Chapitre VI. La préhistoire du Front populaire (juin 1935-janvier 1936)
p. 163-200
Texte intégral
1À partir de l’été 1935, les deux partis du mouvement ouvrier sont conduits à élaborer un compromis, malgré leurs divergences en matière de direction de l’économie et des finances. L’ajustement de leurs propositions apparaît d’autant plus complexe que, à partir de septembre 1935, les radicaux, en dépit de leur soutien à la politique déflationniste du gouvernement de Pierre Laval, se trouvent associés à la confection d’un programme commun pour les élections législatives du printemps suivant. Il convient de préciser les différentes étapes sur la voie menant au compromis et d’analyser les principales questions en débat, afin de mesurer les pas effectués par les différentes forces politiques dans l’élaboration de la politique de relève de la déflation.
I. LES TENTATIVES DE L’ÉTÉ 1935
1. Une tentative avortée à la Délégation des Gauches (30 mai-5 juin 1935).
• Une proposition communiste de programme commun.
2Grâce aux accords de désistements réciproques, la progression des socialistes, et surtout des communistes, est sensible lors des élections municipales des 5 et 12 mai 19351. À la séance d’ouverture du Comité Central du 1er juin 1935, Thorez s’écrie : « nous avons constitué la ceinture rouge de Paris. Paris a retrouvé désormais ses faubourgs révolutionnaires »2. Une élection a été particulièrement remarquée : celle du quartier St-Victor à Paris (Ve arrondissement). Le président de l’Union nationale des Combattants, Lebecq est arrivé en tête, avec 2 311 voix. Derrière lui, le candidat communiste Nédélec ainsi que ses suivants (deux radicaux et un socialiste) se désistent pour le professeur Paul Rivet, président socialiste du CVIA, qui devient le candidat du « Front populaire du cinquième arrondissement » et l’emporte au second tour. Quelques jours plus tard, le secrétariat du PC envoie une lettre à la CAP de la SFIO, dans laquelle il propose de prolonger cette poussée, en convoquant une réunion de la délégation des Gauches à la Chambre. En effet, la crise monétaire ébranle le gouvernement Flandin. Le 30 mai, à la réunion de la délégation des Gauches (une quarantaine de présents), Thorez propose l’élaboration d’un programme commun et, fait nouveau, offre le soutien des communistes à une majorité voulant « appliquer un programme frappant les riches et les spéculateurs, soulageant les chômeurs et les pauvres » et organiser « le désarmement et la dissolution des ligues »3. Le même jour, à la Chambre, Ramette et Thorez lancent un appel à la « tradition jacobine » des radicaux et réitèrent leur soutien à un programme, comportant notamment la défense des salaires et des traitements, un plan de Grands Travaux, la semaine de quarante heures sans diminution de salaires, un prélèvement sur le capital et la répression de la spéculation. La défiance d’une large partie des radicaux scelle la fin du gouvernement Flandin, le 31 mai. Les députés communistes provoquent alors une nouvelle réunion, suivie d’une troisième, le 5 juin, après la chute d’un éphémère gouvernement Bouisson, due une nouvelle fois à l’hostilité des deux tiers du groupe radical4. Thorez fait de nouveau sa proposition de soutien aux dirigeants radicaux (Daladier, Chautemps, Herriot sont présents). Herriot pense que le moment n’est pas encore venu pour la formation d’un tel gouvernement : il en redoute l’aggravation de la situation financière. Le groupe socialiste fait parvenir aux autres groupes un texte dans lequel il réclame « des réformes analogues à celles qu’à préconisées la CGT » comprenant « la nationalisation des industries-clefs »5. Le PC rétorque que l’accord doit se réaliser sur des mesures immédiates, « sans prétendre obliger tous les partis du front populaire à accepter l’ensemble du programme de l’un quelconque d’entre eux »6. À la dernière séance de la réunion, Marc Rucart, au nom du parti radical, repousse les nationalisations. Une partie du groupe radical vote les pleins pouvoirs et permet ainsi la formation du gouvernement Laval. La tentative a été trop précoce et la pression de la crise monétaire a été nette sur de nombreux députés radicaux, en particulier ceux qui avaient besoin de certaines voix de droite. Plusieurs mois après, J. Duclos va reprocher à la SFIO d’avoir précipité l’échec par ses exigences de nationalisations et d’avoir ainsi facilité l’expérience Laval7.
3Cet épisode met déjà en évidence des traits propres à chacun des trois partis de gauche, que l’on va retrouver lors des multiples négociations autour du programme :
- la volonté des communistes de privilégier des revendications immédiates et acceptables par les radicaux — ils tiennent toutefois au prélèvement sur le capital — pour ne pas entraîner la rupture.
- le souci des socialistes d’introduire dans le programme des mesures « socialistes », sans qu’il soit très aisé de savoir si cela relève du souci de disposer de moyens d’action efficaces ou de s’exposer délibérément au risque d’un refus radical8.
- les hésitations et divisions des radicaux, diversement sensibles à la montée du Front populaire dans l’opinion et, à l’opposé, aux incertitudes qu’il comporte. Leur rôle consiste à se prononcer sur les propositions des deux autres partis, leur réponse constituant le seuil maximal de réformes envisageables.
4La position ambiguë du parti radical se maintient au-delà de la formation du gouvernement Laval : à peine un mois après avoir facilité le vote des pleins pouvoirs, le 4 juillet, le Comité exécutif du parti, assez peu représentatif il est vrai, approuve la participation au rassemblement prévu pour le 14 juillet9. La délégation des Gauches décide d’ailleurs, malgré la tentative avortée de juin, de continuer à se réunir et de mettre sur pied une commission destinée à élaborer un programme. En d’autres lieux que le Parlement, la dynamique unitaire va, en six mois, venir à bout des réticences radicales. Mais l’idée d’un programme commun de toute la gauche avait été lancée et chaque parti avait défini une position.
2. La reprise de contacts entre PC et SFIO (juin 1935).
5Au lendemain de la chute du gouvernement Flandin, le 1er juin, le PC tient son Comité central. M. Thorez y présente un rapport, qui reprend son discours du 17 mai, prononcé à la salle Bullier, et son rapport au Présidium du Komintern du 27 mai, où il souligne le caractère irrésistible — au-delà même des espérances communistes — du Front populaire : « Jamais, quand j’ai prononcé ce discours [celui de Nantes en octobre 1934] je ne pensais moi-même que nous irions si vite (...) Le front populaire s’est imposé (...). Il est devenu une réalité »10. Il se plaint toutefois des résultats trop limités de l’action des communistes au sein de la CGTU en faveur de l’unité syndicale et déplore qu’il soit plus facile de faire « le front unique dans la lutte antifasciste et non pas dans la lutte économique »11. Il souligne la nécessité « de créer les conditions où il sera impossible aux chefs réformistes de dire non aux propositions d’unité syndicale faites par la CGTU»12.
• Les neuf points de la CGTU.
6L’avant-veille, la CGTU s’était adressée à la direction de la CGT, ainsi qu’aux groupes radical, socialiste et communiste, afin de créer un « cartel de défense des intérêts du peuple contre la politique néfaste des pleins pouvoirs et des décrets-lois »13. Le 6 juin, la CE de la CGTU adopte deux résolutions : l’une sur l’unité syndicale, l’autre « pour le rassemblement et l’action sur un programme positif » : il s’agit d’un texte en 9 points, base d’accord « entre organisations syndicales économiques et politiques qui veulent lutter contre la crise et le grand capital »14. Peu d’auteurs le signalent, alors qu’il va jouer un rôle important. Les dirigeants unitaires ont délibérément fait figurer des revendications immédiates, présentes dans le Plan de la CGT, afin de trouver un accord possible avec l’autre confédération : la revalorisation des salaires, la généralisation des conventions collectives, la semaine de quarante heures sans diminution de salaires, la généralisation des fonds et de l’assurance-chômage, l’octroi de crédits sans intérêt aux petits et moyens paysans, commerçants et artisans.... Mais on y trouve, comme dans les textes communistes, la mention d’un « prélèvement sur le capital », destiné à financer les grands Travaux et à résorber le déficit budgétaire15. Parallèlement, le 8 juin, une réunion de militants socialistes, communistes et syndicalistes, convoqués par le mouvement Amsterdam-Pleyel, envisage l’organisation d’une manifestation commune à Paris pour le 14 juillet.
• Engagement et réticences à la SFIO.
7Dans le même temps, la SFIO tient son congrès à Mulhouse, du 9 au 12 juin. L’unité d’action est assez vivement critiquée par le secrétariat du parti et par Jean Lebas, qui y voient l’origine de la chute des effectifs16. Jean Zyromski, en revanche, reproche à Paul Faure et à Jean-Baptiste Séverac de n’avoir fait que subir l’unité et propose une motion, où il est précisé que « le parti socialiste doit agir, s’organiser, se constituer en fonction des perspectives révolutionnaires qui sont ouvertes »17. Il obtient environ un quart des voix (777), contre 2 025 à la motion de la Fédération du Nord, soutenue par Paul Faure, Jean-Baptiste Séverac et Léon Blum. Celle-ci se dégage des contraintes rigides d’un Plan impératif, mais contient la proposition « de reprendre le programme de revendications sur lequel le parti socialiste avait proposé au parti communiste de s’accorder en vue de leur action et qui contenait, à côté d’un certain nombre de réformes immédiates, d’autres, urgentes sans doute, mais de réalisation plus lointaine et tendant à nationaliser des monopoles de fait, des richesses concédées »18. Mais, surtout, le Congrès adopte, à la quasi-unanimité et à main levée, la « résolution d’action immédiate », présentée par Vincent Auriol, qui, dans son intervention, déplore le manque de préparation du parti socialiste face à l’éventualité d’une arrivée au pouvoir. Le texte mentionne notamment la poursuite de la réalisation d’unité organique et l’appel à une réunion comprenant « aux côtés des délégués des organisations politiques et économiques de la classe ouvrière et paysanne, les représentants des principaux groupements ayant témoigné déjà leur résolution de lutter contre le fascisme et la crise »19. Il s’achève sur la proposition « [d’]établir en vue de la nouvelle consultation populaire, sur les bases du plan élaboré à Toulouse et du plan de la CGT, un programme d’action immédiate qui serait celui d’une majorité populaire résolue à mettre un terme aux misères et aux angoisses engendrées par la crise et à briser, en prenant appui sur les masses laborieuses, les résistances du grand capitalisme »20. Trois mois plus tard, M. Paz souligne que la résolution de Vincent Auriol a orienté la SFIO vers le Front populaire21. Toutefois, les principaux dirigeants du parti souhaiteraient arriver à l’unité organique avec les communistes avant de s’engager dans un Front populaire, qu’ils redoutent de ne pouvoir maîtriser. C’est en particulier le cas de Léon Blum qui n’avait pas voulu écarter l’unité d’action en soulevant la question de l’unité organique, mais qui, devant les perspectives d’élargissement éventuel du Front populaire aux radicaux, avait proclamé, avant même le Congrès : « L’unité organique d’abord »22. Le Congrès charge P. Faure, L. Blum, J. Zyromski, Bracke et V. Auriol d’élaborer un texte destiné à la commission d’unification. Cependant, la marche au Front populaire semble difficile à freiner par l’objection de l’unité organiqué : dès le 15 juin, le secrétariat du PC, se félicitant de la motion Vincent Auriol, reprend le contenu de sa lettre du 24 novembre 1934, et propose notamment le « rassemblement de toutes les forces populaires y compris celles qui suivent le parti radical »23, ainsi qu’une participation commune au « Rassemblement du 14 juillet ». À travers la résolution Auriol, les socialistes ne refusent pas, comme en novembre 1934, l’élargissement de l’unité d’action aux organisations syndicales, au moins dans un premier temps. Mais plusieurs d’entre eux s’inquiètent ouvertement : où va le parti socialiste ?, s’interroge Jean Lebas, qui déplore que l’unité d’action soit devenue « trop étroite », et affirme que jamais le parti radical n’adoptera une politique de liquidation de la crise. Il ajoute : « Camarades, le moment est critique pour votre parti. Ne permettez pas qu’il disparaisse dans un Front populaire sans programme et sans but, mais favorable à toutes les manœuvres dont le socialisme ferait les frais »24.
• Plan et programme du Ve arrondissement.
