Le Plan Marshall et la première phase de reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest1
p. 415-447
Plan détaillé
Texte intégral
I. Le Plan Marshall controversé
1Le programme d’aide américain pour la reconstruction de l’Europe est souvent considéré comme l’un des plus grands succès de l’Histoire de ce siècle1. Le Plan Marshall est devenu synonyme d’assistance économique. Rares sont les crises dans le monde qui aux yeux de l’Occident peuvent se régler sans une sorte de « Plan Marshall ». Par ailleurs, le Plan Marshall est fréquemment évoqué à propos de la recherche d’une stratégie susceptible de remédier à l’absence de croissance que connaissent maintenant les nations industrialisées occidentales. Il ne saurait y avoir de meilleure preuve des effets durables de cette décisive initiative américaine que l’utilisation qui en est faite aujourd’hui pour tenter de résoudre la crise internationale.
2Même ceux qui s’étaient montrés sceptiques à ses débuts en sont venus à reconnaître les effets économiques positifs de ce Plan. La bruyante condamnation du Plan Marshall considéré comme instrument de l’« impérialisme du dollar » par l’Union soviétique et ses satellites est-européens a contribué à souligner l’efficacité économique du Plan, même s’il a pu être considéré comme un instrument d’intervention dans la souveraineté des pays concernés. La gauche de l’Europe de l’Ouest a jugée décisive l’importance économique du Plan Marshall en considérant que l’initiative américaine était l’une des principales causes de l’effondrement des plans sociaux-démocrates destinés à réorganiser le système politique. L’intervention des Etats-Unis et la reprise économique qui s’en est suivie après-guerre ont été tenues pour responsables de la fin brutale de « l’ère socialiste » qui avait commencé de manière si prometteuse en 19452.
3Le Plan Marshall a constitué d’emblée un exercice de relations publiques. Suivant 1’adage « Faites-le bien et faites-le savoir » les traites bilatéraux conclus dans le cadre du Programme de Relèvement économique (PRE) comportaient des clauses exigeant des pays bénéficiaires qu’ils mettent tout en œuvre pour « promouvoir la compréhension à l’égard des efforts menés en commun... en diffusant largement l’information3 ». Bien avant Tarrivée de la première tonne de blé et de la première balle de coton dans les ports de l’Europe de l’Ouest, les opinions publiques des pays bénéficiaires étaient bien informées des bienfaits potentiels du programme. A cause de cette campagne menée dans tous les médias, les attentes suscitées par le Plan Marshall dépassaient de loin la réalité. Au début de l’année 1949, le Plan Marshall n’avait cependant atteint que quelques « résultats économiques immédiatement tangibles », faisait remarquer très candidement dans son rapport annuel confidentiel le « Conseiller chargé du Plan Marshall » du bureau de l’Oberdirektor de la Bizone4.
4D’autre part, les demandes formulées par les Américains à la section responsable de la publicité du Plan Marshall allemand pour la Bizone étaient déjà « tout à fait considérables5 ». Le seul fait que l’Oberdirektor, l’autorité responsable de la Bizone, ait fait rédiger deux rapports – un « rapport général », enthousiaste6, à l’usage du grand public et un « rapport confidentiel », sans fard – laissait transparaître le fossé entre l’image et la réalité. Identifier les discordances de cette nature constitue une tache malaisée pour les historiens qui étudient l’effet du Plan Marshall sur l’économie de l’Allemagne de l’Ouest.
5La politique de relations publiques mise en place sous l’égide du Plan Marshall a eu délibérément tendance a désinformer 1’opinion en ce qui concernait 1’ampleur de l’aide américaine. Ludwig Erhard et les autres partisans d’une économie néo-libérale ont estimé que ces légendes avaient pour origine la diffusion d’« histoires du Plan Marshall » qui falsifiaient depuis le tout début l’essence de la renaissance de 1’economie allemande. « Du fait d’une campagne de propagande largement orchestrée, de statistiques faussées, d’assertions inexactes ou non vérifiées... et surtout d’un jugement totalement fausse sur les corrélations économiques, 1’opinion publique est restée dans l’erreur ainsi que les ministres et les responsables7 ». Au moment où des biens d’une valeur de 99 millions de dollars venaient d’être livrés, au litre de l’Aide Marshall, le Docteur Hermann Ptinder, directeur du conseil d’administration de la Vereinigtes Wirtschaftsgebiet parlait, dans un discours radio-diffusé en 1949, de « centaines de millions de dollars qui avaient été déversés sur notre pays sous la forme de biens de consommation8 ».
6Le facteur décisif qui explique la haute estime dans laquelle a été tenu le Plan Marshall à la fois par le public et par les historiens, cependant, a été le lien entre le PRE et la reprise économique de l’Europe de l’Ouest après la crise de 1947. Le boom économique a bien sur dure au-delà des quatres années du Plan Marshall. Dans le cas de l’Allemagne de l’Ouest notamment, la fin du plan annoncée pour décembre 1951 s’est accompagnée d’une victoire dans la Bizone sur les effets paralysants de l’effondrement d’après-guerre. Pendant cette période, la République fédérale a simultanément consolidé sa reprise économique et retrouvé son rang dans l’économie mondiale. Ce qui était précisément les objectifs explicites de 1’U.S. Foreign Assistance Act de 1948, que l’Organisation pour la Coopération économique Européenne a traduit par des projets concrets à la fin de 1948. Ainsi, la production industrielle devait augmenter de 30 % et la production agricole de 15 % par rapport au niveau d’avant-guerre ; l’équilibre de la balance des paiements devait être atteint9. En fait, l’Allemagne de l’Ouest, dont la production industrielle était alors bien inférieure à celle des autres pays bénéficiaires, a dépassé considérablement ces objectifs. De plus, les résultats pour le commerce extérieur ont également été largement supérieurs aux objectifs. Seule la production agricole est restée en-dessous des seuils fixes, mais elle est remontée de manière substantielle pendant la durée du PRE. A la fin de l’année 1952, il y avait peu de doute dans l’esprit du public que l’Allemagne de l’Ouest était économiquement « viable » sans aide étrangère. La concordance entre les objectifs et les résultats, ainsi que le lien apparent entre aide économique et croissance économique, ont amené la plupart des observateurs à croire qu’il existait une étroite relation entre l’assistance financière des États-Unis et la reprise en Europe de l’Ouest en général et en Allemagne de l’Ouest en particulier : « Tant la croissance phénoménale du PNB que la hausse rapide de la production industrielle attestent que le Plan Marshall a réussi à contribuer à la reconstruction de la capacité de production de l’Europe, induisant par là une hausse non négligeable de la production totale de l’Europe de l’Ouest10 ».
7Dans le cas de l’Allemagne, il semblerait que les objectifs du Plan Marshall aient été réalisés mieux que partout ailleurs : le transfert de ressources provenant des États-Unis était conçu pour maintenir l’activité de production, fournir les investissements nécessaires à la reprise économique et familiariser 1’economie allemande avec les toutes dernières innovations technologiques et méthodes de production ; il s’agissait donc d’une aide qui a permis à l’économie allemande de partir de zéro quantitativement (« production ») et qualitativement (« productivité »).
8Au début de 1’ete 1947, personne ne doutait en Allemagne de l’Ouest que l’aide américaine était nécessaire pour relancer la production industrielle. La crise qui avait paralysé le pays au cours de l’hiver 1946-1947 n’était pas encore surmontée, elle avait ruiné les premiers résultats des efforts de reconstruction11. La reprise de l’industrie dans la Bizone avait atteint ses limites au cours de ce rigoureux hiver de 1947. L’état déplorable du système des transports ne permettait même pas une expansion modeste de la production. Même si la crise s’avérait particulièrement sévère en Allemagne pour des raisons diverses, il s’agissait d’une conjoncture qui affectait toute l’Europe et qui mettait à mal les efforts américains de stabilisation. En conséquence, les crises économique et alimentaire de 1947 constituaient les principaux arguments en faveur du Plan, qui visait, en coordonnant et en élargissant l’aide américaine déjà existante, à empêcher l’Europe de glisser vers le chaos économique et politique.
9A l’automne 1947, seulement quelques mois plus tard, on pouvait noter que les perspectives s’amélioraient de façon notable à travers toute l’Europe de l’Ouest. En Allemagne, les contemporains pouvaient observer un étonnant processus de reprise économique soutenu, qui s’est prolonge bien au-delà de la période dont nous traitons12. La chronologie du « miracle économique allemand » a placé sous un nouvel éclairage le rôle du Plan Marshall dans le processus de reprise économique. Plus les historiens de l’économie utilisent les sources et les archives nouvellement accessibles, plus ils s’interrogent sur l’importance du transfert de ressources en provenance des Etats-Unis : après tout, l’aide américaine n’a commencé à se déverser lentement qu’un an après que le processus de reprise ait eu lieu en Allemagne. Les historiens se sont efforcés d’évaluer les différents effets du Plan Marshall et ont fait ressortir que la Bizone jouissait d’une situation de départ relativement favorable. Dans le contexte européen également, les effets matériels du Plan Marshall font aujourd’hui 1’objet d’une analyse fine. Le Plan Marshall n’a pas sauvé l’Europe de l’Ouest en 1948 d’un effondrement économique ; mais personne non plus ne saurait affirmer aujourd’hui que les pays bénéficiaires du PRE (à l’exception de la France et des Pays-Bas) auraient pu atteindre le même niveau de formation de capital sans l’aide du Plan Marshall13.
10Contrairement à ce point de vue, K. Borchardt et Ch. Buchheim ont tenté récemment de réévaluer les effets du Plan Marshall sur les « zones-clés » de l’économie ouest-allemande14. Ils prennent pour point de départ les effets vraisemblablement positifs qu’a exercé sur la fourniture des biens offerts par l’industrie textile, l’annonce des importations de coton en décembre 1948, ainsi que le rôle des contre-valeurs dans le financement des investissements de l’industrie de l’électricité, laquelle, entre 1949 et 1951, a manqué cruellement de capitaux. Dans ces deux secteurs, les effets du Plan Marshall sont censés avoir contribué à la réussite de la réforme monétaire de 1948 et à la création d’une économie de libre concurrence. Naturellement, ces aspects n’ont pas été négligés par les études antérieures consacrées au Plan Marshall. Un ouvrage plus ancien, par exemple, note à propos des effets anticipés du retard apporté à la livraison de matières premières provenant de l’Aide Marshall : « L’annonce de la livraison de matières premières dans le cadre de l’Aide Marshall et, plus encore, l’espoir d’une résurrection générale du commerce extérieur, a entraîné l’incorporation dans le processus de production de matières premières et de stocks que l’on avait fait durer ou qui avaient été totalement bloqués. Même s’il est difficile de quantifier les effets de ces méthodes sur la production, ils ont eu sans aucun doute un impact crucial sur la consolidation du processus de reconstruction15 ». L’importance cruciale que revêtait pour la réussite de la reconstruction le financement des investissements dans le secteur de la production de biens de consommation, financement qui avait été handicapé par le programme de réforme économique de Ludwig Erhard, a également été soulignée dans des ouvrages antérieurs16.
11Les cas étudiés par Borchardt et Buchheim sont fondés sur la conviction que les problèmes structurels de l’économie ouest-allemande d’après-guerre doivent être examinés dans une perspective spécifique que ne saurait fournir une approche macro-économique. En utilisant 1’approche sectorielle ou approche par « goulet d’étranglement », ils appliquent en fait une méthode que d’autres chercheurs ont déjà utilisée17, et qui demeure prometteuse. Il est sûr qu’une approche micro-économique qui étudierait l’impact du Plan Marshall non seulement au niveau des secteurs mais au niveau des firmes serait fructueuse et utile.
12Mais pourquoi, alors qu’il existe un degré élevé de consensus en ce qui concerne les méthodes et les résultats individuels, trouve-t-on une telle disparité de résultats lorsqu’il s’agit de tenter une évaluation globale des effets économiques du Plan Marshall en Allemagne ? Cela tient notamment au fait que Borchardt et Buchheim ont concentré leur attention sur la période qui a suivi la réforme monétaire de 1948, et sur l’importance de la contribution du PRE au succès de la réforme monétaire et à la réalisation des conditions favorables aux réformes libérales d’Erhard. Mais la question que j’ai tenté de soulever n’est pas de savoir si le Plan Marshall a joué un rôle important en l’envisageant rétrospectivement sous l’angle de la prospérité qui s’en est suivie, mais plutôt de savoir s’il aurait été possible de recourir à d’autres sources de financement. Cette question n’est pas destinée à nier l’importance du Plan Marshall pour la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest, mais à accorder à ce dernier un rôle plus limite.
13Certains désaccords subsistent sur des questions spécifiques : le Plan Marshall dit « interne » doit-il être considère, par exemple, comme un ajout à l’aide accordée au titre du Plan Marshall ? L’augmentation apparemment miraculeuse des capitaux – qui constitue l’un des mythes permanents enveloppant le programme d’aide américain en Allemagne – dent au fait que l’on additionne les ressources provenant de deux sources (c’est-à-dire les crédits américains en dollars et les Ponds allemands de contrepartie) sous la rubrique du Plan Marshall. On pourra naturellement avancer que la fourniture de biens de consommation grâce au PRE a permis de libérer des capitaux pour les investissements qui, autrement, en raison d’exportations plus importantes vers la zone dollar, auraient servi à financer des importations de produits de première nécessité. Cependant, l’aide nette reste constituée par les crédits d’origine, et non par les crédits et les fonds allemands ainsi libérés pour d’autres objectifs.
14L’essai suivant tente d’élargir les bases du débat relatif aux effets du Plan Marshall sur 1’economie ouest-allemande. II convient en premier lieu d’examiner plus attentivement la situation de l’industrie à la veille du Plan Marshall et les étapes qui ont abouti à une reprise économique. Il ne suffit pas de savoir que l’Aide Marshall a influencé la reconstruction économique et stimule la croissance ; il s’agit de comprendre comment ce processus s’est mis en place. Notre seconde tâche sera de montrer, à partir des archives des administrations allemande et américaine, la progression douloureuse de la première phase du Programme de relèvement. Dans cette perspective, nous examinerons les liens qu’Américains et Allemands ont vu entre le PRE et les fonds de contrepartie en deutschmarks, puis pour finir nous analyserons les effets durables du Plan Marshall avec l’intention de montrer que la reconstruction de l’économie a été plus importante que les quantiles de biens de consommation fournis, ce qui jusqu’à aujourd’hui demeure le point essentiel.
II. L’Allemagne avant le Plan Marshall
A. La politique économique des États-Unis en Allemagne : ses objectifs et ses limites
15La Directive JCS 1067 du Gouvernement militaire, prise au lendemain de la polémique sur le Plan Morgenthau a une teneur restrictive. Elle interdit purement et simplement au gouverneur militaire de prendre des mesures en faveur du redressement économique de 1’Allemagne ou propres à renforcer l’économie nationale. Mais dès le début, le personnel de l’administration américaine interpellé par le spectacle des ruines et par les souffrances de la population n’était pas favorable à cette directive. Le Gouverneur militaire Lucius D. Clay demandait dès mai 1945 qu’elle soit modifiée de sorte qu’« un programme positif en ce qui concerne l’Allemagne soit mis au point le plus vite possible18 ». Le Ministère de la Guerre et le Département d’Etat approuvèrent, mais jugèrent inopportun après la débâcle consécutive au Plan Morgenthau de réouvrir le débat publiquement sur le sort à réserver à l’économie de l’Allemagne d’après-guerre. Le Ministère de la guerre fit savoir que la directive en question laissait assez de latitude à Clay pour lui permettre de poursuivre sa propre politique. Depuis le tout début il a existé, dans la pratique, une attitude « positive » des Etats-Unis envers l’Allemagne, bien que les directives restrictives n’aient été levées qu’en juin 1947. Entre temps, les clauses du Traité de Potsdam les avaient remplacées.
