Chapitre II. La déflation entre libéralisme, interventionnisme et renforcement de l’État (1932-1934)
p. 29-64
Texte intégral
1Malgré les proclamations libérales des experts, voire des gouvernants, ceux-ci s’engagent dans une politique interventionniste et protectionniste. Soumis à la fois à la pression nationale de certains groupes sociaux et aux contraintes internationales des dévaluations en chaîne et du bilatéralisme commercial, ils définissent au coup par coup des principes de direction de l’économie et des finances jusqu’au moment où, au lendemain du 6 février 1934, ils élaborent une ligne de conduite plus cohérente, la politique de déflation. Mais celle-ci implique, au-delà de l’adoption d’une politique économique et financière, un remodelage des institutions politiques, lui-même en porte à faux avec les (fragiles) équilibres parlementaires.
I. DU LIBÉRALISME PROCLAMÉ À L’INTERVENTIONNISME NÉCESSAIRE (1930-1933)
2On sait que la crise économique, apparemment moins violente en France que dans les pays d’Europe centrale ou qu’aux États-Unis, n’a pas, dans un premier temps, entamé les dogmes libéraux, tout-puissants à l’Université, dans l’Administration, essentiellement financière, dans les gouvernements, dominés par la droite jusqu’aux élections de 1932, puis par les radicaux jusqu’au 6 février 1934, ou dans le patronat1. Mais, soumis à deux types de contraintes, les gouvernements se sont engagés, quel que soit le discours officiel, dans un interventionnisme défensif : sous la pression d’initiatives étrangères et, face aux demandes pressantes de certains producteurs nationaux, agriculteurs en particulier, l’État a adopté, d’abord au coup par coup, puis de manière de plus en plus cohérente, des mesures de protection, d’aide financière directe ou indirecte, voire d’organisation — c’est-à-dire de rétraction de l’offre — de certaines activités. Les réactions de certains groupes sociaux à la crise et à l’initiative britannique de septembre 1931 d’abandonner l’étalon-or ont ainsi contribué à fissurer la façade libérale, arborée par les experts et les grands « décideurs », tant publics que privés.
1. Le maintien des dogmes libéraux.
3Plusieurs travaux ont relevé combien en 1930-31, les affirmations d’orthodoxie libérale ont pu fleurir dans les déclarations ministérielles, les articles spécialisés de revues de « science financière », de la presse professionnelle ou d’information économique. La crise semble même avoir renforcé ces professions de foi, comme si les dogmes libéraux pouvaient être mis en péril par le spectacle des désordres extrêmes de la dépression, beaucoup plus présents à l’étranger d’ailleurs qu’en France2.
• Une triple orthodoxie.
4L’orthodoxie libérale repose essentiellement sur la conviction d’une triple nécessité :
- d’un assainissement sans entrave par le mécanisme des prix ;
- du maintien de l’étalon-or et de la parité du franc de 1928, d’autant plus affirmé après septembre 1931 ;
- du retour au libéralisme commercial entamé par les politiques protectionnistes.
5Ce triple dogme domine chez les maîtres des Facultés de Droit, de formation surtout juridique et financière, à l’École libre des Sciences politiques et à l’Inspection des Finances, principale pourvoyeuse des hauts fonctionnaires des directions de la rue de Rivoli, des membres des cabinets, voire des ministres eux-mêmes. L’une des plus hautes autorités en matière financière, Louis Germain-Martin, incarne cette triple orthodoxie. Professeur à la Faculté de Droit de Paris, directeur du Journal des Economistes, il a été ministre des Finances ou du Budget à plusieurs reprises, aussi bien dans les gouvernements dominés par la droite (en 1930), par les radicaux (en 1932), ou par l’Union nationale (en 1934)3. Les mêmes thèmes inspirent les grandes revues ou sociétés savantes, telle la Revue d’Économie politique ou la Société d’Économie politique. Parmi les hauts fonctionnaires d’une génération plus jeune — celle née à la charnière des deux siècles — Jacques Rueff est sans doute celui qui a défendu, avec le plus de constance, les préceptes libéraux. Les deux textes, parmi les plus fameux, pour célébrer la défense et illustration du libéralisme sont ceux des conférences qu’il a prononcées, le 8 mai 1934 pour le groupe X-crise (« Pourquoi, malgré tout, je reste libéral »), et le 2 mai 1935, à l’American Club de Paris (« Jupiter et le Métayer »). Nulle part, on ne trouve aussi vibrant hommage à ce « monarque impérieux et discret qui commande sans jamais apparaître », remake de « la main invisible », auquel d’ailleurs l’auteur est resté fidèle jusqu’à sa mort : l’« imprudence » du métayer de la fable de La Fontaine — qui se repent auprès de Jupiter d’avoir voulu « diriger » les éléments — le conduit à conclure « ce qu’il nous faut assurément... la Providence le sait mieux que nous certainement »4. On retrouve les différents thèmes libéraux — orthodoxie monétaire, attachement au mécanisme régulateur des prix, refus d’intervention de l’État — dans les principaux organes de presse, notamment ceux qui étaient considérés comme les plus « sérieux ». Ainsi, parmi une kyrielle de déclarations, ces deux réflexions de Frédéric Jenny, spécialiste des finances et de l’économie au Temps, quotidien proche des milieux d’affaires et du Comité des Forges : « Le mal [dont souffre l’économie mondiale] a été causé en grande partie par l’inflation de crédit (...). Il faut sauver les entreprises en difficulté qui peuvent être sauvées parce qu’elles renferment assez d’éléments sains, ou qui doivent l’être parce qu’un intérêt supérieur l’exige. Quant à celles qui ne sont pas viables, elles doivent disparaître. C’est la définition même de l’assainissement (...). Il faut d’abord laisser l’action des lois naturelles réparer les erreurs que les hommes ont accumulées au cours des dernières années »5. « Qu’on en revienne donc aux principes d’autrefois ! (...), on constatera peut-être que le stock d’or, rationnellement utilisé, suffira très largement aux besoins de l’économie universelle »6. Même après l’échec de la Conférence économique de Londres (juin 1933), l’abandon de l’étalon-or par les États-Unis et les premières mesures du New Deal, le dogme libéral reste dominant en France, et particulièrement après l’arrivée au pouvoir de l’Union nationale (février 1934) : « Le retour à un libéralisme économique relatif sera le complément nécessaire de l’œuvre financière déjà réalisée. À condition que nos pouvoirs publics s’engagent dans cette voie et tournent résolument le dos à l’économie « dirigée » et à l’étatisme stérile, il n’y aura plus de dilemme du tout le jour où les principales monnaies étrangères auront été rattachées à l’or »7. « Seul un relâchement progressif de l’emprise de l’État sur les activités libres peut stimuler les initiatives et conduire ainsi à un développement économique fécond »8.
• « Économie libérale » contre « économie libérée ».
6Les limites du discours libéral sont celles de toute réflexion marquée par une nostalgie croissante pour un passé, d’autant plus idéalisé qu’il est éloigné des réalités du moment. Jacques Rueff, alors directeur-adjoint du Mouvement général des Fonds, l’une des principales directions de la rue de Rivoli, déplore, devant ses collègues d’X-crise le fait que : « l’on a détruit le régulateur qui faisait sortir l’ordre collectif du désordre des initiatives individuelles (...). L’on a remplacé le régime ancien du régulateur automatique par ce régime absurde et insensé de l’économie libérée, qui est la négation même de l’économie libérale »9. Il insiste sur l’engrenage du dirigisme, qui mène au totalitarisme : « La dictature est ainsi une condition et une conséquence de l’économie planifiée (...) une économie dirigée, c’est une économie qui a un dictateur », et même, comme dans le cas du métayer « imprudent », à la misère : les régimes d’économie dirigée n’étant que des « systèmes malthusiens qui donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l’action généreuse, mais organisent la misère et la ruine10. » Mais le retour à l’orthodoxie libérale et monétaire paraît d’autant plus improbable, que Jacques Rueff, en 1935, fait remonter l’une de ses premières entorses... à la Conférence de Gênes de 1922 — « tournant dans la civilisation de l’humanité » — par la généralisation du Gold Exchange Standard. Et, depuis cette date, la liste s’allonge dangereusement : accrocs en matière de prix, de change, de politique commerciale, de concurrence... Il semble bien difficile d’aller, tel le métayer, quérir Jupiter et lui demander pardon. Car l’État, depuis 1930, n’a pas, malgré les discours tenus, laissé faire seulement la Providence...
2. L’interventionnisme protecteur au coup par coup.
7Quelles que soient les majorités parlementaires et gouvernementales entre 1930 et 1933, les pouvoirs publics se sont engagés, sous la pression de certains producteurs, agricoles en particulier, dans des interventions ponctuelles et fragmentaires, mais de plus en plus marquées.
• Résorber l’offre.
8C’est un fait bien connu, les premières mesures d’intervention étatique sur le marché apparaissent dès 1929 avec la crise agricole — alors que la droite est au pouvoir, et que les radicaux observent l’une de leurs rares cures d’opposition de l’entre-deux-guerres — à propos des deux principales productions agricoles : le blé (crédit de financement public de stockage d’une partie de la récolte) et le vin (réglementation sur le sucrage des vins)11. Cette amorce de politique malthusienne se précise et s’amplifie les deux années suivantes, du fait notamment de la récolte vinicole record de 1931 — presque le double de celle de 1930 : après l’institution d’une taxe sur les plantations nouvelles et sur les bons rendements, à travers la loi du 19 avril 1930, la loi du 4 juillet 1931 édicté une série de mesures interventionnistes beaucoup plus profondes12. Si la France amorce son entrée dans la voie d’un certain dirigisme, c’est d’abord par le dirigisme agricole. Suivent les lois et décrets sur le blé, du fait de récoltes exceptionnelles, en 1932 et 1933 : décret du 12 octobre 1932, prévoyant la constitution d’un stock permanent chez les producteurs, loi du 14 avril 1933 sur la dénaturation et, surtout, la fameuse loi du 15 juillet 1933, fixant un prix minimum. Elle symbolise pour les libéraux, qui dominent la presse et l’Université, le dirigisme honni. Cependant, malgré un arsenal déjà imposant de lois, décrets et arrêtés, le blé se négocie à un « cours gangster », parfois inférieur de 30 % à 40 % au cours minimal.
9Parallèlement, l’État consent, dès 1929, des dégrèvements fiscaux pour les impôts frappant certains produits agricoles (blé, sucre, lait), qui s’étendent, au printemps 1930, à de nombreuses taxes et droits divers (en particulier sur les bénéfices industriels et commerciaux, les revenus des valeurs mobilières, les opérations de bourse et les droits d’enregistrement). À partir de 1931, et l’approfondissement de la crise, apparaissent des aides financières directes du Trésor pour soutenir des banques (Banque Nationale pour le Commerce, Banque d’Alsace-Lorraine), des compagnies de transports (Compagnie générale Aéropostale, Compagnie générale Transatlantique)13.
• Sur la voie du bilatéralisme.
10Mais c’est surtout en matière commerciale que l’État escompte peser sur les effets de la crise, à défaut d’en atteindre les racines.
