Chapitre III. Moderniser la structure
p. 133-183
Texte intégral
1L’adaptation des structures et des hommes à ce rôle accru de Trésor-banquier de l’économie, qui s’est accompagné d’une influence grandissante de la direction au sein de l’État, ne s’est pas opérée progressivement et naturellement. Tout en répondant à une nécessité – les nouvelles missions d’intervention du Trésor –, elle a été amorcée de manière concomitante et volontariste par le directeur du Trésor. Cette réorganisation administrative s’inscrit par ailleurs dans un mouvement général d’innovations administratives au sein même du ministère des Finances, qui se sont épanouies depuis et perdurent encore aujourd’hui : ainsi le Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne est-il doté en juin 1948 d’un secrétariat général (SGCI) en vue de gérer l’aide Marshall. La même année est décidée la fusion des régies fiscales au sein de la direction générale des Impôts.
2Qu’elles soient les fruits de l’intuition ou de décisions mûries de la part de F. Bloch-Lainé, ces réformes de structure ont eu une importance inégale dans l’histoire de la direction. Il apparaît d’autant plus intéressant de les analyser qu’elles livrent des informations sur la vie administrative d’une direction du ministère des Finances.
I. LA CRÉATION D’UN OUTIL DE PRÉVISION ÉCONOMIQUE
3La création d’un groupe de travail sur la comptabilité nationale au sein de la direction du Trésor est l’innovation essentielle, illustrant à la fois l’intuition de F. Bloch-Lainé et un exemple réussi de novation administrative. L’histoire de la prévision économique dépasse bien entendu ces deux aspects, et les recherches d’Aude Terray lui donneront certainement la dimension qu’elle mérite. Elle nous intéresse ici du point de vue de la stratégie de la direction et de son éventuel impact sur la culture des hommes du Trésor. Rappelons que dans le sillage des idées keynésiennes qui commencent à être diffusées en France après la guerre, l’approche macroéconomique et le raisonnement en termes de grands agrégats – investissement, épargne, consommation – sont encore embryonnaires au sein de l’État. Si la collecte et l’analyse de données statistiques se développent avec la création de l’INSEE en 1946, les aspects prévisionnels sont laissés en friche. Certes, différentes initiatives naissent au sein de l’État qui reflètent le mouvement qui se dessine chez des hauts fonctionnaires ouverts au keynésianisme1, comme Pierre Uri, qui au sein de la Commission du bilan national créée par Jean Monnet en septembre 1947, fait émerger les premiers linéaments de la comptabilité économique. Mais le directeur du Trésor sera a posteriori sévère avec ses méthodes : « un faux concept pour une juste cause ». Aussi propose-t-il à l’automne 1948 à son ami et camarade Claude Gruson2 de monter un groupe de travail sur la comptabilité nationale au sein de la direction. La structure d’accueil de ce groupe est toute trouvée : profitant de la fusion des régies financières la même année, le directeur du Trésor récupère le bureau de statistiques et d’études financières qui dépendait du contrôle des régies3 ; à partir de cette coquille vide, il crée un service des études économiques et financières, dont il confie la responsabilité à Claude Gruson. Mariant ainsi l’idée, l’homme et l’institution, il permet à la direction de disposer en son sein d’un outil d’analyse et de prévision économique, qu’il qualifiera plus tard de « tête pensante » du Trésor4. Entre 1948 et 1952, l’outil n’est certes pas encore très rodé et inégalement perçu. L’incompréhension, le scepticisme, voire les sarcasmes, accueillent les premiers travaux de Claude Gruson, au sein de l’Inspection des finances comme de l’establishment financier5. Parallèlement, l’officialisation du service sera lente ; par le décret du 31 mars 1950 est institué un comité d’experts dirigé par Claude Gruson chargé d’établir des comptes nationaux. Et ce n’est qu’en 1952 que le Service des études économiques et financières fait son apparition dans les organigrammes : une première légitimation liée à celle de l’établissement de la Commission des comptes de la Nation.
4Plus intéressante est la manière dont le SEEF est perçu au sein du Trésor. Dès le départ, Claude Gruson s’adjoint de jeunes administrateurs civils du Trésor, ainsi qu’un inspecteur des Finances6, qui donnent au service une connotation à la fois sérieuse et prestigieuse dont il a bien besoin pour s’imposer au sein même de son administration protectrice, le Trésor. C’est surtout l’utilité même des travaux du service d’étude qui n’apparaît pas évidente aux yeux des praticiens du Trésor, surtout dans les années 1948-1952. Ainsi Jean Guyot explique-t-il le décalage entre ses préoccupations quotidiennes en tant que secrétaire de la Commission des investissements et les travaux du service de Claude Gruson :
« - Q. : Est-ce que les travaux du SEEF vous sont d’une utilité directe, le Service des études économiques et financières de Gruson ?
- R. : Non, à ce stade-là, pas du tout, pas encore, je dirais. C’est considéré, pour être franc, c’est considéré à l’époque comme quelque chose de très intéressant, mais qui n’a pas encore acquis sur le plan pratique la fiabilité, la précision ; autrement dit, on est très largement dans un domaine macroéconomique, alors que nous travaillons [...], nous n’intervenons que sur des chiffres, qui sont des chiffres marginaux par rapport à l’ensemble de l’effort d’investissement »7.
5En revanche, selon Dominique Boyer, qui évoque la période immédiatement postérieure, le SEEF a justement permis une approche plus macroéconomique au Trésor :
« Normalement, on travaillait avec eux pour ce qu’on pourrait appeler le cadrage du Budget. En amont, donc. Il y a tout de même une hypothèse générale d’évolution des prix, de la masse monétaire, de ce que l’on appelle les grands équilibres aujourd’hui, qui se faisait sur la base des études et des prévisions de cette cellule du Trésor ; à ce moment-là, c’était une cellule du Trésor. [...] Je crois qu’en praticien, on attachait beaucoup d’importance à leur capacité de raisonner, en prenant en compte tous les problèmes ; alors que nous, nous étions sur des chapitres particuliers. »
6Plus loin, à la question de savoir si les modèles économétriques du SEEF étaient directement utilisables pour son travail quotidien, il répond :
« Ils l’étaient pour dire : l’impasse, si elle est de 100 milliards, ça va ; si elle est de 150 milliards, ça va tout dérégler »8.
7On retrouve, bien qu’appréhendée de manière circonstancielle et plus restrictive, l’évolution des rapports entre le Trésor et le Service des études dans le témoignage de Pierre de Vogué, alors administrateur au bureau de la trésorerie9 :
« Du jour où Jean Denizet est passé au SEEF [en 1952], il y a eu sur le plan personnel et sur le plan intellectuel une ouverture beaucoup plus grande entre nous et le SEEF. Il y eut l’idée que la fonction de ce service se justifiait, chose qui n’était pas évidente dans les temps qui ont précédé ! D’autant plus que le style, le jargon du SEEF dans les notes internes du ministère nous paraissaient absolument incompréhensibles. Du jour où Denizet est entré dans ce groupe, il a apporté une certaine clarté d’expression, et on pouvait avoir avec lui des commentaires sur ce que cela voulait dire, qui nous éclairaient beaucoup »10.
8En réalité, le secrétaire de la Commission des investissements qui a une vision d’ensemble des questions financières et monétaires ainsi qu’un rôle de coordination, constitue de ce point de vue un cas à part au sein de la direction du Trésor. Les hauts fonctionnaires en charge des missions traditionnelles du Trésor n’ont, à notre connaissance, pas encore appréhendé la manière dont ils peuvent utiliser l’outil de comptabilité nationale. Ils ont certes pressenti de manière intuitive, et présenté ensuite de manière rétrospective, l’intérêt que l’outil pouvait alors représenter pour la conduite de la politique économique ; le cadre d’analyse macroéconomique est avant tout considéré à l’époque comme un instrument de modernisation, mais encore très théorique pour la grande majorité des hauts fonctionnaires de la direction11.
9À travers cette analyse, se dessine clairement une fois encore l’orientation moderne et économique que le directeur a voulu donner à sa direction, de manière intuitive mais résolue ; certes, l’impact à court terme est limité, mais l’image d’un Trésor à la pointe du progrès en matière de réflexion économique, après une période de scepticisme au sein des Finances, voit le jour. Plus encore, il conforte son influence par rapport aux différentes administrations économiques et financières, notamment le ministère de l’Économie nationale, le Plan et la Banque de France. En empiétant sur les attributions de l’INSEE, en matière statistique, le Trésor remporte tout d’abord une victoire sur l’Économie nationale, comme le démontre Aude Terray12.
10D’autre part, dans le prolongement des travaux de la Commission du Bilan de Pierre Uri, le Plan aurait pu être légitimement le cadre institutionnel des travaux de comptabilité nationale. La réponse de F. Bloch-Lainé est nette :
« Il est certain que j’ai enlevé la comptabilité économique au Plan, comme je lui ai enlevé la gestion des crédits : c’est qu’à mon avis, le Plan n’est pas fait pour gérer un service public. On voit mal pourquoi la direction de la Prévision qui est sortie du SEEF. serait rue de Martignac et ne serait pas dans l’orbite de la rue de Rivoli. Sa place normale, c’est d’être dans l’orbite de la rue de Rivoli. »13.
11On retrouve également dans la stratégie du directeur du Trésor la volonté de donner au ministère des Finances un rôle positif dans la modernisation et dans la reconstruction du pays, en le dotant non seulement de la gestion des crédits mais également de la responsabilité de la prévision économique : la cohérence du projet apparaît évidente.
12Du point de vue des cadres de travail de la politique monétaire, l’intérêt des travaux du Service des études a été évoqué par D. Boyer sur le calcul du montant de l’impasse admissible (voir infra). Parallèlement aux travaux de la direction des Études de la Banque de France qui produit des études monétaires utilisées régulièrement par le Trésor, les travaux du SEEF pris en compte par des hauts fonctionnaires de la Commission des investissements forment un cadre de réflexion économique et non pas financier, fondé sur les volumes de production et d’échanges : le Trésor s’appuie ainsi sur les deux types de réflexion pour élaborer ses prévisions en matière de financement public des investissements. D’où peut-être, selon Dominique Boyer, une opposition entre « des penseurs concurrents », mais qui reste somme toute marginale au Trésor14 ; la comptabilité nationale reste en 1952 un outil utilisé par une minorité de hauts fonctionnaires, qui constitue alors l’aile marchante de la direction. Cependant, sur l’idée d’une concurrence entre deux modes de pensée, F. Bloch-Lainé livre un témoignage différent et souligne « cette collaboration très inattendue de la Banque de France » : « Il se trouve que Besse et Saltes lui ont fait confiance, et qu’ils ont réussi à valoir à Gruson la confiance de Monick dans un premier temps, de Baumgartner dans un second temps. Ce qui n’allait absolument pas de soi, parce qu’on ne peut pas dire que Baumgartner était un moderniste »15. Entre l’acceptation du principe et l’utilisation pratique des modèles économétriques, il faudra – peut-être ? – attendre quelques années au Trésor comme à la Banque de France.
13Hormis la place du Service des études dans la stratégie directoriale qui vient d’être analysée, la manière dont F. Bloch-Lainé a mis en place progressivement la structure mérite d’être évoquée. Elle illustre l’une des tactiques administratives possibles qui s’offrent un fonctionnaire désireux de réformer ou de rénover son administration. Car la contrainte budgétaire qui fixe le nombre de postes par ministère et par direction oblige parfois à utiliser des moyens détournés pour créer un bureau, recruter des gens. Pour lancer le SEEF, le directeur opère selon son expression « une annexion de jachère » : profitant de la fusion des régies, il récupère un bureau tombé en déshérence, le bureau des statistiques économiques et financières. À partir de cette coquille vide, ou presque, il peut transférer certains cadres de sa direction dans ce bureau nouvellement acquis et laisser Claude Gruson recruter à l’extérieur du ministère ; la cellule de base de l’administration, le bureau, apparaît ici comme la structure indispensable, à la reconnaissance sinon intellectuelle, du moins administrative, du groupe de travail. On notera également que la mission de contrôle des activités financières créée en 1950 a servi un certain temps de fonction officielle à des membres de l’équipe Gruson16. Il s’agit alors d’une tactique qui vise à détourner la mission première de certains organismes à des fins différentes. Ces chassés-croisés à l’intérieur des structures de la direction révèlent tout à la fois la marge de manoeuvre d’un dirigeant en matière de gestion de personnel et l’aspect souvent formel des organigrammes officiels.
14La création de commissions, de comités, telle que F. Bloch-Lainé l’a maintes fois entreprise, ne nécessite pas en revanche de décisions budgétaires, mais un texte réglementaire signé par le ministre des Finances. La démarche consensuelle du directeur du Trésor alliée à son goût de la réforme ont ainsi abouti à la création du Comité de gestion des participations publiques, au Comité monétaire de la zone franc, à la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques (CVCEP) et, bien sûr, à la Commission des investissements. Le souci de coordination et de contrôle de l’État-banquier et de l’État-actionnaire se double d’une préoccupation de ne pas heurter frontalement ses éventuels concurrents : tactique discrète d’encerclement au sein d’un monde policé qui apprécie les pas feutrés plutôt que les coups d’éclats...
15Soulignons enfin que pour mener à bien la création de ces différentes structures, le directeur d’administration centrale se doit de les soumettre à la signature du ministre. En dévoilant ses procédés, E Bloch-Lainé illustre là encore sa latitude d’action en la matière, qui repose à la fois sur sa bonne connaissance des procédures budgétaires comme sur son réseau d’amitiés : « Nous agissions par un article discret glissé dans la loi de Finances, par un décret, un arrêté signé à la sauvette dans un moment d’inattention » explique-t-il17. Il précise en souriant au cours d’un entretien : « À ce moment-là, il suffisait vraiment que j’apporte à Clappier [directeur de cabinet de R. Schuman, ministre des Finances] un papier à faire signer par Schuman pour qu’il n’y ait aucun problème ! »18.
16Le directeur du Trésor ne se limite pas à la seule création d’organes nouveaux à l’intérieur comme à l’extérieur de ses services. Son goût pour la réforme formelle le conduit à réorganiser sa direction.
II. LA RÉORGANISATION DE LA DIRECTION : QUELLE PORTÉE ?
17Au regard du tournant stratégique opéré par le Trésor depuis 1948, l’étoffement et la réorganisation de la direction ne peuvent être ignorés : y a-t-il eu un ajustement entre le rôle accru de la direction dans le financement de l’économie et ses structures administratives ? Les contraintes de personnel propres à l’administration en matière statutaire et budgétaire ont-elles joué un rôle de frein à cette volonté de modernisation ? Symboliquement François Bloch-Lainé attache de l’importance aux appellations. Ne s’empresse-t-il pas dès son arrivée de redonner à la direction le nom de Trésor plutôt que celui de Crédit, souhaitant sans doute ainsi rendre à la direction un nom prestigieux et ancré dans la tradition ?
A. LES RÉFORMES D’ORGANISATION : UNE MODERNISATION NÉCESSAIRE OU SYMBOLIQUE ?
18Alors qu’au lendemain de la scission d’avec Finex en 1946, la direction du Trésor ne compte que deux sous-directions et quatre bureaux, avec l’arrivée de F. Bloch-Lainé, elle voit ses structures plus que doubler, se plaçant ainsi à pied d’égalité avec les autres directions du ministère. Deux nouvelles sous-directions sont créées en 1947 et 1948, la sous-direction des Interventions économiques (deux bureaux) et la sous-direction des Relations de trésorerie (trois bureaux). La première sous-direction du Mouvement général des fonds est également réorganisée et bénéficie d’un bureau supplémentaire. À côté de la structure traditionnelle sont juxtaposées de nouvelles cellules nouvellement créées au Trésor : le secrétariat de la Commission des investissements, la mission de contrôle des activités financières et la cellule Comptabilité économique nationale qui apparaît dans l’organigramme de 1952. La structure de la direction devient à la fois plus rationnelle, plus compréhensible mais plus complexe, comme l’indique le schéma page suivante.