8Or, le 14 juin, le Bureau confédéral de la CGT adresse un appel à chaque organisation du Rassemblement populaire pour approuver et, éventuellement, amender son Plan, afin qu’il serve de base à une plateforme commune. Il semble que Léon Jouhaux, dans la lettre qu’il envoie à la direction du PC, le 26 juin, veuille embarrasser cette dernière, puisqu’il la convie à une réunion destinée à examiner les conditions du rassemblement, « si le Plan de la CGT est approuvé par vous »25. Mais, le lendemain, le Bureau politique esquive, en répondant qu’il accepte l’invitation, tout en précisant qu’il le fait « sans se départir de son attitude connue à l’égard du Plan »26. Y avait-il, chez L. Jouhaux, volonté ou d’écarter le PC, ou de le lier au Plan ? M. Thorez informe le Comité central, quelques mois plus tard, qu’il « a eu personnellement une discussion avec Vincent Auriol où il disait : « Vous vous êtes engagés et maintenant ce sera très difficile »27. Dès le 28 juin, dans un meeting organisé à la Mutualité par le Front populaire du Ve arrondissement, M. Thorez affirme, en présence de L. Blum et de E. Daladier, venu à titre personnel, que le PC ne s’est pas engagé sur le Plan de la CGT28. Le retentissement avait été tel autour de la victoire de Paul Rivet aux municipales qu’il s’était en effet constitué un « Front populaire du Ve arrondissement », regroupant 38 organisations. Dans ce cadre, limité, on met également en chantier un programme, qui est présenté à la fin juin, lors d’un « Congrès »29. Mais la reprise de la marche au programme dépend, en grande partie, des discussions entre les deux partis ouvriers.
• La reprise des contacts (20 juin).
9Nous pouvons savoir, grâce à des documents trouvés dans les archives de J. Zyromski, dans quelles conditions les contacts sont, conformément à la résolution de Mulhouse, repris entre communistes et socialistes, après six mois d’interruption, avant même le 14 juillet30. Une première rencontre a lieu le 20 juin, au siège du PC, au 120 de la rue La Fayette : J. Duclos reçoit J. Zyromski, R. Evrard et Vincent Auriol, qui représentent la SFIO. Il est convenu de profiter de l’organisation commune du 14 juillet, et de mettre sur pied une réunion commune avec la CGT et la CGTU. Le 21 juin, les mêmes hommes se retrouvent avec deux autres représentants du PC et trois de la CGT (Lenoir, Bothereau et Guiraud). La CGTU s’est fait excuser. Guiraud lit un projet d’appel pour le 14 juillet, au nom des 96 organisations, comprenant des « grands Travaux », « la gestion ouvrière », « la nationalisation du crédit, des assurances et des grandes industries monopolisées », ainsi que « la détente fiscale poussée jusqu’à l’extrême hardiesse et la répression de la fraude poussée jusqu’à l’extrême rigueur »31. J. Duclos « voudrait, lui, que le programme ne fût pas trop absolu ni trop poussé (...) [afin] qu’il fût susceptible de réunir le plus grand nombre d’organisations et de citoyens »32. Les représentants socialistes « répondent qu’il faut un programme sérieux, réalisable et à la fois susceptible d’atténuer la crise économique »33. Un accord se fait pour lutter contre les mesures de déflation et pour augmenter la « capacité d’achat » (diminution de la semaine de travail, contrats collectifs, congés payés, grands Travaux). Il est prévu d’étudier au Comité de coordination, puis avec les confédérations syndicales, des mesures pour un programme précis portant sur les « structures ».
• Les quatre lieux d’élaboration du programme.
10Pendant l’été de 1935, les discussions en vue de l’élaboration du programme se déroulent donc en quatre lieux, où l’on retrouve toujours des représentants de la SFIO et du PC, mais où leurs interlocuteurs varient. Chronologiquement, distinguons :
- — Le comité de coordination SFIO-PC, réuni à la suite des décisions du 21 juin. C’est apparemment l’un des lieux décisifs, puisqu’il réunit les deux partis ouvriers.
- — Les commissions du Comité national du Rassemblement populaire, qui, chargé d’organiser la grande manifestation du 14 juillet, poursuit son existence au-delà, et décide l’élaboration de son propre programme34.
- — Les quatre commissions mises sur pied par la direction de la CGT pour préciser les mesures du Plan, à la suite de la réunion organisée le 3 août, sous la présidence de L. Jouhaux, à laquelle dix-neuf organisations du Rassemblement populaire sont représentées35.
- — La délégation des Gauches, dont une sous-commission travaille, à partir de septembre, sur un programme commun aux groupes parlementaires de gauche. Dans les faits l’accord dépend de la distance que le parti radical est décidé à prendre à l’égard du gouvernement Laval, soutenu par la plupart de ses députés jusqu’à la fin de l’année.
3. Vers la plate-forme SFIO-PC (juin-septembre 1935).
11Les contacts se multiplient donc en cet été de 1935. À la suite de la publication des décrets-lois du gouvernement Laval, le 17 juillet, socialistes et communistes lancent un appel commun : « À bas les décrets-lois de misère ». Pour la première fois depuis janvier, des délégations de la CGT et de la CGTU se rencontrent, le 27 juin, et engagent des contacts sur les conditions de l’unité syndicale, malgré les réticences de plusieurs dirigeants confédérés36. Au même moment, un « Congrès » du Front populaire du Ve arrondissement élabore un projet de programme : divisé en quatre rubriques, on y trouve notamment les revendications immédiates des deux grandes confédérations syndicales (Grands Travaux, semaine de quarante heures, « répudiation absolue de la politique de déflation »), mais aussi « le contrôle des trusts, des banques et des grandes fortunes »37.
• La clarification de Léon Blum sur les nationalisations (juillet 1935).
12Le débat se développe entre organisations, et dans leurs rangs. À la SFIO, les divergences apparaissent. Autour d’un premier pôle, on trouve les principaux dirigeants, fort réticents : P. Faure juge le programme du Front populaire du Ve arrondissement trop « timide »38. Jean Lebas considère que le programme souhaité par le PC est « très restreint, nous allions dire mesquin »39. Louis Lévy dénonce un «malaise dans le Parti »: « Nous aurions pu, en continuant durant les mois de février et de mars 1934 ce que nous avions commencé le 12 février, garder la tête du mouvement. Certains camarades sont de plus en plus influencés par l’idéologie communiste (...) pour eux, l’unité organique est très proche »40. Ils redoutent un rassemblement où la SFIO ne serait pas hégémonique et pensent préserver les intérêts socialistes, en exigeant des « réformes de structures ». À l’autre pôle, Jean Zyromski et une partie de la Fédération de la Seine — Marceau Pivert se sépare, au Congrès de la Seine d’octobre, de la Bataille socialiste sur la question de la riposte internationale et, en particulier, sur le soutien à une politique de sécurité collective, aux côtés de l’URSS — souhaitent que l’unité organique se forge à partir du Rassemblement populaire et favorise le rapprochement avec les communistes.
13Léon Blum va jouer un rôle décisif pour surmonter les résistances de la direction de son parti, l’engager sur la voie du Front populaire, et pour clarifier les termes du débat avec les communistes. À la suite de la réunion de la Mutualité, organisée par le Front populaire du Ve arrondissement, il reprend des éléments du discours qu’il y a prononcé et les élargit dans une réflexion plus générale sur le contenu et la signification du programme de Front populaire. Pour cela, il entreprend la rédaction d’une série d’articles dans le Populaire : c’est, depuis 1926 et la fameuse distinction entre 1’« exercice » et la « conquête du pouvoir », son plus grand effort de clarification doctrinale. Il forge l’expression d’ « occupation du pouvoir » pour caractériser le Front populaire : « Le prolétariat peut être conduit à l’occupation du pouvoir, non pas à titre destructif et constructif, comme dans la conquête, non pas à titre transitoire et préparatoire, comme dans l’exercice, mais à titre purement défensif et préventif »41. Déjà au Conseil national du 3 mars 1935, il a évoqué l’idée d’une possession du pouvoir distincte de la Révolution, du fait de la menace fasciste42. Cette clarification permet de mettre un peu d’ordre dans la grande diversité d’opinions parmi les responsables socialistes, sur le caractère révolutionnaire ou non de la situation. Il constate ensuite entre les différentes composantes du Rassemblement populaire « une entente sur la lutte anticrise par la reflation, par l’accroissement de la consommation générale », et cite les différentes mesures immédiates, présentes à la fois dans les propositions de la SFIO, de la CGT et de la CGTU, et vraisemblablement acceptables pour les radicaux43. Mais il sait que le débat principal avec les communistes et les radicaux doit porter sur les « réformes de structures », en particulier les nationalisations et les offices publics agricoles. Il fait d’ailleurs allusion aux confusions qui se manifestent au sein même de la SFIO, où les termes « nationalisations » et «socialisations» sont utilisés « indifféremment »44. La «socialisation», précise-t-il, est 1’ « acte révolutionnaire » par lequel le prolétariat, une fois le pouvoir « conquis », exproprie 1’ « oligarchie capitaliste » des instruments de production et d’échange pour qu’ils deviennent « propriété sociale » : pas question d’indemnité pour les anciens propriétaires, puisque « la socialisation révolutionnaire a pour but et pour effet la suppression du privilège capitaliste »45. En revanche, il plaide pour l’introduction de « nationalisations », qui sont « concevables et exécutables sans conquête préalable de l’appareil politique de la bourgeoisie ». Elles sont donc un moment de l’évolution capitaliste et non pas un moment de la révolution sociale »46. Distinctes d’une expropriation, elles doivent comporter une indemnité, puisqu’elles n’éliminent pas la plus-value capitaliste. Léon Blum justifie leur présence par un triple intérêt, financier, social et surtout politique : « La nation aura recouvré la part de souveraineté qui avait été usurpée sur elle »47. Dans un ultime article, sans doute le plus important de la série, le directeur du Populaire se demande si, au-delà de leur action indirecte contre les effets de la crise, les nationalisations auraient une « vertu propre ». Il précise — ce qui est en grande partie exact — que « la question n’est pas traitée (...) dans les documents préparatoires du plan de la CGT », ni de manière approfondie par « les études belges »48. Le caractère relativement sommaire des analyses de la CGT sur 1’« économie dirigée » n’est sans doute pas sans effet sur le scepticisme professé par Léon Blum à leur égard. Toutefois, il admet que les nationalisations, en particulier pour les industries de base, « peuvent être dirigées suivant les circonstances et selon la nature des industries, soit vers l’augmentation du boni (...) soit vers la diminution du prix de revient »49. Elles représenteraient ainsi un instrument direct de lutte contre la crise, en réduisant « tous les éléments du prix de revient autres que les salaires »50. Le dirigeant socialiste amorce ainsi une réflexion sur le rôle régulateur de l’État, qu’il complète par une analyse sur les avantages de la sélectivité possible du crédit nationalisé. Il semble privilégier alors les industries de consommation et le marché intérieur. Cependant, il achève son article par une remarque — dont G. Lefranc lui a souvent fait grief — qui tient à démarquer son soutien à des nationalisations de toute tentation révisionniste, à l’instar de Henri de Man : « Ni maniement ni direction ne permettront (...) l’économie de la transformation socialiste, c’est-à-dire de la révolution »51. Léon Blum pensait sans doute avoir suffisamment clarifié le débat pour rallier les communistes et les radicaux aux nationalisations ainsi conçues. Les premiers, au sein du Comité de Coordination, et les seconds, dans les commissions du Rassemblement populaire.
• Le PC accepte les nationalisations.
14Pour ce qui est du PC, les socialistes vont effectivement obtenir son adhésion à un programme de nationalisations. Mais ce fut une victoire sans lendemain. On sait, grâce aux sténogrammes des Comités centraux trouvés dans les archives, que le parti communiste a suivi trois attitudes distinctes à l’égard des nationalisations, entre juin et octobre 1935. Au début de juin, M. Thorez s’interroge devant le Comité central : « Est-ce que nous avons absolument raison quand nous repoussons toutes les formules et certaines des revendications qui sont comprises dans le plan ? » Mais, il ajoute : « Si le mot d’ordre de nationalisation est transporté par la CGT et la social-démocratie et attire l’attention de beaucoup de monde dans le pays, nous pouvons dire : « oui, nous sommes pour la nationalisation sans rachat »52. A ce moment, le secrétaire général du PC semble sur la voie d’abandonner la position de refus des nationalisations. Il s’interroge, du fait d’une certaine audience du « mot d’ordre » et de la capacité éventuelle du parti communiste de lui donner un contenu plus radical, c’est-à-dire des nationalisations sans indemnités. Puis, Thorez s’absente de France, entre le 25 juillet et le 20 août, pour participer au VIF Congrès de l’Internationale Communiste. C’est Jacques Duclos qui est chargé par le BP de mener les négociations et de préparer un projet de programme53. Or, à la suite des articles de Léon Blum, les négociateurs communistes paraissent satisfaits par cette clarification. Jacques Duclos, lors d’un discours prononcé le 23 juillet, semble faire écho aux remarques de Léon Blum : « La Banque de France doit devenir une banque d’État par la déchéance du conseil de régence. Ce n’est pas chez nous qu’on trouvera des résistances à l’étatisation des chemins de fer ou des industries de guerre. Ce ne sont pas là des mesures de socialisation (...) car (...) certains planistes ont essayé de faire croire qu’avec de soi-disant socialisations on pouvait faire l’économie de la révolution »54. Ainsi distinguée de la socialisation révolutionnaire et dégagée de toute prétention révisionniste, la nationalisation semble assimilable pour les communistes. Léon Blum signale à Jean Zyromski, dans une note qu’il lui transmet à la fin du mois d’août, combien ses efforts ont pu être utiles55.
