Quelques détails sur Pierre Uri par Pierre Uri
p. 219-227
Plan détaillé
Texte intégral
1Après l’agrégation de philosophie et mon service militaire, j’ai eu une bourse d’études à l’université de Princeton et j’ai eu la sagesse de me concentrer sur l’apprentissage de l’anglais au point de le garder toute ma vie et de pouvoir aussi bien faire des discours, participer à des discussions, faire des conférences, écrire une partie de mon œuvre, débattre à la télévision en cette langue. À l’époque, je savais mieux l’allemand que l’anglais, j’ai réappris l’allemand très à fond par la suite.
2J’ai eu la chance d’être nommé ensuite à Lyon où un professeur demandait un an de congé pour finir sa thèse. D’où la situation extraordinaire d’être non seulement professeur de philosophie au lycée du Parc où mon collègue de khâgne était d’abord Yankélévitch, ensuite, quand il est parti à l’université, Jean Guitton, mais j’étais du même coup professeur de première supérieure dans la khâgne des filles au lycée Edgar Quinet.
3Par la suite j’ai occupé des postes à Beauvais où je suppléais un de mes amis qui était au cabinet de Jean Zay, puis à Laon où je succédais à Sartre puis à Reims, enseignement interrompu par la guerre que j’ai faite d’abord sur la frontière belge puis comme officier de liaison au corps expéditionnaire de Narvik avec [le général] Béthouart et je ne suis rentré, au lieu de m’arrêter en Grande-Bretagne, que parce que ma femme attendait un enfant et que j’étais sans nouvelles de ma famille.
4Période de l’Occupation très rapidement difficile, j’en ai profité cependant pour reprendre mes études d’économie, spécialement avec François Perroux, et de faire le CPA dont cet agrégé de philosophie est sorti major et où il s’est fait beaucoup d’amis, en particulier ceux qui lui ont facilité le passage, en 1942, de la ligne de démarcation. Dès que Lyon et Paris ont été libérées, j’ai rejoint François Perroux qui avait créé l’Institut de science économique appliquée où j’ai mené plusieurs études, dont une contribution au livre sur le revenu national et surtout mon grand papier sur Bretton-Woods et sur le Fonds monétaire international, ce qui a conduit Camille Gutt à m’offrir une situation au Fonds que je n’ai pas acceptée.
5Les travaux que je menais m’ont valu aussi l’offre par Emmanuel Monick de devenir conseiller économique de la Banque de France, un poste à peine inférieur à celui de directeur général. Et quand on a créé la chaire de théorie économique à Sciences Po, c’est à moi qu’on l’a offerte, mais Perroux, déjà jaloux, m’a obligé à la refuser et l’a prise pour lui-même. Les relations devenaient de plus en plus difficiles et au moment où il a voulu que je quitte l’Isea, où j’avais eu le tort peut-être de me mettre un peu en évidence par exemple au cours d’un voyage en Grande-Bretagne, j’avais l’offre d’entrer comme conseiller économique et financier au Commissariat du Plan sur la recommandation d’un expert américain Bob Nathan et appuyé par Marjolin que je connaissais dès avant‑guerre.
6Au bout de très peu de temps, j’ai été amené à jouer un rôle très central au Plan, qui n’était plus comme on le croit trop souvent les cinq secteurs de base, mais qui était devenu le centre où se faisait la politique économique de la France. La façon dont j’ai rédigé le rapport sur les premiers comptes de la Nation a permis de rendre sensibles les ajustements nécessaires et c’est moi qui ai suggéré les mesures qui ont obtenu un succès extraordinaire, c’est-à-dire l’inflation, de fin 1947 à mi 1949, ramenée de 45 à 2 % avec une hausse de la production de 8 % et une hausse des salaires également de 8 %.
