Chapitre X. 1965-1967 : la marche forcée vers la modernisation
p. 497-556
Texte intégral
11965-1967 : deux années décisives pour le Trésor qui vit une double série de réformes de portée différente ; l’une accélère vigoureusement les réformes du crédit engagées depuis quelques années, l’autre étend son champ d’intervention aux finances extérieures. Deux séries de mesures qui donnent naissance à un Trésor « moderne », dont la portée est visible encore aujourd’hui. Par les transformations radicales et durables qu’elle engendre tant sur le paysage financier que sur le rôle du Trésor, cette courte période mérite donc d’être analysée précisément. Car si les réformes Debré-Haberer et la fusion Finex-Trésor sont connues, les modalités de leur mise en place le sont moins. Dans quelle mesure le Trésor a-t-il ou non participé à la décision sur ces réformes ? Les a-t-il subies, initiées ou accompagnées ? Quels en sont les enjeux et les conséquences sur son rôle d’expert sur son prestige et sur l’identité de la direction ? La réponse à ces différentes questions permettra de dresser l’état de la direction à la veille de 1968. Ces deux angles d’études complémentaires, l’un sur les réformes du crédit et des banques, l’autre sur le nouveau visage de la direction du Trésor, permettront d’affiner la position du Trésor face aux modernisations des années 1960.
I. L’ACCÉLÉRATION DES RÉFORMES DU CRÉDIT ET DES BANQUES : QUEL RÔLE DU TRÉSOR ?
2Opérées en vue d’adapter le système de crédit français à la croissance et à la modernisation de l’économie française, à son ouverture à la concurrence internationale et notamment européenne, les réformes de 1966-1967 constituent l’aboutissement d’une lente marche vers la libéralisation1. Dérivée des recommandations successives du comité Lorain et de la Commission de financement du Ve Plan, la nécessaire modernisation des marchés financiers et du système bancaire entre enfin dans la réalité.
A. DES MESURES PRÊTES À SORTIR (1965)
3En 1965, un certain nombre de verrous enserrant le système de crédit ont déjà sauté. Mesures techniques et peu spectaculaires, elles apparaissent même bien timides à la postérité, qui ne retient que le train de réformes de 1966-1967 comme étant le véritable tournant faisant enfin entrer la France dans les débuts de la modernisation financière2. En réalité, la méthode douce et pragmatique qui prévaut alors a conduit, nous l’avons vu, à une libéralisation lente du système bancaire et du crédit, certes freinée par l’application du plan de stabilisation. Une note de rétrospective sur la politique de consolidation des liquidités de 1965 à 19733 rappelle que l’année 1965 est celle durant laquelle est posé « le principe de l’unification des conditions de collecte des dépôts », à l’exception des livrets ordinaires des Caisses d’épargne ; la même année, le Conseil national du crédit établit une échelle générale de rémunération en fonction de la liquidité plus ou moins grande des dépôts, ouvrant la voie aux mesures de 1966-1967.
4À l’occasion de l’arrivée de M. Debré aux Finances (janvier 1966), le directeur du Trésor lui adresse une note sur « l’État de l’Union »4, qui récapitule la politique financière et monétaire suivie depuis 1964 et dans laquelle il souligne « l’ensemble impressionnant de mesures » adoptées en matière de financement des investissements à long terme. Celles annoncées lors de la conférence de presse de V Giscard d’Estaing du 22 septembre aménagement du système bancaire, encouragement de l’épargne, amélioration de l’information des actionnaires, assouplissement de l’autorisation du Trésor pour les émissions d’emprunt, répression de l’usure, aide au financement des exportations5. En réalité, certaines des mesures annoncées ne sont pas encore parues officiellement et d’autres s’orientent vers une disparition progressive des réglementations plutôt que vers une brusque suppression. Mais la voie des réformes est ouverte.
5Du point de vue du crédit, rappelons ainsi que l’évolution progressive mais notable à la baisse des planchers d’effets publics dans les banques s’est opérée, dont une partie à l’initiative du Trésor, en octobre 1964 et en décembre 19656 :
6En revanche, l’éventualité d’une suppression complète du plancher, évoquée à la fin de 1965 par le directeur, est refusée en raison de la charge supplémentaire de 5 milliards pour le Trésor prévisible pour 19677. Dans la même logique, rappelons qu’à partir d’octobre 1964, le coefficient de trésorerie des banques est révisé à la baisse afin de reconstituer les marges des banques8.
7À partir de janvier 1965, la question de la baisse des conditions de banque fait l’objet d’études de la part de la Banque de France, que le directeur du Trésor approuve largement9 : le 28 janvier 1965, le taux T est fixé à 3,60%. À partir d’avril, des discussions entre la Banque, le Conseil national du crédit et le Trésor sur le montant de la réduction et sur le lien entre le taux de base et le taux d’escompte évoquent la possibilité d’une abrogation de la réglementation sur les minimums d’intérêts débiteurs10. Mais une fois encore, le Trésor se montre réservé quant à la solution « maintes fois évoquée et jusqu’à maintenant rejetée » du retour à la liberté des taux. Deux principales objections sont avancées : le danger de constitutions d’ententes bancaires « incontrôlables ou difficilement contrôlables » ; le risque de disparition des banques de moindre importance11. Il propose en alternative le système allemand de taux « maximums » (sic) : « C’est la seule méthode pour éviter les excès vers une hausse que les banques seraient tentées de faire pour certains crédits, en compensation des baisses auxquelles la concurrence les conduirait ». À la fin de 1965, les réflexions en matière de conditions de crédit sont donc engagées plutôt sur la voie de la baisse progressive que de la suppression pure et simple.
8Parallèlement, un certain nombre de mesures libérant l’organisation bancaire sont prêtes à sortir, sur lesquelles les autorités de tutelle planchent depuis plusieurs mois. Proposée à partir d’octobre 1964 par la Banque de France12, l’augmentation du capital minimum des banques permettrait aux banques d’affaires d’accroître le montant de leur capital minimum et aux banques de dépôts de recevoir des dépôts à plus de deux ans. En corollaire, voit également le jour à la Banque de France dès 196413, un projet de déspécialisation entre banques d’affaires et banques de dépôts, qui entend légaliser une situation de fait. C’est ce que tend à démontrer le chef de la mission de contrôle des activités financières dans son rapport de synthèse de mai 1967 : « L’évolution des méthodes de crédit depuis 1945 a fait apparaître que la distinction établie par la loi entre banques d’affaires et banques de dépôts était dans la réalité moins accusée que le législateur [ne] l’avait cru »14. Sur les raisons techniques mais aussi économiques15 qui poussent les banques d’affaires à pratiquer une politique qui se rapproche de celles des banques se dépôts, se greffent selon lui des raisons politiques, en l’occurrence les menaces de nationalisations, qui poussent les banques d’affaires à dissocier depuis quelques années leur portefeuille-titres de leur exploitation bancaire16. Le directeur du Trésor une fois encore n’est pas l’instigateur de ces projets de réforme, mais en approuve le principe, qui selon lui « constitue un préalable nécessaire pour la mise en œuvre des propositions tendant à ce que les banques de dépôts disposent de ressources accrues, en vue d’assurer, par la transformation de l’épargne liquide, le financement d’opérations à moyen ou à long terme, et satisfaire notamment, du moins en partie, les besoins de la construction »17. Pourquoi le projet, alors approuvé sans réserve par les autorités de tutelle, n’avance-t-il pas ? La chronologie précise de l’année 1965 est à cet égard instructive. Le ministre des Finances, V Giscard d’Estaing, donne son accord à la note de principe du directeur du Trésor en date du 2 octobre 1964, qui propose d’en différer « l’adoption jusqu’au moment où auraient pu être mises en œuvre les mesures permettant éventuellement d’orienter l’accroissement des ressources bancaires vers le financement des investissements prioritaires »18. Le 22 juin 1965, le directeur du Trésor, estimant que ces mystérieuses mesures ne sont plus à l’ordre du jour, ne juge plus utile de différer plus longtemps les réformes et propose la soumission des projets de décrets au Premier ministre et pour avis au Conseil national du crédit et au Conseil d’État, comme il est de règle. L’avis du Conseil d’État, qui examine les textes en juillet, entraîne une discussion entre la Haute assemblée et le ministère des Finances sur l’obligation ou non de publicité des bilans des banques d’affaires et retarde encore la décision : deux nouveaux projets de décrets sont transmis au secrétariat général du gouvernement le 11 septembre ; le 8 octobre 1965, le directeur du Trésor demande des instructions au ministre sur la rédaction définitive du projet... Les archives ne révèlent pas la suite donnée durant les trois mois suivants, mais il apparaît clairement que la lenteur du processus de décision administratif explique en partie que ces réformes n’aient pas été publiées sous Y Giscard d’Estaing, qui annonce officiellement le rapprochement entre banques d’affaires et banques de dépôts ainsi que la modification du capital minimum des banques lors de sa conférence de presse du 22 septembre 1965. Nous verrons que d’autres raisons concourent à la lenteur du processus.
9D’autres mesures en revanche sont restées en suspens. Ainsi en est-il de la libéralisation de l’ouverture des guichets bancaires. Rappelons que l’ouverture de guichets est soumise à l’autorisation préalable du Comité des banques et des établissements financiers, héritage de la guerre et de l’Occupation maintenu depuis la Libération. Un assouplissement de la réglementation sur les guichets permanents est accordé officiellement par le Conseil national du crédit aux banques inscrites en 1954, puis en 195919. Les chiffres sont parlants :
10Pourquoi la liberté de fait acceptée par le Comité des banques n’est-elle pas entérinée par les textes ? Une note confidentielle de décembre 1966 en attribue la responsabilité à l’Association française de banques (AFB), explication partielle mais qui paraît pertinente : « L’Association française de banques n’a cessé de manifester officiellement son attachement à la procédure qui lui permet d’organiser une confrontation entre ses adhérents, et même d’organiser une sorte d’autolimitation et de répartition [des guichets] »20. D’un autre côté, la direction du Trésor maintient ses réticences, en raison des risques pour la gestion des banques, régulièrement pointées du doigt en raison du montant élevé de leurs frais généraux. Un rapport adressé à M. Pérouse en février 1960 prône le statu quo : si « le Conseil national du crédit doit s’attacher à éviter un suréquipement bancaire », l’auteur relève que le nombre de guichets est nettement supérieur en Allemagne et en Grande-Bretagne et que la fermeture de guichets serait « néfaste et inopportune au moment de l’entrée dans le Marché commun ». La conclusion balancée pousse à l’immobilisme : le régime bancaire donne satisfaction aux usagers et modifier la réglementation entraînerait la confusion, ce qui serait « nocif et préjudiciable à l’économie »21. Pour sa part, le Trésor s’inquiète toujours de l’importance des frais généraux des banques nationalisées, dont 62 % sont des frais de personnel22. En réalité, le maniement de l’autorisation d’ouverture de guichets est considéré par les autorités de tutelle, à tort ou à raison, comme l’un des moyens d’agir sur la structure des banques. Au-delà des raisons techniques, qui se justifieront par la suite23, se priver de ce moyen de pression virtuel ne leur paraît pas non plus opportun.
11Ces quelques exemples de réformes abandonnées ou différées entre 1960 et 1965 expliquent partiellement pourquoi il a fallu attendre 1966-1967 pour leur mise en place. Ceci pose indirectement la question de savoir pour quelles raisons V. Giscard d’Estaing n’a pas touché à l’organisation bancaire.
12Plusieurs motifs peuvent être invoqués. A peine a-t-il le temps de s’initier aux affaires monétaires et financières que le ministre des Finances et des Affaires économiques doit affronter la surchauffe à partir de la fin de 1962 puis la mise en œuvre du plan de stabilisation : difficile dans ces conditions d’entreprendre de grandes réformes structurelles. Encore réussit-il à réformer le circuit du Trésor à partir du plan de stabilisation (voir supra chapitre VIII). Les mesures faisant leurs effets, V Giscard d’Estaing peut à partir de 1964 songer à entreprendre d’autres réformes : la mise en œuvre de toute une série de mesures favorisant l’épargne, qui touche au crédit et aux banques, est bel et bien annoncée lors de la conférence de presse du 22 septembre 196524 et l’on a vu que la lourdeur du processus de décision empêche V Giscard d’Estaing de bénéficier politiquement de ces mesures.
13Cependant les mesures en gestation ne sont que partielles, par rapport à celles qui seront prises quelques mois après. Au-delà des contraintes conjoncturelles et administratives, plusieurs raisons contribuent à expliquer le retard pris en la matière.
14Il est certain tout d’abord que, dans des domaines autres que le crédit, Valéry Giscard d’Estaing a fort à faire. Jean Sérisé explique ainsi que le ministre a d’autres préoccupations à cette époque : les affaires internationales, les grands équilibres budgétaires, la fusion Finex-Trésor, la réforme de la législation fiscale et la suppression du contrôle des prix25. Son cabinet ou ses services auraient pu prendre le relais et proposer des réformes. Or, à partir de 1963, date du départ de Claude Hannezo du cabinet du ministre pour la Société générale, le ministre ne dispose plus de conseiller chargé des affaires monétaires et financières ; cette absence de relais ne facilite pas à notre sens l’émergence et le suivi de réformes. D’autant que la direction du Trésor, on l’a vu, n’est guère portée à le faire, préférant la méthode progressive à la suppression brutale ou bien encore se montrant réservée sur un certain nombre de réformes structurelles. Seule la Banque de France fait office de laboratoire de réflexion et de proposition sur l’organisation bancaire26. Mais le frein ou l’inertie des services du Trésor contribuent à laisser en friche de grands pans de réformes en matière de crédit et de système bancaire.
15La clé ultime vient cependant du ministre lui-même : V Giscard d’Estaing souhaitait-il véritablement toucher à l’édifice ? Son tempérament comme ses convictions économiques ne le poussent pas selon nous à agir brutalement sur le système. Libéral dans ses doctrines et ses méthodes, V Giscard d’Estaing l’est sans doute moins dans ses pratiques : laisser agir le marché, le libérer progressivement, certes, mais tout en maintenant des outils d’intervention afin de pouvoir influer sur la conjoncture. Selon Jean- Yves Haberer, qui l’a bien connu, Valéry Giscard d’Estaing est le premier ministre des Finances « conjoncturiste », influencé par son directeur de cabinet, Jean Sérisé, lui-même issu du SEEF27. Le ministre apparaît alors plus préoccupé par les prévisions et l’action à court terme sur la conjoncture que par de spectaculaires réformes de structures, qui auraient pourtant redoré son image ternie par le plan de stabilisation imposé par le président de la République. Les craintes formulées par son directeur du Trésor sur les risques de hausses de taux, de déstabilisation du marché financier ont pu également contribuer à faire reculer un ministre essentiellement préoccupé de la lutte anti-inflationniste.
16Selon sa méthode et son style, Y Giscard d’Estaing a donc préparé le terrain pour les réformes de son successeur. Cette gestation lente contraste avec la rapidité des réformes entreprises l’année suivante, mais l’explique en partie : beaucoup de projets étaient prêts.
B. LE PRÉCIPITÉ DE 1966-1967
17La densité et la rapidité du train de mesures décidées par Michel Debré sont aussi remarquables que son contenu. Les textes publiés en 1966-1967 constituent un arsenal impressionnant de réformes qui touchent tant au système de crédit qu’aux marchés financiers et à l’organisation bancaire. Alors que, durant la période précédente, la portée des réglementations est progressivement réduite, ces dernières sont brusquement supprimées en dix-huit mois. Comment expliquer ce changement de méthodes ?
18Le tandem Debré-Haberer
19Ces deux noms résument à eux seul le nouveau contexte propice à la mise en place de réformes : un ministre réformateur, interventionniste, ayant vis-à-vis du général de Gaulle une grande latitude pour agir. La lecture des archives28 met en évidence l’impulsion donnée par le ministre sur des nouvelles mesures. L’on se souvient que M. Debré avait manifesté quelque impatience à l’égard de son ministre des Finances en 1960 et sans doute arrive-t-il en janvier 1966 avec la ferme intention de faire aboutir ses réformes. Pour le seconder dans sa tâche, son directeur de cabinet, Antoine Dupont- Fauville, fidèle de Matignon, animé du même esprit de réforme, jouera sans doute un rôle non négligeable dans les réformes entreprises29. Il décrit ainsi les méthodes de travail de son ministre :
« Michel Debré adorait rentrer dans le détail des dossiers ; il travaillait avec ses directeurs, ses conseillers techniques, c’est un homme qui travaillait énormément. [...] Toute note au ministre était lue dans les vingt-quatre heures et annotée »30.
20Surtout, un jeune conseiller technique chargé des affaires monétaires et financières, Jean-Yves Haberer entre au cabinet du nouveau ministre, grâce à Maurice Pérouse31. Énarque et inspecteur des Finances, Jean- Yves Haberer appartient à une nouvelle génération de hauts fonctionnaires qui n’ont pas connu la IVe République. Professionnellement, il naît avec la Ve République : à peine se souvient-il dans ses entretiens des événements de 1958. Envoyé en mission aux États-Unis en 1963, il réalise une étude sur la « transformation » dans le système américain, qui l’influence profondément : « Toutes les réformes que j ‘ a i inspirées à Debré sont pour les trois quarts des réformes qui consistaient à introduire des pratiques américaines »32 affirme-t-il aujourd’hui. Chargé de mission au Trésor à partir de mars 1964, il est naturellement affecté au secrétariat du fonds de développement économique et social comme adjoint de Marc Viénot. En 1965, il est rapporteur des travaux de la commission de financement du Ve Plan33, qui reprend des conclusions du Comité Lorain sur la transformation. Lorsque M. Debré arrive en janvier 1966, M. Pérouse propose son nom comme conseiller technique. La rencontre avec M. Debré, qui avait une volonté de réformes mais qui n’était pas technicien, avec le jeune inspecteur des Finances zélé et actif offre une conjonction exceptionnelle pour la mise en œuvre de réformes :
« Il y a eu une entente profonde entre Debré qui souhaitait faire des réformes, moi qui voulais en faire et qui avais des idées pour le faire. Alors [j’]avais des idées, mais [j’]ai su organiser des réseaux pour en avoir. J’avais mon propre réseau d’amis de mon âge, dont les uns étaient dans l’administration, les autres étaient partis dans les banques. Et j’étais la boîte à idées : on m’a apporté des idées que j'ai fait passer »34.
