dont la subsistance est assurée par le salaire du conjoint...76. En outre, en octobre 1940, est créé un Commissariat à la Lutte contre le Chômage, confié à François Lehideux. Au-delà du souci de relever la production, dont le niveau a été profondément affecté par la défaite et l’exode — on y reviendra — apparaît aussi celui d’organiser les « masses ouvrières ».
• « Une véritable organisation corporative ».
35Dans son rapport de novembre 1940 — déjà cité — au Maréchal, René Belin signale que l’organisation, bâtie sur les CO, les Sections de Répartition et le MPI a été « conçue pour parer à des besoins urgents », mais « demeure incomplète et imparfaite (...) appelée nécessairement à s’appuyer sur des groupements professionnels organisés (...) et aussi à se prolonger sur le plan social (...) elle doit s’intégrer à une organisation professionnelle d’ensemble, à une véritable organisation corporative »77. À cette date, le premier projet de « Charte d’organisation professionnelle », élaborée par le cabinet de René Belin — notamment grâce à la collaboration de Pierre Laroque — a été distribué aux autres ministères. Ce projet, destiné à « compléter l’édifice », doit être adopté de manière urgente, afin de créer « un cadre juridique indispensable au regroupement des masses ouvrières »78.
36Sans entrer dans le détail de cette longue marche de treize mois nécessaire à l’élaboration de la Charte du Travail, déjà étudiée par Jacques Julliard, retenons toutefois que le projet de René Belin était fondé sur l’intégration dans l’organisation économique et sociale, à travers des Comités d’organisation professionnelle, d’un syndicalisme unique, étroitement contrôlé par l’État, destinée ainsi à équilibrer le pouvoir patronal des CO79. Il le justifie auprès du Maréchal, en évoquant le « grand désarroi » des masses ouvrières, ainsi « à la merci de toutes les propagandes démagogiques ou révolutionnaires » ; « une des tâches essentielles » du ministère de la Production industrielle, selon lui, consiste à « regrouper ces masses ouvrières, de leur donner une organisation apte à les intégrer dans le nouvel État français »80. Il ajoute qu’il a conservé des contacts avec des militants syndicaux de la CGT, et que, lors d’une réunion générale à Nîmes, le 8 octobre 1940, les représentants des Unions départementales de la zone libre ont « unanimement exprimé leur confiance » à lui-même et au Maréchal. Il précise alors : « Parmi les anciens dirigeants du Syndicat confédérés (sic), nombreux étaient les hommes fermement attachés à l’idée nationale, les hommes qui avaient combattu le communisme et les influences étrangères. Il faut regrouper ces hommes, en faire le noyau des organisations nouvelles »81. Mais, dans le commentaire de ce rapport, rédigé par l’un des membres du cabinet civil du Maréchal, est critiquée la part trop belle faite aux anciens syndicalistes82. On trouve là, au moins partiellement, l’origine du conflit ouvert entre l’entourage de René Belin et le Cabinet du Maréchal. Un second projet, bien qu’allant dans le sens du renforcement de l’intégration du syndicalisme (par la suppression des unions départementales, l’interdiction de la grève et du lock-out) est écarté en décembre 1940, à la suite notamment de l’opposition du commandant Cèbe et de Yves Bouthillier, jugeant que la présence des syndicats « ancienne manière » est encore trop forte. Lors d’une troisième étape, est institué un Comité d’organisation professionnelle (COP) de 27 membres (Loi du 28 février 1941), à un moment où René Belin a été dépossédé de la Production industrielle, et ne conserve que le secrétariat d’État au Travail. Chargé de préparer un nouveau projet, ce comité est composé de Bardet, Painvin, Donon, Leuté (pour le patronat), de Dubois, Chassagne, Clavières (pour les techniciens), de Marcel Roy, Savoye, Mignon et Bertrand (pour les ouvriers). On sait que deux projets sont soumis au Comité, qui ne tient que trois sessions officielles, de juin à août 1941 : le projet « syndicaliste » de René Belin et le projet « corporatiste » du commandant Cèbe83. Mais l’un des membres les plus importants du Comité propose les grandes lignes d’une troisième approche.
• Gérard Bardet et la tentative d’alliance technicienne autour de l’entreprise.
37Gérard Bardet est l’un des représentants patronaux qui, au sein du Comité, a beaucoup réfléchi aux relations professionnelles avant la guerre — aux côtés de son ami Jean Coutrot à X-crise — et a engagé un certain nombre d’expériences dans sa propre entreprise de construction de machines automatiques84. C’est aussi l’un de ceux qui est le plus écouté au MPI, notamment par Jean Bichelonne, et qui, au même moment, est désigné par Pierre Pucheu président du CII, véritable organe directeur chargé d’harmoniser les initiatives patronales lancées dans les différents CO. On dispose de quatre notes détaillées, écrites en avril-mai 1941, qui définissent le contenu de la future Charte du Travail, telle qu’envisagée par Gérard Bardet85. Alors que le COP n’est pas encore réuni, Bardet constate l’opposition entre les deux écoles, « syndicaliste » et « corporatiste ». Or, selon lui, il faut « dépasser » le syndicalisme ou le corporatisme. Les deux projets ne sont pas « assez centrés sur l’entreprise (...) une Entreprise est un bloc », en ce sens qu’y interfèrent les problèmes juridiques, économiques et sociaux86. Il propose d’amender l’organisation des CO par une liaison « à la base », au sein de l’entreprise, « unité humaine de l’organisation envisagée ». Distinguant cinq échelons associés dans l’entreprise (1. La représentation des capitaux ; 2. La direction ; 3. Les cadres ; 4. Les travailleurs qualifiés ; 5. Les manœuvres), il considère que, jusqu’à présent, elle a été conduite par le premier d’entre eux, ce qui est à l’origine des « spasmes sociaux ». Il précise que seuls les échelons 2, 3 et 4 « possèdent le métier », terrain sur lequel doit reposer la profession : « La hiérarchie sociale qui doit exister dans l’entreprise — et dont la transposition juridique constitue la base de ce statut des professions, auquel nous sommes attachés — doit être une hiérarchie basée sur la fonction technique de cette entreprise, donc sur le métier »87. Reprenant des idées déjà lues sous la plume de Jean Coutrot en 1935-36, il considère que les «excès», la «lutte des classes» sont tributaires du fait que, jusqu’à présent, les deux échelons extrêmes (capitalistes et manœuvres) ont eu trop d’importance dans la marche de l’entreprise : « L’acte révolutionnaire, c’est de mettre entre eux et l’âme de l’entreprise un écran qui sera le métier »88.
38En fondant l’« unité de la profession » sur le métier en créant une « mystique » telle que « reconstruire le pays », Gérard Bardet pense faire dériver les antagonistes sociaux vers des problèmes professionnels et techniques : « Le meilleur moyen de remédier à ce qu’on appelle « la lutte des classes » est d’éduquer le personnel »89. C’est 1’« ignorance sociale » face au développement économique qui crée la « condition prolétarienne » et la lutte des classes. Ainsi, dans l’esprit de la « cure psychanalytique », proposée par son ami Coutrot en 1936, il préconise une alliance technicienne fondée sur le métier, avec une « déclaration des devoirs du métier » en tête de tout statut professionnel, formant une « Révolution professionnelle », comparable à celle de 1789 pour les Droits de l’Homme, «avec cette différence (...) qu’aujourd’hui les hommes et les travailleurs ne doivent pas parler de droits, mais de devoirs »90. L’autorité du « directeur-général » (« animateur de la vie professionnelle, tant dans ses aspects techniques que dans ses aspects moraux ») ne serait pas atteinte, mais il aurait soin de veiller sur ses responsabilités à l’égard de l’entreprise (quant aux loisirs, à l’hygiène...), et, en particulier, à l’égard de ceux ne possédant pas le métier (par l’organisation de l’apprentissage), ainsi qu’à l’égard de la Profession (au sein de laquelle doivent se régler embauche, congédiement, chômage). Il suggère la création de « Conseils des Représentants professionnels » consultatifs, ouverts à des ouvriers, employés et cadres (mais pas aux manœuvres), et associés aux membres des CO, ainsi que celle d’un Conseil Corporatif des Métiers91. Il évoque le regroupement des CO en cinq familles fondamentales (agriculture et alimentation ; industries primaires ; industries secondaires ; transports ; services). Et, dans l’entreprise, il propose la création de deux conseils consultatifs, l’un axé sur la vie sociale (le Conseil Social), l’autre sur la vie économique (le Comité des Métiers), sans représentation des manœuvres92. Plusieurs des idées émises ont trouvé place dans le texte final (paru le 26 octobre 1941), issu toutefois, pour l’essentiel, d’un compromis, trouvé de manière laborieuse et même mouvementée, entre les projets Cèbe et Belin93. Certaines d’entre elles vont cheminer, l’année suivante, au sein du Conseil Supérieur de l’Économie Industrielle et Commerciale (CSEIC), dont Gérard Bardet est le principal animateur, sous l’autorité de Jean Bichelonne.
• La Charte et son échec : une triple contradiction.
