Chapitre XIV. La levée d’une triple hypothèque (avril-novembre 1938)
p. 429-466
Texte intégral
1Entre mars et novembre 1938, la rue de Rivoli est passée de la direction de Léon Blum, lors de son second et éphémère gouvernement, à celle de Paul Reynaud. À peine plus de deux ans après les élections législatives, la substitution au vainqueur du scrutin de mai 1936 de la principale personnalité politique de son opposition d’alors reflète l’étendue des changements. Pendant ces huit mois d’agonie du Front populaire, une série d’hypothèques, entravant l’action des nouveaux maîtres de l’économie et des finances, sont successivement levées, permettant d’alléger ce qui était ressenti par eux comme les contraintes — déjà bien amoindries — issues du programme plébiscité en 1936.
I. L’HYPOTHÈQUE PARLEMENTAIRE : LE SECOND GOUVERNEMENT BLUM (13 MARS-8 AVRIL 1938)
2Après une seconde démission de Camille Chautemps, en pleine crise d’Anschluss, le président Albert Lebrun fait encore appel à Léon Blum, afin de lever définitivement l’hypothèque d’un gouvernement de Front populaire. Il confie à plusieurs personnalités, notamment Georges Bonnet, sa volonté de démontrer l’inanité d’un gouvernement Blum, dont il espère bien qu’il s’agit du dernier1.
1. Les difficultés immédiates : le Sénat marchande les crédits.
• L’organisation gouvernementale.
3Face au refus de la plupart des dirigeants de l’opposition, en particulier Pierre-Étienne Flandin, de constituer un « gouvernement d’unité nationale autour du Front populaire », comme Léon Blum les y conviait solennellement, ce dernier reconstitue un gouvernement composé de socialistes et de radicaux. Parmi les premiers, il fait confiance aux mêmes hommes qu’en 1936. Mais, du fait des difficultés financières, aggravées par la tension internationale, le président du Conseil s’intitule aussi ministre du Trésor. Et Vincent Auriol est nommé « ministre chargé de la coordination des services à la présidence du conseil ». Le ministère de l’Économie nationale n’est pas ressuscité : Charles Spinasse se voit attribuer un ministère du Budget. Pour le seconder au Trésor, Léon Blum, respectant les équilibres parlementaires, fait appel à un sous-secrétaire d’État, nécessairement radical, Pierre Mendès France. Il dispose, d’autre part, d’un double cabinet, l’un à Matignon, l’autre rue de Rivoli, dont le directeur est Georges Boris, et le chef, Jean Saltes, collaborateur de Vincent Auriol en 1936. Ainsi, fort accaparé par les affaires politiques, en particulier internationales, Léon Blum ne reste guère qu’une heure par jour rue de Rivoli, où la continuité des tâches est, dans les faits, assurée par Georges Boris et Pierre Mendès France, déjà assez proches, et dont l’amitié naît lors de ces trois semaines de collaboration. Pierre Mendès France a fait état des conférences quotidiennes, à onze heures, présidées par Léon Blum, au cours desquelles ont été précisés les éléments du programme proposé aux Chambres et au pays2.
• « On va leur donner de quoi faire joujou » (Joseph Caillaux).
4Avant même d’élaborer un programme répondant « aux besoins profonds et permanents du pays », les responsables du gouvernement sont « assaillis par des difficultés immédiates »3. La crise internationale ouverte par l’Anschluss rend caduque la tentative de lancement de l’emprunt destiné à alimenter la Caisse autonome de la Défense nationale, tel que proposé par Paul Marchandeau. Peu après sa constitution, le gouvernement Blum élabore trois projets de loi destinés à accélérer le réarmement, à procurer des ressources financières rapides, et à ne pas retarder l’engagement des crédits militaires obtenus par le gouvernement précédent. Tout d’abord, dès le 17 mars, un projet de loi portant sur un programme exceptionnel de Défense nationale, reprenant des quatre milliards de crédits de paiements de Marchandeau, et ajoutant dix milliards d’autorisations d’engagement, à imputer sur l’exercice 1938 et les suivants. Ce projet n’a pas le temps d’être déposé4. En revanche, afin de trouver des ressources financières rapides, le gouvernement présente devant les Chambres deux projets de loi, le premier destiné à accroître de cinq milliards les autorisations d’avances directes de la Banque, le second visant à fournir quatre milliards à la Caisse autonome de la Défense nationale, par prélèvement sur le Fonds de Stabilisation des Changes, dont les ressources ont pu être accrues par la dépréciation du franc.
5Léon Blum ne cache pas, devant la Chambre, le caractère inflationniste de l’opération, liée aux nécessités impérieuses de répondre aux besoins immédiats du Trésor et d’alimenter la Caisse de la Défense nationale. Alors que « les derniers événements ont suscité, chez les capitalistes, un état d’esprit réfractaire à des investissements définitifs, car l’inquiétude ou l’insécurité inspire à tous les épargnants, à tous les défenseurs (sic) d’une fraction quelconque de capital, le désir de le conserver libre ou liquide... »5. Et, constatant que, en la circonstance, la lutte entre dollar et livre sterling tend plutôt à décourager la spéculation à la baisse du franc, il précise : « ... L’appel à la circulation, ce qu’on appellera l’inflation me paraît présenter, en revanche, le minimum d’inconvénients et de dangers » (...). Il escompte « une dérogation à la règle du parallélisme entre la création d’instruments de paiements nouveaux et les exportations d’or »6. À cette date, si la politique financière ne repose plus sur la confiance, il n’est pas encore question de « fermer le circuit », mais d’escompter des mouvements contraires de capitaux, qu’ils jouent en faveur du franc.
6Les projets sont votés par la Chambre, le 22 mars. La majorité de Front populaire s’est encore manifestée. Joanny Berlioz annonce le vote favorable du parti communiste, tout en parlant de « palliatifs dangereux », de risque d’élévation du coût de la vie, et en déclarant, avec référence à la Convention, qu’« une contribution exceptionnelle des riches pour la Défense nationale aurait été opportune »7. Le lendemain, la commission sénatoriale des Finances accepte l’augmentation des avances, mais refuse le prélèvement sur le Fonds de stabilisation. Et le 24 mars, la majorité sénatoriale tient à signifier à Léon Blum que, encore davantage qu’en juin 1937, elle le tient à sa merci. Simple sursis, ainsi commenté par Joseph Caillaux : « On va leur donner de quoi faire joujou encore pendant une semaine ou deux »8. La majorité du Sénat épouse le point de vue de sa commission des Finances : le texte de la Chambre est repoussé par 182 voix contre 89.
2. Le programme du 5 avril 1938 : une double source.
7Le 4 avril, le gouvernement dépose un projet de loi fort court dans son contenu : deux articles seulement, dont le premier autorise le gouvernement à prendre par décrets, jusqu’au 1er juillet 1938, « les mesures qu’il juge indispensables pour faire face aux nécessités de la Défense nationale, protéger l’encaisse de la Banque de France, redresser les finances et l’économie de la Nation ». Le second prévoit que la ratification parlementaire des décrets interviendra au plus tard le 31 décembre 19389. En revanche, l’exposé des motifs développe longuement — trente-six pages — les mesures envisagées, et l’analyse de la situation qui les sous-tend. Le contenu de cet exposé des motifs résulte, en fait, de deux sources distinctes : on signale toujours l’une d’entre elles — la participation de Georges Boris et Pierre Mendès France — mais on omet le rôle des conseillers de Vincent Auriol.
8Ceux-ci, en particulier, Jean Saltes, Ludovic Tron, et Gaston Cusin, avaient examiné les conditions de la chute de Léon Blum en juin 1937, suivi les tentatives de Georges Bonnet et s’en étaient entretenus, à plusieurs reprises, avec Vincent Auriol et l’ancien président du Conseil. Dans une note pour son ancien ministre, datée du 24 février 1938, Gaston Cusin, redoutant la dépréciation monétaire, conclut : « La nécessité du contrôle des changes [qui] constituera un barrage à l’abri duquel on pourra [dans un délai de trois ans] : 1. préparer le retour à l’équilibre des finances publiques ; 2. opérer un redressement de la balance des comptes »10. Il pense qu’une telle mesure s’impose, du fait des menaces portant à la fois sur la paix et sur le franc, et, contrairement aux idées dominantes, exprimées notamment par Jacques Rueff, qu’elle ne camoufle pas nécessairement une dépréciation monétaire (qu’il faudrait avouer une fois la liberté des changes rétablis) : « Loin de marquer une rupture avec les grands États démocratiques, Grande-Bretagne et États-Unis, le contrôle des changes et des échanges commerciaux permettra de leur faire une place plus grande dans notre commerce extérieur »11. Il propose, en outre, la couverture des recettes ordinaires par les recettes fiscales, comprenant une taxation des monopoles publics, un impôt dégressif sur les bénéfices des sociétés, assortis d’un dégrèvement des personnes physiques et des petites entreprises (« de manière à obtenir l’appui des classes moyennes »)12. Il préconise aussi un plan de trois ans d’investissements civils et militaires, qui ne pourra être financé (« pendant longtemps ») que par l’emprunt, dont le placement pourra être facilité par la pratique de l’open-market, et le placement obligatoire des réserves de sociétés en rentes sur l’État13. Il recommande enfin la conversion de la dette, la direction des échanges commerciaux pour redresser la balance des comptes, l’examen de la possibilité « d’assouplir la loi des quarante heures, en prenant pour base, non pas la semaine, mais le mois ou l’année », avec la création d’un observatoire économique, la mise en place d’une « organisation professionnelle des producteurs, mais sous le contrôle de l’État », ainsi qu’une direction du contrôle du Crédit Public, et un organisme de coordination des divers projets économiques ministériels14. Plusieurs des éléments de cette note sont repris lors de la conférence, tenue le 30 mars 1938, de dix-sept à vingt heures, chez Léon Blum, qui a invité Vincent Auriol, Jean Saltes et Gaston Cusin15. Les vingt-six points retenus lors de cet entretien — transmis par Gaston Cusin — forment le canevas de la première partie de l’intervention de Léon Blum à la Chambre, le 5 avril.
3. Le « premier texte keynésien » ou « projet au vitriol » ?
9On a souvent parlé de la connotation keynésienne de l’exposé des motifs. On sait que, peu après la mort de Georges Boris, Pierre Mendès France a tenu à souligner le rôle de conviction de ce dernier — qui avait lu la Théorie générale en anglais à l’été 1937 — auprès de Léon Blum, quelques mois avant la formation de son second gouvernement16. Certains passages de son discours à la Chambre, et la conclusion de l’Exposé des motifs s’apparentent, au moins implicitement, à la notion de multiplicateur. Pour la clarté de la question, il convient de distinguer deux des « nouveautés » de ce texte, dont l’origine et la portée paraissent fort différentes : la « fermeture du circuit » par le contrôle des changes d’une part, l’impôt sur le capital, ensuite.
• Le contrôle des changes : de l’autocritique de 1936...
10Sans doute, dans le cas de Georges Boris, attentif aux réalisations et études anglo-saxonnes, la lecture des analyses de l’économiste britannique a conforté en lui le ralliement à des solutions, qu’il est toutefois venu à envisager, avant la chute du premier gouvernement Blum. Constatant, dès février 1937, que les milliards nécessaires au financement du programme de réarmement représentent à peu près l’équivalent de l’épargne annuelle, il dénonce le caractère antinational des exportations de capitaux et, peu avant la première démission de Léon Blum, il stigmatise cette « sorte de grève qui est un véritable attentat contre la nation »17. Et, peu après la formation du gouvernement Chautemps, Georges Boris se résigne à la solution du contrôle des changes, rendue nécessaire par l’aggravation de la situation internationale : « L’expérience du libéralisme financier était justifiée il y a quelques mois, quand existait encore l’espoir d’un règlement européen relativement prompt. Nous n’en sommes plus là. La surveillance des capitaux et de leur circulation, le contrôle des changes ne sont pas des réformes qui méritent de soulever l’enthousiasme des foules. Elles ne créeront pas la prospérité. Mais outre qu’elles satisferont à un certain besoin d’équité, elles permettront à la France de vivre cette période si difficile, où il lui faut surarmer pour empêcher la guerre »18.
