Les fonctionnaires du Budget, le Parlement et la commission des finances de l’Assemblée nationale à travers les archives orales
p. 81-125
Plan détaillé
Texte intégral
1Dans l’histoire des tensions entre l’exécutif et le législatif depuis l’établissement d’un régime parlementaire en France deux acteurs majeurs du vote du budget, l’acte législatif essentiel, à savoir la direction du Budget d’une part et les commissions des finances d’autre part sont négligés par l’historiographie1. En dépit du principe de la séparation des pouvoirs, les occasions de contact entre fonctionnaires de la direction du Budget et parlementaires sont pourtant fréquentes sous la IIIe et IVe République qu’il s’agisse des commissaires du Gouvernement en séance, de la présence personnelle du directeur du Budget, ou des fonctionnaires du Budget mis à la disposition des commissions des finances. Il nous a paru nécessaire de s’interroger sur le contenu et le sens de cette collaboration dans une période, la IVe République, qui a vu s’accroître simultanément les responsabilités de la direction du Budget et de la commission des finances. Ne prétendant pas combler les lacunes de l’historiographie, notre communication, plus modestement, porte surtout sur la mise à disposition des agents du Budget à la commission des finances, cette « institution connue, reconnue, avouée (qui) est encore plus officieuse qu’officielle2 ».
2Comment et avec quels résultats la commission des finances de l’Assemblée3, chargée de l’examen préalable du Budget et de toutes les lois ayant des incidences financières d’une part, la direction du Budget chargée de leur préparation d’autre part ont-elles collaboré sous la IVe République ? La présence de fonctionnaires du Budget à la commission a-t-elle été « pour le Gouvernement une source d’avantage trop marquée ? » pour reprendre les termes de la question posée par Joseph-Barthélémy en 1933. Ou bien faut-il retenir la sobre notation de Charvin : « un certain nombre de hauts fonctionnaires spécialisés ont en effet pour mission d’informer, notamment les rapporteurs, sans influer sur eux4 » ? Entre ces deux thèses, il nous semble que cette curieuse « institution » a contribué efficacement au fonctionnement du régime parlementaire, au renforcement de l’autorité de la direction et de celle de la commission dans ces années 1946-1958 pourtant particulièrement peu propices à une relation harmonieuse entre exécutif et législatif, et à l’établissement d’une « alliance objective » entre ces deux acteurs. Resterait à étudier plus finement les domaines dans lesquels s’est exercée cette convergence et les points de divergence.
3Pierre Fromaget, agent du Budget à la commission des finances fait remarquer dans son entretien : « C’est une parenthèse dans l’histoire de la République qui est assez curieuse parce qu’elle est très peu connue. On n’a pas fait de bouquin là-dessus. » On le comprend aisément si on veut bien se souvenir que les ministres et les membres de la commission des finances sont les seuls auteurs ou orateurs officiels et que les fonctionnaires au Parlement sont des « muets ». Les relations entre fonctionnaires du Budget et parlementaires n’ont donc pas laissé de trace écrite ni dans les archives du fonds Budget, ni dans les débats parlementaires, ni dans les procès-verbaux des commissions, ni dans les archives des assemblées. Leur travail par nature ne laisse pas de trace. Edmond Raoux, administrateur civil à la sous-direction du PCM, l’explique bien : « Tous ces documents ont disparu, c’étaient des papiers manuscrits, c’était sur la feuille même de l’amendement qu’on écrivait les observations et même parfois on n’avait pas le temps d’écrire... Ce que vous retrouvez dans les débats parlementaires c’est ce que dit le ministre, vous ne trouvez que ça mais vous ne retrouverez pas de références. » C’est donc dans les commentaires des juristes des années cinquante5 et surtout dans les souvenirs des acteurs de la direction du Budget (qu’ils soient ou non à la commission) que nous avons cherché à saisir la répartition des tâches, les objectifs poursuivis, les moyens et pratiques suivis et les résultats de cette collaboration en étudiant d’abord le contexte particulier de ces années cinquante et la participation des budgétaires en séance publique, ensuite les responsabilités, élargies, de la commission des finances, et enfin le fonctionnement et le sens de la mise à disposition des budgétaires à la commission. Au passage c’est une représentation nostalgique, plutôt globalement positive du régime de la IVe République et du Parlement que nous proposent ces représentants de l’exécutif, ce qui n’exclut pas des jugements parfois sévères sur les députés.
I. UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE POUR LES BUDGÉTAIRES ET LES PARLEMENTAIRES
4Les années cinquante présentent des caractères spécifiques qui ont rendu difficile le vote du Budget, entraînant une participation particulièrement active des budgétaires aux débats parlementaires comme commissaires du Gouvernement.
A. Une conjoncture difficile
1. L’héritage de Vichy
5L’expérience du régime de Vichy qui avait suspendu les assemblées parlementaires en juillet 1940 a démontré au ministère des Finances les inconvénients majeurs pour les finances publiques de la suppression du contrôle parlementaire. Déjà au printemps 1941, Bouthillier, ministre des Finances, en rappelait les effets. Rappelant à un de ses collègues qui s’était cru autorisé à ajuster le traitement de son personnel, il écrit : « Sous l’ancien régime, le frein des commissions des finances des deux assemblées, qui présentaient, cela va sans dire d’autres inconvénients, avait l’avantage de contenir les initiatives des dépenses. Aujourd’hui n’existent ni Parlement ni commissions. Le rôle de contrôle général des dépenses publiques m’incombe et à moi seul6. » Un an plus tard en mai 1942, le directeur du Budget, écrivait à son nouveau ministre, Cathala : « Depuis l’armistice de 1940, le ministère des Finances et ses services ont été, en fait, seuls à examiner, émonder, et rogner les propositions de dépenses des autres départements ministériels. Il en est résulté une certaine irritation. » Ce qu’il semble déplorer puisqu’il conclut « Pour s’en tenir à la matière budgétaire, il faut noter qu’autrefois, les pouvoirs du ministère des Finances n’étaient ni moins étendus ni mieux fondés ; mais ils étaient plus aisément supportés parce qu’il existait un arbitre : le Parlement7. »
6Mais cette expérience a aussi eu l’inconvénient de laisser en héritage « les mauvaises habitudes des administrations financières des différents ministères » qui « pendant cinq ans n’ont pas eu de préoccupations budgétaires » et qui « veulent essentiellement sauvegarder les privilèges acquis, maintenir en activité le maximum de services, le maximum de fonctionnaires ». Comme le dénonce Christian Pineau, président de la commission des finances le 29 mai 19478.
2. Des majorités de coalition
7Il n’y pas lieu d’insister ici sur le contexte politique des années cinquante mais seulement de rappeler que la composition hétérogène des majorités parlementaires sous les trois législatures, leur instabilité avivée par les problèmes nouveaux de la guerre froide et de la décolonisation, ont exacerbé la rivalité des partis, des groupes et des hommes entraînant une surenchère de propositions et d’amendements toujours utiles certes mais aussi toujours coûteuses et donc sujettes à négociation et arbitrage. Par ailleurs il apparaît bien que les gouvernements n’ont pas souhaité mettre en jeu leur existence sur les problèmes de fond, préférant « tomber » sur des questions financières. C’est dire à quel point les problèmes budgétaires ont été l’occasion de conflit entre l’exécutif et le législatif.
3. Croissance et déficit
8La conjoncture économique a posé des problèmes nouveaux ou exacerbés. Les besoins de reconstruction et de modernisation après quatre ans de conflit et une décennie de dépression, la croissance du PIB et donc l’augmentation continue des recettes de l’État, l’inflation atténuant sa dette, ont avivé la « prodigalité » des parlementaires et des ministères dépensiers contribuant à une augmentation du budget de l’État tout à fait inédite, complexifiant l’examen du budget, allongeant à l’excès les débats parlementaires.
9Les dépenses de l’État passent en francs courants équivalents nouveaux francs 1959 de 793 millions en 1938 à 9 milliards 5 en 1947 à 65 milliards 2 en 1958. Par rapport au PIB le budget passe de 20 % en 1938, à 29 % en 1947 et 33,3 % en 19589. Après la période 1944-1948 de désordre dans la gestion des finances publiques due à une forte inflation empêchant toute prévision et imposant de révisions permanentes, c’est à partir de 1949 qu’on peut véritablement parler de budget10 et il faut attendre 1952 pour qu’on puisse se passer pour la première fois de douzième provisoire11. Au cours des budgets des années 1945 à 1950 inclus, l’Administration a connu en moyenne six à huit douzièmes provisoires par an12. Après l’arrivée de Goetze à la direction du Budget, en juillet 1949, le débat budgétaire s’est prolongé jusqu’au 8 août pour le budget 1950, jusqu’au 24 mai pour l’année 1951.
10Des rigidités nouvelles sont apparues, comme à partir de 1948 la grille indiciaire de la fonction publique qui a entraîné le phénomène nouveau de « la contagion indiciaire » ou encore le contrôle des prix hérité de Vichy et maintenu avec son cortège de subventions13.
11La notion de l’équilibre budgétaire n’est plus d’actualité dans les années cinquante. C’est sur le montant de l’impasse, le, mode de financement et les choix des dépenses que les arbitrages se font. À la recherche orthodoxe de l’équilibre budgétaire a succédé un autre impératif, l’équilibre économique. Ce souci de ne pas nuire à l’équilibre économique et social entraîne le souci constant d’adapter le budget même en cours d’exercice à la situation économique et monétaire, ce qui explique la fréquence des collectifs et lois rectificatives et alourdit le travail de la direction du Budget comme de la commission des finances.
4. La Constitution et l’initiative des dépenses
12La Constitution de la IVe a accordé aux assemblées la maîtrise de l’ordre du jour et de leur règlement et à la seule Assemblée nationale l’initiative de la dépense par l’article 17 de la Constitution. Mais le deuxième alinéa de cet article 17 stipule que lors de la discussion du budget : « aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires ». Cette limitation dans le temps et pour les seules dépenses (non pour les recettes) de l’initiative parlementaire laissait les députés libres le reste du temps.
13Or, certains constitutionnalistes partagent l’analyse d’A. Soulier qui écrit : « La question de l’initiative budgétaire est considérée comme l’une des pierres d’achoppement pour l’équilibre des rapports entre les pouvoirs exécutifs et législatifs. On doit constater que l’article 17 est l’un de ceux qui dans les textes de 1946 ont une incidence directe sur la forme du Gouvernement et qu’il a fait basculer le régime du côté du régime parlementaire et non pas du côté du Gouvernement par l’Assemblée14. »
14Au fil des années, les législateurs eux-mêmes et la commission des finances en particulier ont progressivement mis en place un véritable arsenal pour limiter les risques de prodigalité des parlementaires. D’abord les règlements des assemblées, l’article 48 du règlement de l’Assemblée nationale et l’article 47 du règlement du Conseil permettent au président, au rapporteur général ou au rapporteur spécial de la commission des finances d’obtenir sans débat, sur leur simple demande ou à la demande du Gouvernement, la disjonction en séance publique de tout amendement entraînant la réduction ou la suppression d’une recette ou paraissant susceptible d’entraîner une dépense nouvelle ou une augmentation de dépenses pendant le vote du budget ou en dehors. Mais seuls les amendements sont concernés et non les propositions de lois et encore fallait-il, comme le rappelle Roger Goetze, que la commission fût vigilante ou alertée15.
15Enfin, l’article 16 de la loi de finances du 31 décembre 1948, introduit à la requête de la commission des finances, appelé « loi des maxima » et reconduit chaque année rappelle que tout au long de l’exercice budgétaire et pas seulement lors du vote du budget il sera interdit de proposer un amendement ou une proposition de loi majorant une dépense ou une avance du trésor ou diminuant une recette non compensée par une réduction corrélative de dépenses ou une augmentation des recettes. La procédure autorisée par cette loi « des maxima » permet de procéder au vote par grande masse, les dotations globales restant conditionnelles et donc soumises au vote des lois de développement. Mais les services n’attendent pas toujours le vote des lois de développement pour effectuer les dépenses et les commissions sont alors mises devant le fait accompli.
16En outre, l’article 16 de la Constitution et l’article 68 du règlement de l’Assemblée interdit l’insertion dans les lois du Budget de dispositions n’ayant pas un caractère strictement financier et pourtant d’usage fréquent afin de bénéficier de la plus grande rapidité de vote à date fixe. Restée inappliquée jusqu’en 1950, cette double mesure, qui élimine les « cavaliers budgétaires », cherche à limiter les dépenses, l’ampleur des débats et les empiétements de la commission des finances16. En effet dès lors que ces dispositions ont figuré une fois dans une loi de finances elles sont considérées par la suite comme relevant des prérogatives des commissions des finances et non des commissions spécialisées. Mais encore faut-il que le Gouvernement n’utilise pas lui-même cette pratique ou que la commission des finances accepte d’opposer l’irrecevabilité demandée par le Gouvernement ou par elle-même.
17Dans la pratique ces barrières ont freiné mais n’ont pas interdit le dépôt des amendements ou des propositions17. Pierre Panard dans sa conférence en 1951 ne craint pas d’affirmer, fort de son expérience en commission des finances : « En fait, loin de les (les interventions des parlementaires) décourager, ces barrières les stimulent car elles permettent aux membres des assemblées de montrer l’intérêt qu’ils portent à certaines personnes, sans craindre pour autant de compromettre les finances du pays.18 »
18Ces dispositions se sont trouvées renforcées dans le décret-loi de 1956 qui réduit encore l’initiative parlementaire lors du vote du budget désormais enserré dans des limites de temps et de votes : calendrier rigoureux et vote par titre et par ministère et non plus par chapitre19.
19Dans ce contexte difficile, la direction du Budget renouant des liens interrompus par Vichy, a bénéficié de plusieurs atouts pour défendre le projet de budget du Gouvernement contre les surenchères des ministères et des parlementaires : d’une part un usage accru des fonctionnaires du Budget (en cabinet ou non), comme interlocuteurs des parlementaires et comme commissaires de Gouvernement, assistant le ministre des Finances ou du Budget lors des débats budgétaires et d’autre part une collaboration plus étroite avec la commission des finances par l’intermédiaire de ses agents mis à la disposition de la commission.
B. Les fonctionnaires du budget et le parlement : des relations plus fréquentes
20Dans le chapitre de ses souvenirs intitulé « Une situation d’influence et d’observation », Paul Schwall résume ainsi les tâches des administrateurs du bureau B2 : « Il y avait ainsi, pour chaque budget, des phases successives dans la mission du rapporteur : celle de l’instruction (avec le recours éventuel à l’avis de services spécialisés), celle de la participation à la discussion (les conférences à trois niveaux), celle de la confection des fascicules, celle enfin de l’assistance du ministre des Finances devant les assemblées parlementaires20. » Cette assistance, tâche partagée aussi par les budgétaires en cabinet et plus encore par le directeur du Budget, en quoi consiste-t-elle ? La réponse se trouve dans les archives orales.