39Dans le texte définitif de la Charte, « les activités professionnelles sont réparties en un nombre déterminé de familles industrielles et commerciales », et les actifs sont ventilés en cinq catégories, qui ne reprennent pas exactement les distinctions de Gérard Bardet : employeurs, ingénieurs et cadres, agents de maîtrise, employés, ouvriers94. En leur sein, des syndicats professionnels, uniques et obligatoires, doivent constituer des Comités sociaux, à l’échelon national, régional et local, chargés de régler les questions professionnelles et sociales. En outre, il est créé un Comité social dans chaque entreprise de plus de cent salariés. Le Cabinet civil du Maréchal, relativement peu soucieux des questions économiques, a tenu à garder la haute main sur l’organisation sociale, afin d’y faire figurer les valeurs du nouveau régime. Les discours de Saint-Étienne, et surtout de Commentry (le 1er mai 1941), du chef de l’État ont tracé les grandes lignes, faites d’un mélange incertain de corporatisme, de paternalisme et d’étatisme95. La plupart des auteurs ont souligné le caractère ambigu, voire contradictoire, de la Charte elle-même, en partie à l’origine du faible enthousiasme lors de sa publication et de son caractère encore inachevé en août 1944.
40Trois séries de facteurs rendent compte de cet échec. Tout d’abord, les rivalités entre les conceptions de René Belin et celles des conseillers du Maréchal. Parmi eux, la méfiance à l’égard du syndicalisme d’avant-guerre — même lorsqu’il s’agit de sa fraction loyale au régime, regroupée autour d’anciens dirigeants de la tendance Syndicats de la CGT — et la volonté d’écarter le fantôme de 1936, incitent à enserrer les futurs syndicats professionnels dans un réseau de contraintes et de limitations : d’où le caractère unique et obligatoire, l’interdiction de la grève, la disparition de la Confédération et de l’Union départementale, le quasi-silence sur les conventions collectives — dont on a vu que les dirigeants de Vichy savent qu’elles ne sont plus respectées. Le Maréchal gâchait ainsi l’atout que pouvait représenter le ralliement en 1940 d’une partie du mouvement syndical, à travers René Belin, qui lui écrivait, en novembre 1940 : «J’ai cru que je pouvais représenter à vos côtés les ouvriers de France au milieu desquels et pour lesquels j’ai vécu ma vie »96. Ensuite, les lenteurs pour constituer les « familles professionnelles », en partie dues à l’insuffisance ou aux rivalités dans l’organisation professionnelle. L’article 39 de la Charte, qui prévoyait la possibilité pour les professions — par accord de la moitié de leurs membres — d’établir une charte corporative, n’a pratiquement pas été appliquée. On y reviendra. Enfin, Yves Bouthillier, dix ans plus tard — l’auteur du Drame de Vichy en 1951, et non le ministre des Finances de 1941 — évoque la « contradiction interne » entre politique sociale et politique monétaire : « Il était vain de vouloir se concilier la classe ouvrière en lui refusant le droit d’aborder la question essentielle, la seule au fond qui lui importe (...) : la fixation des salaires (...). Les Français n’ont pas ratifié la Charte parce qu’elle fut promulguée dans des circonstances où la libre discussion des salaires, au sein de l’entreprise et de la profession, n’était pas possible »97.
• Les effets de l’échec : suprématie de l’« économie » et absence de consensus.
41En théorie, toute l’organisation économique, mise en place à travers les lois des 16 août et 10 septembre 1940, devait être refondue à l’intérieur de la Charte du Travail. Mais l’article 4 de la Charte ne peut soumettre la direction de l’économie aux délais nécessaires à la mise en place de ses composantes et précise que : « en raison des circonstances (...) les questions d’ordre économique resteront, jusqu’à ce qu’il en soit autrement décidé, dans les attributions des comités provisoires d’organisation créés en application de la loi du 16 août 1940 » En l’absence de la grande construction « sociale », jamais achevée, l’organisation économique « provisoire » de l’été 1940 perdure. Alors que, dans de nombreux discours officiels, notamment du Maréchal, 1’« économique » devait être soumis au « social », les structures de direction économique, dont la conduite résulte d’une confrontation complexe entre État et patronat, imposent leurs règles à l’ensemble de la vie sociale, et, en particulier aux salariés, voire aux dirigeants des petites et moyennes entreprises, qui se considèrent comme exclus98. La crise de la « Synarchie » comme l’élaboration de la Charte n’ont pas été saisies pour infléchir de manière significative les orientations définies en 1940. Dès lors, toutes les institutions et les projets économiques s’élaborent hors de toute concertation sociale, même formelle. Ils apparaissent comme le fruit du dialogue privilégié, même s’il est souvent conflictuel, entre les représentants de l’État et des fractions les mieux organisées du patronat.
3. La répartition des quantités, instrument durable de direction de l’économie.
42Lors d’une réunion, tenue le 13 septembre 1942 à Nancy sous la présidence de Marcel Paul-Cavallier, Jean Bichelonne, alors ministre, a évoqué « les deux piliers de l’organisation moderne » : la répartition d’une part, et l’organisation professionnelle à travers les CO d’autre part99.
• La Répartition ou le dirigisme par les quantités.
43La répartition, aux termes de la loi du 10 septembre 1940, n’est pas la « répartition passive » (Jean Bichelonne) de l’économie libérale, réglée par le pouvoir d’achat des divers agents économiques et les rapports offre/demande, issus des ajustements des initiatives individuelles. Le ministre de la Production industrielle signale « les résultats souvent arbitraires et antisociaux » de ce type de répartition, ainsi que « les interventions constantes qui mettaient en échec la théorie libérale (souvent pour favoriser des intérêts particuliers) »100. Une telle répartition reposait sur deux conditions : la disponibilité du produit sur le marché, les moyens financiers pour l’acquérir. La répartition, mise en place à partir de septembre 1940, ajoute désormais une troisième condition : le droit à disposer effectivement du produit, reconnu par le Répartiteur, seule autorité compétente, et matérialisé par un titre délivré par lui. Bien que Jean Bichelonne précise que la répartition « s’ajoute aux éléments nécessaires dans l’économie libérale, sans se substituer à eux », il apparaît que l’ajustement offre/demande, dans la situation de pénurie plus ou moins prononcée d’alors, s’effectue par le biais d’une décision administrative — celle du Répartiteur — en amont de laquelle pèse d’ailleurs — on l’a vu — la ventilation générale des grands produits clés, définie par le MPI, ainsi que les exigences de l’autorité militaire allemande, dont les Referat contrôlent l’action de chacun des douze répartiteurs. Les mécanismes « libéraux » apparaissent d’autant moins à l’œuvre, que, outre ce dirigisme par les quantités, les prix sont également fixés doublement par décision administrative : celle du ministère des Finances, suspendue elle-même à l’approbation des services du Majestic, dont on a vu qu’elle n’était pas aisée à obtenir. Ainsi, les leviers principaux du dirigisme reposent essentiellement sur la détermination administrative du droit à la répartition, sur la délivrance des titres correspondants et les mesures destinées à assurer l’exercice de ce droit.
• « Répartition primaire » durable, et « Répartition secondaire » conjoncturelle.
44Dès les premiers mois de la mise en place de l’OCRPI et des douze sections de Répartition, les principaux responsables du MPI vont définir une doctrine, quant au partage entre les nécessités conjoncturelles et structurelles de la répartition. En janvier 1942, Jean Bichelonne, en qualité de Secrétaire à la Répartition, Répartiteur général et Chef de la Section centrale de l’OCRPI, est très explicite sur ce point. Il précise les deux types de répartitions. La « répartition primaire » ou « générale » (c’est-à-dire la ventilation des grandes matières premières ou sources d’énergie entre les grandes branches d’activité et formes d’emploi)... « appartient à l’État et à l’État seul. C’est à l’État seul qu’il est permis de dire, étant donné une production d’acier, quelle sera la quantité qui sera expédiée vers l’industrie agricole, et cette répartition primaire est destinée à subsister (...) pendant un très grand nombre d’années »101. Cette répartition répond à une fonction permanente d’arbitrage, quant aux besoins généraux de l’économie et aux branches à maintenir en activité.
45Quant à la « répartition secondaire » — soit la sous-répartition des produits entre les membres d’une collectivité ou les entreprises d’une même branche, pourvues lors de la « répartition primaire » — elle est le reflet de la conjoncture : elle est « une répartition qui traduit une pénurie », et, à ce titre, n’est pas destinée à perdurer, lors du retour de l’abondance. Cette répartition doit fixer la part des utilisateurs et même des consommateurs de produits : elle se traduit donc par le rationnement, d’où la multiplication des tickets, bons d’achat de produits textiles ou de chaussures, carte de savon, etc. Les dirigeants du MPI n’ignorent pas le caractère nécessairement contraignant de cette répartition secondaire, qui s’impose toutefois du fait de la pénurie. Les responsables du MPI et de l’OCRPI sont ainsi conduits, chemin faisant, à mettre sur pied une théorie de la répartition.
• La Répartition, entre les ressources et les besoins.
