Chapitre II. Le tournant stratégique des années 1947-1952
p. 89-131
Texte intégral
1Alors que la plus grande confusion règne dans les finances publiques depuis la fin de la guerre, que les grandes réformes structurelles de l’économie française ont été mises en route, les années 1947-1948 marquent un tournant politique et économique significatif, « restauration »1 pour certains, « retour aux réalités »2 pour d’autres. Du point de vue économique et financier, la remise en ordre permet au ministère des Finances de retrouver au sein de l’appareil d’Etat une place prépondérante, pour le moins discutée les années précédentes. Dans quel contexte et par quels moyens la direction du Trésor réussit-elle non seulement à retrouver sa place mais également à l’étendre ? A-t-elle seulement bénéficié d’une conjoncture économique et politique plus propice, de l’arrivée d’un nouveau directeur ? L’extension de son rôle d’intervention était-elle uniquement dictée par les nécessités du moment ou bien le directeur a-t-il mis en œuvre une stratégie délibérée3 de développement ? Comment a-t-il réussi à conjuguer les nouvelles responsabilités économiques du Trésor avec ses fonctions traditionnelles financières et monétaires ? L’enjeu est décisif, et mérite de pousser l’analyse au-delà d’un simple épisode de l’histoire des Finances déjà connu4.
I. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE PROPICE
2Après le départ du général de Gaulle du gouvernement et le vote de la constitution d’octobre 1946, la IVe République s’installe dans un régime parlementaire instable, qui voit défiler pour les seules années 1946 et 1947 six gouvernements, au sein desquels cependant, les portefeuilles de l’Économie et des Finances restent alternativement aux mains de deux hommes, André Philip (SFIO), et Robert Schuman (MRP). À l’issue de la rupture du tripartisme, l’accession au pouvoir de « néo-libéraux »5 et le glissement progressif des gouvernements vers les modérés se manifestent clairement dès janvier 1948, avec l’arrivée de René Mayer, rue de Rivoli. L’orientation en matière de politique économique change, d’autant que l’heure n’est plus alors aux réformes de structure ; le programme du Conseil national de la résistance, s’il n’est pas entièrement réalisé, n’apparaît plus comme une priorité aux yeux des dirigeants politiques ; les deux premières vagues de nationalisations, celles de 1944 et celles de 1946, sont votées, les autres grandes réformes des années 1944-1946 sont à l’heure de la mise en route ; le Commissariat général au Plan de modernisation et d’équipement, créé en janvier 1946 à titre provisoire est officiellement pérennisé dès janvier 1947. Quant au ministère de l’Économie nationale, après les échecs et les « occasions manquées »6 de 1947, il ne devient qu’un simple instrument d’exécution du Plan : Jean Monnet lui-même propose dès décembre 1946 le transfert de ses attributions au Commissariat général au Plan. Subordonné à la fois au Plan et à la rue de Rivoli, lors de son remplacement par un secrétariat d’État aux Affaires économiques en 1947, il fait l’objet de deux rapports sévères établis en 1948, qui constatent la carence d’un ministère « usé » et « discrédité »7. Le Plan comme le ministère des Finances sortent vainqueurs d’une bataille qui n’a pas eu lieu ; « économiquement et politiquement, l’heure du ministère de l’Économie nationale a sonné », écrit Michel Margairaz8.
3Si cette nouvelle configuration économique et administrative apparaît moins défavorable à la rue de Rivoli, c’est également en raison d’un regain des préoccupations financières de la part des politiques : à la priorité toujours maintenue de la reconstruction et de la modernisation du pays, s’ajoute la nécessaire stabilisation économique et financière pour y parvenir. Car la situation est, de ce point de vue, alarmante. Depuis 1945, la hausse des prix se poursuit inexorablement : l’échec de la conduite de l’économie dirigée par les prix et les quantités se traduit par la hausse vertigineuse de l’indice des prix de détail à Paris, qui augmente de 63 % en 1946 par rapport à l’année précédente, de 60 % en 1947 et de 59 % en 1948. Du point de vue des finances publiques, le déficit budgétaire reste à un niveau élevé (400 milliards de F en 1946 et 19479), tandis que la situation critique de la balance des paiements met le franc en péril sur la scène internationale ; la trésorerie de l’État temporairement allégée par les accords Blum-Byrnes de janvier 1946, reste tendue : pour le seul premier semestre de 1947, le Trésor doit relever par deux fois son plafond d’avances et de prêts de la Banque de France. L’État ne dispose plus « des moyens conformes à ses objectifs, d’un triple point de vue : matériel, institutionnel et financier »10.
A. LA NÉCESSAIRE STABILISATION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE : INITIATIVES ET MISE EN ŒUVRE
4Dans un contexte politique et institutionnel relativement stabilisé mais économiquement alarmant, deux initiatives en matière économique et financière naissent alors chez les protagonistes en lice – le ministère des Finances et le Plan. Du côté des finances publiques, dès décembre 1946, Robert Schuman fait préparer par ses services un Inventaire de la situation financière, plus connu sous le nom d’Inventaire Schuman – sur le principe de celui institué au lendemain de la Première guerre mondiale par Clémentel. Son directeur de cabinet, François Bloch-Lainé, en est vraisemblablement l’initiateur, selon le témoignage de Jean Guyot, alors chargé du secrétariat de l’opération11. Travail de recensement effectué par les principales directions du ministère, l’Inventaire fait dans un premier temps le constat des déséquilibres entre les dépenses et recettes de l’État, entre les offres et demandes de capitaux et celui du déficit de la balance des paiements. Pour la situation de la trésorerie, le constat de François Bloch-Lainé est patent : « On s’est aperçu que les attributions du Trésor étaient en train de grossir gaillardement et dans un certain désordre »12. À partir des données chiffrées de l’Inventaire Schuman, publié en janvier 1947, se dessinent des solutions de rétablissement de l’équilibre financier qui rendent possibles le financement des investissements. « Nous nous y référions sans cesse pour préparer et proposer les mesures de redressement, dans les domaines du budget, des impôts, de la comptabilité, du contrôle financier, de l’épargne, du crédit, de la monnaie... », se souvient F. Bloch-Lainé13. Dès le printemps de 1947, des projets d’assainissement financier circulent rue de Rivoli, émanant de la direction des Finances extérieures et du Budget14.
5De son côté, dans une démarche convergente, Jean Monnet multiplie les initiatives auprès du ministre des Finances et lui signale la nécessité d’une stabilisation financière, afin d’obtenir les crédits américains en juillet 1947. René Mayer lui confie en septembre 1947 l’élaboration d’un programme de stabilisation économique et financière, qui aboutit notamment à la création de la commission du Bilan national, au sein de laquelle on retrouve le directeur du Trésor, le directeur des Prix, un sous-gouverneur de la Banque de France et les dirigeants syndicaux, ainsi que Pierre Uri, qui en est la cheville ouvrière15. L’établissement d’un « gap inflationniste », s’il a été accueilli avec scepticisme – « un faux concept pour une juste cause » dira F. Bloch-Lainé16, marque les débuts d’une vision macro-économique novatrice pour l’époque.
6Entre-temps, l’annonce du plan Marshall le 5 juin 1947 lève les hypothèques en matière de financement du Plan de modernisation et d’équipement.
B. LE PLAN MARSHALL ET LE PLAN MAYER : DEUX TOURNANTS DÉCISIFS
7Bien qu’elles soient à présent largement connues, les grandes étapes qui vont à la fois permettre une orientation décisive des missions du Trésor et confirmer le tournant néo-libéral amorcé dès 1947 doivent être ici évoquées rapidement. Très clairement, Jean Monnet, dès 1945 en position stratégique à l’articulation de l’aide extérieure et de la politique économique intérieure, continue de jouer ce rôle lors des négociations Marshall. C’est lui qui négocie à la fin de l’année 1947 l’aide intérimaire américaine de 284 millions de dollars ; c’est lui qui, on l’a vu, demande au président du Conseil, Georges Bidault, de prendre l’initiative d’un assainissement financier nécessaire afin qu’« il n’apparaisse pas comme une ingérence américaine dans nos affaires intérieures et ne nous semble pas être imposé »17.
8Si le Trésor ne joue pas de rôle de premier plan dans ces négociations, la véritable manne financière que représente l’aide Marshall pour la France et l’accélération qu’elle va procurer dans la marche vers la stabilisation économique et financière18 constituent la nouvelle donne qui permet l’offensive de la direction. Quant aux réactions que l’aide américaine a pu susciter dans les rangs de la direction, les trop rares témoignages sur le sujet ne peuvent permettre de caractériser une réaction propre au Trésor à cette annonce. F. Descamps souligne le sentiment de soulagement qui a prévalu chez tous les hauts fonctionnaires, et, pour la majorité d’entre eux, « une acceptation claire et sans ambiguïté »19 Les négociations avec l’European cooperation administration (ECA) nuanceront cette attitude.
9Si la signature des accords ne s’effectue qu’en juin 1948, l’aide américaine constitue dès le deuxième semestre de 1947 le cadre général dans lequel s’insère le choix des politiques économiques et financières françaises. Après un automne socialement agité, Robert Schuman devient président du Conseil, laissant le portefeuille des Finances au radical René Mayer en décembre 1947.
C. « LE PLAN MAYER, LE RETOUR AUX RÉALITÉS »20 (JANVIER 1948)
10Dès son arrivée, René Mayer place son action sous le signe du retour aux grands équilibres : équilibre des finances publiques au premier chef, avec le lancement de l’emprunt forcé de janvier 1948, le prélèvement fiscal exceptionnel qui l’accompagne, le retrait des billets 5 000 F ainsi que la réduction des dépenses de l’État entamée par la commission de la Hache instituée en avril 1947. Les ressources de trésorerie bénéficient d’un filet de sécurité avec l’institution du plancher de bons du Trésor en compte-courant pour les banques, procédé qui perdurera près de quinze ans. Le retour aux contraintes du marché se traduit également dans la libération de certains prix industriels et le choix d’une dévaluation officielle de 80 % du franc par rapport au dollar, accompagnée d’un système de changes multiples selon la nature des importations et des exportations.
11Si le cabinet de René Mayer, dirigé alors par Paul Delouvrier, joue un rôle primordial plan dans l’élaboration du plan, il s’en partage la mise en œuvre avec le Commissariat au Plan et le cabinet du président du Conseil Robert Schuman, dans lequel Jean Guyot, proche de François Bloch- Lainé, occupe alors le poste de chargé de mission21. Selon son témoignage, « le Trésor a collaboré en toute loyauté sans avoir été peut-être exactement le déclencheur »22 d’un train de mesures dont il souligne les aspects monétaires et anti-inflationnistes ; tandis que pour François Bloch-Lainé, chargé par René Mayer de monter l’opération, « l’entente était tout à fait étroite, d’autant plus que Schuman était président du Conseil, donc on savait que j’étais dans le circuit. Tout ça était traité en famille, sauf une mesure prise contre mon avis qui était le retrait de circulation des billets 5 000 F, qu’il fallait faire quatre ans plus tôt »23.
12Au cours de ces années 1947-1948, des inspecteurs des Finances décidés à redresser l’économie française dans une optique de modernisation, en réaction par rapport à un avant-guerre jugé malthusien, occupent en effet des postes clés de l’administration et jouent alors un rôle déterminant dans la définition et la mise en œuvre de la politique économique ; parmi eux, Paul Delouvrier, Guillaume Guindey, Didier Gregh, déjà en place depuis la Libération, Bernard Clappier24 qui reste plus de quatre ans directeur de cabinet de Robert Schuman, François Bloch-Lainé enfin, certes connu au sein des Finances depuis 1944, mais qui n’acquiert un poste important qu’à partir de 1947.
D. UN NOUVEAU DIRECTEUR POUR LE TRÉSOR (MAI 1947)
13Nommé le 12 mai 1947, le nouveau directeur du Trésor est sans doute l’un des hauts fonctionnaires des Finances, et a fortiori du Trésor, les plus connus actuellement, non sans raison : les actions qu’il a menées, les réformes qu’il a entreprises, au Trésor ou ailleurs, les cours qu’il a professés à Science Po ont laissé des traces dans les mémoires comme dans les pratiques et les structures administratives ; connu également par les nombreux ouvrages qu’il a publiés25 – rares sont ses collègues aux Finances qui aient eu un tel penchant pour la pédagogie, la démonstration, voire l’histoire – François Bloch-Lainé se distingue par là de la majorité des inspecteurs des Finances de sa génération.
14Que représente François Bloch-Lainé lorsqu’il arrive à la tête de la direction du Trésor en 1947 ? Son cursus, comme son profil, en font un homme à la fois exceptionnel et représentatif d’une génération marquée par les années trente et la guerre.