16Bien que les résistances de la France aient sapé les dispositions les plus importantes de l’Accord de Postdam – unité économique, gouvernement central, planification du commerce extérieur – le Gouvernement militaire américain s’efforça de faire comme si le traité était une réalité, ou comme si, du moins, il devait devenir une réalité. Au début, cette vue constructive de la renaissance de l’Allemagne n’était partagée que par Clay et ses collaborateurs, dont la plupart était dans le civil d’éminents hommes d’affaires.
17Mais bientôt surgirent d’importantes difficultés qui contraignirent à réviser à la hausse, les coûts de l’armée d’occupation dans la zone américaine elle-même. Il devint ensuite de plus en plus difficile pour le Ministère de la guerre d’obtenir des crédits du Congrès parce que l’Armée ne les soutenait qu’à contre-coeur. Même si les autorités cherchaient à promouvoir la reconstruction industrielle dans la zone américaine pour des raisons essentiellement pragmatiques, cette attitude n’en rejoignait pas moins l’idée formulée à Washington en 1947 à propos du rôle que pourrait jouer l’Allemagne dans la reconstruction économique de l’Europe.
18A la fin de 1946, le redressement économique marqua une pause. En décembre, la production industrielle dans la zone américaine baissait pour la première fois depuis le début de l’occupation. Si cette baisse était en partie imputable à des facteurs saisonniers, il devint bientôt évident que le redressement rencontrait des résistances. (Voir tableau 1). Alors que la production retrouvait au cours de l’été 1947 son niveau de l’année précédente, l’économie restait faible. Le système de transport n’était pas fiable et la situation alimentaire avait empiré au point que, dans la Ruhr, des manifestations, des désordres et des grèves éclatèrent, ce qui remettait en question les récentes hausses de rendement enregistrées dans les mines de charbon. Une importante initiative américaine semblait nécessaire pour prévenir des détériorations ultérieures de 1’economie. Le Gouvernement militaire américain décida donc de reprendre sa politique de promotion du redressement économique.
19Dans l’intervalle, le contexte politique du problème allemand avait changé. Avant l’été 1947, Washington subordonnait sa politique à l’égard de l’Allemagne à celle qu’elle adoptait envers l’URSS et considérait la France comme la tête de pont de la politique américaine de stabilisation. Ceci empêcha le Gouvernement militaire de différer l’embarquement de biens livres au litre de réparations de guerre, de façon à soutenir le redressement allemand, ou à prendre d’autres initiatives indépendantes pour diminuer les souffrances des Allemands.
B. La Balance des ressources
20Le Gouvernement militaire savait depuis longtemps que l’économie allemande était beaucoup plus forte que ne pouvait le laisser supposer 1’etat de désolation de ses grandes villes détruites. Avant même que la guerre ne soit finie, un groupe d’économistes dirigé par John K. Galbraith avait commencé à étudier les effets du bombardement stratégique des industries d’armement allemandes. Ils découvrirent bientôt que la plupart des attaques contre les usines n’avaient été « rien d’autre que des erreurs coûteuses19 ». Même en 1944, au plus fort de 1’offensive aérienne alliée, moins de 6,5 % de toutes les machines-outils avaient été endommagées ; sur ce chiffre, 10 % seulement étaient totalement inutilisables, tandis que 16 % seulement des machines du secteur critique des roulements à bille avaient été endommagées ou détruites. Dans la sidérurgie, seuls quelques hauts fourneaux et installations avaient été endommagés, et une seule usine de laminage mise complètement hors service. Selon le rapport d’un conseiller économique américain établi en mai 1945, les mines de la Ruhr n’avaient subi que des dommages insignifiants et les tapis roulants étaient en suffisamment bon état pour permettre à la production de reprendre à plein régime en quelques mois20. Les actifs industriels bruts avaient en fait augmenté de 20 % depuis 1936 (voir tableau 2). La décennie comprise entre la fin de la Dépression et le début de l’offensive aérienne connut des activités d’investissements inégalées. De 1935 a la fin de 1942, cette tendance est allée en augmentant d’année en année. Les dommages causés par les bombardements n’ont été supérieurs aux investissements totaux qu’au cours de la seule année 1944. A la fin de la guerre, les investissements industriels cumulés représentaient environ 75 % du total des investissements industriels de 1936, tandis, que pour la même période, les amortissements représentaient 37 % des actifs immobilisés de 1936.
21Cette balance relativement positive des actifs industriels était encore plus favorable au regard de la qualité. A la fin de la guerre le ratio immobilisations industrielles nettes/immobilisations industrielles brutes atteignait son niveau le plus élevé depuis la Première Guerre mondiale (voir tableau 3). C’était le résultat prévisible du boom des investissements de la période de réarmement. Pour la même raison, la structure d’âge du secteur industriel était nettement meilleure en 1945 que dans les années 1930. (voir tableau 4). L’économie allemande entra dans la période d’après-guerre avec un patrimoine remarquablement développé et moderne, surtout en comparaison des rendements extrêmement bas.
22La main-d’œuvre également était loin de manquer. Par rapport aux années 1930, la population de la zone britannique avait crû de 11,3 % et la population de la zone américaine de 17,1 %. Dans la zone française, qui était de moindre importance à cet égard, la population connut une baisse de 4,1 %. Alors que 7 millions de réfugiés résidaient en 1946 dans les zones américaine et britannique, ce n’est qu’après une résolution du Conseil de Contrôle que la France accepta d’accueillir seulement 150.000 réfugiés.
23La croissance de la population se répartissait de manière inégale. Dans le Schleswig-Holstein, zone agricole, la population avait augmenté de 6,3 % tandis que celle de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie augmentait de 1,8 %. La main-d’œuvre était abondante mais pas toujours située là où on en avait besoin. II existait toutefois un potentiel de main d’œuvre considérable, (voir tableau 5). Une restriction qualitative doit toutefois être apportée. Les taux de l’emploi avaient brusquement diminué ; le pourcentage de jeunes travailleurs déclinait tandis que celui des travailleurs âgés augmentait. La croissance globale de l’emploi entre 1936 et 1939 était due à l’entrée des femmes sur le marché de la main d’œuvre civile, tandis que celle des hommes diminuait en fait de 2 %. Mais il n’y eut toutefois pas de baisse de la qualité. Les niveaux de qualification avaient sans doute augmenté. Durant la guerre, les gens acquirent une expérience sur le tas ; la mobilité de l’emploi s’était améliorée et la formation de la main-d’œuvre, développée21.
C. Les freins au redressement
24La balance des ressources allemande comportait un aspect négatif et un aspect positif. Les couts d’occupation et les réparations ont pesé lourdement sur l’industrie des zones et il existait une saignée des ressources à la fois ouverte et cachée.
25L’Agence inter-alliée des réparations de guerre à Bruxelles (IARA) désigna 1800 installations qui devaient être démantelées au titre des réparations de guerre lors de la 1re phase du Plan industriel du Conseil de Contrôle. Cette liste fut toutefois réduite22. Le Plan industriel modifié d’août 1947 n’en mentionnait plus que la moitié, tandis que l’Accord de Petersberg de novembre 1949 ne retenait que 38 % des usines de la liste initiale. Il est impossible de déterminer le montant exact des réparations ni d’évaluer leur impact sur l’économie allemande. C’est particulièrement vrai pour le « démantèlement unilatéral » pratiqué indépendamment dans chaque zone d’occupation jusqu’en juin 1946, lorsque la 1re phase du Plan industriel fut annoncée par le Conseil de Contrôle. Le montant des réparations de guerre est également difficile à évaluer pour la phase suivante au cours de laquelle tous les biens destinés à des bénéficiaires occidentaux furent comptabilisés à Bruxelles. Les chiffres n’indiquent pas de manière adéquate la perte réelle de capacité industrielle qu’a subie l’Allemagne de l’Ouest. Les estimations allemandes de la valeur courante des installations industrielles démantelées sont de trois à quatre fois supérieures à celles des Allies. Le IARA de Bruxelles a évalué les pertes dues au démantèlement sur la base des coûts de remplacement de 1938 et arrive au chiffre de 3,1 % pour l’Allemagne ; Harmssen, l’expert allemand en matière de réparations de guerre, comparant 1936 et 1949, arrive lui au chiffre de 5,3 %.
26Venant s’ajouter au démantèlement de l’industrie, la restitution (la confiscation des actifs acquis illégalement) a également réduit le stock de biens d’investissement de l’Allemagne d’après-guerre. La valeur totale des demandes de dédommagement était d’environ 1 milliard de RM (1936), dont la moitié se rapportait au secteur industriel (voir tableau 2). La capacité industrielle de l’Allemagne de l’Ouest, a diminué également parce que les investissements de la période 1946-1948 n’ont pas compensé les pertes dues à des amortissements insuffisants. Ce qui a entraîné une réduction des actifs immobilisés d’environ 2,8 % en 1948. Cependant, en 1948, les actifs immobilises étaient supérieurs d’environ 11 % à ceux de 1936 et la structure d’âge ainsi que la qualité des actifs étaient toutes deux meilleures qu’en 1936, même si après 1945 ces tendances se sont inversées (voir tableaux 3 et 4).
27Si les effets du démantèlement sur la production furent essentiellement de nature psychologique, les « réparations cachées » mettent des limites réelles à ce que fut le redressement de l’Allemagne de l’Ouest. Ceci était vrai pour le commerce inter-zones et particulièrement pour le commerce extérieur. On ne peut pas parler de « commerce extérieur » au sens usuel du terme jusqu’en 1948. Les importations et les exportations qui étaient sous le contrôle allié pendant les trois premières années d’après-guerre, n’étaient réalisées qu’à l’échelon gouvernemental. Ni l’Administration mixte pour les importations et les exportations (JEIA), ni l’OFICOMEX ne basaient leur politique sur les intérêts de l’Allemagne.
28La Directive du Conseil de Contrôle en date du 20 septembre 1945 régissait le commerce extérieur de l’Allemagne de l’Ouest avec les pays tiers. Elle exigeait des paiements en dollars et au prix du marché mondial, ce qui rendait impossible pour l’Allemagne, qui manquait de dollars, tout échange bilatéral avec ses voisins. Les échanges se limitaient à deux catégories de produits : importations de blé, dans le cadre des programmes d’aide destinés à prévenir les maladies et les troubles sociaux, et réparations sous la forme d’exportations forcées de matières premières.
29Les importations de produits alimentaires ont atteint des niveaux nominalement comparables à ceux que l’on a connus avant la guerre. Il n’est pas possible d’évaluer, même approximativement, les importations de produits alimentaires par les autorités d’occupation ni les exportations allemandes antérieures à juin 1946. En 1947, cependant, 659 millions de dollars de produits alimentaires ont été importes contre 718 en 1936. Mais les importations de 1947 étaient constituées presqu’entièrement de blé de mauvaise qualité, alors qu’auparavant des matières grasses et des viandes avaient été importées. Les importations industrielles sont restées insignifiantes jusqu’au milieu de l’année 1948. Elies représentaient 8 % des importations globales au cours de cette année, soit 4,4 % des importations industrielles de 1936.
30Tout ceci n’a pas empêché la reprise de la production dans les zones occidentales. Elle se situait à un faible niveau et se limitait à des biens tels que le charbon, le gaz et le courant électrique, qui ne dépendaient pas des matières premières. Bien qu’une économie d’exportation comme celle de l’Allemagne puisse difficilement prospérer dans de telles circonstances, les recettes du commerce extérieur provenant des exportations étaient plus que suffisantes pour couvrir les importations industrielles autorisées. Jusqu’en 1948, la zone française a connu un excédent d’exportations. Les éléments français d’occupation ont imposé l’exportation de charbon, de bois, de courant électrique et de ferraille, alors que des recettes beaucoup plus importantes auraient pu être réalisées par des exportations de produits finis. La structure des exportations allemandes en fut toute chamboulée. Avant la guerre, les matières premières ne représentaient que 10 % des exportations totales, tandis que les produits manufacturés en représentaient 77 %. En 1947, cependant, 64 % des exportations étaient constituées par des matières premières et 11 % seulement par des produits finis. Il se confirmait que ces exportations n’étaient qu’une forme de réparation cachée ; il suffit d’examiner les prix. Les allies fixaient a 10,50 dollars le cours de la tonne de charbon, produit qui était acheté en grande partie pour eux-mêmes, à un moment où le cours mondial du charbon était de 25 & 30 dollars la tonne. Ainsi, jusqu’à la fin de 1947, les zones occidentales ont perdu 200 millions de dollars de recettes à l’exportation, selon le Verwaltung für Wirtschaft qui paraissait dans la Bizone. Les pertes ont également été considérables pour les produits dérivés du bois qui étaient exportés au tiers des prix du marché mondial. Entre avril 1945 et juin 1947, quelque 3 millions de tonnes de ferraille ont été saisies comme butin de guerre et réparation ; elles ont été vendues au tiers de leur valeur sur le marché mondial. Les exportations de courant électrique ont été déficitaires de 50 millions de dollars entre 1946 et 1948.
31Les exportations « invisibles » à savoir les paiements destines à soutenir les autorités d’occupation, ont eu des effets similaires sur le « commerce extérieur ». Au cours de l’exercice 1946-1947, 5,5 milliards de deutschmarks ont été prélevés dans les trois zones occidentales (à l’exclusion de Berlin), soit sous forme de paiements directs, soit sous forme de biens prélevés sur la production. Par ce moyen, les autorités d’occupation se prévalaient du sixième du produit social de l’Allemagne de l’Ouest, ceci venant s’ajouter aux réparations elles-mêmes. Les frais d’occupation se répartissaient de manière inégale. Au cours de 1’exercice 1946-1947 les frais des autorités d’occupation étaient de 28 % dans la zone française (contre 26,1 % pour les Soviétiques), alors qu’elles s’élevaient à 15,9 % dans la zone américaine et à 12,7 % dans la zone britannique. Mais surtout c’est le prélèvement de 10 % sur la production entre 1945 et 1947 qui a sérieusement entravé l’effort de reconstruction allemand.
32Non seulement la France et l’Union soviétique tiraient parti de cette situation, mais elles le faisaient ouvertement. Les Anglo-Américains ont tiré avantage des exportations obligatoires, des restrictions à T’exportation et d’autres types de réparation cachée (dont la plupart étaient destinées au redressement et a la réhabilitation des pays libérés). Par exemple, les livraisons allemandes obligatoires dans la zone américaine (et dans toute l’Europe de l’Ouest) s’élevaient à environ 100 millions de Dollars par an. La confiscation de brevets allemands et de procédés de fabrication (1e projet Fiat) s’est également faite aux dépens de 1’economie allemande. Clay a reconnu que ces pratiques étaient comparables aux confiscations françaises et russes23. Le contribuable américain, contrairement au contribuable français, apportait des compensations sous forme d’aides et de crédits. Mais c’est seulement en 1948 que le fardeau de l’occupation est devenu plus léger. C’est à ce moment-là que les échanges du commerce extérieur ont réellement repris pour la première fois depuis la guerre.
33Avant 1948, au moment où s’effectuaient les premières livraisons du Plan Marshall, la renaissance de l’Allemagne dépendait largement de ses propres ressources énergétiques. Le pays n’était pas dénué de forces, comme l’indique la valeur de ses actifs industriels et le potentiel de sa main-d’œuvre. L’Allemagne de l’Ouest était pauvre, mais en aucun cas, sous-développée. Une fois que l’Allemagne aurait repris le contrôle de ses propres ressources et que la situation du commerce extérieur serait à nouveau favorable, une croissance économique rapide devait se produire. Ces conditions ont commencé à émerger en 1947-1948, moins en raison du plan Marshall qu’en raison des changements plus généraux de la politique américaine envers l’Europe, dans laquelle le Plan Marshall n’était qu’un élément.
