Conclusions de la seconde partie
p. 263-264
Texte intégral
1Après quatre années de tentatives déflationnistes, une politique de la demande, la reflation, l’emporte à partir du mois de juin 1936. Il s’agit d’une véritable mutation mentale et culturelle pour l’État. Mais celle-ci ne résulte pas d’une remise en cause endogène de la part des gouvernants de 1935 ou des experts. Elle provient d’un double ébranlement exogène, d’ordre socio-politique.
2Tout d’abord, la victoire électorale et parlementaire du Front populaire et, en son sein, la prépondérance de la SFIO, implique la mise en œuvre par des gouvernants socialistes — pour les plus importants d’entre eux — des mesures contenues dans le programme de janvier 1936. Ce dernier ne contient guère des « réformes de structures » auxquelles cependant la SFIO, malgré le rejet officiel en 1934 des thèses planistes, a paru attachée lors des débats antérieurs à la réalisation du compromis. De même qu’il existe, à droite, un déphasage entre les discours publics, puisant leur substance dans les « dogmes austéro-libéraux », et la pratique interventionniste, de même, dans le mouvement ouvrier, apparaissent des distorsions entre un modèle révolutionnaire anti-étatique et anti-gestionnaire et la définition de mesures nécessaires contre la crise économique. Outre la pression d’un parti communiste ascendant, la SFIO subit la « double contrainte de Tours » qui, depuis 1920, la conduit à ne pas abandonner aux seuls communistes la perspective révolutionnaire et à rejeter le renforcement de l’État avant ou sans transformation sociale. Ainsi, la voie vers un réformisme explicite — notamment pour la direction de l’économie et des finances — lui semble fermée. Et le caractère d’abord « antifasciste » de l’alliance, qui implique la présence de radicaux à peine guéris de la déflation, empêche l’engagement de profondes « réformes de structures ».
3D’autre part, les mesures de direction de l’économie et des finances sont prises « à chaud », lors des grèves d’une ampleur inégalée, d’où la précipitation du rythme de leur application et l’ampleur des réformes sociales. Parmi les trois « lectures » du programme commun, celle des socialistes l’emporte, du fait de leur hégémonie parlementaire et gouvernementale. Ainsi, bénéficiant d’un véritable état de grâce initial, le gouvernement tente la carte de la reflation dans le libéralisme financier et de la relance sans contrainte. La voie en est étroite : ni dévaluation, pour ne pas mécontenter les salariés et l’allié communiste, ni contrôle des changes, afin de ne pas inquiéter épargnants, radicaux ou interlocuteurs anglo-saxons. Il reste toutefois un second fer au feu, une stabilisation monétaire et économique internationale — projet socialiste bien général, il est vrai — à propos duquel Léon Blum et Vincent Auriol savent que, pour le volet monétaire, ils peuvent compter sur la bonne volonté de Henry Morgenthau, mais doivent lever les réticences de Neville Chamberlain.
4Les bienfaits de la reprise intérieure civile — et éventuellement du renouveau des échanges internationaux — doivent, selon le schéma reflationniste, assainir finances et trésorerie par la réinjection spontanée des milliards thésaurisés ou émigrés. À la fin du mois d’août, alors que les conflits sociaux ont cessé dans la plupart des branches et que des milliers de salariés ont pu goûter aux joies des premiers congés payés, plusieurs organes nouveaux se mettent en place : première réunion de l’assemblée de la Banque de France, Comité central et comités départementaux pour la surveillance et l’information contre la hausse injustifiée des prix, première séance du Conseil national de l’Office du Blé, fixant son prix à 140 francs. Le Populaire du 28 août 1936 note les « premiers symptômes de reprise » (accroissement du nombre de wagons chargés, des recettes de chemin de fer, du rendement des impôts indirects). Est-ce la réussite du « New Deal à la française » ? Encore faudrait-il que dans l’État, les experts, façonnés par le « modèle austéro-libéral », se convertissent aux postulats reflationnistes, et que, dans le tissu social, entrepreneurs et porteurs de capitaux se manifestent par des anticipations favorables. Les tensions de l’automne vont avoir raison des espoirs de l’été.
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L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion 1932-1952. Volume I
Ce livre est cité par
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L’État, les finances et l’économie. Histoire d’une conversion 1932-1952. Volume I
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