Concurrence et publicité pour tous les marchés publics ? De la naissance d’un principe à sa mise en application dans la France du xixe siècle
p. 191-208
Texte intégral
1Depuis 2001, le Code des marchés publics s’ouvre avec l’énonciation des principes fondamentaux de la commande publique : « Les marchés publics […] respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. » Les acheteurs sont tenus de respecter ces principes dès le premier euro d’achat, quelle que soit la procédure adoptée et ont en ce domaine une obligation de résultat1.
2Personne ne conteste plus aujourd’hui la validité des principes de transparence et d’égalité devant la commande publique ni la nécessité d’une règle unique (Code ou directives européennes) réglant tous les achats effectués par les pouvoirs adjudicateurs. Or, au début du xixe siècle, l’idée qu’une seule règle, fondée sur la « concurrence et la publicité », s’applique à l’ensemble de l’État est loin de faire l’unanimité. C’est progressivement, au cours du siècle, que cette idée est adoptée puis mise en œuvre.
3En ce domaine2, les années 1830 constituent une étape importante : dans un contexte de progression du parlementarisme3, émerge une volonté d’innover en matière administrative et de développer un gouvernement rationnel du pays4. L’achat public est l’un des terrains de mise en œuvre de ces idées de réforme. Des travaux récents ont montré que la construction de normes est un processus collectif5 qui implique certes le Parlement et les juges mais aussi des organismes publics6 ou parapublics7 et souvent les principaux acteurs concernés8. Le droit administratif9 du xixe siècle est peu étudié en ce sens. Or, François Burdeau décrit le passage au cours du siècle d’un système où le pouvoir administratif jouit d’une large autonomie à une soumission progressive au principe de légalité10. La construction des normes auxquelles l’administration se soumet (ou est soumise) constitue un élément central de ce processus. Ce sont ces questions, à travers l’exemple de l’achat public, que nous allons soulever ici.
4Après avoir examiné l’apparition de ces thèmes (« concurrence et publicité » et unité de réglementation), nous verrons comment ils prennent forme en droit puis, à partir de quelques exemples, comment les acheteurs publics les mettent en pratique.
I. L’APPARITION DU THÈME DE L’ACHAT PUBLIC DANS LE DÉBAT POLITIQUE
5Des travaux récents ont montré qu’un droit administratif existait au xviiie siècle : les intendants qui ordonnaient des travaux publics respectaient un ordre juridique particulier propre à leur province11. De même les fournitures de l’armée12 ou de la Marine ont fait l’objet de nombreux règlements. Cependant, il n’existe pas alors de texte organisant tous les achats royaux : tout dépend de l’administration acheteuse, du lieu de l’achat et de l’objet ou du service acheté. La Révolution ne modifie pas profondément ce système. Jusqu’à la monarchie de Juillet, chaque ministre est libre de régler comme il le souhaite les achats de son ministère : il n’existe ni code des marchés publics, ni loi, ni ordonnance valable pour l’ensemble de l’État. Un certain nombre de marchés sont certes passés par adjudication, mais sans que cela soit obligatoire, et les formalités de mise en concurrence sont très variées. Tout le monde considère alors comme normal que le ministre achète pour l’État comme il le ferait pour son hôtel particulier : faire des commandes et négocier les prix avec quelques commerçants en qui il a confiance est par exemple naturel. Dans la mesure où il ne dépasse pas les crédits qui lui sont attribués, il est seul juge de l’opportunité d’acheter tel produit à telle personne ou de fixer des règles de conduite à ses subordonnés. Il s’agit là d’une des attributions naturelles d’un grand serviteur de l’État : pouvoir acheter, pour les services qu’il dirige, comme il l’entend.
6Au lendemain de la révolution de Juillet, cette autonomie des ministres est mise en cause : la Chambre nouvellement élue exige de contrôler davantage leurs dépenses13. La question de l’achat public n’apparaît pas par hasard sur l’agenda parlementaire : au cours de la Restauration, l’adoption des règles dites classiques de la comptabilité publique a progressivement amélioré l’information parlementaire14. Depuis 1817, les ministres rendent compte chaque année aux Chambres de leur gestion par une loi spécialement consacrée à cela, la loi des comptes. Pairs et députés comparent les crédits votés aux dépenses effectives avec l’aide, à partir de 1819, d’un état de situation dressé par la Cour des comptes. En 1821, l’unité budgétaire est adoptée : désormais tous les revenus et toutes les dépenses doivent être compris dans un seul document soumis au vote des parlementaires. Enfin, par la loi du 29 janvier 1831, le budget de chaque ministère est dressé et voté par chapitre, le même découpage devant être respecté dans la loi de compte afin de permettre un réel contrôle parlementaire. La réglementation de l’achat public s’inscrit dans ce développement de la transparence financière15.
7Après 1830, le mot d’ordre est à la diminution des dépenses publiques, au « gouvernement à bon marché16 ». Il faut, disent les députés, mettre fin aux « effroyables abus17 » de la Restauration. L’achat public constitue, après le nombre et le traitement des fonctionnaires, le deuxième poste d’économie. Le thème apparaît pour la première fois dans l’hémicycle à la fin de l’année 1830, lors du vote du budget de 1831. Un député nouvellement élu, Dubois-Aymé18, propose l’adoption d’un article additionnel disposant que tout marché dont la valeur dépasserait 3 000 F serait désormais soumis aux règles de la « concurrence et de la publicité ». Cet article, refusé par les Pairs, est retiré par l’Assemblée en deuxième lecture, sur les conseils du ministre des Finances qui le juge plus adéquat en loi des comptes.