D. 1947 : L’année des décisions
34Apres l’effondrement de 1’hiver 1946/47, le Gouvernement Militaire qui s’efforçait jusque-là de répartir la pénurie de manière égale entre tous les secteurs de 1’economie se mit à concentrer les ressources sur les principaux goulots d’étranglement. La priorité fut donnée à la restauration de l’infrastructure des transports, à un système de primes pour les mineurs, a 1’application d’un plan centralisé de construction de logements, à la mise au point d’un programme visant à doubler la production d’électricité dans la zone britannique et à la fourniture du charbon nécessaire a l’industrie du fer et de l’acier pour qu’elle puisse à son tour fournir les matières premières indispensables à la remise sur pied du secteur ferroviaire et des grandes installations industrielles. C’est au sein de la Zone Economique Combinée ou Bizone que se déroulèrent ces activités à compter du 1er janvier 1947. La fusion des zones anglaise et américaine était la cause nécessaire mais non suffisante d’une reprise économique. Pour faire disparaître le goulot d’étranglement dans les transports, les planificateurs allemands et alliés utilisèrent tous les concepts d’organisation employés par Speer en temps de guerre. La fabrication du matériel ferroviaire roulant s’étant vu attribuer la priorité des priorités, les objectifs fixes furent dépassés au cours de l’automne 1947. Ce succès arrivait à point. Bien qu’en été 1947 la situation des transports se soit quelque peu améliorée, elle était redevenue en octobre 1947 le plus crucial des problèmes de reconstruction comme on l’avait prévu dès l’origine. Mais cette fois elle ne bloquait pas véritablement la reprise d’ensemble. Au contraire au cours de l’hiver les mines de la Ruhr réussirent à réduire de 1,2 million de tonnes leurs stocks de charbon, et les aciéries rattrapèrent leur retard d’expédition. La solution du problème des transports fut certainement l’un des préalables les plus importants de la reprise économique.
35Une fois ce problème devenu moins aigu, il fut possible de satisfaire d’autres priorités. Au cours de 1’hiver 1946/47, le charbon devint de plus en plus rare ; mais à partir de janvier 1948 la production démarra. Au début de cette année-là le Gouvernement Militaire introduisit un système de primes à la production. Les privilèges du mineur de la Ruhr – à savoir des rations supplémentaires de bacon, de café, de cigarettes, de sucre et... de schnaps – furent a l’origine supportes par le consommateur allemand moyen. Bien que ces avantages aient eu peu d’effet sur la productivité du fond, ils réduisirent l’absentéisme et rendirent la mine suffisamment attractive pour mettre fin au manque de main-d’œuvre24.
36C’est le problème alimentaire qui devint la plus importante exception faite du cas des mineurs. La pénurie du début 1947 dans la zone Ruhr-Rhénanie menaçait de faire échouer le programme des priorités et laissait présager une catastrophe pour l’hiver suivant, à moins que la production ou les importations puissent être accrues. En fait rien de tel ne se produisit. Jamais la crise alimentaire tant redoutée ne se matérialisa dans les faits. Le pire fut évité grâce à un contrôle plus strict des approvisionnements en denrées alimentaires provenant de la campagne et à une refonte des canaux administratifs de distribution de ces produits. Il fut alors possible d’accroître les rations des personnes dont l’activité était indispensable.
37Trois améliorations avaient été réalisées. Les besoins matériels qu’impliquait la reconstruction étaient relativement faibles, ce qui était nécessaire pour pouvoir concentrer les ressources sur les programmes prioritaires, même aux dépens de la production ou des secteurs orientés vers la consommation. Le décollage d’octobre 1947 qui se traduisit par des taux de production régulièrement croissants fut obtenu sans aide extérieure. Le Gouvernement Militaire n’en avait pas moins jeté les bases en concentrant les ressources de la Bizone sur la reconstruction.
III. Le Plan Marshall américain, européen et allemand
38A peu près au moment où l’armée américaine introduisait le nouveau DM dans les zones occidentales et ou Ludwig Erhard appliquait ses réformes économiques, les fruits du travail accompli par 1’Administration du Plan Marshall commençaient à apparaître. Dès le début, le général Clay considéra cette administration avec suspicion ; il craignait qu’elle ne devienne un second centre de décision indépendant du Gouvernement Militaire américain (OMGUS), en Allemagne de l’Ouest. Afin de dissiper ces craintes et d’obtenir le soutien du gouvernement Militaire, Paul G. Hoffman, administrateur du Plan Marshall, et Averell Harriman, Ambassadeur spécial des États-Unis à Paris pour le Programme de Relèvement Economique proposèrent au général Clay leurs services comme banquiers pour la reconstruction25. G. Hoffmann souligna que la reprise économique de l’Allemagne de l’Ouest était la condition fondamentale préalable à la reconstruction de l’Europe. II mit en avant l’engagement pris par le général Clay de reconstruire l’économie européenne, lui demanda son soutien et promit que la mission de l’Administration de Coopération Economique (A.C.E.) ferait tout son possible pour réaliser les objectifs du gouverneur militaire américain. Juste au moment de la grande réforme politique et monétaire de l’Allemagne de l’Ouest, les ressources matérielles qui devaient assurer les bases de ce recommencement semblèrent affluer dans l’économie.
39Il ne fallut que quelques jours cependant pour que surgissent les désillusions. Dans un long télégramme au Secrétaire d’Etat à la Défense, Kenneth Royall et à son adjoint Tracy Voorhees, l’adjoint du général Clay, le général Draper, tira la sonnette d’alarme à Washington. Il était apparu rapidement à Francfort que la procédure envisagée pour les importations au titre du Plan Marshall ne pourrait aboutir. Selon les responsables du bureau de contrôle de la Bizone (BICO) dont le point de vue était partagé par l’ambassadeur spécial Harriman, alors en mission à Francfort, les obstacles administratifs (à supposer qu’ils ne soient pas insurmontables), retarderaient le programme d’aide pendant une durée si longue qu’ils le rendraient a peu près inefficace26. Le bureau de contrôle partait de l’idée, expliqua le général Draper, que la législation américaine relative au Plan Marshall visait à promouvoir les activités commerciales et les entreprises du secteur privé. Le BICO avait toutefois constate que le système bureaucratique inefficace de l’Agence Mixte d’import-export (JEIA) était devenu rigide ; les autorités de la Bizone s’étaient vu imposer un système d’exportation d’Etat que, dans 1’intervalle, elles avaient déjà commencé à démanteler. Le général Draper demanda d’urgence qu’une personnalité faisant autorité, par exemple Howard Bruce, administrateur adjoint du Plan Marshall, soit envoyé à Francfort pour lancer des procédures radicalement nouvelles. II était convaincu que le contrôle de la masse de paperasse n’était pas suffisant pour obtenir un véritable redressement économique.
40L’appel à 1’aide de Draper se fit suffisamment insistant pour déclencher de fortes réactions à Washington, et assez rapidement à Paris et à Francfort. Entre le 2 et le 12 août, une série de conférences eut lieu a Francfort ; y assistaient Voorhees et son équipe venus de Washington ainsi que William C. Foster, de Paris, le chef de mission adjoint de l’Administration de Coopération Économique en Europe. Le général Clay, la JEIA et le BICO furent consultes périodiquement27. L’« Accord de Francfort » passé entre Voorhees et Foster sans la participation de Clay exigeait qu’un compromis soit obtenu entre les intérêts du Gouvernement Militaire et l’Administration de Coopération Economique (A.C.E.). Alors que les fonds de l’A.C.E. devaient être administrés exclusivement par les représentants de cet organisme a Paris et non par le Bureau du Gouvernement Militaire américain (OMGUS), les autorisations d’approvisionnement respectives n’étaient désormais plus traitées par Washington mais en Europe. Le général Clay, toutefois, n’était pas disposé à donner son accord à cette décision. Il insista sur la compétence de l’OMGUS mais sous la pression du Ministère de la Défense il fut contraint de retirer ses objections... Faute d’entente cependant, Voorhees reprit le chemin de Washington le 11 aout pour défendre l’Accord de Francfort aux niveaux de décision les plus élevés28.
41En fait, les négociations ininterrompues ne faisaient que dévoiler la profondeur de la crise en faisant apparaître certaines de ses causes. Voorhees fut profondément contrarie lorsqu’il constata qu’aucune livraison au titre du Plan Marshall n’était arrivée en Allemagne. En dépit du fait que des autorisations d’approvisionnement d’environ 90 millions de dollars avaient été accordées par Washington, pas un seul contrat de livraison n’avait été conclu. Les experts de la JEIA et du BICO furent d’accord pour imputer ces mauvais résultats aux pesanteurs excessives de l’Administration du Plan Marshall qui invoqua pour sa défense l’insuffisance du pouvoir de décision que la Bizone lui concédait. Quant 4 la JEIA on lui reprochait son manque d’initiatives et sa peur des responsabilités. Selon le général Clay il aurait fallu plusieurs centaines de personnes s’ajoutant aux 150 déjà recrutées par la JEIA pour qu’elle puisse mener sa tâche à bien.
42Les divergences survenues à Francfort et l’épilogue de Washington révèlent les désaccords profonds entre l’Administration de Coopération Economique et le Bureau du Gouvernement Militaire américain quant à la place que la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest devait occuper dans l’ordre des priorités. Le Gouvernement Militaire américain attendait surtout du Plan Marshall l’importation des produits nécessaires à l’accélération de la reconstruction industrielle de l’Allemagne de l’Ouest. C’est pourquoi il s’opposa à l’importation de produits alimentaires et de produits de luxe (agrumes et légumes en provenance d’Italie, ou tabac de Turquie29 . Le simple fait qu’aucun produit d’importance critique pour l’effort de reconstruction n’ait été importé et que 20 millions de dollars seulement aient été alloués pour une première tranche à réaliser d’urgence dans le cadre d’un programme de reconstruction à long terme comportant des wagons de marchandises, du matériel d’exploitation minière, des matières premières, etc..., évalues a 134 millions de dollars, lui donnaient des raisons de se demander si l’Administration de Coopération Economique était une bonne chose pour l’Allemagne. Autre critique : le général Clay fit observer que les 5 % de produits stratégiques exigés des homologues de l’Allemagne de 1’Ouest dans le Plan de Reconstruction de l’Europe par l’Article V de l’Accord de coopération économique représentaient « un taux d’intérêt élevé ».
43Même si les représentants de l’Administration de Coopération Economique reconnaissaient le caractère essentiel de la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest pour la stabilisation de l’Europe occidentale, ils faisaient observer que cette stabilisation obligeait en tout premier lieu la Bizone à contribuer au redressement économique de l’Europe. C’est pourquoi non seulement Paul Hoffmann rejeta la demande de Royall d’accroitre de 200 millions de dollars les 437 millions prévus pour les programmes de la Bizone dans la première année du Programme de Reconstruction de l’Europe30 ; mais il se plaignit également de l’attitude presque méfiante des représentants de la Bizone dans les négociations avec l’OECE, ainsi que du refus du général Clay de coopérer à l’élaboration des accords commerciaux avec d’autres pays européens à l’occasion desquels la Bizone aurait peut-être du céder un peu, en contrepartie de quoi elle aurait pu être a 1’origine d’avantages considérables pour l’Europe occidentale31. Ce n’est qu’au prix d’un énorme effort que Royall réussit à empêcher la réduction à 364 M$ des crédits accordés au litre du Programme de Relèvement Economique aux zones occidentales et à maintenir le volume du programme a un niveau d’au moins 414 M$32.
44Considérée dans le cadre de l’OECE l’ampleur de l’aide Marshall à la reconstruction de 1’Allemagne de 1’Ouest était assez limitée. Le Gouvernement britannique en particulier demandait avec insistance que les mêmes critères de distribution soient appliqués à tous les pays participants33. Toutefois référence était faite non aux besoins respectifs en capitaux nécessaires à la reconstruction mais au déficit de la balance des paiements avec la zone dollar34. La tentative des Etats-Unis pour obtenir pour la Bizone un traitement spécial dans le cadre de l’OECE fut repoussée par la Grande-Bretagne35. Selon les Britanniques, une intervention américaine en faveur de la Bizone risquait de raviver les craintes précédemment suscitées par l’éventualité d’un traitement préférentiel réserve à la reconstruction allemande et surtout d’alimenter la propagande communiste en France.
45Les négociations de Paris aboutirent le 11 octobre 1948 à la conclusion du premier Accord Inter-européen de paiements. Dans le même esprit que celui du groupe de tête des pays de l’OECE, la Bizone se trouva de manière inattendue dans la position d’un pays créancier net vis-a-vis de ses voisins européens tels que la France, l’Autriche et les Pays-Bas. Get accord (le « petit Plan Marshall ») obligeait les pays à excédent potentiel, notamment la Grande-Bretagne, la Belgique et le Bizone elle-même ( !) à accorder une aide économique a des pays présumés déficitaires de manière à alimenter les échanges intra-européens. Une partie de l’aide économique provenant du « grand Plan Marshall » fut accordée aux pays rassemblés sous l’égide du Plan de Reconstruction de l’Europe en tant qu’aide conditionnelle sous la forme de ressources nationales36. Même si celui qui accordait ces droits de tirage recevait la valeur d’échange de l’aide en dollars, l’effet net de l’aide étrangère américaine se trouvait réduite du montant des droits de tirage libellés dans la devise nationale de chacun des différents pays, qui devaient être accordés aux pays débiteurs nets. Dans le cas de la Bizone, cette sortie non rémunérée de biens et de services – en fait une sorte d’aide économique de l’Allemagne de l’Ouest à l’Europe – s’éleva à 48,3 M$ au cours de la première année du Plan Marshall, somme nettement supérieure au 9,4 M$ initialement prévus37.
46Au cours de la deuxième année du Plan Marshall, l’aide économique de l’Allemagne de 1’Ouest a 1’Europe fut, « seulement » de 49,9 M$ ce qui était très inférieur au montant prévu (163,9 M$). A la même époque, cependant, Washington décida de réduire l’aide en dollars accordée au litre du Programme de Relèvement Économique. Le Baron Snoy, Président du Conseil de l’OECE et Robert Marjolin, son secrétaire général, élaborèrent une clé de répartition prévoyant pour l’Allemagne de l’Ouest une réduction de 32 % : ce pourcentage dépassait nettement celui de la réduction moyenne, qui n’était que de 20 %. Ce qui signifiait que l’Allemagne de l’Ouest devait digérer le manque à gagner le plus élevé de l’aide étrangère totale par rapport à l’ensemble des participants, à savoir 42 %38. En outre il y avait aussi l’aide économique de l’Allemagne de l’Ouest à Berlin (« le Plan Marshall allemand ») qui dépassait la totalité de l’aide accordée par le Programme de Reconstruction de l’Europe à l’exclusion de l’aide du GARIOA (Administration et Aide en Zones Occupées) qui était de 1,5 milliard de DM pour la deuxième année du Plan Marshall. Pour l’observateur impartial – comme se considérait lui-même le bureau du Plan Marshall allemand – le résultat était un « tableau grotesque » : la Bizone, avec les dommages de guerre les plus sérieux se voyait frustrée avec ces réductions et droits de tirage, de la quasi-totalité du quota attribué par le Programme de Reconstruction de l’Europe, alors que la Grande-Bretagne et la France se voyaient attribuer des quotas très élevés bien que ces deux pays eussent retrouve une économie florissante et subi relativement peu de dommages du fait de la guerre39. Bref, l’ensemble du programme d’aide étrangère restait davantage centré sur la reconstruction de l’Europe occidentale que sur la reconstruction de l’économie allemande.
