Dette publique et dépenses militaires : la Grèce et la question d’Orient
p. 395-422
Texte intégral
1L’objectif de ce travail est de montrer les rapports qui prévalaient entre la dette publique, le système fiscal, les dépenses militaires et la politique extérieure de la Grèce au xixe siècle. L’analyse est fondée sur quatre arguments principaux, inscrits dans la longue durée historique.
De la création de l’État grec jusqu’à nos jours (1830-2000), les dépenses militaires ont absorbé plus de 30 % des dépenses publiques, atteignant 50 % à 60 % ou plus pendant les périodes de guerre.
Afin de couvrir ces dépenses, et placés devant le choix entre impôts et endettement, les gouvernements grecs ont arbitré presque systématiquement en faveur de l’endettement. Une telle solution paraissait politiquement plus tolérable pour les contribuables et davantage compatible avec les besoins tactiques du pouvoir, et cela quel qu’ait pu être le régime : monarchique, républicain ou parlementaire, démocratique ou autoritaire.
Par conséquent, l’évolution des dépenses militaires a précédé ou suivi de près celle de la dette publique, contribuant à l’endettement lourd et chronique de l’État grec.
L’influence de la politique extérieure de la Grèce sur sa dette extérieure fut tout aussi décisive. Le « levier de l’emprunt », expression inventée en 1869 par Gladstone1, fut utilisé à plusieurs reprises, afin de contraindre les gouvernements grecs à suivre, sur la question d’Orient, une politique jugée convenable par l’une ou l’autre des grandes puissances, surtout par la Grande-Bretagne.
I. Le niveau de la dette publique et des dépenses militaires
A. Les dépenses militaires (1830-2000) : une constante
2Il est patent que le pourcentage des dépenses militaires de l’État grec par rapport au PNB est aujourd’hui un des plus élevés du monde (voir tableau 1).
3Les données ci-après sont fondées principalement sur des chiffres officiels ; les chiffres réels seraient probablement plus élevés. Les dépenses militaires de l’État grec ont presque toujours été très élevées depuis sa création, en 1830, jusqu’à 1974 (graphique 1)2.
Tableau 1 : Dépenses militaires, 1998-2000, en % du PNB (dépenses pour le service de la dette publique non incluses)
1998 | 1999 | 2000-a | 2000-b | |
OTAN | 2,2 | 2,2 | 2,2 | |
EUR-OTAN | 2,2 | 2,2 | 2,2 | |
Turquie | 4,2 | 5,2 | 5,2 | 6,0 |
Grèce | 4,8 | 4,8 | 4,9 | 4,9 |
USA | 3,0 | |||
France | 2,7 | |||
U. K. | 2,4 | |||
R. tchèque | 2,3 | |||
Pologne | 2,0 | |||
Italie | 1,9 | |||
Norvège | 1,9 |
4Par ailleurs, au cours des cent soixante-quinze ans de l’histoire de l’État grec moderne, il y a eu des guerres ou des mobilisations majeures à des intervalles de un à vingt-quatre ans (tableau 2).
Tableau 2 : Périodes de guerre ou de mobilisation militaire en Grèce, 1830-2000
Période | Durée, | Durée, | |
Mobilisation | 1854-1855 | 2 | 11 |
Mobilisation | 1866-1869 | 3 | 15 |
Mobilisation | 1884-1886 | 2 | 11 |
Guerre | 1897 | < 1 | 7 |
Mobilisation | 1904-1908 | 4 | 4 |
Guerre | 1912 | 1 | 1 |
Guerre | 1913 | 1 | 4 |
Guerre | 1917-1918 | 2 | 2 |
Guerre | 1920-1922 | 2 | 18 |
Guerre | 1940-1941 | < 1 | 4 |
Guerre civile | 1944-1950 | 4/6 | 24 |
Mobilisation | 1974 | < 1 | (28) |
B. La dette publique (1833-1997) : un endettement chronique
5L’évolution de la dette publique entre 1833 et 1997 apparaît sur les graphiques 2 (1833-1953) et 3 (1948-1997). Tout au long de cette période, l’endettement de l’État est lourd et continu. L’évolution des dépenses militaires précède ou suit de près celle de la dette publique, contribuant ainsi à l’endettement. En revanche, l’augmentation des impôts est plus lente, ne prenant la relève que dans les années 1960, par suite du développement économique et de la modernisation du système fiscal.
Tableau 3 : Dette publique, 1826-1914
Période | Dette extérieure, moyennes en millions francs-or | Dette intérieure, moyennes en millions de drachmes | Total, dette intérieure incluse, moyennes en millions de drachmes |
1826-1832 | 70 | – | |
1864-1876 | 130 | 6,2-8,7 | 156,2-186 |
1884 | 290 | 40,1 | 330,1 |
1887 | 415 | 520 | 520 |
1893 | 640 | 1 160 | |
1914 | 1 424 | 1 424 |
6Endettement lourd et chronique, dépenses militaires énormes : l’origine de ces caractères structurels coïncide avec la création même de l’État hellénique. Dès les années 1833-1838, les dépenses militaires représentaient plus de 60 % des dépenses publiques, et, dès 1843, la dette publique atteignait un niveau équivalant approximativement à sept années de dépenses publiques (ou neuf années de recettes)3. Un peu plus de la moitié de la dette provenait de l’« emprunt de la Révolution », contracté en 1824-1825, le reste de l’« emprunt de l’Indépendance », contracté en 1832-1833. Examinons de plus près les conditions dans lesquelles ont été négociés ces deux prêts4.
II. Les emprunts du nouvel État
A. L’« emprunt de la Révolution » (1824-1825)
7L’« emprunt de la Révolution » a été négocié par le gouvernement révolutionnaire, assisté de plusieurs philhellènes de Londres, de Paris et de Genève. Quelques-uns des grands banquiers de la City ont joué le rôle d’intermédiaire. Durant la négociation, les considérations d’urgence ont aggravé le manque d’expérience des négociateurs grecs et les ont conduits à accepter des conditions particulièrement défavorables. Afin de convaincre les investisseurs potentiels, les gouvernements révolutionnaires ont accepté de mettre en gage un des « actifs » nationaux les plus importants : les « Terres nationales »5. Les titres furent souscrits à un taux de 56 % à 59 % en dessous de leur valeur nominale, c’est-à-dire dans des conditions qui n’étaient comparables qu’aux cas extrêmes observés pendant la même période en Amérique latine. L’utilisation des sommes reçues ne fut pas plus heureuse. La plus grande partie du capital fut dépensée avant 1827 en Grande-Bretagne pour l’achat de navires de guerre ultramodernes, dotés de moteurs à vapeur et qui n’ont jamais pu sortir de la Tamise. Une autre partie fut utilisée pour verser des commissions généreuses. Enfin, une fraction exorbitante fut dépensée à titre de salaire pour rémunérer les services de l’amiral Cochrane, condottiere bien connu pour avoir participé de manière similaire aux mouvements révolutionnaires d’Amérique du Sud. Dans ces conditions, l’impasse financière était inévitable. Dès 1827, le paiement des intérêts et la procédure d’amortissement furent interrompus. La Grèce fut exclue de facto des grandes Bourses européennes. L’« embargo » ne sera levé qu’après un demi-siècle, en 1878.
8Après l’indépendance, le comte Capodistria, proclamé « gouverneur » du pays, essaya dès 1829 de négocier un emprunt extérieur, qu’il considérait à juste titre comme indispensable au redressement d’une économie détruite par la guerre, à la fondation d’un système monétaire national et à la création d’une banque qui organiserait un système intérieur de crédit. Le nouvel État devait être créé ex nihilo – ou presque. Même ses frontières étaient à redéfinir ; elles avaient été tracées hâtivement, en 1829, par les grandes puissances, qui souhaitaient alors un apaisement immédiat avec l’Empire ottoman prêt à sombrer dans sa « grande maladie ». Ces contraintes impliquaient un fardeau insupportable pour les finances publiques de ce Lilliput détruit par la révolution, qui ne comptait que 900 000 habitants appauvris. Aux nécessités urgentes de la reconstruction économique et de la mise en place des infrastructures s’ajoutaient les fonds nécessaires pour mettre sur pied la nouvelle administration, entretenir les forces de l’ordre et l’armée. Même pour un homme de l’envergure de Capodistria, le contexte rendait la situation financière du pays tout simplement incontrôlable. Cela conduisit le gouverneur à la mort et tous ses plans à l’effondrement.
