Chapitre XI. Le MEN et la déception d’une attente néo-libérale dans la production
p. 315-364
Texte intégral
1Outre les attentes financières, monétaires et commerciales, l’expérience Blum est — fait moins connu — marquée par le souci d’engager, autour du ministère de l’Économie nationale (MEN), une politique néo-libérale dans la production. Cette tentative, mise en œuvre par de nouveaux experts, puisés essentiellement par Charles Spinasse à X-crise — en particulier Jean Coutrot — et appuyée sur des analyses techniciennes novatrices, combine le souci de rénover des structures préexistantes (SGF, CNE) et d’en créer de nouvelles. Au-delà des innovations juridiques et financières, les propositions d’ordre technique — œuvre du COST de Jean Coutrot — apparaissent comme les plus originales, à la fois dans le domaine macro et micro-économique.
I. LE MEN, LIEU DE RENCONTRE AVEC UNE SECONDE RELÈVE
2La création du ministère de l’Économie nationale coïncide, entre autres aspects, avec l’arrivée dans l’Administration des Finances d’un nouveau type de techniciens, les ingénieurs-économistes1. Charles Spinasse, délaissant les inspecteurs des Finances ou les professeurs de Droit et de science financière, fait appel à plusieurs polytechniciens, et notamment à certains de ceux qui, depuis 1933, se sont réunis à X-crise.
1. Une relève peut en masquer une autre : X-Crise.
3Afin de constituer son modeste État-major, Charles Spinasse — on l’a vu — fait appel à Jacques Branger, qui, lui-même, s’adresse à plusieurs de ses collaborateurs, en particulier Jean Coutrot2. L’un et l’autre, sans être les fondateurs de X-crise, en sont deux des principaux animateurs, peu après sa création en 1931, et son extension en 1933, en Centre Polytechnicien d’Études Économiques (CPEE)3.
• Un cénacle composite à dominante néo-libérale.
4Jusqu’en 1936, X-crise était resté un cénacle de techniciens, qui se voulait à l’écart de toute influence partisane4. Son originalité consistait à rassembler les hommes, majoritairement mais non exclusivement polytechniciens, de sensibilités diverses, dans un débat permanent d’idées sur les questions monétaires, économiques ou techniques. Un auteur a distingué trois courants à X-crise : un courant libéral, un courant collectiviste et un courant centriste5. Encore convient-il de différencier les collaborateurs occasionnels — en particulier ceux qui prononcent une conférence — des animateurs permanents, qui forment le noyau stable de l’équipe. En fait, le courant le plus proche des libéraux est très réduit et peu influent : Jacques Rueff, malgré sa conférence célèbre, est peu assidu, et ne fait pas partie du bureau. Quant à l’économiste Henri Michel, il est de plus en plus marginalisé, jusqu’à sa démission en 1936. Le courant collectiviste, bien que comptant plus tard l’un des fondateurs du groupe, John Nicoletis, n’exerce pas non plus d’influence majeure sur l’activité et les travaux écrits du groupe. On y trouve Marcel Bloch, et, sous la houlette lointaine de Jules Moch, le Centre Polytechnicien d’Études collectivistes (CPEC), avec François Moch, Louis Vallon, Claude Beaurepaire, Louis Rosenstock-Franck et Georges Soulès. Et, parmi eux, à l’exception de Marcel Bloch, la sensibilité communiste est absente. On trouve essentiellement des socialistes ou socialisants de tendances diverses6. En outre, des liens personnels existent entre certains membres de X-crise et des dirigeants du mouvement syndical et socialiste. Il s’agit, le plus souvent, des éléments les plus modérés et réformistes (René Belin et Robert Lacoste prononcent chacun, au début de 1937, une conférence reproduite dans la revue)7. Mais, au total, l’aile gauche du groupe — qui exclut de fait l’extrême-gauche communiste — est marginale, au point que, dans son rapport sur le cycle de conférences de 1935-36, Gérard Bardet, secrétaire-général, signale qu’il est «urgent de lutter contre la désaffection progressive de notre aile gauche syndicaliste »8. En fait, l’équipe qui anime et assure la continuité de l’activité de X-crise — le Bureau et le Conseil du CPEE — est dominé par le courant « centriste », adepte de 1’« économie coordonnée », avec notamment Gérard Bardet, fondateur et secrétaire-général, André Loizillon, également fondateur et trésorier, et surtout Jean Coutrot, qui y exerce une grande influence, du fait de sa prodigieuse vitalité, et de sa participation à de nombreux autres cénacles de réflexion9. Il s’agit, en fait, d’un groupe qu’on pourrait appeler « néo-libéral » dans le sens où il se montre favorable à un certain dirigisme, dans la mesure où ses membres estiment que l’économie libérale — 1’« économie anarchique », aime à dire Jean Coutrot — a fait faillite, et où ils se montrent soucieux de sauver du capitalisme ce qui peut encore l’être.
• L’intervention de l’État ou la part du feu.
5Auguste Detœuf, administrateur de Thomson et président du Syndicat patronal de la Construction électrique, se rattache à ce groupe10. Il résume assez bien, dans sa conférence du 1er mai 1936 — prononcée entre les deux tours des élections législatives — intitulée « La fin du libéralisme », l’état d’esprit de l’équipe dirigeante : « Le libéralisme, tel qu’il a joué au xixe siècle, est mort. Il est inutile de tenter de le faire revivre. Il faut s’adapter à l’état nouveau. Puisqu’il a été bienfaisant (...) il faut tâcher de sauver du libéralisme tout ce qui peut être sauvé. Mais comme on ne peut tout sauver, il faut rechercher ce qui doit être sacrifié en lui (...) c’est une partie de la cargaison qu’il faut abandonner pour ne pas faire naufrage avec le reste »11. Il ajoute que « partout le désastre précède l’intervention », et que les mécanismes, autrefois régulateurs, du libéralisme, sont devenus au contraire des « amplificateurs », des « résonateurs » des déséquilibres, notamment en matière de spéculation ou de surproduction12.
6À propos de cette conférence, une note, retrouvée dans les archives de Jean Coutrot, et écrite probablement de sa main, abonde dans le même sens : « Les réactions du mécanisme économique libéral ne sont plus tolérées par nos sociétés. Le problème est donc, puisque nous sommes d’accord avec M. Detœuf sur le désir de sauver du mécanisme libéral ce qui peut en être sauvé, de rendre ces lois supportables aux hommes d’aujourd’hui »13.
7L’équipe dirigeante de X-crise n’était certes pas sans contact avec les milieux planistes, notamment, à partir de 1934, à travers l’Homme nouveau (dirigé par Georges Roditi), auquel collaborent aussi bien Robert Lacoste, Jacques Dupiol et Jean Coutrot14. Elle partage en partie avec eux l’intérêt pour l’économie mixte, associant « secteur plané » et « secteur libre », le souci d’une « concurrence dirigée »15. Cependant, comme le précise Jacques Branger dans sa conférence de 1935 sur le planisme : « les plans contiennent une extension de l’économie publique. Mais elle ne s’effectue pas forcément aux dépens des progrès de l’économie capitaliste privée »16. La plupart des animateurs de X-crise, à la différence des planistes de la CGT, cherchent à réformer le système capitaliste, sans mettre en avant la perspective — même lointaine — du socialisme. En ce sens, il s’agit d’un courant néo-libéral. Ils en appellent à une certaine intervention de l’État, seulement parce que celle-ci est jugée transitoirement inévitable : « Nous nous plaignons de l’intervention de l’État ; nous avons tort. Elle est inéluctable. Nous ferions mieux d’essayer de l’orienter »17. D’ailleurs, nombreux sont les membres de X-crise qui participent, en 1934, à la rédaction du Plan du 9 Juillet, préfacé par Jules Romains, où transparaît la préoccupation de sauver le capitalisme, en sacrifiant son caractère libéral, au profit d’une certaine dose de corporatisme18. Les critiques à l’égard du capitalisme comme à l’égard du socialisme étatiste, et l’appel à une hypothétique « troisième voie » procèdent, en fait, d’une fausse symétrie, car il s’agit bien d’échapper au second en réformant le premier, à l’aide de l’État.
• Auguste Detœuf et son « plan décennal pour la régulation de l’Économie ».
8Personnalité assez originale, Auguste Detœuf, « enfant terrible » du patronat, représente, de manière à la fois éclatante et très minoritaire dans les milieux patronaux, ce courant réformiste, qui n’hésite pas à faire appel à une certaine intervention de l’État, pour préserver les mécanismes fondamentaux du capitalisme. Il la conçoit comme minimale, et ne devant pas bouleverser la hiérarchie sociale19. Il essaie d’influer sur les décisions du nouveau gouvernement de Front populaire. Quelques jours après sa conférence à X-crise, Detœuf rédige un « essai d’un plan décennal pour la régulation de l’économie », qu’il fait transmettre à Jules Moch, le 19 juin 1936, par l’entremise de Boris Souvarine20. Face à la crise qui est « beaucoup plus d’investissement que de consommation », « le devoir du gouvernement est de régulariser l’Économie », en compensant ce « refus d’investir »21. Pour cela, il propose que l’État élabore et applique un programme de travaux, prévu au départ pour au moins cent milliards de francs sur une dizaine d’années, afin qu’il soit « considéré chacun comme à perte de vue », avec le souci de rétablir la confiance « qu’une activité moyenne est garantie », et désamorcer ainsi l’intérêt de thésauriser. Le financement pourrait en être assuré par des avances de la Banque de France à une « Caisse régulatrice »22. Auguste Detœuf se défend de faire l’apologie de l’inflation, car il précise que le volume des crédits ouverts doit seulement compenser les capitaux thésaurisés, et décroître parallèlement à leur résorption, elle- même prévisible, car la confiance, progressivement rétablie, rendra inutile la thésaurisation. Ainsi, le relais pourra être transmis à l’initiative privée. D’autre part, pour que cette monnaie soit réellement gagée, mais que le programme ne se substitue pas à l’entreprise privée, ni ne lui fasse concurrence, ... « ce que peuvent payer ces travaux doit donc être compris entre une limite inférieure qui est l’amortissement normal et une limite supérieure qui est la rémunération normale du capital »23. La nature des travaux doit être définie pour « satisfaire des besoins populaires que l’économie privée ne satisfait pas ou satisfait trop coûteusement »24. Il cite, en particulier, le logement ouvrier, prévoyant une ceinture de bourgs complets — allant jusqu’à trente kilomètres du centre — bien reliés aux grandes villes, ainsi que l’aménagement social des campagnes. Secondairement, il préconise le financement de « vastes centres de recherches » en sciences exactes, en économie et sociologie, ainsi qu’un programme colonial25. Pour assurer la continuité et ajuster constamment ce programme, il préconise un « service du plan » « tout-puissant », gérant la « Caisse régulatrice », et laissant aux départements ministériels un rôle d’exécution. Ce service devrait constituer un département nouveau, pourvu de services d’études, de contrôle et de commissions consultatives, et agissant en « étroite liaison avec le Conseil national économique »26. Ce programme précise ainsi ce qu’Auguste Detœuf avait évoqué devant son auditoire d’X-crise, en parlant d’intervention de l’État dans le domaine des ... « dépenses non directement rémunératrices, celles qu’il faut faire pour assurer le bien-être social et maintenir la paix »27. Son contenu éclaire également les mises en garde, formulées dans la conclusion de la conférence du 1er mai : « En abandonnant le libéralisme, on ne peut éviter l’État totalitaire qu’en le rendant inutile. Cela exige que tous, et singulièrement les dirigeants de l’Économie, comprennent leur véritable intérêt qui est conforme à l’intérêt public »28. Ces propositions, à la fois hétérodoxes sans être anticapitalistes, ne sont pas écoutées par Jules Moch, membre du même cénacle. Auguste Detœuf, quelques mois plus tard, ne ménage d’ailleurs pas ce dernier dans les Nouveaux Cahiers29. Cependant, même si ce plan est sans lendemain, il témoigne d’un état d’esprit réformiste, novateur, antimalthusien et néolibéral dans une fraction, il est vrai restreinte, du grand patronat. Et il n’est pas sans intérêt que l’un de ses représentants les plus dynamiques fasse ainsi appel au financement public d’un vaste programme d’État, afin de résorber la crise, perçue d’abord comme une « crise d’investissement ». Cependant, par un autre canal, certaines des idées défendues au sein de X-crise allaient pénétrer dans le gouvernement de Front populaire.
2. Jean Coutrot, un polytechnicien autodidacte en économie.
9L’historiographie s’est peu attachée à étudier le rôle de Jean Coutrot en 1936-37, et a surtout retenu de cette personnalité, étrange et fascinante, l’épisode de sa tragique disparition en 1941, mêlé, de manière mythique, à la fiction de la Synarchie, née dans l’imbroglio des rivalités politiques de l’Occupation30. En réalité, la période la plus féconde pour Jean Coutrot fut celle qui s’étend de 1936 à 1939, bien plus que sa participation, somme toute modique, à la politique vichyssoise.
• L’homme des rencontres.
10Jean Coutrot est, déjà en 1936, l’homme des rencontres. Né en 1895, polytechnicien, grand mutilé de guerre, il est à la fois chef d’entreprise, ingénieur-conseil en organisation et responsable d’une chambre syndicale31. Il fréquente les milieux littéraires et artistiques : ses relations, éclectiques, vont des Delaunay à Paul Fort, de Aldous Huxley à Jules Supervielle32. Il affectionne particulièrement la confrontation intellectuelle entre spécialistes différents — on dirait aujourd’hui l’interdisciplinarité — notamment entre scientifiques, ingénieurs, juristes, économistes, responsables d’entreprises ou de syndicats, psychologues, artistes... Il a été d’ailleurs l’un des principaux promoteurs et rédacteurs de cet ouvrage collectif et anonyme (malgré la préface de Jules Romains), le Plan du 9 juillet. Et il collabore à plusieurs revues techniciennes33. Il est l’une des premières recrues de Gérard Bardet, son ami, pour X-crise, dont il est un des responsables les plus actifs du Bureau et du Conseil. Il partage, avec la plupart de ses collaborateurs du CPEE, deux types d’attitudes face à la crise et à la politique déflationniste.
• L’« esprit ingénieur » et l’engouement pour l’OST.
11Tout d’abord, Jean Coutrot tend à faire prévaloir, selon l’expression de Jacques Branger, 1’« esprit ingénieur » sur 1’« esprit financier »34.
12Se considérant à l’origine comme un spécialiste de l’Organisation Scientifique du Travail (OST), il se présente lui-même comme un autodidacte en économie. Mais devant les carences des économistes professionnels, il juge, comme ses collègues de X-crise, que les études économiques ne doivent pas être laissées à des hommes ... « dont la formation est littéraire et juridique (...). Les phénomènes économiques sont trop complexes pour qu’on puisse les traiter en langage ordinaire »35. Il s’en prend à l’establishment de la science financière, notamment à Jacques Rueff, dont il écrit, dans l’une de ses notes manuscrites qu’... « il n’a pas travaillé depuis 5-6 ans, depuis que l’Économique se fait »36. Soucieux d’une approche scientifique des questions économiques, il tire parti de ses connaissances en OST, pour réfléchir sur les coûts et la productivité des entreprises. Membre actif du Comité national de l’Organisation française (CNOF), fondé en 1920 dans les milieux techniciens, il crée en 1935 et anime, sous ses auspices, l’École d’Organisation scientifique du Travail (EOST), et s’intéresse aux travaux de l’Association française de Normalisation (AFNOR). En 1936, il a déjà présenté dans plusieurs opuscules sa conception du « planning » qui, à ses yeux, doit aller au-delà du seul chronométrage des opérations, pour doter l’entreprise d’un véritable « système nerveux »37. Dans un mémoire, présenté à Londres, en 1935, au Congrès d’Organisation scientifique du Travail, il rejette 1’« analyse statique », du type de celle de Taylor, qui « mesure l’effort pour pouvoir le récompenser », au profit de 1’« analyse dynamique », qui « vise la réduction de l’effort avant sa mesure », notamment par la réalisation d’un « film écrit » des diverses opérations38. Dès 1930, devant le CNOF, il a défendu, avec ses amis Hymans et Oppenheimer, l’idée que « le temps de l’ouvrier n’est pas le seul objet, ni le chronomètre le seul instrument »39, et que l’OST exige la collaboration ouvrière. Il cite fréquemment l’exemple de son ami Gérard Bardet, directeur d’une entreprise de machines automatiques, qui, avant 1936, y a institué un «conseil ouvrier», la semaine de quarante heures, les congés payés et une politique de hauts salaires40. Mais, au sein de X-crise, il en vient à étudier des questions qui débordent les problèmes d’organisation du travail, en compagnie notamment de ses amis, les économistes suisses Georges et Édouard Guillaume, s’intéressant aussi bien à la monnaie, aux finances publiques qu’au revenu national. Il est, au début de 1936, l’un des principaux artisans de la création de l’équipe de conjoncture de X-crise, qui consacre plusieurs de ses réunions, auxquelles Alfred Sauvy est convié, à examiner les conditions d’établissement des statistiques économiques, à partir des données de l’Administration41.
• La hantise de la déflation.
