Les dettes d’un régime
Le legs financier de la période d’Edo et son règlement par les gouvernements japonais de Meiji
p. 335-364
Texte intégral
1L’apparition du terme de dette publique (kôsai) dans le vocabulaire japonais ne remonte qu’aux premières années du régime de Meiji, vers 1870. Il s’agit bien en effet d’un mot forgé ad hoc pour traduire un concept occidental, et non de la réinterprétation d’une expression attestée dans une antiquité plus lointaine. Si l’on s’en tient à la définition donnée aujourd’hui au Japon de la dette publique, c’est-à-dire l’ensemble des dettes contractées par l’État, les collectivités locales et les institutions étatiques, par le biais de l’émission d’emprunts publics sous forme de bons négociables, on peut avancer que, à notre connaissance, aucun régime ni gouvernement japonais n’avait connu avant 1870 de système équivalent à celui mis au point pour le financement du chemin de fer entre Tokyo et Yokohama. Toutefois, les premiers dirigeants de Meiji eurent à se débattre, dès leur prise de pouvoir, avec l’épineux problème du règlement d’une dette colossale dont ils allaient devoir, bon gré mal gré, assumer l’héritage. Cet amas de créances douteuses leur avait été légué par les anciens fiefs de l’époque d’Edo, qui, depuis le xviiie siècle jusqu’à leur suppression définitive en 1871, avaient financé leur survie par des emprunts massifs, continus, et pour finir insolvables. La fuite en avant du régime des Tokugawa vers une « mort à crédit » fut une conséquence directe et inéluctable de son organisation politique : la prise en charge par le nouveau régime de ce passif et la solution d’apurement qu’il adopta (sa transformation en dette publique) constituèrent par conséquent une étape cruciale pour l’établissement d’un État centralisé et la refonte de l’ancienne société d’ordres en une nouvelle société civile.
Finances Shogunales, finances seigneuriales
2Pour indiscutée qu’ait été la domination du shogunat (ou bakufu) des Tokugawa sur la totalité de l’archipel japonais durant la période d’Edo, la construction politique assurant cette mainmise n’en différait pas moins des solutions centralisées promues par l’absolutisme occidental. Le shogun, en tant que chef de la condition guerrière, détenait bien une autorité sur l’ensemble du pays, mais l’unification du Japon, après la période de guerres civiles au xvie siècle, n’avait pu être obtenue qu’au prix d’importantes concessions envers les potentats locaux. Toyotomi Hideyoshi en 1590, puis Tokugawa Ieyasu, fondateur de la dynastie shogunale après 1603, établirent leur suprématie en écrasant militairement leurs rivaux, mais aussi par la négociation, en garantissant aux seigneurs de la guerre qui rejoindraient leur parti, ou se soumettraient sans combattre, la jouissance de territoires organisés en véritables petites principautés plus ou moins autonomes, les fiefs ou han1. L’« autorité publique » (kôgi) incarnée par le shogun était avant tout une autorité politique suprême : c’est à ce titre, par exemple, que le bakufu pouvait lever des emprunts forcés (goyôkin) sur ses administrés directs ou imposer des contributions aux autres maisons seigneuriales. Mais, à l’intérieur des frontières de son fief, le seigneur local ou « daimyo » exerçait lui aussi cette « autorité publique » sur ses sujets, dans le respect de la primauté du shogunat et de ses lois.
3Le gouvernement shogunal ne régissait donc directement que les « territoires célestes » (tenryô) qui dépendaient de lui, et il avait aussi pris en charge progressivement l’administration des tenures de petits vassaux comme les « hommes de la bannière » (hatamoto). Confiscations et intimidations avaient étendu ses possessions à travers tout le pays, et il s’était de surcroît réservé le contrôle des centres commerciaux (comme les villes du Kansai : Kyoto, Osaka, Sakai, etc.) et de production minière les plus importants. Pourtant, malgré des ressources considérables (plus de 4 millions de koku de riz au xviiie siècle, soit environ un sixième de la production nationale), il ne percevait les fruits de l’impôt que sur une partie seulement de l’archipel. Le reste était administré par les gouvernements locaux des fiefs, plus de 270 à la fin du régime ; leurs dimensions pouvaient varier grandement, de quelques morceaux de districts, équivalent de nos cantons, à plusieurs provinces, mais tous avaient tendance à reproduire en miniature les structures d’un petit État, similaires à celles du shogunat. Ils jouissaient en particulier d’une parfaite autonomie sur le plan financier : le seigneur subvenait à ses besoins propres et à ceux qu’entraînait le gouvernement de son territoire et de sa population, en utilisant les revenus des impôts prélevés sur son domaine. Le principal provenait d’une imposition sur la production agricole évaluée et payée en riz (kokudaka), et était complété par diverses taxes sur les métiers ou les échanges, les impôts levés dans les villes, le paiement en monnaie du service des corvées, les bénéfices de monopoles et de régies et même, parfois, la production de mines (cf. graphique 1a). Le shogunat, de son côté, ne percevait pas en principe de revenus réguliers provenant des territoires de ces fiefs, dont la fiscalité lui échappait presque totalement : tout au plus pouvait-il mettre à contribution les différentes maisons guerrières, suivant les revenus de leur domaine, pour de gros investissements comme l’aménagement de cours d’eau, l’entretien de routes, des relais de poste, la construction de châteaux shogunaux, etc.
4On ne saurait donc envisager dans le Japon de l’époque d’Edo une problématique unifiée des « finances de l’État ». Il ne peut s’agir que des finances shogunales, ou de celles des États seigneuriaux. La forte déconcentration de l’autorité publique héritée de la féodalité médiévale n’avait d’ailleurs pas que des désavantages pour le bakufu. Car les dépenses auxquelles il devait faire face s’en trouvaient d’autant allégées : par exemple, le shogunat détenait bien le monopole de la politique étrangère, mais il pouvait toujours se décharger des frais considérables nécessités par la sécurité du pays sur les fiefs, au titre du « service militaire » (gun’yaku) dû par ces derniers. Ce fut par exemple l’option choisie au xixe siècle pour l’établissement de coûteuses défenses côtières censées prémunir l’archipel contre les entreprises occidentales2.
5Outre l’importance de ses revenus, la stabilité de la position dominante du shogunat était aussi affermie par un certain nombre d’avantages lui permettant de pallier ses difficultés financières : monopole de l’émission d’une monnaie nationale, et donc de sa manipulation, possibilité d’obliger les fiefs à remplir ses coffres et ses greniers en cas de besoin, ou encore d’agir sur le marché central du riz d’Osaka pour relever les cours de cette céréale. Tout cela explique que, malgré un déficit structurel de leurs finances remontant au début du xviiie siècle, les gouvernements shogunaux n’aient pas eu réellement à se tourmenter pour leur financement par des particuliers, d’autant plus qu’ils pouvaient toujours avoir recours à des emprunts forcés (de plus en plus fréquents au xixe siècle) et à faibles taux d’intérêt imposés aux riches régions qu’ils tenaient sous leur contrôle direct3. Et ce ne fut naturellement qu’après l’ouverture du pays aux puissances occidentales, et même dans les toutes dernières années du régime, que le bakufu envisagea de contracter des emprunts auprès de banques ou d’États étrangers.
Le prêt aux Daimyos
6Les finances des différents fiefs, de leur côté, connurent des difficultés chroniques qui ne cessèrent de s’aggraver dès la fin du xviie siècle pour les plus fragiles d’entre eux. Certaines causes de ces problèmes de trésorerie pesaient aussi sur le bakufu : le vice principal est à rechercher dans une baisse tendancielle du cours du riz à partir des années 1720, que les gouvernements shogunaux n’arrivèrent jamais à enrayer durablement4. Ce phénomène de longue durée se conjugua avec des progrès continus de l’économie monétaire tout au long de la période d’Edo pour plonger les finances guerrières, shogunat et fiefs confondus, dans un déficit structurel. Des catastrophes naturelles entraînant trois grandes famines entre les années 1730 et 1830 jouèrent également leur rôle. L’emprunt auprès des marchands des cités et des territoires shogunaux devint alors, et jusqu’à la fin du régime, un complément indispensable au fonctionnement des États seigneuriaux.
7Mais en réalité, dès les gouvernements des quatrième et cinquième shoguns, Tokugawa Ietsuna (1651-1680) et Tsunayoshi (1680-1709), les daimyos usaient volontiers d’emprunts auprès de grands marchands, et d’abord ceux des provinces centrales du Kansai (région de Kyoto et Osaka). À cette époque, les finances seigneuriales venaient de prendre définitivement forme, après l’absorption progressive des revenus des samurais formant les organisations vassaliques et la prise en charge de leur gestion par l’administration des fiefs5. Ces traitements accordés aux vassaux formaient désormais le poste de dépenses principal des domaines seigneuriaux comme du shogunat, au détriment des possibilités d’investissements publics (cf. tableau 1a). D’armées d’occupation et d’organisations vassaliques qu’ils étaient avant tout à l’origine, les fiefs se muèrent ainsi en véritables petits États bureaucratiques régionaux. Dans le même temps, de grands travaux entrepris dans les fiefs (comme le défrichement de nouvelles rizières), soutenus par la forte croissance démographique du xviie siècle, leur avaient permis d’augmenter considérablement leurs revenus. Ils purent ainsi faire face à la hausse des dépenses entraînée par la mise en place d’appareils administratifs et les transformations sociales de la société prémoderne. Pourtant, le bakufu n’ayant aucun intérêt à laisser se développer des principautés trop puissantes qui auraient pu menacer sa position, il chercha très tôt à les affaiblir économiquement. Une des mesures les plus efficaces fut sans conteste le système de résidence alternée (sankin-kôtai) obligeant les daimyos à venir séjourner à Edo et à y laisser à demeure, comme otages, des membres de leur famille. Cette manifestation de soumission au pouvoir du shogun entraînait pour les fiefs des dépenses colossales et bientôt ruineuses, dont le barème était fixé par le shogunat. Par exemple, lors de la venue d’un seigneur Maeda à Edo, le fief de Kaga devait subvenir aux besoins de plus de 4 000 personnes. Dès la fin du xviie siècle, le montant annuel des débours de ce domaine à Edo équivalait à celui des dépenses à l’intérieur de son territoire. Il le dépassait de 50 % dans les années 1750, puis il continua à augmenter, au point que l’essentiel du produit du riz fiscal était consacré désormais aux frais de la résidence à Edo et aux traitements des guerriers (cf. tableaux 1a et 1b)6.
