L’émergence d’une rationalité gestionnaire dans les théories du droit administratif au début du xixe siècle
p. 253-271
Texte intégral
« Bòrò lankolo tè jò » (en bambara)
« Un sac vide ne tient pas debout. »
Introduction.
1L’histoire des théories du droit administratif ne commence pas avec Hauriou et Duguit. Cette idée reçue, que le premier d’entre eux a largement contribué à installer, commence à être clairement dénoncée, depuis les années 1990, par les premiers ouvrages consacrés à une réflexion d’ensemble sur cette histoire et par les thèses en droit public, qui intègrent de plus en plus souvent des développements historiques dans leur champ de recherche1.
2Les inventeurs du droit administratif ne sont pas les juges administratifs. Cette seconde idée reçue que le Conseil d’État, en tant qu’institution écrivant sa propre histoire, a généralement réussi à répandre, est tout aussi nettement démentie par l’analyse des étapes de la construction du droit administratif à des moments clefs : affirmation du Conseil d’État comme juridiction d’appel par la reconnaissance du caractère juridictionnel des conseils de préfecture2, abandon de la théorie du « ministre-juge », faux départ de la notion de service public dans l’arrêt Blanco3 et de celle de service public à caractère industriel et commercial par l’arrêt dit du « bac d’Eloka4 », etc.
3Enfin, la production du droit administratif par un système d’interprètes ne peut pas être étudiée d’une façon exclusivement positiviste, dans une perspective où les énoncés seraient considérés comme juridiques à la seule condition qu’ils aient pour objet d’établir la validité des normes en les fondant sur d’autres normes. Cette troisième idée reçue, instillée de façon diffuse par l’influence du kelsenisme dans l’enseignement universitaire est impuissante à rendre compte de la construction essentiellement historique et contingente du droit administratif pendant deux siècles. La question de la prise en considération des réalités administratives et de la contrainte ou de l’objectif de gestion est une occasion supplémentaire de le rappeler.
4On voudrait en effet montrer ici l’existence et la variété des occurrences de la préoccupation gestionnaire dans les écrits des divers inventeurs du droit administratif au début du xixe siècle5. À partir des ouvrages de droit administratif publiés de la Révolution française jusqu’à 1850, il est possible de repérer les prémices d’une « contrainte gestionnaire » et parfois d’un « objectif de gestion6 ». Bien sûr, cette approche est loin d’atteindre le niveau d’une théorisation, mais elle n’en demeure pas moins une manifestation du désir – ou de la nécessité – d’insérer la logique gestionnaire dans le fonctionnement de l’État et dans l’argumentation du discours de droit administratif, et de tendre ainsi à une certaine rationalité.
5La cause en est assez simple. Elle peut être identifiée dans le profil des auteurs de ces ouvrages. De nombreux juristes du début du xixe siècle écrivent non seulement pour améliorer la connaissance des mécanismes juridiques de l’époque, mais aussi pour argumenter, soutenir et légitimer des vues dépassant la sphère de la pure technique juridique. C’est le cas des enseignants dont le nombre croît d’un seul coup, du fait même du développement de l’enseignement du droit7, et des juristes engagés dans la vie politique ou dans des fonctions de conseil, de direction ou de gestion, dont l’influence n’est pas moindre. Il arrive que ces fonctions cumulées d’enseignement et de gestion se renforcent l’une l’autre8. L’attitude commune à ces juristes fondateurs de la théorie du droit public est la poursuite d’objectifs d’amélioration de ce qu’ils appellent, au sens fonctionnel, l’Administration publique9. Les gestionnaires10 ou les politiques11 en voient l’utilité dans le but de justifier leurs décisions ou leurs propositions.
6La logique gestionnaire est à l’œuvre de trois façons principales dans les théories du droit administratif de la première moitié du xixe siècle. D’abord, l’idée de gestion est un élément de définition de l’acteur principal du droit administratif à cette époque, à savoir l’Administration publique. Ensuite, la fonction de gestion appliquée au patrimoine public est un élément de structuration juridique et institutionnelle de l’Administration publique. Enfin, la notion de gestion publique, en tant que gestion du patrimoine public confiée à un corps de fonctionnaires, est un élément d’élaboration d’une science de la « fortune publique ».
I. L’IDÉE DE GESTION, ÉLÉMENT DE DÉFINITION FONCTIONNELLE DE L’ACTEUR PRINCIPAL DU DROIT ADMINISTRATIF
7Cette manière de voir se traduit dans la définition même de l’Administration publique, comme on peut le constater à la lecture de la présentation d’un opuscule qui circula beaucoup en ce début du xixe siècle : « La police contre les torts ou pour le droit, et la gestion des intérêts communs, qui ne sont des droits pour personne, fut décorée du beau nom d’Administration publique12 ». C’est en quelque sorte par construction que la fonction d’administrer contient celles de gérer et de contrôler la gestion.
8L’importance de la fonction de gestion de l’Administration publique apparaît également dans les remarquables synthèses du baron de Gérando. Évoquant l’enseignement des matières administratives, il en souligne l’intérêt pour tous ceux qui auront « à appliquer enfin, les dispositions de nos lois aux règlements administratifs dans les nombreuses circonstances […] où nos Codes se réfèrent à des mesures d’administration publique13 ». C’est ainsi, dans la principale division de son Cours de 1819, que le premier professeur de droit administratif à la faculté de droit de Paris consacre une entière troisième partie à « l’Administration des choses ou Gestion du patrimoine public14 ». Dans le traité qu’il publiera à partir de ce cours15, elle deviendra « De la gestion de la fortune publique ou de l’administration économique », en « cinquième et dernière division » de la deuxième partie, intitulée « Des divers services publics ou de la matière du droit administratif ». C’est dire si l’inclusion de la gestion au droit administratif paraît évidente et en tout cas acquise.
9Cette insertion naturelle est enfin pérennisée par l’un des premiers professeurs de droit administratif de province, Émile-Victor Foucart, titulaire de la chaire de Poitiers. Dans ses ouvrages, l’acception fonctionnelle du terme « administration » dans le sens de « gestion » est comme une clause de style. S’adressant à un public de juristes, il affirme ainsi qu’ » il faut avoir étudié le droit pour bien remplir les hautes fonctions de l’administration, car administrer c’est appliquer la loi à la gestion des intérêts communs16 ».