15Un document, issu des archives de Jean Zyromski, semble indiquer que l’accord a été obtenu à la séance du 29 août du Comité de Coordination. Le négociateur socialiste a procédé à une confrontation de la plate-forme de la CGTU en neuf points et des propositions de la CGT : les cinq premiers articles, ainsi que le septième, n’ont pas fait l’objet de débats. Les questions qui ont suscité le plus de discussions ont été les nationalisations et le « prélèvement sur les grandes fortunes » (« formule de Duclos », selon Jean Zyromski). À propos des nationalisations, Jean Zyromski note que Duclos les accepte, sous réserve de préciser que la nationalisation se distingue de la socialisation-expropriation, comme Léon Blum l’avait affirmé un mois auparavant56. Et, en effet, lorsque la «plate-forme d’Action commune du Parti socialiste et du Parti communiste » est publiée le 23 septembre 1935, il est fait mention de « l’institution d’offices publics agricoles » ; et, à la rubrique « Il faut sauvegarder la liberté », il est question de « la libération de l’État du joug de la féodalité financière, en établissant la souveraineté de la nation sur la Banque de France par la déchéance du Conseil de régence ; en procédant à la nationalisation des grands monopoles capitalistes qui, sans pouvoir être considérée comme un élément d’instauration du socialisme, peut se réaliser dans le cadre du système social actuel »57. Et, dans la livraison des Cahiers du boichevisme d’octobre 1935, Florimond Bonté souligne que, à propos des nationalisations, la confusion a régné jusqu’aux articles de Léon Blum. Il ajoute, en reprenant le paragraphe cité plus haut : « Aujourd’hui les formules de la plate-forme sont claires »58.
• « Faire payer les riches » ?
16C’est également à la fin de juillet que le PC précise ses propositions fiscales. Lors d’une assemblée d’information des communistes parisiens, le 23 juillet, Jacques Duclos propose un « prélèvement sur les grosses fortunes » (supérieures à 500 000 francs), d’un taux allant de 3 % pour la tranche inférieure à 20 % pour la tranche supérieure à 50 millions, ainsi qu’un impôt unique et progressif sur le revenu. Dans l’attente, évaluée à une année, de l’établissement du recensement des fortunes, il suggère « une taxe exceptionnelle sur les grosses fortunes », établie à partir des revenus déclarés (et le calcul d’une capitalisation à 5 %), s’échelonnant de 1 % (pour la tranche 100 000 à 200 000 francs) à 4 % (pour la tranche supérieur à un million)59. Georges Politzer, philosophe préposé aux questions financières et économiques du PC à partir de 1935, cite le Traité de la Science des Finances de Leroy-Beaulieu pour dénoncer la part trop forte des impôts indirects et signale que, lors de la Première guerre mondiale, à la différence de l’Angleterre, qui a financé l’effort de guerre en grande partie par l’income-tax, la France l’a fait par des emprunts. Il ajoute, citant la sixième édition du même traité, « aux époques de crise, alors que les autres impôts fléchissent, l’impôt direct résiste parce qu’il s’appuie sur des situations stables »60. C’était prendre l’exact contrepied des analyses de Léon Blum, déjà formulées à la fin de 1933 : « À un moment où les capitaux hésitent à s’investir, le prélèvement sur les grosses fortunes pour réaliser de grands travaux, loin d’être une faute est une nécessité économique : il permet d’investir dans l’économie nationale des capitaux nouveaux. Loin d’augmenter le chômage, il crée du travail et tout un nouveau courant d’affaires »61. Le philosophe communiste ajoute que le prélèvement sur les grosses fortunes est une mesure « exceptionnelle », à laquelle précisément il faut avoir recours dans les situations « exceptionnelles ».
17La question fiscale suscite plusieurs débats dans les commissions de la CGT, comme dans les séances du comité de coordination. Dans la note, déjà citée, de Léon Blum à Jean Zyromski, celui-là avoue éprouver de la « peine à concevoir dans les circonstances présentes une superfiscalité quelconque ; quand bien même elle n’atteindrait que la fortune acquise et les gros revenus », et préconise « une détente fiscale énergique, dût-elle accroître temporairement le déficit »62. Toutefois, il reconnaît « l’importance du point de vue psychologique et politique » de la préoccupation des communistes, et le « sentiment juste », dont s’inspirent leurs projets. Aussi propose-t-il le « relèvement progressif des droits de succession » et le caractère dégressif des indemnités de rachat, suivant l’importance des paquets de titres ou de la fortune globale du propriétaire63. Il ajoute que la revendication du PC d’un « cadastre des fortunes (...) que nous avons réclamé nous-mêmes depuis bien des années, ou sous ce même nom, ou sous le nom de « casier fiscal », trouverait son utilité à ce point de vue comme à bien d’autres »64. Vincent Auriol transmet, le jour suivant, un rapport plus détaillé à la première sous-commission de la CGT, (qui doit être utilisé pour le Comité de coordination et le Comité de Rassemblement populaire). Il y combat également le principe d’un impôt sur le capital, tout en reconnaissant le bien-fondé de l’idée, avancée par le PC, de [désolidariser] « avec éclat les riches des pauvres, le monde du travail du parasitisme capitaliste et financier, [faire] payer enfin les riches... »65. Il propose une « transaction pratique », qui reprend les projets antérieurs de réforme fiscale, avec, pour la taxe unique sur les revenus une « progression rapide et importante sur les revenus supérieurs à 100 000 francs ». C’est la concession faite au projet communiste.
18Mais il rejette le prélèvement sur les grosses fortunes, et défend, au contraire, la position, déjà affirmée par le groupe socialiste, favorable à une détente fiscale : « Ce n’est pas la fiscalité quelle qu’elle soit, ce n’est pas l’équilibre budgétaire, quelle qu’en soit l’assise, qui guériront et même atténueront le mal ». « C’est le démarrage économique qui préparera et soutiendra le redressement financier et, par la même, l’équilibre budgétaire par le redressement croissant des revenus imposables des particuliers »66. Vincent Auriol, rompu aux débats parlementaires et spécialiste du groupe socialiste pour les questions fiscales, pèse de toute son expérience pour défendre la « reflation ». À l’erreur déflationniste qui consiste à résorber la crise par l’équilibre budgétaire, il oppose la nécessité de résorber le déficit du budget par la reprise. Dès lors, « même une fiscalité démocratique peut, par ses répercussions d’ordre économique, empêcher la reprise des affaires et aggraver la crise et la misère des travailleurs »67. Le passage d’une «période d’inflation fiduciaire» — de 1922 à 1926 — à une période de crise justifie à ses yeux l’abandon de la proposition de « prélèvement sur le capital », que lui-même avait défendue à la Chambre, lors de la décennie précédente. En outre, le dirigeant socialiste redoute que, pendant le « long travail » exigé pour établir l’assiette de cet impôt, ne se déclenche, comme en 1925, une campagne de panique des possédants, « plus encore des petits que des gros »68. Pour lui, les nationalisations sont destinées à unir « les masses laborieuses de la ville et des champs contre les privilèges »69.
19Cette discorde sur la fiscalité, ouverte dès la fin de 1934, se prolonge même au-delà de la signature du programme de Rassemblement populaire, en janvier 1936 : elle va constituer une sorte de point fixe dans les relations entre les deux partis du mouvement ouvrier jusqu’à la guerre, et même au-delà. Au Comité de coordination, Jean Zyromski manifeste ses qualités de négociateur. Le point 6 de la plate-forme de la CGTU contenait le « prélèvement progressif sur le capital », alors que le point 6 du texte de la CGT parle de « détente fiscale » et de lutte contre la fraude. Ses notes manuscrites sur la séance du 29 août 1935 signalent l’adoption du terme de « prélèvement sur les grandes fortunes », qui serait une « formule de Duclos »70. Dans la plate-forme, il n’est question que de « grands travaux d’intérêt collectif et social financés à l’aide de mesures frappant les grosses fortunes et servant de gage à l’emprunt »71.
• Un « important document » ou un texte sans lendemain ?
20Le 23 septembre 1935, l’Humanité et le Populaire publient simultanément la « plate-forme d’action commune ». Le texte a été « rédigé par Jean Zyromski en accord avec Jacques Duclos »72. Léon Blum se réjouit du fait que 1’ « idée directrice est (...) l’idée de l’accroissement de la capacité générale d’achat et de consommation ». Jules Moch souligne, dans des ouvrages ultérieurs, les similitudes avec le plan d’action de la SFIO, adopté à Toulouse l’année précédente73. La rédaction de cette plate-forme résulte, d’après les archives de Jean Zyromski, le principal acteur, d’un compromis entre les socialistes, qui acceptent la mention sur les grosses fortunes, et les communistes, qui semblent renoncer à leur refus des nationalisations, dès le moment qu’elles sont distinctes des socialisations révolutionnaires. Mais la portée immédiate de ce compromis est sans lendemain, contrairement aux espoirs de Léon Blum, qui avait intitulé son article de présentation : « Un important document »74. Tout en marquant la différence avec le futur programme du Rassemblement populaire, il escomptait que ce dernier fût inspiré des mesures contenues dans la plate-forme.
II. VERS L’ÉLABORATION DU PROGRAMME DE RASSEMBLEMENT POPULAIRE (SEPTEMBRE 1935-JANVIER 1936)
21Les difficultés étaient d’une autre ampleur, car il s’agissait d’étendre l’accord à d’autres organisations, et en particulier au Parti radical.
1. Plan contre programme ?
22Déjà, lors des discussions sur le Plan dans les quatre commissions mises sur pied par la CGT, les représentants du parti communiste, Duclos et Gitton, expriment leurs réserves75. Les travaux ne peuvent se séparer de la marche à l’unité syndicale, effective à la fin septembre, lorsque les deux congrès confédéraux se réunissent à Paris pour envisager les conditions de la réunification. Or, quelques jours auparavant, Léon Jouhaux, insatisfait de la synthèse des différents rapports élaborés par Georges Bothereau, appelle Georges Lefranc un jeudi après-midi, et lui demande de lui rédiger le Plan pour le lendemain. Le texte, livré à temps, reprend pour l’essentiel celui d’octobre 1934 et se trouve adopté sans changement par le Congrès, bien que Georges Lefranc confie qu’il ne le considérait pas « comme au point »76. On est frappé par le petit nombre d’hommes qui ont ainsi contribué à la rédaction du Plan (Belin a été constamment écarté par Jouhaux). On ne peut s’empêcher non plus de penser, comme le fait Lefranc, « que la CGT de ce temps travaillait avec quelque rapidité ; et cette légèreté explique sans doute plusieurs des difficultés qui lui sont advenues par la suite »77. Cette étroitesse du cercle des planistes doit inciter les historiens à la prudence lorsqu’il s’agit de mesurer de manière rigoureuse l’impact du Plan sur l’ensemble de la CGT, responsables et militants : il n’est peut être pas aussi profond que ne le prétendent les quelques témoins-acteurs de cette aventure, qui ne semble pas avoir été partagée, au-delà d’un engouement superficiel dans une période de crise profonde, par une masse de syndiqués.
23Quoi qu’il en soit, dès son adoption, la CGT propose son Plan comme programme de Rassemblement populaire, dont l’élaboration est mise en chantier à partir de septembre 1935. Le Comité de Rassemblement, sous la présidence de Victor Basch, président de la Ligue des Droits de l’Homme, réunit ses différentes commissions chargées de rédiger le programme pendant tout le second semestre de 1935. Aux dix organisations originelles (PC, SFIO, Parti radical et radical socialiste, Intergroupe de l’Union socialiste, CGT, CGTU, Ligue des Droits de l’Homme, Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes, Amsterdam-Pleyel) se joignent plusieurs dizaines d’autres, au point d’en former 97 à la veille des élections. Ces commissions deviennent le lieu prépondérant pour l’élaboration du futur programme, et relèguent les autres à un rôle second. En effet, la Délégation des Gauches, ressuscitée en juin, se réunit périodiquement à partir de septembre, et travaille en particulier sur un programme commun, comme les communistes en avaient lancé l’idée, trois mois plus tôt. Mais elle attend l’issue des délibérations au Comité. Quant à la CGT, elle a livré son Plan. Fait curieux, c’est Belin, ouvertement écarté pour la rédaction du Plan, qui dirige la délégation confédérale, en particulier à la Commission économique.
