Chapitre VIII. L’été 1936 : une direction nouvelle
p. 229-262
Texte intégral
1André Delmas présente, dans ses Mémoires, le scénario classique auquel s’attendaient la plupart des contemporains : une présidence du conseil radicale, le dépôt de quelques-uns des projets du programme et l’étalement des autres sur la totalité de la législature. Or, les conditions d’application du programme de Rassemblement populaire se présentent, dès l’abord, de manière originale, du fait du fléchissement électoral des radicaux, de la poussée de l’extrême-gauche, de l’ampleur des grèves et, surtout, d’un phénomène nouveau : les occupations. Dans ces conditions, la chronologie des réformes s’en trouve accélérée, et l’ordre de priorité reflète le souci de rétablir une vie de travail normale dans les entreprises. Dans les premières semaines, le Front populaire manifeste une ardeur réformatrice intense — marquée par trois vagues de mesures — et inégalée ensuite. Peut-on alors parler d’une mutation structurelle dans la direction de l’économie et des finances ? Comment s’organise la coexistence des nouveaux gouvernants avec les experts : y-a-t-il des bouleversements parmi ces derniers ? Du fait de la prépondérance des socialistes dans la nouvelle majorité parlementaire, comment se manifeste l’hégémonie de leur « lecture » du programme, compte tenu de l’héritage des politiques antérieures ?
I. LES TROIS VAGUES DE RÉFORMES : UNE MUTATION STRUCTURELLE ?
1. Le programme du Front populaire en quatre-vingts jours ?
2En l’espace de quatre-vingts jours, le gouvernement dépose vingt-quatre projets importants, et obtient le débat et le vote favorable des deux assemblées à leur sujet : un « record » jamais approché, selon Jules Moch, pour lequel les services de l’Hôtel Matignon ont assuré la coordination du travail législatif1.
• Un « autre ordre » et un « autre rythme ».
3Les réformes entreprises se trouvent incluses, seulement pour partie, dans le programme de Rassemblement populaire. Cependant, comme Léon Blum le signale trois mois plus tard, le gouvernement n’a pas été en mesure de maîtriser la chronologie : « Si nous avions été complètement maîtres des circonstances, peut-être les mêmes mesures seraient-elles venues dans un autre ordre, peut-être auraient-elles été engagées sur un autre rythme »2. L’« ordre » et le « rythme » des réformes répondent en effet aux exigences de l’heure : mettre un terme aux occupations d’usines et aux grèves. À Paul Reynaud qui, à la fin de février 1937, lui reproche d’avoir engagé trop vite un trop grand nombre de réformes coûteuses, Léon Blum réplique : « Si vous aviez voulu au mois de juin dernier appliquer à ce pays une combinaison de dévaluation et de déflation renforcée en remettant à l’avenir (...) les grandes réformes sociales, je ne sais pas trop à quel résultat vous auriez abouti »3.
4Les principales décisions sont prises en l’espace de trois jours. Le 4 juin, à dix-huit heures, Albert Lebrun appelle officiellement Léon Blum ; à vingt et une heures, ce dernier constitue son gouvernement. Dès le 5 juin, à 12 h 30, Léon Blum lance un appel radiodiffusé (répété une heure plus tard et dans la soirée), dans lequel il annonce la formation du gouvernement, sa présentation devant les Chambres pour le lendemain et le dépôt immédiat de trois projets : la semaine de quarante heures, les contrats collectifs, les congés payés4. Parallèlement, il réunit son conseil de cabinet et, sollicité par Alexandre Lambert-Ribot, par l’entremise de son ami Paul Grune-baum-Ballin, il charge Roger Salengro de prendre contact avec la CGT, pour engager la négociation souhaitée par l’organisation patronale. Le choix du ministre de l’Intérieur témoigne, en partie, du souci d’obtenir l’évacuation des entreprises, qui relève de sa compétence5. Le 6 juin, Léon Blum prononce sa déclaration ministérielle devant la Chambre, dans laquelle il annonce le dépôt immédiat d’une première série de dix projets — comprenant les trois mesures annoncées la veille à la radio — puis d’une seconde de six mesures6. Le 7 juin, deux séances de négociations permettent d’aboutir à la signature de l’Accord Matignon, effective à 0 h 45 du matin. Au même moment, Léon Blum assure Léon Jouhaux que les trois projets annoncés le 5 juin seront déposés et votés au plus vite, grâce à la constitution d’une commission spéciale7. Le 9 juin, le groupe communiste à la Chambre dépose une dizaine de propositions de lois, notamment sur l’institution d’un prélèvement sur les grosses fortunes, la mise en vigueur de la carte d’identité fiscale, l’ouverture de grands travaux, la création d’un Office national interprofessionnel du blé, et d’un Fonds national de chômage8.
5Cette chronologie souligne à la fois la rapidité et Yordre de priorité parmi les mesures. Dans le même temps, le gouvernement se constitue, organise une grande négociation sociale et obtient l’assentiment des deux Chambres sur les projets annoncés. Ce sont les trois textes promis le 5 juin qui sont votés les premiers : le 21 juin 1936, toutes les étapes constitutionnelles jusqu’à la promulgation ont été franchies. Les sept autres projets contenus dans la déclaration ministérielle sont présentés par le gouvernement et votés dans le mois qui suit (à l’exception de la nationalisation des fabriques d’armements, adoptée par le Sénat le 7 août) et tous promulgués au 15 août. À la clôture de la session, le 13 août, Léon Blum peut affirmer que les dix engagements du 6 juin ont été tenus9.
• Unanimité : l’état de grâce ?
6Autre fait notoire, la plupart de ces textes, en particulier les premiers, ont été adoptés par des majorités bien plus larges que l’effectif des élus du Front populaire à la Chambre comme au Sénat. Seul l’Office du blé ne recueille pas la totalité des suffrages des députés élus sous la bannière du Front populaire ; c’est le texte qui est également le plus contesté au Sénat (165 voix contre 82), et promulgué le dernier (le 15 août). Les quarante heures et le nouveau statut de la Banque de France suscitent l’hostilité respective de 100 et 111 députés, et de quatre-vingts et soixante-dix-sept sénateurs. À l’autre pôle, les grands travaux ne trouvent qu’un opposant au Sénat et aucun à la Chambre ; les congés payés, deux au Sénat et un seul à la Chambre, les conventions collectives quatre et sept.
2. La première vague : trois réformes de joyeux avènement pour parer aux occupations.
7Les trois premières mesures, adoptées et destinées à faire cesser la grève par la satisfaction des salariés et de la classe ouvrière, sont présentées par Léon Blum au Sénat comme ... « peut-être le plus important progrès qui ait jamais été accompli dans une démocratie en matière de législation sociale »10. Fait d’ailleurs étonnant, deux de ces mesures — les congés payés, les conventions collectives — étaient absentes du programme de Rassemblement populaire, et la troisième — on l’a vu — était mentionnée sans indication explicite des quarante heures. Ce n’est pas le respect de la lettre du programme qui a animé le gouvernement nouvellement constitué, mais le souci de satisfaire au plus vite le mouvement ouvrier, en reprenant les principales de ses revendications, qui ont ainsi été « ajoutées » au plus fort de la mobilisation des salariés11. Il est vrai que les congés payés avaient déjà été adoptés par la Chambre en 1928, mais enterrés par le Sénat. Quant aux contrats collectifs, le principe en a été admis par la CGPF, le 7 juin, dans l’Accord Matignon12. Léon Blum ne manque pas de souligner, à l’adresse des sénateurs, que les délégués patronaux, en apposant leur signature, « ... avaient le sentiment que l’espoir du vote de ces lois était un des éléments de la conciliation possible »13. Si les quarante heures éveillent le plus de « vigilance » et d’« inquiétude » chez les sénateurs, et même les députés, les contrats collectifs sont présentés par Léon Blum comme « l’acte le plus important qui ait été accompli dans la législation sociale de ce pays »14. Georges Boris parle à leur propos, en leur associant la reconnaissance des délégués ouvriers, « d’ordre social nouveau »15. Deux jours après sa fameuse injonction sur la nécessité de terminer la grève « dès que satisfaction a été obtenue », Maurice Thorez présente, pour le Comité central, l’Accord Matignon comme un succès pour sept millions d’ouvriers. Le contrat collectif lui apparaît comme « la plus grande victoire des métallurgistes ». Toutefois, à la différence de Léon Jouhaux, il se refuse à le présenter comme le « début d’une ère nouvelle ».16
8L’adoption de ces trois lois, qui vont symboliser les « acquis » de l’été 1936 pour les salariés, a donc été obtenue sans grande résistance. Les circonstances ont fait que les réticences ont pris le plus souvent les apparences de la résignation, comme en témoignent les propos du président de la République, lors de la présentation des projets de loi, au premier Conseil des ministres, le 9 juin : « Je signe, la mort dans l’âme. Mais je signe tout de même, car c’est mon devoir »17. Paul Reynaud rappelle, dans ses Mémoires, les ralliements hâtifs au soir du 14 juillet, et reproduit ses réactions de l’époque : « Soudaine et passagère conversion ? Politesse ? Frousse ? Intérêt ? Ne nous appesantissons pas. Le Front populaire a maintenant beaucoup d’amis ! Des hommes prudents... »18. Sur la lancée de cette première vague, sont également déposés, entre le 9 et le 22 juin, cinq projets (dont quatre ont été annoncés par Léon Blum, le 6 juin) : outre l’amnistie, deux mesures portant atteinte à la politique de déflation — la suppression de l’impôt sur les pensions et la révision des décrets-lois — ainsi que, dans la perspective de réduire le chômage, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans et l’abaissement de la limite d’âge pour les fonctionnaires.
3. La seconde vague : trois « réformes de structures ».
9Parmi les mesures de la seconde vague, on note trois « réformes de structures » : l’Office du Blé, la réforme de la Banque de France et la nationalisation des fabrications d’armements, dont les projets sont déposés les 18, 19 et 26 juin, et dont le vote dans les deux Chambres est assuré entre le 14 juillet et le 7 août.
• L’Office du blé : un compromis réformiste.