7La mesure courageuse a été un prélèvement exceptionnel sur les revenus autres que salariaux, ce qui m’a permis de me tourner vers les syndicats qui me faisaient confiance pour leur dire : il y a de meilleures méthodes pour augmenter votre part dans le produit national que des hausses de salaires reprises par la hausse des prix. Et en particulier, je les avais orientés auparavant vers une réforme fiscale : c’est là, malgré ce que raconte Lauré, qu’avait été inventée la TVA et Blot, qui a été directeur général des Impôts, directeur de cabinet d’Edgar Faure, gouverneur du Crédit Foncier, était le secrétaire de la commission de Réforme fiscale de 1948 ou 1949 où, au titre du Plan, j’ai présenté la TVA comme la base de toute réforme pour se substituer à des impôts distordus et pour offrir des recoupements sur les autres bases d’impôts.
8La deuxième mesure que j’ai obtenue a été de convaincre la Banque de France, contrairement à sa tradition, que l’escompte était après tout un crédit comme un autre et qu’il ne servait à rien d’avoir des restrictions de crédit, alors nécessaires à cause des stockages spéculatifs, des déficits extérieurs, des fuites de capitaux, si ces restrictions n’étaient pas étendues à l’escompte. Et en 1949, quand il y a eu la dévaluation de la livre, nous nous sommes rendus chez le ministre Petsche où il y avait Mendès France, le directeur général des Prix et le directeur général des Relations économiques extérieures : appuyé par la Banque de France, j’ai convaincu Petsche qu’il fallait aller à mi-chemin, qu’on ne pouvait pas soutenir la concurrence si on ne s’ajustait pas un peu, mais qu’il ne fallait pas non plus aller trop loin et que, aller à mi-chemin, c’était, compte tenu de ce que les importations étaient moitié en dollars, moitié en livres, la meilleure manière de rétablir l’équilibre extérieur tout en n’ayant aucun effet déflationniste. Ce bel ensemble a été détruit en 1951, un 15 septembre, quand dans un comité économique interministériel où une fois de plus Monnet, Hirsch et moi étions présents et où nous étions appuyés par Pinay, René Pleven a décidé d’augmenter tous les salaires et tous les prix de base de 15 % sans dévaluer : c’est alors qu’ont commencé les difficultés économiques et la perte d’indépendance de la IVe République.
9Je n’étais pas à Houjarray le jour où avec Hirsch et Reuter, Jean Monnet a eu l’idée du Plan Schuman et de la Haute Autorité, mais il m’a fait descendre dans son bureau dès le lendemain matin, un lundi, et raconte ma réaction dans ses Mémoires. J’ai largement réécrit le papier, en particulier en y introduisant l’idée d’un système qui développerait la meilleure utilisation des ressources au niveau de productivité le plus élevé, une espèce d’automaticité dans le progrès. C’est avec Hirsch que nous avons fait un premier projet, un certain nombre d’articles qui ont servi de base à la négociation.
10Dans un premier temps, j’avais la charge des affaires sociales, mais j’ai dû m’occuper aussi des problèmes de politique commerciale parce que les gens du Quai ou des Finances n’avaient pas beaucoup d’imagination. J’ai discuté de ces problèmes avec le spécialiste allemand, le directeur du Commerce extérieur : il parlait sa langue, je parlais la mienne et nous avons mis au point des solutions extrêmement originales. Mais très rapidement j’étais chargé de l’ensemble des questions économiques parce que Hirsch était aussi dans la négociation de la Communauté européenne de défense, pour laquelle j’avais fait un papier sommaire dès le départ, et j’ai été consulté à la demande d’Alphand par les gens qui s’occupaient des problèmes économiques et budgétaires ; mais Monsieur Van Zeeland, refusant la formule d’un budget voté par le Parlement européen et avec une clef de répartition entre les différents pays, a en fait rendu impossible le fonctionnement de cette Communauté avant même que, avec les hésitations de Mendès France, elle soit repoussée par le Parlement français.
