Chapitre VI. 1958-1959, un tournant pour le Trésor ?
p. 303-357
Plan détaillé
Texte intégral
1À l’orée des années 1960, les pratiques et les modes de gestion du Trésor n’ont pas changé depuis 1945. Des héritages culturels plus ou moins proches ont forgé une nouvelle identité du Trésor, mariage subtil entre rigueur financière et interventionnisme économique, entre tradition et modernité. La nouvelle décennie qui s’annonce effervescente avec son cortège de réformes économiques et financières, de ruptures en matière institutionnelle et politique, entraîne-t-elle une évolution de la stratégie et de l’identité du Trésor ? Avant d’aborder ce point, il apparaît nécessaire de présenter une photographie de la direction en 1958 qui, en une décennie, a conforté sa dimension prestigieuse. L’avènement de la Ve République est l’occasion de soulever dans ce chapitre la question du rapport au politique de l’institution et de son évolution sur l’ensemble de la période. Enfin, au-delà du changement politique et institutionnel, le plan Pinay-Rueff de 1958 a-t-il consacré une nouvelle orientation économique et financière et constitué de ce point de vue un tournant pour la direction du Trésor ?
I. LE TRÉSOR EN 1958, UNE IMAGE PRESTIGIEUSE
2À la suite des turbulences de la guerre et de la Libération, le Trésor, on l’a vu, est revenu en force, s’installant dans un rôle à la mesure de ses responsabilités accrues. Depuis, comme le dit Pierre-Paul Schweitzer, « le Trésor n’a fait que croître et embellir1». Ses attributions se sont certes développées, mais les effectifs et les structures ont-ils suivi ? Le prestige d’une direction se mesure-t-il à l’aune du niveau de son recrutement, du nombre de ses bureaux, ou encore de la qualité des « sorties » ou de ses attributions ? Comment les membres de la direction du Trésor perçoivent-ils son prestige ?
3Autant de questions qui sont pertinentes sur le moyen terme ; en analyser les réponses sur une période aussi courte – 1945-1958-pose un problème méthodologique : comment évaluer les tendances longues et percevoir les évolutions, par exemple sur le pantouflage ou sur la mobilité des bureaux sur une douzaine d’années ? Pour y répondre, il a été choisi d’analyser la population de l’ensemble des rédacteurs en poste à la direction depuis 1945 jusqu’à leur disparition de l’organigramme en 1967. De même, pour être significatives, les sorties de l’ensemble des énarques de la direction seront examinées en fin de période. Auparavant, une photographie de la direction en 1958 permettra une première comparaison par rapport à celle de 1948 décrite dans le chapitre III. Enfin, au-delà des critères démographiques et sociologiques, le prestige de la direction sera analysé du point de vue des carrières qu’elle offre à ses cadres supérieurs et de la perception qu’ils en ont.
A. ÉTAT DÉMOGRAPHIQUE DE LA DIRECTION EN 1958 : DES DÉCALAGES PRÉOCCUPANTS
4L’organigramme de la direction en 1958 ne diffère pas sensiblement de celui recomposé par F. Bloch-Lainé en 1948 et présenté dans le chapitre III. Après l’explosion des années 1948-1950, les structures de la direction sont confortées plutôt que développées. Les nouvelles cellules s’épanouissent ; si le secrétariat du conseil de direction du fonds de développement économique et social s’étoffe légèrement, les autres cellules greffées sur l’organigramme, telles que la mission de contrôle et, surtout, le Service des études économiques et financières, croissent de manière rapide. On ne saurait cependant assimiler ces deux derniers à l’organigramme officiel de la direction : la mission rassemble des hauts fonctionnaires détachés de l’administration centrale des Finances qui ne proviennent pas nécessairement du Trésor, tandis que le Service des études économiques et financières, rattaché administrativement au Trésor, recrute de plus en plus à l’extérieur du ministère. Le Trésor est alors dans une phase d’adaptation de ses structures à ses besoins : les effectifs de quelques bureaux augmentent en fonction du développement de leurs activités, mais le nombre de bureaux reste stable. On remarque que ceux de la sous-direction du Mouvement général des fonds sont les mieux lotis (quatre administrateurs civils par bureau), de même que le bureau chargé de l’outre-mer (cinq) et le bureau de la 2e sous-direction chargé des prêts et garanties (quatre). En revanche, et assez logiquement, les Activités financières restent en retrait. La hiérarchie officieuse des bureaux de la direction est ici une nouvelle fois illustrée.
5Parallèlement, les effectifs demeurent relativement stables, bien que les estimations varient considérablement suivant les sources. Un tableau de 1956 évalue les effectifs totaux de la direction à 211 personnes, ce qui la situe entre le Budget (230) et les Finex (157)2. Selon une note interne de la direction du Trésor de janvier 19603, les effectifs totaux de la direction, hormis ceux de la mission de contrôle (11 administrateurs civils ou inspecteurs des Finances) et du Service des études économiques et financières (169 agents au 1er janvier 19604), s’élèvent alors à 127 personnes, réparties ainsi :
6Pour l’encadrement supérieur de la direction, les chiffres sont heureusement plus homogènes d’une source à l’autre. Selon le Bottin administratif, les administrateurs au Trésor seraient au nombre de 22 en 1952 et de 42 en 1958. Une note émanant de la direction du Personnel et du Matériel répertorie 30 administrateurs civils en 1953 et 57 en 1956 ; une autre rédigée par un administrateur civil du Trésor fait état de 33 administrateurs civils en 1952 et de 35 en 19585, tandis que le document ci-dessus les chiffre à 32 en 1960. Sans doute les différences s’expliquent-elles par la prise en compte ou non des administrateurs en fonction dans d’autres administrations, dans des organismes annexes et dans des cabinets ministériels, qui définissent les effectifs réels et théoriques de la direction. De même, la prise en compte des administrateurs civils membres de la mission de contrôle (9 en 1960) peut expliquer ces variations ; enfin, un recensement élargi aux administrateurs de la France d’outre-mer (ils sont 4 en 1960) modifie à la marge les chiffres de l’encadrement supérieur.
7Ces chiffres, si variables soient-ils, confèrent au Trésor une part de son prestige interne et externe de direction d’état-major, dont les cadres supérieurs représentent 40 % des effectifs globaux. Ils expriment surtout un décalage entre le développement des missions du Trésor et la relative stabilité de ses effectifs supérieurs. La direction du Personnel et du Matériel s’en inquiète en 1960, constatant la réduction constante et régulière des effectifs des cadres supérieurs du ministère depuis 1950, qui sont passés de 600 à 400, et elle précise pour le Trésor, « que les activités de cette direction se sont multipliées [...]. Il s’agit d’une direction presque entièrement neuve »6. La direction est préoccupée par la régression prévisible du nombre des administrateurs civils pour la décennie suivante et par la diminution du nombre des fonctionnaires supérieurs par bureaux : « En fait, la plupart des bureaux de demain seront dotés d’un seul administrateur, seuls les bureaux-clés où se conçoit la politique économique et financière pouvant bénéficier d’un « brain-trust » de deux ou trois administrateurs »7. En réalité, la pénurie touche la catégorie des cadres B, constituée par les secrétaires d’administration centrale, pénurie qui a conduit à la dévalorisation de la fonction des administrateurs civils. La création du corps des attachés d’administration en 1954, aux fins de pallier le niveau et le recrutement insuffisants des secrétaires d’administration, n’a pas eu l’effet escompté de décharger les administrateurs civils des travaux de rédacteur ; loin d’être un corps à vocation générale, les administrateurs civils se sont spécialisés à l’intérieur d’une direction, voire d’un même bureau8. Une fois encore, le statut des administrateurs civils et celui des attachés d’administration nécessitent une réforme. C’est la demande formulée par la direction du Personnel en 1960.
8Du point de vue du Trésor, le malaise des administrateurs civils est prégnant. Si la direction ne semble pas souffrir d’une pénurie de cadres A, la carrière de ses cadres supérieurs fait l’objet de sévères critiques de leur part à la fin des années cinquante.
9La triple rivalité inspecteurs des Finances/rédacteurs/énarques qui existe depuis 1946 apparaît exacerbée en cette fin de décennie, comme en témoignent tous les acteurs de l’époque qui ont été interrogés sur cette question. Les énarques qui arrivent à la direction dans les années 1950 ont le sentiment d’un blocage de l’avancement en raison du trop grand nombre de rédacteurs, qui ralentit l’ascension de la pyramide. Certains souffrent du niveau inégal des rédacteurs auxquels ils sont assimilés, ou bien du fossé culturel qui les sépare, tel Jacques Moreau lorsqu’il arrive au Trésor en 1953 :
« Les administrateurs civils de l’ancien recrutement qui étaient là, étaient tous des libéraux – ce n’est pas une critique –, mais des libéraux traditionnels, très peu interventionnistes, qui avaient dû gérer des interventions parce que c’était la guerre, mais au fond n’y croyaient pas et surtout, étaient très en retrait par rapport à ce que j’avais appris »9.
10Ces nouveaux administrateurs civils se sentent plus proches en termes de formation des inspecteurs des Finances, eux aussi passés par l’ENA, dont la formation, de l’avis unanime des témoins, donne une vision plus « généraliste » que les anciens concours10. D’où une concurrence accrue entre énarques et inspecteurs des Finances, héritée de la vive compétition entre élèves de l’ENA et de l’échec de certains à quelques points des grands corps, comme l’explique Jean Mialet à propos de cette rivalité :
« Il y a des gens qui n’avaient jamais pardonné de ne pas avoir eu les grands corps, oui, il y avait des traumatismes. [...] S’ils ne sortaient pas dans les grands corps, leur vie était fichue. Ceux auxquels c’était arrivé, cela les avait marqués »11.
11On retrouve le même sentiment de décalage entre les corps, leur formation et leur carrière chez les inspecteurs des Finances de l’époque ; Philippe Dargenton dresse un portrait féroce mais juste des rédacteurs, qui, s’ils ne rivalisent pas avec les inspecteurs des Finances en termes de carrière, n’acceptent pas pour autant leur autorité :
« J’ai eu le dernier des chefs de bureau non-ENA. qui était l’extrême des qualités et des défauts de ce corps de fonctionnaires, c’est-à-dire qu’il ne vivait que pour sa fonction, qu’il ne supportait pas le moindre empiétement sur ses attributions, et il avait une vue, disons, qui n’était pas absolument large des problèmes qu’il avait à traiter. Une conception de l’intérêt de l’État très rigoureuse, un type qui n’aurait jamais touché un centime ou [accepté] une invitation de n’importe qui, qui menait une vie ascétique, qui méprisait tout ce qui n’était pas le ministère, et plus particulièrement tout ce qui n’était pas la direction du Trésor et plus particulièrement tout ce qui n’était pas son bureau, et qui voyait arriver avec fureur les inspecteurs successifs qu’on lui mettait sur le dos »12.
12Jean Saint-Geours explique bien à notre sens les raisons de la crispation de la part des administrateurs civils énarques :
« Le poids des inspecteurs des Finances relativement aux administrateurs civils était nettement plus fort qu’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que l’inspection était restée ce qu’elle était, c’est-à-dire un corps qui avait des privilèges, ou en tout cas les gérait, et le nombre des administrateurs civils sortis de l’ENA n’était pas tel. [...]. [D’où] une sorte de paradoxe, si vous voulez : alors que le corps des administrateurs civils pâtissait du fait que les anciens administrateurs civils n’étaient pas adaptés aux nouvelles missions, l’aura de l’inspection des Finances, sur l’inertie de la lancée, demeurait »13.
13En quelque sorte dévalorisés par leur assimilation aux anciens rédacteurs, qui comptent pourtant dans leurs rangs des sous-directeurs jugés remarquables, les énarques voient d’un œil amer les inégalités de carrière des inspecteurs des Finances à l’intérieur de la direction, entraînant des relations entre les deux corps « à couteaux tirés » selon Louis de la Coste Messelière14. C’est sans doute sur les postes que la compétition est la plus forte, comme l’explique Etienne Delaporte :
« Le secrétaire du FDES était en général un inspecteur des Finances, ce qui posait un peu le problème de sa relation avec le corps normal des fonctionnaires de la direction du Trésor qui était des administrateurs civils. [...] Alors qu’il y ait eu des relations conflictuelles sur certains points, ne serait-ce que d’organisation matérielle, de supériorité ou d’infériorité, oui, c’est certain, mais je dirais : c’est la vie courante. [...] Le problème, il était beaucoup plus celui de l’existence d’un circuit un peu plus privilégié donné à l’inspection des Finances à l’intérieur de la direction du Trésor par rapport au statut des administrateurs civils. [...] L’inspection des Finances débouche normalement sur une sous-direction au Trésor, les administrateurs civils, il y en a quand même qui restent sur le carreau »15.
14Ces propos rejoignent les conclusions de A. Darbel et D. Schnapper, pour lesquels l’ENA a homogénéisé la formation de la haute fonction publique, mais en a également accru les rivalités internes16.
15Cependant par rapport à 1952, les administrateurs civils ont gagné du terrain. Le nombre d’inspecteurs des Finances mis à la disposition du Trésor se maintient à trois : le directeur, un sous-directeur, un jeune chargé de mission au conseil de direction du fonds de développement économique et social ; mais ils n’ont plus qu’un poste de sous-directeur contre deux depuis 1953, date du départ de Jean Guyot, le corps des administrateurs civils ayant reconquis avec André Latapie-Capderroque, le poste de sous-directeur de la 1re sous-direction.
16Mais l’analyse démographique de l’encadrement supérieur de la direction et sa répartition entre les échelons hiérarchiques expliquent en partie le malaise du corps des administrateurs civils. Le rapport démographique au sein du corps s’est inversé au profit des énarques, qui sont au nombre de 20 pour 17 rédacteurs. Mais ces derniers conservent la quasi-totalité des postes hiérarchiques : trois sous-directeurs sur quatre, huit chefs de bureaux sur dix, tandis que les énarques sont encore sous-représentés dans les postes d’encadrement avec seulement deux chefs de bureau (Vogüé, Busson). Hasard de la libération des postes ou choix délibéré de favoriser le recrutement du prestigieux mouvement général des fonds ? Les énarques occupent la quasi-totalité des postes d’administrateurs de la 1re sous-direction, et l’un d’entre eux est chef du bureau du Mouvement des fonds. En revanche, des bureaux comme celui des comptes spéciaux de la 4 e sous-direction sont encore entièrement composés de rédacteurs.
17Au malaise dû à la dévalorisation de la fonction des administrateurs civils tel que l’analyse la direction du Personnel s’ajoute donc celui issu du décalage entre le nombre majoritaire d’énarques et leur sous-représentation dans les postes hiérarchiques ; il s’explique par un embouteillage des carrières au Trésor qui engendre une tension entre les deux corps concurrents. Tension d’autant plus vive que les administrateurs civils énarques ne se considèrent pas forcément moins compétents que leurs camarades de l’ENA sortis inspecteurs des Finances à la faveur de quelques points...
18Dans ce contexte, la nomination d’un inspecteur des Finances supplémentaire au poste de chargé de mission à la 2e sous-direction en 1957, Marc Viénot, soulève un tollé, que plusieurs témoins gardent encore en mémoire et qu’ils ont évoqué spontanément dans leur témoignage oral, et qui éclaire d’un jour nouveau des documents retrouvés dans les archives. Le mécontentement latent se cristallise en effet autour de cet incident. Un document adressé au directeur du Trésor en date du 28 octobre 1957, peut-être rédigé par Pierre de Vogüé17, ainsi qu’un aide-mémoire élaboré à l’issue de la « crise » en juillet 1958, font état de la situation des administrateurs civils du Trésor, tant sur les tâches qui leur sont confiées que sur leurs problèmes de carrière.
1. Les tâches nobles réservées aux inspecteurs des Finances.
19Les administrateurs civils voient dans les attributions du nouveau chargé de mission, les pétroles, une des attributions les plus intéressantes de la direction et « craignent que [cette nomination] ne procède d’une politique tendant à accroître arbitrairement le nombre d’inspecteurs des Finances à la direction du Trésor au nom d’une distinction qu’ils jugent périmée entre les tâches « nobles » revenant à ces inspecteurs et des tâches secondaires dans lesquelles eux-mêmes resteraient confinés »18. Parallèlement, ils regrettent « une organisation défectueuse du travail qui tend à confier aux administrateurs des tâches de secrétariat pour lesquelles ils n’ont ni vocation, ni formation »19. Cette critique rejoint celle faite par la direction du Personnel sur l’insuffisance de cadres B qui contribue à dévaloriser les fonctions d’administrateur civil. Chez les énarques apparaît nettement le souhait d’être des généralistes ayant vocation à participer à l’élaboration de la politique économique, que la création du Bulletin vert par J. Mialet et P. Dehaye symbolise :
« C’est moi qui ai réclamé qu’il y ait un niveau qui permettait à ceux qui s’y intéressaient de suivre la politique générale », explique Jean Mialet. « Je me plaçais résolument au niveau des administrateurs du ministère sortant de l’ENA. qui avaient besoin de savoir la politique générale : ils ne voulaient pas rester les petits rédacteurs dans leur coin »20.
20Parallèlement, en réaction contre le cloisonnement et l’isolement des bureaux, les énarques de la direction organisent des réunions « clandestines », afin de s’informer mutuellement de leurs activités21.
21Les passages en cabinets ministériels constituent une source de mécontentement supplémentaire de la part des énarques22. Selon les sources disponibles23, un quart des rédacteurs effectue un passage dans des cabinets ministériels, généralement aux Finances, en tant que chefs de cabinet ou chargés de mission. S’agit-il de revendiquer le même cursus que celui des inspecteurs des Finances, ou bien de passer en cabinet pour accélérer la carrière ? Lorsqu’on analyse la carrière des huit rédacteurs passés en cabinet, trois seulement d’entre eux bénéficient d’une promotion à l’issue de leur passage en cabinet. À titre de contre-exemple, les deux rédacteurs qui ont fait toute leur carrière au Trésor, en finissant comme chefs de bureau, ont tous deux été en cabinet. A contrario, plusieurs d’entre eux ont fait une carrière plus qu’honorable pour des rédacteurs, – sous-direction puis sortie dans un établissement financier – sans être passés par un cabinet.