10La centralisation, technique d’organisation institutionnelle, et thème de prédilection pour Cormenin, offre l’occasion de découvrir la force de cette liaison conceptuelle. « La justice dans ses rapports avec la constatation des crimes et délits, leur poursuite et leur répression, c’est de l’administration. Le culte dans ses rapports financiers, civils, matériels avec les préfets et les ministres, c’est de l’administration. La gendarmerie, la police, l’armée, dans leurs rapports avec la défense du pays, la levée des recrues, le mouvement des régiments, la sûreté des habitants, l’empêchement des troubles, la garde des prisons, le secours des autorités, c’est de l’administration17. » Après avoir désigné ces domaines que certains qualifieraient de « régaliens », Cormenin ne manque pas d’y associer les services publics : « la direction, l’ouverture, la réparation et l’entretien des routes, chemins de fer, canaux, rivières et voies de toute nature, les dépenses de travaux publics, c’est de l’administration. L’assignation, la répartition, le recouvrement et l’emploi des impôts, c’est de l’administration. La surveillance, la correspondance, la gestion, l’exercice de l’autorité des maires, des sous-préfets, des préfets, des employés de tous les services publics, de leurs inspecteurs et directeurs et finalement des ministres, c’est encore de l’administration18. »
11Chez Foucart, ensuite, il suffit de tirer la conséquence centralisatrice de la subordination technique. Par exemple, quant à la personnalité morale des communes : « dans un État qui a posé l’unité comme principe de gouvernement […] il faut guider l’inexpérience des administrations collectives… Il est donc dans l’intérêt général, dans l’intérêt des administrations spéciales elles-mêmes, qu’elles soient soumises à une tutelle qui surveille la gestion de leurs biens, l’emploi de leurs revenus, autorise, dirige et contrôle leurs dépenses : cette tutelle doit être confiée à l’administration supérieure19. » Ainsi se trouvent justifiés par un contenu matériel de gestion l’assimilation traditionnelle des communes à des mineurs et l’exercice par l’Administration publique d’actes de tutelle20. Cette dernière, principal acteur du droit administratif, est donc implicitement considérée comme une puissance tant juridique que gestionnaire et technique.
12Ainsi, les théoriciens de la sphère publique sous la monarchie de Juillet complètent la notion technique et juridique d’Administration publique par l’aménagement administratif de l’espace. Leur but est légitimé par un curieux attelage composé de constructions du droit public post-révolutionnaire, et de considérations de gestion : « dans un empire aussi vaste, il était de la plus grande importance pour l’uniformité de l’administration, la facilité de surveillance et l’intérêt des gouvernés, d’avoir des divisions de territoire à peu près égales, et d’une étendue calculée sur celle qui convient au plus favorable exercice des différents pouvoirs21 ». Mais l’idée de gestion participe aussi à la structuration de l’acteur principal du droit administratif en s’appliquant plus précisément à une composante matérielle fondamentale de la sphère publique : le patrimoine public.
II. LA GESTION DU PATRIMOINE, ÉLÉMENT DE STRUCTURATION JURIDIQUE DE L’ACTEUR PRINCIPAL DU DROIT ADMINISTRATIF
13Dans le deuxième tiers du xixe siècle, les théoriciens du droit public ont à cœur de caractériser l’extension des fonctions appartenant en propre à l’Administration publique. Ainsi, les publicistes de l’époque s’attachent à prolonger les compétences expressément reconnues à l’Administration publique par des textes spéciaux, à les organiser en un tout cohérent, à les généraliser en les finalisant.
14Parmi toutes ces attributions apparemment éparses, qui vont des mines et carrières22 aux brevets d’invention23, certaines retiennent particulièrement leur intérêt, car elles permettent de construire une représentation juridique d’ensemble de la sphère publique en la fondant sur la notion d’Administration publique. Il s’agit des compétences en matière de gestion des patrimoines. Le patrimoine, en effet, est traditionnellement rattaché à la technique de la personnalité morale. À ce titre, c’est un facteur de cohérence par rapport aux options déjà exprimées par les casuistes dans la constitution de la notion d’Administration publique. De plus, au plan pratique, la gestion de ce patrimoine est un enjeu considérable dans la maîtrise de l’appareil public et dans les rapports avec les personnes privées.
15La théorie juridique, dès 1830, confère à l’Administration publique une sorte de compétence générale de gestion du patrimoine public. La notion d’Administration publique est alors considérée comme un centre d’imputation. Par un effet de retour, au fur et à mesure de la multiplication des publicistes spécialisés24, cette vocation générale se concrétise dans un faisceau de techniques de gestion qui construisent l’Administration publique en élément prééminent dans les tentatives de définition du domaine public et du droit fiscal.
A. L’ADMINISTRATION PUBLIQUE COMME SIÈGE D’UNE COMPÉTENCE GÉNÉRALE DE GESTION DU PATRIMOINE PUBLIC
16Pour les juristes casuistes du deuxième tiers du xixe siècle, la notion d’Administration publique, parce qu’elle est investie d’une mission essentielle, fait spontanément naître un centre d’imputation opératoire par lequel la fonction de gestion semble particulièrement privilégiée.
1. Une mission essentielle.
17L’émergence d’un lien entre Administration publique et patrimoine public est expliquée dans la théorie juridique de la période par le fait que la compétence générale de gestion est une attribution naturelle, comme essentielle, de l’Administration publique. À l’origine, Macarel la présente ainsi : « de quelque organisation sociale que l’on recherche l’administration, sa mission est facile à signaler et à définir : elle gère les intérêts publics et communs25 ». Et cette idée d’une Administration publique prestataire de services de gestion, est généralisée sans difficulté quelques années plus tard : « son but unique [de l’Administration publique] est l’utilité sociale, la satisfaction des besoins généraux26 ».
18Les théoriciens du droit adoptent souvent, à cet égard, un angle fonctionnel. La gestion du patrimoine public est, pour eux, une des fonctions caractéristiques de l’Administration publique. « En décomposant l’administration civile, rappelle un autre professeur, nous lui avons reconnu plusieurs caractères : ou elle fait acte de puissance […] et il s’agit de l’intérêt général de la société, ou elle gère la fortune de l’État, ou elle exerce une haute tutelle sur les établissements publics27 ». De même, Foucart estime que « le maintien de l’ordre, l’administration de la fortune publique, l’application de toutes les lois […] c’est ce qui constitue les attributions de l’autorité administrative28 ». Pour les juristes développant une première approche de casuistique juridique, l’Administration publique prend en charge « dans un intérêt économique, celui de la fortune publique, […] la législation domaniale et forestière, l’exécution des lois de l’Impôt29… ». Il en résulte logiquement qu’ » en exécution des lois qui prescrivent les mesures à prendre sur ces matières d’intérêt général, l’administration fait des règlements […] sur les travaux publics, routes, canaux, fleuves et rivières, revenus extraordinaires30 », sans que cette liste semble limitative. Puis, plus précisément encore, « l’administration […] accorde la concession de choses ou de droits mis à sa disposition par les lois… Elle gère la fortune publique […] fait exécuter les travaux publics […] comparaît devant la justice pour représenter les propriétés de l’État ou des grands établissements publics31 ».
