Chapitre IV. 1953-1958, intervenir moins mais mieux ?
p. 185-242
Texte intégral
1L’historiographie considère les années 1952-1953 comme une date charnière en matière d’histoire économique et financière1, tant du point de vue de l’évolution positive des grands agrégats – production, consommation, prix, etc. – que de celui d’un changement d’orientation des politiques économiques : amorcé dès 1948, s’installe durablement un ordre « néolibéral » imprégné de keynésianisme, au sein duquel s’épanouit le thème de l’économie concertée2.
2Comment le Trésor s’est-il inséré dans cette nouvelle donne politique économique et financière ? Comment, au centre de l’appareil économique d’État construit depuis 1944, le Trésor a-t-il évolué pour s’y adapter ? La stratégie mise en place par François Bloch-Lainé a-t-elle été remise en cause par son successeur ou bien a-t-elle été confortée ?
3La réponse qui s’analyse en deux temps est à l’image de la période, duale et complexe ; la première partie démontre comment la direction poursuit sa stratégie interventionniste sur de nouveaux critères et de nouveaux secteurs. Parallèlement, elle tend à développer son autre préoccupation, l’assainissement financier. Est-ce pour diriger moins ? Est-ce pour diriger mieux ? La deuxième partie s’appuie sur l’étude précise des relations du Trésor avec les entreprises nationales sous sa tutelle (entreprises publiques et sociétés d’économie mixte) pour mettre en lumière l’inflexion de sa stratégie et une nouvelle mission du Trésor, celle de l’État-actionnaire, qui se développe à partir de ces années 1950.
4L’année 1952 constitue à tous égards un tournant dans les politiques publiques : plus que la fin de la période de la Reconstruction, l’épisode Pinay symbolise le point d’orgue d’un mouvement de « restauration » ou de « récupération », selon les termes employés par F. Bloch-Lainé3. Plus que celle de Pierre Mendès France4, l’action aux Finances d’Edgar Faure ouvre une ère nouvelle qui tente, à travers un néolibéralisme enclenché en 1948 par René Mayer, de concilier l’intervention de l’État et le retour aux mécanismes de marché pour retrouver le chemin de la croissance ; rappelons que l’homme définit les orientations de la politique économique et financière de 1951 à 19555. À partir de 1952, le déficit budgétaire et l’inflation sont les préoccupations prioritaires des gouvernements ; la mystique de l’investissement des années d’après guerre a laissé la place à une notion plus mesurée qui résume bien cette période tout en nuances : « l’expansion dans la stabilité », formule célèbre attribuée à Edgar Faure, censée arbitrer le duel entre modernisation et malthusianisme.
5La courte période 1953-1958 n’est cependant ni exempte d’ambiguïtés, ni homogène. Si l’expansion économique est remarquable, visible à travers les taux de croissance de la Production intérieure brute et de l’investissement6 la stabilisation financière et monétaire s’avère laborieuse : aux années 1952-1955 de relative stabilité des prix succède un regain d'inflation en 1956 et 1957. Les hypothèques de l’inflation et du déficit budgétaire ne sont toujours pas levées, le franc, qui ne sera pas dévalué entre 1948 et 1958, reste faible et menacé. L’État reste encore engagé dans le financement de l’économie et les ressources financières sont toujours largement prélevées par les administrations. Les ruptures avec la période précédente apparaissent dans le passage du deuxième Plan « à l’arrière plan »7, mais surtout dans la prise en compte de la nécessité d’ouverture extérieure : tandis que le débat sur la convertibilité du franc s’instaure à partir de 19528, la libération des échanges, entreprise dès 1953, est réalisée à 80 % en 1955. Alors que l’aide Marshall se termine en 1952, la contrainte extérieure, notamment européenne, oblige à une meilleure compétitivité de l’économie française, qui devient une priorité des gouvernements successifs9. L’avancée des projets de construction européenne entre 1951 et 1957, leur insertion dans le débat d’idées national, apparaissent à la fois l’effet et la cause des changements opérés dans l’économie française durant cette période de transition ; le Marché commun n’est pas encore un cadre de pensée, mais il est désormais pris en compte dans la définition des politiques publiques.
6Le tournant de 1952-1953 se traduit dans le changement de directeur à la tête du Trésor. En 1952, Antoine Pinay, avant d’être renversé, a nommé Pierre-Paul Schweitzer en remplacement de François Bloch-Lainé, qui devient directeur de la Caisse des dépôts et consignations. Là encore, le changement de directeur du Trésor n’est pas une pure coïncidence. Alors que François Bloch-Lainé incarne aux yeux du maire de Saint-Chamond le haut fonctionnaire « fiscalo-dirigiste » tant honni, et plus encore, la fin d’une époque – la Reconstruction –, Pierre-Paul Schweitzer en poste aux États-Unis depuis 1949, apparaît alors vierge de cet état d’esprit dirigiste qui anime, selon le ministre des Finances de l’époque, les hauts fonctionnaires de la rue de Rivoli. Quel est le profil de cet inspecteur des Finances issu des Finex et formé à l’école de Guillaume Guindey ? Plusieurs influences ont contribué à former sa personnalité telle qu’elle apparaît dans l’exercice de ses fonctions. En premier lieu, il jouit d’un héritage familial prestigieux mais sans tradition de service public : né à Strasbourg, issu d’une famille protestante, fils d’un industriel, il est le neveu d’une part du prix Nobel de la paix de 1952, le Dr Schweitzer, et d’autre part d’un chef d’orchestre connu en son temps, Charles Munch. Il suit le cursus classique de l’inspecteur des Finances de l’époque, soit un DES de droit privé et d’économie politique et l’École libre des sciences politiques avant d’intégrer en 1936 le corps de l’Inspection ; entré au Mouvement général des fonds avant la guerre, il appartient au petit nombre d’inspecteurs des Finances qui ont fait de la résistance active sous l’Occupation. On ne peut comprendre Pierre-Paul Schweitzer sans savoir qu’il fut l’un des résistants de la première heure, membre actif du NAP (Noyautage de l’administration publique) et qu’il a payé chèrement son engagement : arrêté, torturé, déporté à Dachau, il est auréolé d’un grand prestige moral au sein du ministère, qui lui donne une grande liberté de parole et d’action. Plus encore, les épreuves endurées ont sans doute relativisé son intérêt, son enthousiasme pour son métier : « J’ai toujours attribué à cette épreuve la teinte de scepticisme qu’il portait sur toute idée, toute chose, et sans doute tout homme » estime Jacques Desazars de Montgailhard10. Ceci pourrait justifier les qualificatifs qui reviennent dans la bouche de plusieurs de ses collaborateurs : nonchalant, ironique, sceptique, réservé. Ceci pourrait également expliquer le fait que, contrairement à son prédécesseur, il apparaisse comme un directeur qui délègue facilement à ses collaborateurs, selon les témoignages recueillis auprès d’administrateurs civils et d’inspecteurs des Finances de différentes sous-directions11. Enfin, la troisième influence d’importance est son appartenance à la petite équipe de Guillaume Guindey aux Finex12 au sein de laquelle il effectue un parcours fulgurant : Pierre-Paul Schweitzer y est successivement attaché financier (1945), directeur adjoint (1946), administrateur suppléant du FMI (1947) puis le secrétaire du SGCI qui négocie âprement l’aide Marshall en 1948 ; il retourne aux États-Unis en 1949 en tant qu’attaché financier à Washington : le prestige dont il jouit alors au sein de la communauté internationale lui sera bien utile tout au long de cette décennie marquée par l’ouverture des frontières. A-t-il pour autant été formé à une école plus libérale que celle du Trésor ? Selon les travaux historiques récents, l’école de Guindey se teinte d’un libéralisme économique relatif pour l’époque13. Plus sûrement, cette longue expérience lui a conféré cet esprit pragmatique, voire empirique souvent relevé par ses collaborateurs qui contraste avec le goût pour les constructions intellectuelles de son prédécesseur : pour Jean Saint-Geours, « Pierre-Paul Schweitzer, c’est l’intuition, c’est l’« understatement », c’est l’intelligence des mécanismes et des hommes, etc. Il n’y a rien de fondamental chez lui du point de vue de la formation économique »14. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles Antoine Pinay choisit de nommer, contre le gré de l’intéressé, l’attaché financier qui n’appartient pas au noyau dirigiste de la rue de Rivoli...15. Cependant, la logique de fonction l’emportera sur ces influences d’outre-Atlantique et Pierre-Paul Schweitzer s’avère au total un directeur qui s’adapte à l’institution et à ses doctrines sur l’intervention de l’État. Si son image apparaît parfois plus orthodoxe que celle de son prédécesseur, au travers des témoignages de ses collaborateurs qui ont connu l’un et l’autre, il apparaît pour d’autres, extérieurs au Trésor, comme un défenseur de l’intervention de l’État16.
7En réalité, son intérêt se concentre avant toute chose sur les aspects monétaires et financiers de sa fonction, sphère qu’il a bien connue lors de ses années passées aux Finex, laissant à ses sous-directeurs ou chargés de mission une grande liberté d’action dans les domaines de l’intervention économique, de la prévision et de l’outre-mer. N’est-ce pas lui qui recrute Jean Saint-Geours en 1953 comme secrétaire de la Commission des investissements et le laisse mettre en pratique ses convictions interventionnistes, tout comme il laissera Philippe Dargenton « faire ce qu’il veut » au secrétariat du conseil de direction du fonds17 ?
8Après les turbulences de la Libération et les innovations de F. Bloch-Lainé, voici le temps de la gestion de l’héritage.
I. UNE MÊME STRATÉGIE POUR DE NOUVEAUX OBJECTIFS
9Du point de vue des investissements publics, la période 1953-1959 ne fait que poursuivre le mouvement de désengagement officiel de l’État enclenché en 1949 et l’inversion de la tendance en faveur des mécanismes privés, soulignée par J. Bouvier18. La part du marché financier dans le financement des investissements est ainsi multipliée par deux entre 1953 et 1958. Parallèlement, comme le met en lumière le tableau récapitulatif exposé dans l’introduction (voir p. 6), le financement sur fonds publics est en baisse (de 27,4 % en 1952, il passe à 23,9 % en 1957). Cependant, le rôle de l’État se maintient durant ces années par le biais des organismes spécialisés et des facilités accordées au crédit à moyen terme mobilisable : entre 1952 et 1958, l’État intervient directement ou indirectement dans 40 à 45 % des investissements français.
10La décennie des années 1950 marque également une triple diversification des investissements : celle des nouveaux secteurs prioritaires définis par le deuxième Plan, celle des destinataires de la manne publique et, en amont, celle des critères de choix. À la fois sur la base des nouveaux objectifs du Plan et de l’impulsion des ministres en faveur de la reconversion et de la décentralisation, l’intervention économique de l’État, à défaut de se maintenir, se diversifie sectoriellement et géographiquement : se dessine une orientation différente des investissements publics, désormais consacrés en priorité aux secteurs de l’industrie de consommation, de la construction et de l’agriculture. Parallèlement, les bénéficiaires de l’aide publique évoluent : 50 % des investissements vont aux entreprises privées en 1951 ; à partir de 1953, la création d’une ligne nouvelle de prêts du fonds pour l’adaptation et le développement industriel est directement destinée aux PME. Enfin, de nouveaux critères président à l’octroi de l’aide : la reconversion industrielle, l’aménagement du territoire, la productivité. Si le volume des investissements publics est réduit par rapport aux années précédentes, l’intervention de l’État n’est pas pour autant allégée, mais seulement recentrée. D’une intervention à spectre large et macroéconomique, l’État-son bras séculier, le Trésor – vers une intervention plus pointue, plus microéconomique.
A. UNE INTERVENTION RECENTRÉE
1. La pérennisation des instruments d’intervention du Trésor.
11La période qui s’ouvre marque parallèlement une pérennisation des instruments d’intervention publique en matière économique selon des évolutions divergentes. Le Commissariat général au Plan prépare la révision du deuxième plan (1954-1957), mais le départ de Jean Monnet et la fin de la pénurie ne lui confère plus un statut équivalent à celui dont il disposait après la guerre. C’est le sentiment de Dominique Boyer, alors sous-directeur au Trésor :
« Monnet parti, j’ai eu le sentiment que le centre de décision en matière d’investissement s’était nettement déplacé vers le ministère des Finances et vers le Trésor à travers la Commission des investissements. [...] Petit à petit, le Plan est devenu une cellule de réflexion, de préparation, interférant moins dans les décisions immédiates »19.
12Le directeur du Trésor Pierre-Paul Schweitzer exprime lui-même des réserves quant aux objectifs du Plan définis pour les années 1954-1957 : dans le domaine des transports, de l’agriculture et de l’équipement sanitaire et social, il souligne que « d’importantes dépenses vont être engagées sans qu’aient été résolus au préalable ou en même temps des problèmes majeurs de structure »20. Sa critique va plus loin ; il conteste au Plan son intervention sur les choix des moyens financiers à mettre en œuvre pour sa réalisation – c’est au ministre des Finances d’en décider, éventuellement au Parlement. Enfin, le directeur du Trésor demeure réticent à un engagement de quatre ans sur un montant déterminé de ressources qui équivaudrait à une loi programme « dont il est exclu qu’elle puisse s’appliquer à autre chose qu’à des opérations bien déterminées et homogènes ». Signe de la décadence du Plan ? Autant F. Bloch-Lainé s’est montré nuancé dans sa prise de distance d’avec le Plan, autant son successeur dévoile un visage du Trésor très anti-Plan.
13Si le Plan semble en perte de vitesse du moins du point de vue des Finances, en revanche le Service des études économiques et financières est en pleine ascension. Le jeune service qui faisait sourire les sceptiques du ministère est porté par deux événements : d’une part la création de la Commission des comptes de la Nation le 18 février 1952, d’autre part l’avènement de P. Mendès France comme premier président de cette Commission, puis comme président du Conseil, permettent au service de C. Gruson de participer à l’élaboration de la politique économique. Ainsi celui-ci, très critique sur l’intervention de l’État dans son rapport sur les comptes nationaux, préconise-t-il une politique de libération des prix, de suppression des garanties et des systèmes de protections et de privilèges21. Le groupe de travail chargé de définir le programme d’expansion économique et le plan de dix-huit mois d’Edgar Faure s’appuie clairement sur Claude Gruson et son service22. Ceci profite-t-il au Trésor ? Oui, dans la mesure où l’instrument de prévision, encore dans son giron, facilite les échanges d’informations, plus accessibles pour le Trésor que celles du Plan. Non, dans la mesure où c’est plutôt le cabinet que la direction qui fait appel à ses services. Cette idée doit cependant être nuancée par le fait que Jean Saint-Geours, alors secrétaire de la Commission des investissements, est proche politiquement des responsables du Service d’étude, Simon Nora, Claude Gruson, Jean Sérisé, eux-mêmes mendésistes notoires.
14Plus significative est l’institutionnalisation du fonds de modernisation et d’équipement. Né de l’aide Marshall, il devait disparaître avec elle, après des rumeurs de suppression dès 195223, mais retrouve un second souffle. En juillet 1953, il est remplacé par le fonds d’expansion économique qui se répartit en quatre sections, correspondant aux nouvelles orientations des investissements des années 1950 : la construction, l’équipement rural, l’expansion économique, et la productivité à partir du 1er janvier 195424. Enfin, ultime transformation, le fonds est transformé en FDES (fonds de développement économique et social) par un décret-loi du 30 août 1955 signé de P. Pflimlin. Il regroupe le fonds d’expansion économique, le fonds de conversion industrielle créé par P. Mendès France en 1954, et une partie du fonds national d’aménagement du territoire nouvellement créé ; la réorganisation des sections25 reflète les nouvelles préoccupations économiques de l’époque : l’outil se pérennise car il s’avère adaptable et souple. Il perdure encore... Les attributions qui lui sont confiées par le décret du 18 octobre du Trésor, l’avis du conseil de direction du FDES prend en fait la valeur d’une véritable autorisation pour les entreprises publiques du secteur de l’énergie et des transports (Charbonnages de France, EDF, GDF, SNCF, RATP, Compagnie Nationale du Rhône, CEA, Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine, Société Nationale des Gaz du Sud-Ouest, Air France, Aéroport de Paris...)26.
15Parallèlement, le FDES se bureaucratise. Son conseil de direction remplace la Commission des investissements, tandis que le Trésor conserve le secrétariat et préside les séances en l’absence, fréquente, du ministre des Finances. Le rapport du conseil de direction, qui adopte un style neutre et formel, ne rend plus compte de la réalité des débats entre participants. La transformation des groupes de travail de la Commission des investissements en dix comités spécialisés, avec un président, des membres désignés, un secrétariat, tend à donner aux administrations un pouvoir plus important. On note que la direction du Trésor est présente dans neuf comités sur dix27. La consultation des archives de certains comités spécialisés permet d’avancer que l’ensemble des questions touchant au montant, à la répartition des investissements, au choix des modes de financement est discuté au sein de ces comités, à partir des propositions des commissions de modernisation du Plan. Le conseil de direction a surtout pour vocation de demander l’arbitrage du ministre sur des divergences entre les services : l’on voit rarement le directeur du Trésor s’élever contre une demande de prêt. Tout au plus paraît-il parfois réticent dans la formulation de son accord : « Il est difficile de ne pas dire oui ». Dans la pratique, les divergences portées dans l’enceinte du Conseil ne concernent que des sommes marginales28. Il est certain que le Trésor adopte une position toujours plus restrictive que le Plan. E. Faure tranche souvent en faveur de la demande la plus basse favorable aux investissements publics, tandis que P. Pflimlin se montre bienveillant envers les investissements publics.
16L’implication croissante de la direction dans les mécanismes de décision du FDES est décelable à travers deux séries de fait. D’une part, le directeur du Trésor a la délégation de signature du ministre des Finances pour les décisions de versement des prêts du FDES, qui nécessitent alors un arrêté ministériel. D’autre part, le nombre croissant de bureaux du Trésor impliqués dans les décisions du FDES illustre la fonctionnarisation de l’institution :
17Certains bureaux sont plus impliqués que d’autres, tel le bureau B1 qui participe non seulement aux travaux de quatre comités spécialisés du FDES, mais également à ceux d’autres instances administratives rattachées au ministère des Finances, tels le Comité d’examen des lettres d’agrément, le Comité national de la productivité, la Commission des garanties et du crédit au Commerce Extérieur, le Comité d’attribution des avances à l’industrie cinématographique, le Comité des emprunts étrangers... Le Trésor a su tisser sa toile à l’intérieur du FDES comme dans les diverses commissions qui fleurissent au gré des préoccupations politiques du moment.
18Le tableau ci-dessus illustre également comment, au sein même de la direction, plusieurs bureaux se partagent les différents secteurs. Le souci de coordination voulu à l’extérieur n’empêche pas un cloisonnement des secteurs d’intervention à l’intérieur de la direction, voire à une concurrence entre les cellules pour développer leur territoire : l’idée d’une doctrine unique du Trésor sur ses fonctions d’intervention apparaît alors comme un leurre ; chaque secteur est géré suivant la position entretenue par le bureau qui en a la charge, selon une ligne transmise des années durant par le même bureau. La faible rotation des postes (sept à huit ans dans un même bureau), qui entretient la mémoire des dossiers et la pérennité des doctrines30, conforte l’implication de plus en plus forte de la direction dans la structure du FDES et la stratégie mise en œuvre par F. Bloch-Lainé.
