Pour une histoire juridique de la gestion1
p. 273-299
Texte intégral
1En 1881, l’Académie des sciences morales et politiques de Paris institue un concours pour le prix Rossi dont l’objet est l’intervention de l’État dans le domaine économique. La finalité du concours consistait à montrer « la limite des droits de l’individu et des droits de l’État, montrer sous quelles influences cette limite se déplace avec le temps et selon le degré et le mode de civilisation ; rechercher dans quel cas un Gouvernement peut proposer ou imposer ses services et son autorité régulatrice dans le domaine de la production et de l’échange des richesses, jusqu’à quel point il se fait légitimement le tuteur des intérêts économiques de la nation, à quel autre point, en prétendant s’ériger en répartiteur des fortunes et en cédant à l’ambition de devenir la providence de ses administrés, il commence à entraver la liberté et, avec elle, le développement économique qu’il avait l’illusion de régler et de hâter2 ». Le même concours avait déjà été institué en 1839, mais avec des résultats décevants. À distance de 43 ans, les enjeux sociaux et politiques imposaient une reprise de la question à la lumière du défi que le socialisme de la chaire provenant de l’Allemagne avait lancé à l’idéologie libérale dominante. À cet égard, les positions de l’Académie avaient toujours été, dans leur vaste majorité, favorables à la primauté des lois économiques et de leur valeur scientifique, alors que toute approche historique et contextuelle des problèmes économiques était qualifiée d’approximation empirique. Un article de Maurice Block paru en 1879 résume bien la tendance de la culture savante et institutionnelle à ce sujet. Dans une critique radicale des économistes allemands de l’époque (Roscher, Hildebrand, Knies, Schmoller, Rümelin), coupables, entre autres, d’avoir attribué au socialisme une dignité universitaire, Block observe que si « l’abstraction est un mal, c’est un mal nécessaire […]. L’empirique prend les faits comme il les rencontre, il les classe d’après les signes extérieurs, et ne le connaît ainsi qu’à demi ; l’empirique est l’homme des demi-vérités. L’homme à esprit scientifique, au contraire, éprouve le besoin d’approfondir ; il veut connaître la substance, la loi […]. Or, il y a réellement deux écoles économiques, l’une de ces écoles est guidée par l’esprit scientifique, l’autre par un empirisme sentimental, très bien intentionné sans doute, mais impuissant. L’école scientifique, recherchant les principes, est obligée de pénétrer intimement son sujet : une fois le principe trouvé, en l’appliquant, elle sait tenir compte des circonstances. L’école empirique se passe de principes, elle y substitue des sentiments, ou plutôt une vague sensibilité qui use fréquemment des mots "idéal" et "éthique", mais qui ne propose que des progrès à rebours […]. L’école scientifique, dite aussi l’école libérale, revendique la liberté et lui donne comme sanction la responsabilité ; l’autre, l’école empirique, dite aussi l’école autoritaire, veut que l’État, qui est selon eux le principe moral par excellence, conduise tout, dirige tout, décide de tout3. »
2D’évidence, c’est le rapport entre l’économie et le droit qui est en cause : la première est une science descriptive de la production et de l’échange de la richesse, elle montre l’homme « en mouvement et en marche incessante sur une route unique. » Le droit, par contre, « enveloppe l’homme tout entier », et le saisit même « au repos », comme le dit Émile Worms4. Pour éviter que le droit se saisisse de tout espace social, il faudrait alors désarmer son appareil législatif et le réduire à des principes d’organisation au service des libertés économiques. La vision des académiciens ne cesse pas de se réclamer des axiomes classiques de l’économie politique ; à leurs yeux, un État social n’existe que dans la mesure où il est une forme d’extension du développement individuel. Loin de toute représentation organiciste, la société apparaît comme une agrégation de personnes libres et intelligentes dont chacune forme un tout complet5. Assurer le lien social à l’aide de dispositifs administratifs signifie ignorer cette vérité de fond : c’est seulement l’économie politique qui donne à l’État social son art d’application6. Il paraît donc difficile, au sein de l’Académie des sciences morales et politiques, d’articuler une réflexion plus complexe sur les tâches de la puissance publique ; la pratique administrative émerge comme expression résiduelle d’un art gouvernemental inspiré par les lois économiques. Au-delà de quelques discours plaidant pour un État capable de combiner les libertés individuelles avec les nécessités sociales7, on ne s’interroge guère sur ce qu’administrer veut réellement dire.
3Toutefois, une nouvelle grille d’intelligibilité de la rationalité gouvernementale commence à s’imposer au tournant du siècle. Il revient à la théorie du droit administratif et à la pratique de l’entreprise d’opérer la mise en forme de cette fonction unitaire et complexe qui s’appelle « gestion ». La « gestion » désigne à la fois une attitude singulière des institutions vis-à-vis du milieu social à gouverner et une série de pratiques normatives relevant autant de l’administration publique que de l’entreprise. L’avènement de la gestion annonce dès lors une nouveauté importante pour le système dogmatique des juristes, des sociologues, des économistes et de tous ceux qui s’intéressent au phénomène administratif ou, comme le dit Maurice Hauriou, aux « sciences de la conduite des mouvements sociaux8. » Gérer est une fonction bien plus complexe que commander ou exercer une prérogative souveraine classique : lorsque l’on qualifie un pouvoir de gestionnaire, un nouveau statut symbolique et des formes particulières de régulation sont en cause. Dans ce contexte, la « mesure » devient un dispositif souple et efficace, alors que la « loi » apparaît un instrument de plus en plus inadéquat aux exigences de la gestion et, de façon générale, de la pratique et de la science organisationnelle. Comme l’observait Henri Fayol en 1916, « il n’y a rien de rigide ni d’absolu en matière administrative ; tout y est question de mesure9. »
4Qui plus est, la « gestion » se révèle être surtout un outil heuristique précieux pour comprendre et encadrer d’un point de vue historique et conceptuel l’essor du service public en tant que modalité éminente de la prestation étatique à l’égard des citoyens.
5Mais avant d’analyser le phénomène en question, une précision terminologique est nécessaire. Le terme « gestion » est ici employé comme un équivalent du terme anglo-saxon « management », les deux étant à leur tour synonyme d’ » administration ». L’usage indifférencié de ces trois mots sera maintenu au cours de cet article comme règle générale. Entendus dans l’acception dynamique dérivée de leur verbe respectif, « gestion », « management » et « administration » partagent une signification presque identique, proche de l’idée d’organisation, à l’opposé de l’improvisation. Ces mots indiquent, dès lors, les procédés et les moyens pour instituer, maintenir et contrôler un ordre donné à l’intérieur d’un ensemble social pour atteindre les buts qu’il s’assigne.
LA « GESTION » DANS LE DISCOURS DU DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
6La connotation actuelle du concept de gestion se ressent, en France, de certains événements qui se sont produits au tournant du xixe siècle. À ce moment, à la faveur d’un interventionnisme étatique croissant, la science du droit administratif s’attachait à élaborer une grille d’intelligibilité générale pour la notion de service public. Il fallait encadrer la prestation administrative dans des lignes de principe justifiant la conduite étatique : la légitimité de celle-ci ne pouvait plus reposer sur le pur exercice de la puissance publique, car la production d’une utilité sociale était désormais requise. Le respect de la loi dans la démarche administrative devait être accompagné par l’agencement d’une stratégie aboutissant à une série de résultats économiques et sociaux. En réalité, le processus ou l’État s’engage à exploiter directement des secteurs entiers de l’économie remonte, comme on le sait, au début du xixe siècle et précisément à la loi du 21 avril 1810 instituant le régime de monopole sur les mines. À partir de là, l’idée d’utilité publique légitimant la production d’un service public apparaît et commence à progresser. Ensuite, ce fut au tour des chemins de fers, dont la loi du 11 juin 1842 établit les modalités d’exploitation par concession de l’État, avant que la loi du 18 mai 1878 crée le réseau de l’État. Vers la fin du siècle, les juristes commencent à s’interroger sur cette expansion de la mainmise étatique sur la richesse nationale, ce qui les oblige à repenser les formes opératoires d’une fonction souveraine qui serait plus proche des besoins collectifs10. Par la catégorie de « gestion administrative », ils se représentent ainsi le modèle d’une puissance publique s’exerçant moins sous la forme de l’autorité unilatérale que sous le signe de la collaboration avec les administrés. On doit à Maurice Hauriou (1856-1929) l’étude systématique des actes de gestion en tant qu’opposés aux actes de puissance. Par ceux-ci, le pouvoir public exprime sa fonction de commandement sur un milieu (les administrés et les fonctionnaires) censé être le destinataire passif de cette force d’injonction : un acte de nomination, par exemple, offre l’exemple classique de ce genre de pouvoir. En revanche, par les actes de gestion « l’administration apparaît tantôt comme un pouvoir qui s’affirme, tantôt comme un service, c’est-à-dire un travail, qui s’accomplit11. » Dans une concession sur le domaine public, les concessionnaires peuvent occuper le domaine pour réaliser un intérêt strictement privé, comme c’est le cas d’une culture agricole ; ou bien ils peuvent fournir un service public, tel que le réseau des chemins de fer. Dans le premier cas, faute de collaboration à un intérêt général de la part de l’administré, il y a une situation de puissance, alors que l’exécution d’un travail utile à la collectivité inscrit le second type de concession dans une situation de gestion. Ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que dans l’exécution d’un service public la puissance publique disparaît, car la contrainte reste toujours le ressort ultime pour amener les individus à collaborer12.