B. L’« emprunt de l’Indépendance » (1832-1833)
9La question de l’emprunt se posa de nouveau en 1832, pendant les négociations relatives à l’accession éventuelle du prince bavarois Othon au trône grec et engagées par les trois grandes puissances (France, Grande-Bretagne et Russie) avec Louis de Bavière. Finalement, le traité de Londres de 1832, signé aussi par la Grèce, sanctionna l’indépendance et garantit l’intégrité territoriale du nouvel État, mit sur le trône la dynastie bavaroise, et dota le pays de « l’emprunt de l’Indépendance », d’une valeur nominale de 60 millions de francs-or garantie par les trois puissances « protectrices ». En contrepartie de cette caution, la Grèce accepta de mettre en gage l’ensemble des recettes fiscales futures de l’État. Dans le cas d’une infraction à cette clause, les puissances auraient le droit d’établir un contrôle international sur les douanes grecques, ce qui les autorisait même à intervenir militairement et à procéder à l’occupation de ces douanes. C’est du moins l’interprétation juridique du traité retenue dès lors par les chancelleries des puissances et obstinément soutenue, bien sûr, par les détenteurs des titres grecs et par leurs comités d’action6.
10Malheureusement pour les finances du nouvel État, les puissances ne voulurent accorder leur garantie que de façon échelonnée sur une longue période de temps, qui dura en fait douze ans. Pendant cet intervalle, chaque puissance utilisait sa garantie comme moyen de pression, afin de contraindre le gouvernement grec à suivre une politique jugée convenable sur la question d’Orient. Comme chacune des quatre parties impliquées en avait une conception très différente, l’imbroglio devint total. Le retard concédé sur l’octroi des garanties ne permit d’émettre de nouvelles obligations que pour payer les intérêts des emprunts et effectuer les remboursements annuels de capital. L’emprunt perdit ainsi presque toute sa valeur comme instrument de redressement économique et monétaire du pays7.
11En 1836, l’impasse financière obligea la Grèce à suspendre le service régulier de cet emprunt. À partir de 1837, les gouvernements grecs effectuèrent des versements irréguliers, quand les disponibilités du budget le permettaient ou quand les puissances accordaient leur garantie pour une tranche supplémentaire du capital, ce qui permettait au gouvernement grec de rembourser capital et intérêts des tranches antérieures. Évidemment, cette évolution de l’emprunt de l’Indépendance aboutit au renforcement de l’embargo qui résultait des malheurs de l’emprunt de la Révolution. Le recours aux bourses étrangères étant désormais impossible, les gouvernements ne pouvaient désormais satisfaire leurs besoins que par l’augmentation soit des impôts, soit de la dette intérieure.
III. La fiscalité ou l’emprunt
A. Les impôts (1830-1940) : un réformisme démocratique et populaire
12En 1830, le royaume de Grèce héritait du système fiscal de son ancien maître. Jusqu’au xixe siècle, les impôts étaient pour la Porte la source la plus importante de revenus. De par leurs avances au fisc, les percepteurs des impôts étaient devenus des créanciers importants de l’État. Une véritable osmose s’opérait ainsi entre la fiscalité et la dette : circulant entre ces deux niveaux, l’argent liquide était drainé par les créanciers de l’État, ne laissant à celui-ci que des recettes fiscales asséchées, car hypothéquées au profit de ses créanciers. L’augmentation de la charge fiscale devint ainsi insupportable. Au xixe siècle, elle conduisit chacune des provinces balkaniques de l’empire à des révoltes sociales aussi bien que nationalistes.
13Bien que trop tardives pour préserver l’intégrité territoriale de l’empire, des réformes du système fiscal furent finalement effectuées par les gouvernements du sultan. Ce changement d’attitude fut officiellement confirmé par la législation modernisatrice des années 1837-1859. De ce fait, au cours du xixe siècle, le poids de la charge fiscale par tête diminua. Mais l’insuffisance des recettes budgétaires obligea le gouvernement à s’endetter massivement. La dette publique fut grossie par des prêts stipulés sous toutes les formes possibles, des plus archaïques aux plus modernes, des plus classiques aux plus insolites. Après la guerre de Crimée, l’endettement de l’empire atteignit des sommets vertigineux et poussa finalement le Trésor ottoman à la chute : ce fut la cessation des paiements de 1877-18788.
14En matière fiscale, la Grèce ne garda pas longtemps l’héritage ottoman. Son indépendance avait été acquise au prix d’une révolution sanglante menée, entre autres, contre ce même système fiscal. Par ailleurs, tout au long du xixe siècle, les forces politiques du pays durent tenir compte de l’opinion publique et, ultérieurement, des voix des électeurs. La Grèce fut l’un des premiers pays au monde à instituer un régime parlementaire : le suffrage universel y fut institutionnalisé dès 1843, et les citoyens mâles de toutes les classes sociales purent envoyer régulièrement leurs représentants au Parlement dès 1864. Il est donc normal que le taux d’imposition des couches populaires ait diminué. Durant les toutes premières années de l’indépendance, ce nouveau contexte politique s’est traduit par la suppression de l’impôt (forfaitaire) sur la personne, vestige par excellence du système ottoman. Par la suite, la politique fiscale s’est orientée vers des suppressions ou des diminutions successives d’impôts directs affectant les couches rurales ; ainsi, après quelques décennies d’allégements, aucune taxe directe ne frappait plus la production des populations des campagnes.
15Les tableaux 3 et 4 montrent, d’une part, l’analogie entre impôts directs et indirects et, d’autre part, l’incidence approximative des impôts sur la production des régions rurales et des villes pendant la période 1833-1933.
16Les réformes successives du système fiscal s’inscrivaient déjà dans un processus politique de longue durée, qui comprenait aussi la réforme agraire et celle du système de crédit agricole. Ce réformisme, jouant systématiquement en faveur des couches très nombreuses de petits cultivateurs indépendants, fut l’un des moyens utilisés par les élites politiques à des fins électorales. À long terme, il eut des effets politiques beaucoup plus importants : il a contribué au processus de légitimation du régime démocratique et parlementaire et, plus généralement, du régime social et économique du pays. Or, jusqu’aux années 1890, l’état n’a pas pu compenser la diminution des impôts sur la production agricole par une augmentation suffisante de ses autres recettes fiscales9.
Tableau 4 : Répartition de l’ensemble des recettes fiscales entre villes et régions rurales, 1833-1933
Période triennale (moyenne) | Indirects, ensemble du pays % | Directs sur la production des régions rurales % | Directs sur la production des villes % | Total % |
1833-1835 | 29,29 | 70,71 | 0 | 100 |
1843-1845 | 39,57 | 58,80 | 1,63 | 100 |
1871-1873 | 53,69 | 41,27 | 5,04 | 100 |
1892-1894 | 74,32 | 19,53 | 6,15 | 100 |
1910-1912 | 80,30 | 10,26 | 9,51 | 100 |
1931-1933 | 81,78 | 3,48 | 14,74 | 100 |
Tableau 5 : Répartition des impôts directs entre villes (par catégorie de contribuables) et régions rurales (ensemble de la population), 1833-1933
Période triennale (moyenne) | Imp. Directs sur la production des régions rurales % | Imp. Directs sur les professions, le commerce les sociétés % | Imp. directs sur les salaires % | Imp. directs sur les revenus personnels sauf salaires % | Imp. directs sur les capitaux et les héritages % | Imp. directs divers % | Total |
1833-1835 | 100,00 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 100 |
1843-1845 | 97,31 | 1,95 | 0 | 0 | 0,74 | 0 | 100 |
1871-1873 | 89,11 | 6,28 | 0 | 0 | 4,61 | 0 | 100 |
1892-1894 | 76,06 | 12,94 | 0 | 0 | 11,00 | 0 | 100 |
1910-1912 | 51,88 | 20,64 | 0 | 1,24 | 20,65 | 5,59 | 100 |
1923-1925 | 48,65 | 14,73 | 7,38 | 7,39 | 20,23 | 1,62 | 100 |
1931-1933 | 19,12 | 16,48 | 28,30 | 14,30 | 14,40 | 7,40 | 100 |
B. Dette extérieure et intérieure : des vases communicants
17Incapables de recourir à l’augmentation des impôts, exclus des grandes Bourses occidentales jusqu’en 1878, les gouvernements grecs n’avaient d’autre choix que de recourir à la dette intérieure. Jusqu’en 1840, les circonstances ne se montrèrent nullement propices à la création d’un système bancaire et monétaire. Cependant, une phase favorable dans le conflit entre les puissances, entre 1839 et 1841, encouragea le banquier genevois Jean-Gabriel Eynard, grand philhellène, à soumettre au gouvernement grec une proposition qui visait à la création d’une banque quasi centrale10. Les investisseurs proposèrent en fait un compromis assez risqué pour eux puisqu’ils osèrent contourner le problème de l’emprunt de l’Indépendance et choisirent d’ignorer celui de l’emprunt de la Révolution. C’est ainsi que la Banque nationale de Grèce fut créée, en 1841, dotée d’un capital de cinq millions de francs-or et du privilège d’émission des billets de banque : ce fut aussi la naissance de la monnaie nationale, la drachme11.
