Chapitre XIII. L’Enquête sur la Production : enjeux, innovations, limites
p. 389-428
Texte intégral
1Relativement peu étudiée de manière précise par les historiens — en particulier pour la raison qu’elle aurait utilisé des « méthodes littéraires »1 — l’Enquête sur la Production, qui se déroule des mois d’août à décembre 1937, présente une série d’innovations lourdes pour l’avenir, même si sa portée immédiate fut limitée. L’intérêt de l’Enquête ne provient pas tant de l’étude des seuls rapports publiés au Journal officiel, que de leur confrontation au contenu des différents rapports techniques, non publiés — rédigés par des hauts fonctionnaires, mais aussi parfois par des dirigeants d’organisations patronales ou ouvrières — et des discussions reproduites dans les comptes rendus de plusieurs séances de comités techniques ou du Comité central de l’Enquête. Nous avons retrouvé, dans les archives de la présidence du Conseil, une bonne partie de ces documents, qui permettent de se faire une idée assez précise de la situation économique de certaines branches, ainsi que des enjeux, positions en présence, et arbitrages opérés.
I. DU DÉBAT NATIONAL À L’ENQUÊTE SUR LA PRODUCTION
1. Le débat national autour de la production : le rôle pionnier des houillères.
• Les quarante heures sur la sellette dès l’été 1936.
2À partir de la « pause », et de l’abandon de fait du programme de grands travaux, plusieurs adversaires du gouvernement mettent en cause l’application de la loi des quarante heures, effective depuis la fin de 1936 et les premiers mois de 1937. Outre les problèmes de trésorerie, les quarante heures sont fréquemment présentées dans la presse patronale ou celle de l’opposition comme un obstacle à la reprise : le plus souvent, à cause de l’alourdissement des coûts qu’elles entraîneraient, ou encore du fait qu’elles bloqueraient l’essor de la production2. Ainsi, Pierre-Étienne Flandin, lors d’un Congrès régional de l’Alliance démocratique, le 23 mai 1937, s’écrie : « Je m’étonne (...) qu’il [Léon Blum.] n’aperçoive pas l’impérieuse nécessité d’une augmentation du rendement du travail pour consolider l’œuvre sociale qu’il a entreprise. Laisser croire qu’il soit possible de consommer plus en travaillant moins, c’est assumer une lourde responsabilité à l’heure des liquidations d’utopie »3. Du côté patronal, dès le 13 août 1936, Alexandre Lambert-Ribot a transmis à Léon Blum un épais dossier sur l’application des quarante heures dans la métallurgie4. Deux semaines auparavant, le même Lambert-Ribot avait envoyé une lettre de vingt-trois pages à Jean Lebas, ministre du Travail, accompagnée des réponses de nombreuses chambres syndicales, sur les éventuels alourdissements de coûts. Le dirigeant patronal affirme que, du fait des difficultés de trésorerie, la plupart des industries productrices et transformatrices de métaux, représentant entre 850 et 900 000 ouvriers, ne peuvent procéder à des perfectionnements techniques, et se trouvent contraintes, pour maintenir la production au même niveau, d’embaucher entre 120 et 150 000 salariés supplémentaires5. Or, à la date du 18 juillet 1936, le Journal officiel signalait un peu moins de 77 000 demandes non satisfaites dans les industries en question. Et, parmi elles, de nombreux travailleurs de plus de soixante ans ou de la Région parisienne (alors que la plupart des établissements se trouvent en Moselle ou Meurthe-et-Moselle). En outre, il est signalé la « pénurie ou l’absence de main d’œuvre qualifiée », et les très faibles résultats et très longs délais de la formation professionnelle. La conclusion, en forme de menace, est claire : « Le travail des ouvriers spécialistes commandant celui de tout l’établissement, on aboutira, avec les quarante heures, par suite du manque de main d’œuvre qualifiée, à une réduction de la production »6. Le rôle de goulot de la main d’œuvre qualifiée est ainsi avancé de manière précoce — avant même l’application de la loi — par le patronat des industries métallurgiques et minières, qui insiste sur les différences, en défaveur de la situation de 1936, avec l’introduction de la loi de huit heures en 1919, et recommande une souplesse d’adaptation au moins aussi importante que dans le cas de la loi du 9 août 19207.On sait que la généralisation des quarante heures à toutes les branches ne procède pas de la volonté gouvernementale, mais de la pression de la CGT8.
• Le goulot charbonnier : enjeux nationaux et conflits sociaux.
3Au printemps de 1937, alors que les quarante heures ont été introduites dans la plupart des branches, le débat rebondit, en particulier à cause de la rechute de la production houillère, et du recours corollaire à des importations accrues. L’opposition parlementaire ne laisse pas le problème inaperçu : « Un exemple typique (...) est celui du charbon où l’amputation des heures de travail ajoutée à la baisse du rendement a eu pour conséquence une réduction de la production de deux millions de tonnes et l’importation, dans le premier trimestre de 1937, de quantités de charbons étrangers dépassant les plus hauts chiffres depuis 1930 »9. L’ancien président du Conseil formule publiquement une double mise en accusation : les quarante heures et le rendement ouvrier.
4Nous disposons, pour éclairer cette question, de documents issus des archives privées de Paul Ramadier, qui fut le titulaire du sous-secrétariat d’État aux Mines, à l’Électricité et aux Combustibles liquides dans les gouvernements Blum et Chautemps10. Depuis 1934, la production houillère oscille autour de quarante-cinq ou quarante-six millions de tonnes, soit une régression de près de dix millions par rapport à celle de 1930. Paul Ramadier, l’un des rares néo-socialistes du gouvernement Blum, connu à la fois pour sa modération et sa grande capacité de travail technique, est d’autant plus soucieux de voir s’accroître la production, que l’alourdissement des importations, en volume, aggravé par la hausse des prix mondiaux et par la dépréciation du franc — les paiements s’effectuent en livres sterling — pèse dangereusement sur la balance commerciale. Grâce à la loi du 17 août 1936, il fait procéder, par le service des Mines, à une enquête sur le marché charbonnier, véritable enquête sur la production avant la lettre. Dans ce secteur, au moins depuis la loi de 1819, la puissance publique exerce un contrôle sur l’activité minière, facilité par l’existence d’un annuaire statistique et la présence d’ingénieurs, dont la compétence est reconnue par les compagnies. Le sous-secrétaire d’État n’est d’ailleurs pas un adepte de l’étatisme, mais de ce qu’il nomme lui-même « un pragmatisme expérimental », recherchant la collaboration État -compagnies-syndicats en vue de décisions concertées11.
5L’Enquête sur le marché charbonnier fournit des renseignements utiles pour analyser les problèmes de production. Elle est publiée dans la première livraison des Annales des Mines, en 1937. Les grèves de juin n’ont pas été de longue durée, à peine une semaine dans le Nord-Pas-de-Calais. Les hausses de salaires ont été accompagnées, à travers la loi du 17 août 1936, par des subventions temporaires pour les mines déficitaires ; les importations ont été contenues par les contingents ; et la dévaluation du 1er octobre donne désormais l’avantage aux charbons français. La consommation reprend au troisième, et surtout au quatrième trimestre de 1936. Or la production plafonne, et même régresse de près de dix pour cent au second trimestre de 193712. Dès lors, les importations s’accroissent à un rythme annuel correspondant à une valeur de l’ordre de 5,5 à six milliards par an, et aggravent dangereusement le déficit, déjà important, de la balance commerciale. L’application des quarante heures, effective le 1er novembre 1936 dans les mines, est-elle la principale responsable du reflux13 ? La production charbonnière est l’exemple privilégié par les économistes d’alors et les historiens d’aujourd’hui. Paul Ramadier, reprenant les conclusions de l’Enquête sur le marché charbonnier, est formel : « La durée du travail n’a pas été sensiblement affectée par l’institution de la semaine de 40 heures : depuis 1931, le chômage partiel réduisait, en général, la semaine d’une journée. La différence a encore été atténuée par la récupération des jours fériés et l’institution de 60 heures supplémentaires, que les ouvriers ont accepté de faire et qui ont d’ailleurs été prévues par le décret réglementaire »14. Il conclut en conséquence : « La réforme n’a donc eu pratiquement aucun effet négatif ; elle a seulement empêché le rétablissement de la journée chômée depuis la crise, sous déduction des jours fériés et des heures supplémentaires, soit environ 280 heures par an. Il n’est pas certain que le retour aux 6 journées n’aurait pas contribué à une baisse encore plus forte du rendement... »15.
6Si la législation sur les quarante heures ne peut être mise en cause, sous réserve toutefois d’une embauche compensatrice suffisante — quinze mille ouvriers ont accru l’effectif total entre septembre 1936 et juillet 1937 — c’est le rendement par poste d’ouvrier, qui se trouve mis en accusation. En effet, le rendement individuel journalier (fond et jour), qui atteignait 885 kg au cours du premier trimestre 1936, s’abaisse à 828 kg lors du troisième, se relève légèrement à 848 kg au quatrième — lors de l’application des quarante heures — mais retombe à 840 et 818 kg en avril-mai 193716. Paul Ramadier, suivi par le gouvernement, s’est ému de cette chute des rendements et a réclamé une enquête particulière, comportant l’examen de la situation jusqu’aux fosses mêmes où la baisse avait été la plus spectaculaire. Malgré les réticences et résistances des compagnies, qui répugnent à présenter leurs comptes, le service des Mines fait entreprendre une enquête auprès d’une compagnie à l’ouest du bassin du Pas-de-Calais, ainsi qu’une expérience pour enrayer la diminution des rendements. Le sous-secrétaire d’État, muni de ces renseignements, note d’ailleurs que le phénomène n’est pas nouveau : les statistiques de l’industrie minérale, depuis qu’elles existent (1834), permettent d’établir une corrélation assez étroite entre hausse des prix du charbon et baisse du rendement. Or, pendant la crise, où les prix ont baissé — de l’indice 113 en 1930 à 78 en 1935 — les rendements ont augmenté de 691 à 885 kg. La permanence de cette corrélation s’explique notamment par l’élimination de la main d’œuvre la moins performante, des chantiers et de l’outillage les plus médiocres, lors de la rétraction de la demande et de la baisse des prix ; et, par le phénomène inverse, lors de l’augmentation de la production et des prix17.
7En outre, Paul Ramadier souligne que les hauts rendements de 1935 — un record historique, en augmentation de presque de trente pour cent par rapport à 1930, et de soixante-cinq pour cent par rapport à 1924 — ont été obtenus « par une discipline extrêmement rigoureuse (...) par une méthode de commandement qui a soulevé une violente réaction ouvrière »18. Mais, surtout, l’enquête menée dans le Pas-de-Calais (où les rendements étaient parmi les plus bas) a permis d’établir que « le mécanisme des prix de tâche a été vicié par la pratique suivie pendant la crise »19. En effet, malgré l’augmentation considérable du rendement ouvrier, et la fixité théorique des barèmes du salaire conventionnel et du salaire minimum, « le gain moyen de l’ouvrier à l’abattage est resté sensiblement constant. C’est donc que toute augmentation du rendement donnait lieu, une fois acquise, à une révision des prix de tâche dans le sens de la baisse »20. Aussi, les mineurs auraient-ils été privés matériellement des bénéfices de l’intensification de leurs efforts : « Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine de la méfiance ouvrière », conclut Paul Ramadier21.
8Dès lors, en mai et juin 1937, le sous-secrétaire d’État fait provoquer, par le biais de l’Administration des Mines, une expérience dans les mines d’une compagnie du Pas-de-Calais, en concertation avec les syndicats ouvriers et la direction de la compagnie. En garantissant le prix de la berline, l’ingénieur des Mines, responsable de l’expérience et auteur du rapport, rétablit la confiance, et permet de redresser le rendement individuel. Mais ces résultats sont interprétés de manière antagoniste par les syndicats ouvriers et les compagnies22. Ainsi, avant même la chute du gouvernement Blum, les problèmes de la production charbonnière, goulot perçu comme tel, ont été mesurés, et l’enquête peut servir de modèle à un examen plus général de la production.
2. Objectifs et organisation de l’Enquête sur la Production.
9Un décret-loi du 25 août 1937 — par application de la loi du 30 juin 1937 — institue auprès de la présidence du Conseil un Comité d’enquête sur la Production. La proposition initiale provenait de la CGT qui, lors de son CCN du 4 août 1937, protestait contre les atteintes aux conventions collectives, et suggérait une enquête sur la production et les entraves à la reprise23.
