Chapitre V. 1947-1958 : monnaie et crédit au service de la trésorerie
p. 243-299
Texte intégral
1L’hypothèque d’une direction du crédit par le ministère de l’Économie nationale étant levée en 1947 (chapitre II), la création du fonds de modernisation et d’équipement en 1948 ayant permis la centralisation de l’aide Marshall dans les écritures du Trésor (chapitre III), la décennie qui suit est véritablement celle du Trésor-banquier, collecteur des liquidités de l’économie pour les redistribuer en faveur de l’équipement et de la modernisation du pays. La direction du Trésor, alors au cœur du système de financement public et privé, à l’articulation du monétaire et de l’économique, poursuit son action interventionniste tout en affinant ses doctrines et en systématisant son action. Commandée par son poids dans l’économie, son action dans le secteur monétaire et du crédit obéit à la même logique.
2L’articulation étroite entre le Trésor-banquier, le Trésor gérant de la trésorerie, et le tuteur des banques, l’imbrication des questionnements sur la monnaie, le crédit, sur les relations avec le système bancaire et l’Institut d’émission, commandaient de traiter au sein d’un même chapitre ces vastes questions, suivant une logique qui permet de mieux comprendre la culture du Trésor comme ses pratiques. L’axe de recherche choisi, autant que la continuité de la ligne du Trésor en la matière sur la décennie, autorisent une étude sur l’ensemble de la période, qui pourtant mériterait une recherche plus poussée sur l’alimentation de la trésorerie, sur les rapports avec l’Institut d’émission ou le système bancaire1.
3Quelle place est donnée à son métier traditionnel : la gestion de la trésorerie et la monnaie ? Au nom de quelles doctrines le Trésor a-t-il effectué ses choix en matière de politique monétaire et de crédit ? Au regard des politiques mises en œuvre dans d’autres pays d’Europe, et de l’option française de la croissance par l’investissement, dans quelle mesure le Trésor aurait-il pu envisager d’autres possibilités que d’occuper le rôle de transformateur principal des liquidités ?
4Comment le partage du pouvoir monétaire s’est-il opéré ? Dans ses rapports avec l’Institut d’émission, y a-t-il eu convergence ou non de doctrine sur la politique du crédit, le rôle de l’Institut d’émission dans le financement de l’économie et son degré d’autonomie ?
5Quel rôle le Trésor a-t-il dévolu aux banques dans le système de placement des valeurs publiques, dans le financement de la croissance ? Au lendemain des nationalisations, quels rapports établit le Trésor avec les différents types d’établissements financiers : banques d’affaires, banques nationalisées, établissements financiers à statut légal spécial ? Quel type de contrôle exerce-t-il et dans quelle optique ?
6Plus largement, il faudra tenter de définir la marge de manœuvre du Trésor face à ses contraintes de trésorerie et aux objectifs d’expansion économique ; son pouvoir d’influence au sein des « autorités monétaires », terme collectif, flou et ambigu s’il en est ; le rôle qu’il a voulu jouer dans l’évolution du système de crédit français, dans le maintien ou non d’une spécificité française jusqu’à l’aube des années 1960.
7La priorité fixée alors étant celle de l’équilibre de la trésorerie – et non du budget – au service de l’objectif de croissance économique clairement accepté, le Trésor met en œuvre tous les moyens possibles pour parvenir, y compris son autorité sur les banques. De ses choix économiques, de son souci de la trésorerie publique mais également de pratiques antérieures, découlent alors des relations complexes avec le système bancaire. Enfin, au-delà de la question des avances de la Banque de France à l’État et donc de son indépendance, les relations avec l’Institut d’émission se cristallisent justement sur la question du crédit et du rôle de l’État dans le financement de la croissance. L’étude de ces trois thèmes permet alors de définir une ligne du Trésor en matière de monnaie et de crédit. Quelles doctrines s’est-il forgées en la matière ? Ont-elles évolué par rapport à la période précédant la guerre et pour quelles raisons ? De dogme, la monnaie est-elle pour les responsables du Trésor devenue « un paramètre », pour reprendre l’expression de M. Margairaz ? Quelle place le souci inflationniste tient-il dans les préoccupations des hauts fonctionnaires du Trésor ? Plus largement, notre étude entend ainsi éclairer la place des années 1947-1958 dans l’histoire économique et financière sur la longue durée et s’interroger particulièrement sur le maintien d’une exception française à l’heure de l’ouverture extérieure.
I. ASSURER L’ÉQUILIBRE DE LA TRÉSORERIE : VICES ET VERTUS DU CIRCUIT
8Face au gonflement des activités du Trésor au lendemain de la guerre, de ses missions de banquier et d’État-actionnaire, sa fonction traditionnelle de gestion de la trésorerie de l’État est devenue à la fois la plus complexe et la plus sensible politiquement : le Trésor est encore en 1955 le premier collecteur de fonds, qui recueille à lui seul plus de capitaux (695 milliards de F.) que le secteur bancaire (617 milliards) et en distribue plus (783 milliards) que l’ensemble des établissements publics et privés chargés d’octroyer des crédits (715 milliards2). Le déficit chronique du budget et le volume considérable des sommes qui transitent alors par le Trésor3 contribuent à rendre la gestion de la trésorerie régulièrement très tendue : la direction du Trésor attache bien évidemment une attention toute particulière à ce qui est le cœur de la direction, sa fonction d’origine, dont elle a la responsabilité directe et non partagée. Si de 1947 à 1958 se succèdent des moments de crises, d’accalmies voire d’embellies précaires pour la trésorerie, l’ensemble de la période reste globalement caractérisée jusqu’en 1958 par une tension permanente pour le Trésor, dont l’évolution annuelle des chiffres ne donne pas l’entière mesure ; la gestion de la trésorerie pose d’abord un problème permanent et quotidien d’ajustement dans le temps des recettes et des dépenses.
9L’objectif premier de la direction du Trésor est alors d’assurer l’équilibre quotidien de la trésorerie ; ce qui, du fait de l’accroissement de l’intervention de l’État et du volume du mouvement des fonds qui en découle pour le Trésor, devient un exercice plus délicat que par le passé, bien que celui-ci ne soit pas exempt de tensions sur la trésorerie. Si la contrepartie de M2 (ensemble des disponiblités monétaires et quasi monétaires, soit à l’époque essentiellement monnaie, billets et dépôts à vue) qui concerne les créances sur le Trésor public tend à se réduire en pourcentage entre 1948 et 1958, symbole d’un début de désengagement apparent de l’État, elle reste importante en volume, comme l’indique le tableau ci-dessous :
10Comment le Trésor réussit-il à capter entre la moitié et le tiers des ressources ? Issue des méthodes héritées de la guerre4 que certains de ses hauts fonctionnaires en place ont eux-mêmes mis en œuvre, la politique du circuit est progressivement et empiriquement mise en place depuis 1939. F. Bloch-Lainé et P. de Vogué ont donné une définition claire du procédé qui ne relève plus alors de l’art que d’une science financière : « Ramené à ses données essentielles, l’art de la Trésorerie consiste pour le Trésor à tenter de capter sur le marché des capitaux, afin d’en assurer le retour vers ses caisses, les liquidités mises en circulation par le déficit budgétaire »5. Sans s’attarder sur la description de ce circuit, souvent décrit, il n’est pas inutile d’en donner les conséquences sur le système financier et sur l’engrenage dans lequel le Trésor se trouve pris.
11Dans la logique de la fermeture du circuit, le poids financier et monétaire des différents correspondants financiers (Crédit foncier, Crédit national, Crédit agricole, Caisse des dépôts et consignations, des établissements publics comme les PTT, l’ONIC ou la Caisse centrale de la France d’outremer, les grandes entreprises nationales...) s’accroît en volume et en pourcentage de la masse monétaire (859 milliards déposés au Trésor en 1950, soit 14,4 % de M2, 2 831 milliards à la fin de 1958, soit 20, 4 % de la masse monétaire fiduciaire en circulation6). Le double rôle de soutien des rentes et de banquier de l’équipement de la Caisse des dépôts, relais de l’interventionnisme public des années cinquante, se retrouve dans la place qu’elle occupe dans le circuit du Trésor7, plus particulièrement à partir de la loi Minjoz du 21 juillet 1950 et de la « débudgétisation » de 1954. À la demande du Trésor, la Caisse des dépôts est dans l’obligation de présenter au réescompte de l’Institut d’émission ses papiers à moyen terme, afin de reconstituer ses dépôts au Trésor8. F. Bloch-Lainé et P. de Vogué l’énoncent sans détours dans leur ouvrage sur le Trésor public : « Lorsque sa liquidité se resserre, [le Trésor] est conduit à demander à la Caisse de réduire son portefeuille d’effets à moyen terme en mobilisant à la Banque la quantité d’effets nécessaires pour reconstituer ses dépôts au Trésor »9. Le Trésor non seulement tend à profiter des fonds de la Caisse, mais préférerait instrumentaliser plus encore l’institution en faveur des orientations publiques d’investissements et privilégier ses apports de fonds au Trésor aux dépens de ceux distribués aux collectivités locales : tel est le sens de la critique de Pierre-Paul Schweitzer sur le rôle de banquier de la Caisse en 195610. Hormis les établissements financiers satellites, la liste des correspondants du Trésor est élargie aux entreprises nationales, sommées, pour couvrir un déficit de trésorerie, de déposer leurs fonds au Trésor. Cet expédient a l’avantage d’être discret et de lever des ressources d’épargne plutôt que des ressources monétaires.
« Alors le genre de solution qu’on a trouvé devant la difficulté des temps, c’est de se servir d’un certain nombre d’entreprises nationalisées qui avaient leur compte directement ou indirectement au Trésor et de leur faire des crédits dont elles n’avaient pas besoin, pour alimenter leur compte au Trésor, pour permettre de passer un certain nombre d’échéances ; ces entreprises étant essentiellement la SNCF, je crois EDF et les Charbonnages. »11, explique aujourd’hui Jean Guyot.
12Bien que largement développées pour faire face à l’augmentation des charges, les ressources régulières et non monétaires du Trésor – bons du Trésor dans le public, emprunts obligataires, dépôts des correspondants – ne suffisent pas à alimenter la caisse du Trésor en période de tension. Grâce à une politique des taux alléchante, elles couvrent cependant plus de 50 % des besoins entre 1945 et 1956, et jusqu’à 99 % en 195512. Mesure exceptionnelle d’appel à l’épargne, le recours aux grands emprunts d’État, tels l’emprunt Pinay de mai 1952 ou l’emprunt Ramadier de septembre 1956, assortis d’exonérations fiscales séduisantes, rapporte respectivement 428 milliards et 320 milliards d’argent frais à la trésorerie. S’il apparaît clairement au travers des témoignages que ces opérations n’ont pas été proposées à l’initiative du Trésor13, celui-ci est-il pour autant défavorable au financement du découvert par l’emprunt ?
13La doctrine classique et orthodoxe d’un financement des dépenses définitives et durables par des ressources à long terme est considérée par le Trésor comme un objectif à atteindre : au nom d’une gestion « saine » de la trésorerie, F. Bloch-Lainé se prononce en faveur d’un accroissement de l’impôt dans la couverture des dépenses publiques, y compris une part des dépenses d’investissements14. Cette doctrine s’insère dans un mouvement de pensée critique sur l’efficacité comparée de l’emprunt et de l’impôt dans la lutte contre l’inflation, développée après la Libération par Pierre Mendès France et reprise par Gabriel Ardant dans un article paru dans la Nef en juin 1953. À cette occasion, une note interne de la direction du Trésor porte un jugement balancé sur « cette vieille querelle » et tend à critiquer l’efficacité de l’impôt pour agir sur les dépenses de consommation et la hausse des prix15. Parallèlement, l’emprunt est jugé par les hauts fonctionnaires du Trésor alors en poste moins efficace du point de vue de la trésorerie que l’impôt, notamment lorsqu’il est assorti de mesures fiscales très favorables, comme celui de Pinay en 195216. Suivant l’optique choisie – lutte contre l’inflation ou couverture du découvert – la position du Trésor apparaît plus fluctuante, surtout après l’expérience Pinay.
14À la fin de la décennie, le recours à l’emprunt s’avère un sujet de divergence entre les trois directeurs du Trésor successifs, lors de la séance officieuse du Conseil général de la Banque de France le 28 mai 1957 au cours de laquelle est élaboré le projet de réponse à la demande du ministre des Finances d’une avance de la Banque17. Pour P.-P. Schweitzer, l’emprunt, au même titre que l’impôt et les économies budgétaires, apparaît comme l’une « des mesures courageuses et efficaces pour réduire le trou » ; alors que F. Bloch-Lainé lui répond que « l’emprunt est en dehors du courageux et de l’efficace », J. Brunet met en garde contre un drainage excessif des ressources d’épargne au profit de l’État. Trois positions distinctes des directeurs du Trésor successifs : la première, pragmatique du directeur du Trésor en place, tend à utiliser tous les moyens pour combler dans l’urgence un déficit de trésorerie ; celle de F. Bloch-Lainé, en cela plus enclin à l’orthodoxie financière que son successeur, reste fidèle à sa réticence envers l’emprunt ; tandis que J. Brunet, plus libéral, prend le rôle d’accusateur d’un État trop gourmand. Surtout, l’emprunt est considéré par le directeur du Trésor en place comme un moindre mal par rapport au financement monétaire, et donc inflationniste, du découvert de trésorerie : la logique de fonction, l’urgence de la situation l’emportent alors sur les considérations doctrinales ; la couverture à court terme du « trou » est privilégiée par rapport à la dette publique à long terme. La situation critique amène le Trésor à une nouvelle hiérarchie de ses valeurs, au sein desquelles l’emprunt est mieux placé, parce qu’il représente un moindre mal par rapport aux autres procédés de financement utilisés.
15Car pour éviter par tous les moyens la crise de trésorerie, pour maintenir le crédit de l’État, développer les ressources, puisque les charges sont incompressibles, la ligne de conduite du Trésor sur les modes de financements de la trésorerie oblige à recourir à des procédés autrement plus hétérodoxes et empiriques que l’emprunt. Une priorité s’impose : éviter les appels directs à la Banque de France.
16On sait que les ressources monétaires du Trésor, constituées principalement des bons sur formule réservés aux banques, des dépôts des C.C.P. et des fonds des particuliers, ainsi que des concours directs et indirects de la Banque de France, existent déjà depuis le xixe siècle18. Les difficultés de trésorerie après la deuxième guerre obligent le Trésor à y recourir de manière systématique, mais variable selon les années, comme l’indique le schéma ci-dessous :
17L’appel aux avances directes de la Banque de France pour couvrir le compte courant du Trésor à la Banque en constitue l’aspect le plus visible et le plus sensible politiquement. Synonyme de mauvaise gestion et d’inflation, « la forme la plus caractérisée, la plus nette, la plus dangereuse de l’inflation » selon F. Bloch-Lainé19, il oblige le gouvernement à demander au Parlement un relèvement du plafond des avances de la Banque et engendre parfois plus qu’une crise de trésorerie, une crise politique. Le témoignage de Pierre de Vogüé, alors au bureau de la Trésorerie, donne la mesure des enjeux de politique économique sous-jacents et justifie a posteriori les choix de financement opérés :
« C’était toujours une opération délicate, car il y avait toujours des parlementaires qui en profitaient pour mettre le doigt sur la mauvaise gestion des finances publiques. C’était au fond la lutte entre les orthodoxes et les modernistes. [...] Il y avait une opposition entre ceux qui pensaient que la reconstruction du pays impliquait un effort exceptionnel de l’État pour relancer l’économie et financer les investissements nécessaires et ceux qui restaient braqués sur une conception très orthodoxe de l’équilibre budgétaire »20.
18Les hauts fonctionnaires du Trésor, tout en dénonçant régulièrement l’« archaïsme » des avances de la Banque21, tentent de minimiser son importance, en cherchant à démontrer qu’il n’est qu’un élément de l’alimentation parmi d’autres, ce que les chiffres prouvent facilement : les concours de la Banque de France ne représentent que 8,9 % des ressources monétaires. Telle est la réflexion qui s’engage dans le début des années 1950 au bureau de la trésorerie qui tend à la fois à prévoir et à minimiser l’importance des appels à la banque.
19Dans le but de relativiser les appels à l’Institut d’émission, le circuit du Trésor est ainsi remis à l’honneur, comme l’explique F. Bloch-Lainé et P. de Vogüé : « Le Trésor, s’il parvient à collecter par le secteur “bancaire” de ses opérations des sommes équivalentes à celles qu’il dépense par le secteur “budgétaire” réussira à se dispenser de tout recours à l’Institut d’émission »22. Là encore, l’orthodoxie des Finances sur le financement du Budget est malmenée chez les hauts fonctionnaires en charge de la trésorerie :
« Alors autrefois, on trouvait scandaleux d’aller à la Banque de France pour boucher un trou du budget, qui normalement devait être financé par l’impôt. À partir du moment où, aux fonctions traditionnelles s’ajoutent des fonctions d’investissement, il devenait beaucoup moins anormal de recourir aux ressources du circuit, et parmi ces ressources, les avances de la Banque étaient un élément parmi d’autres »23.
20Autrement dit, le changement avec l’avant-guerre n’est pas tant le recours à des moyens de financement hétérodoxes que leur utilisation désormais courante et régulière.
21En effet, hormis le recours « officiel » à la Banque de France tant redouté, le « matelas »24 de réserves indispensable pour couvrir les périodes de « pointe » est constitué de plus en plus fréquemment par des ressources monétaires ou des procédés hétérodoxes. À titre d’exemple, rappelons la demande personnelle du ministre des Finances Maurice Petsche au gouverneur de la Banque de France Emmanuel Monick le 3 décembre 1948 d’une intervention de l’Institut d’émission pour acheter des bons du Trésor à des taux inférieur au taux officiel. La réponse de Monick est claire : « Il serait sans doute extrêmement fâcheux de laisser répandre l’idée que le Trésor a fait revivre à son profit un procédé subtil d’alimentation de ses caisses, qui n’est en définitive qu’une avance de l’État à peine déguisée »25. Ce refus a-t-il contribué à le faire remplacer quelques mois plus tard ? Les archives ne révèlent pas si son successeur a accepté le procédé qui lui est à nouveau proposé en 1949 ; il s’est certainement montré plus conciliant que son prédécesseur envers les besoins de l’État...
22Parmi les ressources de création monétaire, dont dispose le Trésor, ces concours indirects de la Banque de France à l’État, s’ils ont déjà été utilisés dans des cas exceptionnels, sont largement développés au lendemain de la deuxième guerre. La prise en pension de bons du Trésor détenus par les banques et l’assimilation progressive des acceptations du Crédit national en effets publics mobilisables auprès de l’Institut d’émission26 en sont deux des signes les plus visibles, que le tableau ci-dessous permet de répartir suivant les types de banques.