7Hauriou parvient ainsi à distinguer in abstracto deux modes de fonctionnement du pouvoir administratif qui dans la réalité sont indissociables. De même, il ne faut pas non plus reconnaître une validité absolue à la formule habituelle selon laquelle l’État agit comme une personne de droit public dans les actes de puissance, alors que dans ceux de gestion il opère comme une personne de droit privé, c’est-à-dire comme fisc. Mais même dans ce cas, la distinction est plus virtuelle qu’effective13. Pour saisir l’aspect strictement gestionnaire de l’activité administrative, c’est-à-dire son dynamisme productif et non simplement l’autorité statique de sa souveraineté, la collaboration du milieu administrable apparaît le critère décisif. La gestion se manifeste lorsqu’a lieu un travail de coopération prolongée et continue entre la volonté publique d’une part et les citoyens et les fonctionnaires de l’autre. Selon Hauriou, le service public est précisément l’accomplissement de cette rencontre entre la décision de l’autorité et le concours actif des sujets impliqués dans la réalisation de la volonté publique14.
8On peut constater, à cet égard, un certain parallélisme avec les pratiques gouvernementales de l’Ancien Régime. Au xviie et xviiie siècles, les dispositifs de police favorisaient la mise en action de la souveraineté sur le terrain de l’administration concrète des hommes et du territoire, tout en montrant l’insuffisance d’un pouvoir qui se limitait à dispenser la justice et cultivait sa distance souveraine. À la fin du xixe siècle, nous retrouvons un rapprochement analogue entre l’exercice de l’autorité publique et les destinataires de son action grâce à cette construction juridique nouvelle qu’est le service public. Le service public, en tant que prestation spécifique d’une administration gestionnaire, s’affranchit de toute vision mystique de l’État. Pas de transcendance de la volonté souveraine, la force et l’autorité de l’État résultent des performances qu’il est capable d’assurer. En définitive, loin du modèle classique de la puissance et de ses prérogatives du commandement et de l’interdit, la gestion renvoie avant tout à une attitude étatique qui consiste à prendre en charge les besoins économiques : actes de propriété, emploi de la fortune publique, entretien des entreprises d’intérêt commun, etc. Les actes de gestion gouvernent le cours ordinaire des rapports sociaux, alors que les actes de puissance relèvent essentiellement du symbolisme de l’imperium et donc de situations solennelles, exceptionnelles voire violentes. En tout cas, lorsque l’administration moderne incarne le mode de la puissance, elle apparaît historiquement comme le produit de la révolution de 1789 et, conformément à cette origine, elle fonctionne comme une institution de conflit plutôt que de paix, le rapport avec les administrés étant moins par hypothèse de l’ordre de la proximité que de la rupture. En revanche, cette dimension du conflit et de la contrainte tend à s’affaiblir lorsque l’État se fait gestionnaire et organise ainsi les moyens nécessaires à l’appropriation, à la production et à la jouissance collective des avantages indispensables au public15. Ce modèle de collaboration entre pouvoirs publics et citoyens a été favorisé, en France, par l’essor du mouvement de décentralisation territoriale qui démarre avec la monarchie de Juillet et se précise au cours du siècle jusqu’aux lois du 10 août 1871 et du 5 avril 1884, qui reconnaissent la valeur de droit commun aux délibérations des conseils généraux et municipaux. Ce qui a fait dire à un élève d’Hauriou que « la décentralisation est une tendance à la dégradation de l’administration publique vers l’entreprise privée ; la collaboration est la tendance réciproque à l’ascension de l’entreprise privée vers l’administration publique16. »
9Le cadre philosophique inspirant cette vision dans laquelle l’État et l’individu ne sont pas deux éléments antagonistes a à peine besoin d’être évoqué : c’est la conception organiciste du droit aboutissant à une théorie institutionnelle d’après laquelle l’ordre juridique est la synthèse de plusieurs activités, dont l’activité étatique n’est qu’une parmi d’autres (la famille, les corporations, les associations, la commune, etc.). Toutefois, il ne nous intéresse pas ici de revenir sur ces questions générales de doctrine, ni sur le fond autoritaire de la théorie institutionnelle. Nous essayons plutôt d’évaluer les implications pratiques de la gestion administrative. Une conséquence importante, par exemple, s’attache à la distinction entre les actes de puissance et les actes de gestion. Grâce à ce rapport de coopération, entre l’autorité d’une part, et les fonctionnaires et les administrés de l’autre, la capacité d’intervention du juge en cas de litiges sur les actes de gestion est assez étendue. Il ne se limite pas à annuler les actes qui font l’objet d’un recours selon la formule typique de l’excès de pouvoir, mais il est autorisé à substituer sa propre décision à celle des autorités administratives, tout en prolongeant ainsi l’œuvre de coopération avec les administrés17. C’est pourquoi le contentieux est dit de pleine juridiction, à la différence de celui, plus restreint, de l’annulation simple, car ses effets sont plus variés. Le moment juridictionnel, ici, ne sert pas à réparer l’atteinte à l’ordre formel du droit dont la violation d’un intérêt particulier serait la conséquence secondaire. Le juge intervient plutôt en accord pragmatique avec l’acte administratif qui fait objet d’un recours, tout en lui assurant les opérations d’exécution concrète. La rupture de la règle ne représente pas le fait majeur qui mobilise l’intervention du juge, celui-ci étant appelé moins pour constater et sanctionner que pour participer à une œuvre de « production ». La gestion exige une tendance permanente et illimitée à administrer, même dans les situations où il s’agit de rendre un jugement. Elle se situe dans l’ordre temporel de la durée et dans le mode fonctionnel de la réitération des actes. Son esprit est la recherche du compromis entre l’administration et l’administré, ce dernier étant considéré comme le socium d’une entreprise commune – la production du service public – et non comme, le destinataire d’un acte de pouvoir18. En revanche, l’annulation de l’acte administratif s’achève dans l’unicité de la décision juridictionnelle, de même que la situation de puissance s’accomplit dans le geste instantané du commandement souverain.
10En d’autres termes, les situations de gestion se fondent sur le travail réciproque entre l’autorité et les citoyens et, par conséquent, sur la légitimation d’un consentement qui tient lieu à la fois de condition d’existence et d’efficacité de certains actes administratifs. Dans un État gestionnaire, le droit recèle une force avant tout constitutive et non simplement impérative, les idées de prescription et de transcendance souveraine étant en principe cantonnées par les exigences d’organisation et de continuité réglementaire. Le fonctionnement de l’État gestionnaire dessine ainsi une spatialisation horizontale du pouvoir qui, tout en se plaçant en contact actif avec le public, accroît les effets d’une normativité moins hiérarchique et plus diffuse. Dans les situations de puissance, l’administration rencontre l’administré comme un pur voisin, comme une présence contingente placée sur cette frontière de la légalité qui ne peut pas être franchie par l’autorité. Le règlement de la chose publique est une affaire objective et exclusive de l’administration, qui agit pour elle-même et circonscrit la prétention des citoyens au déroulement légal des actes publics. En revanche, les situations de gestion impliquent une forme de negotium entre les parties. L’administré détient à l’égard du pouvoir public des droits qui portent sur les contenus mêmes de la conduite administrative19. On comprend bien alors la remarque quelque peu sibylline d’Hauriou, qui constate combien la catégorie de la gestion « est souple, insinuante, agent indéfini de progrès pour le Droit administratif20. »
11Ce déplacement introduit par les actes de gestion est à l’origine de deux conséquences majeures. D’abord, les rapports gestionnaires impliquant une proximité de positions de tous les acteurs qui concourent au service public, la fonction juridictionnelle ne se borne pas à constater la lésion des intérêts particuliers à cause de l’activité administrative ; elle doit plutôt s’attacher à assurer la continuité gouvernementale, c’est-à-dire l’accomplissement des prestations qui réalisent un service public.