15Né en 1912, François Bloch-Lainé est issu d’une famille parisienne de la « bonne société républicaine de la IIIe République », d’une lignée comprenant de nombreux fonctionnaires26. Il bénéficie d’une éducation bourgeoise typique de l’époque, quoique marquée par une influence religieuse certaine, des expériences formatrices de scout suivies d’activités au sein des Équipes sociales de Saint-Ouen. Au début des années trente, il s’intéresse aux mouvements planistes et participe aux « Nouveaux Cahiers » d’Auguste Detoeuf27. Il soutient sa thèse de droit en 1935 sur « l’emploi des loisirs ouvriers et l’éducation populaire », vote en faveur du Front populaire en 1936 et entre à l’Inspection des finances la même année, lors du dernier concours en jaquette : symbolique de son futur parcours de « porphyrogénète infidèle »28 ! Après la tournée, la guerre : mobilisé, fait prisonnier, il revient à Paris en août 1940, entre comme chargé de mission à la direction du Trésor, pour réorganiser, au sein de la branche Comptabilité publique, la Dette publique29. « La guerre m’a plus déterminé, au plan éthique, sinon, politique, que mes tendances au non-conformisme30 », avoue-t-il, rejoignant ici sans doute une partie de sa génération. La guerre marque également sa véritable rupture d’avec son milieu d’origine et l’« opportunisme cynique »31, d’une classe dirigeante qui selon lui, a failli. Dès l’hiver 1942, il participe à la résistance intérieure, on l’a vu, en livrant des informations administratives pour des réseaux de renseignements affiliés aux services secrets britanniques ; parallèlement, il participe au groupe de réflexion économique sur le plan d’équipement de l’après-guerre organisé par Henri Deroy32. Entre-temps, averti par Pierre Cathala et Jacques Brunet de sa prochaine arrestation, en 1942, il quitte le ministère, tout en continuant sa conférence à Sciences Po. Rencontrant René Courtin du Comité général d’Études par l’intermédiaire de son ami Claude Gruson, il dirige à partir de 1943 les opérations financières pour le compte de la Délégation générale du gouvernement provisoire en France occupée, en prenant la responsabilité du COFI (Comité financier de la Résistance), aux côtés de Michel Debré, Jacques (Chaban) Delmas et Félix Gaillard33.
16Nommé en août 1944 chef-adjoint du cabinet du secrétaire général provisoire aux Finances, Emmanuel Monick, il participe, comme on l’a vu, au Comité de libération du ministère des Finances chargé de l’épuration, ainsi qu’à la commission de réforme de l’inspection générale des Finances instituée le 3 novembre 1944 ; avant même d’occuper des postes à responsabilité, il est d’ores et déjà une des figures montantes de l’inspection. Après un court passage comme chef de cabinet adjoint du ministre Aimé Lepercq, mort accidentellement, il réintègre la direction du Trésor, promu directement sous-directeur chargé de la mise en place du contrôle des changes, sous la houlette de Guillaume Guindey. Une mission financière le conduit en Extrême-Orient en 1945-1946, puis il part comme attaché financier à Washington, suppléant de Pierre Mendès France et de Christian Valensi. À peine est-il arrivé là-bas que Robert Schuman le sollicite pour être son directeur de cabinet, comme il l’explique lui-même :
« Je ne sais pas par suite de quelles amitiés mon nom était en faveur dans ce milieu MRP qui arrivait vigoureusement au pouvoir, on trouvait que c’était une bonne solution que j’aille seconder un ministre plus rassurant [que Philip], et que j’y dirige un cabinet plus rassurant, donc, si vous voulez, le petit monde des Finances était favorable à mon acceptation [...] »34.
17Il est certain que les convictions de François Bloch-Lainé sont alors proches de celles du MRP, même s’il avoue se sentir plus à gauche que son ministre de l’époque... Ceci n’a pu que favoriser sa nomination, également facilitée par ses fonctions de directeur de cabinet du ministre des Finances. Lorsque Ludovic Tron quitte la direction pour la Caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel, c’est tout naturellement que Robert Schuman propose son poste à François Bloch-Lainé qui souhaite alors réintégrer l’administration.
18Ainsi l’homme qui arrive à la tête de la direction du Trésor le 12 mai 1947 bénéficie-t-il d’une réputation et d’un cursus qui s’insèrent particulièrement bien au contexte des années 1947-1948 : un inspecteur des Finances, mais réformiste, un haut fonctionnaire entre la tradition et la modernité. Proche d’un des partis alors au pouvoir, le MRP, il porte également l’auréole, alors primordiale, de résistant. Comme de nombreux résistants, il bénéficie d’une accélération de carrière, lui permettant d’accéder relativement jeune à ce poste35, avec seulement quelques courtes années d’expérience professionnelle derrière lui : à peine cinq ans d’expérience de l’administration (hors cabinet), dont deux ans et demi au poste de sous-directeur... Son ascension tranche, de ce point de vue, avec celle de ses deux prédécesseurs.
19Il apparaît ainsi comme un modéré qui rassure. Modéré par rapport aux tendances révolutionnaires de la Libération, qui ne sont plus à l’ordre du jour, mais en même temps, ses préoccupations sociales et économiques coïncident avec celles des dirigeants de l’après-guerre qui ne veulent pas d’un retour aux doctrines et aux méthodes de l’avant-guerre. Sa génération qui arrive aux postes d’influence après la guerre diffère sensiblement des précédentes, par l’éveil à l’économie dont elle a bénéficié, par sa hantise de la déflation des années trente et son refus du malthusianisme36. De l’autre côté, son éloignement de la métropole durant les effervescences de la Libération le sert : « Je ne m’étais pas compromis sous le ministère socialiste [...] Je reviens, je suis bien vu de la droite, parce que je la rassure après la grande crainte qu’avait provoquée le ministère socialiste de 1946 »37.
20Au-delà des facteurs objectifs qui ont joué en sa faveur, François Bloch-Lainé apporte à la direction du Trésor une forte personnalité, forgée au fil des expériences marquantes qu’il a vécues, qui ont révélé et développé un tempérament d’exception. Les témoignages de ses collaborateurs au Trésor abondent pour souligner son goût de la réforme, son rôle d’éveilleur d’idées, ses qualités de « patron », humain, cordial, sans esprit hiérarchique ; évocations qui ne se font pas sans comparaison plus ou moins explicite avec ses. prédécesseurs. Ce bel unanimisme des discours rétrospectifs incite à conclure, dans un premier temps, à la forte empreinte laissée par le directeur sur ses troupes. Nous verrons par la suite dans quelle mesure cette dimension mythique a perduré. Jean Saint-Geours, qui le croisera tout au long de sa carrière et qui se rapproche de son tempérament réformateur, va plus loin dans l’analyse : « Sa principale qualité qui me frappait quand j’avais trente ans, c’est qu’il concevait en même temps l’idée générale, l’institution et l’homme qu’il fallait »38 ; il partage avec lui « l’inquiétude, au sens étymologique du terme, une absence de tranquillité face aux phénomènes du monde ; la croyance aussi que la collectivité peut quelque chose, qu’il y a une place pour la volonté dans la gestion des affaires publiques ».
21Dans une configuration économique et administrative plus propice au ministère des Finances, au sein de laquelle la direction retrouve d’ores et déjà une influence potentielle, François Bloch-Lainé, fort de l’image favorable dont il jouit, va employer son ardeur réformatrice à des changements décisifs du rôle et de la place du Trésor. Une période essentielle s’ouvre.
II. LA PRISE DE CONTRÔLE DU FINANCEMENT PUBLIC DES INVESTISSEMENTS (1948)
22À partir de 1947-1948, grâce à des réformes concomitantes lancées par le nouveau directeur, la direction du Trésor change considérablement, dans ses missions et dans son organisation. Il suffit de deux années à F. Bloch-Lainé pour mettre en place les nouveaux outils et les nouvelles structures de la direction qui vont perdurer pendant plusieurs décennies.
23L’aspect le plus connu, qui constitue un tournant stratégique pour le Trésor, est le rôle central qu’il joue à partir de 1948 dans le financement des investissements publics. Il se situe alors durablement à l’articulation de l’économique, du financier et du monétaire. Cependant que d’autres réformes, moins connues et néanmoins essentielles, portant sur l’assainissement des modes de financement public, voient le jour de manière concomitante. Nous verrons les deux aspects successivement, puis comparativement, afin d’analyser comment elles se sont ajustées ou opposées.
A. 1947-1948 : LA BATAILLE POUR LE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS PUBLICS
24Peu après sa nomination, le 12 mai 1947, le directeur du Trésor saisit l’occasion de donner un nouveau rôle au Trésor, en s’octroyant la gestion de la contrepartie de l’aide Marshall. C’est en effet entre la mi-1947 et l’été 1948 que se déroule âprement une bataille administrative entre le Plan et le Trésor, dont l’enjeu est la responsabilité du financement de l’aide Marshall. Michel Margairaz a remarquablement analysé dans sa thèse les étapes et le jeu des différents protagonistes ; les épisodes en sont maintenant suffisamment connus pour qu’on ne les rappelle pas ici de manière détaillée. En revanche, les enjeux, la stratégie adoptée par le Trésor et ses conséquences pour la direction seront mis en lumière sur la base d’autres archives.
25Alors que l’affectation de la contre-valeur de l’aide américaine à des dépenses de reconstruction et d’équipement est conjointement défendue par Jean Monnet et le Trésor face à la volonté américaine – et à celle des Finex – de privilégier le remboursement des dettes de l’État39, le contrôle du fonds chargé de gérer la contrepartie de l’aide Marshall les dresse l’un contre l’autre. L’enjeu est de taille : il s’agit d’orienter les ressources issues de l’aide Marshall à la reconstruction du pays, soit 560 milliards de F pour les années 1948-195140. Or le Commissariat général au Plan craint « les bandelettes stérilisantes »41 des financiers comme des bureaucrates qui pourraient nuire à l’entreprise. En décembre 1947, il propose la création temporaire d’un fonds national d’équipement des activités de base, qui sera effectivement créé par la loi du 7 janvier 1948, sous le nom de fonds de modernisation et d’équipement (FME), et qui recevra une part du prélèvement exceptionnel contre l’inflation. La loi du 21 mars 1948 crée un compte spécial du Trésor pour la gestion de ce fonds, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il soit alors sous la responsabilité de la direction du Trésor. À qui confier la gestion du fonds ? C’est tout l’enjeu de la bataille qui va se dérouler en quelques mois et que René Mayer devra trancher.
26Entre décembre 1947 et février 1948, Jean Monnet continue son offensive, multiplie lettres et memoranda à l’adresse du ministre des Finances. On imagine la réticence du directeur du Trésor à ce qu’il considère comme un démembrement du Trésor42 et les hésitations de René Mayer entre les deux protagonistes43. Le ministre finit par pencher pour la solution préconisée par le Trésor. C’est alors que François Bloch-Lainé, dans ce qui apparaît alors comme une habile recherche d’un modus vivendi avec le Commissariat au Plan, propose au ministre la création de la Commission des investissements. La note pour le ministre du 12 avril 1948 relative au « contrôle des investissements » qui présente l’argumentation du directeur du Trésor constitue un document très significatif, qui, plus que les témoignages postérieurs écrits ou oraux sur les raisons objectives de cette invention administrative, offre l’avantage de mettre en évidence la stratégie du directeur du Trésor, telle qu’il la conçoit en avril 1948.
27Il s’agit en effet d’une note exemplaire sur le fond comme sur la forme, qui livre à la fois l’habile tactique du directeur quant à l’argumentation choisie pour toucher le ministre, et la stratégie mise en place en vue de la coordination des investissements. Dans un style alerte, incisif et parfois directif, s’appuyant sur les débats parlementaires du mois de mars sur la reconstruction, le directeur du Trésor se place d’entrée de jeu dans la droite ligne de la politique définie par le ministre des Finances « pour réaliser les travaux indispensables sans prolonger l’inflation »44 politique approuvée par le Parlement qui « a invité le gouvernement à soumettre l’établissement des programmes d’investissements et leur exécution à un contrôle plus strict, afin que l’adaptation des demandes de matériaux et de capitaux aux disponibilités s’effectue de façon plus cohérente, en respectant au mieux les priorités et sans gaspillages ». À partir de là, son constat est simple : parmi les six grands secteurs d’investissements (État, collectivités locales et établissements publics, TOM, entreprises exerçant les activités de base du Plan, reconstruction privée et entreprises diverses), certains secteurs, marqués par « l’empirisme de la démarche » qui guide les décisions en matière d’investissement public, souffrent d’un manque de vue d’ensemble, comme les TOM, les collectivités locales et les investissements privés. Mais il ne se contente pas de proposer des mesures de réformes pour chacun de ces secteurs – sur lesquels nous reviendrons –, il conclut également à la nécessité « de coordonner l’ensemble des opérations d’investissements en les confrontant périodiquement sur le plan gouvernemental ». Or, écrit-il, « ni le conseil supérieur du Plan ni le [Conseil national du crédit] ne peuvent opérer seuls en ce domaine. L’un exprime surtout les besoins en économie, l’autre les moyens financiers. C’est au gouvernement qu’il appartient, en tenant compte des renseignements et des avis donnés par ces organismes purement consultatifs (sic), d’arrêter les programmes d’investissements et d’en suivre l’exécution ». Tout naturellement, le travail de celui-ci doit être préparé par une commission administrative, la « Commission des investissements », dont François Bloch-Lainé propose d’urgence l’institution dans un projet de décret joint à sa note.
28On remarquera l’habileté de la méthode adoptée par le directeur du Trésor, qui s’appuie sur la politique mise en œuvre par René Mayer pour étayer ses propres arguments concernant la nécessité du contrôle et de la coordination des investissements ; qui souligne le caractère administratif de la Commission, « placée sous l’autorité du ministre des Finances », émettant des avis et formulant des propositions qui seront approuvés par le Parlement. Commission consensuelle aussi, qui doit rassembler tous les intervenants publics dans les programmes d’investissements.
29Enfin, lorsque le directeur du Trésor reprend les propos du rapport général du Budget au Conseil de la République sur l’objectif de réalisation de « l’équilibre global des demandes et des ressources », il fait implicitement aussi la part belle au ministère des Finances face aux organes « consultatifs » que sont pour lui le Plan et le Conseil national du crédit...