Tableau 1a : Estimation des recettes en riz disponibles pour le fief de Kaga en 1767 (en riz et argent)
Recettes en riz | Frais | |
Riz fiscal | Pensions guerrières et traitements | |
Emprunts en riz | Frais de transport et commissions | |
Total en riz | 300 000 koku | 212 000 koku |
Total en argent | 18 000 000 monme | 12 720 000 monme |
Total disponible | 88 000 koku soit 5 280 kan |
Tableau 1b : Estimation des dépenses sur les revenus en riz du fief de Kaga en 1767 (en argent)
Dépenses à Edo | 6 000 kan |
Dépenses à Kyoto et Osaka | 500 kan |
Paiement des intérêts des dettes | 3 516 kan |
Total des dépenses | 10 016 kan |
8La principale source de revenus des États seigneuriaux leur permettant de faire face à de tels besoins provenait en effet de la vente de leurs stocks de riz, car ils ne pouvaient émettre eux-mêmes de la monnaie ayant cours dans les territoires shogunaux. En plus de la pratique de l’achat à crédit, les maisons seigneuriales commencèrent donc, pour acquérir rapidement des liquidités, à contracter de plus en plus fréquemment, à partir de la seconde moitié du xviie siècle, des emprunts auprès de marchands, non seulement à Edo même, mais surtout dans les villes des régions centrales alors en plein essor. Le prêt était fréquemment consenti dans un système de relations unissant les autorités seigneuriales et des négociants privilégiés en charge de l’approvisionnement des fiefs ou de l’écoulement de leur production. Cependant, le développement de l’économie monétaire et la nécessité de transferts de fonds de plus en plus importants amenèrent aussi la structuration et l’essor de la profession de changeur (ryôgaeya). Ces financiers s’enrichirent souvent en prêtant aux opulentes maisons guerrières. Entre les années 1660 et 1710, dans le Kansai et surtout à Kyoto, beaucoup des fortunes les plus en vue de la bourgeoisie se bâtirent grâce à de telles opérations, comme s’en fit l’écho au début du xviiie siècle le grand patron Mitsui Takafusa (1684-1748) dans ses « Observations sur les bourgeois » (chônin kôken-roku)7. Et, à la fin du xviie siècle, un grand fief comme Kaga, réunissant trois provinces, pouvait encore maintenir ses comptes en équilibre grâce à ce système8. Les dépenses des guerriers ayant malgré tout tendance à augmenter plus vite que leurs revenus, de nombreux seigneurs furent tentés de revenir sur les engagements pris avec ces bailleurs de fonds, d’autant plus que, dans la plupart des cas et contrairement aux prêts consentis habituellement entre marchands, ni gage, ni hypothèque (noblesse oblige) n’était alors exigé. Les fortunes pouvaient donc s’effondrer plus rapidement encore qu’elles ne s’étaient construites, et lorsque se manifestèrent à partir des années 1720 les symptômes d’un retournement de la conjoncture économique, s’achevèrent pour de bon les riches heures de ces aventuriers du prêt sans garantie.
9Par la suite et jusqu’à la fin du régime, le cœur du monde de la finance tendit à se resserrer sur quelques grands établissements de change basées dans le Kansai, qui continuèrent à entretenir les lignes de crédit des fiefs avec cependant, dans l’intention sinon dans les faits, plus de prudence qu’auparavant. Le plus célèbre d’entre eux demeure la maison Kônoike d’Osaka, créancière en 1715 de 49 maisons seigneuriales. Dès la fin du xviie siècle, elle avait pris la précaution d’appliquer aux emprunteurs seigneuriaux un traitement similaire à celui dévolu aux particuliers, exigeant l’engagement d’une partie de leur patrimoine9. Les garanties consistaient alors fréquemment dans une partie de la récolte prélevée par l’impôt, parfois pour des villages entiers – l’impôt n’était cependant pas affermé puisque sa collecte demeurait du ressort des autorités du fief. Celles-ci pouvaient aussi convertir les remboursements en paiements de rentes en riz ou de leur équivalent en monnaies, comme celles qu’elles octroyaient à leurs propres samurais : la maison Kônoike percevait ainsi dès le début du xviiie siècle un revenu annuel cumulé de 10 000 koku (1 800 000 l) de pensions en riz, soit le montant de la production d’un domaine nécessaire à un guerrier pour qu’il puisse prétendre au rang de daimyo. Quoique le prêt aux daimyos n’ait pas nécessairement été à la base de la réussite de tous les grands établissements de change, on constate qu’au xviiie et au xixe siècle les plus importants financiers d’Osaka et d’Edo étaient apparemment tous très impliqués dans ce type d’opération et y engageaient une part non négligeable de leurs avoirs. Les dirigeants des fiefs ne considéraient en principe l’emprunt que comme un pis-aller, destiné à satisfaire une nécessité exceptionnelle, et surtout pressante. Mais avec l’aggravation de leurs difficultés de trésorerie à partir des années 1730, ils commencèrent à s’installer dans un endettement permanent et toujours plus lourd. Ainsi les créances en monnaies d’or du fief de Kii chez Mitsui (cf. tableau 2)10 furent multipliées par 4,5 entre 1719 (2 450 ryô d’or11) et 1729 (10 775 ryô), avaient pratiquement encore triplé en 1734 (30 435 ryô) et de nouveau doublé huit ans plus tard (62 275 ryô) ; puis, dans les années 1760, ce fut l’escalade avec un sommet de plus de 340 000 ryô d’or atteint en 1769. Par ailleurs, les dettes en argent explosèrent entre 1756 et 1763, passant d’un niveau presque nul d’environ 8 monme à 758 50812. Entre 1764 et 1768, elles retombèrent à 52 508, mais atteignirent à nouveau plus de 662 900 monme en 1769. Entre 1719 et 1768 le montant cumulé des intérêts perçus sur ces prêts passait donc de 28 ryô à plus de 85 000, et atteignait pour l’argent 319 391 monme en 1767, après quoi le fief finit par se déclarer incapable d’honorer ses paiements. Une même fuite en avant jusque dans les années 1760-70 s’observe dans le cas d’autres grandes principautés comme celle de Kaga13.
Tableau 2 : Prêts en or et en argent au fief de Kii durant le xviiie siècle d’après les comptes de la Direction générale de Mitsui
Années | Prêts en or (unité : ryô) | Montant cumulé des intérêts en or (unité : ryô) | Prêts en argent (unité : monme) | Prêts en argent convertis en or (unité : ryô) | Montant cumulé des intérêts en argent (unité : monme) | Montant cumulé des intérêts sur l’argent convertis en or (unité : ryô, montant arrondi) |
1719 | 2 450 | 28 | 60 000 | 1 000 | 2 160 | 36 |
1720 | 2 300 | 275 | 60 000 | 1 000 | 7 929,6 | 132 |
1721 | 3 150 | 605 | 60 000 | 1 000 | 14 193,6 | 236 |
1722 | 2 000 | 911 | 60 000 | 1 000 | 19 966,2 | 333 |
1723 | 4 500 | 1 190 | 60 000 | 1 000 | 25 736,8 | 429 |
1724 | 4 500 | 1 730 | 60 000 | 1 000 | 31 976,8 | 533 |
1725 | 8 790 | 2 199 | 60 000 | 1 000 | 37 750,6 | 629 |
1726 | 8 885 | 3 094 | 60 000 | 1 000 | 43 528,9 | 725 |
1727 | 8 070 | 4 029 | 60 000 | 1 000 | 49 779,2 | 829 |
1728 | 8 655 | 4 956 | 60 000 | 1 000 | 54 630 | 910 |
1729 | 10 775 | 5 889 | 60 000 | 1 000 | 59 931,63 | 999 |
1730 | 10 857 | 6 719 | 60 000 | 1 000 | 64 737,43 | 1 079 |
1731 | 14 415 | 7 621 | 60 000 | 1 000 | 69 573,33 | 1 159 |
1732 | 18 191 | 8 737 | 60 000 | 1 000 | 74 867,83 | 1 248 |
1733 | 22 285 | 9 967 | 309 000 | 5 150 | 79 698,43 | 1 328 |
1734 | 30 435 | 11 908 | 60 000 | 1 000 | 120 470,15 | 2 008 |
1735 | 35 185 | 14 424 | 60 000 | 1 000 | 125 761,75 | 2 096 |
1736 | 43 085 | 25 262 | 0 | 0 | 7,43 | 0,11 |
1737 | 42 010 | 27 169 | 8,75 | 0,14 | 9,98 | 0,15 |
1738 | 41 712 | 29 105 | 8,75 | 0,14 | 15,896 | 0,25 |
1739 | 44 900 | 30 880 | 8,75 | 0,14 | 20,646 | 0,33 |
1740 | 43 087 | 33 217 | 8,75 | 0,14 | 48,776 | 0,8 |
1741 | 57 775 | 36 462 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1742 | 62 275 | 36 462 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1743 | 62 275 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1744 | 62 275 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1745 | 62 275 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1746 | 62 275 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1747 | 62 275 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1748 | 63 775 | 36 286 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1749 | 63 775 | 36 540 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1750 | 66 245 | 37 001 | 8,75 | 0,14 | 58,496 | 0,96 |
1751 | 66 275 | 37 591 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1752 | 62 275 | 37 846 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1753 | 66 275 | 38 130 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1754 | 65 275 | 38 546 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1755 | 64 275 | 38 834 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1756 | 63 275 | 39 042 | 8,75 | 0,14 | 61,496 | 1,01 |