• Pour « l’expansion de la production » (Roger Auboin).24
10Devant le Comité central d’enquête — organe de coordination et de décision — Camille Chautemps fait, le 7 octobre 1937, une déclaration, dans laquelle il signale les dangers du déficit de la balance commerciale, qui ne peut être soldé que par des sorties d’or ; il ajoute : « Le but est d’obtenir, par un grand effort d’activité nationale, que le déficit de la balance commerciale soit sensiblement réduit. Pour ce faire, nous voulons produire davantage »25.
11Son intervention prend appui sur les réflexions d’une note préparée par Roger Auboin, responsable de l’Économie nationale26. Ce dernier signale l’existence de toute une série de conditions techniques pour la reprise française : réduction des disparités entre prix de gros et de détail, reprise internationale, caractère « bon marché » des prix français. L’objectif consiste donc à « permettre, par tous les moyens, une expansion de la production là où la demande existe, et de préparer cette expansion là où cette demande peut rapidement s’accroître, dès que les bénéfices et les salaires accrus des premières industries augmenteront la demande générale de biens »27. L’exposé des motifs du décret signalait qu’il n’était pas question de « revenir sur les récentes réformes sociales », mais de les faire reposer « sur une base économique solide », et « par les mesures d’assouplissement et d’adaptation nécessaires, d’accroître la production pour faire marcher de pair le progrès économique et le progrès social »28.
12Toutefois, selon une symétrie soigneusement balancée, le président du Conseil a évoqué, parmi les facteurs éventuels de stagnation de la production que l’enquête pouvait permettre de découvrir, à l’adresse du patronat, « le caractère défectueux de tel outillage ou l’insuffisance de son organisation », et, à destination des syndicats ouvriers, les « conditions défectueuses de l’emploi de la main d’œuvre »29. Toute l’enquête va d’ailleurs être marquée par le souci des partenaires sociaux de se disculper de toute responsabilité dans l’absence de reprise économique suffisante.
• L’organisation : l’ancêtre des commissions de modernisation ?
13L’originalité et l’intérêt de l’Enquête reposent sur le fait que le décret-loi prévoit une répartition du travail entre treize comités techniques, affectés aux différentes branches de la production, et un Comité central, chargé de coordonner les travaux. Or, les différents comités se composent d’une représentation tripartite (ministères, organisations patronales et ouvrières), qui reprend les principes de composition des commissions du CNE, et préfigure les futures commissions de modernisation du Premier Plan. Sur les treize comités techniques, neuf se rapportent aux branches industrielles, un à l’agriculture, un à l’alimentation, un au commerce, et un aux ports30. Les rapporteurs sont tous des hauts fonctionnaires — la plus grande part issue du Conseil d’État — qui ont déjà participé aux travaux du CNE, et ont ainsi acquis une certaine expérience d’enquêtes économiques conduites sous le signe de la concertation sociale ; la plupart d’entre eux (Michel Debré, Gabriel Ardant, Ivan Martin, Marcel Rives, Valensi) rapportent pour plusieurs comités.
14Outre les discussions par branche dans les treize comités, le Comité central coordonne l’ensemble et se trouve investi de la rédaction du rapport général. Lors de ces ultimes séances — du 27 novembre au 4 décembre 1937 — les débats, dont nous avons retrouvé des notes manuscrites dans les archives de la présidence du Conseil, voient la confrontation, sous l’arbitrage théorique de l’Administration (Roger Auboin, Georges Cahen-Salvador, président du CNE, Francis Million, président du Comité national de Surveillance des Prix, Ivan Martin et Alexandre Parodi la représentent), entre les principaux dirigeants de la CGPF (Claude-Joseph Gignoux, Alexandre Lambert-Ribot) et de la CGT (Léon Jouhaux, Julien Racamond et Chevalme) sur les questions épineuses, aux enjeux les plus décisifs. Presque dix ans avant le lancement du Plan Monnet, la France fait l’expérience d’un examen, du sein de structures tripartites, de la situation des différentes branches de l’économie, afin de susciter 1’« expansion » de la production, selon la terminologie de Roger Auboin. Précédent bien oublié aujourd’hui : l’a-t’il été au même point par les acteurs de 1937, dont certains occupaient encore les premiers rôles en 1946 ?
• Un premier constat de carence : les renseignements statistiques.
15Chaque comité technique commence par élaborer des questionnaires, qui sont adressés aux chambres de commerce, et d’agriculture, ainsi qu’aux organisations professionnelles31. Ces dernières doivent les faire remplir par leurs ressortissants, et mener rapidement — les réponses doivent être transmises avant le 30 septembre 1937, soit quatre semaines plus tard — des enquêtes sur le volume de la production (en se référant au niveau de 1929 et 1935), de la consommation et des stocks, sur l’emploi, l’outillage et les mesures immédiates pour améliorer les prix de revient et la production32. Dans un second temps, il est prévu que ces mêmes organismes devront fournir des renseignements sur les difficultés d’investissement, le manque d’ouvriers qualifiés, le chômage, l’organisation technique ainsi que l’établissement périodique d’une documentation. Le souci transparaît d’instituer, à l’occasion de cette enquête, une transmission permanente de renseignements économiques33. Plusieurs Chambres de commerce se sont plaintes du manque de moyens et des délais trop serrés. Ainsi, celle de Grenoble signale que les éléments de réponse, renvoyés à la suite de la transmission des questionnaires à cent cinquante établissements industriels, sont « nettement insuffisants » pour étayer le rapport34. Lors de la publication du rapport général, en décembre, l’une des premières conclusions porte sur le manque de documentation économique : « Certains groupements patronaux se déclarent hors d’état de fournir les données statistiques et les éléments d’information nécessaires. Il en est de même pour plus d’un groupement ouvrier. Dans les administrations, on ne trouve que des renseignements anciens ou incomplets »35. Le Comité insiste en conséquence « pour que la documentation indispensable à toute action économique soit constituée et tenue à jour de manière permanente tant par les organisations professionnelles que par les administrations publiques. Il est urgent que ces administrations soient dotées de moyens suffisants pour remplir leur mission »36. L’enquête, qui a bénéficié du concours technique du service d’Observation économique de l’Économie nationale, fournit l’occasion de dresser un constat de carence, et de susciter un effort pour élaborer une documentation économique indispensable. On ne saurait toutefois mépriser les travaux de l’Enquête, sous prétexte qu’elle aurait été conduite avec des « méthodes littéraires »37. En fait, le caractère rigoureux des différents rapports apparaît fort variable, tributaire de la plus ou moins grande efficacité des groupements professionnels intéressés à obtenir des renseignements précis. Pour les textiles, le rapporteur, Marcel Rives, se plaint du manque de renseignements sur les prix ou l’état de l’outillage. Le rapporteur du comité n° 1 (Agriculture) déplore le retour de soixante questionnaires seulement, pour cent dix envoyés aux Chambres départementales d’agriculture et à une vingtaine d’associations professionnelles. En revanche, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Glasser se félicite, de l’existence de « statistiques complètes et détaillées », provenant du syndicat général de la Construction électrique — à l’exception de lacunes dans l’industrie radioélectrique38. De même, les rapporteurs des comités n° 3 et 4 (mines et carrières ; métallurgie) ont pu s’appuyer sur des renseignements assez précis. Il est logique que les branches les plus concentrées, les mieux organisées du point de vue professionnel et les plus anciennement en contact avec les ingénieurs de l’État aient donné la plus grande satisfaction aux enquêteurs. De ce point de vue, l’Enquête a permis de souligner les lacunes des statistiques issues non seulement de l’Administration, mais aussi de plusieurs organismes professionnels, celles-là dépendant d’ailleurs de celles- ci. Elle a mis en évidence la grande diversité des branches en cette matière, et a renforcé les représentants de l’État dans leur conviction de la nécessité d’instituer, comme dans la plupart des pays industrialisés, l’obligation de répondre aux questionnaires de l’Administration. Lors des ultimes débats, Roger Auboin a d’ailleurs suggéré de réclamer des renseignements, en échange des mesures de protection sollicitées39.
II. LES QUARANTE HEURES : PROBLEMES TECHNIQUES ET ENJEUX SOCIO-POLITIQUES
16Lorsque les différents comités de l’Enquête commencent leur travail, les deux principaux accusés dans le pays par les organes patronaux, la presse d’opposition ou dite d’information, sont le rendement ouvrier et la loi sur les quarante heures. Autant les constats sur le premier — à l’exception du cas des houillères — ne créent pas vraiment de difficultés, autant la seconde suscite une grande controverse.
1. Y a-t-il eu fléchissement du rendement horaire ?
• Une conclusion générale : un non-lieu.
17Mis à part le cas des houillères — déjà évoqué — la plupart des rapports intermédiaires, y compris ceux d’origine patronale, soulignent à la fois les difficultés pour mesurer en toute rigueur l’évolution du rendement ouvrier et, dans le cas où le rapporteur se risque à une estimation, le caractère insignifiant, voire nul, du fléchissement40. Auguste Detœuf, dans un numéro du Banker, largement consacré à la France, affirme : « Il n’est pas survenu de diminution du rendement horaire (...) il s’est même produit une légère augmentation après l’introduction de la semaine de quarante heures »41. Le rapport général également rejette toute affirmation quant au rendement horaire42.
2. Modalités d’application des quarante heures et « psychose des deux côtés »
18Comme l’avait annoncé Camille Chautemps, il ne pouvait être question de remettre en cause, en droit, la législation adoptée en juin 1936. En revanche, la voie pouvait s’ouvrir, dans les faits, à tout aménagement des conditions d’application de la loi, entraînant, à terme, des modifications importantes dans les réalités du régime du travail.
19Les décrets du 27 octobre 1936 définissaient le cadre d’application de la loi sur les quarante heures. Il y était prévu, pour « travaux urgents et exceptionnels en cas de surcroît de travail », un volant d’heures supplémentaires autorisées, pour un maximum de soixante-quinze heures annuelles — soit, en cas d’utilisation intégrale, une semaine portée à quarante et une heures et demie — ainsi qu’un certain nombre d’ajustements pour des cas particuliers : des possibilités de travail par roulement (article 2), de récupération d’heures perdues pour intempéries ou pour les industries saisonnières, jusqu’à cent heures, sans majoration (article 3) ; des dérogations pour certaines catégories de personnes (essentiellement des spécialistes) allant, selon les cas, de une à deux heures supplémentaires (article 5) ; enfin, des dérogations pour des travaux concernant la Défense nationale (article 6)43. La rigidité n’était donc pas totale.
20Cependant, le recours à l’un de ces articles impliquait l’autorisation préalable de l’Inspection du Travail et la consultation des organisations ouvrières. Les conclusions sur les industries métallurgiques et mécaniques — dont le rôle a été central, comme on va le voir — signalent à propos des modalités d’application de la loi : « Les différentes modalités prévues par les textes réglementaires pour donner à la loi des quarante heures toute la souplesse désirable se sont heurtées en pratique à des difficultés d’application »44. Les représentants ouvriers ont manifesté, en effet, une grande méfiance à l’égard du bien-fondé des demandes d’utilisation des dérogations légales.
21Francis Hekking, ingénieur des manufactures de l’État, proche collaborateur de Jean Coutrot, indique dans son épais rapport sur la sidérurgie, à propos des assouplissements prévus par les décrets d’application : ... « pour des raisons psychologiques où la crainte de voir s’échapper les avantages obtenus joue un grand rôle, le personnel a montré en général de la répugnance à accepter l’application de certaines de ces dispositions »45. Les représentants de l’État ont ainsi rencontré, dès le début de l’Enquête, une défiance réciproque entre représentants patronaux et ouvriers, qu’ils n’ont pas manqué de consigner dans le Rapport général comme l’une des principales difficultés46. Le 27 novembre 1937, lors des débats sur les conclusions générales au sein du Comité central de l’Enquête, Georges Cahen-Salvador parle de « psychose des deux côtés », d’» inquiétude générale sur le présent et l’avenir », marquée notamment, du côté patronal, par une « atmosphère de combat », beaucoup plus nette que six mois auparavant, par « certaines intransigeances et (...) des oppositions qui s’accusent... »47.
3. Contre-offensive patronale et résistance de la CGT.
22Sans mettre en cause de front la loi des quarante heures, les représentants des organisations patronales dans les treize comités tentent d’en modifier les conditions d’application, de telle sorte que sa portée soit pratiquement nulle. Ils insistent en particulier sur trois propositions, qui vont se heurter à un refus sans appel des représentants de la CGT.
• La suppression des vingt-cinq pour cent pour les heures supplémentaires.