30L’on connaît le résultat – quelque peu différé, car J. Monnet ne désarme pas tout de suite – de la note du directeur du Trésor : la Commission des investissements effectivement est créée par décret le 10 juin 1948. Pourquoi le ministre, après quelques mois d’hésitation, a-t-il cédé en faveur de F. Bloch-Lainé ?
31Parmi les raisons explicitement avouées par René Mayer, il y a la crainte de devoir confier la gestion du fonds au Commissariat au Plan, qu’il considère comme l’une des « féodalités administratives qui se sont constituées depuis la Libération »45 ; s’y ajoute le souci de pas démembrer la trésorerie, ce qui, au regard de l’importance des sommes en jeu, paraît légitime46 Le poids traditionnel d’une administration régalienne et séculaire face à une jeune institution indépendante et de recrutement non-administratif a sans doute fait pencher la balance. Enfin, l’image et l’autorité personnelle de F. Bloch-Lainé alors jeune directeur du Trésor, ancien directeur de cabinet de R. Schuman, appartenant à une génération de hauts fonctionnaires modernisateurs, ont sans doute conforté R. Mayer dans l’idée que son choix n’était pas celui des financiers contre les forces économiques, comme le craignait J. Monnet.
32Plus ponctuellement, sur la création de la Commission des investissements, le ministre des Finances, qui vient de lancer un plan d’austérité dont une part de réduction des dépenses publiques, ne pouvait pas rester insensible aux arguments présentés par François Bloch-Lainé en faveur d’une plus grande efficacité et d’un meilleur contrôle des programmes d’investissements publics. L’idée d’une commission consensuelle et coordinatrice ne pouvait pas non plus déplaire à un ministre des Finances, toujours réticent à devoir se battre contre d’autres administrations.
33Cependant, la création de la commission continue de provoquer quelques remous. On sait que Jean Monnet continuera de batailler au-delà de la parution du décret en juin 1948, en n’acceptant une responsabilité du Trésor qu’à titre provisoire47, mais qu’il finit par accepter ce compromis avec le Trésor. Par la suite, lorsqu’il s’agit de faire signer le décret par les huit ministres concernés, René Mayer se voit dans l’obligation de rassurer ses collègues de la France d’outre-mer et de l’Intérieur, inquiets de voir les Finances prendre le contrôle de leurs investissements48. Le ministre de la France d’Outre-mer se laisse convaincre après que René Mayer lui a assuré qu’il n’entrera pas dans les attributions de la commission « de contrôler l’emploi de ces ressources et notamment de celles qui sont réparties par le FIDES [fonds d’intervention et de développement économique et social] et les autorités locales dans les TOM ». En revanche, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jules Moch, en dépit des tentatives de conciliation de René Mayer et de ses assurances concernant « la liberté des ordonnateurs locaux » ne cède pas49 : sa signature ne figurera pas sur le décret instituant la Commission. Sans doute l’ancien planiste, éphémère ministre de l’Économie nationale en 1946, qui se double d’un homme politique chevronné et fin connaisseur des rouages de l’État mesure-t-il lucidement les enjeux de pouvoir qui se profilent à partir de la création d’une Commission présidée par le ministre des Finances. Sans doute également le traditionnel conflit entre les services de l’Intérieur et des Finances a-t-il poussé le ministre de l’Intérieur à se rebeller contre ce qui a pu apparaître comme une diminution du rôle des autorités de tutelle locales...
34Le directeur du Trésor vient de gagner une bataille au prix de quelques amertumes et réticences. Il a ainsi institutionnalisé ce qu’il a appelé par la suite « son idée fixe » sur le rôle positif que devait jouer à ses yeux le ministère des Finances dans la modernisation et l’équipement du pays. Cependant, dans la note pour le ministre comme dans le décret du 10 juin 1948, le rôle du Trésor au sein des Finances apparaît encore bien discret par rapport aux autres intervenants ; et la Commission des investissements, liée au provisoire FME, est encore considérée en 1948 comme un organisme temporaire.
35Surtout, la gestion de la contrepartie de l’aide Marshall, – enjeu originel de la bataille du FME –, fait apparaître clairement la stratégie du directeur du Trésor : il a souhaité, en dépit des inconvénients pour l’équilibre de la trésorerie constatés dès les premiers mois, avoir seul la responsabilité de la contrepartie ; ce qui, dans la pratique, présente pour le Trésor beaucoup d’inconvénients du point de vue de la gestion de la trésorerie. Tributaire des déblocages de l’aide américaine, il doit ainsi subir de sérieux à-coups de dépenses et se voit dans l’obligation de recourir en urgence aux avances de la Banque de France pour faire face à ses échéances. Dès le 13 septembre 1948, le Trésor signale au président Queuille les besoins du Trésor d’ici fin septembre, 45 milliards, et 45 milliards également pour la fin d’octobre. Il demande au Président de s’assurer auprès des Américains « qu’il disposera des moyens nécessaires pour faire face aux échéances, avant de pouvoir laisser le Parlement partir en vacances » ajoutant que « les conditions qui justifient le déblocage sont remplies »50. Plusieurs années durant, l’équilibre de la trésorerie française se trouve compromis par les retards de versements américains. François Bloch-Lainé lui-même s’en plaint auprès de W. Baumgartner : « Cette situation dans laquelle nos fins de semaine sont compromises par des caprices de nos bienfaiteurs est vraiment insupportable ! » lui écrit-il en août 195251. Par ailleurs, cette remarque met au jour l’ambiguïté des sentiments du haut fonctionnaire des Finances envers les Américains.
36Ces risques pour la trésorerie de l’État et leurs répercussions politiques en cas de recours aux avances de la Banque de France, suscitent des interrogations dès la mise en route de l’aide Marshall. Une note du secrétaire général du SGCI, adressée à Dominique Boyer le 11 septembre 1948 explique le système anglais de gestion de la contrepartie de l’aide Marshall, système qui fait supporter à l’Institut d’émission la charge momentanée des blocages et déblocages de contre-valeur, et en supprime l’incidence sur la Trésorerie52.
37Quelques mois plus tard, une note du 7 juillet 1949, issue du Trésor53, analyse les avantages et les inconvénients comparés des systèmes de comptabilisation de l’aide américaine français et anglais, et propose un système s’inspirant du mécanisme anglais : au lieu de transiter uniquement par le Trésor, le procédé ferait transiter les fonds Marshall par un « compte d’attente » de la Banque de France, intervenant par souscription de bons du Trésor pour pallier les écarts entre les déblocages et les versements. L’auteur de la note conclut : « Finalement le système d’inspiration anglais rendrait au Trésor une autonomie complète par rapport aux opérations de blocage ou d’encaissement de la contre-valeur de l’aide Marshall ». À la possibilité qu’il ouvre d’un contrôle plus facile, donc plus étroit des autorités américaines sur l’emploi des fonds bloqués, l’auteur avance que « le Trésor serait toujours libre de faire des avances sur sa propre trésorerie aux nationalisées et à la CAREC au cas où les déblocages donneraient lieu à des difficultés ». Enfin, réfutant l’argument d’« atteinte au principe sacré de l’unité de trésorerie », il répond clairement : « Le principe de l’unité de trésorerie, à côtés de ses avantages sur le plan comptable et « théorique », peut avoir comme en ce moment, de graves inconvénients financiers dans la mesure où il conduit à aggraver les oscillations du compte du Trésor à la Banque en période de fonds de roulement étroit. Il est incontestable qu’un système de type anglais mettrait le Trésor à l’abri d’une des causes importantes d’oscillations de ses disponibilités. Tout ce qui peut, d’ici la fin de l’année, atténuer les décalages de trésorerie, mérite à cet égard de retenir l’attention »54. Sans que l’on sache à qui attribuer cette note, il est intéressant de voir que la question a bel et bien été soulevée et étudiée au SGCI, puis au Trésor, mais qu’elle n’a pas pour autant donné lieu à un changement de mécanismes : le Trésor avait le choix, il a délibérément choisi de gérer seul la contrepartie. Sans doute le Trésor a-t-il préféré ne pas se lier trop étroitement à la Banque de France en se mettant dans l’obligation de lui demander de souscrire des bons du Trésor : la vieille rivalité des deux pôles de l’autorité monétaire a joué contre une co-gestion de l’aide Marshall. Finalement, ni la Banque ni le Plan ne semblaient, aux yeux de F. Bloch-Lainé habilités à gérer ce fonds ; seul le ministère de l’Économie nationale aurait pu le faire, mais il n’en avait plus, comme on l’a vu plus haut, les moyens institutionnels et humains. Enfin, le fait qu’au sein même de l’administration des Finances, le Trésor a été préféré au Budget pour gérer la contrepartie de l’aide Marshall peut s’expliquer par un faisceau de raisons : d’une part, c’est le directeur du Trésor seul qui, à notre connaissance, a pris l’initiative de contrer celle de Jean Monnet et qui en recueille alors légitimement aux yeux du ministre les retombées. D’autant que l’argument de ne pas démembrer la trésorerie, qui s’il est théorique, a fait mouche, implique une responsabilité du service chargé de la trésorerie. D’autre part, l’image de François Bloch-Lainé a joué en faveur du Trésor face à une direction du Budget perçue, à tort ou à raison, comme traditionnellement encline à réduire les dépenses et, qui de surcroît est uniquement en charge à cette date des dépenses de fonctionnement. L’on peut ici rejoindre les propos de François Bloch-Lainé sur ce sujet :
« Ce qui fait qu’on a cédé dans mon sens, c’est que cela pouvait être pire que ce soit le directeur du Budget au lieu du directeur du Trésor qui décide, n’est-ce pas.
– Question : Pire ? Pourquoi pire ?
– F. Bloch-Lainé : Parce que le Budget avait à prendre en considération d’autres dépenses, le Trésor était un meilleur avocat de l’investissement contre le fonctionnement que ne peut l’être un directeur du Budget »55.
38Cependant, le directeur du Trésor a besoin de l’aval de ses collègues du ministère pour créer la commission ; face aux concurrents, la solidarité « Finances » joue pleinement ! À la question posée sur ses relations avec les autres directeurs du ministère, François Bloch-Lainé évoque ses déjeuners hebdomadaires avec Guillaume Guindey et Didier Gregh et avoue lui-même :
« Je n’aurais pas pu faire la Commission des investissements sans l’accord du directeur du Budget, qui reconnaissait lui-même qu’il ne régentait pas le budget extraordinaire autant que le budget ordinaire, et qui trouvait qu’il avait un nouveau rôle à jouer par le biais de la Commission des investissements sur des dépenses dont il s’était désintéressé, parce qu’il avait déjà assez à faire avec le budget proprement dit »56.
39Avec la mise en route de la Commission des investissements se joue en quelque sorte la deuxième manche entre les acteurs publics, politiques et administratifs ; après la bataille contre le Plan, voici l’heure de la mise en place effective de la Commission, révélatrice des véritables centres de pouvoir. Analyser quel est alors le poids du Trésor au sein de la Commission permet de comprendre mieux la place prise par le Trésor, à partir de 1948, dans le circuit des interventions économiques de l’État. Étudier l’évolution de fonctionnement d’une novation administrative qui va se pérenniser permettra également d’illustrer un mode de fonctionnement administratif.
B. LE FONCTIONNEMENT DE LA COMMISSION DES INVESTISSEMENTS DE 1948 A 1952 : LA PLACE STRATÉGIQUE DU TRÉSOR
40Les propositions formulées par F. Bloch-Lainé dans sa note du 12 avril 1948 sur la composition de la Commission des investissements sont reprises en grande partie dans le décret du 10 juin : la Commission, présidée par le ministre des Finances, comprend le Commissaire général au Plan ou son délégué, le gouverneur de la Banque de France, le directeur du Trésor et le directeur du Budget (Finances), le directeur des Programmes économiques (Économie nationale), des représentants des ministères techniques (Agriculture, Industrie, Travaux Publics, etc.), qui prennent part aux réunions consacrées aux programmes d’investissements qui les concernent. On remarquera que le ministre de l’Intérieur, dont le prédécesseur n’avait pas voulu cosigner le décret du 10 juin 1948, demande officiellement à participer à la Commission des investissements en janvier 1949, à l’occasion de l’examen des programmes d’investissements en Algérie... Sa demande est reçue favorablement par la Commission.
41S’ajouteront rapidement à la liste établie par le directeur du Trésor les dirigeants de grands établissements de crédit, satellites du Trésor et collecteurs de ressources. Dès la première séance de la Commission des investissements tenue le 21 juin 1948, François Bloch-Lainé, au grand dam de Jean Monnet, prévoit que le FME pourra consentir des crédits à des entreprises autres que nationalisées57 ; ce qui explique en partie l’intégration dans la Commission d’établissements financiers comme la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse nationale du crédit agricole et le Crédit national. Lors de la séance du 12 août 1948, le sous-directeur des Interventions économiques au Trésor, Maurice Sergent, propose ainsi la saisine de la Commission des investissements pour les prêts octroyés par le Comité de la loi du 23 mars 1941 d’un montant supérieur à 2 milliards de francs58, mesure qui sera effectivement mise en place à partir de l’année 1949. Des relations analogues sont instituées avec le Comité chargé d’examiner les demandes d’autorisation d’émissions sur le marché financier (comité des émissions). Se dessine d’ores et déjà un élargissement de la responsabilité de la Commission en faveur de l’ensemble des financements publics par rapport à la Commission des activités de base, dite Commission Boutteville chargée des investissements des secteurs prioritaires du Plan -orientation que le directeur du Trésor avait souhaitée dès le départ dans un souci de coordination des investissements octroyés par l’État. Le premier rapport de la Commission des investissements est à cet égard explicite : « La Commission n’a pas entendu limiter son rôle à l’étude de problèmes généraux et à la formulation d’avis relatifs à la politique d’ensemble en matière d’investissements. Il est apparu à tous ses membres que, pour avoir une vue précise de ces problèmes et pour exercer une influence véritable en la matière, il importait que la Commission « évoquât » les opérations particulières importantes intéressant les divers organismes d’octroi ou de contrôle des crédits à moyen ou à long terme »59. L’articulation entre le monétaire, le financier et l’économique est née.