10Le projet gouvernemental initial, déposé le 18 juin 1936, s’inspire des propositions socialistes défendues par Ceorges Monnet19. Il s’agit du texte qui suscite le plus d’affrontements parlementaires, surtout au Sénat, et qui est soutenu par les majorités les plus faibles dans les deux chambres. Outre la fixation d’un prix stable pour chaque campagne et l’institution du monopole du commerce extérieur, le texte prévoyait le monopole du commerce intérieur par les coopératives agricoles et rendait obligatoires les paiements par le biais des caisses régionales de crédit agricole. Afin d’éliminer toute manœuvre spéculative, le projet envisageait la suppression de tout intermédiaire privé entre le producteur et le minotier, l’Office étant, à travers les coopératives, le seul acheteur de blé aux paysans et le seul vendeur aux meuniers. Dès que le projet est connu, il rencontre une « vive hostilité » de la part des intéressés20. Ce ne sont pas les Chambres d’Agriculture (à la suite d’une consultation officielle, elles admettent le principe de l’Office à une large majorité), mais les représentants des organisations professionnelles qui adressent de nombreuses protestations aux pouvoirs publics21. Outre les coopératives agricoles, seules la Confédération nationale paysanne (socialiste) et la Confédération générale des Paysans (communiste), très minoritaires, soutiennent le projet. En particulier, l’Association générale des Producteurs de Blé, ainsi que les négociants, limités désormais dans leur action, les meuniers et transformateurs de blé mènent la riposte22. Lors des débats parlementaires, les différents griefs sont largement développés. Outre les critiques générales sur le caractère « étatiste », « marxiste », sur la « socialisation de l’agriculture »23, ou sur le coût de l’opération, les objections principales portent sur la représentation des producteurs au Conseil central, jugée trop faible, et sur la suppression du commerce privé, résultant du monopole assuré par les coopératives. À la Chambre, les oppositions ne sont pas très puissantes et les modifications au projet minimes. La Commission de l’Agriculture, présidée par le communiste Renaud Jean, seconde efficacement le gouvernement et remet son rapport en moins d’une semaine. Le rapporteur, le député SFIO de l’Yonne, Maxence Roldes, reprend les propos, tenus par Léon Blum quelques jours plus tôt, sur le fait que « le projet gouvernemental s’insère tout naturellement dans le plan général d’accroissement de la capacité de consommation », ajoutant que quarante pour cent de la population est composée de ruraux. Le débat à la Chambre s’ouvre le 3 juillet, et dure près de trente heures sans interruption. Georges Monnet conteste le fait que le commerce puisse jouer un rôle régulateur, du fait de sa grande concentration, et justifie le monopole des coopératives comme organisme payeur. Une discussion assez vive s’engage autour de l’article 4 : plusieurs députés redoutent que le prix minimum ne devienne un prix maximum, que la loi n’empêche une hausse, en cas de récolte déficitaire24. Le texte, légèrement amendé, est finalement voté, par 357 voix contre 21525. Le 7 juillet, il est déposé au Sénat.
11Dans la seconde assemblée, l’opposition ne vient pas tant de la droite que des sénateurs radicaux, souvent élus par un électorat rural sans attache avec le Front populaire de la nouvelle Chambre. Henri Queuille et ses collègues s’emploient surtout à défendre la liberté du commerce et à réduire le rôle des coopératives26. Les sénateurs peuvent s’appuyer sur un fait matériel : la capacité de stockage des coopératives n’atteint guère plus de quatre millions de quintaux et se trouve très inégalement répartie. Le Figaro prend l’exemple de l’Aveyron, département du sénateur Raynaldy, où les deux coopératives peuvent traiter 40 000 quintaux, pour plus de 650 000 quintaux à vendre2. Le 23 juillet, le Sénat adopte l’amendement Raynaldy rendant ... « au commerce son rôle séculaire qui pourra s’exercer à égalité avec celui des coopératives »27. Le ministre cède, tout en obligeant les commerçants autorisés à acheter, vendre et stocker, à faire transiter les paiements par les caisses de Crédit agricole, au même titre que les coopératives, et à rester sous le contrôle du Comité départemental de l’Office. Ce compromis rompt l’homogénéité initiale du projet Monnet, qui appuyait le fonctionnement de l’Office sur le réseau des coopératives, et met en place un « système dualiste »28. En échange, le Sénat doit céder sur la procédure de fixation des prix et renoncer à réserver ce droit aux seuls producteurs : il accepte une majorité des trois quarts des membres du Conseil, avec un quorum des quatre cinquièmes et un arbitrage du gouvernement, au cas où le quorum ne serait pas atteint29. Il a fallu pas moins de sept navettes pour mettre au point le compromis. Ces rebondissements expliquent la date relativement tardive de la promulgation, le 15 août 1936. La loi sur l’Office du Blé représente, malgré les concessions consenties par Georges Monnet sur le projet initial, l’une des plus importantes innovations structurelles de direction de l’économie. Cela explique en partie le fait, peu souligné, qu’elle suscite les plus vives oppositions, en contraste avec l’apparente unanimité sur les lois sociales. Double innovation, en vérité : la mise en marché du blé est soumise désormais, et durablement (sous Vichy et au-delà) au prix de campagne et au contrôle de l’Office ; innovation pour la pensée socialiste, qui ne subordonne pas cette réforme de la commercialisation à des transformations de la propriété agraire. Le réformisme socialiste se manifeste historiquement d’abord sur le terrain agricole.
• La fondation de la « Banque de la France ».
12La nationalisation du crédit était l’un des points principaux du Plan de la CGT et des planistes hors de France. Deux collaborateurs du Bureau d’Études de la CGT, Achille Dauphin-Meunier et Francis Delaisi, élaborent deux brochures sur la question : en avril 1935, le premier fait éditer La Banque par les Cahiers de la Démocratie, sous le pseudonyme de Pierre Ganivet. Quant au second, il publie, sous le patronage du CVIA, un ouvrage au sujet plus restreint, intitulé30. La Banque de France aux mains des 200 familles Et, quelques jours avant le premier tour des élections législatives, se déroule à Genève, la Conférence internationale des Plans du Travail, qui succède à celle de Pontigny, tenue en 1934. Les participants viennent surtout, outre la France, de Belgique, des Pays-Bas et de Suisse : se trouvent ainsi rassemblés Henri de Man, John S. Cripps, Hugh Gaitskell, Hyacinthe Dubreuil31. Un comité de rédaction, auquel participent Achille Dauphin-Meunier, Jean Duret et André Philip, est chargé de formuler des propositions sur la nationalisation du crédit. Le texte définitif, publié par l’Institut supérieur ouvrier (ISO), reprend certaines idées de l’ouvrage de Ganivet32. Ce dernier y défendait en particulier l’idée que le crédit... « tend à devenir un régulateur de cette production à caractère anarchique », d’où la nécessité d’une « direction du crédit [allant] de pair avec la nationalisation des banques ». Il ajoute : « La nationalisation de la Banque de France est la première mesure qui s’impose », et propose... « de fusionner les divers établissements publics ou semi-publics qui, à l’heure actuelle, ont la charge des fonds de l’État et de la majeure partie de l’épargne privée » [dans un] « Institut National du Crédit » [permettant] « de pousser à son terme la nationalisation externe des banques »33. Le comité de rédaction de la conférence présente des conclusions sur « la nationalisation du crédit », qui s’appuient sur un texte rédigé par André Philip, et reprennent des propositions formulées par Achille Dauphin-Meunier. Il prévoit trois organismes différents : 1. « Nécessité d’une banque centrale, chargée de créer la circulation monétaire et de diriger la politique d’investissement du pays », avec « une mainmise immédiate de la collectivité sur la banque centrale », et la « création d’un institut de conjoncture »34. 2. « Nécessité d’un organisme de distribution du crédit à court terme ». 3. « Pour les avances à long terme, nécessité d’un institut des investissements »35. Il est précisé qu’une telle nationalisation suppose « un transfert à la collectivité des assurances et des industries clés » et « un contrôle rigoureux des changes étrangers »36. Projet qui témoigne des préoccupations planistes, proches des idées de Henri de Man. Les conclusions signalent d’ailleurs dans les « principes » que « La nationalisation du crédit (...) ne prend sa valeur que dans le cadre d’une réorganisation socialiste de la production »37. Ces projets restent cependant très généraux et sommaires sur les voies et moyens. L’U.T.S. avait également prévu, à partir de 1934, un projet de réforme de la Banque de France, la seule envisagée par le programme de Rassemblement populaire. La formule « Faire de la Banque de France la Banque de la France » est textuellement empruntée à l’intitulé de la conclusion de l’ouvrage de Francis Delaisi38.
13Vincent Auriol désigne une commission, présidée par Étienne Antonelli, qui comprend les hommes ayant travaillé au Plan de la CGT (Achille Dauphin-Meunier, Francis Delaisi, Léon Jouhaux, Robert Lacoste, Jacques Samama, Jean Saltes), plusieurs membres du cabinet du ministre (André Fourgeaud, Ludovic Tron, de Lestang, Raymond Haas-Picard) et d’autres conseillers (René Brunet, Émile Labeyrie, Netter). Achille Dauphin-Meunier parle d’un premier projet de véritable nationalisation, qui aurait été écarté par la présidence du Conseil39. Gaston Cusin, secrétaire de la commission, ne partage pas cet avis ; le travail des commissaires s’est appuyé sur les projets antérieurs, sans que toutefois un texte ne fût prêt40. Gaston Cusin, dans le projet de discours justifiant le projet définitif qu’il transmet à Vincent Auriol, reprend largement les arguments défendus par Francis Delaisi. Ce dernier insiste sur le caractère républicain de la mesure et présente des propositions qui peuvent recueillir l’accord des « experts les plus modérés ». Elles inspirent le projet sur trois points :
- le fait que le gouverneur et le sous-gouverneur ne soient pas actionnaires de la Banque et n’acceptent, à leur sortie de charge, aucune place dans un conseil d’Administration ;
- la suppression du privilège des 200 plus gros actionnaires ;
- la représentation des « forces productives du pays » dans le nouveau conseil41.
14Francis Delaisi ajoutait : « En somme, 6 fonctionnaires nommés par les Pouvoirs publics, et 12 représentants de l’Économie élus par leurs organisations, avec droit de veto au gouvernement contre toute mesure jugée arbitraire ou dangereuse ; c’est assez (...) pour assurer à la fois l’indépendance de l’État, et celles des industries, petites ou grandes, qui travaillent directement pour la consommation »42. Il précisait qu’il s’agissait là d’un « minimum », pouvant être admis « par le Français le plus prudent »43. Il semble qu’il y ait eu volonté de se rallier à ce projet modéré. Lors du débat à la Chambre, Joanny Berlioz, au nom du parti communiste, souligne cet aspect. En outre, dans la présentation des différentes hypothèses — rachat, augmentation de capital, formule retenue — qu’il prépare pour Vincent Auriol, Gaston Cusin insiste sur le fait que la réforme, sans modification du capital, serait acquise aux moindres frais. Il reprend, dans le projet de discours pour son ministre à la Chambre, l’argument de Francis Delaisi, selon lequel « ces mesures [rachat ou augmentation de capital] auraient atteint l’immense majorité d’actionnaires qui ne sont en rien responsables de la gestion »44. La loi du 24 juillet 1936, en effet, ne modifie pas le capital, mais supprime effectivement les Régents et institue un Conseil général de vingt membres (sans représentation du pouvoir législatif, comme il était indiqué dans le programme), mais composé de représentants des ministères, des établissements de crédit public ou semi-public, des « grandes forces organisées du travail et de l’activité industrielle, commerciale et agricole », ainsi que seulement de deux représentants de l’Assemblée générale des actionnaires. Six jours plus tard, les principaux Régents signent une protestation en conseil45. Le texte pouvait cependant apparaître en retrait par rapport aux projets des planistes, d’où une certaine amertume dans leurs rangs46.
