Chapitre VII. Le Trésor et l’outre-mer, une longue histoire, 1945-1965
p. 359-401
Plan détaillé
Texte intégral
1Étudier isolément les relations entre le Trésor et l’outre-mer, le rôle qu’il a pu y jouer comme les doctrines qu’il s’est forgées sur le secteur, revêt à plusieurs titres un intérêt historique non négligeable. Par les missions qui lui sont confiées dans les secteurs monétaire, financier et économique, le Trésor est naturellement compétent sur l’ensemble du territoire français et donc de l’outre-mer. Les mutations économiques et financières opérées depuis la Libération trouvent dans cette zone géographique un champ d’application particulier, distinct de celui du territoire métropolitain. La période charnière de la IVe République et des débuts de la Ve République correspond en effet à celle d’une réforme des moyens et des circuits financiers et monétaires, faisant suite aux objectifs nouveaux qui sont assignés aux pays d’outre-mer après la guerre, et dont nous développerons plus loin les différents aspects.
2Plus précisément, l’étude présente un intérêt particulier pour la recherche entreprise sur la direction du Trésor : l’outre-mer s’insère-t-il dans sa stratégie de contrôle des circuits monétaires et financiers ou bien constitue-t-il un champ d’action particulier ? Quels sont les objectifs de la direction et dans quelle mesure a-t-elle réussi à les atteindre ? Quelle est la place du Trésor dans la nouvelle organisation de l’après-guerre et comment évolue-t-elle ? Quel rôle le Trésor accorde-t-il au développement économique et financier de l’outre-mer ? Plus largement, la pérennité d’une action du Trésor en direction de l’outre-mer permettra de définir ce qui constitue selon nous un point d’ancrage spécifique de sa culture de direction sur la longue durée.
3Enfin, la dimension politique particulièrement forte qu’intègre alors le secteur de l’outre-mer permet de donner un exemple de la capacité d’influence des hauts fonctionnaires sur la détermination politique suivie, mais aussi de mesurer leur représentation du secteur, de ses enjeux et de son avenir. De l’après-guerre au début des années 1960, la décolonisation, le passage de l’empire à la Communauté avec l’intermède de l’Union française ainsi que les changements politiques majeurs intervenus dans les liens entre la métropole et ses différents territoires, départements et protectorats ont rythmé les relations économiques et financières entretenues par l’État français avec les pays considérés. Quels sont alors les fondements de la ligne de conduite du Trésor et quelle est la part entre sa logique de fonction, les contraintes extérieures et ses éventuelles convictions politiques ?
4Ces seules interrogations justifieraient une étude sectorielle à part entière sur les Finances et l’outre-mer, qui compléterait utilement les quelques travaux déjà menés sur les relations économiques et financières entre l’État français et ses anciennes colonies1. L’optique de recherche sur la direction du Trésor ici choisie ne permet pas de consacrer à ce secteur la place qu’il mériterait dans les travaux historiques. Aussi l’étude qui suit s’appuie-t-elle essentiellement sur le croisement de témoignages oraux, une sélection d’archives du Trésor et les travaux existants. Cependant, dans le cadre de notre recherche, ce regret doit être tempéré par le fait que les relations entre le Trésor et l’outre-mer constituent une part mineure des prérogatives de l’institution, dont le faible pourcentage de la masse monétaire outre-mer par rapport à l’ensemble de l’empire, 2,6 % des billets en circulation en 1945, donne une mesure partielle2. La part de l’investissement (FBCF) consacré à l’outre-mer relativise également les enjeux économiques et financiers publics qu’il représente alors en France, bien que le pourcentage des investissements outre-mer augmente progressivement à partir de 1948.
5Ces chiffres sont ceux définis par la nouvelle méthode d’évaluation de la Commission des investissements adoptée à partir de 1952. Il faut souligner là encore la difficulté d’établir des chiffres précis. Pour la seule année 1952, le total des fonds publics en métropole varie, suivant les rapports de la Commission des investissements, entre 708,1, 694 et 710,3 milliards de francs. La différence tient vraisemblablement aux indemnités versées au titre de la reconstruction. Les chiffres concernant l’outre-mer sont encore moins sûrs : ils expriment les montants « recensés » par la Commission. Ils doivent donc être considérés comme des ordres de grandeur et non comme des montants précis. On notera en outre que les fonds publics ne constituent que la partie visible de l’intervention de l’État, celle-ci pouvant se manifester également au travers des financements des établissements publics spécialisés et, dans une moindre mesure, dans l’appel au marché financier (calendrier et volume fixés par la direction du Trésor).
6Quelle est la place du Trésor au sein de l’appareil administratif économique et financier qui est en charge des pays d’outre-mer ? À travers ses missions monétaires et financières, il s’avère d’un point de vue purement fonctionnel l’un des rouages publics importants des relations monétaires et financières avec l’empire. Il faut sans doute rappeler rapidement que les relations avec les pays d’outre-mer au lendemain de la guerre sont gérées par des ministères différents, suivant le statut du pays : le ministère de l’Intérieur est responsable des trois départements d’Algérie, les protectorats du Maroc et de la Tunisie sont sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, tandis que la rue Oudinot-le ministère des Colonies puis le ministère de la France d’outre-mer – supervise les relations avec les DOM-TOM ; en 1950, l’Indochine sort de son domaine et les trois États associés seront placés sous la responsabilité d’un ministère du même nom. Au sein des Finances, le Trésor partage avec le Budget et les Finances extérieures les attributions financières les plus importantes.
7À cet éparpillement de la tutelle politique et administrative s’ajoute la diversité des statuts monétaires et des modes de relations financières de chaque pays avec la métropole. Alors que l’émission est assurée par des banques privées en AOF et au Togo-par la Banque de l’Afrique occidentale-, dans les territoires du Pacifique-par la Banque de l’Indochine-, ou encore à Madagascar et aux Comores, l’émission de monnaie en AEF, au Cameroun et à Saint Pierre et Miquelon a été confiée en 1941 à la Caisse centrale de la France libre, devenue en 1944 la Caisse centrale de la France d’outre-mer3.
8La responsabilité du financement public des investissements est également répartie entre plusieurs institutions nées après la guerre : la Caisse centrale, le conseil de surveillance du fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES)4, la Commission des investissements.
9Pour l’ensemble de ces pays d’outre-mer, le ministère des Finances est alors le seul organisme administratif qui, grâce à sa mission régalienne en matière de monnaie et aux fonctions transversales qui en découlent, permet d’avoir une vision globale des relations monétaires et financières. En effet, la Banque de France, en raison peut-être de sa « traditionnelle réserve » à l’égard de l’outre-mer5, ne semble pas être alors un acteur de premier plan dans l’empire. Quant au ministère des Colonies, devenu ministère de la France d’outre-mer, « la monnaie est le seul domaine où il avait relativement peu à dire » selon l’un de ses acteurs éminents6. Parmi les intervenants du ministère des Finances, la direction du Trésor a la responsabilité de trois domaines distincts mais complémentaires au sein de la zone franc nouvellement créée. Elle gère tout d’abord les relations de trésorerie avec les DOM-TOM, qui couvrent aussi bien les avances à court, à moyen et à long terme du Trésor. Sans entrer dans le détail, nous retiendrons que là encore, les modalités des relations de trésorerie diffèrent suivant les territoires. À titre d’exemple, le premier compte d’opérations officiellement créé en 1921 avec la Banque d’État du Maroc sera par la suite étendu à d’autres pays d’outremer, mais non à tous7. Des liens budgétaires existent également pour le financement des investissements via le FIDES, le FIDOM, la Caisse centrale et le fonds de modernisation et d’équipement, qui donnent au Trésor, grâce à sa participation aux organes de décision, des pouvoirs de contrôle sur les dépenses d’équipement de l’outre-mer, soit sur l’équivalent de plus de 1 000 milliards de F. courants entre 1947 et 19558. Enfin, le Trésor contrôle le service de l’émission, géré suivant les États par des banques privées, mixtes ou des instituts publics. Ce survol rapide des relations fonctionnelles entre le Trésor et l’outre-mer met en évidence tout à la fois l’empirisme et la diversité des régimes monétaires et financiers qui ont prévalu jusqu’à la guerre au sein de l’empire, mais aussi l’intérêt historique d’une étude centrée sur le carrefour stratégique que constitue alors le Trésor pour l’outre-mer.
10L’enjeu décisif que représente l’empire au cours de la Seconde Guerre mondiale engendre la création d’institutions durables, significatives de son poids géopolitique : la Caisse centrale, la zone franc et dans son prolongement, les francs CFA et CFP. Au regard des travaux de recherche existants9, le Trésor ne semble pas avoir joué de rôle de premier plan dans la mise en place de ces outils. En revanche, dès 1945, grâce aux différents moyens dont elle dispose déjà, la direction du Trésor cherche à assurer une meilleure coordination des politiques monétaires, et donc à renforcer le contrôle des relations monétaires et financières avec l’outre-mer, en maintenant jusqu’en 1960 une certaine continuité d’action. D’un côté, les moyens institutionnels et humains mis en place par la direction permettent de définir les pourtours de sa sphère d’influence. Du point de vue de doctrines propres au Trésor perceptibles à travers un certain nombre de prises de position, trois phases peuvent être distinguées : à la phase de réformes intensives que le Trésor initie ou accompagne, jusqu’en 1953-1954, succède la période de la décolonisation, qui se caractérise par la mise en lumière du coût des colonies et la remise en question des choix d’investissements (1954-1960). La guerre d’Algérie et la redéfinition du cadre institutionnel des relations entre la France et l’outre-mer constituent une troisième phase capitale (1958-1965) que nous aborderons rapidement. Il faudra également s’interroger sur l’éventuelle spécificité de la position du Trésor par rapport à celle des autres acteurs politiques et administratifs impliqués dans les affaires d’outre-mer et sur sa capacité d’infléchissement des politiques publiques appliquées à l’outre-mer.
I. 1945-1954 : L’OUTRE-MER, UN VECTEUR DE LA MODERNISATION ?
11Dès 1945-1946, la volonté centralisatrice du Trésor apparaît lors des différentes réformes qui sont élaborées, sur lesquelles il donne un avis sinon décisif, du moins essentiel. On remarque tout d’abord une certaine méfiance du Trésor à l’encontre de la Caisse centrale, méfiance qui se manifeste lors de la réforme du statut de la Caisse centrale, votée en juin 1945. À propos du rôle de son conseil de surveillance, notamment pour les conventions avec les collectivités publiques et les opérations de crédit, A. Le Masson souligne : « La direction du Trésor limite [...] le pouvoir du conseil en donnant au ministère des Finances et au ministère des Colonies des prérogatives véritables, contre un simple avis du conseil de surveillance », la direction refusant également le droit à la Caisse de prendre des participations dans des entreprises10. Par prudence ou par conservatisme, le Trésor marque sa réticence à confier de telles responsabilités à un jeune organisme, solution qui aurait pourtant permis le transfert du privilège d’émission des banques coloniales à un institut public11. Dans ces années d’immédiat après-guerre et au cours même du débat sur la nationalisation du crédit, le Trésor n’est décidément pas réformateur, en métropole comme en outre-mer. À ses positions de principe s’ajoute la crainte de voir émerger un organisme centralisant l’émission monétaire hors des Finances et susceptible de lui ravir son pouvoir régalien au sein de l’empire. Cette préoccupation est perceptible à travers son opposition au projet d’André Postel-Vinay tendant à confier le privilège d’émission dans l’empire à la Caisse centrale12. Ceci ne l’empêchera pas pour autant de préconiser une coordination de la politique monétaire dès 1952, en initiant la création de deux comités de contrôle de l’émission, l’un pour les DOM, l’autre pour le Cameroun, qui n’auront qu’une existence éphémère13. Au-delà de la réforme de 1955, qui créera effectivement des instituts d’émission publics indépendants et locaux, le Trésor restera longtemps réticent à l’idée d’une centralisation de l’émission monétaire hors de son giron.
12L’arrivée de F. Bloch-Lainé à la tête de la direction du Trésor modifie à la fois les relations de ce dernier avec la Caisse centrale et son attitude vis-à-vis des réformes proposées. Ainsi lors du débat qui s’instaure à nouveau sur le cumul du privilège d’émission et du financement des investissements détenu par la Caisse centrale, la position du Trésor fléchit. Au nom de l’orthodoxie monétaire, le ministre de la France d’outre-mer, Marius Moutet, puis Paul Devinat, entreprennent de critiquer le financement monétaire des investissements opéré par la Caisse centrale : à l’aise sur ce domaine qui relève de son expertise technique, le Trésor d’une part démonte aisément l’argumentation de Paul Devinat, et, d’autre part, soutient la double compétence de la Caisse, au nom du nécessaire développement économique. Michel Bret, alors sous-directeur des relations de trésorerie au Trésor, minimise les effets inflationnistes sur la métropole qui pourraient résulter de cette situation, et estime même que des « injections monétaires » sont indispensables à la mise en œuvre du développement économique et social des TOM14: la priorité donnée aux investissements au détriment de la stabilité monétaire fait écho aux choix opérés en métropole ; priorité qui n’est pas sans incidence non plus sur la vision spécifique de l’outre-mer que développe le Trésor durant cette période.
13Une note de F. Bloch-Lainé du 25 août 1948 permet d’analyser les raisons du changement de position. Entre la position du ministère de la France d’outre-mer, partisan d’un institut autonome distinct de la Caisse centrale, et le projet défendu par A. Postel-Vinay tendant à faire de la Caisse centrale l’institut de droit commun pour tous les TOM, la position du directeur du Trésor évolue par rapport à celle de J. Brunet, mais ne rejoint pas entièrement les thèses du directeur de la Caisse centrale. Ainsi défend-il le privilège d’émission en faveur de la Caisse centrale dans les « territoires de faible étendue dont l’activité économique dépend pratiquement d’un centre unique. Les banques d’émission de ces territoires ne peuvent en effet atteindre l’importance et le standing désirables. Par ailleurs, leur multiplication rend plus difficiles une coordination et un contrôle qui sont cependant souhaitables »15. En revanche, l’argument technique se retourne contre la Caisse centrale pour les territoires « d’une certaine importance géographique et économique », nécessitant « une connaissance approfondie de l’économie du territoire que seule peut donner la possession d’un réseau d’agences assez étendu », et par là donc plus à même d’être couverts par des banques locales16. François Bloch-Lainé est cependant sensible aux arguments d’André Postel-Vinay sur l’incapacité des banques coloniales à gérer le développement économique, et pour cause : il rencontre les mêmes obstacles avec les banques métropolitaines. Ainsi peut s’expliquer son initiative en faveur du renouvellement du privilège d’émission de la Banque de Madagascar puis de l’extension de celui de la Banque de l’Afrique occidentale (BAO), « sous la seule réserve d’une accentuation de la participation de l’État et des territoires au capital et à la gestion de l’établissement »17. La position du Trésor apparaît alors explicitement favorable au renforcement de l’autorité publique en matière monétaire, mais sans pour autant que celle-ci soit représentée par la Caisse centrale. Le Trésor ne peut envisager la concurrence d’une autre force que la sienne en matière monétaire. Cependant, une fois encore en raison des vifs antagonismes qu’elle suscite, la réforme reste en suspens jusqu’en 1955.