23Plus discret, le refinancement des effets des correspondants auprès de la Banque de France, notamment ceux détenus par la Caisse des dépôts, et le développement de la procédure du crédit à moyen terme mobilisable à partir de 1948 ont également accru les concours indirects de la Banque, banquier en dernier ressort du financement de l’économie27. Nourris à la Banque selon un circuit complexe, à quatre signatures, ces différents effets constituent en réalité des avances occultes et indirectes au Trésor, qui n’apparaissent guère aux yeux du grand public et notamment des parlementaires, comme le décrit assez justement Jean Guyot :
« L’ensemble du circuit, qui mettait en cause un très grand nombre [d’intervenants], alimentait en fait le compte du Trésor par une intervention de la Banque de France, c’est-à-dire en fait l’équivalent d’une émission pure et simple de papier monnaie, mais dans un circuit qui avait une apparence de circuit économique »28.
24La crise de trésorerie qui entraîne le départ d’Edgar Faure et l’arrivée d’Antoine Pinay en 1952 ne fait qu’accélérer ce processus, qui sert non seulement à relativiser l’importance de l’appel aux avances de la Banque de France, mais également à camoufler les avances de l’Institut d’émission.
25À titre d’exemple, le recours aux obligations cautionnées, procédé qui connaît alors son heure de gloire et qu’il sera difficile de faire disparaître, mérite une attention particulière. Elles symbolisent la manière dont la trésorerie est alors gérée.
A. LES OBLIGATIONS CAUTIONNÉES
26Crédits consentis par l’État à des entreprises en règlement de certaines taxes – taxes sur le chiffre d’affaires, droits indirects, droits de douane – , les obligations cautionnées peuvent être souscrites à échéance de 3 ou 4 mois moyennant un intérêt qui variera de 1 à 6 % pour le Trésor, plus une remise accordée au comptable des impôts ou des douanes et un intérêt pour l’établissement financier qui donne sa caution. Existant depuis 1875, ces traites constituaient pour la trésorerie de l’État une de ses ultimes réserves mobilisables à la Banque de France ; elles ont été développées après 1945 auprès des entreprises nationalisées, puis à partir de 1954 auprès des sociétés pétrolières. Dès 1948, elles connaissent un grand essor, du fait de la dépréciation monétaire continue, de la faiblesse du taux d’intérêt exigé, alors inférieur à celui du taux de l’escompte, et du supplément de traitement qu’elles procurent aux receveurs principaux de l’administration fiscale29.
27Si le rapport de Georges Plescoff propose une restriction et une réforme du mode de paiement de ces impôts, « préjudiciable au Trésor » selon lui30, l’administration des Finances, Trésor compris, ne freine guère le développement du procédé dans lequel producteurs, destinataires et intermédiaires de crédit trouvent chacun leur intérêt.
28La part des obligations cautionnées dans le financement du déficit de la Trésorerie accuse cependant des évolutions contrastées, comme l’indique le graphique ci-dessus, qui fait apparaître un recul de ce mode de couverture dans le financement du Trésor en 1953 ainsi qu’une augmentation parallèle des appels directs à la Banque de France. Pourquoi, comme le souligne justement O. Feiertag31, le procédé de bouclage du circuit n’a-t-il pas été ici utilisé ? Deux types de raisons peuvent l’expliquer. Tout d’abord, une note émanant du bureau de la Trésorerie alerte sur les risques du système des obligations cautionnées en avril 1953. L’auteur constate que ce portefeuille ne constitue plus une « réserve » mais une source de « recettes courantes » pour la direction du Trésor, car les autres réserves, trop souvent utilisées, se sont épuisées – notamment le fonds du compte « aide américaine ; fonds libre » à la Banque de France, le fonds du secteur public, le portefeuille d’effets de la Caisse des dépôts32. Non seulement ce mode de financement de la trésorerie apparaît malsain, mais il limite la marge de manœuvre du Trésor : la trésorerie, « à la merci du moindre ralentissement dans la création des obligations cautionnées », risque de se retrouver dans une situation inconfortable. Il attire enfin l’attention sur le coût considérable de mobilisation du portefeuille pour le Trésor : en 1949, les agios s’élevaient à 744 millions de F, en 1952 à 4,6 milliards. Cette prise de conscience préfigure une remise en question du système quelques années plus tard ; elle peut expliquer en partie le non-recours à ce procédé en 1953. À ces considérations techniques peut s’ajouter une considération politique, que Jean Guyot, alors sous-directeur du Mouvement général des fonds, évoque clairement lors d’une question sur l’utilisation ou non des appels à la Banque :
« Il y avait certainement dans l’arrière-pensée intellectuelle de tout ça l’idée qu’il ne fallait pas trop faciliter les choses, que si on facilitait trop les choses aux politiques, il n’y avait plus de freins et cela existait à mon avis d’une manière même inconsciente. Autrement dit, je pense que moi-même, que le gouverneur de l’époque, le directeur de l’époque, etc. considéraient que c’était du devoir de leur charge de ne pas trop faciliter les choses aux politiques. »33
29Ce témoignage fait écho à celui de François Bloch-Lainé qui dit être resté « silencieux devant la dégradation de la situation de trésorerie » lorsqu’Antoine Pinay est au pouvoir, et la révèle à René Mayer à son arrivée34. Mais ces témoignages ne sauraient suffire à convaincre d’une action autonome et délibérée de la part des responsables de la trésorerie, d’autant que l’année 1953 est une année de transition entre F. Bloch-Lainé et P.-P. Schweitzer, arrivé en février. La trésorerie semble bel et bien avoir été surprise par la crise du printemps de 1953. La complexité des procédés, les limites techniques de leur utilisation rendent difficile une appréciation extérieure sur la marge de manœuvre effective du Trésor par rapport aux politiques. Il n’en reste pas moins que le Trésor dit avoir joué un rôle d’influence dans les choix de politique économique et financière.
30Cependant, après ce court répit de 1953, le montant des obligations cautionnées mobilisées à la Banque de France reprend son ascension. Non seulement la Trésorerie, mais les comptables publics, les établissements qui se portent caution mais également les entreprises elles-mêmes y trouvent leur intérêt. Une note du bureau D5 alerte le directeur dès 1954 sur l’utilisation abusive faite par les entreprises qui « profitent du système des obligations cautionnées pour financer à bon marché leur fonds de roulement ou même leurs investissements [...]. Les crédits de l’État sont utilisés comme des crédits bancaires à bon marché »35. Pour les rendre moins attractives, l’idée est alors avancée de réduire le taux d’intérêt jusqu’au niveau du taux de l’escompte et leur durée de 3 à 4 mois, mais la proposition reste sans suite. Le 13 août 1957, lors d’une réunion au cabinet du ministre, il est décidé de procéder à une hausse de leur taux d’intérêt de 4,5 à 6 % et de donner au gouvernement la possibilité de modifier par arrêté la durée des obligations36. En dépit des demandes répétées du Trésor auprès du directeur de cabinet d’intervenir auprès de la direction générale des Impôts, voire du secrétariat d’État au Budget, le texte de loi n’aboutit pas. La réticence des administrations fiscales, pour lesquelles les obligations cautionnées sont devenues une rémunération régulière et confortable freine toute tentative de réduire leur montant (taux et durée)37. Alors que la période est à la restriction quantitative des crédits, la Banque de France à son tour s’inquiète de la brèche ouverte par les obligations cautionnées dans la politique de contrôle du crédit : « Ne pensez-vous pas que l’administration devrait s’associer à la politique de restriction du crédit que le gouvernement demande à la Banque de France et aux banques ? Il est anormal que leurs efforts soient contrecarrés par des procédés mis en œuvre par l’administration » écrit le sous-gouverneur de la Banque, sans doute Jean Saltes, à Pierre-Paul Schweitzer le 6 décembre 195738. Il réitère ses critiques en mars 1958 de manière encore plus sévère : « Ce qui surprend le plus [nos directeurs], c’est que l’administration soit si généreuse et qu’elle accepte de faire des crédits à des gens dont nous refusons la signature »39.
31À la fin de la IVe République, le procédé des obligations cautionnées reste très vivace. Conscient dès 1952 de ses effets néfastes sur la marge de manœuvre de la trésorerie, sur l’efficacité de la politique du crédit, de ses effets pervers sur la distribution du crédit, le Trésor n’est plus maître de l’instrument qu’il a délibérément utilisé. L’intérêt bien compris des comptables publics empêche non seulement une remise à plat du système, mais aussi une simple limitation du procédé, qui perdurera dans les années 1960.
32Voici l’exemple d’un expédient devenu une recette courante de l’alimentation du Trésor, concourant paradoxalement à son épuisement et à sa fragilité. Si le Trésor accepte dans un premier temps de mettre à mal son orthodoxie financière pour les besoins de la reconstruction, il tente de réformer le système lorsque l’intérêt de la trésorerie et l’intérêt général viennent contrecarrer les intérêts corporatistes de l’administration des Finances. En mésestimant les rigidités et les routines engendrées par le cadre réglementaire, par un procédé exceptionnel devenu règle, le Trésor a construit un engrenage dirigiste, qu’il maîtrise difficilement, mais qu’il ne peut détruire. Pour autant, le souhaite-t-il réellement ?
33Ces différents procédés utilisés au départ de manière exceptionnelle sont développés empiriquement par le Trésor mais également acceptés par les différents correspondants qui se rémunèrent au passage, et tolérés, pour l’heure, par la Banque de France qui boucle in fine le circuit. Le rôle particulier du Trésor est alors de développer une théorisation du circuit qui lui permette de le faire fonctionner sans risque de crise. De bricolage, il devient règle ; d’empirique, il devient conceptuel.
34Cette évolution coïncide avec l’arrivée de Jean Denizet à la tête du bureau de la trésorerie. Ancien rédacteur intégré dans le corps des administrateurs civils, reconnu pour ses qualités intellectuelles, il se voit confier par le directeur en 1948, peu de temps après son arrivée au Trésor, le bureau de la trésorerie. À la fois chargé de la gestion courante de la trésorerie et des études statistiques, d’analyse et de prévision jusqu’en 1952, il révolutionne l’approche de la trésorerie, comme le soulignent son sous-directeur et son sous-chef de bureau de l’époque40. En tentant de comprendre les mécanismes influant sur les mouvements de trésorerie, en collaboration avec André Boccon-Gibod, de la direction des Études de la Banque de France, Jean Denizet met en lumière les mécanismes inflationnistes du circuit, selon son adjoint de l’époque, Pierre de Vogüé :
« Pendant les premières années de mon temps au Trésor [1947-1948], j’avais une fascination pour la question du circuit. Après coup, les travaux que nous avons menés avec Boccon-Gibod et Denizet m’ont beaucoup éclairé sur le fait que le circuit, c’était un « truc » d’ordre strictement financier, qui pouvait dissimuler de sérieuses déficiences sur le plan monétaire [...]. C’est Jean Denizet qui a été le principal artisan de cette vision plus économique et monétaire de mécanismes qui, au départ, étaient de la cuisine financière »41.
35Les effets néfastes du circuit n’apparaissent pas alors aux yeux de tous les hauts fonctionnaires du Trésor. L’analyse de Jean Saint-Geours, alors jeune chargé de mission, renoue avec celle opérée par ses prédécesseurs pendant la guerre : le rétablissement du circuit est selon lui, dans la conjoncture de 1953, « un bon instrument de lutte contre l’inflation »42, car il permet le retour à l’État des disponibilités monétaires qu’il a lui-même introduites dans l’économie au moyen d’avances de la Banque de France. « Faute d’un tel retour, explique-t-il, ces disponibilités vont jouer totalement leur rôle inflationniste ». Le raisonnement n’est pas faux, mais il postule au départ que le déficit budgétaire est une donnée fixe et que les avances de la Banque sont inéluctables : ces données sont la conséquence d’une intervention massive de l’État dont le Trésor assure la responsabilité.
36Moderniser la gestion de la trésorerie, assurer une vision macroéconomique de la monnaie, tels sont les progrès apportés à la notion de circuit du Trésor : en dépit de la découverte, encore récente et peu répandue en France, des mécanismes inflationnistes du circuit, le principe est conceptualisé, schématisé et réactualisé par les politiques. Edgar Faure, en 1954, en découvre les vertus. Il s’agit pour le Trésor de fermer le circuit, d’analyser les fuites possibles pour les éviter. Une note de la direction du Trésor de 1955 affiche explicitement l’objectif assigné au circuit, celui d’un mécanisme qui affecte le moins possible les relations entre le Trésor et la Banque : le circuit est bouclé in fine par la Banque, dont les avances « assurent la liquidité de l’ensemble du système monétaire »43, mais de manière indirecte et occulte et donc peu susceptible de gêner le gouvernement. C. Piétra, qui arrive au bureau de la trésorerie en 1956, travaille dans ce même cadre du circuit du Trésor et ne se souvient pas qu’il soit à l’époque remis en question dans son principe44. Pour cela, il faudra attendre encore presque une décennie. L’ouvrage de F. Bloch-Lainé et de P. de Vogüé, paru en 1961, consacre d’ailleurs deux chapitres à ce mécanisme, sans critiquer le système.
37Là encore, l’engrenage dirigiste fonctionne à plein et, en dépit d’une vision plus moderne de la gestion de la trésorerie, le Trésor défend un instrument d’intervention qui, s’il redessine ses relations avec la Banque, perturbe le fonctionnement du système financier et bancaire.
B. LE SYSTÈME BANCAIRE AU SECOURS DE LA TRÉSORERIE
38Dans la droite ligne de la redécouverte du circuit, aux banques est dévolu un rôle particulier, qui doit aider le Trésor à capter l’épargne vers ses caisses. Le souci de l’alimentation du circuit a influencé leur relation dans le sens d’une volonté d’instrumentalisation croissante à partir de 1948.
39Existant déjà depuis l’avant-guerre, les bons du Trésor auprès des banques ont connu un fort développement sous l’Occupation. L’obligation pour les banques de détenir un portefeuille de valeurs du Trésor est renforcée par l’ordonnance du 13 avril 1945 et le décret du 20 avril 1945 portant obligation pour certains établissements et organismes de déposer en compte-courant les bons du Trésor leur appartenant. Du fait de son caractère inflationniste, le recours au financement par le système bancaire, via les bons du Trésor en compte-courant, est officiellement écarté par le Trésor « dans toute la mesure du possible » : l’ensemble des créances sur l’État détenues par la Banque de France et les banques représente à la fin de 1945 74 % des billets et des dépôts, 59 % au début de 1948 et 41 % trois ans plus tard45. Cependant, devant l’excédent de remboursement de bons du Trésor en compte-courant au cours de 1947 qui fragilise la trésorerie, la direction du Trésor, sous la plume de Maurice Sergent, propose au ministre l’institution d’un plancher d’effets publics auprès des banques. « Pour atteindre pleinement le but recherché, il conviendra en outre d’indiquer que la répartition de ce portefeuille en bons et acceptations ne sera pas entièrement libre, et que le montant des bons détenus ne pourra lui-même descendre en dessous de ce qu’il était à la date de référence » explique l’auteur, se référant à la méthode instaurée en Belgique46. L’accord de la Banque de France étant obtenu, le mécanisme, instauré à la fin de septembre 1948, offre un triple avantage du point de vue du Trésor : créé dans le seul but de la trésorerie, il en facilite la gestion ; réescomptés par l’Institut d’émission, les planchers de bons du Trésor permettent également d’obtenir un financement de la trésorerie par la Banque moins voyant que les concours directs. Officiellement, ce mécanisme, combiné à la généralisation des plafonds d’escompte, permet une restriction des crédits, dont l’extension rapide est alors jugée inflationniste : tel est le sens de la lettre du gouverneur Monick au président de l’Association professionnelle des banques47. Durant toute la décennie, le Trésor va s’employer à maintenir cette réglementation et surtout le montant de planchers, fixé au départ à 95 % du volume d’effets publics détenu le 30 septembre 1948 ; parallèlement, les autres institutions qui ont la charge du crédit réclament périodiquement sa baisse.
40Ainsi en août 1950, le Conseil national du crédit réclame-t-il officiellement une baisse des planchers d’effets publics et demande au sous-directeur du Mouvement général des fonds de faire connaître « la manière de voir de la direction du Trésor »48. Jean Guyot transmet ses directives à son bureau de la trésorerie sous la forme d’un billet manuscrit : « Voulez-vous préparer une note (très restrictive) sur la question des planchers »49. Un échange de notes entre le Trésor, opposé à une révision des planchers et la direction générale du Crédit de la Banque de France, favorable à un assouplissement, aboutit à un compromis à la fin de 1950 : l’accord est donné par le Trésor à une baisse des planchers, « sur l’assurance que la Banque fera éventuellement le nécessaire pour que la mesure dont il s’agit ne nous coûte rien » écrit Jean Guyot. Cet épisode de la politique des bons reflète bien évidemment l’attachement prioritaire du Trésor à son équilibre de la trésorerie, au détriment parfois de l’intérêt des autres clients des banques, à savoir les entreprises ; il met en lumière également le jeu des protagonistes en matière de politique du crédit : le Conseil national du crédit, peut-être poussé par la Banque, n’en demeure pas moins une instance avec laquelle le Trésor doit composer. Les relations entre le Trésor et la Banque sur ce point montrent des oppositions d’intérêt, des logiques différentes. L’un se préoccupe au premier chef de la trésorerie, la seconde se situe dans une optique de régulation du crédit. Aussi en 1956, une hausse des planchers de 21 à 25 % des exigibilités de chaque banque est-elle décidée, dans le cadre d’un resserrement général du crédit50.
II. LA GUERRE DES TAUX ENTRE TRÉSOR ET BANQUE DE FRANCE
41Plus encore que les planchers, la politique des taux des bons du Trésor est un sujet de désaccord récurrent entre le Trésor et la Banque.
42Les rapports du Conseil national du crédit de 1954 et 1955 soulèvent de vives critiques sur le régime des bons du Trésor auprès des banques, déplorant leurs taux relativement élevés. Le rapport de la Banque de France pour l’année 1954 n’est pas moins sévère : « La nécessité de pourvoir au déficit des finances publiques a encore conduit le Trésor à procéder, de façon permanente et à guichets ouverts, à des émissions de bons dont le rendement net est très supérieur au coût des procédés de mobilisation qui s’offrent aux banques ». Ce taux élevé incite les banques à détenir un volume d’effets publics supérieur au plancher et réescompté à la Banque ; ce qui limite les possibilités de manœuvre de l’Institut d’émission. La politique des taux de bons du Trésor est ainsi jugée responsable de la rigidité du maniement des taux du crédit et de la cherté des conditions de crédit. À travers différentes notes d’étude du bureau de la trésorerie, le Trésor répond à ces accusations. Le taux des bons du Trésor est considéré plutôt « comme un élément de rigidité qu’une cause proprement dite de cherté des conditions », le coût du crédit dépendant, selon l’auteur, bien davantage du taux d’escompte de la Banque de France et des tarifs bancaires autres que ceux du Trésor51. Trésor et Banque de France rejettent ainsi l’un sur l’autre la responsabilité des conditions de crédit. Ce débat sur le rôle dominateur du Trésor sur le marché monétaire et sur son influence sur les taux est l’un des aspects des relations entre Trésor et Banque de France. Rappelons que le financement par les bons du Trésor évite l’appel direct à l’Institut d’émission. L’auteur de la note l’a bien compris, qui souligne qu’« un assouplissement véritable de la politique des taux du Trésor impliquerait une association plus étroite avec l’Institut d’émission à la gestion de la trésorerie et au problème posé par le financement par l’emprunt du déficit budgétaire »52.