24Il n’y a pas de document imprimé sur les débats des différents groupes de travail du Comité. On n’en trouve pas de trace dans les archives des partis. Il faut recourir à quelques fonds privés et quelques témoignages, limités et trop peu diversifiés78. Les débats politiques et parlementaires nous donnent toutefois des échos des discussions. Les controverses les plus vives ont porté sur les nationalisations, la question de l’équilibre budgétaire et du financement, et celle de la dévaluation.
2. Les nationalisations : la « conjonction singulière ».
25À la fin de septembre, communistes et socialistes paraissaient d’accord pour les nationalisations contenues dans la plate-forme. Les représentants de la SFIO à la commission économique, tout particulièrement Vincent Auriol, se concertent avec Belin et les représentants de la CGT pour demander « qu’un large plan fût dressé et non pas seulement un catalogue de revendications immédiates »79. Malgré le désaveu des planistes par la direction de la SFIO, c’est en grande partie leurs idées qui inspirent les représentants du parti socialiste à la commission économique. Ils rédigent d’ailleurs un projet de plan avec les représentants de la CGT80. Plusieurs témoins et auteurs ont souligné alors la « conjonction des extrêmes », radicaux et communistes, dans leur refus des nationalisations81. En réalité, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une démarche concertée.
• La volte-face communiste.
26Dès les premières séances de la commission économique, les représentants du PC font volte-face. Un document inédit, issu des archives de l’IC, confirme que l’acceptation de septembre était un faux pas, rectifié le mois suivant. Le 17 octobre, à la première session du Comité central depuis son retour de Moscou, Maurice Thorez précise dans son rapport : « Pendant toute une période on a glissé un peu sur ces questions en raison du surmenage, de nos difficultés (...). Malheureusement nous avons été amenés à signer une plate-forme d’action commune qui contient l’institution d’offices publics agricoles et même la nationalisation de grands monopoles capitalistes. Nous serons donc amenés à modifier cela et à revenir à notre ligne constante »82. Les raisons invoquées pour expliquer cette bévue ne peuvent tromper personne. Pourquoi ce flottement dans l’analyse communiste, et cette rectification, trois semaines après que Duclos eut accepté les termes de la plate-forme ? S’agit-il d’une mauvaise interprétation de ce dernier, chargé de l’élaboration du programme, alors que Thorez est resté à Moscou pendant plusieurs semaines pour participer au VIP Congrès de l’Internationale Communiste et n’en est revenu que trois jours après la publication de la plate-forme ? Le secrétaire général du PCF annonce-t-il le retour à la « ligne constante », à la suite des critiques très vives formulées par Varga à l’égard des nationalisations, lors du congrès de l’IC ? L’adhésion aux nationalisations était-elle considérée comme de peu d’importance, dans la mesure où elle ne mettait en cause que socialistes et communistes ? Nous manquons d’éléments complémentaires pour apporter une réponse assurée. D’autre part, dès les premières réunions, il apparaît que les radicaux s’opposent aux nationalisations — comme à la Délégation des Gauches — à l’exception de celle du commerce des armes, pour des motifs politiques et moraux bien davantage qu’économiques. Or, pour Thorez, « le programme de Front populaire (...) doit être un programme commun. Il ne doit pas être plus celui de la CGT ou de la CGTU, que celui du parti socialiste ou du parti communiste. J’ai dit cela à la Mutualité dans le meeting où parlèrent Blum et Daladier... C’est pourquoi il faut nous montrer vigilants et fermes dans la négociation »83. Alors qu’à la fin du mois d’août, plusieurs dirigeants, comme on l’a vu, (F. Bonté et J. Duclos), ont semblé satisfaits par les clarifications de Léon Blum dans le Populaire, en octobre, Thorez en revient à une position plus traditionnelle : « Si on nous dit : « Mais il s’agit d’étatisation, il s’agit de faire de certaines usines, de certaines entreprises, des banques ce qui est fait maintenant dans les chemins de fer ». Bien, allez, faites-le, mais ne nous parlez pas de socialisme ou de nationalisation ; ne nous racontez pas que le service des postes, c’est du socialisme »84. Ces avancées et ces reculs soulignent combien, pour le PC, isolé encore dix-huit mois auparavant dans sa ligne « classe contre classe », la question du contenu d’un programme est neuve. De plus, quelques heures après la signature de la plate-forme, la CGT a publié son Plan et tente, avec l’aide de la SFIO, de le faire adopter.
27Outre l’attitude négative de l’IC, le refus communiste d’octobre s’explique, nous semble-t-il, pour trois séries de raisons. Tout d’abord, le PC s’est toujours montré hostile au Plan de la CGT et aux idées de Henri de Man. Georges Politzer a consacré trois études substantielles sur « l’expérience planiste belge ». Il dénonce dans le Plan du POB « le caractère utopique de la planification en régime capitaliste avec comme instrument l’État bourgeois »85. Constants dans leur hostilité à toute indemnité pour les gros actionnaires, les dirigeants communistes se montrent d’autant plus sceptiques à l’égard des « réformes de structures » du Plan, qu’ils doutent de la tenacité des responsables confédérés ou socialistes pour les mettre en œuvre, à un moment où ces derniers sont encore hégémoniques dans la classe ouvrière. Le contenu des nationalisations dépend avant tout, pour le PC, du rapport des forces86. Lors de la cinquième séance de ce même Comité central, Thorez précise dans son discours de clôture (non public et non publié), en faisant allusion à la réunification syndicale, officielle à la fin de septembre : « Ce n’est pas vrai que les unitaires pour entrer dans une CGT unifiée ont accepté le plan de la CGT. Les unitaires, et parmi eux les communistes considèrent le plan de la CGT comme une tentative de sauvetage de la bourgeoisie, et non comme le plan qui permet à la classe ouvrière de réaliser sa lutte contre la bourgeoisie »87. D’autre part, le Plan, qui porte la « griffe » de la CGT, devient une sorte de levier pour s’assurer l’hégémonie du Front populaire. Il est perçu par les dirigeants communistes comme un instrument destiné à les isoler. Ainsi, Jacques Duclos : « Aussitôt après le 14 juillet, quelle a été la pensée du Parti socialiste ? Isoler notre Parti et il mène maintenant une opération de front avec la CGT (...). Ils avaient essayé de l’[le Plan] imposer au Front populaire et ils n’y réussirent pas (...). Nous avons contrecarré l’opération et le Front populaire s’est borné à l’énoncé de certaines revendications dans lesquelles on retrouve d’ailleurs une partie de ce qui se trouve dans notre programme »88. La tactique communiste fut donc bien délibérée et rapportée comme telle devant l’Internationale, dont les responsables sont eux-mêmes très hostiles au planisme89.
28Ainsi, au même moment (août 1935), les mêmes hommes — Jacques Duclos notamment — signent la plate-forme contenant les nationalisations et « torpillent » le Plan dans les commissions mises en place par la CGT : « Nous ne nous sommes pas laissé isoler. Nous y sommes allés [dans les commissions d’études du Plan] et nous avons torpillé leur Plan »90. Pensaient-ils que la SFIO était un maillon faible par rapport à la CGT, appuyée sur sa base de salariés, où les effectifs ouvriers comptent encore ? Enfin, la rectification de Thorez intervient au moment où ce dernier envisage l’éventualité d’une participation gouvernementale, innovation totale pour le PC et pour l’IC, malgré les possibilités ouvertes par le VIIe Congrès91. Est-ce à dire que le leader communiste s’aventure sur un terrain neuf à propos des aspects politiques de l’État (rôle du gouvernement, du Parlement), alors que sur les fonctions économiques (notamment les nationalisations), il tient à manifester son orthodoxie ? Est-ce une attitude délibérée destinée à obtenir l’aval de l’Internationale ? Ou, plus simplement, cela ne manifeste-t-il pas des décalages réels dans la réflexion des communistes du PCF, comme à l’IC d’ailleurs ? Nous ne disposons pas de documents qui permettent de trancher. En revanche, on sait que l’Internationale fait reculer la direction du PCF sur la question de la participation, dès le mois de novembre 1935.
• Les nationalisations du programme.
29Quoi qu’il en soit, cet épisode témoigne du fait qu’en matière de nationalisations, le PC n’a pas adopté une position définitive, comme on le constatera dès le début de 1937. Pour l’heure, la conjonction hostile des radicaux et des communistes écarte les nationalisations du programme de Rassemblement populaire. Toutefois, le point 4 du chapitre « Défense de la Paix » comporte « Nationalisation des industries de guerre et suppression du commerce privé des armes »92. Et l’un des articles du chapitre « Contre le pillage de l’épargne et pour une meilleure organisation du crédit » comporte l’expression « faire de la Banque de France, aujourd’hui banque privée, la Banque de la France ». D’autre part, malgré l’hésitation de certains radicaux, et l’hostilité des communistes, dans leurs textes publics (bien qu’ils s’y soient ralliés dans la plate-forme de septembre 1935), il est fait mention de « la création d’un office national interprofessionnel des céréales ». Il semble que l’effondrement catastrophique des prix agricoles en 1935 (le cours ganster s’abaisse jusqu’à 50 F le quintal de blé, pour un prix garanti à 100 F en 1933) ait poussé à l’adoption de la proposition socialiste, rendue plus attractive par suite de l’échec des différentes lois agricoles. Quant aux communistes, le projet d’office ne constituait pas, à leurs yeux, les mêmes risques d’illusions dans un milieu agricole, dans l’ensemble assez rétif à tout remède socialiste. La question de l’hégémonie du PC ou de la SFIO ne se posait d’ailleurs pas, dans la mesure où l’un ou l’autre parti ne s’y montrait guère influent. Enfin, la SFIO parvient toutefois à faire inclure un préambule, qui évoque le complément « de mesures plus profondes pour arracher définitivement l’État aux féodalités industrielles et financières ». Mais, comme s’empresse de le souligner Georges Politzer, le préambule ne fait pas partie du programme. Pure concession de forme93.
3. Le financement des réformes : une autre conjonction.
• Le compromis difficile sur les décrets-lois.
30La question du financement des réformes a été en fait beaucoup plus âpre que celle des nationalisations, assez vite rejetées, même si ces dernières sont restées davantage présentes dans certains mémoires, surtout socialistes il est vrai. Car elle soulève la question des décrets-lois et de la politique financière du gouvernement Laval, dans lequel siègent cinq ministres radicaux, dont Édouard Herriot, président du parti, et Marcel Régnier, le ministre des Finances. L’accord éventuel, au sein de la Délégation des Gauches comme dans les commissions d’élaboration du programme de Rassemblement populaire, dépend largement de l’attitude des radicaux, qui tiennent leur Congrès à Paris, salle Wagram, du 24 au 27 octobre 1935. Il est certes significatif que Jean Zay, radical de gauche, soit chargé du rapport de politique générale. Celui-ci parle de la nécessité de « rectifications que toute notre doctrine et tout notre effort constant vers l’équilibre fiscal exigent impérieusement »94. Position beaucoup plus modérée que celle de l’abrogation pure et simple des décrets-lois, défendue par les communistes et les socialistes. La déclaration du parti radical au Congrès est encore plus ambiguë95. La déflation passée n’est pas critiquée, même si les radicaux semblent tentés, pour l’avenir, par les analyses reflationnistes. Léon Blum s’en inquiète, au lendemain de Wagram96.
31Quelques jours plus tard, la Délégation des Gauches décide de s’attaquer aux plus « iniques » des décrets-lois. Le 30 octobre, Laval contre-attaque, par son « troisième train » de 317 nouveaux décrets-lois97. La Commission des Finances, où le poids des radicaux et des socialistes se fait sentir, propose toutefois d’abroger le prélèvement sur les pensions et allocations des Anciens combattants, et d’instituer un abattement à la base de 10 000 F pour les traitements. Le 13 novembre, Laval et Régnier défendent leur politique devant ladite commission. À cette date, les radicaux cherchent la conciliation avec le gouvernement. Léon Blum enregistre le fait, le 17 novembre, où il admet que le seul thème pour rallier les radicaux au renversement du gouvernement Laval est celui de la défense contre les ligues98. L’attitude radicale s’explique d’autant plus qu’une vaste panique monétaire s’est déclenchée à partir du 7 novembre, marquée par d’abondantes sorties d’or, la presse conservatrice en imputant notamment la responsabilité à la Commission des finances, trop peu soucieuse de l’équilibre. Le 22 novembre, la Délégation des Gauches éclate sur le problème financier. Les radicaux acceptent, à la Commission des finances, de renoncer, pour la plus grande partie, aux amendements sur les fonctionnaires et les petits rentiers : il ne s’agit plus que d’une « humanisation au compte-gouttes » des décrets-lois99. Plusieurs parlementaires radicaux semblent avoir été fortement influencés par la crise monétaire. Herriot, en particulier, a été impressionné par les chiffres sur les sorties d’or, communiqués par M. Régnier100. Le grand débat financier des 29 et 30 novembre à la Chambre — où interviennent notamment Léon Blum, Paul Reynaud, Maurice Thorez — s’achève par une victoire de Pierre Laval. Le groupe radical s’est divisé : 63 voix « pour », 72 « contre » et 14 abstentions contre respectivement 72, 7 et 72, lors du vote de confiance du 7 juin, donnant naissance au gouvernement Laval. Après cinq mois de déflation, et malgré 1’« irrésistible tentation » de députés radicaux vers le Front populaire, si le nombre des opposants déclarés s’est presque entièrement accru du total des abstentionnistes, celui des partisans du président du Conseil reste sensiblement le même101.