2. Aménagement du territoire et centralisation des investissements.
19S’appuyant sur les critères nouveaux d’intervention définis par les politiques (reconversion, aménagement du territoire, productivité), la direction du Trésor s’est-elle impliquée particulièrement sur certains ? En a-t-elle développé d’autres ? Autant la productivité, si chère au Plan, n’a jamais été considérée au Trésor comme un critère intéressant d’investissement, autant la politique de conversion et d’aménagement du territoire progressivement mise en place entre 1953 et 195531 va être à la fois développée et coordonnée par ses soins.
20Dès 1953, la vocation des commissions départementales d’investissement est circonscrite par le directeur du Trésor à celle d’un organisme de coordination administratif purement interne ; on ne peut, selon lui, « comme le souhaitait un groupe de sénateurs-maires, lui adjoindre quatre élus des collectivités locales et en faire une institution paritaire destinée à établir un plan d’investissement départemental »32. En centralisant la décentralisation, le Trésor entend ainsi se réserver ce domaine de l’aménagement du territoire, qu’il juge trop important pour être livré aux politiques et qui plus est, aux élus locaux...
21En 1954, le programme d’expansion économique du gouvernement s’oriente vers une politique de conversion industrielle qui incite Jean Saint-Geours à réfléchir au financement des investissements des collectivités locales, qu’il faudrait « mieux maîtriser et harmoniser », grâce à la constitution d’un nouveau groupe de travail de la Commission des investissements, comprenant des représentants des Finances et de l’Intérieur... mais non des collectivités locales33. Ces dernières ne sont pas consultées non plus dans l’attribution des primes spéciales d’équipement, centralisée entre les mains des hauts fonctionnaires du comité spécialisé n° 9, primes qui ont été créées par le décret du 30 juin 1955 pour les entreprises qui créent ou développent des installations à l’intérieur des « zones critiques » définies par le gouvernement : ce comité spécialisé, présidé par François Bloch-Lainé, est chargé également de donner l’agrément des sociétés de développement régional et des groupements professionnels industriels. Jean Saint-Geours se fait l’artisan zélé de ce nouvel interventionnisme public :
« À ce moment-là, avec Bloch-Lainé, on met au point les textes sur les contrats de conversion d’activité et les interventions pour favoriser l’aménagement du territoire. [...] Bloch-Lainé, donnant une orientation nouvelle à la Caisse des dépôts et moi au Trésor, nous sommes très en phase avec Pflimlin, ministre des Finances, les propagandistes de l’intervention de l’État pour favoriser les conversions »34.
22La période est également marquée par la création des grands aménagements régionaux, poussée par Jean Saint-Geours35, telle la compagnie du Bas Rhône-Languedoc dirigée par Philippe Lamour, les coteaux et landes de Gascogne, le canal de Provence. Le Trésor donne également son aval sur les créations des sociétés de développement régional, sociétés d’économie mixte créées en 1955 et dotées d’avantages fiscaux. Les nouveaux instruments en faveur du développement régional sont ainsi directement contrôlés par le Trésor. Dans la même stratégie, Pierre-Paul Schweitzer attire l’attention du ministre sur l’absence de coordination nationale du programme d’action régionale de 1956, qui entraîne des incertitudes sur le plan financier. Les inconvénients sont peut-être liés, selon lui, « aux conditions d’élaboration des documents ». Il propose donc que les projets soient soumis à la direction du Trésor et à la direction du Budget pour l’ajustement36.
23Se trouve ainsi concentrée entre les mains de quelques hauts fonctionnaires la politique de conversion et d’aménagement du territoire : de la coordination, le Trésor passe progressivement à la centralisation.
3. Centraliser pour rationaliser les choix.
24Parmi les acteurs de cette politique publique d’investissement, Jean Saint-Geours apparaît comme la figure emblématique du Trésor interventionniste et jacobin des années 1950. L’inspecteur des Finances énarque (promotion 1949), entré au Trésor comme chargé de mission en 1953, devient secrétaire de la Commission des investissements jusqu’en 1956, date à laquelle il est nommé sous-directeur des interventions économiques. Entre-temps, il est au cabinet de Bourgès-Maunoury, ministre des Finances et puis de l’Industrie en 1953 et 1954, puis au cabinet de Pierre Mendès France (août 1954). Proche de F. Bloch-Lainé, de Claude Gruson et de Simon Nora, il appartient au courant réformateur et dirigiste que l’on retrouve dans l’entourage de Mendès France et au Service des études économiques et financières. Dans la période 1953-1958, son action émerge dans le domaine des interventions économiques publiques. Ses idées de réforme s’articulent autour de deux objectifs : coordonner et rationaliser.
25Au sein du groupe de travail sur la politique économique créé par Pierre Mendès France et présidé par Claude Gruson en 1954, Jean Saint-Geours développe ses réflexions autour de deux axes : la transformation des structures de l’industrie française et la coordination des investissements de l’État. La note qu’il rédige à l’attention d’un certain nombre de hauts fonctionnaires propose une centralisation des fonds publics, gérés par un bureau de conversion de l’Industrie qui coordonnerait les moyens d’action : « Lorsque l’on examine la manière dont fonctionnent depuis plusieurs années [les] institutions, on est conduit à remarquer que les organismes chargés de l’orientation de l’économie n’ont qu’incomplètement rempli le rôle qui leur était dévolu, en raison tout d’abord de leur surabondance qui a favorisé les actions dispersées et fait obstacle à l’unité des vues ; ensuite parce qu’il n’a pas été établi entre eux des liaisons suffisantes ; enfin parce qu’une trop grande partie des investissements a échappé à leur intervention »37. Le chargé de mission du Trésor n’oublie pas sa direction lorsqu’il préconise un regroupement des services autour de deux centres, l’un à compétence financière, la direction du Trésor, l’autre à vocation économique, le Commissariat au Plan38. Il propose même la constitution d’un fichier central des entreprises ayant besoin de financement à la direction du Trésor...
26Le jeune chargé de mission est-il alors représentatif de l’état d’esprit de la direction du Trésor ? Son successeur au secrétariat du conseil de direction du FDES. en 1956, Philippe Dargenton, bien que se situant délibérément dans une mouvance libérale, témoigne d’une même ardeur interventionniste et ne remet nullement en cause les acquis de son prédécesseur :
« Je rends hommage à Jean Saint-Geours, qui avait rodé la mécanique, c’est-à-dire : un, le secrétaire du FDES était tout-puissant, deux, le directeur du Trésor ne s’en occupait absolument pas, et troisièmement, les ministres s’en occupaient très peu »39.
27Pierre-Paul Schweitzer qui laisse le champ libre à son chargé de mission, non seulement ne remet pas en question l’héritage du Trésor mais tend encore à lui donner une dimension supplémentaire lorsqu’il appelle de ses vœux une réforme des structures industrielles. Toute une partie des hommes influents de la direction du Trésor apparaît en quelque sorte à contre-courant du mouvement de désengagement de l’État qui commençait à se dessiner au niveau politique.
28Comment expliquer cette attitude méfiante de l’administration des Finances et plus particulièrement du Trésor envers les collectivités locales ? La tradition jacobine du ministère s’appuie d’abord sur sa crainte récurrente de dérives financières non contrôlées. Comme le reconnaît lui-même J. Saint-Geours,
« Quand j’étais sous-directeur au Trésor en 1956, je n’étais pas très décentralisateur. [...] J’étais frappé par le risque ou l’existence de dépenses purement démagogiques : elles étaient soumises à des influences politiques, avec subventions de l’État, éventuellement [...] et, d’autre part, par le défaut d’équipement humain et l’incompétence des échelons locaux »40.
29En arrière plan se dessine toujours le sentiment du ministère des Finances d’être seul défenseur de l’intérêt général face aux intérêts particuliers ou locaux. Enfin, le souci d’organisation, le désir de rationaliser les investissements, d’assainir les finances publiques qui animent ces hauts fonctionnaires aboutissent inéluctablement à une centralisation technocratique.
4. La rationalisation des choix d’investissement : des choix financiers aux choix techniques.
30L’emprise du Trésor sur les investissements publics se manifeste à travers son rôle dans la fixation des volumes, des modes de financement, la priorité donnée à tel ou tel secteur. Plus encore, avec le développement de ses interventions, le Trésor est amené à donner son avis sur des choix stratégiques de technique industrielle. Les travaux de Jean Saint-Geours au sein du groupe de travail sur la politique économique montrent, on l’a vu, une forte propension à vouloir réformer la structure industrielle française. De même Pierre-Paul Schweitzer préfère-t-il un argent public efficacement utilisé et est-il ainsi amené à vouloir agir sur les structures économiques. Ces réflexions restent alors du domaine macroéconomique, et portent sur des généralités. En revanche, deux exemples flagrants d’intervention microéconomique méritent d’être relevés : celui de la décision de la Caravelle et celui de la naissance du barrage de la Rance.
31Rappelons que Sud-Aviation est une société d’économie mixte issue de la fusion de la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Est (SNCASE) et celle du Sud-Ouest (SNCASO), créées en 1936. Elle est soumise à la tutelle du Trésor, plus précisément à celle de la 2e sous-direction des interventions économiques. Ce sont Maurice Sergent, le sous-directeur, et Jean Saint-Geours, le secrétaire de la Commission des investissements, qui poussent au financement de la Caravelle en 1955. Le témoignage de Jean Saint-Geours, appuyé par celui de Philippe Dargenton, est éloquent :
« Mon prédécesseur, M. Sergent, me dit : « Vous allez être sous-directeur, il y a une décision qu’il faut que nous prenions ensemble pour proposer au ministre (vous savez, il y avait une certaine instabilité ministérielle, c’était nous qui prenions les décisions plutôt, à la place des ministres) –, c’est d’accepter de contribuer au financement de la Caravelle. [...] Le ministre nous a suivi, on a expliqué, etc. ; on a sans doute minimisé les risques, car le marché était aléatoire face à des financements, des études, de l’outillage, tout à fait considérable. C’était un acte de foi de la part des technocrates »41.
32La décision de construire le barrage de la Rance, approuvée en 195642, fait également intervenir le Trésor en tant qu’acteur d’une décision industrielle. Sous le nouveau critère de la rationalisation de choix d’investissements – leur volume étant en diminution, les investissements doivent être efficaces –, les investissements publics sont dorénavant soumis à des critères de rentabilité économique. Ainsi, avec Pierre Massé au Plan et Christian Beullac au ministère de l’Industrie, Jean Saint-Geours travaille-t-il sur « la notion de centrale thermique de référence, pour ordonner par rapport à cette centrale thermique de référence l’équipement hydroélectrique des barrages et puis éventuellement, les investissements pétroliers, l’énergie nucléaire »43. Le jeune sous-directeur réfléchit alors à une hiérarchisation des investissements, en tentant de définir des critères de choix en fonction de leur efficacité et de leur rentabilité. À titre d’exemple, le barrage de la Rance est d’abord recalé deux fois pour rentabilité insuffisante, puis accepté par le Trésor quand le ministère de l’Industrie propose un système de turbines à double sens44. Jean Saint-Geours résume ainsi le rôle qu’il entend jouer alors : « Nous étions des chevilles ouvrières entre le politique et le choix technique en poussant à la rationalisation des choix »45.
5. Une concurrence accrue avec le Budget.
33Le barrage de la Rance est l’un des rares exemples visibles pour le chercheur de la concurrence que se livrent Trésor et Budget sur les investissements publics. Alors que le Trésor tente de trouver le point de rentabilité minimum du barrage, le Budget refuse l’économie du projet et, plus largement, l’importance accordée aux investissements dans l’électricité hydraulique. Une note interne de la direction du Budget datée de 1959 fait sienne la critique radicale de la mission de contrôle économique et financière d’EDF, qui estime « que devrait être rejetée de manière catégorique l’opération de l’estuaire de la Rance dont le coût très élevé [...] et la basse rentabilité (coefficient de valeur 0,83) interdisent qu’une suite y soit donnée »46. La direction du Budget recommande le remplacement des usines hydrauliques par des centrales thermiques, jugées plus économiques parce qu’elles utilisent le charbon des Houillères et les réserves de gaz saharien... La rationalisation des choix et la rentabilité des investissements, qui intéressent les deux directions, font apparaître des différences de logiques voire de doctrines entre les deux directions47. En réalité, le débat entre les deux directions sur les choix de l’électricité thermique ou hydraulique s’inscrit dans celui qui agite EDF puis l’opinion publique depuis 1952-195348.
34Autant la période précédente avait été relativement calme, autant à partir de 1952 apparaît plus explicitement une rivalité entre les deux administrations. S’agit-il d’une montée en puissance de la direction du Budget ? De rivalités territoriales accrues du fait de la réduction du volume d’investissements et de la pérennisation des instruments d’intervention ? Ou bien d’un affermissement des doctrines, dans un contexte économique et financier néo-libéral ? La conjugaison de ces facteurs explique l’apparition de tensions un peu plus fortes. Ces divergences apparaissent plus fréquemment qu’auparavant dans les archives écrites et se retrouvent au fil des témoignages de hauts fonctionnaires des deux directions ayant exercé des fonctions durant cette décennie. Certes les directeurs sont dans leur rôle lorsqu’ils répondent aujourd’hui à la question des relations entre Trésor et Budget de manière évasive, voire consensuelle : les protagonistes du ministère des Finances n’ont guère l’habitude de dévoiler publiquement leurs querelles intestines – solidarité du département oblige – ; ce n’est ni la tradition ni leur intérêt et sans doute les points de friction leur semblent-ils minimes par rapport à l’accord sur les grands enjeux économiques et financiers : ils font partie du « jeu administratif ». La solidarité du ministère des Finances vis-à-vis des ministères techniques ne saurait être mise en défaut ! Sur les grandes orientations sectorielles, il y a eu accord, comme en témoigne J. Saint-Geours :
« Sur la période qui va de 1950 à 1968, les investissements en France ont été, par le système, au gré du jeu des forces économiques et politiques prioritaires et, sommes toutes, sauvegardés [...]. Par exemple, il est clair que les financiers, ici unis, aussi bien les gens du Trésor [...] que les gens du Budget, ont été d’accord pour faire passer le logement avant les autoroutes, puis les autoroutes avant les télécommunications ; si l’on voit les choses globalement et systématiquement. »49
35Sur les objectifs de financement public, Budget et Trésor se rejoignent parfois, par exemple pour élever de sérieuses objections quant à l’institution d’une taxe sur les oléagineux destinée à soutenir les cours. Dans sa note pour le ministre, Pierre-Paul Schweitzer explique comment ce système qui engage les finances publiques pourrait être évité « sans décaissement de l’État », en faisant agir les ministères techniques responsables sur le volume des importations et des exportations50. L’alliance objective des deux directeurs face à un ministre dépensier ou face à leur ministre existe bel et bien, même si parfois l’arbitrage de ce dernier est nécessaire pour trancher des différends. En revanche, les échelons hiérarchiques inférieurs qui subissent quotidiennement les affrontements avec l’autre direction sont beaucoup plus exposés. Pierre-Paul Schweitzer donne clairement son point de vue, avec son franc parler :
« Le Trésor était sur un pied d’égalité [avec le Budget] ; cela signifie qu’au niveau des sous-chefs de bureau, il y avait tout le temps des rivalités entre les deux directions pour savoir qui était compétent – pas au niveau des directeurs, qui s’entendaient toujours à la perfection, mais au niveau des sous-chefs de bureau »51.
36Les témoignages émanant de la direction du Budget sont souvent plus acerbes. Ainsi Pierre Cortesse, administrateur civil qui fait sa carrière au bureau B2 du Budget de 1953 à 1966, résume-t-il la situation à sa manière :
« Avec la direction du Trésor, c’est à la fois une relation de coopération, puisqu’une partie du budget comprend les comptes du Trésor, donc il y avait des relations... amicales ; et en même temps, une sorte de conflit permanent, la direction du Trésor souhaitant limiter au maximum à l’époque le financement par le crédit, la direction du Budget le financement par le budget. Or, comme un certain nombre de dépenses peuvent se financer soit par le crédit, soit par le budget, il y avait des conflits qui n’étaient tranchés que par le ministre très fréquemment ». Conflits qui peuvent prendre parfois un tour aigu, chacune des directions ayant « le sentiment de défendre des positions plus conformes à l’intérêt général que l’autre direction »52.
37Le terrain privilégié des frictions entre Trésor et Budget est en effet le choix du mode de financement des investissements publics, par subvention (budgétaire) ou par prêt (du Trésor) ; mais il recouvre en réalité la question de l’affectation de tous les crédits publics selon leur finalité (couverture de trésorerie, soutien des prix d’un marché, etc.). La ligne de partage entre équipement (plutôt affecté au budget de reconstruction et d’équipement ou aux HLM) et investissement (plutôt financé par les comptes spéciaux du Trésor) est floue, qui permet ainsi à chacun des protagonistes soit de défendre sa conception de l’orthodoxie financière, soit de marquer son territoire. Ces divergences permettent au chercheur de définir un peu plus clairement les doctrines du Trésor sur les modes d’intervention publique, étant entendu qu’à l’époque, le Trésor ne remet pas en cause le principe même de l’intervention.
38Ainsi par trois fois le directeur du Trésor s’oppose-t-il au directeur du Budget lorsque ce dernier souhaite imputer au Trésor des dépenses qui ne sont pas des dépenses d’investissements exceptionnelles. En août 1954 il refuse une demande de la direction du Budget d’un prêt sur le fonds d’expansion économique pour la RATP, justifié de son point de vue par le fait que ce prêt est destiné « à combler un déficit de trésorerie », et que la RATP n’a jamais bénéficié auparavant d’un prêt du FME53. Lorsque le ministère des Affaires étrangères demande aux Finances des crédits pour financer l’intérêt et l’amortissement des emprunts destinés au financement de travaux d’agrandissement des établissements culturels à l’étranger, Pierre-Paul Schweitzer exprime à nouveau son désaccord : « Quand une dépense doit être prise intégralement en charge par l’État, il est mauvais pour elle de la financer par un emprunt spécial ». Il propose donc pour le prochain exercice la transformation de l’emprunt en subvention en capital, « mode normal de financement des travaux d’équipement des établissements culturels à l’étranger »54. Enfin, le financement du pont de Tancarville offre un aperçu du désaccord – doctrinal ou purement opportuniste ? – des deux directions. D’un côté, le Budget souhaite un financement du projet par des emprunts de la Chambre de commerce du Havre garantis par l’État ; de l’autre, le Trésor propose une participation de l’État sous forme de contribution en capital du fonds routier, dont il lui paraît difficile qu’elle soit « autre chose qu’une subvention »55. Deux arguments méritent attention : d’une part, le directeur du Trésor considère que la garantie inconditionnelle de l’État « ne peut être accordée que subsidiairement et exceptionnellement », sinon, elle s’apparente à une « subvention déguisée » ; ce qui montre une évolution de la doctrine du Trésor sur la garantie de l’État par rapport à la période précédente, au cours de laquelle cet instrument d’intervention continuait d’être préconisé (voir supra). D’autre part, selon le directeur du Trésor, « l’intérêt seulement régional du projet ne justifie pas l’accord particulier de l’État », plutôt celui des collectivités locales. Parallèlement, la Commission des investissements puis le conseil de direction du FDES, qui concentrent les investissements publics aux mains des administrations centrales, se penchent avec zèle sur les aides au développement régional... On pourrait épiloguer sans fin sur les nuances des positions respectives du Trésor et du Budget, dont les archives écrites et orales, rappelons-le, ne donnent qu’un aperçu de la réalité de leurs relations. Les personnalités des acteurs de premier plan ont pu jouer un rôle déterminant : Roger Goetze, qui dirige le Budget de 1949 à 1956, apparaît non pas keynésien mais du moins plus ouvert à une action positive des Finances en faveur de l’économie56. Mais pourrait-il en être autrement durant ces années de l’après-guerre au cours desquelles domine la mystique de l’investissement ? Le directeur du Budget est-il, lui aussi, représentatif de l’ensemble de sa direction ? Pour Jean Saint-Geours, l’image restrictive du Budget reste très forte durant la période57 ; tandis qu’à l’occasion d’un rapport de la Cour des comptes sur la gestion de la régie des chemins de fer de l’Afrique Occidentale Française (AOF), le directeur du Trésor se permet d’« attirer l’attention du directeur du Budget sur le danger que représenterait toute tentative de retour à une exploitation des chemins de fer de l’AOF sous une forme purement administrative »58. Deux institutions d’influence, entre complémentarité et concurrence, dont les logiques financières ou économiques s’entremêlent et parfois convergent sur les modes d’intervention de l’État. Les rivalités de territoire ou de pouvoir apparaissent surtout comme des conflits symboliques entre les bureaux. Elles ne doivent pas masquer l’esprit « Finances » qui unit Trésor et Budget face à leurs demandeurs et qui mêle la recherche d’assainissement des finances publiques et le souci de bonne gestion financière. Le secteur des entreprises publiques cogéré par les deux directions offrira également l’exemple d’une vision commune des financiers publics (voir infra).