43Les taux pratiqués par la Banque de France constituent un autre sujet de discorde, qui met à nu les divergences doctrinales entre le Trésor et la Banque de France. Pierre Besse s’en fait l’écho en 1951 à l’occasion de la décision de la Banque de France d’augmenter ses taux ; le secrétaire du Conseil national du crédit reconnaît qu’« il existe aujourd’hui une divergence fondamentale sur cette question entre le Trésor et la Banque », et démonte les accusations du Trésor sur le fondement doctrinal « classique » dépassé qui animerait la Banque en matière de politique des taux, tout en renvoyant le Trésor à ses responsabilités en matière de taux : « S’il croit à l’utilité de l’argent cher dans la défense de la monnaie [c’était] au Trésor à prendre l’initiative de hausser ses propres taux, en invitant les autorités monétaires à le suivre [...]. Le geste du Trésor eût signifié simplement qu’il acceptait pour son compte les conséquences d’une politique imposée à tous par l’intérêt général »53. L’analyse de Pierre Besse est intéressante à plusieurs titres. D’une part, elle souligne l’intérêt bien compris du Trésor qui fait passer l’aisance de la trésorerie avant l’intérêt général – ou bien qui dénote une conception très différente de l’intérêt général. Surtout, elle démontre que les divergences entre Trésor et Banque de France ne se limitent pas à des querelles de personnes ou des rivalités entre institutions : elles sont sous-tendues par des divergences doctrinales, sur lesquelles le Trésor s’appuie dans sa défense de la baisse des taux. Pierre Besse, dont les cours à Sciences Po apparaissent plutôt novateurs sur la monnaie et qui représente la tendance moderniste de la Banque, cherche à démonter clairement ces accusations de doctrine classique, tandis que le Trésor tend à enfermer la Banque dans son image de forteresse conservatrice. Ainsi Jean Saint-Geours analyse-t-il en 1953 la position de la Banque en faveur d’un taux de réescompte élevé comme un sacrifice « à la doctrine classique » et qui revient à « faire de la récession économique l’élément essentiel d’une amélioration de la balance commerciale »54. Pour le chargé de mission à la direction du Trésor, cette position risque surtout de nuire aux investissements des entreprises et de freiner la tendance à la baisse des prix. Enfin, sceptique sur l’utilité de l’argent cher dans la défense de la monnaie, il ajoute : « Il n’apparaît pas bien pourquoi il est nécessaire de cumuler, dans une politique de défense de la monnaie, la hausse des taux et les obstacles d’ordre quantitatif à l’expansion du crédit. [...] Si un taux de réescompte élevé semble avoir des effets anti-inflationnistes incertains mais des conséquences économiques fâcheuses, il accentue en outre les difficultés qu’éprouve l’État à couvrir le déficit budgétaire par des ressources de trésorerie »55. L’on retrouve ici encore les préoccupations permanentes du Trésor sur l’aisance de la trésorerie, insérées dans un discours macroéconomique et keynésien.
44La responsabilité de la cherté du crédit fait également l’objet d’une divergence d’approche : pour la Banque, on l’a vu, les taux des bons du Trésor conditionnent les taux de l’escompte ; pour le Trésor, en revanche, un taux de réescompte élevé oblige le Trésor à « consentir aux souscripteurs [d’effets publics] des taux d’intérêt élevés »56, qui sont par ailleurs onéreux pour l’État. Ceci rejoint le débat entre la Banque et le ministère des Finances sur la responsabilité de l’un et l’autre dans la conduite de la politique économique ; la note de Pierre Besse fait implicitement à cette conception de l’organisation des pouvoirs qu’il développe dans son cours dispensé à Sciences Po : « Les responsables de l’administration de la monnaie dirigeant les institutions monétaires se trouvent en présence d’un pouvoir politique qui, par trop respectueux de l’autonomie des autorités monétaires, ne donne pas de consignes à suivre quant à sa politique générale ou bien [...] prend des décisions contraires aux objectifs généraux que doivent se proposer les dirigeants de nos institutions monétaires »57. Ceci constitue un autre terme des désaccords entre Banque de France et Trésor sur la responsabilité, in fine, de la politique économique, et de son articulation avec la politique monétaire. Il n’est pas question ici de juger de la pertinence des arguments des uns et des autres. Il est certain que la prise en charge par le Trésor de la reconstruction depuis 1948 a conduit à l’organisation d’un circuit de financement complexe qui a alourdi le coût du crédit pour l’État comme pour les entreprises. Mais la Banque, par sa réticence à financer directement le déficit public, n’a-t-elle pas contribué, pendant toute une décennie, à la constitution de ce circuit, à la fois occulte, onéreux et inflationniste ?
45Dans cette même optique se place le procès de F. Bloch-Lainé contre une Banque de France attentiste et conservatrice qui débute quelques années plus tard : en décembre 1957, un article de Combat cite les propos de l’ancien directeur du Trésor critiquant vivement la position de la Banque : « C’est a priori et non a posteriori qu’il conviendrait de discuter les justes causes et les justes limites de l’expansion de la masse monétaire. La prévision nécessite évidemment plus de science et de courage que les remontrances »58. Dans ses ouvrages plus récents, F. Bloch-Lainé poursuivra ses critiques envers la « propension au conformisme »59 de l’Institut d’émission, relayé par J. Saint-Geours qui s’attaque au gouverneur et à son obsession orthodoxe du niveau des avances de la Banque au Trésor60.
46Sur quels griefs s’appuie cette animosité persistante ? Qu’en est-il en réalité, à l’époque ? O. Feiertag a clairement démontré les limites de ce procès des modernes contre les anciens61, cependant que les arguments développés par Besse et Saint-Geours à l’époque démontrent des divergences réelles sur certains aspects non négligeables de la politique monétaire. Plusieurs explications peuvent être avancées.
47En premier lieu, le « drame de la trésorerie » de février 1952 a certainement marqué les hauts fonctionnaires alors en poste au Trésor. Au-delà de ses aspects politiques et des relations entre la Banque et le ministre des Finances, cet épisode doit être analysé, du point de vue du Trésor comme un moment traumatisant et humiliant : obligé de demander un relèvement des avances de la Banque pour finir le mois, le Trésor faillit à la règle qu’il s’est fixée sur l’aisance de la trésorerie et le crédit de l’État et met alors en lumière les limites de ses compétences. Les conséquences politiques qui ont suivi la lettre de Wilfrid Baumgartner à Edgar Faure marquent cette date au fer rouge pour la direction du Trésor ; les témoignages des uns et des autres le montrent. Surtout, le Trésor est alors soumis au bon vouloir de la Banque. Or celle-ci souhaite assortir son autorisation d’avances d’un train de mesures financières. Mais F. Bloch-Lainé qui transmet pour approbation à W. Baumgartner le 26 février 1952 une note à E. Faure sur les difficultés de trésorerie à prévoir, n’y est pas très favorable en raison de ses conséquences sur le plan psychologique néfastes, selon les auteurs, pour la confiance en la monnaie. Le mot manuscrit agrafé à la note est explicite : « Je joins au projet de communiqué que nous avons établi, Guindey, Goetze et moi tout à l’heure, une note hâtive qui traduit les hésitations de la Trésorerie sur l’opportunité d’accrocher une convention d’avances de la Banque au train de mesures prévu pour le retour de Lisbonne. Quelle qu’elle soit, nous suivrons votre décision sur ce point »62. Sur le moment, le directeur du Trésor n’a donc pas approuvé la décision de W. Baumgartner et l’accuse depuis lors de « tirer sans risque sur l’ambulance »63. La dernière phrase indique clairement que les grands directeurs du ministère des Finances tout en s’unissant pour tenter de faire changer d’avis le gouverneur, n’ont guère de marge de manœuvre durant la crise : le pouvoir est alors clairement rue de La Vrillière. Cet élément n’est sans doute qu’anecdotique par rapport à l’ensemble de la crise de février, mais il donne un exemple significatif des relations entretenues par le Trésor avec la Banque. L’on comprend mieux les griefs d’un directeur du Trésor entreprenant, obligé de se soumettre à la volonté de W. Baumgartner. Rappelons qu’en définitive, les conséquences politiques de cet épisode coûteront son poste à F. Bloch-Lainé.
48Cet antagonisme est alimenté par le décalage entre deux générations d’inspecteurs des Finances, séparés par des expériences et une formation différentes et des conceptions politiques divergentes. Si l’on suit J. Bouvier64, plusieurs paramètres influent les rapports entre Trésor et Banque de France : la solidité du gouvernement, l’état de la situation des finances publiques, la personnalité du gouverneur et les rapports internes entre gouverneur et directeur du Trésor. Il est clair que dans les années 1950, l’ensemble de ces paramètres concourt à une mésentente entre les deux protagonistes... Après le départ de F. Bloch-Lainé, que W. Baumgartner refuse par la suite de prendre à la Banque, l’arrivée de P.-P. Schweitzer n’améliore pas les difficiles rapports entre le directeur du Trésor et le gouverneur :
« Il y avait Baumgartner pendant tout ce temps [1953-1959] qui était gouverneur de la Banque de France, qui aimait faire sentir sa puissance au gouvernement en empêchant le marché monétaire de faire son travail. Et il tenait les rênes courtes, si je puis dire, à la trésorerie de l’État. »65, explique Pierre-Paul Schweitzer dans son style très direct, qui reproche à Wilfrid Baumgartner de « manipuler le robinet du circuit, au lieu de laisser le circuit se dérouler paisiblement »66. Le nouveau directeur du Trésor établit un rapport de force avec le gouverneur qui lui est favorable : « J’avais pris comme système que, au lieu de m’agiter là-dessus [sur la situation de trésorerie], j’attendais paisiblement ; on était toujours un peu « sur la corde raide », j’attendais paisiblement qu’il soit cinq ou six heures du soir ou sept heures. Quand Baumgartner téléphonait en disant ce qu’il allait faire, ça l’agaçait énormément que ce ne soit pas moi qui téléphone »67.
49Divergences sur les objectifs et les moyens de la politique financière, divergence sur la conception des finances publiques et rapports de force dictent les relations entre les deux institutions, d’un directeur à l’autre.
50La logique de fonction commande aussi le débat, ses fondements doctrinaux comme ses applications en matière de politique du crédit : défense de la monnaie pour l’Institut d’émission, défense de la trésorerie et plus largement des investissements pour le Trésor. Ce dernier s’arroge pour l’avenir la face moderne et donc le beau rôle au sein du pouvoir monétaire. Ainsi plusieurs lectures des déclarations très vives de F. Bloch-Lainé et de J. Saint-Geours à rencontre non pas de la Banque mais de son gouverneur de l’époque peuvent-elles être élaborées.
51À partir du milieu des années cinquante, le consensus sur les modalités du financement de l’économie qui s’était bon an mal an instauré depuis 1945 entre les autorités monétaires, est remis en question. Les méfaits du circuit, les effets pervers du système de financement à la française ainsi que la perspective du marché commun accélèrent une prise de conscience de la nécessité d’une réforme de la part de la Banque de France.
52À la suite des critiques émises par la Banque de France et le Conseil national du crédit sur la politique des bons du Trésor, à partir de 1955, le bureau Al admet l’incidence du régime des émissions de bons du Trésor sur la politique du crédit. Comme il est plus avantageux pour les banques d’employer leurs liquidités à souscrire des bons du Trésor qu’à se désendetter vis-à-vis de la Banque de France, celle-ci a le sentiment « d’avoir perdu le contrôle du marché », ce « qui la priverait d’une grande partie de ses moyens d’action dans l’hypothèse d’une réapparition des tendances inflationnistes »68. L’auteur propose différentes solutions temporaires, mais donne surtout des pistes de réflexion pour l’avenir, étayées par une documentation sur les Treasury bills anglais : un raccourcissement des échéances et un assouplissement des émissions, sans que le mot d’adjudication soit encore prononcé69.
53L’on ne peut que constater le décalage qui existe entre les mentalités des hauts fonctionnaires du Trésor qui, ayant redécouvert les avantages du circuit, cherchent à le développer et le raffiner et celles des acteurs extérieurs, dont la Banque de France, qui remettent en question le mécanisme.
54Si le circuit de financement du Trésor était en effet auparavant peu ou prou toléré par le gouverneur de la Banque, du moins jusqu’en 195370, il est vivement critiqué à partir de 1957 par le conseil général de la Banque de France. Lors de la séance du 28 mai consacrée aux problèmes de trésorerie de l’État, le gouverneur Wilfrid Baumgartner insiste sur la responsabilité du Trésor dans le gonflement du crédit à moyen terme, du fait du caractère automatique du moyen terme des entreprises nationalisées71. Jacques Brunet renchérit en dénonçant le rôle du Trésor « qui pompe sur la Caisse des dépôts les excédents des Caisses d’épargne » et qui « a été amené à faire un certain nombre de dépenses dont certaines sont entreprises dans des conditions qui ne sont pas normales », avant de conclure que les difficultés actuelles de la monnaie ne sont pas dues aux besoins de l’économie, « mais à la gestion des finances publiques ».
55Jean Saltes, alors sous-gouverneur de la Banque, établit le projet de lettre au ministre accordant une avance à l’État, conditionnée par la mise en application d’un certain nombre de mesures concrètes : limitation du réescompte des effets publics et des effets à moyen terme construction par la Caisse des dépôts, limitation des crédits à moyen terme destinés aux entreprises nationalisées : « La liberté d’appréciation est fort réduite et les concours que [la Caisse] réescompte correspondent parfois à des immobilisations permanentes ou même à des déficits de gestion qui devraient normalement être couverts par des fonds propres »72. La Banque de France connaissait bien évidemment le système de financement dont elle assumait en dernier ressort la responsabilité ; mais la visite de Pier Jacobsson et ses recommandations ont été visiblement reprises par l’Institut d’émission73.
56Cet épisode éclaire d’un jour nouveau les difficultés relationnelles entre la Banque et le Trésor. S’il y a consensus entre les deux pour financer la modernisation du pays, si la Banque de France a pris la responsabilité de financements peu contrôlables comme le crédit à moyen terme mobilisable74, il y a cependant une grande divergence d’appréciation sur les moyens de financement : lorsque W. Baumgartner demande une gestion plus rigoureuse des finances publiques, c’est qu’il ne souhaite pas – ou plus ? – que le financement de l’économie passe par l’État ; d’autant que la Banque, bien qu’en étant le financier en dernier ressort, ne maîtrise pas ce circuit. Se dessinent ainsi des divergences non seulement sur les modes de financement plus ou moins orthodoxes, sur des conceptions de la politique du crédit plus ou moins classiques, mais surtout sur le rôle de l’État dans la croissance économique. Il faut rappeler qu’en 1957 la guerre d’Algérie commence à peser lourd sur les finances publiques et dans la reprise de l’inflation.
III. LES BANQUES AU SERVICE DE L’INTÊRÉT GÉNÉRAL
57La fixation des taux d’intérêt est l’un des points d’ancrage de la compétition que se livrent Banque de France et Trésor. Mais elle n’est qu’une des facettes des relations complexes qu’entretiennent l’une et l’autre des institutions à l’égard des banques. Qui réglemente les activités bancaires ? Qui décide des commissions bancaires et des taux d’intérêt ? Qui contrôle la gestion des banques nationalisées ? Quelle est la part de responsabilité des institutions et celle dévolue aux réseaux d’influence, au poids des hommes qui tissent ces relations au quotidien ? L’étendue du champ de recherches, jusqu’à présent peu défriché, ne peut qu’inciter à la prudence. Il ne saurait ici être question de le traiter dans son ensemble, mais plutôt de définir la position et les pratiques de la direction du Trésor sur la période.
58Qui fixe les taux d’intérêt des banques ? La question peut paraître simple, mais les réponses sont multiples, de la part des acteurs eux-mêmes qui – habileté suprême ? – s’en rejettent mutuellement la responsabilité.
59Lorsqu’Emmanuel Monick intervient à la séance du Conseil général du 24 juin 1947 sur la question des taux d’intérêt, il rappelle à l’ordre l’un des membres du Conseil général très préoccupé de la nécessité d’augmenter les taux d’intérêt des banques, en ces termes : « Il s’agit d’une question grave, exigeant réflexion, et qui ne saurait être résolue qu’en accord avec le directeur du Trésor, dont elle est une des prérogatives essentielles »75. En revanche, dans le projet de lettre émanant de la direction du Trésor destiné à fournir une réponse sur le problème des taux du crédit à un député, M. Fromaget, le chef de bureau indique clairement que le ministère des Finances n’est pas en mesure, en dépit de la nationalisation des quatre principales banques, d’agir contre la hausse des taux ; « la fixation des taux minimaux pour les opérations de crédit les plus importantes est une prérogative en effet du Conseil national du crédit, organisme corporatif où l’influence des banques et de la Banque de France (qui les défend) est prépondérante »76. Ces deux documents dressent les contours du pouvoir en matière de taux bancaires : Trésor et Banque de France, via le Conseil national du crédit, s’y retrouvent dans les premiers rôles, sans pour autant négliger le poids des banques commerciales. Dans la logique de leurs positions respectives sur le taux de réescompte et sur les taux des bons du Trésor, les deux pôles de l’autorité monétaire s’opposent sur les taux d’intérêt des banques : la Banque étant favorable à une hausse des taux pour réguler le crédit, le Trésor cherchant systématiquement à éviter la hausse, voire à abaisser le coût du crédit77. Les raisons sont multiples. Toujours attentif aux effets sur la trésorerie publique, le Trésor se préoccupe de la répercussion d’une hausse des taux d’intérêt sur les taux des bons du Trésor. Ainsi, lorsqu’il est question de relever le taux de l’escompte en 1951, la direction multiplie-t-elle les notes défavorables. Une note de la mission de contrôle des activités financières préférerait une « détente des taux qui profiterait au Trésor par la voie des conditions d’émission des bons » ; l’argument inflationniste est également pris en compte, les « taux actuels du crédit constituant un élément de cherté des prix français par rapport aux prix étrangers »78. Le sous-directeur du Mouvement des fonds se place du point de vue macroéconomique. Selon lui, si l’on veut freiner la demande de crédit, « la hausse du taux d’escompte ne paraît pas être en elle-même un moyen efficace d’y parvenir » ; il faudrait plutôt la combiner avec des restrictions quantitatives79. Cependant la hausse du taux de l’escompte, limitée à un demi-point, est décidée le 15 octobre 1951. Jean Guyot continue d’être défavorable à une hausse supérieure, en démontrant les dangers économiques – « il décourage l’initiative » – et les dangers financiers – « il entraîne l’échelle de tous les taux d’intérêt » – et pose enfin le problème du risque de déflation d’une politique de restriction du crédit très efficace80.