11Dans le cas de Léon Blum, la course aux armements, devenue incontournable, a sans doute largement pesé dans l’infléchissement, par rapport à 1936, de la politique financière. Plusieurs historiens ou témoins ont souligné combien, pour lui, la situation internationale et ses menaces importaient, et impliquaient un intense effort de dépenses d’armement, qui exigeait, cette fois-ci, de passer outre « le préjugé défavorable du capital »19. L’écart n’apparaît pas très grand entre les modalités de la relance en 1936 et en 1938, si ce n’est que, pour le premier épisode, il s’agit de mesures de reflation, conçues, à l’origine, à travers des dépenses d’investissements civils, et de dépenses d’armement dans le second, ce qui d’ailleurs, selon Boris, les rendaient plus acceptables. Léon Blum reprend, à la Chambre, les remarques des conseillers de Vincent Auriol sur les difficultés de faire appel à l’emprunt à long terme, d’où le recours au marché monétaire, par une réorganisation et une expansion de celui-ci. Mais, comme il s’agit de préserver à la fois l’encaisse et la valeur de la monnaie, « il faut que le circuit intérieur de la monnaie et du crédit reste clos »20. Le pas est franchi.
12Léon Blum se défend d’instituer le contrôle des changes, mais personne n’est dupe, quant à la signification du mécanisme qu’il présente comme une « sorte de suzeraineté exercée par la Banque de France sur les établissements privés, sur les banques et sur le marché » qui, « ... peut et doit suffire à empêcher les exportations de capitaux non justifiés par les besoins commerciaux »21. Là résidait la nouveauté. L’idée de recourir au contrôle des changes — inscrit implicitement dans le programme de 1936, rappelons-le — résulte du cheminement convergent de la réflexion des conseillers de Vincent Auriol et de celle de Georges Boris.
13Mais, comme l’avaient signalé les présents, lors de la conférence du 30 mars, il fallait également « montrer que notre politique n’est pas seulement une politique des facilités » [par] « ... la ranimation de l’économie »22. En particulier, l’exposé des motifs souligne la nécessité d’assurer la surveillance des prix et des ententes, de mettre en œuvre une politique de rationalisation et d’organisation professionnelle, d’accroissement de la production de forces motrices (pour soulager la balance commerciale) et même, si la capacité de l’outillage est insuffisante, d’« extension du temps de travail », au-delà des industries de la défense nationale — en accord avec les organisations ouvrières23. Le programme semble donc reprendre à son compte les différents projets du MEN de 1936-37, ainsi que ceux des Travaux publics. Il tourne également le dos à la « pause », puisqu’il annonce la réalisation de la retraite des vieux travailleurs, et l’extension des allocations familiales.
14Le ralliement au contrôle des changes résulte largement d’une réflexion autocritique, menée — on l’a vu — par les collaborateurs de Vincent Auriol auprès de Léon Blum après juin 1937. Celui-ci a lui-même cheminé, quant à l’appréciation de la politique financière de son premier gouvernement : il l’exprime devant le Sénat, quelques heures avant sa démission. Il y revient, quelques semaines plus tard, au Congrès socialiste de Royan : « Nous ne sommes pas arrivés à attirer à nous la confiance du grand patronat, ou la confiance du grand capital (...) vous rappelez-vous ce conseil national de février 1937 où (...) je vous laissais entendre (...) que je ne voyais plus le moyen (...) de parer à l’hémorragie des capitaux par les moyens classiques de la confiance ; que peut-être sur le plan technique, des moyens de surveillance, de contrôle, de contrainte s’imposaient et que nous nous trouvions placés devant une difficulté presque insoluble, parce que sur le plan international le salut du pays exigeait que nous marchions d’accord avec des puissances auxquelles ces mesures de surveillance, de contrôle, de contrainte, inspiraient une profonde aversion »24.
• ... à la convergence avec Henry Morgenthau.
15L’évolution par rapport à ce que Léon Blum appelle ces « erreurs » ou « défaillances » résulte largement de la tension accrue de la situation internationale, qui rend impératif un effort intense de financement du réarmement. Mais ce qui facilite également l’infléchissement de ses positions, c’est l’attitude des responsables du Trésor américain. Léon Blum l’évoque d’ailleurs rapidement, au même congrès : « Nous en sommes venus au point où peut-être la dégradation continue de la monnaie inquiète plus les grandes nations commerçantes, les grandes nations de démocratie anglo-saxonnes, que les inquiéteraient des mesures de surveillance lui assurant une certaine fixité »25. Il s’agit, en fait, de certaines tendances qui se manifestent à Washington, bien plus qu’à Londres.
16La consultation des archives de Paul Leroy-Beaulieu, attaché financier près l’Ambassade de France, confirme les fluctuations de la pensée de Henry Morgenthau, au sujet du contrôle des changes. En janvier 1938, Paul Leroy-Beaulieu transmet au Mouvement général des Fonds le texte d’une déclaration de Morgenthau, dans laquelle celui-ci affirme : « Un des principes fondamentaux de la politique étrangère des États-Unis est de maintenir les pays libres du contrôle des changes de telle façon que le commerce américain puisse effectuer ses opérations sur la base de paiements au comptant dans une aussi grande partie du monde que possible »26. Au début de mars, l’hostilité demeure, quoique ainsi nuancée : « Une telle solution leur [il s’agit des milieux financiers et de la Trésorerie américaine] déplairait, plus peut-être pour des considérations d’ordre économique que pour des raisons proprement financières »27. L’impact financier, en effet, ne pouvait être que limité, du fait de la fermeture du marché de New York aux émissions françaises — aux termes du Johnson Act — et de la quasi- inexistance des investissements américains en France depuis 1933. Et, dans un télégramme du 14 mars, Leroy-Beaulieu signale à Jacques Rueff et à Georges Boris — pour le compte de Léon Blum, ministre du Trésor — que la Trésorerie américaine ne ferait pas d’objection fondamentale à l’institution d’un contrôle des changes en France, pour peu qu’il n’entrave pas les paiements commerciaux28.
17Jacques Rueff se garde de retenir cette information dans les notes qu’il transmet à Léon Blum. On sait que, dans celle du 31 mars, il gonfle au maximum l’estimation des charges du Trésor pour 1938 : son chiffre — cinquante milliards de francs — est d’ailleurs repris à la Chambre par le rapporteur-général de la commission des Finances, Jammy Schmidt, comme par Léon Blum lui-même29. En revanche, le président du Conseil et ses collaborateurs ne pouvaient guère suivre le directeur du Mouvement général des Fonds qui, en l’absence d’économies possibles sur les dépenses civiles, n’espère d’apaisement pour le Trésor que dans le cas « d’une amélioration profonde de l’activité économique et d’un ralentissement de l’exécution des programmes d’armement »30. Quoi qu’il en soit, autant Jacques Rueff a été l’inspirateur partiel de la politique de « pause » et a poussé Vincent Auriol aux compressions de dépenses civiles en 1937, autant, en 1938, Léon Blum, en s’attribuant à lui-même le ministère du Trésor, tient à s’appuyer directement sur les membres de son cabinet pour élaborer son programme. Ainsi, lorsque Georges Boris et Pierre Mendès France insèrent le contrôle des changes — sans le nommer — dans l’exposé des motifs, ils savent qu’outre-Atlantique, ils peuvent désormais disposer d’un feu vert, même si les réticences l’emportent encore à Londres.
• L’impôt sur le capital : pour tomber à gauche ?
18La question de l’impôt sur le capital apparaît d’une autre nature. La mesure n’a pas été proposée par les collaborateurs de Vincent Auriol : elle n’apparaît d’ailleurs pas dans le schéma d’intervention pour Léon Blum, issu de la conférence du 30 mars. Bien plus, d’après le témoignage de Gaston Cusin, elle aurait été introduite in extremis par le cabinet de Léon Blum, ce qui aurait provoqué une altercation entre Georges Boris et les conseillers de Vincent Auriol. Ceux-ci auraient manifesté d’autant plus leur déception, qu’ils avaient mené une négociation avec Joseph Caillaux et son cabinet, sur les propositions du projet initial (sans impôt sur le capital)31. Mais la volonté politique de Léon Blum était arrêtée. Dans son discours devant les députés, il affirme d’ailleurs : « L’article le plus important de notre programme, au point de vue moral et politique, c’est le prélèvement sur le capital (...) cette mesure est une de celles que l’opinion publique attendait et [qu’elle] s’y soumet d’avance »32. L’impôt sur le capital viendrait infirmer l’éventuelle inspiration keynésienne, dans la mesure où l’économiste britannique recommande au contraire l’allégement de la pression fiscale en période de crise.
19À la limite, la « lecture » socialiste du programme de Front populaire en 1936 est plus proche d’un raisonnement de type keynésien — toutefois sous la réserve du contrôle des changes — que le programme de 1938. D’ailleurs, Léon Blum ne cache pas que les mesures d’expansion du crédit et de « reflation dirigée », d’une part, et la contribution du capital, d’autre part, peuvent apparaître comme « théoriquement opposée ». Mais il précise : « Ces propositions (...) sont politiquement, moralement, pratiquement complémentaires »33.
• « Un projet au vitriol ? » (Léon Blum).
20Est-ce à dire que Léon Blum, en l’espace de près de deux années, a modifié sa « lecture » du programme de Rassemblement populaire qui, rappelons-nous, contient des mesures de contrôle des changes et de prélèvement sur les fortunes ? Le dirigeant socialiste s’est-il rapproché de la « lecture » du parti communiste, qui n’a cessé de réclamer l’application effective de la partie financière du programme, ainsi que l’achèvement des réformes sociales (retraites, allocations familiales et caisse de calamités agricoles)34 ? Les conditions d’élaboration de l’Exposé des Motifs dénotent le souci chez Léon Blum de lui donner le caractère le plus « à gauche », en soulignant les impératifs d’une certaine solidarité nationale face aux nécessités extérieures. Cela, en restant dans les limites du programme de Front populaire, pour le rendre acceptable par les députés radicaux. En revanche, dès le rejet d’un des projets présentés au Sénat, le 24 mars, Léon Blum n’ignore pas la volonté de la Haute assemblée, exprimée, non sans cynisme d’ailleurs, par le puissant Joseph Caillaux, de n’accorder qu’un sursis de quelques jours à son gouvernement.
21Quelques heures avant le coup de grâce, Léon Blum — déjà averti du vote négatif de la Commission des Finances du Sénat — ne se fait guère d’illusion sur les intentions des sénateurs qui l’écoutent : « Il [le Sénat] se prépare à repousser, je pourrais presque dire à exécuter (...) un projet qui ne méritait tout de même pas tant de mépris et que la majorité de la Chambre a adopté »35. S’agissait-il d’un « projet au vitriol », dans lequel a été inséré au dernier moment un projet d’impôt sur le capital — qui n’avait pas été sérieusement étudié, ni même préparé par les spécialistes financiers de la SFIO — afin d’être mieux assuré de « tomber à gauche » ? Les dirigeants communistes, tout en ayant soutenu publiquement le projet, s’interrogent : dans le huis clos du Comité central des 27 et 28 mai, Maurice Thorez considère que le programme du second gouvernement Blum est « ...démagogique, non dans son contenu — parce que le contenu pour l’essentiel c’est ce que nous avions vainement réclamé depuis deux ans — démagogique par le fait qu’il venait deux ans trop tard et (...) qu’on le présentait comme un panneau électoral dont on savait qu’il serait repoussé et permettrait une chute facile (...) Et l’on a fait le raisonnement suivant : le gouvernement radical prendra des mesures impopulaires »36. Le secrétaire général du PC compare l’attitude de Léon Blum à l’égard de Daladier, à celle qu’il avait manifesté pour Poincaré, en 1926. En cette ultime séance, devant le Sénat, Léon Blum a, lui aussi, évoqué le précédent de 1926, dans une autre perspective : « ... notre vengeance sera alors celle du président de votre commission des Finances, ce sera de voir ceux qui viendront après nous, portés et poussés par la nécessité, présenter devant la Chambre et devant le Sénat, qui accueillera peut-être alors avec d’imposantes majorités (sourires) les solutions mêmes qu’aujourd’hui vous allez repousser »37.