13D’autre part, Jean Coutrot partage avec la plupart des fidèles de X-crise la hantise de la déflation42. Il pense qu’une entorse à la loi de Jean-Baptiste Say — sur l’équivalence entre le pouvoir d’achat créé par la fabrication d’une marchandise et la valeur pour laquelle celle-ci est offerte — réside dans l’existence, au sein de la « monnaie totale » — concept emprunté à Georges Guillaume — de la monnaie contractuelle (c’est-à-dire les différentes formes de créances). Il l’évalue, sur un revenu national estimé à 200 milliards de francs, à un total compris entre vingt et vingt-cinq milliards43. Dans la situation déflationniste créée par la crise, il considère que « la fixité des contrats joue un rôle de frein dans l’économie », et déplore « la disette absurde de moyens de comptabilisation »44. L’un de ses proches collaborateurs, Francis Hekking, partage le même avis, dans une étude du printemps 1936 : la déflation est vouée à l’échec, du fait de l’accroissement relatif du poids de l’endettement, du découragement de la consommation, et de l’impossibilité de réduire la totalité des prix45.
• Crise à X-crise ?
14Jusqu’en juin 1936, les animateurs de X-crise essayent de maintenir leur réputation de neutralité politique. Jean Coutrot lui-même n’est affilié à aucun courant politique particulier. Il considère que tous les partis — à l’exception toutefois de l’extrême-gauche communiste — peuvent puiser dans les travaux du CPEE. Il prétend pouvoir dépasser les clivages politiques par une approche scientifique et technique des problèmes. C’était déjà la démarche du Plan du 9 juillet. Plusieurs documents issus de ses archives le montrent cependant proche de certains milieux de l’aile droite et moderniste du parti radical : il publie fréquemment des articles dans la République, et entretient une correspondance amicale avec Emile Roche46. Quoi qu’il en soit, le travail du CPEE lui paraît être une entreprise d’avant-garde. Dans une lettre à Hyacinthe Dubreuil, il confie que ce travail « ... n’est pas encore prêt d’être assimilé et utilisé par les hommes politiques, ni même par les économistes », et il envisage l’écoulement d’une génération, avant qu’il « ne soit digéré et ne serve à orienter la politique économique »47.
15Cependant, ce laboratoire d’idées ne peut échapper aux sollicitations de la conjoncture politique. À la fin de 1935, Gérard Bardet déplore, en particulier à la suite d’une certaine « déception » après la conférence de Charles Rist, une réelle « lassitude » des adhérents vis-à-vis de l’œuvre du CPEE, qui compte, à ce moment, guère plus de 300 adhésions individuelles et d’une douzaine de sociétés. Le secrétaire-général recommande une attitude de « création » et de « coordination », allant au-delà d’une « attitude passive d’organisateur de conférences »48. Les adhésions reprennent au premier semestre 1936 — 415 adhérents individuels et vingt-et-une sociétés en janvier, respectivement 740 et soixante-deux en avril, 786 et soixante-sept en juin49 — en partie grâce à l’intérêt et aux réactions suscitées par les conférences prononcées par Ernest Mercier sur son voyage en URSS, et à la publication de son ouvrage URSS-réflexions, premier volume édité par le CPEE. En juin, la parution du second volume, Socialisme expérimental, écrit par Louis Vallon, entraîne un certain émoi au sein du Conseil de X-crise, à cause d’une initiative de Jean Coutrot : en effet, il a accepté, sans en référer au Conseil, que l’ouvrage soit accompagné d’une bande reprenant un ancien discours de Léon Blum50. Lors de la réunion du Conseil, le 24 juin 1936, Gérard Bardet remet au président, Roland Boris, sa démission de secrétaire-général. Mais Jean Coutrot justifie son geste : « Que nous le voulions ou non, l’œuvre que déjà nous avons accompli au CPEE servira de support aux réformes de structures envisagées actuellement »51. Il se demande comment il est possible que le Conseil observe une prudence totale, alors qu’une « société nouvelle est en train d’accoucher »52. Trop désireux de participer aux grands débats économiques et sociaux, nés des élections et surtout du mouvement de grèves, Jean Coutrot ne peut se limiter à son action à X-crise, d’autant plus qu’il trace, au même moment, de vastes perspectives dans son ouvrage, publié aux éditions du CPEE, L’Humanisme économique.
3. Jean Coutrot et 1’« Humanisme économique ».
16Le 31 juillet 1936, Jean Coutrot fait sortir des presses son ouvrage L’Humanisme économique53. Il a eu le temps d’adjoindre un chapitre liminaire, intitulé « les leçons de juin 1936 », écrit à chaud, au lendemain des grèves.
• Prolonger la « cure psychanalytique » de 1936.
17À propos du mouvement de grèves et de l’Accord Matignon, Jean Coutrot n’hésite pas à parler de « jours historiques », « premiers d’une ère nouvelle », « de transformation de la structure économique et sociale »54. Son étonnement provient du fait que, à la différence de juin 1848, juin 1936 se soit déroulé sans ces « jeux sanglants d’enfants presque barbares », que les usines aient été « habitées », mais qu’il se soit agi d’une « habitation gaie (...) étonnamment pacifique et organisée », dans une « atmosphère de trêve », comme « dans une pièce de Pirandello »55. Cette « habitation » a opéré comme « un traitement empirique ». C’est « la cure psychanalytique de juin 1936 », qui a libéré patrons et ouvriers d’un double complexe : « Cette possession puissante, paisible et provisoire (au sens exact où l’on parle de la possession d’une femme par un homme) (...) a libéré les ouvriers de leur complexe d’infériorité (...) le désenclenchement subit et doux des leviers de commande psychologiques sur leur personnel, a débarrassé les patrons (...) de leur complexe de méfiance et d’autorité »56. Sous réserve qu’on n’assiste pas à « un simili-Versailles après la crainte d’une Commune », et qu’on ne parle pas de « butin arraché », Jean Coutrot voit dans l’Accord Matignon... « une victoire commune remportée par les ouvriers et les patrons (...) sur l’inhumanité et l’anarchie des mécanismes économiques antérieurs », voire « un premier pas, bras dessus, bras dessous vers une société sans classe »57. Il s’agit, selon lui, de consolider les effets de cette « cure psychanalytique ».
• Jouer la carte du réformisme.
18Jean Coutrot conseille au patronat d’accepter les conséquences économiques et sociales de l’Accord Matignon. Économiquement, un certain alourdissement des coûts, du fait des hausses, parfois très sensibles (et même, pour les bas salaires, supérieures au maximum de quinze pour cent, mentionné dans l’Accord) des salaires, accrues par les avantages obtenus (congés payés, semaine de quarante heures). Socialement, ... « le grand fait durable qui s’impose après les journées de juin 1936, c’est l’organisation syndicale de la classe ouvrière, qui sera intégralement groupée dans quelques semaines à la CGT »58. Pour que les chefs d’entreprises, et en particulier ceux des plus petites, puissent supporter plus aisément ces contraintes nouvelles, et afin que se tissent de nouvelles relations sociales, Jean Coutrot précise les propositions de son Humanisme économique. Il présente toute une série de réformes, allant de la constitution d’un réseau d’ententes à une politique de rationalisation, à un « nouveau schéma d’entreprise », et à des tâches nouvelles pour l’État.
• Des ententes antimalthusiennes et la « NSR ».
19À la différence de certaines ententes existantes, celles proposées par Jean Coutrot permettraient d’assurer une collaboration commerciale, financière et surtout technique, afin de faire reposer la baisse des coûts, indispensable pour échapper à la « dévaluation » ou à 1’« autarchie », sur un accroissement de la productivité. Seule la formation d’entente par branche rendrait possible une politique rationnelle de connaissance des prix de revient — alors que, selon lui, la plupart des chefs d’entreprises « travaillent dans le noir »59 — puis de réduction, par le triptyque « normalisation, spécialisation, rationalisation » (« NSR »). Il justifie la normalisation des produits (surtout pour les produits semi-finis), la spécialisation des entreprises dans certains modèles, et la rationalisation par l’adoption des méthodes de « planning », en évaluant à vingt ou trente pour cent la réduction corollaire des coûts, et ceci sans le financement d’investissements coûteux. Il fournit en annexe le procès-verbal de la réunion de l’entente des fabricants de récipients — qu’il a lui-même animée, le 8 juillet 1936, en présence du général Girardeau, directeur-général de l’AFNOR — au cours de laquelle il a fait adopter un programme de « NSR »60. Tout en préférant 1’« euthanasie » des entreprises — par la réutilisation des éléments valables de leur actif — à « la peine de mort économique que constituait la faillite », Jean Coutrot pense que de telles ententes « accélèrent le progrès technique », et résolvent, de la meilleure manière, « le problème des prix intérieurs »61. De plus, la « collaboration ouvrière » est nécessaire « à la bonne marche des ententes », afin d’empêcher que, « par une politique égoïste et à courte vue », elles ne cherchent seulement à maintenir des prix élevés tout en pesant sur les salaires62. Désormais, d’ailleurs, les conventions collectives contraignent des entreprises à diminuer leurs coûts, sans s’attaquer aux salaires. La présence ouvrière doit également se manifester dans des « commissions paritaires » par branche, véritables bureaux des méthodes, destinés à proposer des perfectionnements dans le travail. Jean Coutrot donne aussi en annexe le projet de contrat collectif, élaboré par Gérard Bardet, dans lequel le « Conseil ouvrier » compte parmi ses tâches les questions d’organisation du travail63. Dans la lignée de ses ouvrages antérieurs, Jean Coutrot compte ainsi démarquer l’OST des « chronométrages d’importation étrangères », rejetés de France après d’« innombrables grèves », et, en y associant les ouvriers, leur rendre la « joie du travail »64. Seules les ententes, enfin, permettent d’élaborer des indices par branches, nécessaires à la constitution de prix et de « contrats souples », afin d’échapper aux inconvénients des contrats rigides en situation déflationniste. Elles pourraient également constituer des « fonds communs », destinés à épauler les entreprises — notamment petites et moyennes — en difficulté, comme l’avait suggéré le Plan de la CGT pour l’application de la semaine de quarante heures65. Jean Coutrot envisage également la création d’un corps de contrôleurs, présentant des « garanties de moralité et de compétence », qui veilleraient sur les ententes, dans lesquelles ils n’auraient « ni participation, ni intérêt », avec l’assistance de commissions, comprenant des représentants de l’entente, du personnel, de l’État et des usagers66. À la différence de la procédure suivie par Pierre-Étienne Flandin et Paul Marchandeau en 1935, il souhaiterait que la formation des ententes soit « spontanée ». Cependant, il reconnaît que l’État peut subordonner l’octroi des avances de trésorerie (que le gouvernement Blum a promises, lors du vote des lois sociales) à leur constitution, et qu’il serait préférable que la loi soit ainsi... « suspendue sans tomber au-dessus des têtes obtuses, hésitantes ou défaillantes » : l’État-Damoclès plutôt que l’État-démiurge !67.
• Le système Bat’a : small is beautifui, ou 1’« humanisation » des « entreprises mammouth ».
20Parallèlement, Jean Coutrot propose « un nouveau schéma d’entreprise », où les rémunérations des chefs d’entreprises seraient limitées, et les comptabilités contrôlées par un ordre des comptables. Ainsi, l’on tendrait vers une « économie transparente » : reprenant les termes du Plan du 9 juillet, il fait l’éloge de la « vertu désinfectante de la lumière »68. Le salariat lui-même évoluerait vers une rémunération par contrat d’entreprises, du type de ceux que Hyacinthe Dubreuil cite dans A chacun sa chance. Un groupement d’ouvriers — dont Jean Coutrot a écrit dans De quoi vivre ? qu’ils seraient bientôt tous régleurs69 — négocierait librement avec le chef d’entreprise une somme qu’il se répartirait ensuite. L’entreprise deviendrait ainsi une sorte de « fédération de coopératives »70. Si les PME sont prêtes pour ce « nouveau schéma », il s’agit d’« humaniser » les « entreprises mammouth », « incompatibles économiquement et psychologiquement avec les conditions d’équilibre intérieur et extérieur des individus entre eux »71. Jean Coutrot fait l’apologie du système Bat’a, également étudié par Hyacinthe Dubreuil, où chaque atelier constitue, dans le cadre du plan général de production de l’entreprise, une « unité autorégulée », qui dispose d’un budget spécial et peut même, en amont, s’approvisionner hors de l’entreprise72. Toute entreprise pourrait ainsi devenir une « fédération de petites unités à l’échelle humaine », où le chef serait choisi en accord avec les ouvriers73. Il conviendrait enfin d’assurer une mobilité sociale supérieure, par la promotion interne de certains chefs d’unités au rang des cadres supérieurs, de même qu’il existe dans l’Armée et la Marine des écoles d’officiers réservées à certains sous-officiers. La gestion même des entreprises ne serait plus assurée par la seule possession d’un capital, mais réservée aux ingénieurs et aux bénéficiaires de cette promotion interne. Un tel schéma assurerait « une organisation humaine et rationnelle de l’inégalité »74. Reprenant les conclusions d’un travail de Robert Gibrat — également membre de X-crise — Jean Coutrot affirme que le taux d’inégalité est un « paramètre constant », quel que soit l’échantillon considéré (qu’il s’agisse de moyennes de précipitations ou de niveaux de fortune entre individus). Il suffit donc de définir le taux d’inégalité « normal » entre les hommes, et assurer une organisation de l’inégalité conforme aux « courbes de la sensibilité »75. L’« humanisme économique » propose ainsi une « solution synthétique », qui rejette à la fois « l’inégalité sauvage du capitalisme libéral et la pitance égalitaire » (Hyacinthe Dubreuil)76.
• Une économie mixte et une troisième voie.
21L’économie, grâce au réseau d’ententes contrôlées, à la transparence des comptabilités et des coûts, pourra être « coordonnée ». Il conviendra de faire ainsi coexister « un secteur plané » et « un secteur libre » ; et tout particulièrement de planer « la monnaie totale », afin de préserver l’économie « des réflexes conservateurs des créanciers »77. Comme bon nombre de planistes, Jean Coutrot envisage le contrôle étatique du crédit, pour éviter les comportements déflationnistes, désastreux, selon lui, depuis les débuts de la crise. L’État doit, de plus, assurer « un minimum vital », veiller à favoriser la création d’industries nouvelles à un rythme suffisant pour équilibrer la main-d’œuvre libérée dans les industries anciennes, et « diriger la natalité », en réservant une part des augmentations de salaires aux allocations familiales78. Jean Coutrot présente ainsi un ensemble de propositions micro et macro-économiques d’une troisième voie, distincte du « capitalisme » et du « communisme », « solutions opposées mais également rudimentaires et inhumaines », l’une « déchaînant sans contrôle » et l’autre « supprimant sans discernement » la propriété privée des moyens de production79. Il en propose, quant à lui, « la limitation avec contrôle et coordination », reconnaissant ainsi « la nécessité de sauvegarder les initiatives individuelles, seules vraiment fécondes », du fait de la structure originale de la société française, en particulier l’existence, recensée en 1931, de plus de six millions de chefs d’entreprises80. Ce serait une solution pour résoudre les difficultés des « classes moyennes », et la démonstration du « dépassement » du marxisme81.
• Une « technique moderne de la Révolution » pour en faire l’économie.
22Ce « schéma économique entièrement nouveau », à la fois « anticapitaliste » et « antiétatiste », peut être mis en œuvre « sans gaspillage », « sans contrainte matérielle, presque même sans contrainte morale » ; bien plus, il permet de faire l’économie — dans toutes les acceptions — de la révolution. Coutrot évoque, en effet, la menace d’un double danger : « sans le coup de frein moscovite du samedi 6 juin, quarante-huit heures après, dans la région parisienne, le pouvoir passait aux Soviets : ce qui nous valait une nouvelle Commune suivie d’un Versailles élargi, élargi aussi par Hitler »82. Il ajoute, à titre de mise en garde, à l’adresse des nouveaux responsables du gouvernement : « si l’on veut que la tentative ajournée ne se renouvelle pas, le seul moyen est d’organiser immédiatement l’économie française, les esprits et les cœurs français »83. Cependant, grâce à juin 1936, la France a « la chance extraordinaire, unique, inespérée, à très peu de frais (ni sang, ni flammes, quelques millions de journées de travail perdues) d’avoir (...) un peuple devenu subitement plastique »84. Il pense possible, grâce aux « techniques de suggestions hypertrophiées », de galvaniser le pays par le programme d’humanisme économique, et de mettre ainsi en œuvre une « technique moderne de la Révolution », « sans gaspillage » de vie, de sang ou de richesse85.
23Plus généralement, il en appelle à « constituer les Sciences de l’homme et en dériver les techniques des problèmes humains ». Au même moment (du 29 juillet au 2 août 1936), il réunit diverses personnalités à l’abbaye laïque de Pontigny, afin de rassembler des spécialistes de sciences humaines pour examiner leur « retard » par rapport aux « sciences de la matière inanimée », tenter d’y remédier et accélérer ainsi l’évolution de l’espèce « vers des types humains aussi supérieurs à nous que nous le sommes nous-mêmes aux hommes de (...) Néanderthal »86. Il annonce ainsi l’amorce du Centre d’Étude des Problèmes Humains (CEPH), qu’il crée en 1937 et anime jusqu’à la guerre, en compagnie, en particulier, de Henri Focillon, Aldous Huxley et Georges Guillaume87. Il fixe comme perspective de «fournir, dans le domaine intellectuel, un effort équivalent à celui des Saint-Simoniens dans le domaine matériel »88.