23Tout d’abord, l’une des exigences les plus répandues consiste à réclamer la révision de l’augmentation de vingt-cinq pour cent pour la rémunération des heures supplémentaires : dans la plupart des comités, les représentants patronaux demandent la suppression pure et simple (c’est le cas des mines, de la sidérurgie, des industries métallurgiques, des métaux non ferreux, des industries mécaniques, des constructions navales, de la quincaillerie, de l’alimentation...). Parfois, ils réclament un maximum de cinq pour cent (comme dans les constructions métalliques), ou parlent simplement de réduction sans préciser (dans la fonderie). L’une des principales critiques ne porte ainsi pas tant sur la rigidité de l’offre provoquée par la loi des quarante heures, que l’alourdissement des coûts48.
• Les 2 000 heures ?
24Une seconde réclamation des délégués du patronat porte sur l’éclatement du cadre hebdomadaire, ainsi que sur la généralisation et l’extension des dérogations prévues dans le décret d’application du 27 octobre 1936. Ainsi, les représentants des industries métallurgiques et mécaniques réclament, dans les quatrième et cinquième comités, la faculté de récupération des heures par anticipation, la très large reconnaissance du caractère saisonnier de certaines industries et l’assimilation à leur cas d’autres industries, dont la production est soumise à de brusques variations, l’attribution d’un nouveau crédit d’heures supplémentaires (chiffrées à 250 heures par an dans les industries mécaniques, ce qui revient à allonger éventuellement la semaine à quarante-cinq heures, puisque parallèlement la rétribution majorée des heures supplémentaires disparaît)49. Dans la plupart des cas, les délégués patronaux suggèrent l’aménagement de la durée légale dans un cadre annuel, sur un total de 2 000 heures — voire 2 080 heures dans les textiles ou la quincaillerie, par exemple — avec, en outre, récupération des congés payés, facilité plus grande pour organiser le travail par roulement, et allongement de la durée du travail en cas de reprise50.
• « A la libre disposition des employeurs ».
25Enfin, les chefs d’entreprise souhaitaient fortement alléger, voire rendre purement symboliques, le contrôle et l’autorisation des dérogations éventuelles par l’Inspection du Travail, ainsi que la consultation des organisations ouvrières. Ainsi, Louis Ferasson, président de l’Assemblée des présidents de Chambres de Commerce, dans le rapport sur la métallurgie qu’il soumet aux quatrième et cinquième comités, explique que l’obstacle à l’accroissement de la production réside dans « l’application brutale des quarante heures », et, que, par conséquent, « l’aménagement des horaires, qui est une cause fréquente de mésentente entre les industriels et leur personnel, ne devrait jamais être soumis à discussion »51. Les heures supplémentaires, « rétribuées au tarif normal », devraient être « à la libre disposition des employeurs », qui ne seraient tenus que d’informer l’Administration a posteriori, sans fixation de délai52. Le même, dans un rapport sur les mines de fer pour le comité n° 3 (mines et carrières), réclame « la liberté pour l’échelonnement du travail et l’utilisation des heures supplémentaires rétribuées au taux normal »53. Et dans les constructions navales, les délégués patronaux demandent la substitution d’un contrôle a posteriori à l’autorisation préalable de l’Inspection du Travail54. Les demandes patronales, s’appuyant sur des goulots bien réels dans certaines productions — comme on va le voir — ont, à tort ou à raison, semblé, aux yeux des représentants ouvriers, consister à vider la loi du 21 juin 1936 de tout contenu du fait de la conjonction de réclamations jugées excessives ou pas toujours justifiées.
4. Constats et arbitrages des représentants de l’État.
• Le rejet des exigences extrêmes.
26Les représentants de l’Administration réagissent aux revendications patronales. Ainsi, l’ingénieur des Mines, Jacques Thibault, dans son rapport sur les constructions navales, considère que « la majoration des heures supplémentaires n’a qu’une faible incidence sur les prix de revient », et qu’elle comporte, au contraire, deux avantages, en présentant un intérêt pour l’ouvrier et en évitant les abus de certains constructeurs55. Le 4 décembre, le Comité central, du fait du refus des représentants de l’État, rejette la revendication patronale, qui ne figure pas dans le rapport général56. Marcel Rives, dans son rapport sur les textiles pour le huitième comité, précise, à propos de la réclamation des 2 000 ou des 2 080 heures, que les ouvriers sont « résolument hostiles à ce système », et reconnaît que le « contrôle semble en effet difficile »57. Il ajoute que, lors de la conférence internationale de Washington sur les quarante heures, le ministre du Travail, Jean Lebas « pour obtenir des patrons, très hésitants, qu’ils aillent aux États-Unis plaider l’extension des quarante heures, semble leur avoir promis que la loi ne serait pas appliquée avec rigidité et qu’ils auraient à leur disposition cent heures »58. Mais, pour apaiser l’hostilité éventuelle des ouvriers, il n’accorde ces cent heures de récupération qu’aux industries dites saisonnières, tout en laissant entendre au patronat que tout le textile serait considéré comme saisonnier. On aurait là l’une des origines de l’hostilité ouvrière à l’emploi des cent heures59. Le rapporteur, tout en signalant la nécessité d’admettre des heures supplémentaires pour travaux pressés, reconnaît, à propos des ouvriers : « ils n’ont pas tort de dire que l’industrie du coton (sauf la manutention, les imprimés) et celle du jute, par exemple, ne sont pas saisonnières »60. Sur les 2 000 heures, l’affrontement patronat-ouvriers, se manifeste tout particulièrement dans les quatrième et cinquième comités (métallurgie et constructions mécaniques), et, surtout, lors des débats sur le rapport général au Comité central. Nous avons retrouvé des traces manuscrites des séances des 27 novembre, 3 et 4 décembre 1937, où la discussion s’engage à partir du projet de rapport général, présenté par Ivan Martin et largement commenté par Georges Cahen-Salvador. Ce dernier signale les « malentendus » à propos des dérogations à cause « des abus ou de la crainte du chômage », et justifie le bien-fondé des contrôles61. Les débats sur le régime du travail interviennent le 4 décembre62. Roger Auboin reconnaît l’intérêt de ne pas prendre de mesure générale, mais de prévoir des cas particuliers, et notamment de développer la notion d’« industrie irrégulière »63. Julien Racamond parle d’abus. Le dialogue suivant se déroule alors entre représentants de la CGT et Claude-Joseph Gignoux, président de la CGPF. Chevalme constate, pour la CGT, que l’industrie réclame la possibilité de récupération avant perte, mais que ... « renforcer la situation présente empêchera l’industrie de rechercher à régulariser la production. Au fond c’est la question des 2 000 heures ». Claude-Joseph Gignoux : « Quel est le danger des 2 000 heures ? » Léon Jouhaux : « Le travail sur dix mois et les prix qui seraient augmentés. (...) Pour les vrais saisonniers on a reconnu des modalités particulières, par une mesure générale vous créerez des difficultés incessantes »64.
27Dans les comités techniques comme au Comité central, les représentants de la CGT défendent ainsi constamment l’idée que les décrets d’application comportent assez de souplesse, pour qu’il n’y ait pas matière à les modifier ou en ajouter d’autres. Face à l’hostilité ouvrière à l’égard de toute modification, les représentants de l’État, fidèles en cela aux orientations définies à l’origine de l’enquête par les propos de Camille Chautemps (appuyés sur la note de Roger Auboin), refusent une transformation radicale du régime du travail, telle qu’elle serait résultée des propositions patronales extrêmes. Cela explique l’absence, dans le Rapport général, de la suppression des taux de majoration des heures supplémentaires, du principe des 2 000 heures et du contrôle a posteriori par l’Inspection du Travail. En revanche, les délégués de l’Administration vont peser pour obtenir l’application effective des dérogations inscrites dans les décrets d’octobre 1936, et l’ajout de dérogations nouvelles pour deux séries de « goulots d’étranglement », jugés particulièrement néfastes à la reprise.
• Le goulot de main-d’œuvre qualifiée.
28D’emblée, Roger Auboin avait nettement souligné dans sa note du 2 octobre 1937, « l’inégalité des diverses branches de la production dans la reprise comme dans la crise », en particulier du point de vue des rapports respectifs entre l’état de la demande globale et celui des capacités de production. Le régime du travail et les conditions d’application des quarante heures, ne pouvaient être mis en cause à propos des branches pour lesquelles il était constaté une demande insuffisante, inférieure ou sensiblement équivalente à l’offre. En revanche, dans celles où l’Enquête mettait nettement en évidence une insuffisance de l’offre par rapport aux besoins du moment sur le marché intérieur ou extérieur, la question pouvait se poser. Et elle paraissait d’autant plus pertinente dans le cas de productions qui commandaient le bon fonctionnement d’autres branches. L’enquête a ainsi souligné l’existence d’un certain nombre de ces goulots préjudiciables à la reprise.
29Outre le cas des mines, les goulots d’étranglement ont été repérés par les comités n° 4 et 5 dans la sidérurgie (plus particulièrement pour les aciers spéciaux), l’aluminium et alliages, certaines constructions mécaniques, notamment les machines-outils, certains appareillages et l’automobile. Il est apparu que — à l’exception des mines de houille et de fer — il n’y avait pas de problème général d’embauche pour les manœuvres65. En revanche, la question des ouvriers qualifiés devient rapidement une source de désaccord entre les représentants du patronat et de l’État d’une part, et les délégués de la CGT d’autre part. Les rapports préparatoires de la sidérurgie, des constructions électriques, des métaux non ferreux, ou des constructions navales soulignent l’insuffisance de main d’œuvre qualifiée et les difficultés rencontrées pour la recruter66. L’effet de goulot d’étranglement du manque de spécialistes est fort bien analysé. Ainsi, dans son rapport sur les constructions navales, l’ingénieur des Mines Thibault dénonce « la pénurie totale dans la plupart des spécialités », et défend la nécessité d’heures supplémentaires pour les spécialistes « qui conditionnent l’activité de l’ensemble du chantier ». Il ajoute qu’un nombre insuffisant d’ouvriers dans ces spécialités « constitue un véritable étranglement de la production »67.
• La dramatisation de la Défense nationale.
30Cette pénurie n’est toutefois pas générale à tous les produits, ni à toutes les régions, mais elle apparaît particulièrement grave pour certains d’entre eux. Ainsi, dans la sidérurgie, si la main d’œuvre qualifiée joue un rôle assez faible dans les usines d’élaboration du métal (hauts fourneaux, aciéries, et, à un moindre degré, laminoirs), elle occupe une place décisive dans celles qui le transforment : Francis Hekking signale surtout pour le moulage d’acier, le forgeage ou l’usinage, la quasi-impossibilité de recruter des spécialistes nouveaux, voire la perte des anciens, en particulier dans la France de l’Est68. Il déplore, ainsi que Thibault, les débranchages opérés de la part notamment des arsenaux, des chemins de fer, des usines de la Région parisienne, des usines d’aviation69. Or, le service des Fabrications d’Armement, particulièrement intéressé par la question de l’approvisionnement en pièces d’acier forgées, moulées ou usinées, comme dans les constructions navales (arbres porte-hélices, arbres manivelles, roues de turbines, supports d’arbres, stators de turbines...), cite le cas de Paris-Outreau, dont la faiblesse de la production est due à une perte de main d’œuvre qualifiée, absorbée par la Compagnie du Nord, ainsi que celui d’autres firmes, freinées dans la production de matériel de chars de combat (usines Cail, Claudinon, Chatillon Commentry, Neuves Maisons). L’Ingénieur général du Génie Maritime Norguet, dans une note annexée au rapport Thibault, insiste sur le fait que « la plus surchargée des spécialités freinant toutes les autres »70, il s’ensuit des retards dans la construction des unités navales d’autant plus graves que les Marines qui ne sont « ni amies, ni alliées s’accroissent au contraire avec une rapidité accélérée »71. Avant même l’année 1938, le débat économique sur les quarante heures se trouve ainsi largement traversé, et ainsi dramatisé par les préoccupations de Défense nationale.