14Après bien des péripéties et au bout de multiples projets et contre-projets, un accord entre la France d’outre-mer, la Caisse centrale et le Trésor permet alors la création de deux instituts d’émission indépendants en Afrique occidentale française (AOF) et en Afrique équatoriale française (AEF), qui reprennent le privilège de l’émission à la BAO d’une part, et à la Caisse centrale, d’autre part. Elle apparaît d’une certaine manière comme une victoire des positions du Trésor, toujours favorable aux instituts publics plutôt que privés, mais réticent envers une extension des fonctions monétaires de la Caisse centrale. Ceci d’autant que le fonctionnement de ces instituts continue d’assurer au Trésor le contrôle de l’émission monétaire grâce au réseau d’hommes mis en place.
15Tout au long des années 1950, les objectifs du Trésor affirment son souci d’organiser, de maîtriser et d’unifier les relations monétaires avec l’outremer. La volonté de coordination monétaire et financière du directeur du Trésor se traduit également à travers plusieurs initiatives prises entre 1948 et 1952, qui à rebours illustrent la confusion qui régnait auparavant dans les relations entre le Trésor français et l’outre-mer. H. Tertrais donne l’exemple du bilan entrepris à l’initiative de F. Bloch-Lainé sur les relations financières entre la France et l’Indochine, qui fait apparaître en 1949 un solde négatif en défaveur de la métropole18. La loi de janvier 1948 qui, l’on s’en souvient, avait marqué le début d’une remise en ordre dans les comptes spéciaux du Trésor s’applique effectivement à ceux ouverts en faveur de l’Indochine19. Parallèlement, le directeur crée au sein du Trésor une sous-direction des relations de trésorerie, établit une balance des comptes entre la métropole et les pays d’outre-mer et institue un compte de compensation des monnaies de la zone franc. D’autre part, Robert Julienne, inspecteur des Finances, membre de la mission de contrôle des activités financières, est chargé par le directeur du Trésor de rationaliser les relations monétaires entre la France et les pays d’outre-mer. Son rapport aboutit notamment à l’institution du Comité monétaire de la zone franc par le décret du 5 février 1952, qui illustre aux yeux de son instigateur, F. Bloch-Lainé une volonté de « remédier à la dispersion des responsabilités et à l’absence de pensée directrice », fruits de l’éparpillement de la tutelle et de la diversité des instituts d’émission20: l’objectif clairement affiché est de définir une stratégie propre au secteur dans les domaines monétaire et financier et peut-être également de le préserver des tentations gourmandes de la Caisse centrale. Présidé par le gouverneur de la Banque de France, le Comité remplace la Commission de surveillance des banques coloniales ainsi que le Comité de coordination des instituts d’émission de la France d’outre-mer créé en 1947. À l’origine, le Comité monétaire de la zone franc a donc pour ambition de coordonner les politiques monétaires et de constituer un carrefour stratégique de la décision publique outre-mer. Mais il devient rapidement un organisme d’études et de statistiques, sans pouvoir d’influence sur les décisions. Peut-être la Banque de France est-elle moins préoccupée que le Trésor des enjeux économiques outre-mer.
16En réalité, le directeur du Trésor concentre son attention sur le rouage essentiel du système d’investissements publics, le FIDES, qui marque selon lui « la volonté nettement affirmée de centraliser les ressources et de coordonner les moyens » ; comme à regret, il écrit quelques lignes plus loin : « En fait, le comité directeur du FIDES jouit de la plus large liberté de décision dans la limite des crédits budgétaires consacrés à l’équipement des territoires d’outre-mer »21. Or le ministère de la France d’outre-mer tente une offensive en 1947-1948 pour prendre le contrôle du comité directeur du FIDES, au détriment de la Caisse centrale. Selon les recherches d’A. Le Masson, il trouve aux Finances un allié puissant favorable au renforcement du contrôle de la France d’outre-mer et du Parlement sur les activités du FIDES ; allié qui cherche lui-même à renforcer sa position au sein du FIDES, en proposant son droit de veto sur certaines de ses opérations de financement22. Cette alliance objective de ministères jacobins s’explique par leur commune méfiance envers les parlementaires d’outre-mer, perçus comme des élus subissant la pression d’intérêts locaux ou privés, en face desquels l’administration centrale se considère, une fois encore, comme un meilleur défenseur de l’intérêt général. Ces contre-propositions rejoignent également les préoccupations du directeur du Trésor concernant un meilleur contrôle et donc une plus grande transparence des opérations d’investissements. Si paradoxal que cela puisse paraître, ainsi peut-on interpréter sa défense du contrôle du FIDES par le Parlement, comme son opposition à l’augmentation du nombre des parlementaires d’outre-mer au sein du comité directeur... La réforme une fois encore n’aboutira pas en 1948. Mais quelques années plus tard, la loi du 24 mai 1951 donne raison aux parlementaires et rompt l’équilibre entre fonctionnaires et parlementaires au profit de ces derniers (10 pour 6).
17La Caisse centrale n’échappe pas à cette volonté de renforcer les contrôles en matière financière. Comme le souligne F. Bloch-Lainé dans sa note du 25 août 1948, « il importe que les limites de son intervention soient périodiquement fixées par le Parlement » et il convient de « délimiter de façon précise les domaines respectifs de la Caisse centrale et des banques en matière de crédit »23. Un arrêté du 19 juillet 1948 a d’ores et déjà soumis la Caisse au contrôle de la CVCEP.
18Parallèlement, à partir de 1948-1950, s’instaurent des liens fonctionnels étroits entre le Trésor et la Caisse centrale, dont la convergence croissante des points de vue permettra l’aboutissement de réformes monétaires importantes mais aussi la mise en place des grands projets d’investissements.
19Marquées par la volonté de faire participer l’Union française à la modernisation, mais aussi de justifier la présence française dans ses colonies, les années d’après-guerre constituent une étape majeure dans les relations économiques et financières entre la France et l’outre-mer. Significatives des enjeux géopolitiques que représentent alors les TOM, les aides américaines, dont le plan Marshall, offrent l’opportunité de mettre en œuvre une véritable politique de mise en valeur. Entre 1947 et 1959, l’affectation de la contre-valeur des aides américaines aux Territoires d’outre-mer s’élève à près de 64 milliards de F, soit 6,7 % du total24. Grâce à ce nouveau levier de financement que représente la Commission des investissements, le Trésor dispose des moyens pour mettre en œuvre sa conception du développement de l’empire. Déjà tendues, les relations du Trésor avec la France d’outre mer se détériorent encore un peu plus avec la mise en place de la Commission. Rappelons que figurant parmi les ministères techniques quelque peu réticents à contresigner le décret créant la Commission, le ministère de la France d’outre-mer paraît craindre une mainmise de celle-ci sur les ressources du FIDES et des autorités locales25. Pourtant, au démarrage de la Commission, seules l’Afrique du Nord et l’Indochine sont inclues dans son champ d’attributions. La note du directeur du Trésor à René Mayer proposant la Commission des investissements souligne ainsi l’absence de cohérence des projets relatifs aux pays d’Afrique du Nord et d’Extrême-Orient, qui ne sont pas de la compétence du FIDES et « qui n’ont pas été compris dans une vue d’ensemble »26. Avant même la création officielle de la Commission, le financement du plan d’équipement de l’Indochine est examiné dans le bureau du directeur du Trésor en 194827. À la même époque, le Trésor entend coordonner les dépenses d’investissement de l’Afrique du Nord. Une demande d’information sur les investissements de 1947 et 1948 émanant de Maurice Sergent, sous-directeur, est adressée aux directeurs généraux des Finances du Maroc, de l’Algérie et de Tunisie, sous forme d’un questionnaire « destiné à nous donner les éléments indispensables à une centralisation générale des dépenses d’investissement dans la métropole et dans les TOM »28. Les vœux du directeur en faveur d’une centralisation sont rapidement mis à exécution. Progressivement appelée à se prononcer sur les avances du FME attribuées à la Caisse centrale puis à définir le montant de ses ressources et sa répartition, la Commission des investissements puis le conseil de direction du fonds de développement économique et social sortent de son champ initial d’intervention et tendent à devenir l’un des acteurs de la distribution des crédits à l’outre-mer.
20À partir de 1948, les débats au sein de la Commission des investissements à propos de l’affectation de l’aide Marshall permettent d’affiner la position du Trésor sur les financements destinés à l’outre-mer. Une discussion entre François Bloch-Lainé et Roger Goetze sur l’affectation des fonds Marshall à ces pays reflète deux visions politiques de conception différente. Roger Goetze s’étonne du montant « ridicule » consacré aux TOM (20 milliards de F pour 1949 sur les 280 milliards de l’aide Marshall), qui ne tient pas compte suffisamment à ses yeux des aspects politiques, et qui est « préjudiciable à la cause française »29. En réponse, le directeur du Trésor défend la prise en considération de l’aide totale consacrée aux TOM et non de la seule aide Marshall, soit une répartition globale de deux tiers pour la métropole et d’un tiers pour l’outre-mer. Cette position est éclairée par une note signée d’Henri Bissonnet, de la fin de 1948, qui souligne : « Il peut être politiquement fâcheux de supprimer ou de réduire considérablement l’aide métropolitaine aux TOM et de faire de la contrepartie en francs de l’aide américaine l’unique ou le principal moyen de financement des plans d’investissements outre-mer »30. Plus qu’un abandon symbolique de souveraineté, subordonner l’aide à l’outre-mer à une aide extérieure temporaire comporterait pour le Trésor un risque de désengagement de la France vis-à-vis de son empire ; tandis que R. Goetze y voit au contraire un geste politique symbolique vis-à-vis des territoires qui par ailleurs ont contribué à la France libre. Peut-on déceler dans cette attitude une crainte de voir les Américains interférer dans les affaires de l’empire ? F. Bloch-Lainé rappelle que « les Américains estiment qu’ils n’ont pas à rentrer dans le détail de la répartition et considèrent que l’aide est accordée à la France ; celle-ci dispose en totalité de la contrepartie »31. Ce discours reflète plus ses désirs que la réalité, si l’on se réfère aux tentatives américaines d’ingérence dans les opérations outre-mer que la France a dû affronter à plusieurs reprises32.
21Plus largement, ce débat révèle un attachement du directeur à l’empire et à son développement, sur lequel le Trésor semble avoir une vision à long terme. Cependant, cette position reste tributaire de contraintes financières, qui conduisent parfois le Trésor à adopter une attitude restrictive face à la découverte de charges jugées excessives ; ainsi, dès 1948, le sous-directeur M. Bret s’inquiète-t-il du montant de 50 milliards prévu pour les avances de la Caisse centrale jusqu’en 1950 et le Trésor demande-t-il un accroissement de la contribution des TOM à leur propre développement33.
22Autre exemple de la place grandissante de la Commission des investissements puis du conseil de direction du FDES dans les financements des grands projets d’investissements outre-mer quelques années plus tard, le projet Konkouilou-Konkouré d’équipement hydroélectrique en Guinée, destiné à la fabrication d’aluminium, donne lieu à de nombreuses discussions entre les Finances et la France d’outre-mer. Dans une note commune pour le ministre des Finances, le Trésor, le Budget et les Finances extérieures justifient leur acceptation de principe de l’opération par le besoin d’aluminium en France ; or, selon les auteurs, « il n’est plus possible de trouver en France métropolitaine de nouvelles sources d’électricité dont le prix de revient soit suffisamment bas. Il est donc raisonnable d’utiliser pour la production d’aluminium les possibilités d’équipement existant dans les Territoires d’outre-mer »34. Cependant l’attention du ministre est appelée sur l’importance des financements publics et privés à réaliser et sur l’incidence du projet sur le marché français de l’aluminium. Les auteurs souhaitent donc soumettre sans attendre au conseil de direction du FDES l’ensemble de l’opération : « L’intérêt de celle-ci déborde le territoire de la Guinée et même le domaine du ministre de la France d’outre-mer ». Le montage de cette opération, s’il n’aboutit pas pour des raisons politiques, illustre néanmoins le consensus qui existe alors au sein des administrations métropolitaines en faveur des grands projets énergétiques outre-mer et le rôle croissant de la Commission des investissements en tant que financier des grands projets, susceptible de rassembler banquiers publics et privés sur un projet, mais aussi de les contrôler : c’est sans doute la supériorité de la Commission sur le FIDES. Le Trésor continue de soutenir les grands projets miniers, et en 1958 accorde sans réticence un concours financier supplémentaire à la société Fria en vue de la création d’une industrie d’alumine35.
23L’épisode met au jour la continuité des doctrines de financement des investissements que le Trésor tend à mettre en œuvre. Dans la ligne de son prédécesseur, Pierre-Paul Schweitzer étend le contrôle financier de l’État sur les entreprises opérant outre-mer : en 1957, la compétence de la Commission de vérification est étendue à l’Office national des chemins de fer de la France d’outre-mer, à la Compagnie des pétroles France-Afrique et à une filiale du Bureau de recherches pétrolières.
