Le cadre juridique de la gestion financière de l’État
p. 47-111
Texte intégral
1La définition de la gestion renvoie à celle d’administration. Comme l’écrit Charles Eisenmann à propos de la distinction entre la fonction de juridiction et celle d’administration, l’administrateur « est considéré comme l’homme de l’action, des résultats et fins et des résultats pratiques ». « Il ressentira souvent la loi comme une limite, poursuit-il, pour ne pas dire, une entrave ou une gêne à son action, dont il doit s’accommoder mais qui n’est pas sa loi, la règle suprême de son action, selon son sentiment1 ». Édouard Laferrière, en 1887, à une époque où le droit administratif ne subissait pas le cloisonnement des disciplines, pouvait écrire très simplement : « Les ordonnateurs sont des administrateurs2. » Cette juxtaposition de deux théoriciens du droit administratif permet de voir que l’activité de l’administration renvoie, presque naturellement, dans notre droit public, aux catégories juridiques du droit financier. Celles-ci sont étroitement imbriquées dans l’action publique. La volonté politique de rendre plus efficace l’action publique par la mise en œuvre de nouveaux moyens de gestion financière nous renvoie à l’étude des instruments juridiques qui doivent les mettre en œuvre. Le droit financier, à travers la conceptualisation de ces nouveaux principes de gestion dans la loi du 1er août 2001, n’a jamais été autant sollicité comme moyen d’action sur les comportements des agents de l’administration.
2La conceptualisation des nouveaux principes de gestion traduit la volonté politique d’utiliser les nouvelles nomenclatures budgétaires et comptables pour modifier les comportements des agents publics. Considérés comme trop soucieux de régularité et de respect hiérarchique, ceux-ci devraient désormais orienter leurs activités vers leurs finalités. Les résultats obtenus au regard des moyens mis en œuvre étant devenu le souci prédominant. Ces nouveaux principes de gestion publique par les nouvelles exigences d’efficacité, d’efficience et d’économie doivent permettre de rendre l’action publique plus performante et mieux à même de satisfaire, au regard des moyens mis en œuvre, les attentes des citoyens.
3Dans cette perspective, la gestion financière est donc considérée comme déterminante. Le remplacement du chapitre, unité de crédit depuis la Restauration, par le programme dans la loi organique relative aux finances (LOLF), avec tout ce que cela induit en droit budgétaire et comptable, doit contribuer à réaliser cette mutation. Identifier les résultats selon la logique de finalité suppose des instruments juridiques nouveaux. C’est ainsi que la conceptualisation de cette nouvelle gestion financière dans la LOLF a conduit à donner une forme juridique aux notions d’actions, d’objectifs, de performance et d’indicateurs de résultats. Les programmes, qui peuvent avoir un caractère interministériel dans le cadre des missions, sont l’expression des politiques publiques et sont eux-mêmes déclinés en actions. Ils sont dotés d’instruments de mesure en termes d’indicateurs de résultats. La performance fait l’objet de plans et de rapports où ils sont intégrés. L’importance accordée dans ce texte aux règles relatives à la tenue des comptes et leur certification par la Cour des comptes permettent de donner une réalité au circuit de l’information entre prévision et exécution.
4Lors de l’élaboration de la LOLF ont été directement invoquées des expériences étrangères, que ce soit au Royaume-Uni, dans les pays du nord de l’Europe ou encore en Nouvelle-Zélande. L’origine est plus ancienne et américaine3. Elle prend sa source dans les nouvelles formes de management appliquées aux organisations. Celles-ci s’inspirent des nouvelles formes de gestion utilisées dans les entreprises privées et reposent sur l’élaboration d’une stratégie d’objectifs regroupés dans un programme, un pilotage à partir des résultats, des décideurs bien identifiés à qui on donne une plus grande liberté d’action avec pour contrepartie la mise en œuvre de leur responsabilité au regard des résultats obtenus.
5Jacques Caillosse, dans son ouvrage sur La constitution imaginaire de l’administration, reconnaît la nécessité de donner son propre droit à la modernisation de l’action publique. Il s’interroge, dans une parenthèse : « la loi organique relative aux lois de finances ne pourrait-elle pas être regardée comme une manière emblématique de ce nouvel âge juridique du management appliqué aux affaires de l’État4 ? ». La rationalisation du cadre juridique des nouveaux principes de gestion dans la loi organique atteint, en effet, un degré de cohérence inégalé au regard des tentatives d’autres textes comme le décret organique du 19 juin 1956 et l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui, déjà, intégraient des logiques économiques. Le champ d’application, la structure, la définition des principes, l’articulation des dispositions, l’intégration des nouveaux concepts en témoignent. Le fait qu’elle soit d’initiative législative et ait donné lieu à de vrais travaux préparatoires sur la base d’un consensus peut être une première explication. L’intellectualisation et le raffinement du droit témoignent également de la richesse des matériaux qui faisaient défaut lors de l’élaboration des précédents textes organiques. Plus de quarante ans s’étaient écoulés depuis l’adoption de l’ordonnance du 2 janvier 1959, les rapports de la Cour des comptes, des travaux parlementaires, la doctrine, les précisions apportées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel donnaient aux rédacteurs de la LOLF matière à réflexion. Enfin un recadrage macroéconomique s’était effectué avec la création de l’Union économique et monétaire par le traité de Maastricht en 1992. Ce dernier, avec ses exigences en matière de déficits publics et de dette publique, donnait une assise aux efforts déployés les années antérieures concernant la maîtrise de la dépense publique. La réflexion sur la gestion financière s’inscrivait auprès de l’opinion publique dans une critique entretenue par l’illisibilité des choix budgétaires liée à des nomenclatures stérilisantes et par la rigidité du cadre comptable de la dépense considérée comme une entrave à l’action. Les nouveaux principes de gestion pouvaient dès lors être parfaitement justifiés par l’impératif : « il nous faut dépenser mieux pour dépenser moins ».
6La cohérence interne de la LOLF à partir de la conceptualisation des nouveaux instruments de gestion s’explique pour d’autres raisons, l’une est politique et constitutionnelle, l’autre est liée à la nature même du cadre budgétaire et comptable, dans la mesure où il est relatif aux conditions dans lesquelles doit être utilisé le produit de l’impôt. Dans la présentation de la LOLF par ses rédacteurs, deux thèmes s’entrecroisent et constituent en quelque sorte l’exposé des motifs, à savoir la modernisation de la gestion financière et la rénovation des pouvoirs du Parlement. Ce n’est pas une simple juxtaposition, dans la mesure où il est démontré que la nouvelle logique de gestion, qui enchaîne objectifs, résultats et indicateurs de résultats au sein des programmes, est considérée comme l’instrument qui doit permettre au Parlement de retrouver un véritable pouvoir budgétaire. Le Conseil constitutionnel n’a pas été indifférent aux revendications des parlementaires en proposant une relecture de l’article 42 de la Constitution qui joue de l’architecture délicate entre les missions et les programmes dans sa décision du 25 juillet 20015 relative à la LOLF.
7Cette liaison n’est pas nouvelle et s’inscrit dans le balancier entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif qui structure le droit budgétaire et comptable. L’articulation explicite des deux thèmes n’est pas sans rappeler, dans un autre contexte, l’exposé des motifs du décret organique du 19 juin 19566 déterminant le mode de présentation du budget de l’État, dont il est admis qu’il a été rédigé par Roger Goetze, directeur du Budget. En ce temps, c’est la nouvelle rationalité économique, celle qui conduisait à inscrire le budget de l’État dans l’ensemble de l’économie par le moyen de la compatibilité nationale, qui justifiait un meilleur encadrement des pouvoirs budgétaires du Parlement. Encadrement du pouvoir budgétaire qui sera considéré comme un premier pas vers la rationalisation du parlementarisme opérée par la Constitution de 1958.
8Mais si le cadre juridique de la gestion financière de l’État a pu atteindre un certain degré de cohérence, c’est parce que celle-ci s’inscrit dans un ensemble de règles dont l’articulation ne peut se comprendre qu’en fonction de la nature essentiellement fiscale des ressources de l’État.
9Les ressources de l’État ne proviennent pas de ses activités, comme c’est le cas pour les entreprises, mais d’un prélèvement effectué par voie d’autorité sur la richesse des particuliers. De ce fait, la gestion financière de l’État est relative à l’utilisation du produit de l’impôt.
10Dans les démocraties modernes, le mécanisme d’allocation des ressources provenant du produit de l’impôt repose sur le vote du budget par des assemblées élues. Le fait qu’il s’agisse d’un acte de prévision portant sur des chiffres et qu’il soit relatif à l’ensemble des services, suppose qu’il soit apporté une attention particulière à sa préparation. Dans nos institutions, cette préparation incombe au gouvernement. Ceci s’explique non seulement par notre histoire constitutionnelle et sa transcription relativement récente dans notre droit positif, mais aussi par la nécessité d’assurer une cohérence financière au niveau de l’État et par le fait que les instruments techniques permettant la prévision sont concentrés au sein de l’administration financière.
11La loi de finances, issue d’un projet gouvernemental, va donc autoriser les dépenses qui deviendront des crédits. Ils seront mis, selon la terminologie traditionnelle depuis la Restauration, à « la disposition des ministres ». L’autorisation initiale portant sur un texte chiffré est nécessaire à la qualité des informations qui vont pouvoir l’éclairer. L’exercice de cette compétence législative n’épuise pas la compétence du Parlement. Un système de contrôle lui permet de s’assurer si son autorisation a bien été respectée lors de l’exécution qui en a été faite par l’administration. C’est à lui en particulier qu’appartient de régler les comptes dans la loi de règlement. De l’ensemble de ces éléments : autorisation donnée sur un document chiffré, exécution soumise à approbation, il résulte un besoin particulier d’informations. Ce besoin irrigue tout le système financier de l’État. Il met en cause les rapports du Parlement et du Gouvernement dans la mesure où ces informations sont détenues par l’administration, mais aussi le rôle des institutions de contrôle comme la Cour des comptes. La haute juridiction financière, en particulier, assure une fiabilité aux informations de source administrative. Dans ces rapports étroits entre la préparation qui appartient au Gouvernement, l’autorisation et le contrôle qui appartiennent au Parlement, la comptabilité constitue une des principales sources d’information.
12La gestion financière s’effectue selon les règles de la comptabilité publique, elle n’est qu’un élément de cet ensemble qui va de la préparation du budget au contrôle de son exécution.
13Dans ces rapports étroits existant entre la préparation qui appartient au Gouvernement, l’autorisation et le contrôle qui appartient au Parlement, les règles d’exécution des opérations autorisées par la loi de finances prennent leur véritable dimension, même si, historiquement, les règles propres à la comptabilité sont antérieures au droit budgétaire. La gestion financière de l’État, qui s’effectue selon les règles de la comptabilité publique, n’est qu’un élément du système financier qui va de la préparation du budget au contrôle de son exécution. Elle est étroitement liée, de par son objet, à l’activité administrative, et veut l’être plus encore dans la mesure où la LOLF a l’ambition d’être l’instrument de la modernisation de l’action publique. Son cadre juridique pose des problèmes constitutionnels dans la mesure où sont en jeu les rapports entre le Parlement et le Gouvernement. La révision constitutionnelle de 2008 apporte par ailleurs des éléments nouveaux dans la mesure où on assiste à une constitutionnalisation plus avancée de la matière financière. En particulier, en ce qui nous concerne, la juridicisation de la distinction entre la fonction législative et la fonction de contrôle du Parlement (article 34) mais aussi par l’attention particulière que le constituant a accordée à la Cour des comptes.
14La cohérence du système juridique qui encadre la gestion financière s’est trouvée singulièrement renforcée par l’utilisation qui a été faite de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Celui-ci dispose que « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Il est considéré par les rédacteurs de la LOLF comme l’élément permettant de fonder – associé ou non avec l’article 15 selon lequel « La société a droit de demander compte à tout agent public de son administration » – les novations de LOLF7. Il appartient au Conseil constitutionnel d’avoir établi la filiation juridique, dans sa décision du 25 juillet 2001 relative à la LOLF (2001-448), en plaçant l’article 14 de la Déclaration en exergue de sa décision et de déduire de ses dispositions « que l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par la Constitution ».
15La question qui se pose n’est pas de savoir si les réalisations, depuis l’entrée en vigueur du nouveau texte, sont à la mesure de ses ambitions. La juridicisation des effets induits par la LOLF n’est pas achevée, tant en ce qui concerne la responsabilité du directeur de programme que l’organisation et les procédures à mettre en œuvre par les juridictions financières. Les difficultés d’application apparaissent, concernant la mise en place des nouvelles comptabilités, la délimitation des programmes en relation avec les politiques publiques, la ventilation des actions, la pertinence des indicateurs. Ces problèmes sont reconnus et sont objet de propositions. À cette date, compte tenu de ces éléments, on ne peut porter un jugement sur le caractère opérationnel de la nouvelle architecture budgétaire et comptable. Notre propos est de montrer comment le nouveau cadre de la gestion financière a pu être conceptualisé et d’établir sa cohérence. Seule l’histoire du cadre juridique de la gestion financière de l’État peut nous le permettre.
16La perspective historique s’impose dans la mesure où la refondation du système s’appuie sur l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Certes, on peut considérer que les catégories juridiques sont des catégories formelles dont l’interprétation dépend de la volonté de ceux qui les interprètent, et qu’à la limite, les concepts n’ont pas d’histoire. Mais ce ne serait ne pas tenir compte de la référence continue à l’Histoire dans l’œuvre des grands juristes financiers, de la permanence d’un vocabulaire qui a sa propre capacité de résistance et de l’utilisation, y compris par le Conseil constitutionnel, d’expressions liées intimement à l’histoire du droit budgétaire. L’incapacité de produire des problématiques juridiques dans notre domaine a atteint son apogée après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le modernisme triomphant et la notion de « finances modernes » ont conduit à ignorer les problématiques qui lui étaient antérieures.
17Il ne peut s’agir ici d’une recherche orientée par la volonté de démontrer que ce qui « est » existait « déjà » et de ne pas reconnaître leur singularité aux modes de gestion utilisées dans le passé. Simplement, il nous apparaît que, compte tenu de la force du langage juridique hérité du passé en droit budgétaire et comptable, on peut essayer, comme le proposait Marc Bloch, d’« éclairer le présent par le passé mais aussi le passé par le présent8 ».
18Avant de proposer une démonstration, en relation avec l’Histoire, concernant la réceptivité du droit budgétaire et comptable aux problématiques de la gestion des affaires publiques, il nous paraît nécessaire de préciser certains caractères propres à la matière financière, ainsi que notre démarche juridique au sein de ce qu’on a appelé successivement « la science financière » et « les finances publiques ».
Le particularisme de la matière financière.
19On ne saurait parler de l’intégration du rationalisme gestionnaire, en application d’un modèle d’origine étrangère, au sein du cadre juridique et comptable de l’État, sans évoquer la permanence de certaines données propres à la discipline. À savoir le fait que les documents qui nous concernent sont des documents chiffrés, qu’il existe ce que nous pouvons appeler un certain ordre financier et enfin que l’Histoire nous montre que notre système financier a une longue tradition de droit comparé.
20L’expression des recettes et des dépenses, ainsi que leur solde, introduit une précision et un caractère d’objectivité qui leur donne une réalité qu’on ne retrouve pas dans les autres branches du droit. Les comportements administratifs sont encadrés par des autorisations chiffrées. Ces chiffres proviennent d’évaluations qui ont nécessairement pour base les comptes tenus par les agents publics. Les contrôles s’effectueront sur des opérations présentées sous forme de comptes. Une première exigence que traduit très bien Paul Reuter en écrivant que les États doivent « adopter les formules les mieux étudiées pour donner à leur budget et à leurs comptes une figure plus conforme à l’idéal éternel des documents budgétaires : intelligibilité et rationalité »9. Cette constatation doit s’appuyer sur le fait que la tenue des comptes, les procédés d’écritures, le besoin pour le Prince de connaître l’état des entrées et des sorties et leur mise en perspective se sont traduits par l’élaboration de règles et de principes de comptabilité qui sont antérieures à la naissance des budgets. L’ordre et la clarté sont d’abord des exigences comptables. Ceci permet de comprendre l’étroite connexion, par cette expression chiffrée, entre le droit budgétaire et comptable. L’amélioration de la prévision et du contrôle budgétaire sont tributaires des perfectionnements comptables.
21La notion d’ordre public financier, en ce qui concerne l’État, peut être déclinée de différentes façons. Tout d’abord, la gestion financière concerne des deniers publics. L’efficacité du système financier, qui suppose que les intérêts privés n’interfèrent pas dans le circuit de perception et de dépense, a toujours suscité des contrôles et un statut particulier pour les agents chargés de ces opérations. Ceci explique, en particulier, l’existence ancienne des chambres des comptes. L’ordre public financier peut, selon nous, se manifester dans un autre domaine qui est celui des capacités de financement. La référence au terme de l’orthodoxie financière, à la nécessité d’un équilibre dont serait gardien le ministre des Finances confronté à la matérialité des paiements, est récurrente. Le souci d’équilibre ne peut être rattaché aux seules théories dites des finances classiques. Il met en cause la capacité de l’État à disposer de ressources fiscales ainsi que sa possibilité de recourir au crédit. Le choix de l’un ou l’autre procédé peut être volontaire ; il n’est pas toujours possible. Notre histoire est jalonnée de crises financières où les institutions se sont trouvées menacées par la perte de confiance dans le crédit public. Au-delà des expériences keynésiennes, ce besoin d’ordre financier lié aux capacités de financement demeure. Enfin, ce thème peut être décliné dans une nouvelle composante qui n’est pas sans rappeler les préoccupations monétaires des financiers dits « classiques ». La construction d’une Europe économique et monétaire par le traité de Maastricht de 1992, tout en réservant la compétence budgétaire des États, a posé des limites quant au montant des déficits publics et du poids de la dette10. L’impact sur la gestion de cet élément purement financier peut être apprécié différemment. Les difficultés financières peuvent se traduire par des plans d’économie qui peuvent prendre la forme arbitraire d’économies forfaitaires ou entraîner des gels, des annulations de crédits qui rendent la gestion incertaine. Elles peuvent aussi être utilisées pour accélérer des réformes de gestion en rendant celles-ci incontournables aux yeux de l’opinion publique. La seule alternative possible aux yeux des rédacteurs de la LOLF étant désormais de « dépenser mieux pour dépenser moins ».
22À ces caractères originaux doivent s’ajouter les notions d’urgence et de circonstances exceptionnelles. Les crises financières s’y rattachent, mais aussi, dans la période qui nous intéresse, tout ce qui concerne les événements militaires : financement de l’effort de guerre, de la guerre elle-même et de la reconstruction. Autant d’épreuves pour la gestion financière que le système juridique a dû résoudre. La pratique des crédits additionnels, les délégations de compétence à l’exécutif ont été des moyens utiles dont l’abus, en dehors de situations de réelles urgences, a été dénoncé. Le cadre juridique de la gestion a dû trouver les moyens de faire face aux imprévus. Les lois de finances rectificatives, les décrets d’avance, les mouvements de crédits en cours d’année doivent pouvoir y répondre, mais ils conduisent nécessairement à rendre plus complexe la tâche des gestionnaires.
23Enfin, si le cadre juridique de la gestion financière peut être plus facilement modifié que celui de l’action administrative proprement dite, ceci peut s’expliquer par l’importance qu’ont toujours eu, au moins jusque dans les années cinquante, la comparaison avec les systèmes juridiques étrangers. La référence aux institutions anglaises est constante sous la Restauration, dès la fondation du droit budgétaire. Mais si l’exemple de l’Angleterre va permettre aux Chambres d’assurer leur pouvoir financier face à l’exécutif, le modèle anglais sera par la suite utilisé pour le réduire en matière budgétaire et le réorienter sur la fonction de contrôle. On assiste par ailleurs, après la défaite de 1870 et jusqu’à la Première Guerre mondiale, au développement d’un fort courant comparatiste dans le cadre d’une confrontation systématique de l’efficacité des systèmes financiers. Si les traités consacrés aux finances de l’État intègrent cette composante comparatiste, il appartient à Gaston Jèze, avec la Revue de sciences et législation financière créée en 1903, d’animer ce courant comparatiste en ouvrant, en particulier, la revue aux auteurs étrangers, en assurant un suivi de leurs publications et en rendant compte des modifications importantes dans les systèmes juridiques étrangers. À ceci s’ajoute son activité éditoriale dans le cadre de la collection de la Bibliothèque internationale de droit public, qu’il a créée dans le même temps avec Max Boucard et dont il assure la direction. C’est ainsi qu’il fera connaître, en traduction française, les théoriciens allemands du droit public comme Laband, Jellinek, ou encore des théoriciens plus directement financiers comme l’Allemand Wagner, l’Italien Nitti ou l’Anglo-Américain Seligman.
