La dette publique de l’État pontifical et l’influence française (1798-1814)
p. 297-308
Texte intégral
« [...] et étant donné que les maux de nature politique
et économique doivent, comme les autres maux,
être bien connus pour qu’il puisse y être porté remède,
il est par conséquent utile d’appréhender tous les aspects
de la dette publique, qui grève les finances de l’État,
d’en recenser les différents types, de traiter clairement
de chacun d’eux, et d’émettre à leur propos
les doutes appropriés en les motivant… »
Source : Archivio di Stato di Rima, Camerale II,
Debito Pubblico b.7, Memoria sul debito
pubblico dello Stato pontificio, c.8.
1Dans la présente contribution, l’auteur se propose d’apporter de nouveaux éléments de réflexion et de connaissance à l’étude de cet instrument très utilisé qu’est la dette publique, en se tournant vers une période rarement étudiée sous cet angle, en ce qui concerne Rome et l’État pontifical : celle du jacobinisme de la République romaine de 1798-1799 et des années de domination napoléonienne.
2En général, la gestion et l’utilisation de la dette publique ont été dans le passé, et sont encore, l’une des préoccupations majeures des États nationaux1. Ces préoccupations suscitent en outre des appréhensions à des degrés divers en fonction du poids respectif des dettes extérieure et intérieure dans l’endettement total.
3On sait qu’en matière de dette extérieure, le service des intérêts entraîne un transfert financier de l’économie du pays débiteur vers celle du pays créancier, représentant une perte de richesse pour l’économie nationale du pays débiteur – perte qui, dans l’hypothèse où les ressources sont utilisées pour la consommation, n’est équilibrée par aucune contrepartie. Il en résulte que l’utilisation des ressources acquises par ce moyen doit impérativement concerner les activités de production et les investissements, si l’on veut éviter de profonds déséquilibres. Il se peut également que le remboursement pose des problèmes, puisque la restitution, à échéance, des sommes empruntées à l’étranger ne garantit, en cas de besoin, aucun renouvellement des fonds adapté aux objectifs poursuivis, contrairement à ce qui se passe en matière de gestion de la dette intérieure.
4S’agissant de la dette intérieure, le service des intérêts entraîne des transferts limités à l’économie du pays et la richesse de ce dernier n’est en rien affectée par l’existence de la dette2. D’où la vision optimiste, dont on trouve témoignage surtout au xviiie siècle, et selon laquelle la dette publique est considérée comme une dette de la collectivité sur elle-même. À vrai dire, il ne manque pas de thèses pessimistes montrant que l’extension de la dette publique est en réalité limitée par les conséquences préjudiciables de la redistribution de la richesse nationale, par le biais du paiement des intérêts, ce paiement étant financé par l’impôt, mais plus souvent encore par de nouveaux emprunts3. La limite dépend ici d’éléments tels que le ratio intérêts de la dette/revenu national, la structure du système fiscal et la répartition des titres représentatifs de la dette publique4.
5De fait, plusieurs pays ont connu un accroissement de leur dette publique au cours des xviiie et xixe siècles et ce phénomène, tant en raison de son ampleur que des formes qu’il a adoptées, a occupé une position centrale dans la politique financière des États concernés. À cet égard, l’étude du marché financier de Rome et de l’État pontifical, notamment dans le cadre des travaux récents5, est d’un intérêt majeur pour la connaissance de l’évolution du contexte financier européen. L’importance de ce marché n’est certes pas comparable à celle des marchés d’Amsterdam au xviie siècle ou de Londres il y a deux siècles, mais il convient de souligner que le centre financier de Rome a promu l’État pontifical et que ses titres ont été recherchés également par les autres États d’Italie et d’Europe au cours des xviie et xviiie siècles.
I. La dette publique romaine au cours des xviiie et xixe siècles
6Les titres d’emprunt public nommés luoghi di monte, émis par l’État pontifical, ont toujours constitué un capital monnayable, libre objet de relations contractuelles d’achat et de vente au prix décidé entre les parties. Leur valeur nominale à l’émission était égale à 100 écus romains6 ; sur le marché secondaire, la cotation était sensiblement plus forte du fait d’une demande soutenue, ces titres étant considérés comme un bon investissement par les épargnants de Rome et d’ailleurs ; et ce, en raison de la clairvoyance du gouvernement papal qui, dès l’instant de leur création, s’était préoccupé de garantir le paiement régulier des intérêts et du capital, renforçant ainsi leur fiabilité7.