22Comparativement, les inspecteurs des Finances du Trésor sont certes mieux lotis dans les passages en cabinet, mais ces derniers ne sont pas systématiques. Parmi ceux qui sont en fonction à la direction avant 1958, deux tiers profitent du besoin des cabinets ministériels ; deux d’entre eux accéderont à la direction de cabinet du ministre des Finances (F. Bloch-Lainé et D. Boyer). Certains exercent dans plusieurs cabinets, comme D. Boyer, P. Dargenton, J. Guyot et J. Saint-Geours, tandis que d’autres n’effectuent qu’un passage de quelques mois dans d’éphémères cabinets. Signalons qu’à la différence des rédacteurs, qui y entrent tardivement – plus de douze ans en moyenne après leur entrée aux Finances –, les inspecteurs des Finances effectuent ce passage en début de carrière, excepté pour la direction de cabinet. Ce passage est-il un tremplin ? Effectué généralement en début de carrière, il facilite leur nomination en tant que sous-directeurs24, mais un marquage politique fort peut leur nuire à plus ou moins brève échéance25. Il convient de noter enfin que trois d’entre eux n’ont pas eu besoin du passage en cabinet pour être nommés à des fonctions de direction, dont Pierre-Paul Schweitzer lui-même... La période exceptionnelle de l’après-guerre a peut-être de ce point de vue brouillé les cartes ; le faible nombre de hauts fonctionnaires sur lequel repose l’analyse incite à des conclusions prudentes. Néanmoins, par la formation et les relations qu’il permet d’acquérir, le passage en cabinet présente de l’intérêt pour le haut fonctionnaire, pour l’inspection comme pour la direction, qui préfère ne pas « déshabiller » ses bureaux et envoyer un jeune chargé de mission en cabinet.
23Les énarques s’en trouvent finalement lésés, mais leur marge de manœuvre est étroite : comment empêcher les inspecteurs des Finances de prendre leur place dans la structure de la direction, et en même temps réclamer leur part dans la distribution des postes en cabinets ?
2. L’embouteillage des carrières.
24Les administrateurs civils du Trésor attirent également l’attention sur « les différences exagérées qui séparent à l’heure actuelle le déroulement de leur carrière de celles de leurs camarades de l’inspection séjournant à la direction du Trésor »26. La comparaison effective des carrières leur donne raison : les inspecteurs des Finances sont alors nommés au bout de trois ou quatre ans sous-directeurs, soit à peine le temps pour un administrateur civil d’être nommé chef de bureau.
25On constate un net ralentissement dans le déroulement de la carrière, si l’on compare avec le début de la décennie : l’âge moyen de nomination des chefs de bureaux est passé de moins de 34 ans en 1952 à 36,2 ans en 1957, celui des sous-directeurs de 38,5 ans à presque 40 ans27. Parallèlement, le temps passé dans la fonction s’est allongé : 40 % des chefs de bureaux occupent leur fonction depuis plus de 5 ans. Ces chiffres traduisent bien le malaise des administrateurs civils : sur les 21 administrateurs non chefs de bureaux, la moitié occupent cette fonction depuis plus de cinq ans, et 5 d’entre eux depuis plus de dix ans... Est-ce propre au Trésor ? Les administrateurs civils de la direction notent que leurs homologues du Budget sont mieux lotis en terme de rapidité d’avancement28.
26La faible mobilité de l’encadrement supérieur est une autre source de mécontentement : entre 1948 et 1958, chaque bureau n’a changé qu’une fois de chef en une décennie. De surcroît, l’ensemble des administrateurs civils n’a pas changé d’attributions depuis les cinq dernières années... D’où la revendication des administrateurs civils du Trésor de l’introduction d’une procédure d’« aération » des individus, avec notamment la possibilité d’être détaché un minimum de temps à l’extérieur et la fixation d’un maximum de temps passé dans les mêmes fonctions. Mise en place dès la fin des années cinquante, avant la loi sur la mobilité des fonctionnaires de 1964, elle permettra aux administrateurs civils de patienter tout en élargissant leur expérience. Le secteur de l’outre-mer apparaît alors comme une bulle d’oxygène pour certains administrateurs civils, tels Max-Hubert Schroeder, Jean de Menthon, Pierre Sarrazin ou Marcel Vuillod, tandis qu’André Delamare et Claude Piétra sont les premiers à être détachés temporairement à la Communauté européenne. D’autres partiront vite, sans doute lassés d’attendre d’hypothétiques promotions, tel Bruno Bonnet de Paillerets qui, au bout de sept ans, demande sa mise en disponibilité pour rejoindre les Chargeurs réunis.
27Liée à la lenteur de l’avancement, se pose la question de la pyramide démographique de la direction qui se veut jeune mais qui a vieilli du fait de l’âge croissant de ses chefs de bureaux. « Si le Trésor veut rester une direction jeune, la majorité de ses agents devrait la quitter au plus tard entre 40 et 45 ans » estiment les auteurs de la note. C’est non seulement son image extérieure, une part de son prestige, qui sont ici mises en avant, mais également l’identité de la direction, qui se doit de recruter des gens jeunes qui « n’ont pas trop d’idées préconçues », ce qui autorise une certaine créativité29 : la jeunesse d’une direction est perçue comme un élément déterminant de son prestige.
3. Des débouchés inégaux suivant le recrutement.
28La question des débouchés des cadres supérieurs de la direction est évidemment liée à celle de l’avancement ; plus ceux-ci sortent vite, plus l’avancement est rapide dans la hiérarchie de la direction.
29Ainsi les sorties tardives des anciens rédacteurs bloquent-elles l’avancement des plus jeunes : sur les 34 rédacteurs, recensés dans le Bottin administratif, qui sont en poste à la direction entre 1945 et 1967, 33 ont pu être retrouvés dans les états de service conservés aux Archives économiques et financières30. Parmi eux, deux seulement, nés avant le siècle il est vrai, effectuent toute leur carrière au sein du Trésor : Eugène Micouin et Edmond Miffred. Tous les autres sortent de la hiérarchie de la direction, même s’il s’agit parfois de fausses sorties comme à la mission de contrôle des activités financières, rattachée au Trésor dans l’organigramme, mais qui, comme tous les corps de contrôle, exige un détachement de l’administration centrale des Finances. L’âge moyen de sortie des rédacteurs – pour ceux qui sortent et qui ont pu être retrouvés – est d’environ 45 ans, les extrêmes se situant à 35 et 55 ans.
30Les administrateurs du Trésor saisissent l’occasion qui leur est offerte de s’exprimer pour attirer l’attention du directeur du Personnel sur l’évolution des débouchés qui se présentent à eux. À leurs yeux, les débouchés traditionnels du ministère ont profité aux autres directions plus qu’au Trésor31. De surcroît, les débouchés procurés par les nouveaux secteurs semi-publics tels que le pétrole, le gaz, l’énergie atomique, n’ont selon eux pas profité au Trésor et les mêmes regrettent une absence de débouchés particulièrement « brillants », comme une direction d’administration centrale. « Il importe que le « Trésor tienne sa place », soit pour la défendre, soit pour la revendiquer, lorsque des changements de personnel se font sentir autour de lui » écrivent-ils, reprochant à mi-voix une absence de gestion des carrières et de débouchés au sein du Trésor32.
31Mythe ou réalité ? Craignant une perte de prestige de leur direction et de leur corps, les administrateurs civils du Trésor dressent un tableau très assombri de leurs perspectives de carrière dans l’aide-mémoire adressé à la direction du Personnel. Rappelons que leur porte-parole, Jean Mialet, est également responsable de l’association des anciens élèves de l’ENA du ministère des Finances et défend avant tout l’avenir des énarques : à ce titre, ne force-t-il pas un peu le trait ? Les chiffres avancés par les administrateurs civils concernent les seules années 1952-1957, période qui semble bien limitée pour servir de référence, d’autant que 40 % des départs concernent de simples administrateurs civils qui ne peuvent prétendre à des sorties aussi prestigieuses que les chefs de bureaux ou les sous-directeurs. L’analyse quantitative des débouchés de l’ensemble des rédacteurs de la direction en poste entre 1945 et 1965 dégage une nette majorité en faveur des débouchés traditionnels du ministère, comme l’indique le tableau ci-dessous.
32Chez les rédacteurs, le secteur de l’administration financière, qui comprend principalement les corps de contrôle publics (3 membres de la Cour des comptes, 6 comptables supérieurs, 3 contrôleurs d’État, 5 commissaires du gouvernement, 2 membres de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques), est nettement majoritaire. Sans doute en raison des nationalisations de 1945, le secteur industriel public et semi-public commence à concurrencer en matière de débouchés le secteur traditionnel du Trésor, celui des établissements financiers et bancaires. Parmi ces derniers, notons que les sorties ne s’effectuent pas dans des grandes banques nationales, mais dans des établissements de moyenne importance et de moindre prestige. Si l’on raisonne en termes de type d’entreprises, on recense des sorties deux fois plus importantes dans les entreprises semi-publiques ou d’économie mixte (type Régie autonome des pétroles) que dans les entreprises nationales (comme EDF), tandis que les sorties directes du Trésor dans des entreprises privées sont au nombre de trois : le pantouflage stricto sensu est très faible au niveau des premières sorties33. Ce phénomène s’explique par deux types de raisons : d’une part, les avantages pécuniaires générés par le détachement (maintien du statut, retraite) et d’autre part, le besoin de sécurité34 des fonctionnaires qui les incite à rester dans le giron public ou semi-public. Enfin, sur les 30 sorties analysées, signalons, sans en être étonné, une répartition très hexagonale : 27 se font en France métropolitaine, deux outre-mer et une dans les instances européennes.
33La comparaison des débouchés des rédacteurs avec ceux des inspecteurs des Finances marque des différences à plusieurs titres. D’une part, les inspecteurs des Finances sortent plus tôt, à 35,4 ans en moyenne, les directeurs élevant naturellement l’âge moyen (43 ans), soit dix ans plus tôt que les administrateurs civils de la période ; d’autre part, les premiers débouchés sont presque tous extérieurs aux Finances, comme l’indique le tableau ci-dessus. Enfin, les débouchés bancaires constituent alors la quasi-totalité de sorties des inspecteurs des Finances issus du Trésor.
34La répartition entre type d’entreprises – publiques, privées ou parapubliques – est également différente : un tiers des inspecteurs des Finances partent dans des entreprises privées, un tiers dans le public, un tiers dans le semi-public35. Enfin, à la différence de la grande majorité des rédacteurs, 77 % des inspecteurs des Finances changent d’entreprise au moins une fois au cours de leur pantouflage : les seconds débouchés ancrent l’ensemble du corps dans les établissements financiers (à 75 %) et le privé (à 65 %), la carrière politique de L. Tron restant atypique. Ces pourcentages qui, rappelons-le, ne représentent que 9 carrières d’inspecteurs des Finances, soit un quart des hauts fonctionnaires du Trésor, reflètent bien l’image extérieure de la direction, et sa dimension mythique de direction peuplée d’inspecteurs des Finances qui pantouflent dans les banques. Ce mythe renforce le prestige de la direction, mais explique aussi que le décalage entre la réalité et sa perception extérieure accroît le malaise psychologique des administrateurs civils : la note du 28 octobre 1957 évoque une situation « inquiétante », et propose de redonner à la direction le « tonus moral qui lui fait actuellement défaut »36.
35Si le tableau brossé en 1958 par les administrateurs civils de la direction paraît donc bien sombre, c’est aussi qu’ils souhaitent tirer parti de l’incident pour dorénavant rapprocher le cursus des énarques de celui de leurs camarades inspecteurs des Finances, aussi bien sur la question des tâches dévolues, que sur celle de la progression de la carrière et des débouchés offerts. Sur tous ces points, les écarts entre rédacteurs et inspecteurs des Finances ne sont plus acceptés. Il faudra attendre encore plusieurs années, voire des décennies, pour qu’ils soient – partiellement – comblés.
a. Origines sociogéographiques : des héritiers ?
36L’origine sociogéographique de l’encadrement supérieur accentue-t-elle les clivages entre l’inspection et les administrateurs civils ? Renforce-t-elle le prestige de la direction ? Pour être significative, la comparaison sociologique entre rédacteurs, inspecteurs des Finances et énarques s’impose sur l’ensemble de la période 1945-1967. Effectuée sur la base de sources diverses, archives orales, Who’s who et dossiers de personnel, malheureusement incomplets37, elle concerne un petit corpus de 34 rédacteurs, 37 énarques et 15 inspecteurs des Finances : sur 86 dossiers, six manquent à l’appel, soit moins de 10 %. Si l’étude y perd en finesse d’analyse, les grandes lignes restent valables. Mais la petite taille de l’échantillon oblige à renvoyer à des études fondées sur des corpus plus étendus pour confirmer ses résultats.
37Cette répartition géographique situe la direction du Trésor dans la même ligne que les études existantes sur la haute fonction publique38 : la prédominance de Paris et de la région parisienne est réelle chez les rédacteurs ; elle est en recul chez les administrateurs civils énarques, mais Paris est encore sur représenté par rapport aux autres régions ; l’inspection des Finances, d’un recrutement encore plus parisien, indique sans doute un niveau social plus élevé.
38En prenant en compte les seuls dossiers de carrière disponibles, soit 65 des 86 hauts fonctionnaires recensés, les origines sociales se répartissent de la manière suivante :
39N.B. : Afin de permettre des comparaisons, ce tableau reprend les catégories choisies par J.-F. Kesler. On peut également y retrouver la même classification opérée par les politologues et les sociologues. Il reste cependant que le petit nombre étudié relativise la portée de ces données. Rappel des définitions utilisées dans le chapitre III :
- « Bourgeoisie 1 » regroupe le niveau socioprofessionnel supérieur : industriels, banquiers, administrateurs de sociétés ; « Bourgeoisie 2 » représente le niveau moyen : cadres du secteur industriel ou commerçant, négociants, commerçants.
- Sous l’appellation de hauts fonctionnaires sont regroupés les rédacteurs, inspecteurs des Finances, et autres grands corps. Ceci permet de voir le degré d’« hérédité administrative » ou « professionnelle ». Les fonctionnaires supérieurs sont percepteurs, officiers, inspecteurs. Les fonctionnaires moyens sont du niveau attaché ou employé. Les inspecteurs des Finances ayant pantouflé dans la banque sont répertoriés sous les deux catégories.
4032 sur 66 de ces hauts fonctionnaires ont un père ayant travaillé dans le secteur public : ces chiffres rejoignent ceux établis par A. Darbel et D. Schnapper, qui indiquent une hérédité professionnelle plus élevée dans la haute fonction publique que dans l’ensemble de l’administration39. Bien que portant sur un petit nombre de hauts fonctionnaires, ce tableau est assez significatif de l’importance de la tradition familiale de service public, surtout chez les administrateurs civils. Si l’on prend en compte les professions des mères, le pourcentage d’hérédité administrative s’élève, notamment parmi les administrateurs civils – rédacteurs ou énarques – dont il arrive parfois que la mère soit institutrice ou employée. Dix-sept énarques ont un père ou une mère travaillant dans l’administration, et cinq d’entre eux ont un père appartenant aux administrations financières (dont deux inspecteurs des Finances et un conseiller à la Cour des comptes). L’appartenance à une « lignée administrative » favorise l’entrée dans l’administration et détermine le type de carrière menée.
41Quant aux autres indicateurs, ils restent très fragiles. Les inspecteurs des Finances sont certes issus de milieux plus favorisés que les administrateurs civils, qu’ils soient issus de l’ancien concours ou de l’ENA. Mais pour ces derniers, les pourcentages indiquent-ils la relative ouverture sociale de l’ENA par rapport au rédactorat ? Que représente le faible nombre des énarques de la direction du Trésor par rapport à l’ensemble des énarques de la période ? Les éléments de comparaison sont insuffisants pour les rédacteurs, aucune étude propre à ce corps n’existant à ce jour. En revanche, les études sur l’ENA permettent d’insérer cette analyse dans des données plus générales, dont elle est le prolongement : il n’y a guère de nouveauté par rapport aux tableaux élaborés par Jean-François Kesler40.
42Plus intéressante est l’étude du secteur d’activité des parents. Il apparaît ainsi que près d’un tiers de la population est issu d’un milieu financier public ou privé (banque, assurance), presque la moitié pour les inspecteurs des Finances. Plus on monte dans la hiérarchie administrative, plus la proximité avec le milieu financier est forte. Ceci donne un aperçu du rôle de passerelle que joue l’inspection des Finances entre la finance publique et privée41, mais révèle aussi l’attraction du ministère des Finances au sein de la sphère privée, perceptible dès avant la guerre, mais plus encore après 1946.
43Cette étude de cas ne fait la preuve que de l’insertion du Trésor dans les études sociologiques plus générales portant sur l’ENA, les inspecteurs des Finances ou encore la haute fonction publique. Une analyse élargie à l’ensemble du ministère des Finances sur une période d’au moins trente ans semblerait plus probante. Pour répondre à la question des clivages sociaux entre types de recrutement, on constate que si l’inspection se détache des administrateurs civils, énarques et rédacteurs marquent moins de différences d’origine, comme si l’ouverture sociale voulue par les fondateurs de l’École nationale d’administration restait dans les années 1960 au stade du rêve-à moins que les énarques au Trésor ne soient pas vraiment représentatifs de l’ensemble des énarques... Le clivage professionnel entre inspecteurs des Finances et administrateurs semble renforcé par les clivages sociologiques. Il recoupe en partie la distinction élaborée par A. Darbel et D. Schnapper entre deux sous-groupes à l’intérieur de la haute fonction publique, soit un groupe dominant, d’origine sociale et culturelle élevée, détaché du système bureaucratique et du rôle social qu’il joue ; et un groupe plus nombreux, issu généralement de la classe moyenne, avec un système de valeurs fondé sur le travail et l’effort, attaché à la rigueur professionnelle et aux aspects juridiques42.
B. LE PRESTIGE DE LA DIRECTION : POURQUOI ?
44Il faudra attendre les années 1965-1967 pour que les trois derniers sous-directeurs, anciens rédacteurs, quittent le Trésor : la modernisation du recrutement de la direction est effectivement très lente. Si les craintes des pessimisme sur la réputation de la direction n’en demeure pas moins alors exagéré : jamais la direction ne semble avoir été aussi puissante depuis 1945. Son prestige extérieur n’en est donc pas atteint, pour le moment du moins, d’autant que ces questions de personnel ne filtrent guère hors des couloirs de la rue de Rivoli.