A. LE FONCTIONNEMENT EN RÉSEAU D’UN MONDE CLOS
24Comme le suggère ce qui précède, l’arrivée de F. Bloch-Lainé à la tête de la direction du Trésor marque un tournant dans l’appréciation des enjeux de l’outre-mer, vers un renforcement des liens avec l’empire et un accompagnement volontaire de son développement, tout en restant dans le seuil du financièrement admissible. Sans être le seul facteur explicatif, la proximité des liens unissant F. Bloch-Lainé et A. Postel-Vinay a joué dans le sens d’une plus grande convergence de vues des deux acteurs, en faveur d’alliances conclues face aux tentatives annexionnistes du ministre de la France d’outre-mer. Tous deux offrent des similitudes de profil qui peuvent expliquer l’étroitesse des liens. Inspecteurs des Finances de la même génération, ils sont considérés comme des figures de la Résistance, bien qu’ayant agi dans des secteurs différents36. Mendésistes en 1944-1945, ils participent à ce mouvement modernisateur de l’après-guerre qui souhaite marier développement économique et rigueur financière. La nomination de F. Bloch-Lainé en tant que président du conseil de surveillance de la Caisse centrale en octobre 1951, poussée par A. Postel-Vinay, mais au grand dam du ministère de la France d’outre-mer, est la manifestation la plus claire de la confiance mutuelle qui les unit alors. Bien évidemment, cette nomination n’est pas sans arrière-pensée tactique de part et d’autre. Elle permet à F. Bloch-Lainé de contrôler plus étroitement les activités de la Caisse ; A. Postel-Vinay s’assure un allié financier de poids et le soutien de l’un de ses ministères de tutelle... au détriment de l’autre. Cette alliance entre les deux hommes s’accompagne d’un réseau d’influences croisées et réciproques entre les hauts fonctionnaires du Trésor, de la Caisse centrale et des instituts d’émission. Rappelons tout d’abord que deux des grands dirigeants de la Caisse centrale sont issus des rangs du Trésor. Claude Panouillot de Vesly, inspecteur des Finances de la promotion 1941, affecté à la direction du Trésor en octobre 1944, demande à être détaché à la Caisse centrale en janvier 1946. Il y sera successivement directeur-adjoint de 1949 à 1955, puis directeur de 1949 à 1955, pour devenir ensuite directeur général de l’institut d’émission de l’Afrique équatoriale, la BCEAEC (Banque centrale des États d’Afrique équatoriale et centrale). Après avoir participé à des cabinets ministériels, Robert Julienne, autre inspecteur des Finances de la promotion de 1949 à 1955 ; parallèlement, il occupe les fonctions de président du comité de censure de la Caisse centrale. En 1955, il devient directeur général de la BCEAO (Banque centrale des États d’Afrique occidentale). Deux cursus similaires, qui passent du Trésor à la Caisse centrale, puis aux instituts d’émission.
25Au sein même du Trésor, les hauts fonctionnaires en charge de l’outremer occupent des fonctions de représentation qui permettent à la direction à la fois d’être informée et de tisser des liens durables. À titre d’exemple, Henri Bissonnet représente le Trésor au conseil de surveillance de la Caisse centrale, tandis que Robert Julienne est commissaire du gouvernement de la Banque d’État du Maroc et de la Banque de Madagascar et des Comores, de 1949 à 1955. De même retrouve-t-on Jean Denizet en tant que censeur de la Banque de l’Algérie et de la Tunisie de 1951 à 1954, puis commissaire du gouvernement auprès de la Banque d’État du Maroc et président du comité de censure de la Caisse centrale en 1958 : la mission de contrôle des activités financières recèle une véritable pépinière d’hommes grâce auxquels le Trésor tisse sa toile dans l’empire. Les archives orales livrent de plus amples détails sur les liens informels mais néanmoins importants qui se créent parfois en dehors des fonctions officielles. Ainsi Henri Bissonnet37 évoque-t-il sa mission à Djibouti en 1949 et ses « discussions amicales » avec la Banque d’Indochine sur le privilège d’émission ; on découvre qu’à ses fonctions au conseil de surveillance de la Caisse centrale s’ajoutent celles d’administrateur de Miferma et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)38.
26Parallèlement, les nouveaux instituts d’émission créés en 1954-1955 en Afrique noire et dans l’ex-Indochine sont sous influence des Finances, sinon du Trésor. D’autant que ce dernier dispose, au nom de l’État, du pouvoir de nomination et de fixation de la rémunération pour les directeurs de ces instituts. Traditionnellement, les nouveaux postes créés se répartissent entre le ministère des Finances et celui de la France d’outre-mer, comme l’explique Pierre Moussa :
« Il y a eu un accord vite établi [entre les Finances et la France d’outre-mer] : les présidents, le poste le plus noble et le plus politique reviendra à la France d’outre-mer, mais là où se fera vraiment le travail, ce sera le directeur général, au ministère des Finances »39.
27Or, au sein des Finances, qui s’intéresse à l’outre-mer ? La DREE est habilitée à surveiller les marchés et à contrôler importations et exportations. Le Budget, comme en métropole, se partage avec le Trésor le contrôle financier des territoires, le financement de l’équipement des collectivités locales, la tutelle sur les entreprises publiques ou les sociétés d’économie mixte. La direction des Finances extérieures intervient sur le financement de projets auxquels participent des groupes étrangers, tandis que le Trésor, habitué en métropole à manier les différentes procédures financières et à discuter avec des interlocuteurs privés, est finalement la seule direction qui ait une vision d’ensemble des aspects à la fois monétaires et financiers du secteur. Ceci n’empêche pas la nomination de hauts fonctionnaires issus d’autres directions des Finances, notamment dans l’ex-Indochine. On citera pour mémoire le cas de Robert Bordaz, directeur général de l’Institut d’émission des États associés, et celui d’André Valls, représentant de la France au conseil d’administration du même Institut et conseiller financier à Saigon40. Les conseillers financiers ont tendance, comme le souligne H. Tertrais pour l’Indochine41, à communiquer directement avec leur « maison mère », court-circuitant parfois leur hiérarchie officielle de la France d’outre-mer.
28Aux côtés de Jean Autissier nommé directeur général de la BAO en 195142, et de Jean-Louis Dellas, directeur à la BCEAO en 1959, qui peuvent assurer des liens directs entre leur ancienne maison et les instituts d’émission d’outre-mer, les directeurs généraux de la BCEAO et de la BCEAEC, Claude Panouillot et Robert Julienne, en raison de leurs liens originels avec les Finances, sont des interlocuteurs appréciés, selon Jacques Moreau : « J’ai rencontré des gens qui avaient la confiance de l’administration. Les deux directeurs généraux qui étaient nommés étaient des inspecteurs des Finances »43.
29Plus largement, la longévité du réseau du Trésor est-elle assurée par le pantouflage de certains de ses hauts fonctionnaires ? Parmi les hauts fonctionnaires du Trésor en poste entre 1945 et 1960, quelques rares noms apparaissent : deux inspecteurs des Finances, Jacques Brunet, directeur de la Banque de l’Algérie de 1946 à 1949, Emmanuel Lamy, directeur général des finances du Maroc de 1950 à 1955 ; trois administrateurs civils, Jean Autissier, en fonction à la BAO à partir de 1951, Jean Mialet, membre du secrétariat général de la Communauté en 1959 et Jean-Louis Dellas, qui rejoint la BCEAO en 1959. On remarque tout de suite le faible nombre d’inspecteurs des Finances exerçant des fonctions sur le secteur de l’outremer, hormis ceux qui y consacrent leur carrière, comme Claude Panouillot et Robert Julienne. En 1946, Claude Panouillot se voit d’ailleurs déconseiller le choix de la Caisse centrale par d’anciens camarades de l’inspection44. Avec Emmanuel Lamy, Jacques Brunet, dont le parcours est atypique, est l’un des rares inspecteurs des Finances à faire une courte étape dans ce secteur au sortir du Trésor. Gouverneur de la Banque de l’Algérie entre 1946 et 1949, il est sans doute en attente d’un poste plus prestigieux en métropole, que ses fonctions d’ancien directeur du Trésor l’autoriseraient à viser. Mise à l’écart ou « placard doré » peut-être, mais sans que le poste de gouverneur puisse pour autant être considéré comme un rebut. L’Algérie et le Maroc étant en effet considérés comme les économies les plus avancées et les plus riches et conservant une grande autonomie financière par rapport à la métropole45, les postes en Afrique du Nord sont les plus prisés parmi les pays d’outre-mer dans les années 1950. Dominique Boyer souligne ainsi dans ses entretiens les relations particulières entre le Trésor et les organismes financiers algériens :
« En ce qui concerne l’Afrique du Nord, très bons rapports avec l’administration du Maroc. Et quant à l’Algérie, je dirais que c’était presque d’égal à égal que l’on parlait. Les Algériens, et quand je dis les Algériens, ce sont aussi bien les Français d’Algérie avec leur poids politique, que les fonctionnaires en charge des administrations algériennes, que les Algériens musulmans qui jouaient un rôle également [...]. Ces gens, qui s’entendaient apparemment fort bien pour monter des dossiers, pour venir discuter de leurs affaires, avaient vis-à-vis des administrations françaises un poids réel et une autonomie très grande. [...] Donc, ce n’était pas des relations entièrement de subordonnés à supérieurs. Cela ne veut pas dire que ce ne soit pas loyal de part et d’autre, mais il est certain qu’on avait là affaire à des gens bien organisés, compétents, ayant une vue de l’avenir »46.
30Certes, il apparaît à l’écoute des témoignages oraux que le haut fonctionnaire du Trésor a tendance à juger du prestige d’un poste en fonction des personnalités qui l’ont occupé auparavant. Il en est ainsi pour l’Algérie47 mais aussi pour le Maroc, dont Ludovic Tron, au détour d’une carrière à rebondissements, sera directeur des Finances de 1938 à 1942. Emmanuel Lamy choisit le même poste en sortant du Trésor en 1950, avant de rejoindre la Banque de l’Union parisienne en 1955. Parmi ces cas bien différents, quoique tous orientés vers la finance ou la banque, la destination africaine ou nord-africaine est systématiquement privilégiée au détriment des TOM ou de l’Indochine, dont l’éloignement géographique ou des enjeux économiques de moindre importance ont pu contribuer à atténuer le prestige.
31L’empire, un débouché limité ? Un tremplin pour la carrière après 1945 ? Il est difficile d’en juger à partir de cinq cas, qui au demeurant ne présentent pas le même cursus professionnel, trois d’entre eux sortant outre-mer à titre provisoire, deux à titre définitif. Mais il est certain que les nouveaux débouchés en métropole qui s’offrent alors aux inspecteurs des Finances ou aux administrateurs civils font une rude concurrence aux pays d’outre-mer, comme nous l’avons vu lors du chapitre précédent. Il faut également rappeler que certains pays et certains postes font l’objet d’un domaine réservé aux inspecteurs de la France d’outre-mer. Cette situation, qui limite bien évidemment les postes proposés aux hauts fonctionnaires des Finances, peut contribuer à expliquer à la fois la géographie des pantouflages, comme le faible pourcentage des sorties outre-mer au Trésor. Si l’Afrique du Nord semble bien être une chasse gardée de l’inspection des Finances, les postes en AOF continuent d’être un enjeu entre le ministère de la France d’outremer et le ministère des Finances. Robert Julienne, inspecteur des Finances, évoque clairement un point de friction entre les deux ministères lors d’une mission d’enquête sur les comptes économiques en AOF qui lui est confiée par la direction du Trésor : « M. Bécheur, gouverneur général de l’AOF a répondu que lui vivant, aucun inspecteur des Finances ne viendrait en AOF et que c’était réservé à la France d’outre-mer ! Ceci a été le seul cas de difficulté, de refus opposé au ministère des Finances, je crois, de venir travailler sur la chasse gardée du ministère de la France d’outre-mer »48. On s’amusera de retrouver, à trente années d’écart, des similitudes entre cette anecdote et celle relevée par N. Carré de Malberg à propos des craintes du directeur du Budget de voir le poste de directeur du contrôleur financier à Dakkar échapper à un inspecteur des Finances en 192549. Cet épisode renvoie également à quelques tensions qui surgissent en 1958 entre les deux ministères – et les deux corps d’inspection – et dont on retrouve des échos dans la lettre adressée par Pierre Moussa au chef du service de l’inspection générale des Finances, André Fayol. Bien que l’on ne dispose pas de l’ensemble du dossier ni de l’objet précis du conflit, la tonalité du courrier révèle des tensions administratives que Pierre Moussa, quelque peu écartelé entre son appartenance au corps de l’inspection des Finances et ses fonctions de directeur du Plan et des Affaires économiques au ministère de la France d’outre-mer tente d’apaiser : « Quant au fond, les amicales relations de l’inspection des Finances et de l’inspection de la France d’outre-mer ne sont nullement en cause ; personne ici ne croit à une manifestation d’impérialisme de la part de notre corps ; en revanche, tout le monde sait que les services de certaines directions des Finances aspirent de manière permanente à modifier le statu quo en ce qui concerne les pouvoirs respectifs des deux ministres outre-mer [...] »50, écrit-il au chef de service de l’inspection des Finances. Face à ces rivalités de corps et de ministères, Pierre Moussa tente de se placer au-dessus des querelles administratives dont il ne nie pas la réalité : « Vous dirai-je le fond de ma pensée ? Du point de vue des intérêts supérieurs de l’État, je pense qu’il est bien peu important qu’une vérification soit exercée par un collaborateur de M. Bargues [France d’outre-mer] ou par un des vôtres ; bien peu important également que la supervision des questions ultramarines en matière économique et financière soit exercée par un ministère ou par un autre pourvu que ses agents soient sérieux »51.