47Au cours de ces turbulentes journées d’aout à Francfort et encore plus lors des négociations qui suivirent à Washington, l’Armée de terre arriva à mettre au point certaines améliorations à court terme dans le domaine de l’organisation ; néanmoins, pour les questions cruciales, elle ne réussit pas à faire prévaloir son point de vue sur celui de l’Administration de Coopération Economique. Lorsque John McCloy se préparait à prendre les fonctions de Haut Commissaire pour l’Allemagne et de chef de la mission de l’ACE à Francfort, les opérations de l’Agence de Coopération Economique souffrirent davantage qu’auparavant du manque d’organisation40. L’équilibre du pouvoir au sein des autorités américaines d’occupation en Allemagne s’était tellement modifie en faveur de l’Administration de Coopération Economique que Paul Hoffman alla jusqu’à recommander à John McCloy que cette dernière « traite d’égal à égal avec le gouvernement allemand et ne reconnaisse d’autre sanction que celle des résultats économiques obtenus et non la sanction politique émanent de la puissance occupante ; enfin, qu’elle évite de participer trop directement a 1’elaboration de la politique du gouvernement allemand pour que sa mission ne puisse s’identifier à la politique de celui-ci41 ».
48Le Plan Marshall fut davantage qu’un simple statut d’occupation ; il était devenu peu à peu une assise sur laquelle la politique américaine en RFA pouvait construire l’avenir. Il lia étroitement la reconstruction de l’Allemagne fédérale avec l’objectif général que constituait la renaissance économique de l’Europe occidentale. Très tôt il autorisa la République fédérale à exporter vers les autres pays des produits qui, autrement, n’auraient pu venir que de la zone dollar. Bien que cela signifiât que l’Administration de Coopération Economique transférait à l’Allemagne de l’Ouest les tâches les plus difficiles de la reconstruction européenne, elle ne lui accorda aucun privilège particulier du point de vue de la distribution des produits de première nécessité. Les zones occidentales de l’Allemagne se trouvaient être ainsi les parents pauvres du Plan Marshall. Alors que la France recevait une aide totale par habitant de 21,7 $ au cours de la deuxième année du Plan Marshall, l’Autriche 36,2 et les Pays-Bas 45, l’Allemagne de 1’Ouest n’en recevait que 12 y compris 1’aide GARIOA42. Il est plus significatif encore que l’industrie allemande ne se soit pas trouvée complètement dévastée à la fin de la guerre. Elle offrait de bonnes perspectives. En 1947-48, ce secteur laissait entrevoir les signes prometteurs de la réussite économique qui allait caractériser l’après-guerre. Aussi doit-on porter son regard non sur les transferts matériels mais vers les différents effets du Plan Marshall.
IV. Fonctionnement du Plan Marshall ses réussites et ses échecs
49Le fait que les livraisons autres que celles de produits alimentaires, effectuées sous l’égide du Plan Marshall, n’aient pu se réaliser, devait tôt ou tard attirer l’attention des Allemands. Lors de son voyage d’aout 1948 en Allemagne le vice-ministre de la Défense, Tracy Voorhees, fit part à 1’Oberdirektor Hermann Pünder des efforts entrepris pour simplifier les procédures d’importation43. Il fut cependant dans l’impossibilité de promettre un changement notable quant à la composition des produits constitutifs de l’aide accordée. Aussi furent anéantis tous les espoirs de ceux qui voyaient essentiellement dans le Plan Marshall un programme d’aide venant s’ajouter au programme GARIOA (importations de la catégorie « A »), revêtant une forme différente de celle adoptée pour les livraisons de produits alimentaires effectuées par L’armée américaine pour « prévenir les maladies et les émeutes ». En février 1948, Ludwig Erhard agissait encore en supposant qu’il pourrait financer sur le Plan Marshall la quasi-totalité de son programme d’investissement pour la Bizone, ce qui aurait permis au gouvernement allemand de consacrer ses ressources aux produits de consommation44. C’était là une vue euphorique des choses. Au cours des discussions du Conseil Économique sur le Plan Marshall, en septembre, Hermann Pünder s’employa à souligner le côté positif de la situation, par ailleurs peu satisfaisante, des livraisons au litre de l’aide, en faisant valoir qu’il existait dans le Plan Marshall des éléments de politique étrangère qui étaient fréquemment négligés, considérés du point de vue politique extérieure. Dans le même temps toutefois il conseillait de considérer cet aspect positif avec circonspection étant donné que, vues de Paris, les perspectives générales paraissaient peu attrayantes45.
50A la fin de l’année, les choses avaient en effet très peu changé. Sur le total des produits livres à l’époque et évalues a 99 M$, 22 M$ seulement avaient été consacrés à des produits non alimentaires, les deux-tiers de ceux-ci étant du coton. Ceci signifiait que 27 % seulement de 1’aide promise de 367 millions de dollars étaient réellement arrives dans la Bizone. En outre, tant le faible montant des livraisons réelles que leur composition faisaient de plus en plus l’objet de critiques de la part du public. En octobre, le futur rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Erich Welter, qui était en général favorable au Plan Marshall, fit observer au cours d’une réunion de la Wirtschaftspolitische Gesellschaft von 1947, (Société d’économie politique de 1947) que les sommes perdues en raison des procédures scandaleuses utilisées par l’Agence Mixte d’Import-Export étaient beaucoup plus importantes que les sommes reçues du Plan Marshall46. Nombreux furent également ceux qui reprochèrent aux Américains d’avoir d’après eux tendance à utiliser le Plan Marshall comme moyen de se débarrasser de leurs excédents de production, alors que ces surplus ne constituaient pas les produits les plus nécessaires aux Européens47. En 1948, dans un article présentant un bilan de fin d’année plus détaille et plus équilibré, le Handelsblatt fit observer qu’il était impressionnant de constater que l’Allemagne de l’Ouest se soit si bien redressée sans aide importante du Plan Marshall. Cet article soulignait que les capacités et les potentiels prêts a un redressement réel tant sur le plan financier que sur le plan de la production, risquaient d’être sacrifies aux forces de la décadence en Europe occidentale48.
51En Allemagne, à la différence de l’homme de la rue dans l’esprit duquel le Plan Marshall signifiait dons en dollars, transferts de technologies, d’équipement, d’usines et de véhicules américains, les experts économiques percevaient le Plan de Reconstruction de l’Europe d’une façon plus réaliste. En mars 1949 encore, 1’administration du Plan Marshall allemand éprouvait des difficultés à designer des produits relevant typiquement du Plan Marshall. Le Conseiller au Plan Marshall fit observer lors d’une interview sur les textiles qu’ils ne pouvaient être considérés comme un produit type du Programme de Reconstruction de l’Europe. Les textiles fabriqués utilisaient essentiellement du coton qui ne provenait pas des livraisons effectuées dans le cadre du Plan Marshall49.
52A part les produits du marché noir, même les bas extra-fins pour dames, à la mode et très coûteux, furent produits par les Allemands dès l’hiver 1948, et ils n’étaient pas fabriqués uniquement à partir de coton fourni par le Plan Marshall. Les fabricants de machines-outils, les Frères Böhringer, de Göppingen, montèrent les deux premières machines à fabriquer des tissus de coton qui avaient été mises au point par des ingénieurs de Saxe. Les machines un peu plus petites de Schönemann (Wiesbaden) sortaient trois paires de bas nylon « allemands » toutes les 25 minutes50. II n’y avait pas de plan d’importation des produits textiles finis.
53A ce stade peu avancé de sa reconstruction, l’Allemagne occidentale put naturellement utiliser tout ce qui pouvait contribuer à développer son appareil de production, encore très faible et à le faire fonctionner. Dans l’ensemble il n’y avait pas tant une pénurie de machines et d’usines qu’un manque de matières premières importées permettant d’utiliser les capacités de production disponibles. Le financement de ces importations de matières premières à partir de la zone dollar aurait donc dû être le premier souci du Plan Marshall.
54Lorsque la première importation de matières premières digne d’être mentionnée atteignit finalement le pays au cours du premier trimestre de 1949, on ne peut pas dire que les importateurs se précipitèrent pour obtenir des produits distribués par le Plan Marshall. Au contraire, ce ne fut qu’au prix de grandes difficultés qu’on put trouver preneur. Les règlements au titre des crédits du Plan Marshall se trouvaient en général au-dessus des prix du marché, étant donné le taux de change de 30 cents pour 1 DM. Alors que les importations de produits alimentaires étaient subventionnées à ’aide de crédits budgétaires de façon à ramener leur coût au niveau des prix intérieurs, le taux de change se répercutait à plein sur le prix des importations industrielles. Pour couronner le tout, il arriva que les livraisons initiales de produits par 1’Administration de Coopération Economique eurent lieu au cours d’une période de ralentissement de l’activité des marchés intérieurs de l’Allemagne de l’Ouest. A la fin de 1948 le taux de croissance tomba à la moitié de celui de la période précédente, les prix chutèrent et le chômage grimpa de façon spectaculaire. En outre, les retards dans l’émission des autorisations d’achat empêchèrent un transfert sans à-coups des produits du Plan Marshall au bénéficiaire allemand. De nombreux importateurs se débrouillèrent dans de nombreux cas en reprenant les importations de 1’Agence Mixte d’Import-Export. Dans le cas de la zone française, ils se fournirent dans la Bizone mais ne recoururent guère aux livraisons tardives du Programme de Reconstruction de l’Europe. Des problèmes similaires surgirent lorsque les commandes de l’Administration du Plan Marshall furent centralisées, mécanisme qui ignorait les besoins des acheteurs potentiels, contrairement à l’avis des experts allemands. Dans ces conditions, si urgents à satisfaire que fussent en 1949 les besoins en équipements miniers, ces équipements ne pouvaient pas toujours être utilisés immédiatement51.
55Au cours du printemps 1949 les rapports s’entassèrent au sujet des crédits inutilisés du Plan Marshall et de la difficulté à persuader les importateurs d’accepter les produits qu’il distribuait52. Le 11 mars, les Ministres-Présidents de la zone française firent part au général Koenig, le Commandant en Chef, de leur préoccupation concernant l’expiration du délai de validité des crédits alloués par le Plan Marshall et inutilisés au 31.3.194953. Dans sa réponse, le chef du gouvernement militaire français fit observer les points suivants : 60 % d’un crédit de 100 M$ avaient été débloqués, mais des marchandises représentant seulement 35 % de cette somme avaient été reçues ; et sur ce pourcentage 27-28 % étaient constitués par des produits alimentaires, ce qui laissait 7 à 8 % pour les produits industriels. Mais une commission avait été envoyée à Washington pour appliquer des méthodes d’approvisionnement américaines et obtenir que des agents américains soient impliqués dans le processus. Coût supplémentaire 1 à 1,5 % mais les résultats furent bien meilleurs que ceux de la Bizone. Grâce à ce moyen, mais cependant avec les plus grandes difficultés, 25 % seulement des crédits promis furent utilisés54.
56Dans la Bizone les préoccupations étaient essentiellement centrées sur les ventes et non sur l’allocation des contingents et leur utilisation. Le 30 juin 1949 était la date limite d’utilisation de 202 M$ dont 63 étaient en grand danger de ne pas être utilisés avant la date limite55. Aussi Ludwig Erhard invita-t-il à une réunion d’urgence de hauts responsables des branches d’activité concernées, de leurs associations et syndicats, ainsi que le Président de la Banque des Länder allemands et d’autres responsables de haut niveau. II s’y prononça contre les mesures caractéristiques d’une économie planifiée et même centre celles qui n’en avaient que l’apparence56. L’approche de son ministère de l’Economie était plus pragmatique. Il recommandait aux branches industrielles concernées de faire preuve d’initiative et de donner systématiquement la préférence aux attributions du Plan Marshall par rapport à ce que l’on appelait « les attributions B », c’est-à-dire les importations industrielles financées par des exportations de l’Agence Mixte d’Import-Export. Ainsi la charge du Plan Marshall se trouverait plus régulièrement répartie entre les importateurs concernés. M. Vocke, le President de la Banque Centrale, reprit l’appel de celui-ci et promit que la Banque des Länder s’assurerait désormais que le délai d’utilisation des crédits accordés par le Programme de Reconstruction de l’Europe n’expirerait pas sans que ces crédits soient utilisés. Il n’était pas en mesure de promettre une assistance au cas où des contacts concernant les importations ne se matérialiseraient pas en raison de prix incertains ou d’une contraction des achats57.
57Tel était cependant le problème posé dans un grand nombre de secteurs. Les importations de caoutchouc brut et de pneus commencèrent à se ralentir en raison d’une baisse des ventes ; dans certains cas le retour de produits aux États-Unis fut sérieusement envisage. L’industrie du cuir se trouvait confrontée à un surplus mensuel d’environ 9.000 tonnes de cuir, et, de ce fait, disparaissait pendant deux mois du marché acheteur. On reprocha à l’Administration du Plan Marshall d’avoir établi des « liens internationaux excessifs ». Des avances sur les crédits à moyen et à long terme, qui auraient servi à faire démarrer le système, furent sollicitées auprès de la banque d’émission, mais celle-ci refusa. L’industrie de l’acier enregistra également une stagnation des ventes. Si une production annuelle de 9 millions de tonnes d’acier brut dépassait la capacité d’absorption du marché, l’autorisation d’une augmentation de la production jusqu’à 11 millions de tonnes ne se justifiait pas. Dans le cas des huiles et des graisses animales et végétales, un stock de 85.000 tonnes (soit environ 100 M$) avait été accumule et régie a des prix supérieurs de 25 à 30 % à ceux du marché. De nouveaux crédits du Plan Marshall ne pourraient être alloués que si cette « hypothèque » était levée. Seule l’industrie textile considérait sa position à l’égard de l’aide obtenue du Plan Marshall comme relativement favorable58. En ce qui concerne les prix et la quantité, l’industrie textile n’épargnait pas ses critiques a regard du Plan Marshall. Elle supportait surtout de plus en plus difficilement la stipulation selon laquelle 22,5 % des importations devaient être acceptés dans des qualités inferieures, d’autant plus que les autres pays bénéficiant de l’aide Marshall ne devaient accepter de coton de qualité inférieure que pour 13 % de leur attribution59. Avant la guerre, les Allemands n’avaient travaillé que sur de très faibles quantités de coton de qualité inferieure, ce qui signifiait qu’ils ne possédaient pas les machines et les broches appropriées. Les fabricants critiquaient également le prix élevé des produits du Plan Marshall dont l’acquisition centralisée s’effectuait dans le cadre des procédures d’achat en gros60.
58Dès le départ l’industrie textile profita au maximum du Plan Marshall. A la fin de 1948, le coton brut représentait de 16 à 22 millions de dollars de l’aide Marshall. En mars 1949 près des deux tiers de toutes les importations de coton provenaient du Plan Marshall alors qu’avant novembre 1948, sa contribution était presque négligeable. En outre l’annonce dans la presse spécialisée de l’arrivée de nouvelles livraisons de coton avait déjà un impact sur les stocks. En novembre et en décembre les métiers à filer utilisaient davantage de matière première qu’auparavant. Si ces faits sont bien connus61, Borchardt et Buchheim attribuent également le réaffermissement de l’industrie du coton à l’aide du Plan Marshall et considèrent que son incidence sur les prix contribua de façon décisive au succès de la politique de Ludwig Erhard62.