7La tendance inflationniste qui s’est traduite par un relèvement des prix, irrégulier au cours des années qui ont suivi la crise de l’approvisionnement de 1764 et plus sensible vers la fin du xviiie siècle, a entraîné une plus grande prudence vis-à-vis des utilisations du crédit à long terme (telles celles des luoghi di monte, précisément, qui, avec les cens8, garantissaient bien un rendement monétaire fixe, mais qui allaient en se dévalorisant sous l’effet de l’inflation).
8L’accélération des événements politiques (tout d’abord, l’avènement de la République romaine, d’inspiration jacobine, le 15 février 1798, puis la domination napoléonienne, par la suite) et l’accroissement corrélatif des besoins financiers touchant tous les aspects socio-économiques de l’État, face à des recettes budgétaires de plus en plus rigides limitant la marge de manœuvre, contraignirent les pouvoirs publics à soumettre l’évolution de la dette publique à une surveillance constante et à inventer des remèdes de toute nature capables d’en freiner l’accroissement continu.
9En dépit de l’aggravation de la charge fiscale du fait de l’augmentation des taxes et des impôts existants et de l’introduction de nouveaux types d’impôts, les recettes budgétaires étaient presque entièrement absorbées par les dépenses courantes. D’où la nécessité constante de couvrir les dépenses extraordinaires ou les investissements nécessaires. Chaque crise alimentaire, souvent causée par les « disettes » ou les contributions imposées par les conflits dans lesquels était engagé l’État pontifical, soulevait ainsi le dilemme du financement par l’augmentation de la pression fiscale ou par le marché, à travers de nouvelles émissions de titres.
10Dans les périodes de bouleversement social, en particulier lorsque les déficits à combler étaient dus aux dépenses militaires ou, pire encore, aux coûts supportés par l’acquisition de denrées alimentaires destinées à faire face aux « disettes »9, les pouvoirs publics étaient contraints de privilégier l’emprunt public par rapport à l’augmentation des impôts, et l’augmentation de la dette publique constituait ainsi une préoccupation.
11Il y eut bien quelques brèves tentatives de limitation des dépenses budgétaires, et même de quelques dépenses pontificales, qui permirent de réaliser l’équilibre budgétaire voire, rarement, un léger excédent10. Mais précisément parce que trop sporadique et portant sur des montants trop faibles, celui-ci ne permit pas de réduire le niveau de la dette publique, qui continua au contraire à s’élever, notamment du fait des intérêts à verser.
12L’arrivée des Français aggrava de façon notable le budget de l’État pontifical, tant du fait des dépenses inhérentes à l’entretien des troupes françaises d’occupation sur le territoire romain, que de celles résultant de la mise en place des modifications structurelles de l’administration de l’État imposées par les Français sur le modèle de celles qu’ils avaient déjà réalisées dans leur pays. Ce surcroît de dépenses rendait nécessaire et urgente la restructuration de la dette existante11. Des mesures drastiques de restriction furent par conséquent prises, telles la consolidation de la dette existante, après réduction de sa valeur nominale de 76 %, l’ajournement sine die du remboursement du solde de 24 % et la baisse du taux d’intérêt à verser aux souscripteurs (ce taux étant ramené de 3 % à 1,20 %)12.
13Les Français en étaient arrivés à ces mesures drastiques, conscients que le recours aux instruments « ordinaires » de la politique économique, monétaire et fiscale ne pouvait suffire à amorcer le cercle vertueux conduisant à l’assainissement.
II. La période d’influence et de domination françaises
14Les événements historiques qu’a traversés l’État pontifical – de la République romaine à la fin du gouvernement républicain provisoire (1798-1800) ; de la Restauration du pouvoir du pape à la deuxième occupation française (1800-1808) ; enfin, de la domination napoléonienne au retour du pape Pie VII (1808-1814) et jusqu’à la seconde restauration du pouvoir pontifical (1814-1820) – ont apporté diverses innovations et restructurations de l’appareil politico-administratif des États pontificaux et par conséquent des politiques économiques et financières et des procédures comptables, rendant malaisée l’analyse des documents produits (budgets, rapports, études, prévisions, etc.)13.