60La doctrine se maintient tout au long de la décennie, mais les arguments évoluent au fil du temps et des préoccupations. En 1956, alors qu’une nouvelle hausse est envisagée, le Trésor propose une baisse des taux qui permettrait de réduire le recours des grandes entreprises nationales au fonds de développement économique et social, et qui allégerait leur prix de revient ; elle est considérée comme décisive pour le développement des investissements du secteur industriel privé, dont le retard est désormais jugé préoccupant81. Le développement des bonifications d’intérêt permettrait alors une sélectivité de l’aide publique à l’investissement. Clairement, à de multiples reprises, le Trésor se place d’un point de vue non seulement financier mais économique.
61La question des taux d’intérêt renvoie à celle des conditions de banque et s’inscrit dans ce même débat entre la Banque et le Trésor sur la maîtrise de la politique du crédit. Si le Trésor tend à dénoncer l’alliance objective de la Banque de France et des banques en matière de fixation des taux bancaires82, il cherche néanmoins à contrebalancer ce pouvoir sur la question des conditions de banque : taux des commissions bancaires, fixation des taux minima, etc. À cette époque, les tarifs bancaires sont en grande partie réglementés par le Conseil national du crédit qui fixe les taux minima des commissions pour tenue de compte et pour opérations de crédit, après approbation de l’Association professionnelle des banques ou à défaut, du ministre des Finances ; le Comité Watteau, délégation permanente du Conseil national du crédit pour fixer les conditions de banque, ne peut statuer qu’à l’unanimité83 ; en revanche les opérations sur titres sont frappées de droits fixés par la profession bancaire. La marge de manœuvre du Trésor est étroite : soit il agit par pression sur les banques, sans pouvoir agir d’autorité, soit il tente de convaincre son ministre pour tenter d’influencer la Banque de France et par là, le Conseil national du crédit. Peu après son arrivée à la tête de la direction, François Bloch-Lainé entreprend lui-même une tentative de diminution des commissions bancaires. Ainsi lors des discussions informelles avec l’ensemble des banques sur les taux de placement des emprunts d’État et des emprunts des nationalisées, exerce-t-il une pression qui aboutit parfois84. Mais, à la différence des secteurs monétaires et économiques, sur le terrain bancaire, l’intervention du Trésor est négociée et non imposée ; ainsi répond-il à Robert Buron, député MRP de la Mayenne, sur la question des tarifs bancaires : « Sans être vraiment plus libéral que vous, j’ai pensé qu’il n’était pas souhaitable d’étendre le système de tarification et je me suis borné à demander récemment aux banques de réduire elles-mêmes leurs tarifs concernant les titres, en même temps que les tarifs concernant les autres opérations étaient réduits par le Conseil national du crédit »85.
62Les années 1949-1952 illustrent la guerre d’usure qui oppose le Trésor aux représentants des banques et à la Banque de France.
63Sur cette question, la mission de contrôle des activités financières, organe créé par F. Bloch-Lainé en 1948 qui rassemble les commissaires du gouvernement auprès des banques, apparaît très en pointe. En octobre 1949, elle signale des protestations répétées non seulement des petits clients des banques mais également de quelques grandes entreprises (SNCF, Mines domaniales des potasses d’Alsace, etc.) sur les conditions de banque. En raison de la bonne tenue des comptes des banques en 1949, la mission propose une réduction sensible de différentes commissions : commissions d’endos, taux de garantie bancaire pour les engagements de signature des banques, suppléments d’escompte conservés par la Banque de France et le Crédit national dans le crédit à moyen terme ; frais des banques dans les opérations sur titres86. Le 6 décembre 1949, M. Petsche, ministre des Finances, écrit officiellement à W. Baumgartner, sous la plume de la direction du Trésor, et au président de l’Association professionnelle des banques pour leur proposer une révision des différentes commissions et une réduction des frais généraux des banques. La réponse du gouverneur fait état des « améliorations sensibles déjà obtenues » par le Conseil national du crédit sur la baisse des taux et de la disparition de 10 % des guichets des grands établissements depuis 194787, tandis que l’Association professionnelle des banques contre point par point les demandes du ministre. Le 5 avril 1950, des décisions du Conseil national du crédit modifient à la baisse les conditions de banque, dont les droits de garde des banques et la commission d’endos88, baisse réclamée depuis longtemps par le Trésor. Celui-ci continue son offensive, en réclamant à nouveau le 16 mai 1950, sous couvert du ministre, une baisse de la commission d’endos ainsi que des informations concernant les travaux du Conseil national du crédit sur les frais généraux des banques. Le gouverneur transmet à l’Association professionnelle des banques, toujours défavorable à la baisse. Devant l’absence de réponse, le ministre réitère sa demande quelques mois plus tard, toujours rédigée par le bureau C1, auprès du gouverneur avec la fixation d’un calendrier : « Il conviendrait que le Conseil national du crédit soit saisi d’ici fin 1950 pour que la clientèle puisse bénéficier dès le début de 1951 des allégements ». Le gouverneur tente de trouver un compromis et écrit ce mot manuscrit assez révélateur de son rôle de médiation : « Il n’y a pas une profession qui ait fait un pareil effort de compromis, j’ose dire en partie grâce à moi, au cours des dernières années »89. En vain. Seule une suppression de la commission d’endos sur les crédits à moyen terme réescomptables au Crédit foncier, au Crédit national et à la Caisse des dépôts est décidée le 11 octobre 1951. Faut-il alors intervenir d’autorité ? René de Lestrade évoque cette possibilité, mais recule devant « les inconvénients psychologiques » d’une réduction sans l’accord de la profession bancaire90.
64La note de René de Lestrade adressée au directeur du Trésor permet de mieux comprendre le souci premier du Trésor, celui de l’amélioration de la productivité des banques. Lorsque la direction a demandé au gouverneur de la Banque en novembre 1950 un nouvel effort pour alléger les conditions de banque, l’Association professionnelle des banques se montre réticente en raison des répercussions sur la situation financière des établissements de crédit. Or, selon l’auteur, « on ne peut accepter cette situation comme inéluctable. Cela n’incite pas les dirigeants des banques à réformer l’exploitation de leurs établissements dans le sens d’un meilleur rendement et d’un moindre coût »91. L’imbrication des questions du coût du crédit, des taux d’escompte et des conditions de banque, et leur implication sur la trésorerie et la politique du crédit sont également mises en avant par le sous-directeur chargé du Mouvement général des fonds. Une baisse des conditions de banque et une baisse des taux monétaires permettraient de répondre à un triple objectif : celui de réduire « la charge des conditions bancaires pour l’économie », celui de réduire « les bénéfices des banques et de la Banque de France » et « de faire ainsi pression sur elles pour obtenir une amélioration de leur productivité » ; enfin, celui de « réduire le coût de la dette flottante de l’État »92. Dans cette triple optique qui sert aussi bien l’économie que l’État, le Trésor n’aura de cesse de réclamer une meilleure productivité des banques, au nom d’un intérêt général bien compris. La mission de contrôle qui connaît sans doute mieux l’état des comptes des banques, est plus nuancée : « S’il est vrai qu’une des raisons les plus sérieuses des taux actuels est le souci d’équilibre des quatre banques nationalisées, il serait certainement moins onéreux pour le Trésor de subventionner directement, en cas de besoin, ces quatre établissements et ceux-là seulement, plutôt que de majorer sans nécessité les recettes de tous les membres de la profession »93. Autrement dit, si l’État considérait les quatre banques comme des entreprises nationales, la baisse du coût du crédit serait possible. En revanche, au vu des résultats d’exploitation des banques en forte progression en 1951, la position de la mission de contrôle évolue : « Les banques seraient éventuellement en mesure de s’associer à l’effort de baisse des tarifs et des prix dont le Gouvernement a fait son objectif essentiel », rappelant que « la prospérité actuelle des banques est due à un accroissement des frais bancaires, supportés par notre économie, et non à des progrès techniques »94. Crainte de faillites bancaires ? Souvenir traumatisant de la crise des années 1930? Souci d’actionnaire? Ou bien volonté « moderniste » d’une gestion plus efficace ? La réduction des frais généraux des banques revient comme un leitmotiv dans les notes du Trésor. On retrouve cette préoccupation dans les rapports de la Commission de vérification sur les banques nationalisées, établis par la Commission de contrôle des banques ; en 1956, cette dernière maintient sa résolution de l’année précédente « sur la nécessité pour les banques de dépôts nationalisées de poursuivre leurs efforts en vue de réduire leurs frais généraux par la rationalisation des services, la simplification des procédures, l’adaptation aux besoins des réseaux de guichets »95. Ce débat plus large sur la « rationalisation de l’appareil bancaire » toujours souhaitée par le Trésor, est repris par Jean Saint-Geours dans la note qu’il rédige avec René de Lestrade pour le programme économique de Pierre Mendès France en 195496 ; il y préconise également une libération des taux bancaires, une réduction du circuit de mobilisation par la suppression de la quatrième signature pour le crédit à moyen terme sur le secteur privé, et la suppression de l’intervention de la Caisse des marchés et des banques pour le crédit à moyen terme des entreprises nationales.
65La doctrine du Trésor apparaît alors comme le fruit de positions diverses : le financement de l’économie au moindre coût pour le pays comme pour l’État d’une part, le maintien de la situation financière des banques, d’autre part, sans pour autant que l’État-actionnaire joue son rôle et que cela se traduise par des taux d’intérêt trop élevés. Cette quadrature du cercle est d’autant plus complexe à réaliser que le Trésor est à la fois le concurrent des banques sur le marché de l’épargne et leur tuteur, et que la position des banques sur les taux d’intérêt, dictée par la situation de l’offre et de la demande de capitaux, se différencie de celle du Trésor.
IV. LE TRÉSOR TUTEUR ET CONCURRENT DES BANQUES
A. LA TUTELLE ÉTROITE DU MARCHÉ FINANCIER
66On rappellera pour mémoire que le Trésor réglemente alors l’émission des valeurs mobilières, assure la tutelle des professions boursières et contrôle les opérations concernant les valeurs mobilières, attributions relativement anciennes qu’il ne partage pas avec la Banque de France, « l’autorité monétaire ayant davantage vocation à s’occuper du marché monétaire qu’à intervenir sur le marché financier »97.
67Depuis la loi du 6 août 1941, la direction du Trésor a la maîtrise du calendrier et du volume des émissions mises sur le marché supérieures à 50 millions de F ; le dispositif, mis en place à l’origine pour assurer un contrôle de l’opportunité dans le temps, est renforcé en 1947 (autorisation requise pour les émissions supérieures à 25 millions). Cette réglementation pointilleuse du marché financier, qui permet au Trésor de sélectionner les demandes de capitaux en fonction d’un critère d’opportunité économique n’est pas une formalité : comme on l’a vu pour l’immédiat après-guerre, les discussions bi-hebdomadaires des hauts fonctionnaires du Trésor avec les grandes banques sur les autorisations d’émissions se poursuivent entre les quatre grandes banques de dépôt et parfois le Crédit industriel et commercial, le Crédit commercial de France, la Banque de Paris et des Pays-Bas autour du calendrier, du montant des souscriptions et des dividendes des banques. L’intervention régulière et personnelle du directeur entre 1948 et 1950 sur les dossiers d’emprunts publics et des entreprises publiques révèle la fermeté courtoise de F. Bloch-Lainé et son habituel esprit d’innovation. C’est sur ce terrain qui met en jeu à la fois le placement des emprunts publics et des entreprises nationalisées ainsi que les conditions de placement des banques que le directeur du Trésor est amené à rencontrer fréquemment les grandes banques98. Par décision du 16 juin 1958, l’autorisation préalable est supprimée pour les émissions autres que celles des sociétés d’hydrocarbures, quand elles ne font pas appel au public. Les demandes sont dorénavant directement transmises au Commissariat au Plan et au Commissariat à la productivité, pour observations. Le Trésor maintient cependant un droit d’ajournement ainsi que la nécessité d’être informé 15 jours avant l’émission. Ceci correspond non seulement à une timide libéralisation, mais aussi à une évolution des fonctions du Trésor, qui tend à se décharger du travail matériel sur ces deux organismes, tout en souhaitant se garder une possibilité d’action.
68Par ce biais de la tutelle financière de l’ensemble des entreprises qui ont recours à la Bourse, le Trésor est amené à exercer une pression sur les banques. Mais la tutelle bancaire ne saurait être définie sous ce seul aspect.
B. QUELLE TUTELLE POUR QUELLES BANQUES ?
69La complexité et l’ambiguïté des liens entre le Trésor et les banques s’explique d’abord par le fait que le Trésor a besoin des banques pour alimenter sa trésorerie, mais qu’il en est aussi le tuteur ; il entend les laisser se gérer elles-mêmes, tout en souhaitant orienter leur activité au service de l’économie99. On rappellera tout d’abord que son rôle de tuteur est partagé officiellement avec la Commission de contrôle des banques et le Conseil national du crédit. La première qui détient des pouvoirs réglementaires, des pouvoirs de surveillance et des pouvoirs juridictionnels, a également été chargée de la vérification des comptes des banques nationalisées. Le Conseil national du crédit est théoriquement responsable de la fixation des conditions de banque, mais on a pu voir comment le Trésor pouvait influencer en amont ses décisions à travers le ministre des Finances. Surtout, la perception par le Trésor de cette répartition des pouvoirs comme la manière dont le discours évolue sont très révélatrices de la mentalité des hauts fonctionnaires du Trésor à l’époque. En 1948, dans son premier cours sur le Trésor dispensé à l’Institut d’Études Politiques, François Bloch-Lainé prend soin d’expliquer que si le « ministère des Finances apparaît comme le seul responsable de l’équilibre du marché et des changes, il cherche cependant à partager ses responsabilités avec d’autres » ; notamment il délègue « à la Banque de France pour les marchés intérieurs » et « multiplie les organes consultatifs » comme le Conseil national du crédit100. Dans son cours de 1952-1953, le rôle de la Banque de France est réévalué, mais non celui du Conseil national du crédit et de la Commission de contrôle des banques ; dans le partage des attributions de la tutelle financière, selon l’auteur, « les comités sont le moyen le plus commode d’organiser le « condominium » du Trésor et de la Banque. Ce sont : la Commission de contrôle des banques, le Comité des bourses de valeurs, le Comité monétaire de la zone franc et le Conseil national du crédit ». Il précise que les quatre organismes sont présidés par le gouverneur et que « le directeur du Trésor agissant au nom du ministre, participe aux quatre, tantôt avec voix délibérative, tantôt avec un simple droit de veto. Il est en tout cas l’exécutant des décisions et le destinataire des avis, de telle sorte qu’il joue en pratique le principal rôle avec le gouverneur »101. La version publique de 1961 est beaucoup plus consensuelle et laconique : « La direction du Trésor et la Banque de France opèrent en étroite association [pour la tutelle financière] » écrivent F. Bloch- Lainé et P. de Vogüé102. Cette évolution de la représentation de la géographie des pouvoirs tutélaires mérite qu’on s’y intéresse de près. Elle confirme l’idée d’une volonté de suprématie exercée par le Trésor sur le système bancaire, au détriment des autres organes officiellement en charge. On peut également y voir une évolution du discours du directeur du Trésor, au fur et à mesure de sa pratique de la tutelle et de la nécessité où il se trouve de composer avec la Banque ; enfin, lorsque l’on sait que cet enseignement est diffusé auprès de futurs hauts fonctionnaires, ces documents donnent la mesure de l’image d’un Trésor tout-puissant véhiculée auprès de toute une génération d’énarques... Pour compléter ce tableau des différents maillons de la tutelle du Trésor sur les banques, on rappellera enfin que depuis la nationalisation de 1945, le Trésor ne dispose pas de représentants aux conseils d’administration de la Société générale, du Crédit lyonnais, de la Banque nationale pour le commerce et l’industrie et de la Banque de l’Union parisienne mais qu’un comité de censeurs auprès de ces banques est le mandataire de la Commission de contrôle des banques103.
70Si la réalité de la tutelle se situe au-delà des responsabilités institutionnelles, que l’enchevêtrement des organes de contrôle ne contribue pas à clarifier, les liens multiples et quasi-permanents qui se tissent entre le Trésor et les banquiers éclairent mieux les centres de décision internes au Trésor en matière bancaire, qui s’avèrent très éclatés. Ainsi la mission de contrôle des activités financières qui regroupe les commissaires du gouvernement auprès des banques d’affaires joue-t-elle un rôle d’information et de contrôle important, tout en représentant durant cette période le fer de lance des réformes bancaires. En outre, le sous-directeur chargé des interventions économiques a également affaire aux banques pour financer des grands projets industriels, tandis que le sous-directeur chargé de l’outre-mer est en relation avec les banques établies dans l’Empire : la Banque de l’Indochine, qui bénéficie encore du privilège de l’émission, se voit ainsi incitée par l’État à ouvrir des agences afin de favoriser la pénétration française sur le territoire104. Le sous-directeur en charge des activités financières surveille la réglementation des banques, des établissements à statut légal spécial et des Caisses d’épargne ; il a directement sous sa tutelle les commissaires du gouvernement. L’on voit ainsi qu’à l’intérieur du Trésor, des hauts fonctionnaires ayant des responsabilités distinctes et parfois cloisonnées sont en relation qui avec les banques de dépôt, qui avec les banques d’affaires ou encore avec les correspondants et alliés du Trésor, dans des optiques diverses : drainage des liquidités vers le Trésor, financement de l’économie, surveillance du marché financier et des opérations de crédit. La synthèse est faite par le directeur, qui reçoit solennellement les quatre grandes banques nationalisées dans son bureau, pour négocier les commissions bancaires, mais également, en tant qu’actionnaire, pour approuver leurs comptes, prendre position sur des questions salariales et sociales propres à la profession bancaire105.
71Bien que chacun de ces responsables ne montre qu’une facette des relations très éclatées du Trésor avec les banques, la perception qu’en ont les hauts fonctionnaires du Trésor à l’époque apparaît assez conflictuelle, quel que soit le secteur d’activité. Les hauts fonctionnaires chargés de la trésorerie font état de négociations parfois âpres sur les commissions bancaires, dont Jacques Vincenot, jeune inspecteur des Finances, chargé de mission en 1946-1948 au Trésor, donne un écho concret et précis :
« Je me souviens de Raymond Villadier [sous-directeur chargé du MGF] parlant des difficultés qu’il avait à faire accepter de baisser la commission de 0,15 à 0,12 %. Il l’avait obtenu, alors on l’encourageait, mais en même temps on lui disait : “Il faut aboutir, cet emprunt sort la semaine prochaine, il faut traiter”. Cela remontait au directeur du Trésor qui pouvait appeler le directeur général de la banque et lui dire : “Écoutez, il faut mettre un peu "les pouces"” ; et puis, à la limite, [cela remontait] au ministre, qui appelait le Président de la banque et disait : “Écoutez, nous ne paierons pas plus que ça, alors vous marchez, concertez-vous à trois et venez obéir ou pas”. Cela a été assez sévère, à cette époque-là »106.