15Mais, dès le 4 juin 1936 — jour de la formation du gouvernement Blum — le gouverneur Jean Tannery est remplacé par Émile Labeyrie. Procureur général près la Cour des comptes, il fait partie, à plusieurs reprises, du cabinet de Joseph Caillaux. Personnalité controversée, peu prise au sérieux par 1’« establishment » de la Banque de France ou de la rue de Rivoli, il n’est jusqu’à la presse américaine qui, en 1939, rappelle le mot de Schacht, selon lequel « on peut aborder avec lui tous les sujets, sauf ceux se rapportant aux banques centrales ». Il semble que les réserves alors formulées à son endroit soient d’autant plus vives que son ralliement notoire au contrôle des changes était un fait rare, on l’a vu, dans les milieux financiers47.
• La nationalisation des industries de guerre.
16Le jour où la Chambre adopte la réforme de la Banque de France, le 16 juillet, est également votée la nationalisation des usines travaillant pour la guerre. Le Sénat l’approuve à mains levées, le 7 août ; elle est promulguée le 12 août. Elle est suivie de douze décrets d’application, dont un intéresse la Marine, huit la Guerre : les établissements deviennent des arsenaux d’État ; trois autres décrets, signés par Pierre Cot, créent, à partir d’une vingtaine de fabriques privées de cellules, six sociétés mixtes, dans lesquelles l’État possède les deux tiers du capital. Mais il faut près de deux ans pour qu’économiquement et financièrement l’organisation de la branche soit effective48.
17Une troisième vague de réformes intervient au cours du mois d’août, parallèlement à la mise en place de nouvelles institutions de direction de l’économie.
II. HOMMES ET INSTITUTIONS : RUPTURE OU CONTINUITÉ ?
1. Les ministres et leur entourage.
• Les ministres.
18Parmi les ministres, et particulièrement ceux qui devaient s’occuper des finances et de l’économie, il n’y a pas eu de véritable surprise. Léon Blum a choisi seul les socialistes49. Dès le 5 mai, il a déjà désigné Vincent Auriol pour les Finances, à cause de sa longue expérience parlementaire — à la Commission des Finances — aux côtés de Léon Blum, et du soin avec lequel, comme ce dernier, il s’était tenu à l’écart des tendances. Le choix de Charles Spinasse en qualité de ministre de l’Économie nationale ne saurait surprendre non plus. Pour un poste beaucoup plus modeste, Léon Blum fait appel à un ancien professeur de l’enseignement technique, également parlementaire (dont Georges Soulès dit qu’il mettait un an pour fignoler son unique intervention annuelle à la Chambre des députés). Il a été fort attentif à la rationalisation, puis à la crise, et a noué des liens avec des économistes comme Dmitri Navachine, assassiné ensuite dans des conditions mystérieuses, ou des hommes de X-crise, auxquels il va d’ailleurs faire appel50. Le choix de Georges Monnet pour le ministère de l’Agriculture était d’autant plus attendu qu’il était devenu le spécialiste incontesté des questions agricoles depuis 1934, qu’il apparaissait comme l’un des futurs dirigeants nationaux de la SFIO, et que, proche de Léon Blum, il avait secouru celui-ci, lors de l’agression qu’il avait subie en février 1936, tandis que la voiture où ils se trouvaient ensemble était arrêtée par le cortège funèbre de Jacques Bainville. Tous trois ont siégé à la Commission des Finances en 1924. Paul Ramadier, néo, est chargé d’un poste technique, en qualité de sous-secrétaire d’État aux Travaux publics, mines et électricités. La désignation de Paul Bastid comme ministre du Commerce et de l’Industrie, relève surtout des dosages que voulait ménager le nouveau président du Conseil à l’égard du parti radical.
19Pour le choix des non-socialistes, Léon Blum a sollicité quelques conseils51. D’après les archives de l’IML, les communistes, tout en rejetant la participation, ont émis quelques vétos, portant d’ailleurs davantage sur quelques personnalités précises, que sur la présence de radicaux, même modérés. Maurice Thorez explique devant le Comité central, le 25 mai 1936 : «... Nous ne laisserons pas mettre n’importe qui à n’importe quel poste. Nous avons mis un veto formel sur une série d’hommes (...). Pas de Sarraut. Je ne parle pas de Mandel ou de Frossart (...). Pas de Bonnet, c’est-à-dire pas de Lavaliens convaincus. Nous n’avons rien contre les radicaux modérés ou de droite. Comme le croient certains socialistes, le moment n’est pas de rétrécir, mais d’élargir le plus »52. Leur exclusive porte d’ailleurs sur quelques hommes, bien plus pour leurs positions en matière de politique extérieure, qu’à propos des finances ou de l’économie. D’autre part, le 11 mai, Léon Blum et Paul Faure sollicitent Léon Jouhaux, qui, d’après plusieurs témoignages, aurait été tenté par un poste gouvernemental. Mais, à la CGT, la CA, le 12, puis le CCN, le 18, rejettent l’offre, tout en insistant sur la nécessité d’un programme de grands travaux « conçu massivement et financé de manière adéquate »53. Il semble que les communistes aient exercé une pression efficace en ce sens54.
• L’équipe de Matignon.
20L’entourage immédiat du président du Conseil est principalement recruté par le nouveau secrétaire général, Jules Moch55. Celui-ci puise surtout parmi l’UTS, qu’il a contribué à forger. Parmi les techniciens plus spécialement chargés des finances et de l’économie, il faut signaler Raymond Haas-Picard, les quatre polytechniciens Max Dacosta, Gabriel Gins-bourg — qui périront en mai 1940 — Étienne Gout, et surtout Roger Renault, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, qui va prendre en charge le service des Grands Travaux56. On compte également, pour les questions financières, Étienne Antonelli, député SFIO de Savoie (1924-28), membre du Bureau d’Études de la CGT et professeur à l’Université de Montpellier, ainsi que Robert Marjolin. Ce dernier, malgré son ancienne appartenance au groupe Révolution constructive, est jugé trop libéral par certains planistes57. L’« équipe » de Matignon, en dépit d’une certaine sympathie de la part de Jules Moch, ne peut donc être considérée comme un groupe planiste à proprement parler.
• Vincent Auriol et son « assemblage de bric et de broc ».
21L’ensemble des collaborateurs de Vincent Auriol ne reflète pas une construction préparée de longue date. C’était, d’après Gaston Cusin, sous-chef de cabinet, un assemblage « de bric et de broc »58. On y trouve des hommes qui avaient appartenu aux cabinets de ministres radicaux : André Flouret, chef de cabinet, avait été dans celui de Joseph Caillaux en 1925 ; Ludovic Tron, chef-adjoint, l’un des plus armés en technique financière — le seul inspecteur des Finances avec Jean Saltes — a été membre du cabinet de Camille Chautemps59. Figurent également des universitaires, tel Étienne Weill-Raynal, agrégé d’histoire, spécialiste des réparations allemandes, dont la longévité fut remarquable, ainsi que André Fourgeaud, professeur à la Faculté de Droit de Toulouse (proche de Muret, patrie de Vincent Auriol), connu pour plusieurs ouvrages, notamment sur la rationalisation, et pour sa participation à divers cercles de techniciens. Son rôle ultérieur a été fort critiqué, en particulier dans les divers ouvrages d’Alfred Sauvy60. Il faut ajouter des hommes proches des milieux de la CGT, notamment de Robert Lacoste, et de la Tribune des fonctionnaires : Jean Saltes, qui va remplacer Ludovic Tron après son départ pour Rome ; Gaston Cusin, fonctionnaire des douanes, dont la collaboration a été conseillée à Auriol par Neumeyer, à la suite de sa participation aux travaux du Plan, à propos de la nationalisation de la Banque de France61. Enfin, André Monteil, rédacteur au ministère des Finances. Les autres membres du cabinet ont joué un rôle plus modeste62. Outre les membres du cabinet proprement dit, Vincent Auriol s’appuyait sur quelques techniciens : Jean Jardel — qu’il fait nommer directeur du Budget, à la place d’Yves Bouthillier —, André Weiller et André Philip, professeur de droit à Lyon, l’un des premiers dirigeants du syndicalisme universitaire, avec André Fourgeaud63.
2. L’Administration des Finances : épuration ou replâtrage ?
22À l’égard des directeurs ou directeurs généraux de l’Administration, il ne semble pas qu’il y ait eu une doctrine bien tracée64. Plusieurs directeurs ont été écartés, pour leur hostilité déclarée : Jean-Jacques Bizot, directeur de la Comptabilité publique, Decron, Georges-Picot, directeur du Contrôle des administrations financières, et surtout Yves Bouthillier, connu pour son sectarisme, à la direction du Budget, remplacé par Jean Jardel, ami d’enfance de Robert Lacoste et futur secrétaire général du maréchal Pétain65. Mais les choix pour les remplacer se sont généralement portés sur leurs adjoints : ainsi pour Jacques Brunet à la Comptabilité Publique, Jean Jardel au Budget. Il n’y a guère eu de principes bien définis pour les nominations nouvelles. On s’en rendra compte lorsqu’en novembre 1936, Wilfrid Baumgartner, directeur du Mouvement général des Fonds, quitte ses fonctions, à la suite d’un désaccord sur l’analyse des responsabilités dans la décision de dévaluer. Vincent Auriol fait appel à Jacques Rueff, alors directeur adjoint, bien que celui-ci ait fait partie du brain-trust personnel de Pierre Laval et soit fort connu pour ses options marquées par l’orthodoxie libérale66.
3. Un nouveau promu : le ministère de l’Économie nationale (MEN).
• Des hommes neufs : l’appel à X-crise.
23Créer un service de l’Économie nationale n’était pas une innovation, puisque les gouvernements modérés, en 1930-31, y avaient eu recours67. Le hisser au rang d’un ministère à part entière semblait toutefois témoigner d’une préoccupation particulière pour l’économie. La création d’un ministère de l’Économie nationale n’était pas originellement un thème socialiste ou syndicaliste, mais bien plutôt une proposition issue des milieux techniciens ou patronaux. Dès le début des années 1920, les groupes travaillant autour de Georges Valois envisagent un tel ministère. Le Redressement français voit en lui le véritable artisan de la politique économique, dans la mesure où il doit dominer tous les ministères techniques (Commerce, Industrie, Agriculture, Travail, Marine marchande, Travaux publics...)68. Malgré cette promotion, le nouveau département ne dispose guère des moyens en hommes et en services dignes d’un vrai ministère69. Alfred Sauvy a plaisamment conté l’installation des nouveaux locataires de l’immeuble, situé au Rond-Point des Champs-Élysées70.