11Au cours de l’année 1929, une première série d’augmentations de droits de douane, portant essentiellement sur les produits agricoles, et quelques limitations quantitatives sur le blé sont adoptées, pour faire face aux premiers symptômes de crise dans l’agriculture. Mais la vraie rupture avec la politique commerciale antérieure s’opère en 1931, avec l’adoption de mesures de restrictions quantitatives. Ainsi, la France rompait avec sa politique de retour à un tarif conventionnel (en 1928) et largement consolidé, comme dans la période de l’avant première guerre mondiale. En juillet 1931, un décret fixe des licences d’importation pour le charbon. Mais la généralisation des contingentements d’importations à la plupart des grands produits agricoles et à une cinquantaine de produits industriels intervient en réponse à la dévaluation de la livre, et à la solidarité des pays de la zone sterling, devenus protectionnistes. La déconsolidation des tarifs n’apparaît pas assez rapide, ni suffisante pour réserver le marché intérieur aux producteurs nationaux. En outre, un décret du 12 novembre 1931 crée des surtaxes de change, étendues en 1932 à de nombreux pays, dont l’exemption, rendue possible à partir de 1933, fait l’objet de laborieux marchandages. Ainsi malgré la solennité des proclamations antidiscriminatoires, multipliées par les gouvernements, à Genève, à la fin des années 1920, et même encore à la Conférence de Lausanne en juin 1932, la France s’engage dans la voie d’un protectionnisme beaucoup plus radical que celui de l’ère Méline.
12La France doit également faire face, à partir de 1930, à l’adoption du contrôle des changes, par quasiment tous les pays d’Europe centrale et orientale. La menace pesant sur les exportateurs français conduit à la création, à la fin de 1931, d’un Office de compensation, qui prélude à la négociation de nombreux accords de clearing avec les pays à contrôle des changes. On entre donc, à partir de 1931, dans l’ère du bilatéralisme et des discriminations, quantitatives et qualitatives, en matière de commerce extérieur. En fait, les gouvernements français n’ont fait que prendre acte de l’éclatement du commerce mondial, doublement brisé par la dévaluation de la livre sterling, et l’apparition du contrôle des changes dans une bonne partie de l’Europe continentale. Désormais, du fait de l’isolement relatif du marché national, l’exécutif a la redoutable responsabilité de définir une politique des échanges commerciaux. En effet, les Chambres n’ont pas même été sollicitées : le principe des contingentements, des surtaxes de change et des accords de clearing a été établi par décret (les contingents eux-mêmes étant fixés par arrêtés, les surtaxes et accords de clearing par accords négociés). Il faut aussi rattacher à cet ensemble la loi du 11 août 1932, qui autorise le ministre du Travail à définir, par décret, le quota de travailleurs étrangers par branche, sorte de contingent indirect à l’immigration.
3. Les premiers pas de l’Économie nationale.
13Les interventions suscitées par les contraintes intérieures et internationales conduisent à infléchir la configuration de l’appareil économique administratif. Jusqu’en 1930, le ministère des Finances conserve sa prééminence. En son sein, domine la fidélité à l’orthodoxie étroitement financière du xixe siècle, incarnée par ses deux principales directions, le Mouvement général des Fonds et le Budget. Parmi les ministères « techniques », celui de l’Agriculture, dont le titulaire depuis 1919 est souvent un radical, pèse d’un poids politique non négligeable, mais se fait davantage l’avocat de la paysannerie que le promoteur d’une politique économique nationale. Quant au ministère du Commerce et de l’Industrie — fondé en 1886 — ses fonctions s’attachent surtout à préparer et suivre les accords commerciaux (nom d’une de ses principales directions), tendance qui s’accentue avec la crise, comme on vient de le voir. Toutefois, une timide innovation intervient, en février 1930, sous le cabinet André Tardieu : la création, non pas d’un ministère, mais d’un « sous-secrétariat d’État de la présidence du Conseil, chargé de l’Économie nationale ». Placé d’abord sous l’autorité de André François-Poncet, le service change souvent de titulaire, de 1930 à janvier 1934 : Claude-Joseph Gignoux, Maurice Petsche, Raymond Patenôtre,
14Maxence Bibié, de nouveau Raymond Patenôtre14. Mais les cadres techniques, sous la direction de Paul Devinat, demeurent les mêmes. Malgré les intentions ambitieuses proclamées par son créateur, les réalités sont beaucoup plus modestes. Bridé par des moyens matériels et financiers rudimentaires, par un personnel qualifié très limité et peu valorisé par une fonction assez périphérique, ce service assume des fonctions restreintes15. Paul Devinat est chargé de pourvoir la documentation et l’information du Président du Conseil et de son sous-secrétaire d’État par un rapport mensuel, des notes et rapports ad hoc. Mais il ne dispose d’aucun service d’élaboration de statistiques et, même pour des enquêtes ou vérifications techniques, il doit s’assurer le concours de services extérieurs. On reviendra sur cette indigence statistique. Pierre Couty s’occupe plus particulièrement du secrétariat de toutes les commissions interministérielles intéressant l’économie nationale, en particulier le Conseil supérieur de la Main-d’œuvre ou la Commission des grands Travaux contre le chômage. Georges Vacquerie effectue la liaison entre les différents ministères économiques pour l’étude des problèmes internationaux, et, entre autres, pour la commission économique franco-allemande. Mais la « protection de la main-d’œuvre et de l’industrie nationale (...) est rapidement devenue [l’activité] la plus importante du fait, notamment, des circonstances économiques qui ont multiplié les demandes de protection de notre industrie nationale » : l’action du sous- secrétariat consiste surtout, dans un premier temps, à « limiter dans toute la mesure du possible les achats de produits et de matériaux étrangers par les administrations publiques »16. Il opère dans ce sens par circulaires, à partir de la fin de 1930, sans utiliser aucun texte réglementaire, pas même des arrêtés, afin d’éviter des mesures ouvertes d’exclusion pouvant attirer des « mesures de représailles toujours fâcheuses »17. Bien loin de définir une politique économique générale, le service de l’Économie nationale a eu, de fait, comme première raison d’être de faciliter la mise en place d’un protectionnisme occulte dans les commandes publiques.
4. Sur la route de la déflation.
• La politique de l’« ajustement » et ses contraintes.
15Avec un certain déphasage par rapport à l’évolution des revenus privés — en particulier les profits — l’État renoue avec les déficits budgétaires, à partir de 1930-31 (cf. tableau 1, ci-dessous). Louis Germain-Martin, ministre des Finances en 1930, puis en 1932 dans le gouvernement Herriot issu des élections (où le Néo-Cartel l’emporte), écrit, en 1936, que la continuité de la politique financière, des élections de 1932 à celles de 1936, repose sur certains principes énoncés par lui, dès le 20 mars 1932, dans une note transmise au président du Conseil. Il y affirme notamment la nécessité « de procéder sans délais à un ajustement de la recette et de la dépense »18. Or, il apparaît que, si pendant les quatre années de cette législature, la résorption du déficit a été la préoccupation principale des ministres de la rue de Rivoli, l’équilibre, tel un mirage, s’est évanoui chaque fois qu’on croyait l’atteindre. Par le jeu des moins-values de recettes et de l’accroissement des charges, le déficit se perpétue dans les comptes définitifs, même s’il a été éliminé, sur le papier, dans les budgets votés.
16Le même Germain-Martin met en évidence la « ruée vers la dépense » des gouvernements de droite des années 1929-30, du fait de l’illusion des excédents des quatre années précédentes19. Le total des dépenses votées s’élève de près de dix-sept milliards de 1926 à 1930 : un certain nombre d’entre elles (allocation du combattant, défense des frontières par les travaux de la ligne Maginot, plan Tardieu...) vont peser sur les budgets ou sur le Trésor dans les années suivantes. Et le déphasage entre les recettes, largement fondées sur le revenu national, et les dépenses, dont l’inertie résulte de décisions antérieures, se manifeste dès 1930, année où le revenu des Français décroît, alors que les dépenses budgétaires continuent de s’élever : dès lors, on entre dans l’« ère des déficits »20. La tâche du ministre des Finances consiste alors à résorber le déficit budgétaire, jugé doublement néfaste, du point de vue financier comme monétaire.
• Le déficit et la trésorerie.
17Le premier effet néfaste d’un déficit trop élevé — les services du Mouvement général des Fonds l’estiment à dix milliards annuels pour les exercices (chevauchés) de 1931-32, soit entre un quart et un cinquième des masses budgétaires — consiste à rendre difficile la situation de la trésorerie. Car, outre le déficit budgétaire, le Trésor doit faire face au financement des charges anciennes de la Première Guerre mondiale et de ses suites — à travers l’amortissement de la dette publique — et des charges récentes de la crise — par les avances aux réseaux de chemins de fer, à diverses collectivités, aux organismes de secours de chômage, par les interventions sur les marchés agricoles... De ce point de vue, l’interventionnisme protecteur, inauguré par les gouvernements de droite, avant la victoire du Néo-Cartel de 1932, rend encore plus malaisé l’« ajustement de la recette et de la dépense ».
18Pour parvenir à l’« ajustement », il paraît aussi malaisé de comprimer les charges que d’accroître les ressources. Parmi les charges les plus pesantes, figurent celles de la Dette. Louis Germain-Martin décide et fait approuver, le 17 septembre 1932 — par 540 voix contre 48 à la Chambre et 275 contre 8 au Sénat — une conversion de la dette, en fait préparée sous la législature précédente, portant sur quatre-vingt-cinq milliards (dont quarante-et-un milliards souscrits avant la stabilisation de 1928, à des taux élevés). Mais le gain net pour le budget de 1933 n’atteint pas 1,5 milliard : bien qu’on ait parlé de réussite technique, et même si l’amortissement de la dette publique est réduit de moitié en 1933 par rapport à 1932, cela ne peut suffire à assurer une gestion paisible de la trésorerie21. Les autres compressions de dépenses peuvent porter sur le soutien à diverses activités ou sur le train de vie de l’État : encore faut-il que la majorité parlementaire s’y plie.
19Quant aux ressources, il paraît également malaisé de les accroître sensiblement. L’aggravation des moins-values fiscales incite peu les responsables à alourdir fortement les impôts, dont l’assiette est d’ailleurs jugée trop étroite. Le marché financier est déjà très largement sollicité par les emprunts de l’État, qui attirent la plus grande part de l’épargne non thésaurisée. Reste le marché monétaire, auquel le Trésor est contraint de faire appel, afin de faire face aux basses eaux, en particulier au premier semestre. Mais cela implique des relations confiantes avec les établissements bancaires et des disponibilités suffisantes de leur part.
• La déflation impossible.
20Après la chute du gouvernement Herriot sur les dettes de guerre, six ministères successifs, dirigés par des radicaux, succombent à la suite du refus du Parlement de suivre le gouvernement dans la politique « d’ajustement de la recette et de la dépense ». Après un éphémère gouvernement Paul-Boncour — dans lequel Henry Chéron est ministre des Finances — c’est Georges Bonnet qui s’installe rue de Rivoli, et y demeure une année (31 janvier 1933-21 janvier 1934), malgré l’usure de trois gouvernements (Édouard Daladier, Albert Sarraut, Camille Chautemps), et le sacrifice, à chaque crise, de son ministre (radical) du Budget (Lucien Lamoureux, Abel Gardey, Paul Marchandeau). Dès le début de 1933, la situation de la trésorerie est délicate. Le budget, qui est voté seulement le 31 mai, laisse apparaître un déficit de huit milliards, réduit à 3,6 dans la loi de Finances. Mais le Trésor lui-même doit trouver onze milliards, grâce à des économies et à des aménagements fiscaux. Le 9 mars, Georges Bonnet obtient une autorisation d’émission d’emprunt pour dix milliards. Le produit ne dépasse guère cinq milliards : il faut solliciter, au titre du réseau du chemin de fer de l’État, le marché hollandais, et, en avril, emprunter trois milliards — à 2 1/2 % pour trois mois renouvelables — auprès d’un groupe de banques anglaises. Mais, en septembre, le déficit budgétaire prévisible pour 1934 s’élève à six milliards. Les compressions ne peuvent plus alors porter que sur les traitements des fonctionnaires et les pensions, « toxines mortelles » (Louis Germain-Martin) pour des gouvernements radicaux à soutien socialiste. Ainsi, périssent, à propos de leurs projets financiers, les gouvernements Daladier (24 octobre) et Sarraut (26 novembre) et, avec eux, la majorité fragile du Néo-Cartel22.