72D’un tout autre point de vue, mais non moins directif, Jean Saint-Geours, qui tient alors les rênes des interventions économiques du Trésor, organise lui-même des réunions avec l’ensemble des banques pour le sauvetage d’entreprises, la restructuration de secteurs industriels, la modernisation de la sidérurgie par exemple. Selon lui, « à cette époque-là, l’État exerçait un ascendant égal sur les banques privées et les banques publiques, qui toutes résistaient en fonction de leurs intérêts de gestion saine »107.
73Le sous-directeur en charge des activités financières de 1952 à 1955, Jean Autissier, regrette également le manque d’obéissance des banques quant aux orientations économiques fixées par le Plan :
« Les banques avaient une certaine liberté d’action, elles tenaient compte [du Plan] dans une certaine mesure, parce qu’on leur disait : “Il ne faut pas se fâcher avec le gouvernement”. Mais après cela, elles faisaient ce qu’elles voulaient. – Question : Leur attitude par rapport à l’investissement a-t-elle évolué ? On a parlé d’une France malthusienne. R. : Ah, non, elles ont évolué dans le bon sens, elles ont soutenu l’effort du gouvernement »108.
74Sur la place dévolue aux banques dans le circuit économique et financier, François Bloch-Lainé lui-même s’est livré à plusieurs reprises à des remarques critiques sur leur attitude jugée frileuse. Le témoignage recueilli par le Comité pour l’histoire économique et financière a le mérite d’être éclairant sur plusieurs aspects du lien entre Trésor et banques :
« Parce qu’ils [le Crédit lyonnais et la Société générale] avaient de très bonnes relations avec la Banque de France, on ne changeait pas les plafonds d’escompte des banques et [...] ils avaient un avantage considérable, c’est que l’on interdisait la création de guichets et que, ayant les plus grands réseaux, cela les servait. Les banques ont vécu à l’abri de l’autorité monétaire et de l’autorité financière pendant toute cette période-là. Moyennant quoi, on avait l’appareil en main, quand il s’agissait de se procurer des ressources ou de sortir des emprunts publics, les courroies de transmissions étaient là. C’est comme ça que dès mon arrivée, j ‘ a i obtenu des banques qui avaient fait la grève du crédit à moyen terme parce qu’elles n’aimaient pas les nationalisées, bien entendu, elles étaient réactionnaires, j ‘ a i obtenu qu’elles financent les entreprises nationalisées »109.
75Sur ce dernier point, la réticence des banques face aux entreprises nationales se confirme à propos de la mise au point de la constitution du capital d’Air France au début de l’année 1949 ; elles tendent à la fois à limiter le montant des actions à placer et à obtenir la garantie inconditionnelle de l’État. De plus, les banques ne souhaitent pas contribuer à équilibrer le compte d’exploitation de la compagnie, afin d’inciter le concessionnaire à gérer économiquement ; les entreprises de navigation aérienne ne s’avérant pas selon eux très rentables110.
C. QUELLE DOCTRINE POUR QUELS CONTRÔLES ?
76Ce discours des hauts fonctionnaires du Trésor sur les rapports difficiles à l’époque avec les banques est à mettre en parallèle avec leur volonté délibérée de laisser leur liberté d’action aux banques nationalisées : soumettre les banques nationalisées à l’intérêt général, oui, mais ne pas les assujettir directement et publiquement. Aussi, durant cette période, les fonctions de contrôle et d’information restent-elles limitées à la mission de contrôle pour les banques d’affaires, les quatre nationalisées étant soumises au contrôle a posteriori de la section du crédit de la Commission de vérification, confiée alors à la Commission de contrôle des banques. Restant sur la même ligne que celle définie en 1946, le Trésor souhaite laisser aux banques nationalisées la même liberté que les autres, afin de ne pas gêner leurs activités et de répondre à la pression de l’opinion. Bloch-Lainé dans son cours de 1948-1949 à Sciences Po est très clair : « Le ministère des Finances [...] cherche à répartir, à partager ses responsabilités [sur le marché des capitaux] avec d’autres, surtout depuis que les banques ont été nationalisées : l’opinion publique française et étrangère pense que ces établissements obéissent aveuglément aux injonctions des pouvoirs publics. Le ministère des Finances a donc tenu à placer le plus possible des écrans entre lui et le système bancaire afin d’éviter cette suspicion qui eût été défavorable aux banques »111. En 1954, P. Pavard rappelle cet élément de doctrine fondamental du Trésor, qui se retourne parfois contre lui : « Les banques nationalisées ne sont pas soumises à des contrôles plus stricts en matière de taux que les autres ; j’oserai même dire qu’elles sont bien plus capables que d’autres d’abuser de leur puissance (ceci étant également vrai à l’égard du Trésor) »112. Ce constat fait écho à celui de la mission de contrôle des activités financières qui déplore la « résistance » des banques de dépôts à une réduction des conditions de banque, à la différence des banques d’affaires qui selon lui « ne verraient pas sans quelques sympathies – malgré les réserves apparentes que provoqueraient les exigences de la confraternité – un abaissement plus ou moins généralisé des minima imposés par l’Association professionnelle des banques »113. Les témoignages oraux confirment largement, on l’a vu, le sentiment de résistance des banques nationalisées à toute emprise de l’État. Le Trésor oscille entre sa volonté de ne pas soumettre les banques publiques à une sujétion particulière, celle de maintenir leur rentabilité en cherchant à rationaliser leur gestion et celle qui tend à les instrumentaliser au service de l’État et de l’économie...
77Les témoignages croisés d’inspecteurs des Finances devenus banquiers confirment rétrospectivement à tous points de vue cette double perception du Trésor de l’époque. Certains témoins, comme Pierre Coquelin, regrettent ainsi une vision très macroéconomique du secteur par le ministère des Finances, qui explique en partie les divergences d’appréciation entre le Trésor et les banquiers sur la politique du crédit. On y perçoit la critique implicite d’un manque de compétence des hauts fonctionnaires sur le métier de banquier :
« L’administration reste loin de la vie pratique des affaires ; on s’en rend compte quand on est soi-même dans la vie pratique des affaires. Pendant des années, elle a eu une vue macroéconomique des événements »114.
78En corollaire, le témoignage d’Emmanuel Lamy prend toute sa saveur. Quel n’est pas son étonnement, alors qu’il fut en charge de la sous-direction des Activités financières au Trésor de 1946 à 1948, lorsqu’il arrive à la BUP en 1955, après avoir été attaché financier à Washington et directeur des Finances du Maroc, et découvre « une profession très réglementée et qui n’a jamais cessé de l’être dans les années qui ont suivi »115. D’autres témoignages illustrent encore le souci des banques nationalisées d’échapper à l’emprise de l’État. Ainsi Jean Méary répond-il à une question sur le contrôle effectif de l’administration sur la Société générale :
« Très faible, en fait. Lorain et son équipe avaient été traumatisés par les affres de la nationalisation telle qu’elle s’était faite en 1944-1945 [...]. Cela étant, une des caractéristiques fondamentales des banques nationalisées, en tout cas de la Société générale, c’est d’être aussi privées que possible. Naturellement, il fallait rendre compte à l’actionnaire, mais pratiquement, ne rien lui demander. Aucun privilège, mais bien entendu, même indépendance que les autres. [...] Nous avions le souci d’être des banquiers comme les autres »116.
79Parallèlement, Emmanuel Lamy découvre en 1955 que la Banque de l’Union parisienne est une banque d’affaire très surveillée :
« J’entrais dans une banque qui était beaucoup plus contrôlée que les banques nationales [...], qui n’avaient pas de contrôle direct et qui ne se livraient pas à ce travail de réflexion que faisait avec nous le commissaire du gouvernement »117.
80Ce témoignage confirme l’hypothèse que certaines banques d’affaires apparaissent plus proches du Trésor et plus surveillées par lui que les banques de dépôts. Non seulement elles sont surveillées par des commissaires du gouvernement, mais après avoir évité de justesse la nationalisation en 1945, elles sont plus soucieuses que les nationalisées, qui n’ont plus rien à craindre, de bonnes relations avec leur tutelle118. Ces dernières renouent donc avec l’administration des Finances les relations d’information qu’elles avaient avant la guerre. Tel est le sentiment de Jean Maxime- Robert, directeur de la Banque de l’Indochine en 1947, puis directeur général en 1960119, confirmé par le témoignage de Pierre-Paul Schweitzer :
« Il y a des choses qu’une banque comme la Banque de Paris et des Pays-Bas n’aurait pas fait sans en parler au Trésor ; même s’il n’est écrit nulle part qu’il faut une permission écrite du Trésor pour faire ceci ou cela, il y a des [dossiers] dont un directeur de banque se dit : il vaut mieux que je demande l’avis du Trésor »120.
81Cette hypothèse mériterait une analyse plus fine, banque par banque et selon les périodes considérées, l’immédiate après-guerre traçant une frontière invisible entre les banques qui s’étaient bien conduites pendant la guerre et les autres121. Il apparaît que les grandes banques, plus à même de participer aux grands projets de financement industriels, ont sans doute des relations plus étroites avec le Trésor que les petites, comme en témoigne Jean Filippi, directeur général à la banque Louis Dreyfus et Cie à partir de 1951 : « Nous étions trop petits. Les grands problèmes, ce n’est pas avec nous que l’on en discutait »122.
82En effet, les intérêts prioritaires du Trésor de l’époque (placement des valeurs publiques) le conduisent tout naturellement à se tourner en priorité vers les grandes banques, qu’elles soient publiques ou privées. Ceci traduit une certaine continuité avec l’avant-guerre, comme l’attestent les archives du Crédit lyonnais. Entre 1935 et 1938, le ministère des Finances demande à plusieurs reprises à ce dernier de procéder à des souscriptions exceptionnelles de bons ordinaires du Trésor, la Banque de France estimant anormal que le marché financier ne puisse apporter au Trésor un concours plus étendu123. Après 1945, les relations s’intensifient entre le Trésor et les banques de dépôts, non seulement sur le calendrier des émissions publiques et privées, mais également sur les conditions d’émission (commissions bancaires, garantie de l’État,...), les responsables du Trésor se gardant toutefois d’intervenir dans la fixation des parts relatives des quatre établissements124. À partir de 1948, le directeur du Trésor F. Bloch-Lainé intervient en personne et plus directement que son prédécesseur, tout en établissant des relations courtoises, car le directeur du Trésor « a toujours été traité comme un seigneur par les banques nationalisées, les grandes banques et l’Association professionnelle des banques » ; la nature et la régularité des liens, le système de négociation semblent ainsi se perpétuer au-delà de la parenthèse de la guerre :
« Il y avait une fois par semaine la réunion du calendrier [des émissions], ce qui fait que les directeurs financiers des quatre banques se réunissaient dans mon bureau. En plus je voyais le soir à 19 h-20 h le président de la [Société] générale, le président du Crédit lyonnais qui venaient me voir ensemble, alors qu’ils étaient concurrents, mais enfin ! Ils s’étaient entendus là aussi pour ne pas voir le directeur du Trésor séparément et le voir ensemble. Cela m’arrangeait »125.
83Ces accords entre Trésor et grandes banques sur les conditions de placement sous-entendent l’existence d’ententes bancaires, dénoncées alors par les parlementaires mais aussi par la mission de contrôle dès 1952 : « Le système actuel des conditions de banque, issu des lois de 1941 sur l’organisation bancaire [...] conduit aux inconvénients classiques des ententes professionnelles », écrit René de Lestrade126, qui relève que ce système profite à « la banque la plus mal organisée et la plus médiocrement conduite » et entretient la « trop grande rigidité et la cherté » des tarifs bancaires. Ces considérations conduisent l’auteur à proposer une liberté des conditions de banque, bien que cela risque « peut-être d’être considéré par certains comme un acte d’hostilité à l’égard de la profession, sous prétexte que la situation des banques françaises s’en trouverait gravement affectée ». Ceci explique sans doute la prudence de F. Bloch-Lainé qui écrit en marge de la note : « Non utilisé pour éviter tout incident. À garder en réserve »...127.
84Un sujet sur lequel la tension entre les banques et le Trésor s’avive alors concerne le développement d’un secteur parapublic qui, de complément des banques commerciales, devient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale leur véritable concurrent dans la collecte et la distribution de crédit128. Ces établissements à statut légal spécial – Crédit foncier, Crédit national, Crédit agricole, Banques populaires, Crédit coopératif, Caisse centrale de crédit hôtelier, etc. – regroupent des organismes publics, mixtes ou privés, placés sous la tutelle directe du Trésor, qui joue à leur égard le rôle du Conseil national du crédit et de la Commission de contrôle des banques en matière disciplinaire. « Ces établissements subissent un contrôle beaucoup plus rigoureux que les banques ordinaires », grâce aux censeurs ou commissaires de gouvernement « qui ont des pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux placés auprès des banques nationalisées et des banques d’affaires » écrit le chef de la mission de contrôle129. Correspondants du Trésor, ils sont priés d’alimenter les caisses de la trésorerie au sein du circuit du Trésor, comme nous l’avons vu. Pour compenser cette lourde tutelle, le secteur échappe souvent au contrôle du crédit fixé pour les autres banques : si elles sont soumises à la réglementation générale des planchers d’effets publics de 1948, le Trésor fixe leurs conditions de banque, plus avantageuses, leur octroie des bonifications d’intérêt qui réduisent leurs taux et leur autorise plus libéralement l’ouverture de guichets. André Gueslin et Michel Lescure ont fait le point sur le développement du secteur public bancaire au détriment du secteur commercial durant les années cinquante, donnant une perspective à ce débat d’actualité130. Il apparaît ainsi que cette période a joué un rôle d’accélération d’un phénomène plus ancien, en raison notamment d’une décision et d’une logique administrative permettant à ces établissements de jouer un rôle primordial dans la transformation de l’épargne. L’on retrouve la trace dans les archives du Trésor de cette concurrence entre les deux secteurs. À propos de la réduction des guichets bancaires, l’Association professionnelle des banques fait ainsi remarquer au gouverneur de la Banque de France que lorsqu’un membre de l’Association professionnelle des banques abandonne une place, elle est souvent reprise par un établissement du Crédit populaire ou du Crédit agricole131. Lorsque la direction se bat pour faire baisser les taux d’intérêt bancaires en 1950-1951, le secteur parapublic n’est pas concerné, au grand dam des banques selon lesquelles « le secteur public échappe toujours au sacrifice »132. Du point de vue du Trésor, l’intérêt est évident lorsqu’il dispose des dépôts de ses correspondants pour alimenter sa trésorerie ; quand il s’agit de canaliser le crédit vers certains secteurs jugés prioritaires (équipement, tourisme, logement...), ces établissements offrent l’avantage d’orienter sectoriellement les interventions de l’État. Ayant choisi, comme on l’a vu, de ne pas s’appuyer trop ouvertement sur les banques nationalisées, qui en sont fort aises, le Trésor préfère s’appuyer sur ce secteur parapublic volontiers plus compréhensif. L’aisance des relations entre le Trésor et ce secteur est entretenue par la solidarité administrative pour certains d’entre eux, au Crédit national, au Crédit foncier, voire à la Caisse des dépôts133, et grâce à leur participation aux commissions du Plan, à la Commission des investissements puis au fonds de développement économique et social. Cependant cette complicité est à nuancer suivant les établissements et les époques ; le secteur parapublic doit être distingué de ce point de vue du secteur coopératif. Ainsi André Gueslin évoque-t-il le « bras de fer » qui oppose la Caisse nationale du crédit agricole au Trésor à propos de l’insertion d’émissions obligataires du Crédit agricole au sein du calendrier des émissions publiques de 1950134, et Élisabeth Albert relate le refus des Banques populaires de se soumettre aux limitations de crédit en 1956135. Maurice Lauré, directeur des prêts au Crédit national entre 1960 et 1966, explique aujourd’hui que face aux demandes du Trésor de financer des entreprises en difficultés, le Crédit national avait une « capacité de refus », par exemple à propos de la Cellulose du Rhône, pour laquelle le prêt au risque du Crédit national s’est transformé en prêt au risque de l’État136.
85Une histoire sectorielle des relations entre le Trésor et les banques privées publiques ou parapubliques reste donc encore largement à écrire, pour souligner la complexité des rapports, leur spécificité en fonction du type d’établissement ainsi que leur évolution sur la longue durée. Il apparaît difficile de caractériser les seules années 1950 à l’aune des monographies bancaires ou des synthèses existantes137, au demeurant très instructives. On y voit apparaître sur la longue durée une continuité dans la coopération sur les marchés financiers ainsi qu’une convergence d’intérêt entre le Trésor et les banques – (le « crédit concerté »138) – pour maintenir la sûreté de la Place et drainer la confiance de l’épargnant, comme l’a souligné Hubert Bonin pour les années de l’entre-deux-guerres ; tandis qu’Éric Bussière met en avant le partenariat du Trésor avec les banques pour le financement de grands projets outre-mer ou internationaux139. La période de l’après-guerre jusqu’aux années 1960 apparaît en creux comme celle d’un dirigisme public voulu, mais plus ou moins facile à mettre en œuvre suivant les types de banques, au cours de laquelle les impératifs de financement de l’État ont pris le pas sur la nécessaire coopération technique entre les banques et leurs autorités de tutelle ; soumises à des doctrines du Trésor parfois contradictoires, les relations entre le système bancaire et la tutelle apparaissent à l’analyse sinueuses et variables, bien plus complexes que ne l’a laissé entendre chacun des responsables de l’époque.
