Aspects financiers du développement des télécommunications en France dans les années cinquante
p. 667-675
Texte intégral
1Envisager les télécommunications comme une administration « dépensière » au cours des années cinquante apparaît quelque peu paradoxal. De fait les télécommunications constituaient l’une des rares activités directement rentables du service public. Contrairement aux autres grands secteurs elles ne bénéficièrent d’aucune subvention au cours des années cinquante, comblant même dans une large mesure les déficits générés par d’autres activités.
2Si cette décennie n’apparaît en rien exceptionnelle dans la série de rendez-vous manqués entre la société française et la communication moderne, elle n’en est pas moins éclairante sur les conceptions des décideurs quant à l’importance de ce secteur dans l’activité économique. D’une manière très générale, le téléphone n’apparaît pas comme une priorité à la fin des années quarante.
3Certes, lorsque les programmes n’en sont qu’au seuil des proclamations d’intention, les télécommunications sont présentées comme un secteur d’avenir, stratégique pour le pays. Comme à vrai dire pour la plupart des activités, les rapporteurs s’attachent à souligner que le domaine dont on leur a confié l’examen est absolument déterminant pour l’avenir du pays. À l’heure des allocations de ressources, les hiérarchies apparaissaient plus crûment. De reports en diminutions, le téléphone se trouva ramené à ce que beaucoup considéraient comme sa véritable place, celle d’un outil secondaire, un gadget peu utile.
4En raison des cadres rigides imposés par la réglementation des finances publiques et par le contexte peu stimulant du monopole, le sous-développement du réseau téléphonique français se confirma au cours des années cinquante.
5Le téléphone français inscrit son développement dans le cadre du monopole de l’État sur les télécommunications institué en mai 1837. L’article unique était parfaitement clair : « Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 1 000 à 10 000 francs... Le tribunal ordonnera la destruction des postes, des machines et des moyens de transmission1. » Confirmé par le décret loi du 27 décembre 1851, puis en ce qui concerne la télégraphie sans fil par le décret du 7 février 1903, le monopole de l’État fut par la suite sans cesse réaffirmé. Des concessions furent parfois accordées à des compagnies privées. En raison des accords internationaux qui devaient être négociés avec les États-Unis, les liaisons transatlantiques lurent ainsi concédées à des entreprises privées2. L’exploitation du téléphone fut également concédée par l’arrêté du 26 juin 1879. Les conventions, brèves et contraignantes, placèrent cependant l’exploitant dans une situation extrêmement difficile à gérer. Le réseau se développa de manière très lente. Après un vif débat politique entre partisans d’un réseau totalement public et tenants du libéralisme, la loi du 16 juillet 1889 replaça le téléphone dans le cadre du monopole de l’État.
6Financement inadapté et manque de volonté politique, ne permirent pas au téléphone de connaître en France le développement souhaitable, la première « crise du téléphone » éclatant en 1900. Si le retard du pays en matière d’équipement avait été parfaitement souligné dans un rapport rédigé par A. Millerand, les crédits très insuffisants votés en 1904 et 1906 sous la pression des chambres de commerce ne permirent pas de le combler. Noyé dans le budget de l’État, l’exploitation du téléphone ne pouvait en effet trouver son propre équilibre, aucune évaluation financière des diverses activités n’étant possible. Ressources et charges des différents services n’étaient pas dressées, les dépenses de fonctionnement et les investissements étaient confondus. Par ailleurs, dans l’hypothèse exceptionnellement réalisée d’un soutien des parlementaires, la loi de finances bornait à un an tout projet d’amélioration du réseau. Ce contexte faisait de l’administration des PTT une organisation infirme. Dépendante du Budget, la politique d’équipement était impossible à gérer.