1. Les budgétaires écrivent les discours parlementaires des ministres
21Les discours des ministres des Finances et plus encore des secrétaires d’État au Budget, parfois même les questions de confiance sont presque toujours l’œuvre des fonctionnaires du Budget soit détachés au cabinet des ministres soit même du directeur lui-même. Paul Schwall, au cabinet de Jean Moreau en 1952-1953, secrétaire d’État au Budget de Pinay en 1952 puis ministre du Budget dans le ministère Mayer, rappelle la confiance dont les collaborateurs issus du Budget jouissaient : « Chargé ainsi du discours à prononcer devant l’Assemblée nationale à la séance du 27 janvier 1953, pour le vote du budget 1953 rectifié, Jean-Moreau nous demanda, à Mathey et à moi, de lui préparer le texte de son intervention. Il est toujours difficile de travailler en équipe pour une rédaction. Nous décidâmes de rédiger chacun notre texte, quitte à fusionner ensuite nos productions. Mais le travail achevé, chacun de son côté, il fallut se rendre compte que les plans étaient différents et que les contenus, tout en traitant des mêmes matières, étaient assez contrastés dans le ton général ; bref qu’il y avait deux discours parmi lesquels le ministre devrait choisir. Jean-Moreau nous reçut dans son bureau. Il marqua un certain embarras vis-à-vis des auteurs, ne voulant contrarier aucun de nous. Mais très rapidement son visage s’éclaira : « Voilà ce que je vais faire, dit-il. Je vais lire le discours de Schwall devant l’Assemblée nationale et je lirai votre discours, Mathey, devant le Sénat. » J’étais content de la décision, Mathey aussi, mais à un moindre degré, puisque son travail ne servirait qu’à la seconde assemblée. Je n’assistai pas à la séance, étant bloqué par un travail pour le bureau du Budget. Mais je restai à mon bureau du Cabinet et je m’arrangeai pour croiser le ministre dans le couloir au retour de sa prestation devant les députés. « Ah ! Je viens de faire applaudir votre discours par l’Assemblée nationale ». Je me promettais de le relire imprimé à l’Officiel dans les débats parlementaires. J’y relevais, notamment, les applaudissements qui, à l’initiative du rapporteur général, ponctuèrent le passage relatif aux améliorations introduites en 1953 dans la présentation du budget (JO p. 479). Mon collègue présent apprécia : « C’était vous le discours ? Bien ! Un bon souvenir21. »
2. Les budgétaires répondent aux questions des parlementaires
22Les budgétaires répondent aux questionnaires envoyés par les rapporteurs de la commission des finances (questions rédigées en fait on le verra par les agents du Budget) ou par les parlementaires des autres commissions. Ces réponses sont transmises au Service des affaires générales du ministre. Selon le témoignage d’Edmond Raoux, alors administrateur civil à la sous-direction PCM chargé des pensions, traitements et indemnités, ce service « reprenait purement et simplement la réponse du PCM et se gardait bien d’y toucher ». Il ajoute avec humour « c’était une masse de travail considérable. On attendait avec impatience la crise ministérielle parce qu’alors à ce moment-là il (le fonctionnaire) était dispensé d’y répondre puisqu’il n’était plus adressé au ministre. »
3. Les budgétaires (des cabinets surtout) accompagnent le ministre lors des auditions à la commission
23Les procès-verbaux le prouvent, les fonctionnaires restent muets, même le directeur du Budget, et ils n’assistent jamais aux discussions qui suivent. Paul Schwall rappelle : « C’est d’ailleurs Mathey et moi-même qui assistions le ministre devant les assemblées et les commissions des finances. En fait, c’était surtout moi qui assurait cette mission, étant chargé d’établir les notes d’audition destinées à Pinay et Jean Moreau. À la première audition, Roger Goetze, directeur du Budget, mais aussi Pierre-Paul Schweitzer, directeur du Trésor, me demandèrent une copie des notes établies pour le ministre. Il est vrai que j’avais la chance d’être chargé au cabinet de la même mission de centralisation et de synthèse qu’au bureau du Budget où je me retrouvais tous les après-midi22 ».
4. Le directeur exerce : « une présence personnelle exigée »
24Le rôle personnel du directeur auprès des parlementaires est ancien. Georges Denoix, inspecteur des Finances, fils de médecin devenu sénateur, directeur adjoint chargé des services du Budget en 1918, raconte dans ses Souvenirs pourquoi Klotz le choisit comme directeur du Budget et du Contrôle financier le 20 novembre 1919 : « Pour vous, c’est le Budget. Voici un an qu’en fait vous le dirigez. Vous êtes apprécié comme tel par les commissions législatives. Les vieux caïmans de celle du Sénat ont même reporté sur vous l’amitié qu’ils avaient pour votre père. Vous savez bien que je trouverai un autre bon inspecteur des Finances pour se charger des trésoriers généraux. C’est décidé23. »
25Le directeur du Budget, se rend en séance par exemple lorsqu’au cours d’un débat un amendement est subitement présenté qui a des incidences financières. Goetze l’a bien raconté : « J’avais “un agent administratif”, Hiernard... C’était un garçon bien qui était en permanence à l’Assemblée et dont le rôle était de collecter et de lire les amendements qui étaient déposés et de me prévenir. Quant à moi, j’avais toujours ma voiture devant la porte de mon domicile quand je m’y trouvais. Quand il me téléphonait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, si je n’étais pas dans mon bureau ou à l’Assemblée, on m’appelait chez moi. Et Hiernard me disait : « Monsieur le directeur voilà, il vient d’être déposé un amendement dont je crois que le ministre intéressé (le Gouvernement n’avait pas le droit d’amendement) doit en être l’auteur par derrière mais je vais vous le lire. » Bon, alors, j’écoutais et puis je disais : « Bon, bien, ça va, ce n’est pas grave ». Ou bien : « Non ce n’est pas possible et dites bien au ministre qui est au banc, qui n’était généralement pas le ministre auteur et bénéficiaire de l’amendement, dites-lui bien que j’arrive tout de suite mais que, si je n’y suis pas à temps, qu’il oppose l’article 48. » Ils n’aiment pas ça les ministres, faire opposer l’article 48 à un collègue. Alors quand j’arrivais, il me fallait trouver le président ou le rapporteur général de la commission des finances puisque l’un ou l’autre de ces deux importants personnages devaient constater l’applicabilité de l’article 48 à l’amendement en question. Il s’agissait de Paul Reynaud d’une part comme président24 et comme rapporteur général, j’ai connu Leenhardt, Leenhardt socialiste et Barangé MRP25. Alors voilà, le ministre qui était au banc disait à regret : « Le Gouvernement demande l’application de l’article 48. » M. Paul Reynaud se levait et disait : « L’article 48 est applicable. » À ce moment-là, le président de l’Assemblée ne pouvait dire qu’une chose « l’amendement est disjoint ». « Hou hou » faisait-on sur les bancs. Oui ! Mais, ça s’est tellement reproduit souvent et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit que je dois dire qu’au bout de sept ans et demi au Budget, j’étais quand même assez fatigué. Ce n’est plus un record. Mon record a été battu par M. Renaud de la Genière qui est resté huit ans et quatre mois et à ma grande surprise, il n’allait même pas à l’Assemblée pour les discussions du Budget. Autres temps, autres mœurs, tant mieux pour le travail parlementaire ».
26Sous la Quatrième, ce qui est usant, c’est la présence exigée ?
27« Exigée, permanente, personnelle parce que j’avais évidemment, là aussi, une influence personnelle. On me connaissait et tout le monde me connaissait. Quand on me voyait arriver « Ah le voilà ». Bon alors on peut s’en aller. Parce qu’ils savaient qu’effectivement, mais très gentiment, je m’opposais efficacement à toutes les majorations de charge. Enfin je n’ai jamais eu à me plaindre d’aucun député. Non ça a été très correct de toute façon26. »
28Mais le directeur rédige aussi les questions de confiance du ministre. Goetze en conserve un souvenir cuisant lors du départ de Pinay en janvier 1953 : « Cela, c’est en partie de ma faute. Eh oui ! C’est de ma faute. Mais il voulait être renversé à ce moment-là car je me suis aperçu qu’il avait volontairement sauté une feuille de son discours. Mais c’est de ma faute pour une question de procédure. D’abord, c’était à peu près l’habitude que tous les Gouvernements tombent sur le budget car cela n’avait, paraît-il, pas de signification politique. Donc Antoine Pinay est tombé sur le budget de 1953. Il y avait cinq questions de confiance qui avaient été posées sur des chapitres réservés pour être votés à la suite du débat sur le budget. Et c’était, mon Dieu, le directeur du Budget qui avait l’habitude de rédiger les questions de confiance et de les porter au perchoir. J’ai donc joué mon rôle comme d’habitude. [...] »
29Il ne vous en pas voulu ?
30« Non, non. D’ailleurs c’était après tout au Gouvernement à rédiger les questions de confiance. C’était très gentil d’avoir confiance dans le directeur du Budget pour les mettre en forme, les porter au perchoir, etc. Enfin, c’était devenu l’habitude, on le savait. Pour moi, cette erreur de tactique était peut-être due à la fatigue. Vous savez, c’était éreintant ces budgets27. »
5. Les budgétaires, commissaires du Gouvernement en séance publique
31Plantons le décor et suivons la description de Paul Schwall : « Pour les débats budgétaires, le ministre responsable du Budget en discussion prend place au centre en face du président. À son côté décalé à sa gauche s’assoit le ministre des Finances ou le secrétaire d’État (ou ministre) du Budget, ce dernier le plus souvent. Ils peuvent ainsi se consulter lors des débats. Les présidents de la commission des finances et des commissions spécialisées sont sur une autre banquette, faisant suite sur la gauche de l’hémicycle. » Après sa description du rituel de l’ouverture de séance, Paul Schwall ajoute « C’est un tort de se moquer des rituels. Ils communiquent souvent une émotion de grandeur, dont l’homme est confusément à la recherche et qu’il a trop rarement l’occasion d’éprouver. » Et plus loin il précise, évoquant ses fonctions au bureau B2 du Budget : « Pendant les séances à l’Assemblée nationale ou au Sénat, pour la discussion et le vote de nos budgets, nous prenions place au banc des commissaires du Gouvernement juste derrière celui des ministres. Nous devions être attentifs et prêts à donner la bonne réponse à la question d’un député ou sénateur. Celle-ci était introduite dans le débat par un amendement dont le texte nous était remis par un des huissiers de l’Assemblée [...] En temps ordinaires, les textes polycopiés des amendements, distribués par les huissiers, pleuvaient en séance sur les pupitres des ministres et de leurs conseillers. Il fallait alors se contenter de fiches manuscrites, soit rédigées hâtivement à son banc si l’on possédait la réponse, soit obtenues de collègues venus en soutien et faisant les cent pas près de l’entrée de l’hémicycle. Assez souvent, la note manuscrite était griffonnée après avoir questionné au téléphone l’homme compétent demeuré à son bureau. Cela nécessitait, soit de courtes absences de sa place, soit le recours aux huissiers pour alerter les secours en coulisse. Très souvent, nous complétions les fiches par quelques mots à voix basse28. »
32Pierre Cortesse, alors administrateur au bureau B2 explique lui aussi : « On est commissaire du Gouvernement, c’est-à-dire qu’on est derrière le ministre et on lui rédige les notes à mesure que les députés interviennent pour qu’il puisse répondre, on rédige éventuellement les amendements du Gouvernement, on répond aux amendements déposés par des parlementaires. Normalement c’est aux membres du cabinet qu’il appartient de prendre des contacts avec les parlementaires, mais il arrive un moment où on peut être conduit à répondre à un parlementaire dans un couloir ou à servir d’intermédiaire, mais relativement peu. » Enfin, Edmond Raoux confirme que c’est bien eux qui rédigent les réponses des ministres aux amendements.
33Mais ce que dit le ministre, c’est ce que vous lui avez dit de dire, en gros ?
34En gros, oui.
35Donc les réponses aux amendements sont, d’après ce qu’on comprend, la plupart du temps rédigées par les commissaires du Gouvernement ?...
36Oui.
37Mais on n’a pas la preuve ?
38Ah non non parce que le commissaire du Gouvernement ne doit pas se substituer au ministre...
39Sur ces notes, vous donniez des informations chiffrées avec des positions à prendre ou bien vous rédigiez une réponse écrite avec un vrai style ?
40En principe, il fallait, c’est un exercice justement très difficile et extrêmement formateur parce que pour développer l’esprit de synthèse, il fallait essayer, il fallait faire plusieurs choses. Premièrement, il fallait d’abord expliquer de quoi il s’agissait. Deuxièmement, il fallait dire la position, il fallait dire pourquoi on prenait cette position et puis évidemment le chiffrage à ce moment-là étant, le cas échéant, indiqué enfin dans la mesure où l’on n’arrivait pas à pouvoir donner un chiffre. Mais il n’y avait pas toujours de chiffres possibles. »
41Les témoignages sont d’autant plus abondants que l’ensemble des administrateurs du bureau B2 mais aussi des autres sous-directions (et pas seulement du cabinet) étaient mobilisés soit sur place soit au téléphone pour assister le ministre des Finances comme le rappelle encore Paul Schwall : « Comme il n’y a que trois places disponibles derrière le ministre, il lui faut prévoir des assistants supplémentaires, soit présents dans les couloirs de l’Assemblée, soit encore mobilisés à leur bureau près du téléphone. Pour les questions imprévues, si lui-même ou ses deux voisins ne sont pas compétents, il lui faut quitter son banc pour ramener les réponses au plus vite. Mais, pour l’essentiel, il vaut mieux ne pas être pris au dépourvu, et tenir prêtes les réponses aux questions pouvant être posées. Celles-ci sont, dans ce cas, imaginées par avance selon les interventions parlementaires, passées ou prévues, en fonction des sujets d’actualité29 ». Sur la présence des budgétaires en séance publique, René Magniez, chef du bureau B2, explique bien lui aussi : « C’est chacun pour son budget. Le directeur évidemment y était pratiquement en permanence, le sous-directeur de la 1re sous-direction quasiment aussi, le chef de bureau, s’il en avait envie. Lui, il ne suivait pas les budgets comme je vous l’ai expliqué, alors les autres ils allaient pour leur budget, alors obligatoirement, il fallait qu’ils y aillent pour leur budget, ils connaissaient leur budget sur le bout des doigts, ils n’allaient pas laisser leur ministre au prise avec une question difficile. »
42Il peut arriver que les commissaires du Gouvernement prennent des initiatives. C’est du moins ce qui ressort des récits comme celui de Schwall. En 1953, René Mayer président du Conseil (Jean Moreau étant ministre du Budget et Schwall à son cabinet) se voit menacé d’une question de confiance hasardeuse à l’occasion d’un amendement proposé par la commission des anciens combattants et soutenu par la commission des finances sur la revalorisation des pensions des veuves de guerre que le ministre des Finances refusait. Avec l’aide de son collègue, Edmond Raoux, présent au banc des commissaires du Gouvernement, il cherche une issue et réussit à convaincre le président de la commission des anciens combattants de troquer les veuves contre les grands invalides et les orphelins, mesure moins coûteuses et dénués d’effet contagieux. Ce qui fut accepté, proposé par un contre-amendement et voté, permettant d’éviter une possible crise ministérielle.
