Chapitre III. L’impossible déflation (1934-1935)
p. 65-98
Texte intégral
1Après l’échec de la Réforme de l’État, les gouvernants, tenus de reconduire la « trêve »avec les radicaux, se trouvent placés devant une alternative : engager une pause durable ou renouer avec une politique déflationniste renforcée.
2Les deux gouvernements de Pierre-Étienne Flandin, puis de Pierre Laval tentent successivement l’une et l’autre politique, au cœur de lourdes contraintes nationales, en particulier la constitution du Rassemblement populaire dans l’opposition et ses sollicitations à l’égard des radicaux, et internationales, du fait de l’ébranlement des États du Bloc-or et du réarmement allemand.
I. L’INTERMÈDE FLANDIN : UNE PAUSE KEYNÉSIENNE AVORTÉE ? (NOVEMBRE 1934-MAI 1935)
3Le passage relativement bref — sept mois — de Pierre-Étienne Flandin à la tête du gouvernement constitue une pause par rapport aux décisions prises sous Doumergue. Mais l’évolution de la situation internationale et les conflits internes compromettent la poursuite de ce répit dans l’engrenage déflationniste.
1. La pause impossible.
• Une double pause.
4Pierre-Étienne Flandin, d’une génération plus jeune que Gaston Doumergue, apparaît comme l’un des principaux chefs de file des modérés, avec la retraite de fait d’André Tardieu. De plus, il semble beaucoup plus averti que son prédécesseur en matière économique et financière, tout en s’écartant, au sein de l’Alliance démocratique, des positions de Paul Reynaud1. Tirant les enseignements de la chute de Doumergue et des contraintes de la « trêve » avec les radicaux, il est décidé à mettre en sommeil deux éléments de la politique précédente. Tout d’abord, il enterre les projets de Réforme de l’État, inacceptables pour une grande fraction du parti radical. D’autre part, il veut tenter d’observer une pause dans les compressions de dépenses, et ne pas renouveler les décrets-lois d’avril. Il compte sur la reprise mondiale et la remontée des prix de gros anglais et américain, qui devrait réduire l’écart défavorable aux prix français2. Il mise sur une politique économique destinée à freiner les moins-values fiscales, tout en n’alourdissant pas les prélèvements, ainsi qu’une politique nouvelle des taux d’intérêt.
• Pour « l’abaissement du taux d’intérêt ».
5Quelques jours avant son arrivée à Matignon, Pierre-Étienne Flandin précise ses orientations, lors du Congrès de l’Alliance démocratique, le 4 novembre 1934. Il énonce une profession de foi libérale, dirigée contre l’ « étatisme », mais n’annonce pas un renforcement de la politique déflationniste. Il présente ainsi le principal aspect de sa politique économique : « Nulle tâche n’est plus urgente que l’abaissement du taux d’intérêt, car elle est étroitement liée à la défense de l’épargne. L’exagération du taux de l’intérêt n’est pas seulement désastreuse pour l’économie, elle est mortelle pour l’épargne »3. Le chef du gouvernement exprime ainsi la velléité de ne plus poser en préalable l’assainissement du budget et de la trésorerie, mais à les envisager comme un objectif dérivé. Quelques semaines après sa chute, il confirmera : « L’abaissement du loyer de l’argent et la déflation fiscale sont les clefs de la reprise économique et de la réduction du chômage qui commandent à leur tour l’équilibre budgétaire et l’aisance de la Trésorerie »4.
• Le Comité économique et les mesures de reprise.
6Louis Germain-Martin, maintenu rue de Rivoli, est chargé d’appliquer cette politique, ainsi que de mettre en œuvre des mesures pour la reprise économique.
7Il est alors créé un Comité économique interministériel (CEI), destiné à coordonner l’action des différents ministres, avant les séances de Conseil des ministres. Dans un des seuls comptes-rendus (manuscrits) que l’on ait retrouvé, pour la séance du 26 janvier 1935 (présidée par Flandin), il est surtout question du chômage. Le ministre du Travail, Jacquier, signale la tendance à l’augmentation du nombre de chômeurs secourus. Il envisage de réduire, sur les huit millions de salariés, le nombre des étrangers au travail (estimé à 800 000), des femmes (également 800 000), des ouvriers de plus de soixante ans (800 000) et des enfants de moins de quatorze ans (5 000)5. Affirmant que « la moitié de la main-d’œuvre accomplit actuellement moins de quarante heures par semaine », il suggère de diminuer, dans certaines régions, la durée hebdomadaire du travail, afin de tenter certaines expériences limitées6. Le CEI débat également d’un programme de « ranimation économique ». P.-E. Flandin prétend revenir à un ajustement plus libéral entre offre et demande, à la fois dans l’agriculture et dans l’industrie. Mais, dans les deux cas, des mesures préalables de résorption de stocks ou de compression de la production sont jugées nécessaires. Dans l’agriculture, la loi de 24 décembre 1934 est destinée à abolir la loi de juillet 1933, en supprimant le prix minimum du blé. La loi est votée, malgré les craintes, exprimées notamment chez les radicaux, que les prix du blé ne s’abaissent davantage. Il est vrai que l’inefficacité de la législation précédente rend plus aisée la tâche du gouvernement. Mais, contrairement aux affirmations de désengagement de l’État, ce dernier doit prendre en charge les stocks jugés invendables : le programme de « défense du marché du blé » se monte à plus de deux milliards7. Dans l’industrie, le ministre (radical) du Commerce, Paul Marchandeau, propose un projet de loi, d’inspiration patronale, visant à rendre obligatoires des ententes professionnelles au-delà d’un quorum (deux tiers des membres ; trois quarts du chiffre d’affaires), avec un certain droit de regard de l’État. Le projet s’inspire d’une tentative d’organisation d’industrie de la soie, qui échoue, faute d’atteindre le quorum8. Cette loi Flandin-Marchandeau, votée à la Chambre, est enterrée au Sénat, par la conjonction d’intérêts contradictoires. Elle ne satisfait pas non plus la plupart des organes patronaux, qui la jugent trop étatique9. Ainsi, malgré le souci de promouvoir des mesures « économiques »— mais surtout dans une perspective malthusienne — et de se donner un instrument de coordination (le CEI), encore faut-il que la politique financière ne vienne pas contrarier la volonté d’abaisser les taux d’intérêt.
• Déficit budgétaire, fragilité de la trésorerie et frictions avec la Banque de France.
8Louis Germain-Martin fait voter le budget de 1935, le 23 décembre 1934, sans recourir ni à des impôts nouveaux, ni à des économies douloureuses, avec une prévision de déficit inférieure à un milliard. Mais, une fois encore, l’équilibre escompté fuit comme l’horizon en pleine mer. Les chiffres reposent sur des calculs effectués en juillet-août, selon le principe (utilisé pour la dernière fois) de la pénultième année. Ainsi, par hypothèse (fausse), les revenus escomptés pour 1934 sont considérés comme équivalents à ceux de 1933. Dans les faits, par le jeu des moins-values de recettes (pour trois milliards) et des alourdissements de dépenses, dus à la persistance de la crise (pour 1,3 milliard), il apparaît, lors du vote, que le déficit réel dépassera quatre milliards10. En février 1935, la direction du Budget et le Mouvement général des Fonds l’évaluent à plus de six milliards. Et, à la fin du premier trimestre, les services redoutent qu’il ne doive s’élever à huit milliards. L’aggravation de la crise — alors qu’une reprise s’amorce dans le monde — annule ainsi l’effort antérieur d’économie et l’effet des décrets-lois de 1934. Les conséquences sont sensibles pour la Trésorerie : Wilfrid Baumgartner, le directeur du Mouvement général des Fonds, estime les besoins pour 1935 à quatorze milliards11. Or, le souci de P.-E. Flandin est d’abaisser le taux d’intérêt, et donc de soulager le marché financier des appels réitérés du Trésor à l’épargne. Louis Germain-Martin s’abstient, en janvier et février, d’emprunter à long terme. Les besoins du Trésor imposent donc de solliciter le marché monétaire. Le gouvernement élabore, en décembre 1934, un projet visant à assurer des disponibilités à court terme. Après des négociations difficiles avec la Banque de France — dont P.-E. Flandin change le gouverneur, en remplaçant Clément Moret par Jean Tannery — pendant tout le mois de janvier, le gouvernement fait adopter la possibilité d’élever de cinq milliards le plafond des bons ordinaires, en s’assurant les services de la Caisse des Dépôts — pour un concours limité à trois milliards, réescomptables à trente jours auprès de la Banque12. Louis Germain-Martin affirme, en accord avec P.-E. Flandin, avoir « voulu (...) faciliter aux banques les souscriptions à des bons, sans compromettre leur liquidité qui avait été accrue depuis 1931. M. Flandin et moi (...) entendions ne pas superposer à la crise des finances publiques une crise des finances privées »13. Le marché monétaire connaît, en effet, une tension inquiétante en mars. Robert Frank a montré que les programmes d’armement — depuis l’adoption de la loi du 6 juillet 1934 — ne pèsent pas arithmétiquement sur la situation de la trésorerie, mais psychologiquement, à travers l’annonce du réarmement allemand14. Les charges civiles suffisent d’ailleurs à éveiller l’inquiétude : plus d’un milliard de moins-values par rapport aux évaluations pour le seul premier trimestre, aggravation des insuffisances d’exploitation des réseaux de chemins de fer, alourdissement de la dette de l’État et des collectivités, sans compter un programme de 2,1 milliards pour la défense du marché du blé, réorganisé par la loi du 24 décembre 193415. Dans ces conditions, dès février 1935, il apparaît difficile de respecter la pause déflationniste.
• L’alerte de mars : les Finances favorables à une reprise de la déflation.
9Dès le début de mars, deux études sur les perspectives de l’année, réalisées par Éric Haguenin, directeur du Budget, et par Wilfrid Baumgartner, directeur du Mouvement général des Fonds, sont transmises à Flandin par Louis Germain-Martin, qui y joint une lettre. Le ministre des Finances souligne les difficultés à prévoir pour le budget et pour la trésorerie, qui imposent « une politique de sévère ajustement de la dépense à la recette et un choix entre les catégories de dépenses »16. Les hauts fonctionnaires des Finances, suivis avec prudence par le ministre, incitent le chef du gouvernement à renouer avec des mesures déflationnistes. L’alerte de mars pour la trésorerie les confirme dans leur sentiment. Wilfrid Baumgartner signale le resserrement du marché monétaire, à partir du 20 mars jusqu’au début avril. Des banques secondaires accroissent leurs demandes de remboursement de bons du Trésor. Le directeur du Mouvement général des Fonds redoute qu’il faille en élever le taux, « mesure aussi directement contraire à la politique de bas taux d’intérêt pratiquée par le gouvernement »17. En fait, grâce à l’émission de bons à moyen terme, en mars, la situation de la trésorerie n’est pas compromise. Mais l’alerte constitue un « avertissement utile », et Wilfrid Baumgartner recommande de « ... marquer (sa) volonté de poursuivre l’œuvre de redressement financier aussi bien dans le domaine des programmes exceptionnels (...) que dans le domaine du budget ordinaire ». Il conseille des efforts budgétaires, afin de « favoriser l’ajustement des dépenses de la Nation à ses ressources mêmes »18. Ainsi, le décalage croissant entre des charges accrues et des moins-values de ressources rend peu probable la baisse escomptée des taux d’intérêt, d’autant plus que la Banque de France se montre hostile à la politique d’expansion monétaire, souhaitée par Flandin au début de 1935. Dans ces conditions, à moins d’une reprise rapide, il paraît difficile de prolonger longtemps la pause à la déflation. Une telle politique n’apparaît qu’implicitement et que partiellement « keynésienne », car, parallèlement, les responsables persistent, malgré quelques occasions, à pratiquer la « défense du franc ».