18Dès que ces institutions fondamentales furent créées, les gouvernements grecs recoururent à la Banque nationale afin de satisfaire une partie de leurs besoins financiers. Ainsi, la banque put désormais imposer à l’État, presque unilatéralement, les termes de la dette publique intérieure, en calquant ces termes sur ceux pratiqués par le marché privé. Sur ce marché, en fait, la banque imposa très rapidement ses conditions, en formant un réseau oligopolistique de crédit, en collaboration avec ses alliés : financiers, prêteurs d’argent et usuriers. Pour des prêts à court et à moyen termes octroyés aussi bien à ses alliés qu’à ses autres grands clients, elle concédait des taux d’intérêt qui oscillaient entre 7 % et 11 %, taux élevés pour l’époque. Néanmoins, les membres du réseau les acceptaient volontiers car ils pouvaient canaliser les fonds empruntés vers les petits marchés régionaux et locaux qu’ils contrôlaient, et cela à des taux encore plus élevés, jusqu’à 24 % et même plus, selon la hiérarchie, dans l’espace, des marchés contrôlés par les réseaux oligopolistiques de crédit12.
19Même à ces conditions, la banque ne parvenait jamais à satisfaire toutes les demandes de crédit. Par conséquent, elle n’avait aucune raison d’accepter des taux nettement inférieurs pour les prêts qu’elle consentait en même temps au Trésor. C’est ainsi que le taux que la banque imposa pour la dette publique variait toujours entre 6,5 et 9,5 %, tout juste inférieur aux taux qu’elle pratiquait sur le secteur privé. Malgré ce haut niveau, les risques étaient réduits car la banque prenait en gage les recettes de l’État (taxes, droits de douane, monopoles) dont elle obtenait souvent la gestion. Des conditions aussi avantageuses conduisirent la banque à placer une grande proportion de ses avoirs dans les emprunts et les avances consenties au gouvernement et à tirer de ces placements une part importante de ses bénéfices, donc des revenus de ses actionnaires13.
20Jusqu’en 1870, l’État n’avait pas d’autre recours, même sur le marché intérieur. Les épargnants n’auraient jamais accepté de placer leur argent dans des emprunts publics sans l’intervention de la banque, dont le prestige était décisif auprès des capitalistes et du public des petits épargnants. Par ailleurs, ces derniers pouvaient toujours déposer leur argent à long terme auprès de la banque, à un taux d’intérêt moyen de 4-5 %. Pour les inciter à investir dans des obligations d’État, il aurait fallu un taux beaucoup plus élevé qui aurait justifié le risque accru et la liquidité moindre de ce genre de placement. L’État n’avait donc aucun espoir d’attirer directement les capitaux des épargnants.
IV. La dette extérieure
A. Marchés internationaux et marché intérieur du crédit : des réseaux reliés
21Théoriquement au moins, l’État avait une source alternative de crédit : les réseaux des financiers grecs de l’Empire ottoman et de la diaspora. Le gouvernement pouvait leur proposer un privilège institutionnel, par exemple le droit d’émettre des billets dans quelques provinces du royaume. En fait, cette possibilité était d’actualité chaque fois que le privilège de la Banque nationale expirait et redevenait un sujet de négociations entre l’État, la banque et ses concurrents. Une belle occasion se présenta pendant la révolution manquée de Crète, en 1866-1869. Pour la première fois, le marché fut envahi par les banquiers grecs de Constantinople, émus par leur patriotisme, par des taux d’intérêt élevés et par les supplications d’un État épuisé par les dépenses énormes de la mobilisation militaire. Cette première « invasion » par des capitalistes grecs de l’étranger culmina en 1871-1873 avec l’« Affaire des banques »14, mais les espoirs entretenus par le gouvernement qui attendait un pactole furent largement déçus. Le but des financiers de Galata n’était pas d’évincer la Banque centrale, mais plutôt de lui enlever une part du marché et de partager avec elle sa position dominante, au sommet de l’oligopole. Ces objectifs, assez modérés, ne furent d’ailleurs pas tous atteints. La Banque centrale céda un peu de terrain, mais pas la première place. Et les envahisseurs durent se satisfaire d’une position honorable, mais secondaire sur l’échelle hiérarchique des réseaux financiers.
22Le dénouement de l’« invasion » des années 1870 prouve, finalement, que les calculs des gouvernements grecs étaient plutôt naïfs. Même dans le cas hypothétique où un nouveau venu dans le secteur bancaire du pays accepterait d’entreprendre une lutte contre la Banque nationale et arriverait à sortir vainqueur du combat, il ne ferait que briser l’oligopole dominé par la banque pour lui substituer un système alternatif. Or ce substitut ne saurait être qu’un nouvel oligopole ; une fois établi, il tenterait d’échapper à toute obligation envers le gouvernement. Aucun contrat, aucune mesure légale prise par l’État ne pourraient le préserver à long terme face à un nouvel oligopole qui lui aurait imposé tôt ou tard ses conditions, plus ou moins identiques à celles que lui infligeait antérieurement l’ancien système dominé par la Banque nationale. La dépendance de l’État à l’égard des créanciers grecs et orientaux continuerait aussi longtemps qu’il n’accepterait pas un compromis avec les créanciers étrangers, à moins qu’il ne réussisse à se libérer de ses dépenses militaires et de ses déficits budgétaires. Or cette éventualité restait inconcevable dans le climat politique de l’époque, nourri de surenchères irrédentistes.
23Nous sommes ainsi ramenés aux grands emprunts extérieurs. Évidemment, c’était l’embargo imposé par les grandes Bourses européennes qui avait permis à la Banque nationale d’imposer au marché de la dette publique intérieure son oligopole, et à l’État les conditions qui viennent d’être décrites. Il est tout aussi évident que la Banque avait tout intérêt à garder le contrôle du marché intérieur. En effet, vers la fin des années 1860, un observateur bien informé écrivait que les gouverneurs (et les grands actionnaires) de la Banque étaient l’obstacle majeur à tout compromis entre les gouvernements de Grèce et les porteurs étrangers des titres de 1824-1825 ; car ils ne voulaient pas partager avec leurs concurrents internationaux un client aussi lucratif que l’État grec15. Le jugement était exact mais excessif. Sur le plan de la dette intérieure, les deux parties, l’État et la Banque centrale, partageaient souvent des intérêts parallèles. S’il est vrai que la Banque ne fut jamais particulièrement généreuse envers l’État, elle n’avait aucune raison de l’être, étant toujours en position de force sur le plan économique. Mais sur le plan politique, les gouverneurs de la banque étaient conscients de leurs limites face à un gouvernement qui apparaissait faible mais qui était néanmoins fort de son appui sur le pouvoir législatif et, en dernière instance, sur la raison d’État.