12Ensuite, un acte de gestion ne se limite pas à mettre en place la prestation de ce service. Puisque sa logique affecte la fonction judiciaire en tant que telle, il produit un autre effet. Dans un État gestionnaire, la tâche de rendre justice contribue à une logique gouvernementale qui vise à l’efficacité. La gestion permet ainsi de dépasser la séparation classique entre les fonctions d’administrer et de juger. Les deux sont maintenant réunies sous l’égide d’un dispositif synthétique de la puissance étatique. Marque historique par excellence de l’autorité souveraine et de sa volonté décisoire, l’exercice de la justice commence lui aussi à être saisi, à la fin du xixe siècle, par l’esprit coopératif propre à la gestion. Derrière les relations de puissance classiques, la vision d’un consortium social et administratif se détache :
« Pouvons-nous dire, se demande Hauriou, qu’il y ait collaboration du milieu administrable au service de la justice ? Certes et de plusieurs façons. Tous par notre confiance en l’habileté et en l’impartialité des magistrats, nous contribuons à l’autorité de la chose jugée. Dans les instructions criminelles, les témoins concourent à la recherche de la vérité, la Presse y participe quelquefois : l’inculpé lui-même y contribue, puisque notre législation admet l’interrogation de l’accusé. À ce point de vue, l’œuvre judiciaire est bien en collaboration, il ne s’agissait que d’oser s’y placer21. »
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13Dans cette première esquisse de la gestion par les publicistes, nous percevons plus le souhait d’une philosophie politique harmoniciste (l’État comme une grande corporation) que les potentialités d’un outillage normatif. En effet, le but est de légitimer sur des bases nouvelles la rencontre entre la volonté politique et la société, alors que la tentative de construire un instrument réglementaire apparaît moins réussie. Sous ce point de vue, le discours juridique sur la gestion, bien que formulé par des juristes conservateurs, rejoint de facto les aspirations du socialisme réformateur du début du xxe siècle. L’affirmation d’un État comme institution coopérative au détriment d’un État comme appareil de contrainte rencontre les visées d’une tradition théorique (de Saint-Simon à Jaurès) préconisant la transformation des rapports de gouvernement, verticaux et discrétionnaires, en rapports de gérance associative. Dans un régime ainsi fondé, souligne Vandervelde, « l’État-Gouvernement s’en est allé rejoindre le rouet et la hache de bronze au musée des antiques, cédant la place à l’État-administration, qui n’est rien d’autre que l’ensemble des fonctions et des organes, ayant pour objet d’assurer la plus forte production et la plus juste répartition des richesses22. »
14Comme la pensée socialiste, les juristes recourent donc à la notion de gestion administrative au nom d’approches foncièrement idéologiques. Les remarques d’Hauriou, à cet égard, saisissent parfaitement la mission politique dont se chargent les États gestionnaires : « Bien que notre état social soit, de plus en plus, fondé sur la richesse, bien que la chose publique nous apparaisse, de plus en plus, comme une entreprise nationale, de commerce, d’industrie et de finance, je ne crois pas qu’en réalité le travail d’exécution des services publics produise uniquement un résultat économique. Je crois qu’il contribue aussi, par la centralisation qu’il crée, à constituer et à maintenir l’unité politique du pays23. »
15Il n’est pas question, ici, de discuter le bien fondé de cette thèse. En revanche, nous voudrions souligner que, malgré un programme aussi ambitieux, la gestion administrative évoquée par Hauriou reste, sur le plan du droit, une notion somme toute doctrinale, dépourvue d’une véritable force pragmatique. Les exemples qu’il fournit au cours de son ouvrage font preuve d’une souplesse interprétative et systématique propre au dogmaticien, mais ils ne décèlent guère les potentialités d’un outil réglementaire et opératoire24. La technique normative de la gestion ne retient pas l’attention du juriste. Est évidente, à cet égard, la difficulté du droit public à s’emparer d’une institution que le droit civil, au contraire, maniait avec succès depuis longtemps. Comment façonner une idée de gestion qui ne reste pas calquée sur la forme de la negotiorum gestio du droit privé romain ? Voilà le défi à peine saisi mais visiblement manqué par le discours du droit public. On aurait pu s’attendre à ce qu’Hauriou, pour ne considérer que le plus éminent des auteurs qui se sont occupés du sujet, introduise quelque distinction en élaborant la conception de la gestion administrative. Régir un service public, en effet, est tout autre chose que gérer un patrimoine quelconque. Il y avait ici un écart évident à signaler. Mais le juriste ne se livre à cette distinction incontournable que sous l’angle de la théorie du droit. Il se contente de se demander si la gestion administrative relève du droit privé ou public et si la collaboration qu’elle implique la ramène à un rapport contractuel ou bien de puissance publique. Dans le premier cas, la gestion serait l’instrument d’une administration réduite au fisc ; dans le second, la gestion resterait rattachée à la personnalité de la puissance publique. D’après Hauriou, seule une gestion bien enracinée dans un cadre public des rapports éviterait un retour à la féodalité25. Ces remarques théoriques ne problématisent en rien le contenu technique et réglementaire de la gestion administrative, même si le déroulement cohérent de certains principes sur la fonction administrative avait pu conduire Hauriou vers un tel résultat26. En revanche, il se limite à un emploi analogique du terme « gestion », sans pour autant s’interroger sur l’ensemble de ses propriétés techniques, que seule une enquête historique pouvait mettre à jour : « L’objet essentiel de la fonction administrative est une gestion d’affaires. L’administration est le gérant d’affaires du public27. »
16Hauriou ne réussit pas à définir la spécificité de la gestion dans le domaine administratif sans recourir au droit civil. En outre, il a besoin de se réclamer d’une philosophie étatique plus générale, en s’évadant hors du droit. Par ailleurs, d’autres raisons pouvaient rendre ce projet quelque peu difficultueux. Hauriou écrit dans cette période cruciale où l’élaboration d’une théorie économique de la gestion allait peu à peu s’épanouir d’une manière systématique. La concurrence du modèle gestionnaire d’entreprise commençait à déplacer les enjeux sur un terrain qui n’était plus strictement juridique, car d’autres pratiques réglementaires et organisationnelles étaient prêtes à forger cette fonction complexe. Et d’ailleurs, il suffit de revenir à certaines considérations de Hauriou lui-même pour s’apercevoir de la nette influence que le lexique économique exerce désormais sur le raisonnement et le langage du juriste :
« L’entreprise administrative doit être considérée comme une entreprise juridique de gestion d’affaires. D’une part, quand l’administration organise un service public et l’exécute, elle fait l’affaire du public ; d’autre part, elle n’est pas un mandataire du public, elle n’a pas contracté avec le public, elle agit en vertu de son autonomie et de sa souveraineté ; c’est elle qui prend l’initiative de s’immiscer dans l’affaire. Ce sont bien là les éléments essentiels de la gestion d’affaire28. »
17Les réflexions d’Hauriou représentent l’effort le plus systématique sur un sujet destiné à devenir de moins en moins malaisé pour les juristes. La gestion, en effet, entrera par la suite dans le système conceptuel et linguistique de la science administrative pour distinguer les cas où l’administration agit sous forme de gestion publique ou privée. Et même la distinction classique entre actes de puissance (ou d’autorité) et actes de gestion finit par être vidée de sa raison d’être, la fonction administrative se qualifiant désormais selon un nouveau régime binaire : les activités administratives qui constituent un service public sont séparées des autres activités publiques ne remplissant pas cette fonction. En outre, dans l’exécution des services publics, la jurisprudence repérera des éléments de gestion publique soumis au juge administratif et des procédés de gestion privée qui relèvent du juge ordinaire (en matière de contrat, par exemple). Par la création jurisprudentielle (Tribunal des conflits, arrêt bac d’Eloka du 22 janvier 1921) de la catégorie des « services industriels et commerciaux » on parvient ainsi à isoler un domaine entièrement soumis aux règles du droit privé, les procédés publics de la gestion administrative en étant exclus par principe29. Dans sa double nature, la gestion sert ainsi à différencier les régimes juridiques des prestations publiques et les organes juridictionnels compétents. Pour les juristes, en définitive, la « gestion » représente un concept classificatoire, plutôt qu’un pouvoir doté d’un contenu normatif spécifique. Nous voyons se dessiner ainsi un dispositif structuré sur le schéma du droit civil et qui s’ouvre sur le modèle économique de l’entreprise. Nous devons maintenant prêter attention à ce dernier, car le discours sur le management industriel apparaît précisément au début du xxe siècle.
LA « GESTION » ET L’ENTREPRISE
18En réalité, la distinction même entre une gestion « juridique » propre à l’administration publique et une gestion « économique » propre à la direction des entreprises est loin d’être fondée sur le plan autant doctrinal que concret. Il suffit de penser au phénomène décrit comme « industrialisation de l’État » qui s’impose en France et en d’autres pays européens après la Première Guerre mondiale. Face à la nécessité, à cette époque, d’un étatisme en pleine expansion, les appareils bureaucratiques accablés par les méfaits de la paperasserie et par la lenteur des procédures ne se révélaient plus être adéquats à la transformation en cours. Les faiblesses administratives de l’État se traduisaient ainsi, comme le signalait Henri Fayol (1841-1925), « en imprévoyance, organisation défectueuse, mauvais commandement, incoordination et contrôle insuffisant », à savoir en la négation des critères à la base d’une bonne administration30. Les inconvénients dans la machine étatique étant évidents, on commence à s’interroger sur la possibilité de régler les services publics à l’image du régime des établissements privés. Un juriste proche de Fayol, Henri Chardon, par exemple, prône l’idée d’une organisation rationnelle valable aussi bien pour les activités économiques que pour les prestations publiques. L’intervention étatique dans le secteur économique et financier apparaissant de plus en plus incontournable après la guerre, l’exigence d’une rationalité gestionnaire unitaire s’imposa, tout en dépassant le clivage traditionnel entre le mode étatique et le mode industriel. Dès lors, la fusion des deux systèmes se dessine comme « le régime de l’avenir », car l’administration est appelée à produire une utilité sociale, tout comme l’entreprise doit produire une utilité économique31.