2. Velléités de stabilisation monétaire : austéro-protecteurs et austéro-libéraux.
• Opportunités à Washington, obstacles à Londres.
10Au début de 1935, le Quai d’Orsay est informé par l’ambassadeur Laboulaye que Cordell Hull aurait officieusement demandé quelle serait l’attitude de la France, en cas de stabilisation du dollar autour d’une parité de 4,86 dollars pour une livre. Comme le diplomate français a réaffirmé l’intangibilité de la valeur-or du franc, le secrétaire d’État « a répondu qu’il comprenait parfaitement les motifs d’ordre politique que nous pouvions avoir, mais que notre position se justifiait peut-être bien au point de vue économique »19. Cordell Hull lui-même, on l’a vu, était favorable à la stabilisation internationale, lors de la première phase de la Conférence de Londres. Mais, à Washington, la position générale a évolué par rapport à 1933, depuis que, à partir de janvier 1934, la stabilisation provisoire du dollar à cinquante-neuf cents paraît durable. Une opportunité s’offre pour des consultations officieuses. Cependant, toute stabilisation internationale suppose un accord avec Londres. Or, l’approche de la question monétaire y apparaît doublement antagoniste avec celle de Paris. Pour la Trésorerie britannique, il ne peut être question de stabiliser avant d’abaisser les contingents et barrières douanières du Bloc-or, qui pèsent sur les résultats de la balance commerciale britannique, partant sur la fermeté du sterling. F. Leith-Ross confie à Mönick, au début de mars : « Supprimez vos contingents, et aussitôt la livre s’en trouvera fortifiée »20. L’ouverture commerciale doit préluder à la stabilisation de la livre. La position française est exactement inverse : préalable monétaire à Paris, contre préalable commercial à Londres. D’autre part, les Britanniques craignent une stabilisation de la livre, qui précéderait une dévaluation importante du franc. Lorsque P.-E. Flandin se rend à Londres, en janvier 1935, il n’est pas question de stabilisation, même si, à titre personnel, Emmanuel Mönick a évoqué l’éventualité d’une stabilisation, assortie d’une dévaluation du franc de l’ordre de quinze à vingt pour cent21.
11Mais la chute de la livre en mars — qui passe de soixante-quinze à soixante et onze francs — et la pression consécutive sur le belga, qui entraîne la chute du gouvernement Theunis, soulignent la fragilité du Bloc-or, désormais en voie d’éclatement. Le 7 mars, Neville Chamberlain, chancelier de l’Échiquier, prononce un discours aux Communes, dans lequel il confirme l’impossibilité de rattacher la livre à l’étalon-or, par souci de garder les mains libres, à un moment où l’audience du cabinet Mac Donald fléchit, et où les élections approchent. Leith-Ross avertit Mönick que seules des discussions secrètes entre banques d’émission peuvent être envisagées22. Au même moment, Henry Morgenthau Jr, secrétaire de la Trésorerie, apparaît à l’ambassadeur de France favorable à une stabilisation générale, ainsi qu’à des conversations tripartites, mais le discours de Chamberlain semble désormais les écarter23.
• Robert Coulondre et la crainte de l’ « étau ».
12La désagrégation du Bloc-or entraîne une prise de conscience chez certains hauts fonctionnaires.
13Une note de Robert Coulondre, datée du 11 mars 1935, fait le point sur la question. Quelle que soit la voie choisie — dévaluation ou déflation accrue — la poursuite de la chute de la livre sterling risque de provoquer de grands troubles économiques et sociaux. La dévaluation entamerait « une course vers un terme inconnu avec une période de chaos économique et peut-être de désordres sociaux »24. Mais, d’un autre côté, le maintien de la parité implique un protectionnisme accru. Grâce à un « système d’économie dirigée », l’aggravation du déficit commercial pourra être évitée, mais par la rétraction du volume des échanges : « la France se mettra peu à peu en économie fermée, comme c’est déjà le cas pour son agriculture ». Or, comment la France qui, depuis la Première Guerre, est une « grande nation exportatrice », parviendra, pour sa consommation intérieure, à importer du pétrole, du charbon, du coton, divers métaux : « Quel sera le sort du régime capitaliste s’il s’enferme dans cet étau ? »La seule issue reste donc la stabilisation des monnaies. Les réserves principales viennent de Londres où, outre le souvenir de l’affront de Roosevelt lors de la Conférence de juillet 1933, la position, essentiellement politique, de Chamberlain empêche tout engagement officiel. Mais, comme E. Mönick l’a signalé au début de l’année, le directeur adjoint du Quai d’Orsay évoque l’inquiétude de la Banque d’Angleterre à l’égard de la spéculation contre la livre : une chance existe d’obtenir un accord, si les Britanniques sont rassurés par Roosevelt, quant au rejet de toute nouvelle baisse compétitive du dollar. Ainsi, dans ce jeu à trois, « le chemin de Londres passe par Washington (...) c’est à la porte de la Maison Blanche qu’il faut frapper ».
14Cependant, la France doit proposer une monnaie d’échange, à savoir la suppression du système des contingents, incompatible avec l’étalon-or : « C’est là l’initiative que les pays anglo-saxons attendent de nous ». Robert Coulondre suggère que cette suppression soit appliquée « avec tous les ménagements indispensables », tels que le maintien dans l’agriculture et l’adoption de droits élevés. Le 14 mars, un télégramme, reprenant l’essentiel de ce raisonnement, est transmis à Laboulaye, afin qu’il puisse connaître, avant des négociations officielles, « le sentiment du Président Roosevelt », et lui proposer des conversations bilatérales, auxquelles seraient invités les Britanniques. Il est chargé d’indiquer que « le gouvernement français est prêt pour la stabilisation provisoire des monnaies », ainsi qu’au « retour progressif à la liberté des échanges par la suppression des entraves au commerce »25. Au même moment, paraît un article de Walter Lippmann, en faveur d’un Bloc-or élargi de monnaies stabilisées26.
• Dialogue de sourds avec Londres.
15À la mi-avril, les contacts sont effectivement pris avec Henry Morgenthau, par Laboulaye et Appert, attaché financier à New York27. Mais ce dernier rapporte que, à la Trésorerie américaine, on pense que l’initiative revient à la France de proposer une légère dévaluation du franc — de quinze à vingt pour cent — en échange d’un engagement de Washington de ne pas abaisser la valeur-or du dollar en dessous de cinquante cents, et de celui de Londres de rattacher la livre à l’or28. Dans sa réponse, à la fin avril, le gouvernement français réclame des précisions sur la position britannique29. Mais, le 2 mai, le Quai d’Orsay signale un « recul très net » de Morgenthau, qui ne parle plus que d’échanges d’informations et de points de vue, rejette la possibilité d’une stabilisation prochaine, et n’évoque plus l’ouverture de conversations franco-américaines à ce sujet30. Et le 13 mai, le secrétaire du Trésor prononce un discours public, qui apparaît à l’ambassade de France, comme « la défense la plus complète de la politique monétaire de Roosevelt ». Il vise les États du Bloc-or, en évoquant les avantages de la dévaluation, et l’Angleterre, en parlant de grandes nations qui ne respectent aucune règle31. Le gouvernement américain est prêt à renoncer au pouvoir de déprécier le dollar de cinquante pour cent, s’il existe un accord de stabilisation autour de la parité-or du moment et une dévaluation modérée (de l’ordre de vingt pour cent) des monnaies du Bloc-or. Peu après, White, expert de la Trésorerie, confirme à Mönick que les États-Unis ont « le plus grand intérêt à mettre fin à l’incertitude monétaire [qui] cause au monde entier de plus grands dommages que n’en causerait une guerre mondiale ». Il ajoute que la reprise ne s’effectuera aux États-Unis seulement lorsque « la confiance des capitalistes et des épargnants, des industriels et des consommateurs sera entièrement rétablie grâce à une stabilisation générale et définitive »32. Cependant, le discours de Morgenthau est accueilli avec scepticisme à Londres, où l’on attendait des propositions de politique commerciale : « il est vain de mettre un navire à l’ancre sur des sables mouvants », constate F. Leith-Ross auprès d’Emmanuel Mönick33. Ce dernier signale que, malgré l’évolution des sentiments en faveur de la stabilisation dans les milieux de la City, cela n’exerce pas d’influence sur le gouvernement, ni sur la Trésorerie britannique, Chamberlain notamment étant toujours persuadé que la stabilisation est impopulaire dans l’opinion, à l’approche des élections générales34. Appert confirme que « le nœud de la situation se trouve à Londres »35. Et, après l’échec de son discours du 13 mai, Henry Morgenthau « ne prendra plus d’initiative tant que les circonstances n’auront pas changé »36. L’attaché financier à New York signale que « les États-Unis excluent la possibilité d’un accord monétaire international du fait de la position britannique », et qu’une « stabilisation même provisoire n’est pas à escompter avant plusieurs mois »37.
3. La crise monétaire et la chute (mai 1935).
• Un « mouvement de défiance envers notre monnaie ».
16La situation financière demeure fragile en avril. Cependant, les rapports des directeurs de succursales de la Banque de France signalent une certaine reprise industrielle, notamment métallurgique (sauf dans l’Est), qui est — contrairement à ce que dit Alfred Sauvy — connue des responsables. Et la situation de l’encaisse-or paraît brillante : 82,625 milliards de francs au 29 mars, et 80,283 milliards le 10 mai, soient 97,13 % de la circulation fiduciaire38. La conjonction d’événements divers, dont on ne peut dire le poids respectif, contribue alors à déclencher la plus grave crise monétaire que la France ait connue depuis 1926. Si la reprise industrielle s’amorce, il n’est pas assuré qu’elle soit durable, et l’indice général de la SGF (production industrielle) se situe aux niveaux les plus bas de 1932, fond de la crise. De plus, l’effondrement du prix du blé, qui passe sous les soixante-dix francs le quintal, contracte la demande paysanne. Outre la situation économique, les difficultés financières sont connues, en particulier les moins- values fiscales du premier trimestre.