21Du point de vue de la conjoncture politique, la perspective des élections législatives de mars 1967 incite le gouvernement à l’action : Michel Debré, homme politique avant tout, n’est pas insensible à ce calendrier. Enfin, une occasion de mettre en place des réformes rapidement est préparée par le gouvernement : la présentation d’une loi qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnances « les mesures nécessaires pour parfaire l’adaptation des structures économiques et sociales de la France à la réalisation au 1er juillet 1968 de la dernière étape du Marché commun », entre le 1er août et le 31 octobre 196735. Bénéficiant d’une part de mesures prêtes à être signées, d’autre part d’un contexte décisionnel favorable, le ministre de l’Economie et des Finances36 peut ainsi non seulement rapidement publier les textes, mais également éviter les pressions des syndicats et des lobbies sur le Parlement, en agissant par décret, par ordonnance ou par décision du Conseil national du crédit. L’urgence commandée par le calendrier politique accélère la décision et renforce l’impression de mesures brutales imposées par le cabinet. Par ailleurs, l’on peut raisonnablement penser qu’en raison des relations confiantes du général de Gaulle avec M. Debré, le Premier ministre, G. Pompidou, laisse une certaine autonomie à son ministre37 : les procédures s’en trouvent sans doute accélérées.
22La conjoncture économique et financière est également favorable au nouveau ministre. 1965 sonne l’heure de la sortie du plan de stabilisation, réclamée dès 1964 par le Premier ministre, qui, dès sa mise en place, ne s’était guère enthousiasmé de la rigueur du plan38. La nécessité de soutenir l’activité économique et de relâcher les contraintes pour reprendre l’expansion39 se traduit par la suppression de l’encadrement du crédit et la hausse des dépenses de l’État dans le budget de 1966. De ce point de vue, la doctrine de M. Debré sur la politique de finances publiques diffère sensiblement de celle de V Giscard d’Estaing : à la neutralité budgétaire de l’intervention de l’État, symbolisée par la recherche d’un équilibre budgétaire strict, succède une politique d’intervention publique plus active, que l’on peut schématiquement qualifier d’inspiration keynésienne. Au cabinet du ministre, les notes préparatoires à la déclaration de politique économique et financière du gouvernement des 19 et 20 juin 1967 soulignent expressément que le découvert probable du Trésor pour 1967 (chiffré à 4,5 milliards) « donne à l’action du Trésor un caractère expansionniste »40. L’opposition se cristallise lors des débats à l’Assemblée nationale. En 1967, V Giscard d’Estaing, qui a rejoint la Commission des Finances, critique publiquement le risque inflationniste de la politique suivie par M. Debré ; le ministre lui répond que non seulement sa politique économique ne l’est pas, mais qu’elle ne saurait se limiter aux problèmes de conjoncture41...
23Dans un enchaînement logique, les mesures prises engendrent la mise en œuvre d’autres réformes. La suppression du contrôle des changes le 28 décembre 1966 met ainsi en lumière les différences des conditions de rémunération de l’épargne en France et à l’étranger et accélère la réforme des taux créditeurs et la réforme de l’organisation bancaire. Si certaines réformes entérinent des situations de fait plus qu’elles ne créent de nouvelles conditions de collecte de l’épargne, d’autres sont de véritables coups de force ou des innovations pour l’époque. Sans en faire le catalogue détaillé, l’on s’arrêtera sur les principales mesures qui touchent d’une part les banques, d’autre part la politique du crédit et les marchés financiers, en fonction de deux critères ; l’existence d’archives ou de travaux sur la question et leur intérêt au regard de notre recherche sur le Trésor, de l’évolution de ses doctrines et de ses pratiques commandent ici notre étude.
24Il est néanmoins délicat de classer des réformes qui s’entremêlent et se complètent pour répondre à un triple objectif : développer l’épargne et le financement des investissements, adapter le système bancaire à la libération des changes et au développement de l’épargne, développer les marchés des capitaux et le rôle de la Place de Paris. Nous dégagerons trois types de réformes, les premières portant sur les structures de l’appareil bancaire, les secondes sur les techniques de crédit, enfin les dernières sur l’organisation des marchés monétaires et financiers.
1. Moderniser les structures de l’organisation bancaire.
25Les premières mesures parues dès l’arrivée de M. Debré sont celles qui étaient en gestation à la fin de 1965 : l’accroissement du capital des banques de dépôts et des banques d’affaires (arrêtés du 25 mai 1966) et le rapprochement des banques d’affaires et des banques de dépôts en vue de l’unification des conditions de collecte des dépôts (décrets n° 66-81 et n° 66-82 du 25 janvier 1966). S’y ajoutent un peu plus tard le relèvement des participations des banques de dépôts et des établissements de crédit à moyen et long terme jusqu’à 20 % du capital d’entreprises non bancaires, ainsi que la suppression de la limitation de la durée de leurs dépôts à moins de deux ans (décret du 23 décembre 1966). Quelques mois plus tard, Michel Debré demande à son directeur du Trésor d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine séance du Conseil national du crédit l’augmentation de 75 à 100 % des fonds propres des banques de dépôts dans le total des participations qu’elles peuvent prendre dans les entreprises industrielles et commerciales42. Le directeur du Trésor ne voit pourtant guère l’intérêt de modifier l’état actuel des choses. D’une part, « les possibilités offertes par la réglementation sont loin d’être utilisées complètement »43 ; d’autre part, ce système peut entraîner à ses yeux « des pertes substantielles » pour les banques d’importance moyenne ou modeste. Enfin, le directeur du Trésor souligne la détérioration du coefficient moyen de solvabilité des banques françaises, au demeurant très faible à ses yeux : chez les vingt principales banques de dépôts, les fonds propres sont égaux à 1,64 % seulement des dépôts. Les craintes du directeur du Trésor quant à la solidité du système bancaire ne seront retenues ni par le ministre ni par le Conseil national du crédit Le décret n° 67-757 du 6 septembre 1967 entérine la proposition de M. Debré.
26La suppression de l’autorisation d’ouverture de guichets, décidée le 10 janvier 1967, qui succède à des assouplissements successifs de la réglementation, suscite les mêmes réserves de la part du Trésor mais également de la Banque de France. Les arguments avancés de part et d’autre révèlent des perceptions différentes du système bancaire et de son éventuelle modernisation. La libéralisation des guichets est pour le cabinet du ministre une mesure de progrès évidente :
« À l’époque, on était sous bancarisé [...], les banlieues étaient sans agence. Les gens venaient en ville parce qu’il n’y avait pas d’agence. Cela n’avait pas du tout suivi le mouvement démographique déjà commencé »44.
27Les avis des différents acteurs de la Place sont visiblement partagés. La résistance provient d’une partie des banques et de l’Association française de banques, qui craignent de ne plus pouvoir organiser le développement du réseau bancaire, comme nous l’avons vu précédemment. Tandis que le Comité des banques est progressivement conduit à l’envisager45. Une note interne du Trésor évoque la possibilité d’un avis favorable de la profession bancaire, « même si les trois nationalisées sont réticentes »46. Les autorités de tutelle sont sur ce point d’accord pour mettre en garde le ministre. Tout comme le gouverneur de la Banque de France, Jacques Brunet, qui craint une trop forte progression des guichets des banques nationalisées47, le directeur du Trésor se montre toujours fortement préoccupé des frais généraux des banques : « Il serait malsain, parce qu’entraînant pour le système bancaire dans son ensemble un excès de frais généraux, que cette densité dépasse le niveau optimum »48. Le risque de création de « guichets de prestige non rentables » pourrait être pallié par une action modératrice sur les établissements nationalisés qui « manifestent la concurrence la plus acharnée en matière de guichets » et qui ont bénéficié de 5 9% des autorisations d’ouverture entre 1960 et 1965. Le Trésor souhaite que les trois établissements nationalisés fassent connaître leurs intentions aux pouvoirs publics avant l’ouverture d’un guichet et qu’un mécanisme de concertation entre eux soit mis en place. Sur ces points, M. Debré lui donne raison, tout en précisant que cette tutelle nécessaire « devra évidemment être exercée avec la plus grande discrétion »49. Face à ce projet d’information préalable du Trésor de leur programme d’implantation, les banques nationalisées manifestent clairement leurs réserves : discrimination par rapport au « secteur libre » « contraire aux principes traditionnellement observés dans ce domaine », impossibilité de prévoir les implantations50.... Le directeur du Trésor cherche à composer avec les banques et propose une formule souple d’information à intervalles réguliers de la direction du Trésor. En vain... Au 15 décembre 1968, le Trésor constate l’ouverture de 781 guichets depuis la décision du 10 janvier 1967, sans qu’aucune information préalable lui ait été adressée51. L’autorité de tutelle perd ici une partie de son pouvoir en matière de contrôle et d’organisation de la concurrence bancaire. Sur ce point, l’influence de la direction du Trésor sur l’organisation du système bancaire est de plus en plus réduite à des souhaits, au demeurant peu suivis.
28Plutôt destinées à favoriser l’essor des banques de dépôts, les mesures analysées ci-dessus touchent en partie les banques d’affaires, qui optent depuis quelques années pour le statut de banque de dépôts ou de holding : leur nombre se réduit progressivement de 44 à la fin de 1965 à 33 en 1966, puis à 18 en 196852 ; cette baisse satisfait le chef de la mission de contrôle des activités financières, pour lequel il y a beaucoup trop de banques d’affaires, dont « la plupart ont une activité négligeable avec peu d’emprise sur l’économie »53.
29Car si l’objectif affiché est d’augmenter les fonds propres des banques et de les faire participer plus amplement au financement des investissements, ces mesures visent en réalité à accélérer les fusions d’établissements. Trop de banques : c’est là sans doute un des leitmotivs qui reviennent régulièrement sous la plume des hauts fonctionnaires depuis la Libération et qui va dans le sens de l’évolution du secteur depuis la fin du xixe siècle54. Évoquée par le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics dès 194955, l’idée d’une fusion des banques nationalisées refait surface en 1959-196056. Dans la perspective de réduire les frais fixes des banques et de leur assurer une meilleure rentabilité, le rapport envoyé à M. Pérouse en février 196057 pose à nouveau la question de la fusion des quatre établissements nationalisés, mais en souligne les inconvénients : perte du prestige lié à la raison sociale, perte d’influence et de champ, alourdissement de la gestion. Le retour de M. Debré au pouvoir sonne l’heure d’une fusion entre le Comptoir national d’escompte et la Banque nationale pour le commerce et l’industrie58, dans le but affiché d’assurer « la meilleure productivité au moindre coût du service » et plus largement de « soutenir le développement économique et affronter la concurrence du Marché commun »59. Rondement menée par le cabinet qui agit très secrètement et en un mois arrête son choix60, la fusion décrétée le 26 mai 1966 est l’exemple d’une mesure entièrement imposée par le politique, à la différence des suivantes61. La position du Trésor sur la question n’en est que plus difficile à retrouver : a-t-il été consulté sur le fonds, en dehors des aspects juridiques sur la préparation des textes ? L’hypothèse d’une réaction négative de sa part peut être soulevée, en raison de sa réticence habituelle à toucher à l’existant d’une part, mais aussi de l’éventualité d’une suppression de sortie pour les inspecteurs des Finances du Trésor62...
30Autre ukase ministériel, la fusion des quatorze compagnies d’assurance, également imposée par le ministre et son cabinet63, aboutit en janvier 1968 à la création de trois grandes compagnies publiques, le GAN, les AGF et l’UAP.
31D’autres réformes structurelles d’envergure sont engagées, comme la création le 4 mai 1966 de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), vraisemblablement sur une idée de G. Plescoff64.
32Dans ce train de réforme qui touche à l’organisation bancaire, le Trésor apparaît bel et bien en retrait. Si ces initiatives ministérielles d’une grande rapidité de mise en œuvre n’incitent pas à une mise en avant du rôle des services, elles ont dû cependant s’appuyer en partie sur sa compétence d’expert. Sur le fond, on a vu que certaines mesures recueillent son adhésion, tandis que d’autres lui paraissent sans fondement. Sur d’autres encore, la position du Trésor n’apparaît pas et seules des hypothèses peuvent être envisagées. Les réformes qui touchent aux techniques de crédit offrent ce même visage d’un Trésor en retrait, parfois à son corps défendant.
2. Des techniques d’épargne et de crédit libérées et élargies.
33Par étapes, entre 1966 et début 1968, plusieurs trains de mesures tendent à la fois à élargir les capacités de crédit des banques et à favoriser le développement de l’épargne des ménages et des entreprises.
34Progressivement réduit depuis 196465, le régime du réescompte des crédits à moyen terme change profondément à partir du 1er janvier 1966 : la durée maximum de ces crédits réescomptables est portée de 5 à 7 ans ; les banques sont tenues désormais de nourrir sur leurs propres ressources les 3/5 ou les 4/7 de ces crédits. Si la Banque de France se dégage ainsi officiellement du réescompte automatique des crédits à moyen terme qu’elle portait depuis plus de vingt ans, cette mesure ne fait qu’entériner une situation de fait (voir chapitre VIII). Soucieux de maintenir ce type de crédit, le ministre de l’Économie et des Finances souhaite également abaisser son coût. C’est dans cette optique que doit être comprise l’étude commandée au début de l’année 1968 par le ministre sur la suppression de la quatrième signature jusqu’à présent exigée pour les crédits à moyen terme66. Le directeur du Trésor, qui est alors René Larre, sait que cette modification des circuits du crédit à moyen terme « à la limite peut mettre en cause l’existence d’un ou plusieurs établissements spécialisés intervenant dans ce circuit »67 et propose de supprimer la troisième ou la quatrième selon les secteurs (exportation, industrie...). « Cela a fait baisser un peu le coût du moyen terme, et surtout, cela l’a rendu plus fluide, enfin, plus rapide » estime aujourd’hui Jean-Yves Haberer68. L’admission des bons à moyen terme du Crédit national ou du Crédit foncier à l’open market (décret du 2 décembre 1966), qui permet à ces deux établissements de développer leurs ressources, compensera partiellement la perte financière engendrée par la suppression de la quatrième signature.
35La réforme du crédit à moyen terme réescomptable crée les conditions favorables à la modification du contrôle des liquidités bancaires et à sa neutralité vis-à-vis des trésoreries bancaires69. Depuis les projets de J. Saltes au Conseil national du crédit qui dès 1957 propose un système de « réserves », enterré par le Trésor mais aussi par le Service des études en 195970, le système de réserves obligatoires a fait son chemin à la Banque de France71 qui étudie les expériences étrangères. Remis à l’ordre du jour par M. Debré officiellement le 27 mai 1966, le projet est étudié en parallèle par la Banque de France et la direction du Trésor. La réponse de M. Pérouse au projet de son ministre est tout en nuance à son habitude, mais révèle ses mêmes préoccupations. Dans sa note du 15 juillet 1966, s’il admet que le système apparaît plus efficace et flexible que celui du coefficient de trésorerie72, quelques conditions lui semblent néanmoins nécessaires pour approuver entièrement ce système. Ce dernier devant être suffisamment contraignant pour les banques, le directeur propose d’adopter des critères uniformes et automatiques pour les taux de réescompte (comme en RFA) « jusqu’à présent fixés pour partie seulement en fonction de critères généraux ». Surtout, le directeur met en garde le ministre contre les effets négatifs possibles du nouveau système pour la trésorerie, qui ne bénéficiera plus du plancher d’effets publics dans les banques. Pour 1967, il évalue à 240 millions la surcharge annuelle brute pour le Trésor, établie à partir d’une hausse des taux prévisible73. Il n’est pas certain à ses yeux que même à des taux élevés, le Trésor puisse trouver les ressources qui lui seront nécessaires74. Il appartiendra in fine à la Banque de France d’assurer par ses interventions sur le marché monétaire les besoins du Trésor : le directeur du Trésor brandit une fois encore le risque d’une perte d’indépendance du Trésor « et donc de l’État par rapport au système bancaire et ses relations avec l’Institut d’émission ». Cette double perspective de perte d’indépendance du Trésor et d’élargissement prévisible du rôle de la Banque de France explique en grande partie le manque d’enthousiasme du Trésor pour la réforme75. Mais l’insistance du ministre aura raison de ses réticences ; il présente d’ailleurs la mesure comme la marque de « la volonté de l’État de ne pas détourner, puisque les circonstances permettent ce progrès, les réserves bancaires au trop grand profit des finances publiques »76. Le décret n° 67-27 du 9 janvier 1967 institue donc le système de réserves obligatoires étendu au Crédit agricole, aux Banques populaires et à la Banque française pour le commerce extérieur77.
36La rémunération des dépôts en fonction de leur liquidité plus ou moins grande s’opère en trois temps.
37Alors que les conclusions des autorités de tutelle avaient conclu à une réforme du taux minimum des banques (taux T) plutôt qu’à sa suppression en Conseil national du crédit du 18 mars 1966 libère toutes les conditions qui déterminent le coût du crédit, soit les conditions minimum de banque (taux minimum, commissions fixes ou dates de valeur), mais maintient la réglementation des taux d’intérêt créditeurs. La liberté recouvrée des banques n’empêche cependant pas une démarche auprès des autorités de tutelle pour les informer des augmentations de leurs tarifs. Ainsi en novembre 1966 les présidents des banques nationalisées demandent-ils audience au directeur de cabinet du ministre pour expliquer les raisons et la portée de la mesure. Comme par le passé, la direction du Trésor continue de donner son avis sur la hausse de taux annoncée : Pierre de Vogüé, qui la juge trop élevée et trop étendue, propose une hausse modérée, mais mesure également la difficulté pour les banques nationalisées de « paraître dépendre d’interventions directes des pouvoirs publics et obéir dans leur gestion à des règles particulières »78. Il apparaît clairement qu’aux yeux du chef de service le ministre peut se réserver la possibilité de ne pas suivre les propositions actuelles des banques. De ce côté, la liberté n’est pas non plus entrée dans les mœurs...
38En juin 1966, la création par Michel Debré d’une Commission d’étude pour la modernisation des techniques du crédit à court terme, présidée par Henri Gilet79, permet indirectement la redéfinition de l’échelle de rémunération des dépôts. Les conclusions de la Commission soulignent l’attachement à l’escompte propre à la France, au sein de laquelle, à la différence des États-Unis et des autres pays européens, l’usage de la traite est à la fois un support de crédit, une garantie de recouvrement et un moyen de refinancement apprécié des usagers comme des débiteurs. Le montant des effets commerciaux, bien qu’en diminution depuis 1958, couvre encore un tiers des crédits à court terme en 1965 :
39Selon les recommandations de la Commission, les nouvelles techniques de crédit proposées (crédit de mobilisation des créances commerciales) ne pourront être suivies d’effets que si « la structure des tarifs n’y fait pas obstacle » et si « la hiérarchie des taux correspond effectivement à celle des coûts et des risques supportés par le banquier »80. S’appuyant à la fois sur ses conclusions et sur la libération des conditions de banque le 1er avril 1966, les banques annoncent un relèvement de certaines de leurs commissions à partir du 15 avril 1967 ; ce dont plusieurs confédérations et syndicats industriels et commerciaux se plaignent auprès du ministre des Finances, dénonçant un « délit de coalition » des banques81. Il semble que le ministre de l’Économie et des Finances ait maintenu sa volonté de laisser les banques déterminer leurs conditions, tout en assurant aux petites et moyennes entreprises le maintien des taux de commissions incriminés dans un proche avenir82.