46L’OCRPI joue en fait un double rôle : à la fois « client », qui prend en compte les ressources disponibles, et « fournisseur », qui en restitue les fractions préalablement définies entre exploitation, moyens de production et consommation finale. La Répartition assure donc une « fonction motrice », à l’égard de la production et des diverses composantes de la demande. Les Répartiteurs disposent de pouvoirs règlementaires étendus, sur les ressources et les besoins. Ils peuvent modifier la ressource en disposant de stocks constitués par une entreprise ou une collectivité. Et, surtout, ils infléchissent les besoins, en décidant des interdictions ou des obligations d’emploi de telle matière — ils peuvent notamment imposer l’usage de produits de substitution — ou en orientant la production vers tel transformateur ou consommateur. La répartition doit à la fois comptabiliser les besoins à satisfaire et recenser l’ensemble des ressources (importations, production nationale, stocks des particuliers, services publics, producteurs et commerçants) : le système pousse ainsi à se doter de moyens d’investigation macro-économique beaucoup plus importants que dans l’avant-guerre. Pour les besoins, Jean Bichelonne affirme que, en théorie, la Répartition permet qu’ils soient « recensés, appréciés, satisfaits au mieux de l’intérêt général »102. Il distingue une double série de besoins : ceux du présent, qui relèvent de la satisfaction des services indispensables de l’État et de celle des approvisionnements vitaux des consommateurs ; ceux de l’avenir, qui correspondent au fonctionnement d’activités nouvelles nécessaires. Si la Répartition est, dans l’esprit de ses principaux responsables, destinée à mobiliser toutes les ressources, elle doit veiller à faire la part des besoins multiples des consommateurs : « Même dans l’époque de pénurie que nous traversons à l’heure actuelle, même pour des matières aussi rares que peuvent l’être l’acier ou le caoutchouc, ce sont encore 35 à 45 % des ressources qui doivent être dirigées vers ces circuits modestes, lesquels alimentent (...) la presque totalité des éléments travailleurs de la population »103. Jean Bichelonne affirme être conscient de la nécessité d’un double secteur : « Le secteur plané couvrira suivant les cas, de 40 à 90 % (...) ; toucher au secteur non plané, essayer de régler par raison a priori une chose qui se règle en réalité par un empirisme statistique ferait conduire l’économie à des déboires extrêmement graves (...) il faut que la répartition ne se montre pas tatillonne à l’égard des particuliers et qu’elle respecte cette notion du modeste stock, de la petite réserve que chaque industriel, chaque commerçant doit conserver, de façon à pouvoir travailler avec une certaine régularité »104. L’intention affirmée dépend toutefois d’un niveau minimal de la ressource, qui, dès 1941, est compromis pour de nombreux produits.
47En outre, la répartition n’est pas destinée, dans l’esprit de ses théoriciens et organisateurs, à « cristalliser » — comme on l’écrivait alors — un présent de pénurie, mais à favoriser un avenir d’abondance recouvrée. D’une manière générale, les responsables des organes de Répartition — Section centrale de l’OCRPI et Secrétariat à la Répartition — prétendent défendre une conception dynamique de la Répartition. Robert Catherine, successivement attaché à la Section de Répartition du Cuir et des Pelleteries, puis à la Section centrale de l’OCRPI, fait publier par le C.I.I., au début de 1943, un ouvrage synthétique, intitulé L’Économie de la Répartition des Produits industriels105. Il développe longuement le rôle de la Répartition dans l’accroissement de la ressource. Jean Bichelonne, alors ministre, préface son ouvrage, et en cite ce passage essentiel : « Elle [la Répartition] appelle l’accroissement du disponible ; son intervention va même beaucoup plus loin puisqu’elle en constitue presque toujours le moyen et le contrôle permanent »106. Dans ce domaine également, le MPI et l’OCRPI mettent en œuvre deux types de procédés destinés à accroître les ressources, dans la perspective à la fois d’une réponse conjoncturelle à la pénurie du moment, mais aussi d’une amélioration durable de l’efficacité de l’économie nationale : la récupération et les produits de remplacement.
• La récupération : tâche de l’heure et nécessité structurelle pour abaisser les coûts.
48Une loi du 23 janvier 1941 définit une série de prescriptions sur la récupération et l’utilisation des déchets et des vieilles matières (complétée par une autre loi, le 18 août 1941). De telles mesures peuvent apparaître comme un pis-aller transitoire, destiné notamment à compenser la fin des courants d’approvisionnements d’avant-guerre. Ainsi, l’industrie textile travaillait annuellement 600 000 tonnes de fibres avant 1939, dont la plus grande part — et, en particulier, les 240 000 tonnes de coton importées — provenait de l’extérieur. La principale réserve textile intérieure devient alors les chiffons, dont 100 000 tonnes sont récupérées en 1941. Ainsi, les sections de Répartition sont chargées de faire entrer les mêmes produits dans plusieurs cycles successifs de fabrication ou d’emploi. De même, pour les métaux, seule la récupération permet d’éviter l’épuisement total des stocks à partir de 1941, du fait des prélèvements allemands. Mais une telle démarche est également conçue comme durable. Sur ce point, Jean Bichelonne précise : « ... il ne faut pas s’imaginer que cette récupération soit un phénomène passager, elle est vraiment un problème de bonne administration et de saine gestion qui est destiné à subsister quel que soit l’état économique de demain ; il est bien évident qu’une récupération comme celle des chiffons, ou celle des ferrailles, est destinée finalement à abaisser le prix de revient de l’objet neuf et, par conséquent, à permettre une meilleure répartition des richesses pour l’ensemble de la population »107. Ainsi, à travers une contrainte de court terme, le système de la Répartition peut introduire la préoccupation permanente d’envisager la récupération comme l’un des leviers d’abaissement des coûts.
• Les produits de remplacement : la contrainte durable d’une insertion dans l’économie continentale.
49Second procédé : les produits de remplacement. Dans ce domaine également, à côté de substitutions conjoncturelles, stimulées par la pénurie, on trouve l’engagement de recherches techniques et de mises au point, destinées à améliorer durablement l’efficacité industrielle. Ainsi, l’arrêt des importations de combustibles, et notamment des carburants, conduit, dès 1940, à envisager l’utilisation du benzol, de l’alcool et surtout du gaz, à travers la construction de gazogènes108. De même, pour les textiles, l’État incite à l’accroissement de la production de fibres synthétiques (fibranne, rayonne), qui, en 1939, n’atteignait pas 30 000 tonnes — soit moins de 5 % du total des fibres produites. Pour les pneumatiques, du fait de l’interruption des arrivées de caoutchouc d’Insulinde, il faut envisager (outre le transport, dans des conditions périlleuses comme en 1941, de caoutchouc d’Indochine) le recours au « buna », produit de synthèse. Moins connus, les efforts dans le domaine des matières plastiques109. Cet effort présente un double aspect complémentaire. Les principaux dirigeants français se situent dans une perspective durable d’insertion de l’économie nationale dans des échanges à dominante continentale. L’intérêt à terme consiste à se libérer d’importations trop lourdes, en provenance de pays extra-européens, en particulier ceux de la mouvance anglo-saxonne. En amont, cette politique est commandée par l’idée d’une pax germanica en Europe, au lendemain du conflit. Mais, à court terme, la fabrication des produits de remplacement représente un alourdissement des coûts, du fait du retard technique français et de la non-compétitivité internationale de certains ersatz. Les services français sont conduits à s’appuyer sur l’expérience, déjà ancienne, des techniciens allemands. Mais cela implique l’engagement de négociations comportant des contreparties, donc des contraintes à mettre en balance avec les avantages escomptés. On en étudie quelques exemples dans les deux chapitres suivants.
• Les deux types de répartition : méthode « descendante » et « ascendante ».
50Les douze Répartiteurs des Sections ont employé des méthodes diverses, selon les caractères particuliers des produits dont ils ont la charge. On peut les regrouper en deux grands types. Tout d’abord, la méthode la plus fréquente, dite « descendante », qui consiste à répartir la matière de l’amont (c’est-à-dire depuis la fabrication du produit) vers l’aval : à chaque stade d’élaboration, le Répartiteur détermine non seulement les quantités — par le biais des « bons-matières », « licences d’achat », ou autres dénominations de titres, donnant droit à la disposition de ces quantités — mais aussi les entreprises de transformation. Une telle répartition substitue l’autorité du Répartiteur à la décision des entrepreneurs à tous les stades. Comme le reconnaît Jean Bichelonne : « Cette répartition descendante est extrêmement gênante pour l’industriel (...). C’est une forme extrême, dans laquelle le dirigisme intervient avec le maximum d’acuité »110. Il est une seconde méthode, qui a les préférences des responsables du MPI. Dite « ascendante », elle établit la répartition du produit entre les divers utilisateurs finals, à l’aval, par la distribution de « bons-matières », qui vont ainsi remonter des divers transformateurs jusqu’au producteur initial. Dans le premier cas, le Répartiteur suit la matière. Dans le second, il ne fait que répartir les droits entre les consommateurs. Cette méthode est plus souple, car elle laisse le consommateur libre de choisir son transformateur (sous réserve de s’en tenir aux quantités accordées). Ainsi, procède la Section des Fontes, Fers et Aciers, qui délivre de la « monnaie-matière » à chaque consommateur. Ce dernier peut alors effectuer une commande à un transformateur de son choix, sous la condition de lui transmettre les « bons- matières » correspondants, qui vont ainsi remonter jusqu’au producteur. Mais une telle méthode implique une double condition. Le Répartiteur doit d’abord disposer d’une connaissance adéquate des besoins des différents utilisateurs finals. Pour cela, il lui faut connaître les coefficients déterminant les quantités de produits bruts de sa section contenus dans les divers produits finis. Seule une branche où les produits sont soumis à une certaine normalisation et où existent des statistiques précises peut offrir cette possibilité. En outre, la méthode ne peut s’appliquer que si la ressource est encore assez abondante par rapport aux besoins. Ainsi, Jean Bichelonne estime que, dans le cas d’une production couvrant 50 % des besoins normaux, une telle méthode est encore possible. Quand elle n’atteint plus que 20 ou 10 %, la distribution de la monnaie-matière devient une « caricature »111. Jusqu’en 1942, la Section des Fontes, fers et aciers, qui opère encore sur des quantités de l’ordre de 35 à 40 % des besoins de 1938, peut recourir à cette forme de Répartition. Mais ce ne peut être le cas pour les autres et, en particulier, celle des non-ferreux, dont les stocks sont en voie d’épuisement.
• Information : statistiques « mortes » et statistiques « vivantes ».