59En fait, il y a tout lieu de croire que cette libération du marché du coton contribua à empêcher que le rationnement ne soit réintroduit dans l’industrie textile (officiellement il n’avait pas encore été supprimé). Mais le Plan Marshall n’était pas le seul facteur à l’origine de cette évolution. La Banque des Länder allemands établissait une distinction entre les raisons psychologiques et les causes objectives qui avaient entrainé le tassement des prix du coton en décembre 1948, et ensuite leur effondrement en janvier 1949, après les pics enregistrés en octobre et novembre63. Consommateurs et fournisseurs s’attendaient évidemment à des baisses de prix puisqu’on les leur avaient promises à plusieurs reprises et que des importations accrues pour le printemps de 1949 avaient été annoncées. Néanmoins la Banque des Länder allemands imputa cette évolution du comportement du marché principalement à des facteurs objectifs. La fin des augmentations publiques de l’offre de monnaie provenant de la réforme monétaire, les restrictions de crédit de la part de la banque centrale, une application plus stricte de l’impôt et l’augmentation temporaire des liquidités dont disposait l’Etat avaient notablement réduit le pouvoir d’achat de certains secteurs de l’industrie. L’entreposage des marchandises était également devenu plus coûteux. Lors du boom qui suivit la reforme monétaire, 1’observateur extérieur trouvait déjà difficile de juger dans quelle mesure la stagnation de la production était le résultat d’un réel manque de matières premières et dans quelle mesure elle était la conséquence de pronostics concernant les futures hausses de prix. Quoi qu’il en soit, les commentateurs suggéraient que l’industrie textile, à leur avis, était particulièrement mûre pour cette combinaison de facteurs64. Le retournement des prix, entre la fin de l’année 1948 et le début de l’année 1949 entraîna l’effondrement de ces stratégies spéculatives, en particulier lorsqu’elles coïncidaient avec une vive hausse du coût de l’entreposage. Mais tant que nous ne disposerons pas d’études réalisées au niveau des chefs d’entreprises, il sera difficile de trancher sur la cause exacte qui amena le revirement de l’industrie textile.
V. Le Plan Marshall en Allemagne
60A mesure que diminuaient, au fil des jours, les espoirs de voir des fonds de placement substantiels affectés à la reconstruction de l’Allemagne de l’Ouest dans le cadre du Programme de Relèvement Economique (PRE), les Allemands, pour leur part, s’appliquaient à se servir, au moins indirectement, du Plan Marshall pour mobiliser les ressources allemandes à des fins d’investissement. Les fonds de contrepartie en Deutsche Marks ont constitué un point de départ, à savoir les sommes en Deutsche Marks que les importateurs devaient réunir pour acheter des marchandises au titre de 1’administration de coopération économique (ACE)65. Dès les tous premiers mois d’application du Plan Marshall, il y a cependant eu une énorme confusion entre les objectifs et l’utilisation effective de ces comptes de contre-valeur en Deutsche Marks.
61Les États-Unis concluaient des « Accords de Coopération Economique » bilatéraux avec la Zone Française, le 9 juillet 1948, et avec la Bizone, le 14 juillet de la même année. Ainsi se trouvait fixé le cadre juridique et politique du programme d’aide à l’Allemagne de l’Ouest ; ces accords prévoyaient également que l’aide en dollars serait remboursée ultérieurement en monnaie forte. Seuls échappaient à cette clause les fonds de contrepartie qui devaient être mis à la disposition des Etats-Unis pour financer des programmes « qui n’étaient pas d’une utilité directe pour l’économie allemande ». Ce sont des recettes à l’exportation que venaient les dollars nécessaires à la conversion obligatoire de ces contreparties en Deutsche Marks, conversion qui devait intervenir « dans les plus brefs délais compatibles avec le rétablissement et le retour à l’équilibre de l’économie allemande » (Article I/3 des accords respectifs)66. En même temps, l’Article 4 des deux accords stipulait qu’il fallait constituer des comptes spéciaux sur lesquels seraient versées les contreparties allemandes, qui seraient mises exclusivement à la disposition des £Etats-Unis, chaque fois qu’ils le jugeraient nécessaire. Conformément à l’Article 115 b 6 de la Loi sur l’Aide Directe des Etats-Unis votée en 1948, on ne pouvait recourir à cette assistance que lorsque les fournitures d’aide « à un pays participant au Plan Marshall s’effectuaient sous forme d’allocations non remboursables67 ». Par voie de conséquence, les accords passés avec les autres pays participant au programme d’aide stipulaient (si des dispositions légales avaient été prises à cet égard) qu’une fraction de l’aide en Dollars accordée sous forme de « dons » plutôt que de « prêts » soit déposée dans ces comptes de contre-valeur spéciaux. Dans ce cas, les États-Unis faisaient don aux pays bénéficiaires de la contrevaleur du change de l’aide reçue. Ils se réservaient cependant la créance morale (et contractuelle) pour influencer de manière décisive l’allocation des fonds de contrepartie dans les monnaies nationales respectives. De cette façon, les Etats-Unis se réservaient le droit d’agir sur les économies nationales des pays assistés. Leur mobile profond était de juguler les velléités d’inflation en Europe par le contrôle des contreparties et de s’assurer, avec tact mais fermeté, que les pays participants ne négligeaient pas la reconstruction de leur économie.
62Dans le cas de l’Allemagne, le droit de regard sur l’utilisation des fonds de contrepartie différait du système habituel. Evitant les termes « dons » et « prêts », le contrat spécifiait « créances sur l’Allemagne », que Paul Hoffmann n’a pas manqué d’interpréter comme « ventes à terme imputées à l’économie allemande68 ». Conformément aux usages commerciaux ordinaires de FACE, dans le cas d’allocations remboursables, il était prévu que les contreparties passent au budget des pays bénéficiaires qui en disposeraient librement sans devoir davantage s’en référer au P.R.E. En fait, l’aide accordée par les États-Unis aux Allemands était cependant assortie de deux conditions d’une part, ces derniers devaient rembourser l’aide en Dollars tirés de leurs recettes à l’exportation, et, d’autre part, Washington se réservait des droits très étendus dans l’allocation des fonds de contrepartie. Le contrat stipulait qu’une fois déduites les dépenses engagées par le Gouvernement Militaire et l’aide acheminée jusqu’à Berlin, les contreparties devaient servir à l’achat de matières premières par le gouvernement américain et les autorités publiques de FACE, ainsi qu’au financement d’investissements en Allemagne. Aussi, en échange de cette allocation de fonds, FACE gardait tous les pouvoirs et droits de contrôle dans ses mains. En dépit du fait que cela était contraire aux usages ordinaires de FACE, les politiciens allemands continuaient de se raccrocher à l’espoir « que les États-Unis n’avaient pas l’intention, en pratique, de respecter à la lettre les régies (régissant les conditions de remboursement)69 ».
63Ces espoirs se trouvaient encore confortés par les allusions que laissaient échapper des fonctionnaires américains, laissant entendre que l’expression « créances sur l’Allemagne » était en vérité un moyen d’empêcher les autres pays de liquider leurs créances sur l’Allemagne dans les traites à venir, alors que les États-Unis s’étaient rendus à l’idée qu’ils ne pouvaient escompter de remboursement ultérieur70. Dans une étude réalisée par l’Administration de Coopération Economique, celle-ci concluait que l’Allemagne de l’Ouest ne serait pas en mesure de rembourser, à brève échéance, les dettes qu’elle avait contractées dans le cadre du Plan Marshall71. À l’occasion de la reconduction de l’Accord bilatéral de FACE qui a suivi la création de la République fédérale d’Allemagne, les Etats-Unis n’étaient cependant pas disposés à confirmer cette interprétation sur le plan juridique dans une note secrète (« Begleitnote »), ni même à exclure de leurs « créances sur l’Allemagne » les sommes prélevées sur les fonds de contrepartie allemands pour couvrir les dépenses qu’entraînait l’occupation72. Les comptes en DM avaient donc pour principale mission d’accumuler les devises allemandes qui serait nécessaire au moment du remboursement et pour leurs transferts en dollars des Etats-Unis.
64L’Organisation Européenne de Coopération Économique (O.E.C.E.) avait plusieurs manières d’utiliser ces fonds de contrepartie. On pouvait distinguer deux lignes de conduite essentielles. Les pays ayant une politique de crédit autonome propre ou des marchés financiers en état de fonctionnement, ne comptaient pas sur le déblocage des fonds de contrepartie. Ces pays ne touchaient jamais aux contreparties débloquées, ou utilisaient les sommes déposées pour rembourser leur dette nationale intérieure flottante. Un second groupe de pays demandait le déblocage des contreparties, soit en raison d’une insuffisance de leur marché financier, soit parce que leur propre système bancaire ne leur laissait pas une marge de manœuvre suffisante sur le crédit ou parce qu’ils ne désiraient pas l’utiliser. Le premier groupe comprenait l’Irlande, l’Islande, les Pays-Bas, la Turquie, la Grèce et l’Autriche ainsi que la Norvège, la Grande-Bretagne et le Danemark, tandis que la France, l’Italie et l’Allemagne de l’Ouest constituaient le second groupe73.
65Etant donné la situation de la monnaie ouest-allemande, la conjoncture régnant sur les marches financiers et le besoin de capitaux à long terme qui se faisait sentir de manière pressante, il était difficile de voir un avantage appréciable dans cette clause spéciale en vertu de laquelle les zones occidentales devaient également constituer des fonds de contrepartie affectés au remboursement des crédits. Elle ne représentait pas non plus une source supplémentaire de ressources au titre du P.R.E.74. Dans leur analyse critique de l’Accord de Coopération Economique, le « Bureau Allemand pour les Questions de Paix75 » et la Bank deutscher Lander76, quoique d’une manière plus modérée, avaient, dès le début, saisi la portée réelle de cette clause spéciale : « celle-ci constitue une limitation considérable du champ d’action de la Bizone sur sa politique de crédit ; il eut été encore plus regrettable de croire que l’allocation de fonds de contrepartie a l’Allemagne résultant de l’importation de produits dans le cadre du Programme de Relèvement Economique soit plus avantageuse que la décision prise par les gouverneurs militaires et le Gouvernement des Etats-Unis quant à leur utilisation77 ». En conclusion, le Bureau Allemand pour les Questions de Paix faisait remarquer que la décision spéciale traduisait avant tout « le désir des Américains... d’exercer une influence déterminante sur la politique de crédit menée par la Bizone en jouant de leur droit de regard sur le compte spécial78 ». Pour ce qui est de l’utilisation des contreparties en DM, ces dernières ont eu un effet restrictif sur la politique de crédit de la Bizone jusqu’au début du second semestre de 1949. Les hauts responsables allemands avaient néanmoins souligné la « grande importance » que « ces sommes en DM » pouvaient avoir, sommes que le grand public appelait souvent, à tort, « fonds du Plan Marshall79 ». Lorsqu’il s’étendait sur la question de l’allocation de contrepartie, Ludwig Erhard soutenait également que les contreparties accordées par le GARIOA « (représentaient) une sorte d’activité d’épargne allemande invisible80 ». Contrairement à cette thèse, les Américains étaient d’abord résolus à utiliser les fonds de contrepartie allemands comme un « fonds de stabilisation ». Ils prétendaient qu’une importante partie de cette monnaie pouvait toujours être retirée du circuit monétaire afin d’exercer une pression déflationniste venant contrebalancer l’inévitable pression inflationniste provenant d’autres causes dans une économie en bonne santé. Si une partie de la monnaie devait être mise en circulation, il faudrait encourager ces projets « qui susciteront une expansion quasi-immédiate de la production en Allemagne81 ».
66Ces principes de base adoptes par le gouvernement militaire américain ne pouvaient s’accorder avec ceux des autorités publiques allemandes responsables de l’économie, dont l’échéancier et les conceptions étaient totalement différents. Les Allemands souhaitaient un déblocage immédiat des contreparties pour financer les investissements à long terme de leur infrastructure. Au début du second semestre de 1949, les signes avant-coureurs d’une réévaluation en cours à Washington transparaissaient dans les directives que Paul Hoffman donnaient à John McCloy, le Haut Commissaire nouvellement nomme. Se basant sur « les derniers indices d’une poussée deflationniste », il avait demandé à McCloy de suivre attentivement le rapport existant entre la pénurie de capitaux à long terme et le chômage en Allemagne de l’Ouest, et de faire les recommandations qui s’imposaient. En même temps, les Américains continuaient néanmoins de croire qu’il était manifestement capital « d’instaurer et de maintenir la stabilité financière, un système bancaire rationnel et des politiques d’investissements de grande envergure82 ». Dans le mémorandum intitulé « Politique Monétaire en Allemagne de l’Ouest83 », qui fut, de ce fait, rédigé à Francfort, on mentionnait que les contreparties en DM n’avaient joué qu’un rôle secondaire. En revanche, on préconisait, à titre de mesure préliminaire, de modifier, dans les plus brefs délais, l’ensemble des dispositions légales qui auraient pu freiner l’expansion du crédit. Les experts nommés auprès du gouvernement militaire américain jugeaient qu’il était nécessaire de relever le crédit si la situation sur le marché de l’emploi ne s’améliorait pas. Dans une telle éventualité, il était envisagé de conférer à la Reconstruction Loan Corporation tous les pouvoirs réglementaires nécessaires pour accorder elle-même des prêts à long terme et pour émettre des effets que les banques commerciales devraient acheter afin de générer un crédit indirect. Gravement préoccupé par « la stagnation manifeste de l’économie ouest-allemande », qui persistait depuis janvier 1949, le Gouvernement Militaire jugea nécessaire de signaler, expressément que les dispositions réglementaires du Plan Marshall n’interdisaient pas au gouvernement allemand de neutraliser les tendances déflationnistes par une expansion du crédit public. En outre, la Loi sur l’Aide Directe de 1948, qui réclamait que le budget soit équilibré « dès que possible », réaffirmait son soutien à cette politique.
67De plus, la mission de FACE à Paris ne ménageait pas ses efforts pour inculquer aux Allemands ce qu’elle considérait être « la clef de la solution aux problèmes économiques allemands » : « ... une expansion plus soutenue du crédit tout en orientant simultanément le pouvoir d’achat vers les produits intérieurs, le logement en particulier ». L’ACE était convaincue qu’il était possible de porter le développement de tous les secteurs de l’économie allemande tributaires de la production intérieure jusqu’à la limite de leurs capacités de production84. Cette position se démarquait ouvertement des politiques prônées par Ludwig Erhard et la Banque d’Emission. Tous deux avaient conscience que ce serait une erreur que de vouloir stimuler l’économie par le lancement de programmes de travaux publics. Ils étaient persuadés que la solution au problème du chômage, qui était un problème « structurel », ne résidait pas dans la mise en œuvre de programmes visant le développement du secteur national. Au contraire, ces programmes ne feraient qu’augmenter le déficit de la balance des paiements allemande. Les Allemands sont parvenus à résister aux pressions des Américains jusqu’au printemps de 1950, période à laquelle il semble qu’ils se soient rendus à l’avis de la Haute Commission. Bien que depuis l’automne de 1949, le Haut Commissaire Américain ait débloqué une fraction des contreparties en Deutsche Marks, cette mesure, selon lui, n’était qu’un moyen d’inciter le gouvernement de la République Fédérale à mettre en place un vaste programme de développement du crédit : « Nous devons continuer à employer toutes nos énergies à mettre sur pied un programme de l’emploi plus approprié, mais pour ce faire, nous devons être à même de contribuer au succès de ce dernier par le déblocage des fonds de contrepartie, en temps opportun85 » ; entre-temps, à Washington, les critiques portées contre la politique d’investissement menée par le gouvernement allemand prenaient le tour d’une nouvelle analyse plus essentielle. Dans un mémorandum rédige conjointement, l’ACE à Washington et le Département d’État se déclaraient convaincus que si un haut degré d’auto-investissement était surtout préjudiciable au secteur de la construction de logements et au commerce d’exportation, il favorisait, par contre, Pessor des industries de luxe86.