D. LE PANTOUFLAGE DANS LES BANQUES : MYTHE ET RÉALITÉS
86Le pantouflage d’une partie des hauts fonctionnaires du Trésor dans les banques est-il alors en mesure d’atténuer ces conflits latents ? D’adoucir la tutelle financière d’un côté ou de l’autre, de contribuer à vaincre la résistance des banques nationalisées ? Plus largement, quel rôle peut-il jouer à l’époque dans les relations entre la Place et sa tutelle ? Sur cette question, un point méthodologique apparaît nécessaire pour tenter d’évaluer l’influence du « pantouflage », et ne serait-ce que pour définir ce terme, qui recouvre d’un auteur à l’autre des situations professionnelles diverses : nous choisissons son acception la plus large, soit seulement les sorties vers le privé, mais également celles vers les entreprises publiques ou parapubliques, qui autorisent le fonctionnaire à être détaché sans démissionner. Plusieurs travaux de recherche menés sur le pantouflage des hauts fonctionnaires au xixe et dans la première moitié du xxe siècle ont montré l’ancienneté du phénomène, notamment celui des inspecteurs des Finances sortis dans les banques140. E. Chadeau voit l’apparition des filières professionnelles organisée, notamment vers le monde bancaire dès 1860141, tandis que N. Carré de Malberg a calculé que 4 5 % des inspecteurs des Finances des promotions de 1878 à 1939 occupent à un moment de leur carrière un emploi dans une banque142. Si l’on s’en tient à cette seule analyse des chiffres, qui intègre les inspecteurs des Finances « pantouflant » dans les années 1950, il apparaît clairement que la pénétration du milieu bancaire public ou privé par les inspecteurs des Finances est une tendance longue, que l’après 1945 n’a pas sensiblement modifiée, même si D. Chagnollaud établit qu’après 1945, « c’est essentiellement dans le secteur bancaire [public] que l’Inspection des finances réussit sa percée »143. Comment interpréter ces données chiffrées ? Les compétences des inspecteurs des Finances, leurs relations au sein du monde financier public et privé, leurs talents reconnus de négociateurs, leur honnêteté également, favorisent leur essaimage dans les banques. Cependant, si leur présence dans les banques entretient indéniablement un réseau de l’inspection au sein du monde bancaire, elle n’est pas pour autant synonyme d’une influence réelle et généralisée du corps sur les relations entre le Trésor et les banques. L’étude des hauts fonctionnaires, issus du Mouvement général des fonds ou du Trésor, exerçant des responsabilités dans les banques entre 1945 et 1960 permet d’affiner l’analyse.
87Lorsque l’on regarde de plus près la carrière des hauts fonctionnaires ayant pantouflé dans les banques, il faut prendre en considération la date d’entrée dans la banque ainsi que le renouvellement des hauts fonctionnaires des Finances après-guerre : l’on remarque que plus de la moitié des « pantoufleurs » dans les banques sont issus du Mouvement des fonds d’avant-guerre. Or le décalage entre les générations comme la rupture de 1940-1945 ne facilite pas forcément la communauté de vues ; en dépit d’une sociabilité obligée entre inspecteurs des Finances, les dirigeants des banques restés en place ne sont pas très appréciés par le directeur du Trésor144 ; les relations s’apparentent plus à une coopération technique nécessaire qu’à une véritable complicité. La distance est d’autant plus creusée si les banquiers de l’époque ont exercé des fonctions de responsabilité sous Vichy, comme le rappelle Pierre Coquelin : « J’avais peu de relations [avec le ministère des Finances] car dans les années où j’étais dans le secteur financier, où j’aurais pu avoir des rapports, j’étais encore dans une situation inconfortable vis-à-vis du ministère des Finances ». Il explique que par la suite, s’il y a eu normalisation des relations, il était alors à la maison-mère et avait donc peu de raisons de faire des démarches145.
88Parallèlement, les hauts fonctionnaires en poste au Trésor dans les années 1950 ne sont que dix à pantoufler dans les banques avant 1960. La règle non-écrite d’éviter le pantouflage direct dans les banques à la sortie du Trésor subsiste encore à l’époque, comme le souligne Emmanuel Lamy147, mais elle n’est pas valable pour les « correspondants » comme la Caisse des dépôts ou le Crédit national. De ce fait, les liens avec l’ancienne maison, si tant est qu’ils existent, ne passent pas forcément par des liens personnels tissés lors de la tournée ou dans les couloirs de la rue de Rivoli. Enfin, comment mesurer le rôle du Trésor dans la réussite de « capitalistes entrepreneurs » entrés jeunes dans le privé, Jacques de Fouchier ou Jack Francès, ou bien encore Jacques Georges-Picot qui ont été les innovateurs bancaires des années 1950 et 1960 et la référence de toute cette génération d’inspecteurs des Finances banquiers148 ? Quelle proximité culturelle peut rassembler des inspecteurs des Finances passés dans le privé respectivement en 1926 et en 1946 et ceux portés par la mystique de l’Etat-modernisateur après 1945149 ? Peut-on par ailleurs évaluer de la même manière le pantouflage de deux ans de Maurice Sergent au Crédit mobilier industriel et celui de Jacques Brunet qui reste onze ans au Crédit national ? Autant de questions qui relativisent l’existence de liens étroits entre un haut fonctionnaire et son ancienne maison et conduisent à penser que le réseau d’influence entre banques et Trésor passe par des relations institutionnelles ou des solidarités de corps plus que par des liens personnels. L’idée d’une irrigation systématique des grandes banques par les « trésoriens » n’est pas – pas encore ? – fondée en tant que telle. Elle s’appuie sur celle, évidente et ancienne, du corps de l’inspection, sans en être encore le principal canal.
89À l’appui du croisement d’une vingtaine de témoignages de banquiers et de hauts fonctionnaires du Trésor, de l’étude des carrières des « pantoufleurs » et de la prise en compte des différences de génération, l’historien est porté à relativiser plus encore la valeur du réseau d’influence entre inspecteurs des Finances et Trésor. En effet, les relations d’un inspecteur des Finances avec le Trésor varient d’une banque à l’autre et suivant le poste occupé et le niveau hiérarchique.
90Bien particulière est la place réservée aux établissements du secteur abrité, tels que le Crédit national, le Crédit foncier ou la Caisse des dépôts, qui sont des secteurs dominés par les hauts fonctionnaires des Finances à leur niveau le plus élevé. Ainsi la direction générale du Crédit national présente-t-elle une concentration d’inspecteurs des Finances ou d’administrateurs civils du Trésor : on en dénombre cinq entre 1945 et 1960, dont quatre venus du Mouvement des fonds ou du Trésor, qu’ils soient directeur général, directeur des prêts ou directeur administratif et financier. Cependant, au-delà d’un débouché naturel pour le Trésor, le Crédit national n’est pas pour autant sous sa coupe. Maurice Lauré explique cela par le poids des hommes à la tête de l’institution :
« Le Trésor était quelquefois habité par des gens un peu dirigistes [...]. Mais heureusement quand même, le fait que le Crédit national ait toujours eu à sa tête des présidents d’un certain poids, qui en général étaient plus anciens que le directeur du Trésor, faisait qu’il y avait une certaine considération du Trésor pour le Crédit national, et que les interdictions n’étaient pas très fréquentes, ni absolues »150.
91Si la Caisse des dépôts, avec F. Bloch-Lainé, ouvre ses portes aux anciens directeurs du Trésor comme à des inspecteurs des Finances non issus du Trésor (G. Plescoff par exemple), ce « pantouflage » renforce plus qu’il ne crée des liens très étroits entre le Trésor et la Caisse. Est-elle pour autant soumise à la tutelle du Trésor, on est loin de pouvoir l’affirmer ; surtout que le poids et le rayonnement du « grand ancien » des Finances sont ici particulièrement importants : il est difficile d’aller contre un ancien directeur du Trésor comme F. Bloch-Lainé. Dans la même optique, le débouché traditionnel vers la Banque de France à son niveau le plus élevé ne garantit pas des relations faciles, celles de Bloch-Lainé et de Schweitzer avec Baumgartner démontrant a contrario leur concurrence d’experts. Enfin, la non-présence d’anciens hauts fonctionnaires des Finances à la Caisse du crédit agricole, aux Banques populaires n’empêche pas le Trésor d’exercer une tutelle forte, bien que contestée, sur ces établissements à statut légal spécial.
92Si les hauts fonctionnaires préfèrent les banques publiques, qui permettent un détachement de cinq ans renouvelable plutôt qu’une démission du ministère, ils sont cependant nombreux dans les banques privées. Selon les témoignages et les travaux d’histoire bancaire, l’on peut déceler une tradition de recrutement d’inspecteurs des Finances chez Suez, Paribas, Worms, mais également dans les grandes banques de dépôts, surtout au Crédit lyonnais et à la Société générale, présidées par des inspecteurs des Finances. À la Société générale, il y avait selon Jean Méary, une tradition de recrutement d’inspecteurs des Finances – « un au sommet, un héritier présomptif et un petit jeune montant éventuellement » mais « Maurice Lorain n’en voulait pas trop »151. Le Crédit lyonnais, présidé alors par Olivier Moreau-Néret apparaît depuis l’avant-guerre comme une filière privilégiée du Trésor. En revanche il n’y en a guère à la Banque de l’Union parisienne, selon le témoignage d’Emmanuel Lamy152. L’exemple de Bernard de Margerie, entré à la Banque de Paris et des Pays-Bas en 1951 après une brillante carrière aux Finex, est intéressant. Recruté par Jean Reyre au poste de directeur adjoint pour développer les financements à l’exportation, il est au contact direct de la direction des relations économiques extérieures, de la COFACE et de la Banque française pour le commerce extérieur (BFCE), auprès desquelles il a été commissaire du gouvernement en 1947 : son passé de haut fonctionnaire est ici directement utile pour la banque. En revanche, il n’est pas en relation avec le Trésor, et au fil de sa carrière internationale chez Paribas, il n’aura jamais la responsabilité de la direction financière chargée de monter des opérations stratégiques153. Jean Filippi explique bien quant à lui qu’il a été recruté à la banque Dreyfus pour son carnet d’adresses, mais il s’agit surtout pour la petite banque d’affaires de profiter de ses relations parmi les inspecteurs des Finances de la Place et les présidents de grandes entreprises publiques, plus que celles au ministère154. Ses témoignages confirment bien l’intérêt pour la banque de recruter des hommes qui connaissent le fonctionnement du ministère, qui savent s’adresser à la personne idoine, quels arguments utiliser, et qui de par leurs anciennes fonctions, sont habitués à des relations de haut niveau dans le monde économique et financier, qu’il soit public ou privé. En revanche, l’on voit moins bien quelle influence le Trésor peut exercer à travers ses anciens collaborateurs. Certes, le passage direct de Jean Autissier de la sous-direction des Activités financières à la Banque de l’Afrique occidentale, facilite les relations de tutelle. Mais pour un exemple effectif, combien de cas de non-relations, voire d’opposition ? Emmanuel Lamy, qui a pourtant le sentiment de participer au développement économique de la France autant à la Banque de l’Union parisienne qu’au Trésor, n’est pas le moins critique sur le dirigisme du ministère en matière bancaire, on l’a vu. Tandis que Pierre Coquelin regrette la vision trop macroéconomique de l’administration155. À demi-mot, les témoignages révèlent la reconversion de ces anciens hauts fonctionnaires en banquiers qui prennent leurs distances vis-à-vis de leur ancienne maison.
93En définitive, l’analyse précise des relations entre le Trésor et les « pantoufleurs » méritait qu’on nuance fortement l’idée d’une osmose entre l’État et les banques, durant cette période du moins. Au-delà des chiffres, la réalité est tout autre et varie suivant les postes, les banques, les secteurs d’activité. Il y a certainement une communauté d’intérêts entre la Place et le Trésor, que la fluidité des sorties de l’un à l’autre entretient continûment. Ces passerelles facilitent la communication et la confiance entre l’administration des Finances et le monde bancaire, sociologiquement très proches. On peut également relever que les doctrines du Trésor en matière de développement économique du pays peuvent irriguer le monde bancaire, à travers les passages dans le privé, comme en a témoigné E. Lamy à la Banque de l’Union parisienne. Mais il est l’unique exemple relevé, face à l’accusation récurrente du Trésor qui s’en prend au malthusianisme des banques. À la demande bancaire en matière de recrutement d’inspecteurs des Finances, répond la demande du Trésor de débouchés pour ses hauts fonctionnaires ; chacun y trouve son intérêt. La logique de fonction empêche cependant l’osmose complète. Dans un jeu de rôle immuable, le haut fonctionnaire devenu banquier n’est pas le moins critique sur les méthodes et la volonté impérialiste de son ancienne maison. C’est son intérêt bien compris de défendre sa fonction, serait-ce aux dépens des Finances.
94L’influence du Trésor apparaît beaucoup plus déterminante en matière de nominations dans les banques. Ce pouvoir de nomination, hérité des nationalisations, concerne celui des dirigeants des banques publiques et des commissaires du gouvernement dans les banques d’affaires. Les dirigeants n’ont pas été changés à la Libération, aussi le Trésor n’exerce-t-il alors qu’un pouvoir théorique. En revanche, il a participé, on l’a vu, aux nominations dans les conseils d’administration, sans que le ministère soit représenté directement.
95S’ils ne sont pas forcément tous nommés par le Trésor, les commissaires du gouvernement auprès les banques d’affaires apparaissent comme un moyen d’influence beaucoup plus efficace que le pantouflage d’inspecteurs des Finances. F. Bloch-Lainé, qui a senti l’intérêt bien compris du Trésor, cherche à faire nommer des hommes dévoués, comme l’explique bien J. Autissier à partir d’un cas précis :
« Il y avait un commissaire du gouvernement auprès de la banque d’État du Maroc qui avait échappé à Bloch-Lainé, parce qu’il n’avait pas de contrôle sur le personnage, qui était installé sur un bon petit fromage et qui, par conséquent, ne reconnaissait pas la tutelle de la direction du Trésor. Alors quand il est parti, on en a nommé un autre, qui était alors dévoué à Bloch-Lainé »156.
96Hommes de l’ombre, ils sont une courroie de transmission entre le Trésor et les banques d’affaires ou d’émission outre-mer. C’est le constat d’Emmanuel Lamy, ancien sous-directeur du Trésor, lors de son arrivée en 1955 comme directeur général adjoint de la Banque de l’Union parisienne :
« Le commissaire du gouvernement en théorie avait beaucoup de pouvoirs : il assistait aux séances du conseil et des comités, il pouvait mettre son droit de veto sur certains crédits »157.
97Lui fait écho le témoignage écrit de Robert Bordaz, maître des requêtes au Conseil d’État, commissaire du gouvernement auprès de la Banque de Paris et des Pays-Bas en 1947, qui explique bien comment « au lieu d’être un inquisiteur, [il devint] un conseiller écouté » : « Chaque fois qu’il était possible, je cherchais à orienter la politique de la banque dans des voies où l’intérêt général trouvait son compte, quitte à lui accorder un surcroît de confiance dans les opérations fructueuses lancées par le Trésor. Cette collaboration avec l’État n’était-elle pas la sagesse même ? »158. Jean Autissier, auquel les commissaires du gouvernement rendent des comptes, confirme l’évolution de ces banques, qui « avaient accepté de donner une certaine priorité pour la reconstruction et pour le rééquipement de l’industrie »159. Jean Saint-Geours est certes plus réservé quant à l’attitude des banques, mais il est aussi sans doute plus exigeant et directif que d’autres en ce domaine.
98Ces relations brossées à grands traits ne permettent pas bien évidemment de définir la subtile relation du Trésor avec un système bancaire alors très spécialisé, cloisonné, diversifié, que l’on ne peut appréhender de manière trop globale. Il reste que certaines pistes ont pu être avancées, au-delà des mythes et des jugements parfois trop hâtifs. Les liens historiques entre l’État et une banque jouent plus que les liens juridiques, et les relations institutionnelles autant que les liens personnels, qui sont finalement circonscrits. Si l’influence du Trésor rayonne dans le monde bancaire, c’est qu’il incarne la face rassurante et prestigieuse de la modernisation du pays, celle d’une institution sérieuse, image d’un savant dosage de culture financière mâtinée d’économie, qui a cherché à minimiser la portée des nationalisations bancaires, mais qui donne l’exemple d’un Trésor-banquier investisseur, fût-ce au péril de sa trésorerie. Le Trésor-banquier, développé pour combler les carences du monde bancaire et la pénurie du marché financier, est devenu un modèle incitatif. A-t-il partiellement réussi, au fur et à mesure que les traumatismes de la nationalisation s’estompent, à entraîner dans son sillage les banquiers les plus réservés, les plus innovants s’étant dès la fin des années 1940 engouffrés sans son aide dans la modernisation des produits financiers, le crédit-bail, le crédit à la consommation, etc. ? Les discours des uns et des autres se renvoyant la responsabilité du retard bancaire en France n’apportent qu’une réponse sur les représentations : le Trésor n’a-t-il pas intérêt à cantonner la Banque de France et les banques dans le camp des conservateurs malthusiens, et à s’arroger ainsi seul la place de modernisateur ?
***
99Au terme de cette étude qui a cherché à privilégier la définition de la stratégie et des doctrines du Trésor en matière de monnaie et de crédit et à préciser la nature de ses relations avec le système bancaire, plusieurs conclusions peuvent être avancées pour la période.
100Le Trésor a-t-il évolué dans ses doctrines en matière monétaire et financière par rapport à l’avant-guerre ? Oui, dans la mesure où la monnaie et les capitaux sont au service de l’économie. Les moyens mis en œuvre pour financer la reconstruction puis l’expansion n’obéissent plus aux mêmes critères d’orthodoxie financière : le recours systématique à des expédients devenus ressources régulières de la trésorerie, à des ressources de caractère monétaire, l’acceptation d’une impasse budgétaire, etc., en sont autant d’exemples. Si la recherche de l’équilibre de la trésorerie reste la préoccupation majeure du Trésor, il ne l’assimile plus à l’équilibre budgétaire et cherche à en définir les tenants et les aboutissants ainsi qu’à en prévoir les mouvements : la pensée monétaire du Trésor est alors en pleine innovation. Elle engendre de nouvelles doctrines, qui privilégient l’analyse macroéconomique des différents types de monnaies à la traditionnelle polarisation sur les avances de la Banque à l’État et qui tendent à raisonner en termes de liquidité de l’économie et non plus en termes de circulation fiduciaire : Keynes est passé par là ! La théorisation du circuit est ainsi le fruit d’une nécessité technique (couvrir les charges), d’une contrainte politique (éviter les avances de la Banque) mais également d’une vision plus élaborée des phénomènes monétaires, grâce à la réflexion d’un théoricien comme Jean Denizet. Cette évolution des pensées et des pratiques du Trésor aboutit à une vision de l’inflation plus complexe. À l’écoute des témoignages, la hantise de la déflation des années 1930, la mystique de l’investissement sont le point commun des discours, forcément reconstruits, des hauts fonctionnaires du Trésor : le mot « inflation » n’apparaît pratiquement pas ! La plongée dans les archives écrites et les sources imprimées fait apparaître cependant une attitude plus nuancée : il y a acceptation consciente de l’inflation, mais dans certaines limites. Si des arguments anti-inflationnistes sont parfois avancés pour justifier une position sur le coût du crédit, en revanche les aspects inflationnistes du circuit, perçus inégalement et tardivement, ne sont guère mis en avant... F. Bloch-Lainé dans ses cours à l’Institut d’Études Politiques cherche à transmettre les préoccupations anti-inflationnistes du Trésor, mais il laisse se développer, comme son successeur, des systèmes de financement inflationnistes. En bref, la période est considérée comme une parenthèse dans l’histoire économique et financière, qui justifie quelques entorses... Mais elle marquera plus durablement la génération suivante que ne le croient les acteurs eux-mêmes.