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22Léon Blum espérait-il qu’après sa chute, son successeur, même situé plus à droite, serait conduit à reprendre le plus grand nombre des mesures proposées ? Il n’a pas d’ailleurs manqué de lire, au Sénat, un commentaire du Times allant dans ce sens. Refusait-il d’assumer, comme en février 1937, les risques de l’impopularité d’une politique de « pause » auprès des militants, des électeurs, de l’opinion en général, et de laisser aux seuls communistes l’image de la fidélité à la charte de 1936 ? Les deux préoccupations, non contradictoires, ont peut-être pesé simultanément. Quoiqu’il en soit, ce programme, présenté ultérieurement comme issu d’une réflexion cohérente d’inspiration keynésienne, répond bien davantage aux contraintes politiques, internationales et intérieures, à la lumière de réflexions autocritiques sur le premier gouvernement Blum, notamment sur le coût politique de la « pause », en comparaison avec son inefficacité financière. Ainsi, après le vote négatif du Sénat, dans la nuit du 8 avril, et la seconde démission de Léon Blum, l’hypothèque d’un gouvernement de Front populaire était levée : la voie était libre pour un infléchissement vers le centre.
II. L’HYPOTHÈQUE MONÉTAIRE : LE FRANC STERLING (MAI 1938)
23Édouard Daladier constitue son gouvernement le 10 avril, et obtient la confiance de la quasi-unanimité des députés le surlendemain.
24Derrière une apparente continuité, soulignée par les déclarations du président du Conseil sur sa fidélité à la majorité parlementaire de 1936, le gouvernement et son programme s’écartent sensiblement de ceux de Léon Blum. Daladier fait surtout appel aux radicaux, dont Paul Marchandeau, qui revient rue de Rivoli. S’il n’obtient pas la participation des socialistes, il attribue des portefeuilles importants — dans la perspective de la reprise économique — à deux USR, Paul Ramadier (Travail) et L.-O. Frossard (Travaux publics). Et surtout, fait symbolique, Paul Reynaud, écarté du pouvoir par l’échec de la droite et du centre aux élections de 1936, devient Garde des Sceaux, « à titre décoratif », à la suite du veto socialiste pour le portefeuille des Finances, proposé initialement par Daladier38. À la différence de la situation de 1926 et de 1934, les radicaux, deux années après la victoire électorale de la gauche, ne laissent pas aux vaincus du suffrage universel la direction du gouvernement que, cette fois-ci, Daladier tient à conserver. Mais ils les associent au pouvoir. La levée de l’hypothèque politique est-elle destinée à en faciliter d’autres ?
1. Les premiers décrets-lois Daladier.
• «Analogues dans la forme, les deux projets diffèrent essentiellement »39.
25Dès le 13 avril, le gouvernement demande les pleins pouvoirs financiers (jusqu’au 31 juillet), justifiés par la situation de la trésorerie et les besoins urgents de la Défense nationale. l’Exposé des motifs se démarque sensiblement de celui du projet Blum. Le contrôle des changes est écarté, ainsi que le prélèvement sur le capital. Il est prévu de faire appel à une majoration d’impôts, au crédit, et aux avances de la Banque de France. Afin de faciliter la reprise, il est question d’allégements fiscaux incitant les entreprises à accroître leur production ou leurs investissements, ainsi que de facilités de crédit pour les entreprises travaillant pour la Défense nationale40. Fort significative est la réaction du Sénat. Quelques jours seulement après les critiques et le rejet du projet de Léon Blum, les sénateurs adoptent une attitude compréhensive et bienveillante pour Édouard Daladier et Paul Marchandeau.
26Abel Gardey, rapporteur général de la commission des Finances, n’hésite d’ailleurs pas à souligner combien 1’« inspiration » des deux projets est différente. Il caractérise ainsi le « revirement opéré » : « ... Nous ne nous sentons plus conduits invinciblement vers l’isolement économique, une étatisation progressive des activités du pays n’est plus envisagée (...), les méthodes de la liberté sont substituées à celles de la coercition et de la contrainte »41. Il déplore que, pour le cabinet Blum, « l’inflation apparaissait comme le moteur de l’action gouvernementale », alors que le gouvernement Daladier, selon lui, place l’appel au crédit public au premier rang. Cependant, il évoque le fait que, si cet appel s’avère insuffisant, aux termes du projet, le plafond des avances de la Banque de France pourrait être accru de dix milliards. Les cinq milliards demandés par Léon Blum étaient apparus beaucoup plus inflationnistes que les dix milliards de Daladier, dans la mesure où ce dernier n’envisage pas d’accroître les dépenses autres que militaires, se réclame de la confiance des épargnants, et maintient le circuit « ouvert ». Le jour de son dépôt, le projet est accepté par les deux Chambres42. Il est alors suivi par l’adoption de plusieurs décrets-lois, le 2 mai : reprise des crédits militaires supplémentaires proposés par Léon Blum, accroissement de 8 % de tous les impôts d’État, des droits de douane, surtaxes des bénéfices des entreprises travaillant pour la Défense nationale.
• Les quatre trains de décrets-lois Daladier : « les records de l’équivoque » (Paul Reynaud).
27En l’espace de deux mois, 182 décrets sont promulgués, grâce à quatre « trains » successifs (les 2 et 24 mai ; les 14 et 28 juin). On y trouve a la fois des mesures qui reprennent celles proposées par Léon Blum, ou s’y apparentent, et d’autres, qui s’en distinguent. Édouard Daladier s’inspire de son prédécesseur, quant à sa volonté d’accélérer le réarmement et aux facilités de crédit qui lui sont liées : il reprend les 4,7 milliards de nouveaux crédits militaires. Parmi les 101 décrets du dernier train, il fait autoriser la politique d’« open-market » par la Banque, et relever de dix milliards le plafond des avances. Les orientations inflationnistes du second gouvernement Blum sont confirmées, mais, cette fois-ci, Édouard Daladier n’a pas à craindre la rigueur de Joseph Caillaux. En matière de Défense en tout cas, l’effort proposé par Léon Blum n’aura pas été vain43. En outre, des décisions sont prises pour relancer la production : octroi d’une dotation de 150 millions à la Caisse nationale des Marchés de l’État et extension de son rôle, programme d’équipement électrique de trois milliards, programme de grands travaux (dont six milliards financés par le Trésor, et cinq par les collectivités) : l’orientation « reflationniste » semble poursuivie. Et même, une certaine fidélité au Front populaire se manifeste par l’adoption de nouvelles lois sociales, telle l’extension des allocations familiales aux agriculteurs et artisans ruraux. Le Conseil des ministres adopte même, le 31 mai, le principe d’un texte de loi portant création d’une Caisse de calamités agricoles. Mais, dans le même temps, le gouvernement rejette le contrôle des changes, comme l’impôt sur le capital. Il accroît de huit pour cent tous les impôts directs et indirects, majore les droits de douane. Et il augmente le volume des heures supplémentaires et facilite leur octroi.
2. La dévaluation du 4 mai.
• Le feu vert de Londres et de Washington.
28On sait que, dès le 29 avril, Édouard Daladier consulte Londres, au sujet d’un éventuel crédit ou d’un soutien du franc par le Fonds d’Égalisation britannique, et, à la suite du refus outre-Manche, le gouvernement français fait accepter une dépréciation du franc par rapport à la livre sterling44. Le 3 mai, Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, informe Cochran à Paris que le gouvernement français demande l’avis de Washington, au sujet d’une dépréciation du franc par rapport à la livre sterling, qui pourrait s’établir à la parité de 175 francs environ. Les papiers de Paul Leroy-Beaulieu donnent une chronologie détaillée des contacts à Washington, le même jour. Henry Morgenthau réagit assez défavorablement, lorsqu’il est mis au courant par l’attaché financier français : il redoute des répercussions commerciales, des manœuvres de dumping. Il est d’autant plus étonné que Daladier avait démenti toute dépréciation une semaine auparavant — mais n’en est-il pas toujours ainsi ? — et que l’accord tripartite prévoyait des consultations préalables. Le secrétaire au Trésor réclame un à deux jours de réflexion. Or, en fin d’après-midi, Jacques Rueff fait savoir à Paul Leroy-Beaulieu que la réponse américaine doit intervenir au plus tard le lendemain matin, 4 mai, à huit heures et demie (heure de Washington), afin que le Conseil des ministres puisse annoncer la décision. Le soir-même, Morgenthau qui, par coïncidence, dîne à l’ambassade de France, est prévenu de l’urgence. Celui-ci, mieux disposé, demande toutefois un délai pour contacter le Président Roosevelt, alors en croisière, et obtenir la réponse de Londres. Le 4 mai, à six heures du matin (heure de Washington), Jacques Rueff transmet à l’ambassade un message du Conseil des ministres, qui « a décidé d’attendre la réponse du gouvernement américain », et, dans l’attente, défend le cours du franc. En outre, le gouvernement s’engage à ce que la dépréciation décidée soit la dernière45. Henry Morgenthau est informé du message à neuf heures, et donne son accord, quatre heures plus tard, en présence de l’attaché financier britannique. Peu après, il reçoit la presse, et n’hésite pas à affirmer que la décision française a été prise après trois jours de consultation entre les trésoreries46.
• Le franc sterling : la « symbiose » avec les puissances anglo-saxonnes.
29La décision du gouvernement français a été suspendue au feu vert successif de Londres et Washington, comme en 1936 et 1937. La souveraineté monétaire française n’est plus ce qu’elle avait été encore dans les années 192047. En outre, en s’accrochant à la livre sterling, et non à l’or, Paris manifestait ainsi une certaine subordination à Londres, confirmant les orientations plus générales de sa politique extérieure48. Comme l’a souhaité Paul Reynaud en 1935-36, le franc se rattache à la livre, bien que celle-ci ne soit pas stabilisée.
30Il faut toutefois noter une double différence avec les dévaluations de septembre 1936 et juin 1937. Tout d’abord, celle de 1938 est réalisée « à froid », et non sous la pression d’une surévaluation manifeste des prix français. Si l’on reprend les calculs — considérés comme assez frustes par son auteur — d’Alfred Sauvy dans le Bulletin du Service d’Observation économique, on constate une nette surévaluation des prix français en juin 1936, un renversement avec la dévaluation de septembre, de nouveau une surévaluation légère en juin 1937 : mais, à partir de la dévaluation Bonnet, « la disparité approximative de 15 % en faveur des prix français se maintient »49. Cela explique en partie la méfiance initiale de Morgenthau. L’objet de la dévaluation n’était pas non plus, dans un premier temps, de profiter de la réévaluation de l’encaisse, puisque le gouvernement venait d’obtenir l’aval des Chambres, pour relever de dix milliards le plafond des avances de la Banque. Ainsi, l’intérêt de l’opération était double : en rattachant durablement le franc à la livre sterling à un niveau assez bas, l’espoir existait de déjouer la spéculation future, en rémunérant suffisamment la spéculation passée, et d’inciter ainsi les capitaux exilés à rentrer : de fait, depuis la formation du gouvernement Daladier, la dépréciation du franc par rapport à la livre était de l’ordre d’un huitième. En trois dévaluations, le franc Poincaré avait ainsi perdu cinquante-sept pour cent de sa valeur : la marge était assez nette par rapport au dollar et à la livre — dépréciés de quarante pour cent par rapport à l’avant-crise — à condition qu’il n’y ait pas dérapage des prix.