24Une autre veine comparatiste s’ouvrira dans le cadre des organisations internationales, la première s’avérant plus fructueuse que la seconde. La première aura pour origine les conférences sur le désarmement organisées dans le cadre de la SDN et aura comme conséquence, en ce qui nous concerne, la création de la section de finances, en 1935, au sein de l’Institut de droit comparé créé par l’Université de Paris en 1932 par Lévy-Ulhmann. L’initiative de la création de cette nouvelle section revient au doyen Allix et à Robert Jacomet, contrôleur général de la Marine, et qui, en tant que représentant de la France à la SDN dans les conférences sur le désarmement à partir de 1926, avait mis au point une méthode comparative concernant le montant des dépenses militaires dans soixante et un pays. Les travaux, publiés dans les Annales de finances publiques à partir de 1936, traduisent les préoccupations des années trente dans les différents pays et l’intérêt porté à partir de 1935 aux politiques de grands travaux publics et aux expériences de planification en URSS. Paul Reuter, jeune docteur, sera le premier secrétaire de cette section, qui utilisera le réseau des collaborateurs étrangers constitué à partir de Genève. On le retrouvera, en tant que professeur à l’Université d’Aix-en-Provence dans l’après-guerre, rapporteur au sein d’une conférence internationale organisée par l’Association internationale de finances publiques portant sur la réforme budgétaire. Il montrera, dans son rapport et dans la synthèse des travaux, le souci d’adaptation des structures juridiques aux nouvelles données économiques et l’urgence de réformes harmonisées face au progrès de l’organisation internationale. C’est en termes de problématique budgétaire et comptable que Paul Reuter traduira les exigences nouvelles résultant des conventions de Bretton-Woods, de Genève ou de La Havane. C’est en tant que juriste financier que l’auteur attirera l’attention sur le fait que, compte tenu « du développement du droit administratif international et des innombrables contacts et échanges qui en résultent, les institutions internationales tendent à s’aligner les unes sur les autres en s’empruntant réciproquement leurs perfectionnements. Les budgets ne peuvent plus échapper aux rapprochements, études et analyses des experts internationaux11. »
La démarche juridique en finances publiques.
25Rechercher dans le passé des problématiques juridiques dont la gestion financière de l’État est l’enjeu suppose que l’on écarte un certain nombre de réflexes hérités de la période d’après-guerre lors de la construction de la notion de finances publiques modernes, en opposition à une conception dite « classique » des finances publiques. Le nouveau rôle de l’État dans le domaine économique et social et la confrontation des juristes et des économistes qu’il impliquait, alliés à l’insuffisance du droit constitutionnel à expliquer les vrais sources du pouvoir politique, ont conduit, par souci de modernisme, à faire des finances classiques et de leurs théoriciens une cible obligée. Au regard du passé, la doctrine s’est créé un objet en cumulant les anachronismes. Le droit des finances publiques élaboré à l’époque du libéralisme économique serait la fidèle traduction des rapports économiques, politiques et sociaux de cette époque. L’épreuve de la Première Guerre mondiale, puis surtout la crise économique de 1929 auraient mis fin à cet « âge d’or » où existait une adéquation parfaite entre la superstructure que serait le droit et la réalité. D’où l’état de crise permanent dans lequel se trouverait le droit des finances de l’État : le Parlement ne détenant plus désormais qu’un pouvoir financier purement formel face à l’intervention nécessaire des experts en matière économique et financière. Les principes hérités de l’époque classique, vidés de leur signification, ne se maintiendraient qu’à force d’exception. Forts de la théorie keynésienne relative à l’utilisation de la dépense publique comme moyen d’intervention économique, les théoriciens des finances modernes ont réduit ainsi de façon caricaturale les dépenses de l’État libéral aux seules dépenses correspondant aux fonctions régaliennes de l’État. Dans cet esprit, l’orthodoxie la plus stricte expliquerait l’attachement des « classiques » au respect de l’équilibre budgétaire. Cette attitude non seulement conduit à ignorer la réflexion sur les dépenses publiques qui alimentent la doctrine à cette époque, les études sur le rôle économique de l’impôt, de même que les préoccupations monétaires et l’attention portée au crédit public, mais elle conduit également à supposer l’absence de conflits dont le droit serait l’enjeu sur une longue période, où en quelque sorte la réalité politique, économique et sociale se serait en quelque sorte figée.
26Les recherches effectuées relatives à cette époque montrent que le cadre budgétaire et comptable était loin d’être considéré comme parfaitement adapté aux réalités qu’il aurait dû traduire. Les travaux parlementaires, les travaux d’origine administrative et la doctrine en témoignent. Des réformes ont été entreprises et des propositions de réforme ont été formulées, dont la portée rejoint nos problématiques juridiques actuelles. Réfléchir sur ces problématiques n’est pas pour autant appauvrir le droit budgétaire et comptable de tout l’apport que constitue le développement des sciences sociales, mais donner aux problématiques juridiques toute leur dimension. À cet égard et à des niveaux de théorisation différents, et selon des points de vue également distincts, il nous a paru intéressant d’insérer l’apport du juriste financier Gaston Jèze et du théoricien de droit public allemand Jellinek. Les rapprocher n’est pas arbitraire, Jèze connaissait les œuvres des théoriciens allemands et a contribué, par son activité éditoriale, à les faire connaître en France, notamment Laband et Jellinek. Mais, alors qu’il fait des emprunts directs à Laband pour justifier son interprétation de l’acte budgétaire, il ne partage pas sa conception de la science juridique et il est à cet égard beaucoup plus proche de Jellinek.
27Jèze, dont l’œuvre est riche et complexe, a toujours été mal à l’aise dans le cadre dessiné par la faculté de droit de Paris, en 1882, pour regrouper l’enseignement de la matière financière. Le cours créé s’intitulait : « Législation financière ». Il devait reprendre une matière jusqu’alors enseignée pour partie en économie et pour partie en droit administratif. Refusant de se borner à ce qu’il appellera plus tard la « scolastique », Jèze élargit très vite le cadre donné en élaborant, avec Max Boucard, en 1896, un traité intitulé : Cours de science des finances et de législation financière. La juxtaposition proposée traduit son embarras face aux exigences universitaires. Elle est profondément étrangère à sa démarche en tant que juriste et il ne cessera de s’en expliquer, y compris lorsqu’il reprendra un intitulé similaire pour la Revue de science et de législation financière, créée en 1903 en collaboration avec Max Boucard. « L’étude du droit, écrira-t-il, c’est l’étude de la vie. » « Le Droit vit ; il évolue sans cesse, comme tout ce qui vit, sous l’influence du milieu. L’essentiel du Droit, c’est la recherche des conditions dans lesquelles se posent les problèmes juridiques. » « Pourquoi et comment, dans tel pays et à l’époque actuelle, un certain problème juridique est né ? Résoudre cette question, c’est rechercher le milieu social, économique, politique, historique, dans lequel se présente telle question juridique12. »
28Jellinek se situe à une époque où, en Allemagne, la science juridique affirme sa spécificité par rapport à la philosophie politique et aux sciences sociales. Tout en affirmant leur nécessité dans la constitution d’une théorie de l’État, il démontre l’apport spécifique de la science juridique à la théorie de l’État.
29Les réflexions de Jellinek sur le rapport du droit avec les sciences sociales s’inscrivent dans une démarche philosophique portant sur la connaissance. Contrairement à Laband, souligne Olivier Jouajan dans sa préface à la réédition récente de L’État moderne et son droit13, ce n’est pas la recherche de « la juridicité pure des objets juridiques » qui l’anime. « La pureté, dont il s’agit chez Jellinek, est une pureté du regard et non pureté de l’objet14. » De plus, selon Jellinek, la science juridique ne procède pas d’une démarche déductive mais d’une démarche inductive qui suppose une base empirique.
30Jellinek part de la constatation que la norme juridique, en exprimant ce qui doit être, est en tant que tel un produit de l’esprit. Ce n’est pas pour autant une fiction, dans la mesure où la création de cette abstraction procède nécessairement d’une démarche empirique. La démarche inductive dans le processus de conceptualisation résulte de ce que la norme juridique est une pratique du réel. Le succès d’un concept doit être reconnu à son efficacité dans le système juridique et à son caractère opératoire. C’est, souligne Olivier Jouanjan, ce que Max Weber exprimera plus tard en écrivant que l’unique critère du concept est le « succès dans la connaissance des phénomènes culturels, pris dans leur contexte, leur conditionnalité causale et leur signification15. »
31C’est donc dans la relation avec le réel, explique Olivier Jouanjan, que, pour Jellinek, « les considérations historiques, politiques et sociologiques sont alors essentielles à la science juridique ». Elles permettent « d’établir un lien entre le monde empirique et le monde intellectuel du droit afin, d’une part, de pouvoir s’emparer du contenu même du droit et, d’autre part, d’éviter que le monde subjectif dans lequel se joue la vie du droit ne devienne un monde irrationnel de pures fictions16 ». Jellinek écrira que ce qui « fait défaut à la science juridique moderne et que ne pourra jamais remplacer la constatation du caractère positif de tout droit, c’est une connaissance approfondie des forces créatrices du droit17 ». Dans cette perspective, Jellinek donne aux juristes « le soin de répondre à la grande question de principe : comment ce qui n’est pas le droit acquiert-il le caractère juridique ? » La connaissance des forces antérieures au droit permettant « de pouvoir distinguer sûrement ce qui est le droit de ce qui ne l’est plus ou de ce qui ne l’est pas encore18 ». Le problème de la qualification juridique posé en ces termes permet d’élargir le champ de la réflexion des juristes et de dépasser d’une certaine façon l’opposition traditionnelle entre les pratiques politiques ou administratives et la règle de droit. Ces dernières pouvant jouer un rôle dynamique dans le processus de juridicisation.
32La recherche de l’efficacité des concepts juridiques, de leur caractère opératoire, nous amène à aller plus loin et à considérer la forme que prend l’abstraction au travers de la norme juridique. La norme juridique est une production intellectuelle qui prend la forme du langage. Ce langage s’exprime sous une forme officielle ; il a vocation à prendre une signification dans un certain ordre juridique, mais, comme tout langage, il est soumis à interprétation. Dégager un énoncé d’un texte suppose une interprétation. L’attention portée par les juristes aux méthodes d’interprétation depuis les travaux de Gény nous permet de mieux préciser les éléments des problématiques en droit budgétaire et comptable.
33Au regard des différentes méthodes susceptibles d’être utilisées pour l’interprétation du droit, le droit budgétaire et comptable demande que l’on porte une attention particulière à l’analyse sémantique. Tout d’abord la terminologie emprunte un vocabulaire technique qui s’explique par la nécessaire liaison étroite entre le droit budgétaire et comptable et l’antériorité du second par rapport au premier. Ainsi un compte n’est pas un budget, un virement désigne un changement d’affection, un report de crédit suppose une opération permettant de le retrouver. La variété des régimes juridiques les concernant ne peut modifier ce côté technique et la liberté de l’interprétation est nécessairement limitée.
34De plus, le poids du passé est ici très présent. Le phénomène budgétaire est un phénomène répétitif, le vote du budget intervient tous les ans. Il existe nécessairement des filiations et des continuités. Les formulations peuvent y acquérir, comme le souligne Jèze à propos de l’interprétation de l’article 8 de la loi constitutionnelle de 1875 relative au Sénat, une sorte de « vitesse acquise19 ». L’utilisation dans l’article 7 de la LOLF de l’expression traditionnelle depuis la Restauration : les crédits sont mis à la disposition des ministres20 ; le fait que ladite expression ait disparu dans l’aller et retour des projets entre le Sénat et l’Assemblée nationale, son insertion au dernier alinéa dudit article est significatif d’une réforme qui a dû conjuguer avec l’Histoire. De même, les modifications introduites dans le régime juridique de telle ou telle catégorie de crédit connaissent des difficultés d’adaptation qui peuvent s’expliquer par la connotation négative attachée au terme dans son ancienne utilisation. On a pu le constater avec la difficile transplantation de la notion de « services votés » dans l’ordonnance organique du 2 janvier 1959. Ces exemples, qu’on pourrait multiplier, permettent, a contrario, de mesurer la valeur symbolique des ruptures et des innovations terminologiques. Ainsi en est-il de la substitution de la notion de programme dans la nomenclature budgétaire à celle de chapitre opérée dans la LOLF, ou encore de l’introduction de la notion de certification des comptes.
35La méthode que nous proposons en ce qui concerne notre réflexion sur l’histoire du cadre budgétaire et comptable de la gestion financière de l’État nous permet la proposition suivante :
36L’utilisation de l’article 14 de la Déclaration des droits de 1789 permet d’intégrer et de fonder les nouvelles techniques de gestion orientées vers les finalités de l’action publique parce que l’Histoire montre que ce droit budgétaire et comptable comprend cette logique des fins. Elle est tout entière contenue dans le dynamisme d’un principe constitutionnel, à savoir le principe du consentement à l’impôt. Celui-ci demande, pour fonctionner efficacement, que le cadre budgétaire et comptable soit adapté aux données politiques, économiques et administratives auxquelles il est intimement lié. De là sont nées des problématiques juridiques toujours prêtes à se renouveler et que la LOLF a tenté de résoudre à un moment donné.
I. LA DYNAMIQUE D’UN PRINCIPE CONSTITUTIONNEL : LE PRINCIPE DU CONSENTEMENT À L’IMPÔT
37Le droit budgétaire, son articulation avec le droit de la comptabilité publique sont liés au fonctionnement des institutions sous les monarchies constitutionnelles. La mise en place du régime parlementaire, avec l’affirmation des droits du Parlement, va conduire à reconnaître à ce dernier un pouvoir budgétaire dont l’effectivité apparaît très vite dépendante de la qualité du cadre comptable imposée à l’administration. La cohérence du système doit beaucoup à l’effort doctrinal des hommes politiques, qu’ils soient à la Chambre des députés ou au Gouvernement. Face à un exécutif fort, les parlementaires ont un argument constitutionnel qu’ils tiennent de l’article 48 de la charte de 1814, qui sera reproduite, sur ce point, dans les mêmes termes par l’article 40 de la Constitution de 1830. Selon cet article : « Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s’il n’a pas été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le Roi ». La terminologie utilisée montre que l’entreprise initiale de restauration s’inscrit dans la continuité monarchique, tout en tenant compte, comme il est dit en exergue de la charte de 1814, « de la différence des temps ». Le mot « consentement », en ce qui concerne l’impôt, est effet emprunté à l’Ancien Régime. Les constituants révolutionnaires l’avaient évité, et on ne le retrouvera pas – excepté dans la Constitution de 1848 – dans les constitutions ultérieures. Reconnaître que, désormais, il appartient aux Chambres de donner ce consentement est plus qu’une adaptation de la monarchie à l’esprit du temps, c’est introduire tout l’acquis révolutionnaire qui découle de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. D’où l’utilisation dynamique de ce principe constitutionnel du consentement à l’impôt par ce qu’on peut appeler à cette époque la doctrine politique, dans la mesure où elle est principalement exprimée au Parlement. L’apport des monarchies constitutionnelles à l’élaboration de cadre budgétaire et comptable de la gestion financière de l’État ne peut se comprendre qu’au regard des circonstances dans lesquelles se sont constituées antérieurement les éléments de cette dynamique et comment ils ont été intégrés dans les constitutions révolutionnaires. Si les constitutions révolutionnaires contiennent de nombreuses dispositions en matière financière, elles n’intègrent que partiellement la dynamique du consentement à l’impôt qui ne s’exprimera véritablement que dans le cadre des chartes constitutionnelles.
A. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA DYNAMIQUE
38Les dispositions qui permettent de parler de dynamique du consentement à l’impôt sont contenues dans l’article 14 de la Déclaration. Toutes les dispositions ne sont pas utiles à la fondation du droit budgétaire et comptable. Certaines de ces dispositions ont actuellement, en droit positif, un caractère fiscal. Elles concernent le régime de l’impôt, son assiette, sa quotité et son recouvrement. Il résulte qu’actuellement, la création d’un impôt, sa suppression, sa durée d’application ne ressortent pas du droit budgétaire et peuvent par là même faire l’objet d’une loi ordinaire. Or la construction de l’article 14 montre que la notion de consentement concerne aussi bien l’utilisation du produit par l’intermédiaire des dépenses que le régime de l’impôt. Une première distinction s’impose donc, qui conduit à isoler au sein de l’article 14 les éléments qui concernent notre démonstration. Il s’agit en l’occurrence du droit qui est reconnu aux citoyens « de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi ». On rattachera à ces dispositions le dernier terme de l’article qui concerne la « durée » de l’impôt, et qui peut concerner aussi bien le droit budgétaire que le droit fiscal.
39Introduire ces éléments dans une dynamique ordonnant le droit budgétaire et comptable et prétendre qu’elle est toujours actuelle, suppose de les examiner, à la fois en fonction de leur place au sein de l’article 14, de les rapprocher des autres articles qui traitent directement ou indirectement de l’impôt, à savoir les articles 12, 13, et 15, et de la mettre en perspective par rapport à l’ensemble des dispositions de la Déclaration des droits.
40Cette démarche suppose d’accorder une certaine cohérence à l’enchaînement des dispositions contenues dans la Déclaration et à estimer possible une certaine compréhension historique de la démarche de ses rédacteurs. Cet exercice a ses limites et il appartient à Stéphane Rials de les avoir clairement exposées dans sa présentation de la Déclaration de l’homme et du citoyen21. Son étude l’amène à conclure que « la Déclaration est bien irréductible, en termes de causalité univoque, à quoi que ce soit qui la précède, mais elle ne peut se comprendre qu’au terme du bouillonnement des contradictions de la philosophie politique moderne ». L’auteur ne décourage cependant pas toute tentative en reconnaissant que s’il faut bannir « l’affirmation hâtive d’une cohérence univoque de la Déclaration », « un tel pessimisme épistémologique… autorise
41– car il s’impose dans l’étude de toute œuvre – le postulat purement méthodologique de sa cohérence22 ». Une investigation portant à la fois sur les mots et sur la systématicité du texte peut permettre, nous semble-t-il, d’établir une certaine cohérence en matière d’impôt dans la Déclaration, en relation avec ce que pouvait être l’esprit des rédacteurs.
42On ne peut faire abstraction « du degré de conscience et de culture » des constituants. Montesquieu, Rousseau, mais aussi Locke, Quesnay, Turgot, le marquis de Mirabeau, sont certainement des références, mais on ne saurait également écarter Adam Smith dont La richesse des nations a été publiée en 1776. Certainement moins connu que les précédents, il l’était de Condorcet, et surtout de Sieyès, qui s’en inspire directement. Cette culture initiale, qui peut venir de la bibliothèque des constituants23 et en font des hommes « éclairés », ne doit pas être seule prise en compte. Les débats d’idées, depuis la convocation des États généraux, la rédaction des cahiers de doléances, les événements révolutionnaires se sont multipliés. En particulier, les propositions de Déclaration, qui s’échelonnent de mai 1788 à août 1789, ont été nombreuses, provenant aussi bien d’anonymes que de plumes célèbres telles que celles de Sieyès, Mirabeau, Mounier, La Fayette, Condorcet, Target, Thouret… Certaines provenaient du Parlement de Paris, d’autres figuraient dans les cahiers de doléances. Elles pouvaient être brèves, mais aussi s’accompagner de longs développements, comme ceux de Sieyès. Le fait qu’elles n’aient pas été retenues ne permet d’écarter leur influence sur telle ou telle disposition que dans la mesure où la Déclaration est une œuvre collective qui a donné lieu à des négociations et à des compromis.
43Ceci nous amène à préciser les conditions de son élaboration et les moyens qui nous sont donnés de reconstituer certains débats. Dans la seconde moitié de juillet 1789, un Comité de Constitution fut créé, ses projets devaient être soumis aux trente bureaux constitués préalablement pour rationaliser le travail de l’Assemblée avant la délibération en assemblée plénière. Après de multiples péripéties, l’assemblée plénière retient, à une large majorité (605 voix), le projet du sixième bureau comme base de travail ; les principes n’en étaient pas contestés et il était jugé court, simple et exact, et s’il manquait d’énergie, il pouvait être modifié24.
44Le projet contient déjà les quatre articles correspondants aux articles 12, 13, 14 et 15 de l’actuelle Déclaration. Il s’agit des articles 20, 21, 22 et 23. Ces articles ont été discutés et amendés sur des points importants. Nous ne disposons pas malheureusement de la totalité des débats, les archives parlementaires dans la première série de 1875 ne contiennent pas une transcription intégrale des discussions. Les éléments utilisables sont cependant éclairants.
45La participation des citoyens ou de leurs représentants à l’élaboration de la loi contenue dans l’article 6, ainsi que le principe d’obéissance à la loi, n’était pas suffisant en 1789 pour régler le problème de l’impôt. La monarchie, face à des déficits chroniques, vivait d’expédients et, ne trouvant plus de crédit, en était réduite à emprunter sur la place de Paris à l’égal des particuliers. Il fallait rétablir la confiance, et pour cela créer d’abord de nouveaux impôts. Or l’état des esprits rendait incontournable la réunion des États généraux afin d’obtenir leur consentement. Le premier décret de l’Assemblée nationale, en date du 17 juin, va lier immédiatement le sort de l’Assemblée à la levée des impôts. C’est en raison de circonstances historiques très concrètes que l’impôt en tant que contrainte nécessaire à l’établissement de l’état civil va se voir reconnaître un statut particulier. Le fait qu’il soit appelé « contribution » n’est pas un euphémisme, mais la marque de ce que le pouvoir fiscal n’est plus imposé de l’extérieur, par la seule volonté du roi à ses sujets, mais découle de la volonté des citoyens de constituer un pacte civil nécessaire à la garantie de leurs droits.