45À quelle aune mesurer le prestige de la direction ? Pourquoi est-elle choisie à la sortie de l’ENA, à égalité avec d’autres directions du ministère réputées elles aussi, comme les Finex et le Budget à l’époque43 ? Aux critères sociologiques relevés précédemment s’ajoutent des critères de sorties, dont on a pu établir qu’ils contribuent fortement à l’image de la direction. L’épisode de 1956 a également révélé l’attachement à la « jeunesse » des cadres, synonyme de créativité et de dynamisme pour la direction, considérés comme des valeurs attachées au maintien de son prestige. L’analyse des discours des hauts fonctionnaires du Trésor permet d’affiner l’identité de la direction et les critères qui justifient à leurs yeux sa réputation.
46Lorsque les hauts fonctionnaires expliquent – a posteriori – leur choix de la direction du Trésor de préférence à une autre, un faisceau de motivations est avancé, qu’il est difficile de hiérarchiser. Trois types de raisons sont perceptibles : la carrière, l’intérêt du travail, l’état d’esprit qui règne au Trésor.
47Comme l’a révélé la réaction des énarques, il est certain que les perspectives de carrière à l’issue du Trésor font partie des motivations d’entrée. Les administrateurs civils sont assurés de sortir de l’administration, en se voyant proposer parfois plusieurs possibilités. Bien que cela reste à démontrer, l’éventail est sans doute plus large que dans les autres directions, naturellement plus tournées vers les débouchés « Finances ». Le fait d’être en contact avec des entreprises privées ou semi-publiques permet de tisser des liens et de se voir par la suite proposer des postes de sorties. La 2e sous-direction trouve là un avantage de carrière non négligeable. On relève sur ce point que l’interdiction pour un administrateur d’exercer des fonctions cinq ans durant dans un organisme qu’il a contrôlé44, est plus ou moins respectée : cette tolérance ne répond-elle pas au double besoin de faciliter les sorties et de mieux contrôler ledit organisme ? Ainsi Henri Barré est-il détaché à la Caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel, après avoir exercé les fonctions de commissaire-adjoint du gouvernement auprès de cet organisme ; même cas de figure pour Bernard Tibi, qui rejoint la Caisse nationale de Crédit agricole après avoir été commissaire du gouvernement auprès de la Caisse. F. Bloch-Lainé se montre très favorable au détachement de M. Coppin au département de la trésorerie et du crédit d’EDF, « en raison notamment de l’intérêt que présente pour le ministère des Finances la désignation d’un fonctionnaire supérieur de la direction du Trésor particulièrement qualifié »45.
48Les sorties sont-elles plus rapides au Trésor qu’ailleurs, comme l’affirme Jean Mialet46 ? La comparaison ne pourra se faire que lorsque l’ensemble des directions du ministère auront été étudiées de ce point de vue. Enfin, la proportion plus importante d’inspecteurs des Finances au Trésor que dans d’autres directions du ministère, si elle est critiquée en interne et finalement peu importante, profite à l’image externe de la direction ; le prestige du corps rejaillit sur l’ensemble des cadres supérieurs de la direction.
49Bien qu’il soit difficile d’obtenir des informations fiables sur la question, les avantages pécuniaires ne semblent être ni une motivation d’entrée, ni une réalité propre à la direction. Peu de témoins ont en effet accepté de répondre à la question des primes existant à la direction. Le manque de transparence qui prévaut alors incite également à manier avec prudence les chiffres avancés par un témoin, qui ne connaît en général que le montant de ses propres primes. Chaque trimestre, le chef du bureau central distribue lui-même des enveloppes contenant quelques billets47. Selon le précieux témoignage de Louis de la Coste Messelière, chargé du bureau central quelques années plus tard, l’enveloppe globale des primes était déterminée par la direction du Personnel. À l’intérieur de la direction, la répartition se faisait d’abord selon le grade et la fonction, et pour une part minime au mérite48. Si les primes constituent 30 % environ du traitement de fonctionnaire supérieur49, elles varient vraisemblablement d’une sous-direction à l’autre. Les sous-directeurs bénéficient généralement de rémunérations accessoires au titre des représentations de l’État, qui peuvent atteindre de 30 à 40 % de leur traitement suivant le nombre de conseils d’administration dans lesquels ils siègent50. De même, les bureaux de la 2e sous-direction sont-ils favorisés, en raison des fonctions de contrôle exercées en sus : commissaire du gouvernement près d’établissements financiers spécialisés, rapporteur auprès de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques, rapporteur auprès des comités spécialisés du FDES, représentant de l’État dans les entreprises nationales, etc.51. Sans pouvoir être plus précis sur les chiffres, on imagine sans peine que les primes sont un enjeu du prestige interne et externe de la direction.
50Si le traitement, jugé souvent modeste par les hauts fonctionnaires du Trésor, les pousserait plutôt à quitter la direction52, en revanche, l’intérêt du travail effectué à la direction les incite à y entrer et à y rester.
51Il est de bon ton au Trésor de rappeler la traditionnelle distinction entre les monétaires en haut, les fiscaux en bas et les budgétaires au milieu. « La direction du Trésor était devenue au moins l’égale de celle du Budget, enfin, elle passait même pour être plus noble, elle ne discutait pas des salaires, des impôts, des employés de bureau, des huissiers et tout ça ; on discutait des investissements, de la politique monétaire », explique Pierre-Paul Schweitzer53. S’ils ont parfois été déçus par la suite, plusieurs administrateurs civils et inspecteurs des Finances ont déclaré être entrés au Trésor pour cette noblesse des fonctions. Sur le fond, à la fois parce qu’elle gère des mécanismes monétaires complexes et qu’elle s’est donnée une dimension intellectuelle de réflexion, elle apparaît comme une direction « conceptuelle », « amusante pour l’esprit »54, qui délègue autant que faire se peut les questions techniques. Plus largement, la direction incarne la responsabilité d’un pan important du pouvoir régalien, le monétaire, offrant à ses membres la légitimité de gardien de l’intérêt général dans ce domaine. Enfin, les questions monétaires et de trésorerie conduisant la direction à des contacts quotidiens avec le cabinet ou le ministre, les relations directes avec le pouvoir politique assurent au Trésor un prestige supplémentaire.
52À côté des affaires monétaires, le développement des interventions économiques du Trésor après 1945, qui lui confère un rôle de carrefour entre l’État et le marché, entre le financier et l’économique, a également attiré nombre de hauts fonctionnaires, qu’ils soient inspecteurs des Finances ou administrateurs civils, comme le résume Philippe Dargenton :
« La direction du Budget est souveraine sur l’ensemble des administrations, c’est sûr, mais la direction du Trésor est à cheval sur les institutions financières, les marchés, les activités internationales, etc., et d’autre part, sur la vie des affaires elles-mêmes. Je reconnais que ça, c’est un point unique, qui, je pense, explique l’attrait qu’elle exerce sur tous ceux qui peuvent prétendre y entrer »55.
53On retrouve le même sentiment chez Jacques Moreau, qui apprécie au Trésor, à la différence du Budget, la multiplicité des procédures d’intervention à gérer, et chez Jean Mialet, keynésien enthousiaste, qui choisit le Trésor pour le financement des investissements. À défaut d’être plus prestigieuse que le secteur monétaire, l’intervention économique trouve son intérêt dans sa diversité d’approche, son aspect très vivant et amusant, mais également par les relations avec le privé qu’elle offre :
« Q. : Pouvez-vous me préciser pourquoi la direction était « chic » ? R. : À cause du débouché, qui était très rapide [...]. Et puis, on était l’interlocuteur des grands patrons, ce qui n’était pas le cas au Budget »56.
54Elle puise également une part de son prestige dans l’autonomie de décision qu’elle autorise, particulièrement dans des secteurs souvent délaissés par le politique57. C’est sans doute par le pouvoir qu’elle leur procure que la direction jouit d’un tel prestige auprès de ses membres, comme auprès des autres directions qui ont eu à le subir. Mais en ont-ils vraiment conscience avant d’être affectés dans ses services ? D’après les témoignages recueillis, il semble que le sentiment de puissance éprouvé ne l’est qu’une fois entré au Trésor et plus encore, une fois sorti. Plus d’un semble même surpris de la liberté de d’action dont il dispose, de son pouvoir de décision, en tant que représentant de la direction du Trésor. Nulle arrogance perceptible, donc, chez certains de ces hauts fonctionnaires qui ont eu le sentiment de « faire leur devoir » et qui jugent rétrospectivement d’un œil critique les préoccupations carriéristes de leurs successeurs...58 Mais par irrigation progressive des canaux d’information (parentés administratives, Sciences Po et l’ENA), et surtout en raison des motivations de carrière plus marquées de la part des énarques, on peut supposer que la puissance de la direction sera progressivement véhiculée comme élément de son prestige dès l’entrée à l’ENA.
55Le troisième critère du prestige de la direction, également lié à la spécificité du travail de la direction, a trait à l’état d’esprit et à l’ambiance de camaraderie qui règnent à la direction. On ne saurait mésestimer de ce point de vue le rayonnement durable de François Bloch-Lainé, à l’extérieur comme à l’intérieur de la direction. Considéré unanimement par les témoins-même ceux qui ne l’ont pas connu-comme un grand directeur du Trésor, il laisse son empreinte au sein du ministère mais également à l’extérieur. D’une part, ses cours à l’Institut d’Études Politiques qu’il dispense de 1948 à 196059 et qui sont diffusés par les manuels auprès de futurs hauts fonctionnaires, donnent une place centrale au Trésor dans l’organisation du ministère. Surtout, F. Bloch-Lainé, et par conséquent le Trésor auquel il est identifié, apparaît comme le symbole de la modernisation économique de la France, comme l’explique J. Mialet :
« J’avais pris les Finances pour aller au Trésor. Il y avait le mythe Bloch-Lainé à l’époque, les manuels de Bloch-Lainé ; et puis ces mécanismes de financement des investissements, cela me passionnait, parce que je voulais faire de la France un grand pays industriel de pointe ; et à l’époque, il y avait le mythe de l’investissement ; et l’investissement, ou bien on était technicien, ou bien il fallait le financer, l’organiser, et c’était au Trésor qu’on le faisait »60.
56Après son départ du Trésor, son activité à la tête de la Caisse des dépôts ne fait que renforcer l’image du « grand » haut fonctionnaire réformateur et social qui, cette fois, touche les énarques qui arrivent en fonction au milieu des années 1950, comme Etienne Delaporte :
« Le mythe [Bloch-Lainé], il s’est créé plutôt après [le Trésor]. Il s’est créé à la Caisse des dépôts, le grand patron social et intelligent qui allait se servir de l’argent des Caisses d’épargne pour faire des tas de choses très bien, qui allait faire du logement social »61.
57Pierre-Paul Schweitzer bénéficie par la suite du charisme et des acquis de son prédécesseur pour le recrutement de ses troupes. Certes plus flegmatique et plus discret, il apporte néanmoins à la direction son envergure internationale, son intelligence ironique et sa liberté de parole. Il aura le souci de préserver les prérogatives de la direction développées par son prédécesseur ; à ce titre, il est considéré comme un « bon » directeur...
58Au-delà de la personnalité et de la stature de son directeur, la direction du Trésor offre à ses membres un état d’esprit qui lui est propre.
59Certes, la direction du Trésor est à l’époque une organisation administrative hiérarchisée, au sein de laquelle le tutoiement est rare, et la distance entre les grades maintenue. Jean Mialet évoque même une organisation « militaire » qu’il n’est pas question de transgresser ! Mais elle est perçue comme étant beaucoup moins pesante que d’autres. Cet aspect semble se développer avec Pierre-Paul Schweitzer qui délègue plus que son prédécesseur : la direction procure alors une liberté d’action, une autonomie et une souplesse qui séduisent maints administrateurs. Le témoignage de Jean Mialet nous paraît bien refléter la pensée de plusieurs témoins :
« L’état d’esprit du Trésor ; c’était la banque, ce que vous trouvez dans les échelons supérieurs des banques. Vous étiez dans l’État, mais vous n’aviez pas cette pression de l’organisation qu’on a à la Comptabilité publique, par exemple, ou au Budget. Il y avait une souplesse, une liberté, et sur le plan intellectuel, toutes ces questions qu’on gère, ce sont quand même des questions très difficiles, dans lesquelles il y a très peu de spécialistes : à l’époque c’était agréable de devenir l’un d’entre eux »62
60Le petit nombre d’administrateurs civils, souvent regroupés à plusieurs dans un bureau exigu, avec un téléphone pour quatre, contribue à donner au Trésor son caractère « artisanal » 63 et engendre une ambiance sympathique et conviviale tout en maintenant le sentiment d’appartenir à une élite : en dépit de la vive concurrence des corps règne alors un esprit d’équipe, un climat de camaraderie entre des hauts fonctionnaires qui partagent le sentiment d’œuvrer utilement pour la modernisation de la France.
« Nous avions tout de même beaucoup d’amitié et de camaraderie entre nous, même s’il n’y avait pas de cadeaux à se faire. Bien sûr, même si nous étions très occupés les uns et les autres, il n’y avait pas de coups bas. Enfin, à cette époque-là. Quelqu’un qui menait une politique purement personnelle était rapidement jugé et recevait les trois ou quatre mots, qui lui faisaient changer d’avis quand il pouvait comprendre »64.
61Cet état d’esprit perceptible lorsque les administrateurs civils ont exercé leurs fonctions ne contribue sans doute pas au prestige de la direction. Mais il lui confère une dimension humaine et épanouissante, qui peut attirer des individualités fortes, ou rebelles à une hiérarchie trop pesante. On sent ici moins qu’ailleurs l’idée de « dressage administratif » qui fait la force d’administrations à gros effectifs65. En revanche, on retrouve cet état d’esprit, forgé durant la même période autour d’un leader également charismatique66, aux Finances extérieures, qui partage avec le Trésor la caractéristique de direction d’état-major dont le contact avec les milieux financiers a influencé les mentalités et qui offre un savoureux mélange de culture administrative et de haute banque.
62Le prestige de la direction s’appuie donc en grande partie sur ses hommes : leur formation, leur compétence, la personnalité du directeur, l’état d’esprit qui règne dans les couloirs. Mais la qualité du travail et le sentiment d’utilité sont également importants dans l’intérêt porté à la direction, à une époque où l’administration des Finances a le sentiment d’être en grande partie responsable de la modernisation du pays.
63Évoqué de manière plus ou moins explicite dans les témoignages oraux, son pouvoir, réel ou symbolique, fait indéniablement partie du prestige de la direction. On a vu tout au long des chapitres précédents comment il s’exerçait au sein de l’État ou bien encore sur l’économie et la finance privées. La question centrale de sa marge de manœuvre par rapport au politique, qui s’insère dans cette problématique de pouvoir et de prestige du Trésor, trouve naturellement sa place au sein de ce chapitre sur le tournant des années 1958-1959 : le changement institutionnel de 1958 a-t-il modifié la nature du rapport du Trésor au politique et pour quelles raisons ? Pour tenter d’y répondre, il est nécessaire de procéder à une analyse à différents niveaux sur l’ensemble de la période 1945-1967.
II. LE TRÉSOR FACE AU POLITIQUE, DE LA IVe À LA Ve RÉPUBLIQUE
64Si abondante que soit la littérature sur les hauts fonctionnaires et la politique depuis trois décennies, elle n’a pas tranché clairement la difficile question de leur rapport. Historiens, politologues, sociologues ont tour à tour défini des critères d’évaluation différents, sur des périodes et des corpus divers. Les travaux existants ont privilégié la période de l’après 1945, fondant leurs analyses sur l’étude soit des hauts fonctionnaires67, soit des énarques68, ou bien encore sur le phénomène de la technocratie69. Enfin, la science administrative et la sociologie des organisations ont permis des avancées de la recherche sur le pouvoir administratif et les processus de décision au sein de l’État, dans lesquelles le rapport entre administration et politique prend naturellement sa place70. Face à une telle abondance, une étude précise sur l’encadrement supérieur du Trésor paraît à la fois dérisoire et indispensable. Dérisoire parce que les hauts fonctionnaires du Trésor ne représentent qu’une minorité des corpus étudiés généralement : une dizaine d’inspecteurs des Finances, environ 80 administrateurs civils... peut-on pertinemment, à partir d’un échantillon si mince et si peu représentatif, infirmer ou confirmer une thèse ? Mais la vraie question est-elle celle de la représentativité des hauts fonctionnaires du Trésor, ou bien plutôt celle de leur spécificité par rapport aux autres ? Si tel est le cas, l’étude s’avère nécessaire pour nuancer des approches globales qui ne sont pas intégralement transposables. Pour notre recherche et sa démonstration quant à l’existence d’une stratégie propre au Trésor, elle est évidemment indispensable pour définir la marge de manœuvre dont il dispose pour l’appliquer.
65À partir des travaux existants, l’étude s’attachera donc à démontrer la spécificité du Trésor ou du ministère des Finances et son évolution d’une République à l’autre, quitte à balayer quelques idées reçues et poser de nouvelles questions. Les problématiques autour du rapport administration et politique relèvent de plusieurs niveaux. Tout d’abord, le cadre institutionnel général a-t-il une influence sur les rapports du Trésor avec le politique ? Au niveau du ministère des Finances, comment le politique exerce-t-il son pouvoir à l’égard des hauts fonctionnaires ? Quel est le rôle de la personnalité du ministre et le poids du cabinet dans la définition de ces rapports ? Sur quels fondements s’appuie la légitimité des hauts fonctionnaires face au politique ? Quelle est l’attitude des hauts fonctionnaires à l’égard du politique ? Les rapports de force sont-ils influencés par des relations personnelles, sont-ils différents suivant les secteurs ? Où se situe le pouvoir réel de l’administration et plus particulièrement du Trésor ?