31D’autre part, Londres et New York ont accordé à Edouard Daladier et Paul Marchandeau ce qu’ils avaient refusé à Léon Blum et Vincent Auriol : une dépréciation du franc assez forte pour modifier les courants commerciaux et, surtout, inverser les mouvements de capitaux. La levée de l’hypothèque politique, le 8 avril 1938, entraîne, aussi bien chez les sénateurs que chez les responsables des puissances anglo-saxonnes, des dispositions favorables pour des mesures identiques à celles qui ont été jugées plus sévèrement du temps de Léon Blum. Ainsi, au printemps 1938, le gouvernement s’est rallié à l’idée, défendue par Paul Reynaud en 1934, Robert Coulondre en 1935 et Emmanuel Mönick en 1936, de ne pas s’accrocher à une stabilisation monétaire préalable — d’autant plus improbable depuis l’Anschluss, du fait de l’ampleur des dépenses d’armement dans le monde — mais de placer durablement la France en « symbiose » avec les puissances anglo-saxonnes, de faciliter la libre circulation des capitaux, en attendant de « libérer » les échanges commerciaux, fortement entravés par le protectionnisme50. La dévaluation du 4 mai 1938 marque ainsi la victoire de ce groupe austéro-libéral, prêt à sacrifier la parité et l’indépendance monétaires, au profit d’un resserrement des liens financiers et économiques avec les deux grandes nations commerçantes.
3. La « confiance » retrouvée en pleine crise internationale.
32Peu après le repli monétaire, une masse importante de capitaux refluent vers la France. C’est le mouvement le plus important dans ce sens, depuis les débuts de la Crise. Dans une note de Paul Marchandeau à Édouard Daladier, datée du 3 octobre, le ministre des Finances, en dressant le bilan de l’année écoulée, estime, en outre, que « le Trésor a réussi à emprunter la quasi-totalité des capitaux rapatriés ». En effet, au 31 août, malgré le remboursement de 1,8 milliard depuis le 14 juillet, la circulation des bons du Trésor s’élève à plus de quatorze milliards51. Les seize milliards ainsi empruntés depuis le premier mai représentent sans doute près des neuf dixièmes des capitaux rentrés en France. Ainsi, quelques semaines après l’Anschluss, la « confiance » des porteurs de capitaux, qui a manqué à Vincent Auriol comme à Georges Bonnet, et même à Louis Germain-Martin en 1934-35, semble en passe d’être recouvrée. Les périls extérieurs — du moins jusqu’à la crise des Sudètes — et l’ampleur des dépenses d’armement n’ont pas autant alarmé, semble-t-il, les détenteurs de capitaux que les incertitudes socio-politiques : la levée de l’hypothèque politique du Front populaire, confirmée par la bienveillance nouvelle du Sénat, a été l’élément décisif — conforté par l’ajustement monétaire et le profit qui lui est lié — du rétablissement de la « confiance ».
• Privilégier le marché monétaire.
33En retour, la « confiance » est d’autant plus nécessaire, que Paul Marchandeau puise surtout dans le marché monétaire pour couvrir les charges de la trésorerie. Il justifie ainsi ses choix, dans une lettre à Édouard Daladier, le 28 juin 1938 : « Ma préoccupation essentielle est de réduire dans toute la mesure du possible les émissions d’emprunts à long terme, dont l’ampleur et la répétition sont une des causes essentielles de la mauvaise tenue du marché financier (...) Le marché monétaire (...) est aujourd’hui beaucoup plus large que le marché financier »52. C’était renouer avec les préoccupations de Louis Germain-Martin ou de Marcel Régnier, qui avaient voulu désengager l’État du marché financier, afin de ranimer le crédit à moyen et long terme pour les entreprises.
34Parmi la centaine de décrets-lois approuvés le même jour, l’un permet à la Banque de France la pratique du « marché ouvert », ou « open market policy », ce qui l’autorise à procéder à l’achat direct sur le marché monétaire, et non plus seulement à manier le réescompte : la France se met, dans ce domaine également, à l’heure de Londres et de Washington53. La levée de l’hypothèque monétaire a sonné l’heure du retour des capitaux. Assouplissement du marché monétaire, amorce d’une politique de circuit afin de réserver, par le biais du Fonds de stabilisation, la plus grande partie des capitaux rapatriés aux besoins du Trésor, désengagement de l’État sur le marché financier, engagement de ne pas recourir au contrôle des changes : logique libérale, sans doute.
• Des incertitudes.
35Toutefois, jusqu’en août 1938, la politique économique et financière témoigne encore de quelques incertitudes. Parmi les quelques cinquante-trois décrets-lois du second train, comme on l’a signalé, on note un programme de grands travaux civils sur trois années, dont six milliards sont à la charge du Trésor, sur un total de onze milliards. Certes, ces chiffres ne peuvent se comparer aux vingt milliards de francs Poincaré, prévus dans la loi d’août 1936 (cela ne représente que environ 2,6 milliards de francs) : ils signalent cependant que le gouvernement n’a pas totalement renoncé, au moins dans sa lettre, à l’une des orientations du programme de Front populaire. Il ne se rallie pas intégralement aux propositions de désengagement de l’État en matière de dépenses civiles, telles que Jacques Rueff les formule depuis 1937. Enfin, le recours massif à la dette flottante pour financer les charges du Trésor peut apparaître vulnérable. Il suppose la bienveillance des établissements de crédit, la disponibilité des capitaux, y compris dans le cas de la reprise économique attendue, et le maintien de la « confiance ». Or, face à l’essor des conflits sociaux, notamment autour de la question des quarante heures, le gouvernement, afin de consolider la « confiance » recouvrée, ne doit-il pas lever une nouvelle hypothèque ?
III. L’HYPOTHÈQUE SOCIALE : LA PART DU TRAVAIL DANS LE REVENU NATIONAL
1. Léon Blum et l’anti-Accord Matignon du 1er avril 1938.
36Le second gouvernement Blum est marqué par une importante vague de grèves qui, partie des usines Citroën le 24 mars, s’étend progressivement à toute l’industrie de l’aviation, et aux principales entreprises métallurgiques de la Région parisienne, dont Renault. Le litige porte sur une éventuelle augmentation de salaires, pour l’ajuster au relèvement du coût de la vie, ainsi que sur la garantie du droit syndical dans la négociation de la nouvelle convention collective. Devant l’extension du conflit, Léon Blum propose un surarbitrage, le 28 mars. Les négociations entre les représentants ouvriers et ceux du patronat de l’aviation, entamées le 1er avril à l’Hôtel Matignon, débouchent sur un accord provisoire dans la nuit, comportant notamment la semaine de quarante-cinq heures avec majoration dans les industries de la Défense nationale54. Mais les chefs d’entreprises de l’aviation désavouent leurs représentants. Le conflit s’étend, atteint environ 50 000 salariés, lors de la démission du gouvernement Blum, et le triple, le 10 avril. Le contexte national et international, l’état d’esprit des grévistes, l’extension du conflit diffèrent profondément de ceux de l’été 1936.
2. Édouard Daladier entre « les deux clefs de la confiance ».
37Au cœur des luttes sociales, le gouvernement d’Édouard Daladier tente, dans un premier temps, de concilier son adhésion formelle au Front populaire, et les nécessités de la politique financière de confiance des porteurs de capitaux, adoptée, en particulier, on l’a vu, pour couvrir les charges de l’effort de réarmement. Au printemps 1938, le conflit est plus limité, à la fois d’un point de vue géographique et sectoriel. D’autre part, il prend un caractère défensif, marqué par la volonté de préserver certains « acquis » des accords et lois de 1936 (l’amélioration du pouvoir d’achat, menacée par la hausse des prix au détail ; le droit syndical et les conventions collectives, jugés compromis par le licenciement de certains responsables syndicaux ; la procédure de conciliation et d’arbitrage, mise en cause par des retards ou le non-respect de sentences).
38Léon Blum et ses collaborateurs étaient favorables à un certain assouplissement de l’application des quarante heures, mais en accord avec les syndicats ouvriers. Lors de la présentation de son second gouvernement à la Chambre, il avait ainsi mis en garde l’opposition au Front populaire, qui venait de lui refuser son concours : « Vous n’obtiendrez rien si vous ne donnez pas aux masses démocratiques, aux masses populaires et ouvrières de ce pays, la certitude évidente et tangible qu’il ne s’agit pas, comme ce fut peut-être le cas dans le passé, d’obtenir, à la faveur de l’émotion nationale, un renversement de majorité et un retrait de tous les avantages obtenus par les masses populaires »55.
39Robert Jacomet, désigné comme surarbitre par Édouard Daladier, rend deux sentences, les 12 et 14 avril 1938. La première, destinée aux entreprises nationalisées de l’aviation ; la seconde l’étend aux entreprises privées. Toutes deux autorisent les dirigeants de ces entreprises à porter la semaine de travail à quarante-cinq heures, sans la majoration prévue dans les décrets : la décision d’augmenter, de 0 F 75 le salaire horaire, ne compense pas la perte pour les salariés qui, pour la première fois depuis 1936, acceptent une mesure générale équivalent, dans les faits, à l’abandon de la semaine de quarante heures56. Le travail reprend le 13 avril dans l’aéronautique, mais la grève se poursuit dans le reste de la métallurgie. Le 14 avril, Paul Ramadier, ministre du Travail, propose un surarbitrage aux organisations ouvrières et patronales. Le 19 avril, Giraud, en qualité de surarbitre, « recommande » l’extension de la sentence Jacomet à toute la métallurgie, ce qui permet la reprise du travail. Mais les chefs d’entreprise de la métallurgie refusent la majoration proposée, jugée excessive. On sait, grâce aux papiers d’Édouard Daladier, qu’après ce refus patronal, les négociations se poursuivent au sein d’un sous-comité de production, présidé par l’ingénieur Mellon, sous-directeur des constructions navales. Mais elles subissent les effets des oscillations de la politique gouvernementale.
• Des sollicitations intérieures et internationales.
40Peu après la dévaluation, le président du Conseil subit une série de sollicitations, en faveur d’une révision de la loi des quarante heures. À Londres et à Washington, la dévaluation a été accueillie avec un certain scepticisme : le Herald Tribune s’interroge pour savoir si la nouvelle parité va durer deux, huit ou dix mois57. Paul Leroy-Beaulieu informe régulièrement Jacques Rueff des impressions issues des milieux financiers de Wall Street : « Une amélioration substantielle et permanente ne se produira que si les Français consentent à effectuer les réajustements nécessaires dans les salaires et les prix, et si l’atmosphère politique permet à l’industrie de fonctionner à plein rendement. C’est là l’opinion couramment exprimée dans Wall Street, où l’on a constamment considéré que le phénomène monétaire était secondaire et que le redressement français était subordonné à l’augmentation de la production »58. La mention de 1’« augmentation de la production » et la « fin des troubles sociaux » apparaissent comme un leitmotiv dans les télégrammes transmis par l’attaché financier à Washington et destinés à faire connaître les préoccupations dominantes à la Trésorerie et dans les milieux financiers américains. Paul Reynaud, toujours bien informé, en particulier grâce à André Istel, des sentiments exprimés outre-Manche et outre-Atlantique, intervient dans le même sens auprès de Daladier : bien que ministre de la Justice, il n’hésite pas à lui envoyer deux lettres peu après la dévaluation, puis une troisième au début de juillet, en faveur de « l’accroissement nécessaire de la production »59.
• Assouplissement du 24 mai et réactions patronales.
41Lors de la présentation de son second gouvernement, après l’échec de la proposition de Cabinet d’unité nationale, à laquelle Paul Reynaud s’était rallié, Léon Blum a affirmé : « La majorité et l’opposition détiennent l’une et l’autre (...) l’une des clés de la confiance sans lesquelles on ne peut pas restaurer le pays », à savoir la confiance de « l’épargne » et celle de la «classe ouvrière organisée »60. Pendant quelques semaines, Édouard Daladier tente de préserver les « deux clés de la confiance ». Au début de mars 1938, alors qu’il n’est encore que ministre de la Défense nationale du second gouvernement Chautemps, il ne voit pas l’intérêt d’un assouplissement de la loi des quarante heures au-delà des arsenaux et des industries sous le contrôle de l’État, qui bénéficient alors de dérogations : « Je reçois tous les jours des délégations ouvrières qui me demandent d’appliquer la loi de quarante heures (...) Il ne s’agit pas de réduire la durée du travail, mais au contraire de l’accroître »61.