8Le sujet réapparaît lors du vote de la loi des comptes – de règlement – de 1829, en octobre 1831. Cette loi est particulièrement débattue : elle passe trois fois devant chacune des Chambres. Le texte final est adopté plus d’un an et demi après sa première présentation. Pourtant, sur les comptes eux-mêmes, il n’y a aucun débat : il s’agit d’un régime déchu, et les chiffres sont considérés par tous comme fidèles à la réalité19. Ainsi le rapporteur de cette loi à la Chambre, l’économiste de centre gauche Passy commence son discours en affirmant qu’ » en matière de comptabilité publique, la France n’a rien à envier à aucun autre pays. D’une part, un système d’écritures d’une rare perfection permet de vérifier chaque jour l’état du Trésor et de suivre jusque dans ses moindres détails les mouvements des fonds ; de l’autre les dépenses sont soumises à un examen dont la rigueur ne laisse échapper aucune irrégularité. »
9Ce sont les articles additionnels qui suscitent de longues discussions, et principalement celui sur la réglementation et le contrôle de l’achat public. Dubois-Aymé demande en effet que « tout marché ou achat pour le compte du Gouvernement s’élevant à plus de 5 000 F soit fait avec publicité et concurrence. Sont exceptés de cette disposition les marchés et achats auxquels elle ne pourrait être applicable sans préjudice pour le service ou pour la bonne confection des ouvrages. Un état en sera joint chaque année à la loi des comptes, avec indication des motifs qui auront nécessité cette dérogation au principe général de la publicité et de la concurrence20. » Pendant les 16 mois que dure la navette parlementaire, cet amendement va soulever trois questions essentielles pour ces premières années de la monarchie de Juillet.
A. CRÉER UN DROIT DE L’ACHAT PUBLIC : QUELS ACTEURS, QUELS PRINCIPES ?
10L’opportunité d’insérer des articles additionnels dans une loi des comptes, et donc le caractère spécifique des lois de finances, est le premier point particulièrement discuté. Les deux Chambres s’opposent sur cette question, dans un contexte de profonde incertitude des rapports entre les trois pouvoirs (la Chambre des députés, des Pairs et le roi). Selon les Pairs, depuis que les Chambres partagent l’initiative des lois avec le roi (depuis 1830), il n’est plus utile, comme cela se faisait sous la Restauration, d’amender les lois des comptes pour faire adopter des réformes. Celles-ci ne doivent contenir que des « dispositions annuelles et passagères », qui n’ont pas « le caractère de loi durable et perpétuelle ». Il faut donc « maintenir le principe constitutionnel et salutaire selon lequel le règlement du budget ne doit présenter que les dispositions relatives au règlement des recettes et des dépenses21 ».
11Cette distinction entre lois de finances et lois ordinaires est essentielle pour les Pairs, il en va de leur influence politique. En effet, après avoir failli disparaître avec les journées de Juillet, la suppression de l’hérédité de la pairie (29 décembre 1831) consacre un bicamérisme très inégalitaire (en faveur de la Chambre des députés)22. L’inégalité des Chambres est particulièrement nette dans le processus de vote des lois de finances (dont font partie les lois de comptes) : elles doivent obligatoirement passer d’abord devant les députés. Or, en raison de la brièveté des sessions, du fait que les lois doivent être adoptées en termes identiques par les deux Chambres et le roi, et de l’importance des lois de finances pour le fonctionnement de l’État23, les Pairs ne peuvent refuser la loi de finances amendée par les députés : ils bloqueraient le fonctionnement des institutions. S’ils acceptent que les députés ajoutent dans les lois de comptes des réformes – ce que l’on appellerait aujourd’hui des cavaliers budgétaires –, ils se voient dépossédés d’une partie de leur pouvoir législatif.
12De leur côté, les députés, soucieux de préserver leur droit d’amender tous les textes présentés par le Gouvernement, répondent que la loi des comptes met en lumière les défauts de gestion, et qu’il serait absurde de « se priver du droit de remédier au mal aussitôt qu’il apparaît ».
13La question des articles additionnels dans les lois de finances s’inscrit donc tout d’abord dans un rapport de force entre la Chambre des pairs et celle des députés, chacune cherchant à préserver ses prérogatives.
14Autre question soulevée, celle des frontières entre le domaine de la loi et celui du règlement. Les députés ne doutent pas de leur légitimité à légiférer sur l’achat public. Ils discutent la forme appropriée pour cela : un amendement dans la loi des comptes ou une loi spécialement consacrée à ce sujet ? Passy, rapporteur de la loi des comptes à l’Assemblée, juge que « la diversité et la multiplicité des travaux et des services24 » rendent impossible la réglementation par un seul article. Il demande une loi « spéciale, détaillée et subdivisée en un grand nombre d’articles mentionnant les formalités à observer dans tous les cas à prévoir25 ». C’est donc la nature et l’ampleur du sujet qui lui semblent exiger la rédaction d’une véritable loi. Au contraire, Dubois-Aymé soutient la forme de l’amendement en expliquant que vu la complexité du sujet, il est indispensable de n’inscrire qu’une formule générale, seule à même de s’adapter à tous les cas possibles. C’est ici la fonction de la loi, son niveau de généralité qui est discuté.
15Du côté des Pairs, on critique la méthode : un tel sujet ne peut pas être « l’objet d’un amendement improvisé à la tribune26 », les enjeux sont trop importants. L’attaque est certes facile (Dubois-Aymé répond qu’il a bien consulté l’administration avant de proposer son amendement) mais elle pose la question de la préparation du texte. Les élus ne sont pas qualifiés pour dire le droit seuls, ils doivent rédiger la loi « avec le concours de l’expérience de l’administration27 ».
16Plus profondément, les Pairs comme le Gouvernement contestent la légitimité d’une intervention législative sur ce sujet :
« Aucune mesure, explique le comte Roy, ne serait plus susceptible de faire descendre toute l’administration dans les Chambres et d’y amener continuellement de déplorables débats. Elles doivent, sans doute, exercer leur surveillance sur les ordonnateurs. Mais cette surveillance est une sur veillance générale, et l’administration doit sous sa responsabilité pouvoir agir dans l’intérêt de l’État avec une convenable liberté28. »
17Se pose ici la question des rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif et donc de la séparation des pouvoirs29. La répartition des tâches de chacun et le contrôle de l’un sur l’autre ne sont pas fixés une fois pour toutes par la Charte. Ils font l’objet de négociations et de conflits permanents, le domaine de chacun se construisant au fil des décisions.