B. ASSAINIR LES MODES DE FINANCEMENT PUBLIC :
UN SOUCI ACCRU À PARTIR DE 1956
39« Assainir les finances publiques » : ce leitmotiv revient fréquemment dans la bouche des hauts fonctionnaires des Finances. Il présente à l’époque plusieurs facettes, qui se déclinent différemment selon les préoccupations des directions : réduire le déficit budgétaire, rendre les comptes publics plus transparents, revenir à une gestion saine des finances publiques et donc à un contrôle plus rigoureux...59 Comment le Trésor a-t-il interprété ce thème à la fois porteur et financier par excellence ? Comment l’a-t-il concilié avec son interventionnisme ?
1. La remise en question des techniques d’intervention.
40Comme le développement précédent l’a montré indirectement, le directeur du Trésor tend à revenir sur l’emploi systématique d’un certain nombre d’instruments d’intervention, comme l’octroi de la garantie de l’État ou l’utilisation des emprunts pour couvrir des déficits de trésorerie. Plus encore, l’un des artisans du renouveau interventionniste du Trésor, Jean Saint-Geours, chantre de la rationalisation des choix d’investissement, fait de l’assainissement financier « le préalable à la mise en œuvre d’une politique économique cohérente et constructive »60. Dans le cadre de ses fonctions à la direction du Trésor en 1953-1954, le jeune chargé de mission réfléchit à une réorganisation des procédures d’intervention du Trésor, notamment celle des lettres d’agrément : « En effet, les protagonistes d’un dirigisme à base professionnelle voient de plus en plus dans la lettre d’agrément un moyen de soutenir le cours d’un produit agricole ou industriel. Il serait sans doute plus prudent de rendre d’ores et déjà plus malaisé le recours à cette procédure »61. Réticent à l’intervention du Trésor pour soutenir le cours ou le stockage de produits agricoles, de même il redoute l’engagement possible du Trésor dans l’organisation des marchés agricoles62. En revanche, il est visiblement en désaccord avec son directeur lorsqu’il souhaite un élargissement de la garantie de l’État ou une application large du système des bonifications d’intérêt...63
41Le Trésor apparaît ainsi de plus en plus réticent à des interventions microéconomiques, sectorielles. Si l’établissement des priorités d’investissements lui semble indispensable du fait de la réduction de la part publique dans la FBCF, elle ne doit pas se conjuguer selon lui avec des interventions ponctuelles. De même, le directeur du Trésor se déclare-t-il hostile à des taux d’intérêt préférentiels ; selon lui, « une trop grande diversification des taux d’intérêt risque d’entraîner une certaine incohérence »64. Cependant le Trésor apparaît, bon gré mal gré, quelque peu condamné à pratiquer la micro-économie : l’institution de primes spéciales d’équipement à toute entreprise créant des emplois dans l’une des zones critiques implique une étude de chaque demande déposée par les entreprises. Le secteur de la construction, géré par le Trésor bien malgré lui, donne un exemple des contradictions dans lesquelles la direction peut parfois se trouver enfermée.
42Alors que le financement de la construction est en plein essor, du fait des nouvelles priorités politiques de la décennie65, le Trésor continue de gérer directement le financement des HBM, et de surveiller les opérations de financement du Crédit Foncier et du Sous-Comptoir des entrepreneurs. L’afflux des demandes au Trésor, les plaintes concernant la lenteur d’instruction des dossiers visibles dans les archives, témoignent de la lourdeur de gestion du secteur de la construction. « Un secteur vraiment très administré, qui préexistait au Plan » selon J. Saint-Geours66 et, plus encore, soumis à des impératifs non pas économiques, mais politiques et sociaux. Ainsi, lorsque le secrétaire d’État au Logement et à la Reconstruction propose que le Trésor fasse des enquêtes techniques sur les procédures de financement de la construction, la direction rédige la réponse du ministre en ces termes : « Les services du Trésor ne se sont jamais saisis directement ou indirectement des questions techniques », ajoutant d’un ton catégorique : « Mes collaborateurs n’ont pas à s’immiscer dans le fonctionnement de vos services »67. Contraint cependant de prendre en compte un secteur qui pèse lourd sur la trésorerie et qui mobilise des crédits à moyen terme, le Trésor va s’employer à tenter de coordonner l’activité du secteur dans un souci d’assainissement. Ainsi Pierre-Paul Schweitzer souhaite-t-il « assurer une meilleure utilisation des crédits budgétaires prévus pour financer la construction de maisons d’habitation, principalement une application plus stricte des conditions de l’aide de l’État » et « uniformiser les conditions auxquelles est subordonnée l’aide de l’État en faveur de la construction de logements économiques »68. Selon le directeur du Trésor, « la vocation de l’institution des HLM sous l’effet de la crise du logement, depuis ces dernières années, n’a pas été respectée », et il lui apparaît nécessaire de fixer un plafond de ressources des personnes pouvant prétendre à un loyer HLM69. En outre le secteur du financement de la construction est soumis à un contrôle renforcé : par exemple, en juin 1955, est créée une mission permanente d’information auprès du Crédit Foncier au titre du financement de la construction ; l’exposé des motifs rédigé par le Trésor souligne l’importance des ressources financières consacrées par l’établissement à la construction – 460 milliards de francs courants depuis 1951 – qui a engendré une spéculation accrue, et nécessite selon le Trésor une surveillance du marché par l’État70. A. Hébrard, chef du bureau en charge des HLM à la 1re sous-direction, met en place une surveillance rigoureuse de la spéculation sur le montant des prêts : pour le seul mois de juin 1956, une quinzaine de dossiers par semaine sont renvoyés au Crédit Foncier, aboutissant à une baisse des prix, parfois de moitié... Plus encore, la mise en circulation très importante71 d’effets à moyen terme pour le financement de la construction inquiète pour ses effets inflationnistes incontrôlables. En janvier 1958, André Latapie, chef de service chargé de la 1re sous-direction rédige le décret qui définit le fonctionnement de la Caisse de consolidation des crédits à moyen terme (CACOM)72. Parallèlement, les Offices publics d’HLM sont la cible privilégiée du contrôle des Finances à partir des années 1956-1958 : demande d’un relevé complet des autorisations de prêts à chaque office à transmettre à la direction du Trésor, envoi à l’inspection générale des Finances de la liste des Offices publics d’HLM que la direction souhaiterait voir vérifier, etc. La surveillance du secteur par le Trésor oblige à un contrôle de chaque dossier de demande de prêt, à un travail laborieux et technique auquel la direction n’est guère habituée. Réticente à ce type d’intervention microéconomique, la direction du Trésor est cependant contrainte de gérer directement ce secteur à haut risque monétaire.
43Cependant la remise en question de techniques d’intervention par le Trésor reste limitée, soit par des contraintes externes, soit plus fréquemment par un souci de coordonner et de contrôler les financements qui aboutit à des interventions de plus en plus ponctuelles. Le lancement de la politique d’aménagement du territoire, confisquée par quelques hauts fonctionnaires d’administration centrale, dont le Trésor, en est la démonstration flagrante. On ne peut ignorer non plus le fait que chaque cellule en charge d’un secteur d’intervention ne se défait pas si facilement de ses instruments d’intervention.
2. Des novations budgétaires pour une gestion assainie des finances publiques.
44La période 1953-1958 est une période riche en recherche d’innovations budgétaires, car le ministère souhaite en finir avec les dérives depuis la Libération en matière de gestion des finances publiques et adapter ces dernières aux besoins d’une France en voie de modernisation73. Certaines de ces mesures apparaissent comme secondaires ou anecdotiques. Mais l’ensemble des réflexions qui agite le monde des Finances est révélateur à la fois de la recherche perpétuelle d’assainissement financier et de sa capacité à se réformer et à se moderniser. Sur ces différents points, bien que n’étant pas toujours au cœur des questions, le Trésor est intervenu dans la réflexion ou la mise en œuvre ; vue sous l’angle de la stratégie et de l’identité de la direction, la question de la réforme des présentations et procédures budgétaires revêt un intérêt certain.
45La première innovation budgétaire qui apparaît en 1953 est le fait d’un ministre des Finances, Edgar Faure. Visiblement poussé par son cabinet74 et non par son administration, le ministre fait en 1953 une déclaration devant la Commission des investissements qui explique les objectifs et la teneur de la réforme. Il s’agit selon lui de casser la confusion entre investissements publics et la FBCF afin d’orienter les financements de l’investissement vers d’autres ressources, le marché financier ou l’autofinancement75. Cependant Edgar Faure souligne la nécessité d’une période de transition pour mener à bien cette réforme. En réalité, la « débudgétisation » de 1953 ne sera qu’une réforme de présentation du budget, qui met hors budget la plus grande partie des investissements économiques et sociaux, afin de présenter un équilibre budgétaire « stricto sensu réellement atteint voire dépassé, [qui] se transforme en déficit apparent du seul fait de la présence des investissements ». Sont affectés au budget les investissements donnant lieu à des dépenses définitives non remboursables, tandis que les prêts et avances remboursables du FME sont placés hors budget : une partie des prêts de l’ancien fonds figure désormais au titre VI du budget, l’autre partie restant dans le fonds d’expansion économique. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont plus soumis au Parlement, comme l’indique le tableau ci-dessous :
46Il apparaît clairement qu’il s’agit d’un changement de présentation plutôt que d’une réforme en profondeur : les concours du Trésor (les points b), c), e) du tableau principalement) passent de 381 milliards de F en 1954 à 412 milliards en 195576. Cette présentation comptable ne saurait ainsi être confondue a priori avec un réel désengagement de l’État. « Un gadget politique », affirme J. Saint-Geours, « qui consistait à appeler autrement l’impasse. Ce qui était débudgétisé, il fallait bien le financer »77. « Cela n’a pas changé grand-chose », lui fait écho P.-P. Schweitzer, qui apparaît réticent sur la méthode de présentation78. Le Trésor continue en effet de contrôler les investissements des entreprises publiques à travers ses satellites. À titre d’exemple, pour les investissements de 1957, plus de 130 milliards de transferts ont été prévus par le conseil de direction du FDES vers la Caisse nationale de crédit agricole, la Caisse des dépôts ou le Crédit national, pour le financement de l’agriculture et de la sidérurgie. La soumission des satellites – notamment la Caisse des dépôts – à l’ukase administrative n’est pas toujours acquise, loin s’en faut. Ainsi la Caisse refuse-t-elle de financer les 19 milliards d’équipement rural qui lui ont été imputés, et le Trésor se voit-il dans l’obligation de les réintégrer dans les 210 milliards qui ont été alloués au FDES79 . Avec la débudgétisation et le transfert à de puissants satellites comme la Caisse des dépôts, Pierre-Paul Schweitzer regrette visiblement de ne plus pouvoir contrôler l’ensemble des investissements et fait une critique sévère de l’utilisation des crédits opérée par la Caisse, dans une note pour le ministre : « Il est patent qu’une grande partie des opérations d’équipement les plus nécessaires (énergie atomique, recherches de pétrole, école) se trouve enserrée dans le cadre étroit du budget, alors que la Caisse des dépôts, par exemple, a toute liberté pour financer des projets d’utilité douteuse, parmi lesquelles certaines réalisations des collectivités locales. »80.
47De même, en dépit des affirmations a posteriori des hauts fonctionnaires du Trésor qui tendent à minimiser l’importance de la réforme, le caractère supplétif des prêts du fonds dont l’instauration de tranches optionnelles d’investissement pour les entreprises nationales est le signe indéniable, accrédite l’idée d’un désengagement, sinon réel du moins possible, de l’État. Fervent artisan de l’intervention de l’État, Jean Saint-Geours en voit bien le danger lorsqu’il écrit dès l’automne 1953 : « La mise hors budget des dépenses d’investissements, dans la mesure où elle mettrait les entreprises nationales en concurrence avec les entreprises privées pour l’obtention d’un volume très accru de crédits à moyen terme, rendrait particulièrement incertain le maintien d’un niveau élevé d’investissement. Il faut bien se rendre compte d’autre part que c’est la présence des dépenses d’investissement dans le budget général qui contraint le Parlement à accepter un sérieux effort fiscal »81.
48La position du Trésor est tributaire de celle qu’il continue d’adopter sur les investissements. D’une part, la débudgétisation ne doit pas empêcher tout contrôle et toute coordination de la part de la part des Finances sur ce secteur : c’est la ligne adoptée par P.-P. Schweitzer. D’autre part, elle ne doit pas entraîner une réduction de l’intervention de l’État dans l’économie : c’est la position de J. Saint-Geours. Les deux principaux artisans de l’interventionnisme du Trésor, bien que mus par des doctrines légèrement différentes, se rejoignent dans leur crainte de voir les investissements échapper au contrôle des Finances et en l’occurrence à celui du Trésor.
49La réforme d’Edgar Faure permettra de faire entrer plus rapidement dans les mentalités, surtout administratives, l’idée d’un retour aux mécanismes de marché. Il faudra attendre dix ans pour que la débudgétisation des investissements de l’État devienne une réalité.
50Entre-temps, une autre novation budgétaire plus favorable aux investissements tente de voir le jour : en mai 1955, en raison des pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement, dix décrets-programmes instituent la pluri-annualité des investissements. Comme l’indique le Rapport général, « l’objet des décrets-programmes est d’ouvrir des crédits d’investissements globaux répartis en tranches annuelles. [...] La procédure des décrets-programmes comporte en outre une innovation importante : elle permet en effet d’accorder des autorisations de programme valables pour plusieurs années »82. Il s’agit d’une brèche dans le sacro-saint principe de l’annualité budgétaire. Le Trésor était favorable en principe à cette novation qui rendait plus cohérente les autorisations budgétaires avec les objectifs du Plan. La mise en œuvre s’est cependant avérée décevante, enterrant pour longtemps l’idée de pluri-annualité, comme l’explique l’un de ses défenseurs, J. Saint-Geours :
« Prenons un exemple, celui du ministère de l’Agriculture, c’est un exemple type. Il y avait par tranches des programmes de créations d’écoles d’agriculture, parce qu’on était très dépourvu. Il nous avait présenté un très joli programme, le ministère de l’Agriculture, une à Provins, une à ceci, etc. Il n’y avait rien derrière, au fond il n’y avait rien. [...] Alors en 1958, quand de Gaulle est arrivé et qu’à la suite des efforts antérieurs de Félix Gaillard on a encore accentué la rigueur financière, on s’est aperçu que les tranches prévues en 1955 n’avaient pas été utilisées, ou mal. Il y avait un retard formidable dans les télécommunications aussi, parce que derrière, il n’y avait pas de projets. Les administrations dépensières s’étaient bornées à aligner des chiffres. Et du coup, si la constitution de 1958 exclut expressément toute pluri-annualité budgétaire et réduit l’initiative du Parlement, c’est en partie à cause de l’échec relatif des décrets-programmes, de la tentative de pluri-annualité budgétaire de 1955 »83.
51La période 1956-1958 voit fleurir d’autres tentatives de réformes budgétaires tendant à assainir la gestion des finances publiques, qui n’aboutiront véritablement qu’avec la nouvelle République. Parmi celles qui intéressent plus ou moins directement le Trésor, notons la définition d’une nomenclature fonctionnelle des investissements lancée par la direction du Budget84 et élaborée par la Comptabilité publique à partir de 195685. Si le Trésor arrive en aval de cette réforme, il y est bien évidemment favorable, au nom d’une gestion assainie et efficace des finances publiques qu’il appelle de ses vœux depuis longtemps.