42Face à cette pression administrative, comment le ministre des Finances exerce-t-il son autorité de Président de la Commission ? Le caractère consultatif de la Commission qui examine les programmes de reconstruction et d’équipement exécutés ou financés par l’État, donne son avis sur l’ordre des priorités, les rythmes d’exécution et sur les modes de financement de ces travaux, est souligné par René Mayer lors de la première séance de la Commission, le 21 juin 1948. L’autorité politique n’entend pas se dessaisir de son pouvoir, et la lecture attentive des procès-verbaux de la Commission des investissements fait effectivement apparaître la participation active des ministres tout au long de cette première période60. Les ministres des Finances successifs président en personne la quasi-totalité des réunions décisives portant sur les volumes d’investissements approuvés en Conseil des ministres et votés par le Parlement. Lors de la séance du 11 décembre 1948, qui illustre l’un des moments forts de la bataille des investissements pour l’année 1949, le ministre des Finances en place, Maurice Petsche, revient plusieurs fois sur le fait que la Commission doit se borner à répartir les chiffres arrêtés en Conseil des ministres : « Il n’y a pas lieu de revenir sur une décision gouvernementale prise en toute connaissance de cause »61. C’est en réalité plus sur le volume total que sur la répartition que l’autorité ministérielle s’exerce, avec plus ou moins de facilité, comme nous l’étudierons plus loin.
43En amont, la préparation des réunions plénières est réservée aux représentants des institutions membres de la Commission, soit des hauts fonctionnaires qui vont jouer un rôle essentiel dans l’orientation des travaux.
44En premier lieu, sept groupes de travail sont mis en place afin de préparer le travail de la Commission, correspondant aux grands secteurs définis par F. Bloch-Lainé dans sa note pour le ministre. Les groupes 1 (Investissements de l’État), 2 (Collectivités locales) et 3 (Construction et logement) sont dirigés par le directeur du Budget, les groupes 4 (Entreprises nationales), 5 (Territoires d’outre-mer) et 6 (Agriculture) par le Commissariat général au Plan, et le groupe 7 (Activités diverses) par le directeur général du Crédit national. La mise en place de ces groupes fixe un cadre de travail qui va perdurer et s’institutionnaliser : leur succéderont des comités spécialisés, qui seront au nombre de dix. Le Trésor est présent à tous les comités, et s’il ne les dirige pas, il a des représentants dans tous les groupes de travail ; « la coordination générale des travaux de la Commission est assurée par la direction du Trésor » souligne le premier rapport de la Commission des investissements62.
45À la répartition sectorielle des groupes de travail s’ajouteront différentes structures plus ou moins formelles, qui réunissent un petit nombre de responsables autour de la difficile question de l’adaptation des ressources aux emplois, ou l’inverse, suivant la conjoncture et le ministre en place. Un groupe de travail se constitue dès octobre 1948 afin de formuler des propositions de dépenses en fonction des ressources, qui réunit Jean Monnet, le directeur du Trésor, le directeur du Budget, le directeur général adjoint des Impôts, le directeur des Programmes et le directeur de la Coordination au ministère de la Reconstruction. En juillet 1949, dans un même souci d’adaptation des dépenses et des ressources, est créé en Conseil des ministres un Comité spécial, chargé de déterminer en amont le montant des investissements à la charge de l’État puis de chiffrer les ressources de trésorerie nécessaires à leur réalisation. Présidé par le gouverneur de la Banque de France, il comprend Jean Monnet, le directeur du Budget (Roger Goetze à l’époque) ainsi que des représentants du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme et du ministère de la Défense nationale ; le Trésor est représenté par le secrétaire de la Commission des investissements. Si la création du Comité spécial illustre d’abord le souci de rationaliser les procédures existantes63, elle inaugure également un nouveau cadre de travail « macroéconomique », qui sera formalisé avec le « tableau carré » de la direction du Trésor : la définition des emplois et des ressources appuyée sur de timides tentatives de prévision, l’objectif de suppression de l’écart entre les deux entités, dans une perspective de recherche des grands équilibres (budgétaire et monétaire), vont ainsi orienter, dès leur démarrage, les travaux de la Commission et plus largement la politique publique d’investissements. Dans un entretien sur le plan Marshall, Dominique Boyer explique le processus :
« Question : La Commission des investissements a bien été créée pour répartir les fonds Marshall ?
D. Boyer : Oui, oui, mais en inscrivant cette répartition dans le cadre de la politique économique et industrielle de la France, et en la mettant en rapport avec les autres financements. C’est pour ça qu’on rassemblait les investissements budgétaires, les investissements financés par le plan Marshall et les autres. Cela s’est mis au point ensuite progressivement : on a cherché, à partir d’une urgence de répartition, progressivement, à introduire une cohérence plus grande, affiner certaines notions comme l’autofinancement, comme les financements bancaires. On a eu le souci de faire le tableau des investissements, avec une série de colonnes qui étaient jusque-là dispersées. C’était au fond un balbutiement de comptabilité nationale »64.
46D’autres comités avaient été envisagés par le Trésor mais n’ont pas, à notre connaissance, vus le jour formellement65 : un comité technique ou comité des investissements, rassemblant les ministères dépensiers, le Plan et le Trésor ; un comité financier réunissant les responsables du crédit (Trésor, Banque de France, établissements de crédit spécialisés), le Trésor étant, une fois encore, la seule institution représentée dans les deux comités.
47Véritable cheville ouvrière de la Commission, le secrétariat de la Commission des investissements, confié à un fonctionnaire du Trésor, apparaît rapidement comme un poste stratégique. Chargé officiellement de préparer les ordres du jour, de centraliser les demandes de prêts et d’avances, le secrétaire de la Commission va jouer un rôle autrement plus important. Au titre de la coordination des travaux par la direction du Trésor, il est bien placé pour obtenir les informations à la fois sur l’ensemble des ressources et des besoins, et donc pour émettre un avis autorisé sur les demandes de prêts. Dominique Boyer s’en explique dans ses entretiens : « [Le secrétariat de la Commission] m’a mis au départ en position de connaître vraiment une très grande partie des problèmes qui se posaient tant au ministère des Finances qu’au gouvernement. C’était un carrefour »66.
48Au cours de la séance du séminaire sur l’histoire du Trésor67 consacrée au financement des investissements, l’ancien secrétaire de la Commission des investissements a également précisé le rôle de « filtrage » qu’il avait alors vis-à-vis des demandes de prêts, comme dans « l’évaluation des risques qu’on pouvait courir raisonnablement, au regard de l’impasse de trésorerie ». On ne saurait cependant occulter ici le rôle propre du Plan dans les travaux préparatoires de la Commission. Certes, l’on peut suivre Carlo Spagnolo lorsqu’il écrit que « le Commissariat général au Plan perd [...] beaucoup de son pouvoir de pression sur l’ensemble de l’économie » et que « ses commissions de secteur en seront indirectement touchées »68, mais en raison de la personnalité de son Commissaire général, le Plan reste à la fois le cadre de référence des choix sectoriels et un interlocuteur écouté. C’est au Plan que sont adressées les premières demandes des « dépensiers », demandes vues une première fois par le Plan et appuyées par lui face au Trésor. Dominique Boyer comme Jean Guyot soulignent à la fois l’influence personnelle de Jean Monnet tout au long de cette période 1948-1952, ainsi que les bonnes relations personnelles entre les hommes du Trésor et du Plan :
« On ne se rend pas compte à quel point Jean Monnet apportait dans la vie administrative un style complètement nouveau et complètement inconnu. Un premier aspect de ce style, c’est d’abord une absence totale de considération hiérarchique, c’est-à-dire que s’il avait un interlocuteur qui lui plaisait, ce qui avait été mon cas pour être franc, il ne se préoccupait absolument pas de savoir où il était, comment il était »69, se souvient aujourd’hui Jean Guyot.
49Tandis que Dominique Boyer évoque ses relations avec Jean-Pierre Delcourt, chef du service financier du Plan, qu’il a connu avant la guerre : « Lui-même faisait le tri à l’intérieur des commissions de modernisation [du Plan] et nous essayions de nous mettre d’accord pour savoir ce qu’on présentait. »70. Par la suite, des propositions administratives sont présentées à la Commission, qui laissent la place à des options, « dans des « fourchettes » dont le Trésor et le Budget ont convenu entre eux lors de réunions officieuses »71. On voit ici que le cadre des décisions de la Commission est déjà étroitement fixé avant que les décisions officielles ne soient prises.
50Le secrétaire a également la charge de rédiger le rapport de la Commission des investissements, instrument d’information sur l’état des investissements publié dans Statistiques et Études financières. Ce document au style alerte et au ton très libre, loin de la littérature administrative traditionnelle, reflète dans ces premières années de fonctionnement la détermination des experts en charge de la Commission et l’autonomie dont ils entendent bien disposer. Plus encore, le premier rapport de la Commission pour l’année 1948 définit clairement le rôle que la Commission entend jouer dans la politique d’investissement public et les attributions qu’elle s’est fixées : on y retrouve le souci de coordination et de contrôle de l’ensemble des investissements, recommandés par le directeur du Trésor dès le mois d’avril 1948.
51Le choix des hommes, pour ce poste stratégique, donne une idée de l’importance que lui attache alors le directeur du Trésor : s’y succèdent de jeunes inspecteurs des Finances, chargés de mission à la direction du Trésor. Jean Guyot (1948-1949) puis Dominique Boyer (1949-1953) occuperont ce poste. S’y joindra Jacques Desazars de Montgailhard, un administrateur civil énarque, qui sera l’adjoint de Dominique Boyer en 1952 ; puis lui succédera en 1953, avec comme adjoint un autre administrateur civil issu de l’ENA, Bruno Bonnet de Paillerets. Hormis le passage rapide de ces deux administrateurs civils, le poste sera continûment occupé par de jeunes inspecteurs des Finances, comme nous le verrons par la suite. Il faut ici rappeler que les inspecteurs des Finances sont choisis par le directeur – à la différence de la grande majorité des administrateurs civils nommés au Trésor suivant leur rang de sortie de l’ENA72 – et sont détachés à la direction en tant que chargés de mission, sans être affectés dans un bureau, pour être ensuite nommés directement sous-directeur : le poste de secrétaire de la Commission des investissements convient merveilleusement à leur absence de statut au sein de la direction, tout en leur permettant de faire leurs premières armes dans une fonction ouverte sur la plupart des missions du Trésor et sur les autres administrations. La formation des inspecteurs des Finances, plus généraliste que celle des rédacteurs issus de l’ancien concours, ainsi que le prestige dont jouit le corps à l’époque, ont également contribué à privilégier ce type de recrutement pour un poste ouvert à toutes les interventions économiques. François Bloch-Lainé choisit donc des hommes recrutés par ses soins, des proches comme Jean Guyot ou des hommes neufs (promotions postérieures à 1945), issus de la nouvelle école d’administration. On notera également l’emplacement géographique privilégié du bureau de secrétaire de la Commission des investissements : deux petits bureaux près de celui du directeur, réservés, selon les termes de Jacques Desazars de Montgailhard, aux « chouchous »73. Ces facteurs matériels et humains contribuent à donner au poste une envergure certaine, au sein du Trésor comme au sein de la Commission.
52La mise en place de ces différentes structures et postes, la qualité des hommes en fonction tant aux Finances qu’au Plan, contribuent à faire de la Commission la plaque tournante de la politique publique d’investissements et un élément d’une « technologie invisible »74 qui concourt à déterminer des choix politiques. La conjoncture politique et économique des années 1949-1952 va jouer un rôle non négligeable dans la définition des choix d’investissements ; les pressions américaines en faveur d’une politique financière plus rigoureuse, relayées par des ministres en charge des Finances aux tendances libérales, conduisent à une analyse macroéconomique des besoins et des ressources, et débouchent plus largement sur des choix de politique économique.
53Michel Margairaz a déjà clairement analysé l’évolution des politiques publiques d’investissements entre 1948 et 1952, mettant en lumière le lien entre les contraintes financières et les besoins de l’économie qui ont pesé dès le départ sur la définition du cadre de travail : la bataille des investissements pour 1949, qui va constituer selon lui un tournant pour la « conversion » des Finances à l’économie, est à cet égard révélatrice à la fois du rôle des experts dans la définition des arbitrages de départ et dans les méthodes de choix des investissements : « À la différence de la démarche proposée par Henri Queuille et Maurice Petsche, les hauts fonctionnaires du groupe de travail ne commencent pas par évaluer les ressources « certaines ». Ils examinent d’abord le contenu technique et économique des programmes et, au lieu d’envisager des abattements proportionnels, ils opèrent la discrimination entre les programmes déjà engagés et les nouveaux. À partir de là, ils débattent des compressions possibles »75. L’on sait également grâce à M. Margairaz que la fixation du volume des investissements pour chaque année oblige les protagonistes à réfléchir aux moyens de couverture des besoins et conditionne ainsi les orientations de la politique budgétaire et fiscale. C’est donc une grande part de la politique économique qui à cette époque est débattue entre les experts de la Commission, dans une logique économique avant d’être financière (prise en compte des charges pour trouver ensuite les besoins).