21Au total, depuis les élections de 1932 jusqu’à la fin de 1933, les efforts de compression des dépenses et d’accroissement des recettes ont porté sur dix milliards. Et, cependant, du fait des moins-values de recettes et de l’accroissement des charges, la perspective minimale pour l’année 1934 est celle d’un déficit budgétaire de six milliards. Malgré le vote du projet de redressement de Chautemps, sa chute, à la suite de l’Affaire Stavisky, retarde l’adoption du budget.
22Le marché financier est largement sollicité en 1933, et le marché monétaire, lui aussi, est tendu : la circulation des bons passe de 13,5 milliards en octobre à 10 milliards en décembre. En janvier 1934, il y a pour plus d’un milliard d’excédents de remboursements. Or, il apparaît que les besoins de trésorerie, outre le déficit budgétaire, vont être très importants en 1934, du fait d’échéances massives (notamment les bons Clementel 1924) en octobre, pour près de huit milliards. Le 23 décembre 1933, le Parlement a autorisé l’émission de dix milliards de bons du Trésor pour alléger la dette flottante, ainsi que celle d’obligations du Trésor, pour couvrir les échéances d’octobre. En janvier 1934, Georges Bonnet émet un emprunt, qui apporte quatre milliards, pratiquement épuisés en un mois. En février 1934, l’effritement de la « confiance » se manifeste par des remboursements de bons du Trésor et de la Défense nationale pour plus d’un milliard, des retraits des Caisses d’Épargne pour près de 400 millions. La baisse des rentes traduit la défiance. De septembre 1933 à mars 1934, l’indice général des valeurs à revenu fixe passe de 82,1 à 77,2, pendant que le taux de capitalisation monte de 5,45 % à 6,32 %23. Cette évolution crée une tension générale sur le marché des capitaux, et une élévation du taux d’intérêt à long terme.
5. Déflation et « défense du franc » : le traumatisme de la « farce » de Londres (juillet 1933).
23Le déficit budgétaire peut engendrer des effets psychologiques sur la confiance dans la monnaie, dans un régime de libre convertibilité et de libre circulation des capitaux. Or, aucun gouvernement jusqu’en 1936 ne souhaite toucher à la valeur du franc.
24Mais, dès 1933, la Banque de France — qui dispose, il est vrai, d’un taux de couverture de plus de quatre-vingts pour cent — perd 9,5 milliards d’or et de devises, dont 2,5 milliards d’or au premier trimestre, et près de cinq milliards dans les quatre derniers mois. Certes, au milieu de l’année, l’encaisse augmente de 1,8 milliard, la chute du dollar faisant de Paris un refuge. Ainsi, dès l’annonce de l’abandon de l’étalon-or par le dollar, l’encaisse de la Banque de France est soumise à une double pression contradictoire : les entrées d’or résultent du désordre monétaire international, alors que les sorties sont tributaires d’inquiétudes nationales, en particulier à l’égard du déficit budgétaire. Et, depuis la Conférence de Londres, un nouvel objet d’inquiétude provient de l’échec de la stabilisation internationale des monnaies.
• Roosevelt torpille la Conférence de Londres.
25Depuis la dévaluation de la livre sterling (septembre 1931) et l’abandon de l’étalon-or par le dollar (avril 1933), le souci majeur des responsables français demeure d’obtenir la stabilisation monétaire internationale, comme préalable à la reprise économique. Mais une telle éventualité dépend largement de l’issue du duel entre les monnaies anglo-saxonnes, dont on connaît bien les péripéties24. À la Conférence de Lausanne (juin 1932) qui, passant outre la position isolée de la France, décide de réduire à une somme symbolique les réparations allemandes (3 milliards de marks- or), il est convenu du principe d’une Conférence économique internationale. Deux réunions d’une Commission préparatoire se tiennent à la fin de 1932 et au début de 1933. Le divorce est net entre la position française — stabiliser d’abord les monnaies, libérer ensuite les échanges commerciaux — et la position britannique — redistribuer l’or et libérer les échanges avant de stabiliser la livre. Le désaccord reflète chez les responsables respectifs des hantises opposées, liées elles-mêmes à des expériences récentes antagonistes : pour les Britanniques, la douloureuse politique de déflation des années 1920 reste en mémoire alors que, chez les Français, la crainte dominante, appuyée sur les souvenirs de l’inflation antérieure à la stabilisation de 1928, demeure celle d’une dépréciation du franc, qui ne puisse être maîtrisée. Et, à ce moment, malgré des désaccords sur les dettes, Paris et Washington — il s’agit encore de l’Administration Hoover — semblent s’accorder pour le préalable d’un retour à la stabilité monétaire : « Les États-Unis étaient fermement attachés à l’or, en détenaient abondamment en réserve et étaient dirigés par des hommes pour qui le métal jaune était sacré »25. Mais l’arrivée de Roosevelt et l’embargo sur l’or semblent indiquer des infléchissements à Washington, et même compromettre la tenue de la conférence, le Thomas Act offrant au Président américain la faculté de dévaluer le dollar jusqu’à cinquante pour cent26. Roosevelt donne, au début de juin 1933, l’impression de vouloir stabiliser le dollar et fait maintenir la Conférence, qui se déroule à Londres, du 12 juin au 27 juillet 193327. Il était évident que la position américaine serait déterminante : or, la délégation de Washington, conduite initialement par Gordell Hull et James M. Cox ne dispose pas d’un mandat clair. Il se mène au même moment, dans l’entourage de Roosevelt, un débat entre les partisans de la monnaie saine (Dean Acheson et James Warburg, conseillers au Trésor, Lewis W. Douglas, directeur du Budget) et ceux qui s’y opposent pour élever les prix, tel Henry A. Wallace. Georges Bonnet, qui dirige la délégation française, parle d’une « réunion qui tourne à la farce », lorsque la délégation américaine, après avoir accepté à deux reprises (d’abord par Cordell Hull, puis par Raymond Moley, chef du brain-trust de Roosevelt, envoyé spécialement par celui-ci à Londres, au milieu de la Conférence) le principe de la stabilisation, se trouve placée, le 3 juillet, devant le fait accompli d’un message du Président américain, violemment hostile à la stabilisation immédiate du dollar, « expérience purement artificielle et temporaire »28. Il est vrai que la première position américaine a entraîné une baisse des valeurs à Wall Street. Au même moment, Georges Bonnet affirme avoir pris l’initiative de constituer le Bloc-or avec la Suisse, la Belgique, la Hollande et l’Italie, bientôt suivies par la Tchécoslovaquie et la Pologne : ce même 3 juillet, ces gouvernements publient une déclaration confirmant « leur volonté formelle de maintenir le libre fonctionnement de l’étalon-or dans leurs pays respectifs aux parités-or actuelles »29.
26Le torpillage de la Conférence de Londres, aggravant la balkanisation monétaire, va peser durablement sur l’état d’esprit des responsables français, et les confirment, au moins jusqu’au début de 1935, dans la volonté de maintenir le franc dans le Bloc-or, afin de le préserver de la « sarabande monétaire »30, vers laquelle ils redoutent que les fluctuations du dollar ne l’entraînent.
• La dévaluation triplement inopportune.
27Georges Bonnet prétend qu’une dévaluation à ce moment eût été triplement inopportune. Tout d’abord, une certaine reprise se manifeste depuis juin 1932, et ne s’inverse qu’un an plus tard. Or, la politique américaine laisse présager une augmentation du cours des matières premières. Ensuite, Emmanuel Mönick, alors attaché financier aux États-Unis, prévient le ministre des Finances, en octobre 1933, que Roosevelt veut « éviter à tout prix » une baisse du franc, qui pourrait entraîner une hausse du dollar. Ainsi, après la Conférence de Londres en juillet, Roosevelt en octobre « n’hésiterait pas davantage à torpiller notre éventuelle dévaluation monétaire parce qu’elle gênerait son expérience en cours »31. Enfin — argument durable — il n’est guère concevable d’envisager une opération monétaire, alors que la situation de la trésorerie est préoccupante. Le redressement financier apparaît comme un préalable, afin d’éviter une éventuelle panique monétaire. D’ailleurs, si cette politique commence à être contestée par la SFIO, elle n’est pas mise en cause, dans son principe, par la plupart des hommes du centre et de la droite, Paul Reynaud compris. Peu après l’échec de la Conférence de Londres, ce dernier écrit : « La situation technique du franc est tellement exceptionnelle que si nous faisons à temps une politique assez énergique, nous sommes certains d’éviter la catastrophe sociale que représenterait pour notre peuple déjà si éprouvé par une cruelle amputation du franc, une nouvelle dépréciation de sa monnaie »32. Mieux, il reproche au gouvernement Chautemps de ne pas pratiquer une politique de déflation assez sévère. Comme il le répétera en 1936, la dévaluation ne saurait être une politique de facilité et ne peut épargner un vigoureux effort d’assainissement financier.
II. LA LOGIQUE DÉFLATIONNISTE (FÉVRIER-NOVEMBRE 1934)
28À la suite de la crise du 6 février 1934 et du retour de la droite au pouvoir, une politique plus systématique de déflation peut se mettre en place. Mais, au-delà même d’une nouvelle direction de l’économie et des finances, il s’agit d’une véritable Réforme de l’État qui est tentée.
1. Les décrets-lois Doumergue et la réforme fiscale Germain-Martin (avril-juin 1934).
29Lorsque le gouvernement de « trève » se constitue — réunissant les adversaires de la veille, radicaux et modérés — formé par Gaston Doumergue, Louis Germain-Martin retrouve la rue de Rivoli et, on l’a vu, une situation financière difficile.
• Les décrets-lois et les banques.
30D’après le directeur du Mouvement général des Fonds, Yves de Boisanger, les échéances se montent à six milliards jusqu’au mois de juillet, et le produit de l’emprunt de janvier a été presque épuisé. Le ministre des Finances recourt à des « moyens de fortune », en particulier auprès de la Caisse des Dépôts. Le premier soin du ministre, en effet, a été de réunir les banques, qui l’assurent d’un concours ne dépassant pas un milliard et, en retour, réclament un approfondissement de la politique d’« ajustement de la dépense ». Quelques mois plus tard, Louis Germain-Martin souligne, avec une insistance destinée sans doute à amoindrir sa responsabilité, l’influence des dirigeants des grands établissements de crédit, dont il est alors le solliciteur, dans les décisions de radicalisation de la déflation : « Et elles [les banques, MM] insistaient sur la nécessité de réaliser, au plus tôt, un équilibre budgétaire sincère, qui parut capable de redresser la situation intérieure et extérieure, sur le plan psychologique (...) On ne répond pas aux supplications de tous les dirigeants de la Caisse autonome et de la Banque de France qui réclament l’assainissement pour sauver le crédit, par des méthodes de temporisation »33. Par rapport aux hésitations et compromis de 1932-33, le gouvernement est décidé à agir vite, en profitant des retombées du 6 février 1934 et du ralliement des radicaux à l’Union nationale. D’ailleurs, il obtient, le 19 février, une loi l’autorisant à faire adopter le budget par un vote unique des crédits en bloc, et non plus par chapitres : première dérogation... à la loi du 16 septembre 1871. Dix jours plus tard, le budget est voté, avec un léger déficit comptable (737 millions, pour quarante-neuf milliards de dépenses). Mais, peu après, Abel Gardey, à la Commission des Finances du Sénat, signale la surévaluation des recettes, pour plus de six milliards. Enfin, le gouvernement obtient, pour la première fois, une délégation de pouvoir du Parlement, à travers l’autorisation qui lui est accordée de prendre des mesures économiques par décrets, jusqu’au 30 juin 1934.