51L’une des premières tâches des services de Répartition est d’établir des statistiques sur la ressource comme sur les besoins. Pour cela, l’OCRPI est tributaire de l’autre « pilier », les CO, dont le premier travail a été d’élaborer le recensement des entreprises relevant de leur domaine. Les résultats comme pour les autres aspects de l’activité des CO — sont très inégaux selon les branches. Les responsables du MPI paraissent d’ailleurs parfaitement avertis de l’état défectueux des statistiques industrielles en 1940. Jean Bichelonne déplore que le pays se soit « endormi depuis un demi-siècle au point de vue des statistiques (...). Quand on parlait d’industries métallurgiques ou industries chimiques, on ne savait pas exactement ce dont on parlait (...) on ne connaissait pas le nombre de tours, de fraiseuses ou de mortaiseuses dont disposait la nation. Personne ne le savait et, ce qui est plus grave, personne ne se doutait qu’il y avait un intérêt quelconque à le savoir »112. La pratique de la Répartition incite ses responsables à exiger une statistique rapide, même au prix de sa précision, afin de ne pas appuyer les décisions de répartition sur une situation obsolète. A l’un de ses auditeurs de l’industrie gazière lorraine, qui l’interpelle sur les inconvénients du délai de deux mois (écoulé entre la transmission des statistiques sur les stocks et la production de coke, et la décision du Répartiteur), Jean Bichelonne rétorque : « Vous faites là la plus forte critique de l’économie dirigée. Il existe deux sortes de statistiques : les statistiques mortes, qui sont exactes et intéressantes, mais qui, arrivant après de longs délais, n’ont aucune valeur en ce qui concerne la vie de chaque jour ; les statistiques vivantes, faites au jour le jour, qui visent à donner à chaque instant une photographie de la situation »113.
52Dès janvier 1942, il a donné les principes de la doctrine en matière de recueil des statistiques : « Il vaut mieux avoir le 10 de chaque mois un chiffre grossièrement erroné, fût-ce de 15 à 20 %, que d’attendre un renseignement plus exact qui ne parviendrait qu’au moment où le phénomène économique s’est largement modifié »114.
• De l’année de référence 1938 aux coefficients techniques.
53À ses débuts, la méthode de la plupart des Répartiteurs a été « schématisée à l’extrême »115. Ils ont adopté l’année de référence 1938, pour laquelle ils ont fait établir les quantités consommées ; à partir de ces données, ils ont diminué uniformément les attributions, en fonction du coefficient de diminution globale des quantités disponibles. Dès lors, pour les douze sections, des plans de Répartition ont été établis, qui sont soumis à l’approbation du Conseil des ministres : ils constituent alors le budget-matières, en principe trimestriel, qui donne les grandes lignes des plans de répartition116.
• Lourdeur, bureaucratie et fuites.
54Toute cette machine est naturellement d’une très grande lourdeur et d’une efficacité très inégale, suivant le caractère plus ou moins élaboré des statistiques, des normes de fabrication, des efforts de rationalisation et des caractéristiques de la matière répartie. La Section du Charbon est la section la plus lourde en personnel, la plus dispendieuse en frais généraux. La répartition se divise entre un échelon départemental, réservé aux consommateurs de moins de vingt tonnes mensuelles (particuliers et petits industriels) et un échelon national, pour les industriels qui consomment plus de vingt tonnes. La tâche du Répartiteur, l’ingénieur des Mines Jacques Thibault — dont on a analysé les rapports lors de l’Enquête sur la Production de 1937 — est d’autant plus compliquée, qu’il est tributaire, pour la ressource, de négociations avec l’Administration militaire allemande de Paris, mais aussi avec celle de Bruxelles, dont dépendent les mines du Nord-Pas- de-Calais117. Dans ce cas, la lourdeur provient du caractère quasiment universel de la matière, qui intéresse des utilisateurs à la fois considérables en nombre et fort hétérogènes. Dans d’autres cas, la lourdeur provient de la confusion des tâches entre le Répartiteur et le CO général correspondant. Il en est ainsi pour les Textiles, où Robert Carmichaël — on l’a vu — puis A. Tiberghien, sont à la fois Répartiteurs de la Section des Textiles et directeurs généraux du Comité général d’Organisation de l’Industrie du Textile. C’est également le cas du Répartiteur-chef de la Section du Papier-carton, Jean Barbut, qui est directeur responsable du CO général de la Papeterie. Il y a confusion des deux organismes, parce que, pour les deux matières, la quasi-totalité des quantités sont consommées par les entreprises relevant des deux CO généraux. Il s’agit, de plus, d’industries de biens de consommation relativement peu organisées jusque-là. Les deux répartiteurs ont eu tendance à effectuer la Répartition, mais même la sous-répartition entre les entreprises. R. Carmichaël, dans une note transmise à Jacques Barnaud, précise qu’il lui a été impossible de résoudre les problèmes de répartition, sans s’attacher à ceux de l’organisation professionnelle118. De même, Rougier, directeur de l’Industrie chimique, signale, en 1942, que, pour la papeterie, la confusion des tâches a conduit à leur alourdissement, et donc à des retards et à une grande lenteur d’exécution119. Le travail a été d’autant plus pesant dans les deux cas, que les deux industries étaient peu ou mal organisées avant la guerre.
55Mais il s’en est suivi des conflits d’attribution permanente entre la section de Répartition et les différents directeurs de CO, ce qui a d’ailleurs entraîné la démission, en 1941, des deux répartiteurs. Dans le cas du Textile, la lourdeur des tâches est encore accentuée par la jonction nécessaire entre la direction de la production et de la transformation, et le rationnement de la consommation (par les « points de carte-vêtement », les « bons d’achat »...). Le souci de R. Carmichaël d’assurer son autorité sur le CO du vêtement a accru l’inflation, déjà élevée, d’opérations et de réglementations120.
56Après arbitrage gouvernemental, préparé par le MPI, les différents Répartiteurs procèdent à une multitude de décisions, qui constituent autant d’actes de règlementation : l’économie dirigée fonctionne à travers le Journal Officiel. Jean Bichelonne, qui affectionne particulièrement le maniement de chiffres astronomiques, estime, en 1942, les opérations quotidiennes de répartition entre 400 et 500 000 ! Il suppose, mais sans le savoir réellement, que, parmi elles, 10 000 environ doivent être erronées ! Les archives de la Production industrielle regorgent de plaintes, réclamations, contestations ou sollicitations diverses, quant à la Répartition. Les récriminations sont particulièrement vives de la part de petits et moyens entrepreneurs, convaincus d’être lésés dans le fonctionnement de cette lourde machine, par rapport aux grandes entreprises. Parmi de multiples témoignages convergents, le Préfet de la Côte-d’Or, le 25 août 1941, constate dans un rapport : « Beaucoup de petits industriels et commerçants ne sont pas encore informés avec exactitude de la façon dont ils peuvent obtenir des matières premières et s’adressent à la Préfecture devenue, dans les temps actuels, l’émanation départementale de l’État-Providence »121. Certains responsables de collectivités locales se plaignent aussi d’être défavorisés, par rapport à des entreprises, pour l’accès à certaines matières. Le maire de Châteauroux, faisant référence au discours du Maréchal du 12 août 1941, lui écrit peu après, afin de l’informer de « quelques exemples de l’action stérilisante exercée sur les collectivités publiques par les groupements professionnels et les organismes de répartition »122. Or, comme ne l’ignorent d’ailleurs pas les responsables du système, la quantité d’interventions des Répartiteurs est inversement proportionnelle aux quantités à répartir : plus la pénurie s’aggrave — comme c’est le cas à partir de 1942, où le rapport production/besoins n’atteint souvent pas un tiers — plus la réglementation devient touffue123. De surcroît, les occasions de fraudes se multiplient, parallèlement à la prolifération des réglementations et des interdictions. Cela entraîne le gonflement des opérations de contrôle, et accroît encore le poids des structures administratives. Dans une économie dirigée, où la contrainte s’exerce non seulement sur les quantités produites, transformées (dans tous les cas, en nombre croissant, où la Répartition est « descendante ») et consommées, mais aussi sur les prix, les occasions lucratives d’un circuit clandestin deviennent d’autant plus fréquentes. Aussi, le « marché noir » porte-t-il sur tous les éléments réglementés : produits, prix, et titres de répartition eux-mêmes (bons-matières...), dont le trafic se développe à mesure qu’ils sont davantage recherchés. Plus le système se complique, plus les fuites se multiplient.
4. Les Comités d’organisation, « relais » entre 1’« économique actuel » et 1’« économique futur ».
57L’objet n’est pas d’étudier, pour elle-même, la politique des différents CO : environ quatre-vingts en 1941, ils sont estimés à 110 en janvier 1942 par Jean Bichelonne. Leurs archives, rassemblées au fort de Montlignon, semblent inutilisables124. La diversité même des CO, en partie liée aux grandes disparités dans l’efficacité de l’organisation professionnelle et de ses dirigeants avant la guerre, se manifeste à travers une activité, dont les résultats s’avèrent très dissemblables. D’autre part, le poids plus ou moins grand des contraintes matérielles — pénurie dans les approvisionnements, les transports, l’énergie... — le caractère plus ou moins vital des produits et la pression inégale de l’Occupant apparaissent également comme des facteurs importants de différenciation. En revanche, il convient de s’interroger sur la politique des représentants de l’État à travers l’action des CO, parallèlement à leur rôle au ministère même et dans les organismes de répartition. Pour la clarté du propos, il convient de distinguer la politique industrielle tributaire des contraintes de court terme, issues de la pénurie, du blocus et des exigences de l’Occupant pour son effort de guerre, et celle qui s’inscrit dans des projets à plus longue portée de remodelage de l’économie française, pour les temps de paix recouvrée. Cette distinction n’est d’ailleurs pas un artefact d’historien en quête de clarification, mais apparaît explicitement dans les préoccupations et les propos des responsables au plus haut niveau. Ainsi, Jean Bichelonne, dans sa conférence de janvier 1942, résume ainsi sa pensée : « Si vous voulez me permettre un raccourci qui forcera ma pensée pour la mieux faire saisir, la répartition réglemente l’économique actuel, le comité [c’est-à-dire le CO] est destiné à créer l’économique futur »125.