32La rivalité administrative entre le ministère des Finances et la France d’outre-mer se traduit donc également dans le contrôle des postes outre-mer. Au-delà de la question des réseaux d’influence entretenus par le Trésor, les administrateurs civils gèrent effectivement les bureaux en charge de l’outremer au sein de la direction du Trésor. Dominique Boyer, seul inspecteur des Finances chargé de la 4e sous-direction de 1953 à 1956 fait figure d’exception ; lui succéderont deux administrateurs civils, Henri Bissonnet et Jacques Moreau52. Le bureau chargé des affaires d’outre-mer apparaît dans les organigrammes du Trésor à partir de 1947, à la suite de la scission d’avec les Finances extérieures et de la réorganisation de la direction en quatre sous-directions (voir chapitre II). Jusqu’en 1952, la cellule outre-mer du Trésor se limite à un cadre A qui n’a pas alors le grade de chef de bureau, Henri Bissonnet. À partir de cette date, lui sont adjoints trois administrateurs civils, puis quatre de 1957 à 1960. Ces chiffres donnent la mesure de l’importance certes croissante de l’outre-mer dans les attributions du Trésor, mais également de ses limites. Parmi les huit administrateurs civils qui ont été affectés à ce bureau, H. Bissonnet et J. Moreau symbolisent la continuité administrative dans la gestion du secteur de l’outre-mer au Trésor, puisqu’ils en seront chargés, à un grade ou à un autre, pendant près de 20 ans... Est-ce un véritable choix de leur part, reflet d’un désir d’une carrière consacrée à l’outre-mer ? Cet immobilisme serait plutôt la conséquence d’une contrainte administrative majeure : à une époque où la mobilité entre sous-directions est très faible, le cloisonnement entre les services rend difficile l’évolution à l’intérieur de la direction. Surtout, le secteur étant peu prisé par rapport à d’autres au sein du Trésor, la spécificité de l’outre-mer renforce l’isolement des administrateurs civils de la 4e sous-direction, au grand regret de certains, comme Jacques Moreau :
« La sous-direction [chargée de l’outre-mer], sur certains plans, c’était très distrayant, ce ne l’était pas sur un plan technique, c’est toujours la même, c’est pour cela que depuis des années, je demandais à changer de secteur ou de m’occuper d’autre chose. Les problèmes de ces pays sont intéressants, mais finalement, à part quelques grands dossiers, les techniques étaient rudimentaires et un peu toujours les mêmes »53.
33Cette lassitude due à des fonctions routinières conduit-elle les hauts fonctionnaires à rechercher des sorties extérieures à l’outre-mer ? Seuls deux d’entre eux lui restent fidèles quelques années, Jean-Louis Dellas qui prend les fonctions de directeur à la BCEAO en 1959, et un homme passionné par l’Afrique, Jean Mïalet54, qui rejoindra le secrétariat de la Communauté créé en 1959. Tous les autres (Boyer, Guinard, Durand, Bissonnet, Bonnet de Paillerets, Moreau, Chavard) évolueront vers d’autres secteurs en métropole, sans qu’une typologie puisse être établie. Si le nombre de fonctionnaires concernés est trop restreint pour permettre des conclusions générales – d’autant que la décolonisation joue en défaveur du secteur à la fin des années 1950-le fait que seuls deux des hauts fonctionnaires du Trésor en charge de l’outre-mer continuent d’intervenir dans ce domaine mérite d’être souligné. Signe des temps, certainement, signe d’un désintérêt, voire de désillusions, peut-être.
34À la question de l’influence éventuelle du Trésor au travers du pantouflage de ses membres, la réponse apparaît clairement négative. Mais le faible pourcentage de sorties outre-mer n’est pas représentatif de l’influence du Trésor sur le secteur de l’outre-mer, qui s’y exerce de manière plus subtile, grâce aux relations de confiance que la direction établit avec ses correspondants. Elle peut également se manifester de manière indirecte, mais réelle, par le biais des hauts fonctionnaires issus des Finances qui occupent des postes outre-mer : à l’extérieur de la « maison », les financiers unissent leur force dans une même approche des questions. Des liens plus diffus, plus discrets également, tissent des relations de confiance fondées sur une même appartenance à un corps ou à un ministère. Il est donc délicat de vouloir quantifier cette influence du Trésor, tout en nuances et en pointillé, d’autant que les relations et les affinités personnelles ont pu jouer un effet d’amplification de son rôle. Mais dans ce domaine particulièrement la continuité du personnel administratif chargé de l’outre-mer sur deux décennies tranche avec l’instabilité politique, la valse des ministres et l’éparpillement de la tutelle.
35L’analyse des sorties du Trésor outre-mer pose implicitement la question de l’intérêt véritable porté à l’avenir de l’empire par les hauts fonctionnaires du Trésor. Désintérêt, déception, enthousiasme ? Quels sentiments les animent au-delà de la conscience professionnelle ? Le questionnement renvoie à celui de l’existence d’une vision spécifique du Trésor sur l’empire à cette époque et sur son éventuelle évolution.
B. L’OUTRE-MER, FACTEUR DE RÈLEVEMENT DE LA FRANCE
36Au lendemain de la guerre, la mystique de l’investissement qui domine les préoccupations des décideurs en matière de politique économique et financière touche également les responsables, élus ou hauts fonctionnaires, des pays d’outre-mer. Croissance et développement sont alors les maîtres mots qui se traduisent dans l’effort public d’investissement énoncé plus haut et par la mise en place de nouveaux systèmes monétaires locaux destinés à faciliter le développement économique. Face à ce consensus sur le nécessaire développement économique de l’outre-mer, le Trésor développe-t-il une ligne de conduite spécifique ? Dans quels desseins, affichés ou non, les responsables, plus particulièrement ceux du Trésor, ont-ils œuvré dans le sens d’un développement économique de l’empire ? S’agit-il d’un geste de reconnaissance envers les colonies qui ont payé, humainement et matériellement, un prix fort pendant la guerre ou plutôt d’une prise de conscience de l’intérêt géopolitique de ces territoires, alors que débute la guerre froide ? Y a-t-il eu un parti pris délibéré de resserrement des liens économiques et monétaires entre la métropole et l’empire afin de mieux juguler les nationalismes émergents ? Enfin, les considérations économiques et financières ont-elles ou non pris le pas sur une vision politique de l’empire dans l’élaboration des doctrines ?
37Pour appréhender l’état d’esprit du Trésor à l’époque, nous nous fonderons sur les témoignages de ceux qui sont en charge de l’outre-mer et non sur ceux de l’ensemble des témoins de la direction, qui hormis quelques dirigeants, portent visiblement peu d’intérêt à la question ; il s’agit des témoignages des directeurs, des sous-directeurs de la 4 e sous-direction et de ceux de trois administrateurs civils du bureau D5 en charge de l’outre-mer. Au regard du cloisonnement des activités et des bureaux du Trésor à l’époque, et du fait que l’outre-mer a toujours été traité à part, les autres témoignages, au demeurant très discrets sur ce thème sont certes significatifs de l’indifférence générale sur la question mais non de la doctrine mise en œuvre. La position du directeur, si elle indique les grandes lignes de la conduite à adopter, n’est pas suffisante pour analyser l’application de la doctrine mise en place. François Bloch-Lainé, qui pourtant développe une stratégie de coordination et de contrôle de l’outre-mer, ne s’étend guère sur ce qui constitue pour lui une part mineure des activités du Trésor. Aussi, après avoir lancé quelques grandes réformes, laisse-t-il le soin à son sous-directeur de traduire ses idées dans les faits. Son successeur, Pierre-Paul Schweitzer, sans être un ardent défenseur de l’outre-mer, multiplie les manifestations de bienveillance à son égard. Le témoignage de Pierre Moussa, alors directeur des Affaires économiques et du Plan à la France d’outre-mer est éloquent sur ce point : « Il faut dire que ces questions très importantes [les investissements] étaient traitées par moi avec le directeur du Trésor, c’est là une question de personnes. Bloch-Lainé avait été extrêmement intéressé par l’Afrique, le Tiers-Monde, etc. Mais il n’était plus là. Schweitzer, beaucoup plus sceptique, n’en était pas moins un homme fort ouvert. » Et de donner l’exemple de plusieurs sujets sur lesquels P.-P. Schweitzer, à la demande de P. Moussa, intervient avec succès auprès du ministre des Finances55. Ce témoignage illustre l’importance des liens entre inspecteurs des Finances, le poids du directeur du Trésor auprès du ministre et sa bienveillance à l’égard des affaires d’outre-mer. Sa doctrine se manifeste plus clairement au gré des notes qu’il destine au ministre des Finances sur des dossiers ponctuels. Lorsqu’il est question de grands projets extérieurs à la France et à son empire, Pierre-Paul Schweitzer tend à donner la priorité à la zone franc. Ainsi lors d’un projet de tunnel sous la Manche dont le Trésor et Finex sont saisis en 1954, les deux directeurs restent-ils réservés quant au coût et à la rentabilité du projet et suggèrent-ils de définir les priorités par rapport aux autres projets d’investissements dans la zone franc56. À propos du haut barrage d’Assouan et des problèmes financiers qui sont posés, le directeur du Trésor est encore plus déterminé : « À première vue, il serait plus avantageux pour l’économie française de construire des barrages chez nous qu’en Egypte »57. Les préoccupations d’intérêt économique dominent à la fois les questions politiques et le souci financier, qui n’est pas pour autant absent, comme on l’a vu. Pierre- Paul Schweitzer exprime quelques années plus tard sa conception purement économique de l’aide dans une note d’orientation sur les relations financières franco-marocaines en vue d’une prochaine visite du président du Conseil au Maroc. Il y préconise notamment une aide française sous forme de tracteurs, qui selon lui permettrait l’implantation au Maroc « d’une industrie française totalement absente, ainsi qu’une dépolitisation de l’aide »58. Soit une aide qui n’est pas désintéressée d’un point de vue économique, mais qui ne doit pas être soumise à des contingences politiques.
38Les témoignages des véritables acteurs du Trésor ne sont pas moins révélateurs de leur état d’esprit et de son évolution.
39Comme on l’a vu, les hauts fonctionnaires du Trésor en charge du financement public ont participé au consensus modernisateur en faveur des investissements. Mais le secteur de l’outre-mer, bien qu’en partie couvert par la Commission des investissements, est en réalité géré directement par les hauts fonctionnaires du bureau chargé de la circulation monétaire : Henri Bissonnet et Jacques Moreau, les deux piliers du bureau, Bruno Bonnet de Paillerets puis Jean Mialet, enfin Dominique Boyer qui en 1953 quitte le secrétariat de la Commission des investissements pour devenir sous-directeur de la 4 e sous-direction jusqu’en 1956. Ce dernier est sans doute l’un des rares inspecteurs des Finances de la direction à proposer une vue générale de la situation, dans ses aspects économiques, financiers et monétaires, voire politique. Bien qu’il reste peu de temps à ce poste, ce proche de F. Bloch- Lainé, qui l’a préféré à P. Moussa, a sans doute influencé ses collaborateurs par sa recherche d’une approche globale de l’outre-mer.
40On retrouve de grandes similitudes chez tous ces témoins dans leur vision de l’empire comme facteur du relèvement économique de la France et instrument de sa puissance. Cette vision privilégie les aspects économiques et justifie l’aide au développement, non dans un sens humanitaire, mais plutôt dans celui de l’intérêt français. Henri Bissonnet, le plus ancien d’entre eux, évoque clairement son état d’esprit au sortir de la guerre :
« Juste après la guerre, je vivais sur l’idée, autour de moi aussi, qu’il fallait conserver des relations économiques avec ces États ; c’était l’intérêt de la France, on y déversait nos produits ou on importait. Le système des comptes d’opérations, c’est-à-dire de la liberté monétaire, permettait une libre circulation dans tous les sens des produits et des capitaux. L’intérêt économique apparaissait à ce moment-là ; l’idée politique s’estompait, existait toujours, mais apparaissait liée. On défendait également cette cohabitation, cette coexistence, cette suprématie, ce néocolonialisme, si vous voulez. On disait que cela représentait un intérêt économique pour la France »59.
41On retrouve les mêmes accents sur la « mystique de l’Union française » qui prévaut dans ces milieux en écoutant le témoignage de Jean Mialet, qui pourtant n’arrive qu’en 1955 au bureau chargé de l’outre-mer60. Cet élan cependant ne constitue pas un état d’esprit propre ni au Trésor ni à ce secteur : les autres acteurs de la politique économique outre-mer, notamment le ministère de la France d’outre-mer et la Caisse centrale de coopération économique sont plus encore imprégnés de ce volontarisme économique, mais peut-être dans une approche plus politique61.
42Le Trésor développe alors une doctrine fondée sur la priorité donnée au développement économique de l’empire, qui coïncide avec les mesures de coordination prises par F. Bloch-Lainé dans d’autres domaines. Vis-à-vis de la réforme des différents instituts d’émission, le Trésor, faisant fi d’une orthodoxie qui n’est plus, selon lui, de mise, s’y rallie facilement dès avant 1955. Dans la lignée de la position définie par M. Sergent en 1948 (voir supra), le Trésor continue de minimiser les risques inflationnistes d’une émission monétaire au service de l’économie. À la question de savoir si le retrait du privilège d’émission aux banques privées était justifié par un souci anti-inflationniste, D. Boyer répond clairement :
« On disait plutôt le contraire. On disait que ces banques n’étaient pas assez généreuses. C’était plutôt ça, l’état d’esprit. Elles avaient une politique trop restrictive, trop capitalistique, trop protectrice de l’équilibre monétaire, et ne tenant pas assez compte des besoins du pays, des besoins de développement économique, des besoins de crédit pour améliorer le sort des populations et pour permettre aux collectivités locales de construire des routes, des chemins de fer, les écoles, etc. »62.
43Cette position rejoint celle développée en métropole : de ce point de vue, l’outre-mer n’apparaît pas comme un secteur spécifique, mais comme l’un des éléments d’un vaste ensemble à moderniser, l’empire.
44Le Trésor s’appuie sur plusieurs outils pour y parvenir, qui deviennent à l’usage des principes, des doctrines, ancrés profondément dans sa pratique. Ceci se manifeste en premier lieu dans la doctrine développée autour de la zone franc, institution destinée à « mettre de l’ordre dans les relations avec les TOM, et [à] consolider le lien monétaire dans la perspective évidente d’un relâchement du lien politique et administratif »63. Parallèlement, les francs CFA et CFP assurent la stabilité monétaire de la zone : entre 1948 et 1958, leur parité vis-à-vis du franc français ne sera pas remise en cause, se maintenant dans le rapport de un pour deux, comme sera maintenue ce qui apparaît alors comme son corollaire, la parité fixe des francs CFA et CFP64. Le principe du franc CFA convertible à l’infini est considéré comme l’élément clé du système : il apparaît comme une évidence sur laquelle les témoins ne jugent pas nécessaire de s’étendre65.