24Le nouveau ministre a été l’un des premiers conférenciers de X-crise. Il fait appel à certains de ses membres, qui se révèlent parmi les plus capables de son cabinet. Jacques Branger, tout d’abord, l’un des premiers membres de X-crise et coauteur du Plan du 9 juillet avec Jean Coutrot, appelé quelques mois plus tard par Charles Spinasse. Il a également recours à Alfred Sauvy pour le service de conjoncture, encore dans l’enfance, et s’entoure des conseils de Georges Guillaume et Louis Rosenstock-Franck71. C’est surtout à Branger et Coutrot que le ministre fait appel, lorsqu’il doit prendre des décisions ou élaborer des projets d’importance. Il s’adresse, en outre, à certains responsables de la CGT, tel Francis Million, ancien secrétaire du Bureau confédéral et directeur du Peuple, qui abandonne ses fonctions, lors de l’unité syndicale avec les unitaires, par hostilité radicale à l’égard des communistes. Il est, en outre, assez proche de Jacques Rueff72. Chef adjoint du cabinet, il est chargé des arbitrages, puis du Comité national de Surveillance des Prix et de la Caisse nationale des Marchés de l’État. Spinasse nomme également comme chargé de mission Jacques Samama (dont le pseudonyme est Dupiol), membre du Bureau d’Études du Plan, rédacteur de l’Atelier pour le Plan et chef de bureau à la Caisse des Dépôts73. Les autres collaborateurs jouent un rôle moindre74.
• Des prétentions ambitieuses.
25Sur le papier, d’après les termes des décrets des 4 et 19 juin 1936, le rôle du nouveau ministère n’était pas mince. Le rapport au président de la République mentionne... « la mission d’assurer l’unité de la direction des initiatives du gouvernement dans le domaine économique », et précise que « de la compétence du ministère de l’Économie nationale relèvent tous les problèmes d’ordre économique »75. Plusieurs textes, tous datés du 19 juin 1936, fixent les cadres institutionnels et attributions du nouveau ministère. Un décret signale, dans son article 1, que le ministre est « chargé de coordonner l’activité des ministres des Travaux publics, du Commerce, de l’Agriculture, des Postes Télégrammes et Téléphone et des sous-secrétaires d’Etat aux mines, électricité et combustibles liquides, à la marine marchande et à l’agriculture »76. En l’absence d’une véritable tutelle sur ces services, l’article 2 soumet au « contreseing » du ministre tous les projets de loi et décrets émanant des ministres précédemment énumérés. De plus, il entre dans ses attributions toutes les questions intéressant le Conseil national économique (art. 3). Enfin, il est institué, sous la présidence du ministre de l’Économie nationale, un Comité ministériel permanent de l’Économie nationale, comprenant les représentants des ministères techniques cités. À l’été 1936, le MEN apparaît à un observateur comme « un « superministère » de contrôle et d’impulsion aux effectifs très réduits, mais aux attributions très larges »77. Dans les regroupements entre ministères, Charles Spinasse est chargé de coordonner un ensemble important : cinq ministères et trois sous-secrétariats d’État. Pour cela, il dispose de structures nouvelles et d’instruments nouveaux, grâce à une troisième vague de réformes. Datent des 18 et 19 juin 1936 quatre lois défendues par le nouveau ministre. Elles définissent deux axes de la nouvelle politique économique : les grands travaux, la surveillance et le freinage de la hausse des prix.
• Des structures nouvelles.
26Le 30 juin 1936, Charles Spinasse et Jacques Branger déposent un projet de loi : l’article 1 fait mention d’un plan de grands Travaux d’un montant de vingt milliards, à réaliser en trois années, en sus des programmes existants78. Le 21 juillet, la Chambre adopte le projet à l’unanimité ; le Sénat l’imite, le 11 août (à l’unanimité moins une voix)79. Dans son plaidoyer, Léon Blum réaffirme les principes reflationnistes de la politique gouvernementale. Il explique que l’application des lois sociales... « aussi prompte et aussi complète qu’on puisse le supposer, ne suffirait pas à épuiser le nombre des chômeurs totaux ou partiels », et justifie la « nécessité du Plan » par la « nécessité d’user de tous les moyens qui sont à la portée des pouvoirs publics pour provoquer le démarrage économique (...) en donnant plus d’intensité à la production, d’opérer une compression sur les éléments des prix de revient autres que les salaires (...) de faire refluer dans le circuit économique la plus large portion possible de thésaurisation locale »80. Il évoque 1’« énorme arriéré administratif » de travaux courants pour les communes, et présente sa conception du plan en deux fractions : d’abord, des « plans synthétiques » par ministère et, ensuite, conformément à l’idée défendue depuis 1932, ... « faire sortir le plan définitif d’une sorte de consultation des assemblées locales », car, ajoute-t-il, ... « c’est sur cette conception que nous faisons reposer (...) le financement du projet »81. La loi reprend le chiffre de vingt milliards sur trois ans, issu des travaux de la CGT. Le gouvernement reçoit délégation jusqu’au 31 décembre 1936, pour prendre les décrets nécessaires. Mais pas plus de quatre milliards ne pouvaient être engagés au titre de l’exercice 1936, dont un seul milliard de crédits de paiement payables avant le 31 décembre 1936. Le chiffre d’un milliard correspondait à ce qui pouvait techniquement être payé d’ici la fin de l’année 1936, compte tenu que, si les grands travaux existent désormais légalement, il reste à leur donner un contenu technique et économique, et à trouver les sources de financement effectif. Dans l’esprit de Léon Blum, le milliard doit permettre de « liquider l’arriéré » et de « mettre en train les travaux de la région parisienne ». Dans un second temps, il prévoit « la confection du plan proprement dit », qui comprend l’examen des différents projets existants, en particulier ceux du Plan et la CGT82.
27Le 19 août, est également promulguée une loi créant la Caisse nationale des Marchés de l’État, destinée à cautionner les avances — pour 6 mois — consenties sur nantissement de marchés de travaux publics ou de fournitures de l’État. Œuvre de Jacques Branger, elle est gérée par un Conseil de douze membres, parmi lesquels trois représentants du ministère de l’Économie nationale, le gouverneur de la Banque de France, le directeur du Mouvement général des Fonds. Mais sa dotation initiale est limitée à cinquante millions de francs. Elle est conçue comme devant faciliter le financement des grands Travaux83.
28Fidèle à la lecture reflationniste du programme, le gouvernement mise sur une relance civile, dont le financement repose massivement sur l’appel à l’épargne locale thésaurisée. Ce même 19 août 1936, sont promulguées deux autres lois, sur proposition de l’Économie nationale, afin d’amortir en partie les répercussions sur les prix des lois sociales votées en juin. D’abord, la « loi Spinasse », destinée à fournir « une aide temporaire aux entreprises commerciales, industrielles et agricoles », en particulier aux petites et moyennes, éventuellement en difficulté de trésorerie, du fait des récentes augmentations de salaires et avantages accordés aux salariés. Des comités départementaux se constituent auprès de chaque succursale de la Banque de France. Un Comité central est également mis en place, pour les prêts supérieurs à 100 000 francs. Les prêts transitent par les Banques populaires, qui peuvent les réescompter auprès de la Banque de France84. Enfin, une loi réprime « la hausse injustifiée des prix ». Un Comité national de Surveillance des Prix, présidé par le ministre de l’Économie nationale et composé de vingt membres (représentant à la fois les administrations publiques, les producteurs et les consommateurs), est chargé d’étudier des prix de gros « normaux », à partir de listes de denrées transmises par le ministère de l’Économie nationale. Il revient aux comités départementaux (composés de quinze membres et présidés par le préfet) d’étudier les prix de vente en demi-gros ou en détail85. À la suite des hausses de salaires, parfois très supérieures à la moyenne de 12 % citée dans l’Accord Matignon, les socialistes au gouvernement ont conscience que le dérapage des prix peut faire capoter l’expérience d’augmentation du pouvoir d’achat. L’une des premières interventions publiques de Charles Spinasse a pour objet de dénoncer à la radio-diffusion, le 7 juillet, le risque d’augmentation des prix et d’annoncer le plan d’action du gouvernement86. Robert Marjolin s’inquiète, quelques jours plus tard, devant les hausses de prix, qui ont suivi immédiatement, ou parfois même ont légèrement précédé le vote des lois sociales, alors que 1’« effet d’entraînement » ne peut être enregistré qu’avec un certain retard. Il annonce l’étude des répercussions par le Comité interministériel nouvellement créé, et signale que « les profits doivent être diminués quand ils dépassent un niveau normal », notamment dans les industries dites « abritées »87. L’équipe gouvernementale manifeste la conscience que le sort de l’expérience dépend de la plus ou moins grande maîtrise des prix, à la suite des réformes de la première vague.
• Une réalité plus modeste : un « ministre sans ministère ».
29Ainsi, ce ministère dispose apparemment d’attributions vastes. Mais il ne repose pas sur une véritable assise administrative, dotée de services permanents. Dans les faits, il doit exercer son action à travers un certain nombre d’organismes qui lui sont rattachés, dont certains existent déjà (le Conseil national économique, puis, à partir de novembre 1936, la Statistique générale de la France), et d’autres sont nouvellement créés (la Caisse nationale des marchés, le Comité national de Surveillance des Prix, le Comité permanent de l’Économie nationale, et, après novembre 1936, le Centre national d’organisation scientifique du Travail). Plusieurs de ces organismes n’ont d’autorité que virtuelle, dans la mesure où les services enracinés de longue date rue de Rivoli leur laissent un espace disponible et des fonds suffisants. De même, le « contreseing » semble assez vite illusoire. Doté d’un budget ridicule, de locaux étroits et surpeuplés au Rond-Point des Champs-Élysées, ce nouveau ministère — « immense cabinet, état-major sans troupes » — ne peut, comme les Finances, s’appuyer sur un grand corps comme l’Inspection des Finances ou, comme le Commerce, sur les ingénieurs des Mines ou des Ponts. Même si Charles Spinasse tente d’y suppléer, en faisant appel à d’anciens polytechniciens, il apparaît comme un « ministre sans ministère », chargé de réfléchir aux problèmes économiques, sans disposer vraiment de moyens pour agir et s’imposer aux ministères techniques88.
III. LE FRANC ET LA TRÉSORERIE : ÉTAT DE GRÂCE OU SURSIS ? (juin-juillet 1936)
1. Le legs : le singulier laxisme du gouvernement Sarraut.
30La situation de la trésorerie se détériore fortement entre le départ de Pierre Laval et l’arrivée de Léon Blum, soit avant l’arrivée du Front populaire au pouvoir.