• Une fonction structurelle de «relais » entre État et entreprises.
58À plusieurs reprises, Jean Bichelonne évoque le double rôle des CO : à la fois porteurs des préoccupations des entreprises (dont ils ont la charge) auprès des représentants de l’État et, en retour, intermédiaires obligés pour faire exécuter les volontés de ces derniers. Les CO disposent en particulier d’un droit de proposition à l’égard de l’État en matière de prix, de normalisation, d’avances aux industriels sinistrés, de réquisition, de répartition de produits industriels et de fermeture. Ils fournissent au MPI et à l’OCRPI des informations, des études et, inversement, leur servent d’agents d’exécution auprès des entreprises. Selon le ministre de la Production industrielle, au-delà des péripéties de la Charte du Travail et de son organisation sociale, il y a une rationalité économique propre dans l’organisation en CO. Les organes créés depuis 1940 répondent à des fonctions structurelles. Le schéma idéal simplifié — on trouve une floraison d’organigrammes sur la Charte du Travail, dont la plupart font état d’organismes qui n’ont jamais existé — peut se résumer ainsi (voir fig. 9, page suivante). Les difficultés conjoncturelles issues du conflit n’auraient fait qu’accélérer une évolution à la fois « naturelle », « logique » et « rationnelle » : « Si l’on peut considérer l’organisation économique actuelle comme l’aboutissement d’une évolution simplement accélérée par la guerre et l’armistice, c’est qu’au fond cette organisation professionnelle est dans la nature des choses, qu’elle s’impose logiquement lorsque l’industrie et le commerce débordent de leur cadre individuel étroit et veulent considérer dans toute leur ampleur et résoudre rationnellement les problèmes qui naissent de leur activité »126.
• Les tâches de court terme : les CO agents d’exécution de l’OCRPI.
59Pendant les deux premières années de leur existence, la plupart des CO ont été accaparés par une double tâche, sollicitée par les Répartiteurs : effectuer le recensement de leurs entreprises et recueillir des statistiques d’une part, opérer la sous-répartition des matières premières fournies par les Sections de Répartition, d’autre part. Les CO ont envoyé des questionnaires de toutes sortes aux entreprises de leur ressort, dans un certain désordre. La qualité des questions comme celle des réponses est largement tributaire du degré d’organisation de la branche avant la guerre127. À partir de novembre 1941, le visa de la Production industrielle est nécessaire pour que le questionnaire devienne obligatoire. À la Section centrale de l’OCRPI, un Service de la coordination de la statistique, dirigé par Chapel et mis en place au début de 1941, recueille les questionnaires, tout en essayant de limiter les abus. La transmission de renseignements — qui ne s’est pas effectuée sans difficulté la première année — présente un caractère d’obligation. Les Répartiteurs disposent d’une arme efficace : la réponse aux questionnaires conditionne les attributions de matières premières. La contrainte est encore plus forte que dans le cas, envisagé avant la guerre par certains responsables, de lier obtention des renseignements et attribution de contingents d’importation pour le même produit : ainsi, l’établissement de statistiques précises apparaît à la fois comme la condition et le résultat de la mise en place de structures dirigistes. Mais la contrepartie de la transmission effective des réponses réside dans leur caractère souvent erroné. Michel Voile rapporte les propos de Prévot (responsable depuis le début de 1941 de la coordination des méthodes dans le service de Chapel), selon lesquels les statisticiens de l’OCRPI étaient persuadés de recevoir, dans certaines branches — notamment peu concentrées — des statistiques tout à fait fausses et destinées à majorer les attributions128.
60De leur côté, les commissaires du gouvernement dans les divers CO — qui sont le plus souvent les responsables des directions techniques du MPI — émettent dans leurs rapports au ministre des avis mitigés sur le travail statistique ainsi effectué129. Parallèlement, les CO se sont consacrés aux tâches de sous-répartition des matières entre les différentes entreprises. Les directeurs et présidents des CO procèdent de manière diverse, mais ils alignent eux-mêmes leurs méthodes sur celles des répartiteurs. À la référence de 1938, se substitue la méthode de calcul de coefficients techniques. Aux termes de la loi du 16 août, les CO sont chargés d’« arrêter les programmes de production et de «fabrication»». À partir de 1942, les directions des CO tentent, avec des succès variables, de travailler sur des « programmes de fabrication » portant sur les produits finis et définissant, en fonction des coefficients techniques, les besoins correspondants en matières premières. Robert Carmichaël affirme ainsi, à la fin de 1941, que « l’industrie textile de plus en plus travaille exclusivement sur programmes dirigés » et prétend, non sans exagération, que la Direction générale du Comité général d’organisation constitue un « bureau central de Planning »130. Dans son rapport annuel (pour l’année 1941) sur les industries se rattachant à son domaine, le directeur des Industries chimiques au MPI, Rougier, signale les grandes disparités entre les CO, quant à l’efficacité de la sous-répartition : aux assez bons résultats du CO de l’Industrie chimique ou du Caoutchouc, il oppose ceux, jugés lamentables, du CO du Papier131. De plus, la sous-répartition, très contraignante, suscite des conflits innombrables. Comme le note Jean Bichelonne : « Naturellement, il y a eu une marée de réclamations »132. Les difficultés s’aggravent parallèlement à la restriction des ressources disponibles. Outre ces deux tâches essentielles, les CO sont chargés de mettre sur pied des organismes destinés à résoudre des problèmes communs (commercialisation, organisation technique ...).
5. Vichy et l’industrie française de l’avenir.
• Les tâches des CO pour l’avenir : « penser » et « assainir » la profession.
61À la fin de 1941, les responsables du MPI attendent aussi des CO des tâches d’avenir : « Le comité est destiné à créer l’économique futur : c’est en effet par le plan de fabrication et de production que le comité pourra influer sur ce qui se passera dans les prochaines années, qu’il pourra provoquer le progrès ou au contraire la régression de l’industrie. Aussi bien, la loi du 16 août 1940 a-t-elle eu ce souci de gestion à long terme et indique-t-elle que le comité doit définir la qualité des produits, l’emploi de la main-d’œuvre, les modalités des échanges des produits et des services ainsi que la régularisation de la concurrence ; ce sont là des tâches de durée et que les comités, un an après leur constitution, peuvent maintenant aborder. Ils ont passé l’année 1941 à recenser leurs ressortissants, ils sont maintenant devant le problème de fond qui est de diriger l’industrie »133. Quelques mois plus tard, Jean Bichelonne confirme : « Il faut que, de plus en plus, les comités se pénètrent de la nécessité de penser à l’avenir, de savoir ce que l’industrie fera dans les différentes hypothèses qui peuvent se poser à la conclusion de la paix »134. Il évoque la nécessité de «penser la profession ». Parmi les orientations définies, il précise : « Ils [les CO] doivent assainir la profession, définir les œuvres que la profession devra accomplir dans une Érance rénovée »135. Du fait d’une sécheresse exceptionnelle pour le siècle, à la fin de 1941, les ressources hydrauliques destinées aux centrales électriques baissent dangereusement, au point qu’il faut envisager de restreindre de manière draconienne la consommation. Les Autorités militaires allemandes exigent, afin de préserver les industries travaillant pour elles, un plan de fermeture d’établissements. On y revient dans le chapitre suivant. Aussi, le 17 décembre 1941, François Lehideux fait adopter une loi « relative à l’établissement d’un plan d’aménagement de la production », prévoyant notamment un « arrêt provisoire de certaines usines », appliqué par arrêté de la Production industrielle136. La circulaire, qu’il transmet aux CO le lendemain, précise qu’ils sont « chargés de la mise au point du plan d’aménagement de la production des usines qui leur sont rattachées »137. Le ministre leur indique « de donner la préférence aux usines les plus aptes par leur technique ou leur outillage à apporter à l’économie nationale le maximum de production avec le minimum de matières premières »138.
62Lors d’une réunion plénière des répartiteurs, le 10 janvier 1942, Jean Bichelonne distingue bien l’« aménagement » industriel, imposé par la conjoncture, de 1’« assainissement » souhaité pour l’avenir : « On ne saurait encore prévoir les moyens de production intéressants à conserver une fois la paix revenue et ceux dont on peut se débarrasser. Il faut attendre que les comités d’organisation soient en mesure de nous fournir des indications à ce sujet »139. Il définit trois « concepts » qui doivent guider les choix de concentration : celui d’« économie d’énergie », « qu’il ne faut pas seulement envisager comme une nécessité du moment, mais aussi comme un progrès pour l’avenir », celui d’« économie de matière première », ainsi que le « concept social » (qui doit inciter à aiguiller la main-d’œuvre des usines fermées vers celles de la même localité, restées ouvertes)140. En septembre 1942, il cite le chiffre de 3 800 usines fermées à ce titre et répète la distinction entre cette concentration provisoire et l’« assainissement » industriel durable nécessaire141. Ainsi, certaines usines textiles rouennaises modernes ont été fermées, parce qu’elles étaient équipées pour consommer du charbon anglais. En revanche, il évoque « la seconde étape de la concentration », qui consiste, pour l’avenir, « à rechercher ces usines qui fabriquent des objets non absolument indispensables, et à les fermer »142.