101Elle a en effet développé la mise en place de carcans réglementaires en matière de crédit qui, s’ils sont hérités de la crise de 1930 et de l’Occupation, sont maintenus et accentués bien au-delà de la période de la reconstruction. La pénurie de capitaux engendrée par la guerre, la faiblesse du marché financier en 1945 justifiaient certes un contrôle étroit du crédit. À partir du moment où le Trésor prend institutionnellement en charge le financement du Plan en 1948, il devient nécessairement le premier transformateur des liquidités de court terme en investissements à long terme. Mais lorsque l’horizon économique et financier s’éclaircit à partir en 1953, il ne cherche pas pour autant à dénoncer le système hérité de la guerre et prolongé après 1945. Le circuit est plus que jamais mis à l’honneur, les moyens de fortune sont devenus la base d’une nouvelle orthodoxie. Dans un objectif à la fois technique et politique d’équilibre de la trésorerie, éviter le recours à la Banque de France conduit le Trésor à l’élaboration sophistiquée d’un circuit monétaire peu transparent, qu’il se garde bien de dénoncer. S’il en perçoit tardivement les effets pervers, l’exemple des obligations cautionnées montre bien qu’il ne le maîtrise plus entièrement. Au nom de la priorité donnée à l’équilibre de la trésorerie, le Trésor a contribué à entretenir le système. Si cette stratégie s’inscrit dans sa recherche séculaire de centralisation et de contrôle des flux monétaires, elle apparaît particulièrement nette après 1945, non seulement en raison d’un contexte spécifique mais également en raison d’une volonté forte de ses dirigeants.
102Les relations avec la Banque de France s’inscrivent également dans une double perspective de rupture et de continuité. Si les deux institutions restent concurrentes en matière d’expertise auprès du gouvernement, si leurs relations institutionnelles n’ont pas véritablement changé de nature, les antagonismes personnels et les conflits doctrinaux apparaissent plus vigoureux que par le passé. La nationalisation de la Banque de France en 1945 a rendu ses dirigeants plus sourcilleux quant à son indépendance virtuelle vis-à-vis du pouvoir, et les hauts fonctionnaires du Trésor plus exigeants à son égard et donc plus virulents dans leurs critiques. La fin de la période marque ainsi un clivage net sur les modalités de financement de l’économie, le Trésor restant favorable à une intervention publique, la Banque sous la poussée de facteurs extérieurs et de l’aggravation de la situation des finances publiques, remettant en cause implicitement la place de l’État dans le financement de l’économie. Il est difficile d’évaluer le poids comparé de l’une et de l’autre institution sur l’ensemble de la période : le renforcement du rôle monétaire du Trésor a indéniablement contribué à lui conférer un poids essentiel dans la définition de la politique monétaire : la querelle sur les taux des bons du Trésor en donne la mesure. Cependant, la tension quasi-permanente sur la trésorerie entraîne crises, fragilité et précarité, qui rendent le Trésor dépendant des avances de la Banque. En tout état de cause, le Trésor a délibérément cherché à jouer un rôle prépondérant sur ce secteur comme sur d’autres. Pour élaborer une réflexion sur ce couple mythique, des économistes ont tenté de développer une analyse fondée sur la théorie des jeux160, sur la base d’équilibres plus ou moins coopératifs suivant les époques.
103Pour dépasser le schéma binaire qui tend à limiter les relations à un simple face-à-face entre les deux institutions, nous proposons de définir les liens Trésor-Banque de France sous la forme de relations triangulaires des deux institutions avec une autre, permettant l’établissement d’alliances objectives changeantes suivant les enjeux. Ainsi peut-on définir une alliance Banque de France-banques face au Trésor sur la question des taux d’intérêt ; une coopération Banque de France-Trésor face à un ministre des Finances trop dépensier ou électoraliste ; une coopération technique au niveau des études face aux visions parfois trop peu monétaires des comptables nationaux... Ce schéma pourrait également être repris pour les relations avec les institutions internationales (FMI, OCDE) et les alliances qui s’opèrent avec les Finex ou la Banque de France. Ce schéma d’analyse permet à notre sens d’enrichir la réflexion sur le processus de décision souvent complexe entre administrations. Il suppose bien évidemment une autonomie du Trésor, dont la pensée et l’action sont à notre sens trop facilement assimilées par les économistes à celles du pouvoir politique.
104Pour autant, le Trésor dispose-t-il sur le plan monétaire, d’une marge de manœuvre ? La question est inévitable, la réponse n’est pas simple. Elle dépend de la conjoncture monétaire et financière, de la personnalité des principaux protagonistes, gouverneur, directeur du Trésor, ministre des Finances ; non seulement elle est évolutive, mais elle varie d’une question à l’autre. Au-delà de ce constat, quelques pistes peuvent être avancées pour cette période. La question de l’équilibre de la trésorerie étant prioritaire pour le ministre, en raison de la difficulté à l’obtenir et des enjeux politiques qu’elle représente, le directeur du Trésor est un expert écouté, dont les recommandations sont prises en compte d’autant plus facilement qu’il voit le ministre quotidiennement sur cette question. Mais la fragilité de la trésorerie est également synonyme d’une marge de manœuvre étroite du Trésor : souvent sur le fil, parfois en crise, la trésorerie soumet le Trésor au bon vouloir de la Banque voire du FMI. Les échecs de 1952 et de 1958 prouvent s’il est besoin l’étroitesse de la marge de manœuvre. La difficulté de pousser plus loin l’analyse est accentuée du fait de la spécificité de la période de l’après-guerre. Une étude sur les années 1960 permettra de conclure plus fermement.
105Les relations du Trésor avec les banques ont-elles également subi des évolutions notables durant cette période ?
106Du point de vue de la place des banques dans la collecte des ressources, si les épreuves de l’entre-deux-guerres avaient déjà entraîné une modification des structures de crédit ainsi qu’un recours de plus en plus fréquent du Trésor aux banques pour financer son déficit161, le carcan réglementaire mis en place en 1941 et renforcé en 1947-1948 n’a-t-il pas contribué à entretenir le marasme financier au moins jusqu’en 1958 ? L’effet d’éviction du Trésor sur le marché financier est d’ailleurs clairement accepté par lui-même162. Dans le débat historiographique sur la responsabilité des banques en matière de financement de l’économie, régulièrement accusées de frilosité voire de malthusianisme163, le Trésor a une part de responsabilité à travers la place prépondérante qu’il a prise et gardée jusque dans les années 1960 dans la collecte de l’épargne, que ce soit par lui-même ou au travers de son secteur bancaire public.
107De même, le corpo-dirigisme hérité des lois bancaires de 1941 qui ont perduré jusqu’en 1966-1967, voire jusqu’en 1984, conçu au départ pour moderniser l’organisation du crédit et orienter l’épargne vers l’économie, maintient un dirigisme réglementaire que le Trésor n’envisage pas de desserrer au fur et à mesure que la France s’installe dans les trente glorieuses. Tout en poussant à la modernisation des banques, à la rationalisation de leur gestion, le Trésor a continué de les enserrer dans un système contraignant qui n’a pas favorisé leur épanouissement. Face à des dirigeants désemparés aux politiques vétustes, face à un marché financier exsangue, avait-il le choix en 1945 ? Non, sans doute, mais cette politique a peut-être été prolongée plus que de raison par les autorités monétaires.
108Paradoxalement, cette volonté d’instrumentaliser les banques au service de l’économie et du Trésor ne s’est pas appuyée sur les nationalisations bancaires. Niées de part et d’autre, elles n’ont modifié que partiellement les relations du Trésor avec les banques, qu’elles soient publiques ou privées : on assiste aux mêmes débats, aux mêmes résistances qu’avant guerre, avivés plutôt qu’adoucis par les nationalisations ; tandis que les banques d’affaires sont finalement plus surveillées et plus coopératives... Les conséquences sont multiples : le Trésor s’appuie en priorité sur ses correspondants pour peser sur les choix de financement ; surtout, n’étant pas soumises à des obligations particulières, les contrôles étant les plus discrets possibles, les banques nationalisées jouissent d’une liberté d’action en matière d’opérations stratégiques ; le Trésor surveillant surtout les nominations, les horaires et les salaires. On voit donc une différence de degré et non de nature dans l’évolution des relations entre des partenaires, entretenues par l’irrigation continue des inspecteurs des Finances. Le Trésor a donc plus d’influence sur le système bancaire général que sur chaque banque, système qui a renforcé la spécificité bancaire française à l’aube de l’ouverture des frontières. Pour autant, la comparaison avec les expériences étrangères reste limitée, en raison de structures financières et monétaires différentes, notamment en Grande-Bretagne comme l’explique M. Lévy-Leboyer164.
109Au total, dans un cadre institutionnel profondément renouvelé, les responsables du Trésor ont montré une capacité d’adaptation qui n’est pas purement conjoncturelle et dont il nous faudra évaluer les implications durables pour leurs représentations comme pour leurs pratiques.
Notes de bas de page
1 Hormis F. Eck, les travaux des économistes telle S. Guillaumont-Jeanneney ou de témoins, comme A. Prate, ne traitent guère du point de vue du Trésor ; les historiens de la monnaie et du crédit n’abordent la question qu’en marge d’autres problématiques. O. Feiertag a fait un point plus précis pour les années 1926-1937 dans sa thèse, Wilfrid Baumgartner, les finances de l’État et l’économie de la Nation, op. cit. Les monographies bancaires qui se placent du seul point de vue des banques, permettent d’avoir un aperçu rapide et partiel des relations de chaque banque avec le Trésor.
2 Excepté la Banque de France. Source : AEF, fonds Trésor, B 51 015, pelurier du bureau Al, « Observations sur le tableau des opérations financières », n. s., 13 mai 1955, 15 p. dactylogr. En francs actuels, le Trésor recueille alors 76,4 milliards, et distribue 83 milliards de F.
3 Selon G. Devaux, La comptabilité publique, op. cit., p. 159. Pour l’année 1956, ceci correspondrait à 69 000 milliards de F de chiffre d’affaires (soit 7 314 milliards de F. 1999). Il s’agit d’un ordre de grandeur calculé d’après les recettes et les dépenses comptabilisées quotidiennement au Trésor.
4 M. Margairaz a longuement analysé le phénomène et sa mise en place pour la deuxième guerre mondiale dans L’État, les finances..., op. cit., tome I, chapitre XVII. J.-P. Patat et M. Lutfalla font remonter la première mise en place d’un circuit du Trésor à la Première guerre mondiale, voir Histoire monétaire de la France au xxe siècle, op. cit.
5 F. Bloch-Lainé et P. de Vogüé, Le Trésor public..., op. cit., p. 271.
6 F. Bloch-Lainé et P. de Vogué, Le Trésor public..., op. cit., p. 250. G. Devaux évalue le montant à 14 000 milliards pour 1956, dont 11 000 pour la Caisse des Dépôts, La comptabilité publique, op. cit., p. 159.
7 Depuis sa création, la Caisse des dépôts a toujours été soumise aux besoins financiers de l’État. « En période de difficulté financière, l’État, animé par un égoïsme sacré, canalise d’autant plus volontiers vers lui-même les fonds mis à sa portée qu’ils lui sont plus nécessaires » écrit le directeur général de la Caisse de 1953 à 1967, F. Bloch-Lainé, dans la postface du livre de R. Priouret La Caisse des Dépôts, cent cinquante ans d’histoire financière, Paris, PUF, 1966. M. Margairaz évoque également ses « moyens de fortune » utilisés pour équilibrer la trésorerie en 1934 et 1935, L’État, les finances..., op. cit., p. 44 et 68. Sur les aspects du financement de l’économie, voir J.-M. Thiveaud « La Caisse des dépôts et l’investissement 1920-1990 », in M. Lévy-Leboyer (dir.), Les banques en Europe de l’Ouest de 1920 à nos jours, op. cit., p. 7-44.
8 Cette situation est clairement perçue par le Trésor en 1953, comme l’explique une note du bureau A1 de la même date, AEF, fonds Trésor, B 51 015.
9 Le Trésor public..., op. cit. p. 289. Selon J.-P. Patat et M. Lutfalla, 1,12 milliard auraient ainsi été transférés en 1955, valant de sévères reproches du FMI à la France en 1957. Histoire monétaire..., op. cit., p. 142.
10 AEF, fonds Trésor, note pour le ministre du 27 juin 1956, doc. cité.
11 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992. Ce témoignage fait écho a posteriori à une note de la Banque de France qui constate en 1946 que « certains services publics déficitaires souscrivent des bons du Trésor à l’aide de subventions ou d’avances du Trésor ». ABF, « bons du Trésor », 1397 1994 03, boîte 103, note de la direction générale des Études et du crédit du 7 février 1946.
12 AEF, fonds Trésor, B 50 977, note de la direction générale des Études et du Crédit, « Évolution des modes de financement de l’impasse », 17 décembre 1957, tableau n° 2 du 13 décembre 1957.
13 Entretien biographique de P. de Vogué avec F. Demarigny, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990 ; entretien thématique de l’auteur avec C. Piétra, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995. J. Guyot, alors sous-directeur du Mouvement général des fonds, évoque la « résistance idéologique ou intellectuelle du Trésor » à l’égard de l’emprunt Pinay, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité.
14 F. Bloch-Lainé, Le Trésor Public, cours de l’IEP, Paris, Les Cours de droit, 1949, chapitre III.
15 AEF, fonds Trésor, B 51015, note de Al, n. s., du 1er septembre 1953.
16 P. de Vogué : « Cela a sûrement donné un certain soulagement à la trésorerie, mais cela n’a pas duré. Dès 1953, il y a eu de nouveau des problèmes de trésorerie. Il ne suffit pas d’emprunter pour remettre d’aplomb l’équilibre économique et financier ». Entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité.
17 ABF, 1 069 1988 02, boîte 4, « Rapports État-Banque de France 1940-1990 », séance du 28 mai 1957.
18 De nombreux concours de la Banque à l’État existent depuis la création de l’Institut d’émission : parmi les concours directs, l’escompte d’obligations souscrites par les receveurs généraux, d’obligations spéciales du trésor et d’effets réunis en paiements d’impôts par les contribuables existe depuis le début du xixe siècle ; honnis les avances temporaires assorties de garanties, les avances permanentes sont depuis 1857 des avances fixes pour la durée du privilège, dont le montant peut être augmenté. Parmi les concours indirects, on notera la possibilité donnée à la banque d’acheter sur le marché libre des effets négociables publics à court terme et de les revendre, selon la loi du 17 juin 1938.
19 F. Bloch-Lainé, Le Trésor public, cours de l’IER 1948 – 1949, op. cit.
20 Entretien biographique de P. de Vogüé avec F. Demarigny, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
21 Selon les termes employés par P.-P. Schweitzer, entretien biographique avec A. Georges- Picot, entretien n° 8, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
22 Le Trésor public... op. cit., p. 271.
23 Entretien biographique de P. de Vogüé, entretien n° 3, déjà cité.
24 Terme utilisé par les techniciens et cité par G. Devaux, op. cit. p. 154.
25 AEF, fonds Trésor, B51017, « Effets Publics ». La lettre de Monick fait clairement allusion à une utilisation antérieure de ce type de procédé. La politique d’open market difficilement mise en place par la loi du 17 juin 1938 n’était pas, selon Y. Gonjo, destinée à servir l’État en priorité. Le MGF y était hostile. Voir Y. Gonjo, « La modernisation de la Banque de France 1930-1946 », Études et documents, VIII, 1996, p. 281-356.
26 Selon H. Koch, Histoire de la Banque de France, op. cit., p. 131, l’encours des traites du Crédit national atteint 375 milliards en mai 1953. Ce système perdurera jusqu’en 1955.
27 La mise hors plafond des effets à moyen terme lors de la mise en place du contrôle quantitatif du crédit en 1948 a favorisé son acheminement vers la Banque. Voir à ce sujet les développements d’O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner..., op. cit., sur le rôle de la Banque dans le financement de la trésorerie, notamment le chapitre X.
28 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité.
29 AEF, fonds Trésor, B 51 018, rapport de G. Plescoff pour l’inspection générale des Finances du 24 février 1948.
30 Id.
31 Wilfrid Baumgartner.... op. cit., ch. VIII.
32 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note du bureau de la trésorerie du 9 avril 1953, n. s.
33 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité.
34 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
35 AEF, B 51 018, fonds Trésor, note de D5 pour le directeur, n. s., du 12 novembre 1954.
36 AEF, B 51 018, fonds Trésor, projet de note de Al pour le cabinet du ministre, avril 1958.
37 AEF, B 51 018, fonds Trésor, notes de Al de février et avril 1958.
38 AEF, B 51018, fonds Trésor, dossier « Obligations cautionnées », note du 6 décembre 1957.
39 AEF, B 51 018, fonds Trésor, note du 4 mars 1958.
40 Témoignages de J. Guyot, cassette n° 7, et de P. de Vogüé, cassette n° 2, entr. cités
41 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
42 AP Saint-Geours, « Étude à la direction du Trésor », automne 1953.
43 AEF, fonds Trésor, B 50 977, « Les mouvements de fond du Trésor », note émanant de la direction du Trésor, février 1955, 13 p. dactylographiées.
44 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
45 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note sur l’évolution de la trésorerie de 1945 à 1951, n. s., n. d.
46 AEF, fonds Trésor, B 51 017, note pour le ministre du 17 juillet 1948. En sont exclus les établissements à statut légal spécial.
47 AEF, fonds Trésor, B 51 017, lettre du gouverneur du 30 août 1948. Les effets du crédit à moyen terme mobilisable sont, rappelons-le, considérés comme hors-plafond.
48 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Planchers des bons du Trésor », mot manuscrit de Lorain à Guyot du 10 août 1950.
49 Ibid., billet du 11 août 1950 de Guyot à Vogüé.
50 AEF, fonds Trésor, B 51 017, lettre du gouverneur de la Banque de France au président de l’Association professionnelle des banques, 19 juillet 1956.
51 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note de Al sur les taux de bons du Trésor du 25 août 1954 et sur le régime des émissions de bons du Trésor sur le marché monétaire du 17 août 1955, 18 p. dactylogr.
52 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note du 25 août 1954.
53 AEF, fonds Trésor, B 51 018, note attribuée à P. Besse, octobre-novembre 1951. Souligné dans le texte.
54 AP Saint-Geours, « Le taux de réescompte », automne 1953.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 P. Besse, La vie économique, cours de l’IEP, 1952-1953, Paris, LGDJ, 1953.
58 Combat, 17 décembre 1957. Cet article reprend les propos de E Bloch-Lainé parus dans la revue Réalités.
59 F. Bloch-Lainé in J. Bouvier et F. Bloch-Lainé, La France restaurée, op. cit., p. 241. Voir également Profession : fonctionnaire, op. cit., p. 114.