24En fait, malgré toutes ses difficultés, l’État n’était pas une proie facile. Les gouvernements disposaient de plusieurs moyens de pression, utilisables dans toute négociation, aussi bien avec les banquiers grecs de l’étranger qu’avec la Banque nationale. Tout d’abord, cette dernière n’avait acquis le privilège d’émission qu’à terme renouvelable et pour un territoire qui ne comprenait que les provinces grecques de 1841 ; or le renouvellement était toujours négociable, et la Grèce allait presque doubler l’étendue de son territoire entre 1841 et 1882. Par ailleurs, les gouvernements de l’époque disposaient aussi de moyens juridiques, fondés sur les autres clauses des contrats qui géraient les rapports avec la banque. Une guerre d’usure sur des tranchées juridiques pouvait également infliger à leur adversaire des pertes considérables. Une guerre totale, enfin, avec recours à la circulation forcée de la monnaie, pouvait même être fatale à l’institut d’émission. Peu importe qu’elle puisse aussi s’avérer fatale pour les finances de l’État. Un gouvernement bloqué par l’avidité de la banque et condamné à une lente mort politique pouvait éventuellement choisir cette forme de guerre suicidaire et la présenter à l’électorat comme une lutte contre des « requins capitalistes ».
25Ainsi, bien que la Banque nationale ait certainement su tenir en main son marché, elle n’exploita pas inconsidérément sa position de force ; tout au contraire, elle s’est toujours comportée en market maker sage et averti. Et bien que les gouvernements aient été en position de faiblesse face à la banque, ils tenaient l’arme absolue, le pouvoir politique : arme qui pouvait être financièrement suicidaire, mais restait dissuasive.
B. La dette publique et la question d’Orient
26Les petits emprunts sur le marché intérieur n’étaient qu’un palliatif pour un État qui, tout en allégeant des impôts insupportables pour la population rurale, devait faire face à des besoins financiers urgents et formidables : reconstruction d’une économie détruite par la révolution, création d’une infrastructure économique, mise en place d’un système administratif et judiciaire, organisation d’une armée et d’une gendarmerie, suppression du banditisme et de la piraterie. Seul le recours aux marchés internationaux pouvait résoudre de tels problèmes. Pour les gouvernements successifs de l’époque, l’objectif prioritaire restait donc la levée de l’embargo. Or cette solution dépendait de la volonté des grandes puissances. Nous revenons ainsi sur la question d’Orient.
27Nous avons déjà mentionné l’influence de la dette extérieure, pendant les premières décennies de l’indépendance, sur les relations de la Grèce avec l’Empire ottoman et les grandes puissances. Or le « levier de l’emprunt » fut utilisé bien plus longtemps – par chacune des puissances au début, par la Grande-Bretagne après la guerre de Crimée. L’objectif principal de cette tactique était de contenir les ambitions irrédentistes de la Grèce, de préserver au présent l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman afin de mieux le partager dans l’avenir, d’éviter une crise incontrôlable dans les Balkans et sur la route des Indes, bref d’induire ou de conduire les gouvernements grecs à suivre, sur la question d’Orient, une politique jugée convenable par l’une ou l’autre des grandes puissances.
28Pendant la guerre de Crimée, par exemple, Othon choisit de risquer des opérations militaires d’usure contre les forces ottomanes en Thessalie. Une telle impudence ne pouvait pas être tolérée par Palmerston qui, dès 1854, « redessinait continuellement la carte de l’Europe16 ». Il ordonna donc l’occupation du port de Pirée par des bateaux de guerre britanniques et français, ainsi que le débarquement et le stationnement permanent dans la ville d’un contingent des armées alliées. Afin de justifier cette occupation, les deux gouvernements utilisèrent, entre autres, l’argument de la dette publique de la Grèce et leur droit d’occuper les douanes du pays, d’après le traité de Londres de 1832, ressuscité pour l’occasion. Cette occupation insolite dura plus de deux ans, jusqu’en 1857. La même tactique fut adoptée régulièrement, et cela non seulement au xixe siècle, mais aussi pendant les premières décennies du xxe. Cette arme tactique fut utilisée pendant les crises suivantes :
en 1843, après la guerre turco-égyptienne, quand Othon amorça un premier rapprochement avec la Russie, rapprochement qui incita les deux puissances occidentales à soutenir un coup d’État, lequel imposa au roi une Constitution et un gouvernement libéral et pro-occidental ;
en 1854-1857, pendant la guerre de Crimée et l’occupation du Pirée ;
en 1862-1864, à l’occasion du remplacement du russophile Othon par Georges Ier, prince danois et plutôt anglophile ;
en 1869-1871, quand Gladstone énonça et codifia la politique du « levier de l’emprunt » (cf. infra) ;
en 1878, lorsque, en récompense de sa neutralité pendant la guerre russo-turque de 1875-1878, l’embargo des places financières fut levé et la Grèce put contracter de nouveaux emprunts ;
en 1897-1898, quand la débâcle de l’armée hellénique pendant la courte guerre gréco-turque fut suivie de l’instauration d’un contrôle international des finances grecques ;
en 1916-1917, quand le leurre de nouveaux prêts contribua à l’entrée de la Grèce dans la guerre, aux côtés des forces franco-britanniques ;
pendant l’entre-deux-guerres, enfin, quand un nouveau contrôle international des finances grecques accompagna les solutions apportées localement à la question d’Orient et anticipa la mise en place de nouveaux rapports internationaux dans la région, en vue de la Deuxième Guerre mondiale.
29De tous ces cas, la période 1869-1871 est la plus exemplaire. Pendant cette courte période, la politique britannique relative à la Grèce et à la question d’Orient fut résumée et « codifiée » dans quatre documents qui démontrent, d’une manière laconique et claire, aussi bien les objectifs stratégiques à long terme de la politique britannique envers la Grèce et la Turquie que les moyens tactiques que le Foreign Office devait déployer dans l’avenir. Le « levier de l’emprunt » y est explicitement qualifié comme un moyen tactique de première importance.
30En 1869, peu après les élections qui avaient conduit les Whigs au pouvoir, le sous-secrétaire permanent du Foreign Office, E. Hammond, envoya à William E. Gladstone, nouveau Premier ministre de la reine Victoria, l’avant-projet d’un document concernant le Greek Loan. Ce projet ne figure ni dans les archives du Foreign Office, ni dans les Privates Papers de Hammond ; dans ces archives privées, en revanche, on trouve la réponse du Premier ministre, datée du 24 septembre 1869. De son contenu, on peut déduire avec certitude que Hammond avait suggéré au Premier ministre quelques mesures immédiates à prendre au sujet de l’amortissement de l’emprunt et suggéré les lignes générales de la tactique à suivre dans l’avenir. Gladstone, au lieu de se contenter d’approuver le projet, donna des instructions détaillées sur plusieurs mesures à prendre immédiatement ; et il profita de l’occasion pour indiquer les objectifs stratégiques et les moyens tactiques de la politique de son pays en Grèce.
« Dear M. Hammond,
« I am quite prepared to concede in the draft herewith about the Greek Loan. […]
« The real question, one much wider than the small sum of money at issue, seems to me to be whether, at a convenient (season?) we are to make use of the leverage we possess through the Loan, to urge upon Greece internal measures of real contraction of expense, so as to open to her what she does not now possess, some hope of future strength and credit.
« My own idea of Greek policy is much founded upon this basis: that, sheltered by the three Protecting Powers from aggression as she is, that she ought to have no army or navy but a Police. If she cannot get straight by the adoption of this principle she will never get straight at all. […] Her Lilliputian imitation of military establishments is a (mischievous?) mockery, and the renunciation of them (until she can pay her way) would be the one (efficient?) mode of binding her to good behaviour.
« Her turn may yet come in the future, but unless she is content to wait for it, it will never come at all.
« This is perhaps rather (extraneous?)
« Sincerely yours,
« W. E. Gladstone »17
31Très probablement, Hammond avait choisi d’envoyer son projet à ce moment précis pour quatre raisons. Tout d’abord, Gladstone venant d’être nommé Premier ministre, le rôle habituel d’un sous-secrétaire permanent du Foreign Office était de présenter des dossiers et de demander des instructions pour les ambassadeurs. Par ailleurs, 1869 avait vu la fin de l’insurrection crétoise la plus importante du siècle, pendant laquelle la Grèce avait obstinément soutenu les insurgés par tous les moyens, armements et volontaires inclus – et cela avec le soutien de la France et de la Russie. En outre, en 1869 expirait un délai contractuel qui permettait aux puissances de renégocier le montant que la Grèce devait payer pour le service de l’emprunt de 1832-1833 ; une augmentation sévère de ce montant pourrait donc invalider son budget et obliger son gouvernement à interrompre ses efforts irrédentistes. Enfin, quatrième raison, la fin malheureuse et dramatique de la révolution en Crète était une parfaite leçon pour l’avenir : la Grande-Bretagne ne devait pas manquer l’occasion de l’inculquer, d’autant qu’elle avait besoin de confirmer, urbi et orbi, qu’aucun traitement de la question d’Orient ne pouvait avoir lieu sans son consentement, quand bien même la perspective d’un changement serait soutenue par la France ou par la Russie.