• L’épuisement des possibilités d’emprunt.
31Après les sorties d’or et la crise monétaire de novembre 1935, la trésorerie est aux abois. Wilfrid Baumgartner fait part à Marcel Régnier, le 15 janvier 1936, de la « réticence indiscutable » de la clientèle à l’égard des emprunts et de la grande difficulté à placer les obligations de la Défense nationale89. Dès cette date, le recours au crédit à long terme semble impossible, du fait de la « faiblesse presque chronique » du marché, de même qu’il apparaît difficile d’accroître la dette flottante. De multiples expédients ont également été épuisés : réescompte des bons du Trésor, mobilisation d’emprunts divers auprès de différentes collectivités (Ville de Paris, chemins de fer...). Comme en 1933, il a donc fallu recourir, sur les conseils du directeur du Mouvement général des Fonds, à un emprunt britannique à moyen terme90. Il n’est conclu que le 17 février 1936, soit après le départ de Pierre Laval. Cet élément a sans doute pesé sur le fait que l’emprunt n’ait été assorti par Londres d’aucune contrepartie commerciale, « grâce à l’intervention notamment de M. Pierre-Étienne Flandin », nouvel hôte du Quai d’Orsay et partisan de l’alliance britannique91. Or, peu après la constitution du gouvernement Sarraut — dans lequel Marcel Régnier reste ministre des Finances —, plusieurs décisions sont prises, qui vont largement peser sur la situation dont hérite Vincent Auriol. Le 26 janvier 1936, lorsque Wilfrid Baumgartner dresse le bilan pour son ministre — en vue du premier Conseil de cabinet du ministère Sarraut — il souligne « le caractère vraiment sérieux de (notre) situation financière », caractérisée par la quasi-impossibilité de recourir ni au marché financier, ni au marché monétaire92. Il signale les indices de reprise, mais affirme « que la reprise se fera plus tardivement dans notre pays parce que le niveau des prix y est plus élevé qu’ailleurs ». Il suggère toutefois de « maintenir le franc jusqu’à la consultation électorale », et évoque, parmi les mesures facilitant la tâche du ministre des Finances, « la possibilité d’avancer la date des élections »93. Dans l’attente, le crédit britannique offre un « répit fort appréciable pour le Trésor jusqu’à la fin du mois de mars »94.
• La Rhénanie et l’inflation quasi ouverte.
32Avec la remilitarisation de la Rhénanie, le 7 mars 1936, la situation se dégrade brutalement. Tous les indicateurs se mettent au rouge : tension sur le marché des changes, sur le marché monétaire (à cause de l’accélération des remboursements de bons du Trésor, des excédents de remboursement de bons de la Défense nationale et des retraits des Caisses d’épargne) et sur le marché financier (du fait de la chute des rentes)95. Alors qu’avant l’affaire rhénane, Wilfrid Baumgartner allait conseiller une opération à assez court terme, il la juge désormais impossible. Comme il lui paraît également exclu de recourir à un emprunt à l’étranger, au marché financier ou aux bons du Trésor (dont la limite de circulation, contenue dans la loi de Finances, est déjà atteinte), il préconise le concours direct ou indirect de la Banque de France, dont il ne cache pas « qu’il s’agira très probablement d’une mesure quasi définitive d’inflation »96. Par une manœuvre à peine déguisée, le gouvernement obtient des deux Chambres, le 23 mars 1936, de porter le maximum de quinze milliards de souscription de bons du Trésor à près de vingt et un milliards, en y incluant les autorisations d’émission pour le Fonds spécial d’Outillage et d’Armement97. De manière assez étonnante, les responsables des Finances comme les parlementaires, y compris les sénateurs, se résignent allègrement à une inflation quasi certaine, puisqu’il est évident que les bons du Trésor ainsi créés seront en grande partie réescomptés comme en 1935.
33Si l’on reprend, grâce aux archives du Mouvement général des Fonds, la ventilation des bons du Trésor présents dans le portefeuille de la Banque de France depuis juin 1935, on s’aperçoit que jusqu’à juin 1936, la plus grosse part y a été introduite pendant les quelques semaines du gouvernement Sarraut :
34Certes, le rythme se poursuit après la constitution du gouvernement Léon Blum : 700 millions de bons sont réescomptés le soir-même, et encore 800 millions la semaine qui suit. Mais la route de l’inflation a été largement empruntée avant le 5 juin.
• « D’étranges conversions » (Léon Blum).
35Sous Pierre Laval, les milieux officiels de la finance et de l’Administration défendaient la valeur du franc mais, à partir du début de 1936, des personnalités importantes semblent se résigner à la dévaluation. Wilfrid Baumgartner — on l’a vu — a mis en garde son ministre, dès janvier, sur la surévaluation des prix français. En avril, le Bulletin quotidien considère que la déflation a commencé trop tard, et qu’elle doit s’accompagner de la dévaluation. En mai, peu après les résultats électoraux, Louis Germain-Martin, « le père de la déflation en France, l’auteur des premiers décrets-lois, entreprend une campagne pour la dévaluation »98. Il propose dans Le Capital du 26 mai de « laisser glisser le franc pour qu’il soit, par rapport à la livre, à une parité plus faible, entre 90 et 100 francs par exemple »99. Quelques jours plus tard, Charles Rist dénonce la disparité des prix comme la « cause centrale du mal, qu’il faut faire disparaître. Supprimer cette disparité, voilà le but essentiel d’une dévaluation — but qui sera d’autant plus atteint que le franc sera rattaché d’abord à la livre — en attendant que les deux monnaies se rattachent ensemble à l’or »100. Il semble que, après l’échec de la déflation Laval, et, a fortiori après la victoire électorale du Front populaire, une partie des clercs, adeptes jusque-là de la déflation, admettent beaucoup plus aisément l’inflation, et l’éventualité d’une dévaluation.
36Dès janvier 1936, Wilfrid Baumgartner a bien résumé la situation pour Marcel Régnier. La politique déflationniste, en toute hypothèse — même celle de la dévaluation — était indispensable ; mais il précise : « cet effort a atteint non pas sa limite financière (...) mais sa limite politique »101. Et, dans son premier discours en qualité de président du Conseil, Léon Blum s’étonne devant... « d’assez étranges, d’assez frappantes conversions »102. La pression en faveur de la dévaluation est d’autant plus forte qu’elle est léguée au futur gouvernement.
• Le fond du sac.
37Les sorties d’or s’accélèrent de nouveau, à partir de la fin de mars : 1,4 milliard en mars, contre 250 millions en février, un milliard en avril, puis deux milliards dans la seule quinzaine de mai103. Robert Marjolin dénonce le caractère politique de cette spéculation, en l’absence de modifications de la situation budgétaire, économique, nationale ou internationale, par rapport aux jours précédents104. Le 6 mai — trois jours après le second tour — Wilfrid Baumgartner expose la situation à Albert Sarraut, en présence de Marcel Régnier et Jean Tannery, souligne 1’« affaiblissement continu de l’encaisse de l’Institut d’émission », et annonce, pour les premiers jours de juin, l’épuisement des autorisations d’émission, pourtant largement accrues par la loi du 23 mars. En effet, le financement des charges de la trésorerie depuis la mi-mars s’effectue presque uniquement par la souscription de bons ordinaires du Trésor, réescomptés auprès de la Banque de France105.
2. Répit ou sursis monétaire ?
38On sait, grâce aux témoignages de Jules Moch et Wilfrid Baumgartner au Colloque sur « Léon Blum, chef de gouvernement » (en 1965), aux mémoires d’Emmanuel Mönick (en 1970) et aux articles de René Girault (en 1977-78), que Léon Blum envoie secrètement à Washington, dès juin, l’attaché financier à Londres, pour sonder Henry Morgenthau junior et le président Roosevelt, au sujet d’une éventuelle dévaluation106.
• La double pression des hauts fonctionnaires.
39Emmanuel Mönick raconte avoir rencontré Léon Blum quai Bourbon, avant même qu’il ne prenne ses fonctions. Il lui a présenté le dilemme entre « la voie allemande, l’autarcie (...) un système toujours plus accentué de restriction des changes (...) une économie toujours plus nationale-socialiste », ou bien « l’état de symbiose avec le monde libre (...) en accord et avec le soutien des deux grandes démocraties occidentales : l’Angleterre et les États-Unis »107. La dévaluation aurait ainsi été présentée à la fois comme l’instrument de la « symbiose », et le remède contre 1’« autarcie ». Dans le même temps, le surlendemain des élections (le 5 mai), Wilfrid Baumgartner fait rédiger une note sur les moyens de ralentir les sorties d’or. Évoquant l’exemple allemand et italien, il signale que le contrôle des changes « aboutit en définitive à l’institution d’un monopole du commerce d’importation », nécessitant des mesures rigoureuses de contrôle, y compris des lettres recommandées. Il manifeste son scepticisme, quant à l’efficacité de la mesure car, ajoute-t-il, « dans le cas où le maximum de rigueur a été employé, la dépréciation réelle de la monnaie n’a pu être évitée »108. La parité maintenue est alors présentée comme purement fictive. Une double pression s’exerce donc pour présenter la dévaluation comme une solution, l’autre branche de l’alternative étant le contrôle des changes, assimilé à une mesure préludant au totalitarisme.
• Plan Auriol et plan Morgenthau.