C. LE TRÉSOR ET LES CHOIX SECTORIELS D’INVESTISSEMENT
54Si l’on perçoit bien le rôle stratégique de l’ensemble des experts dans la préparation des séances, dans la fixation des lignes directrices qui orientent les débats et les arbitrages, celui du Trésor sur les choix d’investissement est plus délicat à isoler. Certes, dans la définition du volume des besoins à couvrir considérée comme un préalable à la recherche des ressources, dans la défense des investissements productifs, entre le pôle économique de la « Triple Alliance » du Plan, des Affaires économiques et de l’Industrie et le pôle financier (Budget, Banque de France, Crédit national), la direction du Trésor a un rôle stratégique de recherche de compromis, « celui d’un rapporteur-payeur, résolu et déchiré, en porte à faux pour la bonne cause »76.
55En revanche, sur les choix à opérer entre les secteurs après que le volume des investissements publics ait été décidé, la position du Trésor est moins facile à définir. Les procès-verbaux des séances de la Commission des investissements, bien qu’intéressants au regard de leur caractère confidentiel et strictement administratif, ne reflètent qu’une partie des discussions – certaines ayant eu lieu auparavant dans des discussions informelles ou au sein des groupes de travail. Des dossiers préparatoires aux réunions de la Commission des investissements ont également été consultés, mais ne révèlent que des informations fragmentaires. Tandis que les témoignages oraux ne livrent guère de précisions sur les dossiers sectoriels.
56Par ailleurs, deux types de contraintes externes pèsent sur les choix des secteurs par la Commission. Sur l’existence d’une pression éventuelle des Américains dans l’affectation de la contre-valeur de l’aide Marshall, les recherches de Gérard Bossuat font état des recommandations américaines en faveur de la modernisation des secteurs de base, puis de la construction de logements sociaux et des TOM, sans qu’une ingérence directe dans la répartition par secteurs apparaisse77. Pour lui faire écho, le témoignage de Dominique Boyer sur ses relations avec l’European cooperation administration (ECA) donne le point de vue de la direction :
« On était en très bons termes, on se comprenait. Ils essayaient de faire comprendre notre point de vue aux autorités de Washington, ce qui n’était pas simple. On voulait éviter d’être vassalisé. Par conséquent, les Américains ne sont jamais intervenus à l’intérieur de la Commission des investissements. Ils n’ont même finalement, en dehors de quelques grandes lignes jamais interféré dans l’allocation des crédits. [...] Ils comprenaient que ce qu’on faisait allait dans le bon sens, mais qu’ils n’avaient pas intérêt à s’en mêler de trop près »78.
57Si le fait que les hauts fonctionnaires français n’aient guère envie de souligner a posteriori une éventuelle ingérence américaine dans les affaires intérieures françaises relativise l’intérêt du témoignage, la convergence de plusieurs témoignages dans ce sens, et l’absence de trace d’intervention américaine dans les archives de la Commission autorisent cependant à confirmer les déclarations de D. Boyer. Autant la pression américaine s’est fait clairement sentir sur « l’assainissement monétaire », sur la répartition entre investissements productifs, militaires ou sociaux – notamment à partir de 1950 –, autant l’intervention américaine sur les choix d’investissements productifs est absente des débats internes à la Commission, selon les écrits de F. Bloch-Lainé79.
58Le rôle du Commissariat général au Plan déjà souligné pour la préparation des décisions de la Commission ne peut être négligé en regard des choix sectoriels. Approuvé par le Parlement, le Premier Plan de modernisation et d’équipement fixe en amont un cadre général, une voie tracée qui donne la priorité aux secteurs de base, au sein de laquelle la marge de manœuvre des acteurs publics est alors mince ; l’énergie, les transports, l’industrie lourde comme la sidérurgie étant alors privilégiés, les choix de répartition entre les autres secteurs sont limités. Par ailleurs, le fait que les secteurs nationalisés à la Libération coïncident alors largement avec les secteurs prioritaires du Plan biaise l’analyse des choix éventuellement différenciés en fonction du statut de l’entreprise, qu’elle soit nationalisée, privée, collectivité locale ou société d’économie mixte. La marge de manœuvre est d’autant plus mince que, du fait de programmes lourds étalés sur plusieurs années, sont privilégiées les entreprises ayant déjà engagé des travaux les années précédentes. Rappelons cependant que les investissements du Plan donnent la première place aux entreprises nationalisées entre 1947 et 1949, mais que dès 1950, celle-ci revient aux entreprises privées (50 % des investissements en 1951, pour 40 % aux nationalisées)80.
59En tenant compte de ces différentes contraintes externes, quelques lignes directrices sont ici tracées pour tenter de répondre à deux questions : quels sont les secteurs d’intervention privilégiés ? Quels sont les critères de choix ?
60Parmi les critères de filtrage implicitement retenus, la manière dont est perçu le demandeur au Trésor permet, si l’on en croit F. Bloch-Lainé, une première sélection. Le directeur du Trésor évoque ainsi le poids des « lobbyings dépensiers » plus ou moins talentueux qui a pu conduire le Trésor à privilégier plutôt la SNCF que les PTT En second lieu, le fait que le Trésor ne se soit pas intéressé aux PME s’explique selon lui par les habitudes de travail d’une direction, « plus à l’aise pour traiter le gros que le détail »81. Ceci rejoint une partie du constat fait quelques années plus tard par Bertrand de Jouvenel lorsqu’il analyse la mauvaise répartition des fonds d’investissements par le Trésor entre les entreprises : « Même les hauts fonctionnaires les plus éclairés et les plus judicieux ont des difficultés à faire la meilleure répartition des fonds d’investissements. [...] L’expérience des pays à investissements dirigés [...] leur a enseigné qu’on voit plus immédiatement les investissements lourds que légers et qu’on est enclin à diriger les fonds vers des emplois où la productivité marginale de l’investissement est la plus faible »82.
61Plus explicite, et plus délibérée sans doute, est la démarche en faveur des investissements productifs, favorisés au détriment des autres. Mais le Trésor ne se distingue pas sur ce point des autres acteurs comme le Plan ou le ministère de l’Economie nationale. Le premier « train à bandes » de la Sollac, réalisé grâce aux fonds du FME, est volontiers brandi comme l’étendard de la modernisation de la sidérurgie83. Au-delà de cet exemple, les choix en faveur d’une modernisation de l’économie ne sont pas contestés par la direction du Trésor lors des réunions de la Commission des investissements. Au sein des investissements productifs, la préférence pour les secteurs industriels au détriment de l’agriculture apparaît au détour de certaines discussions en séance au cours desquelles les directeurs du Trésor et du Budget se rejoignent dans une vision industrialiste de la modernisation84. On retrouve indirectement cette réticence envers le secteur agricole lors de discussions sur l’aide éventuelle du FME en faveur de tracteurs Renault. Alors que le gouvernement s’apprête à demander à Renault une production journalière de 100 tracteurs par jour, le directeur de Renault, P. Lefaucheux se retourne vers la Commission des investissements pour demander une garantie de l’État contre le risque de mévente. Les discussions présidées par F. Bloch-Lainé aboutissent à un vote négatif sur le principe de la prise en charge par l’État du risque : le représentant du Plan (Bou), de l’Agriculture (Montet) et des Affaires économiques (Grimanelli) répondent positivement ; les avis négatifs regroupent le directeur du Trésor, Pierre Besse (BDF) et Guiraud (Budget)85. Par ailleurs, cet épisode est révélateur d’une démarche que l’on retrouvera dans d’autres domaines : la position du Trésor ne se limite pas ici à une défense pure et simple du crédit public, mais prend en considération les aspects commerciaux (absence de débouchés) et microéconomiques (intérêt de l’entreprise) face à des considérations macroéconomiques voire politiques (mécanisation de l’agriculture). Le souci de bonne gestion de l’entreprise, qui parfois s’oppose à la logique macroéconomique, est ici privilégié. On retrouve cette défense des intérêts de Renault mêlée de préoccupations financières dans la décision de financement de la fabrication de la 4 CV grâce à la garantie de l’État en avril 194886 ; cependant, là encore, il n’est pas question d’accorder une garantie contre la mévente, car « il importait d’exiger de la Régie la plus grande prudence dans sa gestion. Pour la même raison, a été introduit un contrôle auquel la Régie n’était pas soumise statutairement »87. Illustration du double rôle joué par le Trésor, qui pour une même entreprise alterne positions favorables à l’investissement et refus de financement, mais prend toujours en compte l’intérêt économique ou financier de l’entreprise et assortit ses aides d’un contrôle renforcé.
62Le système de la garantie de l’État à des fins de modernisation, utilisé ici afin de pallier la réticence des banques88, illustre une volonté manifeste d’orienter les crédits vers les besoins de financement jugés prioritaires89 ; il est également révélateur d’une nouvelle orthodoxie en matière de financement des investissements. La période précédente avait été marquée par une prolifération des modes de financement hétérodoxes que F. Bloch-Lainé s’emploie à réorganiser, d’autant mieux que le Trésor, grâce à sa position stratégique au sein de la Commission des investissements, renforce sa place de carrefour entre l’économique, le financier et le monétaire.
D. LA COORDINATION DES INVESTISSEMENTS PUBLICS : L’INSTITUTIONNALISATION DU TRÉSOR BANQUIER
63La place centrale du Trésor dans l’appareil économique et financier de l’État ne se justifie pas seulement par sa place à la Commission des investissements, il « contrôle » ou participe à la plupart des différents modes de financement public des investissements. Il faut en effet rappeler que les financements publics d’investissements se répartissent entre divers fonds, gérés par des administrations différentes, comme le montre le tableau ci-dessous sur les investissements métropolitains sur fonds publics entre 1947 et 1952.
64Ce tableau appelle plusieurs commentaires tant sur la répartition des fonds que sur les administrations chargées de leur gestion. La partie Budget de Reconstruction et d’Equipement (BRE), qui correspond aux titres V et VIa du Budget, est la seule gérée directement par la direction du Budget. Celle-ci a certes un regard sur ce qui constitue le budget extraordinaire, par le biais de la Commission des investissements notamment. Mais il apparaît ici clairement que la « budgétisation » des investissements publics s’est faite hors du budget ordinaire. Sur la période considérée, le Budget gère moins d’un cinquième des investissements publics (contre 33 % en 1947), alors que le Trésor en gère entre un quart et un tiers à partir de 1948 : la place prise par la Commission des investissements s’est faite uniquement au détriment du Budget et non des autres fonds publics.
65Face à « ce partage de compétence [qui] a été parfois difficile » sur les investissements, selon Roger Goetze lui-même90, la direction du Budget ne restera pas immobile comme nous le verrons par la suite. D’ores et déjà, à la suite de la création de la Caisse autonome de reconstruction (CAR puis CAREC) le 21 mars 1948, la discussion de son budget fait l’objet de frictions entre les deux directions. L’importance des sommes en jeu, comme l’indique le tableau ci-dessus, justifie une petite bataille entre Trésor et Budget quant à l’affectation de ressources de la Caisse. Le Trésor propose en décembre 1948 que « le produit des réparations encaissées [depuis le 1er janvier 1948] soit intégralement affecté [à la CAR] », considérant que « non seulement le budget général ne saurait continuer, au-delà de cette date, à percevoir des recettes, alors qu’il ne supporte que les dépenses de reconstruction, mais [qu’]il doit désormais prendre à sa charge les frais de liquidations des avoirs saisis »91. La réponse au ton aigre-doux du Budget donne une idée des divergences de point de vue : selon l’auteur de la note, « il ne serait sans doute pas, de la part de la direction du Trésor, une politique habile que de rechercher systématiquement à distraire du Budget des ressources qui y figurent actuellement. Il y a intérêt à présenter un budget équilibré tant vis-à-vis de l’opinion publique que du Parlement que pour l’heureuse issue des négociations menées avec les autorités américaines »92. Finalement, il semble que la Reconstruction, qui deviendra le titre VII du Budget, ait gardé son caractère autonome jusqu’à sa disparition.
66Le troisième ensemble d’investissements publics est constitué de comptes spéciaux du Trésor dont le plus important est le FME, géré par la Commission des investissements, qui ne représente cependant que 30 % des investissements publics en 1948 (36 % en 1950 et 28,7 % en 1952), mais la quasi totalité des investissements industriels. S’y ajoutent les autres comptes spéciaux du Trésor en faveur des investissements (qui représentent moins de 10 % de l’ensemble), plus précisément les comptes de prêts consentis aux HLM ou de consolidation des prêts spéciaux à la construction du Crédit Foncier, sur lesquels le Trésor intervient, ainsi que ceux correspondant à divers fonds particuliers (productivité, forêt...), qui sont placés sous la responsabilité d’autres organes administratifs (Commissariat à la productivité, ministère de l’Agriculture...) : la coordination des investissements voulue par F. Bloch-Lainé est encore loin d’être faite...
67Ces précisions, au-delà de leur caractère méthodologique, permettent de constater que les interventions du Trésor dans le financement ne se limitent pas à sa participation active aux débats et aux choix de la Commission des investissements. Il intervient dans les discussions sur la répartition entre les trois grands concepts – Budget, Reconstruction, FME – mais également dans les répartitions entre financement public ou bancaire des investissements. C’est à ce titre qu’il occupe une position centrale dans le dispositif financier et que sa mission de Trésor-banquier trouve sa pleine acception.