60 J. Saint-Geours, Pouvoirs et Finances, Paris, Fayard, 1979, p. 106-107.
61 O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner..., op. cit.
62 ABF, 1069 1988 802, Boîte 26, « Avances à l’État ». Souligné par nous. Dans d’autres courriers de la même époque, le directeur du Trésor soumet à l’approbation du gouverneur les notes de trésorerie destinées au ministre. Ce circuit de la note pour le ministre dépasse la simple courtoisie et montre que le directeur du Trésor doit composer avec le gouverneur.
63 F. Bloch-Lainé, in La France restaurée, op. cit., p. 242.
64 J. Bouvier, Introduction à Emile Moreau, Mémorie di un governatore della Banca de Francia, op. cit.
65 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
66 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 9, cassette n° 10, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
67 Entretien n° 8, cassette n° 8, entr. cité. La forte personnalité de P.-P. Schweitzer, son flegme et son savoir-faire en matière de négociations monétaires autorisent à croire en la véracité de ses propos, dont il est difficile d’obtenir la confirmation. Le témoin évoque en effet des discussions informelles, des conversations entre le directeur du Trésor et le gouverneur ; cela ne peut donc être vérifié par d’autres témoignages ou des archives.
68 AEF, fonds Trésor, B 51 015, note de Al sur le régime des émissions de bons du Trésor sur le marché monétaire, 17 août 1955.
69 Id. La note est beaucoup plus complète sur les inconvénients du système et les réformes à faire ; elle n’est exploitée ici que pour montrer la capacité ou non d’évolution de la direction.
70 À partir de cette date, W. Baumgartner remet en question le montant des investissements publics et les prérogatives de l’État dans le financement de l’économie. C’est, indirectement, critiquer le circuit du Trésor. Voir O. Feiertag, W. Baumgartner..., op. cit., chap. X.
71 ABF, Rapports Etat/Banque de France 1940-1990, séance officieuse du Conseil général du 28 mai 1957.
72 ABF, « Convention 1957 », 1069 1988 02, boîte 28, lettre au ministre du 29 mai 1957.
73 O. Feiertag a démontré l’influence déterminante du directeur général du FMI dans la critique du système de financement du déficit budgétaire, lors de sa mission auprès de la Banque de France en 1957. Voir W. Baumgartner..., op. cit., chapitre X.
74 Comme le démontrent Cl. Andrieu, « À la recherche de la politique du crédit, 1946-1973 », art. cité, p. 397 et suiv. et O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner..., op. cit.
75 ABF, 1069 1988 02, boîte 25, « Conventions 1947-1951 ». Souligné par nous.
76 AEF, fonds Trésor, B 51 018, lettre de P. Pavard (Al) à P. Fromaget, député, de septembre 1954. Visiblement, P. Pavard connaît bien le député, qu’il tutoie et lui propose un projet de réponse informel au ton très libre qui livre le fond de sa pensée. Sur la cartellisation des banques, accentuée depuis les lois de 1941, voir J. Bouvier, Un siècle de banque française, Paris, Hachette, 1973, p. 96 et suiv.
77 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt, 1947-1956 », dossier qui regroupe différentes notes émanant de la Banque de France du 6 octobre 1947, ou émanant de la direction du Trésor (Al) de mars, septembre et novembre 1951, et de mars et août 1956, dans lesquelles les auteurs s’opposent ou freinent systématiquement chaque éventualité de hausse du taux de l’escompte.
78 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt 1947-1956 », note de la mission de contrôle des activités financières pour le directeur, mars 1951.
79 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt 1947-1956 », note de J. Guyot de septembre 1951.
80 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt 1947-1956 », note de J. Guyot de novembre 1951.
81 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt 1947-1956 », note du 13 mars 1956 émanant de la direction du Trésor, 5 p. dactylographiées.
82 Voir supra, la lettre de Pavard à Fromaget.
83 Le Comité Watteau est alors composé de MM. Watteau, Varin-Bernier, Cusenier, Grimanelli et Boyer (de Force ouvrière). Il n’y a aucun représentant du ministère des Finances.
84 ACL (Archives du Crédit lyonnais), DAF 131.2, « Notes de conversations 1948-1949 ».
85 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque, opérations sur titres », lettre de F. Bloch-Lainé à R. Buron, 10 juin 1949.
86 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », note de la mission de contrôle du 4 octobre 1949.
87 AEF, fonds Trésor, B 52 447, « Conditions de banque », lettre du ministre des Finances du 6 décembre 1949, rédigée par le bureau C1 ; réponse de W. Baumgartner, n. d...
88 Créée en juillet 1947 au taux de 0,60 %, la commission d’endos était destinée à couvrir les avantages consentis au personnel lors de la grève des banques. Depuis, elle est liée aux augmentations de salaires dans les banques. Les droits de garde sont des commissions sur leurs différentes opérations capitalistiques.
89 AEF, fonds Trésor, B 52 451 « Conditions de banque ».
90 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », note de la mission de contrôle du 9 mars 1951, 8 p. dactylogr. R. de Lestrade est alors commissaire du gouvernement auprès de banques d’affaires.
91 Id. Cette note se trouve également sous la cote B 51 017 « Taux d’intérêt », regroupant les dossiers du bureau A1 ; ce qui tend à montrer que les deux cellules travaillent de concert.
92 AEF, fonds Trésor, B 51 017, « Taux d’intérêt », note émanant de la direction du Trésor (Al), mars 1951.
93 AEF, fonds Trésor, B 51 017, note de la mission de contrôle de mars 1951, déjà citée.
94 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », note de la mission de contrôle des activités financières du 15 mai 1952.
95 AEF, fonds Trésor, B 52 447, « Bilans et comptes des banques nationalisées ».
96 AP Saint-Geours, « Crédits et banques », note n° 7 du programme économique, échéance du 15 janvier 1955, 4 p. dactylographiées.
97 F. Bloch-Lainé et P. de Vogüé, Le Trésor public..., op. cit., p. 183.
98 Les archives du Crédit lyonnais livrent à cet égard des comptes rendus de conversations entre banquiers et entre banquiers et Trésor, qui permettent de préciser les points de discussion ainsi que les enjeux de ces réunions. Voir les dossiers référencés « Notes de conversation ».
99 Selon le deuxième rapport annuel de la Commission de contrôle des banques, il existe en 1948, 37 banques d’affaires, 8 banques de crédit à long et moyen terme, 381 banques de dépôts.
100 Le Trésor public, cours de l’IEP, 1948-1949, Paris, Les Cours de droit, 1949.
101 Le Trésor public, cours de l’IEP, 1952-1953, Paris, Les Cours de droit, 1953, p. 228.
102 Le Trésor public et le Mouvement général des fonds, op. cit., p. 118.
103 La question de savoir quel est le rôle effectif des conseils d’administration des banques nationalisées ne saurait être tranchée ici. À l’époque, et jusqu’en 1973, les pouvoirs d’influence du Trésor se situent en amont et en dehors de ce cadre.
104 Selon le témoignage de J. Maxime-Robert, inspecteur des Finances (promotion 1927), entré à la Banque de l’Indochine en 1937, dont il deviendra successivement directeur général en 1960 puis vice-président directeur général en 1968. Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 4, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. Voir M. Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. Histoire de la Banque de l’Indochine 1875-1975, Paris, Fayard, 1990.
105 AEF, pelurier du directeur du Trésor. Dans ces archives, ces sujets, qui révèlent un aspect très matériel de la tutelle du Trésor, reviennent souvent : une lettre du 27 décembre 1946 adressée au ministre de l’Intérieur tend à interdire la fermeture des banques le 24 décembre (B 11 533) ; en 1954, P.-P. Schweitzer défend l’ouverture des banques le samedi matin (B 11 632, lettre d’Edgar Faure au ministre du Travail du 11 août 1954).
106 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 3, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. On retrouve le même sentiment de résistance des banques à l’égard des placements des valeurs publiques chez J. Guyot, sous-directeur du Mouvement des fonds de 1948 à 1952, entretien n° 7, cassette n° 7, ent. cité.
107 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 5, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.
108 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 4, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
109 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 4, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
110 ACL, DAF 131.2, « Notes de conversation 1949 ». Conversation du 5 février 1949 avec Autissier, visite au ministère des Finances du 8 février 1949.
111 F. Bloch-Lainé, Le Trésor public, cours à 1TEP 1948-1949, op. cit.
112 AEF, fonds Trésor, B 51 018, « Généralités », lettre de P. Pavard à P. Fromaget, 1954.
113 AEF, fonds Trésor, B 52451, « Conditions de banque », note de la mission de contrôle des activités financières du 4 octobre 1954.
114 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 3, cassette n° 3, 1989, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. P. Coquelin, inspecteur des Finances (promotion 1931), directeur du Commerce extérieur de 1943 à 1944, entre chez Worms et Cie en 1946, en devient directeur général adjoint des services bancaires en 1952. P. Coquelin reproche surtout la méconnaissance de la vie des sociétés de la part de l’administration fiscale plutôt que du Trésor.
115 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 7, cassette n° 12, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
116 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 4, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. J. Méary, inspecteur des Finances (promotion 1946), entre à la Société générale en 1951 en qualité de sous-directeur, pour devenir directeur en 1958.
117 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 7, cassette n° 12, entr. cité.
118 C’est une boutade qui revient souvent dans la bouche des hauts fonctionnaires : les banques nationalisées en 1945, ne risquant plus de l’être, ont eu dès lors une attitude plus désinvolte vis-à-vis de l’État. Voir le témoignage d’A. Lévy-Lang, alors président de Paribas, dans M. Lévy- Leboyer (dir.) Les banques en Europe de l Ouest de 1920 à nos jours, op. cit. p. 328.
119 Entretien biographique avec A. de Castelnau, entretien n° 4, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
120 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 9, cassette n° 10, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. La Banque de Paris et des Pays-Bas est surtout proche du pouvoir politique dans l’entre-deux-guerres. Voir E. Bussière, Horace Finaly, 1871-1945, Fayard 1996, et Paribas, l’Europe et le monde, 1872-1992, Anvers, fonds Mercator, 1992. Cependant, du temps de F. Bloch-Lainé, les relations ne sont pas aussi proches avec la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Banque de l’Indochine (entretien biographique n° 5, cassette n° 6, déjà cité.)
121 C’est en tout cas la manière dont le directeur du Trésor perçoit les relations après 1945. Hormis ce critère, la taille de la banque peut être un facteur de plus ou moins grande proximité. Ainsi le Crédit Commercial de France n’entretient-il pas de relations particulières avec le Trésor, selon J.-P. Daviet (communication au séminaire sur l’histoire du Trésor, sur le Trésor et les banques commerciales de 1945 à nos jours, 1993-1994).
122 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 12, cassette n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. J. Filippi, inspecteur des Finances (promotion 1930), après une période de cabinets ministériels, est chargé en 1941-1942 des fonctions de secrétaire général pour les affaires économiques au secrétariat d’État aux finances, puis directeur général de l’économie et des finances du gouvernement militaire de la zone française d’occupation à Baden- Baden en 1945. Il revient au ministère à la DREE en 1948 est nommé conseiller technique au cabinet du président du Conseil, H. Queuille. Élu sénateur en 1955, il est nommé secrétaire d’État au Budget dans le cabinet Guy Mollet en 1957. Il conservera ses fonctions à la Banque Dreyfus jusqu’en 1971.
A contrario, une banque d’affaires de moyenne importance comme l’Union européenne industrielle et financière est amenée à traiter avec le Trésor pour le financement de l’industrie aéronautique, dans lequel le Trésor est très impliqué.
123 ACL, 16 AH 42, « Relations Mouvement général des fonds – Crédit lyonnais 1935-1936 », « Relations Banque de France-Banques 1937-1938 ».
124 ACL, DAF 75, « Notes de conversation 1945 à 1947 », qui font le compte rendu des réunions du Crédit lyonnais avec les autres banques ou avec le Trésor.
125 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 5, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. À l’époque, le Comptoir national d’escompte apparaît aux yeux du directeur en perte de vitesse ; quant à la BNCI, elle est considérée par le Trésor depuis ses déboires durant la grande crise comme une banque moins convenable que les autres ; c’est la raison pour laquelle, selon F. Bloch-Lainé, il n’y a que trois fauteuils dans le bureau du directeur du Trésor.
126 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Tarifs bancaires », note du 21 juin 1952 de R. de Lestrade, 5 pages dactylographiées. Les lois bancaires de Vichy ont selon Y. Gonjo unifié les conditions de banque et mis fin au régionalisme bancaire, entraînant ainsi un développement des ententes ; voir Y. Gonjo, « La modernisation de la Banque de France... », art. cit. p. 339.
127 Ibid.
128 Ces établissements, créés au xixe siècle ou au lendemain de la Première Guerre mondiale ont dès l’origine concurrencé les banques. Voir A. Gueslin et M. Lescure, « Les banques publiques, parapubliques et coopératives françaises, 1920-1960 », in M. Lévy-Leboyer (dir), Les banques en Europe de l’Ouest de 1920 à nos jours, op. cit., p 45-57.
129 AEF, fonds Trésor, B 52 451, note du chef de la mission de contrôle, n. d.
130 A. Gueslin et M. Lescure, « Les banques publiques, parapubliques... », art. cité.
131 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », lettre du Président de l’APB au gouverneur de la Banque de France du 7 mars 1950.
132 AEF, fonds Trésor, B 52 451, « Conditions de banque », note pour la direction du Trésor émanant sans doute de la mission de contrôle, 1950.
133 Cet aspect sera étudié de manière plus précise ci-dessous.
Les dirigeants du Crédit national, présidents, directeurs des prêts, directeurs administratifs et financiers sont en quasi-totalité issus du ministère des Finances. Voir M. Lescure et alii, Le Crédit national, histoire publique d’une société privée, op. cit., p. 306. Même situation pour les dirigeants de la Caisse des dépôts (Watteau, Bloch-Lainé). En revanche, les dirigeants de la Caisse nationale de Crédit agricole ou des Banques populaires ne sont pas, du moins à l’époque, issus des Finances. Voir A. Gueslin, Histoire des crédits agricoles 1910-1970, Paris, Economica, 1984, tome I, p. 747, et E. Albert, Les Banques populaires en France 1917-1971, Economica, 1997.
134 A. Gueslin, Histoire des crédits agricoles..., op. cit., tome I, p. 748-770. Soutenue par H. Queuille, la Caisse nationale obtiendra finalement gain de cause.
135 E. Albert, Les Banques populaires, op. cit., p. 316-321.
136 Entretien avec F. Descamps, entretien n° 8, cassette n° 14, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
137 Cf. J. Bouvier, in F. Braudel et E. Labrousse, Histoire économique et sociale de la France, tome IV, vol. 3, Paris, PUF, Un siècle de banque française, op. cit., et son avatar, J.-J. Laurendon, Psychanalyse des banques, Paris, Sedimo, n. d.
138 Selon l’expression de M. Vasseur, L’État banquier, Paris, 1962, cité par J.-J. Laurendon, Psychanalyse des banques, op. cit., p. 164 et suiv.
139 Communications au séminaire sur l’histoire du Trésor en France de 1970 à la fin des années 1960, Bercy, 1993-1994, op. cit. p. 131-140. Voir également H. Bonin, Suez, du canal à la finance, 1858-1987, Économica, Paris, 1987, et É. Bussière, Paribas, L’Europe et le monde, 1872-1992, op. cit.
140 Voir notamment les travaux d’E. Chadeau, de N. Carré de Malberg et de D. Chagnollaud.
141 E. Chadeau, Les inspecteurs des Finances au xixe siècle, op. cit.
142 N. Carré de Malberg, « Les inspecteurs des Finances à la direction du Trésor xixe et xxe siècle », Revue des deux mondes, juin 1998, p. 81-111.
143 D. Chagnollaud, Les hauts fonctionnaires..., op. cit. p. 245.
144 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 4, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
145 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité. Rappelons que P. Coquelin a été chef du service de la coordination des administrations financières (1942) et directeur du Commerce extérieur (1943).
146 Nous remercions N. Carré de Malberg pour les informations qu’elle nous a transmises sur les inspecteurs des Finances en poste au MGF avant la guerre.
147 Entretien biographique avec F. Demarigny, entr. cité.
148 Sur la personnalité de J. Francès, voir H. Bonin, Suez, du canal à la finance, op. cit.
149 J. de Fouchier lui-même prend ses distances vis-à-vis des dirigeants des banques en 1946, « occupés à circonscrire les dégâts, à tenter de raccommoder le tissu déchiré, plutôt qu’à promouvoir des initiatives novatrices », J. de Fouchier, La banque et la vie, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 37. Pour J. Georges-Picot, qui sort des cadres de l’inspection en 1945 après une carrière administrative assez longue, N. Carré de Malberg souligne que « sa sociabilité est davantage celle d’un grand bourgeois d’affaire que celle d’un « grand commis », J. Georges-Picot, Souvenirs d’une longue carrière, de la rue de Rivoli à la Compagnie de Suez, 1920-1971, Introduction et notes par N. Carré de Malberg et H. Bonin, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993, p. 14.
150 Entretien avec F. Descamps, déjà cité.
151 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 4, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. J. Méary, inspecteur des Finances (promotion 1946), qui entre à la Société générale en 1951 en qualité de sous-directeur et qui sera nommé directeur en 1958.
152 Entretien biographique déjà cité.
153 Entretien biographique avec l’auteur, entretien n° 5, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. B. de Margerie sera successivement directeur-général adjoint de la banque (1966-1978), président de Paribas international (1968-1978) et président du Comité de Paris de la Banque ottomane (1979-1982).
154 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 12, cassette n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
155 Entretien avec S. Coeuré, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité.
156 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 4, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
157 Entretien biographique avec F. Demarigny, cassette n° 12, entr. cité.
158 Robert Bordaz, Pour donner à voir, Paris, Éditions Cercle d’art, 1987, p. 82-83.
159 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 4, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
160 Cf. communication d’A. Lavigne au séminaire sur l’histoire du Trésor, « Rapports entre le Trésor et la Banque de France depuis la Seconde Guerre mondiale », 21 décembre 1993.
161 Voir la préface de M. Lévy-Leboyer in M. Lévy-Leboyer (dir.), Les banques en Europe de l’Ouest de 1920 à nos jours, op. cit., p. v-xvii.
162 Ce qui n’est pas le cas par exemple en 1929 lors du lancement du plan d’outillage de Tardieu. Voir O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner.... op. cit., p. 108.
163 M. Lévy-Leboyer, op. cit. Voir également A. Plessis « Les banques, le crédit et l’économie », in M. Lévy-Leboyer et J.-C. Casanova (dir.), Entre l’État et le marché, op. cit., p. 331-364.
164 M. Lévy-Leboyer, Préface, Les banques en Europe de l’Ouest..., déjà citée.
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La direction du Trésor 1947-1967
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La direction du Trésor 1947-1967
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