• Les socialistes et le « mirage de l’équilibre » (Léon Blum).
32Aux hésitations radicales, il faut ajouter une divergence fondamentale entre socialistes et communistes sur les modes de financement. On a vu que, dès le contre-projet de budget pour 1933, la SFIO ne tenait pas l’équilibre budgétaire comme un objectif premier102. Léon Blum, en particulier, par souci de se démarquer de la déflation budgétaire, ne cesse alors de répéter qu’au lieu d’essayer d’agir sur la crise par le budget, il faut agir sur le budget par la reprise. En mars 1934, peu après le vote du budget obtenu par Louis Germain-Martin, il dénonce le budget « chiffon de papier », 1’ « équilibre nominal »103. L’année suivante, les socialistes approfondissent leurs analyses « reflationnistes », dans leur opposition à la déflation. Attentifs à la reprise dans certains pays, ils ne manquent pas de souligner que l’accroissement des rentrées budgétaires est une conséquence du redressement économique104. Et, lors de l’arrivée de Pierre Laval au pouvoir, Léon Blum fait le diagnostic suivant : « La course au mirage de l’équilibre recommence une fois de plus, imposée par les mêmes puissances de réaction, conduite dans les mêmes conditions, destinée au même échec. »105 Dès lors, les socialistes n’ont de cesse de dénoncer « le cycle infernal de la déflation » et 1’« hypnose du déficit » (Jules Moch)106. En septembre-octobre 1935, pendant les débats budgétaires et les discussions à la Délégation des Gauches et au Comité de Rassemblement populaire, Léon Blum réitère ses analyses sur le caractère « chimérique » de 1’ « équilibre réel »107. À la fin d’octobre, il dénonce la « surenchère dans l’orthodoxie comptable et dans la recherche de l’équilibre papier » et ajoute, dans un article intitulé « À rebours » : « L’équilibre ? Tout le monde est incapable de le garantir dans l’état présent des choses »108. Bien plus, face aux difficultés pressantes de la trésorerie, Léon Blum n’hésite pas, dans l’hypothèse où des ministres socialistes siégeraient dans un gouvernement « porté par la volonté populaire, et où les établissements de crédit et la Banque de France se déroberaient », à miser sur 1’« esprit de sacrifice » des fonctionnaires109. Dès le moment où les nationalisations disparaissent, la «politique du pouvoir d’achat» n’envisage pas de moyens de financement du déficit budgétaire autres que les plus-values fiscales résultant de la reprise économique : « La répudiation de la déflation budgétaire signifiera donc nécessairement la « reflation », la recherche de l’assainissement financier par la reprise économique, la recherche de l’équilibre budgétaire par l’accroissement de la capacité générale d’achat et de consommation »110.
• Le financement des grands Travaux.
33Parallèlement, pour le financement des grands Travaux et des réformes sociales (en particulier pour les assurances-chômage), la SFIO envisageait d’obtenir des ressources à travers la nationalisation, en particulier celle des banques et compagnies d’assurances. Dès le moment où celles-ci n’apparaissent pas dans le programme, les socialistes comptent sur l’épargne thé-saurisée, estimée à trente ou quarante milliards, qui serait pour ainsi dire « dégelée » par le « choc psychologique », le « sursaut salutaire » de la reprise économique : « L’appel à l’épargne locale pour des travaux dont la consistance, l’utilité, le profit sont parfaitement connus des épargnants est le moyen le plus efficace, peut être le seul, de pratiquer sur les capitaux thésaurisés la ponction indispensable, de les refouler dans la circulation générale dont ils sont détournés »111. Si les socialistes n’envisagent pas de ressources particulières autres que l’appel à l’épargne thésaurisée, ils insistent, en revanche, sur l’ampleur nécessaire des dépenses, pour que ces grands Travaux soient efficaces. Ils dénoncent d’ailleurs le caractère « chétif, presque dérisoire» (Léon Blum) du plan Marquet (10 milliards en 6 ans), remanié par Louis Frossard (plan Frossard : 3,3 milliards). De plus, le directeur du Populaire dénonce le fait que ces plans reprennent une part des dépenses inscrites aux budgets précédents, que leur réalisation soit centralisée par un État « lointain et anonyme », et, « dernière prouesse », qu’une partie des capitaux des assurés sociaux soient mis à la disposition de producteurs de matériel (notamment de chemins de fer)112. Lors du vote du Plan Marquet à la Chambre, Albert Bedouce et Jules Moch dénoncent ce plan en « trompe-l’oeil » : le volume des travaux est inférieur à celui des crédits budgétaires des derniers exercices, qui se trouvent partiellement réincorporés : une partie des crédits spéciaux attribués au Plan sert à solder des dépenses antérieurement engagées113. D’autre part, ils critiquent l’absence d’appel à l’épargne locale, le non-recours aux quarante heures et le caractère malthusien du Plan, qui limite tout recours à du matériel mécanique. Jules Moch en conclut qu’il ne saurait même employer les 80 000 nouveaux chômeurs enregistrés en 1934. Pour Léon Blum, Marquet reprend « tout bonnement le procédé publicitaire créé et popularisé par Tardieu »114. Ces plans, associés au nom de deux anciens socialistes, leur apparaissent comme une sorte de caution « de gauche » pour l’Union nationale, sans réelle portée économique.
34À la lumière des discussions conduites à Genève, à la Conférence internationale du Travail, Robert Marjolin écrit : « de toutes les formes d’intervention [de l’État] la plus importante est constituée par les travaux publics », et, reprenant les conclusions de Genève, il précise que ces grands travaux « ne peuvent avoir d’effet important soit comme stimulant de l’activité économique générale, soit comme moyen de réduire le volume du chômage que s’ils ont une grande envergure »115. Le raisonnement s’apparente implicitement à l’analyse keynésienne, en terme d’effet multiplicateur : « Il faut frapper un coup puissant pour que le choc s’irradie dans les branches économiques qui bénéficient directement des travaux publics dans toutes les autres »116. D’autre part, le jeune économiste insiste sur l’appel à « l’épargne thésaurisée », afin de « rendre à la circulation monétaire une partie des ressources qui en avaient été détournées »117.
• Les hésitations radicales.
35Les radicaux, dans leur diversité, se montrent beaucoup plus économes dans les dépenses envisagées, car ils manifestent une grande inquiétude à l’égard de l’insuffisance des ressources. Même l’aile gauche la plus favorable au Rassemblement populaire (Jacques Kayser, Jean Zay, Pierre Mendès France) exprime son scepticisme vis-à-vis de l’optimisme reflationniste de la SFIO. Cette situation explique en grande partie les longues réticences de nombreux dirigeants radicaux à abandonner la déflation lavalienne, et, par conséquent, à conclure un programme avec les partis d’extrême-gauche. Lamoureux, Potut, Roche, Herriot sont résignés à la déflation, tant qu’ils ne voient pas d’autre possibilité de résorber l’énorme déficit budgétaire, auquel il faut ajouter les charges croissantes de la trésorerie : « Il y a quelques chiffres que (...) j’ai toujours sous les yeux : le déficit du budget de 1935 est de 7 milliards. De 1930 à aujourd’hui, la dette est passée de 200 milliards à 319. L’assainissement des finances publiques est [...] la plus urgente nécessité, non seulement financière, mais politique du temps présent » (Édouard Herriot, au Comité exécutif, le 3 juillet 1935)118. Bien que le Congrès de Wagram ait mentionné le fait que l’équilibre budgétaire ne pouvait être que la « conséquence de la prospérité », les radicaux se plaignent de l’absence de mesures de financement des réformes : même Jacques Kayser, favorable au Front populaire, fait part de ses craintes dans la commission du programme119. Dans ces conditions, la réaction des radicaux, aggravée encore par la crise monétaire de novembre, a consisté à limiter les dépenses comme les remises en cause des décrets-lois.
• Les communistes : « ni déflation, ni reflation ».
36À l’autre pôle, les communistes dénoncent aussi les illusions reflationnistes. Mais, à l’inverse des radicaux, ils ne proposent pas de réduire les dépenses : ils continuent à défendre leur programme fiscal de prélèvement « sur les grosses fortunes ». Georges Politzer réaffirme, en décembre 1935 : « Les reflationnistes ont tort lorsqu’ils déclarent que, pour lutter contre le déficit, il suffit de lutter contre la crise. (...) la cause profonde et permanente du déficit, notre système fiscal réactionnaire, continuerait à subsister. Si les déflationnistes détachent ou affectent de détacher le problème du déficit du problème économique, les reflationnistes le détachent du problème social »120. Or, sur cette question, il y a, à la commission économique du Rassemblement populaire, conjonction, cette fois, entre les radicaux, la CGT (René Belin) et les socialistes, pour s’opposer au prélèvement sur la fortune (malgré la faveur de certains radicaux de gauche, comme Jacques Kayser) et réclamer la « détente fiscale ». L’Atelier pour le Plan, sous la plume de Jacques Dupiol (pseudonyme de Samama) ou de Robert Lacoste, se montre hostile au prélèvement parce que la technique n’en est pas « au point », du fait de la « fluidité » du capital, et que, d’après ces responsables de la CGT, la richesse n’est plus individuelle désormais, mais anonyme121.
• Le programme : un compromis à double lecture.
37La rédaction du programme consacre le compromis : il y est question de 1’ « exécution rapide d’un plan de grands travaux d’utilité publique citadine et rurale, en associant à l’effort de l’État et des collectivités l’effort de l’épargne locale ». La SFIO semble avoir obtenu gain de cause. À propos des mesures fiscales, il est prévu à la fois une « Réforme démocratique du système des impôts comportant une détente fiscale en vue de la reprise économique », et « la création de ressources par des mesures atteignant les grosses fortunes (progression rapide de la majoration du taux de l’impôt sur les revenus supérieurs à 75 000 F — réorganisation de l’impôt successoral — taxation des profits des monopoles de fait, en évitant toute répercussion sur les prix de la consommation) ». Le texte fait la part aux vœux des socialistes et des radicaux comme à ceux des communistes. Tout va dépendre du dosage effectif, lors de l’application.
4. Une présence-absence : la dévaluation.
• Les facteurs de rejet.