32Les idées que Gladstone avait exprimées dans sa réponse à Hammond seront confirmées et codifiées dans deux documents ultérieurs, classés dans les archives du Foreign Office. Il s’agit des instructions officielles envoyées par le ministre des Affaires Étrangères, Lord Granville, au nouvel ambas-sadeur à Athènes, W. Stuart. Ces documents, portant des numéros différents, sont datés tous les deux du 1er mai 1871 ; ils furent donc rédigés dix-neuf mois après la rédaction du manuscrit de Gladstone, daté lui du 24 septembre 1869. Il s’agissait tout d’abord et très probablement d’un retard administratif ; le Foreign Office avait reporté leur rédaction définitive jusqu’à la nomination imminente du nouvel ambassadeur ; il est tout aussi probable que ce retard a été prolongé, après 1870, par les Dilessi murders, une affaire de brigandage en Grèce dont quelques membres éminents de la noblesse britannique furent les victimes. Cette affaire, qui dégénéra en une tuerie sauvage, avait provoqué des réactions diplomatiques, aussi implacables que justifiées, de la Grande-Bretagne contre la Grèce. Le projet de ces textes avait été rédigé par E. Hammond et soumis au Premier ministre juste avant leur envoi à Athènes.
33Voici tout d’abord les instructions de Lord Granville à l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Athènes, contenues dans le premier document18 :
« Sir,
« […] It has been a source of great disappointment to all the friends of Greece, that during the many years that have elapsed since its liberation from the Turkish rule no advance has been made in Greece commensurate with the expectations that were formed when (she) was constituted a Kingdom. […]
« It would be hopeless for any foreign powers, even if it were not objectionable on other grounds, to attempt by persuasion and still less by direct interference to bring about a better state of things. […] and it is solely in regard to the external policy of the Greek Government and to the effect which that may have on the general peace, that foreign Powers, or at all events Her Majesty’s Government, would feel entitled to interfere.
« Her Majesty’s Government see with great regret the persistent endeavours of successive Greek Governments to keep alive the idea of territorial aggrandizement at the expense of Turkey […] No sober-minded person, […] either in Greece or elsewhere, can expect that the Porte should voluntarily make any concession of territory to Greece, or that Greece unaided by a foreign Power should be able to extort it from the Porte. […]
« The lesson of the late insurrection in Crete should not be thrown away in Greece; when the sympathies of certain foreign Powers failed to ensure the triumph of the cause, and Greece standing alone found herself obliged to renounce her aspirations for the annexation of the Island to the Greek Kingdom.
« The moral to be deduced by Greece from this history is that the Powers of Europe will not allow the peace of the Levant to be disturbed in order that Greece may enlarge her boundaries; and that the sooner she is disabused of the contrary notion and reconciles herself to the position which has been made for her, the sooner will she be able to organize her administration, restore order to her finances, ensure protection to life and property and apply the resources which she possesses for the development and improvement of the material prosperity of the country.
« Whenever you have occasion to speak of Greece and her prospects, you should conform your language, courteously but firmly, to the tenour of the foregoing observations. Her Majesty’s Government have no desire to interfere in the internal affairs of Greece; but they will not countenance any attempt on the part of Greece to aggrandize herself at the expense of Turkey; and the Greek Government will do well to bear in mind that the integrity and independence of the Turkish Empire, and the existence of the Greek Kingdom, are both objects of European interest, and are both secured by the common guarantee of all the Powers who were parties to the Treaty of 1856, and the arrangements under which the Greek Kingdom was constituted.
« I am with great truth […]
« Granville »
34Les projets de ce premier texte, ainsi que de celui du deuxième document officiel, avaient été rédigés par E. Hammond et soumis au Premier ministre juste avant leur envoi à Athènes. Gladstone avait répondu par un mémorandum manuscrit et non officiel, classé dans les Private Papers de E. Hammond et daté lui aussi du 1er mai 187119. Ses instructions manuscrites seront reprises, presque littéralement, dans le second document officiel. Avant donc de présenter ce second document officiel, il convient de reproduire le manuscrit de Gladstone :
« In these able papers, drafted by M. Hammond, so far as they regard the general attitude of M. Stuart as representative of Great Britain at Athens, we have almost a new charter of conduct, at any rate a fresh meeting-point, defined and established. This being so, I should de glad if to the precepts, chiefly negative, which he is to inculcate, we were, in virtue of our peculiar relations, both political and financial, to Greece, to set down those positive recommendations on which the future welfare of that country greatly depends; and if M. Stuart were instructed on any fitting opportunity to urge upon her (Greece’s) Government the restoration of credit, and the development of industry, as the proper objects of their care; and to point out the singular facility she enjoys for procuring these objects through the sure road of public economy, as being virtually absolved by the Guarantee of Great Powers (so long of course as she observes her international duties) from the costliest of all functions of Government, that of national defense. »
35Voici maintenant le second document officiel envoyé par Granville à l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Athènes20 :
« Sir,
« While disclaiming on general principles any desire or intention to interfere in the internal administration of Greece, Her Majesty’s Government think they may nevertheless offer, in a spirit of friendship and goodwill, certain suggestions which, if adopted, […] might greatly contribute to the general improvement of the Country.
« Her Majesty’s Government, in the peculiar state of their relations both political and financial with the Greek Kingdom, have long witnessed with the utmost concern the highly unsatisfactory state of a Country which, […] if rightly administered, would soon become prosperous and entitled to claim its proper place among the nations of Europe; (… H.M. Government) instruct you to take every fitting opportunity to urge upon the Greek Government, as the proper objects of their care and attention, the restoration of the national credit and the development of the industrial resources of the Country. […]
« You will point out to the Greek Government the singular facility that Greece enjoys for pursuing these objects through the sure road of public economy, as being virtually absolved, by the guarantee of the Great Powers (so long as the observes her international duties), from the costliest of all the functions of Government: that of national defense.
« I am with great truth […]
« Granville »
36Des quatre documents, seul le manuscrit initial de Gladstone contient une référence explicite à l’emprunt grec. En revanche, le second manuscrit du Premier ministre et les deux textes officiels évoquent beaucoup la question d’Orient et peu la dette publique grecque. L’attitude mitigée des rédacteurs de la correspondance officielle est explicable : il aurait été inconcevable de mentionner explicitement la tactique du « levier » sur des documents émanant du ministère des Affaires étrangères. Ceux-ci auraient pu éventuellement être consultés par la Chambre des communes, et, par conséquent, critiqués par les partis de l’opposition et par les députés philhellènes qui existaient au sein de tous les partis, sans oublier la presse philhellène et celle qui, suivant la politique de Disraeli et des Tories, était plutôt turcophile.
37Cette remarque vaut tout autant pour le second manuscrit de Gladstone, rédigé dans un langage plus voilé et politiquement acceptable que le premier. Le Premier ministre whig n’avait aucune raison de répéter ce qu’il avait déjà écrit quelques mois plus tôt. En outre, il préférait sans doute éviter d’exprimer une telle opinion dans un deuxième document qui, malgré son caractère « privé », pourrait un jour être présenté au Parlement. La juxtaposition des deux documents officiels du 1er mai 1871 et des deux manuscrits de Gladstone qui les avaient précédés, établit sans doute aucun leur liaison inextricable. Le manuscrit initial est le « chaînon manquant » entre, d’une part, la position officielle du Foreign Office envers la Grèce et, d’autre part, sa position réelle, dictée tout naturellement par les règles de la realpolitik, la raison d’État et les intérêts de l’Empire britannique.