63Dans chacune de leurs directions verticales, les responsables de la Production industrielle sont chargés, en qualité de Commissaires du gouvernement, de faire appliquer cette politique par les CO qu’ils contrôlent. Ainsi, Rougier, à la Direction des Industries chimiques (qui a en charge des entreprises employant environ 300 000 ouvriers), distingue les CO dirigés de manière insatisfaisante, parce qu’ils s’occupent des « problèmes présents » plutôt que de 1’« avenir », et ceux qui travaillent à des remodelages liés à des perspectives larges. Parmi ces derniers, le CO des Industries chimiques, composé d’« industriels de grande classe » — dont le Président, Georges-Jean Painvin — soucieux de définir des « programmes de fabrication » pour l’avenir (pour l’amnoniaque, le méthanol...), des produits de remplacement (dans les matières plastiques ou les résines), ou le CO du Verre, dominé par Saint-Gobain (qui crée les premiers fours électriques de verrerie) et Boussois143. En revanche, il reproche la « tendance marquée à la cristallisation » de nombreux CO144. À propos du CO des Produits pharmaceutiques, il note : « On peut reprocher à ce CO, comme à bien d’autres, de chercher avant tout à maintenir la situation privilégiée d’une activité qui a connu dans les décades précédentes une fortune peu commune »145.
64Dans certains cas, comme le CO des Peintures et Vernis, il note le souci de se préoccuper de l’avenir, mais les travaux de sous-répartition et d’organisation absorbent la quasi-totalité de l’activité. Les critiques les plus vives s’adressent au CO du Papier, concentré sur les problèmes quotidiens, alors que l’avenir est « vital ». Le présent n’est guère brillant : entreprises « retardataires », rôle néfaste des ententes d’avant guerre, qui ont maintenu cette industrie dans « un état stationnaire de médiocrité » ; les activités du CO ont le plus souvent comme but « la défense des intérêts personnels du plus grand nombre possible d’industriels, à l’exclusion de la défense des intérêts généraux, malgré le Commissaire du gouvernement qui est intervenu à de nombreuses reprises pour orienter la politique du Comité vers l’avenir »146. L’avenir apparaît comme le plus sombre, parmi les différents CO : pour le papier ordinaire, « seules pourront subsister de grandes usines modernes (...) et quelques moyennes ». Pour le papier à cigarette, « la concurrence américaine est irrémédiable ». Dans ce cas, l’« assainissement » passe par des fermetures : « Les industriels n’ont pas encore bien compris cette situation et le comité d’organisation n’a pas eu l’autorité nécessaire malgré les nombreux efforts de la Direction pour amorcer ce travail si salutaire »147. Parmi les autres critiques générales du Directeur de la Chimie, celle ayant trait à la situation de la recherche est l’une des plus vives. La capacité d’organiser des études techniques est jugée considérablement inférieure à celle des Allemands : seules quelques sociétés, telles Rhône-Poulenc, Ugine ou Kuhlmann, disposent de véritables laboratoires.
• La genèse des grands programmes du complexe énergético-sidé- rurgique.
65On sait, grâce aux travaux pionniers de Richard F. Kuisel puis d’autres historiens à sa suite, que Vichy met en place les premières structures de planification avec la « Délégation générale à l’Équipement national » (« DGEN »), qui, placée sous l’autorité de François Lehideux épaulé par des experts éminents, prépare un plan de dix ans148. Mais, bien que François Lehideux cumule, de juillet 1941 à avril 1942, ces fonctions avec celles du ministre de la Production industrielle, il ne parvient pas, malgré des vœux exprimés au CEI, à articuler les objectifs de long terme et la répartition de court terme. Ainsi, le plan d’Équipement national, prêt en mai 1942, n’a jamais vraiment pesé sur la direction de l’économie ou des finances. Il apparaît en marge, tel un ensemble d’hypothèses d’école, jusqu’à son abandon définitif, après le retour de Pierre Laval. D’autre part, tout en formulant des constats décisifs sur le retard des structures économiques, il ne fixe ni de véritables objectifs de production, ni une hiérarchie sélective des efforts à entreprendre. En revanche, avant même la mise en place de la DGEN, au niveau de branches stratégiques — celles du complexes énergético-sidérurgique — des programmes précis d’équipement ont été élaborés (souvent d’ailleurs par les mêmes experts, appelés ensuite dans l’État-major de Lehideux).
66Chronologiquement, les programmes d’équipement électrique ont été conçus les premiers. Les procès-verbaux des séances du CO de l’Énergie électrique — on en a retrouvé 96 dans les archives de la Production industrielle — révèlent que, dès la première réunion du CO, institué par un décret du 12 novembre 1940, Robert Gibrat, directeur de l’Électricité auprès de Henri Lafond et commissaire du gouvernement délégué au CO, propose d’entreprendre, « dans le plus bref délai », l’étude d’un programme de Grands Travaux149. Le 9 janvier 1941, il annonce que la pénurie durable en combustibles solides justifie pour la France « la réalisation d’un programme de travaux hydro-électriques entraînant la réduction aussi poussée que possible de la production thermique comportant l’emploi de charbon marchand »150. Selon lui, le problème peut se résoudre par l’équipement de trois à quatre installations hydro-électriques : il cite Donzère-Mondragon, Serre-Ponçon, Bort, et il évoque l’accord de l’État pour participer à la création d’une station marémotrice (dont il va d’ailleurs demeurer l’initiateur, quinze ans après). Un mois plus tard, un mémorandum, rédigé par Roger Boutteville, président du CO, définit un double objectif : prolonger le « programme de 1938 », en s’assurant que « le choix des opérations ne sera pas livré au hasard des initiatives individuelles », et accroître la production de combustibles solides en prévoyant les moyens d’en économiser la consommation151. Le CO approuve ce « programme de 1941 », et se déclare « convaincu que la stagnation relative de la consommation depuis 1937 est un phénomène temporaire »152. En octobre 1941, le CO arrête les bases d’un plan décennal d’achèvement du programme de 1938 (pour 4 MkWh) et de réalisation d’un programme complémentaire, permettant d’accroître de onze milliards de kWh la production hydraulique annuelle, soit un doublement d’ici à 1951. De manière corollaire, cette production supplémentaire permettrait de substituer deux milliards de kWh hydrauliques à l’équivalent en thermique, de parer aux besoins supplémentaires de la SNCF et de mettre trois milliards de kWh à la disposition des industries lourdes153. Ainsi, dès la fin de 1941, le CO de l’Énergie électrique définit les interdépendances et la cohérence entre le « programme de 1941 » et les autres programmes énergétiques, ainsi que ceux des industries ou des transports en aval. Les programmes économiques de base se trouvent alors définis de manière plus précise — et sélective — que dans le plan de la DGEN. En février 1942, est créée, auprès du secrétaire-général à l’Énergie, une Commission de l’Utilisation de l’Énergie réunissant, sous la présidence de l’Ingénieur des Mines Crussard, puis de Robert Gibrat — qui y demeure, même après avoir quitté son poste de ministre des Transports — les principaux responsables des CO liés au complexe énergético-sidérurgique : Roger Boutteville, Aimé Lepercq (président du CO des Combustibles minéraux solides), Jules Mény (président du CO des Combustibles Liquides), Jean Dupuis (membre du CO de la Sidérurgie), ainsi que les responsables de la SNCF. Et les archives de la Commission permettent d’en suivre les débats jusqu’en juin 1944154.
67Parallèlement, Aimé Lepercq et le CO des Combustibles solides met au point un programme de production pour atteindre les soixante-cinq millions de tonnes de charbon. Dès la fin de 1941, un important programme décennal d’électrification (débutant par le Paris-Lyon) a été préparé à la SNCF, malgré l’absence de financement. C’est l’œuvre de M. Lang, directeur-adjoint du Réseau — il vient du réseau d’Alsace-Lorraine, où il a secondé Frédéric Surleau — puis, après sa déportation, par M. Garreau et Fernand Nouvion155. De même, à la fin de 1942, Jean Dupuis rédige, pour le CO de la sidérurgie, une volumineuse note prévoyant d’atteindre un objectif de dix millions de tonnes annuelles dans les cinq ans suivant la fin de la Guerre, ce qui implique d’accroître la disponibilité en coke d’environ onze millions de tonnes156. Outre ces programmes des secteurs de base, on sait que, en 1941-43, des recherches de pointe sont conduites dans la chimie, l’automobile (la 4 CV...) ou même les constructions électriques157. Ces découvertes ou innovations apparaissent toutefois économiquement marginales, même si elles témoignent d’une volonté de modernisation dans certaines branches et s’avèrent techniquement fécondes.
• Le financement public : insignifiance des dépenses, innovations dans la procédure.