• « L’opposition paradoxale entre une demande et une offre d’ouvriers qualifiés... »
31Le constat sur l’insuffisance de main d’œuvre qualifiée dans certaines branches suscite les protestations des délégués ouvriers, qui s’appuient sur l’existence d’ouvriers qualifiés parmi les chômeurs. Plusieurs rapports font état des désaccords entre représentants patronaux et ouvriers sur la question : ainsi, les rapports des industries métallurgiques et mécaniques, des constructions électriques et des industries des métaux non-ferreux72. Dans ce dernier, il est fait état d’une « opposition paradoxale entre une demande et une offre d’ouvriers qualifiés qui n’arrivent pas à se compenser »73. Dans ce domaine comme pour d’autres, le contenu du rapport général est très largement tributaire des débats des comités n° 4 et 5 (métallurgie et mécanique), dont le rapporteur, Ivan Martin, est d’ailleurs aussi le rapporteur général de l’ensemble de l’Enquête. Les représentants de l’État — tout en soulignant les réserves de la délégation ouvrière — acceptent l’idée d’une pénurie de certains spécialistes, et insistent sur son caractère de goulot d’étranglement, retenu dans le rapport général. Au Comité central, la discussion finale est intervenue le 4 décembre 1937. Les représentants de la CGT — seuls des anciens confédérés sont mentionnés dans le procès-verbal manuscrit retrouvé dans les archives — réfutent l’idée d’une pénurie de spécialistes : Chevalme : « les ouvriers vous prouveront qu’il y a des spécialistes (...) en 1929 il y en avait assez.» Ivan Martin : «que les syndicats donnent des noms »74.
32Mais les représentants ouvriers demandent des délais, afin d’assurer les conditions de réadaptation à des spécialités pas nécessairement identiques, avec des temps d’essais et d’ajustement. Léon Jouhaux : « ... c’est théorique, il faut un temps d’apprentissage. Si vous voulez des ajusteurs, il faut les chercher chez les serruriers. (...) Vous disqualifiez la main d’œuvre française qui est la meilleure est (sic) la plus intelligente »75. Le secrétaire général de la CGT récuse ainsi l’idée d’une coïncidence automatique entre offre et demande de travail. De même que les représentants des chefs d’entreprises réclament des délais pour l’outillage ou l’organisation technique des entreprises, les représentants ouvriers exigent « un temps d’apprentissage » pour ajuster les qualifications.
33Cela ne pouvait satisfaire les représentants de l’État soucieux de définir des solutions rapides. Le rapport souligne d’ailleurs le désaccord entre la délégation ouvrière et la délégation patronale. Celle-ci insiste sur les conséquences de « l’application brusquée » de la semaine de quarante heures, à la fois sur la production (par les goulots qu’elle crée dans certaines branches, à travers la pénurie de spécialistes), et sur la consommation (par le surcoût de l’heure de travail)76. Les représentants de la CGT considèrent que les modalités prévues par les décrets suffisent, du fait de « l’existence d’un chômage important ». Ils redoutent que la multiplication des dérogations et exceptions ne rende tout contrôle illusoire, et ne vide la loi des quarante heures de toute sa substance.
5. Les autres aspects du problème : outillage et OST.
• Étudier branche par branche.
34Pour les représentants de l’État, qui dirigent les débats de l’Enquête, il s’agit donc, après avoir soigneusement délimité les branches, à propos desquelles l’offre est manifestement freinée par rapport à la demande globale du moment, d’envisager l’éventail des facteurs d’explication. D’ailleurs, dans son projet de rapport général, Ivan Martin, lors de la séance du 27 novembre, commence par signaler qu’il convient de « ne pas se limiter au seul angle de la durée du travail », mais d’évoquer également les problèmes d’outillage, d’organisation technique de la production et de rendement commercial77. Roger Auboin, au cours de la même séance, convient qu’il est préférable « de ne pas prendre de mesure générale », mais d’envisager les différents cas d’espèces.
35La rigidité de certaines productions à l’origine des goulots d’étranglement n’était ni toujours, ni exclusivement due à la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Ainsi, dans les industries aéronautiques, l’ingénieur Roos évoque, dans son rapport, les « efforts de recrutement intenses » (qui, en fait, datent surtout de 1935, où les effectifs totaux sont passés d’environ 25 000 à plus de 35 000 ; en 1937, l’effort d’embauche est plus faible et intéresse surtout les établissements de province), auxquels d’ailleurs d’autres industries « ont rendu un plaintif hommage »78. L’aéronautique apparaît donc comme une branche — vitale pour la Défense nationale — où non seulement la semaine de quarante heures n’a pas freiné la production, mais, à propos de laquelle, dès le 27 juillet 1936, le ministre de l’Air, Pierre Cot, est amené à en imposer l’application (en anticipant de plus de quatre mois sur les décrets), afin d’éviter les nombreux débauchages, qui avaient été prévus dans la plupart des entreprises79. Ainsi, les causes les plus importantes dans les retards de production aéronautique constatés en 1937 «concernent les matières premières, les accessoires et les machines-outils, la main d’œuvre ne venant qu’ensuite »80.
• L’outillage : un diagnostic ambigu.
36De même, dans les aciers spéciaux, particulièrement importants dans les approvisionnements des industries d’armement, le goulot principal n’est pas l’insuffisance de la main d’œuvre, même qualifiée. Francis Hekking affirme que la chute de la production — 142 000 tonnes en 1936, contre 154 000 en 1935 et 200 000 en 1929 — ne provient pas de la difficulté à trouver du personnel, mais « le problème est essentiellement un problème d’outillage »81. Il ajoute : « Des enquêtes faites par les services de la guerre et de la Marine ont montré que dans de nombreux cas, l’industrie métallurgique freine la production de l’industrie mécanique »82. Il cite d’ailleurs la conclusion d’une étude du Service des Fabrications d’Armement, qui mentionne le cas des Acieries d’Ugine. La production y a augmenté, malgré la loi des quarante heures, grâce à une répartition sur six jours au lieu de cinq et l’embauche de près de quinze pour cent de salariés en plus — de 2 400 à 2 727. La note conclut : « Ici une modification au régime de travail paraît inutile : ce qui est indispensable c’est l’augmentation des moyens. Il y a lieu seulement de retenir que le travail à trois équipes de 6 h 40 pendant six jours au lieu de 3 x 8 h pendant cinq jours, a augmenté la production et pourrait être utilement appliqué autre part »83.
37Au cours des débats du Comité central, le 27 novembre, Roger Auboin évoque effectivement, parmi les difficultés « l’effort d’outillage pour s’adapter aux quarante heures »84. Les représentants de l’État souhaiteraient aborder comme un problème technique la question de l’outillage ou de l’organisation de la production, au même titre que celle du régime du travail. Camille Chautemps avait d’ailleurs annoncé, dans sa déclaration liminaire, annonçant le lancement de l’Enquête : « Si demain, l’exploitation d’une industrie révèle le caractère défectueux de tel outillage ou l’insuffisance de son organisation, devrait-on hésiter à demander aux patrons d’engager les frais nécessaires pour transformer les entreprises ? »85.
38Comme l’avait pressenti Camille Chautemps, le diagnostic sur l’état de l’outillage s’est d’emblée heurté — outre aux difficultés de recueil de renseignements statistiques précis — aux susceptibilités des représentants du patronat : ils ont rejeté tout constat de lacune — même partielle et limitée à certaines productions — dans la mesure où cela pouvait être interprété en terme de responsabilité dans la non-reprise. Ainsi, lors des séances du Comité n° 4, traitant de l’industrie électrique, Claude-Joseph Gignoux s’indigne : « on cloue au pilori avec vigueur l’industrie électrique », alors que le rapporteur ne faisait que souligner les faiblesses de certaines industries radioélectriques86. Le rapport général formule un constat d’ensemble, proposé par le rapporteur Ivan Martin, plutôt bienveillant sur l’état quantitatif de l’outillage87. En revanche, il apparaît beaucoup plus réservé sur son état d’entretien et de renouvellement, et la productivité qui en résulte88. De plus, il y est rappelé que les rapports particuliers ont souligné « la nécessité de certains renouvellements et améliorations », pour toute une série de branches, à savoir : « l’agriculture, les mines de charbon, la sidérurgie, les aciers spéciaux, certaines entreprises gazières, la soierie, l’industrie du lin, la bonneterie, les constructions mécaniques, la fonderie, l’imprimerie et certaines branches de l’alimentation telles que la chocolaterie »89.
39Les rapports publiés de différents comités techniques, et, d’une manière encore plus explicite, certains rapports de travail non publiés — que nous avons retrouvés dans les archives — formulent des jugements sévères sur l’état de l’outillage. Dans les houillères, le texte des résolutions du troisième comité fait état de 1’« exiguité des installations matérielles »90, et ajoute que « dans bien des cas, la productivité a été réduite par l’insuffisance du renouvellement de l’outillage pendant la période de crise (...) à la réduction de la durée du travail doit correspondre une augmentation des moyens de production »91. Un rapport technique de vingt et une pages, sans doute rédigé par un ingénieur du Service des Mines — non publié — est à la fois plus précis et plus critique encore : « Le petit outillage actuellement utilisé est souvent à limite d’usure, l’entretien, le renouvellement du matériel de transport en particulier a été souvent au cours des dernières années déficient »92. On note, sur ce point, une convergence dans les constats des délégués mineurs, des organisations syndicales et d’ingénieurs du Service des Mines93. Quant au gros outillage et aux installations du jour, « [elles] n’ont pas été renouvelées par le moyen des « travaux neufs » au cours des années précédentes comme il aurait convenu qu’ils le fussent »94.
40La première livraison des Annales des Mines de 1937 publie le Rapport sur le marché charbonnier, dans lequel il est fait mention d’une charge de 7,35 F par tonne nette nécessaire pour conserver l’installation avec le même potentiel. Or, l’enquête établit que, en 1935, les houillères n’y ont consacré que 4,86 F par tonne. Dans ces conditions, sur proposition de Paul Ramadier, le ministre des Travaux publics, qui dispose de la fixation des prix de vente, décide, dès le début de 1937, de les adapter aux prix de revient. Et, le 5 septembre 1937, il les accroît de six francs par tonne95. Il est précisé que les travaux neufs « devront être en premier lieu consacrés au maintien et à l’accroissement de la productivité des houillères », dont les programmes seront soumis, pour avis, au Service des Mines, qui en contrôlera l’exécution96. Et le troisième comité (mines et carrières) approuve ce contrôle de l’Administration sur les prix de vente, afin d’assurer la possibilité financière de travaux destinés à accroître la production, en particulier le programme de construction de logements ouvriers, indispensable au recrutement d’une main d’œuvre supplémentaire97. Une certaine tutelle des pouvoirs publics apparaît comme la rançon de l’insuffisance des investissements lors des années de crise.
41Parallèlement, un rapport présenté par Jean Bichelonne, ingénieur des Mines, nous révèle que, à la suite de l’enquête décidée par le Service des Mines, au début de 1937, dans les mines de fer de Lorraine, il est apparu que les modernisations essentielles avaient été faites. Cependant, en mai 1937, une commission est créée, à l’initiative du directeur des Mines, afin de pourvoir à tous les perfectionnements, avec la collaboration de l’Administration98. Dans l’industrie métallurgique, Louis Ferasson, président de l’Assemblée des présidents de Chambres de Commerce, transmet un rapport aux quatrième et cinquième comités techniques (métallurgie ; mécanique), dans lequel il présente l’équipement du moment comme « suffisant », « moderne »99. Francis Hekking, ingénieur des manufactures de l’État — l’un des proches collaborateurs de Jean Coutrot — s’en inspire dans son épais rapport sur la sidérurgie : il considère que les installations existantes de hauts fourneaux, d’aciéries ou de laminoirs suffisent, même pour une demande accrue100. En revanche, il signale qu’une part considérable des capacités de production sont alors mises en sommeil : à côté des 105 hauts fourneaux en activité, il en existe quatre-vingt-quinze qui ne fonctionnent pas. Et, parmi eux, un grand nombre aurait besoin d’une remise en état, ou de modernisation. Il souligne, de plus, les retards importants de livraison à la fin de 1936, de la part du Comptoir sidérurgique, sans en analyser les causes. Georges Soulès, chargé de mission à l’Économie nationale à ce moment, relate avoir effectué une enquête à ce sujet, et avoir conclu à la responsabilité majeure du Comptoir sidérurgique101. Ces retards ont pesé lourdement dans le freinage des industries mécaniques au cours de l’hiver 1936-1937. Il ajoute que, pour les aciers spéciaux, « le problème est (...) essentiellement un problème d’outillage »102, notamment pour les fours électriques. Or, il s’agit d’un goulot d’étranglement pour l’industrie en aval, d’autant plus sérieux qu’il intéresse la Défense : « Des enquêtes faites par les services de la Guerre et de la Marine ont montré que dans de nombreux cas, l’industrie métallurgique freine la production de l’industrie mécanique »103.