42Une fois devenu président du Conseil, Édouard Daladier s’attache désormais non seulement au débit productif des entreprises dépendant directement de la Défense nationale, mais aussi des entreprises métallurgiques privées situées en amont. Dans le second train de décrets-lois du 24 mai, l’un d’entre eux complète les assouplissements dans le sens souhaité par les responsables de l’Enquête sur la Production, c’est-à-dire sans remettre en cause le principe de la concertation ouvrière et du contrôle de l’Inspection du Travail. Mais l’assouplissement est plus important qu’en décembre 1937 : les heures perdues pour chômage collectif peuvent être récupérées, sur simple avis à l’Inspecteur du Travail ; les heures supplémentaires peuvent être attribuées par le ministre du Travail à une branche toute entière (et non établissement par établissement) dans la limite des soixante-quinze heures par an. Dans les faits, le gouvernement se rallie à l’une des revendications exprimées par les représentants patronaux lors de l’Enquête sur la Production : le principe des deux mille heures annuelles. S’il s’agit d’assouplir de manière transitoire la durée du travail pour certaines entreprises « stratégiques » — au sens où elles pouvaient former les fameux goulots — des moyens existent aux termes des décrets. Il est possible, si le besoin existe, d’étendre la durée hebdomadaire à 41,5 heures.
43Mais les réactions patronales montrent que l’attente n’est pas dans un aménagement de la loi. Pierre Nicolle, secrétaire général du Comité de salut économique écrit dans la Journée industrielle : « Le décret qui vient de sortir n’aura aucun effet salutaire ». Il précise qu’aucun aménagement n’est possible « dans le cadre de la loi actuelle »62. Ce n’est pas tant le débat quantitatif sur l’accroissement du nombre d’heures supplémentaires qui intéresse certains porte-parole du patronat, que leur rétribution au tarif normal et la suppression de la consultation des organisations ouvrières. C’était assurément aller au-delà du compromis que les représentants de l’État avaient essayé d’établir lors de l’Enquête sur la Production, afin de ne pas vider de son contenu la loi du 21 juin 1936.
3. Paul Ramadier : l’ultime tentative d’« application loyale » des quarante heures.
44Lors du «Colloque Daladier» de 1975, Alfred Sauvy a affirmé, sans document à l’appui, que les soixante-quinze heures supplémentaires légales par an ne sont jamais atteintes, « par suite des difficultés administratives ou des oppositions syndicales »63. Il ne faisait là que reprendre des affirmations formulées alors par une fraction des chefs d’entreprises. Il est intéressant de verser au dossier les réflexions du ministère du Travail d’alors, Paul Ramadier.
• La nécessité du recours éventuel aux heures supplémentaires.
45Seul ministre USR, avec L.-O. Frossard, du gouvernement Daladier, Paul Ramadier tente de frayer la voie d’un compromis entre le respect de l’esprit de la loi votée en juin 1936 et les nécessités de la production. Dans un texte, prononcé en juillet 1938, lors d’une inauguration, il met en évidence les termes du débat : « Les organisations ouvrières proclament à bon droit qu’elles ne veulent pas, qu’elles ne peuvent pas admettre de larges dérogations qui mettraient en cause la réforme. Elles ont raison de faire appel à notre bonne foi pour que le principe reconnu ne se perde pas dans les modalités de l’application. Cependant nul ne contestera que les nécessités de la production s’imposent avec une force égale et l’emporteraient si le conflit devait se produire entre une loi rigide et les besoins inéluctables de la vie »64. Il admet la nécessité de recourir aux heures supplémentaires, destinées à « compenser cette rigidité » des quarante heures, qui impriment leur rythme à tout l’établissement, et deviennent un « carcan étouffant, quand varie le rythme de production »65. Il comprend que le chef d’entreprise hésite devant des embauches nouvelles, sans assurances pour l’avenir, et que le travail par roulement n’est possible que si l’accroissement des commandes est déjà substantiel : en outre, les heures supplémentaires lui apparaissent d’autant plus nécessaires pour surmonter, dans certaines branches, « un surcroît éphémère de travail », que les réserves de main d’œuvre s’avèrent très décevantes : « Certes nous avons malheureusement une réserve de chômeurs, mais elle est nulle pour les ouvriers spécialisés et pour certaines professions. Pour les autres, elle est souvent mal répartie géographiquement et les migrations intérieures s’organisent difficilement. Au total, si l’on met à part les vieillards et les déficients, la réserve est beaucoup moins considérable qu’on ne le pense. Notre système de chômage révèle beaucoup plus les imperfections de nos lois d’assistance qu’une crise grave de l’emploi. Si les réserves s’épuisent (...) il faut d’abord recourir aux heures pour permettre le recrutement rationnel d’ouvriers étrangers, dans la mesure où leur emploi peut être assuré sans nuire à la main-d’œuvre française »66.
46L’inadéquation entre demande et offre de travail étant techniquement bien mise en évidence, Paul Ramadier conclut à la nécessité des heures supplémentaires. Il constate, à ce propos, une certaine résistance ouvrière, qu’il condamne. Mais, à la différence des affirmations d’Alfred Sauvy, les documents du ministère du Travail, commentés par Paul Ramadier, montrent que la faiblesse du nombre des heures supplémentaires ne résulte pas d’abord de cette résistance : « Mais ce n’est pas seulement elle [la classe ouvrière] qui hésite devant l’emploi des heures supplémentaires. Il faut convenir que les patrons y sont aussi peu favorables. Pratiquement, en dehors de quelques cas exceptionnels nettement abusifs et dont le nombre est infime, toutes les heures supplémentaires demandées sont accordées. En mai et juin 1938, la proportion des heures supplémentaires aux heures normales possibles atteint 16 pour 100 000. Pour expliquer ce pourcentage dérisoire, on n’invoquera pas la résistance ouvrière : il ne s’agit pas des heures faites, mais des heures autorisées »67.
47Il mentionne trois arguments patronaux invoqués pour justifier la répugnance à demander des heures supplémentaires : le marasme des affaires, les complications administratives — largement exagérés, selon lui, car les inspecteurs du travail statuent « presque séance tenante » — et, le plus fréquemment invoqué, la majoration des salaires pour ces heures. En cas de passage à une semaine de quarante-quatre heures et de maintien de la productivité moyenne, il procède à un rapide calcul sur des cas extrêmes — les salaires couvrant soit soixante-dix, soit vingt pour cent des coûts — qui lui permet de conclure à un accroissement maximal du prix de revient inférieur à 0,7 pour cent68. Même sous la réserve de cas particuliers, notamment « sur quelques métiers où l’outillage compte peu et où le taux du bénéfice est peu élevé » (...), il ne saurait être question de modifier une règle générale qui altérerait profondément le principe même de la loi. Ce principe est en tout cas compatible avec une extension importante de la production française »69.
• Pour « l’acceptation loyale de la loi ».
48Ainsi, Paul Ramadier, tout en reconnaissant que l’utilisation de la réserve de chômeurs ne peut guère accroître la production de plus de deux pour mille, pense que, techniquement, l’application intégrale de la réglementation du travail (récupération des heures chômées et utilisation maximale des heures supplémentaires) permettrait de la relever de près de neuf pour cent. Il reconnaît toutefois : « Sans doute aurons-nous plus de difficulté à retrouver le niveau de 1929 »70. Il estime à environ cinq pour cent le déficit structurel de main-d’œuvre dû à la fois à l’activité, toujours effective, de la génération amoindrie par les pertes de la Première Guerre mondiale et aux classes creuses, parvenues à l’âge actif. À partir de 1939, l’arrivée des classes d’âge postérieures, en remplacement de celles qui ont été décimées par la guerre, doit d’ailleurs progressivement accroître les ressources humaines.
49Dans l’intervalle, le ministre du Travail mise sur le recours à la main- d’œuvre étrangère et nord-africaine, ainsi que sur l’effort d’éducation et de perfectionnement de l’ouvrier français, « seul apte à combler le déficit certain de main-d’œuvre qualifiée »71.
50Ainsi, Paul Ramadier estime que la législation des quarante heures grâce à une « application, ... souple et prévoyante », n’est pas contradictoire avec l’essor nécessaire de la production. Techniquement, les goulots peuvent être surmontés — en particulier grâce aux assouplissements du décret du 24 mai — pendant la période de soudure d’un an, en attendant le surcroît de main-d’œuvre en 1939. De plus, la reprise ne peut se produire sans la paix sociale, qui « ne peut être assurée que par une acceptation loyale de la loi. (...) Personne ne peut avoir raison contre la loi ; car si on avait raison de la loi, on perdrait la France en détruisant sa souveraineté »72. Dans la lignée des conclusions de l’Enquête sur la Production et des arbitrages opérés alors par les représentants de l’État, Paul Ramadier escompte des partenaires sociaux à la fois 1’« acceptation loyale » de la législation de 1936, et le recours justifié à des aménagements et assouplissements techniques, à la fois pour la durée du travail, mais aussi pour l’outillage, l’organisation du travail, l’apprentissage et le reclassement. C’était aussi la position de Jean Coutrot à l’Économie nationale : jouer le jeu des réformes de 1936, sans la tentation d’un « simili Versailles ». Un tel compromis supposait à la fois que les problèmes de production ne soient abordés que du point de vue technique, sans qu’il ne subsiste l’espoir de revenir sur la législation de 1936. Cela impliquait aussi que l’État dispose des moyens financiers de mettre en œuvre les remèdes (autres que l’accroissement de la durée du travail) destinés à accroître la production. Cette voie moyenne réformiste se heurtait à la fois aux compressions de la politique déflationniste et aux espoirs, formulés de plus en plus ouvertement, de revenir sur la législation de 1936.
4. La faiblesse des réalisations économiques.
• La résurrection du MEN et la concurrence du ministère du Commerce.
51Après une disparition, lors des deux gouvernements Chautemps et du second gouvernement Blum, le MEN réapparaît avec Édouard Daladier. Le portefeuille est confié à Raymond Patenôtre, homme politique modéré, qui fut l’un des rares à suivre Paul Reynaud dans sa campagne dévaluationniste en 1934-3573. Cependant, ce ministère ne dispose pas pour autant de véritables services administratifs, ni de moyens d’action efficaces en cette période de compression des dépenses civiles et d’autorité accrue de la rue de Rivoli. En outre, le MEN doit faire face à une offensive venue de la part du ministère du Commerce. Pierre Cot, peu après sa nomination en qualité de ministre du Commerce, propose de créer une direction de l’Économie nationale dans son ministère. Les services de l’hôtel Matignon manifestent leur scepticisme :
52« Le ministère du Commerce n’aura pas, quel que soit son titulaire, l’autorité suffisante pour imposer aux autres ministres une politique de l’économie »74. Ils soulignent la complexité de coordonner l’économie nationale confiée à des services dépendant de « sept administrations jalouses de leurs attributions »75.
53Cet épisode, sans lendemain, témoigne de la résurgence, périodique depuis 1930, de velléités d’une coordination de l’ensemble de la politique économique et, dans le même temps, des obstacles pratiques, rapidement insurmontables, auxquels elles se heurtent parmi les pesanteurs des traditions et rivalités administratives. Quoi qu’il en soit, 1’« Économie nationale » se limite, dans les faits, au secrétariat du comité interministériel, aux services d’observation économique et de surveillance des prix76.
54Cependant, ce rétrécissement de l’appareil étatique de direction économique n’empêche pas le gouvernement de confirmer l’impulsion donnée par Paul Ramadier pour éliminer les goulots, notamment énergétiques. Mais, alors que le CCN de la CGT réclame la nationalisation du transport de l’énergie, un décret-loi du 29 juin 1938 définit un programme d’équipement électrique de trois milliards en faisant appel aux compagnies privées : un Groupement de l’Électricité, au capital de 200 millions, est constitué, sous la direction de Roger Boutteville, représentant du groupe Mercier et de Seytier. Un plan de cinq ans est alors adopté, comprenant notamment les barrages d’Aigle et de Génissiat. Ce programme de 1938 définit les lignes d’une vaste modernisation du réseau, qui va servir de base aux projets ultérieurs. L’originalité de l’entreprise repose sur la combinaison du contrôle de l’Etat et de la direction technique et financière assurée par le regroupement désormais réalisé des compagnies privées.