6. Des relations plus personnelles
43En dehors de cette collaboration officielle il peut exister une collaboration plus officieuse, mais non secrète. Paul Schwall est-il une exception lorsqu’il devient conseiller personnel de Raymond Marcellin tout en restant chef de bureau ? Sans doute pas, puisque c’est Martial-Simon chef de service à la direction du Budget qui lui transmet la demande du député. Livrons donc ce seul témoignage : « J’étais encore au cabinet de Jean Moreau lorsque Martial-Simon me dit : « Raymond Marcellin, député du Morbihan, qui a été secrétaire d’État à la présidence du Conseil avec Pinay, nous demande de lui trouver un administrateur civil acceptant de travailler avec lui. Il s’agirait de l’aider dans la préparation d’un discours pour le prochain congrès des Républicains Indépendants. Vous êtes tout désigné, si cette collaboration vous intéresse. Vous pouvez prendre directement contact avec lui ; voici son numéro de téléphone personnel. » J’acceptai. Marcellin lui dit : « Ce n’est pas une collaboration occasionnelle que je recherche, me dit-il. Je veux entrer à la commission des finances de l’Assemblée nationale. C’est la grande commission, la plus intéressante. Je veux pouvoir intervenir efficacement dans les débats. Rien ne vaut pour cela un contact permanent avec la direction du Budget. Vous me donneriez des informations de première main, des éléments de réflexion et de discussion. À l’occasion, nous ferons des papiers ensemble. » [...] Nous étions en 1954. À partir de 1955, je prenais la tête du Bureau des entreprises publiques. Nos entretiens, sans quitter le secteur étatique, s’étendirent alors aux problèmes du secteur public industriel et commercial. Ce domaine était encore peu familier aux députés. Raymond Marcellin s’y tailla rapidement une compétence. Il était gourmand de tout ce que je pouvais lui apprendre de ce secteur. Les errements rapportés le confortaient dans ses sentiments personnels à l’égard des entreprises nationales. Celles-ci étaient handicapées dans leur gestion, en particulier par leurs statuts conçus au temps du ministre communiste, Marcel Paul. Des « Ha ! Ha ! » lui échappaient à certaines révélations. Ses yeux s’allumaient : « ça mérite un petit papier, ça. Seulement ce que vous venez de dire, hein ? C’est intéressant. »30
7. Un regard nostalgique sur la vie parlementaire mais des témoignages critiques sur les députés
44Cette expérience professionnelle harassante en raison du calendrier, des séances de nuit et des horaires leur a laissé à tous un souvenir riche et nostalgique. Sans doute faut-il nuancer selon l’âge de ces fonctionnaires à l’époque. Pour ces jeunes gens l’occasion leur était donnée de n’être pas seulement des fonctionnaires d’exécution ni des spectateurs mais de participer même modestement à la prise de décision politique. Impression que Paul Schwall résume très bien : « Quel observatoire de la vie politique ! Quelle responsabilité ! Mais aussi quel honneur pour un très jeune fonctionnaire ! » René Magniez, chef du bureau B2, en rend compte aussi : « Alors voyez-vous tout ceci, je dois vous dire, je ne sais pas si je vous l’ai fait sentir, c’était passionnant. C’était passionnant à tel point que je me souviens qu’un jour, un inspecteur des Finances m’a dit : « Vous, à B2, vous vous croyez plus intelligents que les autres ». Je lui ai répondu : « Non, vous vous trompez lourdement, simplement la différence, c’est que nous, contrairement à nos collègues, même de l’ENA, nous ne faisons pas des rapports qui passent devant le chef de bureau, puis devant le sous-directeur, puis devant le chef de service, puis devant le directeur, en se demandant ce qu’il va advenir de notre note, nous travaillons dans le vent et dans l’immédiat, alors nous, on voit notre sous-directeur, on voit notre chef de service, on voit notre directeur, on voit notre ministre, bref, tout se passe bien.[...] C’est flatteur d’avoir un ministre qui vous appelle au téléphone, qui dit : « M. Magniez, on m’a dit que c’était vous qui faisiez tel budget, je pourrais vous voir ? », et j’avais l’accord du directeur, bien entendu, si je ne l’avais pas, je n’y allais pas. Mais aller voir le ministre, lui expliquer ce qu’il y a dans le Budget, on n’avait quand même pas cinquante ans, on était assez jeune et on se disait : On sert à quelque chose. »
45Responsabilités passionnantes et d’autant plus difficiles que le budget était sensible politiquement. Ainsi Edmond Raoux, chargé des pensions au bureau PCM, se souvient : « Les discussions parlementaires dans les années cinquante sur les pensions de guerre étaient extrêmement difficiles pour un commissaire du Gouvernement surtout pour un commissaire du Gouvernement qui n’a pas fait la guerre (ce qui était son cas). Et elles étaient d’autant plus difficiles si le ministre des Finances n’était pas lui-même un combattant très décoré. »
46Est-ce l’effet de l’âge ? Le regard porté par le directeur du Budget sur la vie parlementaire de la IVe est plus sévère à la mesure de ses efforts déployés pour faire valoir les décisions de l’exécutif qu’il assimile à la défense de l’intérêt de l’État. « J’ai très rarement vu les intérêts propres de l’État défendus à l’Assemblée nationale. Au Sénat, ils le sont un peu plus mais quand c’était le Conseil de la République, tous les abus étaient possibles étant donné que l’Assemblée avait le dernier mot dans une seconde lecture où elle devait accepter ou rejeter l’avis du Conseil. Elle rejetait, donc le Conseil de la République s’en fichait et disait n’importe quoi ou à peu près. Le Sénat, par contre, se souciait de ces intérêts sous la IIIe République et c’était évident. Mais sous la IVe, sous la Ve, je crois que c’est la même chose, on voit assez rarement députés et sénateurs adopter les intérêts de l’État qu’essaie de défendre le Gouvernement devant la masse des intérêts particuliers qu’ils représentent par ailleurs. L’État, c’est pour eux un anonyme, on ne sait pas qui c’est. Ce n’est pas une personne qui vote. Et vous voudriez que les députés et les sénateurs administrent l’État comme ils administreraient leur propre société ? À mon retour à Paris, j’avais été très étonné de cela parce qu’aux Délégations financières algériennes puis à l’Assemblée algérienne, les « Délégués », c’était leur dénomination officielle, géraient le budget de l’Algérie comme ils l’auraient fait pour leur département. Ils défendaient sérieusement les intérêts de l’Algérie. Tandis que là, quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu l’impression que c’était la foire d’empoigne un peu généralisée, et que l’État n’avait aucun défenseur ». Et plus tard, revenant sur la légèreté des parlementaires, Goetze en offre un élément d’explication. « Qu’une politique supérieure les conduise à prendre des positions dispendieuses à l’égard de l’État, ça se comprend très bien quand c’est une politique disons d’ordre national, mais ce qu’on ne faisait pas suffisamment, et ce que maintenant les textes ont obligé le plus souvent à faire, c’était d’en assurer le financement. J’ai vécu cette IVe République où l’on savait financer par l’accroissement du déficit budgétaire essentiellement. C’est tout. On ne s’en occupait pas31. »
47Lorsque Edmond Raoux explique le rôle des agents du Budget à la commission des finances il permet de comprendre certaines pratiques parlementaires. Ces agents disaient à la direction du Budget : « Vous savez ces mesures n’intéressent pas particulièrement le Parlement ; elle sont présentées parce qu’un lobby demandait à un parlementaire d’exposer la demande mais au fond le parlementaire, tout ce qu’il tient c’est que son discours qui a d’ailleurs très souvent été préparé justement par l’extérieur, figure au Journal officiel et au débat parlementaire et qu’il puisse le montrer à ceux qui l’ont inspiré ; donc on pouvait savoir le degré d’attachement du parlementaire. On pouvait au contraire nous dire, ça c’est une mesure à laquelle le parlementaire tient beaucoup pour des raisons personnelles, parce qu’il a des électeurs influents qui sont particulièrement intéressés par cette mesure et donc si vous pouviez faire quelque chose, sinon aller jusqu’au bout de ce qu’il demande, enfin faire une petite ouverture. »
48Ces témoignages des fonctionnaires de la direction du Budget portent sur les parlementaires en séances publiques mais sur l’interlocuteur essentiel qu’est la commission des finances il en va autrement.
II. L’EXTENSION DU RÔLE DE LA COMMISSION DES FINANCES DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE32
49Tandis que Poincaré, ministre des Finances, résumait déjà les empiétements de la commission par cette formule « La commission est un ministère au petit pied et aux grandes prétentions33 », on peut lire dans la thèse de Houssel, de 1954, que « la commission des finances (de l’Assemblée) est devenue un pouvoir, du moins une puissance traitant sur un pied d’égalité avec le pouvoir34 ». Propos que reprend, la même année, un autre exégète de la commission des finances, Louis-Lucas : « Aujourd’hui, une majorité à l’Assemblée ne suffit plus à assurer l’adoption d’une réforme : l’opposition de la commission des finances sera souvent un obstacle insurmontable35. » Cette évolution tient comme Barangé, rapporteur général de la commission des finances, l’a bien analysé à sa position, « placée au point de contact le plus délicat du législatif et de l’exécutif, chargée de guider l’un et l’autre36. » Celle-ci définit bien la nature ambiguë de ses pouvoirs propres participant tantôt au domaine législatif, tantôt au domaine de l’exécutif. Cette liberté prise vis-à-vis du principe de la séparation des pouvoirs qui reste à la base des institutions républicaines est accentuée par la présence hétérodoxe de hauts fonctionnaires du ministère des Finances et plus précisément de la direction du Budget.
A. Une compétence illimitée
1. « Un impératif de la technique financière »
50La justification des attributions de la commission des finances réside au départ dans « l’impossibilité pratique pour les assemblées de procéder directement à l’examen de textes nombreux et techniques37 ». Les commissions ont à se prononcer sur les incidences financières de toutes les mesures et par là sur le fond de ces mesures elles-mêmes. Le parallèle avec la direction du Budget apparaît bien, cette dernière étant consultée par l’exécutif sur toutes les mesures ayant une incidence financière. Par conséquent, ce que Louis-Lucas écrit à propos de la compétence de la commission on pourrait le dire de la direction du Budget « Cette compétence quasi universelle des commissions des finances est un impératif de la technique financière. Tout problème financier étant, au moins à notre époque, un problème de détermination de l’urgence des dépenses, les commissions des finances ne peuvent assumer leur tâche qu’en se prononçant sur les grandes options de politique générale38. »
2. Sa prérogative essentielle : l’examen du budget
51Rappelons que la commission des finances de l’Assemblée sous la IVe comme sous la IIIe 39 est habilitée à modifier le projet du budget du Gouvernement. L’Assemblée se prononce donc sur le projet non du Gouvernement mais de la commission ce qui peut être loin du projet initial voire même en théorie un contre-projet40. En pratique la composition à la proportionnelle de la commission ne la met pas en situation de modifier profondément le projet d’un Gouvernement auquel elle a par ailleurs donné sa confiance. Et d’autre part le Gouvernement ne se prive pas de revenir par amendements suggérés à un parlementaire du même groupe à son texte initial. Mais pour imposer néanmoins au Gouvernement sa volonté, René Charvin note qu’il arrive que la commission des finances refuse de discuter les crédits d’un budget aussi longtemps que le Gouvernement n’a pas déposé une lettre rectificative. Cette injonction étant le plus souvent suivie par l’Assemblée, le Gouvernement est alors obligé de céder41.
52Souvent dénoncée sous la IIP République42, cette prérogative ne doit pourtant pas être surestimée selon Charvin qui a tenté de l’évaluer à la fois pour les dépenses et pour les recettes43. Selon cet auteur, « l’action de la commission des finances de l’Assemblée de 1946 à 1958 pour réduire les dépenses est peu efficiente », l’Assemblée rétablissant au cours des débats les crédits supprimés par la commission pourtant parfois importants. « L’efficacité est plus grande dans le sens de l’augmentation des dépenses » en dépit des obstacles constitutionnels ou législatifs44. Pourtant, en dépit des moyens dont elle dispose, Charvin tient à faire remarquer que « les positions de la commission des finances n’ont pas été la cause principale de l’augmentation des dépenses »45. En matière de recettes par contre il note l’action très puissante de la commission pour limiter la croissance de la pression fiscale : « Dans cette fonction de “comité parlementaire de défense des contribuables” la commission des finances s’est véritablement substituée au Gouvernement de juin 1951 à décembre 1955, la commission des finances impose pratiquement le statu-quo fiscal. Le Gouvernement, dans l’impossibilité d’augmenter les impôts directs doit recourir aux ressources de trésorerie et aux emprunts et Ramadier, ministre des Finances en 1956 a pu proposer les mêmes réformes (qu’en 1947).46 »
53Peut-on alors aller jusqu’à dire « qu’une sorte de ministère occulte formé au sein de la commission prépare un nouveau budget » comme le dénoncent certains ou bien au contraire ne faut-il pas considérer comme le propose Pactet que ce contrôle aboutit à une véritable collaboration, « le projet soumis à l’Assemblée est le produit des cogitations successives du Gouvernement et de la commission des finances47 » ? Sachant comment se prépare le budget ne faut-il pas parler de collaboration direction du Budget et commission ?
3. Les empiétements sur les autres commissions
54Pactet fait justement remarquer que « c’est aux commissions des finances et à elles seules qu’il appartient de se prononcer sur le montant et la répartition des crédits demandés par les différents ministères, les autres grandes commissions permanentes n’étant que tenues informées ». Ces dernières « se trouvent donc privées de cette prérogative essentielle qui consiste après s’être prononcé sur une politique donnée à se prononcer sur les moyens financiers qu’elle implique48 ».
55Par ailleurs, comme d’après le règlement, la commission des finances, et ceci sous la IIIe déjà, est saisie au fond de tous les textes financiers et de tous ceux ayant une incidence financière, c’est-à-dire de toutes les questions, elle empiète sur toutes les autres commissions sauf si celles-ci regimbent. Un exemple de ces abus, le plus souvent cité pour la IIIe République, est la reprise des relations diplomatiques avec le Vatican après la première guerre, question qui fut soumise au fond à la commission des finances dont le rapporteur fut Noblemaire (le traitement de l’ambassadeur menaçait-il l’équilibre budgétaire ?) et pour avis seulement à la commission des affaires étrangères (rapporteur Maurice Colrat). Pour imposer son point de vue, Noblemaire menaça même de démissionner, en vain. Comme le résume Joseph-Barthélémy, « c’était le monde à l’envers49 ». Pour rester dans le même secteur d’activité, on peut citer le cas évoqué par Houssel de l’augmentation étoffée de l’ambassade d’Allemagne le 15 novembre 1952 sur laquelle la commission des finances eût à se prononcer.
56Même si les rapporteurs spéciaux peuvent être convoqués par les commissions techniques et si inversement celles-ci peuvent désigner un de leurs membres pour participer avec voix consultative aux séances de la commission des finances, cela ne limite guère les empiétements de la commission.
4. Un pouvoir d’arbitrage entre législatif et exécutif
57La commission peut s’opposer à un vote ou à un débat, car elle seule est juge de l’application de l’article 48 et décide de la disjonction ou du renvoi en commission de tout amendement. Si l’application est demandée par le Gouvernement elle est alors arbitre entre les pouvoirs assurant ainsi une position dominante. Comme le font remarquer les juristes, cette disjonction qui a acquis le nom significatif de « guillotine sèche » conduit à l’enterrement de l’amendement. Charvin estime même que la simple menace d’utilisation de cette procédure par les responsables de la commission constitue déjà un frein aux initiatives parlementaires50. Aux yeux de Goetze, on l’a vu, la menace ne suffit hélas pas toujours ce qui explique qu’il ait été lui, directeur du Budget, obligé de se rendre si souvent et n’importe quand à l’Assemblée puisque celle-ci est maître de son ordre du jour.