40« Une politique des taux mieux adaptée aux besoins de l’investissement » : tel est l’objectif de soutien à la croissance affiché par M. Debré pour justifier la modification des taux d’intérêt créditeurs devant le Conseil national du crédit le 28 juin 1967, qui constitue le troisième temps de sa réforme des conditions de crédit. Parallèlement, la récente suppression du contrôle des changes (loi du 28 décembre 1966) a mis en lumière les distorsions entre les rémunérations des dépôts en France, à l’étranger et sur le marché monétaire international. Mais ceci ne justifie pas aux yeux du Trésor une remise en cause de la réglementation. Une fois n’est pas coutume, le directeur du Trésor s’appuie sur l’existence d’une telle réglementation dans deux pays à change libre, les États-Unis et la Suisse, pour justifier son maintien83. La libération totale des rémunérations des dépôts ne manquerait pas selon lui « d’entraîner des désordres résultant de la concurrence à laquelle se livrent les banques entre elles d’une part, les banques, les Caisses d’épargne, les caisses de Crédit agricole, le Crédit mutuel, d’autre part »84. « La parité actuelle entre les différents réseaux de collecte paraît donc devoir être maintenue ; elle ne peut l’être sûrement que par la voie autoritaire ». À son habitude, le directeur du Trésor préférerait des « aménagements » de la réglementation plutôt qu’une brusque libération. Il propose notamment une liberté de la rémunération des dépôts supérieurs à 500 000 F et une interdiction de rémunération des dépôts à vue.
41La décision ministérielle le suivra sur la suppression de la rémunération des dépôts à vue, mais ira plus loin avec le relèvement de la rémunération des dépôts de deux mois à deux ans, et la liberté pour la rémunération des dépôts de plus de deux ans ou supérieur à 250 000 F. On notera cependant que le directeur du Trésor n’est cette fois-ci que partiellement opposé à la réforme.
42Enfin, dans la ligne des mesures prises par son prédécesseur en 1965, Michel Debré continue de développer ce qu’il appelle « une politique active de mobilisation de l’épargne » en favorisant les opérations des Caisses d’épargne, et en créant des plans d’épargne sur 10 ans assortis de privilèges fiscaux85. Cette politique de l’épargne se traduit aussi par l’élargissement de la technique de crédit-bail, la suppression en 1966 du dépôt obligatoire au Trésor de 30 % des ressources d’emprunt de la Caisse nationale de crédit agricole et le développement autorisé de ses ressources par les comptes d’épargne et les comptes sur livrets rend à l’établissement une certaine autonomie. En dépit des réticences des banques inscrites qui se plaignent régulièrement des faveurs dont il fait l’objet, le secteur mutualiste et coopératif du crédit bénéficie donc également des mesures de libéralisation86. La réforme des Caisses d’épargne sur laquelle la Commission Racine avait travaillé, ne verra pas le jour : ajournée à l’automne 1968, elle fait partie des réformes balayées par les événements de mai 1968.
3. Élargir les marchés de capitaux.
43Peut-être moins bien connus et moins spectaculaires que les réformes des banques et du crédit, les efforts de Michel Debré en faveur du développement des marchés de capitaux méritent cependant d’être recensés et analysés, en fonction des archives disponibles. L’objectif d’une réorganisation des marchés financiers est double : d’une part, favoriser le financement des investissements, d’autre part, redonner à la Place de Paris sa dimension internationale. C’est le souhait de certains banquiers d’affaires87 mais aussi de certains hauts fonctionnaires. Quelques voix s’élèvent en effet au sein de l’administration des Finances en faveur d’une mutation des structures du marché financier, d’une suppression des contrôles exercés par le Trésor sur les émissions étrangères, les taux d’émissions des obligations et le calendrier des émissions88. Mais lorsque V Giscard d’Estaing envisage de supprimer le contrôle préalable des émissions d’emprunts obligataires par le Trésor en 1965, M. Pérouse défend le maintien de l’existant. Parmi ses argumentations apparaît en filigrane le rôle que le Trésor entend jouer en faveur de « la protection de l’épargne » et de « l’orientation sur la politique d’investissement des entreprises »89. La réforme sera reprise par M. Debré, qui, pour une fois, prendra en considération une partie des remarques de son directeur du Trésor, dont sa proposition de conserver la maîtrise du calendrier pour les émissions supérieures à 30 millions : une décision du ministre du 7 janvier 1966 dispense en effet d’autorisation les émissions obligataires inférieures à 15 millions et permet le choix libre du calendrier pour celles inférieures à 30 millions. Dorénavant le Trésor ne maîtrise plus entièrement ni le choix des émissions ni leur calendrier. Mais on soulignera que l’outil n’est pas entièrement et définitivement supprimé, et reste un levier potentiel d’intervention.
44Michel Debré poursuit sa réforme bien au-delà du « déverrouillage » financier lorsqu’il commande à René Larre un rapport sur le développement du rôle de Paris sur le marché international des capitaux90. Étroitesse du marché monétaire, faiblesse du réseau bancaire français à l’étranger, politique économique autarcique : telles sont les caractéristiques qui nuisent, selon le rapport, à l’émergence d’un marché financier international en France. Les conclusions de René Larre tendent à une libéralisation des transactions avec l’étranger, notamment l’autorisation des émissions internationales et des emprunts étrangers en France, la libéralisation des opérations bancaires avec l’étranger ; la suppression de la réglementation sur les valeurs étrangères... Bref tout un pan de la réglementation des changes est à revoir, qui limite les possibilités de développement des banques à l’étranger et celles du marché financier français91. Selon le directeur du Trésor, interrogé par le ministre sur ledit rapport, les mesures proposées soulèvent « la question capitale [...] de l’autonomie de notre marché monétaire par rapport aux marchés internationaux de capitaux, et des dangers qu’il peut y avoir à sacrifier au-delà de certaines limites cette autonomie à un souci de plus grande libéralisation ou à un désir de prestige plus étendu »92. Une fois encore, Maurice Pérouse est mis en porte-à-faux par un rapport commandé à l’extérieur du Trésor et défend la tradition. C’est pourtant dans cette logique d’ouverture internationale que s’opèrent la plupart des réformes bancaires de 1966-1967. Dans la ligne des recommandations de René Larre, la loi du 28 décembre 1966 et le décret du 27 janvier 1967 relatifs aux relations financières avec l’étranger libèrent les changes tout en maintenant des leviers de contrôle. La philosophie du projet renverse la tendance, en définissant la liberté comme étant le régime général, alors que le contrôle était jusqu’à présent la règle93.
45Afin de lui redonner la dimension internationale qui lui fait cruellement défaut, le marché financier bénéficie de libéralisations importantes : autorisation des émissions internationales en France, assouplissement des opérations bancaires à l’étranger.
46L’action du ministre se caractérise également par la création de nouveaux marchés. En instaurant une commission ad hoc chargée d’étudier le développement du marché obligataire94, Michel Debré va plus loin que son prédécesseur. Une fois encore, le directeur du Trésor paraît bien éloigné de ces réformes, lorsqu’il souligne les difficultés de placements des emprunts obligataires pour 1967 et préconise une restriction de l’ouverture du marché aux étrangers95. Destinée à développer le crédit immobilier, la création d’un marché hypothécaire, en septembre 1966, concrétise un projet inspiré du modèle américain, « de plus en plus fréquemment préconisé »96. Le directeur du Trésor paraît sceptique quant à son intérêt : « Il n’existe pas dans ce domaine de remède miracle. La proclamation de l’existence d’un marché hypothécaire n’apportera en elle-même pas la moindre ressource aux financements immobiliers »97. Néanmoins l’idée est mise en place et imposée aux banques à grand renfort d’informations télévisées ; le marché hypothécaire est placé sous la houlette du Crédit foncier.
47Du point de vue de la Bourse, la réforme du statut de la compagnie nationale des agents de change (loi du 28 décembre 1966) et la cotation officielle de l’or à Paris contribuent à moderniser la Bourse de Paris. Enfin, dans un souci d’information et de régulation des transactions, la création de la Commission des opérations de bourse (COB) peu ou prou inspirée de la SEC américaine98, reprend les fonctions jusque-là exercées par le Comité des bourses de valeurs et la direction du Trésor. Son premier président, Pierre Chatenet, n’est pas choisi dans le sérail de l’establishment financier mais parmi les fidèles de Michel Debré99. L’introduction de l’Offre publique d’achat (OPA), déjà en vigueur sur d’autres places financières, complète le dispositif destiné à encourager les placements en actions et à surveiller les mouvements de capitaux des sociétés.
48Enfin, l’accès au marché monétaire s’ouvre à des établissements non bancaires. Si la possibilité offerte aux compagnies d’assurances et aux caisses de retraite d’intervenir sur le marché monétaire offre des perspectives nouvelles, l’éventualité d’une ouverture de ce marché aux grandes entreprises100 est repoussée par Michel Debré. Il semblerait, selon le témoignage de Jean-Yves Haberer, que le gouverneur de la Banque de France, Jacques Brunet, ait été opposé à cette idée et que Michel Debré ait décidé d’ajourner la décision101. Hormis cette mesure et la possibilité pour le Crédit Foncier et le Crédit national d’émettre des bons, le marché monétaire n’est pas véritablement modernisé. Le rapport Marjolin, Sadrin, Wormser de 1969 sera la prochaine étape, mais, fait significatif, le directeur du Trésor n’y sera pas associé, à son grand dam102.
49Si l’équipe Debré n’a pas mené à son terme toutes les mesures qu’elle souhaitait mettre en place, celles qui sont effectivement en route constituent un ensemble impressionnant de libéralisation du système. Certes préparées en partie par le ministre précédent, elles sont le fruit d’une conjonction exceptionnelle entre un ministre réformateur, un conseiller technique expert et dynamique, une conjoncture économique et politique propice. N’oublions pas non plus les acteurs de la Place, qui ont montré parfois leur désir de moderniser les structures françaises et sur lesquels le ministre et son cabinet ont pu s’appuyer. En arrière-plan, l’ouverture de l’économie française à l’international et la mise en place du Marché commun ont contraint la France à s’adapter : cette nouvelle donne extérieure qui oblige à faire sauter les verrous installés depuis la guerre apparaît clairement à l’origine des mesures libératoires. Les archives révèlent à cet égard l’étude de plus en plus fréquente des exemples étrangers par les experts de la rue de Rivoli, dont s’inspirent en partie les mesures françaises. Le modèle américain prédomine, mais le modèle allemand n’est pas négligé, surtout lorsqu’il sert les thèses défendues par le Trésor. Le développement de lieux de rencontres et d’échanges entre hauts fonctionnaires au sein du Marché commun facilite l’information sur les méthodes et les pratiques des pays-membres103. De ce point de vue, les années 1960 marquent un tournant décisif pour l’exception française.
50On peut remarquer enfin que ces grands pas vers la modernisation financière se sont opérés selon deux types de processus décisionnels : soit par une décision politique imposée unilatéralement et brusquement aux acteurs, par exemple lors de la fusion des banques et des assurances ou de la création de la COB ; soit par la création d’une commission d’experts ou la commande d’un rapport qui préconise les réformes possibles : Commission Leca, Commission Gilet, Commission Racine, Commission Mathey, rapport de René Larre... Autant d’exemples qui, à l’exception de celui des Caisses d’épargne, ont abouti à des mesures rapides et décisives prises en concertation avec les différents acteurs. La volonté et la persévérance ministérielles, rendues effectives par la présence systématique d’un membre du cabinet dans les commissions, ont évité un enterrement des projets mais ont surtout permis une mise en œuvre rapide et effective des conclusions.
51Du point de vue du Trésor, qui a perdu quelques plumes dans l’aventure, force est de constater l’attitude négative du directeur sur de nombreuses mesures : les réformes de l’organisation bancaire, l’ouverture internationale de la Place, la libéralisation des taux et des marchés... Comment expliquer cette frilosité de la part d’un homme sensible aux influences américaines, et plutôt libéral ? Si les événements ultérieurs permettent de mesurer les effets des différentes mesures prises104, l’historien peut tenter de comprendre et d’expliquer pourquoi, sur le moment, il apparaît comme le dernier gardien d’une orthodoxie dépassée. La position traditionnelle de la direction sur le système bancaire, le souci de préserver la rentabilité des banques, la crainte aussi d’une hausse du coût du crédit, ou bien encore les effets indirects et non prévisibles sur la trésorerie, ont commandé la prudence en matière de libéralisation des réglementations bancaires et financières. La libéralisation risquant aux yeux de la tutelle d’aboutir à une hausse des frais fixes des banques, des taux bancaires, et à des mouvements financiers incontrôlables, lui est préféré le malthusianisme sécurisant de la réglementation. Le rôle traditionnel du Trésor, tuteur du marché financier et du crédit, protecteur de l’épargne et défenseur des banques françaises face à la concurrence, le pousse à cette attitude frileuse : il est le gardien du système et il est donc dans son rôle lorsqu’il défend le maintien de l’existant ; qui d’autre le ferait, hormis la Banque de France, en phase avec le Trésor sur un certain nombre de questions, mais qui se montre aussi plus ouverte que lui : elle n’a pas la charge de la trésorerie qui commande une grande part de l’attitude du Trésor.
52Le jeu de rôle dans lequel M. Pérouse s’enferme ne suffit pas cependant à expliquer ses réserves systématiques.
53Sans doute le cabinet a-t-il dû s’appuyer sur des membres de la direction pour élaborer les textes. Étienne Delaporte affirme aujourd’hui avoir accompagné les mesures du cabinet105. Cependant, à travers quelques exemples, nous avons pu relever que les bureaux de la direction étaient parfois plus réservés que le directeur lui-même sur les innovations. Ainsi lorsque l’on sait que le sous-directeur du Mouvement général des fonds est entré à la direction du Trésor en 1947, qu’il a vu naître puis a appliqué la politique du circuit des années 1950, l’on comprend que l’héritage est loin d’être enterré... Les autres bureaux réticents devant les réformes, B1 et Cl principalement, sont toutefois gérés par des énarques de génération différente, dont certains sont arrivés au Trésor au début des années 1960 : le critère de la formation de l’ENA opposé à celui de la formation des anciens rédacteurs ne constitue donc pas ici une explication satisfaisante. Sans doute les uns et les autres sont-ils imprégnés de la culture dominante d’intervention qu’ils rencontrent depuis le début de leurs années de formation, de Sciences Po jusqu’à leur entrée au Trésor. À tout le moins, ces profils divers offrent un contraste saisissant avec celui du jeune conseiller technique du cabinet qui entre dans la vie active en 1962 : est-ce le poids de la personnalité ou bien une spécificité de l’inspection des Finances, qui permet une ouverture d’esprit ? Rappelons à cet égard que les administrateurs civils ne profitent pas encore de la mobilité, facteur d’ouverture et d’évolution des pratiques et des doctrines. Un troisième élément de nature sociologique explique la résistance du Trésor face à ses mesures. Inévitablement, celles-ci entraînent soit la perte de contrôle du calendrier des émissions, soit la limitation du maniement des taux, et plus largement limitent son rôle d’influence sur la politique monétaire et financière, au profit des banques ou pire encore de la Banque de France. En arrière-plan des réformes, pour les agents de la direction la question du rôle du Trésor et de son identité construite en partie sur l’édifice réglementaire de plusieurs décennies est alors remise en question. Quelle administration verrait sans réticence son champ de compétence réduit, son pouvoir d’influence restreint ? La stratégie de la direction du Trésor durant cette courte période apparaît surtout défensive, face à son instrumentalisation par le cabinet du ministre. Mais le directeur du Trésor, conscient des limites de son influence, sait jusqu’où il ne peut pas aller. N’ayant pas réussi à convaincre, il saura s’incliner, s’adapter aux désirs de son ministre. Est-il d’ailleurs véritablement opposé à toutes les réformes ou bien affiche-t-il de l’être ? C’est l’hypothèse que propose Jean-Yves Haberer pour tenter d’expliciter l’attitude de son directeur :
« Pour certaines [mesures], je savais qu’il était pour. Je savais, parce que je me souvenais de réflexions antérieures de lui, parce que certains de ses collaborateurs me disaient : « Pérouse, il n’est pas contre, vous le connaissez, il ne veut pas prendre la responsabilité ». Il aimait bien cette situation où quelqu’un la prenait à sa place »106.
54Mais laisser à d’autres le soin de prendre l’initiative et donc de recueillir éventuellement le bénéfice de mesures modernisatrices et populaires, est-ce un bon pari ? Enfermée dès lors dans ce rôle ingrat de défense de l’existant, l’image dynamique et modernisatrice de la direction du Trésor, créée par E B1och-Lainé, se trouble. Peut-être la période de B1och-Lainé a-t-elle contribué à donner une vision déformée de la direction du Trésor, que l’on représente depuis comme un moteur de réformes, en pointe sur la modernisation... Est-ce vraiment son rôle ? La direction du Trésor n’est-elle pas par nature, comme toute administration de gestion, conservatrice au sens littéral du terme, de l’ordre établi ? À l’intérieur du maintien d’un équilibre existant, des possibilités d’évolution et d’innovation peuvent néanmoins se présenter. À travers leurs témoignages, les hauts fonctionnaires du Trésor de l’époque révèlent qu’ils auraient préféré un esprit plus entreprenant, plus valorisant pour la direction, précédemment dirigée par de fortes personnalités.
55En dépit de la faculté d’adaptation de M. Pérouse et de ses qualités reconnues d’expert, les relations pourtant anciennes et confiantes qu’il entretenait avec M. Debré ont dû peu à peu se détériorer. Si son départ en volonté du ministre de changer de directeur ? C’est l’avis partagé de Jean- Yves Haberer et de Claude Pierre-Brossolette pour lesquels l’effervescence réformatrice de Michel Debré s’accommode mal de son attitude prudente et mesurée107. La nomination de E B1och-Lainé à la tête du Crédit lyonnais permet de libérer le poste de directeur de la Caisse des dépôts pour M. Pérouse. Son successeur, R. Larre, paraît l’homme capable d’accepter et de mener à bien la poursuite des réformes internes. Hormis son rapport sur le développement international de la Place de Paris, on retrouve trace d’une étude menée par ses soins aux États-Unis sur le crédit hypothécaire et son éventuelle transposition en France108. De ce point de vue, il se situe donc dans la réflexion politico-administrative du moment, qui puise dans le modèle anglo-saxon des idées de réformes financières. Bien que non gaulliste et ayant appartenu à des cabinets de la fin de la IVe République, il présente l’avantage de connaître M. Debré depuis longtemps109. Son expérience américaine comme son tempérament « pragmatique, flexible et conciliant »110 le conduisent à approuver sans réticence les réformes envisagées, voire à les proposer. Éloigné des affaires françaises depuis 1961, il présente également l’avantage d’avoir un oeil neuf et lucide sur le système financier français, comme l’explique Jean-Yves Haberer :
« A l’égard de l’establishment, il avait vécu assez longtemps à l’étranger pour en être indépendant. Il avait un peu de désinvolture d’esprit, donc il n’était pas sous contrôle de l’establishment français »111.