52Le souci de bonne gestion préoccupe d’autant plus les responsables des Finances que la situation financière s’est aggravée en 1956 : l’accroissement des dépenses militaires pèse lourd sur le déficit budgétaire, qui passe de 626 milliards en 1955, à 970 en 1956 et 974 en 1957 (francs courants). Dans ce contexte préoccupant, les défenseurs de l’investissement public, dont le Trésor, doivent s’incliner devant la nécessité de réduire les dépenses publiques d’investissement. Mais la répartition de la réduction entre les postes fait l’objet d’un différend entre Trésor et Budget, qui atteste leur volonté de conserver intacte leur zone d’influence respective. Tandis que, dans une note du 19 juin 1956, la direction du Budget propose que l’effort de diminution des charges d’équipement ne soit pas concentré sur les seules dépenses en capital du Budget (le BRE) mais porte également sur les prêts du FDES86, la réaction de P.-P. Schweitzer est rapide et efficace. Dans un style vigoureux, il emploie une méthode habile ayant fait ses preuves avec F. Bloch-Lainé, qui consiste à élargir le débat et à proposer des réformes de fond. Ainsi le directeur du Trésor, qui ne conteste pas l’opportunité d’une réduction des dépenses d’investissement, propose-t-il une extension de la réduction à l’ensemble des postes, soit non seulement le BRE et le FDES, mais également la reconstruction, les budgets annexes et les comptes spéciaux d’investissement, les HLM et les prêts des organismes spécialisés : les concentrer sur les seules charges du Budget et du Trésor les plus visibles serait selon lui d’un impact psychologique néfaste. Parmi les arguments invoqués pour convaincre son ministre, le directeur du Trésor développe particulièrement celui de l’absence de coordination des programmes d’investissements : « La répartition des investissements entre les différents modes de financement est dans une certaine mesure le fruit du hasard ou de l’arbitraire. Le fonds d’investissement routier ne se trouve pas dans le BRE mais l’équipement des aéroports s’y trouve. Les prêts à l’équipement agricole ont trois origines : le BRE, le FDES et la Caisse nationale de crédit agricole, sans critère de partage. [...] »87. Critiquant à mots à peine voilés le manque de souplesse du cadre budgétaire pour de grands projets, face à la grande liberté dont jouit la Caisse des dépôts et consignations – « Il ne serait pas heureux de compromettre les chances de la France en matière atomique en continuant à favoriser, ou parce que l’on favorise, la construction d’adductions d’eau ou de salles des fêtes » écrit-il sans détours –, il se propose de comparer l’utilité des différents investissements et de supprimer les « opérations les moins nécessaires », « soit parce qu’elles n’ont pas d’influence sur la capacité ou les conditions de production, soit parce qu’elles ne sont pas socialement inéluctables »88. Enfin, une fois cette sélection faite, le directeur du Trésor suggère de redistribuer les modes de financement, « afin de mieux les adapter à la nature des opérations et de réduire les charges proprement budgétaires, qui constituent la partie la plus apparente et donc d’incidence psychologique maximum de l’effort public et semi-public ». On remarquera l’art avec lequel le directeur du Trésor place une question de répartition de la « pénurie » dans une réflexion plus vaste sur les critères d’investissements publics et leurs modes de financement : suprême habileté ou sincère préoccupation ? Le directeur saisit l’occasion qui lui est donnée de défendre son territoire pour remettre en cause le fonctionnement empirique des mécanismes de financement. Comme son prédécesseur en 1948 il met en avant une préoccupation d’intérêt général, – l’assainissement des modes de financement public – derrière laquelle se dessine la préoccupation stratégique d’une institution qui souhaite préserver son territoire. Comme F. Bloch-Lainé, il suggère au ministre une concertation entre Trésor, Budget et Plan sous l’autorité d’un membre du cabinet, pour faire des propositions sur « les choix et les modalités de financement des investissements par l’État ». L’arbitrage est évité et l’accord avec le Budget apparaît au travers du rapport au ministre du 8 août 1956, qui consent à augmenter le volume des prêts du FDES de 210 à 250 milliards, et qui reprend les critiques du directeur du Trésor sur l’absence de sélection des investissements, estimant lui aussi que « les sacrifices devraient être répartis non pas en raison de la nature des inscriptions budgétaires mais bien plutôt selon l’utilité économique générale des diverses catégories d’investissements »89. La réduction des investissements publics sera effectivement répartie entre le BRE, les dommages de guerre, les HLM et le FDES Ponctuellement, Trésor et Budget s’accordent finalement sur l’objectif – la réduction des dépenses d’investissements-, sur les moyens – une ventilation équilibrée de la réduction-, et sur la nécessité d’une sélection des investissements90.
53S’opère ainsi à la fin de la IVe République une montée en puissance de réformes de procédures, de gestion budgétaire qui dépassent un cadre purement technique et qui trouveront leur aboutissement dans les ordonnances de 1958. Elles donnent le sens des préoccupations des hauts fonctionnaires des Finances de l’époque ; soucieux d’abord de la dérive budgétaire et de l’inflation, ils deviennent des défenseurs « raisonnables » de l’investissement public, qu’ils souhaitent moins généreusement distribué pour cause de déficit budgétaire, mais plus efficace. Les deux logiques économiques et financières sont ainsi conciliées.
54Il est un domaine dans lequel ce souci de rationalisation, d’efficacité se manifeste clairement, celui de l’exercice de la tutelle sur les entreprises publiques. Ainsi les dotations en capital, les tranches optionnelles d’investissement évoquées plus haut obéissent-elles au même souci de bonne gestion et de désengagement de l’État. Une nouvelle mission du Trésor, l’incarnation de l’État-actionnaire, obéit aux mêmes ambiguïtés de doctrine, entre intervention et désengagement.
II. ÉTAT-BANQUIER OU ÉTAT-ACTIONNAIRE ?
55La période des années 1950 illustre bien cette double caractéristique de l’interventionnisme rationalisé à travers les rapports entre l’État et les entreprises nationales, dont le Trésor constitue l’un des principaux acteurs. Étudier ce lien tutélaire qui dépasse celui de l’État-actionnaire à travers le prisme du Trésor couvre un champ d’investigation à la fois vaste et circonscrit : le Trésor n’est pas, loin de là, le seul responsable de la gestion et du contrôle des entreprises nationales ; l’ampleur du sujet ne saurait d’autre part trouver ici toutes ses réponses, les archives consultées étant assez maigres sur la question.
56Cette mission du Trésor à l’égard d’entreprises nationalisées nous intéresse particulièrement parce qu’elle donne la mesure de l’une des dimensions de la stratégie du Trésor en matière de politique économique : profondément liée dès son origine à la politique monétaire et financière de l’État ainsi qu’à son intervention accrue dans la sphère économique depuis 1945, le développement de l’État-actionnaire est l’une des illustrations de la politique publique d’investissement menée durant les trente glorieuses et du volontarisme économique qui l’a accompagnée. À travers ce prisme peut se dessiner l’évolution des doctrines d’intervention qui ont traversé l’État, du dirigisme déguisé à un « néolibéralisme » affiché, qui n’en est pas moins interventionniste. Enfin, au-delà d’une étude de processus de décision entre État et firmes nationalisées, d’une stratégie de direction et de la définition d’une identité et d’une doctrine du Trésor en matière d’État-actionnaire, l’analyse renvoie à des interrogations sur la pratique administrative, sur la question récurrente du contrôle, de sa légitimité et de son efficacité mais aussi sur les questions de la propriété du capital, du management des entreprises et de la nature de l’État en France.
57Les travaux sur le contrôle des entreprises nationales se regroupent depuis plusieurs décennies autour de deux courants : l’un, fondé sur la nature juridique du contrôle, n’en perçoit guère que la théorie, hormis quelques exceptions91 ; l’autre, porté plutôt sur la réalité, livre des essais de nature polémique. Peu de travaux historiques ont été consacrés à ce sujet, si ce n’est quelques monographies récentes et instructives, qui mettent en évidence la diversité des liens de tutelle et la variété des modes de contrôle92. Parallèlement, et ce depuis trente ans, la critique du fonctionnement de l’État-actionnaire a donné lieu à des rapports ou des essais de la part de hauts fonctionnaires ou de chefs d’entreprise qui méritent d’être pris en considération93. La source imprimée se montre cependant plus féconde que les archives écrites et orales du ministère des Finances, organe central de la tutelle financière. Le pelurier du directeur du Trésor ne révèle que des bribes d’information sur une éventuelle ligne de conduite de l’institution envers ses participations. Quant aux témoignages oraux ils restent pour le moment trop vagues sur la question pour pouvoir livrer des pistes de recherche intéressantes.
58Ce chapitre ne concernera pas les rapports entre l’État et les établissements de crédit nationalisés ou à statut légal spécial, pour deux raisons : d’une part, ce domaine « réservé » de la direction du Trésor a toujours été traité à part, à la fois dans les procédures de contrôle, au sein de la direction ou ailleurs, et dans les rapports qui ont pu être établis sur la tutelle de l’État sur les entreprises publiques. Les relations entre Trésor et banques obéissent d’autre part à des logiques particulières, des contraintes spécifiques liées à la politique du crédit. Elles apparaissent, durant cette période, plus étroitement liées à la mission monétaire du Trésor qu’à son rôle de tuteur. Elles seront donc traitées dans un chapitre ultérieur.
59Le développement de l’État-actionnaire procède d’une gestation assez longue et d’héritages multiples. Du proche héritage de l’entre-deux-guerres aux nationalisations massives de la Libération, le cheminement des doctrines, des consensus et des représentations a fortement évolué. Il est nécessaire d’en tenir compte pour comprendre la position du Trésor dans les années 1950, qui s’analyse en deux temps : avant 1952, la mise en place des leviers de contrôle ; après 1952, l’émergence du Trésor-actionnaire.
60D’une après-guerre à l’autre, les appropriations publiques nées de motivations et de circonstances diverses ont produit un secteur public aux contours flous, aux statuts juridiques incohérents et aux critères incertains. La multiplicité des statuts juridiques des différentes entreprises publiques existantes en 1946 – établissements publics, sociétés d’économie mixte, sociétés anonymes, etc. – exprime la diversité des motivations ainsi que les vagues successives de prises de contrôle par l’État, mais souligne surtout l’absence de doctrine cohérente : « Le secteur des entreprises publiques ne paraît obéir dans sa composition à aucun critère unique relevant d’une logique économique ou politique », constate le rapport Nora qui relève un peu plus loin : « Le désordre du droit qui régit le secteur public tient à la fois à son incohérence, et à son absence de rapport avec les faits »94.
61Le Trésor va donc hériter en 1946 d’un secteur qui recouvre des entreprises évoluant dans un univers monopolistique ou concurrentiel, ayant des statuts divers, des relations financières avec leur actionnaire public plus ou moins développées, et pour certaines desquelles existe déjà une tradition de tutelle financière. Il se trouve ainsi à la tête d’un double héritage : d’une part, les sociétés d’économie mixte issues de l’entre-deux-guerres et de la guerre, dont il va gérer presque seul les participations publiques : la Compagnie française des pétroles, la Compagnie générale transatlantique, Havas, la Sofirad, UGC, Air France, etc., qui évoluent dans un secteur concurrentiel ; de l’autre, les entreprises nationalisées de la Libération, la plupart entièrement contrôlées par l’État, qui évoluent dans un univers monopolistique et exploitent un service public, et pour lesquelles une tutelle financière partagée entre Budget, Trésor et Prix est mise en place (EDF, GDF, SNCF, Charbonnages de France, RATP principalement)95. Ces deux types d’entreprises publiques obéissent d’ailleurs à des interventions de l’État de nature différentes : d’un côté, il s’agit de l’État-actionnaire, propriétaire soucieux de contrôler l’utilisation de son capital ; de l’autre, l’État agit comme concédant de service public ou contrôleur de l’intérêt général.
62Parallèlement, l’attitude de la direction face aux nationalisations de la Libération n’a pas été entièrement négative, loin s’en faut (voir chapitre I) : hormis la nationalisation des banques, le Trésor s’est inséré dans le mouvement nationalisateur de la Libération, sans y résister très longtemps. On rappellera également que la direction, et plus largement le ministère des Finances, y a trouvé un moyen d’accroître son contrôle et son champ d’influence, au nom de sa conception de la défense de l’intérêt général.
A. LA TUTELLE DU TRÉSOR : QUELLES PRATIQUES DEPUIS 1946 ?
63À partir de cette situation, la direction du Trésor participe à la gestion des entreprises publiques à travers différents registres : par le biais de son contrôle sur les financements publics, principalement à travers la Commission des investissements, et plus largement grâce à son rôle de Trésor-banquier ; en corollaire, par son poids auprès des instances de contrôle et par son réseau relationnel au sein du ministère. Sans oublier le rôle qu’elle peut éventuellement jouer en matière de nomination des dirigeants des entreprises et des représentants de l’État dans les conseils d’administration.
1. Des entreprises au service de l’intérêt général.
64La direction du Trésor intervient dans la politique d’investissements des grandes entreprises nationales et donc dans leur financement, par deux biais : la Commission des investissements et la fixation du calendrier des émissions sur le marché financier. C’est l’apogée du Trésor-banquier, pourvoyeur de fonds des entreprises qui opèrent dans les secteurs prioritaires fixés par le plan Monnet. Prioritaires sur le marché des capitaux publics et privés, au nom de la reconstruction et de la modernisation, ces entreprises bénéficient de la garantie de l’État pour leurs emprunts, et de larges subventions budgétaires. La logique de l’intérêt général prime ici sur celle de l’entreprise et sur celle de l’actionnaire, et le Trésor a sciemment participé à ce mouvement consensuel, inattaquable idéologiquement à l’époque : les procès verbaux de la Commission des investissements, comme on l’a vu dans le chapitre III, attestent d’un consensus affiché, légitimé des hauts fonctionnaires du Trésor autour du principe de financement des entreprises nationales par l’État. Nullement remise en cause, ni par la direction du Trésor ni par les cabinets ministériels qui se succèdent96, ce principe pèse cependant lourdement sur la trésorerie de l’État : de 1948 à 1953, les quatre grandes entreprises nationales, EDF, GDF, Charbonnages de France, SNCF ont bénéficié de 818 841 millions de F du fonds de modernisation et d’équipement, soit de plus de 50 % des prêts de la Commission des investissements97. Ce secteur est d’ailleurs géré par la 1re sous-direction chargée du mouvement des fonds (bureau A4, financement des investissements) et non par celle en charge des interventions économiques.
65Ce contexte économique et politique fort entraîne une conséquence importante dans les relations entre État et entreprises nationales : la tutelle financière l’emporte sur la tutelle technique, comme le soulignera le rapport Nora : « La vraie hiérarchie des pouvoirs de décision et de contrôle s’ordonne à partir des mécanismes de financement »98. Le lien institutionnel, au demeurant faible, entre Trésor et entreprises publiques a moins de force que ce lien financier né dans des circonstances historiques exceptionnelles. Le poids de la tutelle est ainsi proportionnel non pas au statut de l’entreprise, ni au montant des participations de l’État, mais il est défini par rapport aux besoins financiers de l’entreprise nationale. Les entreprises du secteur public soumises aux objectifs du Plan se voient ainsi fortement contrôlées sur le montant et les modalités de financement de leurs investissements, tandis que les sociétés d’économie mixte et les entreprises privées qui appartiennent généralement aux secteurs jugés moins prioritaires, sont donc moins incitées à investir et bénéficient d’une plus large autonomie de gestion99.
66Cependant, le Trésor ne détient pas à lui seul la tutelle financière, multiforme et parfois peu coordonnée avec la tutelle technique ; pour les entreprises nationales, les salaires, les tarifs relèvent de la direction du Budget et de la direction des Prix pesant sur le budget de l’État. S’y ajoute la direction de l’Organisation économique et du Contrôle des entreprises publiques, dépendant du ministère de l’Économie nationale, dont les missions se superposent à celle des trois directions du ministère des Finances.
67Le Trésor dispose d’une marge de manœuvre et d’une autonomie plus importante lorsqu’il s’agit de sociétés d’économie mixte, exceptées celles de l’industrie aéronautique, dont les enjeux politiques et financiers constituent une contrainte majeure face aux logiques purement économiques ou financières.
68L’un des rares domaines dans lequel le Trésor opère seul est celui du contrôle de la rémunération des administrateurs au conseil d’administration des sociétés sous tutelle. Alors que l’ordonnance du 6 janvier 1945 avait supprimé toute forme de rémunération des représentants de l’État dans les organismes publics et d’économie mixte, celle-ci étant reversée le cas échéant au budget de l’État (article 5 de l’ordonnance), la loi du 8 mars plafond étant fixé à 20 % du traitement budgétaire de l’administrateur d’État et le solde reversé sur un compte spécial du Trésor, géré par le bureau B3 de la direction du Trésor. Les prévisions budgétaires pour 1954 de ce compte d’emploi des jetons et tantièmes revenant à l’État évaluent le montant total des indemnités allouées aux fonctionnaires à 60 millions de F, le versement au budget général à 30 millions de F100. On note par ailleurs que contrairement à une idée reçue, les hauts fonctionnaires du Trésor ne représentent qu’une minorité des bénéficiaires : on en recense 13 sur plus de 400 en 1953 et 17 sur 450 en 1959. Au Trésor, les bénéficiaires en sont par ordre décroissant le directeur, les sous-directeurs, quelques chefs de bureau101.
2. Les initiatives du Trésor en matière de renforcement du contrôle.
69Dès 1948, les dysfonctionnements de la tutelle de l’État sur le secteur nationalisé se font sentir et plusieurs initiatives sont prises afin d’améliorer la qualité du contrôle.
70La multiplicité et la complexité de statuts juridiques des entreprises publiques sont tout d’abord critiquées par les contemporains. Un projet de loi est déposé à la session de 1948 de l’Assemblée nationale afin d’harmoniser des réglementations « disparates » et de tenter de définir la nature juridique des entreprises, suivant l’univers – monopolistique ou concurrentiel – dans lequel elles évoluent. Mais il est progressivement enterré jusqu’en 1953102. La loi du 17 août 1948, votée sous l’éphémère gouvernement de Paul Reynaud, a incité l’État à regrouper ses participations, à liquider celles qui ne paraissent pas indispensables, tout en soumettant au législateur l’autorisation de descendre au-dessous des 50 % de participations.
71C’est dans le domaine du contrôle que plusieurs tentatives, dont celles du Trésor, vont s’avérer les plus abouties. On rappellera brièvement que jusqu’en 1948, la fonction de contrôle est exercée officiellement par le contrôle d’État, et éventuellement par les représentants de l’État au conseil d’administration et les commissaires du gouvernement, pour ce qui concerne le contrôle en cours d’exercice103 ; la Cour des comptes, l’Inspection des finances, assurent le contrôle a posteriori, le Comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, sans oublier le Parlement, ayant éventuellement la possibilité de faire une enquête.
72En 1949, la critique de la multiplicité des contrôles financiers faite par la direction du Trésor est reprise par Yves Le Portz, alors conseiller technique au cabinet du ministre des Finances, Maurice Petsche. Les critiques portent sur deux points : « La dispersion des organismes chargés du contrôle qui tiennent leurs pouvoirs de textes différents, ce qui entraîne un chevauchement des compétences [...] une confusion quant à l’objet et aux méthodes » et d’autre part, « l’absence de liaison entre les services de contrôle et les directions responsables de l’équilibre des finances publiques, à savoir les directions du Budget et du Trésor »104. S’ensuit une proposition de « liaison organique » des directions chargées de la tutelle financière, qui ne verra pas le jour avant presque vingt ans105. En revanche, la proposition de la direction du Trésor, reprise par Yves Le Portz, sur la création de missions de contrôle, constituées de chefs de mission et de contrôleurs d’État ou autres fonctionnaires des corps de contrôle, voit le jour en 1950106. La structure de la direction accueille d’ailleurs depuis 1948 une mission de contrôle des activités financières constituée de commissaires du gouvernement, et chargée plus particulièrement du contrôle des banques d’affaires. Enfin, en 1949 et 1950, la direction du Trésor réorganise le visa des marchés des entreprises nationales, en abaissant le seuil du visa préalable par le contrôleur d’État de 50 à 20 millions de F107.
73Que penser de ces critiques émanant de la direction du Trésor, alors qu’elle-même tend à développer depuis 1948 son territoire en matière de contrôle des investissements ? Certes, en suscitant la création de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques et celle du Comité de gestion des participations publiques en 1948108, la direction met en œuvre sa stratégie de contrôle des financements publics, dont elle est en grande partie responsable : elle fait preuve de cohérence et de logique. Mais, en critiquant parallèlement la multiplicité et le chevauchement des instruments de contrôle, dont font partie ceux qu’elle a suscités, la direction du Trésor fait preuve d’un aplomb certain, que seuls son prestige et le poids de son directeur peuvent expliquer... Il apparaît clairement une fois encore que la stratégie dynamique en matière d’investissements publics s’élargit au secteur du contrôle. La défense des intérêts de la direction n’apparaît que plus évidente si l’on tient compte du fait que le domaine réservé des établissements de crédit et des assurances est en revanche soigneusement tenu à l’écart des propositions de réorganisation. Dès sa création, la Commission de vérification n’est pas considérée comme compétente pour le secteur du crédit, son rôle étant rempli de facto par la Commission de contrôle des banques109.