B. GÉNÉRALISER LA CONCURRENCE ?
18Deuxième question soulevée, celle de la généralisation de la concurrence. La signification de ce terme se stabilise peu à peu dans ces débats parlementaires de 1830-1832. Il devient synonyme de recours à l’adjudication. Cette technique d’achat n’est pas nouvelle : il s’agit pour le service acheteur de définir ses besoins par écrit dans un cahier des charges, puis d’apposer des affiches d’appel à soumissions, et de choisir, en séance publique, le moins disant. S’oppose à cette technique celle du « gré à gré », qui permet à l’acheteur de choisir librement son fournisseur, sans rendre de comptes. Cette assimilation de la « concurrence » à l’adjudication n’a rien d’évident. On trouve d’ailleurs de très nombreuses administrations qui tout en achetant de gré à gré, sans formalité, comparent les propositions de plusieurs soumissionnaires et donc pratiquent dans les faits, une mise en concurrence.
19Dès 1831, plusieurs députés opposent à Dubois-Aymé l’impossibilité d’obliger les acheteurs publics à pratiquer des adjudications pour tous leurs achats. Leur argumentation est présentée par Passy dans son rapport au nom de la commission des finances30.
20Passy souligne d’abord l’incapacité de l’État à décrire précisément dans un cahier des charges la qualité de nombreux produits dont il a besoin. C’est le cas des machines à vapeur mais aussi des œuvres d’art : « l’impossibilité d’accepter les offres de tout artiste qui s’engagerait à livrer au meilleur marché des tableaux, statues, des bas-reliefs est évidente », explique-t-il.
21Autre difficulté, la vérification de la qualité des produits. La question du coût, en temps comme en argent, de l’expertise a posteriori est clairement posée. Pour les semences (de la direction des Forêts) ou les « thermomètres et alcoomètres », à quoi bon acheter au moins cher si l’on n’est pas sûr de la qualité ? Il est plus simple de se fier à la réputation du fournisseur (et donc d’acheter de gré à gré) que de contrôler la qualité de la livraison. Pour les armes et les chevaux, les possibilités d’expertise sont insuffisantes : la « résistance aux épreuves ne saurait sans danger garantir leur durée et leur solidité ». De même pour les travaux : ceux des géomètres, mais aussi ceux réalisés sous l’eau ou sous terre sont jugés impossible à contrôler efficacement. Pour obtenir une exécution correcte, l’État a besoin d’entrepreneurs de confiance. Dans tous ces cas, le contrôle de la qualité doit être fait avant l’achat (par la sélection des entrepreneurs sur leur réputation, leur marque) et non a posteriori par une expertise.
22Sont mêlés ici plusieurs problèmes : d’abord la définition des besoins : avec quelle précision les administrations peuvent-elles définir leurs besoins ? Comment faire lorsque les produits sont de haute technologie ou comportent des innovations pour lesquelles les normes de qualité ne sont pas stabilisées ? Que faire lorsqu’il n’y a qu’un seul fournisseur du produit ?
23Deuxième problème, celui du choix du fournisseur ou de l’entrepreneur. Le prix doit-il être le seul critère ? Peut-on se dispenser de prendre en compte la réputation (on dirait aujourd’hui la « marque ») du produit ou du fournisseur ?
24Troisièmement, à travers l’exemple des travaux de fondation sous l’eau, Passy souligne les capacités nécessairement limitées de contrôle de l’État et donc l’importance de la confiance dans toute relation commerciale. Dans tous ces cas, la sélection des entrepreneurs et des fabricants sur leur compétence et leur réputation (et donc par gré à gré) et non au mieux disant comme dans l’adjudication lui paraît être la seule garantie de qualité.
25Enfin, un dernier élément doit, toujours selon Passy, être pris en compte pour choisir le mode d’achat : la nature du risque pris. Acheter un bateau défaillant est beaucoup plus dangereux qu’une étoffe de mauvaise qualité. Cela signifie qu’il faut adapter la procédure d’achat à la nature des produits achetés. Ainsi, l’impossibilité d’appliquer l’adjudication à l’ensemble des achats de l’État est mise en évidence, dès les premières discussions parlementaires sur l’achat public.
C. LA QUESTION DE LA « PUBLICITÉ »
26Si l’expression « concurrence et publicité » est couramment employée lors des débats, le second terme a un poids politique nettement plus important que le premier. « Notre Gouvernement est un gouvernement populaire et national, la publicité en est l’âme. Toutes les fois qu’on pourra répandre les lumières sur les actes du Gouvernement, ce sera lui donner de la force31 » affirme par exemple un député en 1832. Ce thème n’est pas propre à la monarchie de Juillet : à partir du xviiie siècle, le « caractère opaque et fermé sur lui-même de l’État est de moins en moins accepté. On se met à réclamer la publicité de la politique et à refuser la logique du secret et de la raison d’État32. »
27Dans les débats sur l’achat public, le mot de « publicité » recouvre des réalités variées : il comprend des mesures avant l’achat (apposition d’affiches, insertion dans les journaux), mais aussi au moment de l’achat (stabilisation d’une procédure d’adjudication publique), et après l’achat (publication du nom et de l’adresse des fournisseurs choisis, du montant des marchés, contrôle parlementaire des fonds dépensés par les ministres). Au cours des discussions, ces différentes acceptions du terme sont souvent mêlées.