66Trois niveaux d’analyse, qui recentrent successivement le débat général sur le Trésor, ont été choisis pour tenter de répondre à ces questions : le cadre institutionnel, les relations de la direction avec le ministre des Finances et le cabinet ; enfin, la perception des hauts fonctionnaires du Trésor de leur rapport au politique (quelle légitimité et quelle attitude ?) celle-ci permettant d’expliquer le pouvoir d’expertise qu’ils entendent exercer. Dans la ligne de la plupart des travaux existants, faut-il limiter l’analyse à ceux qui sont en contact direct et constant avec les cabinets ministériels, soit le directeur, ceux qui passent dans des cabinets ministériels, ainsi que les inspecteurs des Finances au Trésor ? Si ce critère paraît évident pour une analyse fine de la pénétration entre administration et politique, il nous semble trop restrictif pour l’objectif assigné à notre recherche sur le degré et la nature de l’influence du Trésor sur les choix politiques. Le concept de technocratie qui se développe dans les années 1960 ne bat-il pas en brèche l’hypothèse d’une politisation des hauts fonctionnaires ? Le haut fonctionnaire a-t-il plus d’autonomie que le bureaucrate moyen ? Sur quels fondements réels ou mythiques s’est établie l’influence du Trésor ? Après un survol des changements opérés d’une République à l’autre et de leurs conséquences pour le Trésor, les réponses à ces questions permettront de définir les continuités.
A. LES CHANGEMENTS INSTITUTIONNELS DE LA IVe À La Ve RÉPUBLIQUE
67Il est maintenant acquis que les hauts fonctionnaires des Finances ont bénéficié, parfois à leur corps défendant, durant la IVe République d’une autonomie de décision qui a permis la continuité de l’État et la reconstruction de la France ; si, à leurs yeux, l’instabilité ministérielle a empêché la mise en œuvre d’une politique durable, la IVe République peut se targuer d’avoir lancé des grands projets économiques qui ont perduré (le nucléaire, l’outre-mer, l’aménagement du territoire, par exemple). Le ministère des Finances plus que d’autres a su profiter de la faiblesse de l’exécutif, le rôle d’impulsion de l’Élysée et de Matignon n’étant pas alors très identifiable : le président de la République est une autorité morale plus qu’un responsable politique ; le président du Conseil n’est, avec quelques notables exceptions, qu’un primus inter pares.
68De ce point de vue, le changement opéré par la constitution de 1958 est radical et ses conséquences sur les rapports entre politique et administration se manifesteront à plusieurs titres. Le renforcement du pouvoir exécutif et sa stabilité entraînent une double conséquence : d’une part, l’Élysée et Matignon jouent un rôle nouveau dans la conduite des affaires économiques, qui empiète sur celui du ministère des Finances ; la création de secrétariats généraux à l’Élysée et à Matignon et l’étoffement de leurs services en sont le signe évident. D’autre part, le régime de « parlementarisme rationalisé » élargit le domaine réglementaire au détriment du domaine législatif et donne au gouvernement la fixation de l’ordre du jour des assemblées, etc., renforçant le pouvoir exécutif dans son rôle d’impulsion. Enfin, la stabilité engendrée par les nouvelles institutions autorise le lancement et le suivi de projets à long terme : la décision politique est d’autant plus forte que les ministres ont le temps de réfléchir, de s’informer avant de décider. La question est de savoir dans quelle mesure l’administration profite ou non de la force et de la durée des gouvernements. Pour la décennie des années 1960, la puissance du gaullisme ainsi que l’impulsion politique forte venant de l’Élysée, renforcée par la légitimité de l’élection au suffrage universel direct à partir de 1962, incitent à penser que l’autonomie de décision des grands ministères se restreint. Dans un souci de coordination gouvernementale, la remontée des grands dossiers économiques et financiers vers le sommet est systématique ; d’où le développement du rôle de Matignon et de l’Élysée, politiquement et administrativement. En effet, les administrations traditionnelles sont cernées par de multiples cellules de coordination et de décision, au sein desquelles les hauts fonctionnaires doivent désormais composer avec les politiques ou leur état-major71. F. de Baecque et J.-L. Quermonne ont ainsi recensé pour les débuts de la Ve République la tenue de 25 réunions par an de conseils interministériels (présidés par le chef de l’État), de 80 comités interministériels (sous la présidence du Premier ministre) et de 200 réunions interministérielles annuelles, sous la direction d’un membre du cabinet de Matignon ou du secrétariat général du gouvernement72.
69Dans le contexte des années 1960 d’accroissement de l’intervention économique de l’État et d’intense activité réformatrice, notamment dans le domaine économique, l’administration des Finances étend et diversifie son champ d’action. Mais elle doit, d’une part, subir le volontarisme économique des responsables politiques et, d’autre part, composer avec les nouveaux pôles de décision publics.
70Le rôle d’impulsion de l’Élysée en matière économique et financière n’est plus à démontrer. Les mémoires des proches du général de Gaulle et les travaux de recherche organisés sur la question ont révélé non seulement l’intérêt de De Gaulle pour l’économie, mais également son rôle décisif dans la prise de décision73. Le secrétariat général de l’Élysée, tenu par des hauts fonctionnaires dévoués, dispose notamment d’une cellule économique : un conseiller économique, inspecteur des Finances74, et son adjoint. Cette nouvelle instance de pouvoir complique le jeu politique et favorise des alliances objectives. Citons Michel Debré, dans une lettre à G. Pompidou qui vient de refuser d’entrer au gouvernement : « Vous ne pouvez imaginer à quel point je suis seul, à quel point les ministres compliquent ma tâche en jouant avec les collaborateurs de l’Élysée »75.
71Face au poids de l’Élysée, l’influence de Matignon n’en est pas pour autant effacée, du moins tout au long du gouvernement Debré76. L’irruption de Matignon dans la décision économique et financière est double : d’une part, le Premier ministre joue un rôle d’impulsion dans la décision, il est informé des dossiers importants par des procédures administratives alourdies qui font remonter les dossiers jusqu’à lui ; l’autonomie de décision dont pouvait disposer le ministère des Finances est réduite. D’autre part, l’arbitrage de Matignon sur les questions financières et budgétaires devient une pratique courante. Mais le ministère des Finances résiste en « coupant la remontée d’information des dossiers » et c’est dans les domaines économique, financier et diplomatique que Matignon aura le plus de mal à s’imposer77. L’évolution est certes variable en fonction des personnalités et des affinités politiques entre Premier ministre et ministre des Finances. On rappellera rapidement l’impulsion très forte de Michel Debré à Matignon en matière économique et financière, qui se dit obligé de « faire la politique budgétaire, la politique agricole, la politique des prix, la politique fiscale, la politique industrielle » puisque son ministre des Finances, W. Baumgartner, est « aboulique, mondain et désintéressé »78. Le pouvoir réel est alors à Matignon, comme le confirme Ph. Dargenton :
« [M. Debré] faisait des réunions tout le temps. Moi, j’étais tout le temps à Matignon, dans des réunions qu’il présidait souvent lui-même [...] Il y avait tout le temps des réunions, des conseils restreints, tout le temps, des conseils interministériels tout le temps. Il était hyperactif. »79
72Avec l’avènement de Pompidou à Matignon et de Giscard d’Estaing, ministre de plein exercice, aux Finances, le rapport de force semble se rééquilibrer en faveur de la rue de Rivoli ; si l’on ne dispose que d’informations parcellaires sur la question, on notera cependant l’alliance objective entre l’Élysée et les Finances sur le plan de stabilisation de 196380. Lors de son accession au ministère de l’Économie et des Finances en janvier 1966, Michel Debré, soutenu par de Gaulle, semble bénéficier d’une forte autonomie, symbolisée par les nombreuses réformes qu’il met en œuvre en deux ans. Si l’évolution entre 1958 et 1968 n’est donc pas linéaire, cette redistribution des rôles au sein de l’exécutif constitue néanmoins un tournant majeur pour le ministère des Finances. Cependant, la pénétration de l’inspection des Finances dans ces nouveaux cercles de pouvoir tend à adoucir les éventuelles frictions et facilite la communauté de vues. Philippe Dargenton en donne un aperçu avec la création de la taxe d’équipement de la région parisienne :
« J’avais été complètement convaincu par mon correspondant à Matignon sur ces problèmes, qui était Jérôme Monod. [...] J’avais fait aboutir le dossier chez Giscard qui était la création de la taxe spéciale d’équipement, qui était le seul impôt qu’on ait créé à l’époque, et qui était l’amorce de ce qui est devenu la région »81.
73La rue de Rivoli doit aussi faire face à de nouveaux pôles de décision publics en matière économique, les « administrations de mission » : aux côtés du Commissariat au Plan et du SGCI qui sont des créations de l’après-guerre, de nouvelles structures, légères et souples, voient le jour, telles la délégation à la recherche scientifique en 1958 et la DATAR créée le 14 février 1963, ainsi que des missions interministérielles (mission d’aménagement du Languedoc-Roussillon par exemple) qui contrecarrent l’hégémonie des Finances. Le phénomène n’est certes pas récent, mais la guerre des services est avivée dans ce nouveau cadre politique plus contraignant. Enfin, le renouveau affiché du Plan, auquel les hauts fonctionnaires du Trésor semblent indifférents – « l’ardente obligation » reste pour beaucoup une déclaration d’intention, mais n’ont-ils pas raison ? – apparaît limité par la décision de V Giscard d’Estaing de le rattacher aux Finances en 1962, sans doute pour mieux le contrôler.
74En parallèle, la conception de l’État du général de Gaulle s’appuie sur une administration forte mais dont la légitimité est soumise à celle de la représentation démocratique, ou mieux encore, à celle des hauts fonctionnaires ministres : jusqu’en 1973, tous les Premiers ministres de la Ve République sont d’anciens hauts fonctionnaires. La multiplication par trois du nombre de hauts fonctionnaires ministres entre la IVe et la Ve République conduit-elle pour autant à la « fusion des pouvoirs politico-administratifs » et à une « politisation » accentuée de la haute fonction publique82 ? Pour les seules années 1960, s’il y a fonctionnarisation des politiques et interpénétration des personnels administratifs et politiques83, il faut se garder de conclure trop rapidement dans le sens d’une politisation accrue des hauts fonctionnaires. En centrant l’analyse sur le ministère des Finances, il devient possible de donner des réponses affinées.
B. LE TRÉSOR FACE AU MINISTRE DES FINANCES
75L’évaluation du rapport entre les hauts fonctionnaires et le ministre des Finances est soumise à des critères très divers : le pouvoir de nomination des directeurs, le rôle du cabinet ministériel, d’une part ; la stature et la longévité du ministre et les relations personnelles qu’il entretient avec le directeur du Trésor, d’autre part ; enfin, le rôle discret mais non moins influent du directeur de cabinet.
76Il est certain que le pouvoir de nomination des directeurs d’administration centrale détermine in fine la relation : le ministre nomme et démet le haut fonctionnaire et a la possibilité de l’écarter des responsabilités84. Mais à l’intérieur de ce cadre, la marge de manœuvre du ministre reste limitée à celle du choix d’un inspecteur des Finances que son âge et sa compétence rendent susceptible d’être nommé... soit une poignée de personnes.
77Cette menace n’est pas virtuelle : sous la IVe République, le départ de F. Bloch-Lainé provoqué par A. Pinay donne un exemple exceptionnel et paroxystique de l’exercice de ce pouvoir. L’hostilité du ministre des Finances aux « fiscalo-dirigistes » de la rue de Rivoli s’est manifestée à rencontre de leur figure emblématique par son remplacement : n’est-ce pas le signe a contrario d’un véritable pouvoir du directeur du Trésor que le politique a voulu casser ? Et si Antoine Pinay ordonne à Pierre-Paul Schweitzer, réticent, de prendre ce poste, lui-même n’a pas le temps de connaître son nouveau directeur du Trésor qui entre en fonction après sa chute... Plus encore, l’arrivée de ce dernier n’a pas, on l’a vu, modifié les modes de gestion de la direction. Le pouvoir de nomination du ministre s’exerce donc dans un cadre contraignant qui lui laisse en définitive une marge de manœuvre étroite. Enfin, comme on a pu le constater dans les chapitres antérieurs, les nominations à l’intérieur de la direction et les nominations dépendant du Trésor (dans les conseils d’administration par exemple) échappent largement au ministre, avant 1958 du moins.
78L’existence des cabinets ministériels permet-elle une plus grande liberté du ministre vis-à-vis des grandes directions du ministère des Finances ? Selon D. Chagnollaud, la « fonctionnarisation » des cabinets des Finances, qui existe depuis la IIIe République, va à l’encontre d’une politisation accrue des hauts fonctionnaires, réduisant l’éventail du choix à celui des administrateurs civils ou des inspecteurs des Finances émanant des directions. Les directeurs sont non seulement consultés sur leur choix85, mais ce sont eux qui souvent proposent les noms : le conseiller technique est ainsi soumis à une double allégeance, à son ministre et à sa direction ; il doit ménager ses intérêts à court terme (un bon passage en cabinet) et à moyen terme (son retour à la direction). D’après les témoignages oraux recueillis, le conseiller technique apparaît surtout comme une courroie de transmission qui facilite les échanges, accélère la circulation des dossiers entre le Trésor et le cabinet, comme l’explique D. Boyer :
« Les conseillers techniques ou chargés de mission correspondaient aux différentes directions du ministère ; en fait ils étaient plus les représentants des directions auprès du ministre que des agents du ministre pour mettre les directions au pas, comme c’est à peu près le cas aujourd’hui, il me semble »86.
79Même appréciation chez l’inspecteur général des Finances D. Leca, dans son essai consacré au ministère des Finances, qui, tout en reconnaissant leur rôle d’Etat-tampon entre les services et le ministre, condamne l’atrophie des cabinets qui « instrumentalise » les ministres par rapport aux directions87. Pour leur part, les hauts fonctionnaires du Trésor ne négligent pas l’importance du cabinet ; l’obtention du poste de chef de cabinet, chargé de la coordination entre le cabinet et les services, fait d’ailleurs l’objet d’une concurrence entre le Trésor et le Budget88. Enfin, contrairement à une idée répandue chez les hauts fonctionnaires de l’époque, le « marquage politique » des hauts fonctionnaires existe déjà sous la IIIe et la IVe République. Ludovic Tron est ainsi classé à gauche depuis le cabinet de Vincent Auriol jusqu’à celui d’André Philip en 1946. François Bloch-Lainé, plus progressiste que l’ensemble de la direction, garde l’image, amplifiée par son conflit avec Antoine Pinay, d’un haut fonctionnaire partisan de l’intervention publique, puis de l’économie concertée. Quant à Jean Saint-Geours, très marqué par son engagement mendésiste puis par son adhésion au club Jean Moulin, il en subira les effets sur sa carrière une décennie plus tard. Il y a donc une forme de politisation soit au sens d’attachement partisan, soit au sens d’engagement dans les différentes options économiques qui se présentent à l’intérieur de la période 1945-1958.
80Rappelons par ailleurs que le directeur du Trésor a ses entrées directes chez le ministre ou le directeur de cabinet, ce qui relativise encore le rôle des conseillers techniques, du point de vue des rapports entre administration et politique : « Très souvent, c’est le ministre lui-même qui appelle le directeur du Trésor ; presque tous les jours ils se voyaient », confirme D. Boyer89.
81Pour cette période, la qualité des relations directes entre le directeur du Trésor et son ministre compte autant que celles avec le cabinet. D’emblée, la nature particulière de la matière gérée par le Trésor implique des relations quotidiennes avec le ministre, qui permettent de créer des liens, de conseiller, de proposer, de « pousser » des dossiers, de négocier. Pierre-Paul Schweitzer décrit ainsi le jeu de rôle et ses limites :
« Si l’on n’était pas d’accord [avec le ministre], on le disait, on essayait de convaincre le ministre, on en discutait [...]. Et quand on avait fini de discuter, le ministre nous disait ou bien qu’il était d’accord avec nous ou bien qu’il regrettait, qu’il n’était pas d’accord avec nous ; c’était comme cela qu’il fallait faire, cela ne se discutait pas un quart de seconde. Mais tant que la décision n’était pas prise... Un directeur qui n’était pas content avait toujours la ressource de démissionner.
– Q. : Vous avez eu la tentation de démissionner ?
– R. : L’idée ne m’a jamais effleurée »90.
82Face à d’éphémères ministres des Finances sous la IVe République, le pouvoir d’expertise de la direction du Trésor s’exercerait-il alors dans cette étroite limite de négociation ? La réalité est bien évidemment plus complexe. Le discours des hauts fonctionnaires sur les ministres est naturellement empreint de respect pour la fonction et la distinction entre administration et politique est clamée haut et fort par les témoins des Finances, qui n’aiment rien moins que les fonctionnaires politiciens. Cependant au fil des témoignages se dégage une typologie des ministres qui permet d’affiner la proximité et donc l’influence de la direction sur les ministres en place : d’une part, les politiques, de l’autre, les techniciens. Les ministres compétents à haute stature politique forcent le respect tels René Mayer, Robert Schuman, et Paul Reynaud dans une moindre mesure. Ils sont estimés et reconnus pour leur action.
83Leur succèdent à partir de 1949 des ministres « politiques », beaucoup moins consensuels avec l’administration, comme Maurice Petsche :
« Du point de vue d’un fonctionnaire de l’époque que j’étais, Pestche est apparu tout à fait comme introduisant beaucoup plus une dimension de politique intérieure dans les décisions. [...] Jusqu’à ce moment-là, j’avais eu le sentiment d’avoir eu affaire à des ministres disciplinés vis-à-vis de l’administration, c’est-à-dire que, comme l’administration ne présentait pas en général des choses absurdes, il fallait vraiment que le ministre eût des raisons bien profondes pour remettre les choses en cause ; c’était un peu la norme en tout cas au ministère des Finances »91, affirme J. Guyot.
84Dans cette même catégorie peut être classé A. Pinay, avec lequel, en dépit de la disgrâce de F. Bloch-Lainé, les hauts fonctionnaires du Trésor travaillent en étroite collaboration sur l’emprunt. Avec E. Faure, l’habile politique se révèle aussi un virtuose du budget, dont la longévité ministérielle autorise des réformes financières et laisse des souvenirs partagés : P-P. Schweitzer déclare s’entendre très bien avec lui mais non J. Saint-Geours, proche de P. Mendès France, qui se trouve mêlé de près aux rivalités entre les deux cabinets en 1954-1955. Le mendésisme des hauts fonctionnaires du Trésor reste finalement très circonscrit : seuls F. Bloch-Lainé et J. Saint-Geours évoquent son passage au pouvoir. Spontanément, certains témoins évoquent plus longuement Pinay que Mendès... serait-ce le reflet d’une ligne de partage au sein du Trésor entre hauts fonctionnaires plus interventionnistes ou plus libéraux ? Si la IVe République offre nombre de ministres gestionnaires peu marqués politiquement, les socialistes sont mal aimés des Finances, comme le rappelle F. Bloch-Lainé : « On trouvait plutôt... préférable qu’il n’y ait pas de socialistes aux Finances, parce qu’ils n’avaient pas très bien géré jusqu’alors »92.
