AAI (Autorité administrative indépendante), API (Autorité publique indépendante)
p. 3-6
Texte intégral
1Les AAI et API sont des institutions dotées d’une autonomie par rapport aux structures administratives classiques et chargées d’une mission spécifique de régulation dans un domaine économique ou social sensible. Elles se différencient des opérateurs de l’État (qui bénéficient, comme les AAI et API, d’un « jaune » budgétaire spécifique annexé au projet de loi de finances).
2Face à la prolifération des autorités indépendantes (en moyenne près d’une création par an), certaines étaient reconnues a posteriori, d’autres créées ex nihilo, l’intervention du législateur était devenue indispensable. Les lois ordinaire et organique du 20 janvier 2017 ont précisé leurs statuts et modalités de contrôle. Elles en ont restreint le nombre en différenciant les AAI et les API. Ces dernières disposent, à la différence des AAI stricto sensu, de la personnalité juridique. Comme personnes morales, elles peuvent donc ester en justice, percevoir directement des ressources fiscales mais également voir leur responsabilité civile engagée.
3La liste des AAI et API, sous réserve de nouvelles modifications législatives, est la suivante :
4Les autorités publiques indépendantes (8) :
Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ;
Autorité de régulation des transports (anciennement Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – Arafer) ;
Autorité des marchés financiers (AMF) ;
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ;
Haute Autorité de santé (HAS) ;
Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) ;
Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) ;
Médiateur national de l’énergie.
5Les autorités administratives indépendantes (17) :
Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (Acnusa) ;
Autorité de la concurrence ;
Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) [il existait auparavant une Autorité de régulation de la distribution de la presse] ;
Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) ;
Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ;
Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) ;
Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) ;
Commission de régulation de l’énergie (CRE) ;
Commission du secret de la défense nationale (CSDN) ;
Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ;
Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ;
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ;
Commission nationale du débat public (CNDP) ;
Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ;
Défenseur des droits ;
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ;
Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).
6Les AAI et API répondent à trois besoins :
offrir une plus grande garantie d’impartialité des interventions de l’État ;
permettre une participation plus importante de personnes d’origines et de compétences diverses, notamment des professionnels des secteurs contrôlés ;
assurer une intervention de l’État rapide, adaptée à l’évolution des besoins et des marchés.
7En fait, les compétences de ces agences varient d’une catégorie à une autre.
8Elles peuvent émettre un avis ou une recommandation, consistant soit à conseiller aux opérateurs une pratique particulière, soit à tenter de trouver un compromis entre l’administration et un administré. Quelques-unes ont un pouvoir de décision individuel. Il peut s’agir de délivrer l’autorisation d’exercer une activité ou d’un pouvoir de nomination. Ainsi, le CSA désigne les directeurs des chaînes de télévision publiques.
9Certaines ont la possibilité de réglementer, d’organiser un secteur d’activité en établissant des normes. Toutefois, ce pouvoir n’est pas autonome : il ne peut s’appliquer qu’à des mesures à portée limitée et dans le respect des lois et décrets.
10Enfin, il est possible qu’elles puissent sanctionner. Lorsque l’un des acteurs du secteur qu’elles contrôlent ne respecte pas les règles édictées, elles peuvent le punir. Ainsi, l’AMF peut infliger des amendes importantes.
11Les API et AAI jouent donc le même rôle de contrôle, de sanction et de régulation d’un secteur donné. Elles ne se distinguent que par leur statut : l’API a la personnalité morale et est responsable ; l’AAI n’a pas de personnalité morale, c’est l’État qui se trouve responsable.