• La productivité, prix à payer pour des réformes paisibles.
24Outre ces vastes aperçus de long terme, Jean Coutrot insiste sur le besoin de faire voter rapidement un projet de loi facilitant la constitution d’ententes destinées « à organiser la production au mieux de l’intérêt général » : « ... c’est là le seul moyen de compenser par une augmentation de la productivité des heures de travail, l’influence sur les prix de revient, des augmentations de salaires et de la diminution des horaires »89. Cette politique de « productivité » apparaît comme un passage obligé pour prolonger la « cure psychanalytique », car c’est « le seul moyen d’améliorer durablement la situation d’une partie des citoyens, les ouvriers, sans entamer ou sans trop entamer celles des autres... »90. Déjà, en 1934, Jean Coutrot soutenait que, contrairement aux « civilisations de type statique », dans les « civilisations de type progressif », connaissant le progrès technique, il était possible de répartir les surplus de production, « sans qu’il y ait dépossession de l’un au profit de l’autre »91. Comme chez Taylor, l’organisation du progrès technique lui apparaît comme le meilleur terrain de la « solidarité de fait » entre producteurs, donc de la fin de leur antagonismes. Il évoque cependant le « formidable effort » à accomplir et ajoute deux conditions : « que les hommes qui montent, les « coming men » ne soient pas grisés par leur puissance toute fraîche et subitement décuplée », et « que les chefs d’entreprises sachent être des chefs tout court, c’est-à-dire suivant le mot de notre ami Detœuf ici-même (...) de grands serviteurs. Pourvu qu’il ne se trouve pas parmi eux — et surtout chez les petits — trop de ces émigrés de l’intérieur qui suivant la phrase terrible n’ont rien oublié, rien appris »92. Comme « son ami » Detœuf, Jean Coutrot en appelle à un ordre nouveau, néo-libéral en ce sens que, tout en amendant techniquement aussi bien les entreprises que leurs rapports à l’État, il ne bouleverserait pas les hiérarchies sociales fondamentales, mais contribuerait, au contraire, à les consolider, face à d’hypothétiques menaces de bouleversement révolutionnaire. Mettre en œuvre « la technique moderne de la Révolution » devrait permettre de faire l’économie ... « [des] barricades, [des] mitrailleuses, [des] exils et [des] tortures [qui] sont des techniques de gaspillage, dignes des peuples les plus primitifs »93. De telles orientations allaient converger avec celles de Charles Spinasse.
25Le passage de gouvernements à direction radicale ou conservatrice à un ministère dirigé des socialistes entraîne ainsi la promotion, non pas tant de techniciens issus du mouvement ouvrier ou syndical — peu nombreux au total, on l’a vu — que celle d’experts d’un nouveau type, promis à un bel avenir, les polytechniciens-économistes. Certains d’entre eux, soucieux d’occuper des fonctions assurées jusque-là par des spécialistes de science financière, tirent parti de l’alternance politique. En retour, le nouveau ministre de l’Économie nationale, pour asseoir son autorité face aux institutions traditionnelles, et en particulier la rue de Rivoli et l’Inspection des Finances, pense s’assurer certains de leur concours, s’appuyer sur leurs compétences, leurs critiques de l’orthodoxie financière et leur intérêt pour les questions relatives à la production ou à l’organisation du travail. À la relève politique va-t-il ainsi se superposer une relève technicienne ?
II. LA RÉNOVATION D’INSTITUTIONS PRÉEXISTANTES : TRANSPARENCE ET CONCERTATION SOCIALE
26Le MEN hérite — on l’a vu — de la direction d’organismes qui lui préexistent. Afin de tendre vers une plus grande « transparence », Charles Spinasse va essayer de contribuer à améliorer l’établissement et la coordination des statistiques économiques, en rattachant, non sans difficulté, à son jeune ministère la vénérable Statistique générale de la France (SGF). Enfin, le nouveau ministre rejoint les préoccupations de Jean Coutrot, en essayant de renforcer et d’impulser la structure de concertation quelque peu somnolente qu’était devenu le Conseil national économique (CNE).
1. Transparence et réforme avortée de la Statistique Générale de la France (SGF).
27Lorsque se forme le gouvernement Blum, Spinasse peut profiter d’une double occasion de réorganiser l’organisme administratif chargé de recueillir et publier les principales statistiques, la SGF. Parvenir à une certaine transparence, notamment en matière de prix, on l’a vu, était l’un des objectifs de l’équipe gouvernementale, en particulier autour de Charles Spinasse.
• « Anarchie administrative » et « complète insuffisance des résultats ».
28Née en 1833, d’une extension du Bureau statistique du ministère du Commerce, la SGF est, dans la seconde moitié du xixe siècle,... « progressivement dépouillée de ses attributions, au point que son pouvoir d’orientation est devenu à peu près illusoire »94.
29En effet, la création successive de services statistiques dans différents ministères — notamment en 1881, à la suite de la création du ministère de l’Agriculture — engendre une certaine confusion. En 1891, l’Office du Travail annexe la SGF, qui est ensuite absorbée par le ministère du Travail, lors de sa fondation, en 1909. Les vicissitudes de la SGF sont, en fait, beaucoup plus tributaires de l’évolution et des rivalités administratives que de préoccupations scientifiques quant à l’établissement de statistiques rigoureuses95. Les tâches essentielles de la SGF apparaissent comme un prolongement des préoccupations administratives de maintien de l’ordre et de contrôle social au sens large. Au début du vingtième siècle, deux missions essentielles lui sont confiées : le « recensement général de la population », qui mobilise l’essentiel de ses forces pour cet exercice quinquennal ; et 1’« observation des prix », signe que le retour périodique des crises ne manquait pas d’inquiéter les pouvoirs publics96. Un décret publié peu après la Première Guerre mondiale, le 18 janvier 1919, définit ces deux tâches. De plus, la SGF rassemble dans ses deux principales publications, l’Annuaire statistique et son Bulletin trimestriel, des statistiques élaborées par d’autres services, et met son matériel technique à la disposition des autres administrations, qui n’y ont d’ailleurs guère recours. Plusieurs ministères, en effet, ont leurs statistiques propres (Agriculture, Air, Colonies, Commerce, Finances, Guerre, Marine, Intérieur, Justice, PTT, Travail, Travaux public, Santé publique), sans même évoquer certains services départementaux ou municipaux de grandes villes. Cette situation entraîne un « manque complet d’homogénéité », marquée par l’existence de doubles emplois (l’Intérieur et le Travail élaborent séparément leurs statistiques de chômage), ainsi que de « redoutables approximations scientifiques », du fait que le personnel chargé d’élaborer les statistiques n’est pas particulièrement formé à cet effet97. Une note, rédigée en 1935 pour la présidence du Conseil à partir des renseignements fournis par la SGF, signale l’existence de seulement trois administrations véritablement spécialisées dans les travaux statistiques : les Finances, avec le Bulletin mensuel des Douanes, la Justice et l’Agriculture — bien que la note ajoute que la totalisation des renseignements locaux soient « établis avec l’empirisme le plus burlesque »98. Et la note résume ainsi la situation : « Le fonctionnement des services statistiques est probablement un des meilleurs exemples d’anarchie administrative aboutissant à une complète insuffisance de résultats »99.
• L’amorce de la réforme Simiand.
30Devant l’impossibilité pour la SGF d’exercer une véritable coordination et pour le gouvernement d’obtenir des informations sous une forme pratique et sûre, plusieurs voix se sont fait entendre pour obtenir une réforme. En 1920, la Société de Statistique de Paris et le Conseil supérieur de Statistique, puis, en 1932, François Simiand — grâce à un rapport devant le Conseil national économique — réclament une réorganisation100. Ils vont être partiellement écoutés, lors de la réforme mise en œuvre avant 1936. Peu après la création de la présidence du Conseil, une loi du 24 décembre 1934 lui rattache la SGF, afin de lui procurer l’autorité administrative indispensable pour opérer la centralisation des divers services statistiques, et pour s’imposer aux organismes privés éventuels qu’il faudrait solliciter. Les déboires de l’enquête industrielle de 1931, pour laquelle un quart seulement des réponses fournies par les employeurs s’était révélé utilisable, avaient incité à renforcer le prestige et l’image de la SGF à l’extérieur101. Mais c’est sous le gouvernement Laval, lors de la réorganisation du ministère du Commerce, qu’un décret, daté du 30 octobre 1935, envisage une véritable centralisation et coordination de la documentation statistique, sous l’autorité d’une SGF revigorée. À cette occasion, les services de Matignon, afin d’informer le ministre, rassemblent des renseignements et font un constat sévère, comme en témoigne la note citée plus haut.
31Le décret prévoit en particulier le renforcement du Conseil supérieur de Statistique — organisé par un décret remontant au 19 février 1885 avec des pouvoirs purement consultatifs — dont les avis jusqu’alors étaient restés le plus souvent sans effet. Désormais, le Conseil devra examiner, en collaboration avec les représentants des administrations pourvoyeurs de renseignements — toujours sourcilleux quant à leur indépendance — les solutions nécessaires, afin de proposer une certaine unité de vues pour le développement des travaux statistiques. La SGF, devenue organe d’exécution du Conseil, peut avoir recours à l’autorité du président du Conseil pour opérer cette centralisation. Mais cette réorganisation reste lettre morte : à l’été 1936, les membres du Conseil supérieur de Statistique, malgré des propositions présentées dès décembre 1935, ne sont toujours pas désignés102.
• « Un mélange d’archaïsme et d’avant garde ».
32L’organisation intérieure de la SGF présente une série de faiblesses qui l’entravent pour réussir la réorganisation souhaitée. Elle compte, en 1936, environ cent trente personnes — soit presque vingt fois moins que l’organisme équivalent en Allemagne, et cinq à six fois moins que ceux des autres pays européens — et dispose d’un budget de 3,4 millions de francs. La qualité des statisticiens chargés des services d’études et de recherches n’est pas suspectée. Recrutés par un concours de niveau élevé — comprenant des épreuves de mathématiques (niveau de la licence), de calcul de probabilités, de statistiques théoriques, de géographie économique et d’économie politique, et exigeant la connaissance obligatoire de l’allemand et de l’anglais — ils disposent d’une réputation solide en France et à l’étranger. Mais leur nombre se limite à une dizaine de personnes, une trentaine en incluant aides et techniciens, sans qu’il n’y ait de dessinateurs103. Le personnel d’exécution, regroupé dans l’atelier de dépouillement et de calculs statistiques, situé 97 quai d’Orsay (alors que les services d’études et de recherches se trouvent 172 rue de l’Université), ne représente pas non plus un effectif suffisant : une centaine de salariés, dont cinquante-six « dames- classeuses » et quatorze « dames employées ». Le syndicat du personnel de la présidence du Conseil, affilié à la Fédération des fonctionnaires CGT, se plaint auprès du ministre, à plusieurs reprises, du fait que les concours administratifs pour accéder aux emplois de la SGF sont d’un niveau supérieur à ceux qui permettent d’occuper les postes correspondants des autres administrations : le concours des « dames-classeuses », par exemple, est sensiblement plus exigeant que celui des dactylographes104. Il s’ensuit des difficultés de recrutement, tempérées toutefois par la réunion des heures de travail en une vacation unique, adoptée pour raison de service et appréciée par le personnel, presque exclusivement féminin. Le cloisonnement rigide entre catégories ne facilite pas non plus la bonne marche du service, d’autant plus que la hiérarchie des salaires a été écrasée à la fin des années vingt. De plus, comme le reste de l’administration, le service est touché par les mesures de déflation. En outre, le matériel mécanique est démodé. Bien qu’améliorés par la commande électrique au début des années 1930, les classicompteurs March — du nom de Lucien March, directeur de la SGF jusqu’en 1920 — datant de 1900, forment encore la plus grosse part de l’équipement. La SGF ne dispose que d’une demi-douzaine de perforatrices et d’une seule trieuse Powers, là où les offices étrangers en comptent plusieurs centaines. En 1935, Michel Huber, successeur de Lucien March, souligne dans une lettre au président du Conseil, à la fois les besoins et les obstacles à leur satisfaction : « Il faudrait que cet atelier soit renforcé et muni de machines modernes ; mais des crédits importants seraient nécessaires »105.
33De plus, le caractère périodique de certaines tâches souligne l’insuffisance des effectifs. À l’été 1936, Michel Huber se plaint auprès de Jules Moch du manque de personnel pour dépouiller les quatre à cinq cents tonnes de documents du recensement du 8 mars 1936, qui s’entassent à la SGF à partir de juillet. Ce dernier refuse tout recrutement, afin d’éviter des licenciements ultérieurs106. Pourquoi une telle pénurie de moyens ?
34Dès 1936, Alfred Sauvy répond que, en économie et en statistiques, ... « les profanes ne reconnaissent pas aux initiés la compétence que, dans d’autres matières, ils ne songent pas à disputer aux spécialistes »107. Le député SFIO, Paul Rives, chargé, en novembre 1936, de rapporter, pour la commission des Finances, le budget de l’Économie nationale, voit également dans la méfiance à l’égard de la statistique... « la crainte d’un contrôle qui interdirait l’espoir, même aléatoire et toujours démenti par le chaos actuel, d’un surprofit, fondé sur l’ignorance du législateur ? »108. Jean Coutrot dénonce, de son côté, la volonté de conserver le secret des prix de revient, ce qui freine l’amélioration technique de la production. Il ajoute d’ailleurs que, aux États-Unis, le secret des comptabilités est largement abandonné. Et Alfred Sauvy souligne le caractère contradictoire de la démarche de certains syndicats patronaux, qui interviennent auprès du ministère du Commerce pour obtenir une protection par contingentement, tout en manifestant des réticences à livrer des chiffres sur les variations de la production109. Le souci de transparence, exprimé par les responsables du gouvernement Blum, les conduit à envisager de poursuivre la réforme de la SGF, engagée avant 1936, mais non sans maladresse.
• 1936, année noire pour la SGF ?
35Un événement fortuit, la retraite du directeur, Michel Huber, entraîne, à deux reprises, un conflit entre le Conseil de la SGF et Matignon. Alfred Sauvy, dans plusieurs ouvrages, a raconté l’épisode de l’automne 1936, mais il avait été précédé par un premier incident, au printemps110. Le décret de mise à la retraite de Michel Huber est signé le 1er mai 1936, par Albert Lebrun et Albert Sarraut. Un mois auparavant, la présidence du Conseil a convoqué le Conseil de la SGF à Matignon, afin de recueillir son avis pour la nomination du successeur, selon la procédure en vigueur. La réunion, prévue originellement pour le 8 avril, est reportée le 8 mai. Les services d’Albert Sarraut, qui n’ont proposé personne au début d’avril, soumettent peu après au Conseil le nom de M. Proteau, docteur en droit, avocat et ancien préfet111. Le 8 mai — soit cinq jours après le second tour des élections, alors que le gouvernement Sarraut expédie les affaires courantes — huit des onze membres du Conseil de la SGF se réunissent, sous la présidence de Clément Colson, et examinent la candidature proposée. Or, les représentants sont unanimes pour rejeter le nom de M. Proteau, et proposent celui de Louis Dugé de Bernonville, sous-directeur, qui, par délicatesse, a préféré ne pas participer aux délibérations. Albert Sarraut ne tranche pas le différend, qu’il lègue ainsi à Léon Blum. Dans l’intervalle, Michel Huber continue à exercer ses fonctions. Le 2 octobre, Jules Moch convoque le Conseil pour le 7 du même mois, afin d’obtenir son avis sur la candidature d’André Fourgeaud. Il est effectivement nommé directeur par décret du 22 octobre 1936, contre l’avis du Conseil. Alfred Sauvy a conté, non sans humour ni férocité, « le typhon sur un îlot » qu’aurait déclenché cette nomination aussi malencontreuse que peu souhaitée par les statisticiens en place112. Il la relie à l’assassinat, demeuré encore mystérieux à ce jour, de l’économiste Dimitri Navachine, ami de Charles Spinasse.
36Quelques semaines plus tard, un nouvel incident oppose la SGF à Matignon. Un décret, daté du 26 novembre 1936, place les services de la SGF sous la direction du ministre de l’Économie nationale, « par délégation du président du Conseil »113. Quelques jours après, une lettre, signée d’André Fourgeaud et adressée à Léon Blum, mentionne les « inconvénients graves » du transfert au MEN, en particulier le fait qu’il... « remet en question tous les progrès accomplis vers la coordination et la centralisation des données »114. Les enquêtes menées sous le couvert de la présidence du Conseil, selon les orientations suggérées par le rapport Simiand et mises en œuvre par le décret du 30 octobre 1935, offraient la garantie maximale de discrétion pour les organismes privés et le public « obsédé par la hantise de l’inquisition fiscale ou militaire »115. Il y est aussi signalé que le MEN risque de sacrifier les « études de longue haleine » à la fourniture d’« informations régulières et rapides ». Jules Moch, qui a reçu la lettre, note en marge : « on ne changera rien »116. Un décret en Conseil d’État signale, le 14 mars 1937, que la direction de la SGF et de la documentation est placée sous l’autorité du président du Conseil, qui délègue ses pouvoirs au ministre chargé de l’Économie nationale. Le conflit va rebondir en juillet 1937, avec la suppression du MEN.