45La justification de ces deux concepts nés pendant ou juste après la guerre est évidente aux yeux des hauts fonctionnaires du Trésor de l’époque : réticent à l’idée d’une centralisation des émissions monétaires outre-mer, le Trésor, qui en a la tutelle, souhaite néanmoins assurer une coordination des politiques monétaires. On a vu que F. Bloch-Lainé avait créé le Comité monétaire de la zone franc dans le dessein de resserrer des liens monétaires face au relâchement des liens politiques. Et si l’idée d’organisation de la zone franc a pu paraître à l’origine comme une marque de colonialisme, son application au cas de la Tunisie en 1954 a permis de lever cette hypothèque : le projet de protocole présenté par F. Bloch-Lainé au nom de la délégation française « mettait l’accent sur l’indépendance monétaire nécessitant des disciplines compatibles avec l’amour-propre national. [...] De cette solidarité honorable découlaient des règles de conduite plus volontiers acceptées que les tutelles héritées du protectorat, en matière économique et financière »66. Transition douce vers les indépendances, telle apparaît alors le rôle de la zone franc.
46Autre pilier du système de la zone franc, le compte d’opération entre le Trésor et les instituts d’émission est dès cette époque érigé en un outil de coopération monétaire qui va perdurer ; le terme de compte d’opérations apparaît d’ailleurs en 195267. Rappelons que ce compte spécial ouvert dans les écritures du Trésor permet des avances entre le Trésor et les instituts d’émission selon trois principes : avance illimitée, permanente et réciproque de leurs besoins de change, le Trésor prenant l’engagement de laisser combler un éventuel solde débiteur. Après sa mise en place en 1906 avec la Banque d’État du Maroc, le système sera progressivement généralisé dans la zone franc et maintenu au-delà des indépendances. Le Trésor semble avoir joué un rôle essentiel dans le développement de ce concept. Ainsi F. Bloch- Lainé charge-t-il Robert Julienne de rationaliser les liaisons techniques entre les autorités financières françaises et les organismes de la zone franc. L’uniformisation des liaisons entre les instituts d’émission et le Trésor français proposée par R. Julienne aboutit, selon lui, à la généralisation du système du compte d’opérations68. D’outil purement technique conçu de manière pragmatique, le compte d’opérations deviendra un instrument de la coopération monétaire au moment des indépendances. Jacques Moreau qui entre au Trésor en 1953 explique l’évolution qu’il a perçue au cours de ces années :
« Le compte d’opérations n’était jamais que le moyen le plus commode que l’on avait trouvé pour maintenir la libre convertibilité à taux fixe des monnaies d’outre-mer et de la monnaie métropolitaine. C’est pourquoi ce système a été étendu, alors que d’autres systèmes plus tordus s’étaient mis à exister ailleurs et étaient longs à gérer, peu satisfaisants, et donnaient lieu à des histoires.
À partir de ce moment-là, on en a fait une doctrine : le compte d’opérations, tel qu’il était défini – c’est-à-dire l’obligation de versement de la totalité des avoirs extérieurs, mais obligation qui ne pouvait être consentie qu’avec une contrepartie institutionnelle, qui était l’accord du gouvernement français aux statuts des instituts d’émission et la participation [du gouvernement] à sa gestion. Cette doctrine a été mise au point surtout au moment des indépendances »69.
47Sans préjuger de la validité d’un système, de ses avantages et de ses inconvénients, on ne peut que souligner ici l’intuition de F. Bloch-Lainé qui a permis l’élaboration d’une doctrine cohérente et pérenne, poursuivie par son successeur qui tendra à privilégier la zone franc comme espace prioritaire d’investissements.
II. CHER OUTRE-MER ! LE TOURNANT DES ANNÉES 1954-1955
48Si de tels exemples marquent une certaine continuité des années 1945-1960 dans la gestion du secteur de l’outre-mer qui s’élabore progressivement, les années 1950 n’en constituent pas moins une phase de ruptures sur le plan politique et idéologique. La décolonisation qui se met en marche avec l’accès à l’indépendance de l’ex-Indochine, du Maroc et de la Tunisie ainsi que la montée des nationalismes au sein de l’empire conduisent à une remise en cause partielle de l’aide au développement à l’outre-mer ; sur cette toile de fond, le mouvement cartiériste s’épanouit.
49Au sein de la direction du Trésor, le tournant du milieu des années 1950 apparaît très nettement au travers des témoignages recueillis. Convergence en apparence rétrospective, certes, mais la critique peut être balayée du fait que, d’une part, les témoins évoquent spontanément des événements différents pour expliquer cette rupture et que, d’autre part, celle-ci n’entraîne pas les mêmes réactions chez les uns et chez les autres. Ainsi Henri Bissonnet prend-il conscience de l’absurdité de la guerre d’Indochine à travers ses fonctions d’alimentation de la Banque d’Indochine pour l’entretien du corps expéditionnaire, alors que pour Dominique Boyer, la guerre d’Indochine constitue le nouveau point de départ d’une politique française en Afrique :
« Il ne faut pas oublier qu’il y avait une sorte de transfert d’avenir, de transfert de projet en France à cette époque-là. Les déceptions encourues en Indochine ayant en quelque sorte en contrepartie des grands projets de développement sur l’Afrique. Et c’est une époque où les richesses de l’Afrique paraissent très importantes et paraissent la base de la situation de la France dans le monde du lendemain. [...] On voyait à ce moment-là l’Afrique comme un champ d’extension normal de la France et un facteur très important de son rétablissement comme grande puissance mondiale dans les années suivantes »70.
50Notons que certains d’entre eux, alors en fonction dans des domaines ou des structures différents, ont pris conscience du coût des colonies grâce aux premiers travaux de la comptabilité nationale.
51Henri Bissonnet explique comment s’est engagé le processus :
« On ne s’est pas rendu compte avant les années 1950 que [le compte d’opérations] n’était pas représentatif de la situation économique et financière des relations des pays d’outre-mer et de la France. Il faut aller plus loin dans l’analyse des comptes nationaux pour déterminer ce que coûte l’un par rapport à l’autre. On s’est aperçu que le fameux empire français nous coûtait beaucoup d’argent, et que c’est un poids économique que nous avons traîné depuis la colonisation. »
52Au cours d’un autre entretien, il revient spontanément sur le sujet à propos d’une question sur le rôle du Service des études économiques et financières :
« C’est par [le Service des études économiques et financières] qu’on a eu conscience du coût des colonies. La comptabilité, le côté scientifique, honorable, distingué, c’est récent. Avant 1914, ce n’était pas pareil. L’État n’avait pas de comptabilité. C’est chez Gruson que cela s’est fait. Il a fallu attendre 1955 »71.
53Robert Julienne, membre de la mission de contrôle des activités financières entre 1949 et 1955, témoigne pour sa part qu’il est alors chargé, « dans le cadre des travaux confiés à [son] camarade et ami Gruson », de monter les premiers comptes économiques de la nation pour tous les secteurs de l’outre-mer. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette mission que le gouverneur de l’AOF lui refuse l’accès à ces pays72.
54De cette prise de conscience des charges financières que représente l’empire pour la France découlent des réactions ambiguës ; d’autant que, dans le même temps, les articles de Raymond Cartier73 commencent à connaître un certain écho dans les milieux des décideurs économiques et financiers. Si les témoins ne semblent pas avoir adhéré à la remise en cause de l’aide à l’outre-mer que les informations dont ils disposaient auraient pu entraîner, c’est aussi sans doute que cette remise en question renvoyait à celle de leur mission au sein du Trésor. Le témoignage d’Henri Bissonnet sur la prise de conscience des charges coloniales laisse transparaître un soulagement certain, face aux attaques de néocolonialisme dont l’État français a pu être la cible. Jean Mialet s’enflamme pour des travaux tendant à démonter les accusations cartiéristes et se consacre lui aussi, à cette fin, à des travaux statistiques sur l’outre-mer. Pour sa part, Jacques Moreau, plus jeune, ignore le mouvement cartiériste, le considérant peut-être comme un épiphénomène au regard des longues années de coopération auxquelles il participera74.
55Conséquence logique de ce renversement de tendance, la remise en cause des grands projets de développement, notamment en Afrique, est ouvertement énoncée chez l’ensemble des administrations en charge de l’outre-mer. A. Postel-Vinay est à l’évidence l’un des précurseurs de ce mouvement, comme A. Le Masson l’a démontré dans sa thèse, tandis que P. Moussa lui-même avoue qu’« à l’époque, on attache beaucoup trop d’importance aux capitaux d’une part, par opposition à la formation des hommes et deuxièmement, on attache, par rapport à l’emploi des capitaux, beaucoup trop d’importance aux grandes réalisations par rapport aux petites réalisations »75. À ce discours visiblement rétrospectif, les hauts fonctionnaires du Trésor renvoient en grande partie les mêmes résonances, ce que le témoignage de D. Boyer sur les articles de R. Cartier76 illustre bien :
« Il y avait un fondement dans ces articles, parce qu’il y avait des gaspillages malgré tout, d’une part sur le plan des méthodes et il y avait aussi des erreurs stratégiques. Les erreurs stratégiques étant de commencer par le développement des sources d’énergie avant de s’occuper de l’agriculture, avant de s’occuper de l’habitat des gens. On a pris le problème comme on l’avait pris en France, c’est-à-dire : il faut rétablir nos ressources en charbon, en électricité, avant de reconstruire les habitations »77.
56Ceci explique-t-il cela ? La doctrine minimale qui se met alors en place au Trésor est celle du financement d’investissements rentables et non d’« opérations perdues d’avance »78. Le Trésor ne peut qu’apprécier cette nouvelle orientation donnée à l’aide au développement en faveur d’une utilisation optimale des ressources et d’une rationalisation des choix, qu’il a par ailleurs mises en œuvre en métropole. Cependant, si son évolution rejoint une fois encore celle d’André Postel-Vinay, elle est d’une moindre portée, et revêt une signification différente : elle s’insère parfaitement dans les cadres de pensée du Trésor à l’époque et dans sa logique financière qui reprend le dessus. À ce titre, le secteur de l’outre-mer apparaît non comme une spécificité, mais comme le prolongement de positions prises par ailleurs.
57Bien qu’ils soient plus marginaux, deux autres points d’ancrage des mentalités de l’époque doivent être ici mentionnés. Dans la décennie des années 1950 le concept d’Eurafrique, qui par exemple a pu séduire quelque temps certains hauts fonctionnaires, tels P. Moussa ou F. Bloch- Lainé, rencontre l’adhésion d’un haut fonctionnaire du Trésor, J. Moreau79.
58L’autre point, implicitement évoqué à propos du pantouflage outre-mer, dessine une carte des préférences géographiques du Trésor au sein de l’empire. Selon la typologie définie par D. Boyer, il est certain que les pays administrés par des fonctionnaires émanant des Finances rencontrent plus facilement leur confiance et donc leur agrément en matière d’investissements. Les liens historiques avec le Maroc et la Tunisie se maintiennent ainsi après l’indépendance, comme l’illustre un certain nombre de notes bienveillantes de la direction du Trésor à leur égard. Quant à l’Algérie, au moins en raison des enjeux économiques qu’elle représente, elle tient une place à part dans les préoccupations des hauts fonctionnaires du Trésor : nous y reviendrons plus loin.
59Oubliée de cette géopolitique financière, les autres Territoires d’outremer font figure de laissés pour compte, tandis que l’Afrique noire, terre d’accueil privilégiée des grands projets énergétiques et industriels, reste en 1960 la seule destination des rêves de développement outre-mer.
III. LE TEMPS DES RUPTURES, 1958-1962
60Les changements institutionnels nés de l’avènement de la Ve République et du gaullisme (chapitre VI) sont particulièrement perceptibles dans le domaine de l’outre-mer. La création du secrétariat général de la Communauté, qui deviendra en 1960 le secrétariat aux Affaires africaines et malgaches, illustre parfaitement le renforcement du pouvoir élyséen sur le secteur. Confiée à Raymond Janot, un proche de Michel Debré, puis à Jacques Foccart en 196080, la cellule élyséenne coiffe les différentes administrations intervenant dans les affaires d’outre-mer, qu’elles soient de nature politique ou économique. Cependant, le Trésor participe à la naissance de la nouvelle structure : Jean Mialet rejoint en 1959 la direction des Finances au sein du secrétariat général de la Communauté, sous la responsabilité de Jean Rossard (Budget). Le témoin évoque également dans ses entretiens sa participation aux comités financiers destinés à apporter une expertise financière aux chefs d’État africains81. Cette nouvelle cellule ne marque pas cependant une réelle coordination entre les différentes administrations. De ce point de vue la continuité dans l’éparpillement de la tutelle est manifeste.
61Le changement de République coïncide également avec la suppression du ministère de la France d’outre-mer, qui pose la question de la répartition de ses services entre les ministères. Fortement suggérée par Pierre Moussa lui-même82, la décision de rattacher au ministère des Finances la direction des Affaires économiques de l’ancien ministère de la France d’outre-mer se traduit par la création du service des Affaires économiques d’outre-mer au sein du Commissariat général à la Productivité83 le 4 juillet 1959. Ce nouveau relais n’aura cependant qu’une existence éphémère, le ministre de la Coopération, Robert Lecourt, s’étant empressé de réclamer le transfert de ses attributions84.
62Au-delà des querelles désormais classiques entre les ministères techniques et les Finances, l’affaire met au jour le rôle des différents services dans les premières années de la Ve République. Ainsi, aux côtés des administrations financières, Trésor, Finex et Budget, les administrations économiques tiennent-elles un rôle croissant, particulièrement la DREE85 et, étonnamment, le Commissariat général à la productivité qui gère les crédits du FIDOM, mais a également la charge de « tous les problèmes concernant l’activité et le développement économique des départements d’outre-mer » et joue un « rôle particulièrement actif dans l’organisation des marchés »86. À la suite du décret du 28 avril 1964 portant suppression du service, la direction du Trésor se voit attribuer les affaires relatives aux investissements publics et privés, mais seulement quatre des douze cadres supérieurs du service.
63En matière d’aide à l’investissement, la nouvelle organisation présente toujours un grand éparpillement des centres de décision, qui cache en réalité une forte continuité des acteurs administratifs.
64La réforme de la Caisse centrale de la France d’outre-mer, transformée en Caisse centrale de coopération économique, s’accompagne d’une modification de la composition de son conseil de surveillance en 1960 qui donne la présidence à un représentant du ministère des Finances et des Affaires économiques et assure la domination de facto d’experts financiers dans la mouvance du Trésor. Les choix proposés par le Trésor pour les nominations au conseil de surveillance de la Caisse traduisent un souci de continuité évident auquel se mêle sa volonté de placer des hommes sûrs et proches87.