42Dans son rapport sur la construction navale, l’ingénieur des Mines Thibault signale « les plus graves perturbations » occasionnées par les retards de livraison des produits sidérurgiques104. Les conclusions du Comité sur les industries des métaux non ferreux évoquent également que la demande l’emporte nettement sur l’offre, en partie faute d’un développement de l’outillage, notamment dans le cas des alliages d’aluminium105. Le rapport de l’ingénieur Roos sur l’industrie aéronautique mentionne aussi les conséquences pour cette branche des insuffisances d’approvisionnement en alliages d’aluminium (où il estime le retard entre trois à sept mois), et en aciers spéciaux (entre deux à cinq mois)106. Pour ces deux productions, les conclusions du Comité d’enquête reprennent les analyses sur l’insuffisance de l’outillage. Elles ajoutent qu’il convient de renouveler ou d’améliorer celui de la sidérurgie, des aciers spéciaux et de certaines constructions mécaniques107. Dans les industries mécaniques, il est fait mention de l’augmentation considérable des délais de livraison, en particulier pour les machines-outils et certains appareillages, qui compromettent ainsi « l’amélioration de l’équipement industriel, la réalisation des programmes de Défense nationale, l’adaptation aux conditions nouvelles de la durée du travail et entraînent un ralentissement de la vie économique et un alourdissement des importations de machines et de matériels étrangers »108.
43Si l’outillage des constructions navales est jugé suffisant et moderne, celui des constructions aéronautiques est caractérisé par des qualités et des âges très inégaux, surtout pour les cellules109. Le rapporteur sur les textiles se plaint, quant à lui, en l’absence de renseignements précis, de ne pouvoir savoir « si vraiment l’outillage français n’a pas besoin de plus de renouvellement que ne le disent, avec beaucoup de réticences, les représentants syndicaux des industriels C..)110. Il ajoute : « Personnellement, je crois qu’il y a « à faire » et qu’en tout cas, il faudrait que le Gouvernement soit éclairé sur ce point par une enquête sur place »111. Dans l’agriculture, le rapporteur Forestier, représentant du ministère des Finances et l’Économie nationale, souligne que la crise a arrêté le remplacement et même les réparations, et que la reprise, constatée depuis 1936, ne saurait compenser « le retard du rééquipement agricole »112.
• Des constats techniques au débat socio-politique.
44L’enquête cumule ainsi un jugement général, plutôt favorable sur l’outillage, et des critiques parfois sévères à propos de telle branche particulière, d’autant plus décisive qu’elle freine la reprise d’autres branches en aval. En outre, le rapport général insiste sur le fait que les lacunes de renouvellement ou d’améliorations d’outillages sont souvent liées au « resserrement des trésoreries » de nombreuses entreprises113. Le recours au crédit de l’État n’est pas envisagé, si ce n’est de manière exceptionnelle. L’amélioration de la situation du crédit est présentée comme une résultante de la situation économique et sociale, qui conditionne le retour des capitaux exportés et, partant, l’offre de capitaux114. Toutefois, le rapport souligne trois graves problèmes à résoudre : l’organisation du crédit à moyen et à long terme, le cas particulier du crédit agricole, et la nécessité de réformes administratives pour mettre au point, malgré la création de la CNME, le financement des marchés de l’État115.
45D’autre part, cette question de l’outillage ne s’est pas posée dans la sérénité d’un débat scientifique, mais au cœur des méfiances réciproques entre partenaires sociaux. Les représentants patronaux ont le plus souvent présenté l’outillage comme suffisant, pour se disculper de toute responsabilité dans l’insuffisance de la reprise. Mais, en certaines occasions, des représentants ouvriers ont répugné à parler de capacité de production insuffisante116. Le rapporteur sur les textiles le résume ainsi : « Pour ce qui est de l’hostilité ouvrière [à l’équipement de métiers automatiques], elle est compréhensible en ce sens que les ouvriers craignent un surcroît de travail et de chômage »117. Dans le débat national, les communistes toutefois insistent sur l’importance de l’outillage118. Maurice Thorez déclare à Lille, le 3 octobre 1937 : « Il faut améliorer l’outillage, il faut investir les capitaux nécessaires. Il faut cesser de les faire passer de l’autre côté des frontières »119. Dès la fin juillet, il avait mis nettement en cause le patronat, dans son discours de clôture devant le comité central, réuni à huis clos : « le grand patronat se refuse aux améliorations, aux perfectionnements nécessaires de la technique, aux investissements rendus nécessaires par les nouvelles méthodes de production »120.
46Au cœur de ce débat contradictoire entre partenaires sociaux, les rapporteurs de l’Enquête issus de l’Administration ont adopté une attitude prudente. Tout en considérant en général l’outillage comme suffisant, ils n’en ont pas moins souligné la nécessité de certains renouvellements ou améliorations. Dans plusieurs branches (houillères, aciers spéciaux, certaines constructions mécaniques, textiles, agriculture), les rapports particuliers — et surtout les textes préparatoires, non publiés — ont fait état de carences sérieuses. D’une manière générale, les représentants de l’État ont suivi le conseil initial de Roger Auboin, consistant à proposer d’étendre la capacité de production au-delà du niveau de la demande du moment, dans la perspective de son accroissement. Démarche antimalthusienne, particulièrement nette dans l’agriculture, où le rapporteur mentionne que ... « malgré la crise, il n’avait pas semblé aux groupements consultés conforme à l’intérêt général de limiter ou de réduire le volume total de la production agricole »121. Le rapporteur des textiles en arrive même à dénoncer le malthusianisme patronal : « Du côté syndicats patronaux, ont (sic) est dominé par la crainte de la surproduction, du suréquipement et, aussi dans certains cas, de la chute des prix »122.
• L’OST : lacunes et remèdes de moyen terme.
47Le Rapport général de l’Enquête consacre sa troisième partie à 1’« Organisation professionnelle et technique », dont le contenu s’inspire très largement des travaux du COST, et des réflexions de son vice-président123. Il y est précisé, dans ce domaine : «il reste encore beaucoup à accomplir »124. Pour certaines branches, telle l’agriculture, le rapport déplore l’insuffisance des groupements professionnels. En outre, il défend l’encouragement par les pouvoirs publics à la constitution d’ententes — dont l’initiative serait laissée aux intéressés — et leur contrôle éventuel : on retrouve le projet Coutrot de conventions collectives de production125.
48Le rapport en reprend les orientations antimalthusiennes et productivistes, comprenant l’organisation rationnelle, la normalisation et la recherche scientifique. L’une des principales conclusions de toute l’enquête consiste à souligner... « la nécessité d’organiser la production d’une manière rationnelle en vue d’un abaissement des prix de revient et d’une amélioration de la qualité (organisation rationnelle du travail, normalisation des produits, coopération étroite de l’industrie avec les organes de recherche scientifique) »126. Tout en signalant certains efforts effectués par quelques groupements industriels, notamment ceux qui ont créé des bureaux industriels de normalisation, le rapport général et plusieurs rapports particuliers soulignent les importantes lacunes127. Il est précisé — en particulier dans l’automobile et les textiles — l’intérêt d’une présentation uniforme des prix de revient, s’inspirant de celle issue des travaux de la CEGOS, et, d’une manière plus générale, le rôle constructif des ententes pour une meilleure connaissance des coûts, opération préalable à leur compression nécessaire128. L’État peut exercer son action à travers les organismes de contrôle des prix, mais surtout à l’occasion des sollicitations des producteurs pour une protection renforcée. Plusieurs rapports particuliers, notamment sur les textiles, l’automobile ou les constructions navales, insistent sur le fait que l’État devrait subordonner l’octroi des avantages de la protection à un effort de rationalisation et de réduction des prix de revient : la protection en échange de la modernisation — de même qu’il avait été question de tirer parti des demandes de protection pour obtenir des statistiques professionnelles — telle pouvait être une carte à jouer par les pouvoirs publics.
III. UN COMPROMIS SANS CONSENSUS
1. Les remèdes.
• Les solutions de portée non immédiate.
49Au-delà du seul constat, était posée la question de l’apprentissage et du reclassement des chômeurs. Le rapport, s’appuyant sur les propositions de différentes branches, dont les constructions mécaniques, formule à ce sujet cinq recommandations, mais dont les résultats ne pouvaient pas être non plus immédiats. Tout d’abord, la réorganisation des services de placement, jusque-là fort rudimentaires. Ce n’était que la reprise des conclusions du rapport présenté au CNE, le 6 juillet 1937, qui insistait sur la coordination entre organismes privés et offices publics, et l’institution d’un service central de la main d’œuvre129. Le comité recommande l’adoption d’une loi, mais cette réorganisation, effectivement entreprise, exigeait des moyens financiers130. Parallèlement, le rapport fait référence au recensement qualitatif du chômage, entrepris à la suite d’un décret du 26 septembre 1937 par le sous-secrétariat d’État au Travail, et réclame, à partir de ces travaux, « l’établissement d’une politique rationnelle de la main d’œuvre »131.
50En outre, Francis Hekking avait proposé un projet de classification des professions132. Sur la suggestion d’Ivan Martin, la majorité du Comité se rallie à une procédure, à la fois lourde et complexe : le ministère du Travail établirait une « liste détaillée des professions et spécialités » en accord avec les organisations patronales et ouvrières, qui serait périodiquement révisée et harmonisée avec celle utilisée pour le recensement qualitatif du chômage. Elle fixerait les correspondances entre spécialités, et servirait de base aux services de placement133. Lors des débats, Léon Jouhaux avait manifesté son scepticisme : « la classification des professions n’a jamais été demandée par les ouvriers »134. D’autre part, notamment à la suite de l’intervention de Chevalme au Comité central, il est précisé qu’« on ne pourra attirer et retenir les ouvriers professionnels que si des avantages substantiels leur sont accordés »135. Enfin, également sur l’insistance des délégués de la CGT, le Comité conclut : « L’apprentissage et la formation des spécialistes restent encore insuffisants »136.
51L’ingénieur général Happich, Directeur des fabrications d’armement, écrit pour les comités n° 4 et 5 une note particulière — datée du 14 octobre 1937 — sur la formation professionnelle137. Signalant le goulot représenté par la pénurie de spécialistes, notamment dans l’automobile et la mécanique, et le « faible rendement » de la rééducation des chômeurs, il conclut : « il est indispensable que l’industrie mécanique privée suive en cet objet l’exemple donné par l’Industrie d’État et les grandes organisations comme les chemins de fer, en formant elle-même les professionnels dont elle a besoin »138. Il préconise une « obligation légale », pour les ateliers de mécanique de 500 à 1 000 ouvriers, d’avoir des Écoles d’apprentissage pour un minimum d’apprentis à définir139. Le rapport sur l’automobile reprend cette suggestion140. Lors des débats au Comité central, Georges Cahen-Salvador semble appuyer la proposition. Ivan Martin suggère plutôt de solliciter les Chambres syndicales141. Le rapport général reste en deçà, et recommande de se référer à ce sujet aux travaux du CNE142. Toutes ces recommandations présentent la particularité commune d’exiger des moyens financiers et des délais. Restait la solution immédiatement applicable : assouplir les modalités d’application des quarante heures.
• Les quarante heures : le compromis de la sidérurgie.
52Les représentants de l’État, fidèles en cela à l’esprit de la déclaration liminaire de Camille Chautemps, ne tiennent pas à paraître « toucher aux avantages acquis »143. Le rapport réaffirme le rôle des conventions collectives de travail et l’utilité de leur extension, tout en soulignant les lenteurs de la procédure144. Il confirme également le bien-fondé des congés payés. Mais, Roger Auboin, le 3 décembre 1937, s’était écrié : « Il est quand même paradoxal que les industries qui ne peuvent suffire aux demandes, ferment pendant quinze jours »145. Le rapport général recommande, en conséquence, « de répartir les congés payés sur une période plus longue que celle qui leur est actuellement affectée »146. Il ne pouvait s’agir que d’une pieuse recommandation.
53Restait la question la plus controversée, les quarante heures elles-mêmes. In extremis, lors des débats sur la sidérurgie, les représentants de l’État ont pu obtenir l’accord des deux délégations sur une déclaration commune, étendue à toute l’Enquête et reproduite dans le Rapport général, dans laquelle elles affirment « leur volonté d’assurer le respect intégral de la législation sociale, et notamment des lois sur les conventions collectives et sur la semaine de quarante heures »147. Les deux délégations s’emploieront, chacune auprès de leurs mandants, à assurer l’une — la délégation patronale — « l’application intégrale de la législation sociale dans l’esprit même où elle a été élaborée », l’autre — la délégation ouvrière — « l’application intégrale de toutes les modalités d’application prévues dans les différents décrets »148.
54C’était réaffirmer la validité de la législation de 1936, avec, en outre, l’engagement de bonne volonté de la part de la CGT, pour envisager les dérogations légales149. Et, dans le comité technique n° 4, les délégués de la CGT ont, pour la sidérurgie, accepté — ce qu’ils avaient d’abord rejeté — le régime du feu continu pour les fours électriques pendant une durée de six mois150. Ainsi, les membres de l’Administration ont obtenu, au moins sur le papier, une sorte de contrat réciproque entre partenaires sociaux.