19Parallèlement, au lieu et place des numéros qui leur sont traditionnellement attribués, les sous-directions sont alors dotées d’appellations nominatives. Cette initiative du directeur du Trésor qui sera imitée par la suite au sein de l’administration centrale des Finances, revêt-elle une quelconque importance pour le Trésor ? S’agit-il seulement d’un « souci un peu cartésien » du directeur du Trésor de trouver « quatre vocables pour découper en quatre les activités de la direction », comme le dit F. Bloch-Lainé ? La préoccupation apparaît certes légitime au regard de l’extension des missions et des prérogatives du Trésor depuis la fin de la guerre, qu’il n’est donc pas inutile de faire reconnaître et d’expliciter. Accompagnant une réorganisation des bureaux de la direction, l’initiative peut également signifier la volonté de donner à chaque entité administrative une cohérence et une existence propre. Le sous-directeur ne constitue plus seulement un grade hiérarchique mais une fonction de coordination entre les bureaux dont il a la charge. Cette idée se retrouve dans une autre initiative prise par F. Bloch-Lainé, celle de l’organisation de réunions hebdomadaires ou bihebdomadaires, selon les témoignages, avec ses sous-directeurs et ses deux chargés de mission inspecteurs des Finances, qui jouissent là d’une position privilégiée. Quelle nouveauté ! Auparavant, chaque bureau travaillait de manière isolée, nouant rarement et seulement par nécessité des relations fonctionnelles avec les autres cellules de la direction. Les sous-directeurs rendaient compte au directeur des dossiers en cours de manière bilatérale, quand ils en avaient le temps, ainsi que l’explique Jean Autissier :
« Bloch-Lainé a également institué quelque chose qui n’existait pas avant, c’est un comité qui se réunissait peut-être pas plus de deux fois par semaine, composé de sous-directeurs, éventuellement de fonctionnaires qui étaient intéressés par ce qui s’y disait, et ça, c’était vraiment quelque chose de très nouveau. Son rôle, c’était de discuter des affaires en cours, n’est-ce-pas.
Car la journée d’un directeur et accessoirement d’un sous-directeur était épouvantable, parce que depuis le matin, où il arrive quelquefois le premier jusqu’au soir, huit heures-huit heures trente, il est pris sans arrêt. Il a affaire à des réunions extérieures, le ministre l’appelle, il a à voir des collègues directeurs, il a des rendez-vous, il a également à aller à la Chambre et au Sénat, il est commissaire du gouvernement pendant les discussions parlementaires. Par conséquent, il fait énormément de choses, et on ne se voit pas toujours de façon posée et méthodique. Et ces réunions du mercredi – enfin, deux fois par semaine – avaient le mérite de rapprocher les sous-directeurs, qui eux-mêmes n’avaient pas l’occasion de se trouver ensemble tous les trois ou tous les quatre d’une façon régulière et de débattre en commun de questions pouvant intéresser plusieurs d’entre eux »19.
Source : Bottin administratif 1952.
20En instituant ces réunions, F. Bloch-Lainé fait un premier pas vers ce qu’on appellerait maintenant la communication interne de la direction, mais également vers une organisation de travail plus efficace. Son bureau, symboliquement redécoré dans un style moderne, mais qui conserve ses quatre grands fauteuils rouges un peu usés20, est ouvert aux agents de la direction ; selon certains témoins, ils peuvent s’adresser à lui directement, sans passer par la voie hiérarchique.
21Mais ces différentes innovations dans l’organisation de la direction sont soumises au formalisme administratif. Tout d’abord, au nom de l’égalité entre les titulaires d’une même fonction, les sous-directions comprennent un nombre identique de bureaux. Au nom de ce principe, des sous-directions d’importance inégale devront apparaître dans l’organigramme comme étant identiques en effectifs et en cellules. Mais ce cadre contraignant, qui ne convient guère à la réalité du travail de la direction, ne peut empêcher une hiérarchisation implicite des sous-directions. Numérotées de un à quatre, les sous-directions du Trésor sont présentées par ordre d’importance : la première étant « Mouvement général des fonds », la deuxième, « Interventions économiques » puis « Participations publiques », la troisième, « Activités financières » et la quatrième, « Relations de trésorerie ». En redonnant à la première sous-direction chargée de la trésorerie le nom vénérable et prestigieux de la direction d’avant-guerre, en lui conférant la première place dans la hiérarchie de la direction, F. Bloch-Lainé met à jour sa préoccupation essentielle, la trésorerie et la monnaie. Telle est également la place qu’elle tient aux yeux d’un certain nombre de hauts fonctionnaires de la direction de l’époque qui s’accordent à dire que le mouvement des fonds était le coeur de la direction, le saint des saints, tandis que la deuxième est considérée à l’époque comme l’une des sous-directions montantes en raison d’une intervention croissante de l’État dans l’économie : un bureau en 1946, deux bureaux en 1947, puis une sous-direction créée par F. Bloch-Lainé l’année suivante. Il n’est pas inutile de souligner ici que cette sous-direction est la seule tenue par un inspecteur des Finances sur l’ensemble de la période, les trois autres étant réservées à des administrateurs civils : s’y succéderont Emmanuel Lamy, Maurice Sergent, Dominique Boyer et Jean Saint-Geours. Étrangement, cette sous-direction fait quelque peu double emploi dans le domaine des interventions économiques du Trésor avec la Commission des investissements, dont le secrétaire est également un inspecteur des Finances. Or à l’époque, il est certain que le jeune chargé de mission, secrétaire de la Commission des investissements, a au moins autant de responsabilités que son camarade sous-directeur, comme on a pu le voir dans l’étude du fonctionnement de la Commission. Enfin, l’imbrication des fonctions entre les sous-directions rend plus complexe encore l’organisation des tâches au sein de la direction. Le cas du financement des investissements est à cet égard éclairant. Selon le directeur du Trésor,
« Guyot a voulu être en prise directe sur la Commission des investissements, sur ce qui était vital pour la trésorerie, c’est-à-dire cet énorme budget des investissements des entreprises publiques et des collectivités locales [...] J’ai déshabillé Sergent pour habiller Guyot, sûrement. Mais Sergent avait tout de même à faire par ailleurs »21.
22F. Bloch-Lainé avoue au cours du même entretien, que l’autorité personnelle de J. Guyot comme son passage au cabinet de R. Schuman justifiait à ses yeux de lui donner cette responsabilité. Le directeur peut ainsi disposer d’une marge de manoeuvre pour confier à ses hommes tel ou tel secteur, au-delà des missions officielles de chaque sous-direction. Pourquoi avoir créé cette sous-direction des Interventions économiques alors qu’elle apparaît quelque peu vidée de son contenu ? La réponse de F. Bloch-Lainé donne à la fois l’explication de la valeur symbolique de ces nouvelles dénominations et illustre la stratégie de contrôle :
« Moi, je n’étais pas impérialiste ; c’était du travail intellectuel d’avoir appelé ça « Interventions économiques ». Je constatais que le Trésor était de plus en plus souvent engagé et souvent réellement mêlé à des choses qui lui coûtaient cher [...] Ce qui fait que je n’ai pas eu l’impression de faire de l’inflation administrative. Je crois qu’il était temps à ce moment-là de reprendre au bénéfice du ministère des Finances le contrôle d’opérations considérables »22.
23Égalité de façade donc, mais cohérence très formelle au sein de chaque sous-direction. Ainsi la quatrième sous-direction des Relations de trésorerie regroupe-t-elle des bureaux aux attributions hétéroclites : le bureau chargé de l’outre-mer, celui chargé des comptes spéciaux du Trésor et des collectivités locales, et le bureau des statistiques et d’études financières, berceau du SEEF. De même, la sous-direction des Activités financières, chargée officiellement de la tutelle des banques et établissements de crédit, ne gère-t-elle en pratique que la réglementation bancaire et la tutelle des Caisses d’épargne ; c’est la première sous-direction qui, au travers de ses fonctions de trésorerie, gère les relations quotidiennes avec les banques et les grands satellites du Trésor pour fixer le volume et le calendrier des émissions, ainsi que pour négocier l’achat de bons du Trésor en compte courant. Elle hérite également du bureau chargé du financement de la construction, qui aurait pu se trouver dans la sous-direction des Interventions économiques, voire dans la mouvance de la Commission des investissements. Cet exemple illustre bien le pragmatisme qui prévaut dans la création de bureaux comme dans leur affectation dans telle ou telle sous-direction. Le secteur de la construction est ainsi développé au Trésor de manière empirique mais aussi symbolique : « Le problème de la construction avait pris politiquement à ce moment-là une importance très grande. Je pense que l’une des raisons [de sa création] était politique, c’était de montrer qu’on consacrait à cette question une entité spécifique », explique aujourd’hui Pierre de Vogüé23. En raison de son poids croissant sur la trésorerie de l’État, le bureau est ainsi rattaché à la sous-direction du Mouvement général des fonds. Cette dernière apparaît plus que jamais comme étant le coeur de la direction.
B. TENTATIVES DE RATIONALISATION ET RÉSISTANCES AU CHANGEMENT
24Implicitement, le rôle des bureaux par rapport aux sous-directions ne sort pas affaibli de cette réorganisation, bien au contraire. Répartis dans des sous-directions au nom de l’équité entre leurs responsables plus que par souci de cohérence et de rationalisation, les bureaux restent des cellules qui sont souvent le fruit du hasard et de la nécessité. Cet état de fait qui concerne l’ensemble du ministère des Finances est l’objet d’une réflexion au sein des Finances dès l’immédiate après-guerre. S’appuyant sur la réforme entreprise en 1946, le directeur du Personnel et du Matériel, Jacques Roudier, dans une note du 2 avril 1947 adressée aux directeurs et chefs de service du ministère, fait un constat sévère de l’inorganisation des services :
25« Il faut reconnaître que la division en bureaux a été trop souvent opérée d’une façon assez arbitraire. Seuls les chefs de bureau dépendent directement du sous-directeur et on a tendu à donner à chacun d’eux une quantité d’attributions sensiblement égales. On a été amené ainsi à grouper des services dont les attributions sont très différentes. En revanche, certains services qui dans une organisation rationnelle, auraient dû rester groupés dans la même division administrative, ont été scindés et leurs attributions réparties entre deux bureaux ou plus »24.
26Avant même que la direction de la Fonction publique ait donné ses directives en matière de réforme, le directeur du Personnel et du Matériel du ministère propose de modifier l’organisation de services, dans un sens qui apparaît très novateur sinon révolutionnaire :
27« Pour respecter l’esprit de la réforme et assurer un meilleur fonctionnement des services, il convient donc de faire éclater l’organisation actuelle et de constituer, en divisions administratives autonomes, toutes les parties de la sous-direction, quelle que soit leur importance, qui sont effectivement indépendantes des autres.
28Les divisions nouvelles pourront donc être d’importance très variable. En outre, leur nombre pourra être augmenté ou diminué, au gré du directeur, toutes les fois que l’intérêt du service lui paraîtra le commander ».
29Il est difficile de savoir si Jacques Roudier a réussi à modifier les méthodes de travail au ministère des Finances. Au sein du Trésor, la réorganisation de F. Bloch-Lainé, si elle s’inscrit d’une certaine manière dans cette recherche de rationalisation, reste en décalage avec les souhaits du directeur du Personnel et du Matériel quant à ses résultats concrets. Il est d’ores et déjà certain que le nombre de « divisions » n’a jamais été diminué.
30Le directeur du Trésor lui-même explique sa démarche empirique lors de la création de bureaux, qui relativise des interprétations rationnelles et théoriques : « Les explications [de création] sont dues uniquement à un changement de volume d’opérations. Dès qu’on commence à être plus occupé qu’on ne l’était par un sujet, on en fait un bureau, et on dégraisse celui d’à côté »25. Fruit de circonstances historiques ou d’une nécessité économique, rééquilibrage avec les autres directions du ministère, la réorganisation des structures de la direction, si nécessaire qu’elle ait pu apparaître à l’époque, n’est donc pas la réforme la plus importante entreprise par F. Bloch-Lainé. Elle a le mérite d’être la vitrine d’une modernisation, mais elle ne reflète guère la réalité du fonctionnement de la direction.
31Ces incohérences n’échappent d’ailleurs pas au contrôleur Lionnet, chargé d’une étude sur la suppression d’emplois au ministère des Finances par le Comité central sur le coût et le rendement des services publics. Passant en revue les différentes directions du ministère, il relève qu’au Trésor le partage du travail « ne correspond pas à une différenciation très nette des attributions et il semble que l’on pourrait envisager une autre solution sans aller à rencontre de la logique »26. Lorsqu’il fait part à F. Bloch-Lainé de ses constatations qui conduisent à une éventuelle suppression de postes de sous-directeur, le directeur du Trésor présente deux arguments principaux : d’une part, le volume actuel de travail de chaque sous-directeur suffît largement à absorber son activité, d’autant que le Trésor s’est vu confier récemment de nouvelles attributions ; cet argument convainc Lionnet, « sauf peut-être pour la troisième sous-direction, Activités financières, dont une partie du travail matériel est en pratique à la charge de la Banque de France »27. L’autre argument avancé par le directeur du Trésor et rapporté par Lionnet apparaît valable, lorsque l’on sait la lenteur de la progression des carrières à l’époque : « [M. Bloch-Lainé estime que] d’autre part la présence de ces quatre postes de sous-directeurs est une source d’émulation pour un personnel qui n’est que trop souvent sollicité par des offres de l’extérieur, alors qu’il a besoin de retenir des fonctionnaires de qualité à qui l’on puisse confier des tâches difficiles ». Comme nombre de rapports sur la réforme administrative, dont le rapport Lauré de 1949, celui du contrôleur Lionnet restera lettre morte ; il reste difficile de toucher à l’organisation interne des directions d’administration centrale, que chaque directeur considère de son ressort et dont il souhaite préserver l’intégrité du champ de compétence.
32Parallèlement, le cloisonnement des bureaux reste très important. La réunion entre sous-directeurs instituée par F. Bloch-Lainé ne permet pas de contrebalancer des habitudes séculaires de travail en monde clos et des réflexes, non moins ancrés dans les mentalités, de défense de leur territoire, comme le souligne subtilement Jean Guyot : « Le goût de chaque unité, même au sein des sous-directions, de certaines unités de garder leurs affaires pour eux était tout à fait présent »28. Il est certain que certaines activités se prêtent plus que d’autres à un travail solitaire. Ainsi en est-il du bureau A1 (bureau de la trésorerie) qui a des relations avec la Comptabilité publique, la Banque de France, les correspondants du Trésor, mais aucune avec le reste de la direction, comme l’explique Pierre de Vogué :
« Professionnellement, nous n’avions pas de contacts avec les autres bureaux de la direction, dans la mesure où ce qui nous intéressait, c’était l’impact de l’activité des uns et des autres sur le compte courant du Trésor à la Banque de France : tout était centré là-dessus pour nous »29.
33En réalité, chaque bureau du Trésor a plus de contact avec l’extérieur de la direction qu’avec ses homologues. Parallèlement, l’absence de mobilité entre les bureaux ne compense pas ce cloisonnement des fonctions. Nombre de cadres de la direction effectuent l’ensemble de leur carrière à l’époque dans une même sous-direction, voire dans un même bureau. On citera les cas de P. de Vogué, E. Miffred, A. Hébrard, M. Manifacier, J. Autissier, G. Grosdemange, M. Bret et de H. Bissonnet. Hormis P. de Vogué, ce sont surtout les rédacteurs issus de l’ancien concours qui subissent un déroulement de carrière aussi monotone. Cette situation contribue non seulement à accentuer l’isolement et le cloisonnement des bureaux, mais conforte également le poids de chacune de ces cellules, qui du fait de leur compétence technique accumulée au fil des années et de leur mémoire des dossiers soigneusement conservée, constituent les rouages essentiels du travail administratif de la direction.
34Or, la vision du directeur de tel ou tel dossier technique est largement tributaire de celle de ses bureaux, qui maîtrisent seuls les procédures, les réglementations dans leur domaine. La complexité de la matière ne fait que renforcer ce pouvoir d’expertise des bureaux. Un ancien directeur de cabinet du ministre des Finances dans les années 1950, qui souhaite garder l’anonymat, souligne l’influence des services administratifs dans la décision politique telle qu’il l’a sans doute expérimentée dans ses fonctions :
« Dans la prise de décision, vous êtes extrêmement tributaire du dossier, la manière dont le dossier est établi, dont les arguments sont présentés [...] La conception qu’a le service de l’affaire est déjà une indication. Où se fabrique la vision du ministère ? Elle se fabrique généralement à des échelons intermédiaires de conception, reprise en charge à chaque échelon [...] Bien souvent, ce n’est pas le directeur du Trésor qui l’a approuvée, qui a été convaincu, mais les services du Trésor, M. X ou Y qui a présenté le dossier d’une certaine manière ».