12Plusieurs AAI et API, comme toutes autres agences, paraissent s’inscrire dans une logique de transfert de responsabilité. Comme dans les entreprises, sur le modèle des actionnaires, l’État, en tant que « principal », charge une (ou des) Agence(s), en tant qu’« agent(s) », d’opérations de productions de biens ou de services dans le cadre d’un contrat. À cette fin, l’État leur fournit des ressources financières et, en contrepartie, elles doivent, en plus de rendre des comptes, montrer qu’elles ont atteint avec succès les objectifs fixés. Cette conception entrepreneuriale de l’État, que l’on retrouve notamment dans la Lolf (cf. infra), s’inscrit parfaitement dans la théorie de l’Agence, développée dès 1976 par Michael C. Jensen et William H. Meckling. Ces derniers définissaient la relation d’Agence comme un contrat par lequel une personne (le « principal ») engage une autre personne (l’« agent ») pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent.
13L’« agencification » de l’État présente certes l’avantage, par une translation de responsabilité, d’amoindrir la puissance de la bureaucratie. Mais on peut craindre que certaines AAI mettent en œuvre, sous leur seule responsabilité, une politique publique qu’il appartient au parlement, en application de l’article 24 de la Constitution, d’évaluer.
14Dans son rapport de 2012, relatif à « L’État et ses agences », l’Inspection générale des finances rappelait : « La principale valeur ajoutée d’une agence par rapport à une administration classique réside dans sa culture plus managériale qui résulte en grande partie de sa capacité à gérer de manière autonome des moyens (…). La contrepartie au principe d’autonomie est la responsabilité des agences ». Mais un démembrement de l’État ne doit pas impliquer la disparition de toute forme de tutelle : « il est au contraire nécessaire que l’établissement continue de rendre des comptes, puisse être évalué par la représentation nationale et insère son action dans le cadre des politiques publiques auxquelles il se rattache ». Les lois du 20 janvier 2017 qui ont cherché à donner aux AAI et API, outre un statut, des règles de fonctionnement, devraient faciliter leur contrôle : responsabilisation et supervision vont de pair.
Bibliographie
Conseil d’état, rapport public 2012, Les agences : une nouvelle gestion publique ?, vol. 2, Paris, La Documentation française, septembre 2012, https://www.vie-publique.fr/rapport/32711-rapport-2012-conseil-detat-les-agences-une-nouvelle-gestion-publique.
Huron David, Spindler Jacques, Management et finances publiques, préface de Pupion Pierre-Charles, Paris, L’Harmattan, 2019.
Inspection générale des Finances, rapport n° 2011-M-044-01, « L’État et ses agences », mars 2012.
Linhardt Dominique, Muniesa Fabian, « Du ministère à l’agence – Étude d’un processus d’altération politique », Politix, n° 95, 2011, p. 73-102.
Mézard Jacques, Sénat, rapport n° 126, « Un État dans l’État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler », 28 octobre 2015.
Auteur
Professeur émérite, UPR 4711, membre du Comité scientifique de la revue Politiques et management public, université Nice Côte d’Azur.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Gouverner les territoires
Antagonismes et partenariats entre acteurs publics
Giuseppe Bettoni (dir.)
2011
Les réorganisations administratives
Bilan et perspectives en France et en Europe
Julien Meimon (dir.)
2008
Évaluer les politiques publiques pour améliorer l’action publique
Une perspective internationale
Sylvie Trosa (dir.)
2009
Économie sociale et solidaire
De nouveaux référentiels pour tempérer la crise
Florence Jany-Catrice, Nicolas Matyjasik et Philippe Mazuel (dir.)
2014
L’éthique de la gestion publique
Stratégies nationales et internationales de prévention de la corruption
Marcel Guenoun et Jean-François Adrian (dir.)
2016
Économie sociale et solidaire et État
À la recherche d’un partenariat pour l’action
Jean-Claude Barbier (dir.)
2017
L’avenir des administrations locales en Europe
Leçons tirées de la recherche et de la pratique dans 31 pays
Geert Bouckaert, Sabine Kuhlmann et Christian Schwab (dir.)
2018
Faire preuve par le chiffre ?
Le cas des expérimentations aléatoires en économie
Arthur Jatteau
2020
Encyclopédie du management public
Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque et Gérald Orange (dir.)
2022