• Six aménagements sans attaquer la loi.
55Les représentants de l’État, tout en rejetant les revendications patronales extrêmes, reconnaissent toutefois la nécessité, dans certains cas précis, « d’une souplesse plus grande », dans les modalités d’application par rapport aux décrets de 1936, sans atteinte aux principes de la loi. L’attitude de l’ingénieur des Mines Thibault, dans son rapport sur les constructions navales, est particulièrement significative : il rejette les demandes des constructeurs sur la suppression de la majoration des heures supplémentaires, la récupération des congés payés ou l’allongement de la durée du travail en cas de reprise. En revanche, il retient l’idée d’une dérogation temporaire pour spécialistes, qui pourrait excéder les soixante-quinze heures prévues pour travaux urgents, ainsi que l’assimilation aux industries saisonnières, qui rendrait possible la récupération des heures perdues pour morte-saison, jusqu’à concurrence de cent heures par an.
56Lors des débats au Comité central, Roger Auboin souligne quatre cas où les dérogations s’imposent : les industries « irrégulières », les industries « fournisseuses », les branches où il y a « embouteillage », et celles où les ouvriers qualifiés font défaut151. Georges Cahen-Salvador propose, quant à lui, de « se mettre d’accord sur l’application sans réserve de la loi et des décrets de dérogations exceptionnelles pour la Défense nationale »152. Dans cinq cas, le rapport général propose donc des assouplissements, qui vont au-delà des décrets du 27 octobre 1936.
57Pour les industries reconnues comme saisonnières, la récupération des heures pourrait ne pas être aussi rigide dans le calcul sur l’année. En outre, le rapport propose d’y assimiler les industries qui connaissent « d’importantes variations d’activité »153. Afin d’éviter les abus soulignés par les représentants de la CGT — licenciement en période creuse et allongement de la durée du travail en période pleine — le rapport propose une limite quantitative annuelle (cent heures) et journalière (une heure), un engagement du chef d’entreprise de réembauchage par priorité, une liste des entreprises bénéficiaires établie après concertation des organisations patronales et ouvrières. Il est suggéré en outre que, pour chaque industrie, un arrêté du ministère du Travail, pris après consultation des organisations patronales et ouvrières, établirait une liste des emplois exigeant une main d’œuvre qualifiée. Par rapport à l’article cinq du décret du 27 octobre 1936, les dérogations pourraient donc s’étendre à toutes les branches. De plus, il est question de soixante-quinze heures par an et de trois heures par semaine — ce qui peut porter la semaine à quarante-quatre heures et demie154. Mais le texte insiste sur le caractère temporaire et la nécessité d’un contrôle : l’autorisation relève de l’Inspecteur du Travail, et n’est accordée que si les organisations ouvrières ne signalent pas des spécialistes au chômage dans la région proche155. Il est également prévu des dérogations exceptionnelles et limitées à l’année 1938 pour les « industries dont l’activité conditionne celle d’une part importante de l’économie nationale, [qui] ont atteint leur limite de production », notamment les industries produisant l’outillage mécanique ou électrique156. Le texte prévoit aussi l’autorisation éventuelle du travail par roulement, donnée par arrêté du ministre du Travail, après consultation des organisations patronales et ouvrières. Enfin, le rapport consacre une part importante aux travaux nécessaires à la défense nationale.
58Lors des discussions dans les Comités, les délégués ouvriers se sont déclarés entièrement acquis au principe des dérogations, à condition qu’il puisse y avoir un contrôle permettant d’éviter les abus. Ambroise Croizat précise dans les conclusions de la délégation ouvrière, présentées à propos des constructions aéronautiques, que jamais les ouvriers n’avaient refusé les heures supplémentaires pour la sortie des prototypes. Le rapport confirme et précise l’article six des décrets du 27 octobre 1936, faisant dépendre l’autorisation de dérogation, soit de l’Inspecteur du travail (pour une période inférieure à une semaine), soit des ministres du Travail et de la Défense nationale (pour une période supérieure), après consultation des organisations ouvrières. Quelques jours après la publication du rapport, certaines des suggestions formulées sont reprises lors des délibérations du Conseil des ministres, le 21 décembre 1937. Il y est reconnu la possibilité d’effectuer le travail par roulement, de l’étaler sur six jours, de bénéficier de dérogation pour « travaux urgents » (un jour, puis deux heures les jours suivants), pour des « circonstances d’ordre national grave » (jusqu’à quatre-vingt-treize heures par an). Ou encore pour des entreprises « dont l’activité conditionne celle d’une partie importante de la production nationale » (pour 1938, et dans la limite maximale de cent heures)157. Dans tous les cas, l’autorisation émane au moins du ministre du Travail, ou de l’Ingénieur en chef des Mines, après consultation des organisations patronales et ouvrières.
• L’absence de consensus.
59Les représentants de l’État ont souhaité emprunter une voie moyenne, et tenté d’assurer « une atmosphère de paix sociale »158, en proposant une sorte de contrat réciproque entre partenaires sociaux : le patronat s’engageait à ne pas revenir sur la législation de 1936, la classe ouvrière acceptait une extension transitoire de dérogations et d’assouplissements limités et contrôlés. Dans l’esprit où Jean Coutrot l’avait défini, il s’agissait de faire jouer aux chefs d’entreprises la carte des réformes, en acceptant des heures supplémentaires de « soudure », en attendant, à terme, des progrès dans l’outillage, dans l’organisation du travail, dans le reclassement des chômeurs et la formation des ouvriers.
60Un tel compromis supposait cependant la réunion de deux conditions indispensables. Tout d’abord, cela exigeait une atmosphère, sinon de compréhension, du moins de concertation entre partenaires sociaux. Or, dans le même temps, les conflits — on l’a vu — se multiplient, en particulier à propos de l’application des conventions collectives et de l’exécution des sentences arbitrales159. Les organisations de la CGT étaient d’autant plus enclines à la défiance, que les concessions demandées à la classe ouvrière — surseoir temporairement à la loi des quarante heures — étaient immédiates, alors que les engagements sur l’outillage, l’OST, le reclassement ou la formation ne pouvaient prendre effet qu’après certains délais. Tout en analysant l’ensemble des facteurs de freinage de la reprise, le Comité d’enquête avait signalé que la seule mesure efficace de court terme était l’extension des dérogations à la loi des quarante heures. Une seconde condition paraissait nécessaire : afin d’éviter les abus des dérogations, il fallait, comme l’avaient réclamé les représentants de l’Administration, un réel contrôle de leur application, ainsi qu’une concertation permanente. Cela supposait que l’Inspection du Travail « dispose de moyens correspondant à la tâche qui lui incombe »160.
61Or, les 172 inspecteurs du Travail sont déjà submergés par la surveillance d’une législation sociale fortement enrichie en 1936, ainsi que par les tâches dévolues à la conciliation et l’arbitrage. Tout en rappelant que le comité avait limité les propositions comportant une charge budgétaire, les auteurs du rapport ont signalé in fine qu’il avait été « unanime à reconnaître qu’il est indispensable tant d’augmenter le nombre des inspecteurs du travail que de leur fournir les moyens matériels d’action qui leur font actuellement totalement défaut »161. Sans même évoquer les moyens financiers nécessaires pour que l’État puisse soutenir les efforts d’amélioration de l’outillage, ou d’accélération de la formation et entreprendre le reclassement des chômeurs, il est certain que la politique de compression des dépenses civiles se heurtait à l’ambitieuse politique de contrôle des relations dans l’entreprise, prônée par les représentants de l’État. Or, seul un notable accroissement des moyens dans ce domaine pouvait à la fois éviter l’engorgement générateur de lenteur, et la méfiance des ouvriers, soucieux qu’un véritable contrôle écarte les abus. Le diagnostic sur les obstacles techniques à la reprise avait bien été formulé, quelques remèdes limités proposés. Mais le débat économique était traversé et, dans les faits comme dans les esprits, dominé par un affrontement socio-politique autour du maintien de la législation sociale de 1936, dramatisé encore par les nécessités de la Défense nationale, et d’un réarmement d’autant plus accéléré qu’il avait été tardif.
2. Des innovations sans lendemain immédiat.
• Des objectifs de production : une anticipation.
62Malgré les lacunes statistiques signalées, il reste, outre ces décisions sur la durée du travail, des constats fondamentaux sur l’économie française, ainsi qu’une méthode de travail, peu signalés par les historiens. Le rapport général exprime dans ses conclusions que 1’« indice de production » est, en France, de plus de vingt-cinq pour cent inférieur à celui de 1929, alors que ce dernier a été rattrapé dans les États voisins, voire dépassé en Allemagne (de dix-neuf pour cent), Angleterre (vingt-cinq pour cent) et Suède (quarante-cinq pour cent)162. On trouve également le constat de l’augmentation — toujours par rapport à 1929 — des charges publiques et privées ainsi que des revenus distribués « coïncidant avec une diminution importante de l’ensemble du revenu national », d’où la nécessité d’« une augmentation considérable de la production française »163. Dans la note préliminaire, Roger Auboin avait défendu « l’ambition légitime de poursuivre notre effort de défense nationale sans sacrifier notre niveau général de vie »164. La conscience existait, dès cette date, chez certains responsables de l’État, de la nécessité de rattraper, et même dépasser, le niveau record de 1929-30.
63Outre l’obligation de « supprimer les embouteillages dans les industries où les délais de livraison sont excessifs », par les mesures déjà évoquées, il est fait mention, in fine, de la réduction du déficit de la balance commerciale165. Des rapports particuliers par branches — en particulier ceux qui ne furent pas publiés — sont allés jusqu’à donner des objectifs de production fort instructifs, si l’on songe à la suite des événements. Ainsi, les conclusions sur les houillères mentionnent comme « première étape » les cinquante millions de tonnes de charbon, afin d’assurer les deux tiers de la consommation par la production nationale, avant de dépasser ce niveau, dans un second stade166. Pour la sidérurgie, le rapport de Louis Ferasson signale que, en 1936, plusieurs experts estiment que les 12,5 millions de tonnes d’acier par an sont accessibles, et même 13,5 millions, avec le concours d’entreprises moyennes, dont les installations sont à ce moment arrêtées167. Gardons ce chiffre à l’esprit : nous pourrons mieux apprécier la portée de l’effort demandé, presque dix années plus tard, dans les conclusions du premier Plan. La reprise du même chiffre — alors que le potentiel a subi peu de destructions, même s’il a vieilli — permet de relativiser le caractère audacieux des objectifs fixés par l’équipe de Jean Monnet.
• La conscience des « goulots » : le complexe énergico-sidérurgique.
64De plus, la conscience de la nécessité de réduire le déficit structurel de la balance commerciale, en particulier par des opérations de moyen terme visant à réduire la consommation technique de charbon, conduit plusieurs ingénieurs de l’État, auteurs de rapports, à envisager un ensemble cohérent d’investissements, à engager simultanément dans différentes branches. Ainsi, le rapport sur la situation houillère signale l’intérêt cumulatif pour l’économie nationale du développement des industries hydroélectriques, de l’électrification du réseau ferré, et de l’amélioration des rendements des centrales thermiques168. Les conclusions publiées sur l’Électricité signalent que « le programme d’investissements nouveaux, qui est une nécessité constante pour l’industrie électrique, a été considérablement ralenti depuis deux ans »169. Il y est fait part de la nécessité d’investissements nouveaux, notamment par la recherche de « chutes d’eau encore utilisables », et l’établissement d’un programme d’équipement de ces chutes, afin de faire face à la demande, de préférence par le développement de l’énergie hydroélectrique, et par sa substitution à une part de l’énergie provenant des centrales thermiques170.
65Cela rejoignait des préoccupations de Paul Ramadier et de ses collaborateurs, exprimées dès 1936. Dans la note, déjà citée, d’août 1937, le sous-secrétaire d’État aux Travaux publics signale : « L’électricité hydraulique est (...) la source indigène d’énergie par excellence (...) Le problème est donc de développer parallèlement la production hydraulique et la consommation. (...). Il [l’essor de la production hydraulique] sera cependant freiné par les investissements de capitaux nécessaires aux nouvelles utilisations électriques. (...) Nous constatons ainsi la nécessité d’un plan régulier d’équipement hydraulique »171. Dès 1936, sur proposition de Paul Ramadier, le gouvernement a autorisé la mise en chantier des grands barrages de Génissiat et de Laigle (prévus pour apporter, entre 1942 et 1945, 1,7 à 1,8 milliard de Kwh), ainsi que la reprise des travaux des barrages du Portillon et du Chavanon. Pierre Massé évoque cet épisode dans ses Mémoires172.