38La dévaluation ne figure pas, on le sait, dans le programme. Cependant, Georges Lefranc a révélé qu’une réunion restreinte et secrète, en l’absence des représentants du PC, de la CGTU ou d’Amsterdam-Pleyel, s’est tenue au domicile personnel de Victor Basch, sur l’insistance de René Belin et Vincent Auriol, « pour qui la dévaluation conditionnait tout »122. Y participèrent, en outre, E. Kahn (Ligue des Droits de l’Homme), Walter (C.V.I.A.) et Yvon Delbos (Parti radical) : il y fut décidé du principe de la dévaluation, sans en faire mention dans le texte du programme, du fait de « l’opposition brutale, irréductible des délégués communistes qui ont failli rompre là-dessus » dans les séances officielles123. Le langage à deux faces sur la question monétaire existe avant juin 1936 du côté socialiste, puisque la position officielle de la SFIO reste « ni déflation, ni dévaluation » jusqu’aux élections, et même jusqu’en septembre 1936. Pour les communistes, la déflation, comme la dévaluation, est une « politique réactionnaire », qui « fait payer les pauvres »124. Ils la rejettent pour trois séries de raisons. Tout d’abord, ils redoutent l’amputation du pouvoir d’achat des salaires, résultant d’une hausse des prix consécutive à l’ajustement monétaire. Georges Politzer reprend la distinction de Paul Reynaud entre dévaluation d’après-guerre et d’après-crise, pour signaler que, dans le premier cas, l’inflation et la dépréciation monétaire ont précédé, alors que, dans le second, elles vont succéder à la dévaluation125. Dans son discours à la Chambre, le 29 novembre 1935, Maurice Thorez déclare, lors de la crise monétaire : « elle [la dévaluation] signifierait une diminution des salaires réels, des traitements et des pensions, des coupons des petits rentiers, et cela au seul profit des capitalistes. C’est ce dont s’aperçoivent les prolétaires belges qui voient freiner leurs revendications de salaires alors que s’élève le coût de la vie (...). Nous avons refusé de nous laisser enfermer dans le dilemme : déflation ou dévaluation »126. Second facteur de rejet : la dévaluation donne l’illusion de la facilité, à savoir la possibilité d’accroître les dépenses, sans « faire payer les riches » : « Tout se passe comme si les milliards pour combler le déficit du budget, engager les grands travaux, dormaient simplement dans un encrier ministériel »127. Les communistes dénoncent en particulier « la stabilisation générale des monnaies », défendue dans l’Atelier pour le Plan comme l’un des moyens de financer des grands Travaux. Enfin, parallèlement à leur souci d’allier les salariés, notamment la classe ouvrière, aux classes moyennes dans une perspective antifasciste, les dirigeants du PC jugent la dévaluation politiquement désastreuse : « Le dilemme « déflation ou dévaluation » avait permis aux oligarchies de diviser le peuple, de dresser l’épargnant contre le salarié (...) « Faire payer les riches » est une formule d’union »128. Si les communistes ne ménagent pas leurs coups contre la politique déflationniste, ils dénoncent avec une égale vigueur la dévaluation. D’ailleurs, par une sorte de conjonction « objective », la première, selon eux, prépare la seconde : « Nous savions que M. Laval défendait le franc contre la dévaluation, comme les Versaillais défendaient Paris contre les Prussiens »129. Leur critique est d’autant plus vive que la dévaluation, tout en apparaissant comme un recours possible après l’échec déflationniste, épargne également « les riches », et pourrait affaiblir le Front populaire, dans l’éventualité de sa victoire. Lors de la séance du Comité central précédant les élections, Jacques Duclos, chargé de diriger la campagne, annonce : « au cours de la campagne électorale, il faut d’autant plus insister sur ce mot d’ordre : « faire payer les riches », que nous voyons les dévaluateurs se livrer précisément à une très grande offensive (...) il faut que nous opposions notre politique ; « faire payer les riches », à la politique de dévaluation »130. Quant aux radicaux, ils sont favorables à la stabilité monétaire, par crainte d’une amputation de l’épargne, malgré quelques dissidents, d’autant plus remarquables qu’ils sont isolés.
39Ainsi, la dévaluation ne peut apparaître dans un programme commun à trois partis qui, officiellement du moins, la rejettent. Cependant si, lors du grand débat financier de novembre 1935, Léon Blum confirme que la position publique de la SFIO est aussi « ni déflation, ni dévaluation », les analyses socialistes et cégétistes ne sont pas dépourvues d’une certaine ambiguïté.
• Pour la SFIO : une question connue.
40L’historiographie sur les questions monétaires en 1934-35 reste dominée par la thèse présentée par Paul Reynaud dans ses Mémoires, reprise par Alfred Sauvy dans ses différents ouvrages131. L’examen quelque peu attentif des textes infirme les sentences (trop) brutales de ce dernier. Nous avons signalé, dans un travail antérieur, que non seulement Léon Blum n’ignore pas la situation internationale, ni les enjeux précis d’une dévaluation, et que sa lucidité se manifeste à un moment où Paul Reynaud soutient encore publiquement la déflation132. Le dirigeant socialiste est particulièrement attentif aux expériences étrangères, ainsi qu’aux crises monétaires résultant de mouvements spéculatifs internationaux. En mars 1934, constatant que les sorties d’or à la Banque de France — « un des rares endroits du monde où l’on délivre encore de l’or » — résultent des mouvements du dollar, il s’interroge : « Il y a un problème de l’or (...) : il s’agit de savoir si oui ou non l’intérêt de la France est de maintenir intacte la parité-or de sa monnaie au milieu de devises qui se dévaluent l’une après l’autre, si oui ou non le fétichisme monétaire ne devient pas, autant que le fétichisme budgétaire, un obstacle à la réfection économique du pays »133. Quelques jours plus tard, traitant de 1’ « exemple anglais », Léon Blum montre que, malgré la « déflation sans pitié » du gouvernement Mac Donald, le sterling a dû céder. Il mesure bien le double intérêt de l’opération : « Quand le pays où l’on observe un tel phénomène possède de grandes réserves d’or comme la France ou lorsqu’il est producteur d’or comme l’Angleterre, le résultat est tout à la fois une augmentation de la capacité d’achat sur le marché intérieur et un développement de la capacité de vente sur les marchés étrangers »134. Trois jours plus tard, il semble nettement pencher pour la dévaluation, sans toutefois engager la SFIO, dont il précise bien qu’elle est divisée et sans position officielle sur la question : « quelques-uns d’entre nous, et je suis du nombre, j’en conviens, estiment qu’il est à la fois difficile et périlleux de maintenir à sa parité d’or une monnaie nationale voire un bloc de monnaies alliées au milieu de la dévaluation quasi universelle »135. Et, faisant allusion à la politique de Doumergue, il ajoute : « en défendant à tout prix cette parité d’or (...) en engageant l’orgueil et l’honneur national dans cette lutte, on risque de sacrifier l’ensemble de la production nationale, et même le capitalisme industriel, au seul capitalisme bancaire »136. Cette position provoque des remous au sein de la SFIO. À la fin du mois de mai, la Fédération de la Seine, soucieuse de bonnes relations avec les communistes, juge déplacé de trouver en première page du Populaire des articles favorables à la dévaluation137. Ainsi, le 28 juin 1934, lorsque Paul Reynaud à la Chambre fait part de sa profession de foi dévaluationniste, il ne surprend as Léon Blum en flagrant délit d’ignorance. Lors de la même séance, Charles Spinasse cite l’ouvrage, fraîchement paru, de Georges Boris, La Révolution Roosevelt, pour signaler l’intérêt des expériences anglaise et américaine : « nous ne céderons pas à l’illusion de l’autarcie et nous chercherons à développer les échanges entre la France et les autres pays »138. Le lendemain, Georges Monnet dénonce, dans sa rubrique « Pour ceux de la terre », le caractère néfaste de la surévaluation des prix agricoles français139.
• Non-intervention monétaire...
41Entre le 15 et le 30 septembre 1934, Léon Blum consacre dix éditoriaux du Populaire à la politique monétaire. Il dénonce sans équivoque les arguments anti-dévaluationnistes de type moral ! Il rejette l’objection de la dévaluation de 1928, distinguant dévaluation d’après-guerre et d’après- crise, et dissipe la confusion entre inflation et dévaluation140. Il signale sans ambiguïté les inconvénients pour le Bloc de l’or de demeurer « comme un rocher isolé battu par le flux et le reflux... », en particulier le plus grand poids des charges fixes pour l’État et les entreprises, le taux plus élevé des prix de revient, la mévente à l’étranger, le marasme du tourisme141. Mais Léon Blum nuance ses positions du printemps. Dans l’intervalle, Robert Marjolin a pris nettement position contre la dévaluation, à cause du risque de la « diminution du pouvoir d’achat de la population laborieuse » et des faibles bénéfices extérieurs, du fait de la généralisation des contingents142. Léon Blum évoque également « le danger de la dévaluation ». À la différence du Royaume-Uni, où la dévaluation n’a pas entraîné la hausse des prix, du fait du parallélisme entre la baisse de la livre et la « hausse de l’or », les États-Unis connaissent une hausse des prix intérieurs — ce qui était d’ailleurs l’objet du détachement du dollar. Léon Blum reconnaît qu’il lui « paraît impossible de contester que, dans le mouvement naturel des choses, la dévaluation monétaire entraînerait vraisemblablement une hausse partant des prix de gros, mais se propageant finalement jusqu’aux prix de détail »143. Si, à la différence de ce qu’il écrivait en avril, il ne juge pas la dévaluation souhaitable, il la considère toutefois comme difficile à éluder. Il présente ainsi « l’alternative fatale » : « ce que l’intérêt ouvrier exige, c’est la stabilité monétaire totale, dans son double sens [de la valeur de change et d’achat] (...) or le caractère vraiment dramatique de la situation actuelle, c’est qu’il paraît impossible de préserver ces deux stabilités à la fois »144. Plutôt que d’ignorer la dévaluation, Léon Blum défend l’idée qu’il faut s’y préparer et, au cas où elle serait inévitable, l’accompagner des mesures prévues dans le programme socialiste, pour protéger les salariés et abaisser les coûts145.
42À la fin de 1934, la position des socialistes apparaît ambiguë. Certains de leurs responsables notent l’amélioration de la situation des États qui ont dévalué. Marc Joubert signale « la pression exercée par la dépréciation croissante de ces devises [livre et dollar] sur les monnaies du Bloc-or », ainsi que « la rivalité croissante de la livre et du dollar », « ces deux questions, selon lui, commandent, dans une large mesure, l’histoire économique de demain »146. Mais, dans le même temps, la SFIO reste officiellement hostile à la dévaluation. En mars 1935, la question rebondit avec la chute de la livre sterling et la crise monétaire consécutive en Belgique. Robert Marjolin signale bien que les calculs temporisateurs de P.-E. Flandin sont vains, devant l’imminence de la dévaluation du belga : « La position économique de notre pays devient de plus en plus intenable »147. Il note les avantages de la dévaluation, d’ailleurs partiellement contradictoires, de la réduction des charges par l’accroissement des prix intérieurs, et de l’accroissement des exportations par l’abaissement des prix-or. Mais il ajoute que les prix de gros monteront plus rapidement que le coût de la vie, et lui-même plus vite que les salaires : « Si nous ne sommes pas assez vigilants (...) la dévaluation (...) sera l’occasion d’une nouvelle compression des traitements et des salaires exprimés en marchandises »148. Il affirme, au lendemain de la dévaluation du belga, que l’exemple du Royaume-Uni, où la stabilité des prix a été maintenue après la dévaluation, ne peut pas être invoqué à propos de la France, qui n’appartient pas à un ensemble monétaire comprenant plusieurs de ses fournisseurs comme le bloc sterling, et qui ne joue pas un rôle aussi directeur dans les achats de matières premières, pour imposer ses conditions aux producteurs149. Il mentionne également la menace des trente à cinquante milliards de francs thésaurisés, qui sortiront lorsqu’ils sentiront une menace et pèseront sur les prix. De son côté, Léon Blum signale que « la pierre de touche » pour juger de la dévaluation est l’évolution des prix de détail150. Or la montée en flèche des prix belges indique, selon lui, que « les conditions psychologiques de la dévaluation sont plus défavorables dans les pays qui ont déjà fait l’épreuve de l’inflation car, en dépit des différences qui séparent ces deux phénomènes, le premier risque de réveiller tout un ensemble de réactions automatiques déposé dans les mémoires par le deuxième »151. Lors de la crise monétaire de la fin mai, Léon Blum envisage la dévaluation comme de moins en moins évitable. Peu après, la constitution du gouvernement Laval, il s’étonne, au Congrès de Mulhouse, que le groupe parlementaire soit sans directive sur la question monétaire. Il signale s’être trouvé « devant des opinions si divergentes », que le groupe aurait éprouvé des difficultés à définir une position, au cas où la dévaluation aurait été décidée152. Mais il ne pouvait s’agir que d’un répit. À partir d’octobre, les socialistes constatent la progression de l’idée de la dévaluation : « l’échec de la déflation trop obstinément prolongée finit par ne plus laisser d’autre issue que la dévaluation forcée »153.
43Dès lors, la position de la SFIO n’est pas tant de se prononcer en faveur ou défaveur de la dévaluation, que de « prémunir la classe ouvrière contre les incidences nocives de ces désordres dont elle est toujours la première victime puisqu’elle risque de souffrir demain de la dévaluation par la réduction de la puissance d’achat des salaires, comme elle souffre aujourd’hui par le chômage de l’accroissement de la puissance d’achat de l’or »154. Il dénonce par avance les responsabilités des gouvernements déflationnistes car il redoute que la France ne suive les traces de la Belgique : « on s’arrangera pour que d’autres la [la dévaluation] signent »155. Les inquiétudes s’amplifient encore, lors de la crise monétaire de novembre. Léon Blum doit, en effet, tenir compte de différents facteurs qui rendent sa situation délicate. La SFIO est manifestement divisée. De plus, malgré les prises de position favorables de certains dirigeants cégétistes, la classe ouvrière organisée, influencée par la campagne du parti communiste, se montre résolument hostile à la dévaluation. D’autre part, certains envisagent l’effet positif du boni de la dévaluation pour financer les grands Travaux. Léon Blum manifeste donc une conscience de plus en plus nette du caractère inéluctable de l’opération, tout en percevant les risques encourus par les salariés, ouvriers en particulier. Aussi, lors du grand débat parlementaire du 29 novembre, il affirme officiellement son refus de choisir entre déflation et dévaluation. Mais le slogan officiel de la SFIO « ni déflation, ni dévaluation » n’est qu’une fausse symétrie. Car, tout au long des déclarations et publications, le réquisitoire est dirigé de façon unilatérale contre la déflation.