31Le contenu des « décrets-lois Doumergue » est bien connu. Les deux « trains » de décrets (4 et 14 avril 1934) devaient réduire les dépenses totales de quatre milliards (dont 2,6 pour le budget de 1934). La réduction de dix pour cent sur les crédits de personnel — qui doit entraîner la suppression de 30 000 emplois — n’atteint pas les chiffres espérés : ce sont d’ailleurs les ministères à gros effectifs — P.T.T., Défense, Éducation nationale — qui résistent le mieux, alors que de véritables économies ne peuvent porter que sur eux. À cela s’ajoutent des prélèvements — de cinq à dix pour cent — sur les traitements des fonctionnaires, sur les retraites et les pensions des anciens combattants. Toute compression de dépenses ordinaires, dans une conjoncture de crise, est nécessairement décevante, car elle ne peut compenser les moins-values fiscales qu’au prix de sacrifices très difficiles à faire supporter, quels que soient les arguments sur l’augmentation des revenus réels, du fait de la baisse des prix. D’ailleurs, les décrets-lois ne rapportent qu’une économie globale de 3,2 milliards, soit un milliard de moins que prévu, et à peine la moitié des moins-values de recettes pour 1934 (cf. tableau 1).
• Les « otages » et les « vampires ».
32La politique de compression des dépenses apparaît d’autant plus nécessaire, aux yeux des responsables des finances, que « la capacité contributive de la Nation avait atteint son extrême limite »34. Louis Germain-Martin estime que les prélèvements fiscaux sont passés, de 1928 à 1932, de 35 à 41,5 % d’un revenu national, qui lui-même régresse de plus d’un tiers35. Or, les charges fiscales sont « un des plus grands facteurs de la vie chère », qui ont empêché la baisse des prix de détail, à la suite de ceux des matières premières. Il fait d’ailleurs adopter une réforme fiscale en juin 1934, qui ne modifie pas radicalement le système français, mais allège le prélèvement.
33Les principes de la réforme s’appuient sur l’idée que la fiscalité directe est trop élevée, et, fondée sur une assiette trop étroite, favorise ainsi la fraude, la thésaurisation et — du fait d’impôts cédulaires jugés excessifs — constitue l’une des principales causes de l’élévation des prix français : « L’exiguïté de l’assiette de l’impôt cédulaire, tant sur les revenus du travail que sur les revenus agricoles, a transformé le régime conçu par M. Caillaux en un système de taxation de classe qui atteint surtout quelques otages (...) Les malheureux payants qui sont les détenteurs de patrimoines importants, mais surtout le milieu des affaires : industriels, commerçants, succombent, épuisés par les vampires, et la crise ne peut que s’aggraver »36. Aussi, les principaux éléments de la réforme consistent à réduire les taux de la cédule des bénéfices industriels et commerciaux (de quinze à douze pour cent), de l’impôt sur les salaires (de dix à six pour cent), et de l’impôt général sur le revenu (de trente-six à vingt-quatre pour cent), à supprimer la cédule des bénéfices agricoles et la taxe de luxe, ainsi qu’à abaisser les abattements à la base37.
34Ainsi, à côté des aspects financiers — bien connus — de la politique déflationniste, transparaît bel et bien une analyse économique de lutte anticrise — peu soulignée — qu’on qualifierait aujourd’hui de politique de l’offre.
• Une politique de l’offre.
35Pour Louis Germain-Martin, comme pour les plus hautes autorités financières d’alors (aux Finances ou à la Banque de France), la politique déflationniste est destinée à fournir des ressources et des facilités supplémentaires aux entrepreneurs privés, d’une triple manière. Tout d’abord, la réalité, comme la perspective d’allégements fiscaux doivent dégager des ressources pour la reprise : « Rien ne montre mieux le véritable aspect économique du bugdet (sic) de l’État qui tend, non pas à créer des richesses, mais seulement à les répartir. Ce qu’il faut avant tout rechercher, c’est le développement de la richesse, développement créateur des rentrées fiscales. Ce résultat est bien plus sûrement atteint en diminuant les charges qui pèsent sur les producteurs qu’en augmentant les allocations des parties prenantes du budget »38. De plus, la politique d’économies doit redonner confiance à l’épargne — détournée des placements par des prélèvements fiscaux jugés excessifs (dix-sept pour cent, pour l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières) —, remettre en circulation les milliards (estimés à une quarantaine) thésaurisés, et compenser, bien au-delà, les deux milliards de réductions des traitements et retraites.
36Second aspect : la déflation est nécessaire pour tenter d’obtenir la suppression du déficit, elle-même indispensable pour abaisser le taux de l’intérêt à long terme. En effet, malgré la grande masse de capitaux disponibles, le marché financier est très largement soumis aux valeurs d’Etat. Or, depuis 1932, les emprunts sont émis dans des conditions de plus en plus onéreuses : la baisse des rentes et la hausse du taux de capitalisation des valeurs d’État créent une tension générale sur le marché des capitaux. Ainsi, les taux d’intérêt s’élèvent et paralysent davantage les transactions (cf. tableau 2 ci-dessous).
37En janvier-février 1934, la situation paraît critique, aussi bien sur le marché monétaire (en trois mois, le taux des bons de la Défense nationale passe de trois à quatre pour cent ; l’intérêt des bons à un mois de un à deux pour cent) que sur le marché financier, où l’indice des valeurs à revenus fixe poursuit sa baisse. Le marché monétaire se dérobe même à la fin mars, et il faut placer pour 1,350 milliard de bons sur le marché hollandais, par l’entremise de la Banque Mendelsohn et de la Maison Lazard, et accepter une clause-or. Et, selon le ministre et la direction du Mouvement général des Fonds, il n’y avait alors aucune autre possibilité de placement39. À partir d’avril cependant, la situation s’apaise : deux emprunts, émis en juillet et en septembre, rapportent cinq et 8,750 milliards, dont neuf milliards d’argent frais (le solde étant constitué de bons Clementel et de deux milliards, permettant de réduire la circulation des bons du Trésor). Et, en septembre, lors de la préparation du budget de 1935, où les dépenses sont limitées à moins de quarante-huit milliards, le gouvernement espère contenir le déficit réel à deux milliards (du fait des moins-values de recettes) : « On paraissait sortir de la voie des emprunts à jet continu, cause de la hausse de l’intérêt »40.
38Enfin, la déflation ne repose pas seulement sur le souci de préserver les finances publiques, mais aussi le crédit privé. Louis Germain-Martin a eu l’occasion, lors de son bref passage rue de Rivoli à la fin de 1930, de procéder, à l’insu du Parlement, au renflouement par le Trésor de la Banque d’Alsace et Lorraine, et s’est félicité plus tard d’avoir évité à la France — avec son successeur Pierre-Étienne Flandin, qui vient en aide à la Banque nationale de Crédit et au Comptoir Lyon-Allemand — une crise bancaire à l’américaine. Or, lorsqu’il retrouve le ministère des Finances, en février 1934, le montant des dépôts à vue des grands établissements de crédit ont diminué de près de quinze pour cent, depuis l’automne 1933 : sept milliards ont été retirés en quelques mois. Ainsi, les banques sont conduites à maintenir des liquidités assez importantes, réduisant d’autant les possibilités de placement à long terme qui, faute d’une politique déflationniste, seraient encore amenuisées par les sollicitations du Trésor. Lors des premières décisions financières, le ministre songe aussi à éviter la crise du crédit privé — qu’il a lui-même contribué à atténuer en 1930 — comme d’ailleurs les dirigeants des banques le lui demandent : « Le déficit a dominé la volonté des Gouvernements qui se sont attachés à le réduire et qui estimaient qu’un déséquilibre budgétaire persistant devait fatalement aboutir au désordre, non seulement des finances publiques, mais des finances privées »41.
• La cohérence interne de la déflation.
39La déflation budgétaire n’est qu’un aspect — souvent seul évoqué — d’une politique financière et économique plus large. Elle est certes rendue nécessaire par le souci de rendre confiance dans le crédit de l’État, afin de solliciter l’épargne pour les besoins de Trésorerie42, mais elle est l’un des éléments d’une véritable déflation économique. Louis Germain-Martin en donne les différentes composantes, dès février 1934 : « Les faits qui expliquent la cherté de la vie en France : une protection agricole que la structure économique et politique du pays a imposée à tous les gouvernements ; une charge fiscale toujours croissante pour les entreprises et qui constitue un élément incompressible des prix de revient ; des charges sociales aggravées par le développement du chômage, une tendance des intermédiaires peut-être trop nombreux à prélever des bénéfices (...), la hausse graduelle du taux de l’intérêt dont les recours incessants de l’État à l’emprunt sont la cause »43. Vaste programme de déflation des coûts, qui se heurte à de nombreux obstacles, parmi lesquels le dernier mentionné — les besoins croissants de la trésorerie empêchant la baisse des taux d’intérêt — n’est pas le moindre, et rend compte, en partie, de l’acharnement à vouloir rétablir l’équilibre budgétaire, par la réduction des dépenses administratives. Il s’agit d’un programme qui rejoint les préoccupations du grand patronat. Un mois plus tard, René-Paul Duchemin, devant l’Assemblée générale de la CGPF, dénonce également la baisse insuffisante des salaires, et des frais généraux, une « fiscalité exagérée », et un loyer de l’argent double de celui pratiqué en Angleterre ou aux États-Unis. Les récriminations des chefs d’entreprise contre la fiscalité ne sont pas chose nouvelle44. Les difficultés de la trésorerie entraînent, de surcroît, des plaintes contre les appels réitérés de l’État au marché financier : « (Les) capitalistes cherchent (...) souvent de nouveaux capitaux et il est vrai qu’ils en trouvent peu, mais cette circonstance est due surtout à ce que l’État absorbe depuis deux ans tous ceux qui se présentent » (C. J. Gignoux)45.
40Cette déflation économique, dont la déflation budgétaire est le préalable indispensable, préluderait ainsi à un désengagement « libéral » de l’État : le retour à l’équilibre, la moindre pression sur le marché financier, la baisse des taux d’intérêt feraient disparaître la crainte d’un éventuel contrôle des banques. En outre, la réduction du « train de vie de l’État », y compris par la réduction des traitements, n’a pas seulement une portée financière, mais aussi une valeur d’exemple pour les entreprises, les incitant à une déflation des salaires. Socialistes et communistes ne manquent pas l’occasion de le souligner. Au lendemain du vote du premier train de décrets-lois, Léon Blum affirme que la déflation est une « position théorique »46.
2. Le rejet de la dévaluation et la politique du Bloc-or.
41On sait que, le 28 juin 1934, à la Chambre, Paul Reynaud, jusque-là fervent déflationniste, se prononce pour la dévaluation, et entreprend une campagne quasi pédagogique en sa faveur. Il demeure longtemps isolé, aussi bien dans les milieux politiques et parlementaires que dans ceux des affaires. Lui-même, dans ses Mémoires — et plusieurs auteurs à sa suite, en particulier Alfred Sauvy — tend à s’attribuer le monopole de la clairvoyance ou, tout du moins, de la connaissance de l’écart entre prix français et étrangers47. La politique résolue de déflation aurait-elle été adoptée dans l’ignorance quasi générale d’un tel fait ?
• La cohérence externe de la déflation.
42La différence entre prix français et prix mondiaux n’est pas inconnue, d’autant plus que, on l’a vu, la dévaluation de la livre sterling en septembre 1931 a été ressentie comme une agression, contre laquelle les premières interventions protectionnistes ont formé la riposte. Dès la fin de septembre 1931, Frédéric Jenny pose clairement les termes de l’enjeu économique externe de la déflation : « La répercussion du désordre monétaire sur le commerce international est de nature à les [les Français] alarmer plutôt qu’à les satisfaire. Pour pouvoir lutter, ils vont être obligés de réaliser par des mesures pénibles la compression des prix de revient qui s’effectuera automatiquement en Angleterre, du fait de la baisse du sterling »48.