74La stratégie de contrôle de la direction du Trésor qui tend à renforcer le poids institutionnel de la direction s’accompagne de la mise en place d’un réseau relationnel. Cet aspect reste cependant difficile à cerner, la liste des entreprises dans lesquelles l’État a des participations et de leur conseil d’administration n’étant publiée officiellement qu’à partir de 1959. Les quelques exemples qui suivent peuvent en donner sinon la mesure, du moins la nature.
3. L’empirisme de la gestion.
75Au-delà du schéma général qui vient d’être tracé, quelques exemples ponctuels, très différents, éclairent la place du Trésor dans la gestion quotidienne et dans la pratique de ses missions de tutelle.
76L’exemple de EDF illustre le poids du Trésor en tant que prêteur et banquier : le Trésor intervient auprès des banques pour le placement des emprunts d’EDF en priorité, comme le montrent les entretiens à ce sujet entre le directeur du Trésor, ses sous-directeurs et les responsables des grandes banques nationales. Ces derniers doivent affronter F. Bloch-Lainé, R. Villadier, E. Lamy, A. Latapie-Capderroque, en bref les responsables de la politique monétaire et financière, qui imposent le calendrier et la priorité des entreprises nationales sur les autres110. Le rôle du Trésor s’exerce également, aux côtés de celui du Budget, du ministère de l’Industrie, du Plan et d’EDF, au sein de la Commission des investissements qui fixe le montant des investissements de l’entreprise pour l’année. Cette institution fait par ailleurs office de lieu de négociation et de coordination des tutelles financières et techniques, pour les cinq grandes entreprises nationales (EDF, GDF, Charbonnages, SNCF, RATP). En revanche, la direction du Trésor n’a pas en charge la surveillance des comptes d’exploitation des entreprises. F. Bloch-Lainé le reconnaît lui-même dans son cours sur le Trésor : « La direction du Budget est mieux placée que tout autre pour suivre les opérations de la Sécurité Sociale et apprécier les prévisions et résultats des comptes d’exploitation des grandes entreprises publiques »111. En revanche, à la différence des autres entreprises publiques, la SNCF qui bénéficie d’avances automatiques du Trésor entretient avec lui des relations de trésorerie beaucoup plus étroites112.
a. Renault, une gestion d’exception.
77Le cas de Renault offre un autre exemple de la diversité des pratiques tutélaires et du souci constant de contrôle des entreprises par le Trésor. À titre d’exemple, la création de la Régie nationale des Usines Renault fait l’objet d’un enjeu de pouvoir entre le ministère de la Production industrielle et le ministère des Finances dès 1944 : le premier projet d’ordonnance présenté au Comité économique interministériel le 20 octobre 1944 prévoit la création « d’un établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière sous le nom de Régie nationale d’exploitation des Usines Renault, placé sous la haute autorité et le contrôle du ministère de la Production industrielle »113. René Pleven réussit à obtenir le droit pour le ministère des Finances de nommer les commissaires aux comptes et de se faire communiquer les documents comptables et financiers. Mais la Régie est dispensée de contrôle a priori ; la proposition de Pierre Mendès France en faveur d’un contrôleur d’État près de la Régie est rejetée114. Le contrôle a posteriori est assuré par trois commissaires aux comptes nommés par le ministère des Finances. Maurice Petsche fait une nouvelle tentative en 1949 pour imposer à la régie un contrôleur d’État. Grâce à l’intervention de Pierre Dreyfus115, le contrôle d’État est remplacé par un « conseil de famille », formé des directeurs du Trésor et des Prix et d’un représentant du ministère de l’Industrie qui se réunit avec Pierre Lefaucheux autour d’un déjeuner : bel exemple de l’empirisme des modalités de contrôle mises en place à la Libération.
78F. Bloch-Lainé attache une importance particulière à la régie Renault, dont il partage la tutelle avec les Prix et l’Industrie. On l’a vu à travers l’argumentation développée en 1948 pour défendre les besoins financiers de la Régie en vue de la fabrication de la 4 CV116. Il faut dire que ce type de fabrication n’entre pas dans les secteurs prioritaires du Plan, et qu’une procédure spéciale devait être rapidement mise en place : F. Bloch-Lainé utilise son poids personnel et institutionnel pour se faire l’avocat des besoins de l’entreprise. L’exemple illustre à la fois le poids de la tutelle financière et son rôle positif dans la modernisation d’une industrie117. Plus largement Pierre Dreyfus évoque dans ses mémoires les « relations constantes et confiantes » entretenues avec la direction du Trésor118.
79La tutelle sur la régie Renault est exercée, suivant la nature des dossiers, soit par le directeur du Trésor, soit par plusieurs bureaux de la première ou de la deuxième sous-direction. Jacques Desazars de Montgailhard, l’administrateur civil chargé de la gestion de la régie à la 2e sous-direction, affronte régulièrement le PDG de Renault, P. Lefaucheux sur les questions de financement et exerce également les fonctions de rapporteur auprès de la Commission de vérification pour Renault.
« C’était un contrôle financier, c’était d’ailleurs une initiative tout à fait récente qui avait été très mal reçue par les entreprises de l’époque, à commencer par Lefaucheux qui était fou furieux, qui nous recevait d’une manière très désagréable. » explique-t-il119.
80Enfin, rappelons que la régie Renault est la seule des entreprises publiques ou d’économie mixte qui ne soit pas soumise au contrôle d’État : elle fait figure d’exception parmi les entreprises nationales120.
b. Les sociétés d’économie mixte, un domaine réservé.
81Le rôle du Trésor dans les sociétés d’économie mixte mérite d’être traité à part : c’est dans ce domaine que le Trésor exerce son action de la manière la plus autonome ; c’est également le secteur où l’État exerce à proprement parler son véritable pouvoir d’actionnaire, faisant du Trésor la « plus grosse banque d’affaires de la place »121. En 1958, 57 sociétés d’économie mixte sont recensées, sans compter leurs filiales, et le montant du capital d’État est évalué entre 350 et 500 milliards de F122. Il recouvre à peu près le secteur évoluant dans un univers concurrentiel, et peu soumis à l’époque aux objectifs du Plan : s’y côtoient le secteur de la recherche pétrolière, des mines, des transports (SNCF, Air France...), de l’information (Havas, Sofirad, industrie du film), de l’aéronautique (Nord-Aviation, Sud-Aviation), de la chimie. S’y ajoutent les participations appartenant à certains satellites de l’État, qui selon le directeur du Trésor, appartiennent également au portefeuille de l’État123. Parmi l’ensemble des lois et règlements qui s’appliquent aux sociétés d’économie mixte et qui sont parus entre 1947 et 1952, un certain nombre sont imputables au Trésor. Ainsi la loi du 6 janvier 1948 – celle-là même qui instaure la Commission de vérification – annonce-t-elle la création du Comité de gestion des participations publiques et précise en son article 36 : « Le ministre des Finances est le seul ordonnateur principal habilité à souscrire, acquérir, aliéner ou gérer les participations de l’État ».
82Mais à l’intérieur des sociétés d’économie mixte, il est difficile de définir de manière globale la place et le rôle du Trésor en raison de leur diversité : quelles similitudes trouver entre la SOFIRAD et Air France ou entre Havas et la SNCF ? Les tailles des entreprises, les enjeux financiers, économiques et politiques qu’elles représentent ne peuvent que nuancer les propos.
83Au regard de la variété des liens existant entre le Trésor et les différentes propriétés de l’État, peut-on définir une doctrine propre au Trésor sur sa mission d’Etat-actionnaire ? Le seul élément dont nous disposons est le cours professé par le directeur du Trésor auprès des futurs hauts fonctionnaires. Rappelons que le contenu de ce cours est semi-confidentiel, réservé aux étudiants de Sciences Po. Dans un style franc et direct, il recèle des avis, des jugements sur des situations existantes et sur les remèdes qu’il faudrait y apporter.
84Ainsi le cours professé par François Bloch-Lainé à l’Institut d’Etudes Politiques de 1948 à 1953 sur le Trésor dévoile-t-il la ligne adoptée par le directeur de l’époque sur l’État-actionnaire, qui apparaît clairement restrictive sur le développement de cette mission. Selon lui, « le Trésor n’est pas très porté à développer la formule même de l’économie mixte »124, qui cumule les inconvénients du privé et du public ; en second lieu, le Trésor estime que l’on peut avoir le contrôle d’une société avec 1/4 ou 1/3 du capital et que, par conséquent, sa participation doit être réduite au minimum. Enfin, « le Trésor tend à vendre des participations qui sont entrées dans le patrimoine public de façon fortuite », et « tend à apparaître le moins possible et à faire agir à sa place des organismes intermédiaires »125. Une doctrine générale est également énoncée : le Trésor n’est pas favorable à un Etat-actionnaire tentaculaire et incohérent, qui nuit aussi bien à l’état des finances publiques qu’au crédit public, ne stimule pas l’esprit de risque des banques et amène à terme « une socialisation progressive des activités industrielles et commerciales », que le Trésor visiblement n’appelle pas de ses vœux126. Ces prises de position très nettes contrastent avec celle du Trésor interventionniste, banquier de l’économie et nuancent l’idée d’une stratégie expansionniste tous azimuts. Elles correspondent également au tournant de 1948, qui marque à la fois l’apogée de l’intervention publique en France et le début de sa remise en question. Ses fonctions d’Etat-banquier sont préférées à celle d’Etat-actionnaire : doit-on y voir l’empreinte d’un certain libéralisme ? Ce serait plutôt celle d’un anti-étatisme mâtiné de dirigisme.
85Cette doctrine générale ne permet pas cependant de cerner la position du Trésor en matière de stratégie industrielle, de choix de financement, de gestion : met-elle en œuvre une logique d’État ou un comportement d’actionnaire ? L’étude plus précise de la période 1953-1958 permet de donner quelques éléments de réponse.
B. 1953-1958 : UN CONTRÔLE RENFORCÉ ET UNE DIVERSIFICATION DES INTERVENTIONS
86Dans la même ligne que sa stratégie en matière d’intervention économique, l’action du Trésor en tant que tutelle se développe autour de deux axes : le contrôle des interventions de l’État d’une part, la diversification de ses missions d’autre part.
87Dans la ligne du nouveau contexte politique et économique qui se développe à partir du début des années 1950 et que le Trésor a su mettre à profit, son rôle de représentant de l’État-actionnaire subit une évolution notable qui marque durablement les relations entre l’État et les entreprises publiques.
1. Vers une libération des circuits financiers ?
88En premier lieu, la volonté de retour aux mécanismes de marché, illustrée par la tentative de « débudgétisation » à partir de 1953, se traduit plus particulièrement dans les relations entre l’État et les entreprises publiques, par le développement du recours au marché financier et par la mise en œuvre des premières dotations en capital.
89Dans leur quête d’une rationalisation des investissements, les hauts fonctionnaires développent depuis la fin de la guerre une doctrine sur les inconvénients de l’autofinancement, qui faussent les mécanismes du marché de manière plus grave, selon E Bloch-Lainé127, que ne le fait le Trésor dans ses interventions. En période de hausse des prix, l’entreprise est en effet tentée de reconstituer ses marges par les prix. D’où une « anarchie des investissements » qui nuit au consommateur et accélère l’inflation. À propos de l’article de B. de Jouvenel, « L’autofinancement et le progrès économique », paru dans le Bulletin SEDEIS du 1er mars 1955, une note manuscrite émanant du Trésor commente : « L’autofinancement est l’autre nom de l’inflation »128.
90Cette doctrine renvoie à la méfiance des décideurs publics envers la capacité des entrepreneurs à prendre les « bonnes » décisions en matière d’investissement, méfiance relayée par des hommes politiques à l’époque129. Selon les calculs de M. Malissen, l’autofinancement dépasse les apports du marché dans le financement des investissements privés à partir de 1948, à l’inverse de l’évolution d’avant-guerre130.
91Appliquée aux entreprises nationales, l’intervention du Trésor, qui prête plutôt qu’il ne subventionne, est alors justifiée en période d’inflation, de blocage des prix et de pénurie de capitaux, par son caractère équitable et régulateur. Le rôle d’Etat-banquier est ainsi préféré à celui d’Etat-actionnaire.
92Cependant, la pénurie des capitaux qui prévalait après la guerre ne constitue plus un argument valable pour faire transiter la quasi-totalité des investissements des entreprises par le Trésor. L’accumulation des charges financières des entreprises due à l’emprunt incite les décideurs publics à réfléchir sur le mode de financement de l’investissement. Garantie d’emprunt par l’État, bonification d’intérêts, prêts à taux préférentiels sont autant de palliatifs utilisés afin de désengager progressivement l’État du financement direct des entreprises nationales, tout en allégeant le coût du service de la dette pour les emprunteurs. Mais ces mesures ne constituent pas pour autant la panacée. Pierre Besse entame une réflexion sur cette question dès 1949131, puis Pierre-Paul Schweitzer se déclare ouvertement hostile au principe de taux d’intérêt préférentiels en 1953. Pour ce dernier, « une trop grande diversification des taux d’intérêt risque d’entraîner une certaine incohérence ». Il estime qu’« on ne saurait résoudre correctement par l’octroi de taux d’intérêt préférentiels les problèmes posés par le loyer élevé de l’argent »132. L’idée d’un développement de l’autofinancement des entreprises nationales fait alors son chemin.
93Dès 1949, la proposition d’un financement partiel des investissements des entreprises nationales par des apports en capital avait été lancée par Pierre Besse à la Commission des investissements133 ; dans le cadre d’une réforme d’ensemble des entreprises publiques, le secrétaire du Conseil national du crédit se demande si « il n’y aurait pas lieu d’envisager un financement partiel des investissements par des apports en capital, le financement exclusif par emprunts remboursables devant manifestement alourdir la gestion des entreprises dans des proportions variables mais toujours appréciables ». La notion reste encore floue et théorique. L’arrivée d’Edgar Faure à la tête du ministère des Finances en 1953 enclenche une première application du principe : la volonté de revenir aux mécanismes de marché ainsi que la débudgétisation permettent d’envisager un assainissement de la situation financière des entreprises nationales. Le directeur du Trésor, Pierre-Paul Schweitzer, expose lui-même devant la Commission des investissements le 15 octobre 1953 que « pour ce qui est des charges d’amortissement des prêts consentis par le FME [...] le ministre des Finances est d’accord pour les réduire par l’octroi de dotations en capital aux entreprises nationales »134. L’idée est reprise par Jean Saint-Geours, alors secrétaire de la Commission des investissements, dans une étude faite à la même époque135. Le Trésor a toutes les raisons d’être favorable aux dotations en capital : du point de vue de la trésorerie, les dotations, imputées sur les fonds gérés par le Budget, allègent la trésorerie de l’État et renforcent son crédit. Or, comme le souligne J. Saint-Geours, l’emprunt auprès des banques rencontre quelques obstacles (taux élevés, banques réticentes, cascade d’organismes prêteurs qui multiplient les agios bancaires...) qui ne permettent pas une extension du système136. Aussi les dotations en capital constitueraient une solution que les entreprises nationales elles-mêmes réclament. Fidèle à son souci d’assurer la bonne gestion des entreprises, le sous-directeur des interventions économiques au Trésor reste cependant prudent quant à l’utilisation excessive des dotations en capital : « Il est même possible de prévoir qu’une partie des fonds accordés à l’avenir viendra augmenter la dotation en capital initiale. Il serait bon néanmoins que cette part fût moins importante que pour les prêts octroyés dans le passé [...]. Un plus faible pourcentage de dotation en capital sur les prêts à venir (par exemple 1/4) doit d’autre part inciter les entreprises à envisager l’amortissement financier plus sérieusement qu’elles ne l’ont fait jusqu’ici »137. Libéralisation limitée et liberté surveillée donc : le désengagement du Trésor-banquier ne signifie pas pour autant abandon de tutelle, mais surveillance renforcée de la gestion.
94Si le principe est admis dès 1953 et la loi votée en 1954, les premières dotations en capital n’interviennent qu’en 1957 : EDF, GDF et Charbonnages de France reçoivent une dotation issue de la transformation de prêts du FDES en capital et portant intérêt à taux réduit138. Le système choisi, qui efface la dette de l’entreprise nationale envers l’État, sera renouvelé en 1959. Il ne s’agit donc pas d’un apport d’argent frais comme le réclamaient les entreprises nationales : le système mis en place ne se développera véritablement qu’au cours de la décennie suivante. Pourquoi une telle timidité ? Jean Saint-Geours explique a posteriori comment la mise en place des dotations en capital s’est heurtée à l’inflation et à la politique de blocage des prix :
« [Le tarif du kilowatt/heure] entrait dans l’indice des prix ; et pendant longtemps, on a privilégié le refoulement de l’inflation, c’est-à-dire que les tarifs d’EDF ont été insuffisants pour alimenter un autofinancement convenable ; d’où un endettement trop important et des avances du Trésor à l’EDF avec effet inflationniste. »139.
95Cependant, l’État-actionnaire souhaite-t-il véritablement se substituer à l’État-banquier ? D’après F. Caron140, la direction du Budget freine alors les dotations en capital, qui conduisent l’État à prendre en charge les programmes de développement imposés par le Plan. Et la position du Trésor, au nom de sa défense de l’intérêt général, est certainement plus ambiguë que ne le laisse entendre J. Saint-Geours.
96Le désengagement apparent du Trésor se traduit à travers le volume des émissions des entreprises du secteur public, lequel est multiplié par quatre entre 1952 et 1958 comme l’indique le tableau ci-dessous :
97En réalité, comme on l’a vu dans la première partie de ce chapitre, le Trésor continue d’intervenir sur les autorisations de programme par le biais du FDES et grâce aux facilités de financement qu’il procure encore largement par voie directe ou indirecte aux entreprises nationales. La réglementation sur l’autorisation préalable pour les augmentations de capital et les émissions d’obligations, bien qu’assouplie en 1954, reste soumise à l’agrément du Trésor pour les montants supérieurs à 100 millions de F. et pour la fixation du calendrier des émissions.
98Parallèlement, le Trésor met en œuvre sa doctrine du « faire faire » et intervient auprès des organismes spécialisés afin de faciliter l’ouverture de crédits aux entreprises nationales. Il donne ainsi son avis à la Caisse des dépôts pour les prêts à long terme et à la Caisse des marchés pour les crédits à moyen terme, qui distribue environ 70 % de ses crédits aux entreprises nationalisées (soit 135 milliards de F en 1952 et 320 milliards de F courants en 1957)141. Cependant, le Trésor se montre réservé sur la cascade d’intermédiaires financiers qui entrent dans l’attribution des crédits à moyen terme en faveur des entreprises nationales. Ainsi Jean Saint-Geours se montre-t-il assez critique à l’égard du Crédit national et de la Caisse des dépôts qui selon lui, en réalité « nourrissent relativement peu d’effets de représentation du moyen terme : 12 milliards en 1952 ». Il propose « la suppression de l’intervention du Crédit national et de la Caisse des dépôts, combinée avec une baisse du taux de réescompte et une diminution des agios des banques dans le cas d’un aval inconditionnel de la Caisse des marchés », qui selon lui permettrait de ramener le coût du moyen terme pour les entreprises nationales à moins de 5 %142.
99Ainsi, comme l’analyse des pratiques du Trésor-banquier l’a montré, l’interventionnisme du Trésor auprès des entreprises publiques continue de se maintenir en dépit d’un désengagement officiel de l’État dans le financement de l’économie. Moins apparente et directe, l’emprise du Trésor n’en est pas moins réelle. La stratégie du « faire faire » ne diminue pas pour autant la place du Trésor dans les mécanismes de financement des entreprises publiques ; son rôle, en amont des prises de décision, s’accompagne d’une volonté de surveillance accrue du secteur public.