A. À LA RECHERCHE D’UN NOUVEL ÉQUILIBRE
65Les péripéties politiques qui marquent les relations entre la France et les pays de la Communauté ont-elles contribué à faire évoluer les attributions et les doctrines du Trésor sur l’outre-mer ? En matière d’aide au développement, la position du Trésor s’insère naturellement dans le nouveau cadre de la Communauté. Le courrier du directeur est émaillé de notes favorables à la poursuite de l’investissement outre-mer, tout en préservant les intérêts de la trésorerie et en recherchant la rentabilité des projets. Sans doute les nouvelles orientations politiques du début de la Ve République ont-elles obligé les hauts fonctionnaires « devenus assez sceptiques tant sur l’avenir de ces pays que sur leur intérêt pour la France »88 à composer avec la nouvelle ligne politique. Cependant, les prises de participation publiques opérées à travers le fonds d’aide et de coopération se heurtent à une franche réserve de la part du Trésor mais aussi de celle du Budget, de la Caisse centrale et du Plan89. Conscients de la sensibilité politique du dossier, le Trésor et le Budget demandent à leur nouveau ministre, V Giscard d’Estaing, quelle ligne de conduite il entend adopter sur ce point. La réponse va clairement dans leur sens, mais pose comme exception les prises de participation dans les entreprises « ayant un intérêt direct et permanent pour l’économie française » ou dans les sociétés « qui constituent un des instruments d’action de la politique de coopération »90. Cet épisode a le mérite de souligner que si le Trésor conserve des doctrines propres, d’autres peuvent lui être dictées, à sa demande, par le ministre, avec une ligne politique ferme et surtout précise.
66Le nouveau cadre institutionnel de la Communauté entraîne une séparation entre le Trésor et les trésors locaux mais aussi une modification des relations financières et monétaires avec les pays de l’ex-Union française91. Participant à la liquidation de l’AOF aux négociations avec la Guinée et le Mali, le Trésor tente de préserver le cadre de la zone franc qui lui apparaît alors le plus apte à maintenir des liens avec les anciennes colonies mais aussi comme étant favorable aux États non membres de la Communauté92. Il marque surtout son attachement au maintien des Union monétaires régionales, dont le traité de l’UMOA offre l’exemple en 196293. Le directeur du Trésor tient à préciser cependant que si la Communauté continue d’appartenir à la zone franc, il faudra concéder aux pays membres quelques libertés dans le domaine de l’émission monétaire et des rapports avec les pays étrangers. À ses yeux, elles ne pourront être accordées qu’en échange d’une restriction des facilités financières de la part de la France. « Ceci non dans le but de défendre à tout prix une suprématie, dont les avantages sont souvent illusoires, mais dans le plus élémentaire souci de protéger notre monnaie, qui est jusqu’à nouvel ordre également la monnaie de nos partenaires »94, estime-t-il. Le maintien de règles de gestion rigoureuses en contrepartie du maintien de la convertibilité définit ainsi la position du Trésor dans les multiples négociations lors de l’accès à l’indépendance des colonies. L’application de ces principes se retrouve dans la gestion élaborée autour du compte d’opérations, qui s’affirme avec les indépendances d’après J. Moreau :
« Le compte d’opérations [était défini par] l’obligation de versement de la totalité des avoirs extérieurs, mais obligation qui ne pouvait être consentie qu’avec une contrepartie institutionnelle, qui était l’accord du gouvernement français aux statuts des instituts d’émissions et la participation à leur gestion »95.
67Au-delà du souci récurrent de préserver le franc, le directeur du Trésor se défend de vouloir pratiquer un néocolonialisme financier dont il a pu évaluer les mésaventures. La direction opère-t-elle pour autant une conversion à un carriérisme toujours présent ?
68Rendu public en janvier 1964, le rapport Jeanneney96, destiné à répondre aux critiques toujours vives sur le coût de la coopération mais aussi à celles des partisans d’une solidarité envers le Tiers-Monde, aura sur le moment un fort retentissement. Il mérite ici d’être mentionné car, parmi les membres de la commission figurent des personnalités issues du Trésor, F. Bloch-Lainé, ou du Service des études économiques et financières, C. Gruson, S. Nora, ce dernier étant le rédacteur de la synthèse. Le rapport conclut au maintien du montant de l’aide et propose de nouvelles orientations : partisan de l’aide multilatérale plutôt que de l’aide bilatérale, il propose le développement de l’« aide liée » et la création de nouvelles structures de coordination de la coopération. Peu suivi d’effet sur le moment et vivement critiqué97, le rapport dessine cependant à terme la nouvelle configuration de l’aide, qui tout en étant toujours liée à des compensations pour la France, sera de plus en plus multilatérale. Face à l’affirmation de ces nouvelles orientations, comment la direction du Trésor se positionne-t-elle ?
69Visiblement Jean Mialet, qui est auditionné par la commission Jeanneney, se montre très déçu par les conclusions du rapport qui selon lui pousse à la fin de la coopération :
« Ma thèse était qu’il ne fallait pas couper avec ces pays pour des raisons de haute politique : la France, c’est la Suisse, avec une monnaie qui ne vaut pas le franc suisse, si elle n’a pas l’Afrique derrière elle et la force de frappe. Et le Quai [d’Orsay] n’avait pas du tout cette attitude-là, et je trouvais que Jeanneney n’était pas très neutre dans cette affaire, qu’il était pour le Quai »98.
70Si le témoin se tourne progressivement vers l’idée d’une aide européenne – la France n’a pas les moyens de financer seule le développement de l’outre-mer-, il défend le maintien de liens privilégiés avec les anciennes colonies, dont il craint qu’ils soient « noyés » dans une aide généralisée au Tiers-Monde.
71Jacques Moreau confirme l’idée qu’« il y avait des obligations spéciales », « des liens privilégiés » avec les anciennes colonies : « Nous marquions [une] réticence à toute aide excessive dans des pays qui n’étaient pas dans la zone d’intérêt normal, que ce soit matériel ou moral, de la France »99. L’évolution vers une généralisation de l’aide française apparaît selon lui plus tardivement100.
72Le principe de l’aide « liée » est défendu dans le rapport Jeanneney, répond à la remise en question de la part des États africains de ce principe, mais également des partisans d’une aide sans contrepartie. J. Moreau donne à sa position personnelle une dimension politique :
« Je n’étais pas du tout contre le " déliement " de l’aide. Enfin j’étais quand même opposé sur un point, c’est que je pensais que si on voulait maintenir en France un important flux d’aide, vis-à-vis de l’opinion publique, il fallait qu’elle soit largement liée, sinon les gens ne comprendraient pas [...]. Je n’étais pas philosophiquement opposé au " déliement ". Ce qui me paraissait dangereux, c’était d’en faire un article de foi au moment où il y avait en France un très fort cartiérisme »101.
73D’après la tonalité générale de leur discours, ces deux témoins en prise directe sur l’outre-mer, parfois opposés dans leurs conceptions, donnent l’image d’un Trésor partisan du maintien de l’aide, de la coopération. Retenons plutôt le témoignage de J. Moreau qui occupe des fonctions de responsabilité au long des deux décennies et qui reflète sans doute plus fidèlement la position officielle de la direction, issue d’un équilibre entre le scepticisme, le désir de maintenir l’aide et l’obligation de se soumettre à la ligne politique du moment. M. Pérouse, ancien secrétaire du Comité de la zone franc, a-t-il joué un rôle d’impulsion dans ce domaine ? Ceci est difficile à déterminer, dans la mesure où les directeurs du Trésor ne s’y intéressent que lorsque le rôle du Trésor peut avoir une incidence politique. Laissons une fois encore la parole à J. Moreau, qui définit subtilement le rôle imparti au bureau chargé de la zone franc : « Pour être un peu irrévérencieux, je dirai que le directeur attendait surtout de ce bureau qu’il concilie les objectifs généraux de la politique de la direction avec les contraintes politiques particulières à ces pays, et notamment aux pays africains, et que de la sorte il lui évite tout incident fâcheux dans un domaine politiquement sensible, particulièrement sous la Ve République »102. Si la cellule n’est pas représentative de la position d’ensemble du Trésor, elle définit ses doctrines et les met en œuvre à l’extérieur.
74Face aux bouleversements politiques opérés, les pratiques sur la zone franc, le compte d’opération, l’« aide liée » sont non seulement maintenues mais parfois renforcées. Le début des années 1960 ne marque pas de véritable rupture du point de vue de l’appréhension du Trésor des questions ultramarines. Si ses membres sont parfois sceptiques sur le sens de leur mission, les plus impliqués professionnellement restent attachés au développement de l’aide et au principe de la coopération. La logique de fonction se nourrit d’une culture propre au Trésor qui sort plutôt confortée de la période 1958-1962. À la fin de la décennie, la fusion avec les Finex, le développement de l’aide multilatérale, dont l’aide européenne, contribueront à faire évoluer les positions.
75Seule la guerre d’Algérie fait figure de véritable rupture, non seulement dans les fonctions mais surtout dans les mentalités.
B. LE TRAUMATISME DE LA GUERRE D’ALGÉRIE
76Parmi tous les bouleversements politiques qui modifient les relations monétaires et financières avec l’outre-mer entre 1958 et 1962, la guerre d’Algérie occupe une place à part. Sans être en mesure de retracer le rôle que le Trésor a pu y jouer d’un point de vue monétaire et financier103 autrement que par des esquisses, il m’est apparu indispensable de souligner les réactions politiques que le conflit a pu susciter au sein de la direction ou dans son proche entourage.
77On a pu constater de quels égards l’Algérie est entourée dans la décennie qui suit la guerre. L’évolution politique de l’ensemble de l’empire et de l’Algérie fait bien évidemment évoluer les positions. Le plan de Constantine suscite les premiers débats au sein de la direction et des autres administrations impliquées. Certains, comme J. Moreau, y sont favorables. D’autres, comme J. Mialet, y sont opposés : « Je voyais que c’était un moyen de rester à tout prix en Algérie alors que je voyais qu’on ne pouvait pas rester. »104 Mais dans le prolongement de la ligne officielle, l’Algérie continue de faire l’objet de toutes les attentions du Trésor en 1958. Le directeur du Trésor répond ainsi de manière positive à la demande de la banque de Paris et des Pays-Bas de créer une nouvelle société algérienne de développement et d’expansion, l’équivalent des SDR métropolitaines pour l’outre-mer, « compte tenu de l’importance du programme d’investissements à entreprendre dans ce pays et des possibilités de financement qui peuvent se présenter »105.
78Mais peu à peu le drame algérien radicalise les positions. Contrairement aux autres sujets politiques qui sont généralement soigneusement tus, la guerre d’Algérie et son cortège de violence poussent certains hauts fonctionnaires à sortir de leur habituelle réserve et à manifester publiquement leur inquiétude. Le meneur du mouvement est André Postel-Vinay qui, dès les premiers jours de mai 1958, remet à des collaborateurs du général de Gaulle et de Michel Debré ainsi qu’à quelques fonctionnaires ses « réflexions sur le problème algérien »106. Dans cette note, le président de la Caisse centrale tend à démontrer que la France ne peut parvenir seule à trouver une solution en Algérie (indépendance ou partition) et doit s’appuyer sur les États-Unis ou l’ONU, risquant sinon de se voir imposer un abandon total de l’Algérie. En novembre 1960 alors que les attentats de l’OAS se multiplient, le même, accompagné de F. Bloch-Lainé, porte à G. de Courcel une missive au Président de la République plaidant en faveur du règlement des conflits et surtout de l’accès à l’autodétermination de l’Algérie107. L’engagement se poursuit avec la création en mars 1962 d’une Association aux victimes d’attentats, destinée à apporter un appui moral et matériel aux agents du service public atteints par des actes terroristes. L’association tend également à affirmer « la permanence de l’État républicain face à quelques Français aventuriers ou fanatiques, qui se livrent à des menées criminelles contre leurs compatriotes »108. On retrouve au sein du conseil d’administration nombre de hauts fonctionnaires du Trésor ou restés dans sa mouvance : F. Bloch-Lainé, président de l’association, A. Postel-Vinay, P.-P. Schweitzer, R. Bordaz, P. Dreyfus, C. Gruson, J. Ripert, J. Saint-Geours. Face à la mise en danger de la République, des anciens résistants se mobilisent, mais également ceux qui sont les hérauts et les militants de la modernisation de l’État et que l’on pourrait classer politiquement dans le clan des progressistes (F. Bloch-Lainé, J. Saint-Geours, J. Ripert109). On remarque également qu’en dehors du Trésor, aucune direction des Finances n’est représentée : à côté du Service des études économiques et financières et du Plan, le Trésor marque sa différence, à travers une poignée d’hommes il est vrai.
79Au sein de la direction, Jean Mialet donne un autre visage du militantisme de la direction face au drame algérien. Dévoué à la cause du développement économique de l’outre-mer, il est cependant partisan d’un désengagement pacifique en Algérie. Il a ainsi créé les groupes « Rencontres » en 1957, qui réunissent des énarques et des officiers de carrière pour les inviter à « travailler ensemble sur des problèmes techniques »110 au-delà des querelles politiques : « Ce qui m’avait incité à faire “Rencontres”, c’était cette formule : dialoguer, c’est trahir. C’était cela à l’époque ». Les réunions se centrent rapidement sur la question algérienne afin de convaincre l’armée de ne pas se joindre à d’éventuelles tentations « fascistes »111. Bien qu’il fasse figure d’exception au sein de la direction, J. Mialet offre un bel exemple de l’engagement public d’un haut fonctionnaire sur l’avenir de l’outre-mer et de l’espace de liberté qui lui est alors réservé au Trésor pour militer sur une question très sensible politiquement.
80Enfin, soulignons que l’engagement de hauts fonctionnaires dans la politique algérienne se recoupe largement avec celui du club Jean Moulin, créé au cœur de la crise algérienne, entre le 13 mai et le 3 juin 1958112. Né au départ d’une opposition à l’arrivée de De Gaulle, destiné à être un club de réflexion et d’action politique sur les rapports entre l’État et le citoyen113, le club Jean Moulin manifeste sur le dossier de l’Algérie des opinions proches de celles défendues par A. Postel-Vinay. Ph. Létrilliart signale une influence du club, perceptible à travers ses propositions, qui auraient servi de base de discussion aux accords d’Évian. Parmi ses membres se côtoient d’anciens résistants, des hauts fonctionnaires (34 % des membres), dont M. Albert, F. Bloch-Lainé, O. Chevrillon, J. Mialet, S. Nora, M. Rocard, J. Saint- Geours114... Ceux-là mêmes qui s’opposent à de Gaulle se retrouvent dans leur engagement sur l’Algérie.