35On ne saurait donc mésestimer le rôle des chefs de bureaux qui sont non seulement la mémoire du dossier mais disposent des éléments techniques de réponse ; plus le dossier est complexe techniquement, moins il est sensible politiquement, plus le chef de bureau peut « fabriquer » lui-même la vision.
36Seule l’organisation géographique de la direction et peut-être l’exiguïté des locaux permet-elle de compenser partiellement le cloisonnement en obligeant certains bureaux à travailler ensemble. Certaines cellules se retrouvent dans la même pièce ; d’un côté les deux chefs de bureaux, de l’autre les administrateurs civils, comme c’est le cas dans la sous-direction du Mouvement général des fonds pour Al et A2. Dans d’autres cas, le chef de bureau partage la pièce avec ses subordonnés, comme l’explique J. Desazars de Montgailhard :
« J’ai commencé par être avec Picard [chef de bureau] dans un grand bureau dans lequel il y avait beaucoup de monde ; c’était vraiment le bureau tel qu’on l’imagine autrefois, un peu clerc de notaire. [...] Il y avait de vastes bureaux, tout était gigantesque. Alors il y avait ce très grand bureau où nous étions cinq ou six au départ, avec Picard. Après, nous étions deux, puis j’ai été seul »30.
37La lente modernisation se manifeste également par l’absence de téléphone pour chaque administrateur civil, qui contribue encore à l’isolement des cadres de la direction. Les conversations de couloir ou les déjeuners entre collègues sont alors les principaux vecteurs de communication.
38Dès son arrivée, le directeur du Trésor a cherché à adapter les structures de la direction aux nouvelles missions du Trésor. Mais sous ses aspects esthétiquement satisfaisants, le nouvel organigramme ne reflète guère la réalité des hommes et de leurs relations ; néanmoins il est la vitrine moderne de la direction. Les habitudes prises depuis de longues années ne se modifieront que progressivement. Par ailleurs, le bureau reste la cellule de base de la direction. Il garde la mémoire des dossiers, de la ligne suivie depuis des décennies. Le sous-directeur doit se fier à son chef de bureau, d’autant plus s’il n’est pas issu des rangs de la direction, comme les inspecteurs des Finances traditionnellement promus directement au rang de sous-directeur.
39L’étude qualitative des effectifs de la direction ne fait que conforter l’idée d’une greffe de modernisation qui n’a pas encore pris.
III. UN ÉTAT-MAJOR RENFORCÉ, MAIS HÉTÉROGÈNE
40En termes d’effectifs, la direction du Trésor reste une direction de petit nombre, pour laquelle l’étude quantitative peut sembler de moindre intérêt. Augmenter le nombre de ses cadres de 5 ou 10 personnes peut paraître dérisoire au regard des bataillons de fonctionnaires de la direction des Impôts ou de la Comptabilité Publique. Cependant, le pourcentage d’augmentation apparaît significatif s’il s’accompagne d’une étude qualitative sur la répartition des effectifs au sein de la structure, l’évolution des différents recrutements, de l’âge des cadres de la direction.
41Le fort accroissement du nombre de bureaux, multiplié par trois depuis la Libération, s’accompagne naturellement d’une augmentation parallèle des effectifs des administrateurs civils, décelable à travers le Bottin administratif ou des archives du fonds de la direction du Personnel. On rappellera en effet qu’il est malheureusement impossible de reconstituer des séries homogènes sur l’ensemble du personnel des directions du ministère, soit que les organigrammes officiels ne fournissent que les échelons supérieurs, soit que les archives ne concernent que quelques relevés pour des dates isolées31. Un document précis retrouvé dans les archives de la direction du Personnel et du Matériel recense les effectifs supérieurs du Trésor, du Budget et des Finances extérieures en 1953 et permet ainsi d’affiner les données sommaires des Bottins administratifs. Des tableaux retracent les effectifs réels des cadres A de chaque direction en 195432 :
42Ces chiffres qui restent modestes en volume autorisent deux constats : du fait de la prise en compte d’une partie des effectifs des Finex dans le Trésor de 1946, il n’est pas possible de comparer les chiffres du Trésor de 1946 avec ceux de 1954. La progression des effectifs supérieurs de l’ensemble des directions reste modeste et comparable entre les trois directions, autour de 90-110 cadres. Si le Budget dispose d’un quart de plus d’effectifs que les Finex, le Trésor reste dans une position médiane entre les deux. On notera également la disparité en matière de répartition des inspecteurs des Finances, la direction des Finances extérieures disposant de trois fois plus d’inspecteurs des Finances que le Trésor, tandis que la direction du Budget n’en accueille que deux, dont le directeur. La seule conclusion que l’on peut en tirer, en l’état actuel des recherches existantes, est que l’augmentation relative des effectifs a touché l’ensemble du ministère des Finances au lendemain de la guerre ; de ce point de vue, la direction du Trésor n’a pas bénéficié d’un traitement de faveur. Dès juillet 1947, lors de la sortie de la première promotion de 1946-1947 « France combattante », François Bloch-Lainé réclame une augmentation du nombre d’administrateurs civils affectés à sa direction ; dans une note pour le ministre à travers laquelle il attire son attention sur « les lacunes nombreuses » qui empêchent ses services « d’assurer dans des conditions satisfaisantes la totalité de leurs tâches », il précise : « Cinq sections de plus sont encore sans titulaires, notamment les sections B2, B3, B4, auxquelles il incombe de surveiller l’activité des entreprises publiques, de gérer les participations et de régler les conséquences financières des nationalisations. D’autre part, plusieurs sections importantes chargées de la gestion de la trésorerie et des opérations de garantie dont le volume est considérable, sont gérées par un seul administrateur non secondé »33. Il demande l’appui du ministre pour l’affectation de sept administrateurs civils. Mais les effectifs des premières promotions d’énarques, qui doivent satisfaire l’ensemble des ministères, ne permettent pas à l’époque d’affecter plus d’une dizaine d’administrateurs civils à l’ensemble du ministère des Finances : le directeur obtiendra quatre énarques sur les 85 de « France combattante » (1946-1947), un seul sur les 63 de la promotion « Union française » (1946-1948), aucun sur les 59 de « Croix de Lorraine » (1947-1948) et trois sur les 55 élèves de la promotion « Nations Unies » de 1947-1949. Quant à la promotion « Jean Moulin » (1948-1949), elle ne fournit que onze élèves, dont aucun pour le Trésor...34. La marge de manoeuvre du directeur en matière de recrutement est donc étroite à l’époque, d’autant que le plan de redressement de René Mayer de décembre 1947, qui tend à réduire les dépense de l’État, ne constitue guère un contexte favorable à l’augmentation des effectifs de la fonction publique.
43Évoquée dans la note du directeur de juillet 1947, la répartition entre les différentes structures de la direction est intéressante à plusieurs titres. Grâce aux archives de la direction du Personnel et du Matériel pour 195335, on dispose d’indications précieuses sur cette répartition, qui viennent corroborer les données de F. Bloch-Lainé. Certains bureaux apparaissent effectivement très démunis en cadres supérieurs, comme l’indique le tableau ci-dessous :
44Le cadre des secrétaires d’administration, créé en 1946, était censé, on s’en souvient, décharger le corps des administrateurs civils d’une partie de leur travail. La création en 1953 d’un corps intermédiaire, celui des attachés d’administration, répondra au même souci.
45Les catégories A autres que les administrateurs civils sont soit des agents supérieurs, soit des inspecteurs principaux des services du Trésor, des inspecteurs principaux des Impôts, soit des traducteurs.
46La disparité entre les différentes structures de la direction apparaît ici évidente et l’égalité de façade de l’organigramme officiel n’en apparaît que plus formelle. L’étude démographique confirme la primauté accordée à la première sous-direction, qui compte dix administrateurs civils, tandis que le secrétariat de la Commission des investissements s’étoffe depuis 1948, passant à deux administrateurs civils en sus de l’inspecteur des Finances. Parallèlement, la sous-direction des Participations publiques ne compte que trois administrateurs civils sous les ordres de M. Sergent ; se trouve encore une fois démontrée l’importance accordée à la Commission des investissements au détriment de cette sous-direction, renforcée par des décalages de recrutement et d’âge entre les deux cellules : hormis le jeune inspecteur des Finances chargé de mission, la Commission des investissements recueille deux énarques frais émoulus de la nouvelle école et tant recherchés. Les nouvelles structures accueillent les nouvelles recrues, tandis que les sous-directions plus traditionnelles restent le domaine réservé des anciens rédacteurs. Cette répartition démographique se répercute sur le dynamisme respectif des cellules et leur capacité à réformer, à entreprendre ou à moderniser.
47L’explosion des effectifs du Service des études économiques et financières – ils représentent 44 % des cadres A de la direction – marque à la fois le développement de ses missions et son caractère novateur36. Cependant, la différence de progression et de recrutement avec le reste de la direction fausse les données propres au Trésor. Il semble donc que les recherches sur la démographie de la direction doivent dorénavant exclure le SEEF de la sphère d’études, d’autant que les recherches d’A. Terray sur le sujet permettront d’obtenir toutes les précisions.
A. LES INSPECTEURS DES FINANCES AU TRÉSOR : MYTHE OU RÉALITÉ ?
48Plus largement, dans quelle mesure le directeur du Trésor peut-il choisir ses collaborateurs ? Si l’autonomie du directeur est réduite sur l’augmentation de ses effectifs, il garde cependant une certaine marge de manoeuvre dans la répartition de ses agents, et ce tableau le démontre aisément. Ceci est surtout valable pour l’Inspection des finances, dont le recrutement de l’un des membres se pratique selon certaines règles : le jeune inspecteur des Finances est nommé comme chargé de mission, en dehors de la hiérarchie des bureaux. Dès sa création, le secrétariat de la Commission des investissements est alors le berceau idéal pour la formation de ces jeunes chargés de mission. Ils peuvent y acquérir la connaissance des rouages administratifs, une formation généraliste à l’ensemble des dossiers traités par la direction et surtout s’initier aux négociations entre services, entre ministères, établir des liens avec les cabinets ministériels. La position centrale du poste permet également des relations sinon privilégiées, du moins rapprochées avec le cabinet du ministre. S’y succéderont d’ailleurs à partir de 1948 tous les inspecteurs des Finances qui entrent à la direction. A contrario, les administrateurs civils énarques, si brillants soient-ils, se trouvent écartés de ce poste. Ainsi Jacques Desazars de Montgailhard qui succède à Dominique Boyer lorsque celui-ci est nommé sous-directeur, avoue-t-il spontanément : « Il n’était pas évident que je puisse succéder à Boyer »37. Il est d’ailleurs rapidement chapeauté par l’inspecteur des Finances Jean Saint-Geours qui arrive en 1953 au Trésor.
49Le parcours de l’inspecteur des Finances à l’intérieur de la direction est balisé : il doit devenir sous-directeur dans les quatre ans qui suivent son arrivée. Si un poste ne se libère pas, il quitte la direction, comme Jacques Vincenot, qui part en 1949. Lorsqu’il est sous-directeur au Trésor, l’inspecteur des Finances n’a aucune chance d’en devenir directeur, ce poste étant alors réservé à des inspecteurs des Finances provenant de la filière Finances extérieures. Ce type de trajectoire restera valable pendant les deux décennies étudiées.
50Durant cette période, le directeur du Trésor dispose d’une marge de manoeuvre pour recruter personnellement des chargés de mission : ainsi François Bloch-Lainé favorise-t-il le départ de Jacques Vincenot pour faire entrer Jean Guyot à la direction38, et préfère-t-il Dominique Boyer à Pierre Moussa, tous deux majors du dernier concours séparé de l’inspection en 1946, et tous deux entrés au Trésor pour une mission d’études sur les banques nationalisées. Le directeur du Trésor explique comment il recrute de jeunes chargés de mission grâce à son réseau de relations :
« On avait de la peine à ce moment-là à recruter des chargés de mission, alors que maintenant, c’est l’emploi le plus désiré, parce qu’en tournée, on avait des indemnités ; et à l’époque, les indemnités, cela permettait de mieux vivre que comme chargé de mission à la centrale. Ce qui fait qu’on n’était pas assailli. Cela a très vite changé : Pierre de Calan [...] qui les cornaquait en tournée m’a amené en effet Moussa, Boyer [...]. Nous avions sauvé Calan de la prison et de l’éviction, il tournait, il avait ses jeunes inspecteurs auprès desquels il brillait à juste titre et il les cornaquait, il essayait de les placer chez son ami. »39.
51Le témoignage de ses prédécesseurs fait défaut pour savoir s’il s’agit ou non d’un phénomène récent ou classique au Trésor. On peut cependant supposer que F. Bloch-Lainé qui bénéficie d’une grande autorité au sein des Finances après la guerre, a pu recruter plus facilement ses chargés de mission que L. Tron ou J. Brunet ; et que d’autre part, dans la ligne de ses multiples réformes de la direction, il a certainement cherché à mettre en place une politique de recrutement particulière. Sa marge de manoeuvre est cependant étroite : rappelons que la direction ne compte simultanément que trois inspecteurs des Finances, un sous-directeur, un chargé de mission et Claude Gruson, chef du SEEF
52Effectivement, les administrateurs civils tiennent trois des quatre sous-directions créées par Bloch-Lainé et conservent notamment la plus importante, celle de la trésorerie. Si le monopole des administrateurs civils aux postes de sous-directeurs est de droit depuis le décret de 194540, les administrateurs civils du Trésor n’ont visiblement pas pu empêcher la nomination d’un inspecteur des Finances, contrairement à d’autres directions du ministère41. Ce qui explique que Jean Guyot voit sa nomination en tant que sous-directeur du Mouvement général des fonds contestée en 1949, et que Dominique Boyer évoque également des frictions sur l’ensemble de la période :
« Il y a eu des pourvois, des instances contre ma nomination, d’ailleurs pas seulement contre la mienne, contre la nomination de tous les inspecteurs des Finances nommés sous-directeurs à l’époque. La plupart de ces pourvois ont abouti à casser les décisions. Casser, ils ont ensuite été rétablis, mais il y avait au niveau d’associations corporatives, des administrateurs civils issus de l’ENA ou non, le désir de modifier les errements anciens et de faire en sorte que chacun suive ses filières et ne vienne pas empiéter sur les carrières des autres »42.
53Petite victoire qui entérine la situation de fait au Trésor, le décret du 18 mars 1954, confirmé par celui du 19 septembre 1955, accorde à l’Inspection des finances un quart des postes de sous-directeur aux Finances43. Au-delà de ces questions de carrière, les rôles respectifs des inspecteurs des Finances et des administrateurs civils au sein de la direction apparaissent complémentaires autant que concurrents, tels que les décrit aujourd’hui Jean Autissier, un rédacteur de l’ancien concours, devenu sous-directeur en 1948 :
« Nous avions une compétition considérable avec l’Inspection des finances. Les inspecteurs des Finances, qui font partie d’un corps où on se serre les coudes, au demeurant assez limité, venaient souvent à la direction comme chargés de mission : ils étudiaient un problème particulier [...]
Du point de vue technique, non, ils n’apprenaient pas le travail administratif pur et simple. Dans mon bureau, il y avait des quantités de lettres de routine, de gestion de crédit, des choses qu’on refaisait tous les mois, tous les trois mois ou tous les ans, toujours de la même façon. Ils ne se sont jamais intéressés à cela. D’ailleurs les lettres étaient signées par un chef de bureau, jamais par le sous-directeur. Par contre, il y avait des [mesures] particulières qui étaient difficiles à prendre sur le temps des bureaux [...] on en confiait la tâche à un inspecteur des Finances. Par exemple, des réformes comptables, les réformes considérables de la Comptabilité publique auxquelles je n’ai pas participé, un inspecteur des Finances déterminé a fait ce travail »44.