68Au printemps 1950, le système fiscal régressif en était venu à décourager les contribuables, tandis qu’une très mauvaise répartition du pouvoir d’achat s’accompagnait d’une consommation effrénée de produits de luxe ; il en résultait un déficit de la balance des paiements qui allait à l’encontre des mesures libérales prônées par les Américains et qui incitait ces derniers à considérer l’Allemagne comme l'homme malade d’outre-Rhin. Les Américains recommandèrent d’imposer plus fortement les tranches supérieures de revenus et d’appliquer des droits de consommation élevés sur les articles de luxe. Ils conseillèrent également d’accorder des dégrèvements fiscaux aux personnes qui pla9aient leurs bénéfices dans les obligations à long terme de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW) ; de plus il fallait supprimer Paide alimentaire. Toutes ces mesures avaient pour but de permettre au gouvernement de la République fédérale et à la Banque pour la Reconstruction et le Développement d’augmenter leurs investissements, sans faire ressurgir le spectre de l’inflation. Les fonds seraient consacrés au financement d’un vaste programme de modernisation des voies publiques (non des Autobahns !), ainsi qu’à la mise en culture de terres côtières et au financement de crédit destines aux petites entreprises et aux réfugiés. Les sources de financement étaient celles habituellement utilisées par le gouvernement et le système bancaire : à savoir les investissements directs dérivés du budget et l’émission de monnaie par la Bank deutscher Länder. Pour finir, on avait aussi envisagé de débloquer les contreparties en Deutsche Marks, mais ces crédits devaient se limiter à la construction de logements, aux petites entreprises et à l’agriculture. Le secteur de l’énergie électrique restait momentanément les mains vides, bien que le Ministre charge du Plan Marshall, Franz Blücher, ait remis cette question sur le tapis. En matière de politique financière, le mémorandum se fondait sur une décision de principe général, qui avait pris corps depuis l’été de 1949 ; on ne pouvait feindre d’ignorer les menaces d’inflation que faisait peser un accroissement de la masse monétaire. D’autre part, il semblait manifeste qu’en Allemagne, à l’époque, les forces déflationnistes dépassaient les forces inflationnistes. Par conséquent, il était admissible et nécessaire d’augmenter la masse monétaire, dans une certaine mesure, afin de stimuler 1’investissement a la production et de diminuer le chômage.
69Dans d’autres mémorandums qui suivirent, on ne cessait de recommander que la banque centrale soit autorisée à développer le crédit sans s’inquiéter ; en outre, les relations entre le gouvernement et la Bank deutscher Lander devaient être éclaircies à cet égard87. Les experts américains nommés auprès de la Haute Commission et l’Administration de Cooperation Economique avaient tendance à reprocher aux Allemands « une certaine dose d’amateurisme » dans la manière dont ils menaient la politique de crédit intérieur88. Les Américains et les Britanniques estimaient que la politique de leurs partenaires allemands manquait de solidité du fait qu’ils s’obstinaient à considérer les fonds de contrepartie comme l’unique source de financement à long terme des investissements. Cela était d’autant plus incompréhensible que les Allemands n’utilisaient pas des fonds étrangers, mais leurs ressources propres pour financer leurs investissements. Les contreparties en Deutsche Marks n’étaient rien d’autre qu’une mobilisation des ressources disponibles dans l’économie nationale.
70Tant que ces ressources restaient inemployées, et les deux millions de chômeurs en témoignaient largement, cette mobilisation n’était pas dangereuse sur le plan de la politique financière. Si elles devaient, cependant, servir à d’autres fins économiques telles que la consommation de produits de luxe dont les Américains se méfiaient tant, il serait alors nécessaire de redistribuer ces ressources en appliquant une politique monétaire, fiscale et financière appropriée. La Haute Commission était prête à revoir toutes les limitations d’ordre institutionnel qui découlaient tant de la réforme monétaire que de la loi sur la Bank deutscher Lander. Le gouvernement de la République Fédérale rejetait cette proposition pour des raisons politiques. Faute d’avoir élaboré des solutions de rechange aux contre-valeurs en Deutsche Marks, les Allemands non seulement mettaient un frein à la reconstruction des industries des secteurs primaire et secondaire, mais laissaient aussi à la Haute Commission et à l’ACE le soin de prendre la plupart des décisions en matière d’investissements. Dans le programme de mesures intérimaires établi pour l’année 1949, qui était toujours financé par les fonds de contrepartie accordés au titre du GARIOA, le Bureau de Contrôle de la Bizone (BICO) avait suspendu les crédits à 1’investissement prévus pour la branche des roulements à bille, mais les deux millions de dollars qui lui avaient été affectés représentaient un montant dérisoire. A une seule exception près, le BICO avait également annule tous les projets énergétiques dans les services d’électricité a usage collectif. Le facteur déterminant, dans ce cas, n’a probablement été qu’un des objectifs des responsables américains charges de la planification de 1’investissement consistait à empêcher « les municipalités de vivre dans un luxe dispendieux » à la Weimar ; on supposait, à tort, que les services municipaux appartenaient à cette catégorie89.
71La mission de FACE à Francfort n’avait pas hésité à faire pression pour corriger le courant de pensée néo-libéral de Ludwig Erhard, qui leur semblait par trop « doctrinaire » et qui relevait de l’idéologie du « laissez faire90 ». En effet, après la réforme monétaire, le financement des investissements par les contreparties demeurait le dernier bastion où l’Etat exerçait son contrôle sur les investissements. Bien qu’après la réforme monétaire, les modérés parmi les autorités publiques en charge de l’économie continuaient de croire au contrôle économique averti de l’Etat, ils ne se référaient aux « directives applicables à la planification des investissements » que de manière confidentielle dans les accords non officiels conclus entre le Ministère de l’Economie et la Banque pour la Reconstruction de l’Économie, institution qui avait été spécialement fondée pour gérer les contreparties91. Les Américains souhaitaient cependant vivement que les contreparties ne soient utilisées que dans le cadre économique d’un plan général d’investissements. Si bien qu’on ne fut pas étonné d’apprendre qu’Hermann J. Abs, Directeur de la Banque pour la Reconstruction, avait découvert un petit secteur de la planification en Allemagne de l’ouest profondément enraciné dans l’expérience générale néo-libérale92. Pour le Ministère de l’Economie, ces contreparties avaient également 1’avantage de constituer la dernière réserve et pouvait servir à corriger une mauvaise orientation des flux de capitaux sur le marché, tout en permettant à Ludwig Erhard de ne pas devoir reconnaître cette position de recul.
72De 1949 à 1952, les contreparties accordées à l’Allemagne au litre du Plan Marshall équivalaient à 5,5 % du financement des investissements bruts de l’industrie, ce qui n’était pas un pourcentage très élevé. Mais ces fonds servaient principalement à briser les goulots d’étranglement qui paralysaient les secteurs de l’infrastructure et des biens de production ; ils mobilisaient aussi des crédits supplémentaires provenant des institutions bancaires. Pour commencer, une part énorme des fonds débloqués était destinés à financer les investissements dans l’industrie des charbonnages, ils servaient ensuite à couvrir les dépenses engagées pour la modernisation des chemins de fer de la République Fédérale (« Bundesbahn ») et celles consacrées à l’industrie sidérurgique. Après le déclenchement de la Guerre de Corée, on a assisté à une redistribution des fonds privilégiant la sidérurgie. Dans le contexte d’un regain de tensions sur la scène internationale, les limitations de la production que le Plan concernant l’industrie faisait peser sur l’industrie lourde, furent levées au nom de la « défense du monde libre ». De ce fait, une période de reprise s’annonça même dans les secteurs de l’économie qui avaient subi un déclin depuis les réformes économiques de 1948. Alors que les secteurs de l’industrie des biens de consommation étaient en mesure d’autofinancer leurs investissements, il était toujours interdit à différents secteurs de l’industrie des biens de production, tels que les charbonnages, la sidérurgie et la production d’énergie de satisfaire leurs besoins financiers en rajustant les prix du marché. Ici aussi, les fonds de contrepartie, bien qu’ils fussent encore insuffisants, jouèrent un rôle déterminant.
73Au début des années 50, le lien associant les institutions du Plan Marshall à la promotion des investissements nationaux revêtait également une signification psycho-politique. Ce lien tranquillisait les citoyens allemands qui avaient toujours eu la crainte, d’ailleurs justifiée, que le crédit public n’engendre 1’inflation. Même si, s’agissant du financement de la formation de capital, cette crainte était sans fondement, compte tenu du chômage et des capacités de production inemployées, cette stratégie prudente était de nature à dissiper la peur encore latente de l’inflation. Le fait que la banque centrale fût à tout moment capable de s’opposer au désir du gouvernement de développer le crédit, plaidait également en faveur de l’allocation de crédit provenant des comptes de contre-valeur. Ceci se pratiquait couramment pour des raisons monétaires, en dépit du fait que le cadre juridique, étroit dans sa définition, l’aurait autorisée. Ces limites auraient pu être repoussées pour ce qui est de la politique d’occupation, mais ce n’était pas souhaitable du point de vue de l’économie politique. Même si dans la phase initiale de la reconstruction, personne n’avait contesté l’importance capitale que revêtait la promotion des investissements par l’Etat, la liaison entre cette dernière et le Plan Marshall n’entraînait pas de nécessités économiques irréversibles. L’utilisation des fonds de contrepartie pour financer les investissements économiques à long terme n’a effectivement « pas constitue la pièce maîtresse du mécanisme du Plan Marshall », comme le faisait remarquer, de manière critique, un haut fonctionnaire du Ministère de l’Économie93.
VI. Aider les pays européens dans leurs efforts de reconstruction
74Le Plan Marshall n’a pas produit 1’etincelle initiale permettant de déclencher le relèvement de l’économie en Allemagne de l’Ouest. En visant à rétablir l’équilibre en Europe et donnant ainsi naissance au Plan Marshall, la politique américaine a été à l’origine de la reconstruction allemande. Les États-Unis pouvaient compter sur les importantes ressources de l’Allemagne de 1’Ouest qui avaient survécu à la guerre, mais étaient hypothéquées par la dette contractée par l’Allemagne au titre des réparations. Le Gouvernement Militaire basé à Francfort, pragmatique et intéressé, commença à s’opposer aux mesures restrictives imposées par la politique officielle d’occupation en mettant en pratique une approche constructive de la reconstruction. Au début de 1947, tous les efforts déployés par les Américains pour rétablir l’équilibre en Europe occidentale, se concentrèrent sur l’Allemagne de l’Ouest. Le processus de reconstruction de l’Allemagne s’était enclenché bien longtemps avant l’arrivée des premiers envois d’aide dans le cadre du Plan Marshall et sans bénéficier de ressourcés étrangères94.
75Cette conclusion tenait compte des importations massives de denrées alimentaires qui étaient devenues indispensables à la survie physique de la population ouest-allemande. Mais en regard de l’entrée de l’aide alimentaire, il fallait placer la sortie de ressources allemandes sous forme de butin de guerre et de produits pillés, de réparations visibles et « dissimulées », et d’exportations obligatoires et « invisibles ». A ceci venaient s’ajouter les restrictions et interdictions imposées à l’activité économique, le coût des mesures prises par les autorités d’occupation ainsi que les répercussions du partage de l’Allemagne et la « réinstallation » de la population allemande, quittant les zones ayant une agriculture excédentaire pour celles bénéficiant de subventions à l’agriculture95. Du fait des retranchements opérés sur les ressources allemandes durant la période de l’après-guerre, les importations au titre du programme GARIOA et les contributions britanniques qui intervinrent ensuite constituaient une nécessité96.
76Le Plan Marshall a soulagé l’Allemagne du fardeau qui paralysait son potentiel économique depuis la fin des hostilités. Pour y parvenir, on a dédommagé les créanciers de leurs demandes de réparations, mis fin aux livraisons prélevées sur la production courante, réduit les exportations « dissimulées » et ce faisant, on réintégrait progressivement l’Allemagne de l’Ouest dans ses droits à disposer de ses propres ressources. Les conditions matérielles concourant à une renaissance économique de 1’apres-guerre n’étaient nullement défavorables. Certes, l’économie ouest-allemande était désorganisée, paralysée par les goulots d’étranglement gênant les secteurs de la production et des transports, affaiblie par la famine. Elle n’avait cependant pas gravement souffert, en substance, et n’était certainement pas sous-développée. Mais cela ne voulait pas dire pour autant que le relèvement et la croissance économique se produiraient automatiquement. L’exemple négatif illustre par la République de Weimar97 a clairement montré qu’un potentiel économique donné ne pouvait être réalisé qu’en instaurant un climat économique et politique favorables. C’est le Plan Marshall, et non l’aide matérielle accordée par ce dernier, qui ont créé ces conditions. En effet, même les marchandises disponibles pendant les mois critiques qui ont suivi la réforme monétaire ne provenaient pas des livraisons effectuées dans le cadre du Plan Marshall. En fait, l’annonce de l’envoi de vivres a eu pour véritable effet d’entraîner la mise en circulation de stocks allemands de matières premières et de marchandises, neutralisant de ce fait la pression inflationniste qui s’exerçait sur la nouvelle monnaie. Ceci doublé des interventions monétaires effectuées par la banque centrale aurait pu, dans certains cas, sauver l’économie de marché instaurée par Ludwig Erhard des périls que représentaient le contrôle des prix et la planification de la production. En d’autres termes, le Plan Marshall n’a jamais constitué le pivot de la reconstruction économique ni durant la période d’accélération de la production qui a précédé la réforme monétaire, ni durant la période difficile du passage à l’économie de marché qui lui succéda.
77Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, dès les premiers mois de la mise en œuvre du Plan Marshall, Ludwig Erhard et ses partisans aient contesté la valeur de l’aide accordée à l’Allemagne de l’ouest dans le cadre de ce Plan, une fois leurs espoirs initiaux déçus sur toute la ligne : « Le Programme de Relèvement Économique et l’aide directe n’ont nullement contribué à la renaissance du pays (soit dit en passant et contrairement à d’autres pays participant au Plan Marshall). Durant la première année de leur application, ils ont permis aux habitants de Berlin Ouest de subsister ; durant la seconde (année), ils ont contribué à un accroissement des fournitures et à la reconstruction des usines, sans toutefois être en mesure d’augmenter le produit national. Le mieux qu’on puisse dire est qu’ils ont permis à la consommation mensuelle par habitant d’augmenter de deux Deutsche Marks (et ce uniquement grâce à une distorsion des prix, qui a influé sur le relèvement de la production et du produit national). « C’est par nos seuls efforts » que le relèvement économique a pu être réalise98. Selon les prévisions de Ludwig Erhard et de son Conseil de rédaction, environ 10 % seulement du supplément de fournitures et d’installations industrielles étaient directement imputables à l’assistance étrangère, durant la seconde année de mise en œuvre du Plan Marshall, ce pourcentage était nul pour la première année99. Cette position reflétait avec justesse le transfert matériel de ressources, et avait principalement pour but de reconnaître que les mutations qu’a connues l’économie politique sont à la base du relèvement de l’Allemagne de l’Ouest. Pour les mêmes raisons, cette position ne tenait cependant pas compte du fait que la portée essentielle du programme américain de reconstruction résidait, pour l’Allemagne de l’Ouest, dans ses effets sur la politique des autorités d’occupation et sur le cadre international dans lequel s’est opéré le redressement (marchés mondiaux).