17Or, pour de nombreux responsables financiers et politiques, la seule perspective du déficit du budget et de la Trésorerie peut déclencher un mouvement de méfiance à l’égard de la monnaie. C’est le cas notamment des dirigeants de l’Institut d’Émission : « La Banque de France signala que la menace monétaire était venue uniquement de la connaissance qu’avait le monde entier de la persistance du déficit budgétaire »39. Pour Wilfrid Baumgartner, l’origine de la défiance se situe « à l’étranger », où une « opinion générale pessimiste quant à l’avenir du franc a été systématiquement entretenue par certains journaux et milieux financiers »40. Le 30 mars, la dévaluation du belga entraîne un « sentiment général d’inquiétude dans le Bloc-or », et ceci d’autant plus que « entre les prix français et les prix mondiaux il existait une marge encore plus importante » que dans le cas des prix belges41. La défection d’un des principaux partenaires commerciaux de la France dans le Bloc-or souligne encore mieux la surévaluation des prix français, et les perspectives de réduction des écarts s’évanouissent avec la chute de la livre sterling. Le pari de Flandin d’effacer la discordance française par la remontée des prix mondiaux paraît illusoire et le décrochement du franc probable. D’après le directeur du Mouvement général des Fonds, un « écho »de cette inquiétude parvient en France même, où « une large partie du public averti cherche à se garantir contre ses conséquences, sinon même à en profiter »42.
18Il faut sans doute ajouter à ces facteurs les difficultés politiques, qui ont grandi depuis janvier entre le Président du Conseil d’une part, sa majorité politique et la plupart des experts d’autre part. Jean-Noël Jeanneney a fait litière de l’hypothèse du complot ourdi par la Banque de France, telle que rapportée à l’époque notamment par Georges Boris, Léon Blum, Francis Delaisi ou Achille Dauphin-Meunier43. L’historien ne trouve nulle trace d’une action délibérée, en particulier chez François de Wendel, afin de ramener Pierre-Étienne Flandin à la raison déflationniste. Cependant, depuis les frictions de janvier autour du réescompte des bons du Trésor, les escarmouches se multiplient entre la rue La Vrillière et Matignon. Au discours de Lyon de Flandin, en mars, répond, le 12 avril, celui de Nice, prononcé par Wendel, au Congrès de la Fédération républicaine. Ce dernier, comme une large partie de la presse financière et des milieux politiques modérés, réclame un nouvel effort déflationniste44. Depuis le début de l’année, le président du Conseil est jugé trop laxiste et le scepticisme, quant à sa fermeté pour «défendre le franc », a gagné une partie du «public averti ». En outre, les perspectives d’équilibre financier paraissent s’éloigner, dès le moment où, au printemps de 1935, on entre dans une « conjoncture des armements »45. Sans avoir été les initiateurs délibérés de la crise, certains des dirigeants de la Banque ont contribué à créer un climat de défiance à l’égard de la pause voulue par Flandin.
19Dès la dévaluation du belga (30 mars), les Finances constatent des sorties d’or de quelques dizaines de millions par jour : l’encaisse de la Banque perd près de 2,5 milliards, du 29 mars au 10 mai46. Mais la tendance s’amplifie et se précipite brutalement à partir du 13 mai, surlendemain des élections municipales, qui voient la progression de l’extrême-gauche et l’amorce du Front populaire. Motif d’inquiétude supplémentaire, parfaitement visible dans les chiffres de diminution quotidienne de l’encaisse : 10 mai : 45 millions, 13 mai : 232 millions47. Puis, le mouvement connaît une ampleur considérable : un milliard entre le 10 et le 17 mai ; 2,5 milliards entre le 17 et le 24 ; 5,36 milliards entre le 25 et le 30 mai48. Le 22 mai, Flandin et Germain-Martin ont un entretien, en présence de Wilfrid Baumgartner, qui rédige pour son ministre une note détaillée, le lendemain49. Il constate l’accélération de la hausse des transactions sur les monnaies d’or, des achats de lingots et des arbitrages de francs contre des devises. Cette ruée vers l’or provient surtout des détenteurs de dépôts bancaires. Même si les retraits l’emportent sur les dépôts en mai et juin, la situation paraît plus calme dans les Caisses d’épargne : l’affolement semble moindre chez les épargnants plus modestes.
• De la crise du franc à celle de la trésorerie.
20Parallèlement, les banques, dont une partie de la clientèle se rue sur le métal précieux, accroissent leurs demandes de remboursement des bons du Trésor (plus d’un milliard, du début avril à la fin mai), dont la circulation passe de 11,64 milliards le 30 mars à 10,45, le 23 mai. Le marché monétaire s’en trouve affecté, et la tâche du Mouvement général des Fonds encore compliquée par les moins-values d’impôts indirects et les retards dans le recouvrement des contributions directes (du fait des élections). Le marché financier donne également des « signes de faiblesse », et il faut renoncer à placer un emprunt à long terme, comme prévu initialement50. Le directeur du Mouvement général des Fonds, dans la lignée de ses remarques de mars, recommande de renouer avec la logique déflationniste : « pour rétablir la confiance publique et partant le crédit public, de la sauvegarde duquel dépend en définitive l’alimentation du Trésor, il est essentiel de procéder d’abord à l’ajustement aussi prononcé que possible des dépenses de la nation à ses ressources »51. Louis Germain-Martin en est convaincu par avance. Le 23 mai, il annonce à la Banque de France son projet de recourir aux possibilités de réescompte pour un milliard, et de demander, dans les quatre jours, les pleins pouvoirs, afin de revenir à des mesures déflationnistes52. Le même jour, le taux de l’escompte est relevé une première fois (puis deux autres fois en cinq jours), ce qui ne suffit pas à apaiser les sorties d’or ; deux nouveaux relèvements sont décidés en une semaine.
21Le débat a effectivement lieu à la Chambre, le 28 mai. Le gouvernement réclame les pleins pouvoirs pour la défense du franc et du crédit et, malgré le sacrifice final de son ministre des Finances, Pierre-Etienne Flandin — blessé quelques jours auparavant — est renversé, le 31 mai, par 353 voix contre 202. Une large fraction de sa majorité lui fait défaut, alors que, paradoxalement, les Régents de la Banque souhaitent son maintien53. Les lourdes échéances de la fin mai et du début de juin — plus de 1,5 milliard de décaissements pour les seules journées des 31 mai et 1er juin ! — sont couvertes, grâce à deux souscriptions exceptionnelles de bons ordinaires du Trésor : un milliard de la part des trois grands établissements de crédit (Crédit lyonnais, Société générale et Comptoir d’Escompte), le 31 mai, réescomptables à la Banque ; et un milliard de la Caisse des Dépôts54.
22Après un éphémère cabinet Bouisson-Caillaux, renversé au bout de trois jours (1er-4 juin), Pierre Laval arrive à Matignon, le 7 juin. Or, les sorties d’or s’apaisent, dès le 3 juin (trente-neuf millions contre 530, le 1er juin) et le 4, on enregistre un excédent de rentrées de vingt-trois millions : ce n’est pas tant l’arrivée de Laval que le départ de Flandin, qui a rassuré les détenteurs de capitaux55. Même si les régents de la Banque de France n’ont pas fomenté la chute de Pierre-Étienne Flandin, son expérience a été en partie compromise par les réticences à l’égard d’une politique d’expansion monétaire, et par un scepticisme, largement rendu public, à un moment où la surévaluation d’un franc de plus en plus isolé fait craindre pour sa parité. La tentative de baisse des taux d’intérêt a été entravée par les besoins croissants de la trésorerie, et contrarié par le maintien d’une politique de franc fort. Sans garantie d’une stabilisation internationale de la part de la livre et du dollar, le chef du gouvernement ne veut pas d’une dévaluation isolée, redoutant qu’elle ne soit pas la dernière. La pause désavouée, la majorité parlementaire, comme les principales autorités financières, renouent avec la politique déflationniste.
II. PIERRE LAVAL : LA DÉFLATION ÉQUIVOQUE (JUIN 1935-JANVIER 1936)
23Même si elle n’a pas été aussi impérieuse que ne l’ont prétendu certains porte-parole de la gauche, la pression des experts — en particulier celle des dirigeants des grands établissements de crédit — ne s’en est pas moins exercée sur les gouvernants, afin de les rendre à la raison déflationniste. Pierre Laval sait à quoi s’en tenir, lorsqu’il accède une nouvelle fois à l’hôtel Matignon. Tel un franc-tireur du monde politique, il ne déteste pas relever un défi et apparaître comme l’un des rares gouvernants prêt à tenter l’ultime offensive déflationniste, dans des conditions politiques, parlementaires et électorales qu’il sait difficiles. Braver l’impopularité, n’est-ce pas le fait d’un authentique homme d’État et le moyen d’acquérir une véritable respectabilité auprès de l’establishment politique, qui le considère encore trop souvent comme un aventurier ? Sept années plus tard, dans un contexte autre, des mobiles analogues le conduiront également à accepter des responsabilités encore plus périlleuses.
1. Les décrets-lois (juillet-octobre 1935) : une « déflation sauvage » (J. Rueff) ?
24Pierre Laval maintient la « trève » avec les radicaux : outre Édouard Herriot, Marcel Régnier (Finances) et Georges Bonnet (Commerce et Industrie) figurent au gouvernement. Il sait qu’il est appelé pour « sauver le franc » : l’article unique de la loi du 8 juin lui donne la possibilité de prendre par décret jusqu’au 31 octobre « toutes dispositions ayant force de loi pour lutter contre la spéculation et défendre le franc »56. Les décrets-lois Laval — du moins les plus importants, car la dernière vague en contient plus de trois cents ! — sont connus. Ils figurent dans trois « trains » : le 16 juillet (publiés à une date délibérément postérieure à la manifestation du Rassemblement populaire, le 14 juillet) — vingt-neuf décrets — le 8 août — soixante et un décrets — et le 30 octobre — 317 décrets57.