68Sa sphère d’influence propre, non négligeable entre son réseau de satellites et les établissements bancaires, lui permet en effet à la fois de coordonner l’ensemble des investissements et leurs modes de financement. En raison de sa mission traditionnelle de tutelle des établissements de crédit, les relations qu’il entretient avec le Crédit national, le Crédit Foncier, la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse nationale de crédit agricole, les organes de crédit mutuels et coopératifs, etc., sont de nature à lui conférer une place particulière dans l’articulation des financements. Les conventions signées régulièrement avec ces établissements à partir de 1948 sur le montant des prêts et les taux pratiqués pour chaque secteur, témoignent de la corrélation étroite établie entre les financements publics, directs ou indirects et les financements privés, comme l’illustre le tableau ci-dessous sur les opérations faites par l’intermédiaire du Crédit national en 1950 sur les fonds du FME.
69Dorénavant, bien que l’ensemble de la Commission des investissements donne son avis sur prêts des organismes de crédit intermédiaires, que le Plan comme la Banque de France aient leur opinion sur la question, le Trésor occupe une place de carrefour, de plaque tournante du financement de l’économie. Si dès 1950, la part des financements privés dans l’investissement augmente au détriment de celle des fonds publics (de 27,3 % en 1947 elle passe à 46 % en 1952), le Trésor est assuré de conserver son rôle d’orientation des capitaux, grâce à son réseau de correspondants et à sa maîtrise du marché financier, comme nous le verrons plus loin. Cette place stratégique lui permet également de mettre en place de nouvelles doctrines de financement.
III. UNE NOUVELLE ORTHODOXIE FINANCIÈRE
70La manière dont F. Bloch-Lainé va établir une nouvelle orthodoxie en matière de financement des investissements est doublement caractéristique : elle se manifeste d’abord par son souci pragmatique de répondre à la demande de financement, non pas en fonction des ressources mais en fonction des besoins, et également par son souci de contrôle de ce financement et d’assainissement financier.
71Symbolique à cet égard, la garantie de l’État, dont on a vu plus haut que les dossiers ont été discutés à la Commission des investissements dès 1948, reste une pratique poursuivie jusque dans le milieu des années 1950. Lors de la discussion qui est consacrée à la garantie de l’État octroyée par le Comité de la loi du 23 mars 194193, il apparaît clairement que plusieurs hauts fonctionnaires souhaitent vivement supprimer ce système hérité de la guerre, jugé dépassé par le système de financement public mis en place avec la Commission des investissements. Étienne Hirsch, le représentant du Commissariat général au Plan, souhaite abroger la loi, tandis que le directeur du Trésor exprime le « désir de tous de restreindre l’octroi des lettres d’agrément et des prêts de la loi du 23 mars 1941 » et l’utilité « d’établir un lien entre le Comité et la Commission ». Différentes notes émanant du Trésor, sans doute de la main de Maurice Sergent, préconisent le maintien de la garantie de l’État, tout en acceptant une réduction des montants de la garantie : 14 milliards pour 1949, 5 milliards pour 195094. Face aux refus de la Commission des Finances de l’Assemblée de proroger le système, sa justification explicite réside dans le fait que la lettre d’agrément est considérée dorénavant « comme étant un instrument financier permettant le warrantage des matières premières ou produits finis », et qu’elle permet d’obtenir « l’aide de la CNME [Caisse nationale des marchés de l’État] sous forme d’une simple signature de mobilisation »95.. En décembre 1950, F. Bloch-Lainé donne un avis favorable à la demande de prorogation du système émanant de la direction des Programmes économiques, en raison de la nécessité de constitution de stocks pour les entreprises, jugée « nécessaire dans les circonstances » (la guerre de Corée vraisemblablement). Ainsi la démarche de la direction du Trésor procède-t-elle ici d’un grand pragmatisme, utilisant des modes de financement en place lui permettant à la fois de répondre à des demandes diverses de crédit hors des préoccupations de la Commission des investissements et d’en faire un outil de réglage conjoncturel du crédit. Si la lettre d’agrément a été utilisée après la guerre pour l’aide à la reconstruction, la modernisation des équipements de base, elle, a également servi à financer à partir de 1949 les marchés aéronautiques, les produits destinés à l’exportation (garantie de préfinancement à l’exportation, garantie COFACE), soit pour les années 1941-1951 un total supérieur à 40 milliards de F courants96. Ce système non-orthodoxe de financement est significatif d’une logique nouvelle qui tend à répondre aux besoins en recherchant de nouvelles ressources, plutôt que de se contenter de les adapter aux seules ressources existantes, voire de les réduire. Il illustre une fois encore la position de carrefour du Trésor à l’articulation des financements publics et bancaires, d’autant que depuis 1949 la Banque de France et le Crédit national sont associés aux travaux du Comité chargé de délivrer les lettres d’agrément, assurant ainsi la coordination entre ce mode de financement et la conduite de la politique du crédit. Le système s’insère plus largement dans la recherche de sélectivité du crédit qui prévaut dans les années d’après-guerre, et dont le crédit à moyen terme mobilisable, utilisé pour l’équipement, puis pour la construction et l’exportation, offre un bel exemple97.
72La diversification des modes de financements développée alors par le Trésor se manifeste également au travers de son souci d’ouvrir le capital des entreprises publiques aux investisseurs privés : la pénurie du marché financier et la nécessité de réduire des charges publiques trop importantes font ici loi. Dès 1948, François Bloch-Lainé se montre partisan d’une augmentation du capital d’EDF et de la SNCF98. Lui fait écho en 1949 la recommandation de Pierre Besse, représentant de la Banque de France à la Commission des investissements, qui évoque la possibilité d’un financement partiel des investissements des entreprises publiques « par des apports en capital »99. Ces propositions, quelque peu iconoclastes par rapport au consensus nationalisateur de l’après-guerre, ne seront reprises que bien des années plus tard.
73Nouvelle orthodoxie également sur le type d’épargne à mobiliser pour des investissements lourds : la règle financière classique d’une épargne longue devant correspondre à des prêts longs est alors délibérément transgressée, bien qu’à contrecœur, pour les besoins de la modernisation ; comme l’écrit F. Bloch-Lainé : « J’ai dit un jour en boutade [...] qu’on avait construit des barrages avec des liquidités, « transformé des liquidités en barrages ». Je voulais dire que tant qu’à recourir à un financement hétérodoxe (il aurait fallu, pour être orthodoxe, émettre des emprunts longs, mobilisateurs d’une véritable épargne), il était bon de l’appliquer aux dépenses les plus productives de richesses »100. Ainsi l’utilisation du crédit à moyen terme mobilisable comme outil de financement de l’économie va-t-elle considérablement se développer dans les années cinquante, via le Trésor comme transformateur d’apports courts en apports longs, la Banque de France elle-même donnant son aval à cette nouvelle orthodoxie101.
74Du point de vue des ressources publiques à affecter aux investissements, la direction du Trésor développe également une doctrine significative de son attachement aux investissements. Lors de la séance de la Commission des investissements du 26 janvier 1949, alors qu’Edgar Faure, secrétaire d’État au Budget, propose d’assurer les dépenses d’investissement des PTT par un emprunt, F. Bloch-Lainé s’oppose à l’idée d’une « conditionnalité » des dépenses d’investissement : « L’emprunt ne pourrait servir qu’à l’exécution d’une tranche conditionnelle du programme. [...] En regard de toute dépense certaine doit correspondre une recette également certaine. Les rentrées aléatoires escomptées, telles que celles attendues d’un emprunt, ne peuvent que couvrir une tranche conditionnelle de dépenses »102. Cependant, la passe difficile que traverse la trésorerie après l’arrivée de Pinay en 1952, l’oblige à supprimer les tranches conditionnelles de dépenses et à envisager le recours à des moyens de financement inflationnistes103. Entre la défense des investissements et le maintien de l’équilibre de la trésorerie publique, la marge de manœuvre est très étroite. Enfin, de manière logique, F. Bloch-Lainé se montrera ainsi plus souvent partisan de l’impôt que de l’emprunt comme ressource principale des dépenses publiques d’investissement (entre 76 et 80 % des ressources publiques entre 1950 et 1952). Il se retrouve ainsi en 1949 aux côtés de Roger Goetze pour demander une affectation de recettes fiscales au financement d’une partie de la reconstruction104.
75Ces nouvelles positions du Trésor sur les modes de financement des investissements confortent l’idée d’une démarche empirique et pragmatique, issue de contraintes financières conjoncturelles. Elles définissent cependant une position spécifique du Trésor, qui se forge de nouvelles orthodoxies afin de défendre à la fois ses deux logiques : celle issue de sa responsabilité de la trésorerie et celle de Trésor – prêteur, financier des investissements, que F. Bloch-Lainé a souhaité lui confier. La logique économique est née, mais la logique financière ne s’efface pas pour autant : elle se fond dans la première, engendrant une culture hybride.
A. LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS : DE LA COORDINATION AU CONTRÔLE
76Les préoccupations financières restent tout au long de la période un souci majeur pour le Trésor, à la fois distributeur de fonds publics conséquents et responsable de l’équilibre de la trésorerie. D’ores et déjà, la note de F. Bloch-Lainé d’avril 1948 avait mis en avant un certain nombre d’arguments financiers pour convaincre le ministre de créer la Commission des investissements : « contrôle » et « coordination » des investissements sont alors les termes plusieurs fois utilisés par le directeur du Trésor dans son argumentation. Ce ne seront pas de vains mots. Le nouveau directeur du Trésor s’emploie rapidement à déployer une batterie d’outils destinés à améliorer l’utilisation des deniers publics, notamment dans le domaine des investissements. Ainsi la réforme des comptes spéciaux du Trésor votée le 6 janvier 1948 est-elle proposée par le directeur du Trésor en collaboration avec Gilbert Devaux, alors directeur de la Comptabilité publique. La multiplication désordonnée des comptes spéciaux du Trésor avait jusqu’alors donné lieu à des abus dans l’ouverture des comptes – ils sont plus de 400 en 1947 – comme dans leurs modalités de fonctionnement ils ne sont soumis à aucune réglementation générale105. La réforme de 1948 soumet la création de tout compte spécial du Trésor à l’autorisation annuelle du Parlement lors du vote de la loi de Finances, le gouvernement étant tenu désormais de présenter chaque année un tableau de tous les comptes, accompagné des explications concernant les opérations effectuées ainsi que les prévisions des opérations à venir. Bien qu’accueillie avec « un grand scepticisme »106, la loi sera suivie d’effet : après le vote de la loi, le nombre de comptes spéciaux restera inférieur à 100. Cet assainissement financier ne visait pas cependant « un retour chimérique à l’orthodoxie intégrale », pour reprendre les termes de Gilbert Devaux, mais plutôt « un mécanisme réglementaire assez rigoureux pour éviter les abus et assez souple pour résister à l’épreuve du temps »107. On retrouve cette idée d’orthodoxie mesurée, modernisée du Trésor dans les réformes qu’il propose ou met en place. Toutefois, la part des comptes spéciaux dans les investissements publics reste importante et tend même à augmenter en pourcentage à partir de 1951 (voir tableau p. 117).
77Dans le même esprit, F. Bloch-Lainé propose et fait voter un train de réformes tendant à étendre et améliorer le contrôle des entreprises publiques. Par la même loi du 6 janvier 1948 est instituée la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques (CVCEP), dont la mission principale sera de procéder annuellement à l’examen des comptes de gestion, des bilans et des comptes de profits et pertes des entreprises afin d’en tirer toutes conclusions sur leurs résultats financiers108. Un autre article de la même loi de Finances institue un Comité de gestion des participations publiques, permettant une centralisation aux Finances des actes de gestion jusque-là éparpillés entre les différents ministères de tutelle. Certes, la direction de la Coordination des entreprises publiques du ministère de l’Économie nationale avait alors la charge du contrôle économique et financier des entreprises publiques et des sociétés d’économie mixte. Mais face à ce secteur laissé « en jachère » par l’Économie nationale, selon les propres termes de F. Bloch-Lainé109, la centralisation matérielle des portefeuilles de l’État-actionnaire est placée sous le contrôle des Finances.
78C’est sur ce terrain de la coordination et du contrôle des investissements que la direction du Trésor et la direction du Budget tendent tour à tour de faire prévaloir leurs positions.
B. TRÉSOR ET BUDGET ENTRE RIVALITÉ ET COMPLICITÉ
79Parmi les missions dévolues au Trésor et au Budget, le financement de la reconstruction, des dépenses d’équipement et des entreprises nationalisées, prête à une éventuelle friction entre les deux institutions. Peu visibles dans les organigrammes comparés des deux directions, ces doublons sont relevés par Maurice Lauré dans son rapport de 1949 commandé par le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics110. L’auteur dénonce l’interaction accrue des deux directions depuis 1945 et met en lumière les doubles emplois :
80« En premier lieu, il est à la fois onéreux et préjudiciable que les relations avec les collectivités locales, les territoires d’outre-mer et les établissements publics soient assurées tantôt par une sous-direction du Budget (3e sous-direction), tantôt par deux sections du Trésor (D2 et D3 [4e sous-direction]), selon qu’il s’agit d’approuver le budget de personnes morales ou de leur consentir des avances de trésorerie [...]. En second lieu, il est également onéreux et préjudiciable que les interventions de l’État en matière économique ou sociale relèvent tantôt d’une sous-direction du Budget (4e sous-direction), tantôt de diverses sections du Trésor (B2, C3, C4, DG [2e ou 3e sous-direction, Commission des investissements]), selon que les concours dispensés par l’État le sont à fonds perdus ou à titre de prêts. »
81Il en conclut que « le choix entre la subvention et l’avance pour la couverture de besoin est bien souvent le fait de nécessités de présentation ou simplement du hasard »111.