78Un facteur déterminant, à cet égard, résidait dans le fait que le Plan Marshall était censé créer les conditions favorables à une solution du problème des réparations de guerre, les réparations « dissimulées », en particulier – jusqu’au mois d’octobre 1947, l’essentiel des exportations allemandes appartenaient à cette catégorie100-, compromettaient l’objectif des Américains qui était de renforcer l’économie et la politique ouest-allemandes à un tel degré, qu’elles ne contribueraient plus à déstabiliser l’Europe. Le Plan Marshall avait pour but de permettre aux Américains de mettre fin aux réparations. Ces derniers étaient résolus à purger l’hypothèque dont les Allemands endossaient la responsabilité depuis les accords de Potsdam et ce, à l’avantage des Nations Unies et pour le dédommagement de créanciers. Si la France n’était pas l’unique cible de cette politique, elle en était à coup sur la plus importante101.
79Durant le dernier trimestre de 1947, Paris avait reçu pour 337 millions de dollars de crédits, sous forme d’avances au litre du Plan Marshall ; de plus, le 2 janvier 1948, on promettait a la France une aide intérimaire équivalant à 280 millions de dollars. En vertu de la Loi sur l’Aide Directe de 1948, la France devait bénéficier d’un montant supplémentaire de 998 millions de dollars. La Zone Française, qui, le 18 janvier 1948, était devenue membre de l’Organisation Européenne de Coopération Economique, devait recevoir 100 millions de dollars supplémentaires. Avant la fin du Programme de relèvement Économique, la France avait hérité, en fin de compte, de la coquette somme de 3,104 milliards de dollars au litre de l’aide économique.
80Une fois la France intégrée dans le Plan Marshall, il était plus facile pour le gouvernement français de renoncer à un maximum de prétentions politiques vis-à-vis de l’Allemagne, prétentions que les trois puissances alliées toutes ensemble, dans la coalition centre Hitler, avaient quelque temps rejetées, les jugeant excessives. La France parvint néanmoins à réaliser un certain nombre de ses objectifs, à savoir l’annexion économique de la Sarre, la création du Commissariat International de la Ruhr et la signature du Pacte de Sécurité de Bruxelles. Dans ce contexte marqué par l’émergence d’une division Est-Ouest de l’Europe et le démembrement du Reich allemand, Paris avait moins de difficulté à consentir à l’union économique des trois zones et, finalement, à la création d’un État ouest-allemand. La zone d’occupation était devenue caduque en tant que territoire à sacrifier en échange de la sécurité politique et économique. Avec 1’aide économique des Américains, il n’était plus possible de maintenir la zone en tant qu’entité politique autonome ; et sans le Plan Marshall, il n’était certainement pas possible d’assurer sa survie économique102.
81Le Plan Marshall a donné naissance à de nouvelles formes de coopération économique internationale et de réglementation de la politique commerciale, qui ont facilité la réhabilitation de la République fédérale d’Allemagne et lui ont permis de faire, à brève échéance, sa réapparition sur les marchés mondiaux. Le rôle prépondérant joue par la République fédérale dans l’instauration d’un système libéral d’échanges multilatéraux faisant intégralement partie du Plan Marshall, exigeait de lourdes charges, qui n’auraient pu être assumées sans la pression exercée par l’Organisation Européenne de Coopération Économique. Ces objectifs n’auraient pu être poursuivis avec succès sans le soutien apporté par le Programme de Relèvement Economique.
82Les fortes demandes de droits de tirage allemands incitaient les partisans d’une libéralisation radicale du commerce extérieur allemand à « prendre le risque d’ouvrir les portes ». Dans la mesure où cette libéralisation des échanges impliquait précisément le risque d’une aggravation de la balance des paiements dans les circonstances spéciales de l’après-guerre, la généralité de 1’aide économique américaine offraient des conditions d’autant plus favorables. Les Allemands avaient une opinion positive du Plan Marshall en dépit d’une inégalité dans la répartition intra-européenne des charges de l’aide économique103. C’est l’expansion sans pareille du commerce extérieur, provoquée par l’essor de la Corée dans le monde, qui a été néanmoins à l’origine du progrès décisif réalisé vers une croissance économique autonome, acquise en 1952. Les efforts déployés pour jouer un rôle prépondérant dans la reprise économique ne pouvaient être que renforcés par le maintien de la politique de libéralisation qu’avaient entreprises les institutions, sous les auspices du Plan Marshall. Cette évolution a abouti a la naissance d’un système économique international qui, pendant des dizaines d’années, a répondu aux besoins de l’industrie ouest-allemande et a fortement contribué à la prospérité allemande.
83Le Plan Marshall a joué un rôle tout aussi important dans la réorganisation du système économique entreprise en Allemagne de l’Ouest104. Les États-Unis n’étaient nullement intéressés par l’idéologie qui sous-tendait le programme de Soziale Marktwirtschaft applique par Ludwig Erhard. Désormais l’attention toute entière de Washington se portait sur le rétablissement de l’équilibre politique et économique en Europe ; les moyens utilisés pour y parvenir étaient des moyens pragmatiques. En ce qui concerne l’Allemagne de l’Ouest, le programme néo-liberal de Ludwig Erhard avait l’avantage de pouvoir être réalisé sans recourir nécessairement à un réaménagement du cadre institutionnel, qui se serait avéré complexe et aurait fait l’objet de nombreuses controverses. Une fois la guerre de Corée déclenchée, les Etats-Unis exigèrent une augmentation des contributions pour assurer la défense du monde occidental. Pour ce faire, une révision de 1’economie de marche semblait s’imposer, ce que Washington réclamait à grands cris depuis le printemps de 1950.
84Il serait facile d’allonger la liste des effets directs et indirects que le Plan Marshall a eu sur 1’economie de 1’Allemagne de 1’Ouest, surtout en raison du fait que les facteurs politiques, dans leur essence, ne doivent pas être considérés séparément105. Au cœur de son activité économique, le Plan Marshall a cependant aidé l’Allemagne à s’aider, dans le vrai sens du terme. Il lui a permis de se redresser en puisant dans ses propres ressources et capacités et, dans la foulée, a contribué au rétablissement de l’équilibre en Europe occidentale.
Tableau 2 Evolution des immobilisations industrielles brutes dans la zone d’occupation économique anglo-américaine (bizone), 1936-1948 (1936 = 100)
Immobilisations brutes 1936... | 100 |
Investissement industriel brut (reel) 1936-1945 en pourcentage de 1936 | + 75,3 |
Amortissement économique (réel) 1936-1945 en pourcentage de 1936 | – 37,2 |
Destructions dues à la guerre (réel) en pourcentage de 1936... | – 17,4 |
Immobilisations brutes 1945... | 120,6 |
Investissement industriel brut (reel) 1946-1948 en pourcentage de 1936 | + 8,7 |
Amortissement économique (réel) 1946-1948 en pourcentage de 1936 | – 11,5 |
Restitution (réelle) 1945-1948 en pourcentage de 1936 | – 2,4 |
Démontages (réel) 1945-1948 en pourcentage de 1936 | – 4,4 |
Immobilisations brutes 1948 | 111,1 |
Source : W. Abelshauser, Wirtschaftsgeschichte der Bundesrepublik Deutschland, 5e éd., Francfort/Main, 1989, p. 20.
Tableau 3 Ratio des immobilisations nettes/brutes (« rendement ») dans le secteur industriel (territoire fédéral)
Année | Mines et industries de base | Biens d’équipement | Industrie (total) |
1924 | 52,8 | 54,1 | 53,8 |
1929 | 51,4 | 52,1 | 53,1 |
1935 | 48,5 | 47,1 | 49,7 |
1939 | 54,4 | 51,4 | 53,5 |
1945 | 63,7 | 62,8 | 61,3 |
1949 | 56,3 | 57,4 | 55,7 |
1957 | 59,6 | 68,0 | 62,6 |
Source : Krengel, Rolf, Anlagevermdgen, Produktion und Beschäftigung im Gebiet der Bundesrepublik von 1924 bis 1956, Sonderhefte des DIW, 42, Berlin 1958, p. 79.
Notes de bas de page
1 C’était la conclusion d’une étude plus recente effectuee par Ymanuel Wexler qui, vantant les mérites du Plan Marshall, le qualifiait d’« un des plus grands romans économiques a succès des temps modernes, » voir Ymanuel Wexler, The Marshall Plan Revisited : The European Recovery Program in Économic Perspective (Westport, CN, 1983), p. 255.
2 Werner Abelshauser, « Wiederaufbau vor dem Marshallplan : Westeuropas Wachstumschancen und die Wirtschaftsordnung in der zweiten Hälfte der vierziger Jahre », Vierteljahrshefte fur Zeitgeschichte, vol 29, n° 4 (1981), 545-78.
3 Voir I’Article VIII de 1’Accord de Cooperation ficonomique signe entre le gouvernement des fstats-Unis et les gouverneurs militaires représentant les zones d’occupation americaines et britanniques en Allemagne, 14 juin 1948, cite d’ECA-Deutschland, ed., Deutschland und das Europäische Wiederaufbauprogramm : Die wichtigsten Dokumente (Frankfurt/M., 1949), p. 103.
4 Frankfurt/M, 27 janvier 1949, p. 2, Bundesarchiv (archives fédérales) (reprises ci-après sous les initiales BA), B146/189.
5 Ibid.
6 Frankfurt/M., 7 janvier 1949, BA, B 146/189.
7 « Dollar-Gift, » Editorial d’avril 1951, L. Erhard, E. Hielscher, M. Schonwandt, eds., Wahrung und Wirtschaft, Unabhängiges Forum fur Wirtschaft – Wissenschaft, – Praxis, – Politik, vol. 2, n° 40 (1951), 437 ; voir aussi « Geschichte und Geschichten vom Marshallplan, » ibid. n° 25/26, 93-98.
8 « Die Fundamente sind gelegt », 5 janvier 1949, Öffentlicher Anzeiger für das Vereinigte Wirtschaftsgebiet, vol. 2, n° 1 (Frankfurt/M., 1949), 1.
9 OECE, Rapport Interimaire sur le Programme de Relèvement Européen, Paris, 30 décembre 1948, vol. 1, 52, 85, 24243.
10 Wexler, Marshall Plan, p. 252.
11 Werner Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland 1945-1948, Schriftenreihe der Vierteljahrshefte fur Zeitgeschichte, vol. 30 (Stuttgart, 1975), pp. 35-42.
12 Ibid., pp. 45-51.
13 Ce sont deux conclusions essentielles de l’ouvrage d’Alan Milward, voir The Reconstruction of Western Europe 1945-1951 (London 1984), pp. 465-70, et de même, « Was the Marshall Plan Necessary ? » Diplomatic History, vol. 13, n° 2 (printemps 1989), 231-53 ; voir egalement Abelshauser, « Wiederaufbau vor dem Marshallplan, » 35-42.
14 Voir « The Marshall Plan and Key Economic Sectors : a Microeconomic Perspective », in The Marshall Plan and Germany, ed. par Charles S. Maier, New York, 1991, p. 410-451.
15 Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland, p. 169 (note de bas de page 11).
16 Voir, par exemple, Heiner Adamsen, « Investitionshilfe für die Ruhr ; Wiederaufbau Verbande und Soziale Markwirtschaft 1948-1952 », in Düsseldorfer Schriften zur Neueren Landesgeschichte und zur Geschichte Nordrhein-Westfalen, vol. 4, (Wuppertal, 1981), en particulier les chapitres II et III ; Werner Abelshauser, Der Ruhrkohlenbergbau seit 1945 ; Wiederaufbau, Krise, Anpassung (Munich, 1984), notamment le chapitre II ; voir aussi Manfred Pohl, Wiederaufbau, Kunst und Technik der Finanzierung (Frankfurt/M., 1973). Manfred Pohl, Wiederaufbau : Kunst und Technik der Finanzierung 1947-1953 ; die ersten Jahre der Kreditanstalt fur Wiederaufbau.
17 Voir, par exemple, Mathias Manz, Stagnation und Aufschwung in der französischen Besatzungszone 1945-1948, Beit rage zur südwestdeutschen Wirtschafts-und Sozialgeschichte, vol. 2 (Ostfildern, 1985) ; Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland ; idem, Ruhrkohlenbergbau ; Adamsen, Investitionshilfe ; on ne trouve néanmoins aucune forme « naive » d’une « approche macroéconomique » dans l’ouvrage.
18 Robert R. Bowie, « Memorandum adressé au Général Clay, ayant pour objet le « Rapport d’une enquete sur le terrain de I’administration regionale en Baviere, » 5 juin 1945, WW II RC 10-3/1.
19 John K. Galbraith, A life in our Time (Boston, 1981), p ; 226.
20 NA, 740.00119 Control (Germany)/5-2345.
21 John Gillingham, « The « Deproletarization » of German Society ; Vocational Training in the Third Reich », Social History (mars 1986).
22 Werner Abelshauser, Wirtschaftsgeschichte der Bundesrepublik (Frankfurt/M., 1983), p. 25 et suiv.
23 Jean Edward Smith, ed., The Papers of General Lucius D. Clay, vol. 1 (Bloomington IN, 1974), pp. 305 et suiv..
24 Abelshauser, Ruhrkohlenbergbau, pp. 36-43.
25 Hoffman à Clay, 23 juin 1948, NA Record Group (RG) 286, ECA, Germany, box 4.
26 (Copie) confidentielle et personnelle de Draper à Royall et Vorhees (sic) Frankfurt, 1er juillet 1948, NA, RG 286, Germany. Box 4.
27 Notes de E.T. Dickinson (Directeur de I’Administration de Cooperation Economique, Division de la Coordination des Programmes) sur la mission militaire aupres de PAdministration de Cooperation Economique adressees a la bizone, et datées du 2 au 12 août 1948, NA, RG 286, Countries – Germany, mai-août 1948, Asst. Administrator for Programs, Subjects files, box 19.
28 Ces observations avaient aussi été clairement formulées comme telles dans une lettre de Hoffman à Royall, en date du 10 septembre 1948, NA, RG 286, Countries – Germany, Ast. Administrator for Programs, Subject files, box 19.
29 Notes sur la mission militaire aupres de l’Administration de Coopération Économique, voir la note de bas de page n° 27 ; c’est le compte rendu in extenso des déclarations de Clay.
30 On peut trouver ces commentaires dans une lettre datée de la fin du mois d’août 1948, NA, RG 286, Countries – Germany, Asst. Administrator for Programs, Subject files, box 19.
31 Hoffman au Secrétaire militaire, projet non daté (10 septembre 1948), voir la note de bas de page n° 28.
32 Voir la note de bas de page n° 30.
33 Memorandum intitulé « Contribution de la Bizone a l’aide accordée au titre du Programme de Relàvement Economique », Ambassade de Grande-Bretagne (à Washington), 27 aout 1948, NA, RG 286, Countries – Germany, mai-août 1948, Assistant Administrator for Programs, Subject files 1948-50, box 19.
34 Du point de vue allemand, ceci constituait une faute probante (« Konstruktionsfehler ») du Plan Marshall : c’est ce qu’avait fait remarquer a maintes reprises, de manière delibérée le Dr. G. Reiser, en tant que Ministerialdirigent, expert auprès du Programme de Relèvement Economique du Verwaltung fur Wirtschaft, voir, par exemple, « Korreferat über das « Long-term Program und die amerikanische Politik », 1/2 septembre 1949, BA, B 146/171.
35 Ambassade de Grande-Bretagne (Washington) voir la note de bas de page n° 33.
36 Werner Abelshauser « Der Kleine Marshallplan : Handelsintegration durch innereuropaische Wirtschaftshilfe 1948-1950 », in : Helmut Berding, ed., Wirtschaftliche und politische Integration in Europa im 19 und 20 Jahrhundert (Geschichte und Gesellschaft, Sonderheft 10) (Gottingen, 1984) pp. 212-224.