15Nous n’en tenterons pas moins ci-après de faire quelques remarques permettant de mettre en évidence l’influence des interventions françaises sur l’édifice constitutionnel de l’État pontifical, en particulier en ce qui concerne les structures régissant les finances publiques et la conduite de la politique fiscale.
16L’Acte du peuple souverain du 15 février 1798 proclamant la République romaine et instaurant un gouvernement provisoire fut suivi le 17 mars 1798, à peine un mois plus tard, par la publication de la Constitution de la République, loi fondamentale du nouvel État, qui instaura la séparation absolue des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Un élément caractéristique de l’organisation française des pouvoirs publics se trouvait ainsi inséré dans le système constitutionnel romain14.
17En ce qui concerne plus particulièrement le pouvoir exécutif, une des cinq lois constitutionnelles prises à la suite de la promulgation de la Constitution républicaine fut précisément celle du 22 mars 1798, relative à l’organisation des ministères et des corps administratifs et en particulier du ministère des Finances, dont les missions étaient réparties entre cinq directions. La seconde de ces directions avait pour objet l’administration des impôts et agissait par l’intermédiaire de quatre sous-directions, la première chargée des contributions directes, la deuxième des contributions indirectes et des douanes, la troisième des emprunts forcés et la dernière des postes et de la loterie15.
18Une fois arrêtée la structure du ministère des Finances, on s’attacha à l’analyse du budget de l’État et de sa gestion. On commença par chiffrer les recettes et à les rapporter au montant de la dette publique et de ses charges financières. La constatation immédiate du besoin d’augmenter les recettes conduisit à l’institution d’un impôt foncier unique, dont le rendement annuel aurait dû s’élever à environ 2 500 000 écus, n’eût été l’inefficacité des diverses autorités locales chargées de l’établissement des rôles des contribuables16.
19D’autres taxes moins importantes furent instituées, comme, par exemple, celle appliquée au papier timbré et aux droits d’enregistrement de divers actes, donnant valeur authentique à ces derniers.
20Mais cette tentative de recourir à des instruments « classiques » de politique budgétaire (le prélèvement fiscal) échoua. Il ne restait donc plus qu’à trouver d’autres méthodes.
21L’approvisionnement de l’armée française, le paiement des dettes contractées auprès du gouvernement français, l’impossibilité de verser les traitements des fonctionnaires publics, ainsi que la nécessité de restaurer l’ordre public et la sécurité, imposaient des dépenses urgentes et extraordinaires, et donc des recettes extraordinaires. Ainsi, l’emprunt forcé était-il inévitable, d’autant que le recours aux impôts ordinaires et leur recouvrement auraient pris beaucoup trop de temps (outre le fait qu’une aggravation de la pression fiscale aurait pu, comme pour l’impôt foncier, se révéler d’un rendement inférieur à celui espéré). Et en ce qui concerne l’emprunt sollicité par la loi du 30 mars 1798, on avait dû constater que, en dépit des sanctions sévères prévues à l’encontre des récalcitrants, seule une faible partie de la somme réclamée avait été réunie au bout d’environ un mois.
22Par ailleurs, l’histoire illustre amplement le fait que, lorsque la pression fiscale dépasse un certain seuil de revenu, tout accroissement risque d’être vain ou d’entraîner une évasion massive.
23Le recours à l’autre volet de l’action budgétaire, celui de la réduction des dépenses, était exclu puisque l’on se trouvait, pour la quasi-totalité, face à des frais courants inhérents au fonctionnement des structures de l’État et à la satisfaction des services publics de base.
24Dès lors que figurait au budget de l’État, en plus des frais de fonctionnement incompressibles, un pourcentage important de dépenses constituées par les sommes versées au titre des intérêts des emprunts, toute l’attention se reporta sur la dette publique.
25Le 15 février 1798, lors de la proclamation de la République romaine et de son gouvernement provisoire, la dette publique s’élevait à près de 84 millions d’écus romains, dont au moins 54 millions (soit 64 % du total) en luoghi di monte, titres prédominants depuis longtemps.
26Pour saisir l’importance de ces chiffres, il suffit de savoir que les seuls intérêts au titre des luoghi di monte, représentant 64 % du total de la dette, s’élevaient à 1 389 390 écus romains, soit 87 % du total des paiements au titre des intérêts, 52 % des recettes et 47 % des dépenses budgétaires17.