81Sur l’autre bord, il faut signaler la position de M.-H. Schroeder, administrateur civil à la 1re sous-direction, qui refuse une mission en Algérie en 1962 en raison de ses positions proches de l’OAS115. C’est dire si la guerre d’Algérie a pu créer des clivages politiques forts au sein du Trésor.
82En conclusion, citons la réponse plus classique, mais qui résume bien la situation d’un fonctionnaire, de J. Moreau à une question sur sa position face à l’Algérie :
« Quand vous occupez des fonctions de ce genre, on a son point de vue personnel, celui qui correspond à la politique de la direction à laquelle on appartient et puis on a le point de vue officiel. Ce n’est pas fréquent que les trois coïncident mais... il faut savoir défendre le point de vue officiel. On est payé pour. Donc moi je n’ai jamais établi de lien entre mes opinions personnelles sur le sujet et [mes fonctions] »116.
83La diversité des approches et des comportements n’est pas le moindre intérêt de cette étude rapide sur l’Algérie. Elle renvoie tout d’abord à un fait peut-être trop souvent oublié : les débats et les engagements qu’a pu engendrer la guerre d’Algérie dans des milieux traditionnellement réservés. Elle illustre aussi la position particulière qu’occupe alors le Trésor au sein des Finances, représentée par une poignée de militants, mais non des moindres, qui contribuent à véhiculer indirectement l’image d’une direction politique, sinon politisée, en marge de l’administration traditionnelle.
***
84Au terme de cette étude, qui n’a pu préciser tous les champs d’intervention possibles du Trésor – son rôle éventuel dans le développement bancaire outre-mer, la place réservée aux DOM-TOM... – quelques grandes lignes peuvent être définies par rapport à l’objet de notre recherche.
85Pour mouvementée qu’elle soit, la période 1954-1965 n’a pas entamé la doctrine du Trésor sur l’outre-mer, mais les a plutôt confortées dans le sens d’un investissement rationalisé, rentable et dépolitisé, en faveur du développement d’une zone franc qui s’impose rapidement comme le cadre idéal pour renouveler les relations entre la France et ses colonies ou ex-colonies. Les outils mis à sa disposition ou créés par lui, qui se sont forgés après la guerre, se sont transformés en pratiques, puis ont été érigés en « doctrines » de la direction : la zone franc appuyée par un régime de parités fixes et un système de comptes d’opérations en voie de généralisation apparaît le modèle, nullement remis en cause, d’union monétaire régionale. Dans un contexte national propice aux investissements, l’adhésion aux grands projets énergétiques et industriels, notamment en Afrique, semble être un moyen pour la France de retrouver son rang de puissance économique et de tisser des liens autres que politiques avec l’outre-mer. Mais si les positions du Trésor restent largement dépendantes de la politique du gouvernement en place, il lui est possible d’exprimer implicitement des préférences, des réserves, voire des réticences. La difficulté d’établir la doctrine de la direction, subtile, complexe, mouvante et variable d’un échelon à l’autre, est apparue ici particulièrement vive. Au fil des archives écrites et orales se dessine l’engagement en faveur d’une aide non liée aux péripéties politiques, mais qui doit préserver l’intérêt économique et financier de la France. Concrétisée par l’adhésion à la coopération émerge dès le milieu des années 1950 la possibilité de résoudre les conflits politiques par des solutions économiques et financières. L’outre-mer apparaît bel et bien au cœur d’une culture de la direction, mais d’une culture locale, renforcée par le cloisonnement des bureaux et l’absence de mobilité qui subsistent alors au sein de la direction. La logique de fonction ne suffit pas à expliquer l’enthousiasme de certains acteurs pour ce qu’ils considèrent comme une mission d’intérêt national.
86L’étude a permis également de dégager l’articulation entre la stratégie mise en place par le Trésor dans le contrôle de l’outre-mer et les pratiques élaborées tout au long de ces années. De ce point de vue, le domaine est représentatif de doctrines du Trésor qui ont pu se forger sur d’autres secteurs d’intervention : contrôle et coordination des fonds, souci de rentabilité des investissements, mais sans vision restrictive pour autant. La délégation des interventions à un établissement public sous influence telle qu’elle est pratiquée en métropole se retrouve dans le rôle dévolu à la Caisse centrale et au Crédit national.
87Là comme ailleurs, la priorité donnée au développement économique relègue en arrière-plan des préoccupations du Trésor le souci inflationniste. Enfin, une fois n’est pas coutume, le Service des études économiques et financières s’est ici illustré concrètement comme une aide indirecte à la décision.
88Parallèlement, le rôle des structures dans l’application de la stratégie apparaît ambigu : les outils élaborés ont certes permis d’asseoir une ligne de conduite et ils ont donc contribué à la fois à l’élaboration et à la mise en œuvre de la doctrine ; mais le développement d’une politique outre-mer ne s’est guère accompagné d’une croissance des cellules administratives elles-mêmes, caractérisées par leur cloisonnement et leurs faibles effectifs ; les artisans de la mise en œuvre restent particulièrement peu nombreux, qu’ils appartiennent à la Mission de contrôle ou au bureau de la 4 e sous-direction.
89La continuité des positions du Trésor tout au long de la période relativise également l’importance de la personnalité du directeur du Trésor : certes, les liens entre F. Bloch-Lainé et A. Postel-Vinay ont dans un premier temps favorisé un rapprochement des deux points de vue ; mais alors que F. Bloch- Lainé poursuit à la Caisse des dépôts une politique active outre-mer, son successeur P-R Schweitzer, quoique moins enthousiaste sur le sujet, démontre une attitude bienveillante et laisse à son équipe une certaine liberté de manœuvre ; cela n’empêche pas cette dernière de poursuivre la politique dynamique entreprise depuis la fin de la guerre et d’élaborer des doctrines qui vont perdurer. Le rôle des bureaux est ainsi particulièrement mis au jour.
90L’étude sectorielle a mis également en évidence l’importance des relations personnelles et des réseaux humains dans le bon fonctionnement du système et pour le maintien de l’influence du Trésor. Cette analyse tendrait donc à relativiser le rôle des structures formelles, officielles, au profit de réseaux relationnels plus ou moins perceptibles. De ce point de vue, les relations entre le Trésor et l’outre-mer apparaissent également représentatives d’un mode de fonctionnement de l’ensemble de la direction à l’époque, et ce n’est pas là le moindre intérêt de l’étude.
91Le secteur de l’outre-mer constitue néanmoins un secteur spécifique au sein de la direction, à plusieurs titres. D’une part, il aboutit à la concentration dans les mains de quelques hauts fonctionnaires de trois des missions principales du Trésor, celles de Trésor banquier, de Trésor caissier, et d’État-actionnaire, qui font de ce petit monde clos un « micro-Trésor ». La multiplicité des procédures mises en jeu et leur relative autonomie ont pu ainsi consoler ces fonctionnaires de leur isolement au sein de la direction ainsi que de perspectives de carrière incertaines.
92D’autre part, à la différence d’autres secteurs d’intervention comme la monnaie ou la tutelle bancaire, l’outre-mer apparaît comme un élément relativement nouveau de la culture du Trésor depuis la guerre, qui s’appuie sur un autre aspect novateur de l’époque, l’interventionnisme économique accru de l’État, et plus particulièrement celui du Trésor. Cependant, la place de l’outre-mer au sein du Trésor ne doit pas être surestimée et bien qu’il reste un domaine dans lequel la direction s’est taillée une place particulière au sein des Finances, celle-ci est loin d’en être l’acteur principal en matière de politique économique et financière. Rappelons que le Trésor, s’il a tendu à renforcer sa place, continue de partager les interventions économiques publiques avec une Caisse centrale dynamique et innovante, un conseil du FIDES puissant et un ministère de la France d’outre-mer puis un ministère de la Coopération influent, tandis que la nouvelle cellule de l’Élysée peut s’ériger en arbitre sur les questions d’importance. En revanche, si le contrôle financier outre-mer se répartit entre le Budget et le Trésor, ce dernier demeure maître de la politique monétaire, au nom de sa mission régalienne.
93Enfin, dossier particulièrement sensible politiquement tout au long de cette période, l’outre-mer est une préoccupation constante des gouvernants et des parlementaires, conduisant à une réduction de la marge de manœuvre des acteurs administratifs en la matière. Si cette contrainte politique se retrouve dans d’autres dossiers traités par le Trésor, elle agit alors de manière particulièrement forte pour celui-ci. Mais la question algérienne a montré dans quelle mesure des hauts fonctionnaires du Trésor pouvaient, le cas échéant, s’engager pour une « cause ».
Notes de bas de page
1 J. Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, 1984. Plus récemment, quelques travaux de recherche ont apporté un éclairage intéressant sur les relations monétaires et financières avec l’outre-mer : A. Le Masson, La Caisse centrale de la France d’outre-mer et le financement public dans la France d’outre-mer, 1944-1958, Université de Paris X, 1996 ; J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer, un siècle de relations monétaires et financières, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998 ; H. Tertrais, Le coût de la guerre d’Indochine, 1945-1954, R. Girault (dir.), Université de Paris I, 1998.
2 La difficulté d’établir des statistiques fiables en matière monétaire est constatée par de nombreux chercheurs sur la période.
3 Créée en 1941 en vue de servir de banque d’émission pour les pays d’Afrique centrale ayant rejoint la France libre, la Caisse centrale de la France libre joue un rôle essentiel dans le développement économique de l’outre-mer après la guerre. Placée officiellement sous la tutelle conjointe du ministère de la FOM et du ministère des Finances et des Affaires économiques, la Caisse centrale, établissement public doté de l’autonomie financière, dirigée par A. Postel-Vinay, loin d’être un simple instrument d’intervention, est l’un des rouages essentiels des relations entre la France et l’outre-mer. Voir A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit.
4 Créé en avril 1946, le fonds d’investissement pour le développement économique et social des TOM (FIDES) assure aux territoires les ressources issues de la dotation annuelle globale et des emprunts de la Caisse centrale. Son Comité directeur, qui en est l’organe décisionnaire, comprend 4 représentants de l’État (ministère de la FOM, ministère des Finances, Caisse centrale, Commissariat au Plan) et 4 parlementaires des TOM. À partir de 1950, le FIDOM (fonds d’intervention pour les départements d’outre-mer) intervient à la place du FIDES pour les départements d’outre-mer.
5 Selon F. Bloch-Lainé, La zone franc, Paris, PUF, 1956, p. 21. Parmi les différents auteurs qui ont contribué à la rédaction de l’ouvrage, on relève le nom de trois administrateurs civils énarques du Trésor.
6 Pierre Moussa, « Le ministère de la France d’outre-mer dans les années cinquante », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 199-207. Voir également son autobiographie, La roue de la fortune. Souvenirs d’un financier, Paris, Fayard, 1989. P. Moussa, ancien élève de l’École normale supérieure, inspecteur des Finances (promotion 1946), commence sa carrière à la DREE et dans les cabinets ministériels (conseiller technique au cabinet du ministre des Affaires économiques, R. Buron, en 1953, directeur de cabinet du ministre de la France d’outre-mer, R. Buron en 1954, puis directeur des Affaires économiques et du Plan dans ce même ministère de 1954 à 1959).
7 Voir Michel Lelart, « L’origine du compte d’opérations », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 529-545. La Banque de Madagascar dispose également d’un compte d’opération, mais non la Banque de l’Algérie.
8 Selon F. Bloch-Lainé, La zone franc, op. cit.
9 Sur la création du franc CFA, voir H. d’Almeida-Topor, « La création du franc CFA », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 524-528.
10 A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit., p. 43-44.
11 C’était la conclusion du rapport de F. Bloch-Lainé à l’issue de sa mission financière en Indochine en mars 1946. Voir H. Tertrais, Le coût de la guerre d’Indochine..., op. cit., p. 354.
12 A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit., p. 65. On rappellera que la Caisse centrale jouit déjà du privilège d’émission en Afrique équatoriale française (AEF) et au Cameroun.
13 Ibid.
14 Cité par A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit., note pour le ministre de M. Bret, sous-directeur des relations de trésorerie, du 20 janvier 1948, et compte-rendu de la conférence du 22 novembre 1948 tenue dans le cabinet du secrétaire d’État à la présidence du Conseil, AEF, B681.
15 AEF, B 681, note pour le cabinet du ministre, 25 août 1948.
16 Id. On notera que le Trésor n’est guère favorable au système anglais de « currency board », en raison du manque de capitaux des banques françaises, qui ne les inciterait pas à les employer outre-mer.
17 Id.
18 H. Tertrais, Le coût de la guerre d’Indochine, 1945-1954, op. cit., p. 95-97. D’après ses calculs, les versements du Trésor à l’Indochine ont été multipliés par dix entre 1947 et 1951, passant de 11 à 125 milliards de F.
19 Id., p. 262 et suiv.
20 F. Bloch-Lainé, La zone franc, op. cit. p. 17.
21 Id., p. 126-127.
22 A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit., p. 184 et suiv.
23 Note pour le cabinet de F. Bloch-Lainé, doc. cité.
24 G. Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, op. cit., tome I, p. 504.
25 AEF, fonds Trésor, B 11 522, lettre du ministre des Finances au ministre de la FOM, rédigée par F. Bloch-Lainé.
26 AEF, fonds Trésor, B 11 551, note relative au contrôle des investissements du 12 avril 1948.
27 H. Tertrais, Le coût de la guerre d’Indochine, op. cit., p. 439. L’auteur souligne que l’ensemble des participants (Trésor, Budget, Plan, FOM) est favorable à une aide à l’Indochine comparable à celle destinée aux autres territoires.
28 AEF, fonds Trésor, B 11 552, courrier du 21 avril 1948.
29 AEF, fonds Trésor, B 42 268, P.-V de la Commission des investissements des 15 et 16 décembre 1948.
30 Note citée par A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit., p. 210. H. Bissonnet est alors administrateur civil au bureau du Trésor chargé de l’outre-mer.