25Dès le 7 juin, Pierre Laval s’est entouré d’un « brain-trust », composé de Claude-Joseph Gignoux, directeur de la Journée industrielle, futur président du CGPF — nouvelle manière de la fin de 1936, Raoul Dautry, directeur-général du Réseau de l’Ouest et Jacques Rueff, directeur adjoint du Mouvement général des Fonds. Ce dernier affirme dans ses Mémoires avoir attiré, en vain, l’attention de Pierre Laval et de son confident Pierre Cathala, ministre de l’Agriculture, sur les risques de « troubles » que pouvait entraîner une « déflation sauvage »58. De même, Georges Bonnet, appelé lors d’une réunion restreinte, propose, soutenu par Rueff et Gignoux, de retarder les élections de deux ans, afin de bénéficier du délai indispensable pour s’appuyer sur les résultats, nécessairement longs, d’une politique d’économies. En vain. Pierre Laval, tout en avouant son incompétence technique, ne réclame que des avis d’experts, et tient à rester maître des principales orientations politiques59. Le brain-trust a surtout un rôle d’exécution. Le véritable maître d’œuvre des décrets-lois portant sur les dépenses publiques est Yves Bouthillier, directeur du Budget, dont l’importance s’affirme rue de Rivoli, à travers l’expérience déflationniste. La principale mesure du premier « train » prévoit — on le sait — une réduction de dix pour cent de toutes les dépenses publiques (État, collectivités locales, établissements publics et services concédés). Sont comprises les dépenses de personnel, mais aussi les arrérages des rentes et emprunts de l’État. Certes, une véritable déflation budgétaire aurait manqué son but en laissant de côté les charges de la dette, qui absorbent (rentes + dettes viagères) la moitié des ressources budgétaires. Mais c’est rendre encore plus difficile l’appel à l’épargne, dans la perspective de la consolidation de la dette flottante. Louis Germain-Martin, ministre sortant, est hostile à la mesure, et des réticences sont perçues rue de Rivoli. Quelques mois plus tard, dans un exposé préparé par les services de Baumgartner pour Marcel Régnier, il est rappelé que, à propos de l’amputation des coupons de rentes, « la Trésorerie ne se résigne pas sans hésitations ni regrets »60. En revanche, sont exclues certaines pensions, les intérêts de la dette flottante, les allocations d’assistance et de chômage, ainsi que les dépenses « dont l’urgence conditionne la sécurité ». Parallèlement, il est prévu 1,2 milliard d’alourdissement de prélèvement fiscal, en particulier de la taxe sur le revenu des valeurs mobilières, et de la tranche des revenus supérieurs à 80 000 francs. Au total, le budget de l’État doit gagner un peu plus de sept milliards — soit le déficit estimé pour 1935 — et les collectivités locales et les chemins de fer autour de 2,7 milliards. Mais la réduction est étendue à certaines dépenses privées : diminution de dix pour cent des prix du gaz et de l’électricité, des loyers et des intérêts des dettes hypothécaires. Le second « train » l’applique également aux baux à ferme, à certaines créances, droits et émoluments, et contient quelques dispositions malthusiennes. Quant au « troisième train », prêt la veille de la date ultime, il comprend des dispositions fort disparates et même étrangères aux précédentes. On y trouve des mesures de réorganisation administrative, la rééducation professionnelle des chômeurs, la refonte du ministère du Commerce — sur lesquelles on reviendra — ainsi que diverses initiatives d’inspiration malthusienne (pour la meunerie, la soie, les vins et alcools, la distribution). Ainsi, au-delà de la déflation budgétaire, le gouvernement veut amorcer une véritable déflation économique61. Cette politique se heurte toutefois aux mesures de limitation de l’offre et au maintien du protectionnisme. En outre, elle risque, malgré sa rigueur, de ne pas réduire l’écart — de nouveau croissant depuis juillet — entre prix français et mondiaux.
2. L’aggravation du protectionnisme et l’Économie nationale.
26De manière paradoxale, l’accord commercial franco-anglais du 27 juin 1934, tout en mettant fin, par la suppression des surtaxes de change, à une guerre douanière, ouverte en novembre 1933, ne ralentit pas, mais au contraire, accélère le protectionnisme et le bilatéralisme. Si la France abandonne les surtaxes de change pour les produits dont la valeur est exprimée en livres sterling — après avoir renoncé à les appliquer à ceux de la zone dollar — elle renforce et généralise les contingentements, consacrés ainsi comme instrument privilégié de la politique commerciale. En outre, après les accords commerciaux franco-allemands du 28 juillet 1934, les clearings bilatéraux se multiplient avec différents pays à contrôle des changes. Dans le même temps, le ministre du Travail prend, en 1934-35, 261 décrets d’exécution de la loi d’avril 1932 sur les quotas de main-d’œuvre étrangère.
27Cet approfondissement de la politique protectionniste trouve son aboutissement dans un certain renforcement du ministère du Commerce et de sa direction des Accords commerciaux. Sous le gouvernement Laval, un décret-loi du 31 octobre 1935 en réforme les cadres, et charge le ministère de toutes les négociations commerciales avec l’étranger.
28L’étique service de l’Économie nationale est, à la suite de la suppression des sous-secrétariats d’État par Gaston Doumergue, une première fois intégré à la présidence du Conseil. Deux circulaires — datées du 6 juin et du 15 septembre 1934 — aux ministres et aux préfets résument les dispositions prises depuis la fin de 193062. Elles précisent et renforcent le contrôle du Service des Marchés — le principal et quasiment le seul service de l’Économie nationale — sur les commandes publiques à l’étranger, afin de renforcer le barrage protectionniste. La justification qui en est donnée aux préfets et ministres souligne que « l’opinion s’émeut (...) de voir de telles commandes intervenir au détriment parfois de l’économie générale du pays »63. Tout marché contracté par une collectivité publique, une administration ou un service, dans le financement duquel la part de l’État dépasse 50 %, et qui serait supérieur à 100 000 F (en février 1934), puis à 50 000 F (en juin 1934), ne doit comporter que « l’emploi exclusif de produits ou matériaux d’origine française »64. Dans tous les cas — même pour un contrat inférieur à 50 000 F — notification doit être faite à l’Économie nationale. Le service peut ainsi établir une comptabilité des achats faits à l’étranger, afin de négocier, en harmonie avec la direction des Accords commerciaux, d’éventuelles contreparties. Parallèlement, le service représente la présidence du Conseil au Conseil national de la Main-d’œuvre, chargé en particulier, depuis la loi du 10 août 1932, de donner un avis sur les projets de contingentements de la main d’œuvre-étrangère, par département et par profession. La plupart des décisions de cet organisme, où figure une représentation patronale et ouvrière, sont d’ailleurs prises à l’unanimité, témoignage d’un certain consensus protectionniste65. Il n’en reste pas moins que le service apparaît, jusqu’en 1936, « sans véritable consistance »66. Il est en partie victime de changements d’organisation administrative. Il est rattaché, en janvier 1935, au ministère du Commerce du gouvernement de Pierre-Étienne Flandin. Son titulaire, Paul Marchandeau, radical, avait préparé un projet de loi pour en faire la base d’une direction de l’Économie nationale. Mais, en octobre 1935, il réintègre les services de Matignon, avec la réforme du ministère du Commerce67. Il subit, en outre, une pénurie évidente de personnel qualifié. Après le départ de Paul Devinat, appelé à diriger le Cabinet du ministre des Travaux publics, Laurent-Eynac, dans le gouvernement Laval, le service est confié aux deux rédacteurs principaux, détachés depuis la fin de 1931 ou le début de 1932 — pas même à leur demande — Georges Vacquerie, de l’administration des Douanes, et Pierre Couty, du ministère de l’Intérieur, où il continue d’ailleurs de travailler. En 1935, l’Économie nationale se limite matériellement à quatre bureaux : un pour chacun des deux fonctionnaires cités, un destiné à deux sténodactylographes, et une pièce pour les archives ! L’indemnité mensuelle que reçoivent les deux responsables du service leur est même supprimée le 1er mars 1935 — déflation oblige ! Une note du printemps 1938 souligne qu’ils « n’ont retiré aucun bénéfice d’un service qu’ils ont créé de toutes pièces », et qu’ils ont même subi « un préjudice indéniable »68. Une disproportion évidente apparaît — on la retrouvera à plusieurs reprises — entre, d’une part, les prétentions de coordination du Service, les rivalités d’attribution qu’il suscite entre le Commerce et Matignon, et, d’autre part, ses moyens et réalisations effectives.
29En 1935, le service parvient toutefois, semble-t-il, à faire « assez rigoureusement » observer les prescriptions contenues dans les circulaires de1934 (confirmées le 18 janvier, puis le 24 décembre 1935) aux ministres et aux préfets « en vue de la protection de la main-d’œuvre et de l’industrie nationale », et à faire cesser les « abus » d’achats à l’étranger par les services publics69. Une note interne de la présidence du Conseil présente, en 1935, comme un exemple à suivre en cette matière l’accord intervenu le 17 avril 1934 avec le gouvernement de Stockholm (portant sur un véritable troc entre pavés d’échantillon suédois et filés de laine français), afin d’« éviter de provoquer la fermeture de marchés étrangers »70. Le Service des Marchés, après avoir contacté l’attaché commercial de Suède et constaté que, pour la région du Nord, les pavés suédois étaient deux fois moins coûteux que ceux provenant de Mayenne ou d’Ille-et-Vilaine, a pu mettre au point, après consultation du Comité central de la laine, un accord d’un an, prévoyant une contrepartie française en filés de laine peignée. Cependant, le renouvellement ne peut s’effectuer en mars 1936, car, à cette date, les achats suédois de filés sont près de trois fois supérieurs en valeur aux achats français de pavés : douloureuse expérience de l’équilibre, souvent impossible, du commerce bilatéral ! Le Service formule, en outre, pour les administrations et collectivités diverses, préférences ou obligations d’achat de certains produits nationaux, tel le bitume provenant des pétroles raffinés en France71. À la fin de 1935, les bureaux de Matignon considèrent, à juste titre, que tout cela « ne constitue que l’ébauche, le point de départ de tout ce qui peut et doit être tenté pour défendre l’économie nationale »72.
30Enfin, le Service est entravé par sa dépendance à l’égard des principales organisations professionnelles (Fédération de la Mécanique, Groupement Syndical des machines-outils...) pour la documentation économique, et à l’égard de services d’autres ministères (Service de la Répression des Fraudes au ministère de l’Agriculture, direction de la Sûreté nationale au ministère de l’Intérieur...) pour les enquêtes ou vérifications techniques. Cette dépendance explique, en partie, le rattachement à la présidence du Conseil, la rapidité des réponses des organismes sollicités étant, pour beaucoup, fonction de l’autorité du service demandeur. On retrouvera, à chaque étape, ces questions de prééminence administrative, particulièrement délicate lorsqu’il s’agit de coordonner l’action économique de différents ministères, jaloux de leur indépendance. Quoi qu’il en soit, même dans les projets du gouvernement Laval de la fin de 1935, il n’est pas question de faire du service de l’Économie nationale un véritable organisme de coordination de la politique économique. Il apparaît plutôt comme un instrument destiné à rationaliser la politique défensive protectionniste, notamment en réglementant le statut des sociétés étrangères qui bénéficient de marchés publics, voire en guidant l’industrie française vers les fabrications « pour lesquelles (nous) sommes encore (...) tributaires de l’étranger » : sa « raison d’être »reste de « protéger la production et la main-d’œuvre nationale »73. Il est bien question d’un « plan de mobilisation industrielle », mais sans véritable consistance. Au mieux, il s’agit d’en faire « une sorte « d’Intelligence Service Économique » (...) pour la surveillance des agissements de certaines firmes étrangères particulièrement actives sur notre territoire »74.