46Les propos de Simone Goyard-Fabre concernant la Déclaration des droits sont ici particulièrement justifiés. En matière d’impôt, « le légalisme des droits est inséparable du loyalisme des citoyens ». Nous sommes, plus qu’ailleurs, « dans la politique concrète de l’État ». Les droits et les devoirs sont intimement liés, mieux même, ils sont « indivisibles ». Si l’auteur ne précise pas le caractère des obligations civiques auxquelles elle se réfère, on peut, sans déformer sa pensée, dire que l’obligation fiscale « n’est ni l’envers ni la contrepartie des droits de l’homme : elle n’entretient pas avec eux un rapport dialectique ; elle est la figure concrète de leur existence25 ».
47Par là même, l’article 12, qui rend nécessaire une force publique pour que soit assurée la garantie des droits, doit être considéré comme le premier article de la Déclaration relatif à l’impôt. Il introduit l’article 13, en ce que ce dernier déclare « indispensable » une « contribution commune » pour l’entretien de la force publique.
48Il reste que, de toutes les libertés politiques inscrites dans la Déclaration, c’est celle concernant l’utilisation du produit de l’impôt qui est la plus concrétisée au regard des nouvelles institutions politiques et administratives fondées sur le principe de la souveraineté nationale. Les liens qu’il est possible d’établir entre les articles 12 à 15 et les autres, comme l’article 6 et l’article 16, ou encore de façon indirecte avec l’article 17, enrichissent notre matière. À cet égard, il était vain de vouloir les ramener à l’unité, comme le proposait au début du débat en séance plénière le député Gouy d’Arcy, qui reprochait au projet du sixième bureau d’être « trop long, diffus et inintelligible ». Sa proposition26, qui consistait à tout recentrer sur la garantie des droits, est d’inspiration très lockienne. La synthèse opérée était nécessairement réductrice, et aurait privé la Déclaration du cheminement des articles 12 à 15 et de la richesse qui en résulte pour les libertés politiques. Si ces articles ont un lien, ils ont, chacun, dans la Déclaration une fonction différente.
49La construction de l’article 14 nous ramène aux sources de l’impôt, en ce qu’il induit que la première démarche qui appartient aux citoyens ou à leurs représentants consiste à constater la nécessité de la contribution publique. C’est le thème ancien de la necessitas, que l’on retrouve, aussi bien exprimé, en matière d’impôt, chez Cicéron27 que chez Bodin28. Vauban, dans la Dîme royale, en 1707, en fera une des maximes fondamentales de son système fiscal. « Il est d’une évidence certaine et reconnue par tout ce qu’il y a de peuples policés dans le monde, que tous les sujets d’un État ont besoin de protection, sans laquelle ils n’y sauraient subsister », écrit-il, et d’ajouter : « De cette nécessité, il résulte : […] une obligation naturelle aux sujets de toutes conditions, de contribuer à proportion de leur revenu ou de leur industrie, sans qu’aucun d’eux s’en puisse raisonnablement dispenser ; […] qu’il suffit pour autoriser ce droit d’être sujet de cet État29. » La différence n’est pas sur la nécessité en tant que telle, l’impôt est toujours une contrainte sur les biens et doit être justifié au nom d’un intérêt supérieur qui s’impose à la communauté. La différence vient de ce que, dans la pensée de Locke, dont s’inspire la Déclaration, l’individu, par la confiance qu’il accorde au pouvoir législatif, se transforme en citoyen et devient « sujet » de la République. Certaines interventions et propositions montrent d’ailleurs des réticences concernant le terme de consentement. Il faisait trop « Ancien Régime30 » et supposait une continuité qui avait été rompue. La référence à la loi s’imposait, elle seule pouvait traduire en matière de contribution le fait nouveau que constituait cette confiance au législateur en tant qu’expression de la souveraineté nationale. Sieyès, en particulier, n’emploie pas ce terme31.
50Constater la nécessité de la contribution publique suppose que les représentants du peuple justifient son utilisation. C’est à travers le choix des dépenses qu’ils exerceront le droit qui leur est reconnu. La dépense, c’est la raison même de l’impôt. Elle correspond à des besoins de la collectivité qui ne peuvent être satisfaits qu’au moyen d’un prélèvement sur les biens des individus. Cette notion de besoins à satisfaire est très présente dans la Déclaration. Une étude précise montre à cet égard une grande variété, et l’on comprend que les constituants n’aient pas procédé à une énumération dans une énumération. Le terme de nécessité leur a paru suffisant. Il a permis l’utilisation ultérieure de l’article 14.
51Une première question importante a été tranchée lors de la discussion plénière sur la rédaction de l’article 22. Celui-ci était ainsi libellé : « La contribution publique étant une portion retranchée de la propriété de chaque citoyen, il a le droit d’en constater la nécessité, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi… » L’opposition, que l’on peut supposer déterminante, de Robespierre, compte tenu des réactions consécutives à la modification adoptée, a permis de dégager la notion de contribution publique par rapport à celle de contribution commune contenue dans l’article 13. Elle a permis également, à partir de ce caractère public qui résulte du consentement à l’impôt, d’établir directement la responsabilité des administrateurs.
52C’est Mirabeau qui a entamé le débat le premier et fait porter la discussion sur le fond en retorquant au baron Marguerite qui, moyennant certaines rectifications, approuvait le principal : « Ce n’est pas un retranchement de la propriété, c’est une jouissance commune à tous les citoyens ; c’est le prix avec lequel vous possédez vos propriétés. » Mais il appartient à Robespierre d’aller plus loin dans l’argumentation. Refusant de considérer l’impôt comme une portion retranchée de la propriété, il affirme en ces termes son opposition : « Je soutiens, au contraire, que c’est une portion de la propriété mise entre les mains de l’administrateur public. Je développe cette idée. Qu’est-ce qu’un administrateur public, si ce n’est le dépositaire de toutes les contributions ? Or, admettons le principe contraire. Si c’est une portion retranchée de la propriété, elle n’appartient plus à la nation ; la nation n’a plus le droit de lui en faire rendre compte32. » La référence à la notion de propriété sera abandonnée, elle ne figure pas dans les articles de la Déclaration relative à l’impôt. Les archives parlementaires mentionnent qu’une fois l’actuel article 14 adopté, les constituants se sont aperçu avec satisfaction de la distinction contenue dans l’article 13 et l’article 14 concernant le qualificatif de la « contribution ». Pour le premier, elle était qualifiée de « commune », ce qui faisait référence l’obligation de le payer ; pour le second, elle était devenue « publique », et cela concernait l’utilisation de son produit. Nous dirions que, dans un cas, la contribution apparaît sous son aspect fiscal, alors que, dans l’autre cas, elle apparaît sous son caractère budgétaire.
53La définition de la nécessité renvoie à des notions voisines dont les propres définitions renvoient elles-mêmes à la… nécessité ! Ainsi, ce qui est « nécessaire » peut être décliné autour de plusieurs thèmes, celui de besoins essentiels à satisfaire mais aussi de ce qui est indispensable ou encore d’utile. En réalité, la définition en soi de la nécessité est difficile, car celle-ci est toujours relative, tout comme l’essentiel, l’utile ou l’indispensable. Rousseau en est parfaitement conscient lorsqu’il tente de définir le « nécessaire physique ». À cet égard, la Déclaration ne donne aucun critère. Mais deux éléments peuvent être utilisés pour concrétiser cette nécessité. Le premier est relatif à la notion même de contribution publique. L’appellation exclut le financement de toute activité autre que pour satisfaire à un intérêt public. Le deuxième est relatif au financement indispensable de fonctions essentielles à l’État, à savoir l’entretien de la force obligatoire et les dépenses d’administration. C’est ce qui, chez Sieyès, correspond à la faculté « d’agir », ceci correspond pour lui aux différentes facultés exercés par le corps politique. Au pouvoir législatif la faculté de « vouloir », au pouvoir exécutif la faculté d’agir. Le fait que les constituants ont ajouté les dépenses d’administration à l’entretien de la force obligatoire dans l’article 13, et ne se soient pas contentés de reproduire l’article 12, montre qu’ils se souciaient de donner un champ large à l’action publique.
54Les rédacteurs du projet du sixième bureau, conscients des limites que pouvait introduire la mention de la seule « force obligatoire » dans cet article destiné à introduire l’obligation de payer les contributions, avaient proposé une première extension « aux autres affaires du gouvernement ». Au cours des débats, il avait été proposé de remplacer cette expression peu élégante par « la chose publique ». C’est finalement le terme « administration » qui a été choisi. Ce complément apporté à l’article 12 dans l’article 13 demande une explication. La force obligatoire peut certes être conçue comme se rapportant, de façon générale, à l’exécution des lois, et englober par là même les moyens mis à la disposition de l’administration. Mais la création d’un système juridique et judiciaire qui, chez Locke, doit permettre aux citoyens d’assurer la protection de leurs droits, peut être également perçue comme se rapportant aux seules fonctions d’autorité. C’est à propos des jugements que Locke emploie la notion de force obligatoire. Et la mention de la seule force obligatoire, avec la construction intellectuelle qu’elle suppose à partir de Locke, a dû sembler insuffisante pour traduire l’ensemble des tâches assurées par le gouvernement. Ces hommes « éclairés » d’Ancien Régime, qui revendiquent la gestion des affaires publiques, savent bien que les tâches régaliennes ne sont pas les seules assurées par l’État. L’administration d’Ancien Régime s’est occupée de faciliter le commerce par la construction de routes, l’aménagement des ports, l’aménagement de la navigabilité des rivières et leur communication par la construction de grands canaux. Sully, surintendant des finances sous Henri IV, ne fut-il pas nommé ultérieurement « grand voyer », c’est-à-dire ministre des Travaux publics ? Les déclarations des Intentions du roi, lues à la séance royale du 23 juin 1789, donnent un aperçu des tâches assurées par l’administration et le désir un peu tardif de celui-ci d’associer les États généraux à la réalisation « des grands objets d’utilité publique33 ». Nous sommes ici loin de Quesnay et des physiocrates, mais plus proches de Turgot, qui a été intendant pendant quinze ans. On peut retrouver, dans les projets de déclarations énumérés, certains services jugés indispensables, mais c’est Sieyès, imprégné d’Adam Smith34, qui, dans son argumentaire préliminaire à son premier projet de Déclaration, en fait un exposé systématique.
55Le caractère indispensable de la fonction exécutive et de sa mise en œuvre par l’administration, affirmée par l’article 13 de la Déclaration, est riche de prolongements en termes de problématiques budgétaires. Comment d’abord laisser l’État sans moyens d’agir en refusant de voter le budget ? Le refus du budget a toujours été considéré comme l’arme absolue du Parlement à l’égard du Gouvernement. Mais, en dehors de ce cas extrême qui a beaucoup alimenté la doctrine au xixe et au début du xxe siècle, c’est le principe d’annualité et son caractère formel qui a posé des problèmes récurrents. Pendant longtemps s’est exprimée la nostalgie d’un fonds consolidé à l’anglaise. L’évolution de la technique des « services votés », jusqu’à sa constitutionnalisation dans l’article 47 de la Constitution de 1958, témoigne de la permanence de cette préoccupation.
56Le caractère indispensable de fonctions essentielles ne prive pas pour autant les représentants du peuple du pouvoir qui leur appartient, et à eux seuls, de constater la nécessité de la contribution publique. Ces fonctions peuvent être assurées au moyen de dépenses très différentes. La nécessité est une notion à « texture » suffisamment « ouverte » pour que sa constatation puisse inclure une démarche fondée sur l’utilité. Simplement, c’est aux représentants du peuple qu’il appartient de se prononcer. C’est du vote majoritaire que dépendra cette appréciation. L’article 17 de la Déclaration ne dit pas autre chose en faisant dépendre l’atteinte à la propriété d’une nécessité publique légalement constatée. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 janvier 1982, s’est strictement référé aux motifs très généraux énoncés par le législateur, à savoir la promotion de la croissance économique, la lutte contre le chômage, pour estimer que la décision correspondait à une nécessité publique. En mettant une réserve sur l’existence d’une erreur manifeste, le juge constitutionnel s’est gardé de toute démarche tendant à mettre en relation les moyens, à savoir la nationalisation, et les objectifs, liés à la crise économique35.
57Constater la nécessité de l’impôt, c’est donc s’engager dans la voie de l’appréciation de l’utilisation qui sera faite de son produit. Ajouter qu’il convient aux citoyens ou à leurs représentants d’en suivre l’emploi introduit, dans le texte de l’article 14 de la Déclaration, l’idée qu’il appartient à ceux-ci d’aller au-delà d’une approbation portant sur la destination de l’impôt mais de surveiller l’utilisation de son produit. Plusieurs autres formulations ont été proposées en cours de la discussion, comme celle d’en vérifier l’emploi36, ou encore d’en fixer l’emploi37. C’est la formule initiale qui a été retenue et qui permet les extensions auxquelles nous sommes habitués. Suivre l’emploi permettant, par l’idée de mouvement qu’elle suggère, d’envisager tout le circuit de la dépense depuis le crédit jusqu’au contrôle d’exécution.
58Que René Stourm38 ait souligné l’imprécision de la formule nous étonne aujourd’hui, habitués que nous sommes, depuis l’intégration de la Déclaration de 1789 dans le bloc de constitutionnalité, à faire produire tous ses effets à ses dispositions. Mais les regards portés sur un texte ancien varient nécessairement selon les époques. La subjectivité de l’auteur de l’interprétation, fruit entre autres de circonstances, n’incitait en rien sous la IIIe République à valoriser les dispositions financières de la Déclaration.
59En revanche, il est intéressant de constater que l’expression utilisée dans l’actuel article 14 (ex-article XXII) a pu paraître superflue au regard des dispositions de l’article 15, celui-ci ayant été proposé par le sixième bureau (ex-article XXIII) sous la forme que nous lui connaissons, à savoir : « La société a le droit de demander compte à tout agent de son administration. » Les propositions de regroupements au profit de l’une ou l’autre formule existent dans les projets de Déclaration. Le maintien des deux formulations séparées permet de donner tout son dynamisme à l’article 14 et permet de comprendre pourquoi les deux peuvent être utilement associés dans la présentation de la LOLF. L’article 15, s’il s’inscrit dans la filiation de l’article 14, apporte une autre perspective. C’est ici, et plus encore que dans l’article 14, « l’administration » qui est l’objet de l’intérêt des constituants. Intérêt d’autant plus sensible que l’article 6 dispose en ces termes que : « tous les citoyens étant égaux à ses yeux (la loi), sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Le terme capacité est ici important, il traduit, a contrario, la frustration de ceux qui estiment, comme Sieyès, qu’ils ont dans l’immédiat les compétences requises, voire même l’expérience, pour participer pleinement à la gestion des affaires publiques.
60C’est ici, dans l’article 15, sous le terme neutre d’« agent public », l’administrateur en tant que tel qui est désigné. C’est celui qui, au terme du processus décrit dans l’article 14, sera amené, de par sa fonction au sein du corps politique, à utiliser concrètement le produit des contributions. Bien d’autres termes avaient été proposés, dans les projets de Déclaration et au cours des débats, comme ceux : d’« officier public », de « magistrat », d’« administrateur », ou encore de « serviteur de la nation ». Ils ont un point commun par la fonction qui est la leur au sein du corps politique. Au terme du processus établi par l’article 14, l’agent public, quelle que soit sa dénomination, sera amené à utiliser concrètement le produit des contributions. Sa fonction le conduit nécessairement à n’être qu’un mandataire au service de la nation. Ce mandat qu’il exerce lui donne une obligation très précise, celle de rendre compte à la société de son administration.
61Les amendements proposés lors du débat en séance plénière sont intéressants en ce qu’ils vont au-delà du fait « de rendre compte » et introduisent la notion de responsabilité. Ils sont également intéressants dans la mesure où ils relient l’article 15 à l’article 16, par l’intermédiaire de la notion de « pouvoir exécutif » utilisée dans cet article. Le député Duport propose que l’article 15 soit rédigé de la façon suivante : « Tout agent du pouvoir exécutif est responsable de son administration, et la nation a le droit de lui en demander compte39. » Le chevalier de Lameth formule un amendement qui opère la synthèse entre l’article 15 et l’article 16 : « Aucun peuple ne peut jouir de la liberté, si les pouvoirs publics ne sont pas distincts et séparés, et si les agents du pouvoir exécutif ne sont pas responsables de leur administration40 ». Les versions initiales ont été maintenues, respectant la singularité des deux articles. La responsabilité des agents publics avait été invoquée à maintes reprises dans les différents projets de Déclaration. Il était souvent mentionné que les « prévarications » devaient être sanctionnées. Sur ce point, il a été objecté, au cours des débats, que cette question de la responsabilité des agents publics n’était pas de celle qu’il appartenait à une Déclaration des droits de traiter. Celle-ci devait s’en tenir à des principes généraux. La Déclaration n’avait pas à empiéter sur la compétence des rédacteurs de la Constitution. Le terme société n’évoque ici aucun pouvoir organisé à qui les agents publics devraient rendre compte. L’analyse des dispositions de la Déclaration permet de dire que cette obligation résulte du principe même de la souveraineté nationale41. Ils sont les mandataires de la nation. La formulation adoptée permet à la Cour des comptes, au-delà de l’assistance qu’elle peut apporter, soit au Parlement, soit au Gouvernement, d’opérer une sorte de transcendance en inscrivant l’article 15 de la Déclaration des droits à son frontispice.
62Le dernier terme de l’article 14 relatif à la durée est d’interprétation délicate. En effet, ce terme vient à la suite de dispositions que nous considérons actuellement comme des dispositions purement fiscales. Consentir librement la contribution publique donne aux citoyens ou à leurs représentants le droit « d’en déterminer la quotité, le recouvrement et la durée ». Si l’on considère le seul point de vue fiscal, on peut y voir l’affirmation de la compétence du législateur en ce qui concerne le champ d’application de l’impôt, à savoir ici ses effets dans le temps. Soit qu’il s’agisse de déterminer le caractère exceptionnel d’un impôt ou de son caractère provisoire, ainsi que son éventuelle prorogation pour un temps indéterminé. Mais il peut également, à la condition que l’on interprète l’article 14 à la lumière de l’évolution historique du droit financier, considérer la notion de « durée » comme se rapportant au droit budgétaire. Il faut pour cela distinguer ce qui a trait à la création et au régime de l’impôt, de l’autorisation annuelle de le percevoir donnée dans l’article premier de la loi de finances. Or cette évolution est liée à l’élaboration du droit budgétaire et ne prendra vraiment sa consistance qu’à la Restauration. Il appartiendra à l’ordonnance royale de 1838 de la consacrer en définissant le budget.
63Les grands textes de référence, qu’il s’agisse de la Grande Charte de 1225, des bills of rights de 1628 et 1688, ne permettent pas d’établir la distinction. Le principe du consentement à l’impôt par les représentants des contribuables a été affirmé, tant en Angleterre qu’en France, dans des circonstances où la notion de durée pouvait être interprétée. L’autorisation de lever l’impôt concernait aussi bien de nouveaux impôts que la prorogation d’impôts existants dont le principe n’était pas en cause. En Amérique, c’est à l’occasion de la création de nouveaux impôts par le Parlement qu’a été utilisée l’expression : « no taxation without representation ». Mais, en 1789, les députés de l’Assemblée nationale, bien qu’ils aient l’intention de réformer le système fiscal, ont un autre souci qui témoigne de l’intérêt qu’ils portent à la gestion des affaires publiques. Le premier décret de l’Assemblée, en date du 17 juin, consacre le principe du consentement à l’impôt par les représentants de la nation et déclare illégales toutes les contributions existantes en raison du défaut de consentement. Cependant, ils estiment que le premier usage que l’Assemblée nationale doit faire du pouvoir que la nation lui a confié « est d’assurer pendant la durée de la première session la force de l’administration publique ». C’est pourquoi, « à l’unanimité des suffrages », l’Assemblée déclare « consentir provisoirement pour la nation, que les impôts et contributions, quoiqu’illégalement établis et perçus, continuent d’être levés de la même manière qu’ils l’ont été précédemment, et ce, jusqu’au jour seulement de la première séparation de cette Assemblée ». Ne pas laisser l’État sans ressources afin de lui permettre de payer ses créanciers et d’assurer le fonctionnement continu des services n’est pas, au sens où nous lui donnons aujourd’hui, une préoccupation fiscale, mais budgétaire. Nous la retrouvons exprimée dans l’article 47 de la Constitution de 1958, qui prévoit que lorsque la loi de finances n’est pas votée à temps, un projet de loi autorisant la seule perception des impôts existants soit proposé au Parlement. Dans le texte du décret de juin 1789, l’autorisation de lever les impôts, quoiqu’illégaux, est limitée à la durée de la session de l’Assemblée. Il n’y a pas, dans les projets de Déclaration, d’éléments très précis concernant les effets dans le temps du consentement. Mais l’idée la plus fréquemment avancée est celle qui consiste à lier la durée au rythme des sessions des Assemblées. Étant entendu que les institutions nouvelles ne feront plus dépendre du roi la tenue des sessions et qu’il sera mis un terme définitif aux pratiques antérieures concernant les États généraux en tant que représentants des contribuables.