• ... ou pacifisme monétaire ?
44Si la dévaluation est officiellement rejetée par la SFIO, celle-ci réclame, depuis les débuts de la crise, et surtout l’échec de la conférence de Londres, la « stabilisation internationale des monnaies ». En avril 1934, Léon Blum rappelle : « Nous avons toujours réclamé la stabilisation internationale des monnaies, nous avons toujours réclamé qu’une convention internationale mît fin une bonne fois au scandale de la spéculation à découvert sur les changes »156. À la paix monétaire, les socialistes souhaitent également associer la « paix douanière »157. Ainsi que l’a écrit Léon Blum en 1933, la volonté antiprotectionniste et stabilisatrice de la SFIO est une manifestation de son internationalisme. Dans ces conditions, il apparaît de plus en plus difficile de combiner la « paix monétaire » et le maintien du franc, rivé au Bloc-or. Ce que les socialistes redoutent — comme les gouvernements d’Union nationale aussi, à leur manière — ce n’est pas tant la dévaluation en soi, que la dévaluation isolée et imposée « à chaud » par la spéculation internationale. C’est la direction de la CGT et le « brain-trust » de Léon Jouhaux, à travers l’Atelier pour le Plan, qui se montrent les plus explicites. Au Comité Confédéral national de la CGT du 19 mars 1935, Léon Jouhaux se prononce contre la dévaluation, mais en faveur de la stabilisation monétaire : « la dévaluation nationale dans la stabilisation internationale a moins de conséquences que dans le déséquilibre et l’isolement »158. Il ajoute que la « paix monétaire conditionne la paix économique qui conditionne la paix politique »159. Une semaine plus tard, l’éditorialiste anonyme du Peuple — dont on sait, par ses Mémoires, qu’il s’agit de René Belin — semble considérer la dévaluation comme inévitable160. Après la dévaluation du belga, Léon Blum tient à dégager la responsabilité du POB et de Henri de Man et à la désolidariser de son Plan. Celle-ci a été « subie par Van Zeeland [mais] ni proposée, ni imposée par le POB »161. Elle a été décidée « en débandade », selon le mot de René Belin, repris plusieurs fois par le directeur du Populaire, et le boni, dont Henri de Man voulait disposer pour le financement des grands travaux et des nationalisations, va se trouver « presque entièrement consommé en pure perte »162, pour soutenir les cours du belga et les banques en difficulté. La dévaluation belge est donc présentée comme l’exemple à ne pas imiter, dans la mesure où elle a été « subie au lieu d’être voulue et préparée (...) [et a cédé] à la spéculation au lieu de la devancer et d’y couper court »163. On peut lire « en creux » qu’une dévaluation ne se présenterait pas nécessairement en France sous un jour aussi défavorable. Lors de la crise monétaire française, Robert Marjolin se montre beaucoup plus nuancé à l’égard d’une stabilisation internationale. Dans un article intitulé « Les obstacles à la stabilisation internationale », il témoigne d’une bonne information sur la situation internationale, en particulier les désirs de stabilisation à Washington et les réticences à Londres. Il fait état des suggestions de l’Economist, au sujet d’une stabilisation de fait, accompagnée d’un abaissement des barrières douanières. Il ajoute, pour sa part : « Nous sommes sceptiques sur les vertus universelles prêtées par certains à la stabilisation. Pour nous, le cœur du mal n’est pas monétaire (...). Mais la stabilisation éliminerait plusieurs phénomènes morbides secondaires tels que ces tourbillons de capitaux, qui balaient le monde depuis le début de la crise (...) [et] permettrait aux reprises nationales qui se sont produites depuis le milieu de 1932 de se compléter de l’accélération des échanges internationaux qui aurait dû normalement suivre (...). Aucun des vices fondamentaux du régime économique présent n’aurait disparu. Mais nous y verrions plus clair »164. Quelques semaines plus tard, l’économiste socialiste formule également un jugement nuancé sur la situation belge, trois mois après la dévaluation165.
45Mais les principaux dirigeants socialistes et la direction confédérale de la CGT se montrent moins prudents. Lors des crises monétaires de 1934 et 1935, la SFIO réclame la stabilisation internationale et un accord international contre la spéculation. Le Plan de la CGT défend également la stabilisation. Léon Jouhaux précise bien que cela implique la dévaluation : « la tâche est de mettre fin au désordre monétaire, d’en venir à la stabilisation générale (...). Et là, aucune illusion n’est possible : cette stabilisation ne pourra se faire que par un alignement des monnaies »166. Francis Delaisi, dans l’Atelier pour le Plan, signale encore plus clairement l’intérêt d’une dévaluation, insérée dans une « stabilisation générale des monnaies » : « Pas de dévaluation isolée car elle permettrait aux monnaies instables de se déprécier davantage encore. Et ce serait la course à l’abîme. (...) sans doute il en résulterait une réduction de quelques milligrammes d’or dans le poids théorique du franc et une hausse légère des prix. Mais, en compensation, une dizaine de milliards d’or se trouverait instantanément à la disposition de l’État pour combattre le chômage et ranimer l’activité économique »167. Et Vincent Auriol, lors du débat parlementaire du 29 novembre 1935, s’écrie : « La raison du déséquilibre mondial, c’est la spéculation qui se joue de vos désaccords. En ce moment, c’est l’Amérique avec son activité renaissante qui attire l’or et les capitaux. Ce qu’il nous faut, c’est la paix monétaire, la paix économique, c’est la paix politique »168. On note ainsi chez les socialistes une oscillation entre deux conceptions. L’une, plus doctrinale, selon laquelle, « Le désordre monétaire n’est qu’un phénomène secondaire, ayant le caractère soit d’un système, soit d’une complication » (Léon Blum)169. Robert Marjolin développe particulièrement cette idée du caractère second des questions monétaires, par rapport à l’accroissement du pouvoir d’achat : « La solution du problème économique ne dépend pas du niveau absolu des prix, mais du rapport entre ceux-ci et les revenus de la population laborieuse. Paul Reynaud ne nous explique pas comment un seul consommateur nouveau sera créé de cette façon. Et cependant, c’est bien là que réside le nœud du problème. Il faut créer de nouveaux consommateurs, accroître le pouvoir d’achat de toute la population »170. Or, dans le même temps, de manière plus pratique, plusieurs dirigeants socialistes escomptent des effets bénéfiques de la « paix monétaire ». Mieux, ils en attendent des retombées utiles à la paix en général. De même qu’ils ne cessent de répéter que le fascisme, qui se nourrit de la crise, sera refoulé si l’on s’attaque résolument à celle-ci, de même, ils escomptent un apaisement des relations internationales d’une stabilisation monétaire par la concertation avec les grandes nations commerçantes, États-Unis et Royaume-Uni. D’ailleurs, la « stabilisation monétaire » apparaît, dans le programme socialiste pour les élections de 1936, au paragraphe intitulé « il faut préserver la paix » : « Cette solidarité politique internationale devra être complétée par une solidarité économique internationale visant notamment la stabilisation monétaire, l’organisation rationnelle des échanges entre peuples, la répression des spéculations sur les changes et des fraudes fiscales au préjudice des États respectifs »171. Ainsi, les dirigeants socialistes se trouvent ballottés entre, d’une part, leurs affirmations solennelles, hostiles à la dévaluation, par souci de se ménager le soutien de la classe ouvrière, sensible aux arguments communistes, les déclarations sur la dévaluation, « mal capitaliste », insuffisante pour guérir l’économie française, que seule la « chirurgie socialiste » peut sauver et, d’autre part, leurs espérances en une stabilisation internationale mettant fin à la guerre des monnaies, ouverte par la dévaluation de la livre et le coup de force de Roosevelt, lors de la Conférence de Londres. Malgré le rejet de la dévaluation du programme, la question monétaire surgit, dès la victoire électorale, et va réveiller ces oscillations.
5. Une présence insolite : le contrôle des changes.
46De la même manière qu’ils attendent des effets favorables du rétablissement des échanges internationaux, les socialistes semblent très réservés sur la portée des mesures de contrôle sur la circulation des capitaux. Et cependant, face à la flambée spéculative contre la livre sterling, en mars 1935, Léon Blum signale la « facilité », au point de vue technique, d’un contrôle : « rien n’est et ne serait plus facile que de limiter ces opérations aux conversions, approvisionnements et couvertures correspondant à des transactions réelles. Le commerce et l’industrie ne souffriraient aucune gêne ; la spéculation et le jeu seraient seuls atteints »172. C’était, sans employer le terme, se rallier au contrôle des changes. Plus clairement encore, Étienne Weill- Raynal annonce, peu avant les élections de 1936, la volonté socialiste « d’empêcher les retraits d’or spéculatifs en ne fournissant plus de l’or ou des devises étrangères que pour un paiement commercial réel à l’étranger »173. Mais le programme socialiste pour les élections de 1936 est beaucoup plus vague et restreint, en mentionnant des accords internationaux en vue de « l’organisation rationnelle des échanges entre peuples, la répression des spéculations sur les changes ». Or, à la demande des communistes, la troisième partie du chapitre « Revendications économiques » du programme — intitulé « assainissement financier » — comprend notamment « le contrôle des sorties de capitaux et répression de leur évasion par les mesures les plus sévères, allant jusqu’à la confiscation des biens dissimulés à l’étranger ou de leur contre valeur en France »174. Cela signifiait, en clair, l’éventualité d’un contrôle des changes.
47Il semble, d’après les témoignages et quelques traces des discussions des commissions, qu’il n’y ait pas eu de débat sur cette dernière question. Cependant, à la lecture de leurs prises de position respectives, on peut légitimement se demander si les radicaux, et même les socialistes, pensaient réellement en faire usage. L’hostilité radicale est sans ambiguïté. Quant aux socialistes, malgré les textes cités plus haut, ils semblent divisés sur la question et, pour le moins, réticents. Au lendemain de la dévaluation du belga, Léon Blum signale que, lorsque des gouvernements décident l’embargo sur l’or et le contrôle des changes, « l’opinion publique (...) s’imagine qu’on défend ainsi la monnaie nationale ; pas du tout, on ne défend que l’encaisse de la Banque. Quant à la monnaie, on ne la défend pas ; tout au contraire, on la déprécie ». Et il ajoute : « on peut limiter les effets de cette dépréciation, on peut même la dissimuler d’une façon presque complète dans des pays despotiquement centralisés comme l’Allemagne et l’Italie. On ne le pouvait en Belgique, on ne le pourrait pas davantage en France »175. On note, avant même son arrivée au pouvoir, l’assimilation chez Léon Blum, du contrôle des changes à une politique « despotique ». Il semble que l’insistance des socialistes à réclamer, depuis 1931, un « accord international contre la spéculation » dénote chez eux le souci de ne pas s’engager dans des mesures de contrôle sans concertation, en particulier avec les puissances anglo-saxonnes176. D’ailleurs, aucun document officiel de la SFIO ne parle explicitement de l’éventualité d’un contrôle des changes. Et, au début de 1936, Robert Marjolin en présentant « le bilan économique de 1935 », mêle dans une égale réprobation les mesures de « repliements nationaux » et de « limitation des échanges », telles que « les élévations des tarifs douaniers, les contingents, le contrôle des changes »177. On peut légitimement se demander si, malgré la mention implicite du contrôle des changes dans le programme de Front populaire, les socialistes et les radicaux avaient réellement l’intention d’y recourir.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE VI
48« L’auteur du Front populaire, c’est le colonel de La Rocque », s’est écrié Jean Zay au Congrès radical d’octobre 1935. Ce n’est certes pas la communauté de vue en matière économique et financière, qui a formé le ciment de l’alliance victorieuse aux élections de 1936, mais bien la « défense républicaine ». Les longues hésitations radicales à l’égard des décrets-lois Laval soulignent leur scepticisme quant à l’efficacité d’une politique économique et financière autre que la déflation. Édouard Herriot explique, lors de la présentation du gouvernement Sarraut devant la Chambre, qu’il a démissionné du cabinet Laval sur les orientations de politique extérieure. Et plusieurs personnalités radicales restent attachées à la politique de déflation, jusqu’au jour du scrutin178. Cependant, après de longs et laborieux débats, les trois grands partis et les deux principales confédérations syndicales, réunifiées en une seule CGT quelques semaines avant le premier tour, sont parvenus à un compromis, particulièrement délicat à élaborer pour ses chapitres économiques et financiers. Il est vrai que, depuis l’été 1935, une sorte de vague irrésistible en faveur du Front populaire a emporté les résistances et les réticences, déjà amoindries par les craintes de la sanction électorale qu’entraînerait un attachement trop durable à la déflation, de moins en moins supportée par une large fraction de l’opinion.