3. Les réticences des austéro-libéraux : un « travail de Sisyphe » ?
31La crise monétaire de mai et l’effritement du Bloc-or ont montré quels étaient désormais les risques financiers d’une surévaluation isolée du franc. Certains hauts fonctionnaires et responsables politiques, tout en approuvant les compressions de dépenses, redoutent les effets douloureux d’une évolution en vase clos.
• Aux Finances.
32Avant même la chute de Flandin, Wilfrid Baumgartner se prononce pour des « mesures de redressement budgétaire », mais il ajoute : « Il serait désirable qu’elles fussent accompagnées de mesures de restauration économique, et surtout qu’intervînt entre les pays anglo-saxons un accord relatif à la stabilisation de leur monnaie »75. Sans évoquer la dévaluation, le directeur du Mouvement général des Fonds suggère de ne pas rompre les fils permettant de rétablir les échanges internationaux.
• Au ministère du Commerce.
33Georges Bonnet affirme, dans ses Mémoires que, au mois de juin, il « penchait pour la dévaluation »76. Et en septembre, à Genève, devant la Seconde Commission de la SDN, il souligne « la nécessité de remettre en marche les courants internationaux de produits et de capitaux »77. Cependant, il n’apporte aucune proposition concrète et exprime la réserve suivante : « La France accepterait volontiers de pratiquer à l’avenir une politique plus libérale si elle était assurée de trouver en face d’elle des nations animées de la même volonté et prêtes à assurer la stabilisation de leur monnaie pendant toute la durée des accords commerciaux »78. Avec ses collaborateurs Pierre Ricard, Roger Nathan et Pierre Dreyfus, ainsi que Hervé Alphand, à la direction des Accords commerciaux, ils mesurent les effets néfastes du bilatéralisme généralisé sur l’évolution du commerce extérieur français. Mais Emmanuel Mönick signale, au début d’octobre, qu’il ne faut pas compter sur une stabilisation de la livre sterling, pour des raisons intérieures d’argent à bon marché : toujours le dialogue de sourds79 !
• Mönick en faveur d’une « politique complémentaire ».
34Dans une note de dix-neuf pages, datée du 1er septembre, l’attaché financier à Londres analyse les risques d’une déflation en vase clos, car la stabilisation de la livre est une « illusion », en particulier du fait du réarmement. Il reste à « espérer le miracle d’une hausse des prix aux Etats-Unis ». Et il formule la crainte suivante : « nous n’avons aucune assurance que l’ajustement économique que nous entreprenons actuellement au prix de tant de difficultés sociales, soit le dernier. Si nous persévérons sans aucune variante dans la même voie, la fin de ce nouveau travail de Sisyphe n’est pas encore en vue »80. Il propose une « politique complémentaire de la déflation » : « L’adaptation monétaire pourrait bien être la condition du succès des récentes mesures prises en France »81. Il reprend les projets, évoqués au printemps, d’une dévaluation modérée du franc, et de mesures de libération commerciale, en concertation avec Washington, avant de contacter Londres. Sa suggestion reste sans écho auprès de Marcel Régnier. Mais Jacques Rueff n’est pas loin de penser de même.
35Ainsi, se confirment les contours d’un groupe austéro-libéral qui, sans être hostile à la politique d’assainissement financier intérieur, souhaite la compléter par des mesures permettant de libérer les échanges de marchandises et de capitaux, parmi lesquelles la dévaluation semble de plus en plus inévitable. C’est la position défendue avec éclat par Paul Reynaud, depuis juin 1934. Ce groupe est certes restreint, minoritaire parmi les responsables politiques et les hauts fonctionnaires qui, autour de Yves Bouthillier, restent attachés à des principes austéro-protecteurs, associant les compressions de dépenses et le maintien de barrières protectionnistes. Mais les besoins de la Trésorerie vont les conduire à tolérer plusieurs entorses.
4. La déflation contradictoire.
• L’appel à la Banque de France.
36Malgré l’apaisement monétaire au début de juin, la situation financière est mauvaise.
37II faut de nouveau en appeler à la complaisance des établissements de crédit. Le 15 juillet, Marcel Régnier rencontre Jean Tannery, et fait état de prévisions de six milliards nécessaires pour le Trésor au second semestre82. La Banque de France accepte d’apporter son concours, car il est impossible de faire appel au crédit, après l’amputation des rentes : elle consent au réescompte de 1,2 milliard de bons, souscrits par les trois grandes banques de dépôt. Henri Deroy, pour la Caisse des Dépôts, accepte également de souscrire pour 500 millions, et doit renouveler l’opération au début de septembre83. Les échéances du Trésor en juillet-août, supérieures à 2,5 milliards, dépassent les prévisions. Le Trésor ne peut pas, dans l’immédiat, faire appel au marché financier, en partie du fait du prélèvement de dix pour cent, mais aussi par souci de ne pas peser sur les taux d’intérêt. La politique suivie à l’égard des taux d’intérêt est identique à celle que souhaitait P.-E. Flandin : il ne s’agit donc pas d’une véritable politique déflationniste de resserrement du crédit, mais d’une tentative d’abaissement des taux, grâce aux compressions budgétaires et à la velléité de désengagement du Trésor sur le marché financier. Le Temps croit pouvoir annoncer, à la fin juillet : « La pression chronique que le déséquilibre exerçait depuis bientôt cinq ans sur le marché va presque complètement disparaître »84. Cependant, malgré certaines rentrées d’or (l’encaisse s’accroît de 70,7 milliards au 7 juin, à soixante-douze, le 3 septembre), le retour aux excédents dans les caisses d’Épargne et une légère amélioration du cours des rentes, les décrets-lois n’ont pas créé le « choc psychologique »attendu pour retrouver l’aisance financière. À la mi-septembre, Wilfrid Baumgartner note : « ... l’effort de redressement accompli par le gouvernement n’a pas encore provoqué le dégel des capitaux thésaurisés et le reflux des capitaux exportés, c’est-à-dire le double mouvement qui paraît si essentiel pour l’amélioration de notre marché financier »85. Jusqu’à la fin de septembre, le Trésor fait uniquement appel au marché monétaire et à l’aide de la Banque de France. Depuis la crise de mai, les taux des Bons ont été abaissés de six à trois pour cent, mais il est de plus en plus malaisé de s’adresser au marché monétaire : la circulation des Bons du Trésor atteint 14,5 milliards (la marge par rapport au plafond de la loi du 31 janvier 1935 n’est que de 0,5 milliard), sans compter le milliard souscrit par la Caisse des Dépôts86.
38Le Trésor envisage un projet de consolidation de la dette flottante pour la fin septembre, mais la crise éthiopienne ne le permet pas.
• Des perspectives inquiétantes : la défaillance des marchés monétaire et financier.
39Malgré les économies issues des décrets-lois, Marcel Régnier annonce, le 21 octobre 1935, devant Joseph Caillaux et la Commission des Finances du Sénat, que le déficit de 1935 doit se monter à sept ou huit milliards87. En outre, les besoins du Trésor pour l’année 1936 apparaissent considérables.
40Lors de la préparation du budget, le ministre rompt, pour la première fois, pour certaines ressources, avec la règle de la pénultième année, afin d’éviter les déconvenues des années antérieures, quant aux moins-values fiscales (par l’utilisation de coefficients de fléchissement pour les impôts directs, et des résultats fiscaux les plus récents pour les impôts indirects). Après un abattement de deux milliards sur les différentes demandes des ministères, les crédits sont votés en léger excédent : 40,010 milliards de dépenses pour 40,019 milliards de recettes. Malgré cela, dès le mois d’août 1935, les moins-values de recettes (même par rapport aux évaluations rectifiées), qui atteignent presque un demi-milliard, et les suppléments de crédits (notamment pour le service de la dette et les secours de chômage) laissent apparaître, en fait, un déficit de près de cinq milliards ! De plus, il a été créé un Fonds spécial d’Outillage et d’Armement pour 6,2 milliards, comprenant des dépenses d’armement ainsi que des dépenses de travaux civils (Plan Marquet) — y compris certaines du budget ordinaire — dont les ressources doivent être trouvées par l’emprunt. Dès la fin de septembre, il apparaît que les besoins de la trésorerie vont sans doute excéder quinze milliards (Fonds spécial d’Outillage ; cinq milliards effectifs de déficit budgétaire ; 3,5 milliards pour les grands Réseaux et divers reliquats)88. Georges Boris les estime à dix-sept milliards, un mois plus tard89. Et les charges de trésorerie s’accroissent sensiblement à partir de l’été 1935, du fait des dépenses d’armement, malgré une certaine compression, acceptée par Pierre Laval90. Dès lors, il faut procéder à des «opérations ingénieuses » (Marcel Régnier), c’est-à-dire la mobilisation d’actifs du Trésor (concours du protectorat marocain, avances pour le Réseau d’État) auprès de la Banque, pour 1,250 milliard91. Marcel Régnier précise, à la commission des Finances du Sénat, que le rôle essentiel de la trésorerie n’est pas tant d’appliquer les recettes aux dépenses, que « d’obtenir les fonds nécessaires pour combler l’insuffisance des recettes », et que la distinction entre marché financier et monétaire provient désormais de leurs disponibilités respectives92. En novembre, l’encaisse subit de nouvelles sorties d’or, pour six milliards : le gouvernement Laval n’obtient pas davantage la « confiance »des détenteurs de capitaux que celui de P.-E. Flandin, et ne peut donc pas non plus abaisser les taux d’intérêt. Et, le mois suivant, il mesure la « réticence indiscutable » des épargnants à l’égard de l’emprunt (obligations 5 %), que l’État a dû solliciter pour les besoins de la Défense nationale. Les résultats s’approchent du produit attendu — près de deux milliards — mais « au prix d’un effort disproportionné et de la prolongation des dates initiales »93. Ainsi, le marché financier vacille au moment où les besoins du Trésor, en particulier pour les dépenses d’armement, paraissent devoir s’accroître.
41D’autre part, le marché monétaire ne peut plus guère être sollicité. La circulation des Bons du Trésor a plutôt tendance à régresser, malgré l’élévation des taux : le plafond est quasiment atteint et la Banque, comme la Caisse des Dépôts, détiennent chacune deux milliards de bons94.
• Déflation ou inflation déguisée ?