27Dans ces conditions, les autorités chargées de la gestion de la dette publique furent amenées à décider la suspension avec effet immédiat du versement des intérêts, une mesure qui devait durer plusieurs années.
28Une autre mesure consista à mettre en vente les biens nationaux18 (c’est-à-dire les biens appartenant aux couvents, aux monastères et aux établissements ecclésiastiques). Cette vente était destinée en premier lieu à l’extinction de la dette contractée à l’égard de la France par une convention secrète du 26 mars 1798, et, en second lieu, à la couverture du déficit budgétaire.
29La valeur estimée de la masse des biens nationaux s’élevait à environ 20 millions d’écus. L’insuffisante liquidité du marché et la raréfaction des acheteurs potentiels qui en résultait freinèrent la vente des biens, également entravée par l’impéritie des autorités qui en avaient la charge.
30Après la chute de la République romaine et le bref interrègne des troupes napolitaines, Pie VII fut élu à la papauté (14 février 1800)19.
31Sous le nouveau pouvoir pontifical, l’entreprise d’assainissement des structures économiques et administratives de l’État20 fut poursuivie. Quant au problème récurrent de la gestion de la dette publique, il fut décidé le 19 mars 1801 de reprendre le versement des intérêts à compter du 12 janvier 1802, ce qui entraîna une perte sèche pour les souscripteurs des luoghi di monte, du fait du non-paiement des intérêts échus et de la réduction du taux d’intérêt de 3 % à 1, 2 % (soit 60 %). On passa ainsi à une approche globale de la dette publique (comprenant, outre les luoghi di monte, les titres de rente à coupons, les bijoux, l’or, l’argent, le change, etc.), afin d’intervenir sur les charges grevant le budget, dont l’importance conduisit à recourir à divers procédés de report de paiement. En 1807, en particulier, le report de paiement de six échéances bimestrielles d’intérêts de la dette publique aurait dû entraîner une économie totale de 1 253 577 écus, qui, compte tenu du déficit prévu pour cette année-là, soit 1 135 264 écus, aurait abouti à un excédent de 118 313 écus21.
32Mais l’arrivée de Napoléon en 1808 vint contrecarrer ces prévisions : par décret du 17 mai 1809, celui-ci faisait en effet entrer l’État pontifical dans l’Empire français et déclarait dette d’empire la dette publique romaine.
33En l’occurrence, il ne s’agissait nullement de simples déclarations de principe, mais de changements profonds.
34Vu la relative inefficacité du recours aux finances ordinaires et extraordinaires concernant le niveau de la dette publique et les charges représentées par les intérêts grevant directement le budget annuel de l’État, les Français, par le décret du 5 août 1810, décidèrent, entre autres, de réduire de façon drastique et définitive la valeur nominale des titres, en la ramenant de 100 écus à 24 écus pour les luoghi di monte. Cette mesure entraîna une perte sèche de 76 % pour les souscripteurs et signa la liquidation des luoghi di monte détenus par les sujets de l’Empire, par le biais de la remise, à titre de remboursement, d’une quantité équivalente de « rescrits » utilisables pour l’acquisition des biens immobiliers des établissements religieux supprimés. Aux fins d’harmonisation du marché, le taux d’intérêt fut fixé à 5 %, taux appliqué pour les rentes en France ; en conséquence, la perte de capital sur la valeur des titres sur les places financières, liée également à la perte de crédibilité des quelques garanties subsistantes, devait outrepasser 76 %, et ce jusqu’à 10 écus.
35Cette cotation (baisse de plus de 58,33 % au-dessous du pair, de 24 à 10 écus) était largement due au fait que les biens nationaux mis en vente en vue de liquider définitivement les luoghi di monte correspondaient souvent à des propriétés urbaines de corporations religieuses qui menaçaient ruine en raison d’un défaut prolongé d’entretien ; les petits et moyens épargnants se débarrassaient donc de leurs luoghi di monte à « prix coûtant » auprès de souscripteurs plus fortunés, et ceux-ci compensaient en partie le risque lié à l’assignation (acquisition) de biens immobiliers surévalués par rapport aux prix du marché en payant 10 écus un titre qui pouvait être offert à l’État vendeur au prix de 24 écus (nouvelle valeur nominale des luoghi di monte).