82Bien évidemment ses propositions de réorganisation pour une plus grande efficacité avec le regroupement des « doublons » au sein d’une nouvelle direction « des gestions autonomes » restent lettre morte... Son rapport est à la fois révélateur de l’interaction effective des compétences des deux directions ainsi que de la difficulté de modifier ce partage du monde. Comment évoluent les relations entre les deux directions durant cette période ? Sur quelle légitimité et quelles orthodoxies se fonde ce partage ?
83Par rapport à l’immédiate après-guerre, la situation des finances publiques a évolué de ce point de vue : alors que la période précédente avait vu la multiplication des modes de financement pour le moins hétérodoxes, la période 1948-1952 est celle de la budgétisation des investissements : la loi sur les comptes spéciaux du Trésor a permis une régularisation et une meilleure transparence des dépenses publiques d’investissement, réunies dans un budget extraordinaire voté au Parlement et annexé au Budget général. Cependant les questions de tutelle sur la Caisse autonome de reconstruction ne sont pas encore résolues en 1948112. La distinction n’est pas clairement établie entre les dépenses d’équipement, de reconstruction et d’investissement, et chacune des directions profite des contours flous de chaque entité pour l’interpréter en sa faveur. Enfin, la création de la Commission des investissements au profit du Trésor constitue une exception à la règle de l’unité budgétaire pour la direction du Budget, dans la mesure où le budget extraordinaire reste en dehors de la sphère de compétence directe du Budget.
84Cependant, la succession de Didier Gregh à la tête de la direction du Budget va quelque peu modifier le rapport de force. En 1949, le nouveau directeur du Budget, Roger Goetze, offre le profil d’un haut fonctionnaire averti dont les différentes expériences professionnelles ont élargi les conceptions. Inspecteur des Finances de la promotion 1937, il a été directeur général des Finances de l’Algérie de 1942 à 1949, soit un quasi-ministre des Finances. En 1944-1945, il a été directeur de cabinet de Pierre Mendès France. Selon Dominique Boyer, qui est alors secrétaire de la Commission des investissements,
« il a cherché à voir plus largement les choses qu’en voyant analytiquement le budget de tel ministère, le budget de tel établissement, etc. D’où un petit frottement avec le Trésor, qui, quelques années avant, avait pris part dans ce sens. Et j’étais un peu personnellement au centre de, je dirais presque, ces luttes d’influences : notre Goetze, c’est Bloch-Lainé »113.
85Ainsi transforme-t-il en 1950 le bureau B1 en cellule économique, chargée plus spécialement des investissements, appelée aussi « bureau d’études », qui comprend un inspecteur des finances, Jacques Delmas, un administrateur civil, Jean Rossard, et un ingénieur des Ponts, Albert Viallat. Cette nouvelle cellule est-elle symbolique d’une volonté d’appréhender les finances publiques d’une manière moins budgétaire et financière, et plus économique, voire macroéconomique ? Elle est en tout cas perçue comme telle par les responsables du Trésor en charge des investissements : « Ces deux-là [Delmas et Viallat], avec éventuellement des collaborateurs, avaient en fait un peu pour mission de reprendre en main ce que le Trésor avait construit » se souvient Dominique Boyer. Jean Guyot, son prédécesseur, est encore plus précis dans son analyse de la situation :
« Il y avait une espèce de rivalité entre le directeur du Trésor et le directeur du Budget pour savoir qui était responsable, je dirais, de l’esquisse d’ensemble des grands équilibres. Le directeur du Trésor disant : naturellement, c’est moi, vous, vous êtes les dépenses publiques et moi, je suis responsable de l’équilibre d’ensemble, des aspects monétaires etc. Alors que le directeur du Budget avait tendance – tendance qui s’est d’ailleurs certainement renforcée au moment où Goetze a remplacé Gregh à la direction du Budget –, [...] à vouloir se présenter comme responsable de l’enveloppe d’ensemble concernant les finances publiques, c’est-à-dire d’une part le budget et d’autre part tout ce qui était financé en dehors du budget »114.
86On conçoit fort bien que le volume d’investissements publics de l’époque ait fait naître une concurrence entre les deux institutions, d’autant que les enjeux vont bien au-delà des choix techniques : le témoignage de Jean Guyot indique clairement une volonté de la part du directeur de jouer un rôle dans l’élaboration de la politique économique. Cette rivalité institutionnelle s’accompagne-t-elle d’une opposition doctrinale sur les moyens de financement des investissements ? Ou bien y a-t-il convergence des logiques respectives ? La direction du Budget a-t-elle alors les moyens de rivaliser avec le Trésor ?
87La réponse est plus que nuancée sur cette courte période. Sur le principe même de l’investissement public, il ne semble pas qu’il y ait eu de divergence fondamentale entre les deux directeurs. Si le Budget appartient au « pôle financier »115 au sein de la Commission des investissements, ses positions n’apparaissent pas systématiquement opposées à un investissement public élevé. Jean Guyot n’a pas le souvenir que « cette intervention de la direction du Budget, comme on aurait pu le croire, se soit traduite en matière d’investissement par une approche beaucoup plus limitée, et beaucoup plus économe, si je puis dire »116.
88Une recherche plus approfondie permettrait de savoir si le discours parfois un peu convenu des hauts fonctionnaires à l’égard de leurs collègues correspond à une réalité, et si, au-delà du directeur du Budget, l’ensemble de la direction a suivi une logique économique...117.
89De même ne peut-on pas donner une ligne générale de convergence ou de divergence des directions sur le choix des secteurs, en l’état actuel des informations disponibles. Tout au plus peut-on voir se dessiner un Trésor traditionnellement plus orienté vers les financements du secteur privé, dont il maîtrise les procédures, les outils et les correspondants ; tandis que le Budget se montre alors « fréquemment l’adepte d’une rétraction du financement public au secteur privé»118. Parfois, Trésor et Budget s’affrontent également sur les moyens de financement : le Budget est réticent à une indépendance de la Caisse autonome de la reconstruction, ou cherche à soumettre à son contrôle les différentes formes de garanties de l’État, qui échappent à son autorité119 ; tandis que le Trésor, on l’a vu, privilégie des outils financiers en fonction de leur efficacité et leur utilité, et non en fonction des seules règles financières de bonne gestion. L’une apparaît plus encline à une stricte orthodoxie financière, selon laquelle tout doit être soumis au contrôle et à la règle budgétaire ; l’autre, habituée à manier des procédures variées, fait preuve de souplesse dans ses positions et de pragmatisme dans ses choix de financement. Les logiques fonctionnelles rejoignent ici les logiques culturelles.
90Cependant, une même orthodoxie financière et un souci anti-inflationniste les rassemblent sur la question des moyens de l’ajustement des recettes aux dépenses budgétaires, tous deux préférant l’impôt à l’emprunt comme source de financement des dépenses publiques120. La convergence des Finances en faveur d’une bonne gestion financière resurgit régulièrement, créant une entente complice entre les deux pôles détenteurs de fonds publics. On retrouvera également cette entente à l’égard des entreprises nationalisées.
91La période 1948-1952 qui connaît l’apogée du financement public des investissements est doublement propice à un développement des champs d’action des deux directions. D’une part, l’accélération de l’intervention économique de l’État nécessite les compétences de plusieurs administrations dont les savoir-faire se complètent : le Budget aurait-il eu les moyens matériels et humains de faire face au budget des investissements ? D’autre part, si les deux directions apparaissent en concurrence sur les investissements, en conflit sur le choix de tel ou tel mode de financement, les discussions finissent par se conclure dans une coopération rendue nécessaire par leurs fonctions respectives. Jusqu’en 1952, les rapports restent feutrés, sans friction d’importance : l’heure est à la reconstruction et à la modernisation et chaque institution a fort à faire. L’amorce d’un désengagement de l’État à partir de 1952 fera évoluer les relations entre les deux directions et permettra de dégager des positions différenciées.
92Surtout, au-delà des rivalités de compétences ou de doctrines sur la seule question des investissements publics, la direction du Budget peut-elle à l’époque prétendre à gérer des grands équilibres autres que budgétaires ? Car la conséquence de la mainmise du Trésor sur la manne de l’aide Marshall aboutit finalement à légitimer sa responsabilité envers les grands équilibres monétaires, financiers et économiques, au détriment du ministère de l’Économie nationale, du Plan mais aussi du Budget.
C. LES OBJECTIFS DE LA DIRECTION DU TRÉSOR : L’AJUSTEMENT DES GRANDS ÉQUILIBRES
93Au-delà des différentes réformes initiées par F. Bloch-Lainé, qui marquent le souci de coordination et de contrôle des investissements, l’objectif du Trésor apparaît clairement. Il s’agit d’établir une centralisation des dépenses et des ressources publiques en vue du meilleur ajustement et du respect des trois grands équilibres : équilibre budgétaire, équilibre de la trésorerie, équilibre économique également. Ainsi Jean Guyot, premier secrétaire de la Commission des investissements, devient-il en 1949 sous-directeur de la Trésorerie, poste qui se situe selon F. Bloch-Lainé « presque dans la même optique »121. Le témoin évoque de lui-même le rôle que le Trésor entend jouer à partir, et au-delà de la distribution de fonds publics :
« À l’époque, nous avions un peu le sentiment d’avoir un peu une espèce de responsabilité dans l’équilibre d’ensemble [...], les dépenses de fonctionnement, les dépenses d’investissement, des recettes fiscales, des recettes d’emprunt ou même des recettes de nature monétaire »122.
94Si l’articulation entre le monétaire, le financier et l’économique est effectivement réalisée dans les missions dévolues au Trésor, elle est également perceptible à travers la représentation qu’ils se donnent de leurs fonctions : une nouvelle légitimité est née pour ces « missionnaires » de l’investissement qui deviennent responsables de la reconstruction et de la modernisation de la France...
***
95Tout en s’appuyant sur des atouts hérités du passé, le Trésor « moderne » est donc né dans un contexte politique et économique favorable : l’accroissement de l’intervention de l’État au lendemain de la guerre, l’aide Marshall mais aussi le changement d’orientation économique et financière à partir de 1947-1948. Le changement opéré s’appuie bien évidemment sur la légitimité séculaire de compétence et de sérieux de la direction du Trésor. Sans la conjonction de ces deux éléments, la bataille de F. Bloch-Lainé n’aurait pu être gagnée. Mais le rôle de ce dernier a été décisif, dans la mesure où d’autres choix étaient envisageables, et envisagés : la « nécessaire » intervention économique de l’État au lendemain de la guerre aurait pu s’épanouir dans d’autres lieux, d’autres structures. L’homme a su jouer de la corde sensible auprès des hommes politiques en proposant un modèle de fonctionnement à la fois rassurant et consensuel, présenté comme un outil transitoire appelé à disparaître avec l’aide Marshall.
96Du point de vue de la direction elle-même, le directeur a su marier officiellement la logique économique avec la logique financière traditionnelle, en développant de manière cohérente deux axes prioritaires, la coordination des interventions économiques et l’assainissement financier, renforçant ainsi la légitimité du Trésor à assumer ses nouvelles fonctions.
97Cependant, si l’impulsion nouvelle vers le financement de l’économie donnée par le directeur du Trésor est visiblement acquise pour ses deux proches collaborateurs en charge du financement des investissements, il n’en est peut-être pas de même pour l’ensemble de la direction qui doit appliquer les nouvelles orientations de l’état-major. Étudier la manière dont l’ajustement s’est opéré entre cette nouvelle stratégie, ses répercussions sur l’organisation et sur l’état d’esprit des principaux collaborateurs du Trésor apparaît ici indispensable, d’autant que dans ce domaine, F. Bloch-Lainé entreprend également des réformes profondes.
Notes de bas de page
1 J. Bouvier, in J. Bouvier et F. Bloch-Lainé, La France restaurée, 1944-1954, dialogue sur les choix d’une modernisation, op. cit.
2 F. Caron, « Le plan Mayer, un retour aux réalités », Histoire, Économie et Société, n° 3, 1982, p. 423-437.
3 Terme employé dans l’optique d’A. Chandler ici étendue des entreprises à une direction d’administration centrale. Voir Organisation et performances des entreprises, éditions d’Organisation, tome I, 1992.
4 F. BLoch-Lainé l’a raconté largement dans Profession : fonctionnaire, op. cit., et M. Margairaz a élargi l’analyse dans L’État, les finances..., op. cit.
5 Selon l’expression de M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit.
6 Expression utilisée par F. Bloch-Lainé in J. Bouvier et F. Bloch-Lainé, La France restaurée..., op. cit., p. 99.
7 Voir M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., chapitre XXX.
8 Ibid. p. 1068. Il semble qu’il y ait eu un consensus sur l’échec patent du ministère de l’Économie nationale. Le ministère des Finances et a fortiori la direction du Trésor n’ont pas joué de rôle direct dans son déclin. Tout au plus l’ont-ils accéléré par la suite.