43À la fin de 1933, après l’échec de la Conférence de Londres et le décrochage du dollar, le même observateur constate : « La France a le privilège peu enviable d’être aujourd’hui parmi les grands pays celui où les prix sont le plus élevés (...). La situation s’est complètement renversée depuis 1927. Alors qu’à cette époque le franc avait été visiblement fixé à un niveau plus bas que ne l’eussent permis le budget et les prix, ceux-ci sont maintenant trop hauts en comparaison de la valeur-or de la monnaie (...) Cependant la France ne peut se passer de son commerce extérieur. Moins dépendante du marché international que l’Angleterre par exemple, elle l’est en revanche beaucoup plus que d’autres pays, tels les États-Unis...49 ». À la fin de février 1934, à la suite d’un article de W. Lippmann, conseillant la dévaluation dans le New York Herald Tribune, Louis Germain-Martin réfute, lors du dîner annuel de l’Union syndicale des Banquiers, les arguments des « donneurs d’avis d’outre-atlantique »50. Une bonne partie des responsables politiques, y compris Paul Reynaud jusqu’au 28 juin 1934, rejette la dévaluation, sans pour autant nier le fameux écart de prix. Quelques jours avant le premier train de décrets-lois, Émile Buré justifie ainsi la déflation : « La déflation budgétaire doit naturellement entraîner la déflation des prix, si l’on veut que l’ordre public ne soit pas troublé (...) Nos prix sont maintenant en moyenne de 15 % plus élevés que les prix mondiaux en sorte que (...) la prime monétaire qui travailla pour nous jusqu’en 1929-30 travaille maintenant contre nous »51. Au même moment, René-Paul Duchemin, président de la Confédération générale de la Production française (CGPF), chiffre à 30 % l’écart entre prix français et prix mondiaux, dans son discours à l’Assemblée générale de l’organisation patronale. Le rôle des dévaluations anglo-saxonnes dans la surévaluation des prix français n’est pas ignoré. C’est même l’objet de la principale justification des aspects extérieurs de la déflation. Dès le 12 février 1934, Frédéric Jenny écrit : « Il faudra s’attaquer à l’ensemble du problème économique et financier (...) dont la gravité réside dans le maintien, en France, d’un niveau des prix notamment supérieur à celui qui existe dans la plupart des pays étrangers. Problèmes de déflation, par conséquent [souligné par nous] dont une solution rationnelle est la condition absolue du relèvement de nos échanges extérieurs, donc de l’atténuation d’un déficit commercial qui deviendrait à la longue (...) un sujet de préoccupations monétaires plus sérieuses que celles qu’a suscitées la dévaluation du dollar »52. R.-P. Duchemin, lors du discours cité, évoque bien l’alternative, à propos de l’expérience Roosevelt : « La dévaluation du dollar (...) en déchargeant les débiteurs par le sacrifice des créanciers (a évité) (...) une politique de large déflation avec l’accroissement du chômage, les ruines et les réactions brutales qu’elle pouvait entraîner »53. Frédéric Jenny résume l’enjeu économique international de la déflation, qui doit parvenir aux mêmes effets que la dévaluation : « Le déclin de notre commerce extérieur constitue (...) un danger économique (...) On ne l’écartera que par un rude effort d’adaptation, tendant à ajuster les prix de revient et par conséquent les prix de vente intérieurs au niveau mondial54 ».
44Au fond, les modérés au pouvoir, la plupart des économistes et le patronat raisonnent dans des termes similaires à ceux prononcés par Paul Reynaud à la Chambre, le 20 février 1934, lorsqu’il présente le « nivellement » des prix français comme le résultat soit de la dévaluation, soit de la déflation. Non seulement ce dernier n’a pas le monopole de la lucidité, mais dès avril 1934 — à un moment où Paul Reynaud soutient encore la déflation — Léon Blum dénonce le « fétichisme monétaire55 ». Alfred Sauvy cite Le Temps du 12 juillet 1934 pour conforter sa thèse de l’ignorance générale de l’écart des prix, alors que, dans le même quotidien, quelques jours plus tôt, on pouvait lire, à propos du fameux discours de Paul Reynaud : « On est pleinement d’accord avec lui [P. Reynaud] lorsqu’il insiste sur la nécessité de diminuer l’écart qui sépare nos prix intérieurs du niveau international et de relever ainsi notre capacité de concurrence sur le marché mondial56 » Ainsi, le ralliement à la déflation et le rejet de la dévaluation en 1934 ne s’opèrent pas par ignorance des réalités du commerce international, mais en connaissance de cause. Il reste à établir les raisons du refus d’une opération monétaire.
• Le rejet cohérent de la dévaluation.
45Il faut distinguer entre des motifs superficiels, de caractère moral, à destination de l’opinion, et des raisons plus profondes. Les premières ont été abondamment citées dans divers sottisiers du fétichisme monétaire57. Parmi les secondes, certaines sont d’ordre technique, d’autres relèvent d’une analyse socio-politique. Techniquement, la dévaluation s’opérerait, à la différence de celle de la livre, dans une période où les prix-or mondiaux sont à la hausse, et pour une monnaie qui, à la différence de la livre sterling ou du dollar, n’est pas internationale58. La plupart des observateurs en redoutent une hausse des prix peu maîtrisable, d’autant plus qu’il existe l’épée de Damoclès des milliards thésaurisés — estimés à trente par René-Paul Duchemin59 — qui pourraient se porter vers des valeurs réelles. La mention de la précédente dévaluation de 1928 ne résulte pas tant de la confusion entre dévaluation d’après-guerre et d’après-crise, comme l’affirment Paul Reynaud, et Alfred Sauvy à sa suite, que de la référence aux mécanismes, qui ont effectivement été à l’œuvre dans les années 1920, de fuite devant le franc — avant la dévaluation, mais qui pourraient, en 1934, se produire après — « dans un pays qui a fait à ses dépens son éducation monétaire »60. D’autre part, elle paraît contradictoire avec l’appel de plus en plus nécessaire à l’épargne, pour les besoins de trésorerie. C. J. Gignoux, directeur du quotidien patronal La Journée industrielle le formule ainsi : « ... l’État draine à l’usage de ses besoins journaliers la presque totalité des épargnes disponibles (...) Il se dispose à y faire appel de nouveau. Tel est le moment que l’on choisit pour toucher au franc »61. De l’allusion à la contradiction entre la dévaluation et les nécessités croissantes de l’emprunt, on glisse à l’argument essentiel, de caractère socio-politique. Louis Germain-Martin l’exprime, quelques jours après son arrivée rue de Rivoli, devant l’Union syndicale des Banquiers : « Aujourd’hui, une opération de même nature, même dans des proportions moindres, auraient pour résultat de spolier complètement les épargnants. Elle aurait les conséquences politiques et sociales les plus graves »62. Cette analyse est inlassablement répétée par les responsables administratifs et gouvernementaux, les représentants du mouvement patronal et les organes d’opinion, jusqu’à la fin de 1935 : « On rétablirait la situation financière en expropriant l’épargne, en réduisant traitements et salaires par le procédé hypocrite de l’amputation de la monnaie » (F. Jenny, Le Temps, 26 février 1934). « [les] pouvoirs publics se lanceraient dans une aventure dont les conséquences sociales seraient incalculables » (F. Jenny, Le Temps, 26 mars 1934). « On ne peut pas, dans la même décade, amputer sévèrement, à plusieurs reprises, l’épargne et toutes les valeurs fixes d’un pays » (La Journée industrielle, 5 avril 1934). « une nouvelle dévaluation du franc tuerait définitivement (l’épargne) » (C. J. Gignoux, La Journée industrielle, 26 avril 1934). Dans un pays où, contrairement aux États-Unis, l’endettement privé est peu important, mais où le principal débiteur est l’État, la dévaluation est rejetée, en dernier ressort, par appréhension socio-politique : « Une nouvelle amputation du franc (...) comportant une nouvelle spoliation de l’épargne, une nouvelle expropriation de tous les créanciers au profit de leurs débiteurs, un nouveau bouleversement des contrats, enfin de nouvelles privations et souffrances pour tous ceux qui vivent de salaires ou de revenus fixes, serait une aventure redoutable au point de vue social. Fort heureusement, elle apparaît politiquement impossible » (F. Jenny, « Dévaluation et inflation », Le Temps, 30 avril 1934). Quelques mois plus tard, René-Paul Duchemin reprend le même thème. Après avoir examiné les différents aspects du problème, il conclut : la dévaluation est « immorale » (« elle infligerait un nouveau sacrifice, parfaitement inique à tous les possesseurs de revenus fixes »), « dangereuse » (« l’État où nous vivons est-il si stable qu’il n’y ait pas un danger angoissant à se lancer, au point de vue social, dans une redoutable aventure ? »)63. Quelques jours plus tard, il affronte Paul Reynaud, lors d’une double conférence, organisée par X-crise, où il reprend tous les arguments antidévaluationnistes — y compris par l’affirmation que le commerce extérieur français se défend mieux que celui de la Grande-Bretagne ou des États-Unis. Il met le doigt sur une des faiblesses du raisonnement de Paul Reynaud, qui prétend à la fois que la dévaluation n’entraînera pas de hausse des prix et qu’elle soulagera les débiteurs64.
46La surélévation des prix français était donc connue, mais, à tort ou à raison, les risques socio-politiques de la dévaluation ont été jugés supérieurs à ceux de la déflation, à la fois par les autorités administratives, patronales et politiques.
• Le refus d’une dévaluation isolée.
47Depuis le « torpillage » de la Conférence de Londres, les responsables français sont prévenus, quant aux réactions imprévisibles de Washington. Louis Germain-Martin parle « de démarches discrètes », par l’intermédiaire des attachés financiers, auprès des trésoreries américaine et britannique65. Mais, jusqu’à la fin de 1934, aucune assurance ne peut être donnée, quant à la stabilité du dollar et de la livre, dont le duel entretient la « sarabande monétaire ». Le préalable pour les responsables français demeure, comme en 1933, la stabilisation internationale des monnaies. Emmanuel Mönick, désormais attaché financier à Londres, à travers ses conversations avec Frederick Leith-Ross, conseiller économique, montre combien l’idée d’une négociation internationale de stabilisation, malgré un regain de faveur, dépend d’une volonté d’armistice entre les deux devises. Dès novembre 1934, il explique que Londres ne peut accepter un relèvement de la livre par rapport au dollar (pas plus de 4,50 $), déjà considéré comme sous-évalué : toujours la hantise d’un retour à la déflation des années 1925 à 1931 ! L’expert britannique souligne d’ailleurs la contradiction entre déflation et démocratie : « Une politique un peu accentuée de déflation des prix n’était pas applicable en Angleterre, pas plus d’ailleurs (...) que dans tout autre pays de libre démocratie »66. Tout en convenant que la livre est sous-évaluée par rapport au Bloc-or, Londres ne peut admettre qu’un ajustement monétaire en Europe désavantage la livre par rapport au dollar, les deux monnaies étant engagées dans une dépréciation compétitive. Il conclut ainsi son entretien : « Ce sont les forces économiques qui, semble-t-il, auront le dernier mot »67. Dans l’incertitude quant à l’évolution des deux grandes monnaies, les responsables français ne peuvent imaginer une dévaluation isolée du franc, qui pourrait ne pas être définitive, puisqu’ils ne peuvent obtenir la garantie d’une stabilité des parités de la livre et du dollar : « En son absence, l’opinion française n’aurait pas accepté la proposition de dévaluation »68. Et, dans la situation difficile où se trouve la trésorerie, qui — dès 1933-34, on l’a vu — doit attirer l’épargne par des émissions de plus en plus onéreuses pour le Trésor et solliciter des capitaux sur les places étrangères, l’incertitude monétaire, qui résulterait d’une dévaluation, apparaît comme un facteur d’aggravation des difficultés financières.