42La défection radicale sur la politique extérieure, et surtout (pro) italienne, de Pierre Laval, va dispenser celui-ci de devoir trouver les ressources nécessaires. Quelques jours avant la chute du gouvernement Laval (22 janvier 1936), Wilfrid Baumgartner prépare une note pour Marcel Régnier où, après avoir rejeté successivement les appels directs au public pour des bons ordinaires, le concours de la Caisse des Dépôts et les avances directes de la Banque de France, il signale les difficultés d’augmenter la dette flottante et la « faiblesse presque chronique » du marché financier. Il en arrive à recommander un emprunt à Londres95. Il revient au gouvernement Sarraut de trouver les ressources nécessaires au financement du Fonds d’Outillage et d’Armement qui, à travers un recours accru au réescompte des bons du Trésor par la Banque, s’apparente à de l’inflation96. Devant le mirage de l’équilibre, la façade de la déflation vole en éclat. Mais, s’il avait duré, le gouvernement Laval aurait été confronté au même choix, à moins d’amputer encore plus radicalement les dépenses militaires, ce qui aurait entraîné d’autres difficultés.
43Ainsi, la « superdéflation » (Léon Blum) Laval apparaît, dans les faits, fort ambiguë. Faute de parvenir à l’équilibre budgétaire souhaité, la politique a combiné les économies draconiennes et le réescompte inflationniste. Vincent Auriol ayant parlé à ce propos d’« avances occultes », un projet de réponse, destiné à Marcel Régnier, et sans doute rédigé par Wilfrid Baumgartner en novembre 1935, précise : « Il est d’ailleurs assez piquant de constater qu’un représentant du parti socialiste s’élève contre un concours qui a été réclamé à plusieurs reprises par les chefs de ce parti d’une façon systématique et pour des montants beaucoup plus importants »97. Il est rappelé que la trésorerie a emprunté soixante-dix milliards depuis 1930 : « Ce déficit de soixante-dix milliards (...) est résulté de ce que l’on a, en fait, pratiqué la politique de « reflation »que n’a cessé de soutenir le parti socialiste, c’est-à-dire la politique qui consiste à dépenser plus que l’on encaisse »98.
• Un triple obstacle.
44Dans les faits, la déflation budgétaire et économique se heurtait à un triple obstacle.
45Tout d’abord, l’impossibilité de rétablir en un seul exercice l’équilibre financier, au moment même où s’accroissent les charges civiles (du fait de la crise), et surtout militaires (dues au réarmement). Quelques mois plus tard, Louis Germain-Martin, qui se réclame de la méthode du « redressement par étapes », dénonce la « croyance à l’équilibre définitif », alors objet d’un véritable culte rue La Vrillière, dont les pontifes n’étaient pas « moins dogmatiques que ceux d’un second culte, celui de la dévaluation »99. Ensuite, malgré plus de seize milliards d’économies obtenues à la suite de toutes les mesures de compression, il paraissait impossible de réduire les masses budgétaires dans les mêmes proportions que le Revenu national. D’après les estimations contemporaines de Jean Dessirier, ou les calculs ultérieurs d’Alfred Sauvy, on s’aperçoit de l’inertie beaucoup plus forte des dépenses budgétaires100.
46De la même manière, les charges totales de la trésorerie — du fait du poids croissant de la dette et des dépenses dues à la crise — ne pouvaient régresser de manière parallèle101. Ainsi, plus que de 1’ « ajustement » des dépenses aux recettes, l’État a éprouvé l’impossibilité d’assurer l’ajustement de ses charges aux revenus des Français. Mais l’amputation plus forte de plusieurs de ces charges (dette, secours de chômage, soutien aux diverses productions agricoles) aurait diminué encore davantage le revenu de certains d’entre eux. Troisième obstacle : la déflation économique se développe en porte à faux avec la reprise, observée au second semestre de 1935 et — contrairement à certains écrits — perçue par les responsables, notamment Marcel Régnier. Elle vient également se heurter à la remontée des prix agricoles, liée à une récolte beaucoup moins bonne et placée à l’abri d’un protectionnisme renforcé102. Elle ne peut contribuer à éliminer la surévaluation des prix français.
• L’engrenage déflationniste.
47La politique déflationniste, même ambiguë, a précipité le gouvernement dans un engrenage non moins contradictoire. Au nom d’une politique de l’offre, destinée à ranimer le marché financier, le Gouvernement a amputé les revenus des rentes, certains revenus du capital privé (notamment immobilier), ou certains tarifs privés (gaz, électricité). Un gouvernement d’« Union nationale », dirigé par l’un des responsables les plus importants de la droite, malgré les proclamations « libérales », a procédé à des mesures « dirigistes »inédites, et, malgré des mesures d’économies destinées à rassurer l’épargne, a connu une crise de confiance. Ce n’était ni la première, ni l’ultime fois.
III. EN GUISE DE BILAN : LES DÉPHASAGES EXPERTS, GOUVERNANTS, OPINION (1932-1935)
48L’appareil d’État, tel qu’on a pu le percevoir dans son fonctionnement au cours de la première moitié des années trente, associe une double strate de responsables, les gouvernants (ministres des gouvernements) et les experts (hauts fonctionnaires de l’Administration), inégalement sensibles aux sollicitations extérieures des divers groupes sociaux. Il en résulte une série de déphasages, qui nous éclairent sur l’ampleur des contraintes et des ajustements nécessaires à la mise en œuvre de la direction de l’économie et des finances.
1. Les experts : la vulgate austéro-libérale.
49Les principaux hauts fonctionnaires, tout particulièrement ceux des Finances — les plus puissants — sont façonnés par les principes acquis pendant leurs années de formation (qui associent le plus souvent la Faculté de Droit, l’École libre des Sciences politiques et l’Inspection des Finances) et les traditions accumulées par une pratique séculaire. Ils combinent la double préoccupation de freiner dépenses et prélèvements à l’intérieur et d’assurer la liberté de circulation des marchandises et capitaux vers l’extérieur : on a qualifié cette double approche d’austéro-libérale. Mais, on l’a vu, l’impossibilité de parvenir à une stabilisation internationale des monnaies empêche l’application des principes proclamés. L’entrée de la France dans le protectionnisme conduit toutefois une fraction des experts à redouter que l’abandon de principes libéraux à l’extérieur n’entraîne l’économie et les finances sur la route de folies en vase clos. Ce groupe apparaît restreint et surtout représenté chez des hauts fonctionnaires au contact des réalités extérieures (Robert Coulondre, Emmanuel Mönick, Jacques Rueff...), d’autant plus que les moyens dont la France dispose sur la scène internationale pour inverser l’évolution protectionniste apparaissent limités. Le plus grand nombre s’est résigné à la protection défensive. Ainsi, la vulgate austéro-libérale semble inapte à atténuer les effets nationaux et internationaux de la crise et se trouve, de ce fait, jugée sévèrement par de larges fractions de l’opinion.
2. La société française : une trilogie conflictuelle.
50La société française d’alors, plus que « bloquée », apparaît comme fondamentalement conflictuelle103. Sur la vingtaine de millions d’actifs, trois groupes d’importance voisine se dégagent : les salariés (environ huit millions), les agriculteurs (environ six millions) et les chefs d’entreprises industrielles et commerciales (parmi lesquels de nombreux chefs de petites entreprises et entrepreneurs isolés), qui représentent également autour de six millions d’individus. Les deux derniers groupes attendent de l’État, non sans ambiguïté, à la fois protection sans prélèvements accrus et respect de leur indépendance. Claude-Joseph Gignoux déplore — lors d’une conférence prononcée en 1936 à l’École libre des Sciences politiques — cette attitude, qu’il identifie à celle des « grenouilles qui demandent un roi », et juge critiquable de « se rendre auprès des Pouvoirs publics pour réclamer des mesures de défense (...) et protester ensuite quand (...) les Pouvoirs publics interviennent spontanément dans l’activité brimée »104. Les salariés associent également demandes de protection (qui impliquent alors un accroissement du prélèvement fiscal) et méfiance à l’égard de l’État. La faiblesse relative de la législation sociale française — comparée à ses voisines britannique, belge ou allemande — rend en partie compte de l’existence et de l’influence d’un courant à la fois anticapitaliste et antiétatique radical au sein du mouvement ouvrier. Au-delà de la diversité de ces préoccupations conflictuelles, nombreux sont les responsables publics ou privés à constater que l’opinion croit que les maux issus de la crise « viennent des excès d’un capitalisme libéral et déchaîné »105. Même si, comme le note le même C.-J. Gignoux, l’opinion est « égarée », et s’il « ne reste plus rien de la liberté, [du fait de] la socialisation progressive de notre législation et de notre économie »106, les drames sociaux de la crise apparaissent comme un désavœu des principes libéraux. Par-delà les modalités (bien réelles) de l’intervention étatique, d’un point de vue culturel, les années trente marquent ainsi la régression accrue et durable des valeurs du libéralisme économique et financier dans les mentalités collectives de larges fractions de la société française, avec laquelle les experts se trouvent alors en porte à faux. L’un des signes de ce déphasage transparaît dans l’article, rédigé à la fin de 1933 par Jacques Rueff, alors attaché financier à Londres, sur « l’enseignement de M. Colson ». Il y affirme notamment : « ... affirmer, comme il est de mode actuellement, que les troubles présents sont la faillite de l’économie libérale (...) c’est oublier que les troubles sont apparus précisément au moment et dans la mesure où l’on a empêché de jouer le mécanisme régulateur sur lequel reposait le système (...). Conserver la forme du capitalisme sans consentir aux mouvements de prix qui en sont la condition essentielle, c’est vouloir la fin sans accepter les moyens »107. Pareille défense ne pouvait suffire aux gouvernants.
3. L’ajustement des gouvernants au « tumulte public » : l’interventionnisme protecteur.
51Les gouvernants, confrontés aux multiples sollicitations électorales et parlementaires, ne peuvent se contenter d’affirmations de principes. Les experts eux-mêmes sont conduits — on l’a vu — à accepter des entorses, plus ou moins conçues comme transitoires, d’autant plus que certains d’entre eux, tel Louis Germain-Martin, sont appelés comme gouvernants.
• La politique des entrepreneurs et le compromis radical.
52Depuis les débuts de la crise jusqu’aux élections législatives de 1936, les gouvernants sont conduits, quelle que soit leur préférence politique, à mener une politique horizontale peu sélective de protection des entrepreneurs, qu’ils soient petits ou grands. Dans cette dernière catégorie, il faut ranger les avances aux établissements de crédit (Banque d’Alsace-Lorraine ; Banque nationale de Crédit) ou au fonds commun des compagnies de chemins de fer — prolongeant des habitudes bien antérieures à la crise. La politique de protection à l’égard des petits entrepreneurs se manifeste par l’adoption des contingents et le protectionnisme commercial en général, par certaines mesures malthusiennes, par la défense de certains marchés, tel celui du blé (à partir de 1934) ou du vin pour les agriculteurs. Cette politique n’a pas résulté de l’application d’un plan préconçu, mais de la sédimentation de mesures (financières, législatives, réglementaires...) décidées au fil des années. Elle répond à une sorte de compromis entre les différentes catégories d’entrepreneurs (dont les « petits »), longtemps incarné par les radicaux-socialistes, même s’ils n’en ont pas été les apologistes, ni les artisans exclusifs. Les gouvernants sont ainsi conduits à un interventionnisme protecteur, reflétant bien davantage un certain pragmatisme face à la pression des doléances sociales, qu’un effort systématique étayé par une doctrine. Claude-Joseph Gignoux regrette d’ailleurs, un mois avant le scrutin de 1936, que, en France, l’intervention de l’État réponde à des « conceptions purement empiriques » et discontinues. Il déplore : « l’usage s’est conservé de ne s’intéresser aux phénomènes économiques que sous la pression des plus graves nécessités. Encore la nécessité se définit- elle en fonction du tumulte public »108. Et les gouvernants se montrent surtout sensibles au « tumulte public » des classes moyennes dans leur grande diversité, elles-mêmes surreprésentées parmi les parlementaires et les ministres109.