Conclusion
38En 1878, un accord fut signé par la Grèce et les porteurs des titres de l’emprunt de la Révolution de 1824-1825. Ce compromis permit d’ouvrir les principales Bourses aux obligations de l’État hellénique. Dans le même temps, les puissances – Grande-Bretagne en tête – avaient assoupli leur position sur l’emprunt de l’Indépendance de 1832-1833. Le changement n’était pas un pur hasard ; il coïncide avec la fin de la guerre russo-turque de 1875-1878. C’était en récompense de son comportement « sage » que l’embargo des places financières fut levé, qu’un compromis fut trouvé sur l’emprunt de 1832-1833 et que la Grèce put contracter de nouveaux emprunts.
39Entre 1878 et 1890, la Grèce a consommé avec boulimie les prêts alléchants proposés par les financiers d’Athènes et surtout de Constantinople et achetés avec un féroce appétit par les investisseurs des grandes places financières de l’Europe et du Levant. Ce n’était pas une question uniquement de climat psychologique conjoncturel, ni de taux d’intérêt élevés, mais aussi de confiance bien réaliste, dont les raisons principales étaient les garanties considérables et les termes favorables offerts aux investisseurs. En fait, ces placements assuraient aux détenteurs de capitaux des rendements très élevés. Pour leurs prêts et leurs avances au Trésor, les banques obtenaient un taux de 7 % à 9 %, voire de 10 %. Quant aux taux des obligations d’État, leur moyenne fluctua pendant tout le xixe siècle entre 8 % et 12 %. Il s’agissait d’une rentabilité exceptionnelle à une époque de taux d’intérêt réduits : les titres des États de l’Europe occidentale avaient un rendement moyen de 2,5 % à 4 % et les banques étrangères versaient un intérêt de 2,5 % à 3,5 % pour les dépôts à terme, et même moins durant la période de dépression. En conséquence, les capitaux privés puisés par l’État jusqu’en 1910 représentaient une somme considérable par rapport aux investissements du secteur privé. En 1897, la valeur de la dette publique extérieure s’élevait à environ 600 millions de francs-or, celle de la dette intérieure à environ 200 millions. À la même époque, le capital total de toutes les sociétés anonymes du pays s’élevait à 29 millions, les recettes totales du budget à moins de 100 millions, la valeur moyenne des exportations annuelles à environ 85 millions ; et quelques années plus tôt, la plus grande entreprise industrielle du pays, les mines de Laurium, était évaluée et vendue à de nouveaux propriétaires à un prix de 12,5 millions21.
40La majeure partie de la dette extérieure fut donc absorbée, par des créanciers étrangers ou grecs de l’étranger. Les financiers de la diaspora et du Levant ont joué le rôle d’intermédiaire qui leur était cher depuis leur relation longue et profitable avec le Trésor ottoman. Ils ont occupé la position d’intermédiaire entre le gouvernement grec et ses créanciers extérieurs, parfois en concurrence tactique et conjoncturelle avec la Banque nationale de Grèce, mais toujours en alliance stratégique avec elle pour faire du marché un oligopole. Au réseau intérieur de la dette publique fut superposé un réseau international, la Banque nationale devenant la plaque tournante du système. Au sommet, les banques étrangères canalisaient vers les caisses du Trésor grec une partie du portefeuille de leur clientèle privée – une partie modeste pour chacun de ces clients riches, mais importante en volume total et par rapport aux dimensions restreintes du marché grec22.
41L’exemple de la dette publique de la Grèce, aussi bien que de celle de l’Empire ottoman, suggère que le marché international des capitaux s’adaptait à la structure hiérarchique et à l’organisation plus ou moins oligopolistique des marchés nationaux. Les divers acteurs du marché international étaient autant de nœuds d’un réseau transnational : les courtiers, mais aussi les grands financiers locaux, les banques locales et la banque centrale, les succursales des banques étrangères et, au sommet de la pyramide, les sièges de ces banques dans les grands centres du marché mondial des capitaux. L’objectif majeur de cette structuration hiérarchique du réseau international, outre le partage des placements et des risques, était le contrôle oligopolistique du marché de la dette publique23.
42L’endettement croissant de l’Empire ottoman l’avait conduit à la cessation des paiements en 1876. Le même processus fut répété en Grèce. La cessation des paiements du Trésor grec fut proclamée en 1893, sa dette extérieure se situant alors à presque 200 % de son produit intérieur brut, à plus de six fois la moyenne annuelle de ses recettes budgétaires, et à vingt fois l’ensemble du capital total de toutes les sociétés anonymes du pays24. Dans les deux cas, grec et ottoman, le « désastre » n’a suspendu le dynamisme des marchés que pour quelques années. Les prêts ont repris après de nouveaux accords de compromis avec les créanciers des deux pays et l’instauration d’un contrôle international de leurs finances. Dans le cas grec, cet accord fut conclu en 1898 et conduisit à une reprise de l’endettement jusqu’à 1928.
43Cette continuité n’est pas surprenante. Dans l’histoire des États modernes, les « faillites » ne sont que des événements ; la structure de longue durée, c’est la dette. La dette, liée au système fiscal, dépendante de la guerre, soumise aux aléas et aux nécessités de la politique extérieure et aux rapports de forces internationaux.
Bibliographie
Sources
Sources non publiées
Archives de la Banque nationale de Grèce
Archives du ministère des Affaires étrangères, Grèce (YE)
Ministère des Affaires étrangères, France (MAE)
Papiers Thiers, MAE et Bibliothèque nationale de France
Public Record Office, Royaume-Uni (PRO)
Foreign Office, Royaume-Uni (FO)
Granville Papers, PRO 30/29
Hammond Papers, FO 391
Russell Papers, PRO 30/22
Sources publiées
Actes du Parlement hellénique
Journal des Débats du Parlement hellénique
Annuaires statistiques de la Grèce
Comptes finaux de l’État grec, 1833-1997
Parliamentary Papers, Royaume-Uni
Consular Reports, Accounts and Papers, Annual and Miscellaneous Series (AP, AS, MS)
Presse
Oikonomiki Epitheorissis (Revue économique), Athènes
Actes de séminaires (non publiés)
Séminaire permanent, Archives historiques de la Banque nationale de Grèce
Mémoires
Georges Zafiris, Mémoires (Apomnimonevmata), texte dactylographié portant des corrections manuscrites, inédit, sans date, deux volumes A, 252 p., et B, 213 p.
Andreas Syngros, Mémoires (Apomnimonevmata), 3 vol. , Athènes, 1898.
Notes de bas de page
1 FO 391/24, Hammond Papers, Gladstone to Hammond, 24-9-1869.
2 Comptes nationaux de la Grèce, 1830-2000. La plupart des volumes publiés des Comptes nationaux étaient introuvables et peu utilisés jusqu’en 1993. J’ai repéré une série presque complète pour la période 1830-1939 : G.B. Dertilis, Atelesforoi i telesforoi ? Foroi kai exoussia sto neohelliniko kratos (Impôts et pouvoir dans l’État grec moderne), Éditions Alexandria, Athènes, 1993. Cette série a été déposée aux Archives historiques de l’Université d’Athènes et aux Archives historiques de la Banque nationale de Grèce. Seize volumes manquaient encore en 1993, parmi lesquels douze ont été repérés depuis lors par A. Antoniou, Les Dépenses militaires de la Grèce, 1833-1940, thèse de doctorat, Université de Paris IV, 2002. L’ensemble de ce fonds a permis la construction d’une banque de données pour cette période et la reconstruction des données, au sein du programme de recherche de la Banque nationale (dirigé par l’auteur, publications en cours). Les séries présentées ici ne peuvent conduire qu’à des approximations. Les problèmes relatifs aux longues séries histo-riques et aux traitements statistiques qui en résultent sont bien connus, pour ne pas mentionner ceux provenant des indices des prix et du PIB, qu’il s’agisse de problèmes de définition, de calcul, ou de lacunes dans les sources utilisées. Néanmoins, l’utilité de tels chiffres est indéniable, pourvu qu’ils soient traités avec prudence. Pour ne prendre qu’un exemple, la guerre de 1897 ne dura que quelques jours, mais a presque doublé les dépenses publiques par rapport à un budget normal ; la cause en fut une indemnité de guerre (100 millions de francs-or) payée à l’Empire ottoman après la défaite de l’armée grecque.
Une première estimation des budgets militaires comparée aux effectifs de l’armée entre 1840 et 1914 se trouve dans G.B. Dertilis, Social Change and Military Interventions in Greece, 1880-1909, Ph. D. thèse, University of Sheffield, 1977, tableaux XIV et XV permettant une comparaison entre les effectifs de la police, de la gendarmerie et du service public en général en Grèce, en Irlande, en Grande-Bretagne et en France.