2. Le contrôle, un problème récurrent.
100Le renforcement du contrôle sur les entreprises nationales reste une préoccupation constante de la tutelle financière, qui n’est pas propre au Trésor. Mais aucune tentative de réforme n’aboutit avant 1959. Les décrets du 11 mai, 9 août et 30 septembre 1953 sur le statut des entreprises nationales marquent certes la volonté de réorganiser le contrôle du secteur, notamment de la part du ministère des Finances. La création effective de missions de contrôle auprès d’EDF et GDF, des Charbonnages de France, d’Air France, de la CGT et des Messageries maritimes, et l’institution de commissaires du gouvernement représentant le ministère de l’Industrie permettent un contrôle accru de l’État, dont la tutelle directe sur la gestion est à la fois renforcée et étendue. Mais l’institution d’un droit de veto pour les représentants de l’État entraîne une levée de boucliers contre ce qui est considéré comme une étatisation des entreprises et une atteinte au principe essentiel des nationalisations : la loi du 3 avril 1955 abroge la quasi totalité des décrets de 1953143. Au début des années 1950, le Trésor quant à lui, tente de réglementer le rôle de l’État-actionnaire, en élaborant un certain nombre de textes sur la représentation de l’État dans les conseils, les nominations, le vote de ses représentants, etc.144. En revanche, il faudra attendre pour connaître la situation réelle des participations de l'État et leur montant exact.
101En mars 1958, le ministre des Finances Pierre Pflimlin charge un groupe de hauts fonctionnaires, en majorité issus des Finances145, de réexaminer le contrôle des entreprises nationales et des sociétés d’économie mixte. On note que le groupe de travail dénonce le pouvoir exorbitant et paralysant de certains contrôleurs d’État : à l’ONIA, dans les Mines de Potasses, dans les Sociétés aéronautiques, à l’agence Havas146 ; plus largement, il ne se montre guère favorable à un renforcement des pouvoirs de surveillance de l’État. Du point de vue administratif, le rapport préconise la reconstitution de la direction du Contrôle financier qui existait avant guerre, assumant les attributions des directions du Budget et du Trésor en matière de tutelle, de programmes d’investissements et de salaires. Il propose de donner davantage de poids aux impératifs économiques et financiers dans la gestion de la tutelle et du contrôle et de permettre la mise en place d’une politique économique : le groupe de travail est ainsi le premier à prendre en compte le rôle du secteur public dans l’économie147. Enfin, il préconise une meilleure coordination de la tutelle publique. Comme pour les autres réformes proposées, les conclusions de ce rapport ne sont pas appliquées dans le court terme.
102En dépit de multiples tentatives, il ne paraît pas possible de modifier les rapports entre État et entreprises publiques avant 1959, même dans le sens d’une plus grande autonomie des entreprises : le courant anti-étatique qui renaît à la Libération, la réticence des dirigeants d’entreprises comme des syndicalistes envers la tutelle de l’État trouvent un relais favorable dans l’opinion et au Parlement. La faiblesse de l’exécutif ne permet pas de redéfinir des relations dont la réforme est souhaitée depuis dix ans. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, la voie d’une réorganisation est bel et bien ouverte pour les réformes de la Ve République.
103Au-delà de l’enchevêtrement des tutelles, ce rapport souligne la compétition que se livrent la direction du Trésor et la direction du Budget sur la gestion des grandes entreprises nationales, déjà soulignée antérieurement. On a vu la concurrence entre les deux directions s’aiguiser à partir des années 1950 dans le domaine de la gestion de l’intervention économique et donc de la politique économique. Le secteur des entreprises publiques en constitue un terrain privilégié, qui s’exerce non seulement sur le choix du mode de financement des investissements, mais également en matière d’orientation des d’investissements des grandes entreprises nationales. On a vu que les divergences sur le mode de financement s’expliquent facilement : prêts ou subventions pèsent différemment sur les fonds gérés par l’une ou l’autre des directions et incitent chacune d’elle à rejeter vers l’autre la responsabilité de tel ou tel financement. L’empirisme de la répartition des secteurs entre Budget et Trésor sera dénoncé par le rapport Nora en 1967 : « Les pouvoirs respectifs qu’elles exercent ne résultent pas d’un partage préalable, établi en fonction des intérêts dont elles ont la garde. Ils sont dans une large mesure déterminés par leur dynamisme propre, c’est-à-dire d’une façon empirique, en fonction des moyens de surveillance et d’étude dont elles disposent ou se dotent »148. Les moyens dont chaque direction dispose sont à peu près équivalents, mais plus dispersés au Trésor : le Budget agit depuis 1954 par l’intermédiaire du bureau C3 « Entreprises publiques et des Établissements publics » et d’une place à la Commission des investissements puis au conseil de direction du FDES ; tandis que le Trésor exerce son influence à travers le bureau A4 « Financement des investissements », les bureaux de la deuxième sous-direction et le secrétariat de la Commission des investissements. Parallèlement, Dominique Boyer, alors sous-directeur en charge des relations de trésorerie et de l’outre-mer, participe activement au développement de la politique pétrolière à la fin des années 1950149. Surtout, le partage qui s’est construit progressivement, ne répond pas à une logique rationnelle : la répartition entreprises nationales/sociétés d’économie mixte n’est pas rigoureuse ; les Charbonnages sont placés en priorité sous la tutelle du Budget150, tandis qu’EDF, Air France et Renault sont sous l’emprise du Trésor... La répartition en fonction du financement par subvention du Budget plutôt que par prêts du Trésor explique une partie du partage entre entreprises publiques et sociétés d’économie mixte, mais elle comporte de nombreuses exceptions. Et si le Budget s’intéresse beaucoup à l’énergie151, le critère sectoriel n’est pas valable non plus : la recherche pétrolière est perçue dès les années 1950 comme un enjeu décisif par les deux directions, qui s’y intéressent de près152. L’idée d’une superposition des deux tutelles n’obéit pas non plus à une cohérence stricte : au Budget la surveillance des comptes d’exploitation, au Trésor l’octroi des financements ? On est loin d’une répartition aussi claire des tâches, gérées finalement par un condominium Trésor et Budget, unis face à des tentatives de contrôle extérieures, mais prêts à se battre pour défendre leur territoire respectif...
104Les raisons de cette répartition empirique des entreprises nationales entre les deux directions sont connues : à une raison fonctionnelle – poids sur la trésorerie ou sur le budget – s’ajoutent des raisons proprement administratives ou humaines : intérêt personnel d’un directeur ou un sous-directeur pour un secteur-le nucléaire pour Goetze, l’aéronautique pour Saint-Geours par exemple –, prise de position sur un secteur jugé stratégique – le pétrole –, appropriation par un chef de bureau zélé d’un domaine en friche, éventuellement pour éviter à l’autre direction de prendre trop d’importance..., tout cela au nom de l’intérêt général. Le mélange de raisons d’ordre très divers explique ainsi l’enchevêtrement des rôles. Cependant, les deux directions se respectent et se complètent. Elles nouent parfois des alliances objectives face aux entreprises nationales et face aux autres tuteurs, comme la direction de la Coordination des entreprises publiques.
105Parallèlement, sur les sociétés d’économie mixte, alors l’un de ses terrains de prédilection, le Trésor continue de développer son emprise. La période est en effet propice aux sociétés d’économie mixte, qui constituent l’une des illustrations d’une volonté de désengagement de l’État, alliée à celle de la surveillance et du contrôle des activités privées. La politique d’aménagement du territoire mise en œuvre par P. Pflimlin en 1955 entraîne ainsi la création des sociétés de développement régional (SDR), dont le Trésor assure alors la gestion et la surveillance. Le principe repose sur celui d’une société de capital-risque d’économie mixte : État, banques, collectivités locales, entreprises sont appelées à y participer financièrement afin de promouvoir le développement d’une région. Soumises en priorité à la surveillance de la direction du Trésor, les SDR ne sont pas critiquées à l’époque, mais largement poussées par la direction du Trésor. Ainsi la compagnie du Bas Rhône-Languedoc dirigée par Philippe Lamour est-elle soutenue par le Trésor et par la Caisse des dépôts, qui intervient également dans le financement de l’aménagement régional. E Bloch-Lainé, à la tête du comité du FDES chargé de la reconversion, joue apparemment un rôle considérable dans la mise en place des SDR :
« J’ai fait adopter par le Trésor le statut des sociétés de développement régional. On m’a longtemps considéré comme leur père. [...] Et le Trésor zélé a fait les textes sur les SDR, qui ont été un train de mesures Pflimlin. C’est au moment où Pflimlin est ministre des Finances »153.
106En 1956, la formule des SDR est étendue à l’outre-mer avec la création de trois sociétés. Les SDR permettent au Trésor de diversifier ses interventions, tout en faisant faire mais en surveillant. Elles symbolisent la nouvelle manière dont le Trésor entend exercer sa tutelle durant cette décennie.
107Autre exemple de la manière dont le Trésor entend développer sa mission d’Etat-actionnaire, le cas de l’agence Havas illustre à la fois le poids de la direction et ses limites.
3. Havas : une liberté très surveillée.
108La tutelle sur l’agence Havas telle que l’on peut la découvrir à travers les archives du ministère des Finances, est certes révélatrice des rôles respectifs joués par les tutelles, les dirigeants de l’entreprise, les groupes de pression. Mais en raison du secteur dans lequel elle opère – l’information puis la publicité – et des enjeux politiques qu’elle représente dans les années 1950, Havas n’est pas représentative de l’ensemble des sociétés d’économie mixte gérées par l’État. Elle illustre surtout un type de processus de décision et la manière dont peut s’exercer une tutelle financière sur une entreprise évoluant dans le secteur concurrentiel et soumise à des considérations politiques prioritaires.
109De 67, 5 % à la Libération, la part de l’État, loin de décroître, est passée à 80 % en 1948. L’agence Havas offre une situation très particulière, fruit d’enjeux politiques et financiers importants. Le Trésor assure seul la tutelle financière de l’agence, relayé par un contrôleur d’État, Athayne, qui assure l’information régulière de la direction et qui jouera un rôle décisif quelques années plus tard. Cependant, le Trésor n’est pas personnellement présent au conseil d’administration, qui comprend à l’époque six représentants de l’État et trois administrateurs privés. Paul Delouvrier, nommé administrateur en 1947, explique la situation financière de l’agence à l’époque, qui est selon lui au bord de la faillite, et la position du Trésor : « La direction du Trésor, qui avait vu d’un mauvais œil la nationalisation de l’agence Havas, avait décidé de ne pas aider l’agence Havas en lui faisant une dotation en capital »154, explique-t-il dans ses entretiens. En réalité, l’ensemble des administrateurs représentants l’État refusent l’augmentation de capital de l’agence, en raison de la crise de commandement qui agite Havas : deux conseils d’administration, l’un autour de Schloesing, l’autre autour de Coeylas, comprenant les administrateurs d’État, se disputent le pouvoir. « La direction du Trésor avait si bien compris les choses qu’elle déclara que le ministère des Finances n’accepterait une augmentation de capital qu’après un changement à la tête du conseil d’administration et une clarification dans la gestion de l’agence », écrit Paul Delouvrier, chef de file des administrateurs d’État et directeur de cabinet du ministre des Finances155. Ceci montre bien comment le banquier peut peser sur les choix de management.
110En faisant remonter le dossier jusqu’au ministre, P. Delouvrier et l’ensemble des administrateurs d’Etat obtiennent gain de cause : V Schloesing est remplacé par M. Chevalier. À travers cette anecdote, rapportée également par P. Lefebvre156, la portée et les limites de l’action du Trésor chez Havas sont claires : il a du pouvoir en raison de son rôle de banquier, et non en fonction d’une place au conseil d’administration. Plus le dossier est politique, moins sa marge de manœuvre est grande. Enfin, il n’agit pas seul, mais de concert avec les représentants de l’État.
111En 1953, la cession des participations de l’État est envisagée, en raison de la diminution des enjeux politiques autour de l’agence. Demandée par la Cour des comptes, elle est justifiée pour « des raisons de principe » par le Trésor157. Cependant, bien que le ministre des Finances de l’époque, Edgar Faure, soit favorable à une cession des participations publiques qui ne soient pas essentielles, la cession ne sera pas effective avant 1961. On peut imaginer que la tutelle technique, le ministère de l’Information, résiste à la cession, comme elle le fera par la suite vigoureusement. Elle donne un exemple de la limite des pouvoirs du Trésor et de la continuité de ses pratiques en matière de participations publiques.
112Sur la gestion et le contrôle des activités de l’agence, plusieurs exemples illustrent à la fois la doctrine et le poids du Trésor.
113Plus encore que son statut hybride d’agence d’information et d’agence de publicité, à la fois courtier et régisseur de publicité, la position privilégiée d’Havas, entreprise financée par l’État bénéficiant de marchés publics, est vivement critiquée dès le début de la décennie158. Alors que l’agence Havas s’engage dans le secteur de la publicité, la grande question qui anime le milieu publicitaire et politique de l’époque concerne les pratiques commerciales de l’agence Havas, jugées illégales. Ces pratiques sont dénoncées dans la note du 2 décembre 1953 de M. Sergent qui souligne que « l’agence Havas accorde indûment des ristournes aux annonceurs et pratique vis-à-vis de ses confrères une politique de dumping qui l’a fait mettre, à juste titre, à l’index par la Fédération française de publicité »159. D’où le souci de faire diriger l’agence par des publicitaires compétents et de « sauvegarder les intérêts de la profession » : la tutelle financière se montre ici soucieuse à la fois de l’intérêt de l’entreprise, de la profession et de l’État, qui risquerait d’être éclaboussé par les pratiques douteuses d’une entreprise sous sa tutelle. C’est d’ailleurs l’un des arguments utilisés par Marcel Bleustein-Blanchet quelques mois plus tard dans une lettre adressée à Edgar Faure, à travers laquelle il opère une attaque en règle contre son concurrent : « Cette politique commerciale ne peut se justifier par aucun désir de concurrence loyale : elle n’est pas autre chose qu’un dumping, car aucune affaire privée, ne bénéficiant pas du concours de l’État ne pourrait y survivre. L’expression « casser le marché » est la seule qui convienne, et qui fut d’ailleurs prononcée, pour qualifier ces méthodes commerciales. Il y a là un moyen de pression sur les autres organismes publicitaires, d’autant plus inadmissible qu’il est utilisé sous la responsabilité de l’État »160. Au-delà de l’intérêt anecdotique de la lettre du PDG de Publicis sur la guerre que vont se livrer plusieurs décennies durant les deux grands groupes de publicité, l’on note que, d’une part les arguments utilisés sont les mêmes que ceux du Trésor et que, d’autre part, l’original de cette lettre se trouve dans les archives du Trésor : preuve s’il en est de la proximité des liens et de la confiance qui existe entre le ministre et la direction sur ce type d’affaires. Or, comme c’est le cas dans un certain nombre d’entreprises sous sa tutelle, le Trésor ne dispose pas de représentant au conseil d’administration, pourtant fortement dominé par les administrateurs d’État, au nombre de six sur les onze membres du conseil : trois représentants du ministère des Finances, Delouvrier, Mourot, Tixier, un représentant du ministère des Affaires économiques, Du Pont, un issu du département du Tourisme, Boucoiran, et enfin, un représentant du secrétariat d’État à l’Information, Léauté161. Si le conseil d’administration joue surtout un rôle pour entériner les nominations des dirigeants et plus largement sur des questions politiques, comme le témoignage de Paul Delouvrier a pu le montrer en 1948, en matière de gestion et de contrôle, il est encore moins actif. Le vrai pouvoir est ailleurs, comme le montrent les incidents qui émaillent la vie de l’agence à la fin des années 1950.
114En 1955, dans le cadre du renforcement du contrôle de l’État sur les entreprises nationales, l’agence Havas subit une extension du contrôle de l’État à cinq de ses filiales. Cette proposition qui émane du contrôleur d’État, Athayne, n’entraîne pas d’observation de la part du Trésor162. Cette décision, si banale soit-elle, permet d’analyser le rôle du contrôleur d’État et les relations qu’il entretient avec le Trésor. Athayne apparaît comme un contrôleur d’État pour le moins actif et interventionniste163. Il joue non seulement le rôle de courroie de transmission des informations au Trésor, mais également celui d’expert, qui analyse les problèmes, propose des solutions. Il n’hésite pas à écrire directement au secrétaire d’État à l’Information et au ministre des Finances en 1957 à propos de l’immixtion de la presse dans la gestion de l’agence Havas, qui revendique un siège au conseil d’administration de l’agence164. La direction du Trésor tend généralement à suivre les avis du contrôleur d’État en matière d’approbation des comptes, de distribution de dividendes, de formalités à accorder, etc., sans observations particulières165.
115En revanche, sur la question des nominations et sur celle de la distribution des jetons et tantièmes, le Trésor intervient directement auprès du ministre : ainsi soutient-il le contrôleur d’État dans son opposition à la reconduction du représentant du Groupement de journaux et périodiques d’Havas, nommé le 17 juillet 1957. En faisant entrer des clients de l’agence dans son conseil d’administration, qui sont préoccupés de sauvegarder leurs intérêts, le risque est grand selon Athayne, de voir des luttes intestines se développer166. Mais les avis divergent quant à la position à adopter au Conseil : Athayne propose l’abstention des représentants de l’État lors du renouvellement du représentant de la presse afin de laisser leur responsabilité aux actionnaires privés, tandis que le directeur du Trésor souhaite que le représentant de l’État, Du Pont, vote contre la résolution167. Mais le secrétaire d’État à l’Information qui se fait ici le porte-parole du Groupement des journaux et périodiques, insiste de manière pressante auprès du président du Conseil qui accepte de renouveler le mandat dudit administrateur : le poids de la tutelle technique est ici le plus fort, à moins que les enjeux politiques n’aient également joué... En 1959, Athayne continue de mettre en cause Carré dans ses rapports, s’appuyant sur le fait que ce dernier cherche à faire pression sur le conseil pour les nominations à la direction générale. L’affaire atteint son paroxysme en octobre 1959, remonte au ministre de l’Information, Roger Frey, qui demande le départ d’Athayne. Celui-ci se justifie auprès de la direction du Trésor, qui « couvre » entièrement le contrôleur d’État auprès du ministre des Finances et des Affaires économiques, A. Pinay. Ce dernier suit P.-P Schweitzer dans son avis168, et le contrôleur d’État sera maintenu. Mais quelle victoire à la Pyrrhus pour l’administration des Finances... Elle saura s’en souvenir quelques années plus tard.
116Voici une illustration de la complexité des liens au sein de la tutelle financière, des oppositions entre tutelle technique et financière qui requièrent parfois des arbitrages ministériels sur des questions de nominations.