1757 | 61 975 | 39 114 | 310 008,75 | 5 166,8 | 6 571,496 | 109 |
1758 | 61 675 | 39 114 | 488 008,75 | 8 133,4 | 51 511,496 | 858 |
1759 | 65 175 | 39 114 | 698 008,75 | 11 633,4 | 51 511,496 | 858 |
1760 | 71 296 | 43 463 | 758 508,75 | 12 641,8 | 124 139,496 | 2 069 |
1761 | 71 296 | 43 463 | 758 508,75 | 12 641,8 | 124 139,496 | 2 069 |
1762 | 84 046 | 44 279 | 758 508,75 | 12 641,8 | 205 111,832 | 3 418 |
1763 | 90 146 | 44 279 | 758 508,75 | 12 641,8 | 205 111,832 | 3 418 |
1764 | 108 101 | 46 591 | 52 508,75 | 875,14 | 305 845,832 | 5 097 |
1765 | 157 777 | 56 773 | 52 508,75 | 875,14 | 319 376,612 | 5 323 |
1766 | 212 740 | 68 329 | 52 508,75 | 875,14 | 319 390,412 | 5 323 |
1767 | 261 003 | 85 735 | 52 508,75 | 875,14 | 319 391,612 | 5 323 |
1768 | 261 003 | 85 735 | 52 508,75 | 875,14 | 319 391,612 | 5 323 |
1769 | 344 837 | 81 863 | 662 508,75 | 11 041,8 | 2 893,332 | 48 |
1770 | 264 541 | 13 904 | 654 918,75 | 10 915,3 | 2 878,722 | 48 |
La dette, soutien du régime
10L’historiographie insiste souvent sur les aspects les plus négatifs du prêt aux daimyos, qui semblent s’incarner avec le moins de vergogne dans le « refus » (o-kotowari) que le débiteur seigneurial pouvait imposer unilatéralement aux avis d’échéances de son créancier bourgeois. Ce comportement, cause directe de la ruine de nombreux prêteurs jusqu’au début du xviiie, redevint fréquent après les crises de la fin de ce même siècle, quand les catastrophes naturelles et les crises sociales eurent miné un peu plus encore les finances seigneuriales. Kônoike, Mitsui et les autres grands établissements de change se trouvaient à la tête de vastes réseaux marchands qui pouvaient leur permettre de diminuer les risques de tels investissements par des financements croisés. Le prêt aux fiefs, pourtant, demeurait certainement une activité risquée car, en cas de défaut de paiement d’une maison seigneuriale, contrairement au tout-venant des guerriers, les recours juridiques étaient absents. D’une manière générale, même s’il existait bien des instances chargées de régler les différends d’argent entre particuliers, la législation de l’époque d’Edo protégeait mal les intérêts des créanciers et, en partie pour sauvegarder ceux des guerriers, affectait de considérer les retards de paiement comme relevant avant tout de la responsabilité des contractants14. Concernant les prêts contractés par les grandes maisons seigneuriales, il semble bien que le shogunat se soit considéré par principe incompétent pour juger les litiges ; les plaintes des marchands pouvaient être écoutées, mais elles ne débouchaient sur aucune mesure de justice prise à l’encontre des fiefs mauvais payeurs. Ainsi, après la banqueroute frauduleuse de Satsuma en 1827, le bakufu, en réponse aux plaintes déposées par les marchands du Kansai et d’Edo, condamna à l’exil un marchand d’Osaka qui avait conseillé ce fief, mais ne prit aucune mesure de rétorsion apparente contre la maison guerrière des Shimazu. Cette absence de garantie légale sur les prêts aux daimyos explique en partie pourquoi jamais un marché pour les reconnaissances de dette seigneuriales n’a pu se structurer.
11Pourtant, à y regarder de plus près, on constate qu’après la prise en main par les établissements de change du prêt aux daimyos au xviiie siècle, et jusque dans les années 1820-1830, ces refus opposés aux financiers ne furent pas en général définitifs : ils entraînaient plutôt des réaménagements de la dette (avec d’éventuels abandons de créances) ou la concession de nouveaux emprunts. Il est probable que les changeurs aient pu, en général et malgré les risques, y trouver leur compte jusque dans les années 1760, en particulier par la transformation de facto du remboursement de leurs emprunts en rentes. En somme, on ne peut nier que le recours à l’argent des négociants du Kansai constitua un facteur important de l’expansion des plus grands établissements financiers du pays, à la base d’éclatantes réussites bancaires, industrielles ou commerciales après Meiji15. Mais à dater de la fin du xviiie siècle, en revanche, le financement des daimyos perdit beaucoup de ses attraits, comme en témoigne l’étude de Kagawa Takayuki sur les prêts en or consentis par Mitsui à Kii. À partir des années 1760, il arriva fréquemment au bailleur de fonds de devoir soutenir son débiteur avec des prêts sans intérêts16. Il est vrai que le profit n’était sans doute pas le principal objectif du financement de ce fief par Mitsui : la maison de commerce lui prêtait pour des motifs politiques, ce qui explique des conditions particulièrement avantageuses17. Pour les autres maisons seigneuriales jusqu’à Meiji, le taux annuel se situait en principe autour de 10 % : ce chiffre moyen, corroboré par la recherche sur les activités financières à cette période, se situait nettement plus bas que ceux couramment pratiqués entre négociants (environ 18 %)18. Le volume des remboursements, tant que ceux-ci n’étaient pas devenus trop hasardeux, permettait malgré tout des affaires intéressantes. Cependant, il n’était pas rare à partir de la seconde moitié du xviiie que le montant des intérêts soit fortement rabaissé, voire supprimé, en cours de remboursement.
12Soulignons que le choix par les fiefs du financement par la dette évita sans doute un recours excessif à l’impôt et à la taxation, et contribua à l’allégement graduel de la pression fiscale sur les campagnes observé dans l’ensemble de l’archipel dès la seconde moitié du xviie siècle19. Enfin, le déficit des États seigneuriaux, s’il finit par perturber gravement les économies locales (les daimyos pressurant de plus en plus les marchands de leurs propres territoires), stimula également l’inventivité des gouvernements qui, pour diversifier leurs revenus, encouragèrent le développement des cultures spécialisées caractéristiques du xviiie siècle et allèrent jusqu’à promouvoir des politiques mercantilistes (Chôshû et Satsuma à partir des années 1820-1830).
13Il apparaît donc remarquable qu’en dépit de l’absence de garantie légale offerte par le bakufu et malgré des hauts et des bas, le système ait pu fonctionner sur près d’un siècle et demi (à peu près convenablement entre les années 1680 et 1760, avec des difficultés croissantes jusque vers 1820), avant de connaître d’irrémédiables blocages : il a ainsi indéniablement contribué au maintien du régime des Tokugawa et prolongé son existence. Évidemment, l’intérêt bien compris des débiteurs et des créanciers les contraignait à chercher un terrain d’entente, même dans les situations les plus critiques. Mais, en dépit de son désintérêt apparent, il n’est pas impossible que le shogunat ait aussi joué un rôle, mal connu, dans le maintien de l’édifice. Car le pouvoir d’Edo savait à l’occasion tirer parti des difficultés financières des fiefs. Remarquons ainsi que rien ne fut réellement fait par le shogunat pour tenter de limiter ou même simplement de réglementer l’endettement des fiefs20. Pourtant le bakufu pouvait légiférer sur la politique économique des États seigneuriaux, comme le montre l’interdiction d’émettre du papier-monnaie qui leur fut signifiée en 1707. En revanche, à plusieurs reprises à partir du milieu du xviiie siècle, le shogunat soutint financièrement des fiefs en difficulté, bien que les maisons seigneuriales proches de l’organisation vassalique du shogunat ou liées à ce dernier par des alliances matrimoniales aient été alors avantagées21. En secourant des États seigneuriaux qu’il affaiblissait délibérément par ailleurs, le bakufu non seulement tolérait l’endettement comme un recours facile, mais il en faisait un élément de sa suprématie sur les autres maisons guerrières. Bien plus, à la fin du xviiie siècle, certains de ces prêts fournis au nom du shogunat étaient en réalité constitués de fonds avancés par les financiers du Kansai, parfois contraints il est vrai, mais ainsi couverts par l’« Autorité publique ». Car les grands financiers d’Osaka étaient très liés au pouvoir d’Edo : les maisons de change Kônoike ou Mitsui assuraient, par exemple, la mise en circulation des nouvelles espèces ; elles recevaient également d’importants dépôts des autorités shogunales, soit pour les faire fructifier, soit pour effectuer des transferts de fonds. Les léser trop gravement aurait pu causer des dommages à l’ensemble de l’économie et faire courir aux grandes maisons seigneuriales le risque d’indisposer le shogunat.