64Quoiqu’il en soit, les différentes interprétations possibles de l’article 14 le priveront de son caractère opérationnel. Il sera peu évoqué par la doctrine, alors que s’installera une confusion sur la notion de « loi d’impôt » et sur la durée du consentement, en la différenciant selon la nature des impôts. Cette confusion apparaîtra pleinement lors de l’interprétation des lois constitutionnelles de 1975 à propos de la distinction entre loi matérielle et loi formelle, alors que les grands textes sur la comptabilité publique de 1838 et de 1862 et la pratique des lois de finances, ignorés dans l’argumentation, auraient pu permettre de clarifier le débat. En fait, et on le verra avec Jèze, c’est la distinction entre budget et loi de finances qui est en cause. Le concept de loi de finances, insuffisamment défini, mettra beaucoup de temps à s’affiner, le décret du 19 juin 1956, l’ordonnance organique de 1958, le Conseil constitutionnel, puis la LOLF s’y attacheront successivement.
B. LES CONSTITUTIONS RÉVOLUTIONNAIRES
65La Déclaration des droits va être intégrée à la Constitution de 1791, mais il appartiendra aux constitutions révolutionnaires, en procédant à l’organisation des pouvoirs publics, d’en faire une première application. Apporter un regard transversal sur ces textes en privilégiant l’aspect financier ne doit pas faire oublier que chacune de ces constitutions a sa propre singularité. Si dans les termes, on retrouve une permanence avec la notion de corps législatif, seule la Constitution de 1793 prévoit la désignation des députés selon le système du suffrage universel direct. Quant à l’exécutif, il s’agit successivement du roi, du Conseil exécutif, du Directoire ou des consuls. Enfin, le renforcement du pouvoir exécutif dans la Constitution de l’an VIII, lié à l’impasse à laquelle aboutissait l’organisation des pouvoirs par la Constitution de 1795, s’est traduit par un amoindrissement important des compétences du corps législatif. Celui-ci devait voter la loi sans en avoir préalablement délibéré.
66L’œuvre des constituants révolutionnaires, en matière financière, doit être replacée dans le contexte des finances royales en 1789. Non seulement les moyens de financement font défaut à la monarchie, mais le désordre dans la gestion financière est patent. L’absence de centralisation des comptes, le chevauchement des compétences, la dispersion des contrôles la rendent obscure et inefficace. Le décret du 17 et 29 septembre 1791 supprimera les anciennes chambres des comptes. Ce même décret établira que, désormais, « l’Assemblée nationale verra et apurera définitivement par elle-même les comptes de la nation ». La mise en œuvre de cette disposition sera confiée à un Bureau de comptabilité créé par le décret des 8 et 12 février 1792. Ce Bureau sera composé de quinze membres nommés par le roi, fonctionnant sous l’autorité de l’Assemblée.
67La reconnaissance des compétences du corps législatif en matière d’impôt est unanimement consacrée, mais sans que soit toujours nettement distingué ce qui ressort du consentement du régime juridique de l’impôt de l’autorisation de le percevoir. La dépense, en tant qu’objet de prévision et objet de choix, est traitée sous un mode mineur, même s’il appartient au corps législatif de les approuver. En revanche, les crédits votés s’imposent aux ministres et dessinent le cadre de leur activité. Les dispositions relatives aux opérations d’exécution montrent également l’intérêt que les constituants portaient à la gestion financière.
68La Constitution du 3 septembre 1791, qui intègre la Déclaration, consacre la compétence du corps législatif en matière d’impôt dans une forme solennelle. C’est à l’Assemblée législative qu’il appartient « d’établir les contributions publiques, d’en déterminer la nature, la durée, la quotité et le mode de perception » (article premier, chapitre III, « De l’exercice du pouvoir législatif », section première du titre II relatif aux Pouvoirs publics). Ces décrets, concernant l’établissement et la perception des contributions publiques, porteront le nom et l’intitulé de lois, sans être soumis à la sanction royale42. Dans un titre V intitulé « Les contributions », il est précisé à l’article premier que : « les contributions publiques seront délibérées chaque année par le corps législatif, et ne pourront subsister au-delà du dernier jour de la session suivante ». Cet article a beaucoup été utilisé, en particulier par Duguit, pour reconnaître à l’autorisation législative concernant l’impôt le caractère de loi matérielle, alors que, pour lui, l’autorisation concernant les dépenses ne pouvait avoir que le caractère de loi formelle. En donnant une définition de la loi fondée sur un critère organique, Carré de Malberg refuse cette distinction qui a alimenté la doctrine à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Tout en remarquant que la Constitution de 1791 n’était plus en vigueur sous la IIIe République, Carré de Malberg, par une démarche strictement positiviste43, s’en tient à l’interprétation de l’article premier de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, qui dispose que « le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées : la Chambre des députés et celle du Sénat ». Il refuse d’établir une toute autre distinction en ce qui concerne la loi, et en particulier la loi budgétaire. Il s’agit pour l’auteur d’une loi d’habilitation qui produit ses propres effets, à savoir établir des compétences. Sans autorisation préalable en la forme législative, les autorités administratives ne pourraient pas effectuer de dépenses. Établir cette dissociation entre la loi d’impôt et la loi budgétaire, comme le fait Duguit en s’appuyant sur l’article précité de la Constitution de 1791, c’est également faire abstraction de la continuité du phénomène budgétaire depuis la Restauration et des efforts de conceptualisation qui avaient été réalisés depuis cette date. En s’appuyant sur la seule Constitution de 1875, Carré de Malberg a pu trancher un débat qui s’avérait sans issue, mais on ne pouvait pas dire, selon l’expression d’Olivier Beaud, qu’il y avait un « vide juridique » lorsque les constituants se sont exprimés de manière particulièrement brève en 1875. Les observations qu’émet l’auteur à ce sujet sont particulièrement adaptées au domaine budgétaire. Le pouvoir constituant, écrit-il, n’est pas, comme le suggère « l’expression métaphorique de pouvoir constituant originaire », véritablement face à un vide. Ce vide est comblé par un « droit transconstitutionnel » ou un « droit préconstitutionnel » qui figure dans des textes qui ne sont pas nécessairement « à valeur constitutionnelle44 ». Or on ne saurait ignorer, à cette époque, l’apport continu des lois de finances depuis 1816 et ceux des textes réglementaires : ordonnance royale du 31 mai 1838 et décret impérial du 31 mai 1862 portant l’un et l’autre règlement général sur la comptabilité publique. Textes dont certaines dispositions préfigurent des clarifications opérées par la suite par les textes organiques des 19 juin 1956 et du 2 janvier 1959 et par la LOLF.
69La Constitution du 22 août 1795 comprend un titre XI intitulé « Finances » qui comprend une sous-distinction : « Contributions » et « Trésorerie nationale et comptabilité ». L’article 302 dispose que « Les contributions sont délibérées et fixées chaque année par le Corps législatif. À lui seul appartient d’en établir. Elles ne peuvent être perçues ni subsister au-delà d’un an, si elles ne sont pas expressément renouvelées. » La Constitution de l’an VIII ne contient pas de dispositions précises concernant l’impôt, mais son article 45 intègre nécessairement la compétence législative.
70Si le choix des dépenses par le corps législatif paraît secondaire par rapport aux préoccupations concernant l’établissement de l’impôt, en revanche les constituants montrent une réelle attention aux conditions dans lesquelles sera utilisé le produit des contributions. La Constitution de 1791 reconnaît au corps législatif le droit « de surveiller l’emploi de tous les revenus publics et de s’en faire rendre compte » (article premier, section première, chapitre III, titre V). L’article 7, section IV, chapitre premier du titre III, impose aux « ministres de présenter chaque année au Corps législatif, à l’ouverture de la session, l’aperçu des dépenses à faire dans leur département, de rendre compte de l’emploi des sommes qui y étaient destinées, et d’indiquer les abus qui auraient pu s’introduire dans les différentes parties du Gouvernement. » Enfin, « les comptes détaillés de la dépense, signés et certifiés par les ministres ou ordonnateurs, seront rendus publics par la voie de l’impression, au commencement des sessions de chaque législature » (article 2, titre V).
71Le Bureau de comptabilité, fonctionnant sous l’autorité de l’Assemblée, sera remplacé par la Commission de comptabilité, mise en place par la Constitution de 1795, constituée de cinq commissaires élus par le Conseil des Anciens sur proposition du Conseil des Cinq-Cents. La création de la Cour des comptes par la loi du 16 septembre 1807 mit fin à ses fonctions. Les débats suscités autour de la nature des contrôles exercés sont remarquables en ce qu’ils témoignent, comme le démontre Stéphanie Flizot, de « la volonté de généraliser des agents chargés de la gestion des deniers publics [en] application de l’article 15 de la Déclaration de 1789 »45.
72La Constitution de 1793 dispose, à l’article 102, que « la trésorerie nationale est le point central des recettes et dépenses de la République » et que son administration est confiée à des agents comptables, nommés par le Conseil exécutif (article 103). Ces derniers, surveillés par des commissaires nommés par le corps législatif, pris hors de son sein, sont responsables des abus qu’ils ne dénoncent pas (article 104). En ce qui concerne l’établissement des comptes, il appartient aux agents de la trésorerie nationale et aux administrateurs des deniers publics de les rendre annuellement à des commissaires responsables, nommés par le Conseil exécutif. Ces commissaires, appelés vérificateurs, également responsables des abus et des erreurs qu’ils ne dénonceraient pas, étaient eux-mêmes surveillés par des commissaires nommés par le corps législatif. Enfin, il appartenait au corps législatif d’arrêter les comptes (articles 105 et 106).
73La Constitution de 1795 consacre, dans le titre IX intitulé « Finances », onze articles à la trésorerie nationale et à la comptabilité. Le cadre législatif d’exécution apparaît, ainsi que les procédures d’exécution, jusqu’à l’arrêt des comptes. Cinq commissaires de la Trésorerie générale et cinq commissaires de la Comptabilité, élus par le Conseil des Anciens sur une triple liste présentée par le Conseil des Cinq-Cents, sont institués. Les commissaires de la Trésorerie générale sont chargés, entre autres, « d’ordonner les mouvements de fonds et le paiement de toutes les dépenses publiques consenties par le Corps législatif » (article 317). « Ils ne peuvent rien faire payer, sous peine de forfaiture, qu’en vertu : 1° d’un décret du Corps législatif, et jusqu’à concurrence des fonds arrêtés par lui sur chaque objet ; 2° d’une décision du Directoire ; 3° de la signature du ministre qui ordonne la dépense » (article 318). Ces commissaires de la Trésorerie présentent aux commissaires de la Comptabilité « le compte général des recettes et des dépenses de la République, appuyé des comptes particuliers et des pièces justificatives ». Ces derniers « le vérifient et l’arrêtent » et doivent « donner connaissance au Corps législatif des abus, malversations, et de tous les cas de responsabilité qu’ils découvrent au cours de leurs opérations et proposer dans leur partie les mesures convenables aux intérêts de la République » (articles 322 et 323). L’article 324 dispose enfin que le résultat des comptes arrêté par les commissaires de la Comptabilité est imprimé et rendu public.
74Les dispositions de la Constitution de l’An VIII, plus succinctes, adoptent une démarche similaire dans la mesure où c’est à propos de la reconnaissance de l’établissement des compétences du Gouvernement et des ministres que sont évoquées les dépenses de l’État. Le cadre législatif initial est encore mieux dessiné, puisqu’il concerne à la fois les recettes et les dépenses. Aucune mention particulière n’est faite à l’impôt, à la différence des constitutions précédentes. Son statut législatif est commun à l’ensemble recettes et résulte de l’article 45. Cet article dispose que le « Gouvernement dirige les recettes et les dépense de l’État conformément à la loi annuelle qui détermine le montant des unes et des autres ». La notion de loi annuelle relative à l’ensemble des recettes et des dépenses est mentionnée pour la première fois. Il ne s’agit, selon le texte, que d’établir leur montant. Mais cet article doit être interprété en relation avec l’article 56, qui définit le cadre dans lequel le ministre chargé de l’administration du Trésor public « assure les recettes, ordonne les mouvements de fonds et les paiements autorisés par la loi ». En matière de paiement, il ne peut rien faire « qu’en vertu d’une loi, et jusqu’à concurrence des fonds qu’elle a déterminés pour un genre de dépense », d’un arrêté du Gouvernement et d’un mandat signé par un ministre. Une affectation telle qu’elle était prévue par décret législatif dans la Constitution de 1795 doit donc figurer dans la loi. Enfin, c’est dans le cadre ministériel que les comptes « détaillés de la dépense », « signés et certifiés » par « le ministre sont rendus publics » (article 57).
75Les Constitutions de 1795 et de l’an VIII introduisent la notion d’autorisation préalable en matière de dépenses à partir de l’établissement des compétences des autorités publiques chargées de la gestion financière. Sous la Restauration, on ne procédera pas différemment par voie législative. La loi du 25 mars 1817 (article 151), dont on fait naître généralement le droit budgétaire, est d’abord un texte qui établit le cadre de la compétence des ministres. « La dépense, dispose-t-il, ne peut excéder le crédit en masse ouvert à chacun des ministres. Il ne pourront, sous leur responsabilité, dépenser au-delà de ce crédit. » C’est sur ces bases, qui dessinent les articulations fondamentales, que se constituera la loi de budget en tant qu’instrument d’expression des choix des dépenses par la majorité parlementaire.
C. L’APPORT DES MONARCHIES CONSTITUTIONNELLES
76Le système financier mis en place sous la Restauration et la monarchie de Juillet permet, par l’articulation étroite entre le droit budgétaire et comptable, l’établissement d’une comptabilité moderne, et la circulation d’informations fiables qui en découle devait donner aux agents les moyens d’assurer au mieux la gestion financière. Le besoin pour les parlementaires, selon l’expression maintes fois reprises, de se prononcer sur les crédits, de se prononcer « en connaissance de cause », a conduit les Chambres à faire de la connaissance de l’activité administrative l’aboutissement de la logique du principe constitutionnel relatif au consentement à l’impôt. Le marquis d’Audiffret parlera de cette période comme « d’une ère du service public46 ».
77Des budgets seront établis dès le début de la Restauration, sur la base d’une prévision assez sommaire, tant en recettes qu’en dépense, et soumis à l’approbation des Chambres. Non seulement la menace de refus du budget permettra la mise en jeu de la responsabilité ministérielle, mais va faire du choix des dépenses très rapidement un enjeu politique fort. C’est à propos de la spécialité des votes que va se jouer la dynamique du consentement à l’impôt et que l’articulation du droit budgétaire et comptable va prendre toute sa signification.
78Le rapport de la Chambre des députés sur le budget de 1817 posait le problème de l’étendue de l’attribution considérée comme la plus importante, à savoir le droit de voter l’impôt de 1817. Le comte Roy, l’auteur du rapport, répondait à cette question par l’argumentation suivante :
« Les impôts et les subsides ne sont établis que pour les besoins de l’État et pour les nécessités indispensables. La conséquence immédiate de ce principe, c’est que celui qui a le droit de voter l’impôt a nécessairement le droit de vérifier si cet impôt est demandé pour les nécessités de l’État, de vérifier ces nécessités […], de surveiller l’emploi des fonds et de s’assurer qu’ils n’ont pas été distraits de la destination pour laquelle seulement ils ont été accordés47. »
79On retrouve, exprimée ici, la dynamique de l’article 14 de la Déclaration. Le commentaire de René Stourm, en revanche, est assez révélateur de la volonté que nous avons déjà rencontrée de minimiser l’intérêt de cette disposition, mais aussi de dénier à la charte de 1814 une quelconque portée en matière budgétaire. Attitude qui rejoint celle d’Esmein et qui permet de conforter une interprétation des lois constitutionnelles de 1875 démontrant « un vide juridique » en ce qui concerne la loi budgétaire. Selon l’auteur, « le raisonnement » du comte Roy vient se substituer au droit, dans la mesure où la Charte est « muette » sur ce point48.
80Il est vrai que les dispositions de la charte de 1814, comme celles de la charte de 1830, sont, apparemment, consacrées exclusivement à l’impôt. Mieux même, la proposition de loi, qui en principe contient le budget et qui doit être adressée d’abord à la Chambre des députés, prend le nom de « loi de l’impôt » (articles 17 et 15). Mais Royer-Collard, par une interprétation à la fois historique et fonctionnelle, va retrouver la dynamique de l’impôt à partir de l’article 48 de la charte de 1814 (repris dans les mêmes termes à l’article 40 de la charte de 1830) et donner une base constitutionnelle aux revendications des parlementaires. L’article 48 dispose ainsi qu’aucun « impôt n’est établi ni perçu, s’il n’a été consenti par le deux Chambres et sanctionné par le roi ». L’argumentation qu’il développe, écrit Leroy-Beaulieu49, « est à la fois ample et précise, philosophique et pratique d’un homme qui avait le don de ramener les questions aux principes généraux sans leur donner un caractère vague et théorique », et c’est pourquoi nous jugeons utile de la reproduire.
« La spécialité des crédits, considérée d’une manière générale, me paraît encore moins une question de principe qu’une question de probité. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu ; s’il n’a été consenti par les Chambres et sanctionné par le roi : c’est la Charte. La raison de l’impôt, c’est les dépenses, la raison de la dépense, ce sont les services : ainsi les services sont la dernière et véritable raison de l’impôt. Ce qui se passe entre le Gouvernement et la Chambre dans la proposition de la loi de finances annuelle en est la preuve.
« Sont-ce les chiffres abstraits de la dépense que le Gouvernement présente pour obtenir l’impôt ? Non, le consentement serait impossible faute de motifs ; mais le Gouvernement allègue les différents services : il dit de ceux-ci qu’ils sont indispensables, de ceux-là qu’ils sont très utiles ; il vante l’ordre, l’intelligence, l’économie qui règne en tout ; la Chambre écoute, et selon qu’elle est convaincue ou ne l’est pas, elle accorde ou refuse l’argent qui lui est demandé. Dans le fait (et ce fait-là se met aux voix), le consentement général de la Chambre se décompose en autant de consentements particuliers qu’il y a de dépenses distinctes : il y a autant de dépenses distinctes qu’il y a des services différents allégués par le Gouvernement. L’allégation d’un service emporte assurément la supposition que ce service-là sera fait, celui-là et non pas un autre : ainsi les services et l’argent, l’argent et les services, formant un véritable contrat qui oblige le Gouvernement envers la Chambre et la nation. S’il en était autrement le consentement de la Chambre lui aurait été surpris, il y aurait dol. Le pouvoir est bien immoral mais beaucoup moins qu’un pouvoir constitutionnel qui compterait le dol au nombre de ses prérogatives.
« Je n’ai pas besoin d’exprimer que je mets ici l’imprévu hors de cause ; il n’est trop clair qu’il ne peut se régler qu’après coup. Tout ce que je dis, et je ne saurais le dire trop affirmativement, c’est que dans ce qu’il y a de certain et de connu, à chaque vote que le Gouvernement obtient de la Chambre, il s’oblige au service qu’il a lui-même indiqué et déterminé comme la raison de ce vote. S’il ne remplit pas ses engagements, les votes sont nuls de droit, l’impôt n’a pas été consenti ; dans la rigueur des principes, il y a concussion. »
81Rappelant dans une autre intervention les origines du principe du consentement à l’impôt, il fait de la Chambre « l’héritière des vieilles libertés de la France » par là même :
« Tous les torts de la spécialité sont ceux du Gouvernement représentatif, elle n’en a point d’autres. Elle sort toute entière dans ses conséquences les plus éloignées, les plus incommodes et si l’on veut les plus tyranniques, elle sort, dis-je, de la nécessité imposée au Gouvernement d’obtenir le consentement libre et intelligent de la Chambre pour établir et percevoir l’impôt50. »
82L’interprétation que donne Royer-Collard de l’article 48 conduit à reconnaître au consentement à l’impôt les conséquences qu’impliquent les dispositions de l’article 14 de la Déclaration quant à la constatation de la nécessité et le suivi de l’emploi. C’est dans ce sens que l’on doit comprendre les évolutions ultérieures et les apports successifs des ordonnances royales du 1er septembre 1827 et du 29 septembre 1831. Le premier texte prévoit que le vote des dépenses interviendra, au sein de chaque ministère, par sections et par branches principales de services. Mais c’est la monarchie de Juillet qui permettra une évolution décisive en faisant correspondre le vote des crédits à leur unité d’exécution, à savoir le chapitre. « Le vote des dépenses de chaque ministère sera, à l’avenir, divisé en chapitres spéciaux ; chacun des ces chapitres ne contiendra que des services corrélatifs ou de même nature […] » (article 11). « Les sommes affectées par la loi à chacun des chapitres ne pourront être appliquées à des chapitres différents » (article 12). Le cadre de la compétence des ministres en matière d’exécution des crédits est désormais fixé par voie législative. La spécialisation des votes coïncidera avec la spécialité des crédits, et ce, si on excepte la période correspondant au Second Empire, jusqu’en 1956.
83Le souci exprimé par le comte Roy de s’assurer que les « fonds n’ont pas été distraits de leur destination », comme celui exprimé par Royer-Collard de l’existence « d’un véritable contrat qui oblige le Gouvernement entre la Chambre et la nation » suppose que les Chambres disposent de certaines informations.