48Cette position des responsables français intègre le double affaiblissement, financier et international, de la France, qui n’est plus totalement libre de décider du moment, ni de l’ampleur d’une éventuelle modification de la parité du franc.
• La politique avortée du Bloc-or.
49À la suite de l’accord du 3 juillet créant le Bloc-or, quelques tentatives sont effectuées pour compléter la solidarité monétaire par une collaboration commerciale. La liste des pays membres contient, en effet, certains des principaux partenaires de la France : la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas sont respectivement premier, quatrième et cinquième clients, et représentent environ un tiers des exportations françaises. L’initiative en revient à plusieurs Chambres de Commerce ; une réunion préparatoire des Six (France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Italie) se tient à Genève, puis une commission se réunit à Bruxelles, les 19 et 20 octobre, sous la présidence de M. Jaspar. Les procès-verbaux des réunions signalent la présence, du côté français, de Bonnefon-Craponne, directeur des Accords commerciaux au ministère du Commerce, Renon de La Baume, sous-directeur des Affaires politiques et commerciales au Quai d’Orsay, Paul Devinat, directeur de l’Office de Compensation, Jacques Rueff, directeur-adjoint du Mouvement général des Fonds (chargé des Finances extérieures), Maxime Robert, directeur de l’Office du Tourisme. Robert Coulondre, directeur- adjoint des Affaires politiques et commerciales au Quai d’Orsay, suit l’affaire pour le ministre et lui accorde une grande importance69. Un protocole, signé le 20 octobre 1934, consigne comme « désirable » d’accroître de dix pour cent le volume global des échanges internes au Bloc-or, et fixe une série de négociations bilatérales qui, dans un délai d’un an, devront aboutir à des accords. En outre, sont constitués des sous-comités pour le tourisme et les transports. À la fin de 1934, ces décisions limitées obtiennent le soutien de milieux industriels et commerciaux, en particulier la Chambre de Commerce de Paris70.
50Les négociations échouent. La France a proposé à Bruxelles l’adoption de tarifs préférentiels. Mais la Belgique refuse — et il fallait craindre des représailles anglo-saxonnes. Depuis, Lucien Lamoureux, ministre du Commerce, l’un des initiateurs de la réunion, est hostile à toute réduction tarifaire pour les produits belges. De toute façon, comme l’indique Robert Coulondre, le système des contingentements est tellement poussé dans les États du Bloc-or que la préférence tarifaire aurait peu d’effet71. Restait l’élargissement des contingents. On entre alors dans les marchandages bilatéraux : la France propose un supplément de quatre-vingt-dix millions de francs à la Belgique (soit huit pour cent du total), qui refuse. Un accord est péniblement trouvé pour vingt millions (deux pour cent). Mais aucune possibilité d’extension ne se dessine ni avec l’Italie, repliée sur elle-même pour sauver la lire, ni avec les Pays-Bas, dont les exportations agricoles sont vitales.
51Georges Bonnet exagère et anticipe largement, lorsqu’il écrit (en 1969) que le Bloc-or a constitué « le début des États-Unis d’Europe »72. Son potentiel économique, même en y adjoignant les diverses colonies, n’était pas assez puissant pour s’imposer face au bloc sterling et, déjà, à la fin de 1934, on parle de dévaluation à Bruxelles. En outre, les marchés des différents États apparaissent souvent plus concurrents que complémentaires. Il n’empêche que, pour des raisons de proximité géographique et de tendances durables dans les courants commerciaux, ces États, malgré l’importance des difficultés à aplanir, ne pouvaient s’ignorer, dans l’hypothèse d’une coopération commerciale : des études sont conduites au sein du Comité économique de la SDN pour analyser la puissance et les caractéristiques commerciales du Bloc-or73. Ces réflexions, même avortées, ont laissé quelques traces au ministère du Commerce. Et Hervé Alphand, désigné par Georges Bonnet en 1932 pour faire partie (avec Robert Coulondre) de la délégation française à Stresa, puis principal négociateur des accords commerciaux, lorsque ce dernier devient ministre du Commerce du gouvernement Laval, devait jouer un rôle important dans les réflexions (durant la guerre) et les premières réalisations (après la guerre) de coopération commerciale européenne, où d’ailleurs vont se retrouver plusieurs des anciens partenaires du Bloc-or.
3. Un État fort pour une politique libérale ?
• La réforme de l’État, complément de la déflation.
52La plupart des auteurs ont souvent analysé séparément la politique de déflation et les débats institutionnels. Or, la « réforme de l’État » apparaît comme le complément logique et chronologique de la politique déflationniste. L’occasion semble venue, avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de « trêve » et d’Union nationale, dirigé en titre par Gaston Doumergue, mais largement inspiré en fait par les idées d’André Tardieu, ministre d’État, de combiner un désengagement de l’État sur le terrain économique et financier à un renforcement institutionnel de l’exécutif74.
53Chronologiquement, la « réforme de l’État » est mise en chantier à la Chambre, quelques jours avant l’adoption du premier « train » des décrets-lois déflationnistes du 4 avril 1934. Le député de Belfort propose un projet cohérent, comportant une série de remèdes à administrer par voie de révision constitutionnelle, seule thérapeutique « durable » : donner à l’exécutif seul le pouvoir de dissoudre la Chambre, retirer aux députés l’initiative des dépenses budgétaires, supprimer toute forme d’action syndicale aux fonctionnaires, introduire le référendum et le vote des femmes. Logiquement, la « réforme de l’État » est présentée par les principaux responsables politiques comme le complément indispensable de la déflation. En septembre 1934, Louis Germain-Martin, ministre des Finances, confie : « Nous attendons l’équilibre (...) de la renaissance de la vie économique favorisée par une réforme profonde de l’État »75. Mieux, plusieurs observateurs ou responsables affirment que la réforme de l’État constitue un préalable nécessaire à toute réorganisation économique ou financière. C. J. Gignoux précise : « Nous sommes portés à croire que les intérêts économiques les plus divers parviennent aujourd’hui à s’exprimer sans trop de peine. Nous ne croyons pas (...) qu’il y ait sujet de beaucoup ajouter aux procédés existants, mais nous croyons qu’il y a lieu d’y mettre de l’ordre (...) la restauration de l’autorité gouvernementale doit précéder (...) le perfectionnement de tels ou tels organismes consultatifs »76. Seul un exécutif renforcé peut mettre à la raison les « fonctionnaires budgétivores », et en finir avec la « sportule électorale », le « pillage du budget », le « chantage électoral » et le « chantage législatif ». Le Comité de Salut économique ajoute, dans la lettre que son président adresse à G. Doumergue : « Le redressement de la situation ne peut se faire sans que l’autorité d’un chef respecté impose à tous de lourds sacrifices »77. Les invectives de C. J. Gignoux contre le « socialisme larvé », « l’interventionnisme sournois et envahissant » de l’État se doublent, à l’été 1934, d’un appel pressant à Gaston Doumergue pour renforcer l’autorité gouvernementale par la réforme de l’État78. La réponse de l’État, en « libérant » l’exécutif de la pression parlementaire, devait faciliter la diminution des dépenses, en particulier celles destinées à maintenir le revenu des agriculteurs, ainsi que l’allégement des charges fiscales des entreprises — entrepris par Louis Germain-Martin dans la réforme fiscale de juin 1934. En restreignant l’expression syndicale des fonctionnaires, elle devait rendre plus aisée la réduction de leurs traitements. La cohérence interne de la déflation généralisée impliquait donc l’adoption des transformations institutionnelles par les deux assemblées.
• Une « belle occasion manquée79 » ?
54On sait que la réforme de l’État n’a pu aboutir et, au contraire, a entraîné la chute du cabinet Doumergue80. Outre l’opposition des partis ouvriers, Gaston Doumergue doit compter avec celle du Sénat et d’une partie importante des radicaux : à la fin octobre, la « motion nègre-blanc de Nantes », tout en acceptant une réforme permettant « d’assurer la stabilité ministérielle et d’obtenir un meilleur fonctionnement de l’État », se déclare hostile à des « mesures qui risqueraient de favoriser les entreprises du pouvoir personnel contre les libertés républicaines »81. André Tardieu révèle, quelques mois après l’événement, quel fut le relatif isolement du président du Conseil, lors de la présentation de son projet à l’équipe gouvernementale82.
• La signification de l’échec : « politique d’abord ».
55L’échec de la réforme entraîne la chute de Gaston Doumergue, et le replâtrage d’un cabinet de « trève », sous la présidence de P.-E. Flandin, où l’on retrouve Édouard Herriot, Pierre Laval, Louis Germain-Martin, Louis Marin, mais dont disparaissent le maréchal Pétain, qui refuse de conserver le portefeuille de la Guerre, et André Tardieu, officiellement malade. Ce dernier semble accuser, quelques mois plus tard, le nouveau président du Conseil d’avoir conspiré contre son prédécesseur, afin de reconduire l’Union nationale avec les radicaux, au prix du sacrifice de la réforme de l’État83. Paul Reynaud, dans ses Mémoires, accrédite la même analyse : « Flandin s’était mis d’accord avec les radicaux pour prendre le pouvoir, contre la promesse d’abandonner tout projet de révision constitutionnelle. C’était le prix qu’il s’engageait à payer84 » Que cela ait été prémédité ou non en accord avec les radicaux, il est vrai toutefois que P.-E. Flandin, une fois installé à l’Hôtel Matignon, renonce purement et simplement à la Réforme de l’État. C’en est fini... jusqu’à 1958 — si l’on excepte la parenthèse de Vichy — de toute procédure de renforcement de l’exécutif, engagée comme préalable à toute mesure d’envergure d’organisation étatique en matière économique et financière.
56À défaut d’une véritable réforme, P.-E. Flandin aménage, à la suite de son prédécesseur, une présidence du Conseil, dont le statut réglementaire apparaît dans un décret du 31 janvier 193585. Par une convention du 24 novembre 1934, elle a désormais un domicile fixe, l’Hôtel Matignon. La loi de finances du 24 décembre 1934 définit les services qui lui sont rattachés, dont en particulier, le Conseil national économique, le Conseil national de la Main-d’œuvre, la Statistique générale de la France. Ces quelques aménagements rendent ainsi officielle l’existence d’une présidence du Conseil, jusque-là officieuse : faible consolation pour les « révisionnistes » (mais initiative heureuse pour les historiens, qui peuvent bénéficier, à partir de 1934, du fonds F60 des Archives nationales, où les questions de direction économique occupent une place substantielle). Toutefois, les réflexions sur la réforme de l’État se poursuivent dans différents cercles, dont l’un des principaux est le Comité technique pour la réforme de l’État, présidé par J. Bardoux, membre de l’Institut, comprenant notamment des professeurs de la Faculté de Droit de Paris (J. Barthélémy, G. Gidel, J. Lafferière) ou de Lille (B. Lavergne), des auditeurs ou maîtres des Requêtes au Conseil d’État (MM. Alibert, Lambert-Ribot, Marlio, Pichon, Valensi) ainsi qu’E. Mercier et B. Mirkine-Guetzevitch86.