19À la lumière de ce continuum organisationnel tendant à estomper les différences contextuelles, une analyse conceptuelle complète et détaillée de la gestion doit néanmoins s’arrêter sur les critères administratifs propres à l’entreprise, dans la mesure où celle-ci constitue un laboratoire de pratiques gouvernementales. L’œuvre de Fayol et le mouvement du fayolisme ont été largement étudiés et il n’est pas question ici de revenir en détail sur ce sujet32. Cependant, il nous paraît opportun d’évoquer les quelques concepts fondamentaux dégagés par le système d’organisation de Fayol, sans prendre en examen les autres modèles de l’époque. Nous nous contentons ici de rappeler qu’à la même époque Frederick Taylor aux États-Unis et Aleksandr Bogdanov en Russie partageaient la même conviction sur l’existence d’un mode administratif unique. Taylor n’hésitait pas à accorder une valeur universelle au management en tant que fonction s’appliquant à toute activité humaine, « depuis les actes individuels les plus simples jusqu’aux travaux complexes des grandes sociétés33. » Bogdanov visait à montrer comment la pensée contemporaine, pour franchir les limites de la spécialisation du travail, préconisait désormais l’unité fondamentale des méthodes d’organisation : « Il est indispensable de lier harmonieusement – écrit-il en 1916 – l’expérience organisationnelle disparate de l’humanité : une science organisationnelle nouvelle est indispensable34. » Et Fayol, quant à lui, reconnaissait que les principes d’organisation sont valables pour toutes sortes d’entreprises, de l’industrie à l’État en passant par la famille, « quelle que soit leur nature, leur but et leurs proportions35. »
20Curieusement, tout en exhibant une ignorance historique bien calculée, les pères fondateurs du modèle managérial ont recours au même argument déjà utilisé par les premiers écrivains mercantilistes trois siècles auparavant : comme pour ceux-ci, il n’existe qu’une seule rationalité gouvernementale dont les principes et mesures s’appliquent aussi bien à l’oikos qu’à la manufacture et à l’État. Il s’agit dès lors de récupérer cette unité brisée entre politique et économie depuis qu’Aristote et Xénophon les avaient séparées à jamais36. Mais loin de se résoudre dans la restauration d’une identité perdue, l’universalité de la pensée organisationnelle surmonte même les oppositions les plus tenaces que le xxe siècle a engendrées. Lorsque l’on a affaire aux principes d’organisation, en effet, la question cruciale relative à la propriété des moyens de production se dissout : qu’il s’agisse d’une économie capitaliste ou d’un régime collectiviste, « les problèmes d’organisation se situent en dehors de la question de l’appropriation des moyens de production », comme le rappelle encore un épigone de Fayol sous Vichy37. L’intérêt de Lénine pour la normalisation de la fonction bureaucratique n’est d’ailleurs pas un mystère de même que pour le taylorisme dans le domaine industriel – système dont il souhaitait mettre à profit les acquisitions scientifiques sur le plan de la productivité du travail, tout en les séparant du cadre de l’exploitation capitaliste. Selon la vision classique du matérialisme dialectique, l’outillage technique conçu par Taylor aurait pu se mettre au service de la cause socialiste, en se tournant ainsi contre le système qui l’avait engendré. Il va de soi que Taylor pensait exactement le contraire : il citait les cas de socialistes qui, ayant fait l’expérience de nouvelles méthodes de travail, abandonnaient leur doctrine au bout de quelques années38. En tout état de cause, la création en 1923 du Conseil central de l’organisation scientifique de l’Union soviétique répondait précisément à l’exigence d’étudier les règles pour la direction technique des entreprises ainsi que les aspects psychologiques et physiologiques des ouvriers, leur protection, la préparation et amélioration de leurs attitudes professionnelles, il était question, en définitive, de bâtir un laboratoire de réflexion et de décision sur le management des conduites humaines39.
21Mais revenons à Fayol. Comme on le sait, les bases méthodologiques et la conception administrative de cet ingénieur et directeur de la société métallurgique Commentry-Fourchambault de 1888 à 1918, sont très élémentaires : observation, expérience et raisonnement. Tout en s’appuyant sur une tradition de pensée qui remonte à Descartes et arrive à Comte en passant par C. Bernard, Fayol ébauche une démarche expérimentale lui permettant d’isoler une rationalité administrative globale. Dès que l’on observe la vie d’une institution sociale, ainsi que le médecin fait avec le corps humain, il apparaît que les données de l’expérience trouvent leur cohérence autour d’une série de fonctions constantes ayant dès lors une validité générale. Ce sont les opérations bien connues de prévoyance, organisation, commandement, coordination et contrôle, qui rendent tout le sens du verbe « administrer » et de son équivalent « gérer ». En projetant les résultats de son travail d’ingénieur sur une échelle plus vaste, Fayol plaide pour une industrialisation de l’État qui ne signifie pas simplement répandre l’intervention étatique dans le domaine de la production industrielle. Par cette expression, il entend plutôt le transfert à l’administration publique des critères de fonctionnement observés dans les entreprises privées40.
22Joseph Wilbois et Paul Vanuxem, tous les deux membres de la Société internationale de science sociale, ont mieux précisé les enjeux implicites dans la pensée du maître. Dans leur ouvrage célèbre, Essai sur la conduite des affaires et la direction des hommes, paru en 1919, le concept de gestion recouvre un tel rôle catalyseur que toute distinction entre secteur privé et secteur public devient archaïque. À l’instar de la méthode sociologique de Durkheim, ces auteurs considèrent l’État comme un groupement cumulatif dont l’industrialisation consiste à différencier les tâches complexes en plusieurs tâches définies, confiées chacune à une organisation du genre entreprise. Même le Parlement doit adopter les procédés industriels dans sa fonction spécifique qui consiste précisément à fabriquer les lois. Qui plus est, Wilbois et Vanuxem songent à une telle extension des méthodes industrielles que l’objectif ultime d’une administration expérimentale reste l’opinion publique :
« Polariser l’opinion, c’est ce que les Anglais et les Américains font depuis longtemps, par des livres, par des articles, par des conférences ; ainsi la campagne du président Wilson pour "contraindre" sa nation à vouloir la guerre "librement" ; ce que les Anglo-Saxons, spécialistes d’une publicité de bon aloi, ont fait avec tant de succès, nous, devenus spécialistes de l’administration, nous pouvons nous promettre un rendement supérieur au leur dans nos campagnes pour administrer l’opinion41. »
23Calqué sur cette forme productive, l’État perd ainsi le caractère régalien qui faisait du prince le bénéficiaire de toute prestation publique et du commandement son instrument principal. L’État moderne, au contraire, est fait pour servir le public et « son problème capital est un problème de gestion42. » Nous retrouvons donc aussi chez les directeurs d’entreprise les mêmes arguments employés par les juristes pour expliquer la nouvelle attitude gestionnaire de l’État.
24À la lumière de ce qui précède, nous voyons se dessiner un concept d’administration/gestion résolument moniste : « administration » renferme, en termes d’unité complexe, une multiplicité de pratiques et un faisceau de moyens dotés de leur propre évidence et autonomie. Par cette prérogative, l’administration neutralise la spécificité des « sujets » qu’elle régit, tout en s’imposant comme technique gouvernementale formelle et abstraite. Administration, en définitive, ne désigne rien d’autre qu’une boîte à outils acéphale, à savoir un contenant nominal pour des façons de faire hétérogènes.
25Mais un autre aspect de la conception administrative de Fayol mérite ici d’être signalé, car elle affiche un trait tout à fait modernisateur. En se démarquant d’une tradition juridique très ancienne qui impose à tout administrateur l’obligation de rendre compte de son activité, Fayol déplace l’essence et, pour ainsi dire, la scientificité de l’administration de sa dimension proprement comptable. En général, la confiance optimiste dans la vérité des nombres contraste avec sa démarche expérimentale d’ingénieur chevronné ; pour lui, il n’y a que la vérification factuelle comme méthode apte à comprendre les phénomènes sociaux, y compris la direction de l’entreprise ou d’une institution publique43. Mais au-delà de ce scepticisme programmatique sur la force d’intelligibilité des mathématiques pour le gouvernement des affaires, Fayol rejette l’équation entre administration et calcul précisément sur le terrain élémentaire de la documentation des entrées et des dépenses :
« Pour justifier l’absence dans les Services Publics des procédés administratifs usités dans l’Industrie, on allègue qu’il n’y a pas dans l’État comme dans l’Industrie, un compte de profits et pertes qui signale périodiquement et à date fixe le résultat des opérations. C’est vrai et l’on peut le regretter. Mais la plupart des services des entreprises privées n’ont pas, non plus, de compte de profits et pertes, et cela ne les empêche pas d’être soumis aux bonnes pratiques administratives44. »
26Alors que dans l’idée d’une administration réduite au langage formel des chiffres, l’essence de celle-ci coïncide avec un critère de preuve, selon Fayol elle consiste, au fond, dans la capacité d’organisation. L’administration apparaît ainsi comme l’aboutissement d’une mise en ordre dynamique. L’efficacité des pratiques gestionnaires ne se dévoile pas dans des indices comptables ; elle tient plutôt à l’application de la méthode expérimentale qui, à son tour, assure la rationalité du service à produire. La démarche contient ainsi la mesure de la performance et du fonctionnement général de l’institution. Le « quantitatif » budgétaire ne dévoile pas la réalité vraie de la gestion, tandis que l’agencement d’une série d’opérations matérielles et intellectuelles atteint par hypothèse ce but. Le système administratif de Fayol pourrait, à la limite, se passer d’une transposition comptable de la gestion, et donc du fondement primaire de l’administration au sens classique45. Pour la compréhension de l’activité administrative, il ne faut pas chercher dans le barème du bilan la recette de la bonne conduite, alors que le respect de certains procédés intellectuels et de certaines pratiques favorise, par présomption d’efficacité, la réussite des affaires envers le secteur privé et l’intérêt général envers les services publics.
OBSERVATIONS
27Il convient de proposer ici quelques considérations. La vision unitaire de l’administration soutenue par Fayol est riche en conséquences qui retentissent sur certains débats récents. Une approche aussi technicisée du concept d’administration permet, en effet, de s’écarter de la querelle presque endémique entre les défenseurs d’une vision juridique de l’administration d’une part et les partisans d’une réforme administrative inspirée par les impératifs managériaux de rentabilité, efficacité et compétitivité d’autre part46. C’est dire que, pour une histoire des techniques normatives, l’opposition entre rationalité juridique et rationalité gestionnaire apparaît quelque peu révolue et, en tout cas, plus apte à décrire des enjeux politiques et idéologiques qu’à dégager le fonctionnement de dispositifs concrets47. En revanche, si l’on s’en tient à une analyse objective des moyens, à la logique de leur fonctionnement, le management semble s’accommoder également de l’administration publique et de ses formes essentiellement juridiques, de sorte que cette alliance apparaît beaucoup moins une nouveauté que ce qu’on a l’habitude de croire48.
28Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur l’origine de ce mélange entre procédures étatiques et critères d’entreprise. Le phénomène ne reflète pas simplement les exigences propres à la pensée libérale, de même qu’il n’est pas la conséquence des ajustements fournis par la doctrine et la jurisprudence. Ni la philosophie politique, ni la théorie et la philosophie du droit, ni la pratique et la réflexion administrative n’ont entièrement préparé un socle commun à l’administration étatique et au management d’entreprise. Celle-ci jaillit d’un foyer plus profond, tenant essentiellement à l’action humaine orientée sur des buts concrets. La leçon de Max Weber reste en l’espèce incontournable : l’agencement rationnel des moyens pour atteindre des objectifs représente l’explication fondamentale de l’émergence d’une rationalité administrative lato sensu. Le passage ultérieur, au-delà de Weber lui-même, consiste à reconnaître la force intrinsèquement volatile de ces moyens, leur capacité de s’affranchir de toute appartenance rigide aussi bien à leur matrice première qu’aux objectifs en vue desquels ils ont été élaborés. Il ne s’agit pas tant d’estomper la division célèbre entre rationalité des valeurs (Wertrationalität) et rationalité des buts (Zweckrationaliät), et il ne s’agit pas non plus de mitiger l’écart entre rationalité juridique et rationalité managériale au nom d’un relativisme casuistique. La Zweckmäßigkeit, l’adéquation à atteindre les fins poursuivies, n’indique pas une mesure de rationalité exclusive et interne à chaque moyen. Les moyens, au contraire, sont susceptibles d’emplois multiples et peuvent, comme tels, revendiquer leur propre autonomie opérationnelle. Tout moyen est, avant tout, serviteur de lui-même, comme le savent bien les pénalistes49. Il n’y a aucune contrainte logique qui empêche de considérer un moyen comme principe et fin en soi. Mais même s’il y en avait, il reviendrait à l’histoire de démentir cette fausse incompatibilité. Par exemple, lorsqu’on se réclame, aujourd’hui, du principe de précaution en matière de santé et d’environnement, on se réjouit de croire qu’une nouvelle prudence pragmatique, accompagnée de ses propres instruments régulateurs, s’impose. En vérité, à un examen historique plus attentif, le soi-disant principe de précaution apparaît déjà inscrit dans nombre de dispositifs réglementaires qui parsèment les sources du droit public moderne. La stratégie préventive a été depuis toujours une prérogative des autorités de police européennes qui l’ont appliquée aux objets les plus disparates : approvisionnement, salubrité de l’air, protection du crime, etc. Ce qui s’affiche sous l’enseigne de principe de précaution n’est rien d’autre, alors, que la consolidation idéelle d’un nombre énorme et de plus en plus structuré de pratiques normatives, visant à anticiper l’ordre de la réalité. Et le long apprentissage historique permet à ces règles de migrer d’un domaine à l’autre et d’un temps à l’autre avec une relative souplesse, sans aucune allégeance à un quelconque secteur électif.
29Il ne nous paraît pas abusif, finalement, d’affirmer que le degré de rationalité d’un moyen normatif est en fonction de son degré de mobilité et que plus l’analyse historique atteste la tendance d’une technique réglementaire à se délocaliser, plus celle-ci est rationnelle. Si l’on s’accorde sur le fait que le droit est loin d’être réductible à la totalité d’un système cohérent, alors l’histoire du droit peut être conçue aussi comme le repérage des flux de dispositifs circulant d’un contexte à l’autre et sur une échelle temporelle très vaste. Faire l’histoire du droit administratif peut signifier alors quatre choses : reconstruire une carte des chantiers où se sont façonnées les règles affectant l’ordre opérationnel d’une collectivité et la conduite de ses membres ; analyser les caractéristiques de ces règles (structure, fonction, finalité) ; étudier les croisements entre différents modes de normativités (juridique, morale, religieuse, sociale, économique, etc.) ; détecter les parcours de transmission des techniques juridiques aussi bien en sens vertical (au fil des siècles) qu’horizontal (d’une institution à l’autre).
30Sur la base de ces points de repère généraux, pour revenir à notre thème, il sera possible d’envisager une vaste panoplie de moyens normatifs impliquant une façon d’instaurer un ordre sur les choses, les hommes et les actions. Il ne revient qu’à l’interprète de faire émerger une ligne de solidarité dans ce matériel hétéroclite. La définition quelque peu pompeuse de rationalité administrative fait l’économie, d’un point de vue linguistique, de cette réalité complexe, tout en facilitant ainsi l’échange communicationnel. Parler de rationalité administrative signifie alors constater la mise en œuvre d’une logique tout à fait distincte de celle du jugement ou de la décision, car dans ce domaine la règle de droit ne se qualifie nullement par rapport à des valeurs et s’impose, en revanche, comme une technique pure, sans raccord téléologique avec une instance idéale, morale ou plus simplement empirique. On comprend que l’émergence de cette strate de normativité ne saurait être interprétée à l’aide du trinôme weberien légal-légitime-rationnel, celui-ci étant un critère de formalisation systématique du droit qui, par hypothèse, neutralise tout fond pragmatique de la règle juridique. En faisant abstraction de cette réalité où la constitution d’un mode de faire se met en place, la conceptualisation juridique de Weber est inapte à penser le caractère juridique de l’« administrer » avant qu’un droit administratif légal, légitime et rationnel se soit édifié. Autrement dit, elle ne rend pas compte de la dimension opérationnelle primordiale du droit, une dimension qui surdétermine ce clivage construit par la doctrine, entre rationalité juridique et rationalité gestionnaire.
31Or, c’est précisément à la lumière d’un tel conditionnement historique du droit que nous percevons les limites de cette rhétorique plaidant pour une contamination de l’administration publique par les critères gestionnaires du monde des affaires, comme s’il s’agissait de deux domaines génétiquement antagonistes. À l’instar de cette conception, vers la moitié des années quatre-vingt, même un Premier ministre français préconisait le dépassement de cette opposition trompeuse public/privé au nom de l’indivisibilité de l’esprit d’entreprise50. Il s’agissait certes d’une suggestion contestable sur le plan politique, mais qui demeurait pourtant valide comme hypothèse historiographique. Les juristes, quant à eux, ont le plus souvent raisonné en termes de résolution d’une dualité et presque jamais en termes d’un paradigme administratif unitaire qui se serait multiplié en situations concrètes différentes. Et même si certains auteurs nuancent la dichotomie en parlant de deux modèles idéal-typiques, qui dans la réalité se plient toujours au compromis, ils ne postulent pas une source pratique commune à la base de cette rencontre, mais une combinaison acquise par échange, « entrecroisement », « imbrication », « parasitage ». En tout cas, la représentation est celle d’une rationalité juridique qui prend l’exact contre-pied de la rationalité gestionnaire, et vice-versa, alors qu’il faudrait plutôt reconstruire sur le plan historique le tronc commun à ces deux modes de régulation.
32La question devient donc celle de comprendre les conditions rendant possible l’articulation entre le droit et la gestion, faute de quoi on reviendra toujours à la thèse selon laquelle la concurrence du modèle gestionnaire n’apparaît sensible « qu’à partir du moment où l’on rétablit la flexibilité du droit51. » Autrement dit, un droit « faible », délesté de son poids de coercition unilatérale, pourrait se plier plus facilement à la souplesse gestionnaire et à son esprit « marchand ». En vérité, il nous semble qu’autant cette thèse se recoupe sur les exigences actuelles de plusieurs acteurs sociaux, autant elle n’est pas étayée par la tradition juridique. Au lieu de se rencontrer en supposant deux origines distinctes, le droit administratif et le management relèvent de la même épistémologie réglementaire. Et si l’on arrive à affirmer que la pensée juridique constitue un obstacle épistémologique au développement de la science administrative52, il revient à l’histoire du droit, mieux de la normativité administrative, de relativiser cet argument, les sources du passé nous renvoyant un tableau beaucoup plus articulé. À l’épreuve d’une épistémologie qui se veut historique et non simplement formelle, ce clivage s’estompe visiblement ; ce qui montre que les juristes n’aiment pas trop le recul dans une histoire de la rationalité qu’ils ne reconnaissent pas aussitôt comme juridique, bien que celle-ci affiche sans équivoque sa marque normative. Mais peut-être est-ce un travail historique sur la catégorie du normatif, avec toute l’envergure qu’une telle entreprise requiert, qui suscite le scepticisme des historiens, en secouant en même temps le repère mental des juristes. Ceux-ci tendent davantage à expliquer les normes par les institutions que le contraire, de sorte qu’il fait beau s’abriter derrière des dualismes conceptuels tels que la régularité du droit (et du modèle bureaucratique) d’un côté et l’efficacité du management (et du modèle de l’entreprise) de l’autre, la primauté des moyens dans un cas, la primauté des buts dans l’autre, ou encore l’ordre unilatéral et rigide du droit administratif opposé à la négociation et à la flexibilité de la conduite gestionnaire. En tout cas, lorsqu’il s’agit de trouver un principe fédérateur entre le modèle bureaucratique et le modèle de l’entreprise, c’est le pôle régularité/efficacité qui fonctionne comme fondement téléologique d’une seule rationalité administrative, celle-ci étant plus juridique du fait de sa régularité et plus managériale du fait de son efficacité. On postule ainsi une unité administrative sur la base de critères généraux, alors que la tentative de retrouver une racine commune sur le terrain matériel des modes de faire n’est même pas prise en compte53.