85La seconde catégorie est celle des ministres techniciens qui connaissent la maison des Finances, mais l’arme est à double tranchant : leur compétence permet un dialogue fructueux, une confiance réciproque avec les experts, mais ils savent également tenir tête à leurs services. Félix Gaillard, inspecteur des Finances et René Mayer, conseiller d’État, sont ainsi placés en tête des ministres compétents, tandis que Maurice Petsche, ancien conseiller à la Cour des comptes, cumule les avantages et les inconvénients d’être à la fois technicien et politique...
86Au-delà de la distinction entre ministres politiques et techniciens qui n’est qu’une grille de lecture parmi d’autres du processus de décision, les hauts fonctionnaires du Trésor apprécient avant tout les ministres qui ont le sens de l’État ou de l’intérêt général et mènent une action cohérente sur le plan économique et financier, qu’elle soit axée sur l’intervention de l’État ou sur l’assainissement des finances publiques.
87Lorsque l’entente n’est pas parfaite avec le ministre, le rôle du directeur de cabinet n’en est que plus important, aux Finances en tout cas. Il peut se substituer au ministre pour de nombreuses décisions, comme le rappelle précisément un ancien collaborateur de F. Gaillard :
« Le directeur de cabinet était le seul qui avait autorité sur l’ensemble des grands directeurs du ministère. [...] Pour les grands ministères, il recevait délégation de signature du ministre, ce qui lui permettait de tout signer à l’exception des décrets. Ce qui lui donnait un pouvoir considérable : tous les arrêtés étaient signés par le directeur [de cabinet], le ministre ne les signait pas. Il y avait, surtout rue de Rivoli, des quantités de décisions qui valaient décision du ministre : les décisions, les arrêtés, les autorisations administratives, etc. Et ce qui, dans le domaine des Finances, est considérable, les protocoles. Les circulaires ministérielles, les circulaires d’application, c’était lui »93.
88Sa double légitimité en fait un interlocuteur privilégié des grands directeurs des Finances, qui retrouvent généralement en lui l’un de leurs camarades de l’inspection des Finances. Le Trésor n’offre que deux des siens à ce poste, F. Bloch-Lainé et D. Boyer, mais la facilité d’accès décrite par Pierre- Paul Schweitzer donne un aperçu de la « symbiose » existant entre le Trésor et le directeur de cabinet :
« Le directeur de cabinet était un personnage très important, mais il n’empiétait pas sur les activités des directeurs [...] Il avait un bureau qui était à côté de celui du ministre, la porte était grande ouverte, et on allait quand on avait un problème à lui poser ; s’il trouvait que cela regardait le ministre, on allait ensemble voir le ministre94».
89La simplicité des liens, facilitée par l’appartenance au même corps de l’inspection des Finances s’est-elle brusquement rompue en 1958 ? Le ministère des Finances, et le Trésor, ont-ils subi une pression politique plus forte qu’auparavant ? La conception d’un État fort a-t-elle modifié le rapport de force ? Pour le ministère des Finances et plus particulièrement le Trésor, l’écoute des témoignages oraux et la lecture des archives confirment, en les nuançant, les travaux existants sur la question95.
90Signe de l’attachement apporté à la soumission des hauts fonctionnaires, la nomination de nouveaux directeurs d’administration centrale et de cabinets renouvelés marque les débuts du nouveau régime. Une chronologie rapide des nominations au Trésor et dans ses satellites permet d’en mesurer la portée. L’arrivée de Wilfrid Baumgartner en 1960, qui entraîne le départ de Pierre-Paul Schweitzer et l’arrivée de Maurice Pérouse, paraît tenir d’une double logique politico-administrative : proche de W. Baumgartner, dont il était le collaborateur en tant que secrétaire du Conseil national du crédit, M. Pérouse est également le conseiller technique de M. Debré à Matignon en 1959, chargé de la liaison avec le Trésor. La valse des nominations rue de Rivoli et dans les satellites du Trésor sera également mise en œuvre par Michel Debré en 196796. La nomination de René Larre à la tête du Trésor cette même année s’explique en grande partie par ses compétences en matière internationale que par ses relations professionnelles anciennes avec Michel Debré97. Enfin, la fusion du Trésor et des Finances extérieures, imposée par le ministre des Finances en 1965, écartera, comme nous le verrons plus loin, des hauts fonctionnaires jugés trop marqués par la culture des années 1950.
91Certes, le critère idéologique stricto sensu est nié par les décideurs, comme en témoigne A. Dupont-Fauville, directeur de cabinet de M. Debré de 1966 à 1968 :
« Quand j’étais directeur de cabinet, nous avons nommé sept directeurs. Et bien, nous n’avons jamais pris un critère politique. Le seul que nous n’ayons pas nommé, c’est un communiste parce qu’on pensait qu’il n’accepterait pas le système [...]. Mais que les gens soient socialistes, etc., aucune importance »98.
92Cependant, les nominations apparaissent au moins aussi « politiques » qu’auparavant, dans le sens où elles reflètent un changement d’orientation économique. La nouveauté se fait jour dans les liens de fidélité qui se nouent entre politiques et hauts fonctionnaires et créent des réseaux politico-administratifs plus étroits que sous la IVe, à la faveur d’une longévité et d’une puissance nouvelles des cabinets ministériels.
93Elle est également visible à travers les critères qui procèdent aux nominations, dont la primauté accordée au haut fonctionnaire le plus ancien dans le grade le plus élevé. Ainsi W. Baumgartner est-il sollicité pour être ministre des Finances en 1958 puis en 1960, comme d’autres inspecteurs des Finances99. J. Brunei, lui aussi de la génération d’avant-guerre, lui succède à la tête de la Banque de France en 1960. À l’inverse de ce retour d’anciens, le désir de renouvellement des équipes, en rupture avec la IVe République, aboutit à la mise en place d’hommes neufs, dévoués à la nouvelle équipe. Antoine Dupont-Fauville, directeur de cabinet de Michel Debré à Matignon puis aux Finances, explique ainsi son entrée au cabinet du général de Gaulle en 1958 :
« Parce que j’ai refusé tous les cabinets de la IVe, et on sait que je suis « vierge » si je puis dire ; alors que tous les jeunes inspecteurs des Finances se précipitaient dans les cabinets, j’ai refusé le cabinet de Ramadier, le cabinet de Bourgès, je ne veux pas aller dans un cabinet parce que je considère que ce n’est pas sérieux. C’est ma chance, parce qu’à ce moment-là, il n’y en avait presque pas »100.
94Dans la même ligne, le changement de ministre des Finances entraîne évidemment un renouvellement des équipes du cabinet. Au cabinet d’Antoine Pinay puis de Wilffid Baumgartner, le conseiller technique chargé des affaires du Trésor, Philippe Dargenton, présente ainsi le double avantage d’être un homme neuf qui a des convictions libérales :
« [Pinay] avait besoin de se renforcer, et je crois que mon nom lui avait été donné par mon camarade de promotion avec lequel j’étais à l’époque encore assez lié, qui était Valéry Giscard d’Estaing. Parce qu’à l’époque, il faut bien voir que les cadres de l’administration des Finances étaient catalogués comme relativement à gauche. [...] On en a trouvé deux : un qui représentait le Trésor, qui était votre serviteur et un qui représentait le Budget, qui était mon ami La Genière101».
95À partir des années 1962-1963, les clivages apparaissent à l’intérieur même de la majorité politique du moment, entre gaullistes et giscardiens, voire pompidoliens, les réseaux politico-administratifs s’affirmant plus nettement que sous la IVe République. Valéry Giscard d’Estaing, devenu ministre en titre, s’emploie à nommer à son cabinet certes « les meilleurs dans les directions », selon son directeur de cabinet de l’époque, Jean Sérisé102, mais aussi des hommes neufs, qui lui resteront fidèles jusqu’à l’Élysée103; tandis que son successeur en 1966, Michel Debré conserve sa « garde rapprochée » de Matignon, Pierre Racine, Antoine Dupont-Fauville et Françoise Duléry ; ces deux derniers avaient par ailleurs participé au cabinet de Robert Boulin, secrétaire d’État au Budget (UNR) de 1962 à 1965. Hormis ces étiquettes de sensibilité politique, dont l’importance s’accroît dès 1959, la composition du cabinet du ministre ne diffère guère de celle qui prévalait sous la IVe République : on y retrouve des conseillers techniques et des chargés de mission représentant des directions du ministère. Bien que périodiquement limités par des textes législatifs104, les effectifs augmentent légèrement par rapport à avant 1958 : selon le Bottin administratif, d’environ 15 membres de cabinet, secrétaire d’État compris, leur nombre s’élève à plus de 20 à partir de 1960, le ministère Debré atteignant la trentaine. Comme par le passé, la direction du Trésor entend bien placer un de ses membres au cabinet ; l’épisode de 1966 est à cet égard significatif : lorsque Jean-Paul Delacour, alors au Crédit national, est pressenti en 1966 pour le secteur du Trésor, Maurice Pérouse bataille ferme pour obtenir le poste pour un inspecteur des Finances du Trésor, qui sera Jean- Yves Haberer105. Est-ce en raison de la personnalité des uns et des autres ? Le poids du cabinet paraît alors s’affirmer et le représentant de la direction, comme nous le verrons, semble faire allégeance à son ministre plutôt qu’à sa direction.
96Parallèlement, en vertu de l’ordonnance du 2 novembre 1958 et du décret du 30 mars 1962, le pouvoir de nomination du gouvernement s’élargit à un domaine jusqu’alors réservé au ministre des Finances, celui de la nomination des dirigeants et des administrateurs des entreprises nationalisées, des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et des sociétés d’économie mixte : s’il garde sa capacité de proposition, le Trésor voit son champ d’autonomie se restreindre, en raison de l’intervention politique dans ces nominations.
97Au-delà de l’enjeu des nominations, les rapports de la direction du Trésor avec les ministres des Finances subissent, comme par le passé, une évolution contrastée de Pinay à Debré. Pour ne pas déflorer l’étude de la période, seules quelques pistes seront avancées, qui tracent le cadre général des rapports. A. Pinay place toute sa confiance en P.-P. Schweitzer, qu’il avait fait nommer en 1952. Ce dernier jouera d’ailleurs, comme on le verra, un rôle primordial à ses côtés en décembre 1958. Son successeur, M. Pérouse, proche de W. Baumgartner, lui adresse des notes au style direct et lui propose des orientations de réformes. En revanche, ses relations avec V Giscard d’Estaing apparaissent beaucoup plus distantes, formalisées dans les analyses techniques toujours très fouillées et rigoureuses qu’il adresse au ministre : « Le poids de la signature : quand c’est Pérouse qui signe une note de la direction du Trésor, ce n’est pas la même chose que Larre », souligne Jean Sérisé106. Mais lorsque le directeur du Trésor se révèle très prudent dans ses conclusions, attitude critiquée par les administrateurs, le même ajoute :
« C’était exactement ce qu’il fallait à V Giscard d’Estaing [...] qui adorait décider et qui appréciait beaucoup d’avoir des notes aussi bien construites, parce que là-dessus, il pouvait décider »107.
98En revanche, l’activité bouillonnante de M. Debré, pourtant lié à M. Pérouse, s’accommodera mal, à la longue, de sa prudente réserve.
99En comparaison avec la période qui le précède, les débuts de la Ve République renvoient donc l’image de relations moins sereines, et surtout moins étroites, entre le directeur du Trésor et le ministre des Finances. Au-delà des personnalités qui s’entendent peu ou prou, en fonction de leurs différences d’âge, de culture, et de filiation politico-administrative, le nouveau contexte politique et économique, en réaction aux errements des années précédente, favorise l’idée de reprise en main par le politique de la direction de l’État. Les lancinantes questions de trésorerie de la IVe République se sont estompées, aussi le directeur du Trésor n’a-t-il plus de raison de voir le ministre quotidiennement108 ; tandis que des grandes décisions administratives seront imposées par le pouvoir politique, comme la fusion de Finex et Trésor et les grandes réformes financières de la décennie.
100Face à l’émergence de nouveaux pôles de décision, le Trésor est-il en perte de vitesse ? Peut-on l’intégrer au cercle restreint de décision qui a renforcé son pouvoir grâce au nouveau rôle politique qui lui est dévolu ? La réponse est duale, à l’image de la composition des hauts fonctionnaires de la direction : certains membres de la direction, inspecteurs Finances ou directeurs font partie de ce noyau politico-administratif. La grande majorité des hauts fonctionnaires du Trésor, éloignés des sources du pouvoir politique et de ses réseaux, faiblement mobiles, n’appartiennent pas à ces « grands » fonctionnaires109. Ces deux ensembles correspondent d’ailleurs aux deux sous-groupes de hauts fonctionnaires définis par A. Darbel et D. Schnapper précédemment décrits110, ou bien encore à ceux distingués par F. de Baecque et J.-L. Quermonne appartenant au « milieu décisionnel central »111.
101Tous conservent néanmoins collectivement une autre forme de pouvoir, celle de l’expertise technique, qui peut appuyer ou s’opposer au noyau de décision politico-administratif.
C. LES CONTINUITÉS D’UNE RÉPUBLIQUE À L’AUTRE OU LE POUVOIR D’UNE « ARISTOCRATIE DE LA COMPÉTENCE TECHNIQUE »112
102L’un des fondements du rapport entre administration et politique est la compétence technique du fonctionnaire, sur lequel le ministre s’appuie pour décider mais qui peut constituer également un pouvoir propre du fonctionnaire. « Objet scientifique quasi-impossible »113, la technocratie, chargée de connotations historiques diverses depuis les années 1930, renvoie à une notion floue du pouvoir lié à une science, une expertise technique, particulièrement dans le domaine économique : un technocrate est « un homme d’État ou fonctionnaire qui exerce son autorité en fonction d’études théoriques approfondies des mécanismes économiques, mais sans tenir toujours un compte suffisant des facteurs humains »114. Or, si sa compétence permet l’entrée du technicien dans la sphère politique en tant qu’expert et, par là, sa participation au processus de décision, s’est développée dans les années 1960115 le concept d’une technocratie dernier refuge de la neutralité de l’État. D’où parfois une antinomie entre hauts fonctionnaires, susceptibles d’être politisés s’ils sont proches du cabinet, et technocrates, qui refusent de l’être : ces deux types de pouvoir de l’administration peuvent à notre sens s’opposer ou se compléter.
103Ce pouvoir des bureaux s’appuie d’abord sur une légitimité administrative différente, bien que liée essentiellement à elle, de la légitimité de la représentation nationale, dans ses deux fondements principaux : en premier lieu, la légitimité de l’expertise technique leur offre un pouvoir technocratique qui s’épanouit grâce au développement de l’intervention de l’État et à la complexité croissante des dossiers. Pour les affaires monétaires et financières, réputées difficiles, cette légitimité apparaît particulièrement forte. S’y ajoute la mémoire que chaque bureau détient seul sur des dossiers et qui lui confère le pouvoir d’information et d’orientation des cadres de réflexion. La légitimité du Trésor ainsi posée, ce type de pouvoir technique pose la question de la formation de la décision du ministre. Fierté des rédacteurs alors portés par une forte culture de l’écrit, la traditionnelle note pour le ministre, qui remonte tous les échelons de la hiérarchie, illustre bien comment le choix du ministre est très cadré par ses services ; chaque mot est pesé, chaque argument habilement présenté, et les exposés techniques, si clairs soient-ils, laissent au ministre une marge de décision limitée aux alternatives proposées. Le point de vue du directeur livré en conclusion, « au nom des intérêts dont il a la charge », selon la formule consacrée, achève de donner tout son poids à la note. Pour peu que le conseiller technique défende le point de vue de la direction, le ministre est alors prisonnier de la vision de ses services, comme en témoigne un ancien directeur de cabinet ayant exercé des fonctions sous la IVe République, qui souhaite garder l’anonymat :
« Dans la prise de décision, vous êtes extrêmement tributaire du dossier : la manière dont le dossier est établi, dont les arguments sont présentés [...] La conception qu’a le service de l’affaire est déjà une indication. Où se fabrique la vision du ministère ? Elle se fabrique généralement à des échelons intermédiaires de conception, reprise en charge à chaque échelon. [...] Bien souvent ce n’est pas le directeur du Trésor qui l’a approuvée, qui a été convaincu, mais les services du Trésor, M. X ou M. Y qui a présenté le dossier d’une certaine manière. »
104En bas de l’échelon hiérarchique, on retrouve les mêmes échos chez Jean Mialet, alors au bureau chargé de l’outre-mer au Trésor, qui peut être, lui aussi, influencé par la manière dont les dossiers sont instruits :
« Je participais parfois aux séances organisées par Postel-Vinay [directeur de la Caisse centrale de la France d’outre-mer]. Il fallait que nous donnions notre aval aux décisions qui étaient prises. Et on recevait des kilos de dossiers pour des projets de création de logements, dans tel département. Et il y avait l’équivalent pour les TOM [...] On prenait des décisions avec des grandes certitudes... Je trouve là, en général, que ce n’était pas sérieux, mais on ne pouvait pas faire autrement : vous receviez des paquets de décisions à prendre, des dossiers d’ailleurs bien faits, sur lesquels il fallait donner notre avis. Celui qui fabriquait ces dossiers avait un avantage »116.
105En second lieu, à cette légitimité de la compétence s’ajoute, d’autre part, celle que s’arroge l’administration dans son ensemble, et plus particulièrement celle des Finances, la défense de l’intérêt général. Comme l’écrivent avec justesse R. Catherine et G. Thuillier, « réalité ou virtualité, vérité ou alibi, l’intérêt général est la substance nourricière de l’administration », qui représente tout à la fois « son fondement, son alimentation, son projet, sa justification et sa gloire »117. Vis-à-vis du ministre qui incarne à ses yeux soit des intérêts électoraux ou politiques, soit une conception de l’intérêt général différente, voire opposée à la sienne, l’administration conserve une certaine méfiance, notamment sous la IVe République. D. Boyer exprime ainsi une conception de l’intérêt général opposée à celle des politiques :
« Notre souci au Trésor, c’était de rentrer si possible dans un système vertueux d’allocation de ressources et non pas dans un système de distribution de manne électorale »118.