36Les effets de la redistribution des richesses entre les divers détenteurs des titres sont si évidents qu’ils rendent inutile tout commentaire.
37La masse totale des biens ecclésiastiques, tant ruraux qu’urbains, que le gouvernement français destinait à être versés au bénéfice des créanciers était évaluée à 11 200 000 écus. La mise en vente concerna moins de 50 % des biens, pour une valeur estimée à 5 310 000 écus, même si les sommes réellement encaissées (8 530 000 écus) furent supérieures, soit un profit exceptionnel de 3 220 000 écus. Les biens qui donc restèrent invendus correspondaient à une valeur évaluée à 5 890 000 écus22.
Conclusion
38Par le décret du 5 août 1810, que j’ai cité ci-dessus, le gouvernement français décida donc dans les faits de la liquidation et de l’extinction de la dette publique (ramenée par « acte d’empire », en ce qui concerne les luoghi di monte, à 24 % de leur valeur d’origine), en échange de biens immobiliers dits « nationaux ». Cette décision était liée à l’objectif à la fois politique et administratif d’instaurer une structure budgétaire d’État plus conforme à l’idée d’une gestion saine et régulière des ressources nationales.
39En effet, comme indiqué plus haut, la charge insoutenable que le service des intérêts aux détenteurs de titres faisait peser sur le budget (plus de 50 % du total des dépenses) posait un problème budgétaire majeur, difficile à résoudre. La réduction autoritaire de la valeur nominale des luoghi di monte fit passer de 50 % à environ 12 % la part des intérêts correspondants dans le montant total des dépenses.
40Enfin, à l’occasion de la restauration de l’État pontifical (le pape Pie VII ayant recouvré la souveraineté de l’État par l’édit du 13 mai 1814), les innovations apportées au système constitutionnel de l’État pontifical, lui-même fondé sur le principe d’une séparation rigoureuse des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, furent maintenues, assorties toutefois des atténuations et des adaptations qu’appelaient une culture et un environnement différents. Elles entraînèrent une véritable révolution en matière de politique économique, grâce à la transposition des principes introduits par le gouvernement napoléonien.
41Ainsi, le Motu proprio du 6 juillet 1816, outre la traduction organique des dispositions sur la réforme administrative dans son ensemble, édicta les normes applicables à la gestion de la dette pontificale. Son champ d’application portait sur la consolidation des titres anciens (transformés en bons correspondant au nouveau montant consolidé) et le paiement des intérêts (ceux-ci commençant à courir au premier bimestre de l’année 1817). La réduction de valeur des luoghi di monte fut ainsi limitée, si l’on peut dire, à 75 % de leur valeur initiale et non plus à 74 % pour ceux de ces titres qui avaient survécu au précédent gouvernement napoléonien, le taux d’intérêt de 5 % étant reconduit.
42Les effets de la mesure furent salutaires pour le budget de l’État, étant donné que, comme nous l’avons vu plus haut, les intérêts sur les luoghi di monte s’en trouvèrent considérablement réduits (passant de 1 389 390 en 1797 à 350 256,03 écus en 1817).
43Elle jeta aussi les bases d’une procédure budgétaire d’État de type prévisionnel, rompant ainsi de façon radicale avec la méthode suivie jusqu’alors, limitée aux seuls chiffres des recettes et dépenses effectives et à une comptabilité de caisse.
44Un bilan des éléments fixes du passif du budget de l’État fut également établi, c’est-à-dire une prévision réaliste des dépenses annuelles auxquelles l’État devait obligatoirement faire face du fait de leur caractère incompressible, par rapport aux recettes.
45En pratique, le bilan des dépenses incompressibles, dans sa rédaction à la fin de l’année 1817, comportait les éléments suivants :
1. Rente annuelle au titre des luoghi di monte : | 350 256,03 écus ; | |
2. Indemnité due par les acquéreurs de biens immobiliers : | 9 490,80 écus ; | |
3. Intérêts sur les dettes concernant les bijoux, l’orfèvrerie et autres : | 75 001,96 écus ; | |
4. Rentes sur dettes de la chambre : | 10 000,26 écus ; | |
5. Pensions civiles et militaires : | 160 000,00 écus ; | |
Total : | 604 749,05 écus. |
46Le montant des intérêts de l’ancienne dette publique, constituée pour l’essentiel de luoghi di monte, se trouva ainsi réduit, du fait des innovations mentionnées plus haut (350 256 écus), passant de 52 % du total des recettes et 47 % des dépenses à la fin de 1797, c’est-à-dire à une date antérieure à ces innovations, à 13 % des recettes et 12 % des dépenses.