57L’échec et l’abandon de la réforme de l’État entraînent de fait une rupture au sein des modérés : les uns, tel Pierre-Étienne Flandin et Pierre Laval, acceptent la poursuite de la « trève », issue des lendemains du 6 février 1934, en échange de l’enterrement de la Réforme. D’autres, comme André Tardieu, principal leader des droites en 1932, refuse l’abandon de ce qu’il juge prioritaire. C’est là l’origine d’une dérive antiparlementaire, qui le conduira vers les ligues, témoignant ainsi de « l’emprise des extrémistes sur les modérés »87. Certains se retrouveront auprès du maréchal Pétain : deux des membres du Comité technique pour la réforme de l’État deviennent les premiers ministres de la Justice de Vichy, Raphaël Alibert (de juillet 1940 à février 1941) et Joseph Barthélémy (de février 1941 à mars 1943). Yves Durand a souligné la « similitude frappante » entre la législation de Vichy et les propositions émises dès 1934 par Jacques Bardoux88.
• André Tardieu et la dérive ligueuse.
58Quelques mois après son échec, à la fin d’avril 1935, André Tardieu ne cache pas son amertume, ni sa condamnation de la politique de P.-E. Flandin : il lui reproche de s’en tenir à l’« économique d’abord », au lieu d’affirmer « politique d’abord ». « Les pires troubles économiques peuvent être apaisés par un État fort, les plus modestes excédant les moyens d’un État faible89. » Le renforcement de l’État doit être le corollaire indispensable de son désengagement économique. Il déplore l’occasion manquée de liquider l’interventionnisme de l’État, que lui-même avait inauguré en 1930, et dénonce le compromis entre P.-E. Flandin et les radicaux : « À condition qu’on ne parle plus jamais ni de réforme constitutionnelle, ni de réforme électorale, la trève continuera. C’est un pacte d’assistance mutuelle, en vue d’une survie solidaire entre la Chambre et le gouvernement90. » Or, le parti radical « bourgeois par nature, extrémiste par alliance », symbolise à ses yeux l’État dispendieux : « Même aux heures où il s’efface du premier rang, il [le parti radical] excelle à garder (...) les postes où s’opère la distribution des prébendes : Intérieur, Agriculture, Commerce, Instruction publique91. » Désormais, le salut n’est plus dans l’« Union nationale ». P.-E. Flandin, en renonçant à la réforme de l’État, s’est fermé la voie. Il dénonce même les « chefs des ligues », qui ne furent pas moins « mous » au moment de la chute de Doumergue. Le remède se trouve, dès lors, dans l’action extraparlementaire. André Tardieu rompt avec la majorité des hommes de droite qui, eux, restent fidèles au système parlementaire et à ses contraintes. De même, ses références à l’étranger dissipent toute équivoque : « Si la Belgique, l’Angleterre, l’Espagne, les États-Unis ont sombré, avec nous, dans l’égoïsme matérialiste, ni l’Italie, ni l’Allemagne, nations plus jeunes, n’ont paru, dans les dernières années, participer à la routine imprévoyante et lasse, qui pèse sur la vie française et perdre le sens du collectif92. » Refusant de participer à l’éphémère gouvernement Bouisson, puis au gouvernement Laval, à l’été 1935, André Tardieu pense qu’en persistant dans l’immobilisme de la « trève », réplique de la « concentration » des années 1920, la France n’a le choix qu’entre une « catastrophe subie » ou une « révolution voulue ». Il ne veut plus être « ni président du Conseil, ni ministre, ni député », entreprend la rédaction de La Révolution à refaire — initialement prévue en cinq volumes, dont les deux premiers seulement paraîtront, Le Souverain captif en 1936, et La Profession parlementaire, en 1937 — où il dénonce les méfaits du parlementarisme : « Le régime parlementaire de la France contemporaine est l’ennemi de la France éternelle93. » Bien plus, c’est un réquisitoire argumenté contre « les idées de 1789 », la République, la « Chambre » et le « régime représentatif » et la « fiction de la souveraineté populaire », confisquée par « l’Église des comités et l’Église des partis, qui va dicter son Syllabus »94. Ainsi, c’est l’homme politique qui, à la présidence du Conseil, a « convié la France à une politique de prospérité » et a le mieux incarné le « mouvement de rénovation néo-capitaliste »95, inspiré de la rationalisation américaine, qui refuse toute intervention économique de l’État avant qu’il n’ait été profondément transformé et renforcé. Ce refus l’entraîne dans une dérive ligueuse. Dans un tout autre contexte, on va retrouver, après 1946 et jusqu’en 1958-62, chez le général de Gaulle et ses fidèles, ce souci du « politique d’abord », le conduisant à présenter la réforme constitutionnelle comme préalable à toute réflexion sur l’intervention de l’État et à se retirer des combinaisons parlementaires et gouvernementales, tant que l’exécutif n’est pas suffisamment renforcé à ses yeux.
59La logique interne de la politique de déflation supposait la mise en œuvre de la réforme de l’État ou, à tout le moins, une consolidation du pouvoir exécutif. Paul Reynaud, lors de son intervention à la Chambre, le 28 juin 1934 — dans laquelle il rend publique sa conversion pour la dévaluation — l’avait signalé : « La politique de déflation des prix suppose un pouvoir politique fort. M. Mussolini s’y est engagé. Il prend des mesures qui sont, il le reconnaît lui-même, des mesures cruelles. » Dès lors que, pour des motifs de majorité parlementaire, P.-E. Flandin renonce au « voyage à Versailles », la politique de déflation se heurte à un certain nombre de contradictions.
***
CONCLUSION DU CHAPITRE II
60La déflation ne répond pas, de manière exclusive, à des préoccupations étroitement financières. Elle est fondée sur les principes cohérents d’une authentique politique de l’offre, qui vise non seulement à « ajuster » les dépenses publiques aux recettes, mais à dégager des ressources pour les entrepreneurs privés, à leur faciliter l’accès au marché financier et à leur réserver le crédit.
61Mais cette politique de désengagement financier de l’État impliquait la fin, ou du moins l’atténuation, de l’interventionnisme en faveur des divers producteurs, notamment agricoles. Afin de désamorcer leur pression sur les gouvernants, seule une réforme de l’État pouvait rendre ces derniers moins tributaires de la pression des doléances sociales et des équilibres parlementaires. Ceci, d’autant plus que la discordance française en matière monétaire imposait un effort supplémentaire — perçu par les responsables — de déflation des prix.
62Mais, alors que sur le terrain financier, après le 6 février 1934, un certain consensus déflationniste s’est établi, de la droite aux radicaux, dans le domaine institutionnel, le clivage se déplace, du fait des réticences radicales à modifier le fonctionnement de la IIIe République. Ceux qui, à droite, souhaitaient renforcer l’État-gendarme pour échapper à l’État-Providence échouent devant les réflexes républicains. Dès lors, la direction de l’économie et des finances se trouve soumise à des contraintes nationales et internationales accrues.
63Le coût de l’interventionnisme fragmentaire, notamment en matière agricole, ajouté au poids des charges de la dette publique et aux moins- values fiscales résultant de la baisse d’activité entraîne, à partir de 1932, un déficit pour la trésorerie, qui ne laisse d’inquiéter les différents ministres des Finances. La droite, au pouvoir jusqu’aux élections de 1932, inaugure, malgré les proclamations libérales des ministres des Finances (Louis Germain-Martin en 1930, Pierre-Étienne Flandin en 1931-32) l’interventionnisme et le protectionnisme. Les radicaux du Néo-Cartel, victorieux en 1932, amorcent, malgré leur alliance avec la SFIO, la longue marche des économies budgétaires, non sans obstacles : de janvier 1933 à janvier 1934, quatre gouvernements se succèdent, dont trois (les cabinets Paul-Boncour, Daladier et Sarraut) tombent sur l’épineuse question du prélèvement sur les traitements de fonctionnaires. Instabilité plus apparente que réelle, comme en témoigne le maintien, rue de Rivoli, de l’orthodoxe Georges Bonnet sous les trois gouvernements de 1933, malgré le sacrifice de ses ministres du Budget (Lucien Lamoureux, Abel Gardey et Paul Marchandeau). Subtil chassé-croisé, où la droite ne peut ignorer la sollicitation des producteurs, notamment agricoles, et où les radicaux ne veulent pas paraître moins soucieux de rigueur budgétaire. Après le sang versé sur les pavés de la place de la Concorde, le 6 février 1934, la « trève » réunit désormais, jusqu’en janvier 1936, dans des ministères dits d’« Union nationale », radicaux et modérés. À partir de 1933-34 et de la rechute, propre à la seule France, dans la crise, les gouvernements amplifient les mesures de protection et, parallèlement, prennent des décisions financières qui, surtout à partir de l’été 1934, en viennent à définir l’amorce d’une politique économique globale, la déflation.
Notes de bas de page
1 Cf. Paul Delouvrier, Roger Nathan, Politique économique de la France (1929-1953), cours de droit, Institut d’Études politiques de Paris, Paris, 1954 ; Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, 4 volumes, Paris, 1965 à 1975 (bibliographie dans le tome IV) ; Fernand Braudel, Ernest Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, T. 4, second volume, Paris, 1980, en particulier tes livres II et III, rédigés par François Caron, Jean Bouvier et René Girauit (p. 633-821) ; François Caron, Histoire économique de la France, xixe-xxe siècles, Paris, 1981, (320 p.), p. 199 à 204 ; Richard F. Kuisel, Capitalism and State in Modem France, Cambridge, 1981, 342 p., trad. fr. Le capitalisme et l’État en France, modernisation et dirigisme au xxe siècle, Paris, 1984, 477 p. ; le n° 4 de la Revue Économique, juillet 1980 (les articles de Robert Frank, Jacques Marseille et Pierre Saly) ; Pierre Saly, La politique des Grands travaux en France, 1929-1939, New York, 1977 ; Robert Frankenstein, Le prix du réarmement français (1935-1939), Paris, 1982, 382 p. ; Julian Jackson, The politics of depression in France 1932-1936, Cambridge, 1985, 303 p.
2 Cf. notamment la Revue de Science et Législation financière et la Revue d’Économie politique.
3 Dans l’attente de sa thèse, cf. les travaux de Lucette Le Van-Lemesle sur l’enseignement de l’économie politique, notamment « La crise et l’enseignement de l’économie politique », Recherches et travaux, I, Université de Paris I, nov. 1982, p. 91-108. Louis Germain-Martin est l’auteur de nombreux ouvrages d’histoire et de science économique et financière. Signalons son Histoire économique et financière de la France, Paris, 1927, 670 p. (t. X de l’Histoire de la Nation française), ses Conférences d’Économie sociale, Paris 1925, 358 p. et Les problèmes actuels des finances publiques en France, Paris, 1933, 142 p. Son ouvrage Le problème financier, 1930-1936, Paris, 1936, 434 p., contient une bibliographie des titres publiés par lui jusqu’en 1936.
4 Le premier texte a été publié à diverses reprises par son auteur. Originellement, on le trouve dans le Bulletin du Centre polytechnicien d’Études économiques, n°s 14-15, juin-juillet 1934, p. 30-34. Jacques Rueff l’a fait reproduire, quarante ans plus tard, dans La Nouvelle Revue des Deux Mondes, mai 1975, p. 262-271, et dans le tome I de ses Œuvres Complète : Jacques Rueff, De l’Aube au Crépuscule, Paris, 1977, Annexe V, p. 333-344. Il a été intégralement transcrit dans l’ouvrage publié à l’occasion du cinquantenaire d’X-crise, X-crise-CPEE, De la récurrence des crises économiques, son cinquantenaire 1931-1981, Paris, 1982, p. 63-71. Le second texte est également publié in Jacques Rueff, De l’Aube..., op. cit., Annexe VI, p. 345-352.