2. La réorganisation du Conseil national économique (CNE) : la déception d’une attente de concertation sociale.
37L’article trois du décret du 19 juin 1936 fixait parmi les attributions du ministre de l’Économie nationale toutes les questions intéressant le Conseil national économique. Comme dans le cas de la SGF, Charles Spinasse reçoit ainsi, par délégation du président du Conseil, la direction du CNE.
• « Des débuts laborieux et hésitants ».
38Proposé par la CGT, en 1918, dans son programme minimum, le CNE devait représenter, pour les dirigeants de la Confédération ouvrière, l’organe majeur de collaboration, qui aurait permis de prolonger certaines pratiques de « présence » dans l’État éprouvées, notamment au ministère de l’Armement, lors du premier conflit mondial. Il faut attendre la victoire du Cartel des Gauches pour qu’un décret (du 16 janvier 1925) consacre la création du nouvel organisme. Le rapport au président de la République, qui accompagne le décret, définit le CNE comme un organe consultatif « ... destiné à étudier les grandes questions intéressant la vie économique du pays », composé de « représentants désignés librement par les organismes professionnels ou sociaux les plus représentatifs ». Son rôle était conçu comme celui d’un « centre de résonance de l’opinion publique »117. Les organisations « les plus représentatives » sont chargées, aux termes d’un arrêté du 9 avril 1925, de choisir les quarante-sept titulaires et quatre-vingt-quatorze suppléants composant le CNE dans trois grandes catégories de groupements : neuf pour ceux de la Population et de la consommation, trente pour ceux du Travail et huit pour ceux du Capital118. Composé de diverses commissions, et surtout d’une Commission permanente — comprenant le secrétaire-général, les quatre vice-présidents et dix membres élus — le CNE confie le plus souvent les rapports à rédiger à des hauts fonctionnaires, issus généralement du Conseil d’État, de l’Inspection des Finances ou encore à des ingénieurs des Ponts et Chaussées, des Mines ou du Génie rural. Sa fonction relève à la fois de l’expertise technique et de la concertation sociale, avec un caractère consultatif, même s’il peut être associé au travail législatif et peut formuler des recommandations, qui, lorsqu’elles sont votées à une majorité des deux tiers des membres présents, doivent provoquer une réponse du gouvernement dans le mois qui suit.
39Pendant les dix années qui précèdent 1936, le CNE a adopté plusieurs séries de rapports. Avant la crise, sur le problème du logement et sur le problème de l’outillage national119. À partir de 1930, le CNE lance une grande enquête sur « la situation des principales branches de l’économie nationale », dont une vingtaine de rapports ont été adoptés en 1936. En outre, des rapports sont destinés à répondre aux demandes d’avis du gouvernement sur des questions nationales (le chômage, en 1931 ; la révision du programme de lignes de chemin de fer, en 1930 et 1932 ; l’industrie de la construction navale, en 1930 ; l’organisation de la documentation économique et statistique en 1932 — le rapport Simiand déjà évoqué) ou internationales (préparation au questionnaire pour la Conférence de Genève sur une action économique concertée en 1930 ; réponse au questionnaire de la SDN en 1931 sur la crise ; rapport — non publié au JO — sur les grands travaux publics internationaux en 1931 ; rapport préparatoire à la Conférence économique internationale en 1933)120. Jusqu’à 1936, selon la plupart des observateurs, le CNE s’est limité à ce rôle d’études et de recommandations, dont les conclusions n’ont guère été écoutées par les gouvernements, ne sont parvenues que très partiellement jusqu’au Parlement, et encore moins à l’opinion publique.
• La loi du 19 mars 1936 et son application par le gouvernement Blum.
40Jusqu’en mars 1936, le CNE ne peut se prévaloir d’aucune sanction législative, un article — le 134e ! — de la loi de Finances du 6 avril 1926 n’ayant défini qu’une organisation provisoire. À la suite de deux projets de loi — en novembre 1927, sous le gouvernement Poincaré, et en janvier 1933, sous celui de Paul-Boncour — c’est en fait Paul Ramadier, alors néo-socialiste, qui, nommé rapporteur spécial par la Commission de la Réforme de l’État, présente en 1934 dans un rapport, assorti d’un rapport complémentaire, le projet, dont est, en grande partie, issue la loi du 19 mars 1936121. Cette loi définit l’organisation nouvelle du CNE : l’article quatre prévoit une assemblée générale composée de représentants de vingt sections professionnelles (dont cinq pour l’agriculture, neuf pour l’industrie, une pour les transports, deux pour les commerces, une pour le crédit et la banque, une pour les professions libérales et une pour les services publics), ainsi que de représentants des vingt régions économiques, de douze représentants d’organisations nationales (un tiers pour les chefs d’entreprises, un tiers pour les organisations de travailleurs, un tiers pour les organisations agricoles)122. Plusieurs décrets, adoptés sous le gouvernement Blum, en définissent les conditions de fonctionnement123. La liste des membres de l’Assemblée générale est publiée au Journal Officiel, le 3 octobre 1936. La première séance se tient le 23 octobre, sous la présidence de Léon Blum, assisté de Charles Spinasse. Le MEN hérite donc du mouvement de réformes engagé en 1934. Or, il se trouve que le CNE ainsi réorganisé va trouver une nouvelle raison d’être après le vote des lois sociales de l’été, et que sa fonction va converger avec certaines des orientations du nouveau ministre.
• Un organisme de concertation et d’éducation pour une économie transparente.
41Avant même sa réorganisation, le CNE s’était manifesté en faveur de nouvelles règles de concertation sociale. Au cours de l’enquête sur les différentes branches de la production, les membres du CNE examinent en particulier la condition des salariés et entreprennent, à partir de la fin de 1933, une réflexion de synthèse sur l’organisation du travail. Après l’audition de plusieurs représentants ouvriers et patronaux, le 30 novembre 1934, le CNE adopte à la quasi-unanimité des votants, y compris les délégués du patronat, des conclusions favorables à la généralisation des conventions collectives librement conclues. Le CNE, et, en son sein, le rapporteur sur la question des conventions collectives, Pierre Laroque, auditeur au Conseil d’État, s’affirment pour le « développement d’une morale de la convention collective », grâce à des accords qui « résultent de volontés libres et non de contraintes imposées »124. Une telle démarche rejoignait celle de Jean Coutrot, dont les idées, comme celles que Gérard Bardet appliquait dans son entreprise, étaient d’ailleurs connues du CNE125. Jusqu’à cette date, les conventions collectives de travail, dont le caractère légal, mais non obligatoire, était consacré par la loi du 25 mars 1919, n’intéressent que quelques branches (mines, livre, boulangerie, industrie des transports maritimes, dockers, cuirs et peaux...) et une part infime des salariés du commerce et de l’industrie, estimée à 7,5 % du total par Pierre Laroque dans son rapport de 1934. Cependant, les conclusions du CNE ne sont pas, jusqu’en juin 1936, entendues, en particulier par le patronat, qui désavoue ses représentants et demeure hostile aux conventions collectives.
42La loi du 19 mars 1936 renforce toutefois l’organisation du CNE dans sa composition paritaire — les sections professionnelles, sauf celles de l’agriculture, sont paritaires — et il entre désormais dans sa compétence de surveiller les conventions collectives de travail et les ententes économiques126. D’une manière générale, avant même la vague des réformes de l’été 1936, le CNE dispose d’attributions réelles pour déterminer les modalités d’application des lois sociales nouvellement adoptées. Mais, plus que les modifications de son statut, ce sont les grèves de mai-juin 1936, la signature de l’Accord Matignon, le vote des lois sociales et l’afflux d’adhésions à la CGT, qui transforment les conditions d’intervention du CNE. Lors de l’assemblée générale inaugurale du CNE rénové, le 23 octobre 1936, son secrétaire-général, le conseiller d’État Georges Cahen-Salvador célèbre 1’« atmosphère nouvelle », qui peut se dégager des relations entre les partenaires sociaux. Rejoignant des préoccupations exprimées par Jean Coutrot, il souligne l’importance du rôle du CNE pour construire une économie transparente et rendue plus pacifique par 1’« éducation des producteurs, des intermédiaires ou des consommateurs », alors que « les oppositions (...) ne sont dues qu’à une ignorance des faits, à une méconnaissance des méthodes, ou à un insuffisant apprentissage de la solidarité »127. Il rappelle, à l’adresse du patronat :... « certains n’ont pas su comprendre, ici, en temps utile l’urgence des solutions et la nécessité des accords. Si, plus clairvoyants, ils avaient voulu prendre les initiatives que comportaient leurs responsabilités de chefs, leur attitude eût sans doute évité à la France les soubresauts de ces derniers mois »128. Tout en condamnant « l’intervention incessante de l’État dans l’économie nationale », il la considère comme... « nécessaire, si cette discipline indispensable ne se réalise pas spontanément pour substituer l’action collective à l’effort dispersé », l’État n’ayant qu’un « rôle d’inspirateur, de guide, de contrôleur, d’arbitre »129. Le CNE doit donc devenir un « Parlement professionnel », consulté, entendu, mêlé à la préparation des textes, et qui ne sera « l’expression ni d’un étatisme direct (...) ni d’un corporatisme que les régimes d’autorité ont soumis à leur contrôle exclusif »130. Au-delà de ces intentions néo-libérales d’une troisième voie, l’efficacité même du travail de concertation sociale du CNE dépend, au premier chef, de l’évolution des relations entre partenaires sociaux, et de leurs réactions, lors de l’application des lois sociales. Les sections professionnelles du CNE sont désormais consultées pour l’application de deux lois de juin 1936, celles portant sur les quarante heures et sur les conventions collectives. Et, à partir du vote de la loi du 31 décembre 1936, elles sont également sollicitées pour avis dans la procédure de conciliation et d’arbitrage.
• Pour une « morale de la convention collective ».
43La loi du 24 juin 1936 apporte, par rapport à celle de 1919, deux éléments nouveaux : elle consacre la place des syndicats « les plus représentatifs », et prévoit l’extension possible des conventions, au point de les rendre obligatoires pour tous les salariés et employés d’une profession. Dans ces deux transformations, le CNE joue un rôle de concertation explicitement prévu. Dès 1934, le CNE — y compris les représentants patronaux en son sein — avait admis que les conventions collectives devaient étendre au domaine des conditions de travail les méthodes appliquées par les ententes aux conditions économiques. On retrouve là des idées exprimées par Jean Coutrot, selon lesquelles la concurrence entre entreprises ne doit pas s’exercer au détriment de la condition des salariés. Mais la généralisation des conventions supposait l’existence de groupements syndicaux suffisamment représentatifs. Or, le CNE, lors de sa réforme, a dû recenser les différents types d’associations, pour constituer les sections professionnelles le composant. Même si la détermination de l’organisme le plus représentatif donne lieu à des difficultés fréquentes, l’afflux d’adhésions à la CGT réunifiée la consacre généralement comme interlocuteur du côté des salariés, avec l’aval des représentants patronaux du CNE. D’autre part, selon la procédure légale, le ministère du Travail est sollicité dès 1936 par plusieurs centaines de demandes d’extension de conventions. Or, l’avis de la section professionnelle compétente du CNE est nécessaire, si bien que l’examen des conventions à étendre devient l’une de ses principales activités. À la fois principal artisan de l’extension des conventions et image vivante, par sa composition et son fonctionnement, de la concertation sociale, le CNE aurait pu ainsi devenir le garant de cette nouvelle « morale de convention collective », et servir de « Parlement consultatif » au MEN131.
44Mais la conclusion des conventions collectives se heurte vite à de multiples difficultés, au second semestre de 1936. Le renouvellement de la direction de la CGPF et les reproches formulés, du côté patronal, à l’égard des signataires de l’Accord Matignon marquent un durcissement132. La dévaluation de septembre, la hausse du coût de la vie à l’automne engendre une certaine méfiance ouvrière et de nouvelles grèves. La loi monétaire du 1er octobre prévoit, afin de compenser l’érosion des augmentations de salaires, une procédure d’arbitrage obligatoire pour réviser leurs taux fixés dans les conventions collectives ; le CNE est obligatoirement consulté pour avis133. Il s’agissait d’une tentative pionnière de procédure de solution pacifique des conflits sociaux, si l’on excepte la « loi falote et timide du 27 décembre 1892, dont l’application a montré l’insuffisance »134. La procédure comportait une limitation au droit de grève, qui fut acceptée par la CGT, dont le revirement de position a été net à ce sujet. Elle impliquait parallèlement un certain empiétement sur l’autorité patronale135. Une négociation entre représentants des salariés et du patronat est alors conduite, sous la présidence de Jules Moch. Un texte commun est établi, le 30 novembre 1936, mais il n’y a pas de « second Accord Matignon », car la CGPF désavoue ses négociateurs et rompt les pourparlers136. Le gouvernement supplée l’absence de concertation spontanée, par la loi sur la conciliation et l’arbitrage, adoptée à la Saint-Sylvestre de 1936. Tout en manifestant son intention de faire cesser les grèves, Léon Blum, lors du débat au Sénat, évoque l’existence, au sein d’une partie du patronat, d’« un esprit de résistance devant nos efforts de conciliation », ainsi que... « la conviction qu’au moment du trouble et de la crise de juin, des concessions excessives leur ont été arrachées soit au point de vue des avantages matériels, soit surtout (...) au point de vue de leur autorité »137. Il signale aussi le désaveu des représentants patronaux du CNE par leurs mandats, quant à la représentativité de la CGT.
45La loi tente de fixer des principes, afin d’éviter les inconvénients des procédés de pur fait (recours à des commissions mixtes, ou à l’arbitrage du maire, du préfet, voire du ministre lui-même) employés depuis juin 1936. Lourde, la procédure prévue comporte trois phases successives éventuelles (conciliation par une commission paritaire présidée par le préfet ; arbitrage par désignation d’un arbitrage de chaque partie ; surarbitrage par désignation d’un surarbitre, à partir d’une liste établie par les deux parties). Dans tous les cas, le CNE devait donner son avis, avant déclenchement de la procédure. Du vote de la loi jusqu’à la chute du gouvernement Blum, les sources de conflit sont assez limitées et les grèves beaucoup moins nombreuses qu’en 1936. Jules Moch signale, à partir des statistiques du ministère du Travail, l’efficacité de la loi138. Mais les travaux liés à l’Exposition donnent lieu à des différends plus sérieux, marqués par des renvois de délégués ouvriers et des atteintes à la liberté du travail. Et certaines sentences surarbitrales, prononçant la réintégration de délégués, ne sont pas respectées. La procédure, limitée à l’origine à la durée de la session parlementaire, ne suscite pas de trop grandes difficultés, qui vont commencer surtout après la chute du gouvernement de Léon Blum. Parmi les surarbitres désignés, beaucoup sont des hauts fonctionnaires, qui avaient déjà été sollicités pour des rapports du CNE et qui, malgré leur approche juridique, pouvaient s’appuyer sur une certaine expérience de concertation sociale au sein du Conseil139.
46Ainsi, malgré la direction formelle du ministère de l’Économie nationale, le CNE est davantage accaparé par des tâches de conciliation sociale, que par l’examen de réformes économiques, d’ailleurs peu abondantes après la vague de l’été 1936. Les principaux rapports adoptés à l’été 1937 ont d’ailleurs pour objet le chômage. Le CNE pouvait être l’agent majeur et l’incarnation même de la concertation sociale. Mais son impact dépendait largement de l’autorité des représentants des partenaires sociaux auprès de leurs mandants. Or, le désaveu patronal de novembre 1936 ne pouvait manquer d’inquiéter ceux qui, au CNE et au MEN, auraient souhaité une entente contractuelle, et avaient dû se résigner à ce que le gouvernement, par la loi du 31 décembre, lui supplée une conciliation provoquée par une réglementation. Le CNE, tout en participant à cette nouvelle jurisprudence de concertation sociale, ne pouvait exercer son autorité tant qu’il n’existait pas, en particulier dans une fraction du patronat, cette « morale de la convention collective », à laquelle il avait fait officiellement appel, dès 1934.
III. L’APPROCHE JURIDIQUE ET FINANCIÈRE : DES INNOVATIONS SANS EFFET IMMÉDIAT
1. L’approche financière.
• La loi Spinasse : procédure nouvelle et résultats limités.