56En 1967, René Larre est sans doute le haut fonctionnaire qui correspond le mieux à l’esprit de réforme qui anime alors les dirigeants politiques, et qui répond « aux critères du moment »112 que nous définirions comme étant un certain pragmatisme, l’acceptation des initiatives politiques en matière de réformes, mais également une certaine expérience des affaires monétaires internationales. Depuis la scission du Trésor d’avec les Finex en 1940, la place de la filière internationale dans le cursus des directeurs du Trésor ne s’est pas démentie. Mais elle revêt en ces années une importance particulière. Car la forte impulsion politique, manifeste à travers les mesures bancaires et financières étudiées, se traduit également dans la remise en question de l’ordre monétaire international. La volonté d’indépendance de la France vis-à-vis des États-Unis entraîne un revirement de sa politique monétaire extérieure et contribue indirectement à la réorganisation de la direction du Trésor. René Larre en sera le principal artisan.
II. LE NOUVEAU VISAGE DE LA DIRECTION DU TRÉSOR
A. LA FUSION FINEX-TRÉSOR, UN CHOC SALUTAIRE
57Le 17 mars 1965, le conseil des ministres entérine la proposition de V Giscard d’Estaing de supprimer la direction des Finances extérieures et de confier une partie de ses attributions à la direction du Trésor113. La décision, officiellement justifiée par l’ouverture progressive de la France à l’économie internationale et par l’interdépendance croissante entre la politique monétaire interne et externe114, est a priori cohérente et légitime. La séparation en deux du Trésor depuis la guerre, justifiée par la pénurie de capitaux et de devises, apparaît, à l’heure du Marché commun et du développement des moyens de paiements internationaux, bien désuète. C’est d’ailleurs l’avis rétrospectif des témoins qui sont en poste dans l’une ou l’autre direction à cette époque115. D’autant que le Trésor et les Finex ont des champs de compétence croisés, comme l’outre-mer, le financement de l’assurance-crédit, les investissements étrangers en France ou français à l’étranger, ou bien encore les créances françaises sur les pays étrangers, etc. La politique des taux d’intérêt, la question des emprunts internationaux ou bien encore le remboursement de la dette extérieure française ont mis en lumière depuis le début de la décennie l’imbrication des aspects monétaires intérieurs et extérieurs ; nous avons aussi vu dans quelle mesure les réformes des banques et du crédit étaient dictées par la pression extérieure. Du point de vue administratif, il y avait certainement une concurrence, moins avouée que celle avec le Budget, entre le Trésor et les Finex. André de Lattre témoigne que Maurice Pérouse, dont il est cependant proche, « a tendance à marcher sur ses plates-bandes »116. Pierre de Vogüé, au style pourtant très feutré, renvoie le même écho du côté du Trésor : « Je percevais les raisons pour lesquelles [la fusion] était souhaitable parce que j’entendais parler souvent des rivalités entre Trésor et Finances extérieures »117.
58Cependant la brusque suppression du poste d’André de Lattre en février 1965 surprend la rue de Rivoli. Pourquoi le directeur de Finex est-il évincé, son poste supprimé, méthodes qui ne correspondent guère aux mœurs administratives, habituellement plus discrètes et policées ? Sans faire l’historique détaillé des relations monétaires internationales et de la direction des Finances extérieures, qui mériterait en soi une recherche, quelques facteurs décisifs expliquent cette soudaine accélération de la décision.
1. Un contexte financier et politique mouvementé.
59Grâce à son redressement économique et financier interne, la France a reconstitué depuis 1958 ses réserves de change : elles s’élèvent à 1 051 millions de dollars au 31 décembre 1958, et frisent les 6 milliards en 1966. Face à l’accumulation croissante de ses avoirs en dollars, la France s’attache depuis le début de la décennie à rembourser par anticipation la majeure partie de sa dette extérieure, soit un total de 1 650 millions en 1966118. Après avoir bénéficié de l’aide américaine, du FMI ou de l’UEP, dans des conditions parfois humiliantes, la France retrouve sa place et son rang financier, le premier objectif du général de Gaulle étant alors de rétablir l’indépendance financière et monétaire de la France. Parallèlement, depuis 1961, face au développement rapide des liquidités internationales, s’engage une réflexion au sein des pays occidentaux sur la nécessaire évolution du SMI. Les Accords généraux d’emprunts de 1961 concluent à la nécessité de réguler ces nouvelles liquidités internationales, des discussions se font jour au sein du FMI et du groupe des Dix sur les corrections à apporter au système monétaire international (rapports Triffin, Bernstein...) et l’idée d’une unité collective de réserve (CRU) fait son chemin119. Dans ce contexte de débats et d’études approfondies sur le SMI, la position française se détache progressivement de celle des États-Unis, sur la création de nouveaux instruments de réserves mais également sur le rôle de l’or comme monnaie de réserve. Poussé par Jacques Rueff, qui publie en 1961 une série d’articles intitulée « Un danger pour l’Occident : le Gold Exchange Standard »120, conseillé par Jean-Maxime Lévêque, Étienne Burin des Roziers et Guillaume Guindey121, le général de Gaulle enfourche un nouveau cheval de bataille, celui des méfaits inflationnistes du déficit de la balance des paiements américaine et de la remise en cause de l’étalon de change or, fondé sur une monnaie dominante122. À partir de 1963, la controverse se transforme en affrontement : la France fait rapatrier son or détenu aux États-Unis, et commence la conversion de ses dollars en or. Le paroxysme de la tension est atteint avec la conférence de presse du général de Gaulle du 4 février 1965, au cours de laquelle il condamne l’étalon de change or et appelle de ses vœux un système monétaire international qui ne soit plus fondé sur la domination du dollar.
2. Finex, entre nationalisme et culture internationale.
60Face à ces prises de position de plus en plus incisives et agressives, la direction des Finex est mal à l’aise. D’une part, les initiatives de la France lui paraissent techniquement délicates à réaliser. Lorsque de nouvelles instructions de conversion parviennent à André de Lattre en janvier 1965, qui tendent à convertir 285 millions de dollars sur les 1 366 en réserves, celui-ci les juge trop massives et propose un étalement sur trois mois123. A posteriori, ce dernier confirme s’être prononcé contre la réévaluation de l’encaisse-or, « un cadeau à la spéculation », et contre la politique d’échange des dollars contre l’or124.
61Au-delà des objections techniques, la politique anti-américaine heurte en partie la sensibilité de plusieurs hauts fonctionnaires. La culture des Finex, telle qu’on peut l’entrevoir en l’état actuel de l’historiographie125 de cette direction, est animée de sentiments ambigus envers les Américains : sans être anti-américaine, dès la fin de la guerre, la direction se montre préoccupée de la prépondérance excessive des Anglo-saxons dans la coopération monétaire internationale126 ; elle oscille entre le « complexe de M. Perrichon » face à son bienfaiteur et l’intérêt bien compris de la France de s’attirer les bonnes grâces de l’ami américain : rappelons que le douloureux souvenir de janvier 1958 n’est pas si loin, et que la guerre froide dessine encore l’arrière-plan géopolitique du débat. L’ambiguïté de l’attitude des Finex vis-à-vis des Américains peut trouver une partie de son explication dans les expériences vécues de ses dirigeants et l’existence possible d’un clivage entre générations. Ne voit-on pas Guillaume Guindey, l’ancien chef charismatique des Finex, se rallier aux thèses gaullistes127 et René Larre, inspecteur des Finances de la promotion 1942, se déclarer « heureux comme tout de faire la " nique " aux Américains »128 ? Alors que les hauts fonctionnaires des Finex en poste dans les années 1960 sont aujourd’hui critiques sur ces attaques de De Gaulle, qui ne leur paraissent pas fondées : « À l’époque, je pensais que c’était possible de changer quelque chose [dans le SMI], mais que cela ne servait à rien de lutter contre les Américains par pure gloriole » estime Michel Rougé129. « Je trouvais ce nationalisme monétaire ridicule. [...] Il ne fallait pas prendre une position systématique de prise d’or, contre les États-Unis » affirme Claude Pierre-Brossolette130.
62Sans doute également les Finex sont-elles imprégnées d’une culture de négociation qui s’accommode mal des coups de force et des déclarations guerrières du chef de l’État. Ainsi André de Lattre s’efforce-t-il sans doute de rechercher des compromis, comme il le dit lui-même, voire de freiner la mise en œuvre des instructions131. Mais le couperet tombe peu après la conférence du général de Gaulle132 : l’ancien conseiller économique du général de Gaulle à l’Élysée apprend, alors qu’il était en vacances, que son poste est supprimé. Était-ce pour ne pas le gêner face au changement de politique annoncé, comme le général de Gaulle l’aurait dit à l’intéressé133 ? A-t-il été trop loin dans sa résistance ? A-t-il sous-estimé la volonté du général ou surestimé sa capacité à le fléchir ? C’est certainement sur décision du chef de l’État, poussé par le clan rueffien qui a, selon R. Larre, « bâti un véritable monument de haine vis-à-vis des Américains »134, qu’André de Lattre est évincé.
63Dans ce scénario tragique, un troisième acteur entre en scène.
3. Le rôle de V. Giscard d’Estaing.
64Sur le rôle de l’or, sur les risques engendrés par le déficit de la balance des paiements américaine, le ministre des Finances et des Affaires économiques défend publiquement la position française à plusieurs reprises. Devant le FMI, en septembre 1964, V. Giscard d’Estaing déclare que « le système monétaire mondial doit s’ordonner en cercles concentriques constitués d’abord par l’or [...]. Le centre est l’or »135. Une semaine après la conférence de presse du chef de l’État, le ministre prononce à la Maison du Droit à Paris un discours moins polémique mais dans la même ligne politique que le chef de l’État : il dédramatise les opérations de conversions de dollars en or, mais préconise l’utilisation de l’or pour le règlement des déficits des balances des paiements et l’élimination des excès de monnaies de réserve détenues par les banques centrales – soit le dollar136. Par souci tactique ou par conviction, le ministre est sur ce point sur la même ligne politique que le chef de l’État. Aussi, lorsque le général de Gaulle s’impatiente devant les lenteurs de la conversion des dollars en or, V Giscard d’Estaing, responsable devant le chef de l’État de la mise en œuvre des instructions élyséennes, doit-il trouver une solution pour sortir de l’impasse. C’est en tout cas la version de son directeur de cabinet, qui explique que la fusion entre Finex et Trésor est née de l’impossibilité pour V. Giscard d’Estaing de se faire entendre (obéir ?) du directeur des Finex137. Chronologiquement, le poste d’André de Lattre est supprimé avant que la fusion soit entérinée : présentée comme une réorganisation nécessaire, la fusion Finex-Trésor n’est, à ce moment-là, qu’une solution imaginée pour évincer de Lattre.
65Le départ de De Lattre est-il une décision du chef de l’État soufflée par le ministre ? Peut-être, lorsque l’on apprend par divers témoignages l’inimitié que V Giscard d’Estaing voue à de Lattre depuis l’époque où l’un était secrétaire d’État et l’autre directeur de cabinet de W. Baumgartner138. À tout le moins le chef de l’État et le ministre sont-ils tombés d’accord sur son départ. En revanche, la fusion des deux directions est une idée de V Giscard d’Estaing, qui lui permet à la fois de régler le problème de la mise en œuvre de la conversion vis-à-vis du général de Gaulle, de faire une grande réforme administrative de modernisation, mais aussi de transformer le SEEF en direction de la Prévision sans création de poste budgétaire supplémentaire. Nommé à la tête de la nouvelle direction, Jean Saint-Geours ne peut plus en outre être candidat à la direction du Trésor139. D’un seul coup, le ministre règle ainsi un problème politique, met en place une réforme administrative souhaitée et évince de postes prestigieux des hauts fonctionnaires qui ne sont pas « en cour ».
66La chronique de cette fusion finalement jugée nécessaire sur le principe, mais dont les méthodes sont largement condamnées par les acteurs de l’époque, invite à plusieurs réflexions. Une réorganisation administrative se produit souvent par coup de force politique, dans un contexte propice au changement. C’était le cas sous Vichy, à la Libération, en 1958, et en 1965 dans le cadre d’un revirement de politique étrangère. L’influence des hauts fonctionnaires trouve ici un bel exemple de son importance et de ses limites : la résistance d’André de Lattre, puis son éviction montrent à rebours que ses doctrines pouvaient peser dans les décisions, et qu’il représentait sur la scène internationale une position qu’il fallait symboliquement écarter. Dans un contexte politique fort et une conjoncture monétaire moins tendue, la capacité d’influence d’un haut fonctionnaire dirigeant est singulièrement réduite : s’il n’est pas dans la ligne, il est condamné soit à obéir, soit à être évincé. A contrario, Claude Pierre-Brossolette, alors directeur adjoint des Finex, bien que sur la même ligne que son directeur, avoue avoir défendu la position française de 1964 à 1974 sans y adhérer140. En comparaison, l’attitude prudente de Maurice Pérouse apparaît provisoirement plus efficace, pour sa carrière comme pour l’institution qu’il dirige. Son successeur, René Larre, qui témoigne de la difficulté de défendre la position française, selon laquelle « il fallait se faire tuer sur la tranchée de l’or »141, apparaît également moins attaché à des principes doctrinaires et d’une certaine manière plus flexible dans ses conceptions.
4. Une fusion en douceur.
67À la suite de la décision de mars 1965, la fusion des deux directions s’opère en trois temps.
68André de Lattre propose lui-même au ministre le transfert de la gestion de son ancienne direction au directeur du Trésor142. Cette initiative renforce singulièrement la position de la direction, alors que débute une âpre négociation entre le Trésor et la DREE pour le partage du territoire des Finex. Au conseil des ministres, le ministre proposait dans un premier temps de confier à la DREE la conduite des négociations financières et la responsabilité de l’action des conseillers financiers à l’étranger, le Trésor recevant compétence pour toutes les affaires relevant de la monnaie et du crédit (aide financière, assurance-crédit, investissements étrangers, change)143. Quelques jours plus tard, une note du directeur du Personnel et des Services généraux rend compte des points d’accords et de désaccords entre le Trésor et la DREE144. Les trois questions sur lesquelles le ministre doit arbitrer concernent la responsabilité de l’aide financière, du contrôle des investissements internationaux et le rattachement des conseillers financiers à l’une ou l’autre direction. D’après ses annotations manuscrites en marge de la note du directeur, l’arbitrage du ministre est clairement et systématiquement favorable au Trésor sur tous les points litigieux. En dépit d’une intervention de G. Pompidou en faveur de la DREE145, V. Giscard d’Estaing maintient son arbitrage. En vertu du décret du 1er juin 1965 et de la décision ministérielle du 11 juin 1965, la direction du Trésor obtient 8 bureaux des Finex (dont l’aide financière et les investissements étrangers) ainsi que le rattachement des conseillers financiers. La DREE ne reçoit qu’un seul bureau (assurance-crédit et aspects financiers du commerce extérieur), les autres bureaux étant répartis entre la direction du Budget, la direction générale des Douanes et des Droits indirects, la direction du Personnel et la Comptabilité publique.
69A partir de juin 1965 et jusqu’au départ de Maurice Pérouse en 1967, les deux services sont juxtaposés sous la houlette de ce dernier et leurs compétences respectives réparties selon un savant équilibre. Les deux chefs de service, Pierre de Vogüé pour les affaires internes, Claude Pierre- Brossolette pour les affaires externes, sont chargés de coordonner sous l’autorité du directeur l’action de leurs sous-directions. Afin de placer les deux services à égalité, la première sous-direction du Trésor est éclatée entre deux sous-directions et le prestigieux bureau A1 directement rattaché au chef de service. Seule véritable réorganisation, le secteur de l’outre-mer regroupe dorénavant les bureaux de l’ancien Trésor (D1 et D2) et des Finex (1E) au sein d’une nouvelle sous-direction confiée à Dominique Chatillon, un inspecteur des Finances issu des Finex, tandis que la 4 e sous-direction du Trésor disparaît. Si cette période de transition est censée ménager la susceptibilité des anciens services des Finex, la direction du Personnel ne l’envisage pas de cette manière et dénonce l’« importance disproportionnée qui est ainsi donnée à l’extérieur aux affaires intérieures » et trouve « déplorable la rigidité des attributions du service « extérieur », notamment l’organisation des bureaux à base géographique »146.
70Cette période de transition permet surtout aux dirigeants de rechercher des regroupements fonctionnels et des solutions administratives satisfaisantes pour l’équilibre d’attributions entre sous-directions et bureaux. Plusieurs réflexions s’engagent autour de M. Pérouse sur la réorganisation de la structure du Trésor intérieur, en vue de « supprimer des doubles emplois et des partages d’attributions mal fondés »147. S’engage alors toute une recherche sur une nouvelle répartition des bureaux correspondant plus clairement aux nouvelles responsabilités « primordiales » de la direction du Trésor, « la politique du crédit » et le « développement du marché financier »148 : « Ainsi, contrairement à ce qui a été le cas jusqu’à maintenant, y aurait-il à la direction du Trésor non pas plusieurs mais un seul interlocuteur au niveau des sous-directions ou de chef de bureau pour traiter des mêmes questions de taux d’intérêt ou de politique du crédit avec les divers réseaux d’établissements si ardemment entraînés par l’esprit de concurrence entre eux que le rôle d’arbitre joué par le Trésor, chaque jour plus difficile, est aussi chaque jour plus nécessaire »149. Bien que souhaitant participer à ces réflexions et ayant envoyé un rapport sur la question au ministre le 15 mars 1966, la direction du Personnel est une fois encore court-circuitée, à sa grande indignation. Et lorsque René Larre réorganise véritablement le Trésor en octobre-novembre 1967, elle constate que « le changement de directeur au Trésor n’a donc pas modifié les méthodes utilisées à l’égard de la direction du Personnel et des Services généraux. [...] La communication de tel ou tel projet à la direction du Personnel et des Services généraux devient pour les directions une formalité d’usage. Ce fait n’est pas nouveau mais a trouvé dans l’affaire du Trésor une démonstration éclatante »150. La réorganisation effective du Trésor à la fin de l’année 1967 en une structure ternaire perdure encore aujourd’hui.