9 Soit au 1er janvier 1999, 62,8 milliards de francs.
10 M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 845.
11 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
12 F. Bloch-Lainé, entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 5, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
13 F. Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, op. cit., p. 95.
14 M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 944. Il semble à ce moment précis que la direction du Trésor soit l’une des rares directions des Finances qui n’ait pas pris d’initiative dans ce sens.
15 P. Uri, ancien élève de l’École normale, agrégé de philosophie, docteur en économie, entre au Plan en 1947 pour y être le rapporteur de la Commission chargée d’établir le Bilan national. Voir P. Uri, Penser pour l’action. Un fondateur pour l’Europe, Paris, Odile Jacob, 1991, chapitre III.
16 F. Bloch-Lainé, Profession : fonctionnaire, op. cit., p. 108.
17 M. Margairaz, « Les Finances, le Plan Monnet et le Plan Marshall », in M. Lévy-Leboyer et R. Girault (dir.), Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
18 Se reporter à la thèse de G. Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, 2e éd., Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, et à celle de M. Margairaz, L'État, les finances…, op. cit.
19 F. Descamps, « Une contribution à l’histoire du plan Marshall: la mémoire des hauts fonctionnaires », in M. Lévy-Leboyer et R. Girault (dir.), Le Plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, op. cit., p. 787-794.
20 Selon le titre de l’article que F. Caron a consacré à cette expérience, « Le Plan Mayer, le retour aux réalités », op. cit. Nous nous référons à ses conclusions pour la suite du texte.
21 Jean Guyot, inspecteur des Finances, promotion 1945, est chargé de mission au cabinet de Robert Schuman ministre des Finances (janvier-novembre 1947), président du Conseil (novembre 1947-juin 1948) puis ministre des Affaires étrangères (juillet 1948-avril 1949). Il sera parallèlement secrétaire de la Commission des investissements dès sa création en juin 1948, puis sous-directeur au Trésor de 1949 à 1950.
22 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
23 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
24 Bernard Clappier, inspecteur des Finances (promotion 1939), directeur de cabinet de Robert Schuman de 1947 à 1951, a été notamment directeur de la DREE de 1951 à 1964, gouverneur-adjoint de la BIRD (1964-1966), Président du comité monétaire européen (1970-1973), gouverneur de la Banque de France (1974-1979).
25 Hormis les cours qu’il a professés à Sciences Po, dont l’ouvrage Le Trésor et le mouvement général des fonds, op. cit., est la publication la plus connue, F. Bloch-Lainé a publié, souvent avec plusieurs camarades, plusieurs essais et articles portant sur la conduite de la politique économique et le rôle de l’État.
26 Profession : fonctionnaire, op. cit., chapitre I.
27 Les informations qui suivent, sauf indication contraire, sont issues des entretiens biographiques accordés à Aude Terray, entretien n° 3, cassettes n° 3 et 3 bis, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
28 Profession : fonctionnaire, op. cit., p. 51.
29 Entr. cit.
30 Profession fonctionnaire, op. cit., p. 51.
31 Ibid, p. 52.
32 Ibid. H. Deroy quitte le secrétariat général pour les Finances publiques en 1942 pour la Caisse des dépôts mais continue de tenir des réunions dans son bureau des Finances resté vacant.
33 Voir le chapitre premier.
34 Entretien biographique avec A. Terray, déjà cité.
35 W. Baumgartner y accède au même âge, à 35 ans. Généralement, les directeurs du Mouvement général des fonds ou du Trésor avaient moins de 40 ans.
36 Voir notre étude « Les hauts fonctionnaires et la monnaie à travers la source orale, 1945-1958 », art. cit.
37 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
38 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 3, cassette n° 3, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
39 Selon S. Lepage, La direction des finances extérieures 1946-1953..., op. cit., G. Guindey se prononcera en janvier 1949 pour une stérilisation partielle de la contre-valeur (p. 208).
40 Soit l’équivalent au 1er janvier 1999 de 68,88 milliards de F.
41 JM, AMF, 11/4/3 et 11/4/4. Doc. cité par M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit. p. 1041.
42 F. Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 109.
43 René Mayer connaît bien Jean Monnet qu’il a côtoyé à Londres dès 1939 au Comité de coordination des exécutifs franco-anglais et qu’il retrouve à Alger à partir de 1943. Voir D. Mayer (dir.), René Mayer, études, témoignages, documents, Paris, PUF, 1983.
44 AEF fonds Trésor, B 11 551, note pour le ministre relative au contrôle des investissements.
45 Document émanant sans doute d’un des collaborateurs de J. Monnet, cité par M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 1043.
46 Selon le témoignage de Claude Tixier directeur-adjoint du cabinet de René Mayer, dans D. Mayer (dir.), René Mayer, Études..., op. cit. p. 144. Il est certain que le lien comptable entre le Trésor et le Plan n’existe pas, alors qu’il existe avec les autres ministères, qui gèrent des comptes ouverts dans les écritures du Trésor.
47 Voir à ce sujet C. Spagnolo, « L’avis de Jean Monnet sur le contrôle des fonds de contrepartie, 1947-1948», in Le plan Marshall et le relèvement économique de l’Europe, op. cit., p. 201-236.
48 AEF, fonds Trésor, B 11 552, lettre au ministre de la France d’outre-mer du 23 avril 1948 ; B 11 553, lettres au ministre de l’Intérieur des 3 et 11 mai 1948.
49 Ibid.
50 AEF, fonds Trésor, B 42 255, « Aide Marshall ».
51 ABF, vers. Secr. général, 1 069 1988 802, boîte 26, lettre de F. Bloch-Lainé à W. Baumgartner du 6 août 1952.
52 Id.
53 Ibid.
54 Id. souligné par nous.
55 Entretien biographique avec Aude Terray, cassette n° 5, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
56 Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 2, cassette n° 2, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1994.
57 M. Margairaz, L’État, les finances... op. cit. p. 1045 et suivantes.
58 AEF, fonds Trésor, B 42 268, « P.-V de la Commission des investissements 1948-1950 », P.-V de la séance du 12 août 1948.
59 Statistiques et Études financières, premier rapport de la Commission des investissements, 1949.
60 AEF, fonds Trésor, B 42 268, « P.-V de la Commission des investissements 1948-1950 ».
61 Ibid., P.-V de la séance du 11 décembre 1948.
62 Statistiques et Études financières, premier rapport de la Commission des investissements, 1949.
63 M. Margairaz, L’État, les finances.... op. cit., p. 1154.
64 Entretien thématique sur le plan Marshall, entretien n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1990.
65 AEF, fonds Trésor, 23 D1, décret relatif à l’organisation et au fonctionnement du FME, n. d., n. s.
66 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992.
67 Séminaire sur l’histoire du Trésor de 1870 à nos jours organisé en 1993-1994 par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
68 C. Spagnolo, « L’avis de Jean Monnet sur les fonds de contrepartie, 1947-1948 », art. cit., p. 223.
69 Entretien biographique réalisé par O. Feiertag, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1993.
70 Entretien thématique sur le plan Marshall, entretien n° 1, cassette n° 1, déjà cité.
71 F. Bloch-Lainé, La France restaurée..., op. cit., p. 171.
72 Selon la règle officielle, mais elle n’est pas immuable. Certains administrateurs civils se souviennent d’avoir été recrutés directement pas F. Bloch-Lainé, dont justement J. Desazars de Montgailhard un autre résistant, qui obtiendra ce poste quelque temps. Entretien thématique avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1995.
73 Entretien thématique n° 1 sur la direction du Trésor, avec l’auteur, entretien n° 1, cassette n° 1, déjà cité.
74 Selon l’expression de M. Berry, Une technologie invisible ? L’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains, Paris, Centre de recherches en gestion, École Polytechnique, 1983.
75 M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 1119.
76 F. Bloch-Lainé, La France restaurée..., op. cit., p. 171.
77 G. Bossuat, « La contre-valeur de l’aide américaine à la France et à ses territoires d’outremer : la mesure des rapports franco-américains », in Le Plan Marshall..., op. cit.
78 Entretien thématique sur le plan Marshall réalisé par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, entretien cité.
79 J. Bouvier et F. Bloch-Lainé, La France restaurée..., op. cit., p. 182.
80 Id. p. 153.
81 Témoignage au séminaire organisé en 1993-1994 sur l’histoire du Trésor, séance sur le financement des investissements.
82 B. de Jouvenel, « L’autofinancement et le progrès économique », Bulletin SEDEIS, 1er mars 1955.
83 Ph. Mioche, « Le plan Marshall et la sidérurgie française », in Le Plan Marshall..., op. cit.
84 AEF, fonds Trésor, B 42 269, P.-V de la Commission des investissements, séances des 27 octobre et 17 novembre 1952.
85 AEF, B 42 268, P.-V de la Commission des investissements, séance du 26 janvier 1949. Le représentant de l’Industrie et du Commerce ne se prononce pas tant que le Comité économique interministériel n’a pas examiné le problème. La Commission demandera à Renault de prendre en charge une partie du risque de mévente. Mais on ne connaît pas la suite donnée à cette affaire.
86 AEF, fonds Trésor, B 11 551, note du directeur du Trésor pour le ministre sur la situation financière de la régie Renault du 26 mars 1948, dans laquelle F. Bloch-Lainé propose une lettre d’agrément permettant à la régie d’obtenir un crédit de l’ordre de 1 milliard. Et B 11 552, compte-rendu de la réunion au cabinet du ministre du 8 avril 1948 qui aboutit au contreseing de la lettre d’agrément par F. Gaillard, sous-secrétaire d’État aux Affaires économiques. Sur cet épisode, voir P. Fridenson « Le prix de l’expansion : le financement de Renault en 1948 », Études et documents, op. cit.
87 Id.
88 Id. C’est l’un des arguments présentés par F. Bloch-Lainé.
89 Cette sélectivité du crédit n’est pas l’apanage du Trésor. Cf. Cl. Andrieu, « À la recherche de la politique du crédit, 1946-1973 », Revue historique, avril-juin 1984, p. 377-405.
90 Entretien biographique avec F. Descamps, 1989, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, ex. dactylographié.
91 AEF, fonds Budget, B 33 459, note du Trésor de décembre 1948 (bureau A5).
92 Id., note du Budget, n. s.
93 AEF, B 42 268, P.-V de la séance du 12 août 1948, op. cit. Sur la loi du 23 mars 1941, voir chapitre premier.
94 AEF, fonds Trésor, B 18 190, « Préparation et exécution du Budget 1949-1954 », note du Trésor, n. s., 1950.
95 AEF, fonds Trésor, B 18 190, réponse au questionnaire de l’Assemblée nationale sur les dépenses d’investissements, 1950.
96 Statistiques et Études financières, n° 11 et n° 12, 1951.
97 Sur les moyens de sélection du crédit, cf. ; Cl. Andrieu, « À la recherche de la politique du crédit... », art. cité.
98 AEF, fonds Trésor, B 42 268, P.-V de la séance de la Commission des investissements du 6 juillet 1948.
99 AEF, fonds Trésor 23 D1, communication de P. Besse à la Commission des investissements.
100 F. Bloch-Lainé, Profession..., op. cit., p. 106.
101 Voir O. Feiertag, W. Baumgartner..., op. cit.
102 AEF, fonds Trésor B 42 268, P.-V de la séance de la Commission des investissements du 26 janvier 1949.
103 ABF, vers. Secr. Gén., 1 069 1988 802, boîte 26, note pour le Président [Pinay] de F. Bloch- Lainé du 21 mars 1952.
104 Statistiques et Études financières, 1949, IIe rapport de la Commission des investissements, p. 462.
105 Selon F. Bloch-Lainé et P. de Vogüé, Le Trésor public..., op. cit., p. 66.
106 G. Devaux, La comptabilité publique, tome I, Paris, PUF, 1957, p. 121.
107 Id.
108 Voir sur ce sujet D. Berthereau, La CVCEP, mémoire de DEA, F. Caron (dir.), Université de Paris IV, 1998.
109 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 7, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989. La direction qui était dirigée par R Du Pont, un inspecteur des Finances, avait pourtant à sa disposition le corps des contrôleurs financiers.
110 AEF, fonds Administration générale, B 28 217, rapport du 24 juin 1949 sur l’organisation du ministère des Finances et des Affaires économiques. Il fait suite au décret du 6 septembre 1948 tendant à la suppression d’emplois dans l’administration.
111 Id.
112 Voir notre communication « La direction du Trésor et la direction du Budget et le financement public des investissements 1946-1957 », in N. Carré de Malberg (dir.), La direction du Budget dans les années 1950, acteur ou témoin ?, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998.
113 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 12, cassette n° 12, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
114 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 6, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991. On notera que le témoin a évoqué ces relations entre Trésor et Budget spontanément.
115 Selon la terminologie utilisée par M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit., p. 1236- 1237.
116 Entretien biographique avec O. Feiertag, entretien n° 8, cassette n° 8, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991.
117 On attend les travaux de F. Descamps sur la direction du Budget.
118 Selon M. Margairaz, L’État, les finances..., op. cit. p. 1160.
119 Voir « La direction du Trésor et la direction du Budget... », art. cit.
120 Id.
121 Entretien biographique avec A. Terray, entretien n° 5, cassette n° 6, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989.
122 Entretien biographique déjà cité, entretien n° 6, cassette n° 6. Alors que certains tendent à minimiser le rôle du Trésor et à le justifier comme étant nécessaire, il n’est pas inintéressant de voir que l’élargissement des responsabilités du Trésor est a posteriori assumé, au moins par l’un des principaux acteurs de l’époque, qui quitte l’administration des Finances en 1949.
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