33Au jour du déplacement historique de cette fausse rivalité entre le droit et le management, on peut en outre revisiter un vieux topique de l’historiographie juridique, selon lequel le droit administratif français aurait acquis sa propre autonomie grâce à l’œuvre du Conseil d’État. Cette cour l’aurait doté de principes d’organisation propres et d’un appareil réglementaire hybride, mêlant aspects de droit privé et de droit public. En réalité, l’autonomie du droit administratif n’est pas seulement issue d’une création jurisprudentielle. Il n’est pas contestable, certes, que la jurisprudence ait cerné le domaine spécifique du droit administratif à l’intérieur de la summa divisio entre droit privé et droit public. Il n’en reste pas moins que la construction de la rationalité administrative est un phénomène qui dépasse largement la délimitation d’un secteur juridique nommé droit administratif, car il existe une primauté des moyens et des modes de faire qui ont travaillé tout au long de l’histoire à la normativité du réel. C’est dans cette zone beaucoup plus floue et difficile à ranger dans un système cohérent qu’il faudrait chercher la véritable originalité du droit administratif. Là gît le code fondamental d’un mode administratif unitaire dans ses applications multiples, mode qui est désormais enseveli par la différenciation académique et professionnelle du savoir. Il nous paraît essentiel, alors, de remonter jusqu’aux archétypes juridiques les plus lointains, parfois méconnus, afin d’analyser la longue trajectoire des pratiques et des concepts que la gestion abrite. Il ne serait pas anodin, par exemple, de montrer que les épîtres pastorales attribuées à saint Paul (65-67 après J.-C.) constituent un abrégé de science de l’organisation. À partir de celles-ci, une institution typiquement administrative telle que la « visite » (pastorale pour les institutions religieuses, fiscale pour les séculières) s’est intégrée dans les pratiques et la pensée juridique occidentales, moyennant, bien sûr, le legs du droit romain. L’idée de l’inspection et du contrôle s’impose depuis comme un moment essentiel pour le bon fonctionnement des bureaucraties étatiques ainsi que des entreprises : c’est le moment réflexif d’une institution qui se regarde au miroir pour évaluer et éventuellement corriger son modus operandi. Et pour poursuivre dans l’enquête historique ainsi envisagée, il serait essentiel de garder toujours à l’esprit une question : si des mots tels que administratio, cura, sollicitudo, gestio, etc. désignent, dans les sources classiques et modernes du droit, un ensemble de pratiques visant à organiser les choses, les personnes et les actions, en quoi la perception de la gestion à l’heure actuelle en sera affectée ? Ou à l’inverse : peut-on reconstruire une généalogie juridique de notions telles que la division des tâches, la distribution des rôles, le système d’autorité, le système de communication, le système de contribution-rétribution, bref de toutes ces notions considérées comme les traits fondamentaux d’une organisation54 ? Et lorsque la doctrine juridique parvient à généraliser la catégorie des normes d’organisation selon les trois types de normes de structure, d’action et de relation55, ne faut-il pas chercher, derrière ce travail de formalisation, une sédimentation historique souvent inavouée et pourtant déchiffrable ? Dans quels espaces collectifs, dans quels contextes institutionnels ont pris racine des pratiques normatives visant à la fois à agencer le groupe, en le dotant d’une charpente opérationnelle, et à régler les fonctions de ses parties pour la réalisation des buts poursuivis ? En définitive, l’enjeu serait de comprendre comment un faisceau de dispositifs régulateurs réussit à élaborer un sens que nous appelons aujourd’hui « gestionnaire », et dans quelle mesure les instruments du droit sont impliqués dans cette œuvre. Il a été observé que, en terme de gestion, « les outils changent sans cesse tout en restant profondément les mêmes56. » Faut-il attribuer cette invariabilité des outils gestionnaires seulement à une philosophie du profit qui apprivoiserait tout sous l’hégémonie d’un discours unique ? Ne serait-il pas possible, en revanche, de déceler le conditionnement structurel des règles derrière cet effet de permanence ? Et en particulier, la pratique et le discours du droit, à ses niveaux différents, ne seraient-ils pas capables d’expliquer ce noyau dur, tenace, à la base des instruments gestionnaires ?
Conclusion.
34Il est indéniable que nous vivons à une époque où la gestion s’impose par sa force de concept modernisateur et donc de rupture avec le passé. Elle se situe au cœur de la politique et de l’économie grâce à un outillage normatif très polyvalent. Dès les années quatre-vingt, on s’est habitué à écouter les épitaphes du politique écrasé par la puissance du verbe gestionnaire et de ses inexorables mécanismes. On comprend bien l’inquiétude qu’un tel basculement suscite dans les consciences les plus averties57. Toutefois, toute tentative de redonner un sens au politique resterait une aspiration infructueuse sans une analyse préalable des stratifications historiques que connaît la pratique gestionnaire, malgré son apparente jeunesse, depuis nombre de siècles. Certes, il est toujours souhaitable que la sauvegarde de la justice sociale et de l’espace collectif contraste avec les valeurs de l’efficacité et du profit privé, de même que les principes de légalité et d’égalité ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la performance rentable. Et il est toujours possible d’élaborer une vision critique en opposant à la technologie gestionnaire les arguments de la politique au nom de valeurs irréductibles à la loi du marché, aux sirènes de la performance et à ce patriotisme d’entreprise qui se veut à la fois efficace et éthique. Mais on ne le pourra qu’à la condition de se débarrasser de cette représentation naïve du conflit entre le vivere politico, comme le disait Machiavel, et une existence réglée par l’économie et son bras le plus armé, la pensée gestionnaire. Un travail historique visant à isoler cette dimension « neutre » des techniques normatives peut se révéler être ici plus bénéfique que tout militantisme idéologique. Dès lors que les techniques réglementaires deviennent le critère explicatif de la rationalité administrative, toute une série de thèmes qui ébranlent les démocraties contemporaines, tels le démantèlement de l’État-providence au bénéfice d’un État-entreprise en passant par l’État-régulateur, la crise du service public, la déréglementation, la souplesse du droit civil à l’encontre de la rigidité du droit public, la redéfinition de la notion d’intérêt général, se révèlent être secondaires pour l’intelligibilité du management comme concept pratique, tout en restant actuels sur d’autres plans.
35Qui plus est, à la lumière de ce déplacement d’analyse, la lutte entre « principes » ne nous apparaît plus comme l’enjeu décisif, puisque les véritables protagonistes sont les « moyens », ces instruments réglementaires dotés d’un statut irréductible à celui de la nature des choses ou d’une valeur quelconque. Ce profil instrumental du droit échappe aux explications politiques et institutionnelles, car sa vertu intrinsèque correspond exactement à sa souplesse opérationnelle. Seul un jus-naturalisme mal caché pourrait apprécier un tel infléchissement du droit comme une dégénérescence de la règle juridique, qui perdrait ainsi sa raison d’être authentique pour se subordonner à des finalités étrangères. En réalité, à un examen historique radical, le droit ne peut d’abord apparaître que comme un procédé pour résoudre des problèmes concrets et ensuite comme le gardien de certaines instances universelles, le deuxième aspect étant une conséquence éventuelle du premier. On ne saurait donc parler d’un droit saisi par la gestion (ou le management), comme s’il s’agissait d’un objet dénaturé par l’emprise d’une rationalité différente. Le point d’observation de l’histoire du droit étant adopté – ce qui n’épuise pas, bien sûr, la connaissance du phénomène, car l’objet se multiplie en raison des disciplines : il y a un droit des juristes, des sociologues, des philosophes, des anthropologues, etc. – le partage entre un droit prétendu « vrai » et un droit estimé « corrompu » n’a aucun sens, même si les juristes ne renoncent pas facilement à ce dualisme platonicien58.
36En tout cas, une telle représentation ne fournit pas à l’histoire du droit un argument critique pertinent, le critère d’évaluation pour celle-ci s’exprimant toujours en termes d’identité et de différence et non pas en termes d’essence et d’authenticité. Pour cette raison, loin de se découvrir solidaire avec un mythe technocratique, une étude des dispositifs gestionnaires doit garder toute sa distance vis-à-vis d’une idéologie managériale, à laquelle elle ne saurait prêter aucune caution historique et théorique.
Notes de bas de page
1 Dans cet article je reprends certains arguments que j’avais déjà développés dans « De Frédéric Le Play à Joseph Wilbois : les métamorphoses de la gestion administrative », Les Études sociales, n° 135-136, 2002, p. 39-65.
2 Émile Levasseur, « Rapport sur le concours pour le prix Rossi pour 1881 », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques. Compte rendu, Alcan, Paris, 1842-1935, vol. 118, 1882 (2e semestre), p. 7.
3 Maurice Block, « Les deux écoles économiques », Séances et travaux de l’Académie…, op. cit., vol. 112, 1879 (2e semestre), p. 732-733.
4 Émile Worms, « Le droit au regard de l’économie politique », Séances et travaux de l’Académie…, op. cit., vol. 115, 1881 (1er semestre), p. 134.
5 Cf. Adolphe Franck, « Compte rendu de A. J. Fouillée, La science sociale contemporaine », Séances et travaux de l’Académie…, op. cit., vol. 115, 1881 (1er semestre), p. 439-442.
6 Henri Doniol, « L’économie politique et l’utopie », Séances et travaux de l’Académie…, op. cit., vol. 151, 1899 (1er semestre), p. 317.
7 Cf. E. Levasseur, « Rapport sur le concours pour le prix Rossi pour 1881 », Séances et travaux de l’Académie…, loc. cit., p. 35.
8 Maurice Hauriou, Leçons sur le mouvement social données à Toulouse en 1898, Larose, Paris, 1899, p. VII.
9 Henri Fayol, Administration industrielle et générale (1916), Bordas, Paris, 1979, p. 20. Voir aussi Jean Carlioz, Le gouvernement des entreprises commerciales et industrielles, Dunod, Paris, 1927 (2e éd.), p. 47-48.
10 Bernard Geny, Essai d’une théorie générale de la collaboration des administrés avec l’administration, Sirey, Paris, 1930, p. 49 et suiv.
11 Maurice Hauriou, La gestion administrative, étude théorique de droit administratif, Larose, Paris, 1899, p. 5. La définition des actes de gestion se trouve déjà chez Édouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2 vol., Berger-Levrault, Paris, 1896 (2e éd.), vol. I, p. 484-486.