68Tous ces programmes sont établis sans aucune assurance de financement, la rue de Rivoli ne pouvant envisager d’alourdir les charges de trésorerie. Malgré le tableau quelque peu flatteur dressé après guerre par Yves Bouthillier, les dépenses effectives en faveur des investissements se montent à un ou deux milliards annuels en 1941-43, réservées à la réparation des dommages de guerre, d’ailleurs très incomplètement assurée par l’État selon la législation de Vichy (cf. supra, chapitre I). En revanche, des innovations durables sont mises en place en matière de procédure de financement. Tout d’abord, René Belin fait adopter — à partir d’une suggestion formulée en particulier par Jean Coutrot — la loi du 12 septembre 1940, qui crée un système de warrantage industriel : les industriels « fabriquant des produits jugés utiles » reçoivent une « lettre d’agrément » du MPI, qui leur permet de donner des stocks en gage, sans s’en dessaisir matériellement, contre des avances transitant par la Caisse des Marchés158. Et surtout, la loi du 23 mars 1941, destinée à « faciliter la fabrication des produits de remplacement » et à « combler les lacunes industrielles », accorde, en contrepartie d’une participation aux bénéfices et de la constitution d’un dossier complet sur l’activité de l’entreprise emprunteuse, une garantie de l’État pour des crédits consentis par le Crédit national. Un comité de sept membres (quatre représentants des Finances — dont celui du Trésor — et du MPI, un du Crédit national, un de la CNME) donne un avis, ouvrant la possibilité à un arrêté du ministre des Finances159. Cette loi du 23 mars 1941 va constituer la principale procédure — derrière celle issue du Plan Marshall à partir de 1948 — de financement public pendant les six ou sept années de Reconstruction d’après guerre.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XVII
69La direction vichyste de l’économie et des finances subit, dès les premières semaines de l’Occupation, la « double équivoque originelle » analysée au chapitre précédent. La politique monétaire et financière, qui prétend se fonder sur les postulats libéraux d’un franc fort soutenu par une « politique de circuit » un appui sur les banques, conduit à mettre en œuvre un appareil dirigiste totalitaire de contrôle sévère des prix et des revenus, afin de tenter de les maintenir jusqu’à la paix. Mais les effets de l’Occupation exercent une pression contradictoire, dans la mesure où les Autorités allemandes, à travers des services concurrents, opèrent des ponctions d’une ampleur telle qu’elles compromettent l’efficacité du système, tout en refusant d’en alléger les rigueurs, et parfois de s’y soumettre elles-mêmes.
70Parallèlement, la direction de l’industrie fonctionne à travers des structures étatiques inédites, destinées à assurer une répartition autoritaire. Cet appareil répond aux contraintes de court terme issues des diverses pénuries, aggravées par les exigences allemandes. Mais il est aussi conçu par les experts/gouvernants comme devant faciliter la rénovation de l’industrie française dans l’Europe nouvelle, nécessairement dominée par l’économie allemande. En aval de ces choix fondamentaux, des pratiques nouvelles se mettent en place, ainsi que des diagnostics et des projets de développement : autant d’éléments qui pourront être réutilisés, même dans d’autres perspectives.
71Ainsi, plus que l’innovation macro-économique de la planification — sans grande influence sur la direction effective de l’économie et inspirée par des principes étrangers à ceux du futur Plan Monnet, du fait de la non-sélectivité des programmes et de l’absence de concertation sociale — la politique du MPI se caractérise par l’élaboration au niveau méso-économique de programmes dans les secteurs de base du complexe énergico-électrique. Du point de vue technique et économique, les diagnostics sur les goulots essentiels et le contenu des principaux programmes ont été formulés. Dans le domaine financier, malgré les principes « austères » de la rue de Rivoli, des institutions de financement public de l’équipement ont été mises en place : l’idée d’un comité d’examen interministériel, dans lequel le Trésor et le Crédit national jouent un rôle moteur, va servir de modèle en 1948 pour la Commission des Investissements. Enfin, à travers l’activité de certains grands CO ou de commissions ad hoc, l’habitude a été prise de se concerter entre grands experts publics et privés. C’est notamment le cas dans l’énergie (Pierre Ailleret, Pierre Massé et Pierre Grezel, nommés à la Commission des Travaux du CO de l’Énergie électrique, cotoient Roger Boutteville, Robert Gibrat et Aimé Lepercq), la sidérurgie ou la chimie, où souffle une ardeur antimalthusienne.
Notes de bas de page
1 Les services des Finances calculent sur une base de 22 F par jour pour 300 000 hommes, soit 6,6 millions, c’est-à-dire cinquante fois moins par rapport au chiffre allemand, qui correspond à l’entretien de 18 millions d’hommes.
2 Cf. infra, chapitre XVIII.
3 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 54.
4 AEF, B. 33 196, Note de Trésorerie, 30 octobre 1940, 8 p.
5 Idem, doc. n° 13, Évaluation des charges de Trésorerie pour 1941, s. a., 3° bureau Trésorerie, 1re section, 8 p.
6 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 423 ; souligné par nous.
7 Cf. L’action économique..., op. cit., p. 31-33.
8 Cf. supra, chapitre I. 491/1 292 milliards : 38 %.
9 Cf. Jean Bouvier, Un siècle de banque française, Paris, 1973, 285 p. et la thèse de Claire Andrieu, « L’État et les banques commerciales en France 1867-1944 », IEP, 1988, ainsi que ses articles. Le Comité de travail comprend également les présidents Bavière (Banque de l’Union parisienne) et Celier (Comptoir d’Escompte), Escarra (directeur général du Crédit Lyonnais), et les banquiers de Boissier (de Saint-Chamond) et Varin-Bernier (de Bar-le-Duc).
10 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 42 et p. 415.
11 Ibid., p. 420.
12 Cf. supra, chapitre I.
13 Cf. supra, chapitre I.
14 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 427.
15 François Bloch-Lainé, « À propos du ministère des Finances », document multigraphié, CHSGM, 1977, p. 14.
16 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., p. 427.
17 Cf. Délégation française auprès de la Commission allemande d’Armistice, Procès-verbaux des réunions (du 1/7/1940 au 5/8/1944), 10 vol. (à la BDIC et AEF 4 D 1 à 9).
18 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 73.
19 Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 124.
20 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 77.
21 Ibid., p. 72.
22 Cf. supra, chapitre VIII et Achille Dauphin-Meunier, Produire pour l’homme, Paris, 1941, p. 302-337.
23 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 8 mars 1941, du CEI.
24 Idem, p.-v. de la séance du 22 mars 1941 du CEI ; souligné par nous.
25 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.
26 Cf. AN, F 37 21, d. « prix », Recueil analytique des autorisations de prix depuis le 1er septembre 1939, 324 p. (à la date du 31 décembre 1940) ; cf. également idem, divers dossiers par produits.
27 Cf. AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.
28 Cf. AN, F 37 21, d. « circulaires sur les prix », c. r. de la réunion au Majestic, 11 juin 1942, 4 p.
29 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.
30 .Idem, p.-v. de la séance du 5 septembre 1941 du CEI.
31 Idem, p.-v. de la séance du 8 mars 1941 du CEI.
32 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.
33 Idem, p.-v. de la séance du 21 juin 1941 du CEI.
34 Cf. idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.
35 Cf. idem, p.-v. de la séance du 26 août 1941 du CEI.
36 Idem, p.-v. de la séance du 22 août 1941 du CEI.
37 Idem, p.-v. cité.
38 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 du CEI.
39 Idem, p.-v. de la séance du 1er octobre 1941 du CEI.
40 Idem, p.-v. cité.
41 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 12 juin 1941 du CEI.
42 Idem, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.
43 Idem, p.-v. cité. Il s’est engagé à accroître le traitement des cheminots.
44 Idem, p.-v. cité.
45 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 432.
46 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 9 mai 1941 du CEI.
47 Idem, p.-v. cité.
48 Cité in L’action économique en France..., op. cit., p. 148. Il estime la réduction à environ un tiers par rapport à 1938.
49 Cf. ibid., p. 90 et suiv.
50 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 1er août 1941 du CEI.
51 Idem, p.-v. de la séance du 28 mars 1941.
52 Idem, p.-v. cité.
53 Idem, p.-v. de la séance du 16 mai 1941 du CEI.
54 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 10 septembre 1941 au CEI.
55 Idem, p.-v. cité.
56 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI.
57 Idem, p.-v. de la séance du 26 novembre 1941 du CEI.
58 Idem, p.-v. cité.
59 Idem, p.-v. de la séance du 12 novembre 1941 du CEI. Le salaire moyen s’établit à 17 000 F.
60 Idem, p.-v. de la séance du 4 février 1942 du CEI.
61 Cf. Robert O. Paxton, La France..., op. cit., p. 127 et suiv. ; Jean-Baptiste Duroselle, L’abîme 1939-1945, Paris, 1986, p. 300.
62 AN, F 60 591, p.-v. de la séance du 13 février 1942 du CEI.
63 Richard F. Kuisel, « The Legend of Vichy Synarchy », French Historial Studies, vol. VI, 1970.
64 Cf. AN, 468 AP 31, d. 4 « Agendas de Jean Coutrot ». À la date du 10 mai 1941, on peut lire : « mauvaise nuit » ; et au 4 avril : « une seule chance de salut-magnétiseur ». Il a noté une réunion de la Commission du Plan Comptable pour le 29 mai. Il meurt le 19 mai.
65 Jacques Benoist-Méchin, De la défaite au désastre, t. 1 : Les occasions manquées - juillet 1940-avril 1942, Paris, 1984, (474 p.), p. 62.
66 ibid., p. 63.
67 Ibid., p. 53 et suiv.
68 AN, F 60 590, p.-v. de la séance du 26 avril 1941 du CEI.
69 Philippe Pétain, Quatre années au pouvoir, Paris, 1949, p. 120. Cf. Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 251.
70 AN, F 37 33, d. « Textiles », s. d. « Direction des négociations françaises », Lettre de R. Carmichaël au Maréchal Pétain, Direction générale, D/l/127, 18 octobre 1941, 2 p. ; une lettre identique est envoyée à l’amiral Darlan, ainsi qu’un dossier de sept notes, constitué par R. Carmichaël et transmis à Jacques Barnaud le 11 novembre 1941.