54Inspecteurs des Finances réformateurs contre administrateurs civils gestionnaires ? L’étude du corps des administrateurs civils tend à nuancer ces propos.
B. LES ADMINISTRATEURS CIVILS, UN CORPS D’ÉLITE HÉTÉROGÈNE
55La combativité du corps des administrateurs civils face aux inspecteurs des Finances ne doit pas cacher la diversité de ses composantes. Le front corporatiste anti-inspection est sans doute l’un des seuls socles communs qui permet d’unir ces hommes de recrutements et de générations différents, phénomène particulièrement aigu au début des années cinquante.
56Durant cette période, deux types de recrutement coexistent encore au sein du corps interministériel des administrateurs civils, fusionné en 1946 : les rédacteurs issus de l’ancien concours et les énarques frais émoulus de la nouvelle École. Mais l’arrivée de ceux-ci est, comme on l’a vu, à la fois tardive et maigre. La prédominance des rédacteurs issus de l’ancien concours, plus âgés que leurs collègues, reste forte au moins jusqu’à la fin des années cinquante. Ceux qui sont nés avant 1914 sont au nombre de 8 en 1952, ce qui porte la moyenne d’âge des administrateurs civils de la direction à 37,5 ans – alors que celle des inspecteurs des Finances est de 31 ans. Surtout, la direction ne compte que six énarques sur trente administrateurs civils, soit un cinquième ! Comparé à l’ensemble des cadres A de la direction, le pourcentage tombe à moins de 12 %... François Bloch- Lainé, en dépit de ses demandes, ne peut guère s’appuyer sur ces nouveaux cadres pour mettre en oeuvre ses réformes. D’autant que les six énarques en question n’arrivent que rarement et tardivement à des postes de responsabilité : Pierre de Vogué est le seul d’entre eux qui soit nommé chef de bureau en 1953 ; Jacques Desazars de Montgailhard puis Bruno Bonnet de Paillerets ne restent qu’un ou deux ans au secrétariat de la Commission des investissements avant de quitter la direction. Les autres énarques en poste avant 1952 quitteront la direction sans avoir pu acquérir de responsabilités administratives.
57Les rédacteurs issus de l’ancien concours sont donc majoritaires. Mais au sein de ce corps, deux générations différentes coexistent : ceux qui sont entrés dans les années trente et ceux qui sont arrivés pendant la guerre et l’Occupation, entre 1940 et 1945. Les premiers, moins nombreux, ont accès à des postes de responsabilité après la guerre. La caractéristique principale des rédacteurs du ministère des Finances semble être leur connaissance étendue de l’administration, des procédures, des dossiers, soit leur compétence technique. Ils puisent leur compétence et leur pouvoir dans la longévité de leur carrière à des postes similaires au sein de l’administration centrale des Finances. J. Desazars de Montgailhard explique clairement le rôle qu’ils pouvaient jouer par rapport aux énarques et aux inspecteurs des Finances :
« Il y avait des tas de gens très compétents, qui connaissaient admirablement toutes les ficelles de l’administration, tous les détours, et vivant dans le ministère depuis plus ou moins longtemps, et connaissant également les ressources des autres services, des autres administrations etc. ; faisant plus facilement que nous peut-être, dans un premier temps, la liaison avec la Comptabilité publique ou les Impôts. C’était vraiment des gens de la maison, des gens très précieux. [...] C’était des gens qui avaient un bagage formidable, une expérience formidable de la vie administrative, du ministère des Finances et de l’administration en général. »45
58La mobilité entre des ministères différents, loin d’être une obligation ou un atout, est plutôt considérée à l’époque comme une exception, voire comme un défaut ; Jean Denizet rédacteur à l’administration centrale des Finances en 1938, qui a été successivement en détachement à l’Économie nationale de 1939 à 1944 puis auprès du ministère du Travail et de la Sécurité sociale entre 1944 et 1947, se voit implicitement rappelé à l’ordre par son sous-directeur dans sa notation de 1947 : « Ses qualités lui promettent une très belle carrière s’il ne se laisse pas à nouveau tenter par des emplois extérieurs à l’administration des Finances »46. En revanche, la mobilité entre directions des Finances est assez fréquente dans l’immédiat après-guerre. Si l’on peut établir une typologie, on remarquera que les rédacteurs en poste au Trésor après la guerre entrent soit directement au mouvement général des fonds ou au Trésor, soit sont affectés auparavant dans trois directions de l’administration centrale : la CP., la Dette inscrite, et l’Économie générale. Lorsqu’ils entrent au MGF ou au Trésor, ils n’en sortent que pour pantoufler et non rejoindre une autre direction, comme cela peut être le cas dans d’autres directions : serait-ce le signe que la direction satisfait leurs espoirs de fonctions ou de carrière ? Ainsi certains rédacteurs demandent lors de leur entrée au ministère des Finances leur affectation au MGF. S’il est difficile de savoir si le rang de sortie du concours est un élément déterminant dans l’affectation à une direction, en revanche, il est remarquable que certains rédacteurs bénéficient dans les années trente d’interventions politiques avant le concours de rédacteur. La faible proportion des cas relevés au sein du corpus empêche de conclure à une influence déterminante de ces recommandations, mais elle donne des indications sur le fait que ces interventions, consignées dans les dossiers de carrière, étaient sinon prises en compte, du moins tolérées dans leur principe. Le statut de 1946 et la création de l’ENA effectueront de ce point de vue un changement majeur dans les comportements : les éventuelles interventions politiques n’interviendront qu’après le concours de l’ENA.
59D’après les archives et les témoignages oraux, le directeur ne dispose donc à l’époque que d’une faible influence sur le choix de ses rédacteurs, puis de ses administrateurs civils. Exception faite de J. Desazars de Montgailhard, qui rencontre E Bloch-Lainé chez des amis et a, semble-t-il, été recruté directement par le directeur du Trésor47. Mais l’on touche ici à des domaines difficilement décelables, même au travers des archives orales. Le directeur ne bénéficie-t-il pas d’un réseau de relations et d’amitiés ? Ses liens personnels avec le directeur du Personnel et du Matériel lui ont-ils permis de bénéficier de sa bienveillance ? A-t-il cherché à recruter des résistants, comme J. Desazars et comme pourraient l’accréditer les quatre recrues de la promotion « France combattante » ? Les témoignages oraux et les archives écrites restent lacunaires sur le sujet. À tout le moins le directeur peut-il échanger un rédacteur avec celui d’une autre direction, lorsqu’une compétence lui semble particulièrement nécessaire, et placer, au sein de sa direction, ceux qui lui semblent les plus méritants aux postes de son choix, tout en respectant la sacro-sainte règle de l’ancienneté et du rapport de trois sous-directeurs sur quatre issus du corps des administrateurs civils.
60La configuration de la direction en 1952 se dessine mieux encore si l’on tient compte de l’ambiance, de l’état d’esprit qui règne alors dans les couloirs de la rue de Rivoli. Visiblement, le passage de Bloch-Lainé a modifié des comportements : une hiérarchie moins pesante, un directeur dont le bureau est accessible directement aux administrateurs civils, mais qui contrôle la gestion de son état-major et intervient personnellement sur les dossiers importants. Les témoignages de ceux qui ont connu la direction avant l’arrivée de F. Bloch-Lainé sont à cet égard révélateurs du changement opéré. Jacques Vincenot, alors inspecteur des Finances chargé de mission au Trésor l’explique ainsi :
« Avec mes collègues – c’étaient plutôt des gens supérieurs à moi –, c’était très courtois, la direction du Trésor a toujours été une petite maison peu nombreuse, où il n’y avait pas d’oppression hiérarchique. Un sentiment hiérarchique très net quand même : bien que le directeur fût un homme de 35 ans, il avait une grande autorité [...] »48.
61Tandis que Jean Autissier, qui a connu Jacques Brunet et Ludovic Tron, renchérit :
« Je pense que Brunet était très actif auprès du ministre, mais Bloch-Lainé intervenait plus souvent, si vous voulez. Il aimait suivre les questions de beaucoup plus près, et il était toujours [au courant] de ce qui pouvait se passer »49.
62Moindre hiérarchie, plus de communication, mais peu de délégation pour autant : François Bloch-Lainé apparaît comme un directeur qui accorde sa confiance aux collaborateurs de son choix, mais qui contrôle tous les dossiers importants de la direction.
63Pour compléter ce tableau de la direction en 1952, mélange de modernité et d’archaïsme, il manque hélas le portrait des cadres moyens de la direction, dont on ne connaît guère les effectifs. Pour ce qui est des secrétaires, personnel si important pour les rédacteurs des notes, le seul écho que l’on a pour cette époque, est celui de J. Desazars de Montgailhard, qui évoque la pénurie de personnel :
« Dans les bureaux de l’époque, le seul problème était de savoir si on avait une secrétaire pas trop loin, [...], une secrétaire qui était relativement libre – parce qu’il y avait des pools de secrétaires –, si on avait une dame de bureau qui était convenable »50.
64En 1952, la direction est en pleine rénovation d’organisation, de méthodes de travail et de recrutement. Mais la mise en oeuvre est longue, dépendante des contraintes propres au fonctionnement de l’administration et au statut de la fonction publique. Certaines de ces réformes voient immédiatement le jour, telles que la réorganisation des bureaux, l’institution de réunions, etc. D’autres qui touchent au renouvellement du personnel supérieur de la direction sont encore en gestation. F. Bloch-Lainé s’appuie sur les quelques énarques et sur les jeunes chargés de mission pour mener à bien la modernisation de sa direction. Cette aile marchante de la direction tient les leviers des nouveaux secteurs investis par la direction, mais elle ne tient pas encore la politique monétaire, suivie de près, il est vrai, par le directeur. Les rédacteurs ont-ils accompagné sa démarche, dans les domaines les plus traditionnels de la direction que sont la trésorerie, la tutelle financière, les relations de trésorerie ? L’étude des mentalités du Trésor à cette époque devrait permettre d’y répondre.
65Quel est l’état d’esprit de la direction, au moment du départ de F. Bloch- Lainé ? Cette analyse, si délicate soit-elle, permettra de s’interroger sur les critères d’influence prépondérants dans l’élaboration de l’identité de la direction.
IV. UNE CULTURE DE DIRECTION EN MUTATION : NAISSANCE D’UNE GÉNÉRATION BLOCH-LAINÉ
66S’il est le prolongement logique d’une étude sur les structures et le recrutement d’une institution, ce champ d’étude des représentations n’en est pas moins délicat à étudier pour plusieurs raisons. L’histoire des représentations, des mentalités est un domaine difficilement mesurable, quantifiable et dont les contours restent flous : comment l’aborder dans l’étude d’une direction de ministère ? Quelles méthodes utiliser pour tenter de cerner cette culture de direction ? Hormis les cadres généraux issus de l’histoire sociale, de la sociologie ou de l’histoire administrative51, les recherches sur l’administration des Finances n’abondent pas. Hormis des travaux sur le corps de l’Inspection des finances52, il n’y a guère eu jusqu’à présent de recherches abouties sur ceux qui constituent l’état-major du ministère des Finances, les rédacteurs. Du point de vue méthodologique, il apparaît délicat de vouloir faire émerger la spécificité de la culture du Trésor par rapport aux autres directions et ses éventuelles mutations, alors que jusqu’à présent, une seule thèse a été consacrée à un sujet similaire53.
67Il a fallu choisir des critères, sélectionner des outils, pour tenter de circonscrire une culture de direction. Bien évidemment, la culture d’une institution séculaire s’étend sur la longue durée, mais elle a pu être modifiée par des événements, des temps forts qui ont fourni une nouvelle couche sédimentaire à cette culture de longue durée. Pour en définir les contours, les méthodes fréquemment utilisées en histoire sociale se sont révélées utiles : étude démographique, origines socioprofessionnelles, formation reçue des agents qu’elle soit issue de l’enseignement initial, d’expériences vécues ou des courants de pensée de l’époque. Le postulat de départ est issu d’une réflexion faite lors de l’enquête sur les hauts fonctionnaires et la monnaie : il est alors apparu clairement que les témoins de cette génération avaient été plus marqués par leurs expériences vécues de politiques économiques, que par l’enseignement théorique qu’ils avaient reçu. Enfin, l’étude des origines socio-professionnelles pourrait donner une explication supplémentaire quant au sentiment d’appartenance à une institution. Bien évidemment, les conclusions ne peuvent être ici que provisoires et ne reflètent qu’une photographie de la direction en 1952.
68Trois outils ont été privilégiés pour cet instantané de la culture de direction. D’une part, les témoignages des acteurs de l’époque, qui ont pu être recueillis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France sur le mode biographique ; ont ainsi été abordées les questions sur l’enseignement à la faculté de Droit et à l’École libre des sciences politiques (ELSP), voire à l’ENA, la perception d’événements économiques importants des années trente et quarante. Le discours des agents est également un moyen d’analyse plus général sur leur sentiment d’appartenance à la direction. En corollaire de ces témoignages, les cours professés à Sciences Po donnent une illustration de l’enseignement commun reçu par la totalité des hauts fonctionnaires de la direction. On rappellera en effet que pour cette période, l’École libre des sciences politiques jouit d’un monopole de fait dans la préparation aux concours des ministères54. D’autre part, l’accès à la quasi-totalité des dossiers de carrière des rédacteurs a permis d’établir une photographie des origines socio-professionnelles ainsi qu’une recension des qualités exigées de la part des agents supérieurs. En guise de complément, une lecture des notes rédigées par le Trésor permet de donner implicitement quelques indications sur la ligne de conduite habituelle des hauts fonctionnaires du Trésor comme leur position sur différents dossiers.
69Parmi les cadres supérieurs de la direction qui sont en poste en 1952, rappelons que deux générations cohabitent : ceux qui ont passé les concours dans les années vingt ou trente, et ceux qui sont entrés au Trésor sous l’Occupation. Il est apparu pertinent d’établir cette distinction, non pas tant en raison d’une évolution de l’enseignement reçu, mais plutôt de l’évolution des missions confiées au ministère des Finances pendant la guerre et donc du poids de ces premières expériences professionnelles vécues pour la formation des rédacteurs : travailler sur des réglementations accrues dans le cadre d’une économie dirigée et d’un État interventionniste est à notre sens décisif pour la formation des mentalités des hauts fonctionnaires qui seront en poste après la guerre. Or, parmi les rédacteurs qui sont en poste au Trésor entre 1946 et 1952, douze ont commencé leur vie administrative dans les années vingt ou trente. On les retrouve après la guerre aux postes de sous-directions : Raymond Villadier, André Latapie-Capderroque, Jean Autissier, Michel Bret, Marc Manifacier55. S’y ajoutent les inspecteurs des Finances de la promotion 1936 : Emmanuel Lamy, François Bloch-Lainé, Claude Gruson. À travers les différents outils décrits précédemment, il convient de s’interroger sur le poids réel de ces phénomènes de génération, de recrutement et de formation pour l’établissement d’une identité Trésor. L’on rappellera tout d’abord quel est l’héritage culturel des années d’avant-guerre et de guerre, puis l’on s’interrogera sur l’influence de l’enseignement reçu et sur celui des expériences vécues. Enfin, le rôle de François Bloch-Lainé dans l’élaboration de cette culture mérite d’être souligné.
A. L’HÉRITAGE CULTUREL
70Avant d’analyser les nouvelles influences qui ont pu marquer l’état d’esprit de la direction, il faut tenter de définir ce qu’il a pu être auparavant et quels traits culturels perdurent. Le Trésor de l’après-guerre s’appuie bien évidemment sur des représentations et des compétences anciennes.
71Qui incarne « l’esprit Finances » des années d’avant-guerre ? Les figures qui émergent des travaux historiques et des témoignages oraux sont celles de Wilfrid Baumgartner, Jacques Rueff, Germain Martin, soit des représentants du Mouvement général des fonds et de l’Inspection des finances. Tel que nous l’avons décrit dans le premier chapitre, le MGF apparaît comme la vitrine du ministère des Finances et un repère d’inspecteurs des Finances. On ne peut que rappeler ici la réputation d’excellence qui le précède avant la guerre, dont les demandes de rédacteurs stagiaires pour y entrer en sont une illustration probante56.