2. Un centre d’imputation.
19En application du principe non écrit, mais mis en évidence par les théoriciens du droit du deuxième tiers du xixe siècle, selon lequel l’Administration publique est essentiellement, généralement, et fonctionnellement compétente pour gérer le patrimoine public, la notion d’Administration publique sert de centre d’imputation dans un nombre considérable de cas.
20Quant aux revenus des communes tout d’abord, « dans ce cas [d’insuffisance générale de leurs revenus ordinaires] l’autorisation de s’imposer extraordinairement ne doit être accordée aux communes qu’après que l’administration s’est assuré qu’elles ne peuvent réellement employer aucun autre moyen32 ». La première étape d’une rationalité s’affirme ici : celle qui consiste à recourir à un tiers et à un critère d’exclusion pour prendre une décision. Mais d’autres étapes progressent simultanément. En matière de gestion des voies publiques, certains publicistes soulignent : « une administration des plus actives, profitant des avantages d’une longue paix et de la prospérité de nos finances a su ramener à bon état d’entretien le vaste système des routes33… ». Le lien est ici affirmé entre une tendance économique générale, une contrainte de financement et la nécessité de maintenir en état un équipement conçu globalement comme une infrastructure nationale profitant à toutes les activités marchandes ou non. Au-delà, de façon générale, la rationalité de la gestion réside dans une fonction de répartition dont l’Administration publique choisit la clef. Ainsi, dans le domaine sensible de l’impôt :
21« L’Administration publique fait la répartition des contributions directes votées par le pouvoir législatif, et dresse les rôles qui indiquent la part que chaque citoyen doit en supporter34 ». Au sujet des cours d’eau, « l’administration ordonne le curage d’une rivière non navigable… C’est elle qui fait les règlements nécessaires pour arriver à l’opération du curage ; elle arrête ensuite les rôles de répartition des sommes nécessaires au paiement des travaux35. » En ce qui concerne la voirie urbaine, « en l’absence d’un plan général d’alignement, l’administration avait le pouvoir de fixer la largeur de la rue sous sa seule responsabilité36 ».
22Sans pousser plus loin la recherche de ces cas particuliers, la notion d’Administration publique apparaît clairement comme un centre technique d’imputation à vocation absorbante. L’Administration publique est dotée, selon les théoriciens du droit, d’une compétence générale de gestion des patrimoines publics. En conséquence, toute nouvelle fonction de gestion émanant de la production législative et réglementaire est attribuée par ces publicistes à l’Administration publique. Réciproquement, l’exercice par l’appareil administratif de ces fonctions de gestion engendre dans la théorie juridique une casuistique qui dessine toujours plus précisément les contours de l’Administration publique.
3. La primauté de la gestion.
23Bien des ouvrages de droit administratif général sont dès lors construits à partir des liens entre l’Administration publique et le patrimoine public. Lorsque Firmin Laferrière, par exemple, analyse « l’administration générale », la première partie, consacrée à la « conservation de la société », détaille en titre premier « le domaine national », et en titre deux « les impôts37 ». Certains juristes font expressément la liaison entre la compétence fonctionnelle de l’Administration publique et les divisions du droit les plus fondamentales pour le patrimoine. Ainsi, Cotelle, professeur de droit administratif à l’École des Ponts et Chaussées, dans son étude de « l’administration proprement dite, ou puissance exécutive » définit cette dernière comme « la gestion journalière des intérêts publics, résultant de mesures qui auront plus ou moins d’extension et de portée, qui entreront plus ou moins dans le détail des affaires en touchant aux choses et aux personnes38 ». D’une manière analogue, Chauveau conçoit son enseignement autour d’un projet de « Code civil administratif », comme mode privilégié d’approche de l’Administration publique grâce à son rapport au patrimoine39.
24D’autre part, la primauté de la compétence générale de l’Administration publique en matière de gestion des biens publics sur d’autres principes juridiques d’imputation est très nettement affirmée par une grande partie des théoriciens du droit. Trolley trouve une occasion de l’établir lors de l’étude de personnes morales publiques très spéciales par leur objet : les sections de communes. « Les articles 51 et 56 de la loi du 18 juillet 1837 sont précis : l’administration des biens appartenant à une section de communes […] demeure, comme celle des biens possédés par la commune entière, dévolue à l’administration municipale ordinaire et qui est une pour la commune SIMPLE ou COMPLEXE40. » Il est remarquable que la section de communes, que les publicistes de l’époque s’accordaient finalement à reconnaître comme personne morale spécialement constituée à partir d’un patrimoine, se voie précisément retirer la gestion directe de ses biens au profit de l’Administration publique.
25Un exemple analogue de supériorité des attributions générales de gestion des patrimoines publics conférées à l’Administration publique est mis en évidence à propos des routes départementales. « Bien que du domaine public départemental, les routes sont cependant du domaine public… Aussi longtemps qu’une route départementale doit répondre à la destination de voie publique, tout ce qui touche à son administration, et en particulier le mode de son entretien, appartient à l’exécution et aux mesures réglementaires, du ressort de l’administration centrale.41 » La tendance à la hiérarchisation des procédés d’imputation juridique au profit de la compétence générale de gestion de l’Administration publique est de plus en plus nette vers 1860. Elle traduit en fait un mouvement plus profond qui affecte la constitution des grandes catégories juridiques du régime des biens chez les publicistes de cette époque.
B. L’ADMINISTRATION PUBLIQUE COMME GARANT D’UN RÉGIME DE GESTION DES BIENS
26La notion d’Administration publique est un élément primordial de définition des rapports entre les personnes publiques et les biens, qu’il s’agisse de leurs biens ou de ceux sur lesquels elles exercent une compétence à des titres divers.