7Ce constat militait en faveur d’un statut différent pour une activité relevant certes de la responsabilité de l’État, mais dotée de caractéristiques très proches de celles d’une activité industrielle ou commerciale. Ainsi, dès 1910, un projet de loi soutenu par les chambres de commerce et déposé par le député de la Seine, T. Steeg, proposait pour les PTT un statut d’établissement public distinct de l’État disposant d’un budget annexe et bénéficiant d’un encadrement financier plus souple. Ce projet n’aboutit pas. Il fallut attendre 1923, dans un climat très tendu pour une administration des PTT soumise aux plus vives critiques et dont certains demandaient la privatisation, pour que la loi de finances adopte le principe du budget annexe. Il regroupa de manière indépendante les recettes et dépenses des PTT, celles-ci restant soumises aux règles générales régissant les finances publiques. La possibilité d’emprunts spéciaux était envisagée. Cette réforme constitua le préalable d’un plan de rattrapage sur dix ans, qui permit à l’équipement du pays de reprendre un rythme convenable. La politique déflationniste des années 1934-1935 mettait cependant un terme à ce qui ne fut qu’une timide embellie3. La croissance du réseau se poursuivit à un rythme faible pendant l’Occupation. On passa d’un peu plus de 1 million d’abonnés à un peu plus de 1,2 million entre 1939 et 1945. La guerre eut un impact sérieux sur la qualité du réseau, sabotages et bombardements l’ayant très sévèrement frappé. Près de 30 % des centraux automatiques et 140 multiples manuels sur 228 étaient ainsi détruits. La reconstruction fut cependant menée avec célérité. Si, à la fin des années quarante, le réseau de télécommunications français présentait un visage vieilli, c’était bien à des décennies de sous-investissement plus qu’aux conséquences du conflit qu’il fallait en attribuer la cause.
8Cet état de fait n’apparut cependant pas préoccupant pour les rédacteurs du plan Monnet. Les télécommunications ne furent pas inscrites dans le plan, priorité étant donnée aux industries de base. En guise de compensation, un décret du 15 juillet 1947 créait cependant une commission de modernisation des télécommunications. Alors que 30 000 demandes de raccordement étaient en attente elle ne pouvait que dresser un bilan particulièrement sombre de la situation. 54 % des abonnés britanniques et 85 % des Allemands étaient raccordés à un central automatique contre seulement 45 % des abonnés français. Les infrastructures de transmission étaient également insuffisantes et peu performantes, un peu plus de la moitié des liaisons étant assurées par câbles souterrains en France contre plus de 90 % en Grande-Bretagne et près de 100 % en Allemagne. En 1948, la densité téléphonique était en France de 5,2 postes pour 100 habitants, contre 9,3 pour la Grande-Bretagne, 21,2 pour la Suède et 24,2 pour les États-Unis.
9Pour remédier à cette situation, un programme sur dix ans fut rédigé. Il se donnait pour objectif d’atteindre 3,9 millions d’abonnés en 19574. Une variante du projet, permettant de rattraper en 1957 le niveau de la Grande-Bretagne fut également rédigée. Elle impliquait un effort supérieur de 50 % à celui envisagé dans le projet initial.
10Malgré sa relative modestie, ce plan semblait poser d’importants problèmes de moyens. Il s’agissait tout d’abord de prévoir les approvisionnements nécessaires. Concentrés sur les industries prioritaires, ceux-ci n’étaient pas orientés vers les manufacturiers du téléphone qui craignaient de ne pouvoir se procurer les matières premières nécessaires. Les exigences étaient pourtant faibles, l’effort proposé ne concernant par exemple que 5 % de la consommation de cuivre nationale. Les modalités de financement inquiétaient également singulièrement les rapporteurs. Concluant ses recommandations, la commission précisait ainsi qu’elles ne seraient applicables que si « ... les moyens de financer et d’exécuter le programme... » accompagnaient celui-ci. Soulignant que l’instabilité avait toujours été la règle en ce domaine, elle estimait qu’il faudrait éviter que « ... chaque année (ou même plusieurs fois au cours d’une année), le programme ne soit en totalité remis en question ».