40Mais, de toute façon, dès le début de juin, les principaux dirigeants socialistes étaient personnellement ralliés à la dévaluation, même si leur majorité politique et parlementaire leur interdisait d’en faire état109. Une nouvelle crise monétaire affecte les réserves de la Banque de France, du 1er au 9 juin, période qui comprend la formation du gouvernement Blum et la signature de l’Accord Matignon. Le 3 juin, H. Merle Cochran, officiellement premier secrétaire d’ambassade à Paris, mais, de fait, « œil et oreille de Henry Morgenthau en Europe », informe le secrétaire au Trésor de la perte de plusieurs millions d’or par la Banque de France110. Ce dernier souhaite, depuis la dévaluation du dollar, une stabilisation internationale des monnaies, qui s’appuierait sur la signature d’un accord avec Londres et Paris. À cette date, il existe un plan Morgenthau, comprenant :
- la dévaluation du franc (entre vingt et trente pour cent) ;
- l’engagement britannique de ne pas faire davantage baisser la livre ;
- l’accord permanent de coopération entre les trois trésoreries pour stabiliser leurs monnaies111. Mais le responsable américain ignore les intentions de Londres. Il pense détenir un atout dans la promesse éventuelle de l’ouverture du marché américain de l’or, fermé jusque-là aux Britanniques. Le 5 juin, jour de la formation du gouvernement Blum, à onze heures, Cochran est le premier visiteur du nouveau ministre des Finances, Vincent Auriol, qui rejette le plan. Son argument essentiel : la hausse du coût de la vie qui peut en résulter, et l’opposition farouche des communistes, dont le poids est si important dans le Front populaire112. Le lendemain, à sa sortie de la Chambre des Députés, nouvelle rencontre entre Vincent Auriol et Cochran, chargé par Morgenthau de lui demander la réaction française à une éventuelle dévaluation, assortie d’un engagement des Anglo-Américains de ne pas déprécier davantage leurs monnaies113. Vincent Auriol, qui sans doute ignore alors la rencontre Blum-Mönick, rejette la proposition, mais défend l’idée — tout en demandant qu’elle reste secrète — d’une dévaluation au sein d’un accord beaucoup plus vaste, incluant aussi les Pays-Bas et la Suisse, débouchant sur une « paix générale, monétaire et économique », et demande à Washington de contacter Berne, La Haye et Londres114. On reconnaît là les propos de 1935. H. Cochran rétorque que la situation est trop urgente pour envisager un objectif plus ambitieux que la stabilisation monétaire. Toutefois, le surlendemain, 8 juin, alors que les sorties d’or de la Banque de France se poursuivent, Cochran, soutenu par Morgenthau, obtient à Bâle, à la réunion de la Banque des Règlements internationaux, l’accord de principe de L. J. A. Trip et G. Bachmann (au titre, respectivement, de la Banque néerlandaise et de la Banque nationale de Suisse) sur un éventuel accord de stabilisation115. Reste Londres. Mais Neville Chamberlain refuse — comme à chaque occasion depuis 1931 — d’aliéner sa liberté, tout en acceptant de tenir la livre en cas de dévaluation française, si du moins Paris en prend l’initiative seul, et si son taux n’est pas trop fort116. À ce moment, la crise monétaire s’apaise. Dans le même temps, Léon Blum envoie secrètement Emmanuel Mönick à Washington, où il arrive le 20 juin117.
• La mission Mönick : alignement sur Washington.
41Dès sa première rencontre avec Henry Morgenthau, celui-ci fait remarquer à Mönick que le projet Auriol est irréalisable, que la seule issue serait une dévaluation française, suivie d’un accord tripartite de stabilisation. Or, « de manière surprenante », Emmanuel Mönick ne défend pas le point de vue de son ministre, mais abonde dans le sens du secrétaire du Trésor américain118. Il ne semble pas faire grand cas du vaste projet de paix monétaire et économique, et se montre surtout soucieux de recouvrir la dévaluation française d’un certain habillage (« dressing »), afin de la faire admettre par l’opinion, comme il le confie au président Roosevelt, le 23 juin119. Alors que Mönick se dit prêt à négocier immédiatement à Washington, Roosevelt pense préférable, pour ménager 1’« amour-propre » britannique, que Paris envoie la même communication à Londres et Washington. L’attaché français s’essaie avec Henry Morgenthau à élaborer un projet d’accord tripartite. Le secrétaire du Trésor insiste sur l’importance d’un Fonds français de stabilisation, qui travaillerait en accord avec ses homologues anglo-saxons120. Mais, le 30 juin, lors du départ de Mönick, rien n’est décidé à Paris. À son retour en France, le marché monétaire s’est calmé, et reste tranquille jusqu’à la première semaine d’août. Emmanuel Mönick a toutefois élargi le cercle des personnalités informées de sa mission, en envoyant un télégramme de Washington121. De plus, il raconte que, lors d’un dîner à l’ambassade de France à Londres, le 23 juillet, il parvient à réunir Léon Blum et Neville Chamberlain, qui assure son interlocuteur de son absence d’hostilité à l’égard d’une dévaluation, pourvu que le taux en soit raisonnable122. Les sources américaines soulignent, en revanche, que le chancelier de l’Échiquier s’y est affirmé opposé à un accord tripartite123.
3. Dilemme imposé ou accepté par avance : la reflation sans contrainte financière.
42Des hauts fonctionnaires parmi les plus importants ont ainsi, par la présentation technique de la situation, contribué à enfermer les responsables politiques dans le dilemme « dévaluation ou autarcie ». C’était également le thème dominant de l’opposition politique à la Chambre, et dans le pays plus généralement. Léon Blum manifeste une conscience aiguë de cette pression exercée sur lui. Le 12 juin, à la Chambre, il refuse le dilemme : « Alors, chaque fois qu’on n’est pas partisan de la dévaluation, on devient, dans ce pays, un partisan de l’autocratie, et les partisans de la dévaluation sont les seuls tenants de la liberté ? »124 Est-ce à dire que, malgré cela, « le pouvoir de décision a échappé aux responsables politiques » ?125.
• Ni dévaluation unilatérale...
43Emmanuel Mönick ne cache pas dans ses Mémoires combien Léon Blum a paru irrité par sa démarche à Londres. Lors de leurs déclarations publiques, Léon Blum et Vincent Auriol s’étaient en effet engagés à ne pas recourir à la dévaluation. Non pas par méconnaissance ou préjugé, mais par la nécessité socio-politique de ne pas mécontenter les salariés, particulièrement les ouvriers, et le parti communiste. Vincent Auriol précise pour les députés, le 19 juin 1936 : « Je veux seulement vous inviter à réfléchir à cet argument d’ordre social : l’ajustement des prix intérieurs, consécutif à des mesures de dévaluation, ne tarderait pas à provoquer des réactions violentes de la part du monde du travail, qui serait naturellement porté à penser que l’on cherche trop facilement à lui reprendre d’une façon indirecte le bénéfice des avantages matériels qu’il compte s’être assurés pour l’avenir »126. Quelques jours auparavant, Paul Reynaud ne s’y est pas trompé, dans son commentaire de la déclaration ministérielle de Léon Blum : « ... Je ne puis pas me flatter que le silence de votre déclaration ministérielle sur ce point signifie le changement d’une politique à laquelle vous êtes hélas incité par des alliés impérieux »127. Mais cette attitude reflète chez les socialistes la fidélité à leurs idées antérieures de stabilisation internationale : ils refusent une « dévaluation unilatérale ». D’ailleurs, ni Léon Blum, ni Vincent Auriol ne s’en cachent. Le premier confie au Sénat, le 16 juin : ... « La dévaluation, je le sais bien, c’est une réduction en valeur absolue de toutes les charges fixes, de toutes les charges incompressibles qui existent pour un État comme pour une industrie quelconque. Mais je ne crois pas que personne ici, à commencer par M. le président de la commission des Finances envisage ce cas, en dehors d’arrangements internationaux et d’un alignement contractuel et général »128. Le second, trois jours plus tard, reprend, devant les députés, la même distinction entre la « dévaluation unilatérale » et « l’alignement [qui] suppose la discipline durable de tous, une entente internationale dans la paix économique, l’organisation rationnelle des échanges, prélude à l’organisation de la paix indivisible »129. Il présente cet alignement comme peu probable, du fait de l’instabilité internationale, et rejette la « dévaluation unilatérale avec tous ses dangers »130. Le ministre des Finances de 1936 ne disait pas autre chose que le député socialiste de 1935131. D’ailleurs, on a vu qu’il se ménageait secrètement une possibilité, en engageant les États-Unis à préparer cet armistice monétaire par des contacts avec Londres, Berne et La Haye.
• ... ni contrôle des changes.
44Les socialistes, on l’a vu, étaient spontanément peu favorables au contrôle des changes. Malgré quelques propos assez vifs contre « les déserteurs du franc » deux fois traîtres au pays, et l’annonce de négociations pour obtenir des renseignements sur les capitaux français réfugiés — dont les intéressés savent le caractère illusoire dans le cas du Royaume-Uni et des États-Unis — Vincent Auriol annonce clairement, ce même 19 juin : « Il faut laisser libre la création, la circulation des richesses »132. Et quelques semaines plus tard, Charles Spinasse proclame devant le Conseil national économique : « Vouloir maintenir une monnaie par un contrôle des changes, c’est s’obliger à l’isolement économique, c’est abandonner par une apparence de stabilité les réalités de l’échange international et l’augmentation de bien-être qu’il apporte aux populations qui n’en refusent pas le bienfait »133.
• La « lecture » socialiste du programme : reflation, « inflation de secours » et emprunt populaire.
45Léon Blum, en défendant les différents projets de loi devant les deux assemblées a réaffirmé les principes de la reflation, fondée sur l’accroissement « de la capacité générale d’achat et de consommation »134, ainsi que sa volonté d’appliquer les mesures sociales et économiques du programme : outre les lois sociales, les grands travaux, la revalorisation des prix agricoles, la détente fiscale. Devant le Sénat, il se réclame du précédent de Roosevelt135, ce qui entraîne, de la part de Joseph Caillaux, une interpellation sur une éventuelle dévaluation. Léon Blum la rejette, considérant que la « reprise de la consommation » est l’élément décisif du démarrage et que, contrairement aux États-Unis, il existe une « énorme thésaurisation intérieure », qu’il convient de réinjecter136. Dans le bilan qu’il présente le 19 juin à la Chambre, Vincent Auriol révèle la lourdeur de l’héritage pour le Trésor et annonce les premières mesures. S’appuyant sur des exemples étrangers, en particulier le New Deal, il reprend l’idée, chère à la SFIO, du rétablissement des finances grâce à la reprise économique, et sans aggravation des prélèvements fiscaux : « Si l’on relève, par les prix et par le mouvement économique, le chiffre des affaires, on relèvera en même temps le rendement des impôts et, mieux encore, par l’accentuation des plus-values, on pourra détendre la fiscalité, baisser le taux de l’intérêt et accroître encore (...) le chiffre des affaires sur le marché intérieur et (...) extérieur »137. Il compte sur la réserve de capitaux thésaurisés, estimée à soixante milliards : « Il n’est qu’un refuge sûr, c’est la ruche nationale. (...) Le problème de trésorerie est fonction de la confiance collective du pays et du retour de ses capitaux dans l’activité économique renaissante »138. Cependant, en dressant le bilan de l’héritage, il estime, à partir d’une note de Wilfrid Baumgartner, les besoins de trésorerie à plus de quinze milliards, d’ici la fin de 1936139.