27En effet, l’un des avantages premiers de la compétence générale de gestion des patrimoines est de déclencher une synergie entre la fonction de gestion affectée à l’Administration publique, les patrimoines appartenant aux collectivités publiques, et la notion de personnalité juridique. De manière très significative, c’est à propos de la gestion des biens que certains publicistes ont tenté d’attribuer une personnalité morale à l’Administration publique : « lorsque l’administration vend un bien qui faisait partie du domaine de l’État, elle n’agit point dans l’intérêt du service public ; c’est alors une personne morale…42 ». Aux frontières des enjeux juridiques et patrimoniaux, la notion d’Administration publique peut prendre toute son extension, notamment comme élément de formalisation du régime des biens en matière de domaine public, de travaux publics ou de fiscalité.
28Bien que la distinction du domaine public et du domaine privé ne soit pas consacrée dans la théorie juridique de la sphère publique post-révolutionnaire43 avant sa formalisation explicite par Proudhon44, de nombreux publicistes reconnaissent l’existence d’un ensemble de biens d’une nature particulière45, appelé domaine national ou public. Or, la fonction de gestion reconnue à l’Administration publique constitue un élément récurrent de définition de ce domaine public, car dans la casuistique juridique développée entre 1830 et 1860, c’est l’Administration publique qui administre46 ces biens et qui détermine ces règles. Proudhon lui-même trouve là un élément de définition initial, car « le domaine public consiste dans le pouvoir spécialement chargé de régir et administrer les choses qui sont, par les lois, asservies à l’usage de tous, et dont la propriété n’est à personne47 ».
29Même en l’absence d’une position théorique claire sur le titulaire du droit de propriété, la fonction de gestion de l’Administration publique, notion dans laquelle les publicistes s’étaient bien gardés d’inclure un patrimoine quel qu’il fût, est un élément prééminent de définition du domaine public. Il suffit aux publicistes du deuxième tiers du xixe siècle, pour définir le domaine public national, d’énoncer la norme selon laquelle l’Administration publique est compétente, seulement elle, et uniquement compétente, pour accomplir à l’égard d’un ensemble de biens tous les actes conformes à l’affectation qu’elle définit.
30La compétence générale de gestion des patrimoines conférée à l’Administration publique est dès lors placée par la théorie juridique à la base du système d’interprétation qui lui permettra de qualifier de personnes morales les communes et les départements. Car, au-delà du seul domaine public national, la notion d’Administration publique contribue à fonder le domaine public municipal et départemental.
31C’est tout d’abord le contentieux des créances des communes qui justifiera, chez Proudhon, la distinction entre domaine public national et domaine public communal. Un avis du Conseil d’État du 18 juillet 1807 affirme clairement que « tout créancier d’une commune peut s’adresser aux tribunaux, dans les cas qui ne sont pas spécialement attribués à l’administration… Cette distinction, constamment suivie par le Conseil d’État, est fondée sur ce que, d’une part, les communes ne peuvent faire aucune dépense sans y être autorisées par l’administration. » En conséquence, l’exécution forcée est, par le canal de l’Administration publique, dirigée contre la commune elle-même, à l’exclusion de tout habitant précisément désigné. L’exemple se trouve dans le régime d’un titre de créance particulier : les « exécutoires de dépens décernés contre les communes ». Sous l’Ancien Régime, « les arrêts donnaient à celui qui avait obtenu l’exécutoire une action directe contre les huit ou dix plus forts contribuables de la commune, sauf leur recours contre les autres habitants48 ». Or il importe, dès l’établissement d’un droit public post-révolutionnaire, d’imputer juridiquement et financièrement la charge à la personne juridique qu’est la commune. Un arrêté des consuls du 12 brumaire an XI rappelle formellement sur ce point le principe selon lequel « il n’appartient qu’à l’autorité administrative de régler la manière dont les dépenses des communes doivent être acquittées », et annule le jugement d’un tribunal civil qui ordonnait l’exécution forcée contre dix des principaux contribuables de la commune. Mais le point le plus remarquable de cet arrêté est qu’il comprenne, dans ses visas, la loi du 10 vendémiaire an IV dont le titre V, articles 8 et 9, attribue aux municipalités la répartition, entre les habitants, des dommages et intérêts auxquels les communes peuvent être condamnées, alors même que son principal article à portée réglementaire est ainsi rédigé : « si, pour l’exécution des condamnations prononcées, il y a lieu de faire une répartition entre les habitants, il y sera pourvu par l’autorité administrative ». Proudhon s’inspire par analogie de ces idées de répartition, de délimitation, d’affectation, de gestion, pour distinguer le domaine public municipal du domaine public national49.
32La fonction de gestion des patrimoines publics par l’Administration publique permet également aux théoriciens du droit de mettre en évidence la propriété départementale et la personnalité morale du département. « La loi du 28 messidor an IV est la première qui ait mis à la charge des départements certaines dépenses qu’elle qualifie de dépenses d’administration », rappelle Foucart. Cependant, le département ne pouvait être personnalisé tant que l’Administration publique conservait le droit de régler « les dépenses départementales qui n’étaient après tout qu’une partie des charges de l’État50 ». C’est aussi l’avis de Boulatignier qui fait remonter l’émergence d’un patrimoine départemental à l’Assemblée constituante pour une raison bien particulière. La loi des 22 décembre 1789 et 10 janvier 1790 dispose en effet « les administrations de département ne pourront établir aucun impôt […] sauf à pourvoir à l’établissement des moyens propres à leur procurer les fonds nécessaires au paiement des dettes et des dépenses locales ». Partant de cette dernière locution, l’auteur des Lettres sur l’Administration souligne immédiatement : « or, parmi les dépenses locales se trouvait celle du logement des nouvelles administrations publiques51 ». Cette observation seule sert de base à un raisonnement ainsi résumé : « la propriété immobilière des départements, comme celle de l’État avait été constituée […] dans le but unique de pourvoir à des services publics52 ». Reprenant ainsi l’avis émis par le ministre des Finances de l’époque, selon lequel « l’intérêt particulier de chaque département et l’intérêt du Trésor public seraient que les départements fussent propriétaires […] des édifices nationaux où sont actuellement placées les autorités à l’établissement desquels les administrés sont tenus de pourvoir53 », Boulatignier considère ainsi que la gestion des biens par l’Administration publique est un élément de définition de la propriété départementale. Il répond même aux adversaires de la personnalité juridique et de la propriété des départements que « l’existence civile des départements ne pouvait jamais menacer sérieusement l’État » au motif que « l’exercice des droits afférents aux départements aurait toujours lieu sous le contrôle » de l’Administration publique54.