117La tutelle du Trésor sur l’agence Havas illustre à la fois son poids quelque peu officieux mais néanmoins réel sur certaines entreprises publiques, contrebalancé, il est vrai, par celui des contraintes politiques qui le dépassent ; elle livre quelques éléments de doctrine : cession des participations de l’État quand cela n’est pas nécessaire (suivant ainsi les positions de F. Bloch-Lainé dans son cours), défense de ce qui est considéré comme l’intérêt général face aux intérêts particuliers soutenus par la tutelle technique (ici le ministère de l’Information)... Quant à la défense des intérêts de l’entreprise, elle ne doit obérer ni la trésorerie ni le crédit public : la logique d’actionnaire passe après la logique d’État. L’analyse conforte l’idée d’une volonté permanente de contrôle de la part du Trésor, qui souhaite en limiter l’impact sur la trésorerie : prôner le désengagement de l’État n’implique pas pour autant une liberté moins surveillée de la part du Trésor, qui dans l’ombre, fait agir plus qu’il n’agit, alimentant ainsi le mythe de sa puissance occulte.
***
118En 1958, la doctrine du Trésor sur la manière dont il entend exercer sa mission de tutelle est encore mal définie et peu appliquée. Le souci d’assainir la gestion des entreprises nationales apparaît bien en filigrane, mais il reste peu effectif. Le renforcement des fonctions de contrôle est en revanche plus évident, mais le phénomène n’est pas propre à la direction : un courant qui allie hauts fonctionnaires des Finances et parlementaires permet de faire avancer sinon les réformes, du moins la réflexion.
119Diriger moins pour diriger mieux ? Si le Trésor a cherché à améliorer ses modes d’intervention dans le financement de l’économie, le résultat reste décevant : les innovations n’ont porté que sur la nomenclature des investissements et non sur les modes de financement. La sélectivité des investissements publics obéit certes à des nouveaux critères – conversion, développement régional, productivité –, mais elle conduit progressivement les hauts fonctionnaires d’administration centrale à se pencher sur des questions micro-économiques qui dépassent leur compétence généraliste de financier.
120Du point de vue de la stratégie de la direction, la période 1953 à 1958 apparaît comme celle d’un renforcement de la direction dans le domaine de l’intervention de l’État et de son corollaire qui le justifie, l’assainissement financier : l’institution a réagi avec souplesse et rapidité à la nouvelle donne, adaptant son discours, ses instruments aux nouveaux impératifs-conversion industrielle, aménagement du territoire, productivité. Elle a conforté sa place au sein de l’intervention économique : pérennisation du fonds, renforcement du contrôle des entreprises publiques ; elle a étendu son territoire à de nouveaux secteurs d’intervention, comme les SDR, les PME...
121Du point de vue de l’identité de la direction, loin d’opérer une seconde conversion dans le sens du courant libéral qui se développe à partir de 1953-1954, le Trésor continue de légitimer son interventionnisme, évolutif mais grandissant : plus nuancé et sélectif que par le passé, il est plus incisif sur certains secteurs et revêt des formes différentes suivant la personnalité et la fonction des hauts fonctionnaires en charge au Trésor. Du bureau A4 en charge du financement à la Commission des investissements jusqu’au directeur, chacun a sa conception des priorités : certains sont proches de la planification libérale de P. Mendès France, d’autres plus sensibles à l’habileté politique et pragmatique d’E. Faure. Il reste que le secteur des investissements est en train de s’ancrer durablement dans la culture de la direction. Si le Trésor a su faire preuve de souplesse et d’adaptation et montrer qu’il savait remettre en question les acquis de l’après-guerre, il n’est pas disposé pour autant à réduire son champ de compétence. Les administrations économiques ou techniques créées ou relancées à la Libération semblent ainsi à la fin de la décennie des années 1950, en perte de vitesse. C’est le constat formulé par l’ancien directeur du Trésor lui-même en 1956.
122Lorsque le président du Conseil Paul Ramadier lui demande d’étudier une réforme de l’administration économique, F. Bloch-Lainé constate que « plusieurs administrations font figure chacune, d’après l’énoncé de ses attributions et la structure de ses bureaux, d’un ministère plus ou moins complet de l’économie » et propose « une refonte complète et rapide » de l’administration économique, « pour mettre fin au désordre qu’un excès d’empirisme a créé »169. Il n’épargne guère le ministère des Affaires économiques, pourtant mieux armé selon lui que les ministères techniques pour défendre l’intérêt général, ni l’ancien ministère de l’Economie nationale, qui aurait dû selon lui se cantonner aux études, ni même le Commissariat au Plan, dont il regrette le manque d’ambition170. En souhaitant réhabiliter le rôle du Plan et lui confier le rôle de conception et d’impulsion en matière de politique économique, l’ancien directeur du Trésor souhaite opérer une « diminutio capitis » des Finances. Ainsi un Bureau du Plan serait-il le seul « centre nerveux de l’action économique », aidé notamment d’un comité de financement général dont le secrétariat serait assuré par la direction du Trésor, ainsi que d’une agence financière et technique du Plan171.
123Ses propositions de réforme, fondées sur un souci d’efficacité administrative et une construction intellectuelle élaborée, marquent une fois encore le souci cartésien de la réforme de F. Bloch-Lainé mais aussi le regard distancié qu’il porte sur son ancienne maison. Elles apparaissent également comme une volonté d’ancrage durable de l’État dans la conduite de l’économie, chargé de surveiller, d’orienter et d’attribuer des aides financières : il n’est pas question véritablement de désengager l’État, mais plutôt d’améliorer son intervention. Sur ce point, F. Bloch-Lainé reflète bien le consensus interventionniste de son époque, bien éloigné du libéralisme et de la dérégulation qui dominent vingt ans plus tard. Mais une fois encore, la résistance des services à toute modification de leur territoire empêche une réforme en profondeur de l’administration économique172.
124Après la mise en place de l’appareil de financement public à la fin des années 1940, la décennie des années 1950 apparaît de ce point de vue comme la confirmation de l’intervention de l’État, sous une forme apparemment allégée et indirecte, mais en réalité plus performante. Ce qu’il perd en volume d’intervention, l’État le gagne en savoir-faire et en expertise. Le Trésor apparaît comme la figure emblématique de cette évolution des rapports entre l’État et l’économie. Grâce à son expertise, et à son rôle de banquier, sa stratégie s’est trouvée confortée dans les années 1950 ; sans avoir développé une véritable stratégie d’actionnaire, il a su décliner ses multiples logiques – contrôle, assainissement financier, intérêt économique, sauvegarde de son territoire – dans l’exercice de sa tutelle des entreprises publiques et des sociétés d’économie mixte.
Notes de bas de page
1 M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., et J. Bouvier et F. Bloch-Lainé, La France restaurée..., op. cit.
2 R. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France, modernisme et dirigisme au xxe siècle, op. cit.
3 F. Bloch-Lainé et J. Bouvier, La France restaurée..., op. cit.
4 Voir à ce sujet M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie, Paris, Odile Jacob, 1989. La question du rôle effectif de P. Mendès France dans les orientations économiques reste en suspens et elle ne peut être traitée ici. En revanche, l’influence éventuelle du mendésisme sur certains hauts fonctionnaires de la direction ne manquera pas d’être évoquée.
5 E. Faure sera successivement secrétaire d’État au Budget en 1951-1953, ministre des Finances en 1953-1954, président du Conseil en 1955. Voir E. Faure, Mémoires, tome I, Paris, Plon, 1982.
6 Selon J.-J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud, La croissance française, Paris, Le Seuil, 1972, l’indice de la PIB est de 102, 3 en 1952 ; 103,1 en 1953 ; 105, 4 en 1954 ; 106, en 1955 ; 105,1 en 1956 et 106,3 en 1957 (base 100 de l’année précédente).
7 Selon l’expression de J. Bouvier, in La France restaurée..., op. cit., p. 255.
8 F. Lynch, « Le franc français 1952-1956 », in M. Lévy-Leboyer, A. Plessis, M. Aglietta, C. de Boissieu (dir.), Du franc Poincaré à l’écu, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993,’p. 385-395.
9 Voir F. Lynch, France and the International Economy, New York, Routledge, 1997, qui montre comment la France, durant la période 1944-1958, est passée d’une économie protégée et dépendante des États-Unis à un état indépendant et d’un niveau économique comparable à celui de ses voisins.
10 Entretien thématique de J. Desazars de Montgailhard avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995, lui-même résistant.
11 Entretien thématique de C. Piétra, avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France ; 1995 ; entretien thématique de P. Dargenton avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995 ; entretien thématique de J. Desazars de Montgailhard avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. Cité ; entretien thématique de P. de Vogüé avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
12 Voir S. Lepage, La direction des Finances extérieures de 1946 à 1953, op. cit., qui montre l’importance de l’influence de Guillaume Guindey sur son équipe d’inspecteurs des Finances.
13 Selon M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., Guillaume Guindey appartient au sein des Finances aux « austéro-libéraux ». S. Lepage conclut plutôt à un libéralisme favorable à l’expansion économique.
14 Entretien thématique de l’auteur avec J. Saint-Geours, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
15 Selon le témoignage de P.-P. Schweitzer, qui aurait préféré rester aux États-Unis. Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 6, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
16 Selon le témoignage de V Giscard d’Estaing, alors chargé de mission au cabinet d’Edgar Faure, entretien biographique n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997.
17 Selon le témoignage de Ph. Dargenton, entretien thématique avec l’auteur, entretien cité.
18 Selon J. Bouvier, la structure des sources de financement des investissements s’inverse au profit des mécanismes privés à partir de 1951. En 1952, ils fournissent 52 % des investissements. Voir La France restaurée..., op. cit., p. 153.
19 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Le débat sur le rôle effectif du Plan à partir de 1952 n’est pas tranché : l’outil s’institutionnalise avec le deuxième Plan et – signe de l’intérêt qu’on lui porte ? – il est rattaché au ministère des Finances en 1954 par P. Mendès France. Voir H. Rousso (dir.), De Monnet à Massé, Paris, éditions du CNRS, 1986.
20 AEF, fonds Cabinets, 1 A 390, note pour le ministre du 27 mars 1954. Le rédacteur pourrait être J. Saint-Geours.
21 AEF, fonds Cabinets 1 A 390, rapport du SEEF du 15 juin 1952.
22 AEF, fonds Cabinets, 1 A 390, note de V Giscard d’Estaing, chargé de mission au cabinet d’E. Faure, sur la procédure d’élaboration du programme économique, 1954. Les services traditionnels du Trésor n’y participent pas.
23 AEF, fonds Trésor, B 42269, P.-V de la séance de la Commission des investissements du 22 juillet 1952. F. Bloch-Lainé y évoque « l’incertitude qui pèse sur la survivance du FME ».
24 La productivité, concept à la mode depuis les missions de productivité aux États-Unis dans le cadre de l’aide Marshall, reste un secteur marginal, géré par le Commissariat à la productivité (présidé par G. Ardant) et non par la Commission des investissements. Le rattachement du Commissariat à la productivité au Plan en 1959 sonne le glas de son autonomie mais aussi de son influence. Voir R. Kuisel, Le capitalisme et l’État..., op. cit.
25 Le FDES comprend alors quatre sections : la section de l’équipement industriel, agricole, commercial et touristique ; la section d’adaptation industrielle et agricole et la section de décentralisation industrielle ; la section de la productivité ; la section de la construction.
26 AEF, fonds Trésor, B 13 323, note du Mouvement des fonds (A4) sur le régime des entreprises dont les investissements sont contrôlés et financés par l’État, vraisemblablement de 1959.
27 Le seul comité auquel elle ne participe pas est le n° 1 consacré aux dépenses du budget de reconstruction et d’équipement, « réservé » au Budget et au Plan. Le Budget ne participe pas au comité de conversion industrielle, ni à celui de la productivité, ni à celui consacré au tourisme et à l’industrie. Le Plan, présent dans tous les comités, exerce souvent la présidence et le secrétariat du comité spécialisé. Le comité siège alors rue de Martignac.
28 AEF, fonds Trésor, B 18 190, « Préparation des budgets 1949-1954 ».
29 AEF, fonds Trésor, 23 D1, « Instructions sur le FDES », n. s., 1958.
30 Sur le rôle des bureaux, voir M. Crozier, Le Phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1963 et G. Thuillier, Bureaucratie et bureaucrates en France au xixe siècle, Genève, Droz, 1980..
31 Cf. D. Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique, Paris, L’Harmattan, 1997
32 AEF, fonds Trésor, B 11 624, note pour le directeur de cabinet, 8 décembre 1953.
33 AP (archives privées) Saint-Geours, note du 12 août 1954, « Réflexion sur une politique d’orientation économique ».
34 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
35 Selon le témoignage de Jean Saint-Geours (entretien n° 4, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995) qui affirme avoir fait signer à P. Mendès France avant sa chute le décret de création des grands aménagements régionaux.
36 AEF, fonds Trésor, B 11 631, note pour le ministre du 9 juin 1956.
37 Ce phénomène est sans doute une caractéristique classique de l’État. A.P. Saint-Geours, « Réflexion sur une politique d’orientation économique », note citée, destinée à P-P. Schweitzer, F. Bloch-Lainé, E. Hirsch, P. Dreyfus, Cl. Gruson, P. Delouvrier, P. Besse, S. Nora. Jean Saint-Geours, secrétaire de la Commission des investissements fait partie de l’équipe de Mendès France et est alors chargé de mission auprès du ministre de l’Industrie. Ses notes témoignent de l’intense activité réformatrice qu’il déploie en 1953-1955.
38 Id.
39 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994. Ph. Dargenton, ENA (promotion 1949), inspecteur des Finances (1954), est conseiller technique au cabinet de Pierre Abelin, secrétaire d’État aux Affaires économiques en 1955, avant de devenir secrétaire du conseil de direction du FDES de 1956 à 1962. Il sera parallèlement conseiller technique au cabinet d’A. Pinay (1959-1960) puis au cabinet de W. Baumgartner (1960-1962).
40 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Sa prise de conscience des excès du jacobinisme financier se fera plus tard.
41 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. La convention entre l’État et Sud-Aviation sera effectivement signée en 1958.
42 Il s’agit de procurer à la France des ressources énergétiques nouvelles, dont les usines marémotrices fournissent un exemple pour les années d’après-guerre. Voir H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité en France, tome III, Paris, Fayard, 1996.
43 Entretien thématique avec l’auteur, entretiens n° 3 et n° 4, cassettes n° 4 et n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. La rationalisation des investissements est effectivement à l’étude à EDF depuis 1950, soit bien avant que J. Saint-Geours soit en fonction. Cf. H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité, tome III, op. cit., p. 350.
44 Ibid.
45 Trente ans après, le témoin n’a pas eu le sentiment de devoir légitimer des interventions techniques de la part de hauts fonctionnaires du Trésor. Le fait est que le Trésor se dotera quelques années plus tard d’ingénieurs capables de répondre à ce type de demande.
46 AEF, fonds Budget, B 8636, note du 18 avril 1959, non signée, émanant du bureau C3 des Entreprises publiques. Les calculs de rentabilité des programmes d’investissement électrique font l’objet de différentes études à EDF (la « note bleue », puis le modèle de programmation linéaire). Le coefficient de rentabilité évoqué ici est sans doute le fruit de ces différents calculs. Cf. H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité, tome III, op. cit., p. 351-352.
47 Voir notre communication, « La direction du Budget, la direction du Trésor et le financement public des investissements, 1946-1957 » in N. Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante : acteur ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998.
48 Cf. H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité, tome III, op. cit., p. 350-351.
49 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, entr. cité. On sait que sur le secteur des télécommunications, tous ces acteurs se sont montrés très myopes.
50 AEF, fonds Trésor, B 11 616, note pour le ministre du 29 avril 1953.
51 Entretien thématique avec A. Georges-Picot, entretien n° 7, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
52 Entretien biographique avec A. Rasmussen, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
53 AEF, fonds Trésor, B 11 632, note pour le directeur du Budget. On retiendra que l’absence de précédent tient lieu d’argument, autant que la doctrine du Trésor sur l’octroi des prêts du FEE.
54 AEF, fonds Trésor, B 11 639, note pour le Budget du 17 juin 1955.
55 AEF, fonds Trésor, B 11 551, note pour le directeur du Budget du 1e r juin 1955. Rappelons que le fonds routier est indépendant du fonds d’expansion économique.
56 R. Goetze, Entretiens avec Roger Goetze, Haut fonctionnaire des Finances. Rivoli-Alger-Rivoli, 1937-1958, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997.
57 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 4, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994. Il cite la réaction d’un sous-directeur du Budget lorsqu’il apprend que le ministère de l’Équipement l’a emporté sur l’équipement des phares : « Il y aura peut-être des phares, mais pas de gardiens ! ».
58 AEF, fonds Trésor, B 11 616, note pour le directeur du Budget du 14 avril 1953.
59 On retrouve ces préoccupations d’assainissement dans le rapport du SEEF sur les comptes nationaux de la France en 1951 et dans les réflexions émanant du cabinet des Finances en 1953-1954. Voir AEF, fonds Cabinets, 1 A 390.
60 AP Saint-Geours, « Programme de redressement financier », projet de discours de M. Bourgès-Maunoury, mai 1953.
61 AP Saint-Geours, « Quelques problèmes qui méritent étude », juin 1953, gouvernement Laniel.
62 Ibid. Les décrets du 30 juin 1955 qui autorisent la garantie de l’État et les prêts bonifiés pour les groupements professionnels confortent les craintes de Jean Saint-Geours.
63 AP Saint-Geours, « Problèmes de l’expansion économique », juillet 1954, gouvernement Mendès France.
64 AEF, fonds Trésor, B 42 269, P-V de la séance de la Commission des investissements du 27 juillet 1953.
65 Priorité définie dès 1950, avec le Plan Courant puis les initiatives de Claudius-Petit, la construction se développe à partir de 1953 grâce à un certain nombre de mesures législatives, au développement du secteur à la Caisse des dépôts et à la médiatisation des problèmes de logements soulevés par l’abbé Pierre. Voir C. Topalov, Le logement en France. Histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la FNSP, 1987.
66 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, entr. cité.
67 AEF, fonds Trésor, B 11 631, lettre du ministre des Finances émanant du Trésor, du 6 juin 1956.
68 AEF, fonds Trésor, B 11 624, note pour le ministre du 29 décembre 1953.
69 AEF, fonds Trésor, B 11 624, note pour le ministre du 30 décembre 1953. Le directeur du Trésor propose un décret dans ce sens, mais le texte n’a pas été retrouvé dans les archives.
70 AEF, fonds Trésor, B 11 639, note pour le ministre du 7 juin 1955. La proposition du Trésor obtient l’accord du ministre.
71 Entre 1952 et 1955, l’encours des crédits à moyen terme mobilisables pour la construction est multiplié par cinq.
72 Article 12 de la loi de Finances pour 1958. Le principe est la transformation des crédits de 3 mois à 5 ans en prêts amortissables à long terme. L’idée vient de Pier Jacobsson lors de sa venue en France en 1956, selon le témoignage de P.-P. Schweitzer déjà cité et la thèse d’O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner..., op. cit.
73 Voir à ce sujet, N. Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget dans les années 1950 : acteur ou témoin ?, op. cit.
74 Selon le témoignage de V Giscard d’Estaing, entr. cité. Le rôle de ce dernier dans l’opération est confirmé par J. Desazars de Montgailhard, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
75 AEF, fonds Trésor, B 42 269, P-V de la séance de la Commission des investissements du 15 octobre 1953, déclaration du ministre des Finances.
76 AEF, fonds Cabinets, 1 A 389, note de Saint-Geours sur les investissements de 1955. On remarquera cependant que l’augmentation des concours du Trésor est principalement due à celle des investissements dans la construction.