71 Idem, Lettre citée.
72 Idem, Note 4 : « Attaque contre M. Carmichaël dans la presse », 5 p. (divers extraits de presse).
73 Idem, note 3, « Note sur l’attaque personnelle dont j’ai été l’objet de la part de M. Lehideux », 4 p.
74 Idem, Jacques Barnaud à Schmid (chef de la division économique de l’Administration militaire en France), 1834/RFA, 25 novembre 1941, 1 p.
75 Idem, compte rendu d’une réunion entre représentants SEPI/Autorités d’Occupation, des 2, 3 et 4 mai 1941, DGCOIT, 1232/AE/l, signé de Fouchier, DGCOIT, 15 mai 1941, 29 p.
76 Cf. AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport sur l’activité du MPI et du Travail du 15 juillet au 15 novembre 1940, cité (cf. supra, chapitre XVI).
77 Idem, Rapport cité.
78 Idem.
79 Cf. Jacques Julliard, « La Charte du Travail », in Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942, institutions et politiques, Paris, 1972 (Actes du Colloque de la FNSP, 6-7 mars 1970), p. 157-194.
80 AN, F 12 10157, d. « 221 H 2 », Rapport cité.
81 Idem, Rapport cité.
82 Idem, Observations sur le rapport Belin-C/MB, s. a., Vichy, 1er décembre 1940, 2 p.
83 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 166-167.
84 Cf. supra, chapitre XI.
85 Cf. AN, F 37 20, d. « Le statut des professions », notes nos 1 à 4 (datées du 8 avril au 5 mai 1941) de Gérard Bardet.
86 Idem, note n° 2, « quelques idées sur la forme et le fond d’une Charte du Travail », 15 avril 1941,11 p
87 Idem, note n° 1, « questions préalables », 8 avril 1941, 8 p.
88 Idem, note n° 2, citée.
89 Idem, note n° 1, citée.
90 Idem, note n° 2, citée.
91 Idem.
92 Idem, note n° 3, « Sur un apparentement des professions en vue de l’application d’une Charte du Travail », 23 avril 1941, 6 p.
93 Cf. Jacques Julliard, « La Charte... », art. cité, p. 167 et Henry W. Ehrmann, La politique..., op. cit., p. 88-91.
94 Cf. Le Gouvernement de Vichy..., op. cit., p. 337-355.
95 Dans les archives du Chef de l’État (AN, AG II), on trouve assez peu de cartons relatifs aux questions économiques : AG II 458, « Finances » - AG II 501, « Divers » - AG II 536, « Finances (1941-1942) » - AG II 544 et 545, « Finances (1942-1944) » - AG II 585, Papiers du chargé de mission avec le ministère de la Production industrielle et du Travail.
96 AN. F12 10157 d. « 221 H2 », Rapport cité.
97 Yves Bouthillier, Le drame..., op. cit., t. 2, p. 282-283.
98 Parmi de multiples témoignages de cette amertume des entrepreneurs de PME, cf. Pierre Nicolle, Cinquante mois d’armistice, Paris, 1947.
99 AN. F37 27, d. « Aide apportée par l’Allemagne à l’économie française », Région économique de l’Est, Compte rendu de la réunion tenue le 13 septembre 1942, à Nancy, (26 p.), p. 8.
100 Idem, Compte rendu cité, p. 8.
101 Idem, compte rendu cité, p. 11 ; souligné par nous.
102 Idem, compte rendu cité, p. 12.
103 Jean Bichelonne, L’État actuel..., op. cit., p. 12.
104 Ibid., p. 13-14.
105 Robert Catherine, L’économie de la Répartition des Produits industriels, Paris, (CII), 1943, 258 p., préface de Jean Bichelonne.
106 Ibid., préface p. VI.
107 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 15 ; souligne par nous.
108 Cf. AN. F12 10157, d. « 221 H2 », Rapport cité.
109 Cf. Henry Rousso, « Les matières plastiques en France pendant la Seconde Guerre mondiale », Rapport de l’ATP-CNRS, Sciences, technologie, société, s.l.d. de François Caron, 1982.
110 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 17 ; souligné dans le texte.
111 Ibid., p. 18.
112 AN. F37 27, d. cité. Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.
113 Idem, compte rendu cité, p. 19.
114 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 16.
115 AN. F12 10157, d. « 221 H2 », circulaire du SEPI (Secrétariat à la Répartition) à l’amiral Darlan, signée Pucheu, SRD 717, 13 mai 1941, 11 p.
116 Cf. supra, chapitre XVI.
117 Cf. infra, chapitre XVIII.
118 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. « Direction des négociations françaises », note n° 4, Note sur la structure et le fonctionnement de la section textile de l’OCRPI et de la direction générale du CGOIT, de Robert Carmichaël pour Jacques Barnaud, 26 août 1941, 6 p.
119 AN. FI2 10030, d. « Rapports annuels des directions - 24 - M. Jarillot », Rapport annuel sur la Direction des Industries chimiques et les industries qui s’y rattachent, 1942, 86 p.
120 AN, F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée (cf. note 1).
121 AN, F12 10157, d. « 221 H2 », extrait du rapport du préfet de la Côte-d’Or en date du 24 août 1941, 1 p. ; souligné par nous.
122 Idem, Lettre du maire de Châteauroux au maréchal Pétain, 15 septembre 1941, 3 p.
123 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 19.
124 Cf. Jean-Guy Mérigot, Essai sur les Comités d’organisation professionnelle, Paris, 1943 ; Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 240 et suiv. ; ainsi que Henry Rousso, « Les Comités... », mémoire cité, et « L’organisation... », art. cité.
125 Jean Bichelonne, L’état actuel..., op. cit., p. 33 ; souligné par nous.
126 Ibid., p. 25 ; souligné par nous.
127 Cf. les travaux de Michel Voile : « Naissance de la statistique industrielle (1930-1950) » in Pour une histoire de la statistique, Paris, 1977, t 1, p. 327-366 ; « L’organisation des statistiques industrielles françaises dans l’après-deuxième guerre mondiale » RHSGM, n° 116, octobre 1979, p. 1-25 ; Le métier de statisticien, Paris, 1980 et Histoire de la Statistique industrielle, Paris, 1982, 303 p. Une partie des informations sur l’Occupation repose sur le témoignage de Prévot, chargé de la coordination des méthodes.
128 Cf. Michel Voile, Histoire..., op. cit., p. 31 et suiv.
129 Cf. AN. F12 10030, d. « Rapports annuels des directions ».
130 AN. F37 33, d. « Textiles », s.-d. cité, Note citée.
131 AN. F12 10030, d. «Rapports annuels des directions». Rapport annuel sur la Direction de l’Industrie chimique..., cité.
132 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.
133 Jean Bichelonne, L’état actuel.., op. cit., p. 33-34 ; souligné par nous.
134 AN. F37 27, d. cité, Région économique de l’Est, compte rendu cité, p. 9.
135 Idem ; souligné par nous.
136 Cf. JO, 22-23 décembre 1941.
137 SEPI, circulaire aux CO et aux Conseils consultatifs tripartites, 18 novembre 1941, 5 p.
138 Ibid.
139 AN. F12 9966, d. « concentration industrielle. Circulaires généralités », compte rendu d’une réunion plénière des Répartiteurs du 10 janvier 1942, 8 p.
140 Idem, c.-r. cité.
141 AN, F37 27, d. cité, compte rendu cité, p. 11.
142 Idem, compte rendu cité, p. 11.
143 AN, F12 10030, d. « Rapports annuels des directions », Rapport annuel cité.
144 Idem, Rapport annuel cité.
145 Idem.
146 Idem. C’est dans l’industrie papetière que André Monestier et Jean Coutrot ont essayé d’« organiser » la profession avant guerre.
147 Idem.
148 Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 256 et suiv., ainsi que son article « Vichy et les origines de la planification économique-1940-1946 », Le Mouvement Social, 98, janv-mars 1977, p. 77-101 ; cf. également Philippe Mioche, Le Plan Monnet, genèse et élaboration 1941-1947, Paris, 1987 (323 p.).
149 AN. F12 10070, P.V./CO de l’Énergie électrique, 243 B, p.v. du 26 décembre 1940, 3 p.
150 Idem, p.v. du 9 janvier 1941, 6 p.
151 Idem, p.v. du 13 février 1941, 1 p. et mémorandum annexe, 4 p.
152 Idem, p.v. du 20 février 1941, 3 p.
153 Idem, p.v. du 30 octobre 1941 (38e séance), 3 p.
154 Cf. AN.F12 10123, d. 5, « Commission d’Utilisation de 1’ énergie ». On y trouve les p.v. des séances de la Commission de février 1942 à juin 1944.
155 Interviews de Pierre Weil (Paris, 10 et 15 décembre 1986).
156 AN. F12 10123, d.5 cité, pv du 29 mars 1944, 6 p.
157 Cf. les études de Henry Rousso dans le rapport de l’ATP/CNRS Sciences, technologie, société, sld. de François Caron, 1982 ; Patrick Fridenson, dans L’Histoire, février 1979, p. 34 ; Jean-Pierre Rioux, dans L’Histoire, février 1986, p. 41.
158 Cf. AN. 468 AP 30, d. 6, sdb.
159 AN. FI2 10157, d. « circulaires secrétariat de la Répartition, 1942-1944 », Notice sur la loi du 23 mars 1941, 52 AG 23-3-5, 15 février 1944, 5 p.
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