• Le reclassement des chômeurs sacrifié par l’austérité budgétaire.
55L’Économie nationale et le COST de Jean Coutrot essaient de promouvoir une politique nouvelle, en liaison avec le ministère du Travail. À défaut d’éliminer le chômage, il s’agit d’assurer le recensement et le reclassement des chômeurs. Jusqu’à la fin de 1937 — on l’a vu — les efforts ont été très limités en matière de reclassement des chômeurs, faute de renseignements assez précis et de moyens financiers. Depuis le décret du 26 septembre 1937, organisant le recensement qualitatif du chômage, sous le contrôle des inspecteurs divisionnaires du Travail, il avait été institué, sous le second gouvernement Blum, des commissions paritaires professionnelles (présidées par l’inspecteur divisionnaire du Travail), composées de représentants des employés, ouvriers et chefs d’entreprises (pas plus de trois membres par catégorie), afin de vérifier l’aptitude professionnelle des chômeurs77.
56Ainsi, les pouvoirs publics disposent de moyens d’investigation plus rigoureux pour connaître le profil professionnel des chômeurs, afin notamment de repérer les éventuels spécialistes ou ouvriers professionnels, ou encore les candidats possibles à une rééducation, pour laquelle des structures, bien que jugées insuffisantes, ont également été mises en place. Les premiers enseignements du « recensement qualitatif du chômage » sont exposés le 6 mai 1938, à la Commission permanente du Conseil national de la main-d’œuvre. Nous en avons retrouvé le compte-rendu dans les papiers de Jean Coutrot. Les résultats portent sur Paris seulement : ils confirment l’expérience des centres de reclassement professionnel, à savoir la faible part des spécialistes et ouvriers qualifiés chez les chômeurs, et, en revanche, la forte proportion de travailleurs âgés.
57Deux ans plus tôt, soit avant les lois sociales de l’été et la reprise de l’automne 1936, leur part ne représentait qu’un quart78.
58Paul Ramadier s’appuie sur ces informations, lorsqu’il déclare, quelques semaines plus tard : « L’existence d’une réserve de 360 000 chômeurs offre des perspectives plus limitées, puisque le quart a dépassé soixante ans et qu’une notable fraction des autres est formée d’ouvriers physiquement déficients. C’est à peine si 200 000 d’entre eux sont récupérables. On ne peut guère en attendre un accroissement de la production supérieur à deux pour mille »79. Cependant, une politique de rééducation professionnelle judicieuse pouvait, en particulier en s’appliquant aux plus jeunes des chômeurs, concourir à la formation de main-d’œuvre qualifiée : c’est la tâche du Comité de Reclassement professionnel80. Au mois de juin 1938, au moment même où plusieurs syndicats de la CGT — en particulier de la Fédération des Métaux — s’inquiètent des insuffisances de la politique de reclassement professionnel, le Travail et l’Économie nationale tentent d’alerter Paul Marchandeau et Édouard Daladier. Claude Bourdet, chargé de mission à l’Économie nationale, transmet une note à la présidence du Conseil, dans laquelle il dresse un tableau assez complet du reclassement professionnel. Il souligne le fait que les résultats du recensement qualitatif du chômage « montrent qu’une part importante du chômage pourrait être immédiatement résorbée s’il était possible de rééduquer tous les chômeurs que le recensement qualitatif désignerait comme aptes à faire des ouvriers professionnels, dans leur ancienne profession ou dans une nouvelle, moyennant un stage dans un centre de reclassement »81.
59Or, les crédits consacrés au reclassement professionnel se montent à trois millions de francs dans le budget de 1938 — alors que le ministre du Travail en avait réclamé quatre en septembre 1937 — ce qui représente la somme nécessaire pour reclasser six cents chômeurs par an. De même, le sous-secrétaire d’État au Travail avait vainement essayé d’obtenir de Georges Bonnet l’ouverture de nouveaux centres de reclassement professionnel. Ainsi, « l’effort de création de nouveaux centres n’a pu même être amorcé, et le recensement qualitatif du chômage, dont le premier résultat devait être de fournir la liste des chômeurs à reclasser, aura manqué la plus grande partie de ses objectifs »82. Cependant, le 24 mai, Raymond Patenôtre assure Paul Ramadier de son appui auprès des Finances, au cas où il transmettrait un projet de décret-loi prévoyant l’accroissement des ressources pour le reclassement professionnel. Claude Bourdet — l’un des principaux instigateurs de cette politique — estime à cinquante millions la somme nécessaire pour former dans la Région parisienne les chômeurs rééducables, estimés à environ dix mille (sur vingt-mille chômeurs de moins de trente ans recensés dans la Région parisienne). Paul Ramadier fait alors préparer un projet de loi réclamant quinze millions, soit les sommes équivalant aux besoins de reclassement de trois mille chômeurs. Il l’appuie d’une lettre au président de la République, datée du 4 juin83. Quelques jours plus tard, Claude Bourdet envoie à la présidence du Conseil une note détaillée sur la question. Il insiste sur le rôle de goulot de la pénurie de certains ouvriers qualifiés, bien mis en évidence par l’Enquête sur la Production, et les études de Roland Ziegel, secrétaire général du Comité de Reclassement professionnel84. Il ajoute que, en accord avec les avis du Conseil national économique et des conclusions de l’Enquête sur la Production, « les crédits actuels sont absolument dérisoires »85. Or, il précise que le coût de rééducation d’un chômeur — de l’ordre de 5 000 F par an — peut être amorti dans les cent cinquante jours qui suivent le reclassement : en effet, l’expérience des centres de reclassement professionnel montre que chaque chômeur reclassé comme ouvrier qualifié permet en moyenne, outre son propre embauchage, celui d’un manœuvre supplémentaire. Il souligne ainsi l’intérêt d’utiliser une partie des subventions aux fonds de chômage à le résorber, par rapport à un « soutien passif », « lourd financièrement, économiquement inefficace et socialement dangereux puisqu’il conduit à former chez des sujets jeunes et moralement sains un nouveau type physiologique et psychologique : celui du chômeur inutilisable ! »86.
60Ces propositions s’appuient sur l’expérience de la douzaine de centres de rééducation existant alors, essentiellement en Région parisienne. Roland Ziegel, polytechnicien de X-Crise, ingénieur du Génie maritime, en est le fondateur. Outre la formation des manœuvres — sorte de noria vers les qualifications les plus élevées — Ziegel justifie (en compagnie de Ernest Hijmans, ami de Coutrot) le reclassement faisant un ouvrier qualifié à partir d’un chômeur, lors d’une conférence prononcée à X-Crise, sous la présidence du maréchal Pétain87. Il précise que le recrutement s’effectue en deux étapes : d’abord, « sur la mine » du chômeur au bureau de secours, puis, à l’issue d’un stage d’une semaine. Or, à ce stade, la sélection élimine quatre-vingt-dix pour cent des candidats en âge d’être reclassés, à cause de l’insuffisance des places disponibles.
61Le goulot est financier. Or, le 17 juin, Paul Marchandeau s’oppose au projet de décret-loi, préparé par Paul Ramadier et soutenu par Raymond Patenôtre. Le ministre des Finances fait valoir le fait que les départements de la Défense nationale peuvent accorder sur leurs crédits des subventions pour le développement du Centre de Reclassement professionnel. Malgré une ultime démarche auprès d’Édouard Daladier, l’affaire en reste à la fin de non-recevoir de la rue de Rivoli.
5. Le raidissement de la CGT et du PC (août 1938).
62Après des négociations laborieuses, la convention collective de la métallurgie parisienne est signée officiellement le 3 mai, en présence de Paul Ramadier. Composée de trente-deux articles, elle consacre une augmentation du salaire horaire, allant de 0,25 F à 0,35 F, soit beaucoup moins que dans l’aéronautique, et en deçà de l’augmentation du coût de la vie. La Fédération des Métaux semble avoir pesé auprès des militants pour parvenir à un accord, même partiellement insatisfaisant. Or, dans le même temps, plusieurs conflits sociaux s’aggravent, à propos du non-respect de sentences surarbitrales ou du non-renouvellement de conventions collectives. Et le groupe communiste se heurte à des difficultés pour obtenir le vote des dernières lois sociales contenues dans le programme.
63À la fin de juin, trois conflits particulièrement âpres opposent patronat et syndicats CGT : à Grenoble, où le refus d’une sentence arbitrale par les chefs d’entreprises entraîne une grève dans le bâtiment ; à Marseille, où, à la Société provençale de Constructions navales, le renvoi du secrétaire du syndicat des techniciens mobilise une grande partie des salariés de la métallurgie ; à Béziers, où le retard dans la signature de la convention de la métallurgie et la volonté patronale d’instituer la semaine de quarante-cinq heures provoquent un mouvement de grève. Paul Ramadier tente, dans tous les cas, d’activer la procédure d’arbitrage. À Marseille, le surarbitre prévoit la réintégration du secrétaire syndical, le 14 juillet. Il faut attendre la fin du mois pour qu’elle soit appliquée. Mais, à peine ce conflit est-il apaisé, que surgit celui des dockers. Dans le même temps, les députés communistes ont, en vain, essayé d’obtenir le vote du projet gouvernemental sur les retraites. À la fin de mai, Maurice Thorez justifie, pour les membres du Comité central, la politique de soutien au gouvernement Daladier, tout en signalant les grandes difficultés à faire admettre cette politique parmi les militants et dirigeants communistes, du fait de leur « incompréhension de la tactique du Front populaire »88. Il semble que, malgré les critiques à l’égard des décrets-lois, la direction communiste ne veuille pas prendre l’initiative de la rupture et accepte de faire crédit à Daladier de sa (relative) fidélité au Front populaire. Mais, à la fin de juin et au cours du mois de juillet, les dirigeants communistes ont dû modifier leur attitude à l’égard du gouvernement Daladier, devant la faiblesse des résultats obtenus, les difficultés à défendre les acquis de 1936, et le mécontentement de la classe ouvrière. Il en est de même pour Ambroise Croizat qui, techniquement convaincu de la nécessité de certaines heures supplémentaires dans la métallurgie, ne peut prendre le risque, dans le contexte défensif de préservation des acquis face à la contre-offensive patronale, de se couper des salariés. Ceux-ci sont d’autant moins enclins à des compromis que les concessions accordées lors des sentences Jacomet et Giraud ont davantage stimulé qu’elles n’ont apaisé l’ardeur d’une fraction du patronat — en particulier dans la métallurgie — à assurer leur revanche sur le terrain perdu en 1936.
64Il semble que la fraction la plus organisée du patronat ait perçu alors l’occasion de revenir sur une partie du terrain concédé en juin 1936. Claude-Joseph Gignoux réclame, dans la Journée industrielle du 29 juillet 1938, la suppression des quarante heures. Comme Léon Blum l’a exprimé dès le 27 décembre 1936 devant les sénateurs, dans une partie du patronat, il se manifeste la conviction que « des concessions excessives leur ont été arrachées, [en juin 1936] soit au point de vue des avantages matériels, soit surtout, car pour beaucoup d’entre eux, ces avantages matériels ne passent qu’au second plan, soit surtout au point de vue de leur autorité». Les responsables syndicaux, communistes ou non, de la CGT effectuent la même analyse. Albert Gazier, à propos des dirigeants des Grands Magasins qui aiment mieux fermer que de devoir respecter un ordre de moindre ancienneté dans les licenciements, s’exprime ainsi dans l’Humanité du 28 juillet : « Les pouvoirs publics finiront-ils par comprendre que les préoccupations purement commerciales n’ont aucun rôle dans les demandes patronales ? » Dès lors, à la réunion du bureau de la Fédération des Métaux CGT du 1er août, il semble que les dirigeants aient été conduits à adopter une attitude de fermeté, en ne réclamant pas moins de sept conditions préalables (dont la réadaptation, les garanties de licenciement...) avant d’envisager d’accepter des heures supplémentaires. Ce durcissement de la CGT conduit le gouvernement à infléchir sa position.