14En fin de compte, l’absence de recherche concrète par le shogunat d’une alternative à l’endettement des maisons seigneuriales, et même de moyens de garantir la viabilité du système, découle sans doute de son incapacité à imaginer un autre régime politique. Renoncer à affaiblir économiquement les fiefs signifiait mettre en danger la stabilité de sa domination, à moins de procéder à une centralisation du pouvoir que peu de maisons seigneuriales étaient prêtes à accepter ; et entreprendre des réformes fiscales afin d’abandonner la taxation sur la production rizicole exposait les gouvernants au mécontentement populaire (la mise en place de cette mesure à l’époque de Meiji ne se fit pas sans mal), tout en sapant l’un des fondements de la société d’ordres. Même en se contentant de garantir, grâce à un arsenal législatif, le respect des accords entre contractants, le shogunat aurait donné l’impression de jouer les marchands contre les guerriers, groupe dont il était censé défendre en priorité les intérêts. Malgré son refus de considérer officiellement comme de son ressort le problème du règlement des créances douteuses des maisons seigneuriales, le shogunat apportait, à défaut d’autre chose, un minimum de sécurité à ses marchands. Car il ne proclama pas non plus, concernant les fiefs tout du moins, de remise générale des dettes (tokusei) comme l’avaient fait certains gouvernements guerriers médiévaux22.
15En somme, les effets du prêt aux daimyos furent des plus paradoxaux : il constitua certainement un facteur essentiel de la stabilité politique du gouvernement shogunal de l’époque d’Edo, l’un des plus pacifiés et des plus prospères de toute l’histoire japonaise. Mais son manque de viabilité sur le long terme en fit également une cause de pourrissement de la domination guerrière et illustre la paralysie des institutions. L’amoncellement des créances douteuses dont héritèrent les dirigeants de Meiji n’était pas seulement le fruit d’une mauvaise gestion des fiefs ou des extravagances seigneuriales, et encore moins, comme en Occident, la conséquence d’entreprises de guerre ou de conquêtes : il s’agissait bien d’un vice sécrété par le régime shogunal lui-même.
Des banqueroutes seigneuriales à la faillite du shogunat
16Pour tenter de desserrer l’étau de l’endettement, les fiefs de tout le pays lancèrent à plusieurs reprises des politiques d’austérité, coupant de manière drastique dans les dépenses. Les mesures débutaient classiquement par des réductions de traitements des samurais, du tiers ou même de la moitié : décision qui avait pour effet pervers de nécessiter à terme des politiques de soutien de la part des gouvernements seigneuriaux, elles-mêmes assez onéreuses. Les fiefs s’efforcèrent également de rationaliser la gestion de leur endettement : de nouvelles formes d’emprunts diminuant les risques de l’investissement, en particulier sous forme de tontines dont les intérêts tournaient souvent autour de 6 % par an, furent élaborées23. Cependant ce type de financement qui aurait pu déboucher sur des formes d’emprunt public, demeurait en fait très tributaire de la participation, parfois contrainte, des réseaux marchands dominés par la haute finance. Toutes ces tentatives s’accompagnaient en définitive de fortes pressions sur les financiers, voire de l’extorsion d’emprunts forcés. Dans la plupart des cas, les réformes ne donnèrent pas sur le long terme les résultats escomptés. Le grand fief de Sendai en fournit un exemple parmi tant d’autres : son gouvernement décida des coupes sombres dans ses dépenses à partir de 1770, afin de réduire sa dette de 608 600 ryô. Il fit même appel à des conseillers issus des milieux marchands aussi réputés que le grand intellectuel et homme d’affaires d’Osaka Yamagata Bantô (1748-1821). Mais malgré tous ces efforts, les sommes dues se montaient encore à 700 000 ryô en 183624. Quant aux impayés seigneuriaux chez Mitsui, ils mirent l’entreprise dans les années 1770 au bord d’une faillite que le groupe n’évita que par une restructuration interne et un abandon des créances les plus anciennes.
17Durant la période de prospérité que connut le gouvernement du onzième shogun, Ienari, dans les années 1800-1830, l’amoncellement de créances douteuses finit par plonger le système financier des fiefs dans une crise profonde, aggravée dans la décennie suivante par les effets de la grande famine de l’ère Tenpô. Le poids des dettes sur les budgets féodaux devint alors si écrasant que, pour certains, leurs revenus ne suffisaient même plus à payer les seuls intérêts. Satsuma devait ainsi en 1827 plus de 5 000 000 de ryô d’or, générant des intérêts annuels de 600 000 ryô, pour un revenu oscillant entre 120 000 et 180 000 ryô. En 1835, le montant des créances du fief de Kaga, pourtant le plus riche du pays, auprès des financiers d’Edo, Kyoto et Osaka, équivalait à 9,5 fois son revenu annuel25. Cette période fut marquée en particulier par les banqueroutes retentissantes de deux grands fiefs de l’ouest du pays, Satsuma (1827) et Chôshû (1837), imposant unilatéralement un règlement unifié et sans intérêt des créances sur des périodes de deux cent cinquante ans pour le premier et de trente-sept ans pour le second, solutions que la bourgeoisie ressentit comme de véritables escroqueries. D’autres grandes maisons, comme celles de Saga ou de Fukuoka, leur emboîtèrent le pas. Les financiers, pour éviter de nouvelles mésaventures, continuèrent malgré tout à soutenir le prêt aux daimyos jusqu’à l’abolition définitive des fiefs en 1871, mais dans un climat général de défiance et de crise financière larvée, entretenu par l’incertitude permanente pesant sur le règlement final des créances douteuses.
18Les conséquences de cette situation ne se limitèrent pas au domaine économique : le manque de réaction du shogunat, incapable de protéger les intérêts de ses bourgeois contre les spoliations des banqueroutes, fut lourd de conséquence. Le régime se décrédibilisa encore un peu plus auprès de la bourgeoisie. Mais, en outre, l’orientation économique et politique prise par Satsuma et Chôshû visait clairement à les faire échapper à l’emprise du bakufu et des marchands des grandes métropoles sous sa domination. Une fois le problème de leur dette réglé, ils tendirent de plus en plus à consacrer les fruits du développement de leur économie au renforcement de leur propre puissance. Le choix radical de la banqueroute pour se sortir du piège de l’endettement conduisit donc ces deux fiefs à un éloignement de plus en plus marqué vis-à-vis du régime shogunal lui-même, régime qu’ils devaient finir par abattre en 1868.
Un héritage à assumer
19La question du règlement par les gouvernements de Meiji de la dette des fiefs après la chute du shogunat est intimement liée au processus d’établissement d’un État centralisé et à la construction d’une société rénovée. Malgré une volonté affichée de changement, le nouveau gouvernement, contraint à l’improvisation, maintint, de 1868 à 1871, les domaines de la plupart des maisons seigneuriales : les daimyos devinrent en 1869 des « gouverneurs de fiefs » (chihanji), poste non héréditaire et sous l’étroit contrôle du pouvoir de Tokyo, et les organisations vassaliques furent maintenues. En effet, les nouveaux maîtres du pays étaient eux-mêmes issus des rangs de vassaux de grandes maisons seigneuriales et ne se résolurent pas facilement à une réforme de l’État qui entraînerait leur disparition.
20L’unification des finances par le nouveau régime ne fut donc pas réalisée avant 1871 et, durant ces trois années, les ressources des anciens domaines seigneuriaux furent placées sous la tutelle de l’État central. En 1870, la quasi-totalité des 276 fiefs maintenus provisoirement par le gouvernement de Meiji croulaient sous des dettes représentant en moyenne trois années de la pro-duction nominale en riz de leurs territoires26. Toutefois, les grands fiefs (plus de 150 000 koku annuels de revenus) et ceux de dimension intermédiaire (plus de 50 000 koku) étaient comparativement moins endettés (en moyenne 2,63 années) que les domaines seigneuriaux à revenus plus faibles (3,58), et nombre de leurs dirigeants n’estimaient pas encore leur situation sans espoir27.
21Les dirigeants de Meiji imposèrent alors une séparation nette entre les ressources allouées aux dépenses des maisons seigneuriales (10 % du total) et celles affectées à l’administration régionale et au paiement des guerriers. Durant toute la période d’Edo, la distinction entre État et maison seigneuriale, entre patrimoine d’un daimyo et ressources globales de son domaine, était restée floue. Néanmoins le seigneur ne signait jamais les reconnaissances de dettes, laissant ce soin à des officiers ou membres du gouvernement de plus ou moins haut rang qui pouvaient les parapher collectivement : dans leur forme même, ces créances différaient par conséquent de celles contractées par de simples particuliers. Le peu de clarté des budgets seigneuriaux n’aidait cependant pas à déterminer quelle avait été l’affectation réelle des fonds empruntés : des seigneurs avaient notoirement ruiné leur fief, entre autres à Satsuma. Une des difficultés majeures pour un règlement global du problème était donc le caractère hétéroclite des dettes seigneuriales. Bien que nous ayons surtout insisté sur les emprunts contractés auprès de financiers, une grosse partie du passif des États seigneuriaux était constituée par des retards de paiement de marchandises auprès de marchands, consommation privée de l’entourage des daimyos et dépenses de leurs États confondues28. À tout cela s’ajoutait aussi la question du papier-monnaie émis par les fiefs. N’ayant cours que sur le territoire de chaque daimyo, il avait été conçu à l’origine pour détourner les espèces métalliques vers les coffres seigneuriaux. Puis, au xixe siècle, il était devenu un moyen pour pallier le manque de liquidités des marchés régionaux, le change de ces billets contre de la monnaie métallique étant plus ou moins garanti par les finances du seigneur29. L’émission du papier-monnaie revêtait donc partiellement le caractère d’un emprunt forcé et sans intérêt levé auprès des populations des fiefs.
22Lors des réformes de 1869, le gouvernement avait en conséquence promulgué un édit incitant les fiefs à rembourser leurs dettes en puisant dans la part de leurs revenus désormais affecté aux dépenses publiques. L’État signifiait pour la première fois clairement aux maisons seigneuriales leur devoir de payer et leur retirait ainsi le statut d’exception dont elles avaient bénéficié jusqu’alors ; et même si le gouvernement de Tokyo ne reprenait pas encore ce passif à son compte, il reconnaissait déjà partiellement son caractère public. Il se posait ainsi implicitement en garant du respect des accords contractuels et du paiement des emprunts, quel que fût le statut social des individus.