46Pour financer immédiatement le surcroît de charges résultant des réformes destinées à relever la capacité générale d’achat, il faut toutefois envisager un « découvert » ou, comme l’avait dit Léon Blum quelques jours auparavant, que « la nation s’ouvre un crédit suffisant à elle-même »140. Pour cela, suivant les conseils de son directeur du Trésor, Vincent Auriol propose de transformer les quelque quatorze milliards de bons réescomptés en avances franches de la Banque de France, de demander l’autorisation de dix milliards d’avances nouvelles, et de porter la circulation des bons du Trésor à 20 milliards (soit dix milliards de bons nouveaux). Georges Boris, commentant dans La lumière le discours de Vincent Auriol, résume ainsi la politique économique et financière à venir : « En attendant, le Trésor sera alimenté pendant une brève période par une inflation « de secours », puis, dès que les premiers résultats de l’expérience apparaîtront, par l’appel à l’épargne, qui devra fournir les fonds nécessaires à l’exécution des grands travaux »141. En outre, le ministre n’écoute pas les conseils de Wilfrid Baumgartner, qui l’avait dissuadé de lancer un emprunt à court terme dans le public, par peur du mauvais placement des bons du Trésor142. Au contraire, à la Chambre, Vincent Auriol présente la décision de proposer des bons à court terme dans le public, à concurrence de dix milliards, comme une véritable innovation, revendiquée comme telle : « Ce n’est pas à quelques- uns que nous voulons réserver l’avantage de ces placements à court terme pour le salut du franc, c’est à tous les Français »143 Le ministre prévoit donc « une inflation de secours », qui sera d’autant moins forte que les souscriptions aux bons seront importantes. Dans son esprit, avances et bons ne se cumulent pas, mais du fait de la faiblesse du marché monétaire, il était peu probable d’obtenir dix milliards par l’emprunt seul144. Afin d’obtenir la confiance nécessaire à l’emprunt, Vincent Auriol n’hésite pas à rassurer sur les perspectives d’allégement de la fiscalité, et de libre circulation des capitaux.
• Le répit et la reflation sans contrainte : fidélité ou entorse au programme ?
47Or, dans le même temps, la situation financière s’est détendue. À partir du 9 juin, les sorties d’or s’apaisent. Et, « faisant la nique à la doctrine », la Banque de France abaisse assez rapidement le taux de l’escompte de 6 % à 5, puis à 4, et même 3 %145. Les facteurs qui permettent d’expliquer cette détente sont ambigus. Est-ce le résultat des propos très fermes, tenus par Léon Blum, sur le refus de couvrir « les murs des affiches blanches d’un coup d’État monétaire »146 ? Philippe Schwob, dans l’Europe nouvelle, donne une autre interprétation. Selon lui, les facteurs psychologiques ont joué un rôle majeur dans la détente, en particulier la déclaration de Vincent Auriol, le 19 juin : « Du fait même qu’elle écartait les mesures de force, préconisées par certains éléments du Front populaire qui ne participent pas au pouvoir, elle a produit une très nette impression de détente »147. Le non-recours aux mesures financières du programme préconisées par les communistes aurait ainsi apaisé quelque peu les esprits. L’or rentre, en petites quantités certes, mais davantage que pendant les dix-huit mois précédents. Parallèlement, les bons Auriol se placent assez bien et rapportent près de 4,5 milliards, de juillet à septembre, dont plus de deux milliards en juillet148. À la veille du putsch militaire en Espagne, Léon Blum a défendu, sur les ondes de la radio, l’emprunt « démocratique et social »149.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE VIII
48Ainsi, la lecture socialiste du programme semble triompher : la reflation sans contrainte financière, ni fiscale. Dès la fin de juillet, une bonne partie des réformes sociales d’« augmentation de la capacité générale d’achat » ont été adoptées (même dans ce domaine, toutefois, le programme n’est pas épuisé). Mais le gouvernement a laissé dans l’ombre les mesures financières — à l’exception de la réforme de la Banque de France — en particulier les prélèvements sur les hauts revenus et les restrictions aux opérations de change. Lors du discours précédant le décret de clôture de la session parlementaire, Léon Blum dresse le bilan des vingt-quatre lois votées depuis le début de juin. Il annonce même pour la rentrée des Chambres, une nouvelle série de mesures contenues dans le programme : réforme et détente fiscales, Fonds national de chômage, Caisse d’assurance contre les Calamités agricoles150. Encore faudrait-il que le répit pour la trésorerie et l’encaisse ne soit pas un simple sursis.
Notes de bas de page
1 Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 165.
2 JO, Débats parlementaires, Chambre des Députés (noté infra : JO, DP, CD), 1936, séance du 28 septembre, p. 2810.
3 Ibid., 1937, séance du 26 février, p. 785.
4 Cf. Le Populaire, 6 juin 1936.
5 Jean Lebas, ministre du Travail, affairé dans sa ville de Roubaix, semble avoir été dépassé par l’événement.
6 Cf. Tableau 7, ci-dessous, p. 239.
7 Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 165 ; la lettre à Léon Jouhaux s’y trouve reproduite (p. 166-169).
8 L’action du groupe communiste au Parlement ; Arles (25-29 décembre 1937), brochure, 1938, 111 pages.
9 Cf. JO, Débats parlementaires, Sénat (noté infra : JO, DP, Sénat), 1936, séance du 13 août, p. 2720.
10 Ibid., séance du 16 juin 1936, p. 493.
11 Pierre Mendès France in Léon Blum..., op. cit., p. 236.
12 Le principe est affirmé dès 1919, mais il n’est appliqué que dans un nombre infime de branches.
13 JO, DP, Sénat, 1936, séance du 16 juin, p. 495.
14 JO, DP, CD, 1936, séance du 12 juin, p. 1422.
15 La Lumière, 13 juin 1936.
16 L’Humanité, 13 juin 1936.
17 Cité in Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 172.
18 Paul Reynaud, Mémoires..., op. cit., t 2, p. 77 ; souligné dans le texte.
19 JO, DP, CD, projet n° 326, séance du 18 juin 1936.
20 Cf. AN, série « Agriculture », F10 1269 ; cf. également AN, F10 1270, 1271 et 1284. On trouve de multiples coupures de presse et réactions sur le projet.
21 .Cf. Documents parlementaires, Sénat, rapport Borgeot, n° 534 ; cf. également Louis Salleron, Revue politique et parlementaire, 10 septembre 1936.
22 Il faut ajouter la Société des Agriculteurs et les organisations de Dorgères.
23 Le Temps, 6 juillet 1936.
24 AEF, B. 34 138 ; plusieurs coupures de presse sur la loi, en particulier Le Figaro, 5 juillet 1936.
25 Et non 385 contre 203, comme l’écrit Jules Moch. Il a manqué une trentaine de voix radicales.
26 AEF, B. 34 138, coupure du Figaro, 27 juillet 1936.
27 Idem.
28 JO, DP, Sénat, 1936, 1re séance du 12 août 1936, intervention de Raynaldy, p. 1241.
29 Les trois quarts du Conseil central représentent un nombre de trente-neuf. Or, il y a vingt-neuf représentants des producteurs et dix des transformateurs.
30 Pierre Ganivet, La Banque, Cahiers de la démocratie, n° 23, 1935 ; Francis Delaisi, La Banque de France aux mains des deux cents familles, Paris, 1936.
31 Cf. Documents Gaston Cusin, séance de travail autour de Jean Bouvier (CHSGM, 30 janvier 1978), Annexe 211, Conférence internationale des Plans du Travail, La nationalisation du crédit, 1936, Publications de l’ISO.
32 Ibid., p. 50-51.
33 Pierre Ganivet, La Banque..., op. cit., p. 28, 31 et 34.
34 Documents Gaston Cusin, séance citée, Annexe 212, Conférence internationale des Plans du Travail, André Philip, la nationalisation du crédit, 2 p.
35 Idem, Annexe 211, p. 50-51.
36 Idem, Annexe 212.
37 Idem, Annexe 21, p. 50.
38 Francis Delaisi, La Banque..., op. cit., p. 85.
39 Pierre Ganivet, La Banque de France, p. 199.
40 Témoignage de Gaston Cusin, séance de travail citée.
41 Documents Gaston Cusin, séance citée, Annexe 223, 8 p.
42 Francis Delaisi, La Banque..., op. cit., p. 87.
43 Ibid.
44 Documents Gaston Cusin, séance citée, Annexe 223, p. 5.
45 Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 173.
46 Cf. Achille Dauphin-Meunier, Produire pour l’homme, Paris, 1941, p. 104 et suiv.
47 Chef de Cabinet de Joseph Caillaux en 1913, et directeur en 1925 Cf. JO, 14 octobre 1966, audience solennelle à la Cour des Comptes : Gaston Cusin le présente comme un homme « véhément et jacobin ». Pour les réserves, cf. François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire..., op. cit., p. 50.
48 Cf. Robert Frank, Le prix..., op. cit., p. 255-256 et Emmanuel Chadeau, L’industrie aéronautique en France (1900-1950). De Blériot à Dassault. Paris, 1987.
49 Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 140.
50 Député de la Corrèze en 1924. Cf. Raymond Abellio (Georges Soulès), Ma dernière mémoire, t. 2, Les militants (1927-1939), Paris, 1975, 316 p. et Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 38.
51 Ibid., p. 141 et suiv.
52 IRM, Archives de l’IML, d. 781, séance du Comité central du 25 mai 1936 (Ivry), p. 52.
53 « Il rêvait d’être quelque chose comme Commissaire aux Grands Travaux », René Belin, Du secrétariat..., op. cit., p. 83.
54 IRM, Archives de l’IML, d. 781, 1re séance du Comité central du 25 mai 1936, interventions de Hénaff et Croizat.
55 Jules Moch est l’un des rares parlementaires battus aux élections (dans la Drôme).
56 Cf. Raymond Abellio, Ma dernière mémoire..., op. cit., p. 263-265 ; et « Jules Moch, Léon Blum et l’équipe de 1936 », Le Vétéran socialiste, mars 1961.
57 Témoignage de Gaston Cusin, séance citée (CHSGM, 30 janvier 1978) et Achille DauphinMeunier, Produire..., op. cit., p. 105 : « il fouaillait les inquiets et les indécis ; il catéchisait les ministres ».
58 Témoignage de Gaston Cusin, séance citée (CHSGM, 30 janvier 1978).
59 Tous deux sont d’anciens polytechniciens.
60 Il a participé aux Cahiers Bleus de Georges Valois et a écrit de multiples ouvrages sur la rationalisation. Cf. Gérard Brun, Technocrates et technocratie en France (1914-1945), Paris, 1985, 324 p. D’après Gaston Cusin (interview cité), il aurait été impressionné par les allures socialisantes du nazisme et était un camarade d’Otto Abetz. Il rend compte (Les Cahiers Bleus, 31 mai 1930) d’une réunion avec les Jeunes Équipes allemandes à Davos.
61 Cf. André Delmas, Mémoires..., op. cit., et Gaston Cusin (interview cité).
62 Cf. Jean-Pierre Cuvillier, Vincent Auriol et les finances publiques du Front populaire, Paris, 1978, 124 p. ; préface d’Alfred Sauvy.