84Pour Royer-Collard, l’information doit d’abord être donnée par l’intitulé des subdivisions, nous dirions par la nomenclature budgétaire. Il introduit les termes d’une problématique féconde en ce qu’il fait de chaque spécialité un engagement. « Qu’on les appelle chapitres ou autrement, qu’importe. » Ce qui importe, c’est l’identification entre la dépense et le service. La possibilité pour les parlementaires de se prononcer sur les activités de l’administration, la multiplication des divisions, et par là même des votes que ces subdivisions peuvent susciter n’est pas un problème en tant que tel pour Royer-Collard en 1822. Le problème le plus important est celui de leur signification, et par là même la possibilité pour les parlementaires de se prononcer en connaissance de cause. C’est, dira-t-il, au Gouvernement qui établit le budget de les créer. « La spécialité existe à son usage et dans son intérêt ; elle lui sert à [vous] convaincre de la nécessité de la dépense et par-là même de l’impôt. »
85Les contrôles exercés sur l’utilisation du produit de l’impôt à travers la dépense vont susciter des réformes importantes sous les monarchies constitutionnelles, la qualité des informations devant non seulement permettre de surveiller l’emploi des fonds, mais également d’asseoir la prévision sur des bases solides. Le contrôle interne au sein du ministère des Finances va être amélioré par la création, en 1816, du corps de l’Inspection générale des finances51. La Cour des comptes, institution napoléonienne crée par la loi du 16 septembre1807, va se trouver naturellement associée au nouveau système financier.
86La juridiction financière, à qui avait été confiées en 1807 les fonctions de la comptabilité nationale, devait juger les comptes, les régler, les apurer, prendre des arrêts définitifs sur la gestion des comptables et consigner ses observations dans un rapport annuel adressé au chef de l’État. Elle ne pouvait en aucun cas s’attribuer de juridiction sur les ordonnateurs. En revanche, la Cour des comptes s’était vue reconnaître le droit de faire des observations sur les irrégularités constatées aux cours de l’examen des écritures et des pièces qui lui ont été adressées par les comptables principaux lorsque ces anomalies n’étaient pas imputables aux comptables. Celles-ci, accompagnées de propositions visant à apporter des améliorations et des réformes dans les services, étaient portées à la connaissance du chef de l’État par la voie du rapport annuel.
87Les premières lois, intervenant après la loi de 1817 précisant le cadre législatif de la compétence des ministres, sont relatives au contrôle législatif a posteriori. Elles traduisent à la fois également le souci d’associer l’exécution à la prévision et celui de fonder l’ensemble de la procédure sur des informations fiables.
88Le comte Roy avait précisé, dans l’argumentaire précité, que le vote des impôts dans la proportion des besoins, ne pouvait l’être librement par la Chambre « qu’autant qu’elle a connaissance des comptes et des faits qui s’y rapportent52 ». À l’initiative de Royer-Collard, l’article 102 de la loi du 15 mai 1818 vint reconnaître aux Chambres le droit de régler les comptes, et exiger que cette loi soit votée avant l’adoption du budget suivant. Cet article prévoit en effet que « Le règlement définitif des budgets antérieurs devait faire l’objet d’une loi particulière ». Cette loi devait être « proposée aux Chambres avant la présentation de la loi de finances annuelle ». Les parlementaires, conscients de ce que les indications données dans la seule loi des comptes seraient difficilement exploitables, devaient préciser, dans une loi ultérieure du 27 juin 1819, que « le compte annuel des finances (serait) accompagné de l’état de situation des travaux de la Cour des comptes » (article 20).
89L’article 15 de la loi du 21 avril 1832 vint compléter utilement l’information du Parlement, en prévoyant que le rapport annuel de la Cour serait imprimé et distribué aux Chambres.
90La loi du 25 mars 1818, qui établissait le cadre législatif de la compétence des ministres, leur imposait de présenter leurs comptes aux Chambres à chaque session. Or, la loi du 15 mai 1818, créant la loi des comptes, exigeait que ces comptes soient joints à ladite loi comme pièces justificatives.
91L’ordonnance du 14 septembre 1822 viendra ajouter aux dispositions législatives précédentes un dispositif fondamental en déterminant les rapports entre les ordonnateurs et les comptables, leurs obligations respectives, dont celle incombant aux premiers de joindre à leur ordonnancement de paiement des pièces justificatives. En imposant entre autres comme justificatif préalable à tout paiement par le comptable la constatation du service fait, le texte de 1822 lie étroitement l’activité administrative à la gestion financière.
92Dans le prolongement des compétences appartenant aux ordonnateurs et aux comptables, la comptabilité ministérielle sera valorisée. Une ordonnance du 10 décembre 1823 tracera le cadre de la comptabilité des ministres. Les comptes devront être élaborés selon un programme précis de matières et soumis à une commission de vérification des comptes des ministres composée de neuf membres choisis par le chef de l’État dans le sein du Sénat, de la Chambre des députés, du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Les comptabilités respectives des ordonnateurs et comptables seront utilement comparées. Ainsi l’ordonnance du 14 septembre 1822 prévoit que la « Cour des comptes constatera et nous certifiera, d’après le relevé des comptes individuels, l’exactitude des comptes généraux publiés par le ministre des Finances et par chaque ministre ordonnateur ». De là découleront deux déclarations générales de conformité. Une déclaration générale relative aux comptes de gestion annuelle, constatant la concordance entre le compte général des finances pour l’année avec les arrêtés définitifs rendus sur les comptes individuels présentés par les agents comptables pour ladite année. Une déclaration générale relative à la situation définitive de l’exercice expiré tendant à certifier la conformité des comptes des ministres ordonnateurs avec celle des comptables. Ces déclarations, remises au ministre des Finances, seront imprimées et communiquées aux Chambres, et serviront de pièces justificatives au projet de règlement du budget.
93Le besoin d’information des parlementaires sur l’activité des ministères va se traduire sous une autre forme. Tout d’abord, dès le vote des premiers budgets, le Gouvernement va joindre en annexe du projet une liste détaillée des dépenses selon une nomenclature plus fine que celle soumise au vote. Ainsi seront fournis aux parlementaires une liste des dépenses par chapitres dès le début de la Restauration, alors même que le texte soumis au vote les répartissait par ministère. C’est sur cette base que pouvait éventuellement s’établir la discussion. Cette liste n’avait pour le roi qu’une valeur indicative, mais elle constituait l’élément à partir duquel il opérait, une fois la loi de finances votée et par ordonnance royale, la répartition par chapitre qui précisait le cadre d’exécution au sein de chaque ministère. Cette distinction entre la ventilation des dépenses soumise au vote et celle donnée en même temps que le projet de loi, en annexe, à titre d’information, sera par la suite toujours utilisée. Sous le Second Empire, les sénatus-consulte feront une distinction entre la « présentation » des crédits demandés et ceux effectivement soumis au vote. Les textes organiques, à savoir le décret de 1956, l’ordonnance de 1959, puis la LOLF, préciseront cette distinction. La notion « d’annexe explicative » accompagnant le projet de loi sera de plus en plus juridicisée et le Conseil constitutionnel aura à connaître de leur dépôt et de leur contenu.
94Les informations nécessaires aux parlementaires pour qu’ils se prononcent en connaissance de cause seront par ailleurs énumérées dans l’ordonnance royale du 31 mai 1838 portant règlement de la comptabilité publique. Précise, quoique hétérogène, elle témoigne du souci d’informer les parlementaires sur l’activité des ministères. Qu’il s’agisse de la liste des boursiers des collèges royaux, de l’indication des recettes et des dépenses allouées pendant l’année précédente pour l’instruction primaire, de l’état spécial des travaux exécutés pour le perfectionnement de la navigation sur les rivières, du tableau élaboré par le ministère de Finances et concernant les biens appartenant à l’État, tant à Paris que dans les départements, et qui sont affectés à un service public quelconque. Ce tableau devant contenir la date de l’affectation et l’indication de l’usage auquel chaque propriété est consacrée, ainsi que sa valeur approximative. Concernant tous les ministères, ceux-ci sont dans l’obligation de fournir un état sommaire de tous les marchés de plus de cinquante mille francs permettant d’identifier les contractants, la durée, la nature et les principales dispositions du contrat. De même doit être fournie la liste des bâtiments de l’État, avec l’indication de la fonction ou le titre pour lesquels le logement a été accordé. Une disposition de l’article 157 de l’ordonnance contient une mention intéressante en ce qu’elle introduit un instrument de mesure de l’efficacité de la dépense. Cet article impose aux ministres chargés de la distribution des fonds consacrés à l’encouragement des sciences, des lettres et des arts, d’inclure dans le compte des ministres, pour justifier l’emploi des crédits, la liste de chacun des ouvrages pour lesquels il a été souscrit, le nom de l’auteur, le nombre d’exemplaires achetés, la somme payée à chaque auteur, la désignation des personnes ou des établissements à qui ils les ont attribués.
95Selon les termes de l’ordonnance, la date de dépôt de ces documents auprès des Chambres est très variée : au début ou en cours de session, à l’appui de la loi des comptes ou du compte des ministres. La pratique dans ce domaine fera que certains seront présentés avec d’autres informations réclamées par les Chambres ou spontanément produits par le Gouvernement sous la forme de document annexés au projet de loi de finances. Sous la IIIe République, en plus des documents traditionnellement distribués, sera mentionnée chaque année dans la loi de finances une liste de documents demandée par les parlementaires.
96L’importance, le nombre et la cadence des textes intervenus dans cette période montrent l’importance des enjeux politiques que constituaient la mise au point du cadre budgétaire et comptable de la gestion financière de l’État. Le marquis d’Audiffret est étroitement associé à la rédaction, et ce dès 1816. Il assurera la synthèse et la mise en forme de l’ensemble par la rédaction de l’ordonnance royale portant règlement de la comptabilité publique du 31 mai 1838, comportant pas moins de 900 articles, mais qui surtout traduit bien l’unité de la procédure et la mise au point d’un véritable système financier en ce qu’elle comprend trois parties consacrées respectivement à la « comptabilité législative », la « comptabilité administrative » et la « comptabilité juridictionnelle ». Dans ses Souvenirs, le marquis d’Audiffret souligne le rôle important du comte Roy, devenu ministre, et surtout celui de Villèle53. Il mentionne également le nom des parlementaires intéressés spécialement à la matière financière, et bien entendu Royer-Collard.
97Au terme de cette période, le terme « loi de finances annuelle », si elle n’est pas définie, est du moins identifiée, et ne peut être confondue avec « la loi de l’impôt » qui, selon l’article 17 de la charte de 1814 et l’article 15 de la charte de 1830, doit être adressée d’abord à la Chambre des députés. Outre qu’à quelques variantes près, c’est l’intitulé chaque année du texte législatif, l’article 12 de l’ordonnance de 1838 y fait expressément référence. Par ailleurs, si ce texte contient diverses dispositions, il est précisé à l’article 2 de ladite ordonnance qu’il contient la loi budgétaire. « Les recettes et les dépenses publiques à effectuer pour le service de chaque exercice sont autorisées par les lois de finances annuelles et forment le budget général. » Définition et terminologie qui seront reprises (articles 30 et 53) par le décret impérial portant règlement général sur la comptabilité publique du 31 mai 1862, qui restera en vigueur jusqu’en 1962. L’autorisation annuelle en matière d’impôt résultera d’une disposition incluse dès 1816 à la fin des lois de finances annuelles par un article qui défend et punit la perception de toutes contributions directes et indirectes que celle qu’elle autorise. La distinction entre le régime de l’impôt et l’autorisation de le percevoir est d’ores et déjà établie, et cela encore malgré l’incertitude du vocabulaire des deux Chartes qui, après avoir consacré dans un article le fait qu’aucun impôt ne pouvait être perçu sans avoir été consenti par les deux Chambres, prévoient que « l’impôt foncier ne peut être consenti que pour un an et les impositions indirectes pouvaient l’être pour plusieurs années » (article 49 de la charte de 1814, article 40 de la charte de 1830). Ce n’est pas du principe de l’annualité de l’impôt tel qu’il est exprimé dans la Constitution de 1791 que découle l’annualité budgétaire, mais du vote annuel des dépenses, avec les limites de la prévision et le renouvellement de la confiance qu’il suppose, l’autorisation annuelle de l’impôt en étant le nécessaire corollaire. Par là même, comme nous l’avions évoqué précédemment, il n’y avait pas de « vide juridique » sous la IIIe République en ce qui concernait la loi budgétaire et ses effets.
98On voit en revanche se dessiner dès cette période des préoccupations qui ne feront qu’amplifier. Lorsque Royer-Collard, en 1822, plaidait pour une plus grande spécialité, c’était dans le cadre d’une certaine conception des rapports entre la Chambre et le Gouvernement.
« La Chambre, disait-il, pèse sur l’administration de tout le poids de ce droit immense d’accorder ou de refuser les subsides. Sans commander jamais au Gouvernement, elle lui imprime des directions auxquelles elle ne peut se soustraire. »
99Thiers, en 1830, alors qu’est acquis le principe du vote par chapitres et élargi le droit d’initiative, essaiera, en tant que commissaire du Gouvernement, de retarder les dispositions de la loi de 1831. Regrettant l’ancienne formule du vote par grandes sections de services, qui permettait, selon lui, de laisser aux ministres la liberté d’action nécessaire et la possibilité d’assumer la responsabilité qui pèse sur eux, il s’exprimera ainsi :
« Je sais bien que beaucoup d’hommes fort éclairés pensent que toute spécialité vous appartient. Je ne le crois pas. Je crois qu’il y a des bornes à mettre à votre discussion […]. Il faut pour que l’action soit possible en toutes choses, un grand contrôle après, mais un peu de confiance avant54. »
100Par ailleurs, l’articulation du droit budgétaire et comptable repose sur le ministre, Selon l’expression utilisée, c’est lui qui « dispose » des crédits. Il est l’ordonnateur, celui qui a l’initiative de la dépense et qui donne au comptable l’ordre de payer. Or, si la responsabilité du comptable est rigoureusement encadrée avec le jugement des comptes, il n’en va pas de même pour les ordonnateurs. La mise en cause de la responsabilité civile pour dépassement de crédits a été prévue par l’article 151 de la loi du 25 mars 1817, mais n’a pas vraiment été organisée et a produit peu d’effets. Celle-ci a été en fait absorbée par sa responsabilité politique. L’absence de juridiction sur l’ordonnateur, qui résulte du statut de la Cour des comptes, fait que les administrateurs, en dehors des observations faites par ladite juridiction, échappent aux sanctions relatives à leur gestion financière.
II. LES PROBLÉMATIQUES OUVERTES
101Le fonctionnement des institutions sous la IIIe République va très rapidement poser des problèmes qui vont peser sur la résistance du cadre budgétaire et comptable de la gestion financière et comptable élaborée sous les monarchies constitutionnelles, et ce d’autant plus que celle-ci succède à un régime autoritaire où l’initiative en matière législative et le pouvoir budgétaire des élus avaient été remis en cause. Des problématiques vont durablement s’installer et s’alimenter de préoccupations nouvelles liées à une approche plus économique de la dépense. Des propositions de réformes vont être faites, certaines vont être réalisées. La doctrine participera à la critique du système et se fera l’écho de ces tentatives. Les constitutions de 1946 et de 1958, en ce qui concerne leurs dispositions financières, les textes organiques, y compris la LOLF, doivent être inscrites dans la continuité de ces problématiques. Celles-ci concernent directement le cadre budgétaire de la gestion financière de l’État et, dans la mesure où les différentes phases de la procédure sont étroitement liées, on assiste à une remise en cause des conditions de l’exercice du contrôle sur l’emploi du produit de l’impôt.
A. LE BUDGET, CADRE DE LA GESTION FINANCIÈRE
102Les caractères propres à la loi budgétaire et à son corollaire, la loi des comptes ou loi de règlement, vont très difficilement se dégager, les conséquences qui vont en résulter vont provoquer une rationalisation de l’exercice du pouvoir législatif en matière budgétaire. Dans cette période, la réflexion la plus systématique se trouve dans l’œuvre de Jèze.
103Par ailleurs, le besoin d’assurer, comme le souligne Paul Reuter, l’éternel besoin de rationalité et d’intelligibilité des documents budgétaires55 justifie l’intégration d’une nouvelle logique économique.
1. La rationalisation de l’exercice du pouvoir législatif en matière budgétaire.
Les données de la problématique dans le cadre des lois constitutionnelles de 1875.
104Les lois constitutionnelles de 1875 n’indiquent aucune limite à l’exercice du pouvoir législatif56. Il est seulement mentionné à l’article premier de la loi constitutionnelle relative à l’organisation des pouvoirs publics que ce pouvoir « s’exerce par les deux Assemblées : la Chambre des députés et le Sénat ». La Chambre des députés est élue au suffrage universel, le Sénat procède de l’élection, mais selon un mode indirect, puisque ses membres sont élus par les départements, les colonies et des élus de l’Assemblée nationale. L’initiative des lois est exercée concurremment par le président de la République et les membres des deux Chambres. Il appartient au président de la République de les promulguer. Il existe cependant deux mentions spécifiques à la matière financière. S’il appartient au président de la République de négocier et de ratifier les traités, certains, dont ceux qui « engagent les finances de l’État », ne sont définitifs qu’après avoir été votés par les deux Chambres. Par ailleurs, selon l’article 8 de la loi constitutionnelle relative au Sénat, « Les lois de finances doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle ».
105Le fonctionnement des institutions de la IIIe République a produit ce qu’on appelle la souveraineté parlementaire. Le Parlement, selon la démonstration qu’en fait Carré de Malberg, tenait sa légitimité du fait qu’il était devenu, en vertu des textes constitutionnels, l’expression de la volonté générale. Le Gouvernement n’était plus, comme dans les Chartes, une puissance indépendante. Le cabinet ministériel était, en quelque sorte, « un comité d’action du Parlement57 ». Vis-à-vis de ce cabinet, il appartenait au Parlement non pas d’exercer « le rôle d’un conseil de surveillance, mais bien plutôt celui d’un conseil de direction ». Il ne procédait pas à l’égard du Gouvernement « par voie d’injonction formelles adressées aux ministres, mais simplement au moyen d’indications fournies par ses votes58 ».
106L’organisation des pouvoirs dans les constitutions de 1814 et 1830 reposait sur l’existence, face aux Chambres, d’un exécutif fort. La formation du droit budgétaire résultait des exigences d’une Chambre élue au suffrage censitaire qui, à partir des dispositions de la Charte, tendait à s’imposer face à un exécutif ayant sa propre légitimité dans le cadre monarchique. Dans les débats politiques relatifs au vote détaillé des crédits, on avait perçu cette tension entre un Parlement qui luttait pour l’affirmation de son pouvoir face à un exécutif qui tendait à préserver l’effectivité du sien59. Or, après la IIe République, la mise en place d’un régime autoritaire où le corps législatif fut privé de ses pouvoirs acquis sous les régimes précédents devait conduire à des revendications très précises en matière budgétaire. Le Second Empire, à cet égard, n’est pas qu’une parenthèse dans l’histoire de l’exercice du pouvoir financier. Non seulement ses institutions justifieront, en réaction, l’organisation des pouvoirs publics issue des lois constitutionnelles, mais contribueront à sensibiliser particulièrement les parlementaires sur l’exercice de leur pouvoir budgétaire et en particulier sur le vote détaillé des crédits.
107D’emblée en effet, dès 1852, le principe de la spécialisation des votes par chapitres tel qu’il avait été organisé par la loi de 1831 sera remis en cause. Les discussions, les oppositions qui se manifestèrent lors du vote du budget pour 1853 montrèrent que le pouvoir d’adopter ou de refuser les crédits dans le détail des chapitres constituait une limite à l’action du Gouvernement non compatible avec l’esprit des nouvelles institutions. C’est par la voie d’un sénatus-consulte, donc d’un texte de nature constitutionnelle, que les nouvelles conditions de l’exercice du pouvoir budgétaire seront posées. Le sénatusconsulte du 25 décembre 1852, dans son article 12, en établissant une distinction entre la « présentation » du budget et le « vote », revint en quelque sorte à la loi de 1817 en réduisant la spécialisation au vote par ministère. Les deux sénatus-consultes de 1862 et de 1869 rétablirent successivement le vote par sections à l’intérieur des ministères, puis par chapitre. Mais, en ne supprimant pas la faculté de virement des crédits par décret introduite dans le sénatusconsulte de 1852 au sein des ministères, les parlementaires ne retrouvaient pas les conditions de la spécialisation des votes qui étaient celle des monarchies constitutionnelles. Très vite, l’Assemblée va montrer l’attachement particulier qu’elle accordait à ce vote détaillé. Une loi du 16 septembre 1871 consacra le vote par chapitre et l’interdiction de virement par voie réglementaire.
108Leroy-Beaulieu, dès les années quatre-vingt, face aux votes de plus en plus détaillés des votes des crédits, exprimera ses craintes sur les dangers qu’ils constituaient pour l’action administrative. Avec la multiplication et le dédoublement des chapitres, « l’administration n’a plus la liberté de se mouvoir, elle n’a plus la liberté et la responsabilité qui lui sont nécessaires : elle est enfermée à l’étroit dans des cadres qui sont trop inflexibles »60. Il ajoute en note qu’une évolution se dessine, qui conduit les parlementaires à assortir leur demande de modification de la dotation d’un chapitre d’indications portant sur une action déterminée, comme la suppression d’un emploi d’un fonctionnaire bien identifié. « On ne peut se dissimuler, écrira-t-il à propos de ce fait, que dans ces derniers temps les pouvoirs que s’est arrogée la commission du budget n’aillent à détruire toute responsabilité ministérielle et à transformer les ministres en simples commis61. »
109La multiplication du nombre de votes (1 000 chapitres en 1900), l’installation des parlementaires dans la discussion budgétaire, animés à la fois par la volonté de passer au crible l’action des ministères et le désir de concrétiser les intérêts de leurs électeurs, les modifications importantes du projet de budget déposé par le Gouvernement montrent bien que la décision budgétaire tend à être considérée comme appartenant aux seuls parlementaires.