• Un déphasage exemplaire : Henri Queuille-Jacques Rueff.
53Henri Queuille, médecin radical, plusieurs fois ministre de l’Agriculture, incarne ce pragmatisme interventionniste modéré et tranquille. Le 27 février 1933, sous la présidence de Charles Rist, Jacques Rueff, alors attaché financier à Londres, prononce, dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, une conférence, intitulée « De quelques hérésies économiques qui ravagent le monde ». Il y pourfend le protectionnisme, en particulier agricole110. Cette intervention vaut une lettre d’Henri Queuille, alors ministre de l’Agriculture, à son collègue de la rue de Rivoli, Georges Bonnet, afin de témoigner de « l’émotion ainsi soulevée dans le monde rural », et réclamer, vainement, une remontrance à l’égard du haut fonctionnaire pour son attitude « inopportune », à l’heure de la préparation de la Conférence de Londres111.
• Des réformes de structures pragmatiques : les sociétés d’économie mixte.
54L’interventionnisme conduit même les gouvernants à étendre les domaines de l’État-actionnaire. Le système de gestion de l’économie mixte n’est pas né de la crise, mais de la Grande Guerre, puisqu’il apparaît à travers la loi du 16 octobre 1919 sur l’utilisation de l’énergie hydraulique. Mais la crise en accélère le développement, particulièrement dans les entreprises de transports. Deux hommes incarnent cette période de créations. Tous deux se rattachent à la famille radicale, malgré des trajectoires fort différentes : l’un est un gouvernant, Pierre Cot ; l’autre (alors) plutôt un expert, à la fois privé et public, René Mayer. Ce dernier, ancien conseiller d’État, vice-président de la Compagnie du chemin de fer du Nord (depuis 1928) et représentant de l’État dans la Commission des Marchés de l’Aéronautique civile (depuis 1927), est appelé par André Tardieu, à la fin de1931 pour négocier la participation de l’État et le sauvetage de la Compagnie internationale des Wagons-lits112. Grâce à sa fonction de représentant de l’État (aux côtés de Raoul Dautry) dans cette société, René Mayer devient administrateur de la société d’aviation civile Air-Union, à la fin de 1932. Cela lui vaut d’être choisi par Pierre Cot, ministre de l’Air du 13 janvier 1933 au 7 février 1934 (dans les ministères Daladier, Sarraut et Chautemps), pour négocier avec les cinq compagnies privées d’aviation commerciale la fusion, puis la fondation d’une société mixte, Air-France — officialisée par le décret du 31 mai 1933 — dont le statut définitif est fixé dans le premier «train » des décrets-lois Laval, le 16 juillet 1935113. De même, la Compagnie nationale du Rhône, au capital quadripartite, prévue dans une loi du 27 mai 1921, n’est constituée définitivement qu’en 1933 et ne reçoit la concession de l’aménagement du fleuve — de la frontière suisse à la mer — que par un décret de 1934. L’extension de l’État -actionnaire ne résulte pas de l’application de principes doctrinaux, ni d’une quelconque poussée nationalisatrice, mais de la recherche pragmatique de formules permettant de poursuivre l’activité d’entreprises particulièrement atteintes par la crise, ou dans lesquelles ne se risqueraient pas de simples particuliers (comme la CNR, par exemple)114.
• Le coût de l’interventionnisme : servitudes et contradictions.
55Les diverses formes de l’interventionnisme de l’État représentent des charges importantes pour la trésorerie, à un moment où se creuse le déficit budgétaire.
56Outre les avances aux banques en difficulté (910 millions de paiements effectifs pour la Banque d’Alsace-Lorraine et 1948 pour la BNC en 1934), et aux chemins de fer, il faut compter les interventions sur les marchés agricoles (blé et vin) et les avances aux organismes d’intérêt social (HBM, fonds de chômage, retraite du Combattant...). Nous y avons adjoint les charges au titre des Grands Travaux : le programme d’outillage national (« Plan Tardieu ») et le « Plan Marquet » (à partir de 1934). Nous avons repris les chiffres retrouvés dans diverses notes de trésorerie, transmises par Jacques Rueff à Vincent Auriol au début de 1937, et destinées à établir un tableau harmonisé des charges et ressources de la trésorerie pour les années 1932 à 1935 (Nous n’avons pas retenu les avances aux diverses collectivités, ni le budget annexe des PTT).
57L’année 1934 connaît une régression relative des charges d’intervention au sein du total, mais l’année 1935 est contemporaine, au contraire, de leur alourdissement (même par rapport à 1933). Même si le chiffre de 45 % — déficit budgétaire exclu — compense mécaniquement la régression très importante de l’amortissement de la dette, celui de 22 % reflète les limites mêmes de la politique de déflation. Fait notoire, c’est lors de cette année 1935 que l’État supporte les charges les plus lourdes pour les interventions sur le marché du blé (et six fois plus qu’en 1936 !). Encore faudrait-il distinguer les charges de trésorerie supportées directement par le Trésor et celles pour lesquelles des ressources spécifiques ont été prévues : c’est le cas des charges du Plan Marquet, pour lesquelles le Trésor a enregistré — surtout en 1934 — des sommes supérieures de la part du Fonds commun du Travail, issu des Assurances sociales (respectivement 387 et 625 milliards de ressources en 1934 et 1935, pour 40 et 620 milliards de charges).
58Mais la correction n’infirmerait guère l’analyse générale.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE III
59L’aggravation des problèmes de trésorerie, liée, à partir de 1935, aux alertes monétaires d’un franc surévalué ne pouvait être durablement atténuée par la politique déflationniste, pour une triple raison. Tout d’abord, du fait de la persistance des moins-values fiscales, en raison de la crise. Ensuite, les charges annuelles de la trésorerie n’étaient pas seules en cause. Il fallait compter les charges courant sur plusieurs exercices, du fait de contraintes passées (amortissement de la dette publique) ou à venir (engagement de programmes en vue du réarmement). Le seul amortissement de la dette se présente alors ainsi116 :
60La diminution relative de 1935 résulte de la situation conjoncturelle des échéances comme des effets des décrets-lois. Et, enfin, il n’était guère possible de réduire les dépenses d’intervention en deçà de ce qui pouvait sembler socialement et électoralement incompressible, dès le moment où les institutions n’étaient pas modifiées. Au total, l’interventionnisme protecteur apparaît contradictoire avec la politique déflationniste. Les charges qu’il entraîne s’avèrent à la fois trop lourdes pour les finances publiques et insuffisantes pour déclencher une reprise économique durable.
Notes de bas de page
1 D’après Flandin, ses archives ont disparu pendant la guerre. Cf. Pierre-Étienne Flandin, Discours, le ministère Flandin, novembre 1934 - mai 1935, Paris, 1937, 253 p. ; RPP, janvier 1935, p. 150-160 et RPP, février 1935, p. 360-369.
2 Aux Finances, la surévaluation des prix français est estimée, respectivement à 12 % et 13 %, par rapport aux prix britanniques et américains (prix de gros) et 25 % et 35% (prix de détail).
3 Pierre-Étienne Flandin, Paix..., op. cit, p. 68.
4 Discours prononcé à Bordeaux, au XXXe congrès de l’Alliance démocratique, 17 novembre 1935, in Pierre-Étienne Flandin, Paix..., op. cit., p. 84.
5 AN, F 60 636, d. « Travail-chômage », s. d. « suggestions diverses », c.-r. (manuscrit) de la séance du 26 janvier 1935 du CEI, 3 p.
6 Idem, c.-r. cité p. 2.
7 AEF, B. 33 193, doc. n° 17, Note pour le Ministre de Wilfrid Baumgartner (directeur du Mouvement général des Fonds), 48 CD, 1er avril 1935, 4 p.
8 Cf. Claude-Joseph Gignoux, La crise du capitalisme au xxe siècle, Paris, 1943, 293 p.
9 Cf. La journée industrielle, 16 février 1935 ; Le Temps, 11 janvier 1935 ; Le Bulletin quotidien, 11 janvier 1935. Voir Julian Jackson, The politics..., op. cit., p. 96.
10 AEF, B. 33 193, doc. n° 15, données fournies par Louis Germain-Martin au Sénat et Baréty à la Chambre, 25 janvier 1935, 1 p.
11 Idem, doc. n° 4, document transmis à M. Baréty, le 21 janvier 1935, 1 p.
12 Cf. Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel en République, L’argent et le pouvoir, 1914-1940, Paris, 1976, p. 507 et suiv.
13 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 299.
14 Robert Frankenstein, Le prix du réarmement français (1935-1939), Paris, 1982, p. 117.
15 AEF, B. 33 193, doc. n° 4, cité.
16 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 319.
17 AEF, B. 33 193, doc. n° 19, 52 CD, Note pour le Ministre de Wilfrid Baumgartner, 9 avril 1935, 3 p.
18 Idem, doc. n° 17, 48 CD, 1er avril 1935, 4 p. ; souligné par nous.
19 AEF, B. 32 324, d. « Problème de la stabilisation des monnaies 1934-1936 », Lettre du ministre des Affaires étrangères au ministre des Finances (signée Renon de la Baume), 9 janvier 1935, n° 41, 2 p.
20 Idem, Note d’Emmanuel Mönick, 7 mars 1935, 5 p.
21 Cf. I. Drummond, The Floating..., op. cit., p. 186 et Julian Jackson, The politics..., op. cit., p. 175, qui apporte des éléments à partir des archives britanniques.
22 AEF, B. 32 324, d. cité, Lettre d’Emmanuel Mönick au directeur du Mouvement général des Fonds (noté infra : MGF), 8 mars 1935, 5 p.
23 Idem, Lettre de Robert Coulondre au ministre des Finances, n° 4098, 9 mars 1935, 2 p.
24 Cette lettre se trouve à la fois dans AEF, B. 32 323, d. « Bloc-or - divers »et AEF, B. 32 324, d. cité. Elle a été citée par René Girauit dans son article, « La trahison des possédants », L’Histoire, n° 58, juillet-août 1983, p. 87. Il semble l’attribuer à René Massigli dans son article, « Léon Blum, la dévaluation de 1936 et la politique extérieure de la France », Relations internationales, n° 13, printemps 1978, p. 91-101. Toutes les citations qui suivent (jusqu’à la note suivante) sont extraites de ce document.