11Vers la fin de la négociation du traité Schuman, il n’y avait plus qu’un comité de lecture avec un économiste et un juriste par délégation, c’était Maurice Lagrange qui présidait, il disait en riant : « Je donne la parole à Pierre Uri sans quoi il la prendrait » et je dois dire que c’est là que tous les problèmes qui restaient en suspens ont été résolus, en particulier parce que je rédigeais très vite ce que j’avais esquissé. Et il est même arrivé une chose assez extraordinaire, j’avais fait un Memorandum sur les dispositions transitoires, je l’ai ensuite transformé en convention sous le regard de Maurice Lagrange, qui voulait que je rédige moi-même, et, chose sans précédent, quand le papier a été dicté en une après-midi d’un lundi, distribué un mardi, à la réunion du mercredi matin, toutes les autres délégations unanimes ont dit : « Il n’y a pas un mot à changer ». Il a fallu ensuite surmonter les difficultés de la réunion ministérielle finale pour le choix du siège, cela a été une nuit assez extravagante et c’est en parlant directement à Adenauer que j’ai pu éviter qu’on se couvre de ridicule en allant à Turin parce que les Belges ne voulaient pas Bruxelles, ils étaient chargés de demander Liège et en revanche abandonnant le siège, ils voulaient pour n’importe quel candidat la présidence de la nouvelle Cour européenne de justice.
12À Luxembourg, j’ai suivi Monnet dès le premier jour. On a constitué un « comité de démarrage » composé des gens qui avaient effectivement négocié le traité, ils m’ont demandé de prendre la présidence et naturellement de rédiger le rapport, qui est un document très important et qui a servi de schéma à toute l’action des six ou des huit premiers mois. Je n’avais avec moi qu’un juriste et un technicien, soit le charbonnier, soit le sidérurgiste, nous avons tout fait ensemble. C’était toujours moi qui concevais, qui rédigeais, qui négociais et qui ai fait passer toutes les décisions d’application, non seulement celles pour l’ouverture du Marché commun du charbon et de l’acier, mais les dispositions transitoires, la manière de supprimer les aides, la composition du comité consultatif, ou un texte simple et ingénieux à telle enseigne qu’on n’a jamais eu besoin de le changer sur l’assiette du prélèvement charbon-acier, le premier impôt européen.
13J’ai eu à négocier aussi l’accord d’association avec la Grande-Bretagne et à présider le Comité Haute Autorité-Conseil des ministres, où nous avons essayé de faire le lien entre les secteurs d’abord mis en commun et le reste des économies, en dessinant déjà une politique de développement. Cela a été la base d’un rapport sur la politique de l’énergie de même que j’avais eu aussi un groupe de travail autour de moi pour définir une politique des transports.
14Après que le projet de Communauté de défense eut été écarté par le Parlement français, on s’est demandé à Luxembourg ce qu’il fallait faire. Et les membres de la Haute Autorité pensaient qu’il fallait adopter un profil bas, c’est-à-dire se contenter d’étendre les pouvoirs de la Haute Autorité aux autres formes d’énergie et aux transports. J’ai immédiatement fait valoir que les autres formes d’énergie étaient soit internationales comme le pétrole, soit autre chose qu’un produit traversant les douanes comme l’électricité, que les difficultés seraient beaucoup plus grandes que le bénéfice politique à tirer d’une telle manœuvre, et que devant l’échec ou bien on se couchait, ou bien on faisait une relance spectaculaire et la seule chose qui avait un sens à mes yeux c’était un marché commun général. Pendant ce temps Monnet avec Louis Armand préparait le projet d’Euratom, en pensant qu’il s’agissait à la fois d’un développement qui frappait l’opinion et qui commandait l’avenir.
15J’ai donc été amené à sa demande à préparer un premier document destiné à Spaak, l’idée étant que les trois ministres du Benelux conjointement prendraient la responsabilité de la relance de l’Europe. Ce papier présentait Euratom et, paraît-il, mais je l’avais oublié, l’idée d’étendre à tous les secteurs les dispositions sur la réadaptation qui avait été inventée dans le traité Schuman : belle anticipation sur les problèmes du chômage qui se sont révélés trente ans après. Monnet est allé voir Spaak avec ce document, Spaak a envoyé deux de ses collaborateurs retrouver son collègue Beyen qui a marqué qu’Euratom seul ne l’intéressait pas, qu’il avait lui-même suggéré un marché commun général, sous une forme d’ailleurs très simplifiée : c’était seulement la suppression graduelle des obstacles aux échanges et il souhaitait que les deux soient présentés à la fois. Spaak, comme Monnet d’ailleurs, craignait que ce fut une tentative prématurée.