110La doctrine va mettre l’accent sur plusieurs facteurs. Le gaspillage des deniers publics, qui est évoqué dès l’introduction des différents traités ou manuels, est souvent lié à l’élément nouveau que constitue l’élection au suffrage universel. Les parlementaires, voulant assurer leur réélection, ajoutent au projet gouvernemental des dépenses jugées irréfléchies voire démagogiques. Mais le phénomène démocratique n’est pas remis en cause, c’est une donnée dont il faut s’accommoder, et c’est vers une meilleure organisation du travail parlementaire lors de l’examen du budget que l’on s’orientera. Or celui-ci apparaissait singulièrement contre-productif. L’enlisement des débats, le souci du détail de l’activité des ministères, l’exagération du temps de parole, qui se traduisaient par des lois de finances surchargées de dispositions qui n’avaient pas de rapport direct avec le vote des crédits, en étaient pour lui une illustration. La multiplication des crédits additionnels en cours d’année faisait que le budget exécuté était souvent très différent du budget initialement voté. L’intervention des commissions des finances était sujette à de nombreuses critiques. Au lieu de donner des avis sur le projet présenté par le Gouvernement, celles-ci refaisaient le projet en y incluant leurs propres propositions. La volonté de leurs membres, en particulier des rapporteurs spéciaux, de mettre le Gouvernement en difficulté lors de la discussion budgétaire et de se ménager une sortie ministérielle apparaissait comme particulièrement néfaste. Un instrument aux mains des parlementaires expliquait en partie ses dérives, à savoir pouvoir d’augmenter les crédits par voie d’amendement. L’exemple anglais, où dès l’élaboration des premiers budgets, les Communes avaient renoncé à exercer ce droit, était constamment évoqué.
111En l’absence de dispositions constitutionnelles permettant l’encadrement de l’exercice du pouvoir budgétaire, les parlementaires conscients d’un besoin de rationalisation tenteront de s’imposer eux-mêmes des règles au moyen des règlements des Assemblées. Seront ainsi interdites lors du vote du budget les dispositions non financières, on imposera des disjonctions ; seront exclues les résolutions et des interpellations au cours du vote des crédits, on essaiera de limiter le temps de parole pour raccourcir la durée des débats, enfin on tentera d’encadrer les amendements portant sur la majoration des crédits. La Revue de science et de législation financière se fera largement l’écho des réformes et des projets de réformes des règlements des Assemblées. Jèze participera en 1914 à un comité ministériel chargé de proposer des réformes en la matière. Le rapport qu’il signera contribue une importante réflexion sur la nécessité de rationaliser l’exercice du pouvoir législatif en matière budgétaire. Il procède à une analyse comparative et l’un des intitulés du rapport prône ouvertement le rapprochement de nos procédures avec celles des pratiques anglaises tout en étant conscient des particularités nationales62.
112Une des conséquences les plus visibles des difficultés de l’exercice du pouvoir budgétaire par le Parlement était le retard avec lequel était adopté le budget. Celui-ci était difficilement voté avant le début de l’exercice, d’où le recours fréquent à la technique des douzièmes provisoires, facteur d’incertitude pour les gestionnaires de crédits. D’autres conséquences seront particulièrement mises en valeur par Jèze. Elles sont relatives au manque de cohérence des choix budgétaires et à l’insuffisance de la réflexion sur l’utilité des dépenses.
La mise en perspective de Jèze : du budget, acte de haute administration, à l’utilité de la dépense.
113Les réflexions de Jèze sur l’utilité de la dépense63 le conduisent en 1922 à proposer que les dépenses soient fixées en fonction du revenu national, et que la nomenclature budgétaire fasse apparaître leur objet, leur coût et leur rendement64. Ces propositions peuvent surprendre par leur modernité. On ne peut les intégrer dans l’histoire de la gestion financière de l’État qu’à la condition de les situer dans les problématiques qui sont celles de la gestion financière de la IIIe République et compte tenu de la continuité du phénomène financier.
114La démarche de Jèze est d’autant plus intéressante que ses écrits s’étalent sur une longue période : de la fin des années 1890 au début des années cinquante, et parce qu’il a toujours manifesté une grande curiosité pour les événements de son temps. Curiosité qu’il alimente de ses enseignements, de son attention à la vie politique, mais aussi de ses activités d’expertises. Il fut sollicité à plusieurs reprises et collabora, en particulier, au plan de redressement financier de 1926. Il n’est guère de sujets, grands ou petits, qu’il ait abordé : les finances de guerre, l’amortissement de la dette publique ou la prime de démobilisation des engagés américains. Sa qualité de juriste financier est d’autant plus féconde que ses recherches s’exercent, systématiquement, dans un cadre comparatiste.
115La démarche initiale de Jèze, exprimée en 1897 dans une série d’articles rédigés en collaboration avec Émile Bouvier, dans la Revue critique de la législation et de la jurisprudence65, peut étonner. C’est en effet à un théoricien de la science pure du droit, en l’occurrence Laband, qu’il emprunte ses outils juridiques, alors que toute sa conception du droit est à l’opposé de celle du théoricien allemand. En fait, s’il utilise la distinction entre la loi formelle et la loi matérielle, ce qui le projettera dans le débat doctrinal qui opposa Carré de Malberg à Duguit et à Esmein, c’est dans le souci qui l’animera constamment : celui d’inscrire le vote du budget dans un cadre rationnel et de donner par là même, les deux thèmes étant intimement liés chez Jèze, toute leur signification aux choix budgétaires. Son argumentation va se développer tout au long de son œuvre. La notion de budget comme acte d’administration n’est pas étrangère à la question posée en 1922 dans ses développements consacrés aux dépenses publiques, à savoir comment le cadre juridique peut-il permettre la meilleure expression de l’utilité des dépenses publiques et selon quelle technique peut-elle s’intégrer dans la présentation du budget ?
116Si ce raccourci est possible, c’est parce que cet article de 1897 sur La véritable notion de loi et la loi annuelle de finances tend à démontrer le caractère spécifique de la loi budgétaire. Si, pour Jèze, la loi de loi de finances annuelle n’a que le caractère formel d’une loi et n’est en réalité qu’une loi matérielle, il s’agit avant tout de la différencier des autres lois, et de préserver sa spécificité menacée par l’absence de définition des lois de finances désignées comme telles dans l’article 8 de la loi constitutionnelle de 1875 relative au Sénat. La loi contenant le budget présentait bien des avantages dans le cadre des institutions de la IIIe République. Son adoption devait être relativement rapide, étant donné que le budget, comme tout budget, devait être voté avant le début de l’exercice. Par ailleurs, les parlementaires, par leurs votes détaillés, exprimaient à cette occasion leurs prérogatives nouvelles face à l’exécutif. Ils entendaient à la fois profiter des délais propres au débat budgétaire et exercer leur droit d’initiative pour imposer des réformes à l’administration. Faire du budget, matériellement, un acte d’administration, et prétendre, comme Laband, qu’il s’agissait du plan de l’administration concernant les moyens financiers nécessaires à l’application des lois matérielles lui permettait d’exclure de la loi de finances annuelle tout ce qui n’avait pas strictement d’effets budgétaires. En particulier, il renvoyait à d’autres lois les dispositions fiscales et les réformes administratives introduites sous couvert de modification de crédits par voie de résolution. Son analyse des effets de l’autorisation en matière de dépense va lui permettre de distinguer ce qui est relatif à l’attribution ou au refus des crédits des actes administratifs concernant la gestion des emplois sur lequel le vote du budget ne peut pas avoir d’effet direct. Elle va lui permettre, également, comme à beaucoup d’auteurs à cette époque, de limiter la portée du principe d’annualité. Si le budget doit être voté annuellement, on ne peut pour autant admettre que le sort des créances de l’État en dépende. Quoi qu’il arrive, les souscripteurs d’emprunt d’État ou encore les agents publics préalablement recrutés sont des créanciers dont les droits sont nés d’actes de nature administrative qui ne peuvent s’éteindre par le refus des crédits. Désencombrer la loi budgétaire a pour Jèze un autre objectif que celui de raccourcir les débats. S’il participe activement en tant qu’expert aux travaux portant sur la rationalisation du travail parlementaire en matière budgétaire, c’est aussi pour défendre l’idée que le budget, en tant que plan de l’administration, doit avoir une certaine cohérence et ne peut être le résultat des initiatives individuelles des parlementaires et des ambitions des rapporteurs spéciaux des commissions des finances.
117L’idée de cohérence nécessaire à l’action de l’administration va être très porteuse dans l’œuvre de Jèze. On la retrouve exprimée ultérieurement selon une formule qui lui est chère, à savoir que le budget est un plan de politique gouvernemental qui ne peut être la synthèse des demandes dispersées des différents ministres, mais un véritable projet établi par le ministre des Finances et approuvé par le Gouvernement.
118Si, pour Jèze, la loi de finances annuelle est une loi formelle, à la différence de ce que voulait prouver initialement Laband, le vote du budget est un acte essentiel en tant qu’expression d’une liberté politique. Cette liberté politique, qu’il rattache de façon implicite au consentement à l’impôt66 sans éprouver le besoin de le démontrer autrement que par de longs développements historiques, et qui lui sert d’argument ultime dans son argumentation sur le choix des dépenses, fait que le Parlement doit se prononcer en connaissance de cause lors du vote du budget. Pour cela, il faut qu’il soit correctement informé, ce qui suppose un certain nombre de conditions.
119Si le budget doit traduire un plan politique gouvernemental, il faut que les parlementaires soient suffisamment éclairés au moment de leur vote. Pour Jèze, c’est un corollaire indispensable de la concrétisation de leur liberté politique. Les grands principes budgétaires qui déterminent la présentation du budget ne sont pas des questions de pure forme.
120L’initiative parlementaire en matière d’augmentation de crédit va très vite être remise en cause. La doctrine souligne combien elle est peu adaptée à la matière budgétaire. Jèze ira plus loin dans ce domaine dans l’imitation anglaise en demandant, au nom des nécessaires cohérences du budget, que soit reconnu au ministre des Finances un statut lui garantissant un pouvoir prépondérant en matière financière, à l’instar de celui reconnu au chancelier de l’Échiquier.
121Cette proposition traduit son évolution dans la conception du budget qui passe de plan de l’administration au plan politique gouvernemental. Ce n’est pas la synthèse des demandes dispersées des différents ministres mais un véritable projet établi par le ministre des Finances et approuvé par le gouvernement. C’est à ce dernier qu’incombe le soin d’apprécier le degré d’utilité des demandes et d’en faire la proposition au cabinet67. C’est sur ce plan d’action que s’engage la responsabilité du Gouvernement avec ce que cela implique sur la réforme de la discussion et le vote du budget : remise en cause de l’activité des commissions et du droit d’augmenter les crédits par voie d’amendement, nécessité d’un débat général sur l’ensemble du budget.
122Si le budget doit traduire un plan politique gouvernemental, il faut que les parlementaires soient suffisamment éclairés au moment de leur vote. Les grands principes budgétaires qui déterminent la présentation du budget ne sont que des questions, mais sont indirectement un moyen de concrétiser la liberté politique que constitue le vote du budget. Celui-ci doit être « clair et sincère », ce qui veut dire qu’il doit comprendre la liste de toutes les dépenses et de toutes les recettes de l’État ; que les prévisions et évaluations doivent être exactes, et que la présentation des recettes et dépenses puissent ressortir par une simple opération de calcul et l’existence d’un équilibre, d’un solde de recettes ou un déficit. À côté de ces exigences de nature comptable, Jèze met l’accent sur la nécessité pour « le budget d’être accompagné de toutes les pièces justificatives des crédits demandés et de tous les documents propres à éclairer le Parlement et le pays sur l’état des finances publiques68 ». En insistant sur le fait que le budget est un programme d’action gouvernemental pour l’année à venir, Jèze estime qu’il est indispensable pour le Parlement d’être éclairé sur la situation économique, financière et administrative du pays (état de la dette publique, pour chaque grand service : le nombre des fonctionnaires, les montants des traitements, des pensions, la nature et le montant de toutes les subventions allouées…). Sur ce point, c’est l’Angleterre qui a poussé le plus loin l’information économique et financière, sous la forme de documents régulièrement publiés d’un accès facile. Jèze estime qu’en France l’Administration met une mauvaise volonté évidente à publier ce genre de documents, qu’ils sont peu clairs, souvent inintelligibles et peu accessibles au grand public.
123Ces exigences d’information conduisent Jèze à accorder une place spéciale à la lisibilité et à la signification de la nomenclature budgétaire. Il se place dans la continuité du député Louis Marin, rapporteur général de la commission du budget, auteur d’un rapport sur « les comptes du ministère des Affaires étrangères pour l’exercice 190769 » et d’une proposition de loi du 12 juillet 1912 tendant à assurer la clarté, la sincérité et l’unité des écritures budgétaires70. Les constatations opérées en 1912 par Louis Marin étaient sévères. Il estimait que les écritures budgétaires, par suite des complications qu’un siècle a apporté dans les cadres du budget, étaient devenues « illisibles », « inabordables », « fallacieuses » sous l’apparence d’un ordre parfait et enfin pratiquement « incontrôlables », dans la mesure où elles ne permettent pas de comparaison avec les comptes définitifs. En constatant qu’aucune ligne directrice n’a présidé à l’établissement des comptabilités spéciales et que la présentation des dépenses correspond davantage à une énumération qu’à un classement, Louis Marin met l’accent sur le fait « que cet état des choses provient moins d’un illogisme primitif que de modifications à la contexture ancienne par des simples superpositions de fortune, au lieu qu’il fallait suivre un plan constant et à des refontes générales de l’aménagement des crédits. Les besoins à satisfaire ont évolué dans le temps : certains services ont pris une extension plus grande, tandis que d’autres voyaient leur importance diminuer. » Parmi les propositions émises, Louis Marin estime nécessaire que la même forme soit adoptée par le projet de budget du Gouvernement, pour le budget voté et pour le compte définitif, seul moyen pour les parlementaires de constater, en relation avec la prévision et l’autorisation et « les faits réellement accomplis ». En ce qui concerne le libellé et le contenu des chapitres, il faudrait que soit indiqué l’objet précis auquel les crédits sont destinés. La réunion des différentes parties d’un service disséminées sur l’ensemble du budget devrait simplement s’effectuer de façon à toujours connaître exactement le prix de revient de ce service. La réforme proposée par Louis Marin en 1912 permet à Jèze de mettre en avant l’idée selon laquelle les dépenses doivent être classées par objet. Constatant que seule cette classification peut donner un sens au vote parlementaire, Jèze reprendra également les arguments de Louis Marin en demandant que la classification fasse connaître le coût des services, mais ira plus loin dans cette approche économique que l’établissement des prix de revient en ajoutant à l’étude des coûts la notion de rendement des services publics71.
124La loi de finances du 15 juillet 1914 devait poser les prémisses d’une réforme de la nomenclature. Il était prévu qu’en annexe à l’exposé des motifs du projet de loi soit proposé des tableaux représentant les dépenses et les recettes « suivant une classification logique ». Si cette opération « à blanc72 » réussissait, elle conduirait, selon Jèze, à une réforme du classement. Il introduit ici l’idée que les annexes au projet de loi de finances peuvent jouer un rôle expérimental en l’attente d’une réforme touchant directement la nomenclature. C’est là une intuition qui sera par la suite confirmée. Cela concernera aussi bien les propositions de réformes suite aux travaux du Comité central d’enquête sur les coûts et le rendement des services publics que les budgets de programme de la RCB (Rationalisation des Choix Budgétaires). Les annexes budgétaires sont, dans la perspective proposée par Jellinek, du droit en formation, ce qui sera le droit. Elles peuvent également être un moyen d’éluder une réforme et s’installer dans ce statut de projet en conservant leur statut d’annexe et même devenir purement rituelle.
125Jèze reprendra l’esprit de ce projet en estimant, en 1922, que, pour que « la gestion financière soit claire sincère et économe », il est nécessaire d’adopter une classification des dépenses publiques selon leur « objet73 ». Seul ce type de classification permet un rapprochement du coût des services et de leur rendement et de mesurer l’importance relative de chaque service par rapport aux autres services et par rapport aux recettes et au revenu national.
126La référence au revenu national ne doit pas prêter à des anachronismes. Elle découle tout simplement des réflexions qui ont toujours été très riches sur les effets économiques de l’impôt. Celles-ci sont liées aux réflexions sur la puissance du Prince, ou de ceux qui ont la tâche d’exercer le gouvernement des affaires publiques, et les richesses des particuliers. Réflexions qui, à l’époque de Jèze, s’étaient enrichies de tous les travaux des économistes et les politistes intervenus depuis Ibn Khaldoun au xive siècle.
127Jèze approfondit son propos relatif à la réforme de la nomenclature budgétaire en 1929 en introduisant, dans le choix des dépenses publiques, le critère de « l’utilité ». Ses travaux s’inscrivent dans un ensemble de réflexions qui témoignent du caractère international de la pensée économique. On y retrouve aussi bien le courant exprimé dans le Journal des économistes (1842-1940), dont Leroy-Beaulieu est un représentant, et où la pensée, entre autres, d’Adam Smith, est très présente, que les théories sociales allemandes diffusées par Wagner, celle d’École du service public, ou encore l’apport des théoriciens italiens comme Nitti. Jèze, sur ce thème, réalise une sorte de synthèse de ses préoccupations antérieures, à partir de la notion de besoins sociaux à satisfaire. L’administration n’est pas considérée uniquement en termes d’organisation et de fonctionnement, et comme le moyen pour les parlementaires de contrôler l’action de l’exécutif, mais comme instrument permettant de réaliser les attentes des citoyens.
128Pour Jèze, dans les « États civilisés modernes », « les deniers publics sont un des moyens mis à la disposition des agents publics pour remplir une mission ; or cette mission est exclusivement la satisfaction des besoins publics ». La notion de besoin public est difficile à préciser, « elle est essentiellement changeante suivant les époques et les pays. Elle a un caractère plus politique qu’économique ». Il établit une distinction intéressante entre le besoin public immédiat ou seulement lointain. Dans les États modernes, pour Jèze, les dépenses publiques pour satisfaire des besoins non immédiats sont très considérables : la politique des États civilisés est, dans une certaine mesure, « une politique de prévoyance ». Les besoins sont de natures très diverses, ils peuvent être de nature économique, avec la notion d’outillage national, de nature sociale, ou plus immatériels et répondre à une nécessité de protection ou d’élévation du niveau culturel. Mais ce qu’il appelle l’utilité « absolue » d’une dépense, c’est-à-dire son intérêt public, n’est pas un critère suffisant. Toute utilité est nécessairement relative en matière financière, dans la mesure où les besoins des services entrent en concurrence les uns avec les autres compte tenu des ressources limitées. Ressources dont Jèze n’exclut pas l’emprunt ; l’utilisation de ce dernier étant seulement lié à la nature des dépenses à financer. Il va donc falloir « classer ces dépenses par ordre d’utilité relative et veiller à ce que les crédits alloués soient employés de la manière la plus efficace : on doit obtenir avec le minimum d’argent le maximum de résultats utiles ». C’est-à-dire obtenir « le maximum de services ou de marchandises, le maximum de rendement ».
129Pour Jèze, la nouvelle nomenclature, qui intégrera cette démarche en précisant l’objet des dépenses, permettra aux parlementaires de se prononcer en « connaissance de cause », en acceptant ou en refusant les crédits demandés. Mais, conformément à l’idée développée selon laquelle le budget est le plan de la politique gouvernementale, c’est au ministre des Finances, entouré de ses experts, qu’incombe le soin d’apprécier le degré d’utilité des demandes provenant des différents services et d’en faire la proposition au cabinet. C’est sur ce plan d’action que s’engage la responsabilité du Gouvernement, avec ce que cela implique sur la réforme de la discussion et le vote du budget : remise en cause de l’activité des commissions et du droit d’augmenter les crédits par voie d’amendement, nécessité d’un débat général sur l’ensemble du budget.
130La démarche économique de Jèze, qui le conduit à invoquer le revenu national et la notion d’utilité, sera utilisée de façon systématique en matière budgétaire après les années trente et se verra conforter par l’utilisation d’outils nouveaux.
2. L’intégration des rationalités économiques.
131Le cadre budgétaire va être confronté à des rationalités économiques à des niveaux différents. Les préoccupations macro-économiques, en relation avec l’intervention accrue de l’État en matière économique, vont s’exprimer directement dans le cadre budgétaire. Les autres, relatives à l’évaluation même des différentes dépenses, auront plus de difficultés à s’exprimer et ne traduiront que de façon limitée les courants de réflexion qui présideront à la création, en 1946, du Comité central d’enquête sur les coûts et le rendement des services publics.
L’intégration du budget au sein de l’économie nationale.
132L’exposé des motifs du décret organique du 19 juin 195674 traduisait en ces termes les nouvelles données auxquelles se trouvait confronté le cadre budgétaire de la gestion financière de l’État.