47Il est évident qu’un tel changement d’échelle du poids des intérêts de la dette devait, ou plutôt aurait dû, redonner une souplesse qui aurait pu favoriser des politiques budgétaires soit restrictives soit en expansion (des politiques jouant sur le volume des dépenses publiques).
48Les événements successifs ont, au contraire, tous contribué à accentuer le caractère incompressible des dépenses budgétaires. En effet, le gouvernement pontifical restauré, afin d’atténuer dans une certaine mesure le préjudice subi par les créanciers, fixa la valeur des luoghi di monte à 25 % de leur valeur initiale et non à 24 %, comme c’était le cas sous le gouvernement napoléonien. Il capitalisa les rentes (non payées) correspondant à deux ans et huit mois pour un montant de 934 016 écus, capital qui, au taux de 5 %, produisit 46 700 écus d’intérêts. Il inclut parmi les dépenses incompressibles les rentes provenant de la dette des provinces soumises à la première réannexion (214 895 écus)23. Enfin, il fut contraint d’inscrire au budget les quotes-parts de la dette de l’État pontifical relatives aux provinces soumises à la deuxième réannexion, conformément aux traités internationaux applicables (786 998 écus du Monte Napoleone, 37 383 écus du royaume d’Italie)24. Les dépenses incompressibles de l’État enregistrèrent ainsi une augmentation brutale, passant de 604 749,05 à 1 690 727,46 écus (voir tableau 1).
Tableau 1 : Volume et répartition des dépenses incompressibles de l’État pontifical au titre des rentes correspondant aux différentes catégories de dettes publiques pour l’année 1817
PROVINCES CONCERNÉES PAR LA PREMIÈRE RÉANNEXION PROVINCES CONCERNÉES PAR LA DEUXIÈME RÉANNEXION Total général : 1 690 727, 46 écus. |
Notes de bas de page
1 Les émissions et les remboursements, de même que les achats et ventes sur le marché des divers types de titres de la dette publique constituent un moyen efficace d’intervention sur la masse monétaire, sur le niveau global des taux d’intérêt (et également, de façon indirecte et en concurrence avec d’autres éléments, sur le niveau des prix), ainsi que sur la structure des taux en fonction de l’échéance des titres.
2 S. Steve, Lezioni di scienza delle finanze, Padoue, 1976, p. 399.
3 D. Hume, « Of public credit », in Writings on Economics, éd. Rottwein, Presses de l’Université du Wisconsin, 1955, p. 96 et sq.
4 M. Aymard (Interventi, in Prodotto lordo e finanza pubblica Secoli XIII-XIX, sous la direction d’Annalisa Guarducci, Actes de la huitième semaine d’études – Prato, 3-9 mai 1976 –, Florence, 1988, p. 111 et 112) souligne les variations soudaines des besoins de l’État qui, en cas de guerre, se transforment en besoins à court et moyen terme. Cette situation a naturellement des répercussions sur les moyens économiques et financiers de l’État, qui doit faire face à des exigences à court terme en empruntant à long terme et en consolidant la dette. L’auteur, poursuivant son analyse, soutient qu’il convient de réserver le terme « finances publiques » aux seuls pays d’Ancien Régime, précisément du fait que les États d’absolutisme royal avaient pour impératif principal de faire face à la croissance des dépenses de guerre.