12 Cf. Paul Couzinet, « La théorie de la Gestion Publique dans l’œuvre de Maurice Hauriou », Annales de la Faculté de droit et de sciences économiques de Toulouse, XVI, no 2, 1968, p. 165.
13 Cf. Prosper Grivellé, De la distinction des actes d’autorité et des actes de gestion, Pedone, Paris, 1901, p. 30 ; Antonio Longo, « Le odierne difficoltà del diritto amministrativo », Archivio giuridico Filippo Serafini, n° 48, 1892, p. 495-496.
14 Là dessus, voir Jean Rivero, « Hauriou et l’avènement de la notion de service public », L’évolution du droit public, Études en l’honneur d’Achille Mestre, Sirey, Paris, 1956, p. 461-471. Il n’est pas question ici de s’arrêter sur l’origine de la nation de service public dont Léon Duguit a été le théoricien le plus éminent. Cf. Traité de droit constitutionnel, De Boccard, Paris, 1923 (2e éd.), II, p. 54 et suiv. Par ailleurs, ce juriste se sert de la notion de service public précisément pour rejeter la distinction entre actes d’autorités et actes de gestion. D’après lui, en effet, toute intervention de l’Administration poursuit un but propre, irréductible à l’intérêt des particuliers : le fonctionnement légal d’un service public. Cf. Les transformations du droit public, Colin, Paris, 1913 (réimpr. La mémoire du droit, 1999), p. 145 et suiv. ; Traité de droit constitutionnel, op. cit., III, p. 11 et suiv. Sur l’évolution du thème du service public dans le discours de la doctrine (Jèze et autres) et de la jurisprudence, cf. Jean-Louis de Corail, La crise de la notion juridique de service public en droit administratif français, LGDJ, Paris, 1954. Plus récemment, on lira plusieurs thèses tendant à réévaluer la notion : entre autres, Michel Guénaire, La fonction unificatrice du service public dans le droit administratif, Paris II, 1985 ; Delphine Espagno, Essai de refondation du service public en droit français, Toulouse I, 1998 : François Février, La spécificité des principes de service public, Rennes I, 1999. Voir enfin le dossier paru dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine, 3, 2005 qui est consacré au développement et aux applications de la notion du xviiie au xixe siècles.
15 Cf. André Mater, « l’État socialiste et la théorie juridique de la gestion », La Revue socialiste, no 223, 1903, p. 69 ; Bernard Gény, Essai d’une théorie générale de la collaboration, op. cit., p. 38 et suiv. Cet auteur distingue entre collaboration spontanée et collaboration organisée, dans la première s’inscrivant l’ingérence d’un particulier pour la réalisation d’un service collectif autrement défaillant, tandis que la seconde inclut deux hypothèses : la collaboration par décentralisation sur appel de l’État à institutions privées pour l’exécution d’un service public qui reste sous son contrôle, et la collaboration par juxtaposition dans le mode de l’action parallèle de l’entreprise privée sur un domaine déjà occupé par l’État (cf. p. 72-80).
16 B. Gény, Essai…, op. cit., p. 58.
17 L’acte en question peut être reformé par le juge, qui détient aussi le pouvoir d’allouer des indemnités. Cf. Maurice Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, Sirey, Paris, 1921 (10e éd.), p. 414. Sur les deux formes de juridictions, voir aussi E. Laferrière, Traité de la juridiction…, op. cit., I, p. 15 et suiv.
18 M. Hauriou, La gestion administrative, op. cit., p. 46 et suiv.
19 L’administré a le droit à l’indemnité lorsque dans une matière de gestion un préjudice lui est provoqué par l’administration ; il a également le droit « à ne réaliser que son apport légal (ce qui explique le contentieux des impôts…) […] il a droit au règlement définitif de l’entreprise lorsqu’il s’agit d’une opération à terme fixe comme un marché de travaux publics […] il a droit enfin au partage des bénéfices […] (mensualités, pensions des fonctionnaires etc.). » Cf. La gestion administrative, op. cit., p. 57 et suiv.
20 La gestion administrative, op. cit., p. 32. Cette catégorie se prolonge à tel point, qu’à l’instar de son critère on peut revisiter d’autres relations traditionnellement liées au mode de la puissance. C’est le cas des mesures de police sur les établissements insalubres, qui relèvent plus de la collaboration entre l’initiative privée et l’administration que d’une attitude contraignante de celle-ci. La gestion administrative, op. cit., p. 24 et suiv.
21 La gestion administrative, op. cit., p. 14. Sur la pénétration contemporaine de la logique gestionnaire dans l’administration de la justice, avec le développement de procédures informelles liées au modèle de la "médiation", cf. Louis Assier-Andrieu, « Les origines gestionnaires des "justices alternatives" », Pouvoir et gestion, n° 5 de la Collection Histoire, Gestion, Organisations, Actes des Cinquièmes rencontres des 29 et 30 novembre 1996 à Toulouse, PUSS, Toulouse, 1997, p. 295-304. François Kriegk, « Le juge est-il devenu une autorité de tutelle ? », ibid., p. 305-314. Sur la fonction conventionnelle des politiques publiques, voir Pierre Lascoumes, « Négocier le droit, formes et conditions d’une activité gouvernementale conventionnelle », Politiques et management public, vol. 11, n° 4, 1993, p. 47-83. Pour un aperçu général sur le sujet, on lira les différentes contributions réunies par Philippe Gérard, François Ost, Michel Van de Kerchove, Droit négocié, droit imposé ?, Facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 1996.
22 Cité par A. Mater, « L’État socialiste », art. cit., p. 224.
23 M. Hauriou, La gestion administrative, op. cit., p. 6.
24 Il repère quatre catégories d’actes de gestion : contractuelle, pécuniaire, officieuse et forcée. La gestion administrative, op. cit., p. 22 et suiv.
25 Cf. La gestion administrative, op. cit., p. 69 et suiv.
26 Hauriou envisageait la fonction administrative comme agencement d’opérations juridiques destinées à la satisfaction de besoins pratiques, tout en accordant une importance prioritaire à l’objectif concret du service plutôt qu’au moyen formel des actes juridiques (à la différence de Duguit, pour lequel le but pratique n’était pas essentiel). Cf. M. Hauriou, Précis…, op. cit., p. 21 et suiv. Cette conception, comme on peut le comprendre, ouvrait la possibilité à un examen historique et conceptuel de la gestion comme système rationnel et pratique de l’activité administrative.
27 M. Hauriou, Précis…, op. cit., p. 21 et suiv.
28 M. Hauriou, Précis…, op. cit., p. 341. Pour une critique de cette conception de Hauriou, qui réduit l’activité administrative tout entière à une vaste gestion d’affaires, voir Marcel Waline, Manuel élémentaire de droit administratif, Sirey, Paris, 1946, p. 489.
29 Gaston Jèze qualifie précisément de « gestion administrative » la satisfaction d’un besoin d’intérêt général avec les procédés du droit privé. Cf. Les principes généraux du droit administratif, 3 vol., Giard, Paris, 1930, II, p. 7. Là-dessus, voir André de Laubadère, Traité de droit administratif, 3 vol., LGDJ, Paris, 1980, I, p. 469 et suiv. ; Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, 2 vol., LGDJ, Paris, 1982, I, p. 348 et suiv.
30 Henri Fayol, « Préface », in H. Fayol, L’éveil de l’esprit public, Dunod et Pinat, Paris, 1918, p. 7-8. Voir aussi le rapport du 4 novembre 1920 remis par Fayol lui-même au sous-secrétaire d’État Deschamps portant sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise gouvernementale des postes (PTT), dont il relevait nombre d’inconvénients : chef instable et incompétent, absence de programme à long terme, absence de bilan, manque de stimulant pour le zèle et de récompense pour les services rendus, manque de responsabilité. Voir H. Fayol, L’incapacité industrielle de l’État : les PTT, Dunod, Paris, 1921. L’Armée, au contraire, n’est pas atteinte par les mêmes vices, tout en confirmant ainsi sa valeur de modèle pour le fonctionnement des appareils bureaucratiques. Voir Henri Fayol, « La doctrine administrative dans l’État ». Communication au deuxième congrès international des Sciences administratives, Bruxelles, 1923, Revue internationale des sciences administratives, vol. XXXII, no 1, 1966, p. 122. Sur le rapport entre la guerre et l’essor de la réflexion administrative, voir Jean-Louis Peaucelle, « Henri Fayol et la guerre de 1914 », Revue française de gestion, n° 135, 2001, p. 121-134.
31 Henri Chardon, L’organisation d’une démocratie. Les deux forces, le nombre, l’élite, Perrin, Paris, 1921, p. 35.
32 Cf. Stéphane Rials, Administration et organisation, 1910-1930, Beauchesne, Paris, 1977, p. 93 et suiv. ; Giancarlo Dioguardi, Incidenze e coincidenze, Sellerio, Palerme, 1980 ; John C. Wood, Michael C. Wood (dir.), Henri Fayol : Critical Evaluation in Business and Management, Routledge, Londres, New York, 2002 ; Jean-Louis Peaucelle et alii, Henri Fayol, inventeur des outils de gestion : textes originaux et recherches actuelles, Economica, Paris, 2003.
33 Frederick Winslow Taylor, « The Principles of Scientific Management » (1911), in Scientific Management, Harper & Row, New York, 1947, p. 7, tr. fr. La direction scientifique des entreprises, Gérard, Verviers, 1967, p. 17.
34 Aleksandr Bogdanov, « Préface » à la première édition de la partie II de La Tectologie, in A. Bogdanov, La science, l’art et la classe ouvrière, Maspero, Paris, 1977, p 177.
