Introduction au colloque
p. 31-32
Plan détaillé
Texte intégral
1Merci d’abord d’avoir songé à moi pour introduire ce colloque, j’en suis touché et honoré, très heureux. Je pense que c’est un colloque qui est très utile, qui s’imposait, particulièrement en ce moment. D’abord parce que vous le savez tous, l’Europe est un projet qui est contesté, caricaturé. Je crois donc qu’il est important de remettre les choses à leur place, à l’endroit. Et puis je crois aussi qu’il est très utile de braquer le projecteur sur un personnage comme Pierre Uri, qui souffre d’un certain déficit de reconnaissance.
2Je crois qu’il en aurait été heureux. Je l’ai un peu connu, trop peu. Lorsque je préparais mon livre sur Jean Monnet, j’ai même fait un court voyage aux États-Unis avec lui et j’ai le souvenir d’une conversation dans un hôtel à New York. Au petit-déjeuner, il m’avait raconté sa vie et à un moment, il m’a dit : « Comment expliquez-vous que je ne sois pas reconnu comme le père de la TVA ? » J’étais bien incapable de lui donner une explication.
3Pierre Uri était une personnalité extrêmement brillante, il a eu un parcours tout à fait étonnant. Normalien lettres, agrégé de philosophie, ce sont les dispositions absurdes et honteuses de Vichy qui l’amenèrent à se tourner vers l’économie. C’était peut-être finalement sa vraie voie.
4Aujourd’hui, c’est un itinéraire assez courant. À l’époque, cela l’était moins. Finalement, c’est cela qui a mis Pierre Uri sur les rails. Et c’est cela qui, après la guerre, l’a amené à entrer dans la galaxie de Monnet dont il est devenu un élément extrêmement important. Mais du coup, cela l’a amené à jouer un rôle qui a été très utile, très important mais qui, évidemment par rapport à sa personnalité, qui était assez rayonnante, pouvait poser un problème en ce sens qu’il était devenu l’ombre de l’ombre, de sorte qu’on a mis du temps à reconnaître la contribution réelle qu’il avait apportée notamment à la construction européenne. Je crois que maintenant, les choses sont établies, mais enfin le colloque va certainement encore contribuer à approfondir notre connaissance.
5À l’époque où j’écrivais ce livre, la contribution réelle de Pierre Uri, notamment au Marché commun, n’était pas aussi claire qu’aujourd’hui. Cela ne diminue pas Jean Monnet de dire qu’il était plus axé sur Euratom que sur le Marché commun. Et cela a été le mérite de Pierre Uri, après l’échec de la CED, la conférence de Messine, de trouver des solutions. C’est sur la suggestion de Jean Monnet que Paul-Henri Spaak l’a nommé rapporteur, ce qui l’a amené à rédiger un rapport dont on peut dire qu’il a été à l’origine du Marché commun. Donc il n’avait pas tort de dire qu’il avait beaucoup contribué à l’un des actes les plus importants de la construction européenne.
6Je crois, et le colloque va le montrer, que l’essentiel de l’apport à l’histoire contemporaine de Pierre Uri concerne l’Europe. Mais sa riche personnalité lui a aussi donné l’occasion de jouer un rôle dans d’autres domaines et je pense que l’on va en parler. Il y a eu toute son action au sein de la gauche, c’est-à-dire le Club Jean-Moulin, la Fédération de la gauche et le contre-gouvernement, si mes souvenirs sont bons ; ensuite au Parti socialiste, puisqu’il y a adhéré et là encore l’éclat de sa personnalité lui a sans doute joué des tours.
7J’en veux pour preuve une anecdote. Maurice Schumann, qui avait dû le connaître en hypokhâgne, m’avait raconté qu’en 1981 à l’approche de la victoire de la gauche, il avait rencontré François Mitterrand et lui avait dit : « Écoutez, vous allez sans doute gagner, vous auriez intérêt à appeler aux Finances, peut-être même à Matignon, quelqu’un de vraiment compétent, je me permets de vous conseiller mon ami Pierre Uri. » Selon Maurice Schumann, François Mitterrand avait réfléchi une seconde et avait dit : « Oui, c’est une bonne idée, mais je crains au bout d’une semaine de ne plus pouvoir maîtriser les choses. » Pierre Uri était une personnalité très consciente de sa propre valeur. Dans ses mémoires, faisant allusion à l’épisode de 1981, il avoue : « Je craindrais beaucoup d’être ministre des Finances en ce moment, mais j’aurais encore plus peur si je n’occupais pas ce poste. » Ce sont des formules de ce genre qui expliquent qu’il n’ait pas accédé aux postes éminents auxquels le désignaient sa compétence et son autorité.
8Et puis il y a enfin toute l’action qu’il a eue concernant le Tiers monde. On peut dire qu’il était mondialiste au bon sens du terme. Je pense que ce colloque sera également l’occasion de découvrir tout ce pan de sa personnalité. Il s’intéressait aussi à l’enseignement, à la fiscalité, comme on l’évoquera sans doute. Il était en tous cas important d’organiser ce colloque et de l’organiser ici où son souvenir perdure. Merci.
Auteur
Écrivain, journaliste et membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), Éric Roussel est docteur en droit, licencié ès lettres et diplômé d’études supérieures de sciences politiques. Il est critique littéraire au journal Le Monde de 1979 à 1985 et depuis au Figaro littéraire. En parallèle, il est l’auteur de nombreuses biographies, en particulier de Jean Monnet, Fayard, 1996 – Prix de l’essai de l’Académie française et de Charles de Gaulle, Gallimard 2002 et Tempus/Perrin 2020 – Prix Renaudot Poche. Il a présidé l’Institut Pierre‑Mendès‑France de 2007 à 2016 et siège toujours au sein de son Conseil. Il est membre du Conseil supérieur des archives depuis 2019, il préside depuis 2022 le Conseil scientifique de la Fondation Valéry‑Giscard‑d’Estaing et il est aussi vice-président de l’Institut Jean‑Monnet.
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