23Pourtant, les dirigeants de Meiji avaient aussi montré les limites de leur bienveillance envers le monde de la finance. Dès mai 1868 fut décrétée la fin du système monétaire tri-métallique des Tokugawa et la conversion en or des monnaies d’argent utilisées surtout dans l’ouest du pays. Grâce à la hausse de la valeur de l’or de la fin de la période d’Edo, les daimyos, avec le soutien des autorités gouvernementales, profitèrent de cette mesure pour faire baisser des deux tiers le montant d’anciennes dettes contractées en argent. Les désordres qui s’ensuivirent obligèrent, dit-on, une quarantaine de maisons de change d’Osaka à fermer leurs portes30. Il était clair que les nouveaux maîtres du pays, tout réformateurs qu’ils fussent, ne s’étaient pas complètement départi des méthodes et de la mentalité guerrières, et n’auraient guère de scrupules à faire supporter à l’ancienne roture le prix de la modernisation des institutions du pays.
24Plusieurs nécessités poussaient malgré tout le nouvel État à ne pas prononcer une annulation générale des dettes accumulées sous les Tokugawa. La volonté de moderniser l’État et la société affichée par les nouveaux dirigeants et leurs soutiens intellectuels s’appuyait en effet sur une dénonciation des iniquités du régime shogunal : dès 1869, par exemple, avait été abolie la pratique de l’emprunt forcé dont le shogunat et les fiefs avaient plus qu’abusé dans leurs dernières années. Les prêteurs, pour leur part, s’enhardissaient devant le délitement rapide de la société d’ordres : c’est ainsi que, sans perdre de temps, Mitsui signifia clairement et pour la première fois au domaine de Kii dès 1868 que les relations entre prêteurs et emprunteurs allaient désormais devoir changer31. Or, pour conduire leur train de réformes, les dirigeants comptaient justement sur l’appui des grandes maisons de commerce et de change qui étaient également les principaux créanciers des fiefs : il importait donc de les rassurer32. Ajoutons enfin que, dans les années 1860, un certain nombre de domaines s’étaient endettés auprès des Occidentaux ; c’était entre autres le cas des fiefs tombeurs du shogunat, Satsuma et Chôshû.
25Malgré leurs hésitations sur la forme définitive que devaient prendre les institutions du nouveau régime, les dirigeants de Meiji souhaitaient bâtir un État central plus puissant. Les lourdes contributions imposées par le gouvernement de Tokyo dans le contexte difficile des années qui suivirent la chute du shogunat, comme le prélèvement de 9 % sur les revenus des fiefs décrété en 1870 pour les dépenses militaires, donnèrent le coup de grâce aux finances de nombreuses maisons seigneuriales. Dès 1869, et jusqu’en 1871, quatorze fiefs incapables de faire face à leurs échéances préférèrent se saborder et remettre leurs territoires, dettes et organisations vassaliques comprises, au gouvernement impérial. Certes, il s’agissait pour la plupart de fiefs petits ou moyens, dont la situation semblait désespérée depuis longtemps déjà. Mais ce renoncement progressif d’anciens daimyos à leurs territoires allait dans le sens de la politique suivie par les promoteurs de la restauration de Meiji. Les nouveaux maîtres du pays étaient en effet soucieux de conserver un vernis de continuité à leur prise de pouvoir et d’éviter une confrontation toujours possible avec des guerriers mécontents : ironiquement, le régime impérial semblait devoir mener à son terme ultime la politique d’affaiblissement des daimyos menée par le shogunat. Malgré le peu d’empressement des grands fiefs à prononcer leur propre acte de décès, l’effondrement spectaculaire des finances seigneuriales fournissait un prétexte tout trouvé pour l’unification administrative et fiscale du pays.
La banqueroute de 1871
26Avec le renoncement accéléré des daimyos à leurs territoires, se posait pour les autorités la question de la reprise ou non des dettes seigneuriales dont elles devenaient les héritières. En fait, même si le gouvernement de Meiji n’avait pas encore adopté de solution définitive, il montrait déjà un intérêt certain pour les systèmes de dette publique à l’occidentale. À la fin du shogunat, des experts financiers s’étaient renseignés sur ces pratiques dans la perspective, notamment, de la conclusion d’emprunts internationaux. L’État de Meiji lui-même en avait fait l’expérience en 1870, lors du lancement, avec le soutien de banques anglaises, d’un emprunt public sur le marché de Londres pour la construction du chemin de fer Tokyo-Yokohama. Itô Hirobumi33 effectua alors pour le compte des finances gouvernementales une mission d’études approfondie aux États-Unis. Dès son retour au Japon au printemps 1871, il poussa à un lancement rapide d’une série d’emprunts publics destinés à financer les réformes économiques et sociales. Mais la constitution d’une dette publique sur une vaste échelle par le régime de Meiji demeurait suspendue à une augmentation considérable des revenus de l’impôt et donc à une unification de la fiscalité du pays sous la responsabilité d’un État central. Car l’état des finances était loin d’être brillant : les taxes et impôts perçus sur les anciens territoires shogunaux ou ceux des fiefs déclarés rebelles peinaient à rentrer et ne suffisaient pas à couvrir les besoins du nouveau régime. Le ministère des Finances récemment créé se faisait donc l’avocat ardent d’une centralisation fiscale. Malgré tout, aucune décision n’avait été encore clairement arrêtée lorsque, en 1871, des dirigeants des factions de Satsuma et de Chôshû, en particulier Saigô Takamori34 et Kido Takayoshi35, décidèrent que l’improvisation et le bricolage institutionnel qui duraient depuis la fin du shogunat devaient cesser. À la suite d’un véritable coup d’État, fut donc proclamée en juillet la suppression des fiefs et leur remplacement par des départements sous l’autorité directe du gouvernement central, parachevant ainsi l’unification administrative et fiscale du territoire japonais.
27L’annonce de la disparition des fiefs fit l’effet d’une bombe dans les grandes cités marchandes du pays. Incertains du sort de leurs créances, les bourgeois d’Osaka et Kyoto se ruèrent dans les tribunaux nouvellement installés pour porter plainte contre leurs débiteurs, et les gouverneurs de ces deux cités adressèrent des demandes pressantes au gouvernement afin qu’il clarifie dans les meilleurs délais sa position36. Pour apaiser l’inquiétude qui gagnait tout autant les débiteurs que les créanciers, Inoue Kaoru37, alors secrétaire d’État adjoint au Trésor, chargea Shibuzawa Eiichi38 d’élaborer en urgence des solutions. Pour accomplir sa mission, Shibuzawa pouvait s’appuyer non seulement sur les rapports et les documents rapportés des États-Unis par la mission Itô, mais aussi sur sa propre expérience : il avait une connaissance concrète de ces questions grâce à ses voyages en France et dans divers pays européens, et il avait été en particulier très proche d’un ancien banquier nommé consul honoraire du Japon, Fleury-Hérard, qui l’avait renseigné sur les rouages de la finance occidentale39.
28En quelques jours sont mises sur pied les solutions suivantes : tout d’abord, la question de la conversion du papier-monnaie des fiefs était dissociée de celle de la dette ; le gouvernement autorisait provisoirement la circulation de ces billets dans le nouveau système monétaire mis en place l’année suivante, puis il devait procéder à leur remplacement progressif par d’autres émis par l’État central. Ce dernier prenait aussi en charge les créances des fiefs par l’émission de bons du Trésor sous deux modalités distinctes : les « anciennes créances publiques » (kyû-kôsai) émises entre 1844 et 1867 seraient remboursées pendant cinquante ans sans intérêts ; les « nouvelles créances publiques » (shin-kôsai), c’est-à-dire datant d’après 1867, seraient remboursées à partir de trois ans sur une durée de vingt-cinq années, avec un taux d’intérêt annuel de 4 %. 1867 était la date de restitution du pouvoir par le shogun à l’empereur, et les levées d’argent imposées après cette période étaient directement liées à l’établissement du nouveau régime ; mais le taux d’intérêt de 4 % demeurait bien en deçà de ceux pratiqués par les établissements de crédit de l’époque. En fixant la limite de validité à 1844, le gouvernement se référait aux réformes qui avaient suivi la famine de l’ère Tenpô, à l’occasion desquelles de nombreux fiefs avaient promulgué des mesures d’annulation partielle ou de cessation de paiement des créances.
29En habillant l’apurement de la dette des fiefs en dette publique, le nouvel État offrait enfin une solution globale à un problème qui n’avait cessé de s’aggraver depuis près d’un siècle et empoisonnait l’activité financière. Il soulageait l’ancienne aristocratie guerrière, tout en faisant mine de se démarquer des escroqueries de Satsuma et consorts : mais, en réalité, c’était bien aux dépens des bourgeois que se dénouait la crise. Car, en fin de compte, le régime reprenait moins de la moitié du passif déclaré par l’ensemble des maisons seigneuriales : il s’acquitta de 34 864 583 yens de dettes intérieures (12 820 216 yens de « nouvelles créances » et 11 220 682 pour les anciennes, plus diverses autres sommes dues par le gouvernement), et déclara le reste irrecevable pour un montant total de 39 266 292 yens40, sans parler des dettes déjà passées par profits et pertes. Après enquête, seul le paiement de 2 372 000 yens, reconnus comme relevant de dettes privées, demeurait à la charge de vingt-quatre anciennes maisons seigneuriales. Qui plus est, les taux d’intérêt médiocres assurés par les bons du Trésor entravant leur circulation, leur valeur se déprécia41, et grâce à la conversion forcée de la monnaie d’argent de 1868 le gouvernement ne dut acquitter, estime-t-on, en tout et pour tout, que 20 % des sommes effectivement dues aux créanciers42. Bref, la première « dette publique » intérieure moderne du Japon fut avant tout une banqueroute.