Note * : La sous-direction F est rattachée au Service des Affaires internationales
Sources : Bottin administratif, 1968
71Ce nouvel organigramme appelle quelques commentaires. D’une part, l’équilibre précédent entre service interne et service externe est rompu en faveur de l’ancien Trésor, qui recouvre deux services sur trois. On notera cependant que le service des Interventions ne comprend pas de sous-direction et seulement cinq bureaux, dont un issu des Finex. Parmi eux, le fonds de développement économique et social, dirigé par un inspecteur des Finances, est dorénavant intégré à la structure de la direction, alors que le secrétariat du conseil de direction du FDES reste à l’extérieur. Les rivalités anciennes entre la deuxième sous-direction et le FDES qui recouvraient également celle entre inspecteur des Finances et administrateurs civils, sont donc atténuées, au prix d’un compromis : l’inspecteur des Finances, Jean- Michel B1och-Lainé, est chargé de mission rattaché au bureau et l’administrateur civil, Roger Gaben, est chef du bureau... D’autre part, la première sous-direction se voit retirer le bureau du financement des investissements et de celui de la construction. Pierre de Vogüé avait bien tenté d’éviter cette hémorragie en soulignant que « l’opération consisterait à amputer la sous-direction, sans les remplacer, de ses deux « poumons » ouverts à l’air extérieur »151. Son plaidoyer en faveur du maintien du bureau des « Émissions spécialisées », A2 et A4, s’appuie sur le fait qu’il lui paraît peu concevable qu’« une sous-direction chargée de l’émission des emprunts d’État et de la gestion de la dette publique ne soit pas maintenue en contact régulier avec les problèmes d’émissions sur le marché. [...] Les organismes dont le bureau A4 s’occupe sont pour la plupart ceux qui posent, notamment en raison de leurs besoins, des problèmes de « débudgétisation » et d’interférences avec les données d’équilibre de l’impasse dont a à connaître le bureau de la Trésorerie ».
72Sous forme de compromis, la nouvelle organisation laisse à la première sous-direction l’examen et le financement par l’emprunt des programmes des administrations et entreprises publiques de transport, tandis que le bureau du FDES examine le financement des programmes d’équipement des entreprises nationales... Bien que relative, la logique fonctionnelle alliée au souci de rééquilibrage entre les sous-directions a eu raison de la supériorité traditionnelle du mouvement des fonds sur les autres sous-directions. En corollaire, la sous-direction « Activités financières » transformée en « Épargne et Crédit » reçoit de nouvelles responsabilités en matière de politique du crédit ainsi que le financement de la construction, tous deux transférés de la 1r e sous-direction. Logiquement, la direction du Trésor adapte ses structures au développement croissant des banques et du marché financier comme collecteurs d’épargne. En contrepartie, le « cœur » du Trésor se recentre sur la gestion de la trésorerie, les comptes spéciaux du Trésor et les collectivités publiques. Le service des affaires internationales conserve sa répartition entre affaires bilatérales et relations bilatérales mais la sous-direction des règlements avec l’étranger, assez logiquement, disparaît152.
73La structure nouvelle de la direction du Trésor correspond donc bien à une adaptation de l’organisation aux nouvelles orientations de ses missions : gestion de la trésorerie, la surveillance des marchés de capitaux et des établissements bancaires, le développement des relations avec l’étranger remplacent les fonctions de réglementation et de contrôle jusqu’alors prédominantes. La fusion Finex-Trésor a permis cette réorganisation que l’on peut juger plus transparente sur le rôle du Trésor et mieux adaptée aux réalités de la vie économique et financière. Elle intègre en effet l’imbrication croissante des aspects monétaires et financiers internes et externes, elle entérine la libéralisation de la vie économique et financière française vis-à-vis de la tutelle du Trésor.
74Cette modernisation des structures s’est-elle accompagnée d’une amélioration du cursus et du statut des administrateurs civils, qui se plaignaient dix ans auparavant de la lenteur de leur avancement ? A-t-elle permis un décloisonnement des bureaux, une mobilité accrue des hauts fonctionnaires, et des transferts entre les Finex et le Trésor ? Les sorties des administrateurs civils ont-elles évolué depuis 1958 ? Dans quelle mesure la fusion a-t-elle accru le prestige de la direction ? L’identité du Trésor s’en est-elle trouvée modifiée ? Ces différentes questions permettent de définir les contours du nouveau visage qu’offre la direction du Trésor à la veille de 1968.
B. VERS UN TRÉSOR « MODERNE »
1. La mobilité et l’avancement : quels progrès depuis 1958 ?
75Dans une première approche, la place du Trésor au sein de l’administration centrale des Finances peut s’évaluer par la comparaison du nombre de bureaux et les effectifs de chaque direction. Un recensement effectué en juin 1967, dont nous reproduisons une partie des résultats, permet d’en donner une mesure quantitative et qualitative :
76Sans entrer dans les détails de la répartition des effectifs entre directions, qui révèlent quelques surprises comme la taille volumineuse de la Dette publique, l’on constate que le Trésor réunifié rejoint le Budget en nombre de bureaux, mais le dépasse largement en termes d’effectifs. Son image de « direction d’état-major » est-elle justifiée, du point de vue de sa démographie ? D’un point de vue quantitatif, les deux brigades légères réunies en 1965 transforment le Trésor en troupe de cavalerie puissante. Son image y gagne en prestige, mais l’on peut supposer que son identité s’en trouvera modifiée.
77Plus surprenant, le nombre de ses bureaux se situe dans la moyenne du ministère (20), et la moyenne de ses agents de catégorie A par bureau153 n’atteint pas la moyenne générale de l’administration centrale de l’Économie et des Finances (5,7)154. Ce dernier chiffre ne doit pas cependant cacher la part prépondérante des fonctionnaires de catégorie A dans les effectifs de la direction, qui totalisent un tiers des agents. Mais on relève avec intérêt que la direction du Budget dépasse largement cette proportion avec une majorité absolue de cadres A... Il n’y aurait donc pas de corrélation directe entre la proportion de cadres supérieurs et le prestige d’une direction. D’autres critères d’attraction entrent en ligne de compte : nombre d’énarques, d’inspecteurs des Finances, qualité des sorties... L’étude de la répartition des corps et de la formation d’origine permet d’affiner l’analyse.
2. Les énarques au pouvoir, une rupture ?
78Ce n’est qu’en 1967 que la totalité des administrateurs civils en poste au Trésor est issue de l’ENA. Ce phénomène est-il pour autant synonyme de grand pas vers la modernisation des cadres ? L’on a vu à plusieurs reprises dans les chapitres précédents que les énarques ne se distinguaient pas forcément des rédacteurs en matière de doctrine financière ; le clivage de génération n’est pas non plus entièrement probant, comme l’ont souligné les réticences des bureaux lors des réformes Debré. Lorsque l’on se penche sur la formation intellectuelle des hauts fonctionnaires alors en poste, force est de constater que les doctrines en vogue sont intégrées avant le concours de l’École nationale d’administration, soit à l’Institut d’études politiques et lors de la préparation à l’ENA155. En effet, les séminaires de l’ENA des années 1955-1965 n’abordent guère les questions monétaires et financières : seraient-elles considérées comme acquises ? En corollaire, les cours dispensés à Sciences Po par les hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli continuent de former les élites technocratiques futures. Les témoignages de hauts fonctionnaires du Trésor interrogés sont quasi-unanimes sur la question : ceux qui sont passés par l’Institut d’études politiques y ont appris beaucoup plus qu’à l’ENA ; ceux qui sont entrés à l’ENA sans passer par l’Institut d’études politiques ont en revanche une appréciation plus favorable sur la formation à l’économie qu’ils y ont reçue156. Or l’on constate que le contenu des cours de l’Institut d’études politiques n’a guère évolué depuis les années 1950. Pierre de Vogüé continue de professer son cours sur le Trésor jusqu’en 1969157, dans une évolution très mesurée. Immobile, et donc dépassée, la formation ? Nous dirions plutôt décalée et lentement transformée au gré de la personnalité des hauts fonctionnaires qui la dispensent et de leur propension à évoluer. Les énarques ont conquis toutes les manettes du pouvoir à la direction, mais les effets attendus d’une formation moderne et efficace restent virtuels... Comme par le passé, la formation « sur le tas » reçue dans les bureaux prolonge d’année en année les doctrines des experts.
79En 1967, donc, le dernier rédacteur issu de l’ancien concours, René Péguret, quitte la direction, enfin muni de sa nomination à la « hors classe ». Cet épisode donne lieu à un conflit entre le directeur du Trésor et la direction du Personnel et du Matériel, qui met en lumière les enjeux de ces nominations pour l’avancement et le recrutement d’une direction. Définis selon les directives de la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique158, les principes qui guident le processus de nomination à la hors classe donnent en effet la mesure de la politique menée au niveau de l’administration centrale des Finances et de la marge de manœuvre dont dispose le directeur du Trésor. Le premier principe qui s’attache à suivre « d’aussi près que possible le classement par ordre de mérite des candidats présentés par chaque direction » est celui qui permet à chaque directeur de privilégier tel ou tel de ses collaborateurs selon des critères de compétence ou de travail fourni, en dehors des critères d’ancienneté. Mais les avis de la Commission paritaire sur R. Péguret entre 1963 et 1965 montrent que sa capacité d’intervention est limitée. Le deuxième critère de sélection s’attache à ne pas nommer les administrateurs qui ont quitté les cadres ou qui sont sur le départ ; là encore, les principes sont mis à mal avec le cas de R. Péguret qui n’accepte de quitter le ministère que muni de sa nomination. Enfin, l’objectif des dernières quatre années était d’aboutir à une répartition sensiblement égale des nominations entre les anciens de l’ENA et les administrateurs civils issus d’autres formations (rédacteurs, ENFOM). Entre 1962 et 1964, ont été inscrits au tableau d’avancement quarante-trois administrateurs issus de l’ENA, trente et un issus d’autres recrutements159. Cet écart, qui met à mal le principe de l’égalité entre les corps, conduit parfois à des situations peu équitables.
80En témoigne le cas de Marcel Carminati, diplômé de l’École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM), d’une licence de droit et d’un DES d’économie politique, qui a choisi de faire l’ENA (promotion 1958) et se retrouve du point de vue de l’avancement loin derrière ses camarades de l’ENFOM, notamment de M. Servat, chef de bureau à la direction du Budget : « Ainsi depuis de longues années, M. Carminati se trouve pénalisé, à la fois financièrement et administrativement, du seul fait qu’il est passé par l’ENA » souligne M. Pérouse dans sa note pour le ministre160. En effet, lorsqu’ils entrent à l’ENA, les administrateurs de l’ENFOM perdent leur ancienneté dans ce corps et se retrouvent donc défavorisés par rapport à ceux qui l’ont conservée. Michel Rougé, administrateur civil au Trésor, qui cite l’exemple de Marcel Carminati pour illustrer « l’absence de gestion du personnel au ministère des Finances », se souvient également du cas de Jean-Louis Dubreuil, attaché d’administration, qui se retrouve au même bureau A2 après avoir passé l’ENA...161.
81Ces nominations, qui conditionnent en partie le départ des hauts fonctionnaires de la direction, constituent un enjeu pour une bonne gestion des carrières au sein du Trésor. Selon le directeur du Trésor, R. Péguret considère « qu’un refus qui lui serait opposé en la matière ne lui permettrait pas de quitter dignement cette maison, comme pourtant il le souhaite »162. Or, souligne M. Pérouse, « du fait de certaines circonstances, l’avancement à la direction du Trésor notamment parmi les candidats aux fonctions de chef de bureau est à l’heure actuelle certainement plus lent que dans certaines autres directions »163. Ces nominations à la hors classe constituent donc pour le directeur l’un des seuls moyens d’accélérer les sorties et donc l’avancement. En permettant une rotation plus rapide des postes, elles contribuent indirectement à entretenir la qualité du recrutement et à éviter son vieillissement.
82Les arguments présentés par le directeur du Trésor montrent bien que les questions d’avancement restent au cœur de ses préoccupations. La situation n’a pas véritablement changé depuis le début de la décennie.
83Dans un respect scrupuleux de l’égalité entre les deux secteurs, les dix-huit chefs de bureaux du Trésor réunifié sont issus pour moitié de. l’ancien Trésor et pour moitié des Finex. Chez les chefs de bureaux issus du Trésor, l’âge moyen en 1967 s’établit à 39,2 ans, tandis que chez ceux des Finex, il s’élève à 41,5 ans. En comparaison avec la situation de 1958, l’âge moyen des chefs de bureaux issus du Trésor interne est en légère régression (de 0,8 an). En revanche, l’arrivée des Finex ne constitue pas démographiquement parlant une bouffée d’air frais, puisque sa population de chefs de bureaux est un peu plus âgée qu’au Trésor et qu’en 1968, deux rédacteurs issus des services des Finex subsistent parmi les chefs de bureau. Seul aspect plus moderne, la sous-direction F des Relations financières avec P outre-mer est la première à offrir un poste de chef de bureau à une énarque, Jeanne Moevus164 ! Cependant, d’un point de vue qualitatif, lorsque l’on étudie rapidement le cursus des chefs de bureaux issus des Finex, l’on remarque que tou[te]s sans exception ont occupé des fonctions d’attaché financier à l’étranger, fonctions qui leur ont permis de s’ouvrir à des expériences étrangères, alors que seuls quelques rares énarques du Trésor ont eu le privilège d’en faire l’expérience avant la fusion165. Sur cet aspect, les Finex apportent certainement un regard plus distancié et moins routinier sur la situation française, qui compense l’âge relativement élevé de ses cadres.
84La répartition des inspecteurs des Finances entre Trésor et Finex respecte le même équilibre que celui des bureaux, soit quatre pour chaque secteur, ce qui porte leur nombre total à neuf avec le directeur. Ce chiffre, proportionnellement faible par rapport au nombre des administrateurs civils, prend toute sa signification lorsqu’il est comparé à celui des autres directions : le nombre d’inspecteurs des Finances détachés au Trésor s’élève à plus du double de ceux du Budget (4), des Impôts (4), de la DREE (4) et de la Prévision (3). C’est par ce biais que le prestige extérieur de la direction du Trésor s’explique mieux ; qu’importe alors en effet que le nombre de ses catégories A soit inférieur à celui du Budget ! La direction du Trésor réunifiée devient le vivier d’inspecteurs des Finances le plus important du ministère. Sur ce critère qui tire bien évidemment la direction vers le haut, sont évalués, à tort ou à raison, son prestige, son image, et son pouvoir d’influence. Comme par le passé, les inspecteurs des Finances restent en dehors de la structure traditionnelle des bureaux, et conservent soit des postes d’études, soit des fonctions de direction plutôt que des fonctions de gestion. De ce point de vue, la fusion a plutôt conforté la tradition administrative des deux institutions.
85Le malaise des énarques perceptible à la fin des années 1950 se serait-il dissipé ? Les effectifs de cadres B, censés soulager le travail des administrateurs civils, sont toujours insuffisants. Ce constat, qui revient comme une antienne dans les notes de la direction du Personnel, ne trouve pas de solution, si ce n’est la réforme du principalat qui tend à affermir la position des attachés d’administration. Hormis ces questions désormais récurrentes, nul écho ne nous parvient d’éventuelles inquiétudes sur les lenteurs de l’avancement ou les perspectives de sorties. Peut-être les multiples transformations et réorganisations de 1965-1967 ont-elles assourdi ou atténué les états d’âme des uns et des autres. Comme nous le verrons par la suite, la fusion a pu faire naître de nouvelles espérances sur les « procédures d’aération » souhaitées en 1958. Parallèlement de nouvelles réformes administratives en gestation depuis le début de la décennie ont pu offrir de nouvelles perspectives d’avenir aux administrateurs. Rappelons en effet que ces modifications du statut des administrateurs civils du ministère des Finances et des Affaires économiques s’insèrent dans le mouvement plus vaste de réforme administrative, en gestation depuis le début de la Ve République : du nouveau statut général de 1959 au rapport Toutée de 1964 sur les procédures salariales dans le secteur public, en passant par le rapport Grégoire de 1960 sur les corps administratifs, le champ des réformes entreprises est vaste166. Le rapport Grégoire qui préconise le regroupement de certains corps d’administrateurs civils au sein d’un même ministère et la circulation de ces derniers au sein des administrations centrales167 constitue l’un des points de départ d’une réorganisation des différents corps du ministère des Finances et des Affaires économiques. Dans le même mouvement, le rattachement de l’administration des Affaires économiques à celle des Finances en 1962 entraîne une nécessaire réflexion sur les disparités entre les six corps des administrateurs civils du ministère des Finances et des Affaires économiques et exhume à cette occasion les rivalités de corps aux prestiges et aux avantages différenciés168. Mais le débat sur l’unité et la mobilité des administrateurs civils issus de différents ministères pose des problèmes bien plus aigus au ministère. En dépit de la défense active de V Giscard d’Estaing en vue de maintenir son autonomie de gestion sur son administration169, le Premier ministre fait passer la réforme : les décrets du 26 novembre 1964 établissent le principe de l’unité de corps et l’obligation de mobilité des administrateurs civils et des fonctionnaires issus de l’ENA. Les administrateurs civils du Trésor en ont-ils retiré quelques bénéfices ? Il est difficile de se prononcer sur les effets à court terme d’une telle mesure, mais quelques pièces peuvent être versées au dossier. Ainsi, le conseiller technique chargé des questions de personnel au cabinet relève-t-il que « sans doute, le ministère des Finances peut-il être bénéficiaire du système, car il attirera plus d’administrateurs qu’il n’en distribuera et il pourra conserver les meilleurs »170. On relève à cet égard qu’à partir de 1970, la réforme entraîne l’arrivée de quelques polytechniciens au service des Interventions du Trésor. Sans doute également la mobilité interne et externe à la direction introduira-t-elle plus de souplesse dans la gestion des carrières des administrateurs civils. Mais cette forme de modernisation reste encore virtuelle à la fin des années 1960.
86L’autre sujet de préoccupation des administrateurs civils concerne les sorties que le Trésor peut leur procurer. On se souvient qu’en 1958, ils s’inquiétaient de l’évolution des postes offerts. Les énarques ont-ils bénéficié de sorties plus avantageuses que leurs camarades rédacteurs ? Les écarts entre les débouchés des administrateurs civils et des inspecteurs des Finances perceptibles en 1958, se sont-ils amenuisés grâce à l’ENA ? Le tableau ci-dessous permet d’établir des comparaisons fructueuses.
87Lorsque l’on compare ces chiffres à ceux avancés pour les rédacteurs (voir chapitre VI), il apparaît clairement que les administrateurs civils restent cantonnés à leurs débouchés traditionnels : les administrations financières171. On notera que trois d’entre eux prennent une direction d’administration centrale aux Finances et que, pour la première fois, un administrateur civil, Michel Camdessus, sera nommé directeur du Trésor en 1982.