28Pour Dubois-Aymé, rendre obligatoire la publicité pour tous les marchés au-dessus d’un certain montant, c’est d’abord se prémunir contre la malhonnêteté des agents administratifs. Il craint surtout les marchés de gré à gré dans lesquels « deux fripons33 » (un fournisseur et un agent de l’administration) contractent. En effet, acheter par adjudication c’est rendre l’achat public, imposer aux agents de choisir le fournisseur le moins disant. La liberté de choix des agents locaux de l’administration s’en trouve donc réduite. Dubois-Aymé considère qu’obliger les agents administratifs à se justifier à chaque fois qu’ils achètent de gré à gré renforce le contrôle des ministres sur leur administration et par contrecoup celui du Parlement sur l’exécutif : « Le but de ma proposition est atteint si les agents du Gouvernement ne peuvent malverser qu’avec le consentement du ministre car alors plus d’excuse pour lui lorsqu’il se présentera (au Parlement) avec les comptes à la main34. » Généraliser l’adjudication permettrait également de placer les agents de l’administration sous l’œil du public et donc d’alléger la tâche des ministres : « C’est ici une mesure non seulement d’intérêt général pour le pays mais d’intérêt personnel pour MM. les ministres qui ne peuvent tout voir, tout examiner et qui sont cependant responsables de tous les faits de leurs agents. » Ainsi, légiférer sur l’achat public doit permettre non seulement de mieux acheter mais plus généralement d’améliorer le fonctionnement et la cohérence des administrations en renforçant le pouvoir hiérarchique des ministres sur leurs subordonnés.
29Informer le maximum d’individus que l’administration va acheter n’est cependant pas sans risque : cela permet à des « coalitions d’entrepreneurs » de se former. Dubois-Aymé assure que ce risque est modéré : avec l’adjudication, ces manœuvres peuvent être déjouées à chaque instant par l’arrivée aux enchères d’un nouveau fournisseur.
30Face à ce plaidoyer en faveur de la publicité, le commissaire du roi avance l’argument du secret nécessaire aux opérations militaires : les approvisionnements de places doivent être tenus secrets afin que l’ennemi ignore tout de la stratégie suivie. Destutt de Tracy, un proche de Dubois-Aymé, répond que les expéditions militaires ne peuvent plus désormais rester secrètes : « avec la liberté de la presse et les relations de toutes les parties de l’Europe, toutes ces expéditions mystérieuses sont des créations de l’imagination35 ».
31Quant à la publicité a posteriori, elle consiste, pour Dubois-Aymé, en la réalisation par le Gouvernement d’un tableau annuel à destination des parlementaires. Il indiquerait quels sont les marchés passés sans publicité et concurrence et pour quel motif.
« Dans un pays comme le nôtre, Messieurs, où les hommes sont sensibles au plus haut point à l’honneur, à la honte, la publicité suffira presque toujours à mettre fin à ces marchés que le public a flétris du nom de "marchés passés sous le manteau de la cheminée", manteau qui n’a que trop souvent recouvert de honteuses friponneries36. »
32Par ce tableau dissuasif, il s’agit de mettre en place un contrôle parlementaire des marchés. Les cas de fraude ou d’enrichissement jugés excessifs seraient punis par la « honte », le « déshonneur ».
33Le comte Roy considère comme impossible la réalisation de ce tableau : elle nécessiterait de rendre public les noms de fournisseurs37. À cela, Dubois-Aymé répond que c’est une attitude typique de la Restauration, les ministres affirmaient alors au sujet d’un emprunt « que des personnages d’un rang trop élevé figuraient au nombre des soumissionnaires pour que leurs noms fussent livrés au public38 ». Plus tard, il ajoute :
« Nous ne sommes plus au temps où l’on dérogeait en embrassant le commerce. Tout le monde aujourd’hui peut se livrer au commerce ; les députés, les ministres eux-mêmes peuvent être industriels, avoir une manufacture. Parce qu’on est député ou ministre on n’ira pas mettre le feu à ses fabriques, abandonner son commerce39. »
34On aperçoit ici la réticence de certains élus à apparaître publiquement comme fournisseurs de l’État.
35Finalement, lors du troisième passage du texte devant la Chambre, Dubois-Aymé renonce à l’élément essentiel de son amendement, l’obligation de « concurrence et [de] publicité ». Il ne demande plus que deux choses : la rédaction d’une ordonnance royale précisant « les formalités à suivre à l’avenir dans tous les marchés passés au nom du Gouvernement » et un tableau fourni tous les ans par les ministres présentant tous les marchés de 50 000 F et plus. « Cet état indiquera le nom et le domicile des parties contractantes, la durée, la nature et les principales conditions du contrat40. » Cet amendement est adopté par les députés puis par les pairs et devient l’art 12 de la loi du 31 janvier 1833.
36Par ce vote, le Parlement affirme : premièrement que la réglementation de l’achat public reste du domaine du règlement ; ensuite, qu’une réglementation générale pour tous les achats de l’État est nécessaire ; enfin, que l’exécutif a le devoir d’informer les Chambres a posteriori des plus gros marchés. Si le principe du recours systématique à la « concurrence et à la publicité » n’est finalement pas inscrit dans la loi, ces débats parlementaires du début des années 1830 font cependant émerger cette idée, qui devient, à partir de 1836, le principe fondateur de l’achat public.
II. LE CADRE JURIDIQUE DE LA FIN DU xixe SIÈCLE
37Pendant tout le xixe siècle, les marchés sont des contrats synallagmatiques, qui lient également les deux parties, l’administration et l’entrepreneur. Ni l’une, ni l’autre ne peut rompre le contrat sans indemniser l’autre du préjudice que lui cause cette rupture. L’objet du marché (fournitures ou travaux) détermine sa nature juridique. Si le marché a pour objet la livraison de fournitures, il s’agit d’un contrat de vente. Les règles du Code civil relatives à la responsabilité des risques en matière de vente doivent par exemple lui être appliquées. Au contraire, les marchés de travaux publics sont des contrats de louage d’ouvrage (articles 1 787 et suivants du Code civil). Par exemple, la responsabilité décennale des constructeurs (article 1 792 et 2 270 du Code civil) s’applique si les travaux exécutés « périssent en tout ou partie par vice du sol ou par vice de construction41 ».