106Ce sentiment se manifeste également à l’encontre des ministères techniques, qui sont aux yeux des Finances les porte-parole d’intérêts privés ou sectoriels. La méfiance à l’égard du Parlement est particulièrement significative. Les archives de la direction révèlent ainsi que les modifications de textes sont souvent reportées au motif qu’elles obligent au vote d’une loi : souci de protéger le ministre d’éventuelles complications parlementaires ? Crainte d’un débat public ? Si légitime soit-elle, la réticence du Trésor à lever le secret bancaire qui permettrait à la Commission des Finances d’exercer son contrôle sur les banques nationales en est un autre signe révélateur119. Face à l’éphémère politique, l’administration forge sa supériorité sur sa conscience aiguë de la permanence de l’État. S’y ajoute progressivement depuis 1945 la nouvelle dimension économique du ministère des Finances, « gardien des grands équilibres » économiques, financiers et monétaires : le poids et la légitimité des grandes directions de la rue de Rivoli, et plus particulièrement du Trésor, s’en trouvent bien évidemment renforcés.
107Dans la même ligne, l’administration des Finances se considère comme représentante des intérêts nationaux contre les intérêts locaux, se méfiant plus que tout des administrations locales120. De cette haute conscience de sa mission est née une culture jacobine qui amène à défendre les intérêts supérieurs de la Nation, qui se confondent parfois avec ceux de l’État, voire d’une direction. Car le contenu de l’intérêt national est bien évidemment subjectif et évolutif : pour le Trésor, l’intérêt général évolue au fil du temps, en fonction d’impératifs extérieurs auxquels la direction adhère, telles la reconstruction et la modernisation de la France, ou bien en fonction de sa propre perception de l’intérêt de l’État qui peut également recouvrir les intérêts dont le Trésor a la charge, soit l’aisance de la trésorerie, l’assainissement des finances publiques ou bien encore la lutte contre l’inflation121. Dans le même souci de défense des intérêts dont il a la charge se manifestera la réticence du Trésor à l’égard du développement des compétences de la Communauté économique européenne en matière bancaire, ou bien encore à l’égard des investissements étrangers en France. On touche là au cœur du fonctionnement de la direction, dont la légitimité lui procure une force, une assurance et une détermination qui ébranleraient la volonté de plus d’un ministre. Cependant, il est bien évident que la direction ne peut abuser de cet argument d’intérêt général, qu’elle doit partager d’ailleurs avec d’autres administrations, et ne le brandit que lorsque l’enjeu est jugé important.
108Non moins importante pour l’analyse, la perception de leur pouvoir d’expertise par les membres de la direction, plus ou moins explicitée par les témoins interrogés, reflète la distinction entre deux groupes de hauts fonctionnaires plus ou moins décisionnaires ; est-elle liée à l’emploi, au grade, ou au corps d’origine ? Où se trouve la ligne de partage entre le rédacteur et le sous-directeur ? Est-elle la même pour chaque sous-direction ? Le premier groupe de hauts fonctionnaires, de « décideurs », réformateurs, mobiles et en relation avec les politiques, laisse transparaître volontairement dans son discours la marge d’action qu’ils ont pu avoir. Bien que les réponses soient biaisées par le principe de l’entretien biographique centré sur le témoin et ses fonctions, chez la plupart des inspecteurs des Finances qui occupent des postes importants au Trésor, le rôle qu’ils ont joué ou voulu jouer dans le processus de décision est ainsi clairement exprimé ; face au même questionnaire, leur discours tranche avec celui des administrateurs civils du second groupe, qui ne revendiquent pas un rôle décisionnaire, et qui ne semblent pas en avoir eu effectivement, si ce n’est à la marge. En corollaire, rappelons que l’irruption de hauts fonctionnaires dans l’engagement public est alors plus fort au Trésor que dans les autres directions du ministère : F. Bloch-Lainé, J. Saint-Geours, à travers leurs publications et leurs prises de position publiques sur la réforme de l’État ou de l’administration des Finances, marquent leur distance par rapport à leur rôle social ainsi qu’une forme d’action militante122. F. Bloch-Lainé offrira par la suite un discours très construit et réflexif sur la nécessaire séparation du politique et du haut fonctionnaire, qui l’a conduit logiquement à refuser le poste de ministre des Finances en 1960 et à condamner le système des « dépouilles »123. La stabilité de la haute fonction publique n’est-elle pas la meilleure garante de son pouvoir ?
109La répartition des rôles entre les échelons inférieurs n’est ni linéaire ni homogène suivant les fonctions. Comment évaluer le rôle exact des sous-directeurs ? Il est certain que le degré de confiance du directeur envers tel ou tel haut fonctionnaire, et son style de management jouent un rôle important dans ces règles non écrites. Citons le témoignage de D. Boyer pour son analyse fine de sa marge de manœuvre, à l’époque de P.-P. Schweitzer :
Q. : En tant que sous-directeur du Trésor, est-ce qu’il vous est arrivé de prendre une décision vous-même ? Est-ce que [le sous-directeur] avait une certaine capacité de décision ?
R. : Oui, bien sûr, à partir du moment où l’on connaît la ligne directrice : il y a la ligne du gouvernement, la ligne du ministre et la ligne de la direction, et puis ensuite il y a les affaires [...]. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir pris des décisions aventurées contre la tendance que je connaissais des gens qui étaient au-dessus de moi. Je ne crois pas non plus avoir fait une politique personnelle. Mais je crois, dans un certain nombre d’affaires, avoir pris des positions qui ont entraîné des conséquences, et dont j’ai pris la responsabilité vis-à-vis de mes supérieurs, sans avoir ressenti qu’ils trouvaient que c’était une direction fausse [...]. On n’était pas uniquement un rouage. On avait, on a toujours aujourd’hui d’ailleurs, le sentiment d’être un élément important de la décision »124.
110Pour corroborer ce témoignage, Louis de la Coste Messelière, chef du bureau central, explique qu’il existait, du temps de Pierre-Paul Schweitzer, une délégation non écrite de signature pour les sous-directeurs suivant l’importance du dossier, la « remontée » étant à l’appréciation du haut fonctionnaire125. En revanche, Maurice Pérouse, qui a la réputation de corriger la moitié des notes de ses sous-directeurs et de relire tout ce qui sort de la direction, a sans doute exercé une forte emprise sur ses sous-directeurs126. Si, dans ce domaine si fluctuant du processus de décision administratif, l’évolution des individualités et des affinités empêche des conclusions définitives, la règle alors en cours au Trésor semble bien attribuer au sous-directeur une capacité de décision.
« La structure était restée celle du rédacteur, le type qui faisait une lettre avec peu d’informations, qui la mettait dans le circuit, et après, on affinait. Le chef de bureau, la tactique, le sous-directeur, la stratégie, et la pointe personnelle du directeur ou du ministre »127, explique Jean Mialet, administrateur civil au bureau chargé de l’outre-mer.
111Cette perception figée du fonctionnement de la direction reste-t-elle valable ? Si le bureau a sans doute plus de pouvoir au Trésor que dans d’autres administrations, celui-ci reste d’autant plus difficile à évaluer qu’il varie suivant l’importance respective de chaque bureau. Néanmoins, le chef de bureau, s’il est en marge de la décision politique et du noyau décisionnel, reste le gardien de la mémoire des dossiers, l’expert, le spécialiste, la figure emblématique du pouvoir bureaucratique. Les archives écrites livrent quelques exemples de notes émanant du chef de bureau, qui donnent sa ligne de pensée sur tel ou tel dossier et parfois réécrites par le directeur, qui soit adoucit, « neutralise » la pensée du rédacteur ou bien à l’inverse lui donne un tour plus politique. Mais l’avantage conféré par la fabrication du dossier apparaît bien réel.
112Dans ses relations avec l’extérieur se manifeste également le poids d’un administrateur du Trésor. Certains prennent conscience de leur pouvoir à l’occasion de réunions interministérielles, au cours desquelles ils s’étonnent, jeunes administrateurs civils peu gradés, de voir leur opinion prévaloir128. L’âge avançant, ils voient également leur autonomie croître. Sans doute ce pouvoir, qui se limite généralement à celui de refuser ou d’accepter des prêts, des augmentations de capital, des autorisations d’émissions, ne constitue ni une force de proposition ni un contre-pouvoir politique en soi. Mais l’accumulation de ces micro-pouvoirs confère à la direction un pouvoir collectif.
113Les relations du cabinet, et plus particulièrement de son directeur, avec l’administration contribuent également à modeler le rapport et à donner plus ou moins de poids aux services : il y a par exemple le refus de prise en compte de ce pouvoir par les hauts fonctionnaires très politiques comme Antoine Dupont-Fauville, pour lequel, « l’important, c’est le politique »129 ; ou bien sa prise en compte au même titre que d’autres considérations, comme que l’explique Jean Sérisé, directeur de cabinet de Valéry Giscard d’Estaing :
« Vous devez constamment juger à la fois du point de vue de l’intérêt général, du point de vue du ministre et puis encore une fois, de l’intérêt général d’abord et donc des services »130.
114Au-delà de ces tendances impressionnistes, quelques constats simples peuvent tenter de délimiter les modes d’exercice de ce pouvoir. Plus un dossier est complexe techniquement, plus le politique est dépendant de son administration, sauf si très compétent ou en poste durablement. Enfin, autre constat relevé plusieurs fois, plus un dossier est sensible politiquement, moins la direction a de marge de manœuvre sur la question. Les exemples les plus évidents sont ceux des interventions économiques ou du secteur de l’outre-mer, qui sont des dossiers qui intéressent généralement peu le ministre, ou bien de manière ponctuelle, autorisant une liberté d’action de l’administration. Cependant, la ligne de partage entre dossiers importants ou non est également évolutive : le pétrole et la sidérurgie peuvent être considérés comme des secteurs importants ou sensibles politiquement, et le développement économique de l’Algérie devient rapidement un enjeu politique. De même, avec l’avènement d’une politique industrielle volontariste, beaucoup de secteurs vont devenir des priorités.
115Sur les questions de trésorerie, le Trésor dispose, on l’a vu, de peu de marge, techniquement et politiquement, mais il en maîtrise tellement bien les mécanismes que le politique n’en a guère non plus, si ce n’est de s’adresser à l’autre expert, la Banque de France... Autre exemple de la limite de la capacité de décision ou de réforme de la part du Trésor, celui des Caisses d’épargne, qui apparaissent alors comme un sujet tabou, car très politique131.
116Au-delà de ces différences sectorielles, plusieurs types de pouvoirs peuvent être dégagés. 1° La direction du Trésor dispose d’une autonomie ou d’une autogestion sur des micro-décisions ou des secteurs délaissés : une marge de manœuvre importante, mais sur des dossiers marginaux ou ponctuels. 2° Plus les dossiers sont complexes techniquement, plus ils sont ancrés dans les bureaux, plus la direction construit la vision du ministre d’un dossier : c’est là que s’exerce pleinement son pouvoir technocratique. 3° En tant que conseil d’un ministre, elle participe peu ou prou à la décision politique, au gré des affinités, des personnalités des hauts fonctionnaires décideurs et du ministre en exercice. Si la décision remonte au Premier ministre ou au Président, le directeur devient le « conseiller du prince », honneur suprême, mais ce rôle ne lui est pas dévolu systématiquement. Elle intègre alors la dimension politique dans ses prises de position, elle épouse la ligne politique du moment, et réduit d’autant son autonomie de pensée. Ces moments de symbiose peuvent cependant lui permettre de faire passer des éléments importants de sa doctrine, sans qu’elle ait le sentiment d’y perdre son âme...
117Dans la ligne définie par de Baecque et Quermonne132, la neutralité de la haute fonction publique apparaît bel et bien un mythe dans le cas de la direction du Trésor, qui peut être considérée comme force politique de soutien ou d’opposition passive par inertie, structurelle et conjoncturelle, à la politique économique et financière menée. L’étude interne des rapports de pouvoirs conduit à infirmer l’idée d’une entité monolithique : d’une part se dégage au Trésor un groupe de hauts fonctionnaires décideurs, les inspecteurs des Finances et le sous-directeur de la 1re sous-direction du Mouvement des fonds ; de l’autre, une nébuleuse de centres de gestion atomisés, dont l’autonomie et le pouvoir d’expertise varient suivant les secteurs suivis. Enfin, rappelons que chacune de ces entités administratives qui prend des microdécisions ne constitue qu’un maillon du pouvoir collectif de la direction : en elle-même, leur influence est marginale. Mais la puissance symbolique du Trésor vis-à-vis de l’extérieur s’appuie sur l’ensemble de ces petits centres de conception, de décision ou de gestion. L’intérêt d’une étude de direction d’administration centrale s’en trouve renforcé.
118« L’existence d’écrans protecteurs ne renseigne pas sur l’existence de pouvoirs administratifs individualisés, puisqu’ils peuvent aussi bien protéger des décideurs réels que contribuer à voiler leur absence de pouvoir réel, c’est-à-dire ne servir qu’à leur conférer un pouvoir symbolique », écrivent A. Darbel et D. Schnapper133. Si l’analyse ne peut en effet être rigoureusement et scientifiquement démontrée, nous avancerons cependant que le pouvoir de la direction qui nous paraît le plus effectif est celui légitimé par son expertise en matière monétaire et financière, assise sur son quasi-monopole de la compétence dans un domaine régalien. Si ce pouvoir conféré par l’expertise existe dans d’autres domaines, d’autres directions, d’autres ministères, la proximité culturelle et sociale de la direction avec le « politique » renforce son influence. Le Trésor est en effet à notre sens une direction politique, qui tend au conformisme politique (opportunisme) mais sait parfois devenir un contre-pouvoir (résistance, inertie), qui oscille entre pesanteur administrative (tradition) et attirance pour le risque et la réforme (modernité), suivant le poids des bureaux, la personnalité de son directeur et le contexte politique et économique dans lequel elle évolue. Ces exercices d’équilibrisme constatés dans les années 1930 et 1940 vont-ils se poursuivre ?
119Dans un premier temps, l’année 1958 donne la mesure et les limites du pouvoir d’expertise de la direction. Car au-delà de ses ruptures politiques et institutionnelles, cette « année charnière » est censée ouvrir une ère nouvelle dans l’histoire économique et financière.
III. 1958, un tournant économique et financier ?
120Si l’on reprend la chronologie précise des dernières années de la IVe République, la rupture apportée par le plan de décembre 1958 apparaît évidente. Depuis 1956, la situation économique et financière s’est aggravée, l’inflation atteint 15 % en 1958, le déficit budgétaire s’élève à 974 milliards de F. en 1957, celui de la balance des paiements courants est 1 204 millions de dollars. Les recommandations du directeur général du FMI, Pier Jacobsson, venu en mission à la Banque de France en 1957, relayées par Wilfrid Baumgartner, n’ont guère été suivies d’effet134. Pierre-Paul Schweitzer, alors consulté sur les questions ayant trait au Trésor et au financement public des investissements, n’en reste pas moins en retrait de cette initiative. Par ailleurs, sur les questions lancinantes de finances publiques et d’impasse, le directeur du Budget monte en première ligne pour alerter de la gravité de la situation des finances publiques. En décembre 1956, puis en février 1958, celui-ci adresse au ministre des rapports alarmants sur les perspectives budgétaires de 1958 à 1961, dans lesquels il préconise fermement des mesures qui dépassent largement le cadre budgétaire pour effectuer une réduction de l’impasse135. La vision de Roger Goetze élargie aux questions macroéconomiques inclut les aspects jusque-là réservés au Trésor : « À la vérité, écrit-il à son collègue du Trésor le 27 mai 1957, le problème de l’équilibre des finances publiques n’est sans doute qu’un des aspects du problème général de l’équilibre économique, dont le rétablissement exige, non pas certes l’abandon d’une politique d’expansion, mais la limitation de cette expansion à un rythme compatible avec le développement de notre épargne »136. De ce point de vue également, le directeur du Trésor apparaît en retrait. Lassitude, désillusion, désintérêt de la part d’un homme marqué par son incarcération pendant la guerre ? Peut-être. N’oublions pas non plus que les questions monétaires, en raison de leur caractère confidentiel, sont traditionnellement peu traitées par écrit. En réalité, Pierre-Paul Schweitzer se préoccupe prioritairement de la balance des paiements, dont il sait depuis novembre 1957 qu’elle nécessitera des secours extérieurs137. En janvier 1958, il participe à la délégation française, conduite par Jean Monnet, chargée d’obtenir du FMI une deuxième tranche de crédit de 131,25 millions de dollars.
121Emporté par la tourmente algérienne, le redressement financier opéré par Félix Gaillard, qui prépare celui de décembre 1958, ne peut cependant éviter la débâcle financière. Après l’avènement du gouvernement de Gaulle, le rôle de la direction du Trésor est plus facilement identifiable. Dès l’été 1958, des notes confidentielles du Service des études économiques et financières circulent entre les grands directeurs de la rue de Rivoli et le cabinet du général sur les perspectives budgétaires et monétaires138. En parallèle, profitant de l’ordonnance du 3 juin 1958 qui confère les pleins pouvoirs au gouvernement, J. Saint-Geours et F. Bloch-Lainé proposent une réforme radicale des structures administratives économiques et financières, dans le prolongement de celle élaborée par F. Bloch-Lainé en 1956 à la demande de P. Ramadier et de V Auriol139. Parmi les sujets qui concernent de près la direction du Trésor, on note que deux projets d’ordonnance autorisent la création d’une banque d’investissement, ou fonds national d’investissement, sous la tutelle d’un secrétaire général du Trésor, la création d’un Comité économique qui fait la part belle aux Finances, et le rattachement d’une partie du Budget, la « direction du Budget économique et financier », à un vice-président du Conseil chargé de l’Economie et des Finances140. Cette belle construction intellectuelle restera dans les tiroirs, comme la plupart des projets de réformes sur les structures administratives des Finances. Le contexte politique et financier est néanmoins propice à une réforme administrative, la suppression de la direction de la Coordination et du Contrôle des entreprises publiques, qui consacre quasi définitivement la victoire des Finances sur les Affaires économiques. Soucieux d’économies budgétaires, le ministre des Finances décide en effet en 1959 de faire disparaître cette direction du ministère des Affaires économiques ; elle faisait d’ailleurs double emploi depuis sa création avec des services du Trésor et du Budget, comme son directeur de l’époque, Pierre Du Pont, s’en fait lui-même l’écho :
« C’était très difficile, le secteur dont nous nous occupions avec les nationalisations était tout le temps lié à des problèmes financiers d’intervention du ministère des Finances, de telle sorte que la direction dont je faisais partie a végété et n’a pas pu avoir le rôle qu’elle aurait dû avoir normalement. Le ministère des Finances a repris par les armes qu’il avait, notamment la Bourse, les emprunts ; il est arrivé très vite à remettre la main sur tous les problèmes importants »141.