88Pour être plus précis, signalons que la répartition public-privé des premières sorties des énarques du Trésor s’établit ainsi : 16 quittent le Trésor pour une autre administration, 13 restent dans le secteur public et 5 vont dans le secteur privé172.
89La répartition sectorielle des premières sorties des énarques est sans surprise : ils pantouflent – au sens défini précédemment – dans le secteur financier public ou privé, qu’ils connaissent et dans lequel ils se sont fait connaître grâce à leurs fonctions de tutelle. Par rapport à leurs camarades rédacteurs, les énarques sont moins recrutés dans le secteur industriel public : ce dernier offrirait-il moins de postes, après l’expansion des années de l’après-guerre ? Les hauts fonctionnaires recrutés dans les années 1950 restent en poste durablement et ne permettent donc pas une rotation rapide de ce type de sortie. Peut-être également la concurrence des autres directions, comme le Budget ou la direction générale des Impôts, sur le secteur nationalisé s’est-elle fait sentir.
90Que l’on prenne en considération les premières sorties ou les suivantes, les carrières s’internationalisent peu : l’on recense trois départs dans des organisations internationales (dont M. Camdessus, futur directeur du FMI), un à la CEE, un à la CECA et deux seulement outre-mer. La carrière des énarques est moins linéaire que celle des rédacteurs et tend à se rapprocher de ce point de vue de celle des inspecteurs des Finances : un tiers d’entre eux change au moins une fois d’entreprise dans sa carrière lorsqu’il quitte le Trésor. Est-ce à dire que le Trésor tend à devenir plus encore qu’auparavant un point de départ, un tremplin, pour une carrière diversifiée ? Néanmoins l’âge moyen des sorties des énarques, 42,30 ans, reste relativement élevé et recouvre un éventail assez vaste allant de 30 ans à 54 ans. Surtout, la mobilité professionnelle des administrateurs civils est manifeste. Finies les carrières linéaires dans un même bureau avant de trouver une pantoufle jusqu’à la retraite ! L’énarque passe quelque temps comme attaché financier, se détache dans un établissement financier voire outre-mer173, revient au Trésor pour une dizaine d’années avant de trouver un premier poste de sortie, quitte à évoluer par la suite dans d’autres secteurs... Le parcours professionnel des énarques du Trésor a bel et bien changé pour les promotions arrivées au début des années 1960. Comment l’expliquer ? Sans doute la demande des administrateurs civils issus de l’ENA de carrières plus diversifiées a-t-elle joué un rôle important, qui s’est agrégé sur l’évolution économique : internationalisation de l’économie, décolonisation, construction européenne, autant de phénomènes qui ont pu contribuer à ouvrir de nouveaux horizons professionnels aux énarques. Enfin, les offres d’emplois de plus en plus nombreuses pour des hauts fonctionnaires du Trésor témoignent également de la réussite de la politique de prestige mise en place par la direction. « À la direction du Trésor, on sait tout faire, mais on sait surtout ne rien faire. [...] Ce qu’on apprend à faire là n’est guère transmissible ailleurs » estime É. Delaporte174. Qu’importe : la réputation d’excellence, l’alliage des qualités de techniciens et de généralistes de ces hauts fonctionnaires suffit à assurer leur recrutement...
91Autre critère de comparaison intéressant, le passage dans les cabinets ministériels se révèle moins significatif que par le passé : il ne concerne que 20 % des énarques, soit moins que les inspecteurs des Finances (73 %) et que les rédacteurs (33 %). Pour cette génération d’énarques, un seul aura le privilège d’appartenir au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances, Denis Georges-Picot. On remarquera en revanche que deux d’entre eux feront partie du secrétariat général de l’Élysée au titre d’adjoint du conseiller pour les affaires économiques. Ceci peut s’expliquer par une professionnalisation de la filière cabinet et une spécialisation des postes au sein du cabinet au fur et à mesure de l’avancée de la Ve République. Le poste de conseiller technique chargé des affaires monétaires au cabinet du ministre est plutôt réservé aux inspecteurs des Finances, tandis que les autres postes éventuels (comme chefs de cabinet) ne sont pas attribués aux administrateurs civils du Trésor, comme ce fut le cas sous la IVe République. Enfin, on observe qu’à la différence de la décennie précédente, aucun directeur de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances n’est issu du Trésor avant 1969 ; encore s’agit-il d’un inspecteur des Finances issu des Finex, Claude Pierre-Brossolette. Signe des temps ? Force est de constater que la filière Trésor ne passe pas alors par les cabinets ministériels.
92Au terme de ces modifications de structures et de l’évolution de son recrutement, le Trésor a-t-il gagné en prestige ? Du point de vue démographique, l’évolution lente de la population de la direction a certes permis une arrivée des énarques aux postes de décision. Mais l’identité de la direction s’en est-elle trouvée modifiée pour autant ? L’on a pu entrevoir que, pour de multiples raisons, les énarques en poste lors des réformes montraient quelques réticences aux projets ministériels. C’est avec lenteur que les attitudes vont changer. La répartition du « pantouflage » d’une décennie à l’autre offre en revanche une évolution plus significative : certes, les sorties ne sont pas plus précoces, et elles offrent une répartition par secteur proche de celle des autres corps : ceci traduit un attachement continu au secteur public et parapublic, qui autorise un détachement et donc une prise de risques professionnels limitée. Mais ces sorties ne sont plus univoques : après avoir quitté le Trésor, le haut fonctionnaire évolue professionnellement, passe de la banque à l’assurance ou bien encore de l’industrie à la banque. Le label « énarque du Trésor » est en passe de devenir une bonne carte de visite ! Sans pouvoir l’évaluer précisément, on relève également des sorties diversifiées, à des postes plus élevés175.
3. La dimension internationale, prestige supplémentaire.
93La fusion Finex-Trésor a-t-elle de ce point de vue apporté une nouvelle dimension au Trésor ? Ce dernier y a-t-il gagné en prestige, et pour quels domaines ? D’une manière générale, les témoins des Finex et du Trésor s’accordent à penser que l’arrivée des Finex a bel et bien anobli le Trésor, plutôt que l’inverse.
94Rappelons à cet égard que les Finex appartiennent au même titre que le Trésor aux directions nobles du ministère. Plus précisément, les premières années de la direction des Finances extérieures sont marquées par une même stratégie expansionniste, puisque l’institution réussit à élargir son champ de compétence à l’économique face à la DREE, inspire la création d’une structure de coordination, le SGCI, en même temps que F. B1och-Lainé propose celle de la Commission des investissements. Considéré comme l’un des inspirateurs du plan Mayer de 1948, G. Guindey en tant que conseiller du ministre et grâce à son expertise, a pu peser lourd en ces années de tensions sur la trésorerie en devises. Ce bref survol historique des années fondatrices autorise à mettre en parallèle l’ascension des deux institutions. Qualités reconnues d’expertise, rôle important au sein des instances de décision administratives, influence accrue par les difficultés de trésorerie, autant de points communs qui ont forgé leur prestige respectif. Plus qu’une addition, la fusion entraîne un effet multiplicateur d’influence et de prestige.
95Au-delà de ce renforcement du prestige extérieur de la direction, l’intégration progressive des agents issus des Finex a certainement permis une amélioration de la gestion des carrières des hauts fonctionnaires. D’après les analyses de S. Lepage, les années de fondation de la direction des Finances extérieures sont en effet caractérisées par « une gestion stratégique du personnel » voulue par G. Guindey. La mise en place d’une filière professionnelle par les postes à l’étranger assure une rotation des postes au sein des Finex ainsi qu’une formation d’excellence : maîtrise de l’anglais, ouverture aux expériences étrangères, responsabilisation des agents en place. Le contraste est flagrant avec la lenteur de l’avancement, la faible mobilité interne au Trésor ! Nul doute que cette gestion moderne des carrières au sein des Finex a exercé une influence positive sur la formation et sur les motivations pour entrer au Trésor. Grâce à la mobilité accrue des hauts fonctionnaires, au passage d’un service interne au service externe, les compétences sont élargies, la formation est accélérée. Pour les hauts fonctionnaires issus du Trésor, l’on a pu remarquer l’appel d’air procuré par la fusion, qui donne à leur carrière une dimension internationale. Les hommes des Finex profiteront quant à eux d’une expérience et d’un réseau de relations financières hexagonales, ce qui n’est pas négligeable pour les perspectives de sortie. Le Trésor est alors selon C. Pierre-Brossolette, « l’endroit où [le jeune inspecteur des Finances] avait le plus de chance de pantoufler »176. « Les gens des Finances extérieures [...] avaient un problème de débouchés. A part les organisations internationales, où ils allaient peu, ils avaient un problème de débouchés parce qu’ils étaient totalement inconnus sur la place de Paris », souligne pour sa part J.-Y. Haberer177. Bien que l’on ne dispose pas d’informations précises sur le pantouflage aux Finex, il semble bien que les sorties des Finex aient été moins faciles qu’au Trésor. De ce point de vue, les énarques ont de part et d’autre optimisé leurs parcours professionnels. « Très vite, le Trésor est devenu un produit d’appel à la sortie de l’ENA, parfois plus que la Cour des comptes, parce qu’il garantissait une formation sans égale » estime aujourd’hui ce même témoin178.
96Autre avantage apporté par Finex, la communication interne développée dès les années de fondation. Les fameuses réunions du lundi qui rassemblent sous l’égide du directeur les sous-directeurs et chefs de bureau, et dont les comptes rendus sont transmis aux attachés financiers, la communication entre bureaux géographiques et thématiques voulue par G. Guindey179, contrastent avec le cloisonnement entre sous-directions, voire entre bureaux, qui prévaut au Trésor interne jusque dans les années 1960. La réunion du lundi matin devient alors « l’un des ciments de la direction du Trésor » estime Étienne Delaporte, alors chef de service de l’Épargne et du Crédit180.
97L’intégration de nouvelles méthodes de travail, la mobilité entre services qui se met en place en 1967 ont-elles permis un croisement des cultures Finex et Trésor ? S’est-il opéré sans heurt ? Quelles ont été les influences respectives du Trésor et des Finex dans la définition d’une culture commune ? La réponse requiert quelque prudence car elle ne s’appuie pour les Finex que sur l’étude de S. Lepage menée jusqu’en 1953 et aurait besoin d’éléments probants dans une recherche sur les années soixante-dix. Plusieurs pistes peuvent être cependant lancées au regard des informations dont nous disposons.
98Un socle commun unit les deux directions, celui de la gestion de la trésorerie interne et externe, l’une des missions régaliennes de l’État. Même culture financière, au carrefour des sphères publique et privée, même sentiment de défense de l’intérêt général aussi. L’affirmation des positions fermes des Finex dans les années 1946-1953 est le pendant de celles du Trésor dans ces mêmes années. G. Guindey n’est pas en reste dans le rôle de conseil auprès des ministres, même si l’homme apparaît plus radical dans ses positions et parfois isolé (comme sur la stérilisation de la contre-valeur de l’aide Marshall ou le projet Finebel). Comme son homologue du Trésor, il se trouve en désaccord avec A. Pinay, à propos de la dévaluation, ce qui entraîne son départ volontaire en 1953. Le maintien de sa position face au ministre entraîne également un départ – forcé – d’A. de Lattre en 1965. Ces deux épisodes révèlent une direction affirmée dans ses convictions, ses doctrines, qui ne cède pas sur ses positions de fond. En ce sens, elle s’érige plus facilement en défenseur de ses conceptions de l’intérêt général que la direction du Trésor, plus souple et encline à céder aux pressions du politique.
99Au-delà de cette attitude légèrement différente vis-à-vis du politique, qui a pu évoluer après le départ de G. Guindey, quelques interrogations demeurent quant à la rencontre des deux cultures différentes développées depuis la fin de la guerre et à leur croisement possible. D’un côté, le Trésor reste une direction imprégnée d’interventionnisme, qui libéralise et déréglemente à pas forcés, n’adhère à la construction européenne que par nécessité et sous la pression extérieure, et se montre volontiers protectionniste pour défendre les secteurs dont elle a la tutelle (marché des capitaux, banques). De l’autre, se dessine l’image d’une direction des Finances extérieures construite autour du dessein de libre-échange, européenne par conviction, restée dans le groupe des « austéro-libéraux » qui privilégient la stabilisation économique et financière par rapport à la politique de modernisation181. Bien que le Trésor ait évolué au long de la décennie vers une libéralisation du système bancaire et financier, et que l’on n’ait guère d’éléments de l’évolution parallèle des Finex, on imagine le choc culturel de deux mondes, l’un tourné vers l’intervention économique et le protectionnisme, l’autre vers le libre-échange et la libéralisation... Claude Pierre-Brossolette découvre dans les réunions du lundi le côté encadré, contrôlé du système économique et financier français : « C’était de la planification quasi-soviétique, en gros, presque [...]. Nous avions conservé tous les instruments de direction de l’économie depuis la guerre »182.
100La fusion des deux directions a certainement bousculé des habitudes de pensée, changé des méthodes de travail. Si l’on suit S. Lepage, les Finex auraient une propension à faire bouger les choses plutôt qu’à défendre le statu quo. La fusion aurait donc créé un choc salutaire pour le Trésor, choc heureusement amorti par la conjoncture de 1965-1967 qui facilite la réceptivité à l’égard des changements : à ces années de libéralisation interne et externe correspond la mise en place effective de la fusion.
101Maurice Pérouse puis René Larre sauront successivement faire entrer la fusion dans les faits. Le premier tend à préserver un équilibre diplomatique entre les deux services, le second réorganise la structure mais laisse beaucoup d’autonomie à ses services : « La direction du Trésor marchait sans moi, ce qui était idéal » confie-t-il, très admiratif de la formation administrative, économique et juridique de ses collaborateurs183. Le message qu’il publie dans le Bulletin Vert lors de son départ en 1971184 donne un aperçu des atouts majeurs dont dispose le directeur du Trésor : un personnel hautement qualifié de l’état-major aux secrétaires, des contacts avec « l’élite du monde financier français et étranger » ou bien encore sa capacité à avoir l’oreille du ministre, « ambition suprême du directeur du Trésor ». La conjonction d’un recrutement administratif de qualité, d’un réseau relationnel étendu et d’un rôle d’expert reconnu par le politique confère à la direction du Trésor une place à part, avec laquelle peu d’autres institutions peuvent rivaliser. Après quelques années de flottement, voire de repli, la fusion redonne au Trésor un nouvel élan et permet un renouvellement de sa pensée, de ses cadres, dont les effets seront visibles lors de la décennie suivante.
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102Pour les années 1965-1967, riches en événements pour la direction du Trésor mais aussi pour la croissance économique de la France, plusieurs constatations méritent d’être soulignées.
103En premier lieu, les différentes réformes du système monétaire et financier attestent la prééminence des politiques dans les décisions prises dans ce domaine. Le rôle de V Giscard d’Estaing, notamment dans la genèse d’une libéralisation des circuits financiers, est ici réévalué par rapport à celui de son successeur, M. Debré ; mais rappelons que ce dernier, bénéficiant d’une conjoncture économique plus favorable, a su vaincre les réticences diverses, dont celle du Trésor, concevoir un train de réformes cohérent et assurer sa mise en œuvre effective. En fusionnant le Trésor et les Finex, le ministre des Finances et des Affaires économiques en poste entre 1962 et 1965 a en outre profondément modifié la structure et les missions de la direction. On soulignera ici la complémentarité des deux séries de réformes, l’une sur la direction du Trésor, l’autre sur son environnement, ainsi que leur quasi-simultanéité.
104En second lieu, grâce à ces initiatives qui adaptent le Trésor et ses missions aux nouveaux objectifs de la modernisation – ouverture des frontières, croissance et compétitivité de l’économie française –, la direction entre dans une nouvelle phase de son histoire. Loin de s’enfermer dans des positions rigides, elle a su, bon gré, mal gré, s’adapter progressivement à ces changements d’équilibres. Le rôle – exceptionnel ? – du conseiller technique, qui propose les réformes en 1966-1967 et les défend face à sa direction d’origine, tempère l’image d’une organisation globalement immobiliste. La distribution des rôles, modernisateur contre gardien des équilibres, entre les acteurs administratifs, cabinet contre direction, traduit certes la montée en puissance des cabinets ministériels. Mais au sein du jeu administratif, la répartition n’est pas immuable : de ce point de vue, la période 1965-1967 n’est sans doute pas représentative des rapports établis entre la direction du Trésor et le pouvoir politique sur les deux décennies étudiées.
Notes de bas de page
1 Sur les évolutions du métier de banquier, des ressources bancaires et des crédits distribués depuis 1950, voir J. Bouvier et F. Caron in F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France, tome IV, Paris 1982, livre III, p. 1177 et suiv.
2 Voir notamment S. Guillaumont-Jeanneney, « La politique monétaire française pendant la présidence du général de Gaulle », in De Gaulle en son siècle, Plon, La Documentation française, 1992, tome III, p. 74-93.
3 AEF, fonds Trésor, B 52 456, note du Trésor (D4) sur la politique de consolidation des liquidités 1965-1973.
4 AP Pérouse, Trésor Public 2, dossier « notes générales État de l’Union, arrivée de M. Giscard d’Estaing 1962, de M. Debré 1966 », note sur la situation des affaires relavant de la direction du Trésor, 14 janvier 1966, 38 p. dactylogr.
5 Le Monde, 25 septembre 1965.
6 AEF, fonds Trésor, B 51 017.
7 AEF, fonds Trésor, B 51 017, note de M. Pérouse émanant du bureau A1 du 14 décembre 1965, 3 p. dactylogr.
8 AEF, fonds Trésor, B 51 017, note pour le ministre émanant du bureau A1 du 2 octobre 1964, 5 p. dactylogr. Le directeur du Trésor craint alors que le maintien du coefficient à 36 % imposé lors du plan de stabilisation, ne perturbe le marché monétaire.
9 AEF, fonds Trésor, pelurier du directeur, note pour le ministre du 12 janvier 1965, rédigée par Cl, « Projet de réforme du taux de base des conditions de banque (taux T) ».
10 AEF, fonds Trésor, pelurier du directeur, note pour le ministre du 22 avril 1965, rédigée par C1. Il semble que cette éventualité ait été proposée par le secrétaire du Conseil national du crédit, P. Esteva. L’étroite liaison entre le taux d’escompte de la Banque de France et les taux d’intérêts débiteurs des banques est progressivement assouplie en 1959 puis en 1963. L’Institut d’émission propose de faire varier la relation entre les deux taux en fonction du montant du taux de la Banque.