6. Le discours du 21 août 1938.
65En août, la situation monétaire se dégrade brutalement, au moment où s’amorce la crise des Sudètes. Le 12 août, William Bulitt reçoit une note lui signalant l’appel du gouvernement français auprès de Washington, afin d’envisager une réaction concertée entre les trois États (avec l’Angleterre), ainsi que l’urgence d’une déclaration commune apportant un démenti, quant à la modification de l’accord tripartite89. Trois jours plus tard, Paul Leroy-Beaulieu rencontre Taylor, sous-secrétaire d’État au Trésor, qui considère comme insuffisants les remèdes envisagés, et ne voit pour la France qu’un choix « entre une dévaluation plus accentuée du franc ou l’institution du contrôle des changes ». L’attaché financier ajoute : « Il a (...) laissé entendre qu’à son avis la Trésorerie ne ferait pas d’objection fondamentale à l’institution en France de restrictions de changes limitées à prévenir l’exportation des capitaux, et qui n’entraveraient pas les paiements commerciaux »90.
66La position énoncée par Henry Morgenthau en mars trouve confirmation, cinq mois plus tard. Les responsables de la Trésorerie tiennent à faire savoir au gouvernement français qu’ils ne veulent pas entraver l’effort de réarmement, fût-ce au prix de l’institution du contrôle des changes, devenu beaucoup moins inquiétant depuis la levée de l’hypothèque parlementaire d’un gouvernement Blum. Or, le 18 août, Edouard Daladier semble rejeter les deux termes de l’alternative énoncée par Taylor, en déclarant devant la presse son hostilité au contrôle des changes et à une nouvelle dévaluation. Au même moment, la crise des dockers de Marseille s’aggrave, les ouvriers cette fois-ci rejetant la sentence du surarbitre favorable aux heures supplémentaires. Trois jours plus tard, le président du Conseil prononce son célèbre discours radiodiffusé exhortant la population « à remettre la France au travail », et soulignant la nécessité de pouvoir travailler jusqu’à quarante-huit heures dans les entreprises intéressant la Défense nationale. Au-delà des mesures annoncées, le ton lui-même a changé : s’appuyant sur des statistiques sur le revenu national, Edouard Daladier déplore sa réduction de 1931 à 1937 et, surtout, la seule résistance des revenus du travail91.
67Il s’agit, dans une certaine mesure, d’une innovation que l’utilisation, par le chef du gouvernement, de données statistiques sur des grandeurs de la future comptabilité nationale, aux fins de justifier des décisions politiques. En fait, les statistiques elles-mêmes, officieuses et fragiles, ont été élaborées par Léopold Dugé de Bernonville, sous-directeur à la SGF : ce dernier a tenté, à travers des sources essentiellement fiscales, une évaluation du revenu national, qui devait sans doute en sous-estimer le montant, ne serait-ce que du fait de la fraude fiscale. Les vénérables dirigeants de la SGF, qui avaient toujours redouté la publication de leurs résultats, par crainte d’une utilisation abusive de données nécessairement complexes et relatives, se trouvaient ainsi mobilisés dans une controverse, dont l’enjeu débordait la sphère des statistiques92. Ce n’était pas la dernière occasion où un responsable politique, pour étayer un raisonnement allait s’appuyer sur des chiffres contestables, et présentés d’ailleurs comme tels par son auteur.
68Ce discours entraîne la démission, le lendemain, de Paul Ramadier et L.-O. Frossard, remplacés par Charles Pomaret et Anatole de Monzie. La SFIO, la CGT, le PC condamnent l’infléchissement. Léon Blum parle de « solution de continuité évidente » avec la politique du gouvernement de Front populaire. Jacques Duclos propose, à la Mutualité, d’autres remèdes : il obtient la réunion de la Délégation des gauches, mais, le 23 septembre, ne peut lui faire demander la convocation des Chambres93. Le Front populaire est déjà bien atteint lorsque, moins d’une semaine plus tard, Munich l’enterre définitivement. Aux États-Unis, le discours de Daladier a été « accueilli avec beaucoup de faveur dans les milieux financiers ». Et le New York Times écrit que les quarante heures ont empêché les machines de tourner 104 jours sur 36594. La nouvelle conjoncture politique, issue des accords de Munich, conduit Daladier à lever définitivement l’hypothèque des quarante heures.
7. L’épilogue : la permutation de la Toussaint.
• La « confiance » ébranlée par la crise des Sudètes.
69La crise tchèque aggrave en septembre la situation de la trésorerie, et annule une partie des effets bénéfiques de la dévaluation de mai. La situation est marquée par la diminution de la circulation des bons du Trésor, le remboursement des bons à trois mois (pour 1,1 milliard) et surtout les excédents massifs de remboursement dans les Caisses d’épargne — un total de 4,6 milliards pour l’ensemble du mois de septembre.
70C’est à partir du 24 septembre — date des premières mesures de mobilisation partielle — jusqu’au 29 septembre — celle des accords de Munich — que l’alerte a été la plus chaude : pendant ces six jours, les charges pour le Trésor ont dépassé les prévisions de 1,2 milliard (pour l’ensemble du mois, le Trésor doit couvrir un déficit de 12,8 milliards, au lieu des 4,2 prévus)95. Au même moment, les banques perdent une importante fraction de leurs dépôts, estimée pour certaines à cinquante pour cent, dans une note transmise par Paul Marchandeau à Edouard Daladier. Toutefois, la signature des accords de Munich vient à propos empêcher le tarissement en numéraire des Caisses d’Épargne et le suicide du secrétaire général de la Banque de France, évoqué par Jacques Rueff96. Le moratoire bancaire est également évité : avec le concours de la Banque, les remboursements ont pu être effectués sans accident. Cependant, la circulation monétaire s’est accrue de plus de vingt milliards, entre le 1er et le 28 septembre : une douzaine de milliards d’effets et plus de dix milliards d’avances au Trésor. Paul Marchandeau, tout en se félicitant, dans sa note à Daladier, de « la parfaite élasticité du système bancaire français », ne peut s’empêcher de constater que « le moindre accident pouvait conduire à un moratoire général face à une pareille demande de billets »97.
• Washington recommande le contrôle des changes et la « démocratie militante ».
71Le 25 septembre, au plus fort de la crise de trésorerie, le ministre des Finances sollicite Washington, par l’intermédiaire de Cochran, afin que le Fonds d’Égalisation des changes américain, en cas d’exportations massives de capitaux hors de France, ne fournisse des devises que sur justification de besoins commerciaux ou touristiques98. Le lendemain, Paul Leroy-Beaulieu fait état de l’accord du directeur du Fonds à Washington, ainsi que de l’appui de Henry Morgenthau et du président Roosevelt99. Mais si la situation de la trésorerie a été alarmante, les sorties de capitaux n’ont pas été menaçantes au point de solliciter effectivement l’aide de Washington. Et, à la suite des accords de Munich, il se produit, pour la trésorerie, « un retournement complet de situation. (...) Les fonds ont afflué vers le Trésor presque aussi rapidement qu’ils en avaient été retirés » : le Trésor récupère la quasi-totalité des sommes prélevées en septembre à la Banque — dix milliards — et lui en rembourse près de 2,5100. Disposant d’une nouvelle convention avec la Banque, conclue le 29 septembre, afin d’éviter le moratoire, et bénéficiant de nouveau de disponibilités suffisantes pour n’avoir pas à recourir à l’emprunt à long terme, le Trésor n’en a pas moins été ébranlé par le « choc violent » supporté par tout le système de crédit en septembre101.
72Malgré l’apaisement financier, Paul Marchandeau conserve étroitement le contact avec la Trésorerie américaine. Peu après Munich, Paul Leroy-Beaulieu fait état d’un entretien avec le directeur du Fonds d’Égalisation, dans lequel ce dernier l’a informé des sentiments qui dominent à la Trésorerie : son interlocuteur tient la déclaration de Munich pour « une façade, un voile destiné à cacher l’impuissance dans laquelle des Anglais et vous-mêmes étiez à apporter aux Tchèques un secours efficace ». Dans ces conditions, l’effort d’armement devra être accéléré et les charges financières qu’il représente impliquent une modification des institutions politiques et de l’organisation économique : « Vous ne pouvez prétendre avoir à la fois du beurre, des canons et des loisirs. Si vous optez pour les canons, il faudra diminuer votre ration de beurre et supprimer quelques-uns de vos loisirs »102.
73En accord avec Henry Morgenthau, il pense que la France — comme l’Angleterre d’ailleurs — ne peut plus tolérer ni la désertion des capitaux, ni « les grèves sur le tas » : pour ce faire, il lui faudra instituer une forme de gouvernement autoritaire, baptisée « a militant democracy ». Le contrôle des changes — pour lequel le soutien de la Trésorerie américaine est confirmé — « présenterait par ailleurs l’avantage de rendre plus facilement acceptable par les masses ouvrières une modification de la loi des quarante heures »103. A cette date, les responsables du Trésor à Washington ne croient plus à un « miraculeux retour de confiance » entraînant le reflux des capitaux. Paul Marchandeau tient alors à tirer parti des entretiens monétaires à Washington, suscités par la dépréciation de la livre sterling, pour demander un renforcement de l’accord tripartite, avant expiration du délai au 15 novembre, afin que, dans le cas de mesure législative, le gouvernement puisse bénéficier de l’usage des pleins pouvoirs. Sans doute-t-il à la possibilité d’établir le contrôle des changes.
• Le rejet et sa signification.
74Paul Reynaud dans ses Mémoires évoque le conseil de Cabinet de la Toussaint, où Paul Marchandeau aurait proposé de « faire un peu de contrôle des changes »104. Michel Debré conteste qu’il y ait eu un plan Marchandeau, ni même une véritable alternative, car « l’idéologie du contrôle des changes », qui se serait développée autour du ministre des Finances, supposait une autorité dictatoriale à l’allemande. Ainsi, la permutation entre Paul Reynaud et Paul Marchandeau aurait signifié le choix d’une politique « fondée sur la « compétitivité et garantie par les fenêtres ouvertes sur l’étranger » au détriment du « contrôle des changes, [de] l’autarcie qui en est le corollaire et qui permet de prolonger des folies dans chaque cadre national »105. Edouard Daladier aurait, comme Léon Blum en septembre 1936, choisi la voie de la « symbiose » avec le monde anglo-saxon contre celle de 1’« autarcie à l’allemande », selon les termes de l’alternative formulée par Emmanuel Mönick. En fait, on ne repère pas autour de Paul Marchandeau une « idéologie du contrôle des changes », ni un engouement pour les contraintes à l’allemande. Et dans l’esprit du ministre des Finances, ce choix, rendu nécessaire par la fragilité de la trésorerie et de la monnaie — qui s’est manifestée de manière inquiétante en septembre — loin d’éloigner la France des puissances signataires de l’accord tripartite, devait l’en rapprocher. Dans sa lettre du 25 octobre, il tient à informer Henry Morgenthau : « Nous accueillerons toute proposition susceptible de parer au présent désordre monétaire, mais nous voulons éviter une action isolée »106.
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CONCLUSION DU CHAPITRE XIV
75Bien que symbole depuis 1936 du ralliement radical au Front populaire, Edouard Daladier opère à Matignon, entre avril et octobre 1938, un infléchissement décisif de la direction des finances et de l’économie. Son arrivée à la présidence du Conseil coïncide avec la levée d’une double hypothèque : celle d’un nouveau gouvernement Blum — définitivement écartée après le désaveu de son second cabinet — et celle d’un franc surévalué. Il bénéficie même, pour la première fois depuis 1934, du retour de la « confiance » des porteurs de capitaux préalablement exilés, malgré l’aggravation de la tension internationale après l’Anschluss, et peut espérer la renaissance du marché monétaire pour les besoins de la trésorerie. Et, parallèlement, Edouard Daladier obtient de Londres et de Washington la possibilité, âprement marchandée à Léon Blum, de mener une politique du franc faible. Cependant, l’accroissement des périls extérieurs comme des conflits sociaux autour de la préservation des réformes sociales de 1936, alors que la stagnation économique menace l’essor de l’équipement nécessaire au réarmement, poussent les gouvernants à envisager la levée d’une troisième hypothèque : réduire la part des salariés dans le revenu national, comme le réclament depuis 1936, et surtout depuis 1’« Enquête sur la Production », les entrepreneurs, ainsi désignés comme agents privilégiés de la reprise espérée.