72Ces quelques figures emblématiques sont-elles pour autant représentatives de l’ensemble des cadres supérieurs de la direction ? En l’absence de travaux sur la période, il est difficile d’en juger. On notera seulement que les corps du ministère des Finances, Inspection des finances ou rédactorat, se caractérisent par leur compétence technique reconnue. N’est-ce pas grâce à leur « prétention à l’expertise » que se sont construite leur légitimité et leur autonomie ?57 Ces deux éléments – recrutement d’excellence et compétence reconnue – sont des éléments antérieurs à la guerre sur lesquels la stratégie de F. Bloch-Lainé pourra s’appuyer.
73Du point de vue de la culture économique et financière, si les années 1930 ont marqué, on l’a vu, le début d’un tournant dans les courants de pensée parmi les décideurs publics, le courant planiste et les réflexions d’X-Crise n’ont cependant visiblement guère touché les hauts fonctionnaires des Finances58. Parallèlement, selon P. Lalumière59, la borne chronologique qui amorce le virage de l’Inspection des finances vers la « modernisation » est celle des promotions postérieures à 1936. On retrouve d’ailleurs dans la promotion 1936 les figures du Trésor qui arrivent à des postes clés après la guerre, celle de F. Bloch-Lainé, d’E. Lamy, de R. Julienne, et de C. Gruson.
74Du point de vue de l’état d’esprit de la direction du Mouvement général des fonds, de sa culture administrative, les dossiers de carrière des rédacteurs fournissent des renseignements de grande valeur ; autant les notations qui évoluent dans la fourchette étroite de 18 à 20 sur 20, ne donnent guère d’indications, autant les commentaires souvent assez élogieux, mais parfois teintés de reproches, qui les accompagnent, permettent de cerner quelles sont les qualités requises pour l’avancement en grade. Pour autant que le langage administratif soit décodé, ces éléments nous paraissent constitutifs de la culture « Finances » voire de celle d’une direction60. Bien que délicate, l’analyse sémantique des commentaires qui accompagnent les notes des rédacteurs permet de déceler à la fois les qualités requises par plusieurs directions, et celles privilégiées par le MGF et l’évolution des profils demandés.
75Sur l’ensemble de la période, un qualificatif revient comme un leitmotiv qui révèle beaucoup sur les missions du MGF et du Trésor comme sur les qualités requises pour les remplir, celui de délicat. Qu’il s’agisse de missions « délicates » du point de vue technique ou politique, le terme est en effet celui qui revient le plus souvent dans les commentaires des chefs de bureau, sous-directeurs et directeurs successifs de la direction. Par exemple, les comptes spéciaux du Trésor, la gestion de la trésorerie, les affaires d’outre-mer, les questions liées au chômage sont considérées comme des questions « délicates » et « complexes ». Elles nécessitent ainsi des qualités particulières telles que du « tact », du « discernement » qui permettent un « jugement sûr » de la part d’agents fiables et compétents, qualités qui sont elles-mêmes relevées dans les commentaires de notations. Le phénomène mérite d’autant plus d’être souligné qu’il concerne uniquement le Mouvement général des fonds et qu’il court sur toute la période : n’est-ce pas un élément permanent de l’identité Trésor que cette capacité à gérer des dossiers techniquement difficiles ou politiquement sensibles ? N’explique-t-il pas également la nécessité d’un recrutement d’excellence pour les agents du Trésor ?
76À ces qualités de jugement, de tact nécessaires pour mener à bien des problèmes complexes, s’ajoutent des qualités plus traditionnelles, mais qui ont leur importance dans la construction d’une identité collective. Sont ainsi relevés dans les commentaires « l’éducation parfaite », le « dévouement » des agents ; sont parfois soulignées « l’efficacité » et les prises d’initiative de tel ou tel agent.
77On notera que ces traits de caractère sont également appréciés dans d’autres directions du ministère, comme la Comptabilité publique ou la Dette publique. D’autres qualités fréquemment énoncées dans les notations se retrouvent également dans celles des autres directions ; on vante ici et là les connaissances administratives étendues qui font d’ailleurs l’objet d’une note, l’instruction à la fois générale et technique de l’agent, et bien sûr, l’aisance de rédaction. Il est clair qu’au sein des Finances, la manière de rédiger est au moins aussi importante que les compétences. Acquérir le style administratif tout en nuances et en litotes, rigoureux, précis mais riche dans son vocabulaire, c’est maîtriser à la fois les connaissances techniques, la capacité à les présenter clairement et de manière la plus neutre possible, tout en sachant évaluer la portée générale d’un dossier... D’où l’art de la note auquel doit former le chef de bureau. C’est d’ailleurs l’une des qualités requises pour accéder et réussir dans la fonction : l’aptitude à diriger et à former des rédacteurs est relevée comme un élément très positif parmi les qualités d’un bon chef de bureau. Certains se voient d’ailleurs reprocher soit de manquer d’autorité auprès de leurs sections, soit de privilégier certains aspects de leurs travaux et non de gérer l’ensemble.
78Au-delà de ces critères de sélection opérés soit pas le MGF puis le Trésor, soit par l’ensemble des Finances, apparaissent quelques nuances au fil du temps. Ainsi, l’aspect « laborieux » des agents est-il ça et là relevé comme un compliment avant la guerre. Parallèlement, l’assiduité et la ponctualité sont considérées comme des qualités administratives. Deux rédacteurs du MGF se voient clairement reprocher leur absentéisme et leur manque de zèle, qui en dépit de leur intelligence, les empêchent de progresser dans la hiérarchie. Signe des temps ? Les remarques de ce type disparaissent après 1940, comme si la motivation des agents s’était accrue ou que l’accroissement des tâches ne leur laisse guère le loisir de flâner.
79En 1944-1945, on note avec intérêt que les commentaires sur les quelques agents en poste pendant l’Occupation tiennent à souligner leurs « hautes qualités morales », la hiérarchie souhaitant peut-être ainsi couvrir des agents de la direction, dans une période où l’attitude de l’administration sous l’Occupation est examinée par les commissions d’épuration (voir chapitre I). Plus logiquement, puisqu’elles vont officiellement faciliter l’avancement de carrière et être intégrées dans les années d’ancienneté, les activités de résistances sont notées précisément dans le dossier de carrière, avec certificats de FFI, lettre de félicitations de Pleven ou de Mendès France à l’appui. On se trouve face à un élément conjoncturel qui n’est pas propre à l’identité du Trésor, mais qui révèle l’importance de l’étiquette de résistant au lendemain de la guerre qui perdure au moins jusque dans les années 1950.
80Enfin, à partir de 1940 pour la première fois, deux agents sont félicités pour leur « rendement administratif » élevé : c’est l’époque de l’accroissement des tâches et du manque d’effectifs ; c’est aussi celle des études sur le coût et le rendement des services publics qui cherchent à rationaliser les services. Enfin, le chef du bureau des comptes spéciaux du Trésor en 1947 se voit salué par son sous-directeur, R. Villadier, pour son « sens de la réglementation orthodoxe » et « son esprit juridique aigu » : la première sous-direction chargée du mouvement général des fonds n’est décidément pas le fer de lance d’une mutation culturelle de la direction...
81« Collaborateur hors ligne », « agent de très grand choix », « fonctionnaire d’élite »... Grâce à des termes élogieux d’un langage suranné mais riche en signification, la hiérarchie peut marquer des préférences que l’étroite fourchette de notation ne lui permet pas. La marge de manoeuvre du directeur apparaît ici clairement. Il peut promouvoir les agents qui lui paraissent les plus brillants. Les futurs sous-directeurs du Trésor sont ceux qui ont bénéficié de commentaires louangeurs de leurs supérieurs, alors que des expressions plus laconiques apparaissent dans ceux qui ne dépasseront pas le grade de chef de bureau. Ceux qui sont plus doués pour des travaux d’études que des fonctions d’encadrement sont très clairement écartés des fonctions de chef de bureau.
82L’héritage et les permanences culturelles du Trésor apparaissent ainsi en filigrane : parmi la multiplicité des qualités requises, l’on retiendra la sûreté de jugement, la compétence technique, un certain « esprit de finesse » qui marie discernement, tact et culture administrative étendue. Ce que l’on demande à un chef de bureau est l’autorité sur son équipe, la maîtrise de son secteur, la fiabilité : là encore, le bureau s’illustre comme la cheville ouvrière du travail administratif. Enfin, dans le style comme dans le comportement, la discrétion, la réserve et l’attitude nuancée sont de mise.
83Au-delà des quelques traits qui ont été dégagés, la spécificité d’une culture Trésor reste pour le moment difficile à déceler. Il ne faut pas ignorer que les rédacteurs qui arrivent à la direction sont parfois issus d’autres directions, et qu’ils participent avant tout à un esprit Finances plus qu’à une identité Trésor.
84Les nombreux travaux sur l’influence des origines sociales dans la détermination des cultures, des représentations des hauts fonctionnaires tend traditionnellement à donner à ce critère un poids sinon déterminant du moins important61 et devrait donc logiquement trouver sa place dans un chapitre consacré à la culture d’un groupe de fonctionnaires. Comment se situe le groupe social des rédacteurs du Trésor par rapport à l’ensemble des hauts fonctionnaires, et par rapport aux inspecteurs des Finances ? Quelle influence peut-on prêter à ces critères sociologiques dans la détermination de leur culture ? À ce stade de l’analyse sur les facteurs culturels, la question se pose à l’évidence. Mais la réponse ne peut être ici que partielle et tronquée, pour des raisons méthodologiques. La première restriction à cette étude est l’étroitesse du groupe social concerné ainsi que sa représentativité limitée : seuls les renseignements complets concernant 22 rédacteurs ont pu être retrouvés, soit un peu plus des deux tiers62. La deuxième limite tient au fait que les inspecteurs des Finances en poste au Trésor entre 1945 et 1958 sont une dizaine seulement, soit un corpus bien peu représentatif par rapport à l’ensemble du corps. Sans vouloir escamoter l’étude, il est sans doute préférable de l’aborder pour une période plus longue qui permettra de couvrir l’ensemble de la population des hauts fonctionnaires du Trésor, rédacteurs, énarques, inspecteurs des Finances : la comparaison entre les différents corps rendra l’étude plus intéressante, notamment sur l’évolution de la démographie de la population avec le passage par l’École nationale d’administration. L’on se bornera ici à donner quelques renseignements utilisables comme tels : le tableau des origines socio-professionnelles des rédacteurs, la répartition entre Paris et la province, le poids de la tradition familiale de service public.
85Le choix des différentes catégories socio-professionnelles fait référence à l’analyse de C. Charle. La bourgeoisie économique de niveau 1 est de niveau supérieur : industriel, banquier, administrateur de sociétés... La bourgeoisie économique de niveau 2 représente un niveau moyen : cadres, ingénieurs, négociants, commerçants. Sur la répartition des origines socio-professionnellles, on remarque l’absence de hauts fonctionnaires mais aussi celle d’agriculteurs et d’ouvriers. Les professions juridiques et intellectuelles sont peu représentées. On note surtout la reproduction sociale avec ascension au sein du milieu administratif (dix sur vingt-deux).
86Sur les 34 rédacteurs ayant travaillé au Trésor entre 1935 et 1965, 18 sont parisiens, 16 provinciaux, ce dernier chiffre comprenant ceux qui finissent leurs études secondaires à Paris. Le pourcentage 53 % – 47 % dépasse largement celui avancé par J.-F. Kesler pour l’ENA63, ou par E. Chadeau pour l’Inspection des finances64. On note également que la moitié des 22 rédacteurs dont on connaît les origines socio-professionnelles ont un père ou une mère fonctionnaire ; chiffre qui est à rapprocher de celui établi par C. Charle pour les inspecteurs des Finances en 1901 (33,2 % )65 et qui tendrait à montrer que les rédacteurs sont de ce point de vue des héritiers. Grâce aux archives orales, on peut déceler plus avant des traditions familiales de service public bien ancrées, d’autres qui révèlent des influences familiales prépondérantes au-delà de la carrière du père ou de la mère : un tel est issu d’une famille d’officier, tel autre a un oncle percepteur, etc.
B. L’ENSEIGNEMENT REÇU AVANT 1945 : QUELLES INFLUENCES ?
87Bien que la formation sur le terrain nous semble prépondérante, l’enseignement théorique reçu auparavant ne doit pas cependant être écarté. Au regard de l’ensemble de la population étudiée – rédacteurs et inspecteurs des Finances sortis avant 1939 –, le socle commun à ces futurs cadres de la direction est l’enseignement de l’École libre des sciences politiques et celui de la faculté de Droit. En effet, tous ceux qui préparent l’Inspection des finances passent par Sciences Po, comme la plupart des rédacteurs reçus à l’administration centrale des Finances. On doit ici faire une parenthèse sur le niveau des rédacteurs qui font partie du corpus : alors que le concours nécessite une simple licence, 14 sur 34 sont diplômés de Sciences Po et 32 sur 34 ont fréquenté la faculté de Droit : 13 sont titulaires d’un DES de droit public, 8 sont docteurs en droit. Les cinq inspecteurs des Finances du Trésor de la même génération ont tous fait Sciences Po et sont titulaires d’une licence, d’un DES ou d’un doctorat de droit. Les épreuves et les sujets de concours de rédacteur dans l’entre-deux-guerres demandent des compétences techniques importantes66. Voici un exemple de sujet de rédaction pour le concours de 1925 : « Les principes généraux qui président à l’établissement et à l’exécution du budget de l’État. En apprécier l’utilité et l’importance » et celui de 1943 : « L’intervention de l’État dans la réparation des dommages de guerre causés aux biens. L’évolution des principes admis en matière d’indemnités et d’assurances ». Certes, les rédactions exigent sans doute une culture générale moins étendue, un style moins châtié que celui du premier jour de l’adjonction, mais elles requièrent une aisance d’expression et des connaissances relativement étendues. Le niveau d’études moyen des reçus au concours n’est pas très éloigné de celui des inspecteurs de Finances. Quelques-uns des rédacteurs du MGF tentent d’ailleurs le concours de l’inspection comme Michel Bret ou Jean Dellas67.
88Le niveau des rédacteurs qui entrent au Trésor est-il supérieur à celui des autres directions ? Il n’est pas possible de le démontrer, car d’une part, on ne dispose pas du nombre de candidats pour chaque concours, très variable d’une année sur l’autre. Ainsi, un candidat placé 26e peut-être refusé en 1925 et admis en 1942 : la place à un concours n’est donc pas en soi significative. Enfin, rappelons que la plupart des rédacteurs qui poursuivront une carrière au MGF ou au Trésor n’y entrent pas immédiatement à l’issue du concours : ce phénomène relativise l’idée d’un apprentissage initial propre à la direction dans la formation de la culture de direction : il y a avant tout un « esprit Finances » commun à tous les reçus aux Finances. La culture de direction se forge par la suite, lorsque la carrière du rédacteur est orientée définitivement dans une direction.
89Mais ce constat redonne a contrario de l’intérêt à l’analyse de l’enseignement commun reçu par l’ensemble des rédacteurs des Finances et des inspecteurs des promotions d’avant-guerre. Quelles ont été les influences prépondérantes ? Dans quels cénacles les futurs hauts fonctionnaires ont-ils puisé leur formation économique et financière ? Cette étude s’appuie sur les témoignages oraux qui ont pu être recueillis, sur les travaux de Lucette Le Van-Lemesle68 ainsi que sur l’étude des cours dispensés à l’ELSP. Malheureusement, ces derniers ne sont recensés et disponibles qu’à partir de 1940.