Notes de bas de page
1 La SFIO conquiert notamment Marseille, Nantes, Dijon, Perpignan. Le PC passe de trente-huit à quatre-vingt-dix municipalités de plus de 5 000 habitants et devint le premier parti (en voix) de la Seine (avec une évolution de un à huit conseillers municipaux à Paris).
2 IRM, Archives de l’IML, d. 724, séance du CC du 1er juin 1935, p. 12.
3 Cf. Cahiers du Boichevisme, 15 juin 1935, p. 659 et suiv.
4 Le groupe radical se divise ainsi : cinquante-et-un « pour », soixante-cinq « contre », quarante- et-une abstentions.
5 Cahiers du Boichevisme, 15 juin 1935, p. 675.
6 Ibid.
7 L’Humanité, 18 novembre 1935. Soixante-et-onze radicaux, dont Pierre Mendès France, se sont abstenus ; sept ont émis un vote hostile.
8 Cf. Julian Jackson, The politics..., op. cit., p. 125.
9 Cf. Serge Berstein, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 366.
10 IRM, Archives de l’IML, d. 724, séance citée, p. 48.
11 Idem, p. 95.
12 Idem, p. 98.
13 Cahiers du Boichevisme 15 juin 1935, p. 691.
14 Ibid., p. 696-698.
15 Ibid.
16 Le Populaire, 10 juin 1935.
17 Compte rendu du XXXIIe Congrès (noté infra : c.-r. XXXII).
18 Ibid.
19 Ibid.
20 .Ibid., p. 570.
21 Le Populaire, 23 septembre 1935.
22 Le Populaire, 18 mai 1935.
23 Cahiers du Boichevisme, 15 juillet 1935.
24 Le Populaire, 24 juin 1935.
25 Cité in Georges Lefranc, Essais..., op. cit., p. 217.
26 Cahiers du Boichevisme, 1er juillet 1935, p. 767.
27 Maurice Thorez, Œuvres..., op. cit., L. II, t. 10, p. 35, rapport au CC du 17 octobre 1935.
28 Ibid., p. 36.
29 Il ne s’agit pas de dix-huit organisations, comme le dit Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 473. Le programme du Ve arrondissement se trouve dans CHSMS, Archives Zyromski, d. B.III, ch. 11, doc. 5.
30 Idem, d. B.III, ch. 11 « Programme du Rassemblement populaire et du Front populaire », p.-v. (manuscrit) des réunions des 20-21 juin 1935, 5 p. Jean Zyromski a écrit de sa main ce p.-v. ; il a été l’un des principaux négociateurs socialistes.
31 Idem, p.-v. cité.
32 Idem, p.-v. cité.
33 Idem, p.-v. cité.
34 Cf. Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 91.
35 Cf. Voix du Peuple, septembre ! 935.
36 C’est le cas de Francis Million ; cf. René Belin, Du secrétariat..., op. cit., p. 24.
37 Cf. Le Populaire, 1er juillet 1935.
38 Ibid., 2 juillet 1935.
39 Ibid., 2 juillet 1935.
40 Ibid., 17 juillet 1935.
41 Ibid., 4 juillet 1935 ; cf. également Ibid., 2 juillet 1935.
42 Ibid, 4 mars 1935.
43 Ibid., 6 juillet 1935.
44 Ibid., 10 juillet 1935.
45 Ibid.
46 Ibid., 12 juillet 1935.
47 Ibid., 4 août 1935 ; cf. également Ibid., 2, 3 et 6 août 1935.
48 Ibid., 7 août 1935.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 IRM, Archives de l’IML, d. 724 (séances du CC des 1er-2 juin 1935), p. 60.
53 Cf. Idem, d. 730, séance du secrétariat du PCF, 16 août 1935.
54 Cahiers du Boichevisme, 1er août 1935, p. 851.
55 CHSMS, Archives Zyromski, d. B.III, ch. 11, note remise à Jean Zyromski par Léon Blum, 5 p. (partiellement reproduite par Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 473-474).
56 Idem, carnet de 5 p. (manuscrites) sur la réunion du 29 août 1935.
57 Cf. Le Populaire, 23 septembre 1935 et L’Humanité, 23 septembre 1935.
58 Cahiers du Boichevisme, 1er octobre 1935.
59 Cf. Georges Politzer, Cahiers du Boichevisme, 1er septembre 1935, p. 1030 à 1051 et Ibid., 1er août 1935, p. 846-851.
60 Cahiers du Boichevisme, 1er septembre 1935, p. 1035.
61 Ibid., p. 1045 ; souligné dans le texte.
62 CHSMS, Archives Zyromski, note citée.
63 Idem.
64 Idem.
65 Idem, note transmise à Léon Blum et Jean Zyromski, 21 p. (document également reproduit par Georges Lefranc, L’expérience du Front populaire, Paris, 1972, p. 32-44).
66 Idem, note citée.
67 Idem, note citée.
68 Idem, note citée. Il ajoute en marge, au crayon : « cette campagne a déjà commencé. »
69 Idem, note citée.
70 Idem, p.-v. cité.
71 Le Populaire, 23 septembre 1935.
72 Ibid.
73 Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 127 et Le Front..., op. cit., p. 83.
74 Le Populaire, 23 septembre 1935.
75 FNSP, Archives Kayser, 2 K A 5, Dr. 5.
76 Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 90, n. 4.
77 Georges Lefranc, « Rétrospectives, II », Cahier et Revue de l’Ours, n° 118, p. 47.
78 Cf. Julien Jackson, The politics..., op. cit., p. 120 et suiv.
79 Conférence aux socialistes de Haute-Garonne en 1938, reproduite par Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 92.
80 Ibid.
81 Jules Moch, Rencontres..., op. cit., p. 129. C’est également une réflexion formulée par Belin, Delmas, Auriol.
82 IRM, Archives de l’IML, d. 726, session du CC des 17-18 octobre 1935, p. 50. La version contenue dans les archives diffère de la version imprimée.
83 Maurice Thorez, Œuvres, op. cit., L II, t. 10, p. 36, rapport du 17 octobre 1935.
84 Ibid., p. 34.
85 Cahiers du Boichevisme, 15 avril 1935, p. 499 ; cf. également Ibid., 1er mai 1935, p. 540-548 et Ibid., 15 mai-1er juin 1935, p. 601-606.
86 Cf. Benoît Frachon, L’Humanité, 17 janvier 1936.
87 IRM, Archives de l’IML, d. 728, session du CC des 17-18 octobre 1935, p. 118.
88 IRM, discours de Jacques Duclos devant le présidium de l’IC, 9 janvier 1936.
89 C’est le cas en particulier de Varga.
90 Idem.
91 Cf. IRM, Archives de l’IML, d. 726, session du CC des 17-18 octobre 1935, p. 51.
92 Cf. Programme du Rassemblement populaire, cité in Jules Moch, Le Front..., op. cit. Annexe 6, p. 381.
93 Cahiers du Boichevisme, 15 février 1936.
94 Cité in Radicaux et socialistes, brochure SFIO, 1936, p. 26.
95 Ibid., p. 27. Cf. également Campinchi in Le Populaire, 30 octobre 1935.
96 Le Populaire, 30 octobre 1935.
97 Ibid., 31 octobre 1935.
98 Ibid., 17 novembre 1935.
99 Ibid., 23 novembre 1935. Gela ne représente qu’une diminution d’à peine 150 millions de francs.
100 Cf. Édouard Herriot, Jadis II : d’une guerre à l’autre 1914-1936, Paris, 1952, p. 608-610.
101 Serge Berstein, Histoire..., op. cit., p. 367.
102 Cf. supra, chapitre IV.
103 Le Populaire, 1er mars 1934 ; cf. Ibid, 2 mars 1934, ainsi que Ibid., 27 mars 1934 et 3 avril 1934.
104 Cf. Étienne Weill-Raynal sur la situation britannique, Ibid., 26 avril 1935.
105 « Déflation, redéflation, superdéflation », Ibid., 3 juillet 1935.
106 Ibid., 24 juillet 1935.
107 Ibid., 5 septembre 1935.
108 Ibid., 24 octobre 1935.
109 Ibid., 5 septembre 1935.
110 Ibid., 6 juillet 1935.
111 Léon Blum, Ibid., 31 mars 1934.
112 Léon Blum, Ibid., 4 juillet 1934.
113 Cf. Pierre Saly, La politique..., op. cit., p. 348.
114 Léon Blum, « Le Plan démasqué », Le Populaire, 19 mai 1934.
115 Ibid., 23 juin 1935.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 L’Ère nouvelle, 4 juillet 1935, cité par Serge Berstein, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 361.
119 FNSP, Archives Kayser, 2 KA 5, dr. 6, rapport au bureau, 21 novembre 1935.
120 Cahiers du Boichevisme, 1er décembre 1935 ; souligné par nous.
121 L’Atelier pour le Plan, 15 octobre 1935.
122 Georges Lefranc, Histoire..., op. cit., p. 94.
123 Ibid., lettre de Vincent Auriol du 15 octobre 1964.
124 Georges Politzer, Cahiers du Boichevisme, 15 novembre 1935, p. 1367.
125 Ibid., 15 décembre 1935, p. 1516.
126 Maurice Thorez, Un bilan de faillite, six mois de gouvernement Laval, brochure, 1936.
127 Georges Politzer, Cahiers du Boichevisme, 15 novembre 1935, p. 1380.
128 Ibid., p. 1385.
129 Ibid., 15 décembre 1935.
130 IRM, Archives de l’IML, d. 779, Comité central du 1er avril 1936, p. 114.
131 Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t 2, p. 174 (« Léon Blum... comme la plupart des Français, raisonne comme si l’économie était en vase clos ») ; cf. Hadelin de La Tour Dupin, « La presse de droite contre la dévaluation : sa campagne contre Paul Reynaud » (Maîtrise, Paris I, 1972, direction : J.-B. Duroselle).
132 Cf. Michel Margairaz, Les propositions..., op. cit., p. 189 et 233 et Marguerite Perrot, La monnaie et l’opinion publique en France et en Grande-Bretagne, Paris, 1955.
133 Léon Blum, « De qui se moque-t-on ? », Le Populaire, 19 mars 1934, souligné dans le texte.
134 « L’exemple anglais », Ibid., 4 avril 1934.
135 Ibid., 25 avril 1934.
136 Ibid.
137 Ibid., 21 mai 1934.
138 Ibid., 28 juin 1934 ; le compte rendu de l’ouvrage de Boris est publié le 28 juillet 1934.
139 Ibid., 29 juin 1934.
140 Ibid., 20 septembre 1934.
141 Ibid.
142 Ibid., 15 juillet 1934.
143 Ibid., 24 septembre 1934.
144 Ibid., 28 septembre 1934 ; souligné dans le texte.
145 Ibid., 30 septembre 1934. Il parle de la dévaluation comme d’un « mal capitaliste » réclamant l’intervention de l’« hygiène socialiste ».
146 Ibid., 7 octobre 1934.
147 Ibid., 24 mars 1935.
148 Ibid.
149 Ibid., 31 mars 1935.
150 Ibid., 5 avril 1935.
151 Ibid., 7 avril 1935.
152 Cf. Léon Blum, Ibid., 23, 24, 25, 26, 28, 29 et 30 mai 1935 ; cf. c.-r. XXXII et Ibid., 11 juin 1935.
153 Ibid., 2 novembre 1935.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Ibid., 25 avril 1934.
157 Ibid., 30 septembre 1934.
158 Ibid., 20 mars 1935.
159 Ibid.
160 Le Peuple, 29 mars 1935.
161 Le Populaire, 31 mars 1935.
162 Ibid., 2 avril 1935.
163 Ibid., 7 avril 1935.
164 Ibid., 26 mai 1935.
165 Ibid., 7 juillet 1935.
166 La Dépêche de Toulouse, 20 novembre 1935.
167 L’Atelier pour le Plan, 15 octobre 1935.
168 Le Populaire, 30 novembre 1935.
169 Ibid., 30 septembre 1934.
170 Ibid., 15 juillet 1934.
171 Programme du Parti socialiste, brochure SFIO, 1936, p. 31.
172 « Le coup de Bourse de Londres », Le Populaire, 7 mars 1935.
173 Étienne Weil-Raynal, Contre..., op. cit., p. 40.
174 Programme du Rassemblement populaire, cité. Curieusement, Georges Lefranc omet cette partie dans la première édition de son ouvrage, Histoire du Front populaire, Paris, 1966.
175 Le Populaire, 31 mars 1935.
176 Vincent Auriol propose, au Congrès de Mulhouse, un mémorandum pour un accord international contre la spéculation.
177 Le Populaire, 9 janvier 1936.
178 Ainsi Gaston Jèze. Léon Blum le signale dans : « Il faut prendre garde », Le Populaire, 24 avril 1936.
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