11Ce manque de souplesse se retrouvait à tous les niveaux de l’activité des télécommunications. Les règles de la comptabilité publique constituaient un véritable carcan pour un domaine de haute technologie, synonyme de risques et d’anticipations. « Il est bien connu, remarquait la commission, que ce contrôle et ces règles, malgré les avantages incontestables qu’ils présentent, entraînent pour un service qui possède à plus d’un titre des caractères propres au secteur industriel et commercial, des inconvénients très sérieux lorsqu’il s’agit d’établir des programmes à longue échéance nécessitant d’importantes immobilisations en capital. En particulier, le caractère annuel du budget constitue une entrave sérieuse. Tous les membres de la sous-commission sont d’accord pour exprimer l’espoir que la mise en œuvre du plan Monnet permette de sortir du régime actuel par l’exécution d’un programme de longue échéance dont le financement soit entièrement garanti ; un tel financement est d’autant plus justifié que le caractère rentable de l’équipement du pays peut être largement démontré5. »
12Cette formule révélait en fait le problème crucial du téléphone français. Faire valoir sa spécificité au sein des services publics et obtenir des financements adaptés, non seulement en volume mais en modalités d’attribution. En posant cette question clef pour l’avenir de son plan la commission soulignait également en termes feutrés le caractère injuste et contre productif du statut imposé aux PTT par le ministère des Finances. Elle revendiquait de fait que l’argent du téléphone revienne au téléphone et que l’État joue son rôle d’investisseur dans une infrastructure rentable.
13Loin d’être un secteur dépensier, le téléphone était en effet une activité lucrative pour l’État, la réforme de 1923 laissant toute autorité au ministère des Finances pour réguler les flux financiers liés à l’activité des PTT. Elle prévoyait en effet un équilibre général de l’activité avec versement éventuel des recettes au budget général, ou au contraire, le versement d’une avance du Trésor pour combler un déficit. L’autonomie budgétaire accordée aux PTT était donc toute relative. Elle ne s’appliquait par ailleurs pas spécifiquement aux télécommunications, le code des PTT imposant jusqu’en 1960 une solidarité financière entre les différentes activités de cette administration. Le téléphone, branche bénéficiaire, était donc chaque année ponctionné pour couvrir les déficits de la poste et plus encore celui des services financiers. Ce système, en dispensant le ministère des Finances de couvrir directement les déficits structurels de ces activités, le déchargeait d’autant. Cette attitude était d’autant plus discutable que ces déficits étaient en grande partie liés à des contraintes imposées par le ministère des Finances aux PTT. La lourde charge du service de presse était ainsi supportée sans aucune compensation par la poste. En ce qui concernait les services financiers, le dispositif était encore plus désavantageux pour la poste puisque la plus grande partie des opérations de chèques postaux était effectuée à titre gratuit. Les PTT constituaient par ailleurs un outil particulièrement peu onéreux de drainage de l’épargne puisque le Trésor versait aux PTT pour toute rémunération un intérêt de 1,5 % sur les sommes collectées dans ses agences.
14La capacité d’autofinancement de l’activité téléphonique s’en trouva considérablement réduite6 :
Tableau 1 Recettes prélevées pour combler le déficit des autres branches
Montant (millions de F) | % | |
1954 | 125 | 64,4 |
1955 | 66 | 32,4 |
1956 | 116 | 70,3 |
1957 | 134 | 88,2 |
1958 | 175 | 60,8 |
1959 | 77 | 14 |
15Le prélèvement fut donc lourd et pénalisant pour une activité bénéficiaire et qui, indépendante, eut été capable de générer un certain volume d’autofinancement. En conséquence celui-ci ne représenta qu’une part très variable et souvent très faible des recettes :
Tableau 2 Recettes consacrées à l’autofinancement
Montant (millions de F) | % | |
1954 | 69 | 35.6 |
1955 | 138 | 67.6 |
1956 | 49 | 29.7 |
1957 | 18 | 11.8 |
1958 | 113 | 39,2 |
1959 | 471 | 86 |
16Préservées dans leur intégralité, ces sommes n’auraient certes pas suffit, loin s’en faut. La méthode employée n’en était pas moins pénalisante. Elle avait pour principale conséquence de cacher les véritables résultats du téléphone et de noyer son activité dans un ensemble globalement non productif. Dans de telles conditions il était difficile d’organiser l’exploitation de manière plus performante tout comme il apparaissait peu légitime de mobiliser des investissements importants pour une activité à la rentabilité mal assurée.