122La note envoyée par le directeur du Trésor au cabinet du ministre confirme cette volonté de faire reprendre l’ensemble des questions concernant les entreprises publiques par le Budget et le Trésor, et Pierre-Paul Schweitzer profite de la réforme pour redéfinir clairement les attributions spécifiques du Trésor : « la direction du Trésor a une compétence générale en matière de sociétés d’économie mixte, le portefeuille de titres d’État étant considéré traditionnellement comme un élément de trésorerie. Plus généralement, le Trésor est compétent pour tout ce qui concerne la trésorerie des entreprises du secteur public, les émissions d’emprunt ou les augmentations du fonds de dotations de ces entreprises, et par suite, l’étude de leurs programmes d’investissements »142. En réponse au projet de Bloch-Lainé et Saint-Geours, dans un contexte de changement et de réformes annoncées, le directeur du Trésor entend asseoir la compétence du Trésor.
123Dans le même souci, la tentative de suppression du Service des études économiques et financières par Antoine Pinay est évitée grâce à l’intervention de Pierre-Paul Schweitzer143. En définitive, le territoire de la direction du Trésor sort renforcé d’une période féconde en projets de réorganisation.
124C’est surtout le plan Pinay-Rueff de décembre 1958 qui marque une rupture, par sa cohérence, son caractère radical, et surtout par sa réussite. Sans revenir sur l’ensemble des mesures décidées qui sont largement connues, nous nous attacherons à éclaircir la place du Trésor et les aspects monétaires et financiers du plan.
125Le plan de décembre de 1958 offre un bel exemple de symbiose entre préparation, processus de décision et mise en œuvre entre le comité Rueff, le général de Gaulle et l’administration144. Si les hauts fonctionnaires sont minoritaires au sein du Comité d’experts, le rôle d’un noyau issu de la rue de Rivoli dans la préparation et l’incitation à la décision apparaît à travers les différents témoignages145. Parmi eux, le directeur du Trésor assiste à toutes les séances du Comité, et joue même, selon certains témoignages, un rôle actif sur le plan monétaire et financier. De manière détaillée et très affirmative, Jean Sérisé, alors au Service des études économiques et financières, fait ainsi état de l’influence du Service dans le choix du taux de dévaluation et de celle de Pierre-Paul Schweitzer auprès d’Antoine Pinay pour le convaincre de dévaluer146. Pierre-Paul Schweitzer lui-même, qui reconnaît avoir participé à tous les travaux du Comité, n’évoque pas cependant cet épisode, mais son influence auprès de J. Rueff :
« Je n’ai jamais participé aux théories de Rueff, on s’aimait bien, il m’aimait bien. C’est toujours moi qu’on expédiait à Rueff quand il fallait expliquer quelque chose, ou bien quand on faisait quelque chose qui était contraire à ses idées et qu’on éprouvait le besoin de lui expliquer, je ne sais pas pourquoi, c’est moi qu’on envoyait [...] Je ne me rappelle plus très bien, je me vois plusieurs fois d’expliquer à Rueff par exemple, que le moyen terme n’était pas une catastrophe totale »147.
126Par rapport aux autres hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli, divisés sur les mesures décidées, le directeur du Trésor a été dans le camp des partisans du plan, et, de manière plus mesurée, dans celui des partisans de l’ouverture européenne : « Je n’ai jamais été très excité sur l’Europe. Il fallait y aller »148. Enfin, si E Bloch-Lainé est consulté sur le plan par le général de Gaulle, et approuve les mesures proposées149, les membres de la direction du Trésor qui sont alors en poste ne se souviennent pas d’avoir participé à la mise en œuvre du plan Rueff mais, surtout, s’avèrent amnésiques sur le plan lui-même. Doit-on s’étonner que les mesures de 1958 aient laissé si peu de traces dans leur esprit ?
127Si l’on se penche sur le contenu du plan, il apparaît clairement que dans le domaine du crédit et des questions monétaires internes, il reste silencieux. Le rapport Rueff-Armand de 1960 qui fait état des obstacles à l’expansion écarte également ce secteur de ses travaux. Pourquoi ce domaine, qui pourtant est celui de prédilection de J. Rueff, est-il alors délibérément écarté ? Les réponses apportées a posteriori par les témoignages des acteurs de l’époque l’expliquent par la profonde mésentente entre J. Rueff et le gouverneur de la Banque. Si l’antagonisme personnel entre W. Baumgartner et J. Rueff depuis les années 1930150 justifie en partie l’opposition résolue de la Banque à une mainmise du Comité sur son domaine de prédilection, la raison n’est pas suffisante. Des enjeux autrement plus importants, que nous analyserons plus loin, contribuent à expliquer cette mise à l’écart de la monnaie et du crédit des réformes de 1958 ; mise à l’écart qui se maintiendra durant une grande partie de la décennie. De ce point de vue, le plan de 1958 révèle toute son ambiguïté et offre un bel exemple de « plaque tournante », aboutissement de réformes rêvées auparavant, point de départ de nouvelles doctrines, ou bien conduisant à une impasse dans un domaine essentiel et combien critiqué.
128Ainsi la décennie s’ouvre-t-elle sur un décalage entre les ruptures voulues et opérées sur les plans institutionnel, économique et budgétaire, d’une part, et l’apparente continuité du dirigisme monétaire et financier, d’autre part. Ce décalage va-t-il se résorber au fil des années 1960 ? Quels seront la position et le rôle du Trésor au sein de ses deux sphères de compétence principales, l’intervention économique et la politique monétaire ? Quelle stratégie la direction va-t-elle adopter : maintenir ses acquis, accompagner les réformes ? De quel côté va-t-elle pencher, vers son conservatisme administratif ou vers son sens politique, vers ses traditions ou vers la modernité ? Autant de questions qui ouvrent de nouvelles perspectives pour une période encore peu étudiée du point de vue économique et financier.
129Avant de l’aborder, l’étude spécifique du secteur de l’outre-mer sur l’ensemble de la période nous semble opportune à plusieurs titres : il constitue l’un des domaines d’intervention privilégiés du Trésor ; il est significatif de sa stratégie, de ses contraintes comme de ses extensions possibles, d’autant que ce secteur, qui subit une évolution politique forte entre 1945 et 1962, a d’une certaine manière provoqué le « tournant » de 1958 et infléchi indirectement l’identité de la direction.
Notes de bas de page
1 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
2 AEF, fonds Administration générale, B 54 806.
3 AP Pérouse, Affaires administratives.
4 Id.
5 AEF, fonds Administration générale, B 54 806. Les écarts sont sans doute dus à la prise en compte ou non des administrateurs civils détachés dans des cabinets ministériels, qui ne sont pas remplacés dans la direction.
6 AEF, fonds Administration générale, B 48 374, note sur la structure et les effectifs des cadres supérieurs du ministère des Finances émanant de la direction du Personnel et du Matériel, n.s., 9 p., vraisemblablement de 1960. Cependant la note compare les effectifs de 1960 à ceux de 1940 et 1945 ; or la période de la guerre n’est sans doute pas la meilleure référence, les administrations financières ayant alors accru leurs effectifs en raison de l’économie dirigée. La comparaison semble ainsi faussée.
7 Id. Constatée de facto au Trésor, l’inégalité d’attributions entre les bureaux est ici officiellement admise.
8 AEF, fonds Administration générale, B 48 374, rapport au ministre de la direction du Personnel et du Matériel, n.s., n. d. mais sans doute 1960, 11 p. dactylogr. Le problème soulevé en 1947 par le directeur du Personnel n’a pas été résolu. Voir chapitre III.
9 Entretien biographique de J. Moreau avec A. Le Masson, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Jacques Moreau, ENA (promotion 1951) est administrateur civil à la direction du Trésor de 1953 à 1962, puis chef de bureau de 1962 à 1966. Nommé conseiller financier pour l’Afrique en 1967, il devient sous-directeur de 1971 à 1974.
10 Entretien thématique de M.-H Schroeder avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Max-Hubert Schroeder, ENA (promotion 1954), est administrateur civil au Trésor de 1956 à 1960 ; il sera détaché pour des missions dans des pays d’outre-mer ou des anciennes colonies de 1960 à 1964. Entretien biographique de C. Piétra avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Claude Piétra, ENA (promotion 1954), entre à la direction du Trésor en 1954 ; en 1961, il est détaché à la direction des Finances de l’Algérie jusqu’en 1956, puis à la CEE à sa demande, avant d’être nommé chef de bureau en 1964.
11 Entretien thématique de J. Mialet avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Jean Mialet, ancien élève de Saint-Cyr, déporté, ENA (promotion 1953), administrateur civil au Trésor de 1955 à 1959, membre du club Jean Moulin, fondateur des groupes « Rencontres » sur la question algérienne (voir chapitre VII), il s’implique également dans la vie du ministère, puisqu’il est chargé de la section des Finances de l’ENA et fonde avec P. Dehaye le Bulletin vert en 1959. Il est l’un des énarques du Trésor en première ligne sur la question du statut des administrateurs civils.
12 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994. Philippe Dargenton, ENA (promotion 1949), inspecteur des Finances, entre au Trésor comme chargé de mission en 1956 ; après deux ans de cabinets ministériels en 1959-1961, il sera nommé sous-directeur en 1962.
13 Entretien thématique de J. Saint-Geours avec l’auteur, entretien n° 4, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994. La nomination de J. Saint-Geours à trente et un an à ce poste s’explique sans doute par le fait qu’il était sorti major de l’ENA.
14 Entretien biographique avec Ph. Masquelier, entretien n° 1 cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. L. Frotier de la Coste Messelière, ENA (promotion 1953), est administrateur civil au ministère des Affaires économiques de 1955 à 1960 avant d’intégrer le Trésor. Il est nommé chef du bureau central en 1966 et donc à ce titre chargé des affaires de personnel. L’acuité de la compétition ne s’est donc pas ralentie dans les années soixante.
15 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Etienne Delaporte, ENA (promotion 1951), administrateur civil au Trésor en 1953, ne devient chef de bureau qu’en 1962 mais sera nommé sous-directeur en 1967.
16 A. Darbel et D. Schnapper, Le système administratif, Paris, Mouton, 1972, p. 114.
17 Plusieurs témoins signalent son rôle dans la « crise ». Voir J. Moreau, entretien biographique avec A. Le Masson, entretien n° 5, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994, et J. Mialet, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
18 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, aide-mémoire du 31 juillet 1958, 4 p. dactylogr., destiné à la direction du Personnel et rédigé par les administrateurs civils de la direction dont J. Mialet est le porte-parole.
19 Id.
20 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, déjà cité.
21 Selon le témoignage de J. Moreau, entretien n° 1, cassette n° 2, déjà cité. L’organisateur de ces réunions serait R de Vogüé.
22 Selon L. de La Coste Messelière, entr. cité.
23 Les dossiers de personnel signalent les fonctions occupées en cabinet ; l’Annuaire des Finances et les témoignages oraux permettent de compléter les informations.
24 J. Guyot, conseiller technique au cabinet de R. Schuman en 1947 et 1948 est nommé sous-directeur en 1949. D. Boyer, conseiller au cabinet d’H. Queuille en 1951, devient sous-directeur la même année. J. Saint-Geours, chargé de mission au cabinet de P. Mendès France en 1954-1955, est nommé sous-directeur en 1956. Les plus jeunes doivent attendre plus longtemps : Ph. Dargenton, conseiller technique au cabinet de P. Abelin en 1955, d’A. Pinay en 1958-1959 et de W. Baumgartner en 1960, attendra 1962 pour être nommé sous-directeur. Tandis que M. Viénot, conseiller technique au cabinet de P. Ramadier en 1957, de F. Gaillard et de M. Bourgès-Maunoury en 1958, ne sera nommé qu’en 1965.
25 L. Tron, conseiller technique au cabinet de V. Auriol, doit à l’arrivée d’A. Philip aux Finances, sa nomination au poste de directeur. Jean Saint-Geours, marqué à gauche, n’accédera pas à la direction du Trésor en 1965.
26 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, aide-mémoire du 31 juillet 1958.
27 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, étude sur la situation des administrateurs civils à la direction du Trésor, n.s., 28 octobre 1957, 13 p. dactylogr.
28 Id. De même les administrateurs civils du Budget ont-ils réussi à éviter la nomination d’un inspecteur des Finances comme sous-directeur. Comparativement, le Trésor apparaît ainsi comme un repaire de l’inspection, alors qu’il n’accueille que trois de ses membres...
29 E. Delaporte, entretien n° 3, cassette n° 3, déjà cité.
30 E. Leroux, qui n’y est pas répertorié, travaille assez rapidement pour le SEEF.
31 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, étude sur la situation des administrateurs civils à la direction du Trésor. Il s’agit des postes de comptables supérieurs, de contrôleurs financiers, de conseillers à la Cour des comptes ainsi que du secrétariat des commissions des Finances du Parlement.
32 Id. Ce reproche donne la mesure de l’importance accordée aux débouchés offerts par une direction dans l’évaluation de son prestige interne.
33 Le départ dans une entreprise privée oblige normalement à démissionner de l’administration. Mais cette dernière se montre assez conciliante et assimile certaines entreprises à des organismes publics afin de faciliter les départs. Ainsi les départs en service détaché pour le Crédit populaire ou le Crédit national ont-ils été autorisés sans trop de difficulté. La prise de risque liée à un départ dans le privé est donc très faible pour cet échantillon de hauts fonctionnaires.
34 Si l’on se réfère à l’analyse d’A Darbel et D. Schnapper, Les agents du système administratif, op. cit.
35 La répartition des établissements bancaires selon leur statut juridique n’est pas entièrement satisfaisante. Si la Caisse des dépôts est un établissement public qui entre dans la catégorie du secteur para-public, le Crédit national est une entreprise privée ; mais en tant que « satellite du Trésor » dirigé continûment par des hauts fonctionnaires du ministère des Finances, il est classé ici dans les entreprises para-publiques.
36 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, note du 28 octobre 1957, p. 8.
37 Sur les 71 administrateurs civils exerçant des fonctions entre 1945 et 1967, 52 seulement ont pu être retrouvés dans les états de service conservés aux Archives économique et financières. 43 dossiers de personnel ont été autorisés à la consultation. Pour les inspecteurs des Finances, 3 sur 15 des dossiers ont pu être consultés ; pour ces derniers, étant donné le faible intérêt du contenu, la consultation du Who’s who s’est avérée plus fructueuse ; les origines sociales sont cependant moins précises.
Les dossiers de deux administrateurs issus de l’École nationale de la France d’outre-mer n’ont pas été retrouvés, mais leur présence passagère au Trésor n’est pas représentative de l’ensemble des cadres dirigeants de la direction.
38 Les travaux publiés sur la question sont nombreux, aussi convient-il de comparer ces chiffres à ceux établis sur des corpus proches et des périodes correspondantes. Selon J.-F. Kesler, parmi les énarques reçus entre 1952 et 1965, 38 % étaient nés en région parisienne. L’ENA, la société, L’État, Berger-Levrault, Nancy, 1985 (tableau p. 260). On retiendra surtout les précieux travaux de A. Darbel et D. Schnaper établis d’après les recensements de l’INSEE de 1964 et de 1968, Les agents du système administratif, op. cit. Selon leurs conclusions, le pourcentage de parisiens est supérieur pour les hauts fonctionnaires du ministère des Finances (administrateurs civils et inspecteurs des Finances) à celui des autres ministères, soit 54,5 %. (p. 92).
39 Selon eux, 45,2 % sont issus de familles liées à la fonction publique, ce qui correspond bien à ces résultats. En revanche, on ne retrouve pas le même pourcentage à l’intérieur de la catégorie supérieure, pour laquelle ils évaluent à 55,4 % la proportion de fils de cadres supérieurs de l’administration. Voir Les agents du système administratif, op. cit., p. 92.
40 Voir J.-F. Kesler, L’ENA, la société, l’État, op. cit, p. 211 et suiv.
41 E. Chadeau, Les inspecteurs des Finances au xixe siècle, 1850-1914. Profil social et rôle économique, op. cit.
42 Cette intéressante distinction ne recoupe pas complètement celle des différents recrutements étudiés ici, qui ont chacun leurs exceptions. Elle fait également apparaître l’importance de la pratique religieuse dans l’appartenance au groupe dominant, ce que nous ne pouvons confirmer dans notre étude.
43 Ceci ne peut malheureusement pas être démontré rigoureusement, le classement de l’ENA à la sortie n’ayant pu être systématiquement retrouvé sur l’ensemble de la période. Cette affirmation est le fruit du croisement de témoignages oraux recueillis par le Comité pour l’histoire économique et financière.
44 Selon l’article 25 du décret du 14 février 1959. On ne sait cependant si la mise en disponibilité était auparavant soumise à restriction.
45 AEF, dossier de personnel de M. Coppin, 1 C 19 507, note de F. Bloch-Lainé à la direction du Personnel et du Matériel.
46 Entretien avec l’auteur, entr. cité. La difficulté de valider les propos du témoin, pourtant bien placé en tant que délégué de la section ENA des Finances, réside dans le fait que les administrateurs civils du Trésor ont naturellement tendance à valoriser leur direction.
47 Selon le témoignage de M.-H. Schroeder, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
48 Entretien biographique avec Ph. Masquelier, entretien n° 4, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996.
49 Selon deux témoignages concordants.
50 AEF, fonds Trésor, B 11 715, note pour le ministre du 26 octobre 1961, confirmé par le témoignage de Ph. Dargenton, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité.