11 Cette prise en considération des petites banques est intéressante, mais délicate à analyser : s’agit-il d’une défense des « petits » contre les « gros » ? Ce n’est pas la première fois que le Trésor se préoccupe des petites banques (voir chapitre I). On aurait pu penser au contraire que dans un souci de rationalisation du système bancaire et de modernisation, la concentration et l’éventuelle fusion des banques auraient la faveur du Trésor... En réalité, c’est surtout la crainte des ententes bancaires incontrôlables et donc du risque de hausse des taux qui anime la réticence du Trésor à la libéralisation des taux.
12 F. Jouan, Les réformes de l’organisation bancaire en France en 1966-1967, mémoire de maîtrise sous la direction de M. Margairaz, Université de Paris VIII-Vincennes, 1998.
13 Ibid., p. 30 et 59. P. Esteva, secrétaire du CNC, et H. Fournier, de la direction générale des Études à la Banque, seraient les principaux instigateurs de la réforme, qui sera proposée à V Giscard d’Estaing le 8 janvier 1965.
14 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Banques d’affaires », rapport de H. Montet du 10 mai 1967. Ce constat était déjà fait dans sa note du 6 décembre 1965. La note pour la direction du Trésor du commissaire du gouvernement J. Picard, en date du 18 janvier 1966, explique bien pour quelles raisons et comment la Banque parisienne pour l’industrie (groupe Empain) est classée banque de dépôts : « La formule « banque de dépôts » lui permettrait plus facilement d’approcher d’autres banques en vue d’une fusion, d’une absorption ou de toute autre combinaison ».
15 Selon J. Bouvier, Un siècle de banque française, op. cit., qui démontre que les époques d’intense activité économique poussent à l’indifférenciation bancaire (p. 75).
16 Rapport de H. Montet, déjà cité. Si la mission se réoccupe de cette situation, c’est qu’elle entraîne une remise en question de la fonction de commissaire du gouvernement auprès des banques d’affaires, ainsi vidée de son contenu.
17 AEF, fonds Trésor, B 11 759, note de M. Pérouse pour le ministre du 22 juin 1965, émanant de Cl.
18 Id. Phrase sibylline qui laisse à penser que se préparaient en 1964 des réformes en vue d’une sélectivité du crédit, mais dont on ne voit trace dans les archives.
19 Séance du 17 décembre 1959 du CNC, et AEF, fonds Trésor, B 11 694, lettre du CNC à l’AFB, lettre du directeur du Trésor au commissaire du gouvernement près le Crédit populaire de France du 23 janvier 1960.
20 AEF, fonds Trésor, B 52 444, note confidentielle de décembre 1966, n.s., sur le régime des ouvertures de guichets de banque.
21 AEF, B 52 447, « pouvoirs de la Commission des Finances 1954-1961 », rapport à la Commission des Finances adressé à M. Pérouse, n.s. Ce rapport qui peut être attribué à la CVCEP, ferme la porte à toute velléité de réforme dans l’organisation bancaire...
22 AEF, fonds Trésor, B 52 447, « statistiques et comptes des entreprises nationalisées, 1956-1969 », note de 1965, n.s., émanant du bureau B1.
23 Cf. J. Bouvier et F. Caron, in F. Braudel et E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale..., op. cit. et J. Bouvier, Un siècle de banque française, op. cit. La prise de conscience du suréquipement bancaire se fait dans les années 1970-1980.
24 Cf. note 5.
25 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. Cependant la réponse du directeur de cabinet est partiellement conditionnée par la question posée, à savoir pour quelles raisons V Giscard d’Estaing n’avait pas entrepris ces fameuses réformes.
26 Voir F. Jouan, Les réformes de l’organisation bancaire..., op. cit. On notera cependant que la Banque de France, comme le Trésor, n’est guère favorable à la libération des guichets bancaires.
27 Entretien biographique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. J.-Y. Haberer rencontre en fait V Giscard d’Estaing à partir de 1969, alors qu’il a réintégré la direction du Trésor. J. Sérisé confirme que le ministre suivait au jour le jour l’indice des prix, la situation de trésorerie, la Bourse et le marché des changes. Un conseiller technique du cabinet ne s’occupe que de la conjoncture (Daney de Marcilhac puis Balaresque).
28 On ne dispose malheureusement pas à l’heure actuelle de la partie correspondante des archives Debré, en cours de classement. Il s’agit principalement des archives « cabinet » du ministre des Finances, des archives du Trésor et de celles de la BDF, exploitées par F. Jouan. Les archives Pompidou n’ont pas livré sur ce point d’informations intéressantes. Certaines archives de la direction du Trésor n’ont pas été autorisées à la consultation au-delà de 1965 (pelurier du directeur). Seules les archives privées de M. Pérouse donnent quelques clés ; mais beaucoup de réformes ne sont pas évoquées dans ses papiers. Le croisement des témoignages oraux est également problématique : disparition de deux des acteurs principaux (M. Debré, M. Pérouse), qui fait la part belle aux témoins du cabinet, A. Dupont-Fauville et J.-Y. Haberer.
29 L’impression qui prévaut à l’écoute de ses entretiens est celle d’un haut fonctionnaire entièrement dévoué au général de Gaulle et à Michel Debré. Nous verrons qu’il aura la conduite de quelques réformes non négligeables (entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995).
30 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité.
31 Pour les affaires monétaires et financières, le nom d’un autre inspecteur des Finances, qui ne venait pas du Trésor, J.-R Delacour, avait été proposé par A. Dupont-Fauville. Pour l’éviter, M. Pérouse aurait proposé le nom de J.-Y. Haberer (entretien avec J.-Y. Haberer, entretien n° 1, cassette n° 1), témoignage confirmé par A. Dupont-Fauville, entretien n° 2, cassette n° 2, déjà cité.
32 Entretien biographique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
33 Dans son allocution devant le CNC le 10 janvier 1967, M. Debré rend hommage aux travaux du groupe « Épargne et Investissements » de la Commission, qui a inspiré plusieurs de ses innovations.
34 Entretien biographique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. Parmi son réseau, Jean-Yves Haberer cite Claude Hannezo (Société générale), Michel Gallot (Crédit lyonnais), Pierre Berger (BDF) et Georges Plescoff (Caisse des dépôts). Avec ce dernier, Jacques de Fouchier et Pierre Besse ont eu selon lui « les intuitions géniales » en matière de transformation (entretien n° 1, cassette n° 1). On remarquera que ces trois derniers hauts fonctionnaires appartiennent à la génération précédente.
35 M. Debré, Mémoires, op. cit., tome IV, p. 89. L’intitulé du projet laisse à penser qu’il est inspiré par M. Debré. Cependant la plupart des mesures sur le crédit et les banques auront été votées ou décidées avant les ordonnances.
36 C’est la nouvelle appellation souhaitée par M. Debré, qui entend ainsi symboliquement donner la priorité à l’économie (Mémoires, op. cit., tome IV, p. 78).
37 Selon le témoignage de Jacques Chabrun, administrateur civil issu du Trésor qui est chargé de mission auprès de Jean Dromer, conseiller technique à l’Élysée pour les affaires économiques et financières (entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1999) ; confirmé par celui de J.-Y. Haberer (entretien n° 2, entr. cité). On ne saurait plus généralement sous-estimer le rôle de G. Pompidou dans les affaires économiques et financières.
38 Cf. E. Roussel, Georges Pompidou, Paris, J.-C. Lattès, 1994 et A. Peyrefitte, C’était de Gaulle, op. cit.
39 C’est la tonalité de l’allocution de Georges Pompidou prononcée en juin 1965. Voir AN, AP Pompidou.
40 Archives privées.
41 « Débats parlementaires », J.O. du 30 juin 1967, Assemblée Nationale.
42 AEF, fonds Trésor, B 52 456, note pour le directeur du Trésor du 13 avril 1967.
43 AEF, fonds Trésor, B 52 456, note pour le ministre du 27 mai 1967.
44 Entretien avec Jean-Yves Haberer, entretien n° 2, cassette n° 3, entr. cité.
45 AEF, fonds Trésor, B 52 444, note confidentielle de décembre 1966, n.s., op. cit. Cependant une lettre du président de l’Association française de banques au gouverneur de la Banque de France, vraisemblablement de janvier 1967, donne un avis favorable à la libéralisation.
46 Id. La position des banques apparaît ici complexe. Le temps nous a manqué pour approfondir leur point de vue. À toutes fins utiles, voir J. Bouvier et F. Caron, in F. Braudel et E. Labrousse (dir), Histoire économique et sociale de la France, op. cit., tome IV, p. 1201 et suiv, dont l’analyse se fonde sur le témoignage de F. B1och-Lainé (directeur général du Crédit lyonnais de 1967 à 1974).
47 F. Jouan, Les réformes de l’organisation bancaire.... op. cit.
48 AEF, fonds Trésor, B 52 444, « Libéralisation des guichets bancaires 1966-1967 », note pour le ministre du directeur du Trésor, du 2 janvier 1967. D’un style plus direct, la note rédigée par le bureau B1 est beaucoup plus réservée sur la libéralisation : alourdissement des charges d’exploitation des banques, accélération du mouvement d’implantation amorcé depuis deux ans, conséquences sur le développement étranger des banques.
49 AEF, fonds Trésor, B 52 444, note du ministre au directeur du Trésor du 3 Janvier 1967.
50 AEF, fonds Trésor, B 52 444, note pour le ministre du directeur du Trésor (B1) du 4 janvier 1967. On remarquera la rapidité de réponse de l'un et de l'autre sur cette question.
51 AEF, fonds Trésor, B 52 444.
52 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Banques d’affaires », note n. d. du Trésor (SJ). Mais le décret ne fait qu’entériner une situation de fait constatée à partir de 1965 et accélérée par les risques de nationalisations. La baisse du nombre de banques d’affaires est également due à d’importantes fusions opérées entre 1965 et 1966 (Union des Mines – La Hénin, Banque de Paris et des Pays – Bas – CIC, Compagnie de Suez – BUP...).
53 AEF, fonds Trésor, B 52 451, rapport de H. Montet du 10 mai 1967 sur les transformations récentes des banques d’affaires.
54 J. Bouvier et F. Caron, in Histoire économique et sociale de la France, op. cit., soulignent le développement des concentrations bancaires à partir des années 1960.
55 Archives du Crédit lyonnais, 18 AH 8-9, enquêtes et rapport d’A. Sezerat, inspecteur général des PTT pour le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics.
56 M. Debré évoque le projet dans ses Mémoires, tome IV, op. cit., p. 97. À l’époque, il semble qu’il ne voulait que deux grandes banques au lieu de quatre (entretien avec J.-Y. Haberer, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité).
57 AEF, fonds Trésor, B 52 447, « Pouvoirs de la Commission des Finances 1954-1961 », rapport de la Commission des Finances de février 1960, n.s., transmis à M. Pérouse.
58 Sur la création de la B.N.P. et le choix des banques, voir S. Bertrand, La naissance de la Banque nationale de Paris, ¡966-1972, mémoire de maîtrise sous la direction d’A. Plessis, Université de Paris-X-Nanterre.
59 Ministère des Finances, Service de l’information, « Les principales mesures prises ou nouvellement appliquées en 1966 dans le domaine économique et financier », avril 1967, p. 7.
60 Selon S. Bertrand, La naissance de la B.N.P..., op. cit.
61 Comme la bataille mémorable qui opposera Suez et Paribas en 1968-1969 pour le contrôle du CIC.
62 Le témoignage de J.-Y. Haberer sur ce point est formel, mais il n’est malheureusement pas vérifiable. Nous inclinons à penser que ce type d’argument a pu être avancé, mais qu’il n’est sans doute pas la motivation principale du directeur du Trésor (entretien n° 2 avec l’auteur, cassette n° 2, déjà cité).
63 Selon P. Moussa, qui fait apparaître le rôle de J.-Y. Haberer, La roue de la Fortune, Paris, Fayard, 1989, p. 126. A. Dupont-Fauville a sans doute également joué un rôle (entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, déjà cité).
64 Selon le témoignage de J.-Y. Haberer, qui nous paraît plausible, G. Plescoff en tant que directeur à la Caisse des dépôts connaît bien les questions de financement des collectivités locales (entretien n° 3, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995).
65 Convention du 3 mars 1964 limitant le montant des prêts spéciaux à la construction éligibles à la Banque de France. La réforme de 1966, destinée à limiter les risques d’un engagement trop important de l’Institut d’émission sur ces crédits, a été annoncée lors de la conférence de presse de V Giscard d’Estaing du 22 septembre 1965.
66 AEF, fonds Trésor, B 52 456, note pour le ministre du 29 janvier 1968.
67 Id. Il est certain que les différents établissements qui ont construit une partie de leurs activités sur le moyen terme ont dû souffrir.
68 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
69 Selon le Trésor, le coefficient de trésorerie et le gonflement des crédits à moyen terme depuis 1960 tendaient à favoriser les banques d'affaires au détriment des banques des dépôts.
70 AEF, fonds Trésor, B 51 016, note de A1 du 18novembre 1959 et note du Service des études économiques et financières pour P.-P. Schweitzer du 1er décembre 1959. Le Trésor craint pour la trésorerie, le Services des études voit dans le maniement des plafonds de réescompte l’équivalent du système de réserves américain. Voir chapitre V.
71 Avant que le ministre ne reprenne l’initiative, la direction des Études étudie les modèles étrangers. Voir AEF, fonds Trésor, fonds Trésor, B 51 016 et AP Pérouse, « Trésor 1 », note de la Banque de France du 28 août 1966 ou du 7 septembre 1966, 38 p. dactylogr. Le modèle américain a été adopté par la RFA et la Grande-Bretagne.
72 AEF, fonds Trésor, B 51 016, note pour le ministre du 15juillet 1966, 14 p. dactylogr. Le directeur du Trésor considère que le développement du crédit à moyen terme est dans une large mesure à l’origine des distorsions intervenues dans l’efficacité du système préconisé en 1960.
73 Ibid. Ce chiffre paraît très gonflé : la Banque de France l’évalue à 55 millions pour 1967 (note A1 du 13 septembre 1966), le bureau A1 du Trésor calcule une fourchette de 105 à 175 millions de F (note A1 du 14 septembre 1966).
74 AEF, fonds Trésor, B 51 016, note pour le ministre du 15 juillet 1966, doc. cité, p. 9.
75 Ceci est perceptible également dans les différentes notes rédigées par le bureau A1, (AEF, B51 016, notes du 13 et 14 septembre 1966).
76 Allocution prononcée par M. Debré devant le CNC le 10 janvier 1967.
77 Cette mesure aurait pu faire l’objet d’une simple décision du CNC, comme cela avait été le cas pour le coefficient de trésorerie. Le choix du décret n’est pas neutre : la Banque de France prévoit en effet une résistance des banques. Or, la publication d’un décret permet de limiter la consultation du CNC à une simple demande d’avis (note de Pérouse du 15 juillet 1966, doc. cité).
78 AEF, fonds Trésor, B 52 451, note pour le ministre signée de P. de Vogüé, du 30 novembre 1966. Les pratiques du Trésor restent donc les mêmes et les doctrines également : il ne faut pas désavantager le secteur public par rapport au secteur privé.
79 La Commission comprend en majorité des banquiers mais le directeur du Trésor et le directeur des Prix y participent avec voix délibérative. Un membre du cabinet du ministre est prévu. Le secrétariat de la Commission est assuré par un jeune chargé de mission à la direction du Trésor, Jacques Wahl.
80 Rapport de la Commission Gilet, ministère de l’Économie et des Finances, p. 41.
81 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », note pour le ministre du directeur du Trésor (Crédit B1) du 17 mars 1967. Le directeur général du Commerce intérieur et des Prix, Philippe Huet, soulève également le caractère « éventuellement illicite d’une action concertée des banques sur le plan professionnel » (note de B1 du 17 avril 1967 au directeur général du Commerce intérieur et des Prix).
82 AEF, fonds Trésor, B 52 451, lettre du ministre à L. Gingembre du 23 mars 1967. Il faudrait évidemment disposer d’autres documents pour connaître les éventuelles tractations entre le ministère et les banques sur cette question. En dépit de la libération des conditions de banque, la pression du ministre et du Trésor sur les banques est encore effective.
83 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt créditeurs », note pour le ministre du 22 avril 1967 (B1), à sa demande. Habituellement, les exemples étrangers ne sont cités que pour mieux démontrer la spécificité française. Ces deux exemples sont ici clairement mis en avant pour justifier l’existant. Dans le même esprit, de l’expérience pratiquée en Allemagne, qui vient de renoncer au contrôle des taux créditeurs, le directeur du Trésor tire des conclusions négatives.
84 Id.
85 Allocution devant le CNC du 10 janvier 1967. En reprenant dans son discours les efforts entrepris dans ce domaine par son prédécesseur, M. Debré en tire le bénéfice politique. Ceci explique sans doute que la postérité lui attribue la paternité de la modernisation du crédit.
86 Rappelons que les Caisses d’épargne bénéficient d’une défiscalisation du livret A et la Caisse nationale de crédit agricole de bonifications d’intérêt. Sur le Crédit agricole, cf. A. Gueslin, Histoire des Crédits agricoles 1910-1970, tome II : Vers la banque universelle. Depuis 1960, Paris, Economica, 1984.
87 La Vie française, 17 novembre 1967, interview de J. Reyre, président de la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui souhaite que toutes les grandes valeurs internationales ainsi que les valeurs étrangères soient admises librement à la cote.
88 C’est en tout cas l’avis du cabinet (J.-Y. Haberer) et de M. Viénot qui expose devant l’Association de l’Inspection générale des finances son point de vue sur le marché financier français. Conférence de MM. Guyot, Plescoff et Viénot sur la Bourse, 27 octobre 1966, ex. dactylogr., 11 p.. Service de l’Inspection générale des finances. (AP Pérouse).
89 AP Pérouse, note pour le ministre du 21 septembre 1965 « Contrôle des émissions d’emprunts obligataires », 10 p. dactylogr (voir chapitre VIII). La tactique apparaît particulièrement claire : pour ne pas apparaître totalement négatif, le directeur propose quelques aménagements.
90 AP Larre, Rapport du 13 juillet 1966, 46 p. dactylogr. R. Larre qui est alors administrateur du FMI connaît M. Debré depuis ses fonctions à la zone française d’occupation en Allemagne en 1945-1946. La commande de ce rapport prépare peut-être sa future nomination à la tête du Trésor.
91 Cependant R. Larre ne préconise pas systématiquement une libéralisation brutale et tous azimuts. Il se garde bien ainsi de parler de suppression du contrôle des changes, mais propose un « assouplissement ». Il comprend bien également la nécessité de maintenir une politique autonome en matière de crédit et de monnaie, qu’un excès d’internationalisation pourrait remettre en cause.