16Il s’est trouvé que, suivant sa méthode habituelle, Monnet n’a pas voulu lancer l’idée d’Euratom sans s’assurer de la réaction des Allemands. Il me dit un jour : « Trouvez-vous demain matin en telle salle. Je fais venir notre ami Ophüls », qui avait été le juriste de la délégation allemande dans la négociation du Plan Schuman et qui était devenu directeur des Affaires européennes au nouveau ministère des Affaires étrangères à Bonn. Monnet lui expose Euratom et, à sa grande surprise, Ophüls dit que le gouvernement allemand ne serait pas intéressé et qu’Erhard serait contre. J’interviens alors en disant : « Je comprends les Allemands, le charbon et l’acier ce n’est pas une base suffisante pour se lancer dans l’énergie atomique ; à leur place, je me tournerais vers les Anglais qui ont une longueur d’avance, les Norvégiens avec leur eau lourde, les Suisses et leur industrie de précision. Mais que se passerait-t-il si nous nous souvenions que le Plan Schuman ce n’est pas seulement les bases communes de développement dont Euratom prend la suite, c’est aussi une expérience d’abord limitée d’intégration générale, et si nous présentions les deux volets à la fois ? » « Cela changerait tout, dit Ophüls, le gouvernement allemand serait immédiatement d’accord » et Monnet me dit d’un air assez triste : « Il n’y a pas autre chose à faire. »
17C’est de la sorte que j’ai été amené à rédiger le premier projet de la déclaration de Messine, que l’on retrouve largement dans le texte final, sauf que, pour le Marché commun, Beyen a demandé à substituer sa rédaction à la mienne. Elle était tellement simplifiée qu’il a fallu que je me serve des Allemands pour réintroduire tout ce qui était nécessaire pour qu’un Marché commun soit à la fois acceptable et capable de fonctionner. À la conférence de Messine, on a eu la sagesse de ne pas engager tout de suite la négociation mais de constituer un comité : on voulait sans doute gagner du temps, c’est-à-dire ne pas prendre une décision immédiate, on en a gagné en un autre sens puisqu’en moins de vingt-deux mois entre Messine et Rome, les traités ont pu être élaborés.
18Dans une première phase, il y avait quatre comités, le tout coiffé par Paul-Henri Spaak. Et j’ai eu beaucoup de peine à pouvoir aller dans celui du Marché commun alors même que j’avais fait à la demande de René Mayer un document sur les leçons à tirer de la Ceca pour un marché commun général. J’ai pu apporter un certain nombre d’idées, mais tout traînait, les fonctionnaires savaient mieux comment les choses se faisaient que comment elles devraient se faire, les Anglais traînaient la jambe. À la suggestion de Félix Gaillard, on a décidé de reconcentrer le travail autour des seuls chefs de délégation accompagnés à chaque fois d’un seul expert, tournant suivant les sujets. Et à la suggestion de Monnet, Spaak m’a demandé d’être le rapporteur. Je lui dis immédiatement : « Sur chaque question, il y a ou sept propositions ou aucune, je vous présenterai sur tout ce qui reste ouvert des documents de travail très courts proposant chaque fois une solution unique et cohérente avec ce que je vous proposerai par ailleurs. Quand tout cela sera adopté, nous pourrons rédiger un rapport. » J’ai demandé en plus que l’on m’adjoigne un Allemand avec qui je puisse discuter, étant entendu que c’est moi qui ferais le travail, un Belge pour faire la liaison et un Italien pour l’équilibre. C’est ainsi que j’ai présenté onze documents de travail dont deux, à ma demande, reposaient sur des discussions avec des représentants des différents pays, il s’agissait de l’agriculture et des affaires sociales, y compris les mouvements de main-d’œuvre, les salaires, l’emploi et la Sécurité sociale. Ensuite, quand tout avait été accepté, nous sommes partis pour Saint-Jean-Cap-Ferrat où, en douze jours, et encore en discutant sur chaque chapitre, en allemand une fois écrit, et en allemand avec von der Groeben, tout a été rédigé. En particulier Euratom, parce que nous avions passé beaucoup de temps sur le Marché commun, a été fait entièrement dans la dernière nuit avant l’arrivée des touristes pour les vacances de Pâques.