17Le téléphone se trouvait donc en quelque sorte pris dans une tenaille financière. Considéré comme une activité non prioritaire tout en étant susceptible de générer ses propres financements, on lui refusait les subventions accordées à d’autres secteurs. Faute d’indépendance, ses recettes étaient utilisées pour couvrir des déficits dont ses services n’étaient en rien responsables.
18Dans le même temps, si l’on excepte le système inefficace des « avances remboursables » dont les fonds étaient destinés à l’équipement des communes rurales, l’administration des Télécommunications ne pouvait emprunter. Comme elle ne pouvait par ailleurs pas fixer librement ses tarifs, elle n’avait aucune initiative en matière de financement. Comme le souligne Patrice Carré, « la sujétion du budget des PTT à l’égard du ministère des Finances est telle qu’elle empêche toute politique tarifaire. Elle ne permet pas de faire payer aux usagers et aux différents services publics utilisateurs le tarif normal, conséquence de la hausse générale des prix7 ».
19Une volonté politique forte, exprimée par des financements importants accordés par l’État aux investissements auraient pu compenser ces rigidités. Telle ne fut pas l’option choisie au cours des années cinquante. Les ambitions modestes de la commission de modernisation furent revues à la baisse par le comité permanent d’équipement et de modernisation des télécommunications créé le 24 décembre 1948. Dès 1949, un « plan réduit » était mis en œuvre. Il représentait une réduction de moitié des objectifs initiaux. 500 000 abonnés nouveaux devaient être raccordés, pour un investissement de 100 milliards sur quatre ans (500 milliards sur dix ans étaient initialement prévus). Les moyens effectivement dégagés ne firent que décroître :
- 1948, 24,3 milliards ;
- 1949, 23,5 milliards ;
- 1950, 20,3 milliards ;
- 1951, 18,4 milliards ;
- 1952, 10 milliards.
20Le téléphone apparaît donc comme un secteur délaissé par la modernisation du pays. Les réalisations les plus ambitieuses ne furent réalisées qu’en raison de la disponibilité des crédits de l’OTAN. Les besoins stratégiques en matière de transmissions étant urgents, les crédits américains furent utilisés principalement pour les faisceaux hertziens. Ce n’est que grâce à ces crédits indirects que l’investissement français en matière de télécommunications s’éleva quelque peu au cours des années cinquante. Une comparaison du SITT citée par M. Nouvion8, met cruellement en lumière les déséquilibres.
21 Pour déterminer l’impact des choix réalisés au cours des années cinquante sur le développement des télécommunications en France, la recherche doit également être prise en compte.
22De manière générale, la recherche ne constitua pas une priorité budgétaire au cours des années cinquante. La commission de la recherche scientifique auprès du commissariat n’est créée qu’en 1953. Un an plus tard est nommé le premier secrétaire d’État à la Recherche, assisté d’un Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique. Ces différentes initiatives furent en fait principalement orientées vers les problèmes de la recherche fondamentale, la recherche appliquée n’étant guère concernée et les télécommunications n’apparaissant que de manière très anecdotique dans les documents rédigés pendant la décennie.