3 G.B. Dertilis, Historia tou hellinikou kratous (Histoire de l’état grec) 1830-1920, op. cit., 3e édition 2005, p. 527-591.
4 Une partie de la documentation sur les emprunts grecs a été présentée dans : G.B. Dertilis, « Rapports économiques internationaux et dépendance politique, le cas de la Grèce, 1824-1878 », Historica 1, Athènes, 1983 ; voir aussi Historia tou hellinikou kratous (Histoire de l’état grec) 1830-1920, op. cit., 3e édition 2005, p. 289-324.
Les séries générales les plus intéressantes sur ce sujet dans les archives britanniques sont celles qui contiennent des exposés détaillés sur la question, rédigés pendant les années qui ont précédé les règlements des paiements de 1859-1864 et le
règlement final des deux emprunts anciens, signé en 1878 (FO 32.486 Greek Loan, 1867-71 ; FO 32.487 Greek Loan, 1872-74 ; FO 32.488 Greek Loan, 1875-77 ; PRO 30/29, Granville Papers ; PRO 30/22, Russell Papers. Parmi les très nombreuses publications officielles, il faudrait mentionner, outre les indices des Confidential Prints classés sous la rubrique homonyme dans les catalogues du PRO et de la British Library, les rapports suivants : Greek Loan, 1832-1910, Selection of 65 Accounts of Money, Related to the Greek Loan of 1832. General Report of the Commission appointed at Athensto examine into the financial condition of Greece. Presented to the House of Commons by Command of H.M., in pursuance of their address dated April 27, 1860, Londres, 1860. Mentionnons égalementles travaux de Andreas M. Andreades, OEuvres (Erga), 3 vol., Athènes, 1930 ; Cours de financespubliques ; Emprunts nationaux et finances publiques, Athènes, 1925 ; Histoire des emprunts nationaux, Athènes, 1904 ; ainsi que l’ouvrage de Panayotis B. Dertilis, La Dette publique des États balkaniques, Athènes, 1936.
5 Avant la révolution de 1821, les « terres nationales » appartenaient à l’État ottoman et à ses sujets musulmans ; elles sont devenues propriété du nouvel État grec après l’indépendance. Les problèmes légaux posés par le statut des terres étaient très complexes. Tout d’abord, le droit civil de la Grèce indépendante avait succédé au droit ottoman, lui-même antérieurement superposé au droit byzantin. Or le nouveau droit civil grec avait été calqué sur ce même droit byzantin, sur le Code napoléonien et sur le droit des pays allemands, tout en gardant quelques-unes des réglementations fondées sur les coutumes de l’époque ottomane. Ce mélange compliquait encore plus le statut des terres en tant que gage de l’emprunt ; car il se heurtait à des problèmes de droit international, alors encore en pleine période de gestation. Sur l’emprunt de la Révolution, voir FO 800/230, 231, Memoranda referring to Mr. Canning’s foreign policy – Greece 1824-26, 1826-27.
6 Article XII du traité de Londres, 7 mai 1832.
7 MAE MD Grèce 7, Mémoire de M. Caftangioglou-Tavernier à M. de Walewski, 31.1.1857, p. 347 ; FO 32.463, 21.3.1876, Derby to Stuart ; FO Confidential Prints, Nr. 2885, p. 1. AP 1864 (66), p. 35.
8 FO 424.20 (Prints), Financial Condition of the Turkish Empire, 1860-1861. Sur l’endettement de l’Empire ottoman et du Trésor égyptien, voir aussi les ouvrages classiques de D. Landes, Bankers and Pashas, International Finance and Economic Imperialism in Egypt, Heinemann, Londres, 1958, et de J. Bouvier, Le Crédit lyonnais de 1861 à 1882 ; les années de formation d’une banque de dépôts, 2 vol. , École pratique des hautes études, Paris, 1961. Voir également H. Exerzoglou, Adaptation et stratégie des capitaux grecs dans un marché périphérique ; la Maison Zarifis et Zafiropoulos et le marché d’Istanbul, 1871-1881, Fondation d’éducation et de recherche de la Banque commerciale de Grèce, texte polycopié, Athènes, 1987, p. 11-13 (taux d’intérêt de 10 % à 12 % en temps normal), p. 83 (taux d’intérêt pendant la crise, en 1878, allant de 11 % à 24 %), p. 84 sq. (garanties accordées par le Trésor ottoman), p. 96 sq. (modes d’arrangement de la dette publique ottomane en 1878).
9 Sur le système fiscal et ses aspects sociaux et politiques, voir G.B. Dertilis, Historia tou hellinikou kratous (Histoire de l’état grec) 1830-1920, op. cit., 3e édition 2005, p. 707-766. Cf. P. Mathias and P. O’Brien, « Taxation in Britain and France, 1715-1810. A comparison of the social and economic incidence of taxes collected for the central governments », Journal of European Economic History, 5/3, 1976, p. 614, 621, 628-640; D.N. McCloskey, « A mismeasurement of the incidence of taxation in Britain and France, 1715-1810 », Journal of European Economic History, 5/3 1976, p. 209-210; P. Mathias and P. O’Brien, « The incidence of taxes and the burden of proof », Journal of European Economic History, 5/3, 1976, p. 211-213.
10 Ce processus devrait être retracé en détail à travers les archives mêmes d’Eynard, surtout en ce qui concerne ses aspects intérieurs. Sur le rôle économique et politique de Eynard en Grèce, voir Olivier Reverdin et Michel Sakellariou dans Ioannis Gavriel Eynardos, Fondation culturelle de la Banque nationale de Grèce, Athènes, 1977 ; voir aussi Constantin Vakalopoulos, L’Économiste français Arthemond de Régny et son rôle dans l’histoire financière de la Grèce (1831-1841), Institute for Balkan Studies, Thessalonique, 1977. Néanmoins, l’importance du personnage mériterait une étude plus détaillée.
11 Sur l’institution de la Banque nationale de Grèce, voir St. Strait, Les Statuts de la Banque nationale de Grèce, Athènes (s. d.) ; voir aussi I.A. Valaoritis, Histoire de la Banque nationale de Grèce (Historia tis Ethnikis Trapezis tis Ellados 1842-1902…), Athènes, 1902, p. 57, et G.B. Dertilis, L’Affaire des banques (1871-1873). Conflit économique et politique en Grèce du xixe siècle (To zitima ton trapezon…), Fondation culturelle de la Banque nationale de Grèce, Athènes, 1980.
12 Sur l’échelonnement des taux d’intérêt du crédit agricole durant la seconde moitié du xixe siècle, voir G.B. Dertilis, « Terre, paysans et pouvoir économique, Grèce xviiie-xxe siècle », Annales ESC, 1992, 2, p. 273-291 ; « Terre, paysans et pouvoir politique », Annales ESC, 1993, 1, p. 85-107 ; Banquiers, usuriers et paysans…, op. cit. ; « Hiérarchies sociales, capitaux et retard économique en Grèce (xviiie-xxe siècle) », 2e Colloque international d’histoire, Athènes, 1983, Actes, t. II, Athènes, 1985. Cf. S. Thomadakis, Crédit et monétarisation d’économie ; l’escompte et la Banque nationale (1860-1900), (Pisti kai ekchrimatismos tis oikonomias…), Fondation culturelle de la Banque nationale de Grèce, Athènes, 1981, p. 278-280. Sur les taux d’intérêt usuraires, voir les débats parlementaires : 37/55 Journal officiel de la Constituante, Athènes, t. 6, session 300/18.8.1864, et Journal des débats du Parlement hellénique, discours des députés K. Lomvardos (33/2-6-1873). Voir aussi C. Evelpides, Histoire économique et sociale de la Grèce (Oikonomiki kai koinoniki istoria tis neoteras Ellados…), Athènes, 1950, p. 52 ; et J.A. Petropulos, Politics and Statecraft in the Kingdom of Greece, 1833-1843, Princeton N.J., 1968, p. 488. Sur la durée et les taux d’intérêt prévus dans les statuts de la Banque nationale en 1841, voir la communication de P. Pizanias au 2e Colloque international d’histoire, Athènes…, t. II, op. cit., Athènes, 1985, t. II, p. 460.