90Lorsque l’on écoute les témoignages des inspecteurs des Finances69, les avis sont assez unanimes pour critiquer l’enseignement des Sciences Po d’avant-guerre, jugé communément archaïque et libéral, pour autant qu’il ait été suivi. N’en sont-ils pas moins inconsciemment imprégnés ? La portée de leur jugement a posteriori doit être relativisée et nuancée. L’évolution considérable des théories économiques et monétaires depuis soixante ans, notamment la révolution keynésienne, incite naturellement les témoins à dénoncer les faiblesses et l’archaïsme d’un enseignement balayé par les faits au moment même de leur entrée dans la vie active, ainsi qu’à légitimer a posteriori la volonté de rupture d’avec l’avant-guerre qui anime tous les décideurs de l’après-guerre. Les noms cités par l’ensemble des témoins illustrent l’ambiguïté et les contradictions d’un discours dominant qui rejette le libéralisme de l’enseignement reçu, mais les témoins mentionnent volontiers les noms de Rist et de Colson aux côtés de ceux d’Aftalion et de Perroux, soit des générations d’économistes qui divergent sur la déflation, sur la dévaluation comme sur l’économie dirigée70. Tandis qu’à la faculté de droit, François Perroux émerge nettement des noms de professeurs évoqués par les hauts fonctionnaires des Finances, les cours de Baumgartner et de Laufenburger à Sciences Po sont les plus fréquemment cités. Par ailleurs, les témoins gardent un souvenir plus précis des cours et des professeurs de l’École libre des sciences politiques que de ceux de la faculté de droit, dont ils étudiaient les cours sur polycopiés. Parmi les cours enseignés aux Sciences Po, ils ont apparemment mieux suivi et intégré les cours de hauts fonctionnaires que ceux des professeurs d’université, gardant plus facilement souvenir des enseignements pratiques de leurs futurs collègues liés aux questions d’actualité que des débats théoriques des professeurs d’universités. Ces derniers d’ailleurs savent à qui ils ont affaire et orientent sciemment leurs cours aux Sciences Po de manière à « contribuer à la formation et à la culture d’hommes qui ont la chance d’être mêlés à la pratique des grandes affaires, publiques ou privées, et qui ont avant tout besoin d’être initiés aux mécanismes économiques »71. F. Bloch-Lainé est très affirmatif sur ce rejet de l’enseignement universitaire théorique en 1936 : « La moindre allusion à une théorie économique dans les copies [du concours de l’inspection] nous faisait recaler »72.
91W. Baumgartner, la figure emblématique des inspecteurs des Finances de la génération précédente, formés à l’école libérale et peu sensibilisés aux doctrines naissantes, affiche dans son cours son scepticisme quant à l’existence d’une « science des finances » et de solutions émanant d’une « discipline rigide et dogmatique »73. Son cours de finances publiques qui reflète parfois une orthodoxie libérale, parfois une avancée plus moderne dans sa conception des finances publiques, n’évolue guère entre la version de 1942-1943 et celle de 1947-1948 : la période de la guerre n’est même pas évoquée. Voici en quels termes il définit les finances publiques en introduction à son cours de 1942-1943, mélange d’archaïsme et de modernité :
92« Les finances publiques sont sans doute, pour une part non négligeable, le fruit de l’action du ministre et du ministère des Finances, mais cette action demeure nécessairement limitée. Un ministre des Finances ne peut, en général, à lui seul traiter que par le petit côté le problème de l’équilibre budgétaire. [...] Responsables de l’équilibre, ils n’ont pas en réalité tous les moyens de l’équilibre. »
93Mais il conclut : « Plus les représentants du ministère des Finances feront preuve de largeur dans leurs vues, plus grande sera leur influence et mieux ils réussiront à établir l’harmonie nécessaire entre la politique générale et la politique financière. »74. À quelles ambitions pour le ministère les futurs hauts fonctionnaires n’ont-ils pas été invités !
94L’éveil à l’économie apparaît quelque peu inexistant dans le souvenir des hauts fonctionnaires et plus d’un souligne la faiblesse des débats doctrinaux, tel F. Bloch-Lainé :
« Il faut dire que c’est une époque où personne ne savait l’économie politique, en dehors de nos professeurs, bien entendu.
Q. : On ne parlait que du libéralisme ?
R. : Non, on ne parlait que de la loi de l’offre et de la demande, de la mauvaise monnaie qui chasse la bonne, d’un certain nombre de points de repère robustes qui faisaient que les agrégés de droit, seuls d’ailleurs, enseignaient des choses qui se sont avérées plus tard assez peu utilisables dans la vie courante. L’économie politique que j’ai aimée, c’est un peu celle que nous avons faite, avec Gruson et les autres [...]. En 1944, nous nous sommes rué dans une direction qui ne nous avait pas été ouverte par nos professeurs d’économie politique »75.
95La réalité apparaît à l’étude quelque peu différente et le cours de Gaétan Pirou en offre un aperçu. Durant l’année 1940-1941, l’économiste enseigne à Sciences Po sa conception de l’économie dirigée apparue selon lui dans les économies du xxe siècle. Il distingue trois branches du courant antilibéral : l’interventionnisme, le dirigisme et le socialisme, plus ou moins favorables à la propriété privée et considère l’économie dirigée comme une évolution inéluctable au cours de laquelle le « national et le social » prennent le pas sur l’économie »76.
96En écho, E. Lamy se souvient aujourd’hui d’un enseignement marqué par cette nouvelle appréhension de la politique économique :
« À l’époque, on parlait beaucoup d’économie dirigée. On rejetait l’étatisation mais on s’apercevait bien que le système libéral avait pas mal de conséquences regrettables, des dysfonctionnements. C’était un peu « la tarte à la crème »77.
97Ce témoin est cependant l’un des rares à évoquer ce courant de réflexion, que la Grande Dépression a pourtant alimenté depuis plusieurs années78. Si ce thème de l’économie dirigée commence à émerger dans les enseignements universitaires après la crise de 1929, la pensée de Keynes reste encore étrangère aux étudiants de droit et de Sciences Po. Gaétan Pirou lui-même, dans sa fresque bi-séculaire sur les théories économiques, n’évoque pas une seule fois l’économiste de Cambridge. Rappelons que le rayonnement de Keynes en France reste tardif et circonscrit avant la guerre : seuls deux grands articles sur ses théories paraissent en 1937 et la traduction française de la Théorie générale de l’emploi et de la monnaie par Jean de Largentaye ne voit le jour qu’en 1942. L. Le Van Lemesle rappelle à juste titre que pour toute la génération précédente, Keynes reste le polémiste anti-français, connu surtout pour son ouvrage Les conséquences économiques de la paix paru en 192079.
98Ainsi n’apparaît-il guère dans les enseignements de l’Institut d’études politiques avant 1946, dans le cours de François Perroux sur l’histoire des doctrines économiques contemporaines entre 1945 et 1947, consacré entièrement à la révolution keynésienne, et au demeurant assez abscons. S’y ajoutent les cours dispensés par F. Bloch-Lainé, par C. Gruson ainsi que les autres cours ayant une résonance théorique et des influences keynésiennes dans les années 1948-1952 : ceux de J. Marchai, Piatier et J. Meynaud80. Quel contraste avec les cours de W. Baumgartner sur la politique financière, qui n’ont pas évolué depuis cinq ans ! Mais qui, d’après les archives orales, ont été suivis par les témoins.
99Paradoxalement, celui qui part en guerre contre Keynes n’est pas pour autant porté au cénacle par les étudiants. J. Rueff, inspecteur des Finances, ancien directeur du Mouvement général des fonds, qui mène le courant de contestation anti-keynésien dès les années 1938-1939 et professe aux Sciences Po durant la guerre, n’est jamais cité par les témoins du Trésor. L’image du Rueff enseignant est-elle brouillée avec celui des années soixante, ou définitivement attachée à une période antédiluvienne, les années trente ? À moins que ce qu’il prône et a toujours prôné – le libéralisme – ait été définitivement écarté de la pensée dominante, et donc de celle du Trésor. Dans son cours, un hymne au libéralisme économique, il part en guerre contre « la monnaie dirigée » et l’une des formes qu’elle vient de revêtir, la création du fonds de stabilisation des changes, « forme de socialisme monétaire qui substitue à l’action régulatrice du mécanisme des prix l’action raisonnée des organes directeurs »81. Or, les membres des organes directeurs du fonds sont ses camarades de l’Inspection des finances en poste à Finex ou à la Banque de France... Lui non plus n’évoque même pas le nom de Keynes, dont il a pourtant commencé à critiquer la théorie les années précédentes.
100À plusieurs titres, les hauts fonctionnaires Trésor donnent ici un exemple d’une amnésie intellectuelle collective révélée par le discours a posteriori des témoins, qui apparaît comme un miroir déformant, mais néanmoins significatif82. Marqués par leur volonté de rompre avec un avant-guerre jugé passéiste et libéral, ils en tracent un portrait parfois caricatural. Visiblement, les cours enseignés à partir de la fin des années trente et pendant la guerre avaient déjà jeté les premières pierres de l’édifice interventionniste construit après la guerre.
101Le fait que l’enseignement soit critiqué ou occulté par ceux qui l’ont reçu, conduit à revaloriser le rôle de la pratique et des expériences vécues dans la formation économique. Ces dernières sont véhiculées par le souvenir d’événements marquants, par la lecture du Temps, mais surtout par les conférences de méthodes de Sciences Po, axées sur les questions d’actualité, au cours desquelles « on s’occupait des faits contemporains, on avait des discussions sur les différentes théories pour lutter contre la crise, le chômage », se souvient E. Lamy83.
C. LES EXPÉRIENCES VÉCUES : UN INTERVENTIONNISME LÉGITIMÉ
102L’article cité plus haut incitait à conclure à l’importance primordiale des expériences vécues dans la formation des hauts fonctionnaires de cette période pour deux raisons : d’une part les bouleversements dus à la guerre ont rendu caducs les enseignements d’avant-guerre, jugés inefficaces et archaïques comme les politiques libérales d’avant-guerre l’ont prouvé. S’y ajoute une autre raison qui tiendrait au tempérament des fonctionnaires, plus enclins à analyser les faits qu’à théoriser, plus tournés vers l’action que vers la réflexion. Cependant, quelques exceptions notables incitent à nuancer ce postulat sur le pragmatisme de hauts fonctionnaires. François Bloch-Lainé et Claude Gruson dans les cours qu’ils professent à Sciences Po font preuve d’une capacité à théoriser sur la comptabilité nationale qui vient à l’encontre de l’idée reçue. On remarquera que, aux côtés d’économistes et de juristes, les deux praticiens novateurs en matière d’enseignement font partie de la sphère Trésor, qui illustre ainsi sa modernité pour l’époque. Ne s’agit-il pas là du démarrage d’une modernisation de l’enseignement, grâce aux premiers pas de l’intégration de la théorie économique dans la formation des futurs hauts fonctionnaires ? En réalité, on assiste seulement à ses prémices : les étudiants qui ont bénéficié des progrès théoriques de cet enseignement n’accèdent à des fonctions administratives qu’au milieu des années cinquante. Ceux qui nous intéressent ici sont plus marqués par les erreurs des politiques d’avant-guerre et les expériences nouvelles qui naissent à l’étranger que par un enseignement économique qui n’a pas encore été rénové.
1. Le refus des politiques d’avant-guerre et la hantise de la déflation.
103Les témoins interrogés lors de cette enquête critiquent les expériences d’avant-guerre qu’ils s’agissent de la déflation ou des non-dévaluations84. Certes la reconstruction du discours est, là encore, flagrante. Mais Claude Gruson lui-même, si critique sur l’enseignement libéral qu’il dit avoir reçu dans les années trente, avoue :
« La déflation Laval [...], j’en voyais la cohérence ; l’absurdité technique de la déflation ne m’apparaissait pas à l’époque [...]. On ne remettait pas en cause l’étalon-or »85.
104Peu importe en réalité de savoir ce qu’ils pensaient vraiment à l’époque, plus intéressant en revanche est de connaître leur état d’esprit après la guerre, état d’esprit qui vraisemblablement n’a pas évolué jusqu’à la date des entretiens. L’unanimité critique contre l’échec patent de la déflation des années trente fait office de socle commun sur lequel s’est sédimentée la culture économique de toute cette génération : il est de bon ton après guerre de critiquer ce qui est alors considéré comme « la leucémie de la France »86. F. Bloch-Lainé souligne à nouveau dans son cours de 1948-1949 que la déflation est « une forme de déséquilibre qui peut réapparaître rapidement. » Les valeurs de référence de l’après 1945 se construisent sur un refus de la déflation. Et si ce changement d’orthodoxie trouve plutôt ses racines dans l’immédiat avant-guerre, il n’est légitimé et affiché par l’ensemble des décideurs publics qu’après 1945. Le changement de système de valeurs est d’autant plus important pour le Trésor qu’il concerne les aspects monétaires et financiers de la politique économique. Parallèlement, la dévaluation, sans être considérée comme une panacée pour les inspecteurs des Finances de cette génération est jugée moins néfaste que la déflation, et les positions de P. Reynaud en 1938 sont préférées à celles de P. Laval en 1935. « Ce qu’on reproche aux dévaluations de l’époque, c’est qu’elles n’aient pas été accompagnées de rigueur. Une dévaluation pas suffisamment orientée vers l’avenir nous paraissait critiquable » explique E. Lamy87. En tirant les leçons du passé et de ses échecs, l’apprentissage des futurs décideurs est décidément très lié aux expériences vécues.
2. La condamnation du libéralisme.
105Au-delà de la condamnation des politiques économiques françaises menées pour combattre la grande crise, c’est en réalité le libéralisme tel qu’il était alors pratiqué qui est rejeté. Le concept de libéralisme mériterait en soi une étude approfondie, tant le terme a pu être galvaudé et recouvrir des doctrines différentes au fil du temps. Pour simplifier, nous considérerons que le libéralisme d’avant-guerre est synonyme d’équilibre budgétaire, d’orthodoxie financière, de protectionnisme et de réticence à l’intervention de l’État. Depuis la Première Guerre mondiale, celle-ci a en effet été admise par nécessité plus que par conviction, de manière temporaire plus que structurelle, on l’a vu. Comparativement, l’après 1945 qui marque un saut qualitatif et quantitatif important de l’intervention de l’État, rend le libéralisme d’avant-guerre démodé parce que jugé inefficace économiquement, et socialement injuste.
106En réalité, la pensée économique de ces hauts fonctionnaires ne se pose guère en terme d’opposition entre libéralisme et dirigisme. Ces cadres de pensée théoriques qui ont évolué considérablement tout au long du xxe siècle ne conviennent guère pour analyser leurs conceptions. D’une part, ils raisonnent en praticiens, voire en pragmatiques et les termes de libéralisme ou de dirigisme sont absents de leurs discours. Pour eux prime avant tout la compétence technique du ministre. Ainsi, la politique de Paul Reynaud en 1938 rencontre-t-elle l’assentiment de beaucoup de hauts fonctionnaires en poste à l’époque, notamment au Trésor : homme de droite pratiquant une politique libérale ? Qu’importe pour ces techniciens, même de gauche, qui saluent sa compétence autant qu’ils critiquent les maladresses économiques du gouvernement Blum88... Ce sont les mêmes qui s’intéressent à l’expérience du New Deal menée par Roosevelt, tout du moins les inspecteurs des Finances, qui montrent ici un esprit sensiblement plus ouvert à l’étranger que les rédacteurs89.
107Les hauts fonctionnaires se définissent ainsi plus facilement par rapport à des expériences teintées ou non de keynésianisme qu’à des concepts, sans que le lien avec Keynes soit explicitement établi avant 1946. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que les futurs hauts fonctionnaires retiennent plus ou moins sciemment quelques principes de la théorie keynésienne. Entre temps, la guerre, l’Occupation, la pénurie font connaître à cette génération une nouvelle expérience, celle de l’économie véritablement dirigée, et de sa planification.
3. L’héritage culturel de la guerre, prédominant.
108Ceux qui ont fait leurs premières armes au ministère des Finances ou à l’Économie nationale pendant l’Occupation sont au nombre de 24, soit deux fois plus que ceux qui sont entrés dans les années vingt ou trente : signe d’un recrutement important aux Finances, dont les missions ne cessent alors de se développer. Mais c’est surtout une des raisons pour lesquelles cette période revêt une importance primordiale pour l’héritage culturel de la direction. Plus largement, si la période est souvent occultée dans le discours des témoins comme une « parenthèse » de l’histoire, elle reste un moment fort de leur vie active à plusieurs points de vue : période trouble, difficile, au cours de laquelle le rôle effectif des experts et des techniciens reste ambigu, elle enclenche une accélération du renouvellement intellectuel et idéologique en germe dans les années trente. Plaque tournante intellectuelle et morale, la période de la guerre est l’occasion d’une remise en question de la place de l’État dans la société et l’économie puis de l’établissement d’un consensus autour de sa nécessaire intervention. Les deux générations de rédacteurs se retrouvent autour de ce consensus.