30Cette mesure porta un coup sévère aux marchands et aux anciens changeurs. Elle consomma la faillite dans les années qui suivirent de nombreux négociants, non seulement dans les grandes métropoles mais aussi en province, même si l’ampleur des cessations d’activité directement dues à la banqueroute demeure difficile à préciser. Ce furent naturellement les entreprises de petite et moyenne dimension qui souffrirent le plus de l’effacement partiel de la dette : les gros établissements financiers comme Mitsui, Kônoike ou Sumitomo, bien qu’ayant vu leur crédit sérieusement ébranlé, possédaient encore des fonds suffisants pour éviter la ruine et réinvestir dans l’industrie ou le secteur bancaire. Néanmoins, la fragilisation des métiers d’argent entraînée par cette purge contribua en 1874 à la faillite des groupes Ono et Shimada, issus de deux grosses maisons de change d’Osaka. Le désir de réaliser à moindres frais le rachat des survivances des formes féodales du pouvoir et de soulager les anciens daimyos ralliés au régime l’emporta clairement sur le souci de sau-vegarder les ressources des marchands pour la modernisation du pays. Si cet assainissement brutal des créances douteuses devait finalement libérer l’économie japonaise d’une crise financière qui durait depuis le début du xixe siècle, le coup encaissé par les établissements de crédit et les négociants explique aussi, dans une certaine mesure, la nécessité pour les premiers gouvernements de Meiji de s’impliquer dans la création d’entreprises d’État pour développer l’industrie.
La fin des samuraïs
31Le problème des pensions des samurais, principal poste de dépense des budgets seigneuriaux, demeurait en suspens. Car la remise des domaines allant de pair avec celle des organisations vassaliques, le gouvernement central s’était vu dans l’obligation de prendre à sa charge le paiement de leurs revenus et ceux des anciens daimyos, sous forme de pensions viagères ou héréditaires : après la dette sonnante et trébuchante due aux marchands, les dirigeants de Meiji devaient maintenant s’acquitter d’une sorte de dette morale envers les guerriers. Le gouvernement redoutait une possible sédition de ces derniers, mais la charge du paiement des pensions ne tarda pas à devenir écrasante : entre 1871 et 1872, sur un total de dépenses de l’État de 57 730 000 yens, le paiement des pensions en dévorait 16 117 000, soit près du double des dépenses militaires43. On avait incité les samurais, depuis la chute des Tokugawa, à se reconvertir dans le civil, et un fief comme Kôchi avait même permis aux vassaux de troquer leurs pensions contre des bons négociables. Instruit par l’expérience de la liquidation de la dette des fiefs, le gouvernement chercha donc une recette similaire pour se débarrasser du paiement des pensions et par la même occasion de la condition guerrière elle-même. Le ministère des Finances, sous l’autorité du secrétaire d’État au Trésor Ôkubo Toshimichi44 et d’Inoue Kaoru, et le ministère de l’Armée considéraient en effet que les pensions des guerriers n’étaient qu’une sorte de traitement attaché à la fonction militaire des samurais : la volonté affichée par le gouvernement d’imposer l’égalité de tous les sujets de l’empereur devant la loi et l’établissement souhaitable d’un système de conscription devaient donc aboutir à la disparition d’une condition guerrière spécifique. Ils s’opposaient ainsi de front aux défenseurs des intérêts des samurais au sein même du gouvernement, qui voyaient dans les pensions un patrimoine familial ou se déclaraient partisans de la réforme de l’armée s’appuyant sur ces couches guerrières. Inoue Kaoru souhaitait cette fois recourir à un emprunt de 30 000 000 de yens auprès d’États ou de financiers étrangers, capitaliser ainsi l’équivalent de quatre années de pensions et liquider le paiement de celles-ci sur six ans, suivis de cinq à sept années consacrées au remboursement de la dette extérieure. Mais en butte à des querelles de faction et de personnes, Inoue dut finalement démissionner en 1872 sans avoir pu mettre son projet à exécution.
32Son successeur, Ôkuma Shigenobu45, maintint néanmoins la ligne réformatrice prônée par Ôkubo. Ôkuma était un vif partisan d’une modernisation accélérée des institutions fiscales et financières pour permettre l’industrialisation rapide du pays sous la houlette de son ministère. Une fois l’armée de conscription établie à la fin de 1872, Ôkuma et Ôkubo obtinrent l’année suivante, après des débats serrés, l’imposition des pensions guerrières, parallèlement à la mise en place d’un nouveau système fiscal unifié rendu nécessaire par la disparition des fiefs. Ce dernier visait à remplacer dans les meilleurs délais l’ancien système de perception en riz par un impôt en monnaie : en 1874, le gouvernement décréta donc l’arrêt des fournitures directes en riz et son remplacement par un paiement en argent correspondant au cours du marché, accompagné de réductions des versements. Ceux disposant des plus bas revenus pouvaient, à la place, accepter que le solde de six années pour les pensions héréditaires et de quatre années pour les pensions viagères leur soit payé d’un coup, moitié comptant, moitié en bons du Trésor (« bons du Trésor sur les traitements », chitsuroku-kôsai). Le remboursement de ces derniers commencerait au bout de deux ans, à un taux d’intérêt annuel de 8 %, le double de ce qu’on avait consenti aux marchands. Cette même année, la mesure fut étendue aux guerriers touchant plus de 10 000 koku de revenus (la catégorie des daimyôs, donc) et le budget consacré au paiement des pensions fut soulagé d’environ 20 %.
33En septembre, Ôkuma parvint à imposer un règlement stabilisé en monnaie sur la base du prix moyen du riz sur trois années, car les cours de cette céréale connaissaient de violentes hausses depuis le début de Meiji. Ces mesures ne faisaient qu’accroître les difficultés des samurais et il était désormais clair pour tous que l’abolition des derniers vestiges de leur condition était imminente, comme le prouvait l’interdiction du port du sabre promulguée en mars 1876. Le 5 août, le gouvernement décréta le remplacement du paiement des samurais en argent comptant par la distribution de « bons du Trésor sur les traitements payés en or » (kinroku-kôsai). La part de traitement distribuée à chacun (de cinq à quatorze années) et les taux d’intérêt (de 5 à 7 %) variaient selon le montant initial des pensions, les guerriers y ayant renoncé avant la suppression des fiefs se voyant pour leur part garantir un capital équivalant à dix années et à un taux d’intérêt de 10 %. Les plus fortunés eurent à supporter les coupes les plus importantes, mais l’assise de leurs revenus et de leur patrimoine privé évita la déchéance aux anciennes grandes maisons seigneuriales : les bénéficiaires d’un capital de plus de 1 000 yens ne représentaient que 0,2 % de l’ensemble des ayants droit, mais accaparaient 18 % du total des sommes déboursées par l’État, et ils pouvaient jouir par ailleurs de sa protection au sein d’un nouveau système nobiliaire. À l’autre extrémité de l’échelle sociale, tous les bénéficiaires des anciens traitements seigneuriaux ne furent pas dédommagés par le gouvernement de Meiji : au nom des distinctions statutaires de l’époque des Tokugawa, on refusa par exemple de reconnaître comme anciens guerriers la piétaille des anciennes armées seigneuriales, ashigaru et autres fantassins de l’infanterie légère. Il soulageait ainsi son budget d’une charge d’environ 30 %, et à terme de bien plus en raison de la politique inflationniste menée par Ôkuma. La liquidation de la condition guerrière ne se déroula cependant pas sans mal, l’épisode le plus fameux demeurant l’insurrection de samurais mécontents de Kyushu sous l’égide de Saigô Takamori au printemps 1877. Mais l’écrasement rapide de la révolte par l’armée régulière brisa net toute contagion du mouvement.
34Le remboursement, effectué par tirage au sort, débuta en 1882 et se poursuivit jusqu’en 1906. Il concernait 313 517 personnes pour un montant total d’environ 174 638 000 yens, mais en fait les petits guerriers qui formaient à peu près 84 % de l’ensemble (pour seulement 62 % du total des sommes dues) ne touchèrent en moyenne que 415 yens de capital et environ 29 yens de rente annuelle, bien loin des 100 à 120 yens estimés nécessaires à l’époque pour assurer l’existence d’une famille modeste durant une année. On estime que les samurais ne touchaient plus alors que 35 % du montant de leurs revenus d’avant Meiji46. En conséquence, les difficultés financières des anciens samurais firent souvent aboutir ces créances entre les mains des usuriers plutôt que dans des investissements productifs.
35Si on avait pris le risque, lors du règlement de la dette des fiefs, d’affaiblir le monde marchand, Ôkuma espérait en revanche tirer parti pour le développement économique du Japon de la transformation des pensions guerrières en créances publiques. Pour faciliter la circulation des bons du Trésor et des fonds qui leur étaient attachés, le ministère des Finances incita dès 1876 les guerriers à investir leurs créances dans de nouvelles banques dites « nationales » (en réalité, des établissements privés créés sur le modèle des National Banks américaines et pouvant émettre du papier-monnaie). Ces créances publiques (et d’abord celles des anciens daimyos) fournirent une grosse part des capitaux des 153 établissements bancaires de ce type existant en 1879. On poussa aussi les anciens guerriers à investir ce qui leur restait de patrimoine dans la création d’entreprises. Pressé de mettre en route l’industrialisation de son pays, Ôkuma annonça également en 1878 le lancement, sur le marché intérieur, d’un emprunt public de 12 500 000 yens, en escomptant soutenir ainsi la création d’entreprises tournées vers l’industrie et l’exportation (les « emprunts publics pour la création d’entreprises », kigyô-kôsai). Le succès de la souscription dépassa les espérances gouvernementales : la Banque Mitsui, à elle seule, acquit pour 12 470 000 yens de titres47. En fait, une partie de ces fonds furent utilisés pour soutenir la reconversion des guerriers dans les affaires : durant toutes ces années, la dette publique continua donc à faciliter l’intégration de l’ancienne classe dirigeante de l’époque d’Edo dans la nouvelle société. Le penchant trop marqué d’Ôkuma pour ce type de financement (il proposa de lancer un emprunt à l’étranger pour corriger les effets de sa politique inflationniste) fut d’ailleurs une des causes de son éviction en 1881. Il appartint à son successeur Matsukata Masayoshi48 de réaliser la première consolidation de la dette en 1886, clôturant ainsi la phase initiale de l’histoire financière du Japon moderne.