31 AEF, fonds Trésor, B 42 268, séance de la Commission des investissements du 15 décembre 1948.
32 Voir à ce sujet, G. Bossuat, La France, l’aide américaine..., op. cit., chap. XIV et XV.
33 A. Le Masson, La Caisse centrale..., op. cit.
34 AEF, fonds Cabinets, 1 A 408, note pour le ministre du 9 mars 1956.
35 AEF, fonds Trésor, B 11 675, lettre du directeur du Trésor au directeur général de la Caisse centrale, 4 juin 1958.
36 A. Postel-Vinay est inspecteur des Finances de la promotion 1938, soit deux ans après F. Bloch-Lainé. Il entre en résistance dès octobre 1940 ; il rejoint Londres en 1942 et devient alors directeur général de la Caisse centrale de la France libre. D’après A. Le Masson, l’attitude pendant la guerre sera pour lui une référence capitale pour ses liens amicaux ou professionnels.
37 H. Bissonnet, né en 1913, rédacteur à l’administration des Finances (1940), administrateur civil (1946), est affecté au bureau du Trésor chargé de la circulation monétaire et de l’outre-mer en 1947, en devient le chef de bureau en 1953, puis sous-directeur de 1956 à 1965.
38 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretiens n° 1 et 3, cassettes n° 2 et n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Miferma (Mines de fer de Mauritanie) est une société d’économie mixte dans laquelle la Caisse centrale a des participations. Le Bureau de recherches géologiques et minières est un établissement public qui prend des participations dans des grands projets mariant public et privé. Il jouera un grand rôle dans la politique pétrolière française.
39 Entretien biographique avec F. Descamps, entretien n° 8, cassette n° 15, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992.
40 R. Bordaz, maître des requêtes au Conseil d’État (1944), après avoir été directeur à l’Économie nationale de 1945 à 1948, puis directeur de cabinet du ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme jusqu’en 1951, est nommé à ce poste de 1951 à 1953. A. Valls, inspecteur des Finances (1946), secrétaire général du syndicat général de la Construction électrique (1948-1950) conserve ses fonctions de 1952 à 1955. Par la suite, ses fonctions seront très diverses : il sera notamment sous-directeur à la direction des Finances extérieures en 1957, chef du service de l’inspection générale des Finances en 1962, directeur de la DREE en 1965-1967.
41 H. Tertrais, Le coût de la guerre d’Indochine..., op. cit., p. 324 et suiv. A. Valls communique ainsi directement et fréquemment avec D. Boyer.
42 Rappelons que J. Autissier est issu de la sous-direction des Activités financières ; directeur auprès de la BAO en 1951, il en devient directeur général adjoint puis directeur général en 1958. Il deviendra le directeur général de la BIAO qui remplace la BAO en 1965 (voir J. Allibert, De la vie coloniale au défi international, banque du Sénégal, BAO, BIAO, 130 ans de banque en Afrique, Paris, Chotard et associés, 1983).
43 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 5, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.
44 Entretien biographique avec A. Enders, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
45 Voir à ce sujet l’article de Robert Julienne, « La situation financière des pays d’outre-mer et le Trésor public », Économie appliquée, Tome VII, n° 4, octobre-décembre 1954, p. 377-398 et son ouvrage Vingt ans d’institutions monétaires africaines 1955-1975, Mémoires, Paris, L’Harmattan, 1988.
46 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 11, cassette n° 11, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
47 Outre J. Brunet, les noms de R. Goetze et de C. Tixier pour la direction des Finances de l’Algérie viennent rehausser le prestige particulier de ce poste aux yeux de leurs contemporains.
48 Entretien biographique avec A. Enders, entretien n° 4, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière, 1989. Rappelons que R. Julienne est alors membre de la mission de contrôle des activités financières au sein du Trésor.
49 N. Carré de Malberg, « La place de l’empire dans la carrière des inspecteurs des Finances », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 343-364.
50 AP Pierre Moussa, lettre à M. Fayol, 21 février 1958. L’une des directions visées ici semble être la direction du Budget, P. Moussa évoquant plus loin « un collaborateur de M. Devaux [directeur du Budget en 1958] ». Mais elle n’exclut pas d’autres directions, dont le Trésor...
51 Id.
52 Jacques Moreau, né en 1927, ENA (promotion 1951), administrateur civil au bureau de la circulation monétaire (1953-1962), chef du même bureau (1962-1966), conseiller financier pour l’Afrique chargé de la sous-direction des relations avec l’outre-mer et les pays étrangers (1967-1971), puis sous-directeur au service des interventions économiques (1974-1974).
53 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n* 5, cassette n° 8, entr. cité.
54 Jean Mialet fait partie de ces officiers qui au sortir de la guerre intègrent l’administration : né en 1920, élève de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (1942), officier d’active jusqu’en 1953, il intègre l’ENA et en 1955 est affecté à la direction du Trésor, au bureau chargé de l’outre-mer. Détaché auprès du Secrétariat général de la Communauté en 1959, devenu le Secrétariat général à la Présidence de la République en 1960, il entre à la Cour des comptes en 1962.
55 Entretien biographique avec F. Descamps, entretien n° 7, cassettes n° 13 et 14, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992.
56 AEF, fonds Trésor, B 11 632, note pour le ministre de P.-P. Schweitzer et J. Sadrin du 18 août 1954.
57 AEF, fonds Trésor, B 11 632, note pour le ministre du 14 août 1954. Il n’est pas inintéressant de souligner que le financement du barrage d’Assouan a été proposé à la France dès 1954.
58 AEF, fonds Trésor, B 11 675, note pour le Président du 5 juin 1958. Il s’agit d’A. Pinay.
59 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 3, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
60 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. En raison de son parcours atypique et de son engagement personnel en faveur de la paix en l’Algérie, J. Mialet constitue assurément un cas à part dans ce petit groupe de hauts fonctionnaires du Trésor. Il est le créateur des clubs « Rencontres » destinés à favoriser le dialogue entre opposants et partisans du maintien de l’Algérie française, dont l’armée.
61 On retrouve effectivement un engagement beaucoup plus fort en faveur de l’outre-mer chez A. Postel-Vinay et R Moussa, par exemple. L’intérêt économique que peut y trouver la France est beaucoup moins explicite que dans les témoignages émanant du Trésor.
62 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 9, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
63 Entretien biographique de F. Bloch-Lainé avec A. Terray, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
64 Jusqu’en 1958, les dévaluations successives du franc français ne modifient pas la parité de 1 franc CFA pour 2 FF. Avec la création du nouveau franc, le taux sera de 1 F CFA pour 0,02 FF.
65 Il faut noter ici que les entretiens ont été réalisés avant que l’idée d’une dévaluation du franc CFA commence à être publiquement évoquée ; seul J. Moreau, interrogé en 1993-1994, évoque cette perspective. Ceci peut expliquer l’absence de justification d’un système qui, avant cette date, paraît à la fois cohérent et immuable, et qui n’a donc besoin d’être ni explicité ni défendu.
66 F. Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire, op. cit., p. 118.
67 Voir M. Lelart, « L’origine du compte d’opérations », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer.... op. cit.
68 Entretien biographique avec A. Enders, entretien n° 3, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. Ce témoignage, bien qu’isolé, jouit à nos yeux d’une présomption de sincérité pour deux raisons : il émane d’un haut fonctionnaire moins suspect qu’un autre de défendre le rôle d’une direction à laquelle il n’est affecté que six ans et qui, d’autre part, s’étend longuement et de manière précise sur cette mission qui lui a été confiée.
69 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
70 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 9, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
71 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 2 cassette n° 4 et entretien n° 3, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
72 Entretien biographique avec A. Enders, entretien cité. Ce témoignage donne l’exemple à la fois des fonctions parallèles de la mission de contrôle, du réseau relationnel de C. Gruson ainsi que de l’application concrète des travaux du Service des études économiques et financières dès les années cinquante. Sur les rapports du Service des études économiques et financières concernant le coût des colonies, voir également A. Terray, Le Service des études économiques et financières..., op. cit.
73 Articles parus dans Paris-Match en août et septembre 1956. P. Eveno a montré que les critiques sur le coût financier des colonies sont présentes dans les colonnes du Monde dès l’après-guerre. Voir P. Eveno, « Le Monde et l’outre-mer 1944-1952 », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 327-339.
74 Il n’évoque pas en effet les idées cartiéristes de manière spontanée, et la question ne lui a pas été directement posée.
75 Entretien biographique avec F. Descamps, entretien n° 3, cassette n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992. Le ministère de la FOM semble cependant avoir défendu, plus que les autres intervenants, les investissements lourds et les grands équipements.
76 Voir les articles cités en note 73.
77 Entretien biographique avec O. Feiertag, cassette n° 11, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
78 Selon J. Moreau, entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
79 Entr. cité.
80 Voir Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995.
81 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Ce comité était présidé par P. Calvet.
82 AEF, fonds Administration générale, B 28 220, notes de P. Moussa du 9 janvier 1959 et d’avril 1959. D’autres notes de la même teneur ont été retrouvées dans ses archives privées, AEF, fonds Moussa.
83 Le Commissariat général à la productivité comprend déjà une sous-direction des Affaires d’outre-mer, au sein de l’administration économique du Quai Branly.
84 AEF, fonds Administration générale, note de la direction du Personnel du 31 janvier 1959, 6 p. dactylogr. et rapport au ministre du directeur du Personnel de 1964, 4 p. dactylogr. Voir également entretien biographique de P. Moussa avec F. Descamps, entretien n° 7 cassette n° 14, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992. Selon le témoin, c’est M. Debré qui aurait arbitré.
85 J. Moreau se souvient aujourd’hui d’oppositions féroces avec la DREE sur les contrats COFACE au sein de la Commission des garanties. Entretien n° 4, cassette n° 7, entr. cité.
86 AEF, fonds Administration générale, note de la direction du Personnel du 31 janvier 1959.
87 Le Trésor donne son avis pour la nomination du président du Conseil de surveillance, du représentant des instituts d’émission d’outre-mer et des deux représentants de grands établissements de crédit exerçant des activités outre-mer. Pour la présidence, M. Pérouse propose de reconduire F. Bloch-Lainé ; pour le représentant des instituts d’émission, R. Julienne, et Cl. Panouillot comme suppléant.
88 Selon le témoignage écrit de J. Moreau au séminaire sur l’histoire du Trésor, déjà cité.
89 AEF, fonds Trésor, note pour le ministre du Trésor (D1) et du Budget (C2) du 15 novembre 1963. Leur réaction se manifeste à propos d’une décision du ministre de la Coopération, R. Triboulet, d’autoriser une participation du FAC dans une société d’études au Congo.
90 Id.
91 Voir à ce sujet B. Vinay, « Les entrées et les sorties de la zone franc », in J. Marseille et C. de Boissieu (dir.), La France et l’outre-mer..., op. cit., p. 563-575. En mai 1962, le traité d’Union monétaire d’Afrique de l’Ouest définit de nouvelles relations entre la France et les ex-pays de l’Afrique occidentale française.
92 AEF, fonds Trésor, note du directeur du Trésor pour le cabinet du ministre du 8 février 1960 sur le régime de la monnaie et du crédit dans la république de Guinée. Voir également J. Moreau, « La convertibilité au sein de la zone franc », Bulletin de l’Économie et des Finances n° 9, novembre-décembre 1960.
93 Selon le témoignage écrit de J. Moreau au séminaire sur l’histoire du Trésor, entr. cité.
94 AEF, fonds Trésor, note du directeur du Trésor (Dl) pour le secrétaire d’État à la Communauté, du 1er février 1960.
95 Entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993, entr. cité.
96 Voir E. Kocher-Marboeuf, Une décennie d’action au service de la France gaullienne, Jean- Marcel Jeanneney, 1959-1969, S. Berstein (dir), thèse de doctorat, IEP Paris, 1996.
97 Id. Le rapport suscite effectivement une vive opposition du ministre de la Coopération, R. Triboulet, J. Foccart n’y était pas favorable, voir Jacques Foccart parle..., op. cit.
98 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Mialet bataille contre R. Cartier et publie en 1965 L’aile ou la bombe dans lequel il défend l’aide à l’outre-mer plutôt que l’arme nucléaire pour maintenir le « rang » de la France.
99 Entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 4, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994. Rappelons que J. Moreau travaille sur l’outre-mer entre 1953 et 1970, ce qui rend difficile la datation précise des faits relatés.
100 Le même témoin évoque un peu plus loin un élargissement des fonctions à des pays d’Asie et à des pays d’Afrique francophone (Zaïre) au milieu des années 1960.
101 Id. Alimenté par la politique africaine de De Gaulle, le regain de cartiérisme au début des années 1960 est effectivement relevé par E. Kocher-Marboeuf, Une décennie d’action..., op. cit.
102 Témoignage écrit pour le séminaire sur l’histoire du Trésor, déjà cité.
103 D. Lefeuvre évoque son rôle de manière anecdotique dans Chère Algérie, 1930-1962, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1997.
104 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
105 AEF, fonds Trésor, B 11 675, note pour le président [Pinay] du 30 juin 1958. Les sociétés financières de développement pour les TOM ont été autorisées par décrets des 13 novembre 1956 et 23 février 1957. On notera que les propos du directeur s’inscrivent dans un contexte particulier, celui du plan d’industrialisation de l’Algérie décidé en janvier 1958.
106 Documents privés remis par A. Postel-Vinay lors de ses entretiens avec le Comité pour l’histoire économique et financière de la France. « Réflexions sur le problème algérien », note de mai 1958, 5 p. dactylogr.
107 Ibid., lettre au Président de la République, 10 p. dactylogr., novembre 1960. D’après les annotations d’A. Postel-Vinay, une trentaine de hauts fonctionnaires ont signé la lettre, dont F. Bloch-Lainé, O. Chevrillon et J. Ripert.
108 Ibid., tract de l’AVA.
109 On retrouve ici ceux-là même qui font partie du club Jean Moulin, et participeront à l’ouvrage collectif Pour nationaliser l’État, op. cit.
110 Entr. cité.
111 Id.
112 Ph. Létrilliart, La naissance et les débuts du club Jean Moulin, 1958-1962, mémoire de DEA, S. Berstein (dir.), IEP Paris, 1988.
113 Du nom du premier ouvrage du club, L’État et le citoyen, Paris, Le Seuil, 1961.
114 Ph. Létrilliart, La naissance et les débuts du club Jean Moulin..., op. cit., p. 56-58.
115 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 2, CHEEF, 1995. On est surtout étonné que le témoin revendique aujourd’hui spontanément cette position.
116 Entr. cité.
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2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006