38Indépendamment de ces principes posés par le Code civil, les marchés passés par l’État, les départements, les communes ou les établissements publics sont régis par des lois et des règlements.
39Les lois sont très peu nombreuses : seul l’article 12 de la loi du 31 juillet 1833 dont nous venons d’examiner la genèse s’applique. Les parlementaires débattent de l’achat public lors de la discussion des lois de finances et des lois des comptes, mais cela ne se traduit pas par des dispositions législatives. Seuls les montants des crédits accordés sont modifiés à l’issue de leurs discussions. Les parlementaires interviennent également sur l’achat public dans le cadre de commissions d’enquête42 ou lorsqu’ils participent à des commissions dites extraparlementaires. L’achat public reste donc, tout au long du xixe siècle, en dépit d’un contrôle parlementaire croissant, du domaine du règlement. Les trois textes principaux sont l’ordonnance du 4 décembre 1836, et les décrets du 31 mai 1862 et du 18 novembre 1882.
40L’ordonnance du 4 décembre 1836, rendue en application de l’article 12 de la loi du 31 janvier 1833, concerne uniquement les marchés passés au nom du Gouvernement43. Préparée par le ministre des Finances Duchâtel, après consultation des « divers ministres et administrations publiques », elle a pour but de « poser les bases d’un règlement général sur la matière44 ». Elle consacre tout d’abord le principe de la « concurrence et de la publicité » (art. 1) puis fixe 11 exceptions pour lesquels il pourra être traité de gré à gré (art. 2). « Ce principe ne saurait recevoir une application absolue sans porter préjudice grave aux services publics et sans les rendre quelquefois impraticables », explique Duchâtel dans son rapport au roi.
41Parmi ces 11 exceptions, on trouve les petits achats (dont le montant est inférieur à 10 000 F), les achats réalisés dans « l’urgence » ou « lorsque les circonstances exigent que les opérations du Gouvernement soient tenues secrètes » mais aussi de nombreux cas où la qualité des produits est difficilement appréciable (armes, œuvres d’art, instruments scientifiques ou procédés brevetés). Une fois cette question du mode d’achat (adjudication ou gré à gré) traitée, les articles 3 à 11 fixent les règles qui régissent les adjudications (par exemple art. 7 : les soumissions devront toujours être remises cachetées en séance publique).
42Ce texte de 1836 constitue la base du droit de la seconde moitié du xixe siècle. Il est repris tel quel dans le décret sur la comptabilité publique du 31 mai 1862. Peu à peu cependant, chaque ministère produit son propre règlement pour appliquer ces textes : à la fin des années 1870, il devient nécessaire de préciser les dispositions adoptées en 1836. Une commission est nommée afin d’unifier la réglementation, de la moderniser, par exemple en fixant les modalités de soumissions à distance45. Le décret 18 novembre 1882, tout en conservant la structure, la lettre et les principes du texte de 1836 ajoute quelques dispositions complémentaires : le seuil jusqu’auquel le gré à gré est autorisé est élevé. Alors qu’en 1836 (et en 1862) il s’élevait à 10 000 F maximum (ou 3 000 F par an pour les marchés pluriannuels), ce seuil passe à 20 000 F (5 000 F pour les marchés pluriannuels)46. Les délais de publicité sont réduits47 et la possibilité de soumissionner par lettre recommandée désormais prévue. Ce dernier article témoigne de la prise en compte par l’administration de la dispersion territoriale des concurrents potentiels. Dernière nouveauté apportée par le décret de 1882, l’organisation des cautionnements. Jusqu’alors, chaque administration déterminait la nature et le montant des cautionnements exigés dans son cahier des charges. Chacun fixait aussi les règles pour les cas où ils étaient utilisés. Ce n’est plus le cas à partir de 1882.
43Quelles sanctions en cas de non-respect de ces décrets ? Si une administration traite à l’amiable (de gré à gré) pour une fourniture ou des travaux qui ne font pas partie des 11 exceptions du décret de 1836, il n’y a de sanction que politique : le marché conclu à l’amiable est valable, c’est au ministre d’expliquer aux Chambres pourquoi il n’a pas pratiqué d’adjudication. Même si le marché est reconnu onéreux pour l’État, le ministre, s’il le résilie, doit payer des dommages et intérêts au fournisseur48. Par contre, lorsqu’une adjudication a eu lieu sans que toutes les formalités aient été respectées, un recours est ouvert, non seulement au soumissionnaire qui a fait les offres les plus avantageuses mais à tous les candidats49.
44Une fois le marché passé, s’il y a conflits entre les deux parties, le tribunal à saisir dépend de l’objet du marché : s’il s’agit de travaux, toute contestation concernant le sens ou l’exécution des clauses du marché est portée devant le conseil de préfecture, qui statue sauf recours devant le Conseil d’État50. Pour les marchés de fournitures, le fournisseur doit s’adresser au ministre et éventuellement ensuite faire un recours devant le Conseil d’État51.
45Ces ordonnances et décrets complétés par la jurisprudence du Conseil d’État fixent donc le cadre général dans lequel doit s’inscrire toute administration, lorsqu’elle achète. Par nature, ces textes ne peuvent suffire pour régler les relations concrètes entre les administrations et leurs fournisseurs. Avant chaque achat, les administrations rédigent donc un cahier des charges afin d’énoncer clairement les droits et les devoirs des deux parties.
III. DU DROIT AUX PRATIQUES D’ACHAT : LA RÉDACTION DES CAHIERS DES CHARGES
46Généralement préparés par le service consommateur du bien ou du service acheté52, ces cahiers forment le texte de référence dans les relations entrepreneurs-administration. L’application des décrets, et en particulier du principe de « concurrence et publicité », alors assimilé à l’adjudication, a lieu lors de leur rédaction : les acheteurs précisent quel mode d’achat ils choisissent (adjudication ou gré à gré), mais aussi la quantité et la qualité du bien acheté, la date et le lieu de l’adjudication, les conditions de paiement, de livraison, etc. Les cahiers des charges mêlent donc des dispositions provenant des décrets à des clauses que la personne responsable du marché juge bonnes. Dans la plupart des cas, l’agent administratif chargé de préparer l’adjudication ne part pas du néant : soit il dispose du cahier réglant le marché précédent, soit il se sert des cahiers d’autres administrations pour modèle. La rédaction d’un cahier consiste donc en la correction d’un modèle, en ajout ou suppression de clauses ou de mots.