Conclusion : la dette publique, instrument de la modernisation sociale
36Le gonflement des créances douteuses sous les Tokugawa illustre le paradoxe d’un régime qui mettait l’ordre social et la stabilité politique au-dessus de tout, et qui ne trouva un salut provisoire que dans l’introduction de nouveaux facteurs économiques de déséquilibre : le déficit et l’endettement. Pour autant, ce surendettement partagé entre fiefs fut certainement aussi un élément essentiel pour la poursuite, durant plus d’un siècle, d’une ère de paix générale, comme le Japon n’en avait jamais connu depuis l’instauration du pouvoir des guerriers au Moyen Âge. À tout le moins, l’expérience avait fait la démonstration des capacités d’autofinancement de la société japonaise, leçon dont surent se souvenir les dirigeants de Meiji.
37L’importation des techniques occidentales de dette publique fut, pour le régime de Meiji, bien plus qu’une réponse apportée à un problème économique ou un expédient destiné à satisfaire un urgent besoin de liquidités. Les diverses manipulations du gouvernement lui permirent d’acheter à peu de frais l’abolition du système guerrier de la période prémoderne, et le sort fait aux créances de la bourgeoisie montre bien que les gouvernants de l’époque cherchaient avant tout à dissimuler sous cette appellation une solution d’apurement de l’héritage financier du régime précédent proche de la banqueroute. Mais il importait également pour les gouvernants de convaincre l’ancienne roture de la rupture avec l’arbitraire de la société d’ordres et les samurais que le gouvernement saurait les dédommager de leur nécessaire disparition. Le règlement par la dette publique était donc le signe qu’en succédant au shogunat les gouvernants de Meiji payaient aussi, littéralement, leur dette vis-à-vis de ce régime et de la société qu’il avait enfantée, avant de les faire disparaître.
38La dette publique fut donc aussi un instrument de légitimation du nouveau pouvoir, lui permettant d’établir rapidement et sans trop de heurts les nouvelles structures étatiques et sociales nécessaires à la modernisation du Japon. De ce fait, on a pu regretter que, en cherchant à réduire à une question de gros sous le changement de société, le régime de Meiji ait, au bout du compte, volontairement escamoté sa révolution. Mais il réussit, grâce à l’introduction de cette technique, à montrer que le nouveau pouvoir centralisé pouvait apporter une solution en apparence équitable à un problème insoluble dans le contexte de la société d’ordres des Tokugawa. Reconnaître le caractère public des dettes seigneuriales, c’était tout à la fois se poser en successeur du shogunat et en redresseur de ses tares. Le bakufu, en effet, avait été amené à creuser sa propre tombe, et à terme celle du pouvoir des samurais, en s’interdisant un règlement de la dette monstrueuse que produisait le fonctionnement même du régime. L’appauvrissement des samurais qui en avait résulté fut l’une des causes majeures de leur prise de conscience de la nécessité de réformes radicales pour un pouvoir désormais déconsidéré et dans l’impasse. Cet état d’esprit prédisposait d’ailleurs un grand nombre d’entre eux à accepter la liquidation de la condition guerrière par le gouvernement de Meiji. Celui-ci, en les dédommageant par un capital en créances publiques, semblait aussi leur donner une chance de s’insérer dans la nouvelle société en construction, où les valeurs de l’aristocratie guerrière devaient céder la place aux réalités du capitalisme marchand. Certes, satiristes et caricaturistes des débuts de Meiji ne manquèrent pas de faire des gorges chaudes des déboires des anciens samurais reconvertis dans le négoce : « commercer à la mode des guerriers » (shizoku no shôhô) devint, à partir de cette époque, une expression proverbiale pour la maladresse en affaires. Néanmoins, ceux-ci ne devinrent pas une population aigrie et incontrôlable qui aurait pu menacer la stabilité du nouvel État : ils lui fournirent, au contraire, une masse instruite, qualifiée et disponible pour le développement de son armée, de son administration, de l’éducation, et même du monde des affaires.
Notes de bas de page
1 Sur les principes d’organisation du régime shogunal, cf. Ninomiya Hiroyuki, in Hérail Francine et al., Histoire du Japon, Horvath, Paris, 1990; Bolitho Harold, « The han », in Hall John W., Cambridge History of Japan, 3, Early Modern Japan, Cambridge, 1991; Ôishi Shinzaburô « The Bakuhan system », in Chie Nakane, Ôishi Shinzaburô (éd.), Tokugawa Japan, University of Tokyo Press, Tokyo, 1990; Totman Conrad, Early Modern Japan, University of California Press, Berkeley, 1993.
2 Ôguchi Yûjirô, « Bakufu no zaisei » (« Les finances shogunales »), in Shinbo Hiroshi, Saitô Osamu (éd.), Nihon keizaishi 2, Kindai seichô no daidô (« Histoire économique du Japon 2, Les prémices de la croissance moderne »), Iwanami Shoten, Tokyo, 1989.
3 Ainsi, dans les années 1830, lors de la retraite du shogun Ienari (1772-1841), les dettes du bakufu étaient estimées en moyenne annuelle à 634 000 monnaies d’or (ryô), mais dès 1844 le shogunat dégageait à nouveau un surplus de 435 000 ryô. Cf. Totman Conrad, Politics in the Tokugawa Bakufu 1600-1849, University of California Press, Berkeley, 1988, p. 83.
4 Sur les cycles économiques de la période d’Edo et leur impact sur les cours du riz, cf. Hayami A., Miyamoto M., op. cit., Ninomiya H., op. cit., et Totman C., op. cit. 1991.
5 De nombreuses études locales ont été conduites sur le processus de formation des finances des fiefs au xviie siècle. On citera entre autres Fujino Tamotsu (éd.), Saga-han no sôgô-kenkyû (« Recherches générales sur le fief de Saga »), Yoshikawa Kôbunkan, Tokyo, 1981, Wakabayashi Kisaburô, Kaga-han nôsei-shi no kenkyû (« Recherches sur l’histoire de la politique agraire du fief de Kaga ») 2 vol. , Yoshikawa Kôbunkan, Tokyo, 1960-1962.
6 Chûda Toshio, Sankin kôtai dôchûki – Kaga-han shiryô wo yomu- (« En route pour la résidence alternée : recherches d’après les archives du fief de Kaga »), Heibonsha, Tokyo, 1993, p. 250 sq.
7 Traduction anglaise par Crawcour E. S., Some Observations on Merchants : a Translation of Mitsui Takafusa’s Chonin koken roku, TASJ 8 : 9-139, 1961.
8 Tanaka Yoshio, Kaga hyakuman koku (« Kaga au million de koku »), Kyôikusha, Tokyo, 1980, p. 126.
9 Sur la maison Kônoike, cf. Ôsaka Fushi Henshin Sennin Iinkai, Ôsaka fushi (« Histoire du gouvernement d’Osaka »), vol. 6, p. 76 sq.
10 Nous tirons ces renseignements de Kagawa Takayuki, Kinsei daimyô kin’yû-shi no kenkyû (« Recherches sur le financement des daimyos à l’époque prémoderne »), Yoshikawa Kôbunkan, Tokyo, 1996, p. 39-41.
11 Le ryô est l’unité de compte de l’or (monnaie comptée) : c’est la valeur du koban, pièce d’or dont le poids et la valeur varièrent au cours de l’époque d’Edo.
12 Le monme est l’unité de compte de l’argent (monnaie pesée), soit un peu plus de 3,75 g. Un kan (ou kanme) est égal à 1 000 monme. 60 monme font un ryô d’or au cours officiel à partir de 1700.
13 Concernant le fief de Kaga, cf. Nagayama Naoharu, « Tenmei no go-kaihô ni tsuite » (« À propos de la réforme de l’ère Tenmei »), in Ishikawa kyôdosshigakkai kaishi, n° 30, 1997, et les travaux de Tabata Tsutomu.
14 Sur le traitement des affaires de dettes par le système législatif des Tokugawa, cf. Maki Hidemasa et Fujiwara Akihisa (éd.), Nihon hôsei-shi (« Histoire du droit japonais »), Seirin Shoin, Tokyo, 1995 ; Ishii Ryôsuke, Kinsei torihikihô-shi (« Histoire de la législation sur les transactions »), Sôbunsha, Tokyo, 1982 ; Kasaya Kazuhiko, « Shûzoku no hôseika » (« Vers un encadrement législatif des mœurs »), in Asao Naohiro et al. (éd.), Iwanami kôza nihon tsûshi (« Cours d’histoire générale du Japon »), vol. 13, Iwanami Shoten, Tokyo, 1994, p. 161-163.
15 Kagawa T., op. cit., p. 414.
16 Ibid. p. 42 et sq.
17 Le fief de Kii, une des trois maisons apanagées (go-sanke) des Tokugawa, gouvernait le territoire dont Mitsui était originaire. En 1716, cette branche cadette fournit également un shogun au Japon, Tokugawa Yoshimune (1684-1751). Sur les liens entre Mitsui et le fief de Kii, cf. Ôishi Shinzaburô, Ôoka Echizen no kami Tadasuke (« Ôoka Tadasuke, gouverneur d’Echizen »), Iwanami Shinsho, Tokyo, 1974, p. 141 sq.