« Par l’accroissement de ses interventions, l’État est présent dans toutes les branches importantes de l’économie de l’activité du pays. Les moyens dont il dispose, comme les ressources qu’il prélève ont désormais une influence profonde sur la vie de la nation, son orientation économique, son devenir social. Pour que le Parlement puisse se prononcer en connaissance de cause, il est souhaitable que soient d’abord mis en lumière la situation d’ensemble de l’économie et les limites dans lesquelles elle permet de se mouvoir, que puissent être ensuite anticipées les incidences probables des interventions des pouvoirs publics, qu’enfin la part consacrée à l’action directe de l’État soit pesée en fonction de ces grandes données de base. »
133La conceptualisation de ces nouvelles données a été l’objet de problématiques budgétaires que l’on trouve exposées, à partir de 1936, dans les Annales de finances publiques. À travers les notions d’engagement, de programmation sur plusieurs années, on retrouve utilisés les travaux de Keynes, ainsi que les exemples étrangers de politiques de grands travaux ou de la planification de type soviétique.
134Mais le cadre s’élargira dans l’après-guerre, en liaison avec les travaux de la comptabilité nationale, et il appartient à Paul Reuter75 d’en avoir fait, à cette époque, des problématiques juridiques. Tout d’abord en ce qui concerne la notion d’engagement dont il démontrera l’intérêt à la fois macro-économique et gestionnaire76. Mais aussi de façon plus fondamentale en démontrant que les choix budgétaires portant sur des perspectives économiques s’appuieront désormais sur des prévisions rendues possibles par les progrès de la prévision économique dont les possibilités semblent infinies77. Dans la mesure où les instruments de la prévision sont concentrés entre les mains des nouveaux experts en comptabilité nationale, la nouvelle rationalité économique doit conduire à renforcer la fonction gouvernementale. Seul le Gouvernement est en mesure d’assurer ce degré de cohérence imposé au budget. Plus que jamais, gouverner c’est prévoir.
135Les préoccupations de gestion administrative amèneront Paul Reuter à ne pas proposer de modifications importantes de la nomenclature budgétaire. On ne peut pas, selon l’auteur, faire tout dire au budget qui reste un instrument de gestion. Paul Reuter proposera une lecture parallèle des écritures budgétaires au moyen d’annexes au projet de loi de finances. Les parlementaires seront « éclairés » au moyen d’un rapport inscrivant les choix budgétaires au sein de l’économie nationale utilisant la comptabilité nationale. Si l’exercice de nouvelles fonctions économiques s’accompagne mal du pouvoir variable de décision du Parlement en matière budgétaire, des documents sincères et transparents sont nécessaires pour que fonctionne la démocratie.
136La conceptualisation des nouvelles données économiques interviendra à cette époque par voie législative, avec la systématisation des autorisations de programmes en matière d’équipement. Elle se retrouvera particulièrement dans la réforme de la nomenclature budgétaire faite par voie de circulaire, en 1952, avec la distinction en « titre » permettant la liaison avec la compatibilité nationale. Le décret organique introduira les rapports économique et financier comme annexes obligatoires à la loi de finances et, par souci d’engager le Parlement dans la voie de la cohérence face à l’équilibre économique et financier, imposera le vote de la première partie avant le vote détaillé des crédits contenus dans la seconde partie. L’ordonnance de 1959, apparemment moins déclaratoire sur le plan économique, en reprendra les principales dispositions.
137L’intégration de la nouvelle rationalité économique permettra, dès le décret de 1956, d’encadrer l’exercice du pouvoir budgétaire dans des cadres plus stricts. La Constitution de 1946 avait déjà introduit des éléments de rationalisation en prévoyant une restriction au pouvoir d’amendement en matière de dépense lors du vote du budget. Elle précisait, par ailleurs, que la loi de budget ne pouvait contenir que des dispositions financières. Il appartiendra à la Constitution de 1958 et à l’ordonnance de 1959 d’imposer un cadre rigoureux à l’exercice du pouvoir budgétaire du Parlement quant aux délais, au droit d’amendement, au nombre des votes… La définition des lois de finances et de leur contenu va s’affiner et se poursuivra avec la LOLF.
La démarche économique appliquée à l’évaluation des dépenses de l’État.
138Le cadre budgétaire va se voir directement confronté à des préoccupations impliquant un mode de gestion des services fondé sur une recherche d’efficacité. Des problématiques seront ouvertes, qui ne donneront que des résultats très partiels au regard de la réforme contenue dans la LOLF.
139La notion de coût et rendement appliquée aux services publics va se faire plus précise dans l’après-guerre, et cette fois en relation avec des démarches plus directement liées aux expériences de recherche de l’efficacité de la dépense publique entreprises aux États-Unis. Un décret du 9 août 1946 viendra créer le Comité central d’enquête sur les coûts et le rendement des services publics, que présidera le premier président de la Cour des comptes. Ce comité aura pour mission de proposer les mesures propres à réaliser des économies et concernera l’activité des ministères. À partir d’observations très concrètes sur le fonctionnement des services, il sera procédé à des analyses permettant d’établir la charge réelle supportée par la collectivité pour une action précise et de mesurer le prix de revient des prestations offertes. Les premiers travaux ont suscité beaucoup d’espoir en termes d’amélioration de l’organisation et de fonctionnement des services. Pierre Mendès-France fera reproduire à l’Assemblée nationale, en 1948, les propositions du Comité, et demandera que le nouveau texte organique en préparation adopte une nomenclature budgétaire qui tienne compte de ces propositions78. L’avant-projet organique de 19491952 fera figurer en annexe aux projets de lois fixant les crédits par chapitre des développements justificatifs destinés à faire apparaître le coût et le rendement de chaque service et fraction des services (article 43). Mais ce n’est en définitive qu’un décret de 195379 qui viendra faire de la nouvelle écriture une annexe au document budgétaire.
140On retrouvera, dans la nomenclature budgétaire adoptée en 1952, dont les principales dispositions seront reprises dans le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959, une formalisation des préoccupations très en retrait des préoccupations initiales. Jean Rossard80 exprime bien cette prudence des hauts fonctionnaires du Budget. L’analyse des coûts est à la mode, dit-il, comment la réaliser concrètement ? Les obstacles viennent du découpage ministériel, de l’attraction irrésistible du budget des charges communes du ministère des Finances, qui est un budget dans le budget, et de l’impossibilité de mettre en chiffres certaines actions administratives. L’analyse qu’il fait de la circulaire montre bien, cependant, le souci d’identifier le coût de certaines actions administratives. Le découpage de titres en parties permet ainsi, en dehors du titre III consacré au fonctionnement des secteurs d’activité, d’adopter une perspective fonctionnelle. La double définition du chapitre, qui, dans le décret de 1956 et l’ordonnance de 1959, regroupe des crédits regroupés par nature et par destination, traduit les ambitions de la nomenclature adoptée en 1952. Les réflexions de Jean Rossard trouvent un prolongement dans celles suscitées par la LOLF dans la mesure où il lie étroitement la gestion financière et la gestion administrative. Toute modification du titre III conduisant à identifier des activités précises assurées par les services conduirait selon l’auteur à remettre en cause le statut de la fonction publique.
141L’évaluation de dépenses liés à des formes de gestion fondées sur la finalité des activités entreprises au moyen des crédits retrouveront un nouveau dynamisme dans les années soixante-dix avec les travaux de la RCB (rationalisation des choix budgétaires) sur la base du PBBS (planning, programming et budgeting system) américain. Les budgets de programme élaborés dans chaque ministère à partir de 1979 ne seront pas opérationnels et constitueront des annexes au projet de loi de finances. Cependant un lien sera établi entre ces annexes et les bleus ministériels répartissant les crédits par chapitres. Il sera procédé à des regroupements de chapitres, à l’identification d’actions, à des calculs de coûts et seront précisés des indicateurs chiffrés. Pouvait-on aller plus loin ? Il a été objecté qu’il manquait un élément essentiel, à savoir les objectifs. Or la volonté de faire de la nouvelle gestion un moyen de rénovation des pouvoirs du Parlement ne pouvait le priver d’une base indispensable : la mise en œuvre des politiques publiques et leur concrétisation au niveau budgétaire par les programmes.
B. LA GESTION FINANCIÈRE, OBJET DU CONTRÔLE
142Le contrôle de la gestion financière de l’État par le Parlement a été l’objet de critiques récurrentes sous la IIIe République. Certaines de ces critiques ont été ponctuelles, elles ont provoqué des réformes ou suscité des propositions de réformes. D’autres ont eu une plus grande ampleur en mettant en cause l’articulation fondamentale entre le droit budgétaire et comptable et par là même la dynamique du consentement à l’impôt.
1. Les insuffisances du contrôle.
143Celles-ci concernent les informations nécessaires à l’exercice du contrôle parlementaire sur l’exécution du budget, mais vont être renouvelées par l’interrogation posée sous les monarchies constitutionnelles concernant la responsabilité des administrateurs.
Les informations nécessaires au contrôle.
144L’insuffisance du contrôle parlementaire sur l’exécution des lois de finances sous la IIIe République est liée régulièrement au retard avec lequel ont été adoptées les lois de règlement. Elle apparaît avec les faiblesses de la comptabilité administrative qui prive de sa signification initiale la déclaration de conformité entre les comptes des comptables et ceux des ministres. Des propositions et des réformes seront faites pour redonner de l’intérêt à ce contrôle et rendre les informations plus lisibles.
145Une première tentative donne un nouvel intérêt au contrôle parlementaire en le faisant intervenir au premier stade de la procédure d’exécution. En portant son attention sur l’engagement des dépenses, le Parlement espérait que ce nouveau procédé lui donnerait une meilleure connaissance de l’activité administrative et un moyen d’agir plus efficace. Après plusieurs tentatives, un tel contrôle sur l’engagement des dépenses a été durablement établi par un décret du 10 août 1922, mais au bénéfice du ministère des Finances81.
146En ce qui concerne la présentation des comptes, les critiques ont porté sur la difficile comparaison entre le projet voté et le projet exécuté. Ainsi a été mis en cause le cadre de l’exercice avec sa période complémentaire. La proposition de réforme de la nomenclature budgétaire de Louis Marin en 1912 concernait également la présentation comptable. Il était demandé que la classification des dépenses dans les comptes définitifs corresponde à la présentation des dépenses par chapitres adoptée lors du vote du budget. Propositions maintes fois formulées depuis 1912, et que reprendra Jèze. La présentation des comptes dans un cadre intangible reproduisant la nomenclature budgétaire permettant seule de vérifier si l’autorisation a bien été respectée et de procéder à des comparaisons d’une année à l’autre.
147Les travaux de cette époque montrent également que la qualité de l’information fournie aux parlementaires dépendait des relations avec la Cour des comptes et les corps de contrôle interne de l’administration. Il sera demandé, en vain, que soit communiqué aux parlementaires des comptes rendus des rapports des corps de contrôle. Il faudra attendre la LOLF pour qu’il leur soit donné satisfaction. En ce qui concerne les rapports avec la Cour des comptes, les informations fournies à l’occasion du dépôt du projet de loi de règlement, selon le rapport Marin sur les comptes du ministère des Affaires étrangères de l’exercice 1907, étaient considérées comme peu exploitables. Un nouveau type de relation était souhaité. Ainsi sera mis l’accent sur une meilleure diffusion des observations de la Cour par l’intégration du Parlement dans la communication des référés.
148C’est dans cette perspective d’une information plus riche et plus exploitable venant de la Cour des comptes qu’on peut replacer les réformes de la comptabilité des années trente, et en particulier la réforme de 1936 qui permettra à la Cour des comptes d’améliorer son contrôle par un envoi plus rapide des pièces justificatives82.
L’insuffisance du contrôle sur les ordonnateurs.
149La Cour des comptes n’ayant pas juridiction sur les ordonnateurs, le problème de leur mise en cause pour des irrégularités dans leur gestion financière a été régulièrement posé.
150Les difficultés de mise en en œuvre de la responsabilité civile des ministres pour dépassements de crédits et, ce malgré les tentatives réitérées du législateur, l’absorption de celle-ci par leur responsabilité politique, ont conduit vers une autre voie.
151La situation faite au sein du système aux administrateurs paraissait déjà paradoxale à de Montcloux qui écrivait en 1840 : « Tandis qu’on multiplie les contrôles autour des comptables, on laisse les ordonnateurs se mouvoir dans leur indépendance et dans leur insolvabilité. On juge l’instrument, on ne juge pas la main qui le pousse. » Conscient de la difficulté présentée par la mise en œuvre de la responsabilité des ministres, Montcloux proposait de distinguer entre les différentes responsabilités afin que les actes des chefs de services ne soient pas d’emblée couverts par le ministre. « Déclarons que le ministre ne répond pas personnellement de ce qui se fait au-dessous de lui. Disons de quoi il répond et définissons en quoi consiste la responsabilité de ses agents. À l’aide de cette séparation, la question s’éclaircira et deviendra peut-être fort simple83. »
152Cette question de la responsabilité des chefs de services va prendre une tout autre dimension au début du XXe, dans le cadre des réflexions sur le fonctionnement de l’administration. Ici se place l’originalité de Henri Chardon qui, par ses écrits, dès 1903, montre qu’il existe, avant la Première Guerre mondiale et en marge du courant de pensée représenté par Henri Fayol, une véritable réflexion sur le fonctionnement de l’administration. Partant de la dissociation entre la fonction politique des ministres et la fonction administrative, Chardon84 met l’accent sur le rôle des directeurs au sein des services. À ceux-ci doit appartenir une véritable direction, avec définition d’un programme, une centralisation des moyens et une responsabilité effective liée à la réalisation des objectifs.
153Cette problématique concernant la responsabilité des ministres et celles des directeurs de services est toujours ouverte. La création de la Cour de discipline budgétaire et financière, en 1948, pour sanctionner les fautes de gestion, l’évolution de sa jurisprudence ne l’ont pas résolu. Elle s’est renouvelée, dans sa forme, avec l’introduction des nouvelles formes de gestion dans la LOLF. Les crédits, selon l’article 7, sont, d’après la formulation traditionnelle, « mis à la disposition des ministres », qui en sont, aux termes du décret de 1962, les ordonnateurs principaux pour l’État. Or toute la nouvelle gestion repose sur la mise en œuvre des programmes. Le responsable, à savoir le gestionnaire, n’est pas identifié dans la LOLF. L’organisation de sa responsabilité suppose une autre réforme pour que soit mis en application dans le nouveau cadre budgétaire et comptable dessiné par la LOLF le principe contenu dans l’article 15 de la Déclaration des droits selon lequel « La société a droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
2. L’intégration du contrôle dans l’articulation autorisation-exécution.
154L’insuffisance du contrôle exercé par le Parlement sur l’exécution du budget a très tôt été ressentie par la doctrine comme la conséquence du déplacement de l’attention des parlementaires sur le vote des dépenses. Léon Say devait, à la fin du XIXe, dénoncer de façon très vive la confusion qui s’installait entre le contrôle et l’action. Julien Laferrière, dans l’analyse qu’il fait du rapport Marin sur les comptes du ministère des Affaires étrangères, souligne les insuffisances de la comptabilité et y voit une conséquence du trop grand intérêt des parlementaires pour le vote du budget, au détriment du contrôle sur son exécution85.
155Ultérieurement, des mises en perspective seront réalisées, dont celle, particulièrement utile, due à l’initiative de Robert Jacomet86. Celui-ci avait suscité autour de lui, dans l’entre-deux-guerres, une vaste réflexion sur l’ensemble du droit budgétaire, dans le prolongement de travaux de la SDN sur le contrôle des crédits militaires. À partir de l’utilisation des comptes de soixante et un pays, il en était venu à comparer l’ensemble des systèmes budgétaires et comptables des États concernés Ses observations concernant la France dans les années trente avaient été très critiques. En particulier, selon lui, la notion de vote avait occulté celle de compte. Notre système financier avait perdu sa performance du fait du déséquilibre patent entre l’importance accordée à la procédure d’adoption des budgets d’une part, et les insuffisances notoires concernant les procédures d’exécution et de contrôle87. Ses observations étaient conformes à l’esprit qui animait ceux qui, sous la Restauration, participèrent à l’élaboration de notre système financier. Ainsi le comte Roy, plusieurs fois ministre des Finances, dans un rapport fait au nom de la commission des finances de la Chambre des députés, reliait le vote de l’impôt, la discussion du budget à un examen sérieux des comptes des finances. « Ces comptes, écrivait-il, sont pour le budget des préliminaires indispensables ; c’est le péristyle de l’édifice88. »
156Paul Reuter, en 1949, dans le prolongement des travaux animés par Robert Jacomet sur les contrôles portant sur l’exécution, estime qu’il a manqué à la période précédente une « philosophie du contrôle89 ».
157Robert Jacomet avait vu, dans les réformes entreprises à partir de 1935 en matière de comptabilité et de contrôle, un début de réaction aux déséquilibres dénoncés, mais il attendait une véritable révolution culturelle. Dans un article intitulé « La révolution budgétaire », publié le 30 mars 1946 dans La Vie française, il avait synthétisé ses critiques d’avant-guerre. La précarité de nos prévisions budgétaires tenait à ce que celles-ci ne pouvaient reposer sur l’exacte connaissance des dépenses effectuées au cours d’une période assez rapprochée, ce qui le conduisait à mettre en cause l’insuffisance des contrôles parlementaires sur l’exécution du budget. Reprenant sa démarche comparatiste, Robert Jacomet écrivait que nos pratiques se différenciaient profondément, sur ce point, des pratiques budgétaires anglaises où le Parlement accordait beaucoup moins d’importance au vote du budget et consacrait, en revanche, beaucoup d’attention aux résultats et à la gestion des ministres.
158La Constitution de 1946 s’était fait l’écho de ses préoccupations dans la mesure où elle contenait des dispositions relatives au contrôle sur les opérations financières. L’article 18 reconnaissait à l’Assemblée nationale le soin de régler les comptes de la Nation. Celle-ci pouvait charger la Cour des comptes de toutes enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques ou à la gestion de la trésorerie. L’article 16 renvoyait à une loi organique le règlement de la présentation du budget. L’élaboration d’un avant-projet de loi organique fut confiée par la commission des lois organiques de la commission des finances de l’Assemblée nationale à Robert Jacomet, qui demanda à ce que l’ensemble de la procédure soit compris dans la future loi organique. « Il y avait intérêt à procéder à une étude d’ensemble du problème budgétaire, depuis la préparation du budget jusqu’au terme final de la reddition des comptes visés par l’article 18. »90 C’est naturellement qu’il fait le lien entre les différents articles de la Constitution, sans s’arrêter devant le caractère restrictif du mot présentation du budget91 contenu dans l’article 16. La sous-commission des lois organiques, présidée par M. Bétolaud, accepta cette condition.
159Ce texte, très attendu dans les années qui vont suivre l’adoption de la nouvelle constitution, n’interviendra que dix ans après, et sous la forme d’un décret, pris sur avis conforme des commissions des finances, dans le cadre de lois de pleins pouvoirs. Le décret organique du 19 juin 1956 comportera un article important concernant l’assistance apportée par la Cour des comptes au contrôle du Parlement sur l’exécution du budget et qui constitue un prolongement direct de la Constitution de 1946. L’article 64 prévoit en effet que le projet de loi de règlement doit être déposé avant la fin de l’année qui suit celle de l’exécution du budget, et qu’il doit être accompagné d’un rapport de la Cour des comptes.
160Il reste que le décret du 19 juin 1956 est essentiellement un texte relatif à la procédure budgétaire, alors que l’avant-projet de loi organique préparé par la commission de réforme budgétaire dirigé par Robert Jacomet, présenté pour sa première partie en 1949 et la seconde en 1952, était beaucoup plus ambitieux et mieux adapté dans son principe à l’esprit de rationalisation de la procédure budgétaire et du contrôle du Parlement. Il renouait avec la tradition des grands textes sur le règlement général de la comptabilité publique du XIXe (ordonnance royale portant règlement général sur la comptabilité publique de 1838 et décret impérial de 1862) qui présentaient trois parties respectivement intitulées : comptabilité législative, comptabilité administrative, comptabilité judiciaire et contrôle de la Cour des comptes. L’avant-projet organique distinguait en effet, parmi ces dispositions, celles relatives au contenu du budget, à son élaboration et à son exécution. Les dispositions relatives à l’exécution étaient particulièrement riches. Étaient ainsi évoqués la reddition des comptes, le contrôle parlementaire, le règlement du budget, la responsabilité des comptables, des administrateurs et des ordonnateurs.
161L’ordonnance du 2 janvier 1959 restera dans l’optique restrictive du décret de 1956. On ne saurait cependant opérer une comparaison entre les textes récents et les grands textes du XIXe, qui envisageaient le phénomène financier dans sa totalité sans tenir compte de l’intervention ultérieure de textes spécialisés sur l’exécution et le contrôle, comme le décret de 1962 sur la comptabilité publique, la loi de 1967 sur la Cour des comptes, puis plus tard le Code des juridictions financières. Il reste cependant que la nécessaire liaison entre la prévision et le contrôle, qui apparaît dans la Constitution de 1946, avec l’assistance de la Cour des comptes à l’Assemblée nationale, ne sera réellement organisée qu’avec la loi organique du 1er août 2001 qui, dans la nouvelle logique des choix budgétaires, se soucie des résultats dès l’article premier. La LOLF contient un chapitre relatif aux principes comptables, et un titre sur l’information et le contrôle, et introduit un calendrier très précis sur les relations prévision-exécution où la Cour des comptes joue un rôle majeur.