58La commission est arbitre aussi pour les propositions de lois pour lesquelles elle est juge de la recevabilité de l’article 1 issu de la « loi des maxima ». Or la réalité de la réduction ou de la suppression de la recette, ainsi que de l’établissement ou de l’augmentation de la dépense sont des notions nettes en apparence mais qui peuvent être l’objet d’interprétations divergentes51. Qu’elle puisse être de la seule appréciation de la commission donne toute la mesure de son pouvoir et par conséquent de celui de ses fonctionnaires qui lui donnent les moyens d’en apprécier le contenu. Arme précieuse pour le ministre des Finances, cet article 1 doit cependant recevoir l’approbation de la commission. On voit encore combien la collaboration de la commission des finances est nécessaire au ministre des Finances si on sait qu’il est aussi opposable au Gouvernement et donne donc à la commission un instrument de contrôle sur le Gouvernement. Louis-Lucas fait remarquer que sans aller jusqu’à cette extrémité de contrôle, la commission des finances cherche avant tout un accord mais que « cette arme qu’elle a entre les mains lui donne une particulière autorité dans la discussion » et il ajoute : « Il est difficile de déterminer avec précision le rôle joué par l’article 1er dans les rapports commissions-exécutif car cet article 1er ne sera pas évoqué en séance mais en commission52. »
59Enfin sa décision est sans appel53. Elle opère ainsi souverainement un tri, enterrant ou retardant certains amendements ou propositions, les uns fantaisistes, les autres plus sérieux.
60Sans vouloir pousser l’analyse disons encore que c’est la commission des finances et non le Parlement qui peut autoriser le Gouvernement à opérer des virements de crédits entre chapitre, fréquents en matière de défense nationale particulièrement dans le contexte de la guerre d’Indochine où la souplesse devient de rigueur, souplesse exigée aussi par l’internationalisation des problèmes de défense et le contexte international ; autorisation aussi, en vertu d’une loi du 11 juillet 1953, d’effectuer des reports de crédits non consommés d’une année sur l’autre. Ces reports par voie législative remontent en fait au début du siècle (1912) avec l’autorisation d’engagement pour le financement de programme mais avec cette mesure de 1953 ce sont les crédits de fonctionnement qui sont concernés et non plus seulement les investissements et c’est la commission qui est consultée et non le Parlement.
61Notons enfin que les douzièmes provisoires sont approuvés par la seule commission des finances.
5. Collaboratrice du ministre des Finances
62Les avis donnés au Gouvernement par la commission des finances lorsque le Parlement lui délègue le soin d’achever son œuvre budgétaire que les circonstances exceptionnelles ne lui permettent pas de poursuivre font de la commission l’associée du Gouvernement. Ces délégations de pouvoir des assemblées à leur commission ne sont pas neuves même si la technique de l’avis n’apparaît que sous la IVe et Louis-Lucas cite la procédure exceptionnelle de vote du Budget par la loi du 19 février 1934 : à la suite des difficultés financières, de l’agitation politique du scandale Stavisky et de l’émeute du 6 février entraînant la succession des cabinets, les chambres ont été appelées à procéder à un vote global, les états de répartition étant ceux de la commission de la chambre. Le résultat fut spectaculaire, le budget fut voté en deux jours à la chambre, en deux jours au Sénat. En dépit des protestations virulentes de la gauche, cette procédure fut reprise partiellement dès 1935 pour le budget 1936 où les députés votèrent par ministères et non par chapitres. Le Front populaire maintint cette pratique et ce jusqu’en 1940. En effet, en contradiction avec le principe de la spécialité budgétaire chère aux républicains, une disposition législative suspendit chaque année l’alinéa 1er de l’article 30 de la loi du 16 septembre 1871 avec ces réserves que l’exécutif était tenu de respecter le montant des dotations de chaque chapitre et lors du vote par ministère il n’était pas interdit de déposer des amendements sur les chapitres. Comme les députés votent le projet de la commission des finances et non celui du Gouvernement, c’est dire que son rôle dans la répartition des crédits à l’intérieur de chaque ministère était devenu décisif54.
63La pratique du décret-loi, pourtant supprimée en théorie par l’article 13 de la Constitution, s’est maintenue sous d’autres appellations, comme celle de « délégation de pouvoirs en matière financière », accordée au Gouvernement avec avis conforme de la commission des finances. C’est d’ailleurs dans ce contexte que sera pris le décret du 19 juillet 1956.
6. Tombeur de ministère
64Leur pouvoir de mettre en cause l’existence du Gouvernement vient moins des textes que du contexte. Lorsque la majorité parlementaire est peu homogène et que les Gouvernements sont de coalition, la commission des finances a tendance à se comporter en organe politique autonome et peut provoquer la chute des gouvernements même si la couleur politique des dirigeants des commissions est la même que celle des membres du Gouvernement55. Cette indépendance politique des commissaires, selon Pactet en 1953, se manifeste en commission parce que les procès-verbaux, rappelons-le, sont secrets et non en séance publique où la discipline de vote est volontiers acceptée car elle donne, elle, lieu à publicité. Cette discordance entre position publique et position en commission est commune à l’ensemble des commissions. Paul Schwall s’en souvient d’autant mieux qu’elle lui a été un jour, en 1953, bien utile lorsque, avec son collègue Edmond Raoux, il prit initiative que l’on a vue pour éviter une crise ministérielle. « J’entrepris de convaincre le président de la commission des anciens combattants, Vincent Badie, de troquer les veuves contre les grands invalides et les orphelins mesure moins coûteuse et dénuée d’effet contagieux. « Cela ferait deux catégories de bénéficiaires au lieu d’une ! Et puis, le président radical de la commission des anciens combattants ne doit pas être accusé de la chute d’un président du Conseil radical. » Il me répondit : « Il me faut convaincre mes collègues de la commission et aussi les communistes qui ont déposé leur propre amendement pour les veuves. Je vais essayer. » Il réussit. Un contre-amendement signé par un représentant de chacun des partis fut déposé. Paul Reynaud (président de la commission des finances) était furieux car l’amendement de sa commission n’était plus soutenu. « C’est un peu fort ! » répétait-il. C’est vrai que c’était un peu fort. Les députés accusaient un manque de suite dans les idées. Ils prouvaient que le plus important pour eux, c’était l’effet d’annonce des mesures en faveur de leur clientèle électorale. Satisfaire deux catégories pitoyables, au lieu d’une, voilà qui les avait séduits, comme je l’escomptais56. »
65La mise en cause des gouvernements ou des ministres des Finances par les seules commissions des finances ne date pas de la IVe. On se souvient de la démission de Loucheur en 1925 devant l’hostilité de la commission de la chambre qui préfigurait celle de la majorité et son remplacement par Paul Doumer justement président de cette même commission. Pour la IVe République, Robert Charvin compte six crises ministérielles ouvertes provoquées par la commission des finances contre les gouvernements Bidault, Pleven (second), Edgar Faure, Pinay, René Mayer, Guy Mollet57. Houssel, dans sa thèse, a compté 70 questions de confiance provoquées par la commission des finances sur 11458. Comme l’écrit Louis-Lucas en 1954 : « Conçues comme des organes techniques subordonnés aux assemblées, elles détiennent aujourd’hui des pouvoirs politiques leur permettant de peser lourdement dans le dialogue entre le Parlement et le Gouvernement. Tantôt en accordant à celui-ci leur puissant appui, elles lui permettront de repousser au moins provisoirement l’échéance d’une crise, tantôt en lui refusant les moyens de gouverner elles hâteront sa chute59. »
B. L’organisation et les travaux de la commission
1. Sa composition
66Non prévues par les lois constitutionnelles de 1875 ni mentionnées explicitement par la Constitution de la IVe qui évoque les commissions sans plus, les commissions des finances sont le résultat des règlements des assemblées qui ont peu à peu organisé leur fonctionnement et renforcé leurs pouvoirs.
67Jusqu’à la première guerre existait une commission du budget pour les dépenses et une commission de législation fiscale pour les recettes. En 1920 apparaît une seule commission. Depuis une résolution du 17 novembre 1902 adoptée définitivement en 1915, la désignation des 44 commissaires se fait pour la législature, ce qui leur donne le temps de mieux maîtriser les problèmes financiers et de mieux connaître les administrations. Depuis le 7 novembre 1913, le règlement de la Chambre des députés, confirmé par l’article 16 du règlement de l’Assemblée nationale en 1946, a adopté la désignation des commissaires à la proportionnelle des groupes politiques60. Ceux-ci y délèguent leurs représentants les plus importants, on y trouve d’anciens ou de futurs ministres des Finances (comme Doumer ou Auriol par exemple dans l’entre-deux-guerres, Mendès France, Paul Reynaud, Edgar Faure, Schuman sous la IVe) au point de mériter en partie l’expression de « commission des successeurs ». Ils conservent longtemps leur fonction. Cette longévité et la notoriété au sein de leur parti contribuent à créer entre eux « parce que membres de la commission des finances, non pas un code de fraternité, mais de pseudo franc-maçonnerie » selon Fromaget.
68Enfin, c’est la seule commission qui dispose d’un président et d’un rapporteur général. Ils constituent une autorité bicéphale, le rapporteur général ayant dans son équipe les techniciens des Finances, le président plutôt les fonctionnaires de l’Assemblée. Fromaget décrit ainsi la hiérarchie entre ces deux hommes : « On considère que le rapporteur général par rapport au président a une sorte d’autonomie. Il est le contrepoids du président, c’est-à-dire qu’il est en définitive celui qui, entre le pouvoir exécutif – Finances – et le pouvoir législatif – Parlement – sert en quelque sorte de traducteur, intermédiaire, rapporteur qui fait comprendre au pouvoir exécutif ce que le parlement ne veut pas admettre et qui fait comprendre à l’autre ce que l’autre ne veut pas. Donc c’est un rôle de mère maquerelle, si je peux m’exprimer. »
69Pour la répartition des tâches, laissons-lui encore la parole : « Le président est chargé, lui, de la tenue des réunions, de leur rythme, des relations avec la présidence de l’Assemblée nationale, des autres, enfin, tout ce qui est du travail parlementaire, etc. Il est même chargé de certaines mesures, des relations avec le Conseil économique, et avec la commission du Sénat. Il n’a pas de responsabilités sur l’examen des textes en commission des finances. Là, cette responsabilité vient essentiellement au rapporteur général, tout ce qui est d’ordre financier, recettes comme dépenses, dépend du rapporteur général. Mais, il ne peut pas tout faire, et il sous-traite, en quelque sorte, l’examen d’un budget particulier à des membres de la commission des finances, mais sous son autorité. »
2. Ses travaux
70Les séances des commissions ne sont pas publiques ce qui autorisait à une plus grande sincérité (et on l’a vu à un comportement parfois schizophrène). Fromaget s’en félicite : « Autant les séances publiques étaient publiques, autant les séances de commission étaient closes, fermées et, personnellement, j’estime que ce n’était pas plus malsain parce que ça évitait... ça évitait quoi ? Ça évitait une démagogie qui était facile à développer, ça permettait aux gens, aux parlementaires, aux députés de la commission des finances, de dire ce qu’ils avaient à dire sans craindre que cela soit repris, diffusé de mauvaise façon. »
71L’ampleur de ses travaux peut être mesurée à l’aune du nombre de réunions en moyenne par an : 120 entre 1928 et 1932, 150 de 1946 à 1951, 154 de 1951 à 1955. Autre instrument de mesure, le nombre des auditions ministérielles par la commission des finances de 1947 à 1956 : 61 par an61. À la question : quelle était la fréquence des réunions de la commission ? Pierre Fromaget répond : « Cela dépendait des périodes. Il y a eu des périodes où elle se réunissait presque tout le temps. La haute période qui a suivi les années 1940, l’après-guerre. On n’arrêtait pas de se réunir, parce qu’il n’y avait pas de sous en caisse, alors il fallait demander chaque semaine des avances de la Banque de France, ces avances de la Banque de France étaient accordées souvent à la suite du vote d’un projet de loi qu’il fallait nourrir, qu’il fallait expliquer, etc. Quand Pinay est parti il n’y avait plus un sou en caisse. Lui qui incarnait l’orthodoxie, etc., et bien il n’y avait plus un sou en caisse... S’il y a une baisse de tension ça sera peut-être tous les mois ou peut être deux fois par mois. »
72C’est un peu aussi le constat de Neurisse répondant aux critiques sur le travail des parlementaires : « Il y avait une forte assiduité. On critique l’absence des parlementaires en séance publique, ça n’a aucun sens la présence des parlementaires en séance publique, c’est une formalité, si vous voulez, politique, d’enregistrement des décisions prises en commission des finances, dans les commissions, et le travail dans les commissions se faisait très activement et très sérieusement. »
73Outre l’audition des ministres et l’assistance aux débats, le travail essentiel des commissaires est le rapport général de la loi de finances. Synthèse des renseignements obtenus et des contacts établis entre le ministre des Finances et son Administration (donc la direction du Budget) d’une part, le président, le rapporteur général et ses fonctionnaires d’autre part. C’est le document d’information essentiel des parlementaires. À cela s’ajoutent les rapports spéciaux pour chaque département ministériel et pour chaque budget annexe accompagné des fascicules de couleur.
3. Ses moyens d’investigation
74Depuis le début du siècle, les parlementaires se plaignent d’être insuffisamment informés.
75Cette critique n’a d’ailleurs pas cessé avec la Ve République. A. Hauriou écrivait en 1962 : « Le débat entre exécutif et Parlement est devenu un débat entre un partenaire bien informé et un partenaire mal informé62. »
76Les moyens d’investigation des membres des commissions ne sont pas considérables : ils adressent des questions à l’ensemble du Gouvernement mais les réponses ne sont pas toujours suffisantes et parfois trop lentes (sans doute en raison de la voie suivie qui fait du ministre des Finances l’intermédiaire entre les ministères et le rapporteur) ; ils entendent les ministres ; ils peuvent solliciter l’avis des autres commissions sur la partie du projet qui les intéresse ; ils reçoivent également des informations des lobbies ; ils peuvent bénéficier de sous-commissions soit créées selon les besoins par la commission des finances conformément à l’article 14 du règlement qui en prévoit la possibilité comme la sous-commission pour la CECA ou pour les affaires atomiques, soit créées par la loi comme la sous-commission chargée de suivre et de contrôler la gestion des entreprises nationalisées et des sociétés d’économie mixte (art. 70 loi du 21 mars 1947).
77Pourtant Neurisse, dans sa réponse aux critiques sur le travail des parlementaires, estime lui que « les parlementaires étaient, contrairement à ce qu’on raconte, très bien informés au moins en commission des finances et je sais que par exemple à la commission de défense nationale ils l’étaient aussi. Je sais qu’à la commission de la production industrielle, ils étaient aussi très informés de ce qu’ils voulaient. Ils avaient toutes les informations qu’ils souhaitaient. Tout ce que nous leur donnions, nous, fonctionnaires du ministère des Finances à la commission des finances, c’étaient des informations pratiquement totales, ils étaient pratiquement très informés. Et ils travaillaient, ils connaissaient bien leur budget, les rapporteurs connaissaient très, très bien leur budget, et ceux qui intervenaient sur le budget connaissaient très, très bien leur budget. Et la fiscalité, qui était plus ardue à connaître, moins facile que les dépenses budgétaires, ils connaissaient parfaitement la fiscalité. Tous les membres de la commission des finances connaissaient très, très bien la fiscalité et on a eu des interventions très substantielles en matière fiscale. On avait un technicien, M. Gaston Auguet, qui était membre du parti communiste, qui était un ancien fonctionnaire des impôts, qui était remarquable. Il connaissait la fiscalité remarquablement et ses avis étaient pertinents, ses critiques étaient plus ou moins adoptées par les autres. De même, je ne me souviens plus [...] du parti socialiste qu’est-ce qu’il pouvait y avoir M. Francis Leenhardt par exemple, qui était journaliste, qui était à l’époque dans le sillage de M. Gaston Defferre, M. Francis Leenhardt, qui connaissait parfaitement la fiscalité quand il était rapporteur général ; il n’a pas eu à faire d’apprentissage, il maîtrisait très bien la fiscalité. »
78Mais demeurent des obstacles. Rappelons que les ministères qui reçoivent un nombre imposant (entre 40 et 80) de questions des rapporteurs spéciaux mais aussi des rapporteurs des autres commissions sollicités pour avis sont parfois lents à répondre voire réticents devant cette tâche lourde d’enquête qui leur est demandée. C’est devenu un rite d’entendre les parlementaires se plaindre des retards ou des manques, retards accentués par le passage obligé par le ministère des Finances. Les commissions n’ont pas le droit de faire appel à l’INSEE, à la Prévision ou au Conseil économique et social. La masse de la documentation qu’ils doivent absorber est considérable et le personnel technique mis à leur disposition reste insuffisant. En dépit des agents du Budget mis à leur disposition, force est de constater que leurs moyens sont inférieurs à ceux de la direction du Budget alimentant un sentiment d’infériorité et des revendications permanentes en homme et en source d’information. D’ailleurs ce fut ce besoin de pouvoir disposer à l’égal du Gouvernement d’informations précises et des moyens de la traiter et donc de « compétences » qui fut à l’origine de l’appel aux experts du ministère.