18 Katô Takashi, Akitani Toshio (éd.), Nihonshi shôhyakka, kindai, kin’yû (« Petite ency-clopédie historique du Japon, époque moderne : la finance ») Tôkyôdô Shuppan, Tokyo, 2000, p. 18 sq.
19 Une mise au point sur la fiscalité agricole dans Satô Tsuneo, Ôishi Shinzaburô, Binnôshi-kan wo minaosu (« Pour une révision de l’histoire paupériste des campagnes »), Kôdansha Gendai Shinsho, Tokyo, 1995.
20 Même un penseur politique comme Ogyû Sorai (1666-1728), pourtant chaud partisan d’un renforcement du pouvoir shogunal et de son contrôle sur les opérations de prêt, reste assez circonspect concernant les daimyos : tout juste estime-t-il nécessaire l’engagement d’une partie des ressources de leurs territoires, mais il ne se prononce pas sur le pouvoir de cœrcition du bakufu à leur égard (cf. Ogyû Sorai, Seidan « Discussions sur le gouvernement », chap. II, traduction anglaise par Lidin Olof Gustav, Ogyu Sorai’s Discourse on government (Seidan): an annotated translation, Harrassowitz Verlag, Wiesbaden, 1999). Aux xviiie et xixe siècles, le problème des dettes seigneuriales devient un sujet de réflexion récurrent chez les penseurs guerriers ou bourgeois : cf. Najita Tetsuo, Visions of Virtue in Tokugawa Japan : the Kaitokudô, merchant academy of Osaka, University of Chicago Press, Chicago, 1987, p. 242 sq., et Horiuchi Annick, « Honda Toshiaki (1743-1820) ou l’Occident comme utopie », in Girard Frédéric, Horiuchi Annick, Macé Mieko (éds.), Repenser l’ordre, repenser l’héritage : paysage intellectuel du Japon (xviie-xixe s.), Droz, Genève, 2002, p. 420-422.
21 Ôguchi Y., op. cit., p. 155 sq.
22 Cf. Souyri Pierre, Le Monde à l’envers, la dynamique de la société médiévale, Maisonneuve et Larose, Paris, 1999. Les seules remises générales de dettes accordées par le shogunat (en dehors de celles qu’il se consentait à lui-même) furent « les édits d’abandon des créances » (kien-rei) de 1789 et 1843, qui ne concernaient que ses vassaux directs. En revanche, le shogunat promulgua fréquemment des « édits de règlement à l’amiable » (aitai-sumashi-rei), qui déclaraient les organes judiciaires du gouvernement incompétents pour le traitement des affaires de dettes antérieures à une date déterminée : ces mesures visaient autant à soulager les guerriers qu’à désengorger les tribunaux.
23 Sur ces systèmes de financement, cf. Kagawa Takayuki, op. cit., p. 69 sq., et Hasegawa Masatsugu, Daimyô no zaisei (« Les finances seigneuriales »), Dôseisha, Tokyo, 2001, p. 126 sq.
24 Chûda T., op. cit., p. 262.
25 Tanaka Y, op. cit., p. 220.
26 Katsuta Masaharu, Haihan-chiken – meiji kokka ga umareta hi – (« La suppression des fiefs et la création des départements : le jour où naquit l’État de Meiji »), Kôdansha, Tokyo, 2000.
27 Chiffres fournis par Shimoyama Saburô, Kindai tennô-sei kenkyû josetsu, (« Introduction à l’étude du système impérial moderne »), Iwanami Shoten, Tokyo, 1976.
28 Meiji Zaisei-Shi Hensan-Kai (éd.) Meiji zaisei-shi, dai-hachihen, kokusai (« Histoire financière de Meiji, vol. 8, La dette publique »), Maruzen, Tokyo, 1904, p. 27 sq.
29 En fait, à partir du xviiie siècle, l’émission de papier-monnaie fut confiée par les autorités seigneuriales à des marchands, ce qui permettait d’en faire d’excellents boucs émissaires en cas de faillite.
30 Umemura Mataji, Yamamoto Yûzô (éd.), Nihon keizaishi 3, Kaikô to isshin (« Histoire économique du Japon 4 : L’ouverture des ports et la restauration »), Iwanami Shoten, Tokyo, 1989, p. 43.
31 Kagawa T., op. cit., p. 129-131.
32 Ces grandes maisons de commerce furent chargées brièvement par le gouvernement de Meiji d’émettre du papier-monnaie entre 1871 et 1872. Mitsui fut également pressenti pour former le cœur d’une future Banque du Japon.
33 Né ans une famille guerrière à Chôshû en 1841, il participe activement à la chute du régime shogunal. Premier président du Conseil en 1885 et chef du gouvernement à quatre reprises jusqu’en 1901. Premier commissaire général de Corée en 1909, abattu par un patriote coréen la même année.
34 Petit guerrier du fief de Satsuma, né en 1827, un des principaux artisans de la remise du pouvoir par le shogun à l’empereur en 1867 et de la chute des Tokugawa en 1868. Il se brouille avec le gouvernement en 1873 et se suicide après l’échec de sa tentative de rébellion à Kyushu en 1877.
35 Né en 1833 à Chôshû et d’origine guerrière, il prend une part active à la chute du shogunat. Président de la première Assemblée des préfets en 1872, il décède en 1877.
36 Meiji Zaisei-Shi Hensan-Kai (éd.), op. cit., p. 29.
37 Originaire d’une famille de petits guerriers de Chôshû, né en 1835. Membre actif des mouvements xénophobes et anti-shogunaux, il démissionne du gouvernement de Meiji en 1873, et se lance dans les affaires tout en continuant une carrière politique. Il occupe par la suite plusieurs postes ministériels et meurt en 1915.
38 Né en 1840 dans une famille de gros propriétaires du Kantô, il devient à la fin du régime des Tokugawa responsable des finances du fief de Mito, puis entre à la préfecture des Comptes du dernier shogun Yoshinobu. Rallié au nouveau régime, il participe à l’organisation du ministère des Finances, mais en démissionne en 1873. Il se consacre dès lors à la création d’entreprises et au développement de l’industrie et du commerce au Japon. Fondateur de l’université Hitotsubashi et cofondateur avec Paul Claudel de la Maison franco-japonaise de Tokyo. Il meurt en 1931. Son autobiographie est traduite en anglais par Teruko Craig, sous le titre : The Autobiography of Shibusawa Eiichi. From peasant to entrepreneur, University of Tokyo Press, Tokyo, 1994.
39 Tsuchiya Takao, Shibuzawa Eiichi, Yoshikawa Kôbunkan, Tokyo, 1989. Nous avons aussi bénéficié de renseignements fournis par le travail d’habilitation de Claude Hamon, Jitsugyô : une tâche réelle. Shibuzawa Eiichi (1840-1931) ou l’entreprise au cœur de la société, Université Paris VII, 2000.
40 Meiji Zaisei-Shi Hensan-Kai (éd.), op. cit., p. 45.
41 Entre 1878 et 1906, le cours des « anciennes créances publiques » de 100 yens à la bourse de Tokyo oscilla entre 31,50 yens et 16,85 yens. Celui des « nouvelles créances publiques » se tint mieux à partir des années 1890, mais il se situait vers 55 yens en 1882. Sources : Tôyô Keizai Shinpôsha, Meiji taishô kokusei sôkan (« État général du Japon aux ères Meiji et Taishô »), Tôyô Keizai Shinpôsha, Tokyo, 1927, reprint 1975, p. 321.
42 Yamamoto Yûzô, « Meiji isshin-ki no zaisei to tsûka » (« Politique financière et monnaie lors de la restauration de Meiji »), in Umemura Mataji, Yamamoto Yûzô (éd.), op. cit., p. 147.
43 Sakairi Chôtarô, Nihon zaiseishi (« Histoire de la politique financière du Japon »), Seiunsha, Tokyo, 1982, p. 526.
44 Né en 1830 à Satsuma dans une famille de petits guerriers. Compagnon de Saigô Takamori, il devient le personnage central de l’État après le départ de ce dernier en 1873. Il meurt assassiné par un ancien guerrier en 1878.
45 D’origine guerrière, né dans le fief de Saga en 1838, il dirige la politique financière du nouvel État de Meiji de 1872 à 1881. Deux fois président du Conseil jusqu’en 1916, mort en 1922. Fondateur de l’Université Waseda.
46 Yasumaru Yoshio, « Sen happyaku gojû-nanajû nendai no nihon – Isshin kaikaku » (« Le Japon des années 1850-1870 : les réformes de la restauration »), in Asao Naohiro et al., Iwanami kôza nihon tsûshi, vol. 16, Kindai 1 (« Cours d’histoire générale du Japon, vol. 16, époque moderne 1 »), Iwanami Shoten, Tokyo, 1994, p. 50.
47 Yanaga Chitoshi, Japan since Perry, Archon Books, Hamden, 1966, p. 143.
48 Petit guerrier de Satsuma né en 1835, il continua jusqu’à sa disparition en 1924 à exercer une influence sur le monde politique japonais. Il occupa de nombreux postes ministériels et fut deux fois président du Conseil.
Auteur
Guillaume Carré, boursier des gouvernements japonais et français, a fait ses études à l’Université de Kanazawa et à l’Université de Tokyo. Docteur en études japonaises, (INALCO, 2000), il est maître de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales depuis 2001. Auteur de plusieurs publications en français et japonais, il a notamment publié « Quelques réflexions sur la fiduciarité des monnaies métalliques à l’époque d’Edo » in Japon Pluriel 5, actes du cinquième Colloque de la Société française des études japonaises, Pascal Griolet et Michael Lucken (éd.), Arles, Éditions Philippe Picquier, 2004.
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