63 Ainsi que Dupoirier pour la Trésorerie et Patouillet pour la fiscalité.
64 Cf. organigramme, page précédente.
65 D’après Gaston Cusin (interview cité), Yves Bouthillier aurait supplié, de manière peu digne, Vincent Auriol de le laisser à son poste. Il est relégué à l’Hôtel-de-Ville de Paris.
66 Cela témoignerait, d’après Gaston Cusin (interview cité), d’une trop grande fascination pour l’establishment, de la part de Blum et Auriol.
67 Cf. supra, chapitre II.
68 Cf. Cahier du Redressement Français, 27.
69 Cf. Paul Rives, Annexe au p.-v. de la séance du 12 novembre 1936, Chambre des Députés, Rapport-Budget général de l’exercice 1937. 2e section « Économie nationale », 65 p.
70 Alfred Sauvy, De Paul Reynaud à Charles de Gaulle, Paris, 1972 (216 p.), p. 48 et suiv.
71 Interview de Louis Franck (Neuilly, 10 décembre 1986). Cf. Jacques Branger, « Le contenu économique des plans... et le planisme », Conférence à X-crise (22 février 1935).
72 Gaston Cusin (témoignage cité) ; cf. René Belin, Du secrétariat..., op. cit., p. 24 et 33.
73 Futur préfet, il collabore à l’Homme nouveau, puis aux Nouveaux Cahiers à partir de 1937. Auteur d’un article « Les ingénieurs et la crise du capitalisme » dans l’Atelier pour le Plan.
74 Raymond Treuil, polytechnicien, membre de la Taylor Society ; Pecresse (futur dirigeant du CNPF), Rouvier, Andrieu, Imbert, Fourmon, Claude Bourdet, Mominsky et Antoine.
75 Bulletin de Statistique et Législation comparée (noté infra : BSLC), 1936, juillet ; cf. F.L. Closon, Jean Filipi, L’Économie et les Finances, Paris, 1968, p. 488.
76 Ibid.
77 Jacques Chapsal, « Le Ministère de l’Économie nationale », Europe Nouvelle, n° 961, 11 juillet 1936, p. 708-709.
78 Cf. Pierre Saly, La politique..., op. cit., p. 375.
79 La loi est promulguée le 18 août 1936.
80 .JO, DP, CD, 1936, 2e séance du 21 juillet, p. 2056.
81 Ibid.
82 Ibid. Les avances de la Banque de France sont exclues pour 1936, mais il est prévu une avance de 500 millions de francs, de la part du Trésor.
83 Cf. Bulletin de Statistiques et Législation comparée, 1936, p. 302.
84 Ibid., 1936, p. 349. Le Comité central comprend huit membres. Cf. Gabrielle Cadier, «La loi Spinasse», in États, fiscalités, économies, Paris, 1985, p. 181-188.
85 Déposée le 21 juillet, la loi est votée les 4 et 13 août 1936, et promulguée le 22 août. Cf. BSLC, 1936, p. 313-314.
86 Le Populaire, 8 juillet 1936.
87 Ibid., 22 juillet 1936, « L’augmentation des salaires et des prix » ; cf. également Bracke, « Le coup du coût de la vie », Ibid., 10 juillet 1936.
88 Alfred Sauvy, De Paul..., op. cit., p. 44. Le collectif budgétaire de juin 1936 n’attribue que 160 000 francs pour le nouveau ministère.
89 AEF, B. 33 194, doc. n° 1, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 175 CD, 15 janvier 1936, 15 p.
90 Idem, note citée : « Nous n’avons plus guère le choix des moyens », conclut Wilfrid Baumgartner. Il s’agit d’un emprunt de quarante millions de livres (soit environ trois milliards de francs) à 3 % l’an, pour trois mois (deux fois renouvelable). Cf. René Girauit, « Léon Blum, la dévaluation de 1936 et la conduite de la politique extérieure de la France », Relations internationales, n° 13, printemps 1978, p. 91-101.
91 Idem, Note du 26 février 1936, s. a., 5 p.
92 Idem, doc. n° 3, « Exposé remis à M. Marcel Régnier, en vue du premier Conseil de Cabinet du Ministère Sarraut, le dimanche 26 juin à 17 h 30 », s. a. (mais sans doute de Wilfrid Baumgartner), 12 p.
93 Idem, doc. cité.
94 Idem, Note du 26 février 1936, citée.
95 Idem, doc. n° 21, 1er mai 1936. On peut lire les excédents de remboursements de la Caisse nationale d’Épargne (fin janvier : 24 millions ; fin mars : 330 millions) et les sorties d’or (fin janvier : — 375 millions ; fin février : — 250 millions ; fin mars : — 1,4 milliard).
96 Idem, doc. n° 12, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 201 CD, 12 mars 1936, 5 p.
97 Idem, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 213, 6 avril 1936, 2 p. Cf. également Robert Frank, Le prix..., op. cit., p. 125 et suiv.
98 Georges Boris, La Lumière, 30 mai 1936.
99 Louis Germain-Martin, « Le problème financier et le problème monétaire », Le Capital, 26 mai 1936.
100 Le petit Parisien, 4 juin 1936.
101 AEF, B. 33 194, doc. n° 3, cité.
102 JO, Documens Parlementaires, Chambre des Députés, 1936, séance du 6 juin, p. 1334, cité in L’Œuvre de Léon Blum (1934-1937), Paris, 1964, p. 279.
103 AEF, B. 33 194, doc. n° 21, cité, et Idem, doc. n° 25, Note pour le Ministre, 220, s. a., 7 mai 1936,
4 p.
104 « La nouvelle crise monétaire et le jeu de la réaction », Le Populaire, 30 mars 1936.
105 AEF, B. 33 194, doc. n° 25, cité. Trois milliards de bons sont réescomptés entre le 23 mars et le 23 avril.
106 Cf. René Girauit, « Léon Blum... », art. cité et, du même, « Les relations internationales et l’exercice du pouvoir pendant le Front populaire, juin 1936-juin 1937 », Cahiers Léon Blum, n° 1, mai 1977, p. 15 à 46.
107 Emmanuel Mönick, Pour mémoire, Paris, 1970, p. 48.
108 AEF, B. 33 194, « Note sommaire sur les moyens susceptibles, le cas échéant, d’être envisagés pour ralentir ou supprimer les sorties d’or», 5 mai 1936, 5 p.
109 Cf. Robert Marjolin, « La politique économique du gouvernement », Europe nouvelle, n° 966, 15 août 1936, p. 825-827.
110 Cf. Joseph Alsop et Robert Kintner, « The great world money play », article du Saturday Evening Post, 8 avril 1939, p. 74 (La coupure se trouve dans AEF, B. 21 848, d. «dévaluation du franc, 1939-1940 »).
111 Ibid. ; traduit par nous.
112 Ibid. ; cf. également Foreign relations of United States (noté infra : FRUS), 1936, vol. I, p. 535, télégramme de l’Ambassade à Paris au secrétaire d’État, 467, 6 juin 1936.
113 Ibid., p. 76.
114 Ibid.
115 Les deux représentants des banques centrales redoutent alors l’institution du contrôle des changes en France.
116 Ibid. ; cf. FRUS, 1936, vol. I, p. 537-538, mémorandum de Ray Atherton, conseiller d’ambassade à Londres.
117 Mönick connaissait Léon Blum grâce à une connaissance de sa femme. Léon Blum l’a remarqué en particulier parce que Jean Tannery a essayé de l’écarter.
118 C’est l’expression employée par les auteurs de l’article du Saturday Evening Post cité plus haut ; trad. par nous.
119 Ibid.
120 Ibid., p. 80-82 et FRUS, 1936, vol. I, p. 539, mémorandum du sous-secrétaire d’État Philips, 23 juin 1936.
121 Emmanuel Mönick, Pour..., op. cit., p. 52.
122 Ibid., p. 55.
123 Cf. Saturday Evening Post, 8 avril 1939, art. cité, p. 82.
124 Cité in L’œuvre..., op. cit., p. 295.
125 René Girauit, « Léon Blum... », art. cit., p. 99. C’est aussi le sentiment de Robert Mossé, L’expérience Blum. Paris, 1937.
126 AEF, B. 33 201, Vincent Auriol, Un bilan, un programme, des actes, discours à la Chambre des députés, le 19 juin 1936, brochure, p. 19.
127 AN, 74 AP (Papiers Paul Reynaud) 19, d. 3, « presse 1936 », coupure de la séance du 6 juin 1936. Cf. également Robert Marjolin, Europe Nouvelle, n° 966, 15 août 1936, p. 825, art. cité. Il indique que la dévaluation est « écartée par des considérations d’ordre politique plus qu’économique ».
128 JO, DP, Sénat, 1936, séance du 16 juin, p. 495. Joseph Caillaux s’est déclaré favorable à l’alignement auprès de Vincent Auriol, le 6 juin (cf. FRUS, 1936, vol. I, p. 535).
129 AEF, B. 33201, Vincent Auriol, brochure citée, p. 19.
130 Idem.
131 Cf. supra, chapitre VI.
132 AEF, B. 33201, Vincent Auriol, brochure citée, p. 20. Cf. également Jean Bouvier, « Contrôle des changes et politique économique extérieure de la SFIO en 1936 », Relations internationales, 1978, n° 13, p. 111-1145 et le mémoire de maîtrise, préparé sous sa direction, par D. Leconte et D. Pavy, « Le Front populaire face au mur d’argent : le problème du contrôle des changes dans les années 1936-1938», Université de Paris VIII, 1972.
133 Cité in Achille Dauphin-Meunier, Produire..., op. cit., p. 104.
134 L’œuvre..., op. cit., p. 302-303.
135 Ibid.
136 Ibid, p. 304.
137 AEF, B. 33201, Vincent Auriol, brochure citée, p. 11-12 ; cf. également Robert Marjolin, Le Populaire, 1er septembre 1936.
138 Idem, p. 12. Il estime à vingt-cinq milliards de francs les avoirs français à l’étranger.
139 AEF, B. 33194, doc. n° 32, cité.
140 L’Œuvre..., op. cit., p. 303.
141 La Lumière, 27 juin 1936.
142 AEF, B. 33201, Vincent Auriol, brochure citée, p. 7.
143 AEF, B. 33201, Vincent Auriol, brochure citée, p. 7.
144 Cf. Robert Frankenstein, Le prix..., op. cit., p. 134.
145 Philippe Schwob, « Le paradoxe du taux de l’escompte », Europe Nouvelle, n° 961, 11 juillet 1936, p. 708.
146 L’Œuvre..., op. cit, p. 279.
147 Philipe Schwob, art cité. Allusion au PC et à son adhésion au contrôle des changes.
148 AEF, B. 33195, Note de Trésorerie, signée par Jacques Rueff, 25 janvier 1937, 6 p.
149 Le Populaire, 18 juillet 1936.
150 L’Œuvre..., op. cit, p. 321.
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