47L’application du principe posé par l’ordonnance de 1836 selon lequel l’adjudication est la règle, le gré à gré l’exception, n’est en rien automatique. Tout un ensemble de décisions (le volume, la date, la durée des contrats…) influencent le choix du mode d’achat. Pour prendre un exemple simple, si une caserne achète la viande dont elle a besoin chaque jour, tous ces petits marchés pourront être traités par « gré à gré », une adjudication n’est ni possible ni imposée par l’ordonnance de 1836. Au contraire, si 10 casernes se rassemblent et passent un contrat pour fourniture de viande pendant un an, l’adjudication s’impose. Ainsi, si l’ordonnance de 1836 semble fixer une fois pour toutes la procédure d’achat, dans la pratique, lors de la préparation des cahiers des charges, le choix du mode d’achat est très fréquemment discuté. Seule une analyse des pratiques administratives à l’échelle locale permet de saisir comment le principe de « concurrence et de publicité » est appliqué.
48Les chefs de service sont souvent hostiles à l’adjudication, considérant qu’il s’agit d’une atteinte à leur droit d’administrer librement leur service. L’achat par gré à gré, sans formalités, leur paraît plus simple et plus rapide. Dans les services où l’ordonnance de 1836 (et les décrets qui en découlent) n’est pas appliquée, où on préfère systématiquement le gré à gré à l’adjudication, il y a certes des cas de fraude et de corruption. Mais, dans la plupart des cas, c’est la méconnaissance du droit, la volonté de faire fonctionner au mieux le service ou la prise en compte des traditions du service ou de principes moraux extérieurs qui sont la cause des irrégularités. Les référés envoyés par la Cour des comptes aux ministres entre 1870 et 1914 en témoignent53.
49Les référés sont des courriers que la Cour des comptes adresse à chacun des ministres pour leur demander des explications sur les pratiques irrégulières qu’elle découvre. Non publiés, manuscrits pour la période qui nous concerne, ces documents ne recoupent pas les critiques présentées dans les rapports publics. Bien plus que des imputations irrégulières, on y trouve essentiellement des critiques sur le paiement des fonctionnaires et la pratique de l’achat public. Dans la plupart des cas, le ministre répond plus ou moins poliment à la Cour, expliquant (parfois justifiant) les dysfonctionnements constatés. Il présente les mesures qu’il envisage pour y mettre fin (circulaires, rappel à l’ordre de certains acheteurs…). Par ses critiques, la Cour des comptes joue un rôle d’éducateur aux bonnes pratiques d’achat public.
50Le fait de faire une adjudication sur les prix n’est pas encore une évidence pour tous les acheteurs publics à la fin du siècle. En 1880, le proviseur du lycée de Pau explique à la Cour des comptes sa méthode (assez moderne54) d’adjudication :
« Pour le drap bleu, l’adjudication n’a pas eu lieu sur un échantillon type imposé par l’administration comme semble le croire la Cour. Suivant un usage constant au lycée de Pau, des échantillons avaient été présentés par les divers concurrents. Ces échantillons ont été classés par ordre de qualité avant l’ouverture des soumissions, et le drap de Gérin Rose a été reconnu le meilleur. Bien que le prix demandé par le fabricant était un peu plus élevé que celui des autres soumissionnaires, le bureau d’administration a jugé que la différence serait compensée et au-delà par la supériorité de la marchandise55. »
51Il ne faudrait pas croire cependant que l’administration est systématiquement partisane du gré à gré contre des élus défenseurs de l’adjudication. Bien que cette situation soit relativement fréquente, on trouve des cas où la position des uns et des autres est strictement inversée.
52C’est le cas par exemple à Paris, au milieu des années 1880, au sujet des fournitures scolaires. En 1886, le marché passé pour « fourniture pour les écoles » arrive à son terme. Il faut donc préparer l’attribution du marché de « livres, objets de papeterie, cahiers et articles divers » pour les trois années à venir, d’une valeur totale de 400 000 F. L’administration préfectorale (le service des écoles), rédige un projet de cahier des charges, projet présenté par le préfet au conseil municipal afin que ce dernier le valide. L’administration, respectant le décret de 1882, propose de conserver le système adopté jusqu’ici, l’adjudication en un seul lot de l’ensemble de la fourniture.
53La Commission de l’instruction du conseil municipal s’oppose cependant à ce mode d’achat56. Elle demande que la fourniture soit divisée en trois lots : achat par gré à gré chez les éditeurs pour les livres et les cartes, puis deux adjudications, l’une pour les papiers et cahiers, l’autre pour les plumes, porte-plumes, crayons, tableaux noirs et ardoises. Elle présente quatre arguments en faveur de ce nouveau système.
- Réunir en un seul lot des objets aussi disparates, c’est rendre l’adjudication « illusoire », « on connaît à l’avance le futur adjudicataire ». En effet, seules « une ou deux grandes maisons » sont capables de soumissionner. « Cela constitue un véritable privilège » en leur faveur.
- Le rabais proposé par les soumissionnaires n’existe pas en fait : ces grandes maisons font des rabais sur les livres mais des bénéfices sur le papier et les cahiers, objets non décrits précisément dans le cahier des charges.
- L’administration devrait acheter directement ses livres aux éditeurs. Elle éviterait ainsi de rémunérer un intermédiaire.
- Pour un des produits, l’adjudication a pour conséquence de faire fournir à la ville des produits allemands, sans aucun bénéfice pour elle, ni au point de vue de la diminution des prix, ni au point de vue de la qualité des objets.