19Ce rapport a été adopté absolument sans changement. Spaak avait d’abord pensé qu’il faudrait beaucoup de modifications, mais il m’avait téléphoné pour me dire : « Mon rôle, c’est de faire que l’on ne change pas un mot. » C’est ce même rapport qui a été adopté comme base de négociation à la conférence de Venise qui a décidé d’engager la négociation. Au départ, je n’ai pas reçu une position qui me permît de continuer à jouer le même rôle, je me suis retiré, Spaak m’a rappelé très peu de temps après pour me dire : « Vous pouvez être très satisfait, vous n’êtes pas là, rien n’avance. Revenez, vous siègerez avec les chefs de délégation en toute indépendance, sans instruction de personne et avec le droit à la parole ». C’est cette position exceptionnelle qui m’a permis, comme en témoigne dans l’interview qu’il a prise de moi un ambassadeur italien [Roberto Ducci] qui était président du comité de lecture, c’est-à-dire celui où l’on mettait définitivement les textes au point, ou comme on le verra dans le récit, qui va bientôt être disponible, que transmettait tel chef de délégation sur le déroulement de chaque séance, qu’il l’a été donné, chaque fois qu’une question non résolue arrivait au niveau des chefs de délégation, d’offrir une formule d’accord qui était généralement acceptée tout de suite. En tout cas, Maurice Faure avait l’avantage d’être le premier à me jeter un clin d’œil et à dire : « J’accepte. »
20Après la signature du traité de Rome, des questions de dosage politique ont fait que je n’ai pas pu être nommé à la Commission du Marché commun. Je pense que j’aurais évité quelques erreurs au départ. J’ai tout de même été chargé du rapport le plus important prévu par le traité de Rome, c’est-à-dire la situation économique des pays de la Communauté avant l’ouverture du Marché commun. Je n’étais pas seulement directeur à la Ceca, j’étais aussi conseiller du Marché commun, j’avais pensé que je pourrais l’être aussi d’Euratom et Dieu sait pourquoi, cela ne s’est pas fait. J’ai donc ensuite été amené à me retirer, victime, si j’ose dire, de mon propre succès. Pendant une période, j’ai fait de la banque, mais dans une banque américaine qui n’avait pas vu comment il fallait transformer ses méthodes pour devenir internationale. De toute manière, c’était fort instructif pour moi, mais je suis plutôt fait pour les affaires publiques que pour essayer d’amener une affaire à une entreprise alors que je pense qu’elle n’est pas la mieux placée pour la traiter.
21Devenu conseiller aux études de l’Institut Atlantique, c’est moi qui pendant très longtemps ai fait fonctionner cette boutique, en montant des groupes de travail, en suggérant des sujets, en écrivant moi-même un grand nombre de livres dont le premier a été Dialogue des continents sur le partnership entre l’Europe et l’Amérique, d’autres sur une politique monétaire pour l’Amérique latine, sur la chance de faire entrer la Grande-Bretagne dans le Marché commun, sur les problèmes de l’agriculture, sur ceux du développement et à nouveau sur les problèmes de la faim dans le monde. L’avantage de cette fonction est qu’elle me laissait quand même une grande indépendance pour écrire aussi des livres de mon côté, pour essayer de réaliser les accords politiques les plus difficiles, pour accepter des missions dans tous les continents où l’on m’appelait en fonction du rôle que j’avais joué en Europe. C’est ainsi que j’ai été une bonne dizaine de fois en Amérique latine pour y faire à la fois des projets d’intégration générale, des projets de constitution d’une union monétaire, des projets pour réussir à combattre l’inflation sans arrêter la croissance. J’ai fait de même en Asie où, en particulier, il est notable que j’aie pu aller cinq fois au Japon, toujours pour des tâches importantes : la première fois à cause de l’étude qui m’avait été confiée sur la capacité concurrentielle de l’Europe et qui exigeait par conséquent des comparaisons avec aussi bien les États-Unis que la puissance qui émergeait en Extrême-Orient ; la deuxième fois pour une rencontre sur les problèmes du commerce et de l’investissement organisée par le Keidanren ; une troisième fois à l’invitation de l’Asahi Shimbun, cet immense journal qui réunissait cinq économistes du reste du monde dont deux prix Nobel et cinq économistes japonais pour l’aider à définir sa politique éditoriale dans les mois suivants ; une autre fois à l’occasion de la mission que j’ai accomplie en Asie, conjointement avec Robert Triffin, sur les problèmes de coopération économique et monétaire et où, en particulier, j’avais vu le Premier ministre du Japon entre autres Premiers ministres ; et la dernière fois quand j’ai été invité par le président Mitterrand à l’accompagner dans le voyage qu’au début de son règne il a fait au Japon.