109Du point de vue des méthodes de travail de la direction, cette période est également très importante, comme cela a été décrit plus haut : l’économie de guerre impliquant une augmentation du rôle de l’État, ses agents qui entrent au ministère des Finances entre 1940 et 1945 apprennent à diriger l’économie et les finances du pays. Le Trésor plus particulièrement, devient l’épicentre d’un circuit monétaire et financier élaboré : alors porté aux nues, la fermeture du circuit comme on a pu le voir, est le dogme des années d’Occupation. Ainsi, peut-être plus par nécessité que par goût, les jeunes rédacteurs ont-ils été formés à réglementer, à multiplier les procédures d’intervention, à étendre l’utilisation d’outils d’intervention existants. La reconstruction ne fera que confirmer cet héritage culturel ; le pays a besoin de l’État pour se relever.
110C’est ainsi que l’on peut expliquer en partie l’adaptation rapide de cette population à ses nouvelles missions : elle avait déjà expérimenté et intégré avant 1947 l’interventionnisme de l’État. On ne peut donc considérer le clivage culturel de la direction sous le seul aspect du clivage de génération et de recrutement, avec d’un côté les anciens (rédacteurs), de l’autre les modernes (les inspecteurs des Finances et les énarques). S’il existe certes des anciens rédacteurs, nés avant le siècle, qui étaient trop âgés pour pouvoir se convertir à des nouvelles missions90, plusieurs d’entre eux sont reconnus et appréciés à travers nombre de témoignages : André Latapie, Raymond Villadier et Jean Denizet sont les noms qui reviennent le plus souvent et spontanément dans la bouche de leurs collègues. Ce seront d’ailleurs les acteurs de la politique monétaire du Trésor après la guerre. La direction n’en est pas pour autant une et homogène, comme on l’a vu ; elle a d’ailleurs besoin de ces recrutements et de compétences diverses pour mener à bien des missions très variées, des plus traditionnelles au plus neuves. Aux rédacteurs reviennent ainsi la gestion de la trésorerie et les activités financières, missions qui existaient avant-guerre ; aux inspecteurs des Finances et aux énarques les nouvelles fonctions d’intervention économique et de financement des investissements.
4. Le Trésor, vitrine de l’État « keynésien modernisateur »91.
111Dans ce contexte, l’état d’esprit des nouveaux arrivants à l’administration centrale des Finances, et plus particulièrement au Trésor entre 1945 et 1952, ne contraste pas brutalement avec celui des fonctionnaires en poste depuis plusieurs années. S’y ajoute un appareillage théorique autour de l’intervention de l’État que la vague keynésienne va non seulement légitimer mais dynamiser et accélérer. Vernis théorique uniquement ? S’il n’existe pas de cours de théorie économique à Sciences Po ou à l’ENA avant 194792, la manière de repenser les problèmes économiques change : on parle des grands agrégats – revenu, investissement, épargne – et du lien qui existe entre eux, que l’économie classique n’avait pas établi. La mystique de l’investissement qui règne après guerre découle indirectement de la théorie keynésienne. Certes, la pensée de Keynes ne se limite pas à ces nouveaux concepts, mais il semble que les hauts fonctionnaires n’en aient retiré que ces aspects : point d’envolée théorique sur les postulats de la Théorie générale, ni de débats sur ses conditions d’application. F. Perroux dans son cours sur la révolution keynésienne en 1946-1947 ne met-il pas lui-même en garde contre la « théorie macrocosmique (sic) interprétée et maniée sans précautions [qui] pourrait créer de graves illusions sur les moyens que nous avons de diriger l’économie » ?93.
112Dans le discours des hauts fonctionnaires, la terminologie keynésienne est bel et bien intégrée : épargne, investissement, macro-économie, autant de termes qui fleurissent dans les témoignages de J. Guyot et D. Boyer, deux inspecteurs des Finances représentatifs de cette génération de l’après-guerre au Trésor. L’ensemble du discours est sous-tendu par des priorités nouvelles ; en faveur de la reconstruction, le déficit budgétaire est accepté et une intervention de l’État est nécessaire. Bien que les préoccupations monétaires restent tenaces, la monnaie n’est plus un dogme mais « un paramètre », pour reprendre l’expression de M. Margairaz94. La hantise n’est plus l’inflation, qui passe au deuxième plan des préoccupations, mais la déflation, comme on l’a vu plus haut ; symboliquement, le mot « inflation » n’apparaît pas spontanément dans les discours des témoins du Trésor, alors que la France connaît une hausse des prix préoccupante depuis la guerre. En revanche, la recherche des grands équilibres monétaires et financiers, voire économiques, est un terme qui revient souvent dans le discours ; par son anachronisme95, le concept met en évidence la rupture constituée par la période de l’après-guerre dans les représentations des hauts fonctionnaires du Trésor : les temps modernes commencent en 1945. De direction du quotidien, la direction du Trésor devient l’une de celles qui sont responsables des grands équilibres, dont la politique monétaire et la politique du crédit sont les instruments de pointe. D’où l’élargissement dans le temps et dans l’espace de ses missions et un accroissement certain de son pouvoir, de ses débouchés, de son prestige : la vision macro-économique ne pouvait que satisfaire les protagonistes de sa mise en oeuvre.
113Plutôt interventionnistes que dirigistes, selon la terminologie donnée par Gaétan Pirou96, à la croisée des chemins du Plan et de la Banque de France, tels apparaissent les cadres supérieurs de la direction du Trésor. Ils ont accepté les réformes de structure de la Libération – excepté celle des banques –, puis ont suivi le courant « néolibéral » qui s’épanouit à partir de 1948. Mais leur interventionnisme structurel a opéré un saut qualitatif à la Libération vers le dirigisme, comme sans doute celui de l’ensemble des décideurs publics et de l’opinion dominante. On a pu relever les réserves du Trésor vis-à-vis du ministère de l’Économie nationale et du Plan : plus qu’une réticence doctrinale de libéraux, on peut y voir une concurrence d’institutions, phénomène récurrent comme l’illustre le témoignage d’E. Lamy à propos de la création de l’Économie nationale en 1936 :
« On pensait qu’on aurait pu le faire nous-mêmes, ce métier. Le ministère des Finances en était parfaitement capable »97.
114Sont-ils pour autant des keynésiens ? D’autres experts tels J. de Largentaye ou G. Boris, qui jouent un rôle actif dans la politique économique de l’après-guerre, peuvent être qualifiés de keynésiens. Mais les experts du Trésor, et sans doute la majorité des hauts fonctionnaires des Finances de cette période, s’ils ont fait du keynésianisme sans le savoir, n’en sont pas pour autant des adeptes de la théorie. Tandis que F. Bloch-Lainé et C. Gruson l’intègrent dans leurs enseignements et disent l’avoir lu et compris, les autres témoins interrogés restent plus discrets. La création d’un outil de prévision au sein du Trésor est ainsi à double face : il s’agit d’un instrument keynésien qui permet, sous couvert de politique macro-économique, de donner une image moderne et de servir la stratégie de contrôle et de coordination. Pourquoi les hauts fonctionnaires ont-ils été séduits par la macro-économie ? Elle donne un fondement théorique et une légitimité à la stratégie expansionniste du Trésor ; la Commission des investissements, la création du Service des études économiques et financières sont les figures emblématiques de cette fusion entre le courant idéologique dominant et la stratégie de l’institution. Si l’on peut parler de création d’instruments keynésiens, on n’assiste pas pour autant à la mise en oeuvre d’une politique keynésienne. Ceci rejoint les propos de P. Rosanvallon : « Keynes sert de référence scientifique commode aux adeptes d’un néo-colbertisme économique et social ou d’une social-démocratie à la française »98, et ceux de G.-M. Henry : « Le keynésianisme à la française qui s’appuie sur les nationalisations et la planification n’a, malgré les apparences, que peu de rapports avec les idées de Keynes. [...]. Compte tenu de cette conception très extensive des politiques keynésiennes en France, on peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas d’une façon commode de baptiser la vieille tradition interventionniste »99. Ceci expliquerait sans doute pourquoi les hauts fonctionnaires du Trésor, voire des Finances, se sont engouffrés avec enthousiasme dans des pratiques keynésiennes, en dépit d’une pénétration de la théorie de Keynes tardive et somme toute hypothétique.
D. FRANÇOIS BLOCH-LAINÉ, UN « LEADER CHARISMATIQUE »
115Parmi les éléments décisifs qui concourent à la mutation de la culture de direction, le rôle personnel du directeur de l’époque ne peut être ignoré. Objectivement, les réformes qu’il a entreprises en moins de trois ans s’apparentent à une rupture qui n’est guère dans les traditions de l’administration. Il fallait les bouleversements dus à la guerre pour que les réformes soient possibles et acceptées. Il fallait aussi un dirigeant reconnu, auréolé de ses actes de résistant, symbole de la nouvelle génération de hauts fonctionnaires censée effacer les erreurs de la précédente. Du point de vue du discours des témoins, l’analyse n’est pas moins forte, au contraire : un seul parmi les témoins interrogés reste réservé à l’égard du directeur, plus par déception de carrière que par critique de son action. La quasi unanimité des éloges sur F. Bloch-Lainé, ses réussites, son art de diriger, l’esprit d’équipe qu’il instaure, s’explique non seulement par l’accroissement du prestige du Trésor mais aussi par la naissance d’une véritable identité de l’institution Trésor. N’est-ce pas en 1948 que F. Bloch-Lainé crée à Sciences Po le premier cours consacré au Trésor ? Pour la première fois, l’existence et le rôle de l’institution sont identifiés, reconnus et diffusés hors des murs de la rue de Rivoli. Quel contraste avec le cours de W. Baumgartner qui ne consacre que trois leçons sur vingt-deux au Trésor dans son cours sur les finances publiques et dans lesquelles il n’évoque que le fonctionnement de la trésorerie ! Surtout que la présentation du Trésor qui en est faite par Bloch-Lainé ne peut qu’inciter les futurs hauts fonctionnaires à entrer dans l’institution. Le fondement du cours va tendre à « présenter le Trésor comme un centre nerveux ou comme une plaque tournante », « cours qui ira au-delà de la notion classique du Trésor, organisme chargé d’assurer l’équilibre des ressources et des charges [...] et montre comment le Trésor et par lui l’État régente la vie financière et agit sur la vie économique »100. Dans l’enceinte confidentielle des Sciences Po, F. Bloch-Lainé n’hésite pas à déployer clairement sa stratégie de conquête... Certes, l’enseignement qu’il dispense sur le Trésor s’adresse aux futurs administrateurs civils qui n’arriveront à la direction qu’à partir de 1955. Mais le mythe fondateur est né de ces années 1947-1952, décisives pour la culture de direction.
116L’homme a marqué tous ceux qui l’ont côtoyé qui, au-delà de ses qualités intellectuelles, morales, de son goût pour la réforme, soulignent une personnalité exemplaire, que D. Boyer résume ainsi :
« J’ai beaucoup d’admiration pour lui ; je n’adhère pas toujours à ces jugements sur les choses, sur les hommes, sur les événements. Mais c’est un homme exceptionnel, d’une hauteur de vue, d’un dévouement tout à fait exceptionnel. C’est un être exceptionnel »101.
117Les témoignages d’autres hauts fonctionnaires du Trésor, plus particulièrement ceux de J. Desazars de Montgailhard, P. de Vogué, jeunes énarques fraîchement arrivés au Trésor, renvoient les mêmes échos louangeurs. S’y ajoutent des qualités pédagogiques certaines, soulignées par plusieurs témoins, et qui confortent plus encore l’idée d’une « génération Bloch- Lainé » formée par ses soins.
118Il existe certes un décalage entre la pensée du directeur et celle de ses troupes. J. Guyot comme D. Boyer reconnaissent être plus libéraux que F. Bloch-Lainé à l’époque. Sans doute plus interventionniste que les hommes qu’il a lui-même recrutés, il apparaît presque en contradiction avec les hommes traditionnels de la direction que sont les rédacteurs. Comment le directeur a-t-il pu ainsi faire accepter des idées progressistes, des réformes généralement si difficiles à mettre en oeuvre dans l’administration ? Deux hypothèses se présentent : d’une part son aura, son charisme lui ont permis de faire passer des réformes que l’effervescence de l’après-guerre rendait possibles, voire nécessaires. D’autre part, en élargissant le champ d’action de la direction, F. Bloch-Lainé a rendu le Trésor plus prestigieux et plus fort. Même si ce mouvement n’apparaît pas irréversible à l’époque, il est jugé comme positif par ses membres. Un bon directeur ne se doit-il pas au premier chef de défendre l’intégrité de sa maison ?
***
119En 1952, la culture du Trésor a déjà beaucoup évolué par rapport à 1945 ; de nouvelles orthodoxies ont formé une nouvelle couche sédimentaire au sein de sa culture financière. L’interventionnisme est non seulement autorisé, mais il est bien considéré ; si les hauts fonctionnaires du Trésor l’ont intégré aussi facilement, sans le remettre en cause dans leurs témoignages cinquante ans plus tard c’est qu’il correspond sans doute à un fondement culturel essentiel au Trésor, celui de l’excellence de ses membres, qui légitime ainsi la prise en charge de l’intérêt général. Tandis que la Grande Dépression et la guerre ont préparé le terrain d’une intervention massive de l’État après 1945, les fondements de la culture administrative française, qui tend à minimiser le rôle et la qualité des entreprises privées pour mieux valoriser celui de l’administration, ont permis l’implication du Trésor dans la mystique de l’État modernisateur.
120L’articulation entre stratégie et culture est ici manifeste : si la logique financière perdure, s’y agrège une logique économique nouvelle, non pas qu’elle fût absente auparavant, mais parce qu’elle est acceptée, légitimée par le consensus autour de la Reconstruction, de la mystique de l’investissement et du keynésianisme qui imprègnent les politiques publiques. Le Trésor a trouvé le moyen de développer son territoire en toute légitimité. Sa culture se trouve modifiée : l’inflation n’apparaît plus au centre de ses préoccupations, en dépit de son taux durant ces années, ni dans le discours des témoins, ni dans les notes pour le ministre. La mystique de l’investissement s’ancre dans les comportements, dans les mentalités, alors que paradoxalement, le volume global des investissements publics tend à décroître dès 1948 : le premier décalage entre la mutation d’une culture et la réalité apparaît aux yeux de l’observateur d’aujourd’hui. Mais mutation ne signifie pas pour autant conversion culturelle ; il est trop tôt pour conclure, au-delà d’un habillage tactique, à une culture de l’intervention.
121L’institution se trouve confortée dans ses missions d’intérêt général ; d’où le refus des dossiers techniques et particuliers, au profit des interventions au niveau macro-économiques. La position prend valeur de doctrine, telle que Jean Guyot l’énonce clairement :
« Il y avait cette espèce de doctrine de base que les interventions du Trésor étaient des interventions au niveau macro-économique, au niveau monétaire mais non sur des dossiers particuliers, l’intervention sur des dossiers étant considérée comme quelque chose d’un peu sordide laissé à d’autres directions »102.
122L’évolution culturelle de la direction, reflet de la stratégie mise en oeuvre par F. Bloch-Lainé, constitue-t-elle un tournant durable ou tactique ? Cette mutation apparente a-t-elle véritablement atteint l’identité du Trésor ? Il faut attendre une étude similaire sur la direction à la fin des années 1960 pour pouvoir répondre.
Notes de bas de page
1 Voir les travaux d’Aude Terray, Le Service des études économiques et financières 1948-1958, mémoire de DEA sous la direction de P. Fridenson, EHESS, 1994.
2 C. Gruson est inspecteur des Finances de la même promotion que F. Bloch-Lainé (1936). Polytechnicien, chargé de mission au ministère de la Production industrielle en 1940, une maladie l’éloigne de la vie active jusqu’en 1946, date à laquelle il devient adjoint du chef de service de l’inspection générale des Finances.
3 La fusion des régies financières donne naissance à la direction générale des Impôts en 1948. Le bureau de Statistiques et d’études financières appartenait au service de coordination des administrations fiscales.