54À ces arguments des élus, le préfet répond que :
- Diviser la fourniture en lot va coûter cher à la ville car l’adjudicataire faisait jusqu’alors de gros rabais.
- L’adjudicataire fournit non seulement des produits mais il met également à la disposition de la ville du personnel de manutention. Diviser la fourniture en lots, c’est se trouver dans l’obligation de recruter ces agents.
- Enfin, l’administration payant fort tard, il est bon d’avoir pour fournisseur une maison importante, qui dispose d’un « grand roulement de fonds » et est donc capable de s’accommoder de ces retards. Au contraire, un petit éditeur aurait besoin d’emprunter pour attendre le paiement et ferait supporter à l’administration le coût du crédit.
55Les arguments du préfet sont jugés insuffisants : le conseil adopte la position de la Commission de l’instruction, afin de « faire des économies » et de « briser un privilège en faveur du haut commerce ». Dans cet exemple, on distingue très clairement que le choix du mode d’achat se fait sur des motifs économiques (trouver le mode d’approvisionnement le moins cher), partiellement sur des motifs politiques (éviter d’acheter allemand ou au « haut commerce »), et enfin sur des motifs d’administration (éviter de désorganiser l’approvisionnement). Quant aux décrets alors en vigueur, ils apparaissent singulièrement absents des débats : non pas qu’ils ne soient pas appliqués, mais leur caractère lacunaire permet aux acteurs locaux de bénéficier d’une importante marge de manœuvre. Si les conseillers municipaux souhaitent bien favoriser la « concurrence et la publicité », ils privilégient le principe plutôt que la lettre des décrets. Ils affirment que l’adjudication peut aussi donner lieu à des pratiques de favoritisme. Enfin, le contexte politique et économique – ici les conflits bien connus entre la préfecture de la Seine et la municipalité parisienne – joue un rôle essentiel dans ces décisions.
56Ainsi, tout au long du siècle, tous les acteurs concernés par l’achat public s’accordent sur la nécessité d’acheter au moins cher. Cependant, ce consensus disparaît immédiatement dès qu’on soulève la question de la méthode à employer pour atteindre cet objectif. Le premier problème est celui de la définition et du contrôle de la qualité exigée : la question du prix ne peut en effet être distinguée de celle de la qualité. La définition des normes de qualité, le choix des experts, les modalités de l’expertise sont des questions centrales dans le processus d’achat. Deuxième problème, celui de la nécessaire autonomie des acheteurs publics : les ministres ne peuvent évidemment tout faire, il leur faut déléguer. Comment réussir à contrôler et encadrer ces multiples acheteurs publics, comment faire en sorte qu’ils partagent la même conception de l’intérêt général ? Enfin, quels que soient les textes de droit adoptés au niveau central, la question de leur interprétation, de leur application se pose sans cesse. L’achat public ne relève pas d’une application automatique de procédures fixées par décret. En raison de la diversité des administrations, de la multitude de produits et services concernés et de l’ampleur des besoins, sa codification se révèle particulièrement complexe. Elle constitue pourtant une étape essentielle dans la construction d’une administration plus transparente, soumise au principe de légalité et au contrôle parlementaire.
Notes de bas de page
1 Florian Linditch, Le droit des marchés publics, Dalloz, Paris, 2005.
2 Comme dans beaucoup d’autres, voir Patrick Harismendy (dir.), La France des années 1830 et l’esprit de réforme, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2006.
3 Alain Laquièze, Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848), PUF, Paris, 2002.
4 Sur l’émergence d’une science administrative à cette période, voir Steve Sawyer, Pathways to Politicization : Local Politics and Civil Society in Paris During the July Monarchy, 1830-1848, PhD, Université de Chicago, 2007.
5 Numéro spécial « Produire la loi », Droit et société, n° 40, 1998.
6 Alain Chatriot, La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique, 1924-1940, La Découverte, Paris, 2002.
7 Claire Lemercier, « Un si discret pouvoir », Aux origines de la Chambre de commerce de Paris, 1803-1853, La Découverte, Paris, 2003. Isabelle Moret-Lespinet, L’Office du travail, La République et la réforme sociale 1891-1914, PUR, Rennes, 2007.
8 Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire, Seuil, Paris, 2005.
9 Sabino Cassese, La construction du droit administratif, France et Royaume-Uni, Montchrestien, Paris, 2000 ; Grégoire Bigot, Introduction historique au droit administratif, PUF, Paris, 2002.
10 François Burdeau, Histoire du droit administratif, PUF, Paris, 1995, p. 123 et suiv.
11 François Monnier, Les marchés de travaux publics dans la généralité de Paris au xviiie siècle, LGDJ, Paris, 1984 ; Cédric Grineur, Genèse d’un droit administratif sous le règne de Louis XV. Les pratiques de l’intendant dans les provinces du Nord (1726-1754), Presses universitaires d’Orléans, Orléans, 2005. Anne-Sophie Condette-Marcant, Bâtir une généralité. Le droit des travaux publics dans la généralité d’Amiens au xviiie siècle, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001.
12 Stéphane Perreon, L’armée en Bretagne au xviiie siècle : Institution militaire et société civile au temps de l’intendance et des États, PUR, Rennes, 2005.
13 A. Laquièze, Les origines du régime parlementaire…, op. cit.
14 Sur ces textes, voir Henri Isaïa, Jacques Spindler (coord.), Histoire du droit des finances publiques. Les grands textes commentés, Economica, Paris, 1987. Voir également sur cette question les travaux de Valérie Goutal-Arnal, Sébastien Kott et Michel Bottin dans le présent ouvrage.
15 Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Seuil, Paris, 1990, p. 27-36.