77 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Témoignage confirmé par celui de J. Desazars de Montgailhard, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
78 Entretien biographique avec A. Georges-Picot, entretien n° 7, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
79 AEF, fonds Trésor, B 13 323, note du Trésor (bureau A4) sur le financement des investissements débudgétisés en 1957.
80 AEF, fonds Trésor, B 11 651, note pour le ministre du 27 juin 1956 sur la réduction des dépenses d’investissements de 1957.
81 AP Saint-Geours, étude à la direction du Trésor, automne 1953.
82 Ces décrets-programmmes concernent quatre grands secteurs : l’énergie et les transports, l’agriculture, l’équipement culturel et social, l’outre-mer.
83 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, entr. cité. La position de la direction du Budget qui a dû s’y opposer selon Saint-Geours, reste à étudier.
84 Voir la journée d’études La direction du Budget..., op. cit.
85 AEF, fonds Trésor, B 11 679, note pour le directeur de la CP du 7 octobre 1958.
86 AEF, fonds Trésor, B 11 651, note pour le ministre de P.-P. Schweitzer du 27 juin 1956.
87 Ibid.
88 Ibid.
89 AP Goetze, rapport au ministre du 26 juin 1956.
90 Voir « La direction du Budget, la direction du Trésor... », art. cité.
91 On s’est inspiré du classique Finances Publiques de P. Lalumière, op. cit., ainsi que de l’ouvrage de G. Lescuyer, Le contrôle de l’État sur les entreprises nationalisées, Paris, LGDJ, 1959 et celui de P. Du Pont, L’État industriel, op. cit.
92 P. Lefebvre, L’agence Havas et l’audiovisuel. 1923-1987, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de P. Fridenson, EHESS, 1995 ; D. Berthereau, L’exercice de la tutelle sur les Charbonnages de France de 1953 à 1963, maîtrise d’histoire sous la direction de F. Caron, Université de Paris IV, 1996.
93 Notamment le Rapport sur les entreprises publiques dit Rapport Nora, avril 1967, Documentation française, Paris, 1968.
94 Rapport Nora, op. cit., p. 17-18.
95 Cette tentative de simplification n’est pas entièrement satisfaisante : ainsi les sociétés pétrolières, telles le BRP et la RAP, qui sont des sociétés d’économie mixte, seront également soumises à la tutelle de la direction du Budget. En revanche, la régie Renault nationalisée à 100 % et soumise au droit privé ne sera pas sous tutelle du Budget tandis que Air France, société d’économie mixte depuis 1948, fait l’objet d’une double tutelle. C’est dire l’enchevêtrement des critères qui empêche une typologie pertinente.
96 Selon les archives du Trésor et celles des cabinets. Ainsi le cabinet de Paul Reynaud, dont fait partie Raymond Villadier, sous-directeur du Mouvement général des fonds, se penche-t-il en août 1948 sur le financement de l’équipement des entreprises nationales et bien que favorable à l’autofinancement des entreprises nationales, ne le considère pas comme réalisable en raison de la situation du marché financier. AEF, fonds Cabinets, 1 A 405.
97 Soit 91 710 milliards de F au 1e r janvier 1999. Source : VIIe rapport de la Commission des investissements, 1955. Ce chiffre ne tient pas compte des autres financements publics ni des financements indirects gérés par le Trésor, soit l’appel au système bancaire et au marché financier, également fortement sollicités pour le financement des entreprises publiques.
98 Rapport Nora, op. cit., p. 19.
99 Les deux contre-exemples les plus évidents à l’époque sont celui de la RATP et de la sidérurgie. La régie, bien qu’entreprise contrôlée à 100 % par l’État, ne bénéficie pas des mêmes volumes d’investissements que la SNCF par exemple. En revanche, la sidérurgie a bénéficié selon M. Margairaz, d’un cinquième (en 1949) et d’un tiers (en 1950) du financement public total des investissements des industries privées industrielles et commerciales. Voir M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 1250 et suiv.
100 AEF, fonds Trésor, B 54 578. La liste des sommes versées à chaque représentant de l’État qui a été retrouvée pour l’année 1953 donne des indications sur le nom des bénéficiaires et des parties versantes.
101 AEF, fonds Trésor, B 54 578 et B 11 695. Plus généralement, on remarque que les bénéficiaires ne sont parfois ni des hauts fonctionnaires ni des agents des Finances. On relève ainsi le nom du chef du centre du réseau général radio électrique des PTT, un fonctionnaire de la direction de l’Architecture à Tananarive, un membre de l’État-major en poste à Nouméa... Mais ce sont des exceptions. La plupart des inspecteurs des Finances ayant exercé des fonctions au ministère sont concernés ainsi que de nombreux contrôleurs d’État.
102 AEF, fonds Trésor, B 50 614.
103 Pour plus de renseignements, voir G. Lescuyer, Le contrôle de l’État..., op. cit., et P. Lalumière, Finances publiques, op. cit. Le rôle des représentants de l’État au conseil d’administration est très variable d’une entreprise à l’autre, et la présence de commissaires du gouvernement, représentant la tutelle technique, n’est pas la règle : seuls EDF, GDF, la SNCF, la Compagnie nationale du Rhône, Sud-Aviation et la SNECMA en ont un. Il a en général un rôle de liaison et d’information plus que de décision. Le rôle des contrôleurs d’État est plus délicat à analyser, car il recouvre des réalités très différentes, suivant l’entreprise, et la personnalité du contrôleur.
104 AEF, fonds Trésor, B 28 220, note pour le ministre sur le contrôle financier des entreprises nationales, 1949.
105 Y. Le Portz propose notamment de prévoir une liaison entre les directions du Budget, du Trésor, et une direction nouvellement créée la direction du Contrôle financier, ignorant d’ailleurs la direction de l’Organisation Économique et du Contrôle des entreprises publiques. Un Comité de coordination sera effectivement créé... en 1966. Cependant, la Commission des investissements joue un rôle de coordination effectif, d’autant que la loi du 8 avril 1949 a soumis les engagements des entreprises nationales en matière d’équipement au contrôle de la Commission.
106 Décret n° 50-968 du 12 août 1950 relatif à l’organisation de missions de contrôle économique et financier.
107 Loi du 8 avril 1949 et arrêté du ministre des Finances du 6 janvier 1950.
108 Voir chapitre II.
109 Pour plus de renseignements sur la Commission de vérification et de contrôle des entreprises publiques (CVCEP) et ses missions, l’on peut se reporter au DEA de Daniel Berthereau, La CVCEP et l’action de l’État dans le secteur nationalisé, 1948-1967, mémoire sous la direction de F. Caron, Université de Paris IV, 1997.
110 Selon les notes de conversation consignées par le Crédit lyonnais entre 1945 et 1948 (ACL, DAF 75, DAF 84, DAF 85, DAF 131). Au sein des entreprises nationales, il apparaît clairement que le Trésor est réticent face aux emprunts des régies d’État, exceptés ceux de la Régie autonome des pétroles, jugée plus solvable et contrôlable.
111 F. Bloch-Lainé, Le Trésor public et la politique financière, cours à l’Institut d’Études Politiques, 1952-1953, Paris, Les Cours du Droit, 1953.
112 On rappellera que le Trésor suit la trésorerie des compagnies de chemins de fer depuis 1920, date de la convention financière de l’État avec ces sociétés. Dans les années 1950, c’est le bureau central qui gère ces relations.
113 AN, F 60 897, P.-V du Comité économique interministériel, séance du 26 octobre 1944.
114 AN, F 60 897, P.-V du Comité économique interministériel, séance du 18 décembre 1944.
115 P. Dreyfus, La liberté de réussir, op. cit., p. 38.
116 Voir chapitre II.
117 Il ne faut pas pour autant en déduire que le directeur du Trésor est disposé à financer toutes les fabrications de Renault. On rappellera ainsi qu’il refuse de garantir le risque de mévente des tracteurs agricoles, dont le Plan a fixé la production à 100 unités par jour (R-V de la séance du 26 janvier 1949 de la Commission des investissements, AEF, fonds Trésor, B 42 268). On ne saurait non plus sous-estimer le poids personnel de P. Lefaucheux, auquel ses faits de résistance ont conféré une stature imposante, et qui à ce titre, a dû entretenir avec F. Bloch-Lainé des affinités certaines. Voir P. Dreyfus, La liberté de réussir, op. cit.
118 Id.
119 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
120 Selon G. Lescuyer, Le contrôle de l’État sur les entreprises nationalisées, op. cit., p. 192-218, « Le contrôle de l’État sur la Régie Nationales des Usines Renault », la Régie se comporte pour beaucoup comme une entreprise privée. Il met lui aussi l’accent sur la personnalité de P. Lefaucheux qui a selon lui joué un rôle important dans l’établissement des relations entre l’État et la Régie. Il note enfin que le seul représentant du ministère de l’Industrie au conseil d’administration n’est pas fonctionnaire, et que le ministère des Finances n’en a pas.
121 Selon le terme employé par F. Bloch-Lainé, Le Trésor public..., op. cit., fascicule 2, p. 288.
122 Selon A. Bisson, Institutions économiques et financières de la France, Paris, 1960. Premier président honoraire de la Cour des comptes, il s’inspire pour son évaluation du rapport du conseil économique de 1959.
123 F. Bloch-Lainé et P. Besse, Finances publiques, cours à l’IEP, 1955-1956, Paris, Les Cours de droit, 1955, p. 147. Les participations de la Caisse des dépôts, du Bureau de Recherches pétrolières, de la SNCF, de la Caisse centrale de la France d’outre-mer sont ainsi considérées comme des participations publiques. Le recensement opéré par l’Agence comptable des participations publiques, créée en 1935, n’a pas été encore reconstitué.
124 F. Bloch-Lainé, Le Trésor et la politique financière, cours à ITER 1948-49, op. cit.
125 Id.
126 Id. F. Bloch-Lainé s’interroge ainsi sur l’éventuelle nationalisation de la sidérurgie, qui bénéficie déjà de larges avantages en matière de financement.
127 F. Bloch-Lainé, La vie économique, cours à l’IEP, 1952-1953, Paris, Les Cours de droit, 1953.
128 AEF, fonds Trésor, B 50 977.
129 Selon M. Malissen, L’autofinancement des sociétés en France et aux Etats-Unis, Paris, Dalloz, 1953, le sujet est le fruit de discussions enflammées à l’Assemblée nationale au début des années 1950. Il cite les propos de P. Mendès France sur les méfaits du profit qui pèsent sur les consommateurs. Aurait-on ainsi une explication de la doctrine de F. Bloch-Lainé ? Cependant, la position de P. Mendès France n’est pas si tranchée, et elle évolue. Voir Ph. Mioche, « Méfiance, intelligence, convergence : les relations réciproques entre Pierre Mendès France et le patronat », in M. Margairaz (dir.), Pierre Mendès France et l’économie, Paris, Odile Jacob, 1989, et le numéro d’Entreprises et histoire consacré à l’autofinancement, n° 22, octobre 1999.
130 M. Malissen, L’autofinancement des sociétés en France et aux États-Unis, op. cit. F. Bloch-Lainé cite l’ouvrage dans son cours, La vie économique, Paris, IEP, 1952-1953.
131 AEF, fonds Trésor, 23 D1, « Le taux des prêts du FME », communication à la Commission des investissements de P. Besse, 1949. Si P. Besse souligne les inconvénients d’un système à taux préférentiels, il justifie néanmoins leur application aux entreprises nationales.
132 AEF, fonds Trésor, B 42 269, P.-V de la séance de la Commission des investissements du 27 juillet 1953.
133 AEF, fonds Trésor, 23 D1, doc. cité.
134 AEF, fonds Trésor, B 42 269, P.-V de la séance de la Commission des investissements du 15 octobre 1953.
135 AP Saint-Geours, « Entreprises nationales, le financement des investissements », étude à la direction du Trésor, automne 1953.
136 Id.
137 Id.
138 Le montant de la dotation d’EDF s’élève à 315 millions de F en 1957 ; celle des Charbonnages à 265 millions de F, selon D. Berthereau, L’exercice de la tutelle sur les Charbonnages de France de 1953 à 1963, op. cit.
139 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 4, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
140 F. Caron, Rapport de synthèse, « La direction du Budget et les entreprises », in N. Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante. ...op. cit. p. 694.
141 Certaines entreprises bénéficient même d’un régime spécial d’aval de la Caisse des marchés avec garantie de l’État : Charbonnages, EDF, GDF, SNCF, CNR et à partir de 1957, la SNCA Sud-Aviation.
142 AP Saint-Geours, note sur le financement des investissements des entreprises nationales, automne 1953. Cette proposition n’engage que son auteur mais permet de faire état de réflexions menées au Trésor à l’époque.
143 On notera cependant la réorganisation du contrôle d’État et des missions de contrôle par le décret du 26 mai 1955, qui renforce les pouvoirs des uns et des autres. Voir P. Lalumière, Finances Publiques, op. cit., p. 492 et suiv.
144 Selon le témoignage d’E. Delaporte, administrateur civil au bureau B1-B2 de 1953 à 1962. Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
145 Dirigé par M. Lauré, inspecteur des Finances souvent préposé aux réformes administratives, le groupe de travail comprend notamment : H. Lorain, président de la CVCER P. Du Pont, directeur de la Coordination économique et des entreprises nationales, H. Barrault, sous-directeur au Budget, J. Saint-Geours, sous-directeur au Trésor, un contrôleur d’État et un ingénieur des Mines.
146 AEF, fonds Administration générale, B 28 220, Rapport du groupe de travail chargé de l’étude du contrôle des entreprises publiques.
147 Le rapport suggère que la direction du Contrôle des entreprises nationales, jusque-là rattachée au ministère de l’Économie soit transférée au ministère des Finances et tienne ce rôle de direction du contrôle financier. C’est faire peu de cas des rivalités de corps et du mépris dans lequel le ministère des Finances tient le quai Branly.
148 Rapport Nora, op. cit., p. 86.
149 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
150 Selon D. Berthereau, L’exercice de la tutelle sur les Charbonnages..., op. cit., « Jusqu’en 1959, la direction du Budget a le dernier mot », p. 106. Le Trésor et la direction de la Coordination des entreprises publiques sont saisis pour avis.
151 Selon le témoignage de R. Goetze, entretien biographique avec F. Descamps, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. Le directeur du Budget indique clairement les orientations qu’il a données au Budget en faveur du CEA et de la recherche pétrolière.
152 Selon le témoignage de J. Saint-Geours, entr. cité. Visiblement, le secteur pétrolier est géré directement par le secrétaire de la Commission des investissements.
153 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 6, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
154 Entretien biographique avec A. Rasmussen, entretien n° 13, cassette n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990. R Delouvrier, inspecteur des Finances (promotion 1941), directeur de cabinet de R. Pleven, ministre des Finances (novembre 1945-janvier 1946), chef de la division financière du Plan (février 1946-novembre 1947), devient directeur de cabinet de R. Mayer, ministre des Finances et des Affaires économiques (novembre 1947-juillet 1948). Les fonctions très diverses qu’il occupe par la suite ne l’empêchent pas de rester administrateur de Havas.
155 R. Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d’agir, Paris, Édition du Seuil, 1994, p. 289.
156 P. Lefebvre, L’agence Havas et l’audiovisuel, 1923-1987, op. cit.
157 AEF, fonds Trésor, B 13 176, note du 2 décembre 1953 émanant sans doute de M. Sergent et transmise au directeur de cabinet d’E. Faure, R. Blot.
158 Voir P. Lefebvre, L’agence Havas et l’audiovisuel, op. cit.
159 AEF, fonds Trésor, B 13 176, note du 2 décembre 1953, doc. cité.
160 AEF, fonds Trésor, B 13 176, lettre du 19 mars 1954. On notera que M. Bleustein-Blanchet s’adresse à E. Faure en ces termes : « Mon cher président et ami ». Le président de Publicis demande à ce que la part de l’État soit réduite, tout comme le rapport de la CVCEP de juillet 1952 l’avait préconisé. L’obligation de passer devant le Parlement et les difficultés politiques qui auraient pu en découler ont visiblement découragé le ministre des Finances.
161 Les administrateurs privés sont au nombre de trois.
162 AEF, fonds Trésor, B 13 176, note de P.-P. Schweitzer à P. Du Pont du 15 décembre 1955.
163 Il manque une étude historique sur les contrôleurs d’État qui analyse la marge d’autonomie dont dispose chacun. Le cas d’Athayne n’est pas unique. On retrouve chez Jeauffré, contrôleur d’État auprès d’UGC, à l’époque, un même interventionnisme doublé d’une ardente défense du secteur cinématographique d’État, afin de « lui permettre de suppléer à l’initiative privée là où celle-ci s’avère impuissante à défendre l’intérêt national » (note de 1951 de Jeauffré, AEF, B 55 156).
164 AEF, fonds Trésor, B 13 176, notes du 19 avril 1957 et du 26 décembre 1957. Il s’agit du groupement des journaux et périodiques en régie Havas, créé par Pierre Carré en mars 1954.
165 AEF, fonds Trésor, B 13 176, note de P-P. Schweitzer pour le ministre du 27 juin 1958. Cette phrase éclaire le processus de décision à l’intérieur de la tutelle financière : rôle du contrôleur d’État en matière de gestion courante, interventions du Trésor pour les questions plus sensibles ou stratégiques, qui demande des instructions et les transmet au représentant de l’État au conseil d’administration.
166 AEF, fonds Trésor, B 13 176, note pour le ministre de P-P. Schweitzer du 27 juin 1958.
167 Id. Le directeur du Trésor s’appuie sur le fait que cet administrateur, ayant adressé à des organes de presse des comptes rendus relatant les délibérations du Conseil, a commis selon lui une « faute particulièrement grave ».
168 AEF, fonds Trésor, B 13 176, lettre du 17 octobre 1959.
169 Le texte intégral du rapport a été retrouvé dans les archives de R. Goetze. La teneur en est reprise dans la Revue économique de 1956 et dans celle de 1962, sous le titre « Pour une réforme de l’administration économique ». Comme c’est souvent le cas, l’objectif de la réforme est alors de réaliser des économies budgétaires. On notera que J. Saint-Geours dit avoir participé à cette réflexion.
170 On sait toutefois qu’il a contribué lui-même à limiter le rôle du Plan en créant la Commission des investissements et le Service des études économiques et financières. F. Bloch-Lainé est en train d’évoluer et d’effacer son image de grand commis des Finances au profit de celle d’un réformateur qui se place au-dessus des administrations.
171 L’ancien directeur du Trésor donne une place privilégiée à son ancienne « maison » dans le comité de financement, mais lui retire le fonds de développement économique et social avec la création d’une agence technique et financière qui n’est pas directement sous sa tutelle ; en 1962, elle est remplacée par une banque nationale d’investissement (Revue économique n° 6, janvier 1962, p. 861-885). Enfin, le créateur du Service d’Études propose de rattacher les comptes de la Nation au Plan.
172 Comme le rappellent justement G. Thuillier et R. Catherine, in Introduction à une philosophie de l’administration, « l’accumulation du temps, c’est-à-dire la tradition, a transformé le terrain en chasse gardée, qu’il convient de préserver pour défendre l’administration contre elle-même [...] ce féodalisme « invisible » et quotidien est une constante fondamentale de l’administration » p. 133.
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La direction du Trésor 1947-1967
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La direction du Trésor 1947-1967
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