35 H. Fayol, « Préface », in L’éveil…, op. cit., p. 4 et 6.
36 Cf. Antoine de Montchrétien, Traicté de l’œconomie politique (1615), éd. Th. Funck-Brentano, Plon, Paris, 1889, p. 31. Avant Montchrétien, la même critique avait été soulevée par Jean Bodin, Les six livres de la République, Du Puys, Paris, 1576, liv. I, chap. 2.
37 André-Léon-Alexis Vincent, L’organisation dans l’entreprise et dans la nation. Étude comparative, Société industrielle de l’Est, Nancy, 1941, p. 18.
38 Cf. une lettre adressée à un correspondant de Londres en 1913. Cité par Patrick Fridenson, « Un tournant taylorien de la société française (1904-1918) », Annales E.S.C., no 5, 1987, p. 1046.
39 Là-dessus, cf. Dzeimen Mihajiovic Gvišiani, Management. L’approccio sovietico, Etas Kompass, Milan, 1971, p. 12 et 23 ; Robert Linhart, Lénine, les paysans, Taylor, Seuil, Paris, 1976 ; Antonio Martelli, Teorie e ideologie del management. Profila storico delle dottrine manageriali (1770-1970), Etas Kompass, Milan, 1979, p. 121-140 ; Aldo Fabris, Storia delle teorie organizzative, Isedi, Milan, 1980, p. 56 ; Mark R. Beissinger, Scientific Management, Socialist Discipline ans Soviet Power, Harvard Univ. Press, Cambridge (Ma), 1988, p. 21-24. Sur la diffusion mondiale de l’organisation scientifique du travail, cf. Daniel Nelson, « Scientific Management in Reprospect », in D. Nelson (dir.), A Mental Revolution. Scientific Management Since Taylor, Ohio Univ. Press, Columbus-Ann Arbor, 1992, p. 5-39.
40 Cf. H. Fayol, « Préface », L’éveil…, op. cit. Cf. aussi H. Fayol, « La doctrine administrative dans l’État », art. cit., passim.
41 Joseph Wilbois et Paul Vanuxem, Essai sur la conduite des affaires et la direction des hommes. Une doctrine française : l’administration expérimentale, Payot, Paris, 1919, p. 229-230. Sur l’industrialisation du Parlement, cf. p. 223.
42 J. Wilbois et P. Vanuxem, Essai sur la conduite…, op. cit., p. 192.
43 Pour les remarques critiques sur l’importance excessive reconnue aux mathématiques dans la direction des entreprises, cf. Administration industrielle et générale, op. cit., p. 104 et suiv.
44 H. Fayol, « Préface », L’éveil…, op. cit., p. 6.
45 C’est dans la seconde moitié du xviiie siècle que l’identification entre la bonne administration et le tableau des revenus et des dépenses s’impose. Cf. à cet égard Prost de Royer, Dictionnaire de jurisprudence, ou Nouvelle édition au Dictionnaire des arrêts et jurisprudence universelle, 7 vol., La Roche, Lyon, 1781-1788 (inachevé), I, verbo « Administration », p. 851 et 853. Il ne faut pas oublier que le célèbre Compte rendu de Necker date de la même époque. Cf. Compte rendu au Roi, par M. Necker, directeur général des Finances, au mois de janvier 1781, Imprimerie royale, Paris, 1781. Que l’enjeu était devenu crucial, deux interventions gouvernementales antécédentes au compte de Necker les prouvent : un contrôle plus rigoureux sur la gestion des caisses de la part des trésoriers fut introduit avec un « Arrêt du conseil portant établissement d’un nouvel ordre pour les caisses de dépenses » du 18 octobre 1778. Voir François-André Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, 30 vol., Belin-Leprieur, Paris, 1825-1830, XXV, p. 439, tandis qu’une « Déclaration concernant la comptabilité et le trésor royal » du 17 octobre 1779 établissait des règles ultérieures sur la classification des entrées et des dépenses. Ibid., XXVI, p. 185.
46 Les offensives néolibérales depuis les années quatre-vingt préconisent une administration publique recoupée sur le modèle de l’entreprise. Pour le débat sur ce sujet, voir Patrick Gibert, « Management public, management de la puissance publique », Politiques et Management Public, vol. 4, no 2, 1986, maintenant in François Lacasse, Jean-Claude Thoenig, L’action publique, L’Harmattan, Paris, 1996, p. 21-55. Voir aussi Françoise Dreyfus, L’invention de la bureaucratie, La Découverte, Paris, 2000, p. 241 et suiv.
47 Là-dessus, voir Jacques Caillosse, « L’administration française doit-elle s’évader du droit administratif pour relever le défi de l’efficience ? », Politiques et Management Public, vol. 7, no 2, 1989, maintenant in L’action publique, op. cit., p. 307-327.
48 « L’adhésion aux principes du management est, dans l’administration française, un phénomène nouveau », soutiennent Jacques Chevallier et Danièle Loschak. Voir « Rationalité juridique et rationalité managériale dans l’administration française », Revue française d’administration publique, no 24, oct.-déc. 1982, p. 679.
49 « L’arma strappata al brigante diviene mezzo di difesa per il galantuomo che se ne à impadronito, rimanendo sempre la medesima. », Vincenzo Manzini, Trattato di diritto penale italiano, IV, UTET, Turin, 1981 (5e éd.), p. 13. « L’arme arrachée au brigand, tout en restant la même, devient un moyen de défense pour l’homme honnête qui se l’est approprié. »
50 II s’agit de Laurent Fabius, cité par Jean-Pierre Le Goff, Le mythe de l’entreprise. Critique de l’idéologie managériale, La Découverte, Paris, 1995 (1re éd., 1992), p. 7-8.
51 Patrice Duran, « Piloter l’action publique, avec ou sans le droit ? », Politiques et Management public, vol. 11, no 4, 1993, p. 6.
52 Cf. Danièle Loschak, « La science administrative et le droit », in Louis Boulet (dir.), Science et action administratives. Mélanges Georges Langrod, Les éditions d’organisation, Paris, 1980, p. 50 et suiv.
53 Cf. J. Chevallier, D. Loschak, « Rationalité juridique », art. cit., p. 682 et suiv., 694 et suiv. et 702 et suiv. On comprend mal comment ces auteurs peuvent résoudre l’opposition théorique en faisant appel à une identité qu’ils estiment « plus profonde » et qui serait celle quelque peu mythique de la Rationalisierung moderne dont parle Weber. Par cette notion, en effet, l’on risque d’attribuer à un principe méta historique, à une sorte d’idée régulatrice, l’intelligibilité de processus relevant d’un plan strictement pratique. C’est précisément sur ce point qu’on peut établir une connexion intime entre bureaucratie et entreprise, avant que la spécification des institutions introduise la distinction tout à fait spéculative entre rationalité juridique et rationalité managériale.
54 Là-dessus je me permets de renvoyer à Paolo Napoli, « Administrare et curare. Les origines gestionnaires de la traçabilité », in Ph. Pedrot (dir.), Traçabilité et responsabilité, Economica, Paris, 2003, p. 45-71.
55 Cf. Nazareno Saitta, Premesse per uno studio sulle norme di organizzazione, Ghiffrè, Milan, 1965, p. 84 et suiv.
56 J.-P. Le Goff, Le mythe de l’entreprise, op. cit., p. 10.
57 Là-dessus, à part le texte déjà cité de Le Goff, voir aussi Albert Ogien, L’esprit gestionnaire. Une analyse de l’air du temps, Éditions de l’EHESS, Paris, 1995.
58 Cf. Jacques Chevallier, Danièle Loschak, « Rationalité juridique », art. cit., p. 704. D’une manière presque identique au rapport entre droit et management, le problème s’est posé à l’égard de la pénétration de la rationalité de police dans le domaine du droit. Aux yeux de certains juristes allemands contemporains, un tel phénomène a eu des résultats pernicieux, qui se manifestent dans l’oubli de la dimension « métaphysique » du droit, pensée en dernier par Kant, et supplantée à notre époque par la dimension « physique », c’est-à-dire instrumentale. Là-dessus, voir Wolfgang Naucke, « Vom Vordringen des Polizeigedankens im Recht, d.i. : vom Ende der Metaphysik im Recht », in Gerhard Dilcher, Bernhard Distelkamp, Recht, Gericht, Genossenschaft und Policey. Studien zu Grundbegriffen der germanistischen Rechtshistorie, Schmidt, Berlin, 1986, p. 182.
Auteur
Directeur d’études à l’EHESS, Paolo Napoli tient un séminaire sur l’histoire des catégories et des pratiques normatives et, notamment, sur l’histoire de la normativité administrative. Ses travaux de recherche actuels portent sur une généalogie moderne de la rationalité managériale à partir du corpus du droit canonique (classique et moderne). Il a soutenu une thèse sur la police comme technique de gouvernement en France et en Allemagne au xviiie siècle dont il a été tiré le livre Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société, publié chez La Découverte en 2003. Ses publications récentes touchent aux questions relevant de l’histoire et de la philosophie du droit : « Police e territorio nella Francia di Ancien Régime. Mezzi e strategie », in Organizzazione del potere e territorio. Contributi per una lettura storica della spazialità, sous la dir. de L. Blanco, F. Angeli, Milan 2008, p. 57-80 ; « Service public », in Dictionnaire historique de l’économie-droit — xviiie-xxe siècles, sous la dir. de A. Stanziani, Dalloz, Paris 2007, p. 249-257 ; Présentation et édition du dossier consacré à Foucault, Annales, Histoire, Sciences sociales, 5, 2007, p. 1123-1128 ; « Faire vivre chacun selon sa condition et son devoir. La police et le statut de la personne à l’âge classique », in Le sujet absolu. Une confrontation de notre présent aux débats du xviie siècle français, sous la dir. de P. Gruson, P.-A. Fabre, M. Leclerc-Olive, Jérôme Millon, Grenoble, 2007, p. 187-199.
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