92 AP Pérouse, « Trésor Finex », note pour le ministre du 12 septembre 1966, « Développement de Paris en tant que place financière internationale », 10 p. dactylogr. Souligné dans le texte.
93 M. Pérouse était d’ailleurs favorable au maintien de la réglementation de 1939, quitte à multiplier les dérogations. AP Pérouse, Trésor 1, Trésor-Finex, note pour le ministre du 8 septembre 1966.
94 Rapport commandé en juin 1967 par M. Debré à la Commission d’experts présidée par D. Leca alors président de la compagnie d’assurances l’Union, et composée de représentants institutionnels. La direction du Trésor est bien évidemment présente, ainsi que J.-Y. Haberer pour le cabinet du ministre.
95 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note pour le ministre de M. Pérouse du 22 décembre 1966, 9 p. dactylogr.
96 Selon M. Pérouse, note sur l’état de l’Union du 14 janvier 1966, AP Pérouse, « Affaires générales 2 ».
97 Id.
98 La Security Exchange Commission est expressément citée comme modèle par R. Larre dans son rapport. M. Pérouse fait allusion à des études menées par ses services avant la publication du rapport Larre (AP Pérouse, Trésor Finex, note pour le ministre du 12 septembre 1966, 10 p. dactylogr.)
99 Pierre Chatenet, conseiller d’État, a été notamment directeur de la fonction publique à la présidence du Conseil (1954-1959), délégué ministériel à l’armée de l’air (1958-1959), ministre de l’Intérieur (1959-1961), président de la Commission européenne de l’énergie atomique (Euratom) de 1962 à 1967.
100 AEF, fonds Trésor, B 51 016, « Questions intéressant la Banque de France évoquées au cabinet du ministre », note du bureau Crédit B, n.s, n.d.
101 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité. Mai 1968 a pu effectivement empêcher M. Debré de mener à terme cette réforme prévue pour l’automne 1968.
102 Entretien de R. Larre avec S. Coeuré, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
103 Cf. M. Mangenot, « La formation à l’Europe des hauts fonctionnaires des Finances français 1948-1978 », in R. Girault et R. Poidevin (dir.), Le rôle des ministères des Finances dans la construction européenne..., op. cit., selon lequel l’apprentissage de l’Europe dans les années 1960 se fait surtout dans la pratique.
104 Ainsi la libéralisation des guichets bancaires aboutit quelque quinze ans plus tard à une surdensité du réseau bancaire, donnant a posteriori raison au directeur du Trésor. De même, la crise monétaire de 1968 oblige à rétablir le contrôle des changes. Sur l’ensemble des mesures prises, certains économistes, comme S. Guillaumont-Jeanneney, regrettent que la réforme du crédit n’ait pas été menée à son terme alors que la conjoncture y était favorable. Cf. « La politique monétaire française sous la présidence du général de Gaulle », in De Gaulle en son siècle, tome III, art. cité.
105 Entretien thématique avec l’auteur, déjà cité.
106 Entretien avec l’auteur, déjà cité.
107 Entretien avec l’auteur, entretien n° 3 cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995 ; entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997.
108 AP de Lattre, liasse 1, note sur le financement de la construction et le crédit hypothécaire aux États-Unis, dépôt d’avril 1999, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
109 Inspecteur des Finances de l’ancien concours (1945), R. Larre est chef du cabinet du directeur général de l’économie et des finances à la zone d’occupation à Baden-Baden en 1945-1946, chargé de mission auprès de l’administration française en Allemagne de 1946 à 1948 puis au secrétariat général pour les affaires allemandes. C’est vraisemblablement à la ZOF qu’il rencontre M. Debré alors secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes. Après un bref passage au SGCI, R. Larre entre à la DREE en 1949. En 1955, il est conseiller technique du ministre des Finances et des Affaires économiques (P. Pflimlin), en 1956, directeur du cabinet du secrétaire d’État au Budget, J. Filippi, en 1957-1958, directeur de cabinet du ministre des Finances, P. Pflimlin. De 1961 à 1967, il occupe différents postes à Washington qui le rattachent aux Finex et non plus à la DREE.
110 Selon les termes employés par C. Pierrre-Brossolette, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité.
111 Entretien avec l’auteur, entr. cité. Rappelons que J.-Y. Haberer a effectué un stage aux États- Unis sous son autorité et un rapport sur la transformation, largement diffusé par R. Larre lui-même. Sans doute le jeune inspecteur des Finances a-t-il poussé la candidature de ce dernier, qui lui avait alors permis de se faire connaître au ministère et surtout au Trésor.
112 Selon l’expression de C. Pierre-Brossolette, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité.
113 AEF, fonds Administration générale, B 28 215, communication de V Giscard d’Estaing au conseil des ministres sur une réorganisation de l’administration centrale des Finances et des affaires économiques. Les propositions du ministre répartissent les attributions des Finex entre le Trésor et la DREE principalement.
114 Id. La direction des Finances extérieures est décrite comme étant « presque une survivance » du passé.
115 Entretiens de C. Pierre-Brossolette, M. Rougé, É. Delaporte, déjà cités.
116 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 5, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. A. de Lattre est parrain du fils de M. Pérouse. Ils se connaissent également par leurs fonctions respectives dans les cabinets ministériels en 1959-1960.
117 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
118 AP Pérouse, « Trésor Finex », note pour le ministre du 9 septembre 1966, 14 p. De ce point de vue, la France se situe alors au troisième rang mondial derrière les États-Unis et la RFA. Les Finex aurait attiré l’attention du ministre sur les changements opérés dans la composition des réserves françaises, jusqu’alors constituées essentiellement d’or. Voir le témoignage écrit de C. Pierre-Brossolette, « La grande querelle monétaire internationale », 11 p. dactylogr., Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
119 Voir à ce sujet AP de Lattre, liasses 5 et 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
120 Parus dans le Monde des 27, 28 et 29 juin 1961.
121 Selon les témoignages concordants de M. Rougé et C. Pierre-Brossolette. Selon A. de Lattre, M. Couve de Murville et O. Wormser font également partie du clan rueffien (entretien n° 5 cassette n° 8, entr. cité). M. Couve de Murville est nommé directeur-adjoint du MGF par J. Rueff en 1937.
122 Sur les conceptions gaullistes du SMI, voir l’analyse d’A. Prate, « Le général de Gaulle et les institutions de Bretton Woods », in F. Descamps (dir.), La France et les institutions de Bretton Woods, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 83-88.
123 AP de Lattre, liasse 7, note pour le ministre du 28 décembre 1964.
124 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 5, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
125 Voir notamment S. Lepage, La direction des Finances extérieures de 1946 à ¡953..., op. cit., et « Chronique d’un malentendu : la direction des Finances extérieures et le FMI, 1944-1958 », in La France et les institutions de Bretton Woods ¡944-1994, op. cit., p.35-67.
126 Voir S. Lepage, La direction des Finances extérieures..., op. cit.
127 Après dix ans à la tête de la BRI, Guillaume Guindey est de retour en France, où il occupe des fonctions diverses : président du conseil de surveillance de la Caisse centrale de coopération économique et commissaire du gouvernement auprès de la CFP. Son attitude est peut-être conditionnée par le souvenir de la position américaine vis-à-vis du gouvernement d’Alger pendant la guerre, ou bien par celui des difficiles négociations du plan Marshall ou bien encore par l’inéligibilité de la France au FMI entre 1948 et 1954. On notera également que lorsqu’il prend position en faveur d’une stérilisation de la contre-valeur de l’aide Marshall en 1949. G. Guindey rejoint les idées de J. Rueff, qu’il côtoie au MGF avant la guerre. Voir S. Lepage, La direction des Finances extérieures, op. cit.
128 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. Il répond ici à une question sur la conférence de presse du général de Gaulle de 1965. Il est alors conseiller financier à l’ambassade de Washington.
129 Entretien thématique avec A. de Castelnau, entretien n° 8 cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. Michel Rougé, énarque (promotion 1951), administrateur civil aux Finex de 1953 à 1956, est attaché financier au Nord Viet Nam entre 1956 et 1958, puis à New York de 1962 à 1964. Il sera nommé sous-directeur en 1967 dans le Trésor réunifié.
130 Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 4, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997. Claude Pierre-Brossolette, fils du héros de la Résistance, énarque (promotion 1952), inspecteur des Finances, participe à plusieurs cabinets ministériels de la IVe République (R. Lacoste, P. Ramadier) et de la Ve République (cabinet de W. Baumgartner en 1960-1962, cabinet de V. Giscard d’Estaing de 1962 à 1965). Il est nommé directeur adjoint des Finex en 1962, puis chef de service à la direction du Trésor en 1966. Après avoir rejoint le cabinet de V Giscard d’Estaing en 1969, il sera directeur du Trésor de 1971 à 1974.
131 Selon le témoignage de J. Sérisé, alors directeur de cabinet de V Giscard d’Estaing. Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
132 Mais A. de Lattre était déjà mis à l’écart lors de la préparation de la conférence de presse qui s’est faite sans lui.
133 Entretien biographique, entretien n° 5, cassette n* 8, déjà cité.
134 Entretien biographique déjà cité, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
135 Discours du 9 septembre 1964 à la réunion annuelle du FMI à Tokyo.
136 AP de Lattre, liasse 7, Conférence du 11 février 1965 à la Maison du Droit. Contrairement à la conférence de presse du général de Gaulle à laquelle il n’est pas associé, A. de Lattre participe activement à la rédaction de ce discours.
137 Entretien thématique de J. Sérisé avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
138 Selon le témoignage de C. Pierre-Brossolette entr. n° 4, cassette n° 4, entr. cité, de M. Rougé, entretien n° 6, cassette n° 6, déjà cité.
139 Selon le témoignage de ce dernier, entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 5, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, confirmé par J.-Y. Haberer, entretien n° 3, cassette n° 4, déjà cité. J. Saint-Geours aurait pu prétendre alors à la succession de M. Pérouse. Mais ses attaches mendésistes, son appartenance au club Jean Moulin et ses affinités avec F. B1och-Lainé n’en faisaient certes pas un candidat idéal pour V. Giscard d’Estaing.
140 Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 5, cassette n°5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997. Peut-être n’a-t-il pas été inquiété parce qu’il est membre du cabinet de V Giscard d’Estaing.
141 Entretien n° 5, cassette n° 5, déjà cité.
142 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », note pour le ministre d’A. de Lattre. Ce dernier « désire très vivement » être associé à la répartition éventuelle des tâches de Finex.
143 AEF, fonds Administration générale, B 28 215, communication au conseil des ministres de V Giscard d’Estaing du 17 mars 1965.
144 AEF, fonds Administration générale, B 28 220, note pour le ministre de R. Verny, du 23 mars 1965, 4 p.
145 AEF, fonds Administration générale, B 28 220, lettre du Premier ministre au ministre des Finances et des Affaires économiques du 25 mai 1965. G. Pompidou s’appuie sur les directives du conseil restreint tenu à l’Élysée le 29 avril 1965, selon lesquelles la réorganisation devait « se traduire par un renforcement de la structure et des effectifs de la DREE ».
146 AEF, fonds Administration générale, B 28 215, note sur la réorganisation du Trésor, n.s., n. d. mais postérieure à 1967, 3 p. dactylogr. En revanche, la DPSG trouve remarquable la répartition interne des attributions du service des affaires intérieures...
147 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », note de M. Viénot du 6 octobre 1965. P. de Vogüé donne également son opinion sur les projets envisagés et J. Moreau sur la réorganisation du secteur de l’outre-mer.
148 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », note pour le ministre de M. Pérouse du 15 novembre 1965, 8 p. dactylogr, approuvée du ministre le 30 novembre. Ce projet correspond à l’organigramme publié dans le Boitin administratif de 1966.
149 Note de M. Pérouse du 15 novembre 1965, doc. cité. Loin de réduire son influence, la libéralisation et le développement de la concurrence entre banques entraînent et justifient, aux yeux de l’auteur, un accroissement du rôle du Trésor...
150 AEF, fonds Administration générale, B 28 215, note sur la réorganisation du Trésor, doc. cité.
151 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », note manuscrite de P. de Vogüé, que l’on peut dater de 1965, 4 p.
152 L’un de ses bureaux, les investissements étrangers est transféré au service des Interventions économiques, les autres, réglementation des changes, réglementation et contrôles des opérations du Trésor avec l’étranger, bureau central, sont supprimés.
153 Notons que les directeurs, chefs de service et sous-directeurs ne sont pas ici répertoriés dans les effectifs de la catégorie A. Celle-ci regroupe au Trésor les inspecteurs des Finances, les administrateurs civils, les attachés d’administration, les agents supérieurs, les inspecteurs du Trésor, les conseillers financiers dans les bureaux, les contrôleurs financiers...
154 Le Trésor compte 50 administrateurs civils, moins que le Budget (63), les Impôts (73) et les Prix (53). AEF, fonds Administration générale, B 28 216, « Répartition des cadres A entre les directions et les services », juin 1967.
155 Ainsi M. Mangenot étudie-t-il les sujets du concours d’entrée à l’ENA, excellent moyen selon lui de saisir les évolutions de l’idéologie technocratique. Voir Construction européenne et métamorphose de l’idéologie technocratique, l’Europe au concours d’entrée de l’ENA 1947-1997, Groupe de sociologie politique européenne, Centre de recherches politiques de la Sorbonne, 24 p.
156 Les témoignages recueillis concernent des énarques en poste au Trésor entre 1952 et 1970. Ceci rejoint l’étude de M. Mangenot qui note que le programme du concours d’entrée à l’ENA fait la part belle au droit plutôt qu’à l’économie jusqu’en 1971, art. cit.
157 J.-Y. Haberer prendra le relais à partir de 1971, avec deux cours Monnaie et politique monétaire et Les fonctions du Trésor et la politique financière, IEP, Paris, les Cours de droit.
158 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », rapport au ministre du directeur du Personnel et du Matériel, vraisemblablement du début de 1965, 5 p. dactylogr.
159 Id.
160 AP Pérouse, « Trésor, affaires administratives diverses », note pour le ministre du 2 février 1965, 3 p.
161 Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. Précisons que ces questions ont été évoquées spontanément par le témoin.
162 AP Pérouse, note de M.Pérouse pour le ministre du 2 février 1965, déjà citée.
163 Id. Cet argument n’a pas échappé à la direction du Personnel et du Matériel qui accepte la nomination de R. Péguret pour 1965, en raison des problèmes d’avancement que son maintien en poste implique. Cependant R. Péguret ne quitte le Trésor qu’en 1967 pour la recette des Finances de Fontainebleau.
164 Rappelons que le Trésor interne ne compte pas encore une seule femme énarque ; ce qui n’est pas très surprenant, lorsque l’on connaît le nombre de femmes administrateurs civils au ministère de l’Économie et des Finances en 1969 : 2,5%. Cf. G. Thuillier, Les femmes dans l’administration depuis 1900, Paris, PUF, 1988, p. 85-86. Le Trésor est encore plus masculin que l’ensemble du ministère...
165 On recense seulement deux cas pour la période qui nous intéresse : celui de C. Piétra et celui de M.-H. Schroeder.
166 Cf. M. Pinet (dir.), Histoire de la fonction publique, tome III, op. cit.
167 Le rapport stigmatise notamment le « nationalisme ministériel » qui empêche la circulation des administrateurs civils. AEF, fonds Cabinet, 1 A 74, rapport Grégoire.
168 AEF, fonds Cabinet, 1 A 73, note du directeur du Personnel et des Services généraux pour M. Poniatowski sur l’unification des corps d’administration du ministère des Finances et des Affaires économiques, n. d. Les difficultés de la réforme tiennent au prestige inégal de chaque corps. Les corps autres que celui de l’administration centrale des Finances (qui recouvre le Trésor, le Budget, les Finex et la CP) se méfient de « l’impérialisme de l’administration centrale des Finances ». Ainsi les administrateurs civils de la DGI, qui ont leur propre corps et qui bénéficient d’avantages de carrière, protestent-ils en juillet 1964 contre la fusion. La DPSG préconise également la fusion des corps autres que celui des administrateurs civils. AEF, fonds Administration générale, B28 217, note de la DPSG sur les problèmes posés par l’organisation du ministère des Finances et des Affaires économiques, 12 p.
169 AEF, fonds Cabinet, 1 A 74, note de V Giscard d’Estaing pour le secrétaire d’État du 29 juillet 1963 en vue du comité interministériel sur la réforme administrative, séance du 31 juillet 1963. Des notes du cabinet de 1963 et 1964 font état de la vaine résistance des Finances au projet face à la volonté de Matignon.
170 AEF, fonds Cabinet, 1 A 74, note pour le ministre de L. B1anc, n.d., 2 p.
171 Bien que nécessitant un détachement de l’administration centrale, les fonctions d’attachés financiers sont ici prises en compte dans la carrière exercée au Trésor. Il ne s’agit pas en effet de sorties à proprement parler.
172 Le secteur « administration » comprend les fonctions dans des ministères ou des organismes publics de contrôle (six sortent à la Cour des comptes, un à la COB, un à la CEE, un à la Caisse centrale de la France d’outre-mer ; un seul devient receveur des Finances, un seul contrôleur d’État ; trois énarques deviennent directeurs aux Finances). Le secteur public prend en compte les entreprises nationales et le secteur parapublic au sens large : l’Association française des banques, les Charbonnages de France, le Crédit national, l’Office national des Eaux et forêts, le Bureau de recherches géologiques et minières, la Caisse centrale de crédit hôtelier...
173 Entre 1960 etl962, beaucoup de jeunes énarques fraîchement émoulus de l’école partent ainsi en service détaché à la Caisse d’équipement de l’Algérie.
174 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
175 Au sein de la sphère des Finances, on relève ainsi deux fois plus de départs à la Cour des comptes chez les énarques, tandis que les départs des rédacteurs s’effectuaient plus facilement vers les postes de TPG ou de receveurs des Finances. Corrélativement, les prises de fonction dans le secteur parapublic et privé se font plus fréquemment à l’échelon de la direction générale.
176 Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997.
177 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Il faut noter cependant que quelques inspecteurs des Finances issus des Finex ont pantouflé dans les banques françaises : C. de Lavarène (CIC), B. de Margerie (Paribas), C. Valensi (Lazard frères).
178 Id. Il faudrait bien sûr étudier de manière précise l’évolution des carrières dans les années 1970.
179 Voir S. Lepage, La direction des Finances extérieures..., op. cit.
180 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
181 Selon la typologie définie par M. Margairaz, L’État et les Finances..., op. cit.
182 Entretien biographique avec A. de Castelnau, déjà cité.
183 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. Rappelons que R. Larre est issu de la DREE.
184 Bulletin de l’Économie et des Finances n° 37, octobre-décembre 1971, message de M. René Larre, p. 6-9.
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La direction du Trésor 1947-1967
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La direction du Trésor 1947-1967
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