4 F. Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 112.
5 Id., p. 113. Et le témoignage de J. Autissier sur une conférence de F. Bloch-Lainé devant les banques, entretien n° 3, cassette n* 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
6 Aude Terray, Le SEEF..., op. cit., p. 60.
7 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
8 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 11, cassette n° 11, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991. D. Boyer évoque ici vraisemblablement la période 1952-1953, pendant laquelle il cumule les fonctions de secrétaire de la Commission des investissements et de sous-directeur de la quatrième sous-direction « Relations de trésorerie ».
9 P. de Vogué (ENA, promotion 1947) a suivi la trésorerie de 1947 à 1967 : administrateur civil au bureau de la trésorerie Al (1947-1953), il en devient le chef de bureau de 1953 à 1960, puis sous-directeur de la sous-direction « Mouvement des fonds » jusqu’en 1967.
10 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. J. Denizet, ancien rédacteur à l’Économie nationale (1940), est chef du bureau de la Trésorerie de 1947 à 1952, date à laquelle il rejoint le Service de Claude Gruson. Il a fréquenté les réunions de 1TSEA (Institut supérieur d’économie appliquée) et apparaît comme l’un des meilleurs connaisseurs de Keynes à la direction du Trésor.
11 Voir notamment les témoignages de H. Bissonnet et de J. Autissier, entr. cités.
12 A. Terray, Le SEEF..., op. cit., p. 41 et suivantes.
13 Entretien biographique réalisé par A. Terray, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. V Giscard d’Estaing rattachera le Plan au ministère des Finances et des Affaires économiques en 1962.
14 Entretien biographique réalisé par O. Feiertag, entretien n° 11, cassette n° 11, entr. cité.
15 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
16 Avant que le SEEF soit reconnu administrativement et budgétairement, la mission a permis à Cl. Gruson et à ses collaborateurs d’être rémunérés et de disposer de quelques moyens matériels. Entretien biographique de F. Bloch-Lainé avec A. Terray, entretien n" 5, cassette n° 5, entr. cité.
17 F. Bloch-Lainé, Profession..., op. cit.
18 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité.
19 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
20 Selon le témoignage de J. Desazars de Montgailhard, entretien thématique avec l’auteur n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
21 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité. Le témoin a répondu ici à la question précise de savoir pourquoi l’organisation administrative a distingué le financement des investissements des interventions économiques. J. Guyot est alors sous-directeur du Mouvement général des fonds, tandis que M. Sergent est sous-directeur des Interventions économiques.
22 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. Il s’agit également de les reprendre au bénéfice du Trésor.
23 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
24 AEF, fonds Administration générale, B 28217, note pour les directeurs et chefs de service, en vue de la réorganisation des administrations centrales.
25 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité.
26 AEF, fonds Administration générale, B 28 217, note du 8 mars 1949.
27 Id. Cette remarque confirme l’idée d’une sous-direction peu influente dans le secteur bancaire.
28 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
29 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
30 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
31 La nomenclature des cadres de l’administration définie en 1947 définit comme cadres supérieurs les grades de secrétaire général, directeur, chef de service, directeur adjoint, sous-directeur, contrôleur des offices de compensation, chef de bureau, sous-chef de bureau, rédacteur principal, rédacteur.
32 AEF, fonds Administration générale, B 54 806. Les cadres A comprennent les administrateurs civils, les agents supérieurs, les autres personnels de catégorie A comme les inspecteurs principaux des services du Trésor, des Contributions indirectes, des traducteurs ; les emplois de direction (directeurs, sous-directeurs) et les inspecteurs des Finances ne sont pas inclus dans les tableaux. Ils ont été ajoutés par nos soins. Les cadres B sont constitués de deux types de corps : les secrétaires d’administration et les contrôleurs du Trésor.
33 AEF, fonds Trésor, B 11 540, note du 17 juillet 1947. On peut considérer comme exceptionnel que le directeur du Trésor en appelle au ministre pour réclamer des effectifs supplémentaires. C’est en effet au directeur du Personnel et du Matériel qu’il appartient de répartir les énarques.
34 Rappelons que ces chiffres comprennent les élèves issus des deux concours étudiants et fonctionnaires ainsi que les effectifs des trois grands corps, Inspection des finances, Conseil d’État et Cour des comptes.
35 AEF, fonds Administration générale, B 54 806, « Situation des effectifs de l’administration centrale des Finances en 1953 ».
36 Selon les recherches menées par A. Terray, le recrutement du SEEF tend à se diversifier par rapport au reste de l’administration centrale des Finances : économistes, polytechniciens, mathématiciens côtoient quelques énarques, comme J. Sérisé et S. Nora. Voir A. Terray, Le SEEF..., op. cit.
37 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
38 Entretien biographique de J. Vincenot avec E Demarigny, entretien n° 3, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. J. Vincenot, inspecteur des Finances, promotion 1942, entre au Trésor en juin 1946 comme chargé de mission et quitte la direction en septembre 1948 pour exercer les fonctions de secrétaire général adjoint à la Chambre syndicale des agents de change de Paris.
39 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993. L’existence d’un choix possible pour le directeur du Trésor est confirmée par les deux inspecteurs des Finances concernés : celui qui a été choisi, D. Boyer, entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, entr. cité, et P. Moussa, entretien biographique avec F. Descamps, entretien n° 5, cassette n° 9, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
40 Voir D. Chagnollaud, Les hauts fonctionnaires..., op. cit. p. 174.
41 La direction du Budget a su par exemple maintenir ce monopole.
42 Entretien biographique de J. Guyot avec O. Feiertag, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991, et entretien biographique de D. Boyer avec O. Feiertag, entretien n° 12, cassette n° 13, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
43 D. Chagnollaud, Les hauts fonctionnaires..., op. cit. L’Inspection des finances a ouvert la brèche pour les autres corps.
44 Entretien biographique avec S. Coeuré, entretien n 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
45 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
46 AEF, dossier de carrière de J. Denizet. Cette notation par ailleurs très élogieuse, que l’agent concerné est censé connaître depuis de la loi du 19 octobre 1946, ne semble pas empêcher J. Denizet de partir à la CECA en 1953 sans attendre d’être nommé sous-directeur.
47 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
48 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 5, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
49 Entretien biographique avec S. Cœuré, entretien n° 3, cassette n° 3, entr. cité.
50 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité.
51 Parmi la littérature très variée qui existe sur les hauts fonctionnaires en tant que corps, on se référera aux ouvrages de D. Chagnollaud, Le premier des ordres, les hauts fonctionnaires xviiie- xxe siècle, op. cit. P. Bourdieu, La noblesse d’État, grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éditions de Minuit, 1989 ; M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1964 ; G. Thuillier, Regard sur la haute administration française, Paris, Économica, 1979.
52 Voir les travaux de N. Carré de Malberg, É. Chadeau, Les inspecteurs des Finances..., op. cit. et C. Charle, « Naissance d’un grand corps, l’Inspection des finances à la fin du xixe siècle », ARSS, n° 42, 1982.
53 Celle de S. Lepage, La direction des Finances extérieures..., op. cit.
54 Dominique Chagnollaud, Le premier des ordres... op. cit., p. 141.
55 Raymond Villadier, né en 1903, rédacteur en 1927 à la Comptabilité publique, entre au Trésor en 1940, devient chef de bureau la même année, sous-directeur en 1943, directeur-adjoint en 1946. Jean Autissier, né en 1908, rédacteur en 1933 à la Comptabilité Publique, entre au Trésor en 1940, est nommé chef de bureau en 1943 et sous-directeur en 1948. Michel Bret, né en 1909, ancien élève de l’X, rédacteur à la Dette inscrite en 1932, entre au Mouvement général des fonds en 1935, est nommé chef de bureau en 1943 et sous-directeur en 1946. Marc Manifacier, né en 1914, rédacteur à la dette inscrite en 1937, entre au MGF en 1939, sous-chef de bureau en 1942 et sous-directeur en 1954. André Latapie-Capderroque né en 1913, rédacteur à la CP en 1937, entre au MGF en 1939, est nommé sous-chef de bureau en 1942, sous-directeur en 1950 et chef de service en 1956.
56 Pour expliquer cette prééminence, il faut souligner que la direction du Budget est encore récente (1919), tandis que les directions fiscales sont au nombre de trois. En revanche, Trésor et Finex, alors réunies, constituent un pôle de compétence dominant.
57 Selon les conclusions de D. Chagnollaud, Le premier des ordres..., op. cit.
58 Selon G. Brun, Techniciens et technocrates, 1919-1945, op. cit.
59 P. Lalumière, L’Inspection des finances, Paris, PUF 1959.
60 Il faut rappeler que les notations antérieures à 1946 ne sont pas soumises à l’agent, et que par conséquent l’avis du supérieur hiérarchique peut alors s’exprimer avec plus d’authenticité. Les commentaires sont parfois plus critiques, mais surtout moins formels et plus élaborés qu’après 1946. On y trouve une illustration de la richesse du style administratif.
61 On se réfère notamment aux analyses de P. Bourdieu, E. Suleiman, P. Birnbaum, bien qu’elles reposent sur des échantillons de population plus récents. Pour la période avant l’ENA, E. Chadeau, C. Charles, D. Chagnollaud qui ont tour à tour apporté leur pierre à l’édifice, permettent d’avoir une vision d’ensemble des données sociologiques des hauts fonctionnaires.
62 Ceci tient à deux éléments : d’une part, les dossiers de personnel des rédacteurs n’ont pu être tous retrouvés dans les inventaires mis à la disposition des chercheurs ; d’autre part, la dérogation demandée a été refusée pour quelques-uns d’entre eux.
63 J.-F. Kesler, L’ENA, Nancy, Berger-Levrault, 1985 : pour la période 1952-1958, 39 % des admis à l’ENA sont originaires de la région parisienne.
64 Pour les inspecteurs des Finances de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle, E. Chadeau constate un recrutement majoritairement provincial.
65 C. Charle, « L’Inspection des finances... », art. cit.
66 Avant la guerre, le concours de rédacteur à l’administration centrale des Finances comprend des épreuves écrites (rédaction, note, problèmes, tableau) et orales (organisation constitutionnelle, comptabilité publique, administration centrale des finances, impôts et revenus publics, arithmétique, géographie, langues étrangères - comptabilisées au-dessus de 12 de moyenne). Pendant la guerre, les épreuves sont légèrement modifiées : s’y ajoutent des épreuves de droit commercial, prévoyance sociale, législation des assurances ; la géographie disparaît.
67 Selon les dossiers qui ont pu être retrouvés et qui ont été autorisés à consulter.
68 L. Le Van-Lemesle, L’enseignement de l’économie politique en France 1860-1939, thèse de doctorat d’État, Antoine Prost (dir.), Université de Paris I, 1996.
69 Cette étude s’appuie en grande partie sur l’article « Les hauts fonctionnaires et la monnaie... », op. cit., pour lequel une cinquantaine de témoignages recueillis par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France du ministère des Finances et de la Banque de France avaient été écoutés. L’article analysait notamment leurs perceptions de l’enseignement reçu.
70 Selon l’analyse de L. Le Van-Lemesle, L’enseignement de l’économie politique..., op. cit.
71 Selon les termes de G. Pirou, Économie libérale, année 1941-1942, cours polycopié, ELSP, 1942, p. 1.
72 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
73 W. Baumgartner Finances publiques, année 1942-1943, ELSP, p. 7.
74 Id. p. 5-7.
75 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 1, cassette n° 1, déjà cité. F. Bloch-Lainé fait sans doute ici allusion aux cours qui ont été professés à partir de 1948 par lui et ses camarades et qui incontestablement renouvellent l’approche des mécanismes économiques.
76 G. Pirou, Économie dirigée, cours 1943-1944, ELSP, 1944. Il s’étend longuement sur l’expérience de la monnaie dirigée pratiquée en Allemagne puis en France, et sur la mise en oeuvre de la théorie du circuit. Il est bien le seul qui enseigne ce thème très ancré dans l’actualité de l’époque.
77 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
78 On ne s’en étonnera pas outre mesure, les courants de réflexion planistes de la période ne comprenant que peu de hauts fonctionnaires des Finances.
79 L. Le Van-Lemesle, L’enseignement..., op. cit.
80 F. Bloch-Lainé, Le Trésor public. Introduction et notions générales. 1948-1949, Institut d’Études Politiques de Paris, Les Cours de droit, 1949 et La vie économique 1952-1953, IEP, Les Cours de droit, 1953, qui rassemble des leçons de P. Besse, M. Pérouse, F. Bloch-Lainé et C. Gruson. D’autres cours élargissent l’horizon des étudiants de 1TEP : le cours de Fourastié sur la comptabilité, de Marchai sur l’économie financière, de Piatier sur la conjoncture. F. Bloch-Lainé y fait référence dans ses propres cours.
81 J. Rueff, Économie politique, cours 1939-1940, ELSP, 1941. Il professe ce cours depuis 1938.
82 On retrouve les analyses de M. Douglas sur la manière dont les institutions se souviennent et oublient. Voir Ainsi pensent les institutions, Paris, Éditions Usher, 1989.
83 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 1, cassette n° 1, entr. cité. Mais F. Bloch-Lainé confie n’avoir suivi que très peu de conférences de méthodes.
84 « Les hauts fonctionnaires et la monnaie... », art. cit., p. 501-503.
85 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
86 Entretien biographique d’Emmanuel Lamy avec F. Demarigny, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
87 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité
88 Selon les témoignages de F. Bloch-Lainé, J. Autissier et E. Lamy, entr. cités., tous trois au Trésor après 1945.
89 L’honnêteté commande de souligner qu’il s’agit d’une interprétation extensive de quelques témoignages de rédacteurs de cette période, qui sont minoritaires par rapport aux inspecteurs des Finances au sein du corpus étudié.
90 Notamment Eugène Micouin né en 1895, rédacteur à l’administration centrale des Finances en 1924, qui entre au MGF en 1928, est chef de bureau en 1937, et le reste jusqu’à sa retraite en 1962. Et Edmond Miffred, né en 1899, rédacteur au Mouvement des fonds en 1924, chef de bureau en 1938, qui prend sa retraite en 1963. Ils restent d’ailleurs dans des bureaux peu opérationnels : le bureau central, chargé des questions de personnel, pour Miffred, des postes de contrôle ou d’études pour Micouin.
91 Selon les termes de P. Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, op. cit.
92 Pour des raisons de compétition, R Uri se serait vu refuser un cours de théorie économique à Sciences po par F. Perroux au lendemain de la guerre et ne devient professeur à l’ENA qu’en 1947. Voir P. Uri, Penser pour l’action..., op. cit., p. 46 et 67.
93 F. Perroux, Histoire des doctrines économiques, cours de l’IEP, 1946-1947, Centre de documentation universitaire, Paris, 1947, p. 101. Souligné dans le texte.
94 M. Margairaz, « La monnaie, du dogme au paramètre », in M. Lévy-Leboyer, A. Plessis, M. Aglietta, C. de Boissieu (dir.), Du franc Poincaré à l’Écu, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
95 Le terme est employé par Dominique Leca, pour lequel « l’essence de la fonction [du ministre des Finances], c’est la sauvegarde des équilibres fondamentaux du pays dans l’ordre économique et financier », in Du ministre des Finances, chapitre II « le ministre des Finances, gardien des équilibres fondamentaux », Paris, Plon, 1966.
96 G. Pirou distingue l’interventionnisme qui justifie l’action de l’État pour effacer les injustices et combler les lacunes du libéralisme économique, du dirigisme, qui va plus loin en proposant des mesures « coordonnées » et cherche à agir sur les mécanismes des prix, des salaires, etc., tout en ne remettant pas en cause la propriété privée, à la différence du socialisme. Économie dirigée, 1943-1944, op. cit.
97 Entretien biographique avec F. Demarigny, entretien n° 2, cassette n° 2, entr. cité.
98 R Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d’économie, vol. II, 4, automne 1987, p. 47.
99 G.-M. Henry, Keynes, Paris, Armand Colin, 1997, p. 197.
100 F. Bloch-Lainé, Le Trésor et la politique financière, 1948-1949, IEP, Les Cours de droit, Paris, 1949.
101 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
102 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 7, cassette n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
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