4. La perception des budgétaires
79De ces larges responsabilités de la commission les témoins ont bien conscience et en parlent abondamment on le verra. L’un d’entre eux, Raoux, en déduit la raison profonde de cette « alliance » entre direction du Budget et commission des finances.
80Quelle conscience avait la commission des finances de sa fonction, de sa responsabilité ?
81J’ai le sentiment que la commission des finances se considérait comme la grande commission du Parlement, qu’elle était une émanation du Parlement et qu’elle avait, par définition même je dirai, un rôle important dans la recherche de l’intérêt général parce que justement elle avait une responsabilité absolument horizontale et globale, à la différence des autres commissions qui étaient des Commissions sectorielles, essentiellement sectorielles.... elle avait certainement au fond conscience qu’elle devait jouer vis-à-vis des autres commissions un petit peu le même rôle que la direction du Budget devait jouer vis-à-vis des ministères dépensiers ; lorsque je dis le ministère du Budget, je dis le ministère des Finances enfin pas seulement la direction, c’est le ministre et son cabinet naturellement.
III. LES AGENTS DU BUDGET MIS À LA DISPOSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES
A. Les hommes et leurs conditions de travail
1. Qui et combien ?
82Depuis 1920, les commissions des finances bénéficient d’un personnel permanent. En l’absence de concours de recrutement particulier jusqu’en 1946 les commissions ont fait appel en particulier au ministère des Finances pour assister les membres des commissions63. Compte tenu de l’ampleur et de l’importance de l’examen du budget, très logiquement ce personnel technique jusqu’à la fin des années cinquante a été essentiellement puisé à la direction du Budget (plus rarement à la CP). Fromaget explique ainsi l’appel aux techniciens du Budget : « Pourquoi est-ce qu’on y était venu ? On y était venu dans les années 1921-1922-1923, parce que le recrutement des gens de l’Assemblée nationale se faisait sur amitié politique. C’était les parlementaires qui voyaient le fils d’un grand électeur local, qui était un petit peu arbre sec, alors ils le collaient là, ça lui faisait une situation, ils s’assuraient la faveur du papa, ça ne donnait pas quelque chose de bon, parce que tout de même, dans le milieu parlementaire, quand il s’agit de pondre des lois ou des textes qui régissent un peu la vie des autres, il faut tout de même ne pas être complètement ignares et savoir un peu de quoi on parle. C’est à ce moment-là que, dans les années 1920-1925 à peu près, on a commencé à mettre à la disposition du rapporteur général des gens du ministère des Finances, de la direction du Budget et moi j’ai continué un peu la filière. » Et il ajoute plus loin : « Il y a eu une réforme qui a constitué à mettre, pour entrer dans le corps des administrateurs de l’Assemblée nationale, un concours, qui était proche du niveau du concours d’entrée à l’ENA. Alors, à ce moment-là, évidemment, notre rôle de super expert devenait moins évident64. » Au sein de la direction du Budget ce sont des anciens du bureau du Budget, le bureau B2, ou du PCM.
83Comme ils ne figurent pas dans les bottins administratifs, il nous a été difficile de les dénombrer avec précision mais ils sont peu nombreux, jamais plus de cinq à la commission des finances de l’Assemblée comme en témoigne Fromaget qui donne les noms à son arrivée en 194965. « Auprès du rapporteur général il y avait Barreau à qui il succède en 1949 et qui devient TPG, Bertrand, Jean de Romanet, le plus ancien (fils du propriétaire éleveur) qui ne vient pas du Budget mais de la CP passionné de chevaux de course et qui aurait cumulé des fonctions chez Boussac et à la commission, Panard, creusois d’origine, propriétaire terrien. » Auprès du président, il trouve Neurisse (1946-1958), fils d’instituteur, originaire des Landes et socialiste comme le président Jean-Raymond Guyon, maire de Libourne, auprès de qui il est affecté jusqu’en 1951. Il reste auprès de Paul Reynaud jusqu’en 1956. Parmi les fonctionnaires de l’Assemblée nationale qui collaborent avec le président, il cite Bordier, Thomas.
84Peu nombreux donc mais pouvaient-ils l’être davantage ? Joseph-Barthélémy en 1933 rappelle à propos de Poincaré : « Lorsque sorti de l’Elysée, il reprit le ministère des Finances, il regardait comme un abus un peu scandaleux qu’on arrachât trois de ses fonctionnaires à leurs occupations normales pour les mettre au service du Parlement. Aujourd’hui, ils sont 6, le progrès est partout66. » Si la direction du Budget a besoin de ces collaborateurs en commission, ses effectifs, à elle, toujours tendus, ne lui permettent pas d’en détacher beaucoup plus67. Fromaget rappelant les conditions de sa nomination et la nécessité d’obtenir l’accord du ministre précise bien : « Oh, ça n’a pas été si facile que ça ! Il a fallu que le rapporteur général mette tout son poids dans la balance auprès du ministre des Finances pour m’arracher, ce n’est pas une extraction dentaire, mais il y a un peu de ça ! Non, non, ça ne s’est pas fait si facilement que ça. On ne m’a pas dit : « Oh ! mon pauvre type, c’est une bonne chose pour vous, bien heureux de vous voir partir. » Non, pas du tout. Non, ça a été rude, mais enfin, d’un autre côté, c’était un petit peu l’intérêt de la direction d’avoir, auprès du rapporteur général, des gens qui connaissent bien le travail du ministère des Finances, Budget, et qui puissent éventuellement faire le lien entre l’exécutif et le législatif. Voilà. »
2. Les conditions de nomination
85Pour entrer dans la commission des finances les relations politiques autant que la cooptation par les budgétaires semblent avoir joué. Neurisse, rédacteur à la direction des Assurances puis brièvement à la direction du Personnel, après avoir été à la direction du Budget de 1941 à 1943 raconte : « J’ai été un jour convoqué par le directeur du Personnel, tout frais et moulu, puisqu’il changeait les directeurs à la Libération qui s’appelait Jean Roudier, dont je garde un souvenir ému (qui) me dit : « Qu’est-ce que vous avez fait à la direction des Assurances ? » Alors je lui dis : « Je me suis fourvoyé là parce que je voulais présenter le concours de l’Inspection et que j’ai été collé au concours. » Alors il me dit : « Vous êtes trop vieux pour entrer à l’Inspection, vous n’allez pas faire une carrière à l’Inspection et puis vous n’avez pas de père inspecteur des Finances, qu’est-ce que vous allez f.... à l’Inspection qui était un raisonnement démoralisant. Et il me dit : « Voilà, moi j’ai autre chose à vous proposer, le ministre demande un fonctionnaire pour épauler la commission des finances. Alors vous avez une connaissance budgétaire puisque vous étiez au Budget, vous remplissez les conditions, etc., mais je dois vous dire que vous n’êtes pas le seul en piste, est-ce que ça vous plaît ? ». Nous venions d’avoir un nouveau directeur des Assurances qui était un ancien sous-directeur du Budget que je connaissais un peu, et je vais le voir pour lui demander un conseil, et il se trouvait que Gache, c’était son nom, avait été à la commission des finances avant-guerre. Alors il me dit : « Oui, ça me ferait de la peine de vous lâcher, mais je sais, j’ai travaillé à la commission des finances, c’est extraordinaire, allez-y, vous verrez ». Mais il précisera ultérieurement au sujet de Jean-Raymond Guyon auprès de qui il est affecté : « Je crois que c’est ce qui a fait pencher la balance de mon côté, il était député de la Gironde et moi je suis originaire des Landes. C’est cette affinité qui nous a lié peut-être plus qu’autre chose ».
86Fromaget raconte, lui aussi, comment il arrive en janvier 1949 à la commission des finances. Barangé, ancien collègue de son père le connaissait de nom68. « Il s’est trouvé qu’en 1949, l’année dont je vous parle, il y a eu un ancien de la commission des finances qui est parti. C’était le plus ancien. Il est parti comme trésorier général à Bordeaux, M. Barreau. Il y avait donc une place libre et puis il y avait d’autres gens qui étaient là, que je connaissais... on se connaissait tous au Budget, ou presque, et on se connaissait bien. Alors, avec l’approbation de M. Barangé, Panard, c’est Panard, je crois, oui et Romanet sont venus me demander si je voulais venir à la commission des finances. C’est de la cooptation pure et simple. » Lui-même fera venir dans les années soixante non pas des agents du Budget mais des fiscalistes : « À un moment donné où je m’étais rendu compte que les problèmes qui se posaient à la commission des finances n’étaient pas des problèmes financiers généraux, mais beaucoup plus des problèmes fiscaux, de technique fiscale, à ce moment-là j’ai renforcé l’équipe en prenant surtout des fiscalistes qui étaient capables, vous comprenez, de discuter avec les techniciens de la rue de Rivoli, mais d’égal à égal, sur la portée d’un texte, sur ses conséquences, sur ses incidences. »
87Lorsque la majorité politique change, ils demeurent le plus souvent, ce qui corrobore leur témoignage sur leur neutralité politique dont parle Fromaget, cette qualité étant indispensable à leur continuité. « Il fallait surtout demeurer en dehors des politiques, parce que, prenant parti pour les uns ou pour les autres, ça ne marche pas. Ce qu’il y a c’est qu’on a un devoir d’information et de loyauté. Vous n’allez pas faire un discours politique pour quelqu’un. Mais en revanche, s’il vous demande de l’informer sur tel dossier ou telle question technique, vous n’avez pas à faire de la rétention d’informations. Ça serait très mal vu. Donc vous avez un devoir de loyauté et de qualité d’information et de loyauté à l’égard de celui qui vous interroge, quelle que soit sa couleur politique. Si c’est un député communiste qui vous demande : “Que pensez-vous de la façon dont (inaudible) de l’agriculture ?” Bon, et bien, il faut lui dire. Qu’il soit communiste ou qu’il soit RPR, ça n’a pas d’importance. Sinon vous cessez très vite d’être libre [...] Donc, vous avez un devoir d’objectivité et de bonne information. » Et Neurisse raconte comment il conserve ses fonctions lorsque Paul Reynaud succède en 1951 à Jean-Raymond Guyon à la présidence de la commission : « Dès qu’il a été élu, le bruit s’est répandu qu’il cherchait des jeunes inspecteurs des Finances [...] Et puis je reçois chez moi, un soir, un coup de téléphone de Gilbert Devaux qui me dit : « Le président Paul Reynaud vous attend chez lui à huit heures du matin. « J’arrive chez lui à huit heures moins le quart bien sûr, c’était 5, place du Palais-Bourbon, j’avais plutôt le trac, j’avais même bien le trac et puis on me met dans un bureau, je m’assieds sur le bord du fauteuil et j’attends quelques minutes et à huit heures pile, Paul Reynaud arrive en pyjama et il me dit : « Ah je vous ai fait venir parce que j’ai un service à vous demander. » Je dis : « Monsieur le président » Je n’ai pas eu le temps de dire autre chose, parce que j’avais encore le trac qui commençait à jouer « J’ai un service à vous demander, c’est que vous continuiez à travailler avec moi comme vous avez travaillé avec mon prédécesseur. » J’ai avalé ma salive et je lui ai dit : « Monsieur le président, je suis très flatté, je suis à votre disposition, si vous voulez que je rentre rue de Rivoli. »« Non non non, il me dit, dites moi ce qu’il faut, par quoi je peux me signaler à la commission, ma présidence peut se signaler. »
88Pourquoi acceptent-ils ? Parce que le déroulement de la carrière au bureau B2 est lente, parce que la vie parlementaire les attire, parce que l’atmosphère dans un petit service est plus convivial, parce que l’apprentissage est très formateur, enfin parce qu’ils assument des responsabilités qui les passionnent. C’est ce qui ressort des deux témoignages. Neurisse dit de sa collaboration avec Paul Reynaud : « Paul Reynaud m’a appris à regarder le monde à l’extérieur, enfin le monde à l’extérieur, à l’extérieur de la France. Et donc, il fallait que je lise le Times, le New York Times, le Financial Times. Ah, ça avait été un problème pour me faire abonner par l’Assemblée à ces trois journaux, il a fallu des tractations, que le président Paul Reynaud téléphone lui-même au secrétaire général de l’Assemblée ». En passant il nous éclaire sur le niveau médiocre d’information des autres fonctionnaires de l’Assemblée de cette période. Fromaget explique pourquoi les candidats sont nombreux : « C’est un travail qui est quand même assez intéressant et qui est régulier, parce qu’il y a des périodes de pointe mais il y a des périodes de non-pointe aussi, ce qui est apprécié, et puis il y a l’atmosphère qui est une atmosphère de petite cellule de travail, qui n’est pas du tout l’atmosphère des grandes directions ou c’est quelquefois la machine. » Et dans un autre entretien il ajoute : « La commission des finances c’est un peu un autre monde, vous êtes avec des gens qui seront demain ministre. »
89Peut-on ajouter que les traitements sont équivalents à ceux des agents du bureau B2, les mieux payés de la direction compte tenu des horaires et des indemnités supérieures ? Fromaget reste vague et parle d’indemnité de fonction « un peu plus forte » et de traitement : « à peu près identique aux rémunérations d’un fonctionnaire de la direction du Budget, du bureau du Budget, c’est-à-dire de ceux qui au sein de la direction du Budget sont les mieux traités ». En matière d’indemnités, ils percevaient comme les « bédeusiens » outre les primes fixées au plus haut niveau pour leurs catégories, le double du maximum réglementaire de l’indemnité de fonction attaché à leur grade. Une mystérieuse disposition interne, transmise par voie orale, leur accordait en outre la possibilité de déduire fiscalement la moitié de ces avantages spéciaux. Rappelons en effet que, mis à la disposition de la commission, ils dépendent toujours de la direction du Budget pour leur traitement et le déroulement de leur carrière.