66De même, les conclusions sur les chemins de fer soulignent l’intérêt de « l’étude nouvelle d’un programme d’électrification », notamment sur les lignes à grand trafic. Il en résulterait un double intérêt : outre les économies sur la production charbonnière, le maintien ou la relance de commandes pour les constructions électriques173. Les conclusions de l’Enquête avaient longuement souligné le rôle stratégique (notamment pour les constructions mécaniques) de l’accroissement de la production d’acier. Un rapport (non publié) de la Direction des Mines sur l’alimentation de la sidérurgie en coke de hauts fourneaux, souligne la gravité de l’accroissement des importations de coke — quatre millions en 1937, contre 2,3 en 1936 et 1,9 en 1935 — et, parmi elles, 1’« importance prépondérante » de la provenance allemande174. Les rapporteurs signalent notamment 1’« extinction partielle » des cokeries des houillères du Nord-Pas-de-Calais, en partie due au fait que, lors de la sévère crise des années 1930 à 1935, les entreprises sidérurgiques ont réduit fortement leur consommation, et accru la part de leurs importations de coke, du fait de cours avantageux. Pendant ce temps, les cokeries des houillères ont transféré une part de leurs ventes vers des débouchés plus rémunérateurs que les hauts fourneaux, tels le coke concassé pour le chauffage domestique, ou les livraisons de fines aux compagnies de chemins de fer. L’un des remèdes réside dans l’accroissement de la production de fines et l’établissement « d’un programme d’envergure » pour le développement des cokeries175.
67Quant aux importations de coke — provenant d’Allemagne pour environ les deux tiers en 1935 et 1936 — elles impliquent des négociations serrées avec les Allemands, qui exigent, en échange, du minerai de fer lorrain. Leur prétention initiale pour 1937, lors de l’établissement du traité de commerce, consistait à réclamer deux tonnes de minerai contre une seule de coke176. Après discussion, les exigences ont été abaissées, les entreprises françaises recevant 3,1 millions de tonnes de coke métallurgique, alors que les exportations de minerai de fer se retrouvaient d’un million de tonnes inférieures à leur niveau de 1936177. La Direction des Mines recommande de diversifier les approvisionnements, principalement au Royaume- Uni, voire aux États-Unis, malgré un coût plus élevé qu’en Allemagne. Jean Bichelonne, en revanche, dans son rapport sur les mines de fer, considère qu’il serait « imprudent de revenir » sur le récent accord, intervenu à la suite d’« une négociation particulièrement délicate », et que, compte tenu des difficultés de livraison avec les autres pays, les importations allemandes sont indispensables. Il ne recommande pas de diversification des approvisionnements : prise en compte des difficultés et du surcoût des importations d’autres origines, ou souci — déjà ? — d’assurer un dialogue privilégié avec l’Allemagne178 ? Quoi qu’il en soit, dès ce moment, le futur ministre de la Production industrielle de Vichy maîtrise les termes essentiels des accords de compensation industrielle avec les voisins d’outre-Rhin, et les contraintes qui en résultent — et qui seront bien plus cruelles encore en 1942-44 — pour l’économie française. Il est vrai que la diversification se heurtait aussi à la conclusion du Cartel international des cokes, dont la France était exclue, à la très forte augmentation des prix au second trimestre de 1937, et aux faibles espoirs de recevoir des livraisons suffisantes de la part des dissidents (Tchécoslovaquie, URSS ou États-Unis)179. L’une des seules réactions françaises consisterait, d’après la Direction des Mines, à définir « une politique de vente du minerai », inexistante jusque là, du fait de la dispersion des vendeurs sur le marché.
68Ainsi, les rapports mettaient nettement l’accent sur les contraintes issues des goulots d’une sorte de complexe énergico-sidérurgique et sur les remèdes étroitement corrélés qu’il convenait de mettre en œuvre pour les alléger. Ces observations résultaient de constats d’autant plus aisés à formuler qu’il s’agissait de branches relativement concentrées, pour lesquelles les statistiques étaient assez précises et abondantes, et à propos desquelles les ingénieurs de l’État pouvaient s’appuyer sur une longue tradition de surveillance, d’incitation, voire d’intervention. On trouve formulés dans ces rapports pas moins de quatre — et les plus importants — des six futurs « secteurs de base » du premier Plan de 1946 (charbon, électricité, acier, transports ferroviaires) : et, en 1937, plusieurs programmes d’investissements (en matière d’hydroélectricité) ont d’ailleurs déjà été amorcés, (cf. figure, infra, p. suivante). En outre, les rapports envisageaient certaines réformes de structure, telle que le remembrement agricole.
• Un modèle néo-libéral ?
69Dans le rapport consacré à la situation des houillères, il a été fait mention du fait que l’ensemble des investissements nécessaires pour obtenir une réduction technique de la consommation (électrification du réseau ferré, développement des centrales hydroélectriques, modernisation des centrales thermiques...) exigeaient des « immobilisations importantes », à propos desquelles il était précisé : ... « à l’échelle de l’entreprise, elles pourront n’être pas rentables. Sur le plan national, il en sera toujours autrement »180.
70Dans le cas de l’extraction houillère ou du minerai de fer, on a vu comment l’intervention du service des Mines avait été reconnue nécessaire pour garantir l’engagement de nouveaux programmes d’investissements. Le rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées G. Glasser souligne combien les industries de construction électrique, surtout de gros matériel, ont été affectées par les décrets-lois de 1935, et la réduction des programmes de production et de distribution pour l’équipement national181. Les conclusions générales de l’Enquête insistent sur certaines nécessités économiques d’ordre national — notamment l’équilibre de la balance commerciale, objet initial de toute l’Enquête — ainsi que sur le rôle de l’État. Il est question d’« une coordination de l’activité publique et de l’activité privée, afin, non pas de diriger, mais d’orienter l’économie dans le sens des intérêts généraux du pays »182. L’intervention de la puissance publique peut différer selon les branches, « soit pour agir directement, soit pour aider financièrement, soit pour guider techniquement et économiquement »183.
71Georges Cahen-Salvador insiste dans son projet de rapport final, le 27 novembre, sur le « rôle de la collectivité », d’autant que les préoccupations de la Défense nationale doivent s’imposer à plusieurs branches184.
72La « coordination » est jugée d’autant plus nécessaire que 1’« interdépendance des industries » (à la fois technique et économique) (...) « conduit à établir un ordre de priorité entre les mesures propres à remédier à la dépression actuelle »185. La définition des différents goulots impliquait la coordination des efforts de production, sans nécessairement les prendre en charge directement, selon une perspective néo-libérale défendue par les représentants de l’État au sein du Comité central.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XIII
73La procédure employée pour l’Enquête d’une concertation tripartite (État, patronat, CGT) a, dans les faits, donné un rôle d’arbitrage décisif aux représentants de l’Administration, et, en particulier, aux rapporteurs des différents comités techniques, tous hauts fonctionnaires186. L’insistance avec laquelle, dans le Rapport général, il est fait état du souci de rapprocher le point de vue des délégations patronale et ouvrière, de faire triompher « l’esprit de conciliation et de collaboration »187, apparaît, de la part des délégués de la puissance publique, comme une auto-justification de leur tâche d’organisateurs de la concertation sociale autour des problèmes de la production, au nom de l’intérêt général.
74La perspective des responsables de l’Administration était d’aborder les questions au cas par cas, dans une perspective technique, et d’obtenir l’accord des partenaires sociaux sur les conclusions. Pour cela, il aurait sans doute fallu des renseignements statistiques détaillés irréfutables — ce qui, on l’a vu, n’était pas le cas — ainsi qu’une atmosphère relative de dialogue entre représentants patronaux et ouvriers — on était également loin du compte. Pour l’examen de l’outillage, de l’organisation technique comme du régime du travail, les problèmes techniques ont été d’emblée traversés par les enjeux socio-politiques, noués autour de la question du maintien ou de l’amputation des « acquis » de l’été 1936.
75Il reste toutefois de cette Enquête un prototype de la réflexion tripartite sur les questions de la production, ainsi que des diagnostics et des objectifs pour quelques branches stratégiques. Les conclusions de l’Enquête, dans le court terme, reposaient sur la perspective des experts de l’État de combiner des aménagements techniques et le respect des principes fondamentaux de la loi, en particulier sur deux points cruciaux : la concertation entre partenaires sociaux pour les dérogations, et l’accroissement du coût horaire de 25 % pour les éventuelles heures supplémentaires. Or, à la fin de 1937, un affrontement plus large s’est déjà engagé pour lever cette hypothèque, parmi d’autres.
Notes de bas de page
1 Alfred Sauvy, Histoire... op. cit., t. II, p. 265 et 272.
2 Paul Reynaud ne détient pas le monopole des critiques. Cf., par exemple, la Journée industrielle, X-Crise, l’Europe nouvelle...
3 Discours prononcé à Lyon, le 23 mai 1937, au Congrès de la Fédération du Centre-Est de l’Alliance démocratique, reproduit dans Pierre-Étienne Flandin, Paix et Liberté, Paris, 1938, p. 155-156.
4 AN. F60 625, d. 1, « Les quarante heures dans la métallurgie ».
5 C’est, en particulier, le cas de la chambre syndicale des Mines de Fer. Lambert-Ribot écrit dans sa lettre à Jean Lebas : « La trésorerie des entreprises est généralement dans un état tel que les établissements ne pourraient songer à procéder à des perfectionnements techniques, dans le cas où ceux-ci demeurent possibles ». Idem.
6 Idem. La lettre évoque « la répugnance particulière de l’ouvrier parisien à quitter la capitale où (sic) sa banlieue », ainsi que la souplesse du code américain du fer et de l’acier.
7 En 1919, se combinent la démobilisation, l’amélioration de l’équipement depuis 1913, les commandes de la reconstruction, la présence d’étrangers plus nombreux ; la loi du 9 août 1920 prévoit des dérogations et un calcul sur une longue période.
8 Georges Lefranc, Histoire... op. cit., p. 211.
9 Pierre-Étienne Flandin, Paix... op. cit., p. 154. Les importations connaissent en effet une poussée sensible au premier semestre 1937.
10 Archives aimablement communiquées par M. Claude Ramadier en 1979.
11 Papiers Ramadier. Note « La politique de l’énergie et le sous-secrétariat d’État aux Travaux publics », 28 p. s.d. (mais vraisemblablement rédigée vers août 1937). Il ajoute : « Il ne faut pas que ce secteur abrité soit envahi par l’eau dormante. L’aiguillon d’une menace doit toujours protéger les ouvriers, les patrons, les capitalistes du risque de dessèchement et d’anémie. Il faut sauvegarder la paix du travail, non le sommeil du bureaucrate, du régisseur sans risque ou du rentier ».
12 AN. F60 928, Situation de l’industrie houillère, 21 p. s.a., s.d. Il s’agit en fait du rapport destiné au comité technique n° 3 de l’Enquête sur la production.
13 Idem. Les mines ont servi le plus souvent de point d’appui aux analyses sur les quarante heures, en particulier Alfred Sauvy. Cf. également Jean-Charles Asselain, La semaine de quarante heures et son application, DEA sous la direction de CE Labrousse, 1965, ainsi que ses deux articles dans le Mouvement social, n° 54, avril-juin 1966, et la Revue économique, juillet 1974.
14 Papiers Ramadier, note citée, p. 26.
15 Idem.
16 L’effectif passe de 222 875 à 238 156 en juillet 1937 et 238 307 en août.
17 Papiers Ramadier, note citée, p. 23 bis. Les statistiques fournies par Marcel Gillet (Les charbonnages du Nord de la France au xixe siècle, Paris, 1973) confirment la corrélation.
18 Idem, p. 22 ter et 24.
19 Idem, p. 25.
20 Idem.
21 Idem.
22 Voir infra.
23 Cela converge avec les inquiétudes de Daladier quant à la Défense nationale. Cf. Colloque Édouard Daladier, chef de gouvernement, FNSP, 1975, Paris, 1977.
24 AN. F60 9 28, Roger Auboin, Note sur les conditions générales d’une expansion de l’économie nationale, Économie nationale, 2 octobre 1937, 10 p.
25 AN. F60 424, d. Comité d’enquête à la Production, Travaux du Comité central, déclaration de Camille Chautemps, 7 octobre 1937, 6 p.