37 La Bizone était supposée accorder un montant net de 10,2millions de dollars (en contreparties en DM), alors que la zone française devait recevoir 0,8 million de dollars (en devises européennes). Pour l’ampleur de l’aide économique allemande accordée aux « pays déficitaires » européens, voir Abelshauser, « Der Kleine Marshallplan, » Tableaux 3 et 4.
38 Selon le calendrier initial, qui n’a pas été revu avant décembre 1949, la réduction globale était supposée atteindre 63 %, voir Landerrat des Vereinigten Wirtschaftsgebietes (VWG), M 1-1, N° 29/49, Die Aufteilung der Dollarhilfe und der innereuropaischen Hilfe für das Jahr 1949/50, 5 septembre 1949, BA Z 14/41.
39 Herbert Martini à von Mangoldt (délégation de la Bizone auprès de PACE à Paris) 12 août 1949, BA, Z 14/46.
40 C’était l’analyse faite par Henry S. Reuss dans un memorandum confidentiel rédigé suite à un voyage d’inspection, 27/28 septembre 1949 ; NA, RG 286, Germany, Box 4.
41 Lettre confidentielle de Paul Hoffman à John McCloy, datée du 13 juillet 1949, NA, RG 286, Germany-Administrator, Box 4.
42 Dr. G. Reiser, Konstruktionsmangel des Marshallplans, Tableau 1, BA, B 146/171.
43 Projet d’allocution du Dr. Pûnder, Oberdirektor, devant le Comité du Programme de Relèvement Économique, 7 septembre 1948, BA, Z 14/8.
44 BA, Z 32/10, fol. 83.
45 Note confidentielle sur les débats entre parties du Programme de Relèvement Economique, 7 septembre 1948, BA, Z 14/8.
46 « Probleme um den Marshall-Plan », Handelsblatt, n° 61, 22octobre 1948, 2.
47 « Schiffbruch-Gefahr des MarshalIplans », Handelsblatt, n° 80, 31 décembre 1948, 10.
48 Ibid.
49 3 mars 1949, BA, Z 14/85.
50 « Cottonmaschinen in Westdeutschland », Handelsblatt, n° 25, ler avril 1949.
51 On peut trouver ce genre de griefs exposés dans une lettre du Ministre de l’Économie de la zone française adressée le 28 mai 1949, au Colonel Halff, Chef du Département du programme de Relevèment Économique au sein du Gouvernement Militaire Franfais, BA, Z 14/14b.
52 Voir, par exemple, l’article intitule « Unausgenutzte Marshall-Gelder : Rund 250 Millionen Dollar unausgenutzt », Allgemeine Zeitung (Mainz), n° 124, 31 mai 1949.
53 Extrait du memorandum sur la discussion de Baden-Baden, BA, Z 14/14b.
54 Ibid.
55 Referat Marshallplan, Vermerk zur Frage des Ausnutzung des ECA-Hilfe (Vermeidung des teilweisen Verfalls der für das Laufende ERP-Jahr genehmigten Kontingente), Frankfurt/M., 16 mai 1949, BA, Z 14/17.
56 Ibid., p. 3.
57 Ibid p. 1.
58 Toutes les déclarations, ibid, pp. 3-5.
59 Ministre de l’Economie de la zone française (voir la note de bas de page n° 51).
60 « Baumwollversorgung unzureichend », Handelsblatt, n° 1, 21 janvier 1949, 2.
61 Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland, p. 169.
62 Voir l’essai de Borchardt/Bucheim, op. cit.
63 Afonafsber/c/rte, janvier 1949, 12.
64 « Zwischenbilanz nach der Wahrungsreform », Handelsblatt, n° 36, 27 juillet 1948, 1.
65 Ces « fonds de contrepartie » ont été également mobilisés en Deutsche Marks lors de la vente de marchandises au titre du GARIOA et du StEG.
66 Pour une version imprimée de l’Accord de l’Administration de Coopération Économique, cf. Deutschland und das Europäische Wiederaufbauprogramm (note de bas de page n° 3).
67 Ibid., p. 56.
68 « Termingeschäfte zu Lasten der deutschen Wirtschaft », cf. le projet d’allocution de l’Oberdirektor Pünder (note de bas de page n° 43).
69 Ibid.
70 ; Mémorandum confidentiel du Dr. K. Albrecht (betrifft Bilateraler Vertrag, Besprechung mit Prof. Bode, ACE) 19X1949, BA, Z 14/173.
71 Document du Secrétariat n° 271, Bureau National Consultatif, « l’Allemagne de l’Ouest est-elle capable de rembourser 1’aide accordee dans le cadre du Programme de Relèvement Economique », 26VIII 1948, NA, RG 286, Germany 1, box 19.
72 Dr. K. Albrecht, Bemerkungen zu dem amerikanischen Vorschlag fur den bilateralen Vorschlag, Frankfurt/M, 3 novembre 1949, BA, Z 14/173. Lors de la Conference de Londres sur la Dette qui s’est tenue en 1951, les États-Unis avaient insisté pour que les Allemands remboursent 1,2 milliards de dollars sur les 3,2milliards de dollars qu’ils avaient reçus. Sur ce total, 1,620 milliards de dollars représentaient l’aide accordée au litre du GARIOA, qui n’avait été reconnue par les Allemands que sous certaines conditions (« dem Grunde nach »). En droit civil allemand, cette condition restrictive ne porte pas uniquement sur le montant de la créance, mais en outre, et de manière explicite, elle autorise aussi à émettre dans « une certaine mesure des objections », si l’obligation de remboursement n’a pas de fondement juridique. Compte tenu de la position adoptée en conséquence par les Allemands, lors de la négociation, où ils ne reconnaissaient « comme aide économique » que la fraction de l’aide accordée au litre du GARIOA qui avait été acheminée après la mise en œuvre du Plan Marshall, ceux-ci ont dû rembourser une part relativement élevée de crédits consentis par les Américains, certainement supérieure au tiers officiellement annonce, cf. Der Bundesminister fur den Marshall Plan, Mémorandum über Nachkriegs-Auslandschulden, vertraulich nur zur Unterrichtung der deutschen Delegation, 20 IX 1951, BA, B 146/234.
73 Le Portugal et la Belgique avaient adopté une position particulière dans la mesure où ces deux pays n’avaient ni eu besoin de débloquer les fonds de contre-valeur pour financer des investissements, ni jugé utile de bloquer les comptes de contre-valeur pour des raisons de stabilité. Cf. ERP-Gegenwertmittel und ihre Verwendung in den innereuropacischen Partnerländern bearbeitet im Bundesministerium fur den Marshallplan, September 1951, BA, B 146/227.
74 Cf. l’essai de Borchardt et Buchheim, op. cit.
75 Les Ministres Présidents de la Bizone avaient créé ce Bureau qui avait pour mission de réfléchir aux questions de « politique etrangere ». Lorsque Clay le ferma en raison de son appartenance à la Bizone, son siège fut transfere a Stuttgart, le 15 avril 1947, en tant qu’Organisation des Ministres Présidents de la zone américaine, cf. H. Pothoff et R. Wenzel, eds., Handbuch Politischer Institutionen 1945-1949 (Diisseldorf 1983), pp. 153 et suivantes.
76 Le Dr. Vocke s’adressant par écrit au Président du Conseil d’Administration de la Vereinigtes Wirtschaftsgebiet, betr. ERP-Vertrag Bizone -USA, 28 IX 1948, BA, Z 14/173.
77 Deutsches Biiro für Friedensfragen, NfD, « Zum Économic Cooperation Agreement mit der Bizone », 14 juillet 1948, Stuttgard, 20 octobre 1948, Anlage I. Ein Vergleich des Economic Cooperation Agreement der Bizone mit den entsprechenden Abkommen des Vereingten Konigreiches, BA, Z14/171.
78 Ibid.
79 Projet d’allocution de l’Oberdirektor Pünder, 7 IX 1948, BA, Z 14/8.
80 Voir la réunion des Gouverneurs Militaires avec les représentants de la Bizone à Francfort, le 15 décembre 1948, dans Akten zur Vorgeschichte der Bundesrepublik Deutschland 1945-1949, vol. 4, n° 108, p. 1017. Les pays européens ne bénéficiaient pas encore des contre-valeurs accordées au titre de l’Administration de Coopération Économique, mais les modalites régissant l’allocation des fonds au titre du GARIOA étaient similaires.
81 Jack Bennett (Conseiller Financier) au Gouverneur Militaire, note confidentielle à Howard Bruce (Administrateur Adjoint de l’ACE à Paris), 25 IX 1948, NA, RG 286, Bizone – Country mission, box 4.
82 Lettre confidentielle d’Hoffman a McCloy, 13 VII 1949, NA RG 286, Germany – Administrator, box 4.
83 Mémorandum confidentiel, 21 X 1949, NA, RG 286, Germany, box 4.
84 O. Emminger, Aktenvermerk uber eine Unterredung mit Mr. Ostrander an Averill (sic) Harriman (Représentant Special des États-Unis auprès de l’ACE a Paris, 21 IV 1950, NA, RG 286, conterpart – Germany, box 4.
85 Robert M. Hanes (Chef de la Mission speciale en Allemagne de 1’Ouest) a Averill (sic) Harriman (Representant Spécial des fitats-Unis aupres de l’ACE a Paris), 21 IV 1950, NA, RG 286, conterpart – Germany, box 4.
86 E.T. Dickinson Jr. (Directeur de la Division de Coordination du Programme) à Robert M. Hanes (Chef de la Mission de l’ACE en Allemagne de l’Ouest), 23 II 1950, avec mémorandum confidentiel intitulé « German Économic Problems », NA, RG 286, Germany 1, box 19.
87 Cf. par exemple, le mémorandum d’Edward A. Tenenbaum intitulé « Financial Program for Western Germany », 2 VII 1948, NA, RG 286, Tenenbaum dirigeait l’opération « Bird dog » (Chien de basse-cour) qui avait pour objectif de préparer et de mettre en œuvre la réforme monétaire de juin 1948.
88 Cf. T. Ostrander (Expert allemand auprès de l’ACE à Paris), « The problem presented by the year’s ECA Aid Allotment to Western Germany », 13 II 1951, NA, RG 286, Représentant Spécial à Paris ; Central Secretariat, Country Files 1958-52, Germany, box 3, Germany payments.
89 Pohl. Wiederaufbau, p. 55 ; cf. aussi le mémorandum de Bennett à Bruce, 25 IX 1948, NA, RG 286, Bizone – country mission, box 4.
90 Cf. Werner Abelshauser, « Ansätze korporativer Marktwirtschaft in der Korea-Krise der friihen fiinfziger Jahre », Vierteljahrshefte fiir Zeitgeschichte, 30 (1982), 717-21.
91 Adamsen, Investitionshilfe, pp. 51 et suiv.
92 Cf. la conclusion d’Hermann J. Abs dans Pohl, Wiederaufbau, p. 143.
93 « ... (W) weit vom Kern der Mechanik des Marshallplans », of Keiser, « Long-Term Program und amerikanische Politik », 1/21X1949, BA, 146/171.
94 Abelshauser, Wirtschaft in Westdeutschland 1945-1948.
95 Tous ces points étaient repris dans une lettre datée du 15 janvier 1951. Le Comité pour le Règlement de l’Occupation et pour les Affaires Etrangeres du Bundestag y priait le Chancelier de la République Fédérale de soumettre ses objections aux Alliés au cours de la Conference de Londres sur la Dette. Le Comité Parlementaire était persuadé que « l’ampleur de l’aide économique était principalement le résultat de la politique menée par les Allies ». Cette lettre était jointe au « Mémorandum über Nachkriegsschulden » (« Memorandum on Postwar Debts ») du Ministre Fédéral du Plan Marshall, 20 IX 1951, pp. 8 f, BA, B 146/234.
96 Le Ministre Fédéral du Plan Marshall prétendait que le programme du GARIOA, l’aide initiale refue... (avait simplement servi) a assurer la survie de la population de l’Allemagne de POuest, ce qui etait Pinteret des puissances occupantes, Ibid., p. 26. Le discours bien connu « a jeter en pâture a la basse-cour » (« le moment est venu pour les politiciens allemands de se garder d’exprimer leur gratitude pour l’aide alimentaire accordée ». BA, Z 61/70) de Johannes Semler, Directeur du Verwaltung fur Wirtschaft, devant le CSU Landesausschuss à Erlangen, le 4 janvier 1948, ne peut done être considere comme une « faute d’inadvertance » de la part d’un politicien irresponsable, qui aurait pu lui valoir d’être démis de ses fonctions par les Alliés. Au contraire, il ne reflétait rien d’autre que la position des Allemands à l’égard de ce problème, mais ceux-ci se gardaient bien de l’exprimer en public.
97 Werner Abelshauser et Dietmar Petzina, « Krise und Rekonstruktion : Zur Interpretation der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung Deutschlands im 20. Jahrhundert », dans W.-H Schröder et R. Spree, eds, Historische Konjunkturforschung (Stuttgart, 1980), pp. 75-114.
98 « Zwei Jahre Wirtschaftswunder », éditorial date de la fin du mois de juin 1950, L. Erhard, E. Hielscher, M. Schönwandt, eds, Währung und Wirtschaft, 20/231 (1945/50), 521-22.
99 Cf. Geschichte und Geschichten vom Marshallplan, op. cit.
100 Cf. John Gimbel, The Origins of Marshall Plan (Stanford, Californie, 1976), p. 165 et Werner Abelshauser, « Wirtschaft- und Besatzungspolitik in der französischen Zone 1945-1949 », dans : C. Scharf et H.J. Schröder, eds, Die Deutschlandpolitik Frankreichs und die französische Zone 1945-1949 (Wiesbaden, 1983), pp. 11-40.
101 Milward, Reconstruction of Western Europe et Gimbel, Origins of Marshall Plan.
102 Abelshauser, « Wirtschafts- und Besatzungpolitik in der französischen Zone ».
103 « Les droits de tirage constituent indiscutablement une étape décisive vers l’instauration d’une communauté économique européenne », cf. G. Keser, Long-Term Program und amerikanische Politik, BA, B 146/171.
104 Cf. Abelshauser, « Ansatze Korporative Marktwirtschaft », 715/56.
105 Cf. par exemple, Manfred Knapp, « Reconstruction and West Integration : The impact of Marshall Plan on Germany », Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft, 137 (1981), 515-33 et plus récemment Hans-Jürgen Schröder, « Marshallplan, amerikanische Deutschlandpolitik und europäische Integration 1947-1950 », Aus Politik und Zeitgeschichte, B 18/87, 3-33.
Notes de fin
1 La traduction de cet article a été effectuée par le Service de traduction du ministère des Finances.
Auteur
Professeur d’histoire économique et sociale à l’université de Bielefeld (Postfach 100131, D 4800 Bielefeld 1) et professeur externe à l’Institut Universitaire Européen de Florence. A déjà publié : Wirtschaftsgeschichte der Bundesrepublik Deutschland 1945-1980, 5e éd., Francfort/Main 1989 ; « Les nationalisations n’auront pas lieu. La controverse sur l’instauration d’un nouvel ordre économique et social dans les zones occidentales de l’Allemagne de 1945 à 1949 », Le mouvement social, n° 134, 1986 ; Die Weimarer Republik als Wohlfahrtsstaat, Stuttgart, 1987 ; « Aux Origines de l’économie sociale de marché : État, économie et conjoncture dans l’Allemagne du xxe siècle », Vingtième Siècle, n° 34, 1992 ; « La Querelle des historiens économistes » et « L’unification de l’Allemagne », Relations Internationales, n° 70, 1992.
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