162Les nouvelles règles de gestion financière constitutionnalisées par la LOLF ont pu, en application de l’article 14 de la Déclaration, être utilisées pour rénover les pouvoirs du Parlement dans la mesure où elles peuvent s’inscrire dans la dynamique du consentement à l’impôt. La construction opérée est ambitieuse compte tenu de ce que les parlementaires, par la voie de la procédure d’amendement reposant sur jeu complexe d’annexes au projet de loi de finances, retrouvent un pouvoir qui leur avait été longtemps contesté. Outre la loi organique, certaines inconnues quant à la place des gestionnaires dans le circuit de la distribution des crédits, les instruments par lesquels sont imposés à l’administration des plans et des rapports, et des performances, ne pourront qu’à l’usage révéler s’ils ressortent ou non d’une certaine « métaphysique de l’action ».
Notes de bas de page
1 Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, LGDJ, Paris, 1982, p. 113.
2 Édouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, LGDJ, Paris, t. I, p. 348.
3 E. Zoller, « Les pouvoirs budgétaires du Congrès des États-Unis », in actes du colloque La formation des textes financiers, Université de Paris X-Nanterre, mai 2003, Revue française de finances publiques, 2004, n° 86, p. 267-308.
4 Jacques Caillosse, La constitution imaginaire de l’administration, PUF, Paris, 2008, p. 282.
5 Décision du Conseil constitutionnel, (DC), n° 2001-448.
6 Décret n° 56-2007.
7 Alain Lambert, in « La réforme de l’État : une impérieuse nécessité », écrit ainsi : « le Parlement aura redonné un sens à la mission qu’il a reçue du peuple français si parfaitement résumée à l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : [l’auteur reproduit l’article en entier] ». Revue française de finances publiques, 2001, n° 76, p. 19.
Didier Migaud : « S’agissant des droits du Parlement, l’objectif retenu était de conférer une réalité plus tangible aux principes, affirmés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lesquels [l’auteur les cite en entier] ». « Un double objectif : modernisation de l’État, approfondissement de la démocratie », Revue française de finances publiques, 2001, n° 76, p. 11.
Laurent Fabius, « Rapport du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire » (président : Laurent Fabius, rapporteur : Didier Migaud). Dans son avant-propos, Laurent Fabius s’exprime ainsi : « Le Parlement, lui, dispose de la légitimité pour faire respecter les articles XIV et XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : tous les citoyens ont le droit constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique… La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Documents, Assemblée nationale, 27 janvier 1999, t. I, p. 7 et 8.
8 Repris de Jacques Le Goff, « L’Histoire », in Yves Michaud (dir.), L’Histoire, la sociologie et l’anthropologie, Odile Jacob, Paris, 2002, t. II, p. 68.
9 Paul Reuter, Le budget dans l’économie nationale, Le budget dans le cadre de l’économie nationale, Recueil Sirey, Paris, 1950, p. 62.
10 La LOLF y fait une référence discrète qui emprunte une forme juridique traditionnelle en droit budgétaire, celle du document d’information. En ce qui concerne la loi de finances, l’encadrement européen est indiqué dans une annexe obligatoire (article 50).
11 Paul Reuter, « Le budget et l’économie nationale », rapport général à la conférence de Bâle de septembre 1949 organisée par l’Institut international de finances publiques, in Le budget dans le cadre de l’économie nationale, Recueil Sirey, Paris, 1950, p. 61.
12 Gaston Jèze, Les principes généraux du droit administratif, Dalloz, Paris, 2005, p. I à V (réédition : éd. 1923, t. I).
13 Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, éditions Panthéon Assas, Paris, 2005, 2 tomes.
14 G. Jellinek, L’État moderne et son droit, op. cit., t. I, p. 46.
15 G. Jellinek, L’État moderne et son droit, op. cit., t. I, p. 53.
16 G. Jellinek, L’État moderne et son droit, op. cit., t. I, p. 28.
17 G. Jellinek, L’État moderne et son droit, op. cit., t. I, p. 257.
18 G. Jellinek, L’État moderne et son droit, op. cit., t. I, p. 528.
19 Émile Bouvier et Gaston Jèze, « Véritable notion de loi et la loi annuelle de finances », in Revue critique de la législation et de la jurisprudence, 1897, p. 576.
20 Voir Christine Maître, La mise à la disposition des crédits budgétaires, LGDJ, Paris, 1989.
21 Stéphane Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette Pluriel, Paris, 1988.
22 S. Rials, La Déclaration…, op. cit., p. 339 et 340.
23 Voir la démarche de Stéphane Rials quant à la recherche d’une bibliothèque « idéale » qu’auraient pu avoir à leur disposition les constituants. La Déclaration…, op. cit., p. 42.
24 Target : « Cette déclaration ne contient pas des principes du pacte civil contesté ; elle est courte, simple et exacte, mais elle manque d’expression ; je la regarde comme le type, comme l’occasion d’une véritable déclaration ; avec des changements, des corrections, et des modifications, on pourrait en faire une bonne ». Archives parlementaires, série 1875, t. VIII, p. 461.
25 Simone Goyard-Fabre, « La Déclaration des droits ou le devoir d’humanité : une philosophie de l’espérance », in Droits, n° 8, 1988, p. 47 et 48.
26 La proposition était de remplacer les articles 20 à 23 par l’article suivant : « De la nécessité d’une contribution suffisante à l’entretien d’une force publique, capable de garantir les droits des citoyens, dérive le droit de consentir l’impôt, de constater sa nécessité, d’en déterminer la quotité, d’en fixer l’assiette et la durée, enfin de demander compte de cet emploi à tous les agents de l’administration ». Archives parlementaires, série 1875, t. VIII, p. 483.
27 Cicéron, dans son Traité sur « Les Devoirs », envisage l’éventualité où, face à la « pauvreté du trésor » et à la permanence des guerres, « l’on soit obligé de payer un impôt. Il faudra que tous comprennent, s’ils veulent tous se sauver, qu’ils doivent obéir à la nécessité ». Les Devoirs, t. II, Les Belles Lettres, Paris, p. 74.
28 Bodin, s’il estime, dans le chapitre II des Six livres de La République intitulé « Des finances », que les « finances sont le nerf de la République », ne donne pas une place privilégiée à l’impôt. On retrouve chez lui l’idée selon laquelle, au Moyen Âge, le prince doit vivre du « sien ». Mais lorsque les autres moyens sont insuffisants, alors le droit doit être reconnu au souverain de lever l’impôt. « Puisque la tuition et la défense des particuliers dépendent de la conservation du public, c’est bien la raison que chacun s’y emploie, alors les charges et impositions sur les sujets sont très justes, car il n’y a rien de plus juste que ce qui est nécessaire. » Jean Bodin, Les six livres de la République, VI, t. II, Le livre de poche, Classiques de la philosophie, Paris, 1993, p. 508.
29 Vauban, La Dîme royale, Paris, 1883, p. 24.
30 Le député Dupont, lors de l’installation du texte déclaratoire en préambule de la Constitution de 1791, en août 1791, interviendra en ces termes : « La Déclaration des droits me parait susceptible d’autres changements. Par exemple, il est dit, article XIV : "Tous les citoyens ont le droit de consentir l’impôt." Laissons là ces expressions qui sentent le despotisme. "Tous les citoyens ont le droit de régler et de déterminer l’impôt." Voilà ce qui est et ce qu’il faut dire. On voit que ce travail a été fait en tremblotant par de pauvres générations des communes. Une Déclaration des droits doit être rédigée avec une brièveté impériale et avec une sagesse philosophique. Il ne s’agit pas de changer celle-ci, mais de la rendre plus digne du genre humain pour qui elle est faite. » Réimpression de l’ancien Moniteur, Plon, Paris, t. IX, 1862, p. 346.
31 Sieyès s’en explique dans son long commentaire qui précède son premier projet de Déclaration des 20 et 21 juillet 1789. Le terme de consentement ne figure pas dans ses deux projets (second projet probablement fin juillet). La formule adoptée dans le premier projet est la suivante : « Nul ne doit payer de contribution que celle établie par la loi » (article XXVII). Dans le second projet, l’article XXXVI dispose qu’ » Il ne doit pas être voté de contribution, ou imposé de charge, que pour les besoins publics ». S. Rials, La Déclaration…, op. cit., p. 591 à 606 et 614 à 621.
32 Archives parlementaires, série 1875, t. VIII, p. 483 et 487.
33 S. Rials, La Déclaration…, op. cit., p. 575.
34 A. Smith, La richesse des nations, GF-Flammarion, Paris, 2001, t. I et II. « L’économie politique se propose deux objets distincts : le premier, de procurer au peuple un revenu suffisant ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se procurer lui-même ce revenu ou cette subsistance abondante ; le second, de fournir à l’État ou à la communauté un revenu suffisant pour le service public ; elle se propose d’enrichir à la fois le peuple et le souverain. » (t. II, p. 11.) Pour Adam Smith, les conjonctions harmonieuses des initiatives individuelles, et par là même la satisfaction de l’intérêt général ne peut se faire sans que le souverain ou la République prenne à sa charge certaines dépenses. A. Smith donne une liste de dépenses qui concernent l’ensemble de la communauté. Il s’agit des dépenses relatives à la défense, à l’administration de la justice mais également celles relatives aux travaux et établissements publics. Ceux-ci sont très détaillés et l’auteur fait une distinction en ce qui les concerne entre les travaux et établissements propres à faciliter le commerce de la société, les institutions pour l’éducation de la jeunesse et les institutions pour l’instruction des personnes de tout âge. Enfin, A. Smith ajoute à sa liste les dépenses nécessaires pour soutenir la dignité du souverain. L’auteur de La richesse des nations ne se contente pas d’une énumération, et c’est ce en quoi sa démarche est féconde et susceptible d’être reproduite. A. Smith procède à une analyse économique fondée sur les coûts et les avantages d’un financement par l’impôt ou par les particuliers. C’est en termes d’utilité réciproque qu’il raisonne. Ce thème se retrouve chez Sieyès lorsqu’il écrit sur les avantages de l’État social résultant des nouvelles institutions politiques fondées sur la souveraineté nationale et la garantie des droits. Pour lui, la société qui en résulte est fondée sur « l’utilité réciproque », l’union qu’elle réalise constitue un « avantage » et non un « sacrifice ». (S. Rials, La Déclaration…, op. cit., p. 592 à 602.)
35 Décision du Conseil constitutionnel (DC), n° 82-132.
36 Amendement de Laborde, Archives parlementaires, série 1875, t. VIII, p. 484.
37 Amendement de Marguerites, Archives parlementaires, op. cit., p. 483.
38 René Stourm, Le Budget, Librairie Félix Alcan, Paris, 1912, p. 43.
39 Amendement de Duport, Archives parlementaires, op. cit., p. 488.
40 Amendement du chevalier de Lameth, Archives parlementaires, op. cit., p. 488.
41 Voir sur ce point Michel Troper, « L’interprétation de la déclaration de droits. L’exemple de l’article 16 », in Droits, 1988, n° 8, p. 111 et suiv.
42 Article 8, section III, chapitre III, titre III.
43 Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Sirey, Paris, 1920, t. I et II.
44 Olivier Beaud, La puissance de l’État, PUF (collection Léviathan), Paris, 1994, p. 264.
45 Stéphanie Flizot, « Aux origines de la loi du 16 septembre 1807 créant la Cour des comptes : le contrôle des comptes publics », Revue du Trésor, décembre 2005, p. 652-658.
46 Marquis Charles-Louis-Gaston d’Audiffret, Souvenirs de ma famille et de ma carrière dédiés à mes enfants, 1787-1878, présenté et annoté par Michel Bruguière et Valérie Goutal, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2002, p. 197.
47 Cité par René Stourm, Le Budget, op. cit., p. 46 et 47.
48 R. Stourm, Le Budget, op. cit., p. 43.
49 Paul Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, Guillaumin et Cie, Paris, 1888, t. II, p. 78 et suiv.
50 P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., p. 80.
51 Arrêté du 25 mars 1816.
52 Cité in P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., t. II, p. 5.
53 C’est ainsi que le marquis d’Audiffret exprime, après l’approbation de l’ordonnance royale de 1822, son admiration pour Villèle, ministre des Finances : « Il a fallu toute l’élévation du caractère de cet homme d’État, toute sa prépondérance dans le Conseil royal et toute sa haute faveur auprès du souverain pour faire accepter le joug de l’ordre, le frein et les règles et les limites rigoureuses des crédits législatifs aux libres dispensateurs de la fortune publique qui n’avaient jusqu’alors que celle qu’ils se traçaient arbitrairement de leur divergente initiative, d’autres liens que ceux qu’ils se formaient eux mêmes et d’autre surveillance que celle de leur propre autorité. » (Souvenirs…, op. cit., p. 197).
54 Cité in P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., t. II, p. 82-83.
55 P. Reuter, « Le budget… », op. cit., p. 62.
56 Voir R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., t. I, p. 353 et suiv.
57 R. Carré de Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Economica, Paris, 1984, p. 198.
58 R. Carré de Malberg, La loi…, op. cit., p. 195.
59 Thiers cité in P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., p. 68 et suiv.
60 P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., p. 86.
61 P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, op. cit., p. 86, note 1.
62 Rapport, Gaston Jèze, « Les retards dans le vote du budget et les remèdes proposés », JO, 27 novembre 1917, Annexe, p. 79 et suiv.
63 Mathieu Conan, « Gaston Jèze et l’utilité de la dépense publique. L’élaboration d’une théorie générale des dépenses publiques chez Jèze », Revue du Trésor, février 2008, p. 158 et suiv.
64 Max Boucard, Gaston Jèze, Éléments de la science des finances et de législation française, V. Giard & E. Brière, Paris, 1904. Et G. Jèze, Traité de science des finances, V. Giard & E. Brière, Paris, 1910 ; Cours de science des finances, Marcel Giard, Paris, 1922 ; Théories sur les phénomènes financiers, Marcel Giard, Paris, 1930.
65 Emile Bouvier, Gaston Jèze, Véritable notion de loi et loi de finances, Revue critique de la législation et de la jurisprudence, 1879, p. 381-393, p. 427-451, p. 528-574.
66 Pour Jèze, cette liberté politique est inscrite dans la dynamique du consentement à l’impôt et prend son origine dans le décret de l’Assemblée nationale du 17 juin 1789 qui interdit toute levée de contributions sans le consentement formel des représentants de la nation. Le contrôle et le vote des dépenses publiques étant le « corollaire » naturel du vote des recettes. Il fait remarquer que « toutes les constitutions de la période révolutionnaire contiennent le double principe » (Traité de science des finances, op. cit., p. 29 et 30). Il est d’ailleurs remarquable, à une époque où l’on invoquait peu la Déclaration des droits de 1789, que l’article 14 figure en tête de la première édition du premier traité Éléments de la science des finances et la législation financière française de 1896. C’est cette dynamique et le fait qu’elle ait conduit à accorder à la Chambre des communes, dans le système anglais, la priorité sur la Chambre des lords, qui explique que l’article 8 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 ait prévu que les lois de finances devaient être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle. Ceci en quelque sorte en vertu d’une « sorte de vitesse acquise ». Seule la tradition permettant d’expliquer que le Sénat soit traité comme une Chambre basse.
67 Ce ministre des Finances n’étant pas nécessairement un professionnel de la finance, il lui suffit de savoir utiliser les techniciens qui doivent nécessairement l’entourer.
68 G. Jèze, Cours de science des finances, op. cit., p. 166.
69 Ch., 11 juillet 1911, doc. n° 1470.
70 Ch., doc., 1913, II, n° 2196, p. 329 et suiv.
71 Voir Julien Laferrière, « La réforme des écritures budgétaires », Revue de science et de législation financière, 1913, p. 99 et suiv.
72 Gaston Jèze, « Vers une classification plus méthodique des dépenses publiques », Revue de science et de législation financière, 1914, p. 503 et suiv.
73 G. Jèze, Cours de science des finances, op. cit., p. 180.
74 Décret du 19 juin 1956 pris en application des lois des 2 avril et 6 août 1956 donnant mission au Gouvernement d’arrêter par décret les dispositions prévues à l’article 16 de la Constitution destinées à régler le mode de présentation du budget. Exposé des motifs dont la rédaction aurait été réalisée par Roger Goetze, directeur du Budget.
75 Paul Reuter, « Le budget… », op. cit., p. 17-62 et 255-261.
76 Paul Reuter, « La signification juridique, économique et politique de l’acte budgétaire », in Annales de finances publiques, 1947, p. 102 et suiv.
77 C’est dans cette optique que Paul Amselek structure la « décision » budgétaire dans Le budget de l’État sous la Ve République, LGDJ, Paris, 1967.
78 « Proposition de résolution tendant à inviter le Gouvernement à déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi organique réglant le mode de présentation du budget et à s’inspirer à cet égard des suggestions du Comité central d’enquêtes et d’études des services publics », présentée par M. Mendès-France, député, doc. Ass. nat., séance du 31 décembre 1948, annexe n° 6015.
79 Décret n° 53-356 du 22 avril 1963 relatif à la détermination du coût et des rendements des services.
80 Jean Rossard, « La réforme de la présentation des dépenses dans le budget français », in La Réforme budgétaire, t. II, Les éditions de l’Épargne, Paris, p. 39 à 52.
81 Sébastien Kott, Le contrôle des dépenses engagées. Évolution d’une fonction, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001.
82 Christian Descheemaeker et Florence Descamps, « Le Rapport Labeyrie ou la réinvention de la comptabilité administrative 1933-1940 », Revue française de finances publiques, n° 101, 2008, p. 214.
83 Henri de Montcloux, De la comptabilité publique en France, 1840, cité par R. Stourm, Le Budget, op. cit., p. 564.
84 Henri Chardon, Le pouvoir administratif, Perrin et Cie, Paris, 1911.
85 Julien Laferrière, « La réforme des écritures budgétaires », op. cit., p. 214.
86 Robert Jacomet, contrôleur général de l’armée, représenta la France à plusieurs reprises, à partir de 1926, dans les commissions internationales de la SDN à titre d’expert financier. Il eut à connaître, jusqu’en 1933, des budgets de 61 pays représentés à la conférence sur la réduction et la limitation des armements. Utilisant son réseau de correspondants étrangers, il créa, en 1935, avec le doyen Allix, la section de finances publiques de l’Institut de droit comparé de l’Université de Paris. Selon une méthode de travail qui associait les praticiens, les universitaires et les politiques, il anima une vaste réflexion sur le droit budgétaire qui se poursuivit après 1945 dès la cessation des hostilités. Les travaux de l’Institut seront publiés dans Les annales de finances publiques à partir de 1936.
87 Robert Jacomet, Les budgets. Le contrôle de leur exécution. Domat-Montchrestien, Paris, 1935.
88 Le Moniteur universel du 25 juillet 1847, 1er supplément. Cité par M. Ragaudie dans son « Rapport visant à faire adopter par l’Assemblée nationale une résolution organisant les rapports entre la commission des finances et l’Assemblée nationale », séance du 27 mars 1947, annexe 1100.
89 Paul Reuter, « La signification juridique de l’acte budgétaire », Les Annales de finances publiques, 1947, p. 209 et suiv.
90 Robert Jacomet, Introduction, La réforme budgétaire, Les éditions de l’Épargne, Paris, 1954, t. II, p. 7-9.
91 « Le terme budgétaire était entendu pour lui au sens large. Dans le cadre de l’institut avait été élaboré, en 1935, un questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire. Questionnaire qui sera rediffusé avec des ajouts en 1947. Or ce document, composé de 180 questions réparties en 9 sections, envisageait l’ensemble des procédures. Toutes les étapes, depuis la préparation des budgets jusqu’au contrôle du Parlement et organes législatifs sur les comptes, donnaient lieu à des demandes précises. » Lucile Tallineau, « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire (1935). Contribution à la doctrine budgétaire en droit comparé », La direction du budget entre doctrine et réalités 1914-1944, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Paris, 2001, p. 317-381.
Auteur
Lucile Tallineau est agrégée de droit public, professeur émérite à l’Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense (Paris X). Elle a été doyen de l’UFR de sciences juridique, administrative et politique de 1998 à 2006 et responsable du Centre de recherche de droit public de l’Université de Paris X-Nanterre de 2005 à 2008. Ses travaux sont orientés vers la recherche de la juridicité et la formation des textes financiers. Ses principaux travaux sont : Les actes non créateurs de droits, essai critique des droits acquis en droit administratif (Thèse Poitiers, 1972) ; « Les tolérances administratives » (Revue de l'Actualité juridique du droit administratif , 1978) ; « Une annexe budgétaire en quête d’identité » (Revue de droit public, 1987) ; « L’inspiration keynésienne du décret du 19 juin 1956 » in La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur...ou témoin ? (Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998) ; « La charte des droits et obligations du contribuable vérifié » (Territoires et liberté. Mélanges en hommage au Doyen Yves Madiot, éd. Bruylant, 2000) ; « Le questionnaire ayant pour but de faire ressortir les traits généraux du droit budgétaire (1935) », in La direction du Budget entre doctrine et réalité (Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001) ; « La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances » (Revue française de droit administratif, 2001) ; « Quarante ans de propositions de réforme de l’ordonnance du 2 janvier 1959 » (Revue française de finances publiques, 2001) ; Organisation scientifique et « Synthèse » du colloque sur La formation des textes financiers à l’Université de Paris X-Nanterre en mai 2003 (Revue française de finances publiques , 2004) ; « Les annexes budgétaires et la modernité » (Mélanges Loïc Philip, LGDJ, 2007) ; « De l’administration de l’impôt » (Mélanges Michel Bazex, éd. Litec, Lexis-Nexis, 2009).
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