22Voilà quelques-unes de mes activités. J’ai été professeur à l’ENA dans les trois premières années avant de partir pour Luxembourg : il n’y avait que trois chaires, Raymond Aron, Louis Armand et moi, et j’ai traité de sujets aussi neufs à l’époque que revenu national et finances publiques, le problème monétaire français, théorie et politique de la stabilisation, ou bien le Plan, et en fait j’ai parlé avec mes brillants élèves des problèmes qui se posaient dans la négociation du Plan Schuman et des solutions que nous étions en train d’esquisser. À la fin de ma carrière, j’ai été professeur associé à Dauphine et j’ai passé cinq ans au Conseil économique et social où je me faisais fort bien écouter. En particulier, j’ai fait un rapport qui a été considéré comme une œuvre importante sur l’imposition généralisée des plus-values, dont les solutions étaient approuvées y compris par les agents de change très proches de Valéry Giscard d’Estaing. Le malheur a voulu que l’on fasse tout autre chose alors que ce projet était simple et cohérent.
23Je n’ai pas cessé de m’intéresser aux affaires européennes, soit que je participe à des comités internationaux sur ce sujet, soit que je joue un rôle dans le Mouvement européen : c’est à moi en particulier qu’il a été demandé de rédiger le manifeste de son organisation française à l’occasion du trentième anniversaire du traité de Rome. J’ai naturellement été invité au colloque qui s’est tenu à Rome entre historiens et acteurs de l’histoire, à la date solennelle du 25 mars 1987, dans la salle des Horaces et des Curiaces. Et je suis encore invité à tous les colloques qui peuvent se tenir sur le quarantième anniversaire du Plan Marshall. Je ne mentionne que pour mémoire mon œuvre de journaliste, puisqu’il y a eu une période où je tenais deux colonnes, l’une internationale qui alliait Le Monde, le Times, Le Soir de Bruxelles et La Stampa, l’autre qui groupait les principaux journaux de province à la condition que leurs terrains de vente ne se recoupent pas : l’une et l’autre colonnes, qui paraissaient mensuellement, étaient consacrées aux problèmes de l’Europe.
24Aujourd’hui je continue à répondre aux invitations, à parler aussi bien en France que dans des rencontres internationales à Berlin, Bologne, Luxembourg, Rome ou Bruxelles. Et j’ai pris la présidence d’une association Université & Entreprise à laquelle je donne un grand développement : elle poursuit un double objectif, mettre les chefs d’entreprise au courant des grandes nouveautés qui changeront l’économie et qui préparent l’avenir, et trouver des moyens supplémentaires pour créer dans l’enseignement supérieur des formations mieux adaptées. C’est une tâche assez absorbante mais assez décisive pour le pays.
25Sous la présidence d’Étienne Hirsch, je suis vice-président de l’association des Amis de Jean-Monnet, et c’est moi qui ai eu la chance, avec les contacts dont je dispose, d’obtenir que le Conseil européen proclame 1988 l’Année européenne Jean Monnet. J’ai la charge aussi de présider les réunions de bureau, de conseil ou d’assemblée à l’Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées (dénommé Isea à sa création), celui qui avait été créé par François Perroux. On sait aussi que je fais partie du comité d’honneur de la Ligue européenne de coopération économique où Pierre de Calan a pu juger des contributions que j’apportais.
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