16 Sur ce thème, voir P. Rosanvallon, L’État en France…, op. cit., p. 49-60.
17 Archives parlementaires (Ap.), tome 73, p. 753, 22 novembre 1831, Chambre des députés, intervention de Dubois-Aymé.
18 Volontaire de l’an III, polytechnicien, attaché en qualité d’ingénieur à l’expédition d’Égypte, il devient administrateur en Italie. Il est député de l’Ille-et-Vilaine puis de l’Isère de 1831 à 1834. Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Bourloton, Paris, 1889.
19 Ap., tome 71, p. 190, 31 octobre 1831, Chambre des députés, rapport Passy sur la loi de comptes de 1829.
20 Ap., tome 73, p.753, 22novembre 1831, Chambre des députés, intervention de M.Dubois-Aymé.
21 Ap., tome 73, p. 705, 14 décembre 1831, Chambre des pairs, rapport Roy.
22 A. Laquièze, Les origines du régime parlementaire…, op. cit., p. 191.
23 Sur toutes ces questions, voir A. Laquièze, Les origines du régime parlementaire…, op. cit., p. 186 et suiv.
24 Ap., tome 71, p. 204 et suiv., 31 octobre 1831, Chambre des députés, rapport de Passy sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1829.
25 Ap., tome 71, p. 190 et suiv., 31 octobre 1831, Chambre des députés, rapport Passy.
26 Ap., tome 73, p. 705, 14 décembre 1831, Chambre des pairs, rapport Roy.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Sur la notion de séparation des pouvoirs, voir Alain Pariente (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Dalloz, Paris, 2007. Il faut distinguer : la question de l’autonomisation de plusieurs institutions, la répartition des tâches entre elles, enfin les interactions entre elles.
30 Ap., tome 71, p. 204 et suiv., 31 octobre 1831, Chambre des députés, rapport Passy.
31 Ap., tome 74, p. 772, 4 février 1832, Chambre des députés, intervention de Tracy.
32 Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 25.
33 Ap., tome 71, p. 753, 22 novembre 1831, Chambre des députés, intervention de Dubois-Aymé.
34 Ap., tome 71, p. 753, 22 novembre 1831, Chambre des députés, intervention de Dubois-Aymé.
35 Ap., tome 74, p. 776-772, 4 février 1832, Chambre des députés, intervention de Tracy.
36 Ap., tome 71, p. 753, 22 novembre 1831, Chambre des députés, intervention de Dubois-Aymé.
37 Ap., tome 73, p. 705, 9 janvier 1832, Chambre des pairs, rapport du comte Roy.
38 Ap., tome 74, p. 759, 4 février 1832, Chambre des députés, intervention de Dubois-Aymé.
39 Ap., tome 78, p. 346, 21 décembre 1832, Chambre des députés, intervention de M. Dubois-Aymé.
40 Bulletin des lois, 1833, Loi portant règlement définitif du budget de l’exercice 1829, art 12.
41 Arrêt du Conseil d’État, 8 mai 1874, cité par Léon Say, Dictionnaire des finances, Berger-Levrault, Paris, 1894, art. « marchés administratifs ».
42 Sur cette question, voir Hélène Lemesle, « Apprendre le travail parlementaire, construire une séparation des pouvoirs ? La commission des marchés (1871-1874) », in Revue d’histoire du xixe siècle, automne 2007.
43 Valables uniquement pour les marchés passés au nom de l’État (ministères et départements), mais les règles fixées pour les communes et les établissements publics par l’ordonnance du 14 novembre 1837 sont extrêmement proches.
44 « Rapport au roi du secrétaire d’État aux Finances Duchâtel », Le Moniteur universel, 5 décembre 1836, p. 2187.
45 Archives CAEF, B 0049464, Procès-verbaux de la commission de révision du décret du 31 mai 1862, 1878-1881.
46 Le salaire mensuel d’un ouvrier est alors de 100-150 F.
47 En 1836, les affiches doivent être apposées au moins un mois avant la date de l’adjudication, à partir de 1882, un délai de 20 jours suffit.
48 Manuel des adjudicataires de fournitures et de travaux pour le compte de l’État, des départements, communes et autres établissements publics, Chevalier-Maresq, Paris, 1887, p. 23.
49 Manuel des adjudicataires…, op. cit., p. 36.
50 Manuel des adjudicataires…, op. cit., p. 145.
51 Manuel des adjudicataires…, op. cit., p. 148.
52 Il n’y a pas alors de service central proposant des modèles de cahier des charges.
53 Archives de la Cour des comptes, registres des référés, 1870-1914. Je remercie chaleureusement Agnès Degoulet de m’avoir permis l’accès à ces documents.
54 Les codes des marchés publics récents prévoient le classement des soumissionnaires non pas uniquement sur le prix mais sur plusieurs critères (dont la qualité).
55 Archives de la Cour des comptes, référés Instruction publique, n° 65, Lycée de Pau, gestion 1880, réponse du ministre citant le proviseur, 1er juin 1882.
56 Conseil municipal de Paris, 1886, rapport n° 108, présenté par M. Levraud au nom de la Commission de l’instruction publique sur le mode d’approvisionnement à adopter pour la fourniture des écoles communales des livres, des objets de papeterie, cahiers et objets divers. Déposé le 21 juillet 1886.
Auteur
Hélène Lemesle est doctorante en histoire économique et sociale à l’Université Paris 10 et chef de projet développement du parc social à la Caisse des dépôts et consignations. Ses travaux ont porté dans un premier temps sur les relations entre propriétaires et locataires au xixe siècle (Vautours, singes et cloportes. Ledru-Rollin, ses locataires et ses concierges, Paris, Association pour le développement de l’histoire économique, 2003). Sa thèse s’intitule L’État au marché, économique et politique de l’achat public dans la France du xixe siècle. Elle interroge principalement les enjeux politiques de la réglementation de l’achat public (en terme de séparation et d’équilibre des pouvoirs notamment), la pratique des achats au quotidien dans diverses administrations (Assistance publique, Armée, administrations municipales…) ainsi que le rôle de l’achat public dans la construction d’un droit du travail au tournant du siècle.
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