III. LA GESTION PUBLIQUE, ÉLÉMENT D’ÉLABORATION TÉLÉOLOGIQUE D’UNE SCIENCE DE LA « FORTUNE PUBLIQUE »
33Il semble logique de rechercher des considérations sur la gestion dans les œuvres des spécialistes de la fonction financière de l’État, ceux qui écrivent sur le droit fiscal. Au début du xixe siècle, ils ne sont guère nombreux. Deux auteurs s’installent principalement dans cette matière déjà considérée comme plutôt technique : Pierre Gervaise55 et Édouard Durieu, ce dernier étant certainement le plus complet et le plus lu, car son apport majeur est publié sur plus de 25 ans56. Pourtant leurs travaux ne comportent aucune réelle vision d’ensemble des principes qui pourraient présider à la gestion et à l’intervention de l’État. Comme leur nom l’indique, ils se bornent – ce qui est déjà beaucoup – à réunir et à présenter les différentes taxes et droits afférents, comme le ferait aujourd’hui un « code commenté », et à décrire un peu les administrations fiscales.
34La véritable réflexion en termes de système de gestion, qui fait apparaître les liens entre la législation et les buts poursuivis, qui réunit les finances publiques, le droit des biens et le droit fiscal, qui en donne une vision à la fois explicative et historique tout en demeurant exactement descriptive du droit positif, se trouve dans l’ouvrage fondamental et inégalé de Macarel et Boulatignier57. Cette somme est l’exemple même du travail de recherche et de théorisation que doit livrer un véritable traité, et elle constitue encore aujourd’hui un chef-d’œuvre méthodologique. Son principal intérêt réside dans la façon d’intégrer tous les éléments juridiques en fonction de la « fortune publique », conçue non pas comme un patrimoine mais comme une entreprise, soumise à des aléas économiques, voire politiques. Dans cette perspective, le choix d’intervention, l’allocation des ressources, l’adéquation des moyens aux objectifs sont par définition toujours présents comme autant d’éléments d’un pilotage organisationnel. La qualité de cet ouvrage conçu par deux praticiens, prouve donc que, sur le terrain, les administrateurs se conçoivent aussi comme des gestionnaires, et ce, dès la monarchie de Juillet.
35En témoignent aussi les débats relayés par les revues (J.-J. G. Fœlix et
36L. Wolowsky) sur ce que devrait être la formation des administrateurs, débats qui aboutiront au premier projet d’une école d’administration58. Le Gouvernement, à l’occasion de l’enseignement des sciences administratives, doit être soumis à la rationalité de la gestion d’un personnel : « un enseignement complet de toutes les sciences qui se rapportent aux affaires publiques, est donc le point de départ d’une bonne organisation du personnel des fonctionnaires59 ». En promouvant ainsi les fonctionnaires « de gestion » en un corps au savoir constitué, les théoriciens du droit sont parvenus à objectiver l’État dans le rôle d’un simple employeur.
37Il ressort en tout cas de cette réflexion que la gestion publique60, confiée à une Administration publique, est un élément présenté comme fondamental pour la définition de la fiscalité publique. Il est d’ailleurs cohérent avec le fait que les publicistes du deuxième tiers du xixe siècle ont précédemment reconnu à l’Administration publique la compétence générale de gestion des patrimoines : « l’administration a pour mission […] d’opérer la répartition des avantages et des charges que comporte la vie sociale61 ». La concrétisation de cette vocation à gérer les biens publics se traduit plus précisément par la définition de la structure même des contributions publiques. Le principe de l’impôt est, bien sûr, décidé par le Parlement, mais son contenu quotidien, tel qu’il est ressenti par le contribuable, ne peut être défini que grâce à la gestion administrative62. L’Administration publique dispose à cet égard d’une liberté certaine, érigée en principe par les spécialistes de la matière comme Gervaise : « la nature de ces contributions exige qu’il soit laissé beaucoup de latitude à l’administration63 ». La contribution des patentes, répartie en droit fixe et droit proportionnel en est un exemple : « l’administration est dans l’usage de ranger les patentables dans cinq catégories pour le droit fixe64 ». Une telle « latitude » a des conséquences importantes tant pour le montant du droit fixe que pour le régime contentieux de l’imposition.
38La fonction de gestion de la fortune publique appartenant aux collectivités publiques et la définition des catégories de la pensée juridique de l’époque sont ainsi en synergie dans la théorie juridique française entre la Restauration et le Second Empire. Elles constituent et structurent progressivement l’Administration publique comme acteur du droit administratif et de l’intervention publique et la relient aux enjeux patrimoniaux de la révolution industrielle libérale par le développement de la casuistique du régime des biens.
39Même lorsque d’autres juristes, plus proches du droit civil, s’appliquent à saisir les interventions publiques par la personnalité juridique, et non par la notion d’administration publique, la rationalité gestionnaire demeure du côté de cette dernière. Ainsi, Chauveau, juriste aux compétences multiples, peut conclure à la nature privée des conventions des personnes publiques, mais il n’en concède pas moins que la forme publique est requise dans un intérêt de gestion : « ces personnes morales (départements, communes, établissements publics) possèdent des biens ; elles en achètent ; elles en vendent ; elles passent des baux ; elles font exécuter des travaux ; elles consentent des marchés de fournitures. Ces diverses conventions privées, pour plus grande certitude d’une meilleure gestion, se font dans la forme d’un acte administratif et même la plu-part de ces conventions ne sont valables que pour autant qu’elles ont reçu l’homologation de l’autorité administrative supérieure65. » Cette préoccupation gestionnaire est d’ailleurs juridiquement neutre. En effet, après s’être posé la question : « cette forme, ces homologations changent-elles la nature de la convention privée, impriment-elles à ces conventions le caractère d’actes administratifs ? », Chauveau répond clairement par la négative66.
Conclusion.
40Finalement, qu’il s’agisse d’un régime juridique ou de l’autre, d’une conception théorique destinée à construire un système de représentation et d’explication du droit public, ou d’une nécessité pratique de mise en ordre d’un champ de droit matériel, la préoccupation gestionnaire se retrouve vite ancrée dans la mission supérieure assignée à l’Administration publique.
41Les bases de cette approche se trouvent déjà exprimées dans l’œuvre de Macarel, pour qui « l’autorité administrative est donc celle qui, par l’exécution des lois d’intérêt général, pourvoit sans cesse à la sûreté de l’État, au maintien de l’ordre public, et à la satisfaction de tous les autres besoins de la société67 ». Les juristes ordonnateurs ont conventionnellement repris la fonction de prestation, et ils insistent nettement sur sa finalité : « l’autorité administrative, elle, a pour mission de pourvoir à la satisfaction des besoins collectifs des citoyens et cela de deux façons distinctes : tantôt à la façon d’un intendant […] tantôt à la façon d’un garde vigilant68… ».