5 À partir de l’ouvrage de Daniela Felisini sur Le finanze pontificie e i Rothschild. 1830-1870, Naples, 1990, ont paru plusieurs contributions originales dont quelques-unes, bien que non liées directement au thème de la dette publique pontificale, ont contribué à mettre en lumière les raisons économiques, financières et politiques de son utilisation à grande échelle. Voir : A.M. Girelli, La finanza comunale nello Stato pontificio. Il caso di Assisi, Padoue, 1992 ; F. Colzi, Il debito pubblico del Campidoglio, Naples, 1999 ; M. Carboni, Le doti della « povertà ». Famiglia, risparmio, providenza : il Monte del matrimonio di Bologna (1583-1796), Bologne, 1999 ; F. Piola Caselli, « Monti di pietà e Monti frumentari nel Lazio », in Monte di pietà e presenza ebraica in Italia (secoli XV-XVIII), Rome, 1999, sous la direction de D. Montanari, p. 215-244 ; M. Fornasari, « Banchi ebraici e Monti di Pietà nell’area emiliano-romagnola », ibid., p. 121-159 ; idem, « Merci per dogana e consumi alimentari a Roma nel Seicento », in La popolazione italiana nel Seicento, Bologne, 1999 ; idem, « Debito pubblico pontificio e imposte sui consumi romani nel Seicento », in Studi in onore di Ciro Manca, sous la direction de Donatella Strangio, Padoue, 2000.
6 En 1753, la réforme des valeurs nominales en argent mise en œuvre par le pape Benoît XIV, sur la base d’un rapport avec l’or de 1/14,5, a introduit comme nouvelles pièces l’écu romain, valant 10 giuli et pesant 538,73 grains (26,4 grammes), le demi-écu, valant 5 giuli et pesant 269,36 grains (13,2 grammes), le quint d’écu, valant 2 giuli et pesant 107,47 grains (5,2 grammes). En outre, la valeur des testons, des giuli et des gros a été réduite dans la même proportion, mais seules ces deux dernières pièces ont continué d’être émises. Les pièces d’argent introduites en 1753 sont restées en usage jusqu’à 1835, date de la nouvelle réforme décrétée par Grégoire XVI. Pour les sources correspondantes, voir L. Eusebio, Compendio di Metrologia universale (Monete, Pesi, Misure moderne), réimpression anastatique de l’édition de Turin 1899, Bologne, 1967, p. 23 ; S. Balbi de Caro, L. Londei, Moneta Pontificia da Innocenzo XI a Gregorio XVI, Rome, 1984, p. 55, 61, 89 et 127 ; G. De Gennaro, L’esperienza monetaria di Roma in età moderna, Naples, 1980 ; L. Londei, La monetazione pontificia e la zecca di Roma nell’ età moderna (sec. XVI-XVIII), Studi Romani, XXXVIIII, 3-4, 1990, p. 311-318.
7 M. Monaco, Il primo debito pubblico pontificio. Il Monte della Fede (1526), Studi Romani, VIII, 1960, 5, p. 553-569. Au sujet de l’utilisation du système des monti et des modalités antérieures à 1526, voir D Strangio, Il debito pubblico pontificio. Cambiamento e continuità nella finanza pontificia dal periodo francese alla Restaurazione romana, Padoue, 2001, p. 11.
8 En effet, le contrat de prêt associé au cens était défini comme un contrat d’achat-vente par lequel le prêteur, en mettant un capital au comptant à la disposition de son cocontractant, acquérait de ce dernier et des héritiers du fonds sur lequel était imposé le cens, le droit de percevoir une rente annuelle, également exprimée en monnaie, jusqu’à la décision de remboursement des sommes prêtées (R. D’Errico, « I censi a Roma nella congiuntura monetaria di fine Settecento », in Roma negli anni di influenza e dominio francese. 1798-1814. Rotture, continuità, innovazioni tra fine Settecento e inizi Ottocento, sous la direction de Ph. Boutry, F. Pitocco, C.M. Travaglini, Naples, 2000, p. 214).
9 D. Strangio, Crisi alimentari e politica annonaria a Roma nel settecento, Rome, 1999.
10 H. Gross, Roma nel settecento, Rome-Bari, 1990, p. 135-141 ; D. Strangio, « Debbito pubblico e deficit di bilancio dello stato della Chiesa. Il Monte Nuovo della Difesa (1793-1814) », in Studi Romani, art. XLVIII, n° s 1-2, 2000, p. 83-103, en particulier p. 85-87.
11 D. Strangio, « Progetti francesi per il debito pubblico pontificio », in Roma negli anni di influenza…, op. cit., p. 273-294.
12 G. Felloni, Gli investimenti finanziari genovesi in Europa tra il Seicento e la Restaurazione, Milan, 1971.
13 D. Strangio, Il debito pubblico pontificio. Cambiamento e continuità…, op. cit.
14 Archivio di Stato di Roma (ci-après ASR), Repubblica Romana 1798-1799, B. 6. V.E. Giuntella, La giacobina Repubblica romana, Archivio della Deputazione Romana di Storia Patria, 1950, p. 88-129.