3. Leur carrière
90Leur permanence dans leur fonction est remarquable. 22 ans de 1949 à 1970 pour Fromaget ; 13 ans pour Neurisse. Le passage par un cabinet n’est pas la norme même si Neurisse et Panard en ont fait en cours de route l’expérience69, car, comme le souligne Fromaget, le risque de ne pas retrouver de fonctions intéressantes après la chute du ministère est réel. Ils progressent en grade et en traitement indépendamment de leur responsabilité. Fromaget parle d’une « espèce de cursus qui faisait qu’on montait comme cela en parallèle ». C’est pourquoi il est nommé chef de bureau en 1953, contrôleur financier en 1960, mais sans changer de responsabilité. Il s’agit « uniquement d’un changement de bulletin de paye [...] c’est un galon c’est tout ». Par contre quand il devient chef du service de la commission des finances en 1966 c’est là une nette différence de responsabilité même si « service » est un bien grand mot pour une petite structure d’une quinzaine de personnes tout compris. Comme chef du service, c’est lui qui répartit le travail : « Pour tout ce qui est du travail parlementaire, d’examen des textes, du travail qu’on doit faire en commission des finances sur les projets du Gouvernement, l’organisation de tout ce travail-là, sa répartition, c’est à moi que ça incombait. »
91Leurs débouchés sont ceux des budgétaires, TPG ou Cour des comptes, en règle générale.
4. Les relations au sein de la commission
92Fromaget explique comment se répartissait le travail au sein de l’équipe finances : « On prenait des budgets, on les étudiait, on faisait un rapport, on préparait le rapport du rapporteur général, on préparait ses interventions orales et écrites, chacun prenant un bout, prenant un thème, c’était un travail d’équipe pour permettre à quelqu’un de bien faire son métier. » Et plus tard il reprend « Oh ! On s’entendait fort bien ! On s’entendait fort bien pour une raison évidente, c’est que chacun recevait, vous savez c’est lourd le budget n’est-ce pas, c’est très gros la loi de finances, chacun recevait une partie à faire à égalité avec les autres. Et une fois que c’était fait, chacun se mettait en liaison avec les autres pour voir si ça devenait homogène et si ça collait et il fallait surtout travailler extrêmement vite parce que le temps imparti pour l’examen de la loi de finances n’est pas grand, donc il faut en donner pour le temps qu’on a, et le temps qu’on a dépend de celui qu’on vole au sommeil, le dimanche, le samedi, etc. Il faut bien dire qu’entre le mois de septembre et le mois de décembre, le rythme de travail c’est 9 h à minuit tous les jours, dimanches compris. »
93Leur supérieur parlementaire est essentiellement le rapporteur général. Fromaget précise que « dès lors qu’ils sont auprès du rapporteur général, ils sont toujours payés peut-être par le ministère des Finances, mais ne reçoivent plus aucun ordre du ministère des Finances et sont à l’entière disposition, disons, assurent une collaboration totale au rapporteur général » et plus loin : « Ceux qui pouvaient nous donner des ordres c’étaient le rapporteur général, essentiellement ou les présidents. » Ils travaillent également avec les rapporteurs spéciaux comme l’explique Fromaget : « Nous (l’équipe finances), nous étions donc mis à la disposition du rapporteur général, avec vocation pour voir certains budgets, particulièrement sensibles, et, dans ces conditions là, on travaillait à la fois comme (inaudible), bien entendu, mais on travaillait aussi avec des parlementaires qui étaient rapporteurs particuliers de tel ou tel budget. »
94Les relations avec les fonctionnaires de l’Assemblée sont délicates. Cela tient à la différence de recrutement, à la répartition des tâches et à la rivalité qui s’exacerbe après l’arrivée des recrutés par concours. En 1967, A. Chandernagor décrit encore ces fonctionnaires de l’Assemblée « confinés la plupart du temps dans une sorte de tâche de greffier, discret et effacé70 ». Ce terme de greffier est utilisé aussi par A. Dupas, haut fonctionnaire de l’Assemblée, mais pour la période qui précède son arrivée à la commission des finances en mars 1958. Et Fromaget confirme cette évolution : « Les administrateurs s’occupent de la tenue des réunions de la commission, de la publication des travaux de la commission, comme dans toute autre commission. [...] Ils ont fait de gros progrès. Tout d’abord, au début, ils ne travaillaient pas. C’est nous qui faisions tout. Après, ils se sont bien rendu compte que si ils nous laissaient tout faire, c’était la négation de leur propre utilité et le secrétaire général, qui était Blamont, s’est bien dit qu’il fallait qu’il remonte le niveau des fonctionnaires, ce qu’il a fait. Alors, ils travaillaient, sur des budgets, comme nous, nous demandant, enfin on les informait, en quelque sorte. »
95Le résultat de cette inégalité dans les responsabilités exercées est bien décrit par Fromaget et confirmé par Alain Dupas : « Nous nous retrouvions en parallèle avec des administrateurs de l’Assemblée nationale, issus du concours de l’Assemblée nationale et avec lesquels il y avait une cohabitation quelquefois délicate. Donc nous étions condamnés à bien faire ce que nous avions à faire parce que c’était la seule justification de notre présence dans l’enceinte du Palais Bourbon. C’était de savoir faire des choses que d’autres ne savaient pas faire. [...] Bien évidemment, les fonctionnaires de l’Assemblée nationale nous considéraient comme des intrus, comme des kystes qu’il fallait enlever et ils y sont parvenus quand les socialistes sont arrivés au pouvoir. » Disons tout de suite que cette concurrence aboutit à la suppression de cette mise à disposition, en 1982, à la demande de certains fonctionnaires de l’Assemblée, appuyés par une large majorité socialiste, et approuvés par Laurent Fabius, ministre du Budget. Regrettant que cette suppression (qui n’eut lieu qu’à l’Assemblée nationale et non au Sénat et ne toucha pas les experts de la commission de la défense nationale) n’ait pas été mieux négociée par le Budget, Fromaget reconnaît que : « D’un autre côté il faut bien dire que la présence de gens des Finances au sein d’une commission des finances parlementaire a quelque chose qui n’est pas rationnelle. » Et il comprend bien que « les gens de l’Assemblée nationale voulant être chez eux et avoir ce qui est une des plus belles attributions pour des secrétaires administratifs à la commission des finances (ne l’aient pas) laissé à des intrus. »
B. Leurs travaux
1. Trouver et donner l’information
96Ce sont eux qui rédigent les questionnaires adressés aux départements ministériels, Finances compris, qui portent aussi bien sur le bilan de l’action, la justification des crédits demandés, l’emploi des crédits votés l’année précédente (reports, annulation...) ou sur des demandes statistiques, budgétaires, économiques ou financières. Voici comment Fromaget décrit son travail auprès des rapporteurs spéciaux : « Pour les rapports particuliers, vous avez donc les propositions d’un ministère. Alors je vous avais dis que ça prenait à la fin la forme de plusieurs documents. Il y avait donc le “vert”, qui était la photographie, en quelque sorte, du budget précédent, mis en stade d’être exécuté, c’est-à-dire une fois terminé le débat parlementaire, et puis il y avait le petit fascicule “bleu” qui était les mesures nouvelles proposées, en plus ou en moins, généralement en plus. Alors quand il arrivait à la commission ce document-là, ce projet de budget ainsi constitué, va dans deux enceintes : un à la commission des finances, qui est saisie au fond, parce que c’est du budget, deux à la commission technique, anciens combattants, défense nationale, enfin ce que vous voulez, parce que cette commission doit donner un avis et comme elle n’a que ça à se mettre sous la dent, elle a tendance à considérer que son avis compte beaucoup plus que ce que va dire la commission des finances. Ce qui n’a jamais été notre sentiment, bien entendu. Alors, ce document arrive et il a, en principe, un rapporteur préalable, c’est M.X qui fait les Affaires étrangères, c’est M. Y qui s’occupe de l’Industrie, etc. Alors c’est donc ce parlementaire qui va recevoir ce document. Et nous allons le recevoir en même temps. Et on commence par faire ce qu’on appelle un questionnaire. C’est-à-dire que vous reprenez, vous lisez ce document, que vous analysez, et que, prenant votre plume et une feuille de papier blanc, sachant ce que vous savez sur ce qui s’est passé les années précédentes, ou comment s’était exécuté ce budget, les années précédentes, vous posez des questions aussi méchantes que vous le pouvez. Des questions qui sont capables, quand même, de mettre l’Administration dépensière devant ses manques de logique, je ne dirai pas ses turpitudes, je n’irai pas jusque-là, mais ça peut ne pas en être très loin quelquefois et ces questionnaires sont (inaudible), parce qu’ils sont fondés, grâce à l’expérience, sur les avis que vous donnent les contrôleurs financiers, ce qu’on appelait autrefois les contrôleurs des dépenses engagées, ceux qui suivent au jour le jour l’exécution d’un budget, chapitre par chapitre et vous donne leur avis. Alors, ça n’est pas un avis qui est toujours exempt de critiques. Vous avez aussi lu les journaux, donc vous posez les questions. Vous soumettez l’Administration dépensière au supplice de la question. Et je vous jure que c’est quelquefois brutal. Il y a des ministres qui ont râlé auprès du ministre des Finances. » Neurisse lui aussi raconte : « Alors les budgets arrivaient et étaient communiqués bien sûr au rapporteur intéressé. Pendant ce temps-là, l’équipe du rapporteur général et du président, les quatre ou cinq fonctionnaires des Finances qui nous trouvions là, examinaient ces budgets, les étudiaient et posaient des questions par écrit au ministère des Finances ou au ministère intéressé, je ne me souviens plus très bien si c’était, je crois que c’était au ministère des Finances mais peu importe, peut-être aux deux d’ailleurs et posaient un certain nombre de questions par écrit, une vingtaine ; ça oscille entre vingt ou quarante questions, suivant la substance même des budgets grâce à quoi on pouvait armaturer la discussion en commission. »
2. Rédiger les rapports dans un minimum de temps
97Lorsque les réponses arrivent voici comment Fromaget décrit leur travail : « Je vais vous dire comment ça se fait un budget donné. Je vous ai dit qu’on faisait des questionnaires. Bon, puis les questions arrivent, souvent elles arrivent au dernier moment, elles arrivent le jour J – 3 peut-être, le jour J étant celui où l’affaire est en débat, n’est-ce pas. Donc il faut faire un rapport. Comment vous faites ? Vous ne pouvez pas travailler dans la journée parce que vous êtes dérangé tout le temps. Alors, après dîner vous appelez une dactylo, parce qu’il fallait une dactylo à ce moment-là, vous prenez les feuilles que vous avez reçues, vous les classez, vous leur donnez une sorte d’ordre, bien entendu, un plan, et puis vous dictez de 9 h à 11h à peu près, en reprenant les textes des réponses qui sont utilisables, en résumant. Puis, quand c’est dicté, la sténo s’en va avec ça et puis elle vous rapporte ça vers 2 h du matin, vous relisez ça et à 3 h du matin vous portez ça rue Saint-Benoît à l’imprimerie et il faut que ça soit le lendemain matin imprimé. Ça c’est dur ! » Neurisse aussi témoigne de l’intensité et de la rapidité exigée pour l’étude des rapports particuliers : « Nous sentions, nous sentions à peu près quand on regardait un budget, on sentait très vite et très rapidement, on s’était très rapidement rodés, à savoir ce qu’étaient les réactions des divers membres de la commission des finances sur la présentation de tel ou tel budget et nous savions déjà les réponses fournies. Alors une fois que nous avions nos réponses, on inscrivait le Budget à l’ordre du jour de la commission des finances. »
98Il leur faut aussi rédiger le rapport du rapporteur général. « Le rapporteur général consulte ses conseillers “techniques”. Le rapport général, évidemment, il faut d’abord dire ce que c’est. C’est un texte qui était très important et qui est, en quelque sorte, une réponse au premier volume... (inaudible). Alors, le rapport général est une sorte de réponse en disant que tout va bien (inaudible). Alors, bien entendu, ça ne se fait pas exactement comme ça. Alors, on prend les thèmes, la réforme fiscale, quelles sont les tendances, etc., ou alors sur la situation du commerce extérieur. Mais ça n’est pas facile à faire parce que le document doit être facile à être lu. Il ne faut pas non plus tomber dans un enclos gouvernementaliste qui ne serait pas justifié (inaudible)... C’était comme ça de mon temps, maintenant je ne sais plus ce que c’est. C’est très contraignant, c’est très difficile. »
3. Assister les parlementaires aux séances de la commission
99Neurisse précise spontanément : « Je ne vous ai pas dit que, parmi le travail que nous avions, c’est d’assister en permanence aux commissions des finances. Nous ne tenions pas le PV, le PV était tenu par les fonctionnaires de l’Assemblée, mais nous participions comme techniciens, comme conseillers, on se retournait, on nous demandait : « Qu’est-ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est ? »
100Ce témoignage permet de saisir que, contre tout principe, ces fonctionnaires des Finances participaient bien aux séances des commissions, fonctionnaires à voix basse plutôt que muets.
4. Rédiger les discours des membres de la commission
101Lorsqu’on demande à Fromaget : qui rédige les discours du président de la commission des finances ? La réponse de Fromaget (qui a souligné au préalable les exceptions de Paul Reynaud et dans une moindre mesure d’Edgar Faure qui écrivaient eux-mêmes leurs discours) est catégorique. « Je n’ai jamais vu un parlementaire, à quelques rares exceptions, rédiger lui-même ses discours. » Mais il souligne la difficulté du genre, un « à la manière de » qui doit être crédible. « Vouloir et savoir ce que le président voulait dire, peut dire, et ne pas lui faire dire quelque chose qu’il n’a pas envie de dire. Il faut donc le connaître intimement et puis, lui soumettre le texte, bien entendu, quand il a le temps de le lire, quand il n’a pas le temps il ne le lit pas, et puis être suffisamment, comment dirais-je, familier avec sa façon de parler, sa façon de se comporter pour qu’il n’y ait pas de, comment dirais-je, de contresens. »
102Et le président relit avant le discours ?
103« Quand il a le temps. Pas toujours. Pas toujours. »
104Il faisait des commentaires après ?
105« En général, il n’a pas à faire de commentaires parce que s’il avait voulu faire le travail lui-même, il l’aurait fait et s’il l’a donné à quelqu’un d’autre, c’est qu’il avait confiance dans le quelqu’un en question et il n’a qu’à lui dire merci, c’est tout. »
106Et les précautions étaient les mêmes quand vous rédigiez les discours du rapporteur général ?
107« Oh tout à fait ! Il faut être extrêmement attentif à ce qu’on vous dit parce que vous avez quand même plusieurs forces qui sont en présence. Vous avez la personnalité même de votre rapporteur général, bien entendu, vous le connaissez bien, mais lui, il parle au nom d’une commission, sur un travail de commission qui a été fait, alors là-dedans il y a deux choses : il y a la partie technique, l’analyse des textes, alors ça ça va tout seul, mais il y a aussi la philosophie, il y a l’impression générale que l’on peut donner. Vous avez en face de lui un Gouvernement, dont lui ne fait pas partie mais rien ne vous dit qu’il n’aurait pas envie d’en faire partie. C’est évident. Alors, vous avez également de l’autre côté du bouquet de fleurs, ne pensez pas que ce sont les ministres qui fassent les discours, ni même les textes, ce sont des gens des cabinets qui ont leurs propres ambitions, leurs propres idées et qui se méfient comme de la peste de ces gens qui sont en face d’eux à l’Assemblée nationale. Alors, ça fait évidemment un monde un peu interloque, mais c’est comme ça. »
108Mais, est-ce la même équipe qui rédige les discours du président de la commission des finances ?