23Force est de constater que l’effort de recherche en matière de télécommunications eut pour seule origine la volonté de quelques ingénieurs du corps. Autour de Pierre Marzin, plusieurs équipes regroupées au sein du CNET posèrent les bases d’une politique ambitieuse qui trouvera ses premiers résultats à partir des années soixante. En ce domaine, il faut bien parler d’anticipation stratégique réalisée par une équipe d’hommes qui sut s’accommoder du désintérêt des politiques et des Finances. En effet, les ambitions exprimées au. moment de la création du Centre national d’étude des télécommunications en 1944-1945, ne furent pas suivies par l’attribution des moyens nécessaires. Structure « interministérielle », le CNET ne fut jusqu’en 1954 soutenu par personne. Les complications administratives liées au financement d’un tel organisme pesèrent lourdement sur son activité. Dès 1946, la « section particulière PTT » prenait d’ailleurs son indépendance pour échapper à l’imbroglio. Alors que la « section générale » voyait ses moyens diminuer d’année en année, la section PTT (SRCT) réussissait à obtenir des crédits pour mettre en place des activités de R & D essentiellement dirigées vers l’amélioration de l’exploitation.
24L’histoire du service général au cours des armées 1945-1954 fut celle d’un long déclin. Son budget en francs constants baissa sans cesse « ... son directeur ne pens...[ant] même jamais obtenir le personnel au niveau disponible des postes budgétaires9 ». La faiblesse des moyens humains constitua la manifestation la plus claire des problèmes budgétaires de l’organisme de recherche. En 1950, pour 292 postes budgétaires ; attribués, 247 étaient réellement pourvus. En 1953, ces chiffres étaient respectivement de 333 et 284. Le centre se trouvait confronté à de nombreux blocages qui l’incitèrent à recourir aux marchés d’études comme paliatif à une réalisation en interne des recherches programmées. Une telle procédure était beaucoup plus coûteuse et ne permettait pas d’assurer un contrôle optimum des résultats.
25Lorsque les financements existaient, ils étaient trop souvent difficilement utilisables. « Il n’y a pas de reports de crédits d’un exercice sur l’autre, ce qui conduit les laboratoires § utiliser leurs crédits de matériel très rapidement d’avril à août. Par ailleurs, les procédures budgétaires pâtissent toujours des contradictions entre les différents textes régissant le CNET. La loi constitutive de ce dernier n’admet pas que les crédits autorisés par les décrets d’applications pour la participation des ministères soient imputés sur les budgets généraux de ces ministères : Travaux publics, Transports, Guerre, Marine, France d’outre-mer. » Ces pesanteurs n’étaient pas seules en cause. « Les restrictions budgétaires imposées aux PTT par les Finances aggravent les effets de l’inadaptation des règles de gestion administrative ; ce que traduit en 1951 une diminution des crédits de fonctionnement de 19 millions par rapport aux crédits de 1950.
26Certes, certains ajustement furent réalisés. Ainsi, à partir de 1952, les conséquences du vote tardif du budget furent atténuées : « Les entreprises titulaires d’un marché passé, dans l’incertitude de son renouvellement, avaient tendance à dissoudre les équipes de recherche intéressées pour les affecter à d’autres travaux et ne pouvaient les reconstituer lorsque le nouveau marché était approuvé. À la suite des demandes répétées aux Finances, 90 % des crédits sont désormais attribués dès le début de l’année10. » Ces améliorations furent cependant trop limitées.
27En orientant ses recherches vers des projets très directement liés aux besoins de l’exploitation, la section particulière PTT, bénéficia d’un contexte financier plus favorable que la section générale. En s’investissant très fortement dans le domaine des faisceaux hertziens elle profita également dans une large mesure des crédits OTAN, destinés à la construction de ce type d’infrastructure en France. En regroupant l’ensemble du CNET sous l’autorité de cette section PTT, la réforme de 1954 entérina l’échec de l’option interministérielle. Dès 1955, dans un cadre plus clair, les crédits lurent en augmentation et les recrutements s’accélérèrent. La véritable montée en puissance des moyens accordés n’intervint cependant qu’à partir des années soixante.
28Au cours des années cinquante, les télécommunications n’apparaissent donc pas comme une priorité dans la politique d’équipement de la France. Les IIe et IIIe Plans ne firent que confirmer les orientations prises en 1947. Lors du IIIe Plan, comme l’écrit Louis Joseph Libois, « ... le sommet de l’inconscience paraît atteint » et à la fin des années cinquante, la France ne consacre que 0,2 % de son PIB aux télécommunications.