47La loi du 19 août 1936, dite « loi Spinasse », envisage des avances exceptionnelles aux petites et moyennes entreprises, afin de les aider à faire face aux charges sociales accrues (titre I de la loi) ou aux difficultés d’exporter (titre II). L’attribution de ces avances se décide à deux niveaux : un comité départemental de huit membres auprès de chaque succursale de la Banque de France, pour l’octroi de prêts inférieurs à 100 000 F ; un Comité central des Prêts auprès de la Banque de France, pour ceux qui excèdent cette somme140. Le prêt se présente sous la forme d’effets souscrits à l’ordre des Banques populaires, endossés par la Caisse centrale des Banques populaires et réescomptables par la Banque de France. La charge totale pour le Trésor fut faible, et même nettement inférieure aux prévisions : sur près de 1,5 milliard de francs sollicités par presque 18 000 demandeurs (dont environ 16 000, au titre I de la loi), il y eut un peu plus de 1,2 milliard de prêts effectifs141. La plus grande part a été accordée au titre des charges sociales : pour 14 350 entreprises sur presque 16 000, soit quatre-vingt-dix pour cent. Parmi elles, plus de 11 000 entreprises (essentiellement des petites entreprises, industrielles beaucoup plus que commerciales) ont reçu des prêts inférieurs à 100 000 F, pour un total de onze millions. En revanche, moins de dix pour cent des entreprises, les plus grosses, se sont partagé près de quatre-vingt-dix pour cent de l’ensemble des sommes versées. Si les PME ont numériquement été les plus nombreuses à profiter de la loi, financièrement, elles n’ont pas obtenu la majeure partie des crédits142. Plus de quatre-vingts pour cent des demandes ont été satisfaites. Cependant, les conditions d’octroi étaient relativement rigides : délais de demande assez rapprochés (16 octobre pour le titre I, 30 novembre pour le titre II), délais de remboursement très serrés (échéance de trois mois, deux fois renouvelables, soit un total de neuf mois), montants strictement limités à six pour cent de la masse salariale payée entre le 1er juillet 1935 et le 30 juin 1936 (ou cinq pour cent de la valeur des produits exportés entre ces mêmes dates, pour le titre II de la loi), taux d’intérêt peu intéressants (identiques au taux d’escompte de la Banque de France)143. Au total, très peu d’entreprises ont sollicité des avances (à peine plus d’un pour cent du total des entreprises industrielles et commerciales). Outre la rigidité des conditions d’octroi, un auteur évoque la réticence des chefs d’entreprises à exposer leur situation de trésorerie devant un comité, où siègent notamment des représentants de l’administration des Finances144. Des observateurs de l’époque ont également souligné le fait que ces mêmes représentants n’étaient guère habitués à accorder des avances dans un but social, en particulier à des PME. On trouve d’ailleurs dans la presse des plaintes devant des réticences administratives. C’est à ce propos que Jacques Duclos rappelle, devant les députés, le mot de Barthou : « Le gouvernement est à l’administration ce que la volonté est à l’habitude »145. La faiblesse du résultat, tout en soulignant la difficulté de toucher les PME par des mesures d’aide financière, ne peut cependant masquer la nouveauté : la volonté d’épauler une politique de réformes sociales par des avances de trésorerie.
• La Caisse nationale des Marchés de l’État (CNME) : l’organe sans la fonction.
48En ce même 19 août 1936, une loi institue la Caisse nationale des Marchés de l’État (CNME). Destinée à faciliter le développement des marchés publics, en particulier le programme de Grands Travaux, la Caisse est avant tout chargée d’apporter sa garantie aux avances consenties sur nantissement de marchés de l’État. En recours, elle peut procéder à l’acceptation des traites, mais sous la condition que son fonds de dotation excède 50 millions de francs : or, c’est le chiffre de la dotation initiale. De plus, si elle naît de la volonté de Charles Spinasse et de son principal collaborateur, Jacques Branger — qui en est resté le directeur-adjoint pendant plusieurs décennies — le MEN ne compte que trois représentants dans le Conseil de douze membres qui gère la Caisse. On y trouve des personnalités beaucoup plus prestigieuses, tels le gouverneur de la Banque de France, le directeur-général de la Caisse des Dépôts et le directeur du Mouvement général des Fonds, dont on a vu combien il était hostile à tout alourdissement des dépenses civiles.
2. L’approche juridique : le Comité national de surveillance des prix (CNSP).
• La loi du 19 août 1936 et ses limites.
49Mis en place par une loi votée le même jour que la loi Spinasse, le Comité national de surveillance des prix, ainsi que les comités départementaux, sont destinés à « tenir » les prix, du moins à éviter les abus criants. Francis Million est chargé de présider le Comité national, qui tient une séance hebdomadaire à partir du 17 septembre 1936. Alfred Sauvy, membre du Comité national au titre de la SGF, a quelque peu ridiculisé la teneur de ses débats. Il est vrai qu’il n’existe aucune statistique sérieuse sur les prix de revient. Mais les responsables ne l’ignorent pas et sont les premiers à s’en plaindre. Dans ces conditions, l’étude des prix de gros par le Comité s’effectue sans grande rigueur : encore convient-il de ne pas gonfler les ignorances. D’ailleurs, dans un premier temps, l’objectif gouvernemental est de revaloriser d’abord les prix de gros, dont la chute depuis les débuts de la crise a été bien supérieure à celle des prix de détail — plus de quarante-cinq pour cent pour les premiers, de la fin de 1928 à la fin de 1935, contre un peu moins de vingt-cinq pour cent pour les seconds entre les mêmes dates. Les principales disparités entre l’évolution des prix de gros et prix de détail ainsi qu’entre celle des prix nationaux et prix étrangers se résorbent à la fin de 1936 et au début de 1937 ; plusieurs observateurs le notent, et Charles Spinasse ne manque pas de s’en féliciter à la Chambre146. Et, contrairement à ce qu’avance Alfred Sauvy, si la collaboration avec le commerce de détail, qui a présenté les factures de ses fournisseurs, a été assez bonne, la loi du 19 août 1936 s’avère insuffisante pour le commerce de gros et la production, en particulier cartellisée, qui peuvent profiter d’une situation de force, du fait du renversement entre l’offre et la demande, bien signalé par Léon Blum, ou par le jeune député Pierre Mendès France147. À partir du début de 1937, la hausse des prix de gros risque d’entraîner de nouveau la surévaluation des prix exprimés en francs (par rapport à ceux exprimés en livres), qui avait été abolie par la dévaluation. Charles Spinasse s’en inquiète : « Il faut que nos prix restent dans le cadre international que nous leur avons fixé, dans les limites de notre alignement monétaire »148. Le CNSP semble désarmé, au point que Roger Auboin parle d’« apathie », et Georges Politzer affirme qu’il a été « surtout une commission d’enregistrement de la hausse des prix »149.
• La loi de mars 1937 contre la hausse injustifiée des prix.
50Dès lors, il s’agit de compléter et de renforcer la loi du 19 août 1936. Peu avant l’annonce officielle de la « pause », le Conseil des ministres charge Charles Spinasse et Marx Dormoy (Intérieur) de préparer un projet, qui est élaboré et examiné par la Commission de législation civile et criminelle, le 23 février 1937. Un premier débat à la Chambre, le 4 mars, est marqué par l’intervention du député communiste Arthur Ramette (président de la Commission du Commerce et de l’Industrie), qui propose que l’examen des prix se fasse sur la base de ceux pratiqués au 1er juin 1936 — et non du 1er janvier 1937, comme proposé initialement, ceci, afin de ne pas laisser échapper les hausses spéculatives de la fin de 1936 — et que l’on ne répercute pas intégralement les hausses de salaires pour les prix de gros, afin de réduire les profits, sans toutefois entamer ceux des détaillants. La date du 1er juin 1936 est effectivement retenue. Mais, par souci de respecter un « esprit de collaboration » et d’éviter toute « recherche inquisitoriale », Charles Spinasse demande seulement aux producteurs et commerçants de gros de fournir des informations sur les prix des matières premières et sur leurs charges sociales — qui pourront être répercutées — ainsi que sur leurs prix — alors libres — pratiqués au 1er juin 1936, sans qu’il soit question de les discuter150. Au sein du groupe socialiste, André Philip qui, à la Chambre, parle d’une « procédure de flagrant délit économique », semble avoir trouvé insuffisantes les mesures de Spinasse. Ce dernier se défend d’ailleurs de mettre en œuvre une... « entreprise d’économie dirigée. On ne dirige pas une économie par les prix. Il ne s’agit pas de constituer un mécanisme de contrôle des prix (...). Il s’agit simplement de faire cesser rapidement quelques abus qui pourraient devenir dangereux »151. Il signale que la Cour spéciale n’entrera en action qu’à la demande du comité national. C’est à cette occasion qu’il prononce la phrase, souvent citée de manière incomplète : « Croyez-vous donc, messieurs, que je veuille casser les reins du régime capitaliste alors que je ne suis pas en état de le remplacer ! » (...) « Ce que je reproche à certains industriels, c’est d’implorer trop souvent le secours de l’Etat et de chercher trop souvent dans son contrôle la garantie de bénéfices faciles, (...) c’est d’avoir perdu le sens de la fonction patronale »152. Appel à une collaboration dans un cadre néo-libéral, qui n’aura guère le temps d’être entendu.
IV. L’APPROCHE TECHNIQUE : JEAN COUTROT, LE COST ET LES DÉCONVENUES D’UNE POLITIQUE NÉO-LIBÉRALE DE PRODUCTIVITÉ
1. Charles Spinasse à l’école de Jean Coutrot.
51Jean Coutrot n’apparaît officiellement lié au ministère de l’Économie nationale qu’à la fin de novembre 1936. Mais l’examen de ses archives révèle qu’il est, dès le mois d’août, en contact étroit avec Charles Spinasse. En effet, on y trouve « un projet de déclaration au Sénat », daté du 13 août 1936153.Or, à cette même date, le ministre défend devant les sénateurs le projet de loi sur « l’aide temporaire aux entreprises commerciales, industrielles et agricoles » (texte de la future loi, dite « loi Spinasse ») en des termes fort voisins154.
• Le discours du 13 août 1936 : un même combat.
52Dans la conjoncture — nouvelle depuis l’été 1935, après cinq années d’évolution déflationniste — de hausse des prix, Charles Spinasse redoute un dérapage des prix, à la suite des réformes sociales et des décisions de hausse de salaires. Il partage avec Jean Coutrot l’idée qu’il existe ... « un problème essentiel des prix posé d’une manière plus pressante par les lois sociales »155. Les deux hommes s’accordent sur l’idée que le devoir du gouvernement est d’aider les entreprises à assimiler les réformes de juin qui, elles-mêmes, ne pouvaient être éludées, après les souffrances dues à la politique de déflation. Les projets doivent « permettre à l’économie de s’y adapter »156. Jean Coutrot a ajouté, dans son projet de déclaration, qu’il en était d’ailleurs de l’intérêt bien compris des chefs d’entreprises. Et le ministre suit le polytechnicien, lorsque celui-ci parle d’abaisser « le prix de revient national » : il annonce vouloir ... « agir sur tous les éléments des prix de revient »157. Outre la baisse du loyer de l’argent, mesure jugée nécessaire mais insuffisante, il s’agit de peser sur tous les éléments, autres que les salaires, dont la progression, assurée par l’Accord Matignon, doit être garantie. La politique économique du MEN repose sur l’idée de freiner la hausse des prix de vente par la compression des prix de revient, à la fois dans une perspective nationale — éviter la course salaires-prix — et internationale — ne pas aggraver la surévaluation des prix français. Charles Spinasse rejoint donc les réflexions formulées dans l’Humanisme économique sur la nécessité de faire jouer au patronat la carte des réformes, dans l’ordre et la paix sociale : « nous entendons bien ne pas dispenser les industriels français de l’effort d’adaptation nécessaire aux circonstances nouvelles »158.
• Des convergences sur une approche technique néo-libérale.
53Sur les voies et moyens pour atteindre ces fins, les approches s’avèrent convergentes sur plusieurs points. Jean Coutrot défend l’idée d’octroyer des prêts pour soulager la trésorerie des entreprises — et surtout les petites et moyennes — affectée par les lois sociales : c’est l’objet même de la loi Spinasse. Il évoque également la « révision des marchés ». Mais cela ne saurait suffire : dans la lignée de l’Humanisme économique, il pense que les mesures fondamentales les plus urgentes sont d’ordre technique, et rappelle sa conception des ententes et de la « NSR ». Charles Spinasse semble l’avoir entendu, car son discours au Sénat y est largement consacré. On peut reconnaître des propos directement inspirés par le projet de Jean Coutrot, lorsque le ministre déclare que, outre les mesures financières,... « il faudra donc organiser l’industrie française en suscitant la formation d’ententes industrielles et commerciales (...) Je suis, au contraire, très favorable aux ententes qui articulent plutôt qu’elles ne concentrent les entreprises qui organisent des services communs d’achat et de vente, centralisent les recherches scientifiques, normalisent les types, en un mot des ententes qui visent à l’abaissement des prix de vente par une diminution rationnelle des prix de revient »159. Et, comme le projet de Coutrot l’y incitait, Charles Spinasse annonce le dépôt d’un projet sur les ententes, « à la rentrée » des Chambres. Dans l’esprit de Coutrot, ce répit laissait la possibilité pour les entreprises de s’organiser spontanément, la loi intervenant a posteriori pour l’homologation. Le ministre de l’Économie nationale abonde dans le sens des orientations néo-libérales défendues par Coutrot, qui précise qu’il ne s’agit pas « d’économie dirigée », mais « coordonnée et transparente »160.
2. La fondation du COST.
54Parallèlement, Jean Coutrot déploie, à l’automne de 1936, une intense activité pour populariser ses propositions, notamment en matière de « NSR ».
• La croisade de Jean Coutrot pour « l’abaissement du prix de revient national ».
55Lors d’une « causerie », le 1er octobre 1936, sur le thème «Comment freiner la hausse des prix, conséquence de la hausse des salaires », Jean Coutrot précise les contraintes nouvelles pour les entreprises. Tout d’abord, la hausse des salaires. Quelques semaines plus tard, lors des journées d’études du Plan français, il affirme : « On a fait des hausses raisonnables, mais on les a faites déraisonnablement »161. Puis il signale les conventions collectives de travail, la semaine de quarante heures et la « disette d’ouvriers qualifiés » et parle même de « déficit de main-d’œuvre » en général : tous ces éléments imposent, si l’on veut éviter le dérapage des prix de vente — pour des raisons de paix sociale intérieure et d’alignement sur les prix étrangers — d’abaisser les prix de revient par « un accroissement de la productivité des heures de travail »162. Cela ne peut s’effectuer que par 1’« Humanisme économique », c’est-à-dire « la collaboration des entreprises au lieu de la guerre au couteau »163, et la «NSR». La normalisation doit faciliter le calcul des prix de revient — opération préalable à leur réduction — par l’élimination des « catalogues interminables », des « poussières de commandes », sans gêner la production hors série. La spécialisation dans une partie de la gamme des produits rend les séries plus importantes et faciles à suivre. La rationalisation, mise en œuvre avec la « collaboration ouvrière », comporte en particulier le « planning », destiné à grouper les commandes, à réduire les délais de livraison et, par conséquent, les stocks. Il voit dans la « NSR » le moyen de « freiner puis de résorber la hausse des prix de revient et du coût de la vie », conséquence de la hausse des salaires164. Il cite l’exemple américain, où les salaires ouvriers sont supérieurs, alors que les produits sont « de meilleure qualité et souvent moins chers ». La « NSR » présente le double avantage de ne pas exiger d’investissements coûteux et de ne « léser aucun intérêt ». En revanche, elle implique « un formidable effort intellectuel, technique et même humain ». Mais, ajoute-t-il, « lorsqu’un pays veut assurer à sa population ouvrière un niveau de vie élevé, IL FAUT PAYER CET ACCROISSEMENT » (...) sans qu’il n’y ait « de meilleure monnaie que par une dépense d’intelligence, de lucidité et d’énergie »165. Et, dans un article publié dans La République, il dénonce l’inanité de mesures juridiques destinées à réduire les prix de vente, sans donner les moyens techniques d’abaisser les prix de revient : que peuvent faire les « gendarmes », les « commissaires de police » et la « commission de surveillance des prix », devant l’alourdissement des coûts ? Il réclame, de la part du gouvernement, qu’il double le Comité de surveillance des prix d’un Comité d’Étude pour l’abaissement du Prix de revient national166.
56Pour appliquer la « NSR », Jean Coutrot envisage la constitution, face aux conventions collectives de travail, de ce qu’il appelle des « conventions collectives de production ou de distribution » (les fameuses ententes). Il réitère publiquement son appel au patronat, à la CGPF et à Claude-Joseph Gignoux qui, d’après lui, pourrait « se tailler » une place considérable, « en réussissant cette entreprise de salut public» : «Aux chefs d’entreprises français de montrer s’ils sont capables de couper l’herbe sous le pied aux extrémistes qui aspirent à les remplacer (...) Non seulement une telle solution n’est pas étatiste, mais c’est même la seule qui puisse préserver les producteurs de l’étatisme »167. Leur intérêt bien compris devrait inciter les chefs d’entreprises à mettre en œuvre cette « tâche éducative (...) qui permettrait à l’industrie française de s’aménager par l’intérieur au lieu d’être contrainte par la pression du dehors »168. Et, à l’occasion des journées d’études du Plan français, sous la présidence d’Édouard Chaux et en présence de Jacques Branger, il poursuit, sur le terrain micro-économique, l’apologie du système Bat’a, qui allie « les avantages techniques de la concentration » aux « avantages psychologiques du petit patronat », et atténue ainsi le « complexe d’exploitation » de la classe ouvrière169.