25 AEF, B. 32 323, d. « Bloc-or - divers », télégramme à l’ambassade de France à Washington, « secret », 14 mars 1935, 2. p.
26 Idem, Walter Lippmann, « La politique monétaire américaine liée à la dépréciation de la livre sterling », trad. fr. New York Herald, 12 mars 1935.
27 AEF, B. 21 848 (« Agence financière de New York »), d. « dévaluation du franc », télégramme de Appert, « très confidentiel », New York, 12 avril 1935, 2 p.
28 Idem, télég. cité.
29 Idem, Lettre du gouvernement français au secrétaire du Trésor, 25-26 avril 1935, 2 p.
30 AEF, B. 32 324, d. cité, Lettre du MAE au Ministre des Finances (signée Renon de la Baume), 2 mai 1935, 2 p.
31 AEF, B. 21 848, d. cité, télégramme de J. Henry et Appert, Washington, n° 551-559, 14 mai 1935, 2 p.
32 AEF, B. 32 324, d. cité, Lettre d’Emmanuel Mönick au directeur du MGF, 17 mai 1935, 5 p. Cf. René Girauit, « Léon... », art. cité.
33 Idem, Lettre de Emmanuel Mönick au directeur du MGF, 16 mai 1935, 7 p.
34 Idem, Lettre citée.
35 AEF, B. 21 848, d. cité, télégramme cité (cf. note 4).
36 AEF, B. 32 324, d. cité, télégramme de Appert, Washington, 13 juin 1935, 1 p.
37 Idem, télég. cité.
38 AEF, B. 33 193, doc. n° 32 bis, Note pour le Ministre de Wilfrid Baumgartner, 74 CD, 23 mai 1935, 8 p. Les taux de couverture sont de 80,54 % en Belgique, 74 % aux Pays-Bas, 42,69 % en Angleterre.
39 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 311.
40 AEF, B. 33 193, doc. n° 32 bis, cité (cf. note 3).
41 AEF, B. 33 194, doc. n° 3, « Exposé remis à M. Marcel Régnier, en vue du premier conseil de Cabinet du ministère Sarraut, le dimanche 26 janvier 1936 à 17 h 30 », s. a. (mais, vraisemblablement, note de Wilfrid Baumgartner), 12 p.
42 AEF, B. 33 193, doc. n° 32 bis, cité.
43 Cf. Jean-Noël Jeanneney, François..., op. cit., p. 524 et suiv.
44 Cf. Le Temps, 26 janvier 1935, La Journée industrielle ; La Nation (divers articles en février, mars et avril).
45 Georges Boris, La Lumière, 6 avril 1935.
46 AEF, B. 33 193, doc. n° 32 bis, cité.
47 Idem, doc. cité.
48 Idem, doc. n° 32 bis, cité et doc. n° 48.
49 Idem, chiffres repris par Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 305 et suiv.
50 Idem, doc. cité.
51 Idem. Cette phrase conclut la note pour le Ministre.
52 Cf. Jean-Noël Jeanneney, François..., op. cit., p. 534.
53 Cf. ibid., p. 536 et suiv.
54 AEF, B. 33 193, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 81 CD, 1er juin 1935, 4 p.
55 .Idem, doc. n° 51, Note de trésorerie, 1er juillet 1935, 1 p. Les sorties d’or sont estimées à 28 millions par jour, du 3 au 19 juin, contre 559 millions, du 13 mai au 1er juin.
56 Cité in Jacques Rueff, De l’Aube..., op. cit., p. 124.
57 Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 478.
58 Jacques Rueff, De l’Aube..., op. cit., p. 124-5. Cf. du même, Combats pour l’ordre financier, Paris, 1972.
59 Georges Bonnet, Vingt ans..., op. cit., p. 233. Cf. Fred Kupperman, Laval 1883-1945, Paris, 1987, p. 140 et suiv.
60 AEF, B. 33 194, doc. n° 3, « Exposé remis à M. Marcel Régnier... », cité.
61 Cf. Charles Rist, Revue d’Économie politique, janvier 1936.
62 La première circulaire date du 21 novembre 1930. On trouve le texte de la circulaire du 6 juin 1934 dans AN, F 60 579, d. « Service de l’Économie nationale », 3 p.
63 AN, F 60 579, d. « Service de l’Économie nationale », circulaire du 6 juin 1934, signée G. Doumergue, A. Sarraut (Intérieur) et L. Lamoureux (Commerce), 3 p.
64 Idem.
65 AN, F 60 579, d. « Conseil national de la main-d’œuvre », note (s. d., 4 p.). Il est signalé que, de 1933 jusqu’à la date de rédaction de la note (1939), plus de deux cents décrets de contingentements de la main-d’œuvre furent ainsi adoptés. Le Conseil se composait de six parlementaires nommés par le président du Conseil, de six représentants patronaux sur proposition de la CGPF, de six représentants ouvriers sur proposition de la CGT, et de six représentants ministériels (Travail, Intérieur, Affaires étrangères, Agriculture, Colonies, Travaux publics).
66 AN, F 60 423, d. « E 1. A 1 - 1938. Économie générale », note pour la présidence du Conseil, 30 mai 1938, 15 p., s. a.
67 Cf. AN, F 60 248, « Historique et composition actuelle de l’Économie nationale », note du 20 mai 1938. Le service est rattaché à la présidence du Conseil par le décret-loi du 30 octobre 1935 et effectivement intégré au secrétariat général à la présidence du Conseil, le 14 décembre 1935.
68 Idem, note citée.
69 AN, F 60 579, d. « Service de l’Économie nationale », Lettre du président du Conseil aux ministres et aux préfets, 24 décembre 1935, circulaire n° 34, 4 p. ; idem, Note sur le Service des Marchés - Historique, 24 septembre 1935, 7 p., note de G. Vacquerie.
70 AN, F 60 423, note citée, p. 8 et 13 (cf. note 1).
71 Idem, note citée p. 9, cf. instructions du 31 mai 1935.
72 Idem, p. 10.
73 Idem, p. 13.
74 Idem, p. 14.
75 AEF, B. 33 193, doc. n° 32 bis, cité.
76 Georges Bonnet, Vingt ans..., op. cit., p. 232.
77 Ibid., p. 237. Cf. AEF, B. 32 324, d. « Problème de la stabilisation des monnaies - 1934-1936 », télégramme de René Massigli, Genève, n° 172, 17 septembre 1935, 1 p.
78 Ibid.
79 AEF, B. 32 324, d. cité, Lettre d’Emmanuel Mönick au directeur du MGF, 5 octobre 1935, 4 p.
80 AEF, B. 33 201, Note d’Emmanuel Mönick, Londres, 1er septembre 1935, 19 p. On trouve également ce document in AEF, B. 32 324. Cette note est citée par René Girault, art. cité, p. 96, et Robert Frank, Le prix..., op. cit., p. 121-122.
81 Idem, note citée.
82 AEF, B. 33 193, doc. n° 55 bis, note s. a., n° 99, 15 juillet 1935, 1 p.
83 Idem, Lettre de Henri Deroy à Marcel Régnier, 31 juillet 1935, 2 p.
84 Le Temps, 22 juillet 1935 ; cf. également C. J. Gignoux dans la Revue politique et parlementaire, 10 octobre 1935.
85 AEF, B. 33 193, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 1204 CD, 16 septembre 1935, 5 p.
86 Idem, doc. n° 71, Note remise au Ministre pour la Commission des Finances de la Chambre, 8 octobre 1935, 2 p.
87 Idem, doc. n° 76, « Audition de Marcel Régnier à la Commission des Finances du Sénat », 21 octobre 1935, 5 p.
88 Idem, doc. n° 68, « projet pour 1936 », 27 septembre 1935, 1 p. On ne peut pas affirmer que le budget est équilibré, comme le fait Fred Kupferman, Laval..., op. cit., p. 155.
89 La Lumière, 26 octobre 1935.
90 Cf. Robert Frank, Le prix..., op. cit, p. 63.
91 AEF, B. 33 193, doc. n° 76, cité (cf. note 1).
92 Idem.
93 AEF, B. 33 194, doc. n° 1, Note pour le Ministre, de Wilfrid Baumgartner, 175 CD, 15 janvier 1936, 15 p.
94 Idem, doc. n° 1, cité.
95 Idem, doc. n° 1, cité.
96 Cf. infra, chapitre VII.
97 AEF, B. 33 194, doc. n° 80, « Observations sur la lettre de M. Vincent Auriol et schéma d’un projet de réponse », s. a., 8 novembre 1935, 7 p.
98 Idem, doc. cité.
99 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 228 et 229.
100 L’exercice 1932 ne porte que sur neuf mois. Cf. Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 428.
101 Cf. supra, chapitre I.
102 Cf. AEF, B. 33 193, doc. n° 76, cité.
103 Cf. Stanley Hoffmann, « Paradoxes de la communauté politique française » in A la recherche de la France, Paris, 1963 (460 p.), p. 13-138.
104 Claude-Joseph Gignoux, « L’État et la production », Conférence prononcée à l’École libre des Sciences politiques, le 23 mars 1946 in Joseph Caillaux et alii, La Réforme de l’État ; Paris, 1936, 290 p.
105 Ibid.
106 Ibid.
107 Jacques Rueff, « L’enseignement de M. Colson », Revue politique et parlementaire, n° 40, 10 novembre 1933, p. 312-318.
108 Claude-Joseph Gignoux, « L’État... », conférence citée, p. 281.
109 Cf. sous la direction de Georges Lavau et alii, L’Univers politique des classes moyennes, Paris, 1983, 389 p.
110 Cf. Jacques Rueff, De l’Aube..., op. cit., annexe IV, p. 321-332.
111 Lettre de Henri Queuille à Georges Bonnet, 11 mars 1933, citée in ibid., p. 114-115.
112 Cf. René Mayer, Notes biographiques 1919-1939, citées in René Mayer, Études, témoignages, documents, réunis et présentés par Denise Mayer, Paris, 1983 (388 p.), p. 35.
113 Ibid., p. 40-42.
114 Cf. Jean-Bernard Aubert, L’État actionnaire - Un nouveau mode d’intervention des collectivités, Paris, 1937, 271 p. ; Georges Ribeil, « Y a-t-il eu des nationalisations avant la guerre ? », in Claire Andrieu, Lucette Le Van, Antoine Prost, Les nationalisations de la Libération, De l’utopie au compromis, Paris, 1987 (392 p.), p. 40-52.
115 Source : AEF, B. 33 195, doc. n° 14, Note pour le Ministre, 2 février 1937, et idem, doc. n° 22, Charges et recettes du Trésor. Ces chiffres diffèrent légèrement de ceux utilisés par Pierre Saly, La politique..., op. cit.
116 Source : Idem.
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