13 Sur la provenance d’une bonne partie des bénéfices de la Banque nationale, voir S.G. Floros, La Banque nationale et le Trésor, Athènes, 1880. Il s’agit d’un témoin fiable, auquel se réfère aussi le consul britannique : « … Mr. Floros, the Accountant General » (AS 1571/1894, p. 11), très probablement donc le directeur de la Cour des comptes, créée en 1842 sur le modèle français (par le décret royal du 17-9-1842).
14 G.B. Dertilis, L’Affaire des banques…, op. cit.
15 AP 1872 (LVII) Le Pirée (Merlin) 1870, p. 144 et 1877 (LXXXIII) Le Pirée, 1876, p. 1347. Merlin, consul de la Grande-Bretagne au Pirée et directeur de la Banque ionienne, était un observateur très averti de l’économie grecque. En 1872, il avait déjà une « expérience de trente ans en Grèce » : YE 18 (1), 1872, p. 47. Marié à Irène Stournari, fille d’un magnat grec d’Égypte, il avait aussi acquis un lien supplémentaire avec les réseaux des entrepreneurs grecs actifs en Grèce et au Levant : FO 286.277,6-1-1872. Sur la généalogie des Merlin-Stournari, voir le testament de Gr. Frangopoulos, No 12410/24-12-1951, notaire D. Polychronis, Athènes.
16 Russell Papers, 11D, Clarendon to Russell, 7.5.1854. Il s’agissait d’une remarque mi-sérieuse, mi-ironique de Clarendon sur son homologue, Palmerston.
17 Hammond Papers, Gladstone to Hammond, 24.9.1869. En parenthèse les mots difficilement lisibles. Les passages omis, désignés par […], sont ceux qui concernent les détails plus ou moins techniques sur l’amortissement de l’Emprunt.
Voici les passages du manuscrit traduits en français :
Je suis tout à fait disposé à consentir au projet (N.d.T. : que vous aviez proposé et que je vous retourne) ci-inclus, concernant l’Emprunt grec. […] À mon avis, la vraie question, beaucoup plus importante que le petit montant dont il est question, est de savoir si nous avons l’intention d’utiliser le levier de l’Emprunt, à un moment propice, afin de conduire la Grèce à prendre des mesures intérieures pour une réduction réelle de ses dépenses, ce qui lui ouvrirait la voie vers plus de rigueur et de crédit (crédibilité.)
Ma propre idée sur la politique de la Grèce est fondée principalement sur la base suivante : puisque l’accord entre les trois Grandes Puissances la protège d’une agression éventuelle, elle doit ne pas avoir ni armée ni flotte de guerre, mais uniquement une force de police. Si elle ne peut pas se redresser en adoptant ce principe, elle ne se redressera jamais. […] Les imitations lilliputiennes d’organisation militaire ne sont que des caricatures pernicieuses ; obliger la Grèce d’y renoncer serait la seule manière efficace de l’attacher à une bonne conduite –au moins jusqu’à ce qu’elle puisse frayer son chemin par ses propres moyens. Son tour viendra peut-être un jour ; mais il ne viendra jamais si elle ne se contente pas d’attendre.
Ce dernier point est un peu déplacé / incongru.
18 FO 286 (272) No 3 / 1.5.1871, Granville to Stuart.
19 Hammond Papers, 1.5.1871, Gladstone to Granville.
20 FO 286 (272) No 5 / 1.5.1871, Granville to Stuart.
21 L’effet de crowding out qui en résulta fut une cause importante du retard dans la constitution d’une infrastructure économique en Grèce et même de l’industrialisation au xixe siècle.
22 Un bon exemple en est le cas d’Andreas Syngros. D’après son testament, publié en 1904, sa fortune mobilière s’élevait à 1,6 million de francs-or, dont une bonne partie en titres grecs. Ministère de l’Économie de Grèce, Legs de Andréas D. Syngros et parts de sa fortune offerts en donation par Iphigénie A. Syngros à l’État… (Klironomiki perioussia Andreou Syngrou…), Athènes, 1907. Les créanciers occidentaux se plaignaient souvent que les gouvernements grecs réservaient un meilleur traitement à la dette intérieure qu’aux emprunts étrangers. Cette plainte n’était pas fondée. Les intérêts sur les emprunts internationaux étaient toujours intégralement versés. Quant au capital, les compromis conclus en 1878 et en 1898 étaient modérés et plusieurs auteurs de l’époque les consi-déraient comme équitables pour les créanciers, vus les termes très favorables pour eux qui avaient été initialement imposés à la Grèce. Sur ce sujet, voir A.M. Andreades, Œuvres, op. cit.
23 Andreas Syngros, Mémoires (« Apomnemonevmata »), Athènes, 1898, vol. I, p. 352-355. D’après Jean Bouvier, le marché international des capitaux ressemble, dans sa structure et son organisation, aux marchés nationaux : J. Bouvier, Le Crédit lyonnais de 1863 à 1882. Les années de formation d’une banque de dépôts, Paris, SEVPEN, 1961. Sur les rapports étroits entre les banquiers et le pouvoir politique dans l’Empire ottoman, voir également H. Exerzoglou, Adaptation et stratégie des capitaux grecs dans un marché périphérique ; la Maison Zarifis et Zafiropoulos et le marché d’Istanbul, 1871-1881 (Prosarmostikotita kai politiki omogeneiakon kefalaion…), Fondation d’éducation et de recherche de la Banque commerciale de Grèce, texte polycopié, Athènes, 1987, p. 85. Des informations abondantes existent aussi dans les Mémoires de G. Zarifis et de A. Syngros. Ce dernier est très éloquent au sujet de ses rapports privilégiés avec le gouvernement grec. Voir aussi G.B. Dertilis, L’Affaire des banques…, op. cit., chapitres 4, 5, 7, ainsi que « Les capitaux face à l’industrialisation et ses alternatives », dans G.B. Dertilis (éd.), Banquiers, usuriers et paysans. Réseaux de crédit et stratégies du capital…, op. cit. Voir également, dans ce même ouvrage, C. Hadjiiossif, « Banques grecques, banques européennes, le point de vue d’Alexandrie ».
24 G.B.Dertilis, Historia tou hellinikou kratous (Histoire de l’état grec) 1830-1920, op. cit., 3e édition 2005, p. 356, 530 et 967-1074 (annexe, données statistiques). Le pourcentage du PIB devrait être lu avec caution, les problèmes de calcul exact étant insurmontables pour le cas grec, sinon pour n’importe quel pays au xixe siècle ; voir l’analyse de ces problèmes dans le même ouvrage, p. 253-265.
Auteur
Georges B. Dertilis est directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et membre du Centre de recherches historiques (EHESS-CNRS.) Entre 1980 et 1999 il a été professeur d’histoire moderne à l’Université d’Athènes, professeur invité à Harvard, à Oxford et à l’Institut Universitaire Européen, et directeur du programme de recherche de la Banque nationale de Grèce. Ses publications récentes en lien avec la thématique de cet ouvrage sont : « Silences, fixations et modes dans l’historiographie de la Grèce moderne », Colloque L’historiographie de la Grèce moderne et contemporaine, 1833-2002, novembre 2002, Centre National de Recherches, Athènes : Actes, vol. I, p. 275-281, Athènes 2005 ; et Historia tou hellinikou kratous, 1830-1920, (Histoire de l’état grec, 1830-1920), deux volumes, I-XVIII, 1108 pages (avec 145 tableaux et 34 graphiques), 80 pages d’illustrations hors texte, 1re édition : Banque nationale de Grèce, Programme de recherches, Athènes 2004, 3e édition révisée : Hestia, Athènes, 2005, édition abrégée en français et en anglais prévue pour 2007.
Les recherches de Georges B. Dertilis autour du sujet de sa contribution sont toujours en cours depuis la première édition de ces Actes en 2006. Il a publié, de manière plus détaillée, les résultats de cette recherche en grec dans son Histoire de l'Etat grec, 1830-1920, 2 vol. Athènes, Editions Hestia, 2004. Il les utilise également, avec une perspective élargie dans le temps et dans l'espace, dans un livre en cours de publication en anglais War, Debt and the Great Powers. Greece, 1830-2012 (titre provisoire).
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