• Une cellule originale de réflexions et d’échanges : le COST.
57Son appel au gouvernement se voit récompensé par la création, par un décret du 25 novembre 1936, du « Centre national d’organisation scientifique du travail pour l’abaissement des prix de revient français », que Jean Coutrot, adepte précoce (on l’a vu pour le « planning ») du franglais, baptise opportunément le « COST »170. Les finalités du nouvel organisme, telles que présentées dans le rapport au Président de la République, convergent avec la politique gouvernementale, à savoir : « Comprimer, dans les entreprises privées et dans les administrations publiques, les éléments de dépenses autres que les salaires »171. Son rôle consiste à étudier et suggérer des solutions d’OST, ainsi que la création d’organismes nouveaux, « nécessités par l’évolution du rôle économique de l’État et par l’organisation professionnelle ». Il est également chargé d’introduire l’enseignement de l’OST, « nécessité permanente de l’économie française », d’entreprendre des études techniques d’organisation, à la demande des ministères, et d’« émettre un avis sur toutes mesures visant la coordination de l’économie nationale »172.
58Le COST est dirigé formellement par un secrétariat, assuré par Jacques Branger et Claude Bourdet, chargé de mission au ministère de l’Économie nationale. La direction effective est le fait d’un « Bureau technique permanent », dont Jean Coutrot est le vice-président (Spinasse en est le président en titre), assisté de Francis Hekking, ingénieur des manufactures de l’État. L’originalité de cet organisme réside dans son caractère marginal par rapport à l’administration (il n’est pas organiquement intégré au ministère de l’Économie nationale). Jean Coutrot manifeste ainsi le souci d’en faire un lieu de rencontre entre l’administration, les techniciens et les acteurs sociaux, sur le terrain des problèmes techniques d’organisation du travail. Il souhaite mettre en contact des représentants d’organismes techniques s’occupant d’OST (AFNOR, CNOF, École d’OST, Comité supérieur de Normalisation), d’organismes d’observation économique et statistique (SGF, Institut Rist, Centre d’Analyse économique, Institut statistique de l’Université de Paris), un représentant de chaque ministère — dont Francis Million et Raymond Treuil, chef de cabinet de Spinasse et membre de la Taylor Society, pour l’Économie nationale — des délégués d’organismes de concertation sociale (Conseil national économique, Bureau international du Travail) et d’organisations professionnelles et syndicales (CCOP, SEIE, UIMM, CGPF) Jean Coutrot est d’autant mieux capable d’organiser la rencontre et les échanges entre ces divers organismes qu’il côtoie, parfois depuis longtemps, plusieurs de leurs représentants dans les divers cercles techniques qu’il fréquente ou qu’il anime. D’une manière assez proche de celle mise en œuvre, dix ans plus tard, par Jean Monnet, Jean Coutrot affectionne la réunion, sur un terrain strictement technique, de personnalités diverses autour de questions à débattre et à résoudre en commun. Le COST est conçu, dès l’origine, comme ce lieu de rencontre privilégié, où les interlocuteurs, quoique fort divers, peuvent se rejoindre, sous l’aile de l’État, dans une croisade commune pour l’abaissement des prix de revient et communier dans une même foi productiviste. Dans les faits, il semble que la constitution en ait été lente et que les nominations officielles aient quelque peu tardé : Léon Blum attend le 15 mars 1937 pour désigner son représentant, Dacosta, et plusieurs organismes ou ministères ne se font représenter que quelques jours avant la chute du gouvernement Blum173.
3. Les « deux grands leviers » : la « NSO »...
59Dès la première réunion du COST, le 7 décembre 1936, présidée par Jacques Branger, Jean Coutrot annonce un programme de travail comprenant, à titre de première étape, « un plan biennal de diminution des prix de revient de dix à vingt pour cent dans les industries de transformation »174. Pour ce faire, il envisage « deux grands leviers » : la loi sur les conventions collectives de production ou de distribution et la politique de « NSO » (nouvelle mouture de la « NSR », où 1’« organisation scientifique du travail » vient remplacer la « rationalisation »), par l’amélioration de la qualité des produits, l’éducation des producteurs et des acheteurs, le développement du « planning » dans l’entreprise et la répartition des spécialistes entre les usines175. Il compte sur des « exemples spectaculaires » aux résultats rapides, à la fois dans les services publics (les services téléphoniques, le ministère de l’Économie nationale lui-même), sur les études déjà entreprises par lui sur la « circulation de Paris », pour réduire le déficit de la STCRP176 et dans certaines entreprises privées : il cite en particulier l’industrie papetière (lui-même dirige une entreprise papetière, et son ami André Monestier a mis sur pied une entente pour la branche), les usines de houille (pour lesquelles Paul Ramadier lui a commandé un projet) et les chemins de fer. Il parle également de 1’« organisation scientifique du réemploi et de la rééducation des ouvriers disponibles », par la révision des statistiques du chômage, une enquête sur les organismes de rééducation, des contacts avec le sous-secrétariat d’État aux Recherches techniques pour l’examen des besoins des industries nouvelles et l’étude de l’adaptation à la semaine de quarante heures177. Il est question, enfin, de coordonner l’action des organismes existants (CS.Nor, AFNOR, CNOF, École d’OST), de développer les services techniques des confédérations syndicales (CGT, CGPF, CCOP), de multiplier la documentation (en particulier par des informations sur des expériences étrangères) et une « puissante action éducative » du COST, notamment à l’occasion de son inauguration178. Quelques jours plus tard, Jean Coutrot présente, dans une causerie radiodiffusée — il essaie souvent de recourir à la radiodiffusion et aux moyens de communication les plus modernes de l’époque — le « programme d’action du COST », dans lequel il souligne le retard, notamment en matière de normalisation, sur l’Allemagne par exemple179. Il résume, dans une lettre à Hyacinthe Dubreuil, les enjeux de son entreprise et, partant, de la politique gouvernementale : « le sort de l’expérience actuelle dépend de la mesure dans laquelle on arrivera à équilibrer le poids des mesures sociales par une baisse des prix de revient et non par la hausse des prix de vente »180.
4. ... et le projet de loi avorté de conventions collectives de production et de distribution.
60À la fin de 1936, Jean Coutrot propose à Charles Spinasse un avant-projet de conventions collectives de production ou de distribution, reprenant les principes posés dans l’Humanisme économique pour les ententes. « Solution spécifiquement française », le projet cumule « les avantages humains, économiques et sociaux des petites et moyennes entreprises » et « les avantages commerciaux, techniques et financiers propres à la concentration industrielle et commerciale »181. Il permet de surmonter le triple handicap (commercial, technique et financier) des PME et de doter « les classes moyennes » d’un « statut », leur offrant le cadre nécessaire pour coordonner leurs activités par des moyens contractuels, et non plus seulement financiers, comme dans les fusions, trusts ou cartels antérieurs, qui entraîneraient pour ces entreprises, la perte de leur autonomie et de leur caractère propre182. Jean Coutrot expose en détail son avant-projet, lors d’une conférence, présentée au début de décembre, devant le groupe Jeunes, émanation des abondantistes de Jacques Duboin. Les conventions collectives de production complètent et rendent seules possible l’application des conventions collectives de travail, qui, elles-mêmes, empêchent la « concurrence absurde » s’exerçant contre les salaires, mais alourdissent les coûts183. Faisant référence aux «codes» du New Deal, Jean Coutrot voit dans l’établissement de ces deux séries de conventions collectives les bases d’une économie transparente, « coordonnée », antimalthusienne, antidéflationniste et « distributive ».
• Une économie « transparente » et « coordonnée ».
61La « concurrence exaspérée », « hostile et aveugle » provient, pour une grande part, de 1’« ignorance des prix de revient » et de 1’« insuffisance comptable » des chefs d’entreprises. La collaboration des entreprises doit faire progresser la connaissance rationnelle des coûts par branche, étape nécessaire avant leur réduction184. L’avant-projet insiste sur la nécessité de bâtir des ententes « librement consenties ». Cependant, un contrôle s’impose, à la fois « dans l’intérêt mutuel des adhérents » et « dans l’intérêt du pays tout entier », pour s’assurer que l’entente ne fonctionne pas aux dépens des consommateurs ou du personnel salarié185. C’est donc à l’État d’intervenir, mais la perspective de Coutrot reste néo-libérale : « Il est indispensable à la fois que l’État s’abstienne de produire lui-même — parce qu’il est trop grand pour cette tâche — et qu’il intervienne pour contrôler et arbitrer les problèmes ou conflits qui peuvent s’élever dans la production »186. Jean Coutrot propose « un contrôle social » des ententes, a posteriori et à deux degrés. Un premier contrôle direct par des « syndics », appartenant à un Ordre des Techniciens de l’Organisation professionnelle — un Ordre des Techniciens de l’Organisation professionnelle (OTOP) s’est constitué en 1937, sous l’égide du CCOP, formant une véritable « profession libérale organisée » — choisis par les entreprises, mais agréés de droit par les pouvoirs publics, sauf motif grave et justifié187. Au second degré, un contrôle serait exercé par des fonctionnaires peu nombreux, intitulés, par analogie avec le corps des Finances, « Inspecteurs de l’Économie nationale »188. Un Comité de surveillance, comprenant des représentants des consommateurs, du personnel, des cadres ou des industries connexes serait chargé de veiller à ce que l’entente fonctionne en conformité avec l’intérêt général et procéderait ainsi « à une éducation mutuelle des différents échelons de la production et de la consommation ». Enfin, des commissions paritaires techniques seraient chargées de coordonner les perfectionnements techniques par branche et d’y associer les salariés des entreprises189.
62Jean Coutrot se défend de proposer une économie dirigée ou étatique. Après la conférence de René Belin à X-crise, il écrit à Gérard Bardet, en des termes fréquemment repris ensuite : ... « Les Français ne peuvent plus se satisfaire de l’économie dite libérale, mais en réalité anarchique (...) nous pouvons enfin mettre sur pied une économie ni anarchique, ni dirigée, mais une économie coordonnée dont les innombrables moteurs continueront d’être ces initiatives individuelles (...) seules fécondes et qui seront placées ainsi dans des cadres où elles se composeront en résultantes positives au lieu de s’annuler obscurément les unes les autres »190.
• Une économie antimalthusienne, antidéflationniste et « distributive ».
63Rejoignant l’analyse d’Auguste Detœuf à X-crise, Jean Coutrot pense que dans la fixation des prix, la loi de l’offre et de la demande, loin de constituer un régulateur de l’économie ou un « inoffensif manomètre », représente un « redoutable amplificateur », en particulier dans les situations déflationnistes où, selon les principes de la loi de Gregory-King, « les prix baissent plus vite que les quantités n’augmentent », [et incitent] « les producteurs à restreindre leur offre et c’est pourquoi on peut parler de malthusianisme économique »191. Dès le moment où, grâce aux ententes, les prix ne sont plus fixés par l’offre et la demande, mais « déterminés par voie de comptabilisation » d’après les prix de revient, « les producteurs (...) n’ont plus intérêt à freiner la production, mais au contraire à la développer autant qu’ils le peuvent, et l’on ne peut plus alors leur adresser le moindre reproche de malthusianisme économique »192. L’entente ne doit pas demander au consommateur de payer le prix de vente correspondant au prix de revient de l’entreprise la plus mal située ou la plus mal équipée, mais « au prix de revient moyen »193. Les entreprises les moins performantes, en revanche, seront contraintes d’abaisser leurs prix de revient, mais au lieu de la solution libérale — « la peine de mort économique » — l’entente offre une possibilité d’adaptation, par la collaboration financière et technique de la branche. Au pire, pour les entreprises « réellement inutiles », il ne peut s’agir que d’« euthanasie », notamment par la réutilisation d’éléments de leurs actifs. Ainsi, sont réunies les conditions de développement d’une économie antimalthusienne : « Nous entrons dans une économie distributive, à partir du moment où l’on se soustrait à la loi d’airain qu’est celle de Gregory-King, c’est-à-dire à partir du moment où le sort d’une entreprise ne dépend plus que de la capacité technique de celui qui la dirige, de ses collaborateurs et non pas de la détérioration d’un marché »194. Si l’entente doit offrir aux entreprises une garantie à l’effondrement d’un marché, elle fournit le cadre, tel que leur collaboration technique et financière diminue les prix de revient et, partant, les prix de vente, afin « de transférer aux consommateurs une part équitable des avantages obtenus ». C’est également le cadre d’élaboration de « contrats souples » ou « contrats à index »
- s’approchant des modes d’élaboration du prix de l’électricité ou du gaz
- afin d’éviter le caractère insupportable de charges fixes liées à des contrats rigides, lors des périodes de baisse des prix. Ainsi, seraient supprimées « la spéculation et les ondulations de l’économie »195. Le réseau de ces « conventions collectives de production et de distribution », associées à celles du travail, « assurera la circulation régulière des pouvoirs d’achat normaux entre les citoyens sans diminuer le niveau d’existence de quiconque »196.
64Cet avant-projet s’inspire des idées énoncées dans l’Humanisme économique, mais aussi des suggestions et de l’expérience d’André Monestier, qui a créé avec Jean Coutrot et dirige depuis 1934 l’Office des ententes papetières. Dans une lettre, adressée à Jean Coutrot en décembre 1936, il regrette que celui-ci ait déjà transmis son avant-projet à Charles Spinasse : il fait allusion à une sorte de division du travail, dans laquelle lui-même aurait été chargé du projet sur les ententes, tandis que le responsable du COST se serait occupé de l’OST197. Lui-même publie dans X-crise, en janvier 1937, son propre projet de loi d’ententes professionnelles, qu’il baptise « technicats » : les principes sont proches de ceux défendus par Jean Coutrot. André Monestier insiste en particulier sur la « mission sociale » et le caractère antimalthusien de ces ententes. Dans la même livraison du bulletin, Louis Rosenstock-Franck, bon connaisseur du New Deal, souligne les différences entre les projets d’entente en gestation et le projet de loi Flandin-Marchandeau, ainsi que l’utilité d’un contrôle, à la fois par les consommateurs et la CGT198. Des commissions de travail sont mises sur pied, au début de 1937, afin d’élaborer le projet définitif. Il semble que, sur certains points, des divergences se soient manifestées, en particulier entre Jean Coutrot et André Monestier sur la création de commissions techniques paritaires. Et, au début du mois de mars, Jean Coutrot regrette, dans une lettre adressé à René Capitant, que les commissions « continuent leurs réunions interminablement »199.
• ... « Voici que le printemps s’annonce »... (Charles Spinasse).
65Toutefois, Jean Coutrot a pu croire, de manière éphémère, être parvenu à ses fins. Lors de son discours du 11 mars 1937, Charles Spinasse reprend textuellement des expressions de Coutrot. Il fait l’apologie d’un programme de « NSO », annonce le dépôt prochain — « dans quelques jours » — du projet de loi sur les ententes, qui permette de « concilier en une synthèse facile (...) les stimulants de l’économie dite libérale et les garanties que doit assurer à tout citoyen une économie coordonnée »200. Il s’agit de l’ultime appel de collaboration adressé au patronat. Dans le même esprit que Jean Coutrot, Charles Spinasse laisse entendre qu’une politique de rationalisation et d’accroissement de la productivité, afin d’amortir les effets des lois sociales de juin 1936, répond à l’intérêt bien compris des chefs d’entreprises : « Dans cette œuvre de rénovation économique, l’effort patronal (...) doit s’exercer d’abord. Il ne sert à rien de bouder les lois sociales, de vouloir leur opposer l’inertie ou la mauvaise volonté, de rejeter sur elles la responsabilité d’une production insuffisante. Mieux vaut les appliquer avec franchise et loyauté et adapter l’organisation des industries au cadre qu’elles ont tracé. C’est dans cette recherche que la fonction patronale prend toute sa signification et sa valeur »201. Signalant les différents indices de la reprise économique au début de 1937, le ministre proclame : «Voici que le printemps s’annonce »202. En fait, Charles Spinasse n’a jamais proposé le projet de loi Coutrot sur les ententes, pourtant annoncé en août 1936 et confirmé en mars 1937. Louis Franck nous a confié qu’il avait répondu à la sollicitation de Francis Million, quelque peu effrayé par le dirigisme du projet, et que tous deux avaient largement contribué à son sabordage203.
5. Le décalage entre les ambitions et les résultats.
66Au total, on est frappé par la distance qui sépare les perspectives audacieuses tracées par Jean Coutrot et les résultats modestes de l’action du COST. Comment l’interpréter ?
• Un organisme faible dans un ministère faible.
67Faiblesse des moyens, tout d’abord. Jean Coutrot confie d’ailleurs à Émile Roche que, malgré la satisfaction manifestée par Charles Spinasse pour sa collaboration, il ne dispose pas des crédits, ni du personnel indispensables204. Il manifeste une grande lucidité, quant aux limites de son action. Lors de la discussion, assez vive, qui suit la conférence de Louis Germain-Martin, organisée par X-crise à la Sorbonne, en décembre 1936, Coutrot précise : « Le gouvernement n’a pas tenu le moindre compte de mes humbles opinions (...) M. Léon Blum n’a probablement jamais lu L’Humanisme économique »205.