15 D. Strangio, Il debito pubblico pontificio. Cambiamento e continuità…, op. cit., p. 74-78.
16 Ibid., p. 82.
17 Ibid., p. 64.
18 R. De Felice, La vendita dei Beni nazionali nella Repubblica Romana del 1798-1799, Rome, 1960.
19 M. Caravale-A. Caracciolo, « Lo Stato pontificio da Martino V a Pio IX », in Storia d’Italia, dirigée par G. Galasso, Turin, 1978, p. 576 à 577.
20 Voir également G. Massullo, « Debito pubblico, inflazione e vendita dei beni delle Comunità nello Stato Pontificio della prima Restaurazione », Bollettino di Numismatica del Ministero per i Beni Culturali e Ambientali, n° s 6-7, janvier 1986, p. 257-274.
21 D. Strangio, Il debito pubblico pontificio. Cambiamento e continuità…, op. cit., p. 115.
22 Ibid., p. 142.
23 Les expressions « première réannexion » et « seconde réannexion » se réfèrent aux parties du territoire qui ont été ré-annexées à l’État pontifical en application des traités européens conclus au lendemain de la domination française.
24 En ce qui concerne les quotes-parts de l’État pontifical, établies par le Traité de Milan (1816) et le traité de Paris (1818), voir D. Strangio, Il debito pubblico. Cambiamento e continuità…, op. cit., p. 162-168 ; ASR, Camerale II, Debito Pubblico, b. 1.
Auteur
Donatella Strangio est professeur d’histoire économique à la faculté d’économie de l’Université « la Sapienza » à Rome. Elle assure également des cours à l’Université LUISS-Guido Carli et à l’Université de la Tuscia à Viterbe. Elle est membre du Centre d’excellence européen Jean Monnet-Luigi Einaudi de la faculté d’économie « La Sapienza » et participe à ses activités. Elle est membre de la SISE (Société des historiens de l’Économie), de l’AISU (Association italienne d’histoire urbaine) et des Centres d’Études EUROSAPIENZA, CITTA et SPES.
Elle a publié de nombreux articles et ouvrages concernant son domaine de recherche, notamment les aspects financiers et fiscaux des systèmes préindustriels, et sur la dette publique, au nombre desquels il faut citer : Crisi alimentari e politica annonaria a Roma nel Settecento, Istituto Nazionale di Studi Romani, Rome 1999 ; Il debito pubblico pontificio. Cambiamento e continuità nella finanza pontificia dal periodo francese alla restaurazione romana. 1798-1820, Padoue, 2001 ; « Il sistema finanziario del debito pubblico pontificio tra età moderna e contemporanea », in Rivista di Storia Finanziaria, vol. 14, janvier-juin 2005, p. 7-42 ; Dai monti comunitativi ai monti camerali. Un servizio finanziario per la città di Roma e per lo Stato pontificio tra età moderna e contemporanea, Actes du Congrès national de la SISE (sous presse) ; « Intervento pubblico e carità a Roma nel XVIII secolo », in Nuova Economia e Storia, a. XI, n° 1-2, janvier-juin 2005, p. 9-25.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le grand état-major financier : les inspecteurs des Finances, 1918-1946
Les hommes, le métier, les carrières
Nathalie Carré de Malberg
2011
Le choix de la CEE par la France
L’Europe économique en débat de Mendès France à de Gaulle (1955-1969)
Laurent Warlouzet
2011
L’historien, l’archiviste et le magnétophone
De la constitution de la source orale à son exploitation
Florence Descamps
2005
Les routes de l’argent
Réseaux et flux financiers de Paris à Hambourg (1789-1815)
Matthieu de Oliveira
2011
La France et l'Égypte de 1882 à 1914
Intérêts économiques et implications politiques
Samir Saul
1997
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (I)
Dictionnaire biographique 1790-1814
Guy Antonetti
2007
Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (II)
Dictionnaire biographique 1814-1848
Guy Antonetti
2007
Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques
Colloque des 7 et 8 octobre 2010
Anne-Françoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.)
2012
Wilfrid Baumgartner
Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978)
Olivier Feiertag
2006