42Ainsi, police et gestion, loin de s’opposer, ne sont que les deux aspects complémentaires d’une même mission supérieure et indiscutable, jusqu’à se confondre avec celle de gouvernement : Cotelle a par exemple pu dire « de l’administration proprement dite et centrale, ou de la puissance exécutive » que « c’est le gouvernement dans le sens le plus ordinaire du mot, c’est la gestion journalière des intérêts publics, résultant de mesures qui auront plus ou moins d’extension et de portée, qui entreront plus ou moins dans le détail des affaires en touchant aux choses et aux personnes69 ». Mais si la gestion est bien présente, la rationalité dans « l’extension et la portée » des « mesures » demeure limitée à l’appréciation, par les administrateurs, de l’intérêt public, appréciation qui sera durablement, comme on le sait, rejetée hors du champ du droit. Il n’en demeure pas moins que le faisceau des concepts et des arguments de la théorie du droit administratif en cette première moitié du xixe siècle traduit bien l’émergence, peut-être intuitive par force d’évidence, parfois insérée dans une conception plus large de science administrative, souvent justifiée par le pragmatisme des questions, d’une rationalité gestionnaire qui n’est ni autofondée, ni réservée aux techniciens de l’administration.
Notes de bas de page
1 Depuis Jean-Louis Mestre, Introduction historique au droit administratif français, PUF, Paris, coll. Droit fondamental, 1989, jusqu’à Grégoire Bigot, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, PUF (coll. Thémis), Paris, 2002, en passant par François Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF, Paris, 1995, pour les manuels, depuis Jacques Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, Paris, 1970, jusqu’à Mathieu Touzeil-Divina, Le doyen Foucart (1799-1860), un père du droit administratif moderne, thèse droit Paris II, 2007, en passant par Gilles J. Guglielmi, La notion d’administration publique dans la théorie juridique française, de la Révolution à l’arrêt Cadot (1789-1889), LGDJ, Paris, 1991, pour les thèses.
2 Grégoire Bigot et Marc Bouvet, Regards sur l’histoire de la justice administrative, Litec (coll. Débats et Colloques), Paris, 2006.
3 Jean-Claude Venezia, « La naissance de la notion de service public », in Gilles J. Guglielmi (dir.) Histoire et service public, PUF, Paris, 2004, p. 163 ; Just Luchet, L’arrêt Blanco. La thèse de la compétence administrative en matière de responsabilité civile de l’État, Presses modernes, Paris, 1935.
4 Alain-Serge Mescheriakoff, « L’arrêt du bac d’Eloka : légende et réalité d’une gestion privée de la puissance publique », Revue du droit public, 1988, p. 1060 et suiv. ; J.-F. Lachaume, « Actualité des conclusions de Matter et de la jurisprudence "bac d’Eloka" » in Jean-Bernard Auby et Stéphane Braconnier (dir.), Services publics industriels et commerciaux : questions actuelles, LGDJ (coll. Décentralisation et développement local), 2003, p. 3 ; Mathieu Touzeil-Divina, « Eloka, sa colonie, son wharf, son mythe… mais pas de service public ? », in Séverine Kodjo-Grandvaux et Geneviève Koubi (dir.), Droit et colonisation, Bruylant (coll. Droits, territoires, cultures), Bruxelles, 2005, p. 309.
5 Il serait tout aussi fécond, mais moins original, de procéder ainsi à propos de l’ouvrage La gestion administrative de Maurice Hauriou (Larose, Paris, 1899) ou des développements de Léon Duguit dans son Traité de droit constitutionnel (De Boccard, Paris, 1923, t. II, p. 238).
6 On mettra de côté les enquêtes administratives qui ont été pratiquées et dont les résultats ont fourni la matière à tout un pan de littérature pratique administrative. Pour un exemple typique de la conception statistique de l’activité administrative, cf. Claude-Anthelme Costaz, Histoire de l’Administration en France, de l’agriculture, des arts utiles, du commerce, des manufactures, des mines et des usines, accompagnée d’observations et de vues, et terminée par l’exposé des moyens qui ont amené le grand essor pris par l’industrie française depuis la Révolution, Paris, Vve Bouchard-Huzard, 1843, lequel ne s’écarte guère des schémas théoriques de Lamare et de Portiez de l’Oise.
7 Voir par ex. Henri Hayem, « La renaissance des études juridiques en France sous le Consulat », in R.H.D., 1905, p. 96-122, 213-260, 378-412, et notamment le rôle joué, outre l’École de droit impériale, par l’Académie de législation et à un moindre degré par l’Université de jurisprudence.
8 Joseph-Marie de Gérando, haut fonctionnaire, puis conseiller d’État, fut le premier professeur de droit administratif à la faculté de droit de Paris dès l’année scolaire 1819-1820, ainsi que de 1829 à 1842 ; l’enseignement avait été supprimé dans l’intervalle par l’ordonnance du 6 décembre 1822, avant d’être rétabli par celle du 26 mars 1829. Louis-Antoine Macarel, conseiller d’État et titulaire de fonctions publiques variées, occupe la chaire de droit administratif à la faculté de droit de Paris de 1842 à 1849.
9 Gilles J. Guglielmi, La notion d’Administration publique dans la théorie juridique française, de la Révolution à l’arrêt Cadot (1789-1889), LGDJ, Paris, 1991.
10 Locré, Henrion de Pansey, furent respectivement secrétaire général du Conseil d’État et premier président de la Cour de cassation.
11 Louis-Marie de Lahaye Cormenin, qui fut député, est l’auteur d’ouvrages anonymes, ou sous le pseudonyme de Timon ; c’est un pamphlétaire, selon l’expression de Paul Bastid, Un juriste pamphlétaire : Cormenin, Paris, Hachette, 1948 ; et de René de Lacharriere, Cormenin, politique, pamphlétaire et fondateur du droit administratif, LGDJ, Paris, 1941. La verve de Jean-Baptiste Sirey lui valut plusieurs fois la saisie de ses opuscules dans lesquels les prises de positions n’étaient pas exclusivement juridiques.
12 Jean-Baptiste Sirey, Du Droit et du pouvoir (extrait du Recueil général des Lois et Arrêts, t. XXI, 2e partie, p. 105), Cour de Harlay, Paris, s.d., p. 3. Italiques originales.