• X-crise, fer de lance de la lutte contre les quarante heures ?
68Faut-il y voir la trace de dissensions avec son ministre ? Dans ses notes privées, Jean Coutrot n’est pas sans critiquer certains aspects de la politique gouvernementale. Aux divergences déjà présentes à l’été de 1936, notamment sur les procédés juridiques de lutte contre la hausse des prix, — « la hausse illicite ne servira à rien qu’à indisposer davantage les producteurs et compromettre la politique d’emprunts Auriol »206 — s’ajoutent celles ayant trait à la lutte contre le chômage. Il juge son programme « préférable aux quarante heures », qui accroissent les prix de revient par rapport aux autres pays207. Il ne se distingue pas en cela du reste de l’équipe de conjoncture de X-crise, qu’il continue d’animer. Dans la dernière livraison de 1936, la rubrique « le point économique » contient une condamnation sans appel, sous la plume de Jean Dessirier : « La généralisation brutale et massive de la loi de quarante heures est une absurdité économique »208. À partir du premier numéro de 1937, Alfred Sauvy, désormais responsable de la rubrique, reprend ces mêmes critiques, qu’il va répéter pendant cinq décennies209. Il semble bien que Charles Spinasse lui-même ait perçu les risques d’une application brutale des quarante heures. Lors de son discours du 11 mars 1937, il confie aux députés : « Si la semaine de quarante heures se traduisait par une diminution de la production, toute l’oeuvre entreprise serait gravement compromise »210. Alors que l’application rapide de la semaine de quarante heures risque d’aggraver les antagonismes dans l’entreprise, Jean Coutrot pense que son programme de « NSO » peut réunir côte-à-côte cadres, ouvriers et chefs d’entreprises dans la « tâche de salut public qu’est le freinage de la hausse des prix de revient français »211.
• L’État et les transferts de main-d’œuvre.
69De plus, Coutrot considère que, pour la première fois, avec le sous-secrétariat d’État à la Recherche scientifique et technique (dirigé par Irène Joliot-Curie, puis par Jean Perrin), il existe un organisme, qui puisse coordonner les efforts techniques en vue de développer de nouvelles industries. Partant de l’idée que les progrès techniques entraînent deux séries de conséquences contradictoires — la libération de main-d’œuvre par l’accroissement de productivité horaire dans les « industries anciennes », et l’appel de main d’œuvre des « industries nouvelles » — le rôle de l’État consiste à les équilibrer, en contribuant à la création de ces dernières pour réemployer un nombre suffisant de travailleurs libérés par la modernisation des premières212. Techniquement, c’est le rôle du sous-secrétariat d’État à la Recherche ; financièrement, c’est celui du MEN, qui devrait faciliter la création de ces industries nouvelles. Lors de la discussion à la suite de la conférence de René Belin à X-crise, il cite, à titre d’exemple, la télévision et la climatisation. Il n’est pas question, dans son esprit, que l’État prenne en charge directement la production — il avait d’ailleurs critiqué les nationalisations dans l’Humanisme économique — mais contribue à son développement : « Il est indispensable à la fois que l’État s’abstienne de produire lui-même — parce qu’il est trop grand pour cette tâche — et qu’il intervienne pour contrôler et arbitrer les problèmes ou conflits qui peuvent s’élever dans la production »213. Il est difficile de savoir si les contraintes financières — traitées au chapitre X — ont pesé de telle manière que Charles Spinasse, même s’il a été séduit par l’idée de son conseiller, a dû la rejeter, dès l’abord. Il paraissait d’ailleurs difficile de dessaisir la rue de Rivoli du volet financier du projet. Quoi qu’il en soit, on n’en trouve nulle trace dans les papiers de l’Économie nationale.
• Jean Coutrot favorable au contrôle des changes.
70Enfin — et ce n’est pas sa moindre originalité — Coutrot compare l’expérience Blum à celle de Roosevelt : le gouvernement Blum a commencé par des conventions collectives de travail, qui ne représentent que des « demi-codes ». Il faut les compléter par les « conventions collectives de production », et par « la monnaie totale », c’est-à-dire une politique financière résolument antidéflationniste de déficit budgétaire, « mais évitant l’évasion des capitaux »214. Ainsi, Jean Coutrot recommande explicitement, en privé, d’adopter le contrôle des changes, et surtout « de donner l’impression d’un programme neuf et technique, au-dessus de toute politique »215.
• « 95 % des chefs d’entreprises ignorent tout de ces méthodes » (Jean Coutrot).
71Au-delà de ces réserves à l’égard de la politique gouvernementale, Jean Coutrot constate que les organismes techniques sont, en France, peu influents, mal connus, dotés de moyens insuffisants. Alors qu’en Allemagne, il existe un nombre substantiel de normes industrielles, « ... nous consacrons à la normalisation, d’abord une indifférence totale et ensuite un budget de 270 000 francs [pour l’AFNOR] alors que celui de l’Allemagne est de treize millions »216. Et ce « dérisoire budget » est largement tributaire des efforts financiers des ministères de la Défense nationale. Peu d’administrations ont, en dehors d’eux, manifesté leur appui. De surcroît, « la carence des producteurs français est bien plus éclatante encore : les entreprises et organisations patronales n’ont apporté qu’un concours dérisoire à l’AFNOR qui pourtant travaille dans leur intérêt direct, car l’absence de normalisation est une des raisons pour lesquelles (...) l’industrie française produit plus cher que les industries étrangères »217.
72Quant aux organismes qui s’occupent d’OST, tel le CNOF — auquel s’est adjoint le Centre d’Études administratives de Henri Fayol, le père — il compte, en près de vingt années d’existence, douze cents adhérents, sur un potentiel estimé à deux millions de chefs d’entreprises, ingénieurs et employés, soit moins que l’organisme belge analogue, situé dans un pays six fois moins peuplé. De même, l’École d’OST, mise sur pied à Paris en 1934 et dirigée par Lelong et Ponthière, qui réunit cinq cents élèves, est pratiquement inconnue218. Et Jean Coutrot déplore que « 95 % des chefs d’entreprises ignorent tout de ces méthodes dont la documentation est cependant à leur portée »219. Aimant à rappeler le slogan allemand : « La connaissance des prix de revient est la source de leur abaissement », Coutrot estime à cinq pour cent la part des chefs d’entreprises, qui essaient de calculer les leurs de manière rigoureuse. Il ajoute que les « groupes d’échanges d’expériences », animés par Jean Milhaud au sein de la CGPF, n’ont attiré qu’entre cent et deux cents adhérents220. Et malgré les contacts nombreux que Jean Coutrot a noués dans l’hiver 1936-37, il ne masque pas une certaine déception à l’égard de la relative indifférence des milieux professionnels221.
• La «méfiance » patronale.
73Une ultime raison explique, selon Coutrot, les difficultés du COST : « le manque de lucidité et de recul ». Après la révolution de palais de la CGPF, portant C.J. Gignoux à la présidence, la mentalité d’une partie du patronat est portée à la méfiance à l’égard des innovations, par souci majeur de refaire le terrain perdu en juin222. L’un des signes de cette relative incompréhension apparaît lors de la conférence que Louis Germain-Martin, Président du Comité de Prévoyance et d’Action Sociale, organe patronal de réflexion et de propagande, prononce à X-crise, en décembre 1936. En présence de Jean Coutrot, il critique violemment — contrairement aux habitudes de courtoisie et de mesure de ces réunions — le programme de « NSO », parce qu’il serait « le point de départ des critiques violentes contre les chefs d’entreprises qui affirment l’impossibilité où ils sont de subir les conséquences des mesures sociales, sans procéder aussitôt à des élévations de prix de revient »223. Il ajoute que l’organisation scientifique est le plus souvent déjà entreprise, que la normalisation nuit à l’originalité de la production française. Ainsi, les gains sur les coûts lui apparaissent utopiques.
74Jean Coutrot lui réplique, sans ménagement, qu’il est temps de sortir de la « méfiance » et de la « mauvaise humeur » ; il ajoute : « les chefs de la production française ont une magnifique occasion de montrer qu’ils sont dignes de ce titre de chefs d’entreprises que les extrémistes veulent leur arracher (...) depuis 50 à 60 ans la carence intellectuelle de la bourgeoisie a laissé le champ libre à la propagande marxiste, sans rien lui opposer de constructif. On le paye aujourd’hui »224. Six mois plus tard, quelques jours après la chute du gouvernement Blum, alors que les rôles de conférencier et d’auditeur ont été inversés avec Louis Germain-Martin, Coutrot reprend le même thème : « Qu’ont fait les chefs de la production depuis cinquante ou soixante ans pour combattre la propagande marxiste (...) par le seul moyen efficace, c’est-à-dire en la dépassant, pour édifier le monument physique et économique qui doit normalement équilibrer l’aile marxiste ? Il semble bien qu’ils ne se soient même pas préoccupés d’en connaître les traits essentiels. Ils paient aujourd’hui cette négligence, cette paresse d’esprit et jusqu’ici, ils ne le paient pas très cher »225. Il n’hésite pas d’ailleurs à souligner l’attitude contradictoire d’une partie du patronat à l’égard de l’État : « Plus d’une fois, des industriels m’ont confié : « Il faut que les pouvoirs publics nous aident à nous entendre. Il faut qu’ils nous donnent des cadres pour travailler ». Et ils ajoutaient dans la même phrase : « Il faut surtout qu’ils ne s’occupent pas de nos affaires ! » Cela nous montre à quel point il est difficile de réunir dans une même cervelle des idées cohérentes sur un sujet bien défini »226. Il résume : « Nous avons sous-estimé la valeur de l’effort intellectuel consacré aux problèmes de la production »227. Mais un tel effort lui paraît minime, en comparaison des violences révolutionnaires éventuelles. Au début de 1937, dans une lettre à Gérard Bardet, il s’inquiète : « Quand dans un pays quelconque les extrémistes prennent le pouvoir, ils sont acculés à des improvisations autrement hâtives et risquées. N’est-on capable qu’à ce prix de fournir l’effort de redressement indispensable ou pourrons-nous éviter à notre pays ces gaspillages de sang et de richesses ? »228.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE XI
75La direction de l’économie proprement dite sous le gouvernement Blum s’est largement appuyée sur quelques-uns des experts de X-Crise recrutés par Charles Spinasse, particulièrement Jean Coutrot, qui incarne cette tentative de relève de l’esprit financier par 1’« esprit ingénieur ». Mais, marginalisée par la rue de Rivoli et les inspecteurs des Finances confortés par la « pause », l’Économie nationale enregistre, dans le temps court, peu de réalisations concrètes. Le bilan n’est pas cependant nul, ne serait-ce que par la velléité de revigorer des structures anciennes, comme la SGF ou le CNE, ou d’en créer de nouvelles, comme la Caisse des Marchés, le Comité national de Surveillance des Prix (institutions durables) ou le COST (qui ne survit pas à son fondateur). Mais l’effet majeur se mesure, sur le temps long, à travers les réflexions qui ont été alors avancées. En matière macro-économique, le souci de s’assurer une information statistique rigoureuse, de définir les cadres d’une concertation sociale, de régulariser l’évolution des prix et des marchés publics. En matière micro-économique, la velléité de promouvoir une politique de productivité et d’« abaissement du prix de revient national » et de doubler les conventions collectives de travail de conventions de production antimalthusiennes. Il s’agit d’une tentative de compromis réformiste productiviste, visant à instaurer une alliance verticale entre employeurs et salariés, dont les antagonismes seraient ainsi dépassés grâce à une « économie distributive ». Tentative « néo-libérale », au sens où il ne s’agit pas de subvertir la propriété, ni la responsabilité des entrepreneurs, mais de sauver des mécanismes libéraux ce qui peut l’être, par des réglementations et des arbitrages appropriés de la part de l’État, et inverser ainsi la spirale déflationniste. Encore fallait-il pour cela, selon les termes de Jean Coutrot, prolonger la « cure psychanalytique » de l’été 1936 et éviter la tentation d’un « simili-Versailles après la crainte d’une Commune ».
Notes de bas de page
1 Cf. François Etner, Histoire du calcul économique en France, Paris, 1985 et, du même, « Les ingénieurs économistes », in L’État des Sciences sociales en France, Paris, 1986, p. 250-251.
2 Cf. supra, chapitre VIII.
3 L’erreur est souvent commise à propos de Coutrot. Les trois fondateurs sont Gérard Bardet, André Loizillon et John Nicoletis.
4 Cf. X-crise-CPEE, De la récurrence..., op. cit., et Gérard Brun, Technocrates..., op. cit., p. 35.
5 Cf. le doctorat de 3e cycle de sciences politiques de Guy Desaunay, préparé sous la direction de Raymond Aron, « Contribution à l’étude des idéologies économiques d’un groupe de polytechniciens durant la grande crise économique 1931-1939 », 1965. On en trouve le texte dans AN, 468 AP 9, d. 3 (Papiers Coutrot.).
6 Le CPEC se réunissait souvent dans un café de la gare de l’Est (témoignage de Louis Franck, 4 décembre 1986).
7 Les liens s’effectuent également par l’intermédiaire de Jacques Branger. En outre, Jean Coutrot est en relation fréquente avec Hyacinthe Dubreuil.
8 AN, 468 AP 8, (archives privées de Jean Coutrot), d. 2, s. d. b, Rapport sur l’organisation du cycle 1935-1936, par Gérard Bardet, 1er juillet 1935, 5 p. Les éléments originaux sur X-crise proviennent en général du dépouillement des archives Coutrot.
9 Gérard Bardet apparaît notamment comme un homme très docile à l’égard de Jean Coutrot (témoignage de Louis Franck, 10 novembre 1986). Cf. Michel Margairaz, « Jean Coutrot et la cure psychanalytique de 1936 », contribution au Colloque « Le Front populaire et la vie quotidienne des Français » (Université de Paris I, octobre 1986), à paraître en 1991.
10 Cf. A. Detœuf, Les propos de O. L Barenton, confiseur, Paris, 1952 ; sur A. Detœuf, cf. M. Blain, Un aspect des idées patronales de l’entre-deux-guerres : A. Detœuf et les « Nouveaux Cahiers », Paris X. Nanterre, 1972. Cf. également, W. E. Ehrmann, La politique... op. cit. et Maurice Lévy-Leboyer, « Le patronat français a-t-il été malthusien ? », Le Mouvement social, n° 88, juillet-septembre 1974, p. 3-51.
11 Auguste Detœuf, « La fin du libéralisme », conférence prononcée à X-crise le 1er mai 1936, 15 p. ; reproduite in X-crise CPEE, De la récurrence..., op. cit., p. 71-87.
12 Ibid., p. 74 et 78.
13 AN, 468 AP 8, d. 3, s. d. c., note du CPEE, s. a., 22 mai 1936, 2 p.
14 AN, 468 AP 11, d. 1, L’Homme nouveau, n° 1, 1er janvier 1934.
15 Jacques Branger, « Le contenu économique des Plans... et le planisme », conférence prononcée à X-crise, le 22 février 1935, reproduite in X-crise-CPEE, De la récurrence..., op. cit., p. 129.
16 Ibid.
17 Ibid., p. 127.
18 On trouve un exemplaire du Plan du 9 juillet, Paris, 1934 in AN, 468 AP 11. Branger, Bardet, Coutrot, Vallon y ont participé.
19 Cf. Rolph Nordling et Georges Lefranc, « La rencontre franco-suédoise de Pontigny en 1938 » in PauI Desjardins et les décades de Pontigny ; Paris, 1964, p. 224.
20 AN, F 60 423, d. « Études générales sur la situation économique. Plans divers de particuliers et de groupements (1936-1939) », Essai d’un plan décennal pour la régulation de l’Économie, 27 mai 1936, 22 p. Publié in Études et Documents, 1990.
21 Idem, p. 6.
22 Idem, p. 7 ; souligné dans le texte.
23 Idem, p. 11 ; souligné dans le texte.
24 Idem, p. 13.
25 Idem, p. 14, 16 et 17.
26 Idem, p. 19-20.
27 Auguste Detœuf, « Le libéralisme... », art. cité, p. 86.
28 Ibid., p. 87.
29 Les Nouveaux Cahiers, juillet 1937.
30 Ce passage est en grande partie repris de notre contribution « Jean Coutrot et la cure psychanalytique de 1936 », citée.
31 Doté d’une jambe articulée, il déploie cependant une activité considérable, y compris sportive. Il gère les papeteries Gaut et Blancan et préside, depuis 1934, la Chambre Syndicale des Transformateurs de papier.
32 Cf. AN, 468 AP 10.
33 En particulier l’Ordre nouveau, l’Homme nouveau.
34 Jacques Branger, « Le contenu... », art. cité, p. 129.
35 AN, 468 AP 11, d. 1, Les conséquences économiques de l’OST, texte d’une conférence à la Xe Foire commerciale et internationale de Lille, 13 avril 1934, 33 p.
36 AN, 468 AP 19, d. 4, note manuscrite de Jean Coutrot à en-tête du MEN, s. d. (mais vraisemblablement du début de 1937), 2 p.