26 AN. F60 928, Roger Auboin, note citée.
27 Idem, note citée. Roger Auboin ajoute : « Le fait le plus grave serait que l’économie nationale (...) ne réagit pas suffisamment, même là où les conditions sont favorables ».
28 Présidence du Conseil, Rapport général du Comité d’enquête sur la production (1), JO 16 décembre 1937, p. 13738. Il s’agit de la première partie — la plus importante — du rapport. Elle est également publiée dans l’Agence économique et financière, 19 décembre 1937.
29 AN. F60 424, déclaration citée.
30 Rapporteur général : Ivan Martin.
Source : AN. F60 424, d. cité.
31 AN. F60 928.
32 Idem.
33 Idem.
34 Idem. Rapport du 2 décembre 1937, 18 p.
35 Présidence du Conseil, Rapport... op. cit., p. 13738.
36 Ibid.
37 Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. II, p. 265.
38 AN. F60 928, Rapport du Comité technique n° 1,6 octobre 1937, 18 p. et Comités nos 4 et 5, G. Glasser. La construction électrique, doc. n° 52, 15 octobre 1937, 26 p.
39 AN. F60 424, d. cité, notes sur la séance du Comité central du 27 novembre 1937 au soir (manuscrites).
40 Nul fléchissement n’est mentionné pour la sidérurgie, les constructions navales, les mines de fer, ou les industries métallurgiques et mécaniques en général. Dans la construction électrique, le rapport Glasser signale : « Le rendement horaire individuel n’accuse pas de diminution caractérisée ». L’une des rares estimations évalue à 5 % la baisse du rendement dans les industries aéronautiques.
41 The Banker, juin 1937.
42 Présidence du Conseil, Rapport... op. cit., p. 13741, 2e col. Sur ce point, voir Jean-Charles Asselain, « Les quarante..., » art. cité.
43 JO, Lois et décrets, octobre 1936, p. 11229.
44 AN. F60 424, d. cité, Conclusions du comité d’enquête des industries métallurgiques et mécaniques, novembre 1937, 5 p.
45 AN. F60 928, doc. n° 68, 43 p.
46 « L’inquiétude générale des esprits s’est traduite par certaines attitudes et certaines intransigeances qui, si elles avaient persisté, auraient nui grandement au bon accomplissement de sa tâche ». Présidence du Conseil, Rapport... op. cit., p. 13738.
47 AN. F60 424, d. cité, notes sur la séance du Comité central du 27 novembre 1937 au soir (manuscrites).
48 AN. F60 424, Conclusions du Comité d’enquête sur les industries métallurgiques et mécaniques, 5 p., novembre 1937. Cf. J.-Ch. Asselain, art. cités ; Robert Frankenstein, Le prix... op. cit
49 Idem. Dans certaines constructions électriques, les représentants patronaux demandent 100 heures de récupération et 100 heures pour caractère saisonnier.
50 Idem. AN. F60 928, conclusions du comité d’enquête de l’industrie de la fonderie, 2 p., novembre 1937 ; de la quincaillerie, 2 p., novembre 1937 ; et doc. n° 30, Thibault, note sur l’industrie de la construction navale, 26 p. 1er octobre 1937.
51 AN. F60 928, Métallurgie (4/5e comité), rapport de L. Ferasson, s.d., 5 p.
52 Idem.
53 AN. F60 928, Mines et carrières (3e comité), mines de fer, rapport de L. Ferasson, s.d., 7 p.
54 JO 18 décembre 1937, p. 1209, conclusions du comité d’enquête sur les constructions navales.
55 AN. F60 928, Thibault, doc. n° 30, cité.
56 AN. F60424, compte rendu de la séance du 4 décembre 1937, du comité central d’enquête, 3 p.
57 AN.. F60 928, Marcel Rives, note sur les textiles, 11 p. s.d.
58 Idem, p. 10.
59 Idem.
60 Idem, p. 10.
61 AN. F 424, compte rendu de la séance du 27 novembre 1937 du comité central d’enquête, « conclusions générales ». Il s’agit de notes manuscrites. Ont assisté à cette séance Roger Auboin, Francis Million, Georges Cahen-Salvador, Alexandre Parodi, Ivan Martin (pour l’État), Alexandre Lambert-Ribot et Claude-Joseph Gignoux (pour le patronat), Chevalme (pour la CGT).
62 AN. F60 424, compte rendu de la séance du 4 décembre du comité central d’enquête. Léon Jouhaux est noté présent.
63 Idem.
64 Idem.
65 « D’une façon générale, le recrutement des manœuvres peut être facilement assuré ». Rapport général, JO, 16 décembre 1937, p. 13740.
66 AN. F60 928, doc. n° 68 et Thibault, doc. n° 30 cité.
67 Idem.
68 AN. F60, Francis Hekking, situation de la sidérurgie française, doc. 12, 18 p., 20 septembre 1937. Il signale seulement 200 chômeurs assimilables selon l’Office départemental du placement de Moselle.
69 AN. F60 928, Francis Hekking, doc. n° 68, 33 p., 30 octobre 1937.
70 AN. F60 928, Thibault, doc. n° 30 cité, annexe III, 6 p. 1er octobre 1937.
71 Idem.
72 AN. F60 424, conclusions du Comité d’enquête, industries métallurgiques et mécaniques, 5 p., novembre 1937. « Malgré les réserves formulées à ce propos par certaines délégations ouvrières et abstraction faite des cas particuliers qui pourraient être signalés, il paraît établi que les ouvriers professionnels et spécialistes font défaut. Cette situation, qui nuit à la production et fait persister le chômage puisque l’embauchage d’un ouvrier qualifié entraîne celui de plusieurs manœuvres et manœuvres spécialisés, doit retenir l’attention des organisations patronales et ouvrières, ainsi que celle des pouvoirs publics ».
73 AN. F60 928, conclusions du Comité d’enquête, industrie des métaux non ferreux, 4 p., novembre 1937.
74 AN. F60 424, compte rendu cité.
75 Idem.
76 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
77 AN. F60 424, compte rendu cité.
78 AN F60 928, Comités nos 4 et 5, Roos, situation de l’industrie aéronautique, doc. n° 65, 12 p. Voir également Robert Frankenstein, Le prix..., op. cit., et la thèse d’Emmanuel Chadeau.
79 Idem.
80 Idem. L’auteur du rapport ajoute : « L’accord est donc acquis sur l’ordre dans lequel les problèmes doivent être résolus ».
81 AN F60 928, Francis Hekking, doc. n° 68, 33 p., 30 octobre 1937.
82 Idem.
83 Idem.
84 AN F60 424, compte rendu cité.
85 AN F60 424, déclaration citée.
86 AN F60 424, compte rendu de la séance du comité central du 29 novembre 1937.
87 AN F60 424, compte rendu de la séance du comité central du 27 novembre 1937. Dans le Rapport général, on lit : « La situation actuelle de l’économie française ne pose pas, dans son ensemble, un problème général d’outillage ». JO, 16 décembre 1937, p. 13739.
88 Le Rapport général poursuit : « Mais l’outillage existant doit être utilisé pleinement. En outre, la prudence qui s’impose dans les investissements nouveaux ne doit pas faire perdre de vue l’effort nécessaire d’entretien et de renouvellement, non plus que la recherche des progrès techniques susceptibles d’améliorer le rendement ». Ibid.
89 Ibid.
90 AN F60 928. Résolutions du 3e comité de l’Enquête sur la production, s.d., 6 p.
91 Idem.
92 AN F60 928. Situation de l’industrie houillère, s. a., s. d, 21 p. (p. 16).
93 Idem, p. 18.
94 Idem.
95 Idem, p. 19.
96 Idem.
97 AN F60 928. Résolutions du 3e comité de l’Enquête sur la production.
98 AN F60 928, Comités nos 4 et 5, Jean Bichelonne, L’approvisionnement de la sidérurgie française en minerai de fer, doc. n° 9, 28 p., 15 septembre 1937. Il s’agit du rapport rédigé par le futur ministre de la Production industrielle (de 1942 à 1944), alors âgé de trente-trois ans.
99 AN F60 928, rapport cité.
100 AN F60 9 28, doc. n° 68 cité.
101 Raymond Abellio, Ma dernière... op. cit.
102 AN F60 928, doc. n° 68 cité, p. 6
103 Idem.
104 AN F60 928, Thibault, doc. 30 cité.
105 AN F60 928. Conclusions du Comité d’Enquête. Industrie des métaux non ferreux, 4 p., novembre 1937.
106 AN F60 928, Roos, doc. n° 65 cité.
107 JO, 16 décembre 1937, p. 13739.
108 Ibid.
109 AN F60 928, Thibault, doc. n° 30 cité.
110 AN F60 928, Marcel Rives, note citée.
111 Idem.
112 AN F60 928, Forestier, Rapport du Comité technique n° 1, Agriculture, 18 p., 6 octobre 1937.
113 JO, 16 décembre 1937, p. 13739.
114 Idem.
115 Idem.
116 C’est le cas de Chevalme, à la séance du 30 novembre.
117 AN F60 928, Marcel Rives, note citée.
118 Ainsi, la rubrique « Produire plus, la France le peut » (L’Humanité, octobre 1937).
119 L’Humanité, 4 octobre 1937.
120 IRM, IML 835, V séance du 23 juillet 1937, p. 286.
121 AN F60 928, Forestier, Rapport cité.
122 AN F60 928, Marcel Rives, note citée.
123 Il s’agit de Jean Coutrot, voir supra, ch. XI.
124 JO, 16 décembre 1937, p. 13740
125 Ibid.
126 Ibid, p. 13743.
127 C’est la cas pour les industries métallurgiques pour la sidérurgie, pour l’automobile (à propos de laquelle le rapport rappelle les conclusions du CNE de 1936), pour de nombreux chantiers navals.
128 Il est question, lors des débats du comité central, de reprendre le projet Coutrot d’entente obligatoire.
129 Cf. Robert Salais, Nicolas Baverez, Bénédicte Reynaud, L’invention du chômage, Paris, 1986, 271 p.
130 Cf. infra, chap. XIV.
131 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
132 AN F60 424, Projet de classification des professions, I p., 9 novembre 1937.
133 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
134 AN F60 424, Compte rendu de la séance du 4 décembre du comité central.
135 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
136 Ibid.
137 AN F60 928, doc. n° 44, 4 p., 14 octobre 1937.
138 Idem. Les Écoles d’apprentissage des établissements d’armement recueillent plus de 1 % de l’effectif total.
139 Idem.
140 JO, 13 décembre 1937, p. 1211.
141 AN F60 424, compte rendu cité.
142 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
143 AN F60 424, déclaration citée.
144 JO, 16 décembre 1937, p. 13741.
145 AN F60 424, compte rendu cité.
146 JO. 16 décembre 1937, p. 13741.
147 Ibid.
148 Ibid.
149 AN F60 9 28, doc. n° 64. Conclusions présentées au 4e comité en ce qui concerne la sidérurgie, 6 p., 29 octobre 1937.
150 Idem.
151 AN F60 424, compte rendu de la séance du 27 novembre 1937.
152 Idem.
153 JO, 16 décembre 1937, p. 13742.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Ibid.
157 AN F60 928. Le décret est signé de Chautemps, Bonnet, Queuille et Février.
158 AN F60 424. Conclusions des industries de constructions mécaniques.
159 Cf. supra, chap. XI.
160 JO, 16 décembre 1937, p. 13743.
161 Ibid.
162 Ibid, p. 13744.
163 Ibid.
164 AN F60 928, note citée.
165 .JO, 16 décembre 1937, p. 13744.
166 AN F60 928, Situation...
167 AN F60 928, Rapport cité.
168 AN F60 9 28, Situation...
169 JO, 18 décembre 1937, p. 1215.
170 Ibid.
171 Archives Ramadier. note citée, p. 196-20.
172 Pierre Massé, Aléas et progrès, Paris, 1984, p. 49.
173 JO, 18 décembre 1937, p. 1214-1215.
174 AN F60 928, doc. n° 11, comités nos 4 et 5, Alimentation de la sidérurgie en coke de hauts fourneaux, rapport présenté par la Direction des Mines, 13 p., 20 septembre 1937.
175 Idem.
176 Idem.
177 Idem.
178 AN F60 928, Jean Bichelonne, rapport cité.
179 Idem.
180 AN F60 928, Situation...
181 AN F60 928, Glasser, doc. n° 52 cité.
182 JO, 16 décembre 1937, p. 13739.
183 Idem.
184 AN F60 424, compte rendu cité.
185 JO, 16 décembre 1937, p. 13739.
186 Idem.
187 JO, 16 décembre 1937, p. 1208-9, conclusions de l’industrie de la fonderie.
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