76Passant outre l’ultime tentative de Paul Ramadier qui, dans la lignée de 1’« Enquête sur la Production », veut maintenir 1’« application loyale » — même aménagée — de la législation de 1936, en particulier sur les quarante heures, le président du Conseil en envisage une révision. Il rejette également la solution de « démocratie militante », suggérée par Washington à Paul Marchandeau — pourtant porte-parole de l’aile droite radicale — consistant à équilibrer, dans une perspective d’union nationale, les sacrifices demandés aux salariés par le contrôle des mouvements de capitaux. Il sous-évalue les avertissements d’Edouard Herriot, qui s’écrie au Congrès de Marseille, le 28 octobre 1938 : « Nous ne voulons pas nous séparer de la classe ouvrière (...) Sans son concours, je vous défie bien de faire le redressement de la France ». Trois jours plus tard, après n’avoir accepté, en matière financière, d’autres contraintes que celles du marché et de la « confiance », Daladier veut manifester, de manière spectaculaire et symbolique, que, dans la production, la part des salariés dans le revenu national doit régresser par rapport à celle de 1936. C’est le sens de la permutation de la Toussaint, faisant de Paul Reynaud l’hôte de la rue de Rivoli, à l’heure où la nouvelle majorité munichoise a, un mois auparavant, déjà brisé celle issue du scrutin de 1936.
Notes de bas de page
1 Georges Bonnet, Vingt ans..., op. cit., p. 271.
2 Cf. Jean Lacouture, Pierre Mendès France, Paris, 1981.
3 Pierre Mendès France, « La portée de ce témoignage », Cahiers de la République, n° 27, 1960, p. 15.
4 Cf. Robert Frankenstein, Le prix..., op. cit., p. 181.
5 JO, DP, CD, 1938, séance du 22 mars, p. 893.
6 Ibid.
7 Cf. Ibid, p. 894.
8 Cité in Cahiers de la République, art. cité, p. 15.
9 Cf. Pierre Mendès France, Œuvres complètes, t. 1, Paris, 1984, p. 797.
10 Documents Gaston Cusin (séance de travail du 30 janvier 1978, citée). Annexe Q, « Exposé de Gaston Cusin sur les mesures de réorganisation économique et financière », 24 février 1938, 9 p.
11 Idem, p. 3.
12 Idem, p. 3.
13 Idem, p. 5.
14 Idem, p. 9.
15 Cf. documents Gaston Cusin (séance de travail citée), Annexe S, « Conférence avec le Président du Conseil, Vincent Auriol, le 30 mars 1938, de 1 7 à 20 heures », 4 p.
16 Pierre Mendès France, « La portée... art. cité, p. 15. Il parle de « premier texte officiel français qui s’inspire de la Théorie générale de Keynes », in Pierre Mendès France, Gabriel Ardant, Science économique et lucidité politique, Paris, 1973, p. 88.
17 La lumière, 20 février 1937 ; cf, Ibid., 18 juin 1937.
18 Ibid, 30 juillet 1937.
19 C’est le cas de Georges Lefranc, de Jules Moch, de Gaston Cusin. Léon Blum, après la guerre, parle du plan de 1938 comme de l’équivalent du Plan Goering.
20 .JO, DP, CD, 1938, 2e séance du 5 avril, p. 1063.
21 Ibid.
22 Documents Gaston Cusin (séance de travail citée), Annexe S, p. 3.
23 Chambre des Députés, Annexe au p.-v. de la séance du 5 avril 1938, Exposé des motifs, p. 35.
24 Cité in L’Œuvre de Léon Blum..., op. cit., p. 121.
25 Ibid., p. 142.
26 AEF, B 21 848, Note de P. Leroy-Beaulieu, n° 11, 28 janvier 1938, 2 p.
27 Idem, Note de P. Leroy-Beaulieu au MGF, n° 12 933, 8 mars 1938, 8 p.
28 Idem, signalé dans la note de P. Leroy-Beaulieu au MGF du 11 octobre 1938, n° 13 285, 3 p.
29 .Cf. JO, DP, CD, 1938, p. 1054-1060.
30 AEF, B. 33 196, Note sur la situation de la Trésorerie en 1937 et en 1938 signée Jacques Rueff, n° 549 CD, 31 mars 1938, 10 p. Cf. Robert Frankenstein, Le prix..., op. cit., p. 181.
31 Témoignage de Gaston Cusin (Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, janvier 1978), confirmé en mai 1984.
32 JO, DP, CD, 1938, 2e séance du 5 avril, p. 1065.
33 Cité in L’Œuvre..., op. cit., p. 113.
34 Le projet d’allocations familiales est déjà approuvé par le Conseil des ministres.
35 Cité in L’Œuvre..., op. cit., p. 134.
36 IRM, Archives de l’IML, d.835, 4e séance du Comité central du PCF, 27-28 mai 1938, p. 189.
37 Cité in L’Œuvre..., op. cit., p. 126.
38 Paul Reynaud, Mémoires..., op. cit., t. 2, p. 201.
39 JO, DP, Sénat, 1938, séance du 13 avril, p. 556 ; intervention d’Abel Gardey.
40 Cf. Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 310 et suiv.
41 JO, DP, Sénat, 1938, séance du 13 avril, p. 556.
42 508 voix contre 12 à la Chambre, et unanimité au Sénat.
43 Cf. Robert Frankenstein, Le prix..., op. cit., p. 188.
44 Cf. René Girauit, Robert Frank, La puissance en Europe, 1938-1940, Paris, 1984, p. 170-185, contribution de Jean Bouvier et Robert Frank.
45 AEF, B. 21 848, texte du message au gouvernement américain dicté par M. Rueff à l’ambassadeur, le 4 mai..., 4 mai 1938, 1 p.
46 Idem, Lettre de P. Leroy-Beaulieu à Jacques Rueff, 9 mai 1938, 5 p.
47 Cf. Jean Bouvier, Robert Frank in La puissance..., op. cit., p. 170 et suiv.
48 Cf. Édouard Daladier, chef du gouvernement. Avril 1938-septembre 1939, Paris, 1977, 320 p., contributions de René Girauit et François Bedarida, p. 209 et 228.
49 Cf. Service d’Observation économique, Situation économique de mars 1938, confidentiel, p. 6.
50 Cf. Robert Frank, « Contraintes monétaires, désirs de croissance et rêves européens (1931-1949) », in Le capitalisme français, xixe-xxe siècles, Paris, 1987, p. 287-307.
51 AEF, B. 33196, doc. n° 35, Note de Paul Marchandeau au président du Conseil, n° 559 CD, 3 octobre 1938, 15 p.
52 Idem, doc. n° 27, Lettre de Paul Marchandeau au président du Conseil, copie 9547, 28 juin 1938, 4 p.
53 Idem, doc. n° 26, sa., sd., 3 p. ; il y est indiqué l’exemple américain et britannique.
54 Cf. Elisabeth du Réau, « L’aménagement de la loi instituant la semaine de quarante heures », in Edouard Daladier..., op. cit., p. 129.
55 .JO, DP, CD, 1938, séance du 17 mars, p. 839.
56 Cf. Elisabeth du Réau, « L’aménagement... », art. cité, p. 134-5.
57 Cf. AEF, B. 21848, télég. de Paul Leroy-Beaulieu, n° 49, 7 mai 1938, 1 p.
58 Idem, n° 47, 5 mai 1938, 1 p.
59 Cf. Paul Reynaud, Mémoires..., op. cit., t. 2, p. 203-205 et du même, La France a sauvé l’Europe, Paris, t 2, p. 557-558.
60 JO, DP, CD, 1938, séance du 17 mars, p. 841.
61 JO, DP, Sénat, 1938, séance du 5 mars, p. 319.
62 La Journée industrielle, 25 mai 1938.
63 Édouard Daladier..., op. cit., p. 89.
64 Papiers Paul Ramadier (consultés chez M. Claude Ramadier), d. 1938, Note, s.d. (mais juillet 1938), [10 p.], p. 5.
65 Idem, p. 5.
66 Idem, p. 7 ; souligné par nous.
67 Idem, p. 7.
68 Cf. Idem, p. 9.
69 Idem, p. 9.
70 Idem, p. 10.
71 Idem, p. 10.
72 Idem, p. 3.
73 Cf. J. C. Brousta, Le combat de Raymond Patenôtre, Paris, 1969, p. 17 et suiv.
74 AN, F60 248, Note pour le Ministre (Président du Conseil), 20 mai 1938, 5 p.
75 Idem.
76 Cf. figure 5, page précédente.
77 Cf. AN, F60 634, d. 1 « textes généraux sur le chômage ». Cf. également Nicolas Baverez, Chômage et marché du travail durant les années 1930, thèse de 3e cycle, Paris X, 1986.
78 AN, 468 AP 19, d. 3 « Rééducation et emploi des chômeurs », séance de la Commission permanente du Conseil national de la main-d’œuvre, 6 mai 1938, 3 p.
79 Papiers Ramadier, note, juillet 1938, citée, p. 9.
80 Institué par décret du 4 juin 1937, au ministère du Travail.
81 AN, F60 634, d. 5 « Reclassement professionnel - Rééducation », Note sur le reclassement professionnel, de Claude Bourdet, 9 juin 1938, (5 p.), p. 2.
82 Idem, p. 4.
83 Cf. Idem, Lettre de Paul Ramadier au Président de la République, 4 juin 1938, 1 p.
84 Cf. Idem, Note de Claude Bourdet, citée.
85 Idem, p. 3.
86 Idem, p. 5.
87 Roland Ziégel, « Les remèdes permanents du chômage », X-Crise, N° 44, janvier 1940 ; cf. également X-Crise, n° 41, octobre 1937.
88 IRM, Archives de l’IML, d. 836, 4e séance du Comité central du PCF, 27-28 mai 1938, p. 205.
89 AEF, B. 21 848, note n° 563, Paris, 13 août 1938, 1 p.
90 Idem, note de P. Leroy-Beaulieu, n° 86, 18 août 1938, 1 p.
91 Cf. Elisabeth du Réau, art. cité, p. 137.
92 Cf. Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 575.
93 Le Populaire, 25 août 1938 ; cf. également Papiers Ramadier, d.« 1938 », note, août 1938, citée (cf. chap. XIII).
94 AEF, B. 21 848, note de P. Leroy-Beaulieu, n° 89, 22 août 1938, 1 p. et n° 90, 23 août 1938, 1 p.
95 Cf. AEF, B. 33 196, doc. n° 35, cité, et doc. n° 43, Note de Trésorerie, signée Jacques Rueff, 21 novembre 1938, 10 p.
96 Cf. Jacques Rueff, De l’aube..., op. cit., p. 158.
97 AEF, B. 33 196, doc. n° 35, cité.
98 AEF, B. 21 848, texte de la note remise à Cochran par le ministre des Finances, le 25 septembre 1938 à 19 h, 2 p.
99 Idem, télég. de P. Leroy-Beaulieu, n° 1039-1040, 26 septembre 1938, 2 p.
100 AEF, B. 33 196, doc. n° 43, cité.
101 Idem, doc. n° 35, cité.
102 AEF, B. 21 848, note de Paul Leroy-Beaulieu, n° 13 285, 11 octobre 1938, 3 p.
103 Idem.
104 Paul Reynaud, Mémoires..., op. cit., t. 2, p. 225.
105 Michel Debré, Trois républiques pour une France, Mémoires, t. 1 Paris, 1984, p. 143 ; ainsi que sa communication in Edouard Daladier..., op. cit., p. 189.
106 AEF, B. 21 848, Note de Paul Marchandeau, Paris, 25 octobre 1938, 12 heures, 1 p.
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