5 Le Temps, 12 septembre 1931 ; souligné par nous.
6 Ibid., 2 novembre 1931.
7 Frédéric Jenny, « Les prix intérieurs et le franc», Le Temps, 2 juillet 1934.
8 Frédéric Jenny, Le Temps, 12 novembre 1934.
9 Jacques Rueff, De l’Aube..., op. cit., p. 338 ; souligné par nous.
10 Ibid., p. 339-342 ; souligné par nous.
11 Cf. Henry Laufenburger, L’intervention de l’État en matière économique, Paris, 1939.
12 Taxe progressive sur les grosses récoltes (supérieures à 100 et même 50 hl à l’hectare), interdiction de plantations nouvelles et de l’irrigation des vignes, distillation obligatoire d’une partie de la récolte, possibilité de blocage d’une partie de la récolte ; cf. Paul Delouvrier, Roger Nathan, Politique..., op. cit. ; ce cours est assez largement repris sur cette question par Alfred Sauvy.
13 Cf. infra, chapitre III.
14 Cf. AN. F60 423, Note sur le service de l’Économie nationale, note anonyme, 7 novembre 1935, 14 p. ; cf. AN. F60 248, Historique et composition actuelle de l’Économie nationale, note anonyme, 20 mai 1938, 7 p.
15 Cf. plusieurs discours de Tardieu de 1930, présents dans ses archives privées : AN. 324 AP 48 et Idem, 54 ; voir également Richard F. Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 166 et suiv.
16 AN. F60 423, note citée, p. 4. Outre Paul Devinat, deux des principaux cadres techniques, Pierre Couty et Georges Vaquerie sont détachés de leurs administrations — le premier du ministère de l’Intérieur, le second de la direction générale des Douanes de la rue de Rivoli — non sur leur demande. Selon les termes de la note du 20 mai 1938 ; « ils n’ont retiré aucun bénéfice d’un service qu’ils ont créé de toutes pièces ».
17 Idem, note citée, p. 7.
18 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 103, souligné par nous (noté infra s.p.n.).
19 Ibid., p. 21-30, le chapitre II est intitulé : « Le temps des illusions ».
20 Ibid., titre de la IIe partie, p. 33.
21 Cf. M. Marion, Petite histoire du second Cartel (1932-1934), Paris, 1935.
22 Cf. infra, chapitre IV.
23 Cf. Revue d’Économie politique, mai-juin 1934, p. 615.
24 Cf. R. S. Sayers, The Bank of England - 1891-1944, 3 vol., Cambridge 1976 ; I. Drummond. The floating Pound and the Sterling Area 1931-1939, Cambridge, 1981 ; et, plus récemment, Robert Frank, «Contraintes monétaires, désirs de croissance et rêves européens (1931-1949) », in Le capitalisme français..., op. cit., ch. XVI, p. 287-306.
25 J. K. Galbraith, L’Argent, Paris, 1976, p. 323 (trad. fr. de Money, whence it came, where it went, 1975). Cf. également Documents diplomatiques français (noté infra : DDF), série I, vol. II, nos 143 et 180.
26 DDF, série I, vol. III, nos 187 à 194 et 224-225.
27 Cf. C. Kindleberger, The World in Depression, 1929-1939, Londres, 1973 et AEF, B 32 323, 2., F. Freidel, F. D. Roosevelt : Launching the New Deal, Boston, 1973.
28 New York Times, 4 juillet 1933, cité in J. K. Galbraith, L’Argent, op. cit., p. 327.
29 Cité par Pierre Mendès France, Gabriel Ardant, Science économique et lucidité politique, Paris, 1973, p. 77-78.
30 Expression de Chamberlain, rapportée par Georges Bonnet, Vingt ans de vie politique, Paris, 1969, p. 176.
31 AEF, B 32 324, d. « problème de la stabilisation des monnaies — 1934-1936 », expression formulée par Frederik Leith-Ross à Emmanuel Mönick, attaché financier à Londres et rapportée par ce dernier, Note au ministre des Finances, n° 64 622, dossier XX, 22 novembre 1934, 8 p.
32 La Journée industrielle, 21 juillet 1933.
33 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 251.
34 Ibid., p. 254.
35 Ibid, p. 255.
36 Ibid, p. 337-346.
37 Pour les critiques exprimées à l’égard de la loi, cf. infra, chapitre IV.
38 Ibid., p. 337. Au même moment, la carte d’identité fiscale, dont le principe a été voté en décembre 1933, est abandonnée.
39 Cf. AEF, B 33192, différentes notes de trésorerie adressées au ministre.
40 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 284, s.p.n.
41 Ibid., p. 345.
42 La Journée Industrielle, 18-19 février 1934.
43 Discours du 26 février 1934, compte rendu in La Journée industrielle, 27 février 1934.
44 Le loyer de l’argent atteint 7 à 8°/o, contre 3 ou 3,5 %. « Alléger les charges fiscales, c’est rendre de l’essor aux affaires, c’est ranimer les transactions » : déclaration de Victor Constant (président adjoint de la Confédération des Groupements commerciaux et industriels de France) in La Journée industrielle, 13 octobre 1934.
45 La Journée industrielle, 3 mars 1934.
46 Léon Blum, « L’égoïsme de classe », Le Populaire, 8 avril 1934 ; du même, « M. Gaston Doumer- gue est seul à sourire », Le Populaire, 27 avril 1934.
47 Alfred Sauvy, Histoire..., op. cit., t. 2, p. 77 et suiv.. ; cf. le mémoire de maîtrise de Hadelin de La Tour du Pin (Université de Paris I, direction : J. B. Duroselle, 1972), La presse de droite contre la dévaluation : sa campagne contre Paul Reynaud.
48 Le Temps, 28 septembre 1931. Souligné par nous.
49 Le Temps, 2 octobre 1933.
50 Compte rendu in La Journée industrielle, 27 février 1934.
51 L’Ordre, 17 mars 1934.
52 Le Temps, 12 février 1934.
53 Compte rendu in La Journée industrielle, 24 et 25-26 mars 1934.
54 Le Temps, 9 avril 1934.
55 Le Populaire, 4 et 25 avril 1934. Cf. Michel Margairaz, Les propositions de politique économique, financière et monétaire de la SFIO de 1934 à 1936, (Université de Paris VIII, direction : Jean Bouvier, 1972), microfiches AUDIR, Paris, 1973, 340 p.
56 Le Temps, 30 juin 1934.
57 Cf. A. Sauvy, Histoire..., op. cit. ; cf. Marguerite Perrot, La monnaie et l’opinion publique en France de 1924 à 1936, Paris, 1966 et la fameuse déclaration de G. Doumergue à la TSF, le 24 mars 1934 (« Le Franc à quatre sous doit demeurer intangible pour que soit conservée la vertu d’économie du peuple français »).
58 Cf. F. Jenny, « Dévaluation et inflation », Le Temps, 30 avril 1934.
59 Intervention de R.-P. Duchemin à X-crise, séance du 23 novembre 1934.
60 F. Jenny, « Le franc tangible », Le Temps, 26 février 1934.
61 La Journée industrielle, 3 mars 1934.
62 Ibid., 27 février 1934.
63 R.-P. Duchemin, Y aurait-il intérêt à dévaluer le franc ?, brochure, 1934, 65 p.
64 « La crise mondiale et le problème des monnaies » in X-crise-CPEE, De la récurrence..., op. cit., p. 99-116.
65 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 370.
66 AEF, B 32 324, d. « Problème de la stabilisation des monnaies 1934-1936 », note de Emmanuel Mönick au ministre des Finances, n° 64622, 22 novembre 1934, 8 p.
67 Idem, note citée.
68 Louis Germain-Martin, Le problème..., op. cit., p. 368 ; souligné par nous.
69 On trouve des p.-v. de ces réunions in AEF, B 32 323, d. « Bloc-or — Réunions de Bruxelles (20-21 octobre 1934) » ; cf. également ministère des Affaires étrangères (.infra, MAE), B. 57 et Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence 1932-1939, Paris, 1979 (568 p.), p. 215-217.
70 AEF, B 32 323, d. « Bloc-or — Divers », rapport de Jacques de Neuflize, Chambre de Commerce de Paris, I 1 décembre 1934, 10 p.
71 Idem, note du directeur adjoint, « La baisse de la livre — ses conséquences — comment réagir », 11 mars 1935, 11 p. On revient plus loin sur le contenu de cette note.
72 Georges Bonnet, Vingt ans..., op. cit., p. 1 76.
73 Cf. AEF, B 32 323, d. « Les Pays du Bloc-or », Comité économique de la SDN, P. Stoppani, Genève, 8 mars 1935, 93 p.
74 « Sous le nom de Doumergue, le souriant Gastounet, Tardieu, ministre d’État, est au pouvoir » (Henri Dubief, Le déclin de la IIIe République, Paris, 1976, p. 78). Les débats et projets sur la réforme de l’État en France en 1934 sont analysés sous leur aspect institutionnel et politique dans le DES de Sciences politiques de Jean Gicquel, soutenu le 18 octobre 1962 et publié dans le volume Problèmes de la réforme de l’État en France depuis 1934, Paris, 1965, p. 1 à 135. Cf. aussi P. Lamotte, « Un essai de réforme de l’État, la tentative de 1934 », Revue politique et parlementaire, juillet 1958.
75 Cité dans Le Temps, 17 septembre 1934.
76 C. J. Gignoux, « Le point essentiel », La Journée industrielle, 28 septembre 1934.
77 Cité dans La Journée industrielle, 23 octobre 1934.
78 C. J. Gignoux, La Journée industrielle, 29 septembre 1934. « Le président du Conseil n’est pas un président de conseil d’arrondissement. On ne lui demande pas d’exprimer des souhaits ou d’émettre des vœux. On lui demande de croire au pouvoir qu’il a entre les mains et d’en user » (La Journée industrielle, 13 septembre 1934).
79 Expression de G. Hervé dans La Victoire, 31 décembre 1934, à la suite de l’échec de la réforme de l’État, citée par Jean Gicquel, Problèmes..., op. cit., p. 73.
80 Cf. J. Gicquel, Problèmes..., op. cit., p. 106-119.
81 Le Temps, 27 octobre 1934.
82 A. Tardieu, Sur la pente..., op. cit, p. 39. Est-ce par ignorance ou volonté de rassurer, la presse conservatrice semble encore laisser croire au succès le 3 novembre 1934 ; cf. notamment L’Ordre.
83 Cf. André Tardieu, Sur la pente..., op. cit.
84 Paul Reynaud, Mémoires..., op. cit., t. I, p. 381.
85 JO, Lois et décrets, 2 février 1935, p. 1330.
86 On trouvera les idées essentielles du projet dans l’article de J. Bardoux, « La réforme de l’État », Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1935, p. 268-286, et le projet commenté par J. Bardoux, La France de demain. Son gouvernement, ses assemblées, sa justice, Paris, 1936. Elles reprennent celles énoncées, dès 1934, dans Le drame français — Refaire l’État ou subir la force.
87 René Rémond, Les droites en France, Paris, 1982, p. 224.
88 Yves Durand, Vichy (1940-1944), Paris, 1972, n. 38, p. 173.
89 A. Tardieu, Sur la pente..., op. cit., p. 28.
90 Ibid., p. 28.
91 Ibid., p. 32-33.
92 Le chroniqueur de la Revue des Deux-Mondes, qui a soutenu constamment A. Tardieu, fait écho, dès décembre 1934 : « Ce sera, dans un avenir plus ou moins éloigné, en dehors des règles ordinaires du gouvernement parlementaire qu’il faudra la [l’issue] chercher », La Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1934, p. 711.
93 A. Tardieu, Le Souverain captif, Paris, 1936, p. 29.
94 Ibid., p. 30, 77, 211 à 230.
95 Richard R Kuisel, Le capitalisme..., op. cit., p. 166.
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