29Le bilan des années cinquante est donc particulièrement négatif. Le réseau s’est peu développé et l’écart avec les autres grands pays industrialisés s’est encore accru.
30En 1960, la densité téléphonique était de 39,5 aux États-Unis, 35,3 en Suède, 26,8 en Suisse, 15 en Grande-Bretagne et 9,1 en France. L’écart à la moyenne mondiale, qui était de 3,5 points en 1938 atteignait 10,6 en 1962 !
31Avec un taux d’accroissement annuel moyen des abonnements de 4 %, (contre 3 % entre 1939 et 1945 !) l’effort d’investissement apparaît comme dérisoire face aux besoins d’un pays qui entend jouer les premiers rôles sur la scène internationale. Pourtant, et c’est le caractère paradoxal de l’histoire du téléphone français, les demandes de raccordements étaient satisfaites dans une très large mesure en cette décennie. En 1960, le solde des demandes non satisfaites n’était encore que de 139 000. Ce relatif équilibre entre l’offre de raccordements et la demande d’abonnements ne doit cependant pas faire illusion. Le coût de raccordement, la réputation désastreuse quant à la qualité du service, le tarif élevé des communications, tout incitait les Français à considérer le téléphone comme un objet dont l’utilité restait relative. Indispensable pour les professionnels, il apparaissait comme un luxe inutile pour de nombreux consommateurs11.
Notes de bas de page
1 En insérant dans le texte l’expression « ... par tout autre moyen... » le législateur avait anticipé sur d’éventuelles évolutions technologiques et précisait : « L’esprit humain est inépuisable en ressources nouvelles et il s’agit de prévoir ici ce qui n’existe pas encore, ce qui n’est ni connu ni imaginé, ce qui pourrait être inventé pour éluder l’application de la loi... ».
Cf : Griset P., Les révolutions de la communication, Hachette, Paris, 1991.
2 Câbles sous-marins et liaisons radio furent ainsi concédées, dans le cadre d’un contrôle financier et technique étroit de l’Administration. Cf. : Griset P., Les télécommunications transatlantiques de la France, Institut d’histoire de l’industrie, Éditions Rive Droite, Paris, 1996, 770 pages.
3 Accroissement annuel moyen de 25 000 abonnements de 1919 à 1923 contre 45 000 de 1924 à 1934.
4 Ce qui aurait permis d’atteindre en 1957 le niveau de densité téléphonique obtenu par l’Angleterre en 1947 !
5 Rapport de la sous-commission transmission, p. 24.
6 Statistique annuelle des télécommunications, 1962.
7 Carré P., « Le téléphone en France en 1947 : une modernisation manquée », Les Cahiers, Télécommunications, Histoire et Société, n° 3, 1996, p. 38-79, p. 69.
8 Nouvion M., L’automatisation des télécommunications, PUL, 1982.
9 Bata P., Du Castel J.-P. et Lavallard F. (sous la direction de), Le Centre national d’étude des télécommunications, CRCT, Paris, 1990, p. 262.
10 Bata P., Du Castel J.-P. et Lavallard F. (sous la direction de), Le Centre national d’étude des télécommunications, CRCT, Paris, 1990, p. 60.
11 En fait, l’image publique du GSM au début des années 1990 et du téléphone filaire à la fin des années cinquante nous paraissent assez semblables.
Auteur
Professeur d’histoire à l’Université de Bordeaux-III. Il a publié notamment : Histoire des techniques aux xixe et xxe siècles, Armand Colin, 1990 ; Les télécommunications transatlantiques de la France : entreprise, technologie et souveraineté : xixe-xxe siècles, Éd. Rive droite, Institut d’histoire de l’industrie, 1996. Il a dirigé Cent ans d’innovation dans l’industrie de l’aluminium avec Ivan Grinberg, Muriel Le Roux et Magali Vautelin, L’Harmattan, 1997.
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