13 Baron Joseph-Marie de Gérando, Programme du cours de droit public positif et administratif à la faculté de droit de Paris pour l’année 1819-1820, Baudouin frères, Paris, 1819, p. 19.
14 J.-M. de Gérando, Programme…, op. cit., p. 32 et suiv.
15 Joseph-Marie de Gérando, Instituts du droit administratif français, Nève, Paris, 1829.
16 Émile-Victor Foucart, Discours prononcé par [le susdit] dans la séance de rentrée (année 1839-1840), imp. Saurin, Poitiers, 1839, p. 10.
17 Louis-Marie de Lahaye Cormenin, De la centralisation, Pagnerre, Paris, 1842, (paru sous le pseudonyme de Timon), p. 128.
18 L.-M. de Lahaye Cormenin, De la centralisation, op. cit., p. 129.
19 Émile-Victor Foucart, Éléments de droit public et administratif, ou exposition méthodique des principes du droit public positif avec l’indication des lois à l’appui ; suivi d’un appendice contenant le texte des principales lois et ordonnances de droit public, Videcocq, Paris, 1839, t. I, p. 144.
20 Maurice Block, Dictionnaire de l’Administration française, Librairie administrative Vve Berger-Levrault, Paris, 1856, p. 1195. L’auteur de l’article « Organisation communale » invoque un « pouvoir tutélaire toujours prêt à maintenir la commune dans les limites de sa compétence et à l’empêcher, soit de porter atteinte aux droits de l’État ou à ceux des particuliers, soit de blesser l’intérêt public ou celui de l’association communale elle-même ». V. aussi Alfred Blanche, Répertoire d’Administration départementale et municipale, ou Table duodécennale de l’École des communes (1832-1843), avec les conférences au bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, Dupont, Paris, 1845, p. 53-55.
21 Louis-Antoine Macarel, Cours de droit administratif professé à la faculté de droit de Paris, 1842-1843, Thorel, Paris, 1844, t. I, p. 28.
22 Loi du 28 juillet 1791 ; loi du 21 avril 1810.
23 Loi du 7 janvier 1791 ; loi du 5 juillet 1844.
24 Sans souci d’exhaustivité, on peut citer pour la période : A.-G.-G. Boudet, Traité sur les domaines engagés, et sur la loi du 14 ventôse an VII, Rondonneau, Paris, an VIII ; Ch. d’Agar, Traité du contentieux des contributions indirectes, A. Bailleul, Paris, 1819 ; Jean-Baptiste Proudhon, Traité du domaine public, ou de la distinction des biens considérés principalement par rapport au domaine public, Lagier, Dijon, 1833 ; Pierre Gervaise, De l’administration des contributions directes, et de la direction des services qui en dépendent, Videcocq, Paris, 1836 ; Joseph Boulatignier et Louis-Antoine Macarel, De la fortune publique en France et de son administration, Pourchet Père, Paris, 1838-1840 ; G. Bressoles, pour ses articles au Journal de droit administratif ; Joachim-Antoine-Joseph Gaudry, Traité du domaine, comprenant le domaine public, le domaine de l’État, le domaine de la couronne, Durand, Paris, 1862.
25 Louis-Antoine Macarel, Cours d’Administration générale, Discours d’ouverture, le 5 mai 1840, extrait du Moniteur des 24 et 25 août 1840, imp. Panckoucke, Paris, p. 8.
26 Louis-Antoine Macarel, Cours de droit administratif professé à la faculté de droit de Paris, 1842-1843, Thorel, Paris, 1844, t. I, p. 16.
27 A. Trolley, Cours de droit administratif, première partie : Hiérarchie administrative, Thorel, Paris, 1843, t. II, p. 104. Rappelons que pour ce juriste, le terme « établissements publics » peut recouvrir toutes les collectivités publiques autres que l’État.
28 E.-V. Foucart, Éléments de droit public…, op. cit., p. 119.
29 Albin Le Rat de Magnitot et Huard-Delamarre, Dictionnaire de droit public et administratif, contenant l’esprit des lois administratives et des ordonnances réglementaires, l’analyse des circulaires ministérielles, la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation sur le contentieux de l’Administration, les opinions comparées des auteurs sur les mêmes matières, Joubert, Paris, 1841, t. I, p. I.
30 A. Le Rat de Magnitot et Huard-Delamarre, Dictionnaire…, op. cit., p. 27.
31 M. Block, Dictionnaire de l’Administration française, op. cit., p. 15.
32 Charles Amédée de Vuillefroy et Léon Monnier, Principes d’administration, extraits des avis du Conseil d’État et du Comité de l’Intérieur, des circulaires ministérielles, etc., Joubert, Paris, 1837, p. 191.
33 Toussaint-Ange Cotelle, Cours de droit administratif appliqué aux travaux publics, contenant l’organisation administrative de la France, l’organisation du service des Ponts et Chaussées, les règles de la comptabilité, les principes de légalité ou de critique des actes de l’administration, l’organisation de la justice administrative, etc., Dalmont et Dunod, Paris, 1859, t. I, p. 135.
34 Denis Serrigny, Traité de l’organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse administrative dans leurs rapports avec le droit civil, Durand, Paris, 1865, t. I, p. 30.
35 D. Serrigny, Traité de l’organisation…, op. cit., p. 31.
36 D. Serrigny, Traité de l’organisation…, op. cit., p. 44.
37 Firmin Laferrière, Cours de droit public et administratif, Joubert, Paris, 1839.
38 T.-A. Cotelle, Cours de droit administratif…, op. cit., p. 11. La traduction institutionnelle de la vocation de l’Administration publique à gérer les patrimoines publics ne tarde pas à suivre : « parmi les neuf ministères, il en est deux qui se distinguent… En eux se trouvent les ressorts essentiels et le nerf commun de toute l’administration. Ce sont les départements de l’intérieur et des finances… », ibid., p. 13-14.
39 Adolphe Chauveau, Programme d’un cours de droit administratif, soumis à M. le Ministre de l’Instruction publique, ou les cinq codes de l’Administration publique en France, imp. de Dieulafoy, Toulouse, 1838. Sur les trois livres du « Code civil administratif » projeté par Chauveau, deux sont consacrés aux rapports entre les notions d’Administration publique et de propriété (Biens et différentes modifications de la propriété, Différentes manières d’acquérir la propriété).