37 Cf. Jean Coutrot, Le système nerveux des entreprises, brochure du Bicra (Bureau des Ingénieurs- conseils en rationalisation), Ed. Delmas, 1934, 30 p. Cf. Aimée Moutet, « L’industrie française des années 1930 : une rationalisation de crise», Annales ESC, 42e année, n° 5, septembre-octobre 1987, p. 1061-1078.
38 Jean Coutrot et E. Hymans, Analyse dynamique et analyse statique, mémoire présenté au Congrès de l’OST (Londres, 1935), reproduit dans Jean Coutrot, L’Humanisme économique, Paris, CPEE, 1936, Annexe III, p. 115-131. Cf. également AN, 468 AP 15, d. 7.
39 Ibid., p. 131.
40 Gérard Bardet, Une expérience de collaboration ouvrière à la direction d’une usine, in Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 33-40.
41 Cf. AN, 468 AP 8, d. 5 ; l’équipe de conjoncture comprend Georges Guillaume et Robert Gibrat.
42 Il fait toutefois partie, en 1935, de la Commission chargée d’étudier la réduction des effectifs de l’Administration.
43 AN, 468 AP 8, Conférence dialoguée de Jean Coutrot et Georges Guillaume, 24 mai 1935.
44 AN, 468 AP 15, d. 5, Jean Coutrot, « Vers un humanisme économique », 15 p.
45 Idem, d. 2, Francis Hekking, « Déflation, dévaluation, or et monnaie », avril-juin 1936, 34 p.
46 AN, 468 AP 18, d. 1, lettre à E. Roche, 22 janvier 1937, 1 p.
47 AN, 468 AP 8, d. 3, s. d. f, Lettre de Jean Coutrot à Hyacinthe Dubreuil, 2 juin 1936, 1 p.
48 AN, 468 AP 8, d. 2, s. d. c., Réflexions sur l’action du Centre, par Gérard Bardet, s. d., 2 p. Cf. également le p.-v. du Conseil du 25 novembre 1935, 1 p.
49 Idem, d. 3, s. d. a, s. d. d, s. d. f, chiffres tirés des p.-v. des réunions du Conseil et du Bureau de X-crise.
50 Idem, d. 3, s. d. f, p.-v. de la réunion du Conseil du CPEE, 24 juin 1936, 3 p.
51 Idem.
52 Idem. En novembre 1936, Gérard Bardet reprend sa démission. Jean Coutrot devient vice-prési- dent du CPEE.
53 Cf. Jean Coutrot, L’Humanisme économique, CPEE, Paris, 1936, 141 p. On trouve la version manuscrite et imprimée de l’ouvrage in AN, 468 AP 15, d. 6 et d. 7.
54 Ibid., p. 13 et 17.
55 Ibid., p. 15-16 et 23.
56 Ibid., p. 22-24.
57 Ibid., p. 23-27.
58 Ibid., p. 49. Il insiste sur le rôle nécessaire des délégués d’atelier.
59 Ibid., p. 25.
60 Ibid., Annexe II, p. 111-114.
61 Ibid., p. 74.
62 Ibid., p. 51 et 54.
63 Ibid., Annexe III, p. 135-142.
64 Ibid., p. 76-77.
65 Ibid., p. 49.
66 Ibid., p. 79.
67 Ibid., p. 54.
68 Ibid., p. 62. Il cite l’exemple anglo-saxon des Chartered accountants.
69 Jean Coutrot, De quoi vivre?, Paris, 1935, préface de Jules Romains.
70 Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 63.
71 Ibid, p. 64.
72 Système mis en place en Tchécoslovaquie en 1919 (Témoignage de M. Slovacec, directeur chez Bata avant la guerre, juillet 1986).
73 Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 66.
74 Ibid., p. 105. Reprise d’une expression de Hyacinthe Dubreuil.
75 Ibid, p. 60.
76 Cité in Ibid., p. 60.
77 Ibid., p. 60.
78 AN, 468 AP 8, d. 3, s. d. f, note de Jean Coutrot, 29 juin 1986, 2 p.
79 Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 41 et 44.
80 Ibid., p. 42 et 46.
81 Ibid., p. 42.
82 Ibid., p. 53.
83 Ibid., p. 27 ; souligné dans le texte.
84 Ibid., p. 10.
85 Ibid., p. 32 ; il ajoute : « Il est possible de peler des hommes par l’intérieur, comme au creux d’un melon, on remplace des pépins insipides par un porto savoureux et de leur greffer, sans douleur ni gaspillage, le contenu psychologique choisi ».
86 Ibid., p. 27-28.
87 Cf. AN, 468 AP 21, 22 et 26, où l’on trouve des documents d’archives du CEPH.
88 Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 29.
89 Ibid., p. 72.
90 Ibid., p. 72 ; souligné par nous.
91 AN, 468 AP 11, d. 1, Jean Coutrot, « Les conséquences économiques de l’OST», conférence du 13 avril 1934, 33 p.
92 Jean Coutrot, L’Humanisme..., op. cit., p. 68.
93 Ibid., p. 31.
94 AN, F 60 579, d. 4, « Réforme de la statistique », note, s. a-, s. d. (la note date de 1935, à l’occasion du décret du 30 octobre), 7 p.
95 Cf. Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 3, p. 347.
96 Ibid., p. 349.
97 AN, F 60 579, d. 4, note citée.
98 Idem.
99 Idem.
100 Cf. Chambre des Députés, 16e législative, 2e session extraordinaire, annexe au p.-v. de la séance du 12 novembre 1936, Rapport de Paul Rives, n° 1274, 1936, 122 p.
101 Cf. Michel Voile, Histoire de la Statistique industrielle, Paris, 1982, 304 p.
102 Chambre des Députés, rapport cité de Paul Rives, p. 56.
103 Ibid., p. 55.
104 AN, F 60 579, d. 4, lettre du syndicat du personnel de la présidence du Conseil, 14 mars 1936, 2 p.
105 Idem, lettre de Michel Huber au président du Conseil, 1935, 2 p.
106 Idem, note de Jules Moch, juillet 1936, 1 p.
107 Chambre des députés, Rapport cité de Paul Rives, p. 53.
108 Ibid., p. 59.
109 Ibid., p. 59.
110 Cf. Alfred Sauvy, De Paul Reynaud à Charles de Gaulle, Paris, 1972, p. 28-33 et La vie en plus, Paris, 1981.
111 AN, F60 579, d. 4, note du 2 mai 1936, 2 p. Les éléments d’information sur la première succession de Michel Huber se trouvent dans ce même dossier.
112 Alfred Sauvy, De Paul..., op. cit., p. 29 ; cf. du même, Histoire..., op. cit., t. 3, p. 361.
113 JO, lois et décrets, 29 novembre 1936.
114 AN, F60 579, d. 4, Lettre d’André Fourgeaud à Léon Blum, 3 décembre 1936, 3 p.
115 Idem.
116 Idem.
117 Paul Rives, Rapport cité, p. 68.
118 Les quatre vice-présidents élus en 1936 sont Jules Gautier, Léon Jouhaux, Peyerimhoff et Poisson ; le secrétaire-général est Georges Cahen-Salvador.
119 On compte une trentaine de rapports de 1926 à 1929 ; la liste des rapports est citée in Ibid., p. 100-103.
120 Ibid.
121 Cf. Commission de la Réforme de l’État, Sénat, 1934, rapports n° 3530 et 3813 de Paul Ramadier sur le CNE.
122 Cf. Bulletin de Statistique et de Législation comparée, (BSLC), 1936, 2e semestre, p. 570-576.
123 Les décrets des 23 et 24 juillet 1936, fixant notamment la composition des vingt sections professionnelles.
124 Cf. Pierre Laroque, Les Conventions collectives de travail, rapport au CNE, 1934.
125 Pierre Laroque cite Gérard Bardet in Les rapports entre patrons et ouvriers, Paris, 1938, 430 p.
126 La loi du 25 mars 1919 fixe le cadre légal de conventions collectives, mais celles-ci ne sont pas obligatoires.
127 Paul Rives, Rapport cité, p. 105.
128 Ibid, p. 106.
129 Ibid., p. 107.
130 Ibid., p. 109.
131 Ibid., p. 49.
132 Cf. Henry Ehrmann, La politique..., op. cit. ; et Ingo Kolboom, Frankreichs Unternehmer in der Periode der Volksfront 1936-1937, 1983 (trad. fr. La revanche des patrons, Paris, 1986, 386 p.).
133 Cf. Jean-Pierre Rioux, « La conciliation et l’arbitrage obligatoire des conflits du travail » in Édouard Daladier, chef du gouvernement, Paris 1977, p. 112-128.
134 Pierre Laroque, Les rapports..., op. cit., p. 341.
135 Cf. Léon Jouhaux, L’arbitrage obligatoire, publication de l’Institut supérieur ouvrier, 1937 ; René Belin, Syndicats, 10 juin 1937 ; Le Peuple, 17 octobre 1936.
136 Pierre Laroque, Les rapports..., op. cit., p. 360 ; cf. Jules Moch, Le Front populaire, Paris, 1971, p. 48.
137 JO, Débats parlementaires, Sénat, 1936, séance du 28 décembre, p. 1769-1770. Cela rejoint l’analyse d’Antoine Prost, « Le climat social », in Édouard Daladier..., op. cit., p. 100.
138 Cf. Jules Moch, Le Front..., op. cit., p. 162-163 ; cf. Pierre Laroque, Les rapports... op. cit., p. 361.
139 On trouve le répertoire chronologique des sentences surarbitrales in JO Annexes-Présidence du Conseil, 1937, p. 619-687, et Ibid., 1938, p. 341-401.
140 Cf. Gabrielle Cadier, « La loi Spinasse », in États, fiscalités, économies, Paris, 1985, p. 181-187 ; Georges Lefranc, Histoire du Front populaire..., op. cit., p. 312-313. Le texte complet de la loi se trouve dans BSLC, 1936, 2e semestre, p. 349-352. Cf. également Michel Lescure in Le capitalisme français..., op. cit., p. 225 et suiv.
141 Les avances pour l’année 1936 se montent à 200 millions de francs ; cf. AEF, B. 33 195, Note de Trésorerie, signée Jacques Rueff, 25 janvier 1937, 4 p.
142 Ce n’est pas tout à fait l’analyse de Gabrielle Cadier ou de Georges Lefranc.
143 BSLC, 1936, 2e sem. p. 349.
144 Cf. Gabrielle Cadier, art. cité, p. 182.
145 JO, Débats parlementaires, Chambre des Députés, 1937, séance du 26 février, p. 799.
146 Ibid., séance du II mars 1937, p. 971-973.
147 Cf. Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 219.
148 JO, DP, CD, 1937, séance du 11 mars, p. 972.
149 Europe Nouvelle, 30 janvier 1937 et L’Humanité, 24 février 1937.
150 JO, DP, CD, 1937, séance du 12 mars, p. 1006.
151 Ibid., p. 973 ; il cite l’exemple de l’Allemagne, où 500 000 personnes sont employées au contrôle des prix.
152 Ibid., p. 973.
153 AN, 468 AP 15, d. 3, projet de déclaration au Sénat, 13 août 1936, 6 p.
154 JO, DP, S., 1936, séance du 13 août, p. 1278-9.
155 Ibid., p. 1278.
156 Ibid., p. 1279.
157 Ibid., p. 1279.
158 Ibid., p. 1278
159 Ibid., p. 1277.
160 Il n’y a pas de trace d’un « Plan » au MEN, comme l’écrit Georges Lefranc (Histoire du Front..., op. cit., p. 325).
161 AN, 468 AP 15, d. 4, sd. b., Journées d’Études du Plan français, « causerie du 31 octobre 1936 », intervention de Jean Coutrot, 11 p.
162 Idem.
163 .Idem.
164 Idem.
165 Idem ; en capitales dans le texte.
166 Idem, coupure de La République, 31 octobre 1936 ; il ajoute : « Nous préférons tous en France l’éducateur au gendarme et l’école à la prison ».
167 Idem.
168 Idem. Il cite comme patrons éclairés Lucien Lainé et Maurice Olivier, qui anime le Comité central de l’Organisation professionnelle (CCOP), à l’origine du mouvement Jeune Patron (cf. X-Crise, n° 35, février 1937).
169 Idem, « causerie... » citée ; cf. L’Aube, 1er novembre 1936.
170 Les archives intéressant le COST se trouvent dans les archives de Coutrot : AN, 468 AP 18, 19 et 20, ainsi que dans AN, F60 625.
171 JO, L et D., 27 novembre 1936.
172 Ibid.
173 AN, 468 AP 18, d. 1, liste des membres présumés du COST, 1er décembre 1936, 1 p. ; on trouve, parmi les membres nommés le 18 juin 1937, Paul Devinat, Laurent Blum-Picard, directeur des Mines, Henri Fayol (CNOF).
174 Idem, COST, p.-v. de la réunion du 7 décembre 1936, 2 p.
175 AN, 468 AP 19, d. 4, avant-projet de plan, sd., 7 p. Jean Coutrot signale qu’il existe le même nombre de lettres dans « NSO » que dans « NRA » ; cf. également sa conférence à X-Crise, en décembre 1936.
176 Cf. AN, 468 AP 18, d. 6.
177 AN, 468 AP 19, d. 4, avant-projet cité.
178 Idem.
179 AN, F60 625, d. 2, « Programme d’action du COST », par Jean Coutrot, 17 décembre 1936, 12 p.
180 AN, 468 AP 18, d. 1, lettre de Jean Coutrot à Hyacinthe Dubreuil, 12 décembre 1936, 1 p. ; s.p.n.
181 Projet d’exposé des motifs cité in Humanisme économique, n° 5, janvier 1938.
182 Cf. X-Crise, avril 1937. Après la conférence de Robert Lacoste, Jean Coutrot parle de doter d’un « statut » les classes moyennes.
183 AN, 468 AP 15, d. 5, « Vers un humanisme économique », conférence de Jean Coutrot au groupe Jeunes, 7 décembre 1936, 26 p.
184 Idem.
185 Humanisme économique, n° 5, cité, p. 10.
186 AN, 468 AP 15, d. 4, causerie citée.
187 Idem.
188 Idem.
189 Humanisme économique, n° 5, cité, p. 12.
190 AN, 468 AP 8, d. 6, Lettre de Jean Coutrot à Gérard Bardet, 10 février 1937, 3 p. ; souligné par nous ; cf. X-Crise, n° 35, février 1937.
191 Jean Coutrot, Les méthodes d’organisation rationnelle, ce qu’elles peuvent apporter à l’activité économique française, conférence du 25 juin 1937, p. 18 ; on trouve le texte in AN, F60 625, d. « COST » et in AN, 468 AP 16, d. 7.
192 Ibid.,
193 Avant-projet in Humanisme économique, n° 5, cité, p. 13.
194 Jean Coutrot, Les méthodes... op. cit., p. 18-19 ; souligné par nous.
195 AN, 468 AP 15, d. 4, causerie citée.
196 AN, 468 AP 19, d. 4, avant-projet cité.
197 Idem, lettre d’André Monestier à Jean Coutrot, décembre 1936, 2 p.
198 Cf. X-Crise, n° 34, janvier 1937.
199 AN, 468 AP 19, d. 4, lettre de Jean Coutrot à René Capitant, 3 mars 1937, 1 p.
200 JO, DP, CD, 1937, séance du 11 mars, p. 973.
201 Ibid.
202 Ibid.
203 Témoignage de Louis Franck (Neuilly, 10 décembre 1986).
204 AN, 468 AP 8, d. 1, lettre de Jean Coutrot à Émile Roche, 22 janvier 1937, 1 p.
205 Idem, d. 4, X-Crise, n° 33, septembre-décembre 1936.
206 AN, 468 AP 19, d. 4, note du MEN, manuscrite, 2 p.
207 AN, 468 AP 8, d. 6, lettre à Gérard Bardet, citée.
208 X-Crise, n° 33, sept.-déc. 1936, extraits de La Conjoncture.
209 Ibid, n° 34, Janvier 1937.
210 JO, DP, CD, 1937, séance du 11 mars, p. 973.
211 AN, 468 AP 8, d. 6, lettre citée.
212 Idem.
213 AN, 468 AP 19, d. 4, note citée.
214 AN, 468 AP 19, d. 4, note citée.
215 Idem.
216 Jean Coutrot, Les méthodes..., op. cit., p. 9 ; un millier de normes peu appliquées en France s’opposent à 10 à 15 000 normes appliquées en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
217 Ibid., p. 9.
218 Ibid., p. 14 ; depuis 1936, il en existe également une à Lille.
219 Ibid., p. 14. Il signale également le très faible tirage des deux ouvrages de Hyacinthe Dubreuil consacrés à l’OST.
220 Ibid., p. 15.
221 AN, 468 AP 18, d. 1 : on y trouve une correspondance importante à ce sujet.
222 Idem, d. 4, note citée, p. 1.
223 X-Crise, n° 33, sept.-déc. 1936.
224 Ibid.
225 Jean Coutrot, Les méthodes..., op. cit., p. 8-9 ; souligné par nous.
226 Ibid, p. 23.
227 Ibid., p. 4 ; souligné par nous.
228 AN, 468 AP 8, d. 6, lettre citée à Gérard Bardet.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006