51 Entretien avec L. Berdellou, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité, confirmé par L. de la Coste Messelière. Ces rémunérations accessoires sont généralement reversées au Trésor, et partiellement redistribuées entre les administrateurs, comme le montre le compte d’emplois de jetons et tantièmes revenant à l’État pour 1954 : nombre de bénéficiaires : 1 086.
- Recettes : 1 000 000 000 F.
- Dépenses : indemnités allouées aux fonctionnaires : 60 000 000 F
versement au Budget général : 30 000 000 F
versement au fonds de réserve : 10 000 000 F.
(Source : AEF, B 54 578, CVCEP).
L. Berdellou est d’ailleurs chargé au bureau B2-B3 de contrôler le reversement des sommes.
52 Ceci relève du discours, et reste à prouver. Selon A. Darbel et D. Schnapper, passé un certain âge, il y a un intérêt financier des administrateurs civils du ministère des Finances à rester dans l’administration. Le système administratif, op. cit., p. 128.
53 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
54 Selon les termes utilisés par J. Saint-Geours, entretien n° 5, cassette n° 6, déjà cité.
55 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.
56 Entretien thématique de J. Mialet avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
57 Entretien avec Ph. Dargenton, déjà cité. Sont prises ici en compte les perceptions du pouvoir de la direction, ses dimensions effectives seront analysées dans la deuxième partie.
58 Ce serait faire preuve d’angélisme que de croire que les aspects de carrière n’entrent pas en ligne de compte dans les préoccupations de ces hauts fonctionnaires. Toutefois, on peut leur accorder une présomption de sincérité pour ce qui est de leur conception élevée et relativement désintéressée du service de l’État, dont ils peuvent tirer par ailleurs une certaine satisfaction morale, voire une contrepartie.
59 Il s’agit du cours sur le Trésor, Le Trésor public et la politique financière et du cours sur les finances publiques dispensé avec P. Allix.
60 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
61 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
62 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité.
63 Selon le terme employé par E. Delaporte, entretien n° 2, entr. cité.
64 Id.
65 Mais c’est aussi parce que l’« action pédagogique » de l’administration, définie par Darbel et Snapper, op. cit. (introduction), a particulièrement bien réussi : plus les agents sont intégrés au système, moins ils en perçoivent la violence symbolique. Les rares critiques du fonctionnement de la direction émanent effectivement de ceux qui ont le moins bien réussi ou qui ont été frustrés.
66 Voir à ce sujet S. Lepage, La direction des Finances extérieures..., op. cit.
67 Voir les travaux de B. Gournay, E. Suleiman, J.-L. Bodiguel, J.-L. Quermonne, E. Cohen, J. Siwek-Pouydesseau.
68 Voir les travaux de J.-F. Kesler, P. Birnbaum.
69 D. Chagnollaud, J.-C. Thoenig, G. Brun.
70 Voir les travaux de M. Crozier, J.-C. Thoenig, A. Darbel et D. Schnapper, C. Grémion, R. Catherine et G. Thuillier, Jacques Chevallier.
71 Les secrétariats généraux de la Présidence et du gouvernement, le cabinet du Premier ministre en sont les principaux. Ces superstructures interministérielles sont, selon Jean-Louis Quermonne, des « administrations d’état-major » qui consacrent l’interpénétration entre administration et politique. Le gouvernement de la France sous la Ve République, Paris, Dalloz, 1983, 699 p.
72 F. de Baecque et J.-L. Quermonne, Administration et politique sous la Ve République, Paris, Presses de la FNSP, 1981.
73 La littérature sur la période est très abondante pour ce qui concerne C. de Gaulle et M. Debré. Voir notamment A. Prate, Les batailles économiques du général de Gaulle, Paris, Plon, 1978 ; M. Debré, Entretiens avec le général de Gaulle, 1961-1969, Paris, Albin Michel, 1993 ; De Gaulle et ses premiers ministres, Actes du colloque de l’institut Charles de Gaulle et de l’Association française de sciences politiques, 17 et 18 novembre 1988, Paris, Plon, 1990. Enfin les mémoires d’A. Peyrefitte livrent une chronologie fine du processus de décision politique, C’était de Gaulle, tomes 1 et 2, Paris, Fayard, 1994 et 1997.
74 Se succéderont à ce poste Jean-Maxime Lévêque, Jean Dromer, Alain Prate...
75 M. Debré, Entretiens avec G. Pompidou, Paris, Albin Michel, 1996, lettre du 31 juillet.
76 Les seuls ouvrages de Michel Debré suffisent à montrer son rôle primordial dans les décisions. M. Debré, Gouverner, 1958-1962, tome III, Paris, Albin Michel, 1988 et Gouverner autrement, 1962-1970, tome IV, Paris, Albin Michel, 1993 ; et surtout, Entretiens avec Georges Pompidou, op. cit., qui reproduit des lettres de l’époque.
77 F. de Baecque et J.-L. Quermonne, Administration et politique sous la Ve République, op. cit., p. 81.
78 Entretiens avec G. Pompidou, op. cit., p. 23.
79 Entretien thématique avec l’auteur, déjà cité. Ph. Dargenton est alors conseiller technique au cabinet de V Giscard d’Estaing.
80 Selon le témoignage de M. Jobert, Mémoires d’avenir, Grasset, 1974, p. 147 et celui d’A. Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome II.
81 Entretien avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. J. Monod sera également le correspondant de Ph. Dargenton à la DATAR. Rappelons que la cellule économique de l’Élysée comprendra des anciens du Trésor comme J. Mialet, puis J. Chabrun, qui faciliteront également les relations.
82 Selon les conclusions de P. Birnbaum, Les sommets de l’État, essai sur l’élite du pouvoir en France, Paris, le Seuil, 1977.
83 Selon F. de Baecque et J.-L. Quermonne, op. cit. La difficulté est de dater précisément ce phénomène, les études existantes portant sur trente ans de Ve République. Selon eux, le développement de cette interpénétration daterait de la présidence de Pompidou, soit postérieure à notre étude.
84 D. Leca, Du ministère des Finances, op. cit., p. 15. D. Leca, ancien élève de l’École normale supérieure, inspecteur des Finances (promotion 1932), devient chef de cabinet de Paul Reynaud en 1938 et suivra le ministre dans ses fonctions et surtout lors de son départ pour Londres en 1940, ce qui lui sera reproché par les gaullistes.
85 Selon E. Suleiman, c’est une particularité du ministère des Finances, Les hauts fonctionnaires et la politique, Paris, le Seuil, 1977, p. 130.
86 Entretien n° 8, cassette n° 8, entr. cité.
87 D. Leca, Du ministère des Finances, op. cit.
88 Entretien avec J. Vincenot, cassette n° 5, entr. cité.
89 Entretien n° 8, cassette n° 8, entr. cité.
90 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 7, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
91 Entretien cité, cassette n° 7, entretien n* 7. M. Petsche a été ministre des Finances de janvier 1949 à juillet 1950.
92 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 7, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
93 Entretien avec l’auteur, autorisé à être cité sous couvert de l’anonymat.
94 Entretien n° 8, cassette n° 8, entr. cité.
95 Voir notamment F. de Baecque et J.-L. Quermonne Administration et politique sous la Ve République, op. cit.. Institut Charles de Gaulle (dir.), De Gaulle et ses premiers ministres, Paris, Plon, 1990.
96 Quand R. Larre est nommé, M. Pérouse part à la Caisse des dépôts, F. Bloch-Lainé au Crédit lyonnais.
97 R. Larre n’a pas le profil habituel des directeurs du Trésor. Il arrive à la tête de la direction à l’âge de 52 ans, après avoir exercé des fonctions au SGCI et à la DREE, et au FMI. Il rencontre M. Debré en 1945 alors qu’il est au cabinet du directeur général de l’Économie et des Finances du gouvernement militaire et de la ZOF. à Baden-Baden (entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990). Nous verrons que d’autres facteurs interviennent dans sa nomination.
98 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
99 F. Bloch-Lainé comme W. Baumgartner refuseront ce poste en 1958 (Profession fonctionnaire, op. cit., p. 144-147). R. Goetze refusera celui de secrétaire d’État aux Finances en janvier 1959 laissant ainsi la place à un jeune inspecteur des Finances, V Giscard d’Estaing. (Entretiens avec R. Goetze, op. cit., p. 352 et suiv.).
100 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité. M. Pérouse qui entre alors comme conseiller technique de M. Debré a-t-il bénéficié des liens familiaux existant entre sa femme et celle du général de Gaulle ? Mme Pérouse évoque ces liens dans le témoignage accordé à l’auteur (Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996).
101 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. Rappelons qu’il est le petit-fils de C. Colson.
102 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
103 Aux côtés de Jacques Calvet, Jean-Pierre Fourcade et Victor Chapot, présents au cabinet de Giscard dès 1959, Jean Sérisé et Michel Poniatowski, arrivés après 1962, sont les figures emblématiques d’une giscardisation des hauts fonctionnaires, sans doute postérieure à la période qui nous intéresse. A contrario, A. Dupont-Fauville évoque la réticence de V Giscard d’Estaing à le nommer directeur de cabinet de R. Boulin (entretien cité).
104 Voir R. Rémond, A. Coutrot, I. Boussard, 40 ans de cabinets ministériels, Paris, Presses de la FNSR 1984, p. 160-162.
105 Selon le témoignage de J.-Y Haberer, entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, et celui d’A. Dupont-Fauville, entr. cité, J. de La Rosière, pourtant plus ancien, aurait décliné l’offre pour des raisons personnelles.
106 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
107 Id. D’autres témoignages, émanant de la direction, sont en effet critiques sur ses absences de position. Un bon directeur se doit de proposer une position de la direction et non pas s’en remettre entièrement au ministre pour décider.
108 Une fois tous les quinze jours en moyenne, selon J. Sérisé, entretien cité.
109 Selon la typologie de B. Gournay, « Un groupe dirigeant. Les grands fonctionnaires », Revue française de science politique, avril 1964.
110 A. Darbel et D. Schnapper, Le système administratif op. cit., p. 106.
111 F. de Baecque et J.-L. Quermonne, Administration et politique, op. cit., p. 217 et suiv.
112 Selon l’expression d’A. Siegfried, De la IIIe à la IVe République, Paris, B. Grasset, 1956.
113 Selon l’analyse qu’en font V. Dubois et D. Dulong La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publiques, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1999.
114 Selon la définition qu’en donne le Grand Larousse Encyclopédique de 1964, citée par V. Dubois et D. Dulong, La question technocratique..., op. cit., p. 6.
115 Si l’on suit D. Chagnollaud, la technocratie naît dans les années 1930 et se développe progressivement après 1945 pour connaître un essor à partir des années 1960. Le premier des ordres..., op. cit.
116 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. Ce témoignage montre à la fois les propres limites du pouvoir de décision du Trésor lorsqu’il n’est pas à l’origine de la conception du dossier, ou bien lorsque l’excès de décisions à prendre entraîne, faute de temps, des non-décisions...
117 R. Catherine et G. Thuillier, Introduction à une philosophie de l’administration, op. cit., p. 15.
118 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
119 AEF, fonds Trésor, B 52 447, « Pouvoirs de la Commission des Finances 1954-1961 ». À plusieurs reprises, la possibilité pour la Commission des Finances d’effectuer des vérifications sur pièces et sur place est contestée par la direction du Trésor au nom du respect du secret bancaire. À l’issue du vote de la loi de Finances rectificative pour 1960 qui confère aux rapporteurs des pouvoirs d’investigation plus étendus, la direction du Trésor obtient, grâce à l’appui du ministre, l’assurance d’être un intermédiaire obligé entre la Commission des Finances et les établissements bancaires.
120 Cet aspect sera développé ultérieurement à propos de la réforme départementale de 1964, analysée par Catherine Grémion dans Profession : décideurs, Paris, Gauthier Villars, 1979.
121 Comme le soulignent R. Catherine et Guy Thuillier, Introduction à une philosophie..., op. cit., les intérêts personnels sont toujours derrière l’intérêt général proclamé ; de même, le directeur du Trésor peut-il justifier des positions au nom de sa responsabilité envers le crédit de l’État, vaste notion qui permet au Trésor d’être l’un des représentants légitimés de l’intérêt général dans le secteur monétaire et financier... Les désaccords avec les autres partenaires publics (ministres, Banque de France, Budget) s’analysent alors comme une compétition entre les institutions, fondée sur des perceptions divergentes de l’intérêt général, qui peut se conjuguer avec des enjeux moins nobles.
122 Pour mémoire, on citera l’article de F. Bloch-Lainé « Pour une réforme de l’administration économique », art. cit., et l’ouvrage de J. Saint Geours, Pouvoir et Finances, Paris, Fayard, 1979. Tous deux participent à l’ouvrage collectif Pour nationaliser l’État, Paris, Le Seuil, 1968, et seront membres du club Jean Moulin.
123 Voir Profession : fonctionnaire, op. cit., p. 230 et suiv.
124 Entretien biographique, entr. cité, cassette n° 13.
125 Entretien biographique avec P. Masquelier, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996.
126 Id. Ce témoignage est corroboré par plusieurs autres. Mais on peut affirmer ici que les affinités personnelles ont pu atténuer cette attitude. R de Vogüé, sous-directeur de la 1re sous-direction du Mouvement général des fonds, a toute la confiance de M. Pérouse.
127 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité. Rappelons cependant que ce bureau n’est pas l’un des rouages essentiels de la direction.
128 L. Berdellou, L. de la Coste Messelière.
129 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité. A. Dupont- Fauville, inspecteur des Finances, a été notamment conseiller technique au cabinet de M. Debré en 1959-1962, directeur de cabinet de R. Boulin, secrétaire d’État au Budget de 1962 à 1965, directeur de cabinet de M. Debré ministre des Finances et des Affaires économiques de 1966 à 1968.
130 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
131 Selon L. de la Coste Messelière, entr. cité, qui fut responsable de la tutelle des Caisses d’épargne au Trésor de 1960 à 1967. Ce sera l’un des seuls secteurs qui ne sera pas touché par les réformes, même en 1966-1967.
132 Administration et politique, op. cit.
133 Le système administratif, op. cit., p. 14.
134 Voir le chapitre de la thèse d’O. Feiertag consacré à la venue de Pier Jacobsson, dans lequel il démontre son rôle prépondérant dans le plan de redressement de 1958. Wilfrid Baumgartner..., op. cit.. chapitre IX. L’intervention de W. Baumgartner au conseil général de la Banque de France du 28 mai 1957 est en parfaite symbiose avec les recommandations de P. Jacobsson. Voir ABF, Vers, du secr. général, 1 069 1988 02, Rapports Etat-Banque de France 1940-1990, boîte 4.
135 AEF, fonds Trésor, B 51 019, rapport au ministre du 27 décembre 1956 et rapport au ministre de février 1958 de R. Goetze.
136 AEF, fonds Trésor, B 51 019, note sur l’évaluation générale du Budget, du 27 mai 1957, adressée à P.-P. Schweitzer.
137 AEF, fonds Trésor, B 51 019, note pour le ministre du 9 novembre 1957 émanant du SEEF La France a déjà bénéficié en 1957 d’un tirage du FMI de 262,5 millions de dollars.
138 AP Gruson, note du 19 juillet 1958 destinée à Schweitzer, Sadrin, Clappier et La Génière.
139 Voir chapitre V
140 AP Saint-Geours, Projet d’ordonnance portant sur l’organisation de l’administration économique, financière et technique, été 1958. Ces projets mériteraient un examen plus approfondi ; on signalera seulement ici que ces deux inspecteurs des Finances issus du Trésor, toujours en quête de réformes structurelles, offrent ici un schéma cartésien complexe et quelque peu utopique, mais qui a le mérite de mettre au jour les dysfonctionnements persistants des administrations économiques et financières françaises.
141 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. P. Du Pont, inspecteur des Finances (promotion 1938) effectue l’ensemble de sa carrière à l’administration centrale de l’Économie nationale puis Affaires économiques, de 1943 à 1959. Il est à la tête de la direction de la Coordination et du Contrôle des entreprises nationales de 1954 à 1959 ; il sera par la suite nommé chef de la mission de contrôle des activités financières. Son témoignage est entièrement confirmé par L. de la Coste Messelière, administrateur civil qui y occupe ses premières fonctions avant d’entrer au Trésor, entretien biographique avec Ph. Masquelier, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996.
142 AEF, fonds Trésor, B 13 323, note du directeur du Trésor pour le cabinet du ministre du 2 novembre 1959, 4 p. dactylogr.
143 Voir à ce sujet les travaux d’Aude Terray, Le SEEF..., op. cit.
144 Selon le témoignage de R. Goetze, qui est l’un des artisans de la réussite du Plan et celui de M. Pérouse, alors membre officieux du cabinet de de Gaulle chargé des questions monétaires, reproduits dans 1958, La faillite ou le miracle, le plan de Gaulle-Rueff, Paris, Economica, 1986.
145 Parmi les membres du Comité, on relève la présence de plusieurs inspecteurs des Finances, dont J. Saltes, sous-gouverneur de la Banque de France et de J. Guyot, alors associé-gérant à la banque Lazard, auparavant sous-directeur du Trésor. Enfin, M. Viénot, alors chargé de mission au Trésor, est secrétaire général du Comité.
146 Entretien biographique avec C. Sauvé, entretien n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989 et entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995 ; d’après le témoignage de R. Goetze, il semble que lui-même ait joué ce rôle auprès de Pinay. Voir 1958, la faillite ou le miracle..., op. cit., p. 63. La direction des Finances extérieures apparaît en retrait sur la dévaluation : selon J. Sérisé, J. Sadrin n’était pas au courant. Selon A. de Lattre, alors directeur adjoint des Finances extérieures, J. Sadrin y était favorable, mais non lui (entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 4, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992). La difficulté d’établir la vérité à ce sujet tient à la confidentialité des mesures et au cloisonnement des travaux de chaque équipe.
147 Entretien biographique n° 9, entr. cité.
148 Id.
149 Profession fonctionnaire, op. cit., p. 147.
150 Cette inimitié, due au départ à une rivalité de carrière, est connue de longue date. Voir 1958, la faillite..., op. cit. et O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner..., op. cit.
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2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006