40 A. Trolley, Cours de droit administratif…, op. cit., p. 61.
41 T.-A. Cotelle, Cours de droit administratif…, op. cit., p. 36.
42 E.-V. Foucart, Éléments de droit public et administratif…, op. cit., p. 150.
43 Voir par ex. A. G. G. Boudet, Traité sur les domaines engagés…, op. cit., qui, comparant les textes révolutionnaires à l’ancien droit, n’utilise ni la notion d’Administration publique, ni la distinction des domaines public et privé.
44 Jean-Baptiste Proudhon, Traité du domaine public, ou de la distinction des biens considérés principalement par rapport au domaine public, Lagier, Dijon, 1833.
45 Dès les lois des 28 août 1792 et 10 juin 1793, déclarant chaque commune propriétaire des terres vaines et vagues, hermes et vacantes, de son territoire, les commentateurs ne manquent pas de distinguer « les biens communaux proprement dits, tels que les terres vaines et vagues » et les « biens en valeur et productifs » susceptibles de propriété communale, mais pour d’autres raisons. V. par ex. arrêts de la Cour de cassation, 2 vendémiaire an VII, et 14 vendémiaire an IX, in baron Pierre Paul Nicolas Henrion de Pansey, Des biens communaux et de la police rurale et forestière, Barrois Père, Paris, 1825, p. 8-11.
46 Code civil, art. 537 : « les biens qui n’appartiennent pas à des particuliers sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont particulières ».
47 J.-B. Proudhon, Traité du domaine public…, op. cit., n° 47. Soulignement ajouté.
48 Baron P. P. N. Henrion de Pansey, Des biens communaux…, op. cit., Barrois Père, Paris, 1825, p. 225-226. Ici, inspiration du droit romain.
49 J.-B. Proudhon, Traité du domaine public…, op. cit., n° 200.
50 E.-V. Foucart, Éléments de droit public et administratif…, op. cit., p. 536. Cette objection ne sera pas levée par les lois des 28 ventôse an XII et 28 avril 1816 qui autorisent les départements à établir seuls des impositions, d’une part parce que ces impositions sont facultatives, d’autre part en raison du rôle majeur joué par l’Administration publique dans la tutelle des collectivités territoriales.
51 J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit., t. II, p. 421.
52 J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit., t. II, p. 420.
53 Rapport présenté à l’Empereur par le duc de Gaëte, ministre des Finances, le 11 novembre 1810.
54 J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit., t. II, p. 454.
55 Pierre Gervaise, Traité des contributions directes, Le Blanc, Paris, 1822.
56 Édouard Durieu, Mémorial des percepteurs et des receveurs, Durieu, Paris, 1831-1858 (28 vol.).
57 J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit.
58 Cf. Jean Tulard, Histoire de l’administration française, FNSP, polycopié, Paris, 1981-1982, t. I, p. 42 et suiv. ; Voir aussi Georges Langrod, « L’école d’Administration française, 1848-1849 », in Etudes variées du domaine de l’Histoire de l’Administration publique, EPHE, 1965, I, p. 487522 ; Guy Thuillier, L’ENA avant l’ENA, PUF, Paris, 1983 ; ainsi que les débats au Moniteur, 1848, p. 861 et suiv.
59 Alexandre-François Vivien, Études administratives, Guillaumin, Paris, 1859, t. I, p. 206.
60 Cette locution n’a pas ici le sens ultérieur que lui donnera notamment Hauriou.
61 Gabriel Dufour, Traité général de droit administratif appliqué…, Delamotte, Paris, 1843, t. I, p. 87.
62 « Dans un vaste empire comme la France, l’administration de la fortune publique embrasse des détails immenses » qui « se résument en trois points principaux : les ressources de l’État ; les dépenses publiques ; la comptabilité… Nous ne pouvons toutefois à cet égard, tracer que des notions sommaires ; elles doivent être rigoureusement circonscrites au point de vue que nous nous proposons ici : l’administration centrale, considérée seulement quant à son organisation. » J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit., t. I, p. 5-6.
63 Pierre Gervaise, De l’administration des contributions directes, et de la direction des services qui en dépendent, Videcocq, Paris, 1836, p. II. L’auteur du Traité des contributions directes développe, dans cette publication postérieure, un point de vue plus précis. Relativement à « l’assiette et la répartition des contributions, la surveillance de la perception, le jugement des réclamations, et la marche du recouvrement […] l’ouvrage que nous publions traite des méthodes administratives », méthodes qui « peuvent être considérées comme appartenant à l’état normal de l’administration », idem, p. II et III.
64 J. Boulatignier et L.-A. Macarel, De la fortune publique…, op. cit., 1840, t. III, p. 457.
65 Adolphe Chauveau, Principes de compétence et de juridiction administratives, Cotillon, Durand, Paris, 1841, t. I, p. 121.
66 A. Chauveau, Principes de compétence…, op. cit., p. 122. « Au contraire. Ce sont les actes administratifs en la forme qui au fond ne sont que des actes de tutelle ordinaire [c’est-à-dire privés]. »
67 L.-A. Macarel, Cours de droit administratif…, op. cit., t. I, p. 13.
68 Léon Aucoc, Conférences sur l’Administration et le Droit administratif faites à l’école impériale des Ponts et Chaussées, Dunod, Paris, 1869, t. I, p. 11.
69 T.-A. Cotelle, Cours de droit administratif…, op. cit., p. 11. Il s’agit d’une formulation à peine différente de l’opinion de Portalis, exprimée 25 ans plus tôt : « l’administration […] c’est le gouvernement même appliqué aux affaires de localité et descendant jusqu’aux individus… », et fréquemment citée, par ex. in A. Chauveau, Principes de compétence…, op. cit., p. LXXVI.
Auteur
Professeur de droit public, Gilles J. Guglielmi enseigne le droit administratif, le droit des services publics et le droit des contrats publics à l’Université Paris-II (Panthéon-Assas) où il dirige le master 2 juriste conseil des collectivités territoriales. Ses travaux de recherche portent sur l’histoire et la théorie du droit administratif, ainsi que sur le droit public des technologies de l’information et de la communication. Parmi ses ouvrages les plus récents, Droit du service public, Montchrestien (coll. Domat), 2007, (avec G. Koubi et G. Dumont) et Gestion privada de los servicios publicos, Buenos Aires, Ed. Ciudad Argentina, 2004. Il a également dirigé ou co-dirigé des ouvrages collectifs interdisciplinaires : L’Esprit de corps, PUF, 2005, Histoire et service public, PUF, 2004, La gratuité, une question de droit ?, L’Harmattan, 2003, L’égalité des chances. Analyses, évolutions, perspectives, Éd. La Découverte, 2000.
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