109« Pas nécessairement. Un président a sa propre équipe en général, qui est faite avec des gens qui, généralement, sont des fonctionnaires de l’Assemblée nationale et qui tiennent, évidemment, à garder cet espèce de privilège, tandis que ceux du rapporteur général viennent des Finances, c’est acquis. »
110Mais Neurisse raconte qu’il leur arrivait de faire en commun le discours du rapporteur général et le discours du président, « pour ne pas qu’ils se chevauchent, il fallait qu’ils disent des choses complémentaires et non pas la même chose, c’était assez délicat ».
5. Assister les parlementaires en séance publique
111Neurisse explique encore : « On assistait le rapporteur général, le président et le rapporteur du Budget au sein de l’Assemblée. À l’Assemblée, il y a le banc des ministres et le banc des commissions, qui est assez court d’ailleurs, qui avait trois places et derrière le banc des commissions, on siégeait, nous siégions avec tous les documents, tous nos documents sur le Budget et nous aidions non seulement le rapporteur général mais il arrivait souvent que nous aidions le ministre en cause, le ministre des Finances qui nous connaissait très bien puisqu’il était issu généralement de la commission des finances et qui avait souvent plus de confiance en nous qu’en son directeur de cabinet ou en son directeur du personnel. Il est vrai que nous étions très rompus, très rompus aux règlements du Parlement et que nous savions quel article de règlement il fallait opposer, quelle exception il fallait soulever, etc. et nous étions à la fois conseils techniques du rapporteur général ou du rapporteur particulier et conseils politiques du ministre ou du président du conseil. Il m’est arrivé personnellement de rédiger moi-même pour le compte du Gouvernement le texte de la question de confiance qui allait être posée. »
112On ne peut mieux témoigner de la confusion des pouvoirs qui pouvaient alors régner même si leur loyauté à l’égard des parlementaires n’est pas en cause ! Mais on comprend mieux désormais comment la collaboration entre le ministre et la commission a pu être mise en musique.
6. Les relations avec les interlocuteurs extérieurs
113La commission des finances apparaît comme une forteresse inégalement assiégée sur trois fronts : le ministre des Finances et la direction du Budget qui souhaitent imposer le projet du Gouvernement durement négocié au fil des conférences budgétaires et arbitrages successifs ; les parlementaires qui souhaitent satisfaire leur clientèle électorale ; et les ministères dépensiers qui comptent bien obtenir à l’Assemblée ce qu’ils n’ont pu obtenir lors de la préparation du budget. Neurisse classe les budgets, les plus difficiles à rapporter en fonction de la valeur technique des administrateurs qui préparent les budgets au sein des ministères et dans cette hiérarchie ainsi définie, il estime que « les fonctionnaires de l’Éducation nationale sont finalement des enseignants qui n’ont pas réussi (rire), très souvent. Et ils ne sont pas meilleurs administrateurs qu’ils n’ont été enseignants... Les Affaires étrangères c’est un petit budget (inaudible). Ils (ceux qui préparent les budgets) n’ont aucun prestige par rapport aux fonctionnaires qui font la haute politique. Ils sont chargés des questions, des traductions. Alors les pauvres types en souffrent et le budget aussi, parce que ce n’est pas bien fait. A l’inverse : les PTT, non, ça va tout seul, les PTT et puis ils sont très bien outillés, mais ils ont tendance à vous vendre du tout fait, alors s’ils vous vendent du tout fait et bien vous n’avez pas beaucoup les moyens d’exercer vos talents de critique. C’est bien pour ça qu’ils le font. L’Industrie, ça dépend des directions. L’Équipement même chose, ça dépend de la direction qui a préparé le travail. L’Agriculture c’est toujours un petit peu incertain. » Il faut noter qu’une typologie élaborée selon les mêmes critères mais n’aboutissant pas nécessairement au même constat (notamment sur les Affaires étrangères) apparaît fréquemment dans les entretiens des budgétaires du bureau B2. Les « bons » budgets sont ceux des administrations solides, bien charpentées avec qui les arbitrages peuvent se faire au niveau du chef du bureau ou de la sous-direction, ce qui permet d’éviter les arbitrages ministériels souvent imprévisibles. Mais l’étude des relations de la direction avec les ministères, que cette journée d’études sur la direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante s’est fixée comme objectif, ne peut s’appuyer sur les seuls témoignages oraux.
114Dans ces ministères, leurs contacts sont les cabinets ministériels. Fromaget le précise : « Le cabinet ministériel... accompagne le ministre quand il est entendu par la commission des finances, par telle autre commission, il est le correspondant des fonctionnaires des commissions pour tout ce qui concerne la mise au point des textes. Et ce n’est pas rien parce que vous avez des textes qu’on appelle de diverses dispositions d’ordre financier, pour quelquefois soixante articles et qui ont ceci de commun entre eux c’est qu’ils traitent peut être un tout petit peu des questions qui tournent aux Finances, mais sur des sujets absolument disparates. Ça peut aller des successions à, comment dirais-je, à l’organisation des services, etc., et il est bien évident que pour arriver à mettre au point les textes explicatifs, ce n’est pas tellement facile. Alors (on noue) des relations avec des gens du cabinet pour justement leur dire, leur demander comment ça se passe, ce qu’ils font, etc. [...] c’est le cabinet qui évidemment collecte, à travers toutes les administrations, toutes les réponses. »
C. Leur rôle essentiel : intermédiaires diplomates entre la direction du budget et la commission des finances
115On a vu leur mission d’information, de rédaction, d’assistance technique, mais à la lecture des témoignages, d’autres fonctions exercées par ces experts apparaissent, tout aussi importantes.
1. Des ambassadeurs des Finances
116Ces fonctionnaires s’avèrent être des censeurs vigilants. Gourdin en 1951-1952, fort de son expérience d’ancien sous-directeur puis directeur du Budget, commente ainsi la fonction de contrôle du ministère des Finances. Celle-ci s’appuie sur deux prérogatives du ministère des Finances par rapport au législatif : d’abord la préparation du Budget qui « lui permet d’imprimer à la politique financière une orientation qui dans ses grandes lignes ne pourra plus guère être modifiée » même si la commission des finances s’en saisit, le rapporte et en fait le projet de la commission ; ensuite, « le ministre des Finances en mettant à la disposition des commissions financières un certain nombre de ses agents est très loin de faire le marché de dupes dont s’indignent ceux qui croient qu’il fournit ainsi des verges pour se faire fouetter. Nourris dans le sérail, et formés aux disciplines de la rue de Rivoli, ces apparents transfuges en conservent l’esprit. Même s’il devait douter de leur loyalisme politique, le ministre des Finances pourrait toujours se fier à leurs réflexes professionnels. Ainsi en un certain sens, le ministre des Finances contrôle l’œuvre budgétaire du Parlement. » Au-delà de l’expression ministre des Finances, on pourrait tout aussi bien dire le ministre et la direction du Budget71.
117Paul Schwall raconte un épisode frappant où l’on voit le fonctionnaire du Budget à la commission des finances être plus vigilant encore que le budgétaire de la B2 quant à la dépense : « Pour une fois, je n’avais sans doute pas vérifié avec assez de soin les vacances d’emplois au ministère du Travail, puisque mon ami Fromaget, transfuge de la direction du Budget passé à la commission des finances, avait pu convaincre le président de cette commission de proposer en séance le rejet des créations d’emplois sollicitées par ce ministère, au motif précisément qu’il restait de nombreux postes budgétaires non pourvus. Il s’en était procuré la liste et possédait un document irréfutable : une note à l’en-tête de l’Administration concernée. » Zèle qui en l’occurrence ne réussit pas à vaincre le ministre qui nia et que le président de la commission des finances n’osa pas contredire publiquement.
118Ces censeurs sont également des éclaireurs pour la direction du Budget. C’est ce qui ressort du témoignage de René Magniez, chef du bureau B2, interrogé sur les relations de B2 avec le Parlement : « Nous avions une chance folle que les gens du Budget n’ont plus aujourd’hui : il y avait auprès de la commission des finances des garçons qui préparaient les papiers pour les rapporteurs. Ils venaient tous du ministère des Finances. [...] bref, nous avions en face de nous des copains, qui d’ailleurs dans certains cas nous appelaient et nous disaient : “Dites donc, il y a une bêtise dans ce budget, ça ne colle pas, il faut changer ça”, alors on allait les voir, on leur expliquait pourquoi on avait mis ça et lorsque leurs arguments nous paraissaient assez forts, on allait voir le directeur pour dire : “Sur ce budget là il y a un os, ce qu’il dit est vrai, alors qu’est-ce qu’on fait, est-ce qu’on résiste ou est-ce qu’on lâche, parce qu’ils nous ont dit que ce passage-là ne passerait pas devant le rapporteur, surtout qu’eux ils aideraient le rapporteur à voir que ça ne passait pas” (rire). Alors vraiment c’était ça les relations avec eux et c’était très bon, tellement bon. » Interrogé sur les changements de la Ve République, il tient à rappeler « Nous avions toujours, ne l’oubliez pas, à la commission des finances, ce que je peux appeler, les camarades qui venaient de chez nous, nous avions un langage commun et eux nous évitaient des impairs, en nous disant : « Non, là vraiment, on va faire passer ça qui est difficile à faire passer, mais en revanche, mon cher Magniez, arrangez-vous avec votre directeur, mais il y a des choses qui ne peuvent pas passer, il faut arranger les affaires avant. »
119Edmond Raoux, administrateur au bureau des pensions, donne un bel exemple de cette promiscuité intellectuelle lorsqu’il évoque son rôle de commissaire du Gouvernement à la commission des finances du Conseil, évocation valable aussi pour celle de l’Assemblée : « Au Sénat en une nuit j’avais quatre-vingt-dix amendements. C’était sur la réglementation des pensions... C’était en 1955... J’avais la chance que le chef du service technique de la commission des finances avait été mon patron, Carcelle. Donc on se connaissait très bien. Et Carcelle était un homme remarquable qui avait énormément de poids, énormément d’influence auprès de la commission des finances (du Conseil). On s’est réuni tous les deux, ... il les connaissait très bien (les pensions) ; on a passé les quatre-vingt-dix amendements en vitesse en même temps et il a dit « vous me passez celui-là vous me refilez celui-là ». Voilà comment on a réglé la question... Je dirai que pour la direction du Budget, la commission des finances permettait de limiter la casse ». Et il ajoute ailleurs : « Au fond ils faisaient une information dans les deux sens, une information réciproque. Leur situation devait être assez difficile parce qu’il ne fallait pas qu’ils se montrent trop à la direction du Budget naturellement, sinon ils auraient perdu de leur autorité mais leur technicité était tellement grande que la commission des finances avait besoin d’eux. D’autre part ils intervenaient quand même auprès des commissaires (des membres de la commission des finances) pour leur dire : “Non, écoutez éventuellement ne présentez pas ça, vous allez au casse pipe et puis ce n’est pas sérieux, donc vous réduisez votre crédibilité, même pour des choses auxquelles vous tiendriez davantage.” C’était vraiment un rôle de diplomate sur ce plan. »
2. Des guides éclairés et loyaux de la commission
120Il faut bien voir pourtant que tous insistent sur l’indépendance de ces fonctionnaires vis-à-vis des Finances. Fromaget y revient à deux fois : « Il fallait bien se mettre dans la peau que si on voulait être crédibles auprès des parlementaires, il ne fallait pas qu’ils voient en nous un factotum du ministère des Finances. Donc nous n’avions pas d’ordre à recevoir du ministère des Finances, nous avions la paye à recevoir, et puis c’est tout. » Et puis encore : « Nous avions peu de relations avec les ministres eux-mêmes. Tout ce que je peux vous dire c’est que je n’ai jamais reçu d’un ministre, de mon ministre puisque c’était lui qui me payait et qui me mettait à la disposition de l’Assemblée nationale, d’indications normatives pour avoir à faire ceci ou faire cela. Non, il faut absolument laisser en pleine liberté de responsabilité. »
121Raoux reconnaissant leur influence note bien que : « Ils travaillaient pour les comptes des parlementaires, ils tenaient compte naturellement évidemment des positions des parlementaires ce qui fait qu’ils ne traduisaient pas la position de la direction du Budget, absolument pas, mais ils pouvaient quand même agir auprès des parlementaires. Ils avaient évidemment une certaine influence, en disant que ces mesures avaient peu de chance de passer, qu’elles présentaient des inconvénients et d’autre part enfin ils alertaient la direction du Budget. » Et dans un autre entretien il insiste : « Cela permettait d’établir une passerelle et je dirai, les fonctionnaires de la direction du Budget qui étaient auprès de ces commissions parlementaires étaient extrêmement loyaux vis-à-vis des commissions et d’ailleurs certains d’entre eux, enfin plusieurs d’entre eux, ont fait de très longues carrières, ils sont restés de très nombreuses années, et quand ils le quittaient, j’ai assisté parfois à leur départ, il y avait des cérémonies d’adieux et les parlementaires, non seulement de la commission des Finances, même d’autres parlementaires assistaient à ces séances et on sentait qu’il y avait une sympathie réciproque qui s’était établie entre les parlementaires et ces fonctionnaires. Je me rappelle même des fonctionnaires ont été décorés par le rapporteur général ou par le président de la commission. » De leur loyauté dépend leur survie.
122La loyauté et la longévité des agents des Finances les a peut-être à la longue (mais pas encore dans les années cinquante) rendus trop proches du milieu parlementaire. Ce serait la raison pour laquelle, hypothèse suggérée par l’entretien avec Alain Dupas, la direction du Budget ne s’est pas révoltée contre cette disparition. La perte pour le Budget n’aurait donc pas été si grande. En outre les fonctionnaires de l’Assemblée avaient acquis les compétences nécessaires et ils ont peu à peu disposé, eux aussi, du réseau d’information au sein de la direction.
123Cette loyauté s’est doublée souvent de relations humaines personnelles qui laissent à Neurisse notamment, un souvenir ému lorsqu’il évoque l’ambiance au sein de la commission des finances : « On était quand même beaucoup plus soudés, nous avions des relations tout à fait affectives et de confiance totale. Non, les rapporteurs généraux, les présidents nous faisaient confiance et ça ne pouvait marcher que comme ça et nous faisions tout pour garder cette confiance totale, quelle que soit d’ailleurs la sensibilité politique des présidents et des rapporteurs généraux. Moi j’ai travaillé avec M. Charges Barangé, qui était MRP donc de la droite, bien qu’il fût un peu de gauche mais la droite cléricale, avec autant de confiance qu’avec M. Francis Leenhardt, qui était de la gauche protestante ou avec M. Jean-Raymond Guyon qui était du socialisme maçonnique. »
124Cette loyauté ne les a pas empêchés d’exercer une influence réelle. On peut se demander s’ils ne sont pas co-responsables de la « conversion », pour reprendre le titre de la thèse de M. Margairaz, des parlementaires à une culture économique72. Ceci est sans doute difficile à démontrer mais Neurisse a tenu à témoigner spontanément et en insistant sur l’évolution au sein des commissions des finances de cette culture. Évoquant les rapports généraux, il fournit à l’historien à la fois une piste de recherche et une source sérieuse : « Ces rapports généraux sont très intéressants, non pas parce que j’en a rédigé quelques passages, mais parce qu’ils montrent une évolution dans l’espace de dix ans de la conception du problème financier. Au départ, dans l’année 1945, 1946, 1947, la préoccupation était purement financière, c’est-à-dire joindre les deux bouts, comment financer les dépenses et les recettes et à la fin, dans les rapports nous avions resitué tout le problème financier dans le contexte économique. Le rapport général, c’était au départ un rapport qui... reprenait si vous voulez l’ensemble de la loi de Finances, des dépenses et des recettes, avec un passage particulier sur la fiscalité et petit à petit, je dois dire que j’ai poussé un peu mes camarades qui se sont laissé faire, à resituer le rapport général sur le plan économique et nos rapports généraux, à partir des années 1950 mettons, sont devenus des rapports économiques. On faisait le bilan de l’état de la France, de l’état économique de la France et on inscrivait donc le budget dans ce contexte. C’est pour ça d’ailleurs que la loi (organique) de janvier 1959, qui passe aux yeux des contemporains actuels comme le b a ba du droit budgétaire, n’a fait que reprendre ce qui se passait en réalité. » Et il insiste donnant un exemple de cette perception économique des finances publiques : « On a voulu faire dans le rapport général une rétrospective, depuis 1920 je crois, ou peu importe depuis le début du siècle, et puis les chiffres qu’on avait étaient très sujets à caution alors c’est moi qui étais chargé de faire ce paragraphe et j’ai reconstitué purement fictivement le revenu national, notamment celui de 1929. Il y avait des chiffres qu’on avait fournis de part et d’autre et j’ai pris une moyenne, bêtement, entre les extrêmes. J’ai fait entrer, il n’y avait pas d’informatique, mais dans ma moulinette j’ai fait rentrer ça dans le chiffre, j’ai pris une moyenne qui m’a semblé à peu près correcte étant donné l’évolution et j’ai sorti ce chiffre. La semaine n’était pas écoulée que M. Alfred Sauvy était dans le bureau de M. Charles Barangé qui était rapporteur général, lui demandant comment il avait sorti ce chiffre et Sauvy lui disant : « Écoutez, moi j’ai mis une équipe depuis trois ans dessus et j’arrive, je n’ai pas encore terminé les calculs, j’arrive à peu près à la même chose. » Il voulait savoir comment on était arrivé et M. Barangé lui a dit, comme tout parlementaire sait dire, un certain nombre de choses, qui ne voulaient rien dire, tout en voulant dire quelque chose et M. Alfred Sauvy est reparti sans savoir le fin mot de l’histoire. Non, tout ça c’est pour vous dire que nous avions orienté les discussions budgétaires, et partant la politique, je crois, la politique financière dans le cadre économique. Je crois que c’est un titre de gloire que l’équipe du rapporteur général et du président de la commission des finances, l’équipe Finances, je dis bien l’équipe Finances, c’est un de ses titres de gloire qui est absolument méconnu mais je crois que je suis le premier à le dire que c’est un titre de gloire mais c’est vrai. » Ainsi donc l’évolution des esprits qui s’est faite à la direction du Budget et qui a abouti au rapport économique et financier établi par le décret-loi de 1956 s’est faite parallèlement et peut-on dire sans doute corrélativement à la commission des finances.
125Ils ont également permis à la commission d’exercer sa fonction critique par rapport au Gouvernement. Selon le témoignage de Neurisse encore : « La commission des finances était à la fois en cheville totale avec le ministre des Finances et le Gouvernement. Elle aidait le Gouvernement quoi qu’on ait dit, elle a participé bien sûr à quelques assassinats, mais elle aidait la politique par sa critique même, elle désarmait les critiques extérieures, par sa critique même, qui était une critique généralement constructive. » Les commissaires disposaient des connaissances nécessaires pour donner à la commission comme le dit Neurisse « du grain à moudre » quitte à provoquer les foudres du cabinet du ministre : « (en 1952) Nous cherchions comment critiquer le Gouvernement Pinay. Et alors il s’est trouvé que, cherchant de la documentation et instruisant puis je crois que au fur et à mesure toute l’année on réunissait des informations, en vue précisément de l’édition du rapport général, j’ai sorti le bilan des, enfin le diagramme plutôt des wagons chargés de la SNCF et on s’est aperçu – je me suis aperçu – que depuis le mois de février mars, peu importe, le nombre de wagons chargés déclinait, donc la vie économique n’était plus en expansion, mais amorçait une récession et j’ai fait un tableau dans le rapport général en indiquant : « Oui, la politique Pinay est remarquable et tout, mais attention, nous entrons dans la récession. » On met ça à l’imprimerie, ça sort et le lendemain matin, je vois arriver dans notre bureau M. Yrissou, qui était directeur de cabinet de M. Pinay, qui arrive furax, à la fois blême et rose, qui nous dit : « Quel est le c... qui a sorti cette histoire des wagons chargés ? » Et alors, unanimement mes trois copains disent : « Mais c’est Neurisse qui est dans le bureau à côté. » Yrissou rentre chez moi : « Espèce de c..., d’où avez-vous sorti cette histoire de wagons chargés ? »« Ecoutez, c’est très simple ». Alors j’ai sorti mes documents ça s’est bien passé, mais enfin. »
126Par là, ils ont contribué à la suprématie de la commission au Parlement. Les exégètes juristes notent bien que l’existence de ces conseillers techniques au sein de la commission a encouragé les parlementaires, non spécialistes, des autres commissions à abdiquer, renforçant par là même la domination de la commission des finances.
3. Des intermédiaires indispensables
127Utiles à la direction du Budget, longtemps indispensables à la commission des finances, leur fonction essentielle dans ces années-là semble bien d’avoir été des passerelles des points de contact, des interprètes entre deux mondes volontiers hostiles ou défiants qui obligés de collaborer ont réussi grâce notamment à ces agents à trouver un langage commun pour agir dans le même sens, celui de la recherche de l’équilibre économique. D’autant plus nécessaire que les occasions de divorce entre exécutif et législatif ne manquaient pas. Gourdin, dans son étude déjà citée, définit les circonstances qui peuvent conduire à ce divorce. « Dirions-nous donc en essayant de saisir la réalité des choses et non point leur apparence que le budget est l’œuvre du ministre des Finances ? Ce ne serait point exact... Il n’en est ainsi que pour tout ce qui n’intéresse pas vraiment les parlementaires. » Cette distinction est fondamentale et permet d’établir une typologie des secteurs d’activité inégalement soumis à la puissance de la direction du Budget, à l’intervention de ses agents. Plus le problème soulevé est loin des préoccupations des électeurs plus la marge de manœuvre de l’exécutif est grand. Comme le rappelle Gourdin, s’il s’agit de questions intéressant par exemple tous les fonctionnaires ou tous les pensionnés alors, dit-il « les tout-puissants bureaux perdent leur pouvoir, alors les députés se réveillent et secouent leurs liens ». C’est en vain que le ministre invoquera l’article 17 de la Constitution, la loi des maxima ou l’article 48 du règlement, l’Assemblée les déclarera irrecevables, imposera le dépôt de lettre rectificative ou même elle renversera le Gouvernement s’il ne veut pas s’incliner73. L’utilité des agents du Budget est là aussi : éviter que les divergences de vues conduisent à de telles extrémités et tout faire pour les régler à l’amiable.
128Leur efficacité tient sans nul doute à la communauté d’adversaires. À lire les témoignages sur la direction du Budget et sur la commission des finances on est frappé de constater leur connivence. Elles ont les mêmes « ennemis », se battent de concert sur les mêmes problèmes, ont les mêmes objectifs : présenter un budget vrai et conforme aux objectifs annoncés. Dans ce « combat », les agents du Budget contribuent à donner à la commission les moyens de se battre efficacement contre les dépensiers. Fromaget le reconnaît bien volontiers lorsqu’il dit : « Nous étions, nous, moi et puis d’autres fonctionnaires des Finances, détachés à la commission des finances, prêtés à la commission des finances comme techniciens budgétaires, de façon que la commission des finances ait les moyens de tenir tête à tous les olibrius des autres commissions qui étaient, par définition, des gens qui étaient fournis par les Ponts, par les Agro, etc., voire les militaires. Alors il fallait que la commission des finances ait quand même le dernier mot, ce qui vous donne une mission d’agressivité naturelle à l’égard des autres. » Réfléchissant sur leur disparition en 1982, Magniez estime : « Aujourd’hui, ceux de la direction du Budget ont en face d’eux des adversaires. Là nous avions des adversaires, mais des adversaires habiles, ce qui était tout à fait différent. »
129Leur assistance de leur aveu même mettaient de l’huile dans les rouages, en diligentant un débat ou en permettant le renvoi en commission d’un amendement par exemple. Neurisse raconte ainsi cet épisode qui en dit long sur la complicité du ministre des Finances, de ses agents et des membres de la commission : « Une nuit, à propos de je-ne-sais-quoi, il y a un amendement qui ne faisait pas plaisir au Gouvernement où il y avait encore une quinzaine de parlementaires, une vingtaine de parlementaires en séance je ne me souviens plus exactement quel était le sujet, mais je sais que c’était M. Jean-Paul Palewski qui était au banc avec M. Jean Moreau qui était qui n’était pas encore ministre, je ne me souviens plus qui était ministre, M. Jean-Paul Palewski était vice-président, M. Jean Moreau était rapporteur du budget en question et moi-même je l’assistais. Et puis je leur conseille, je leur dis : “Demandez” je dis à M. Jean-Paul Palewski, “demandez le renvoi en commission, on va exécuter cet article en commission”. On demande le renvoi en commission et à trois heures du matin, commission des finances. Nous arrivons en commission, M. Jean Moreau, M. Jean-Paul Palewski et moi-même. Et puis nous attendons cinq à dix minutes. Personne d’autre. “Que faire ?” dit M. Jean-Paul Palewski. “Ah dit M. Jean Moreau, on ne peut pas siéger” J’ai dit : “Pourquoi pas ? On sait très bien comment vont voter les communistes, comment vont voter les MRP, comment vont voter les socialistes, si vous voulez on va siéger”. Et on a siégé, à nous trois, en commission, dans la salle des commissions et puis on a décidé tout de suite de repousser l’amendement et nous avons fait un dispatching des voix entre les socialistes, communistes, MRP. On a fait voter, je sais, M. de Tinguy, M. Tinguy du Pouët plutôt différemment que le groupe MRP et puis on est venu rapporter comme si la commission s’était pleinement réunie, en disant que le projet, un amendement, avait été rejeté en commission par dix-sept voix contre douze et cinq abstentions. C’est très très bien passé. C’étaient des petits incidents comme ça qui émaillaient notre vie parlementaire et qui mettaient de l’huile absolue dans les rouages. »
130Interrogeant E. Raoux, nous lui avons demandé pourquoi la disparition de ces fonctionnaires détachés du Budget à l’Assemblée nationale lui paraissait « probablement » regrettable. Après nous avoir dit qu’il lui était difficile de nous répondre, sans doute parce qu’il n’est plus au Budget après 1982, il nous a répondu : « Je pense que c’est regrettable pour les deux parce que l’appartenance à la direction du Budget des fonctionnaires des services techniques établissait quand même un lien et donc il y avait en quelque sorte au fond des préoccupations, un langage déjà un petit peu commun. Au fond, c’est la disparition de l’avantage, l’inconvénient vient de la disparition de l’avantage. Et d’autre part, ils sont remplacés par des fonctionnaires de l’Assemblée or, ça je ne veux pas préjuger, je pense qu’un fonctionnaire de la direction du Budget est quand même plus indépendant d’un parlementaire qu’un fonctionnaire de l’Assemblée, logiquement. Il peut prendre quand même une position différente plus facilement et on lui en voudra moins. La direction du Budget est toujours critiquée et toujours mal vue mais on n’en veut pas aux fonctionnaires du Budget, paradoxalement. »
131Indispensables ont-ils suffi à la tâche ? Ce n’est pas sûr. On a vu que les parlementaires se sont toujours plaints d’être mal informés. M. Frys député du Nord apparenté UD Ve, en avril 1966 posait le problème ainsi, soulignant que cette insuffisance s’était accrue avec la multiplication des activités de l’État. « Un parlement, privé d’informations scientifiques qui feraient partie d’un domaine réservé, n’a plus l’aptitude à agir. Que penser d’un parlement trop souvent mis dans la situation d’un médecin à qui les radiographies ou les analyses seraient refusées pour étayer son diagnostic ? Il n’est pas concevable que les hommes qui font la loi et qui contrôlent le Gouvernement n’empruntent leur principe d’action, qu’à un savoir idéologique qui appartient au monde pré-technique. » Et, parmi les solutions envisagées pour remédier à cette insuffisance, il propose de : renforcer le personnel technique et administratif des commissions74. Le député P. Bas en 1963 faisait le même constat et proposition : « On n’a pas le droit, la République étant ce qu’elle est et ayant des problèmes à résoudre, qui en 1963 ne sont pas ceux de la France de Louis XVIII, de continuer à travailler aujourd’hui comme il y a 150 ans. Il est nécessaire de mettre à la disposition des rapporteurs une équipe de jeunes fonctionnaires des grands corps. Il conviendrait aussi d’affecter à l’AN des techniciens des administrations contrôlées75. » La solution adoptée en définitive, on le sait, fut diamétralement opposée, sans doute sous la pression du corps des fonctionnaires de l’Assemblée, sans doute aussi pour éviter que le contrôle ne se fît par le contrôlé, sans doute encore parce que la commission des finances dont les prérogatives ont été largement réduites avait perdu pour la direction du Budget l’importance qu’elle avait sous la IVe.
132Il est difficile compte tenu de la nature de leurs responsabilités et de leur rôle et par conséquent de la nature de nos sources de dresser un bilan précis de l’action des agents du Budget à la commission des finances. Mais il semble que l’on puisse donner la parole à Neurisse, un de nos deux témoins acteurs qui tire la leçon de la présence des budgétaires à la commission. Sans le savoir il met le doigt sur ce qui a motivé la mise en place de cette journée d’études : « (Leur mérite) est d’avoir fait progresser les réflexions publiques en matière financière, de les avoir inscrites dans le cadre économique et d’avoir poussé à l’étude des problèmes économiques. Je crois que c’est l’apport principal et majeur et important et substantiel de la commission des finances pendant toute la IVe République, premièrement, et deuxièmement dans la forme, c’est d’avoir mis sur pied le décret de loi du 19 juin 1956 et d’avoir réglementé l’initiative parlementaire, ça c’est des choses tout à fait importantes et d’avoir consolidé un peu le régime parlementaire de cette façon là76. »
133Si entre fonctionnaires du Budget, députés et ministres dépensiers il s’agit bien dans les années cinquante d’un rapport de force conforme aux règles d’un jeu que la direction cherche sans cesse à gagner sans y parvenir toujours, il apparaît que l’existence et le travail des fonctionnaires du Budget à la commission des finances a été, pour la Direction, une arme puissante créant entre la direction du Budget et la commission des finances de l’Assemblée une « alliance objective », efficace, devant la double menace de ministères « dépensiers » et de parlementaires « démagogiques ».
134Là aussi se trouve une explication importante de la puissance de cette Direction sous la IVe République.
Notes de bas de page
1 Les commissions des finances ont été par contre abondamment étudiées par les juristes. C’est en partie sur leurs travaux que notre étude s’appuie. Cf. Joseph-Barthélemy, « Le procès de la commission des finances », Mélanges Carré de Malberg, Paris, Recueil Sirey, 1933, 536 pages, p. 241-274 ; Goguel (François), Le rôle financier du Sénat français. Essai d’histoire parlementaire, Paris, 1937, 272 pages ; D.W.S. Lidderdale, Le Parlement français, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques n° 54, Paris, Colin, (1re édition 1951) mise à jour en 1954, 293 pages. Jacomet (et alii), La réforme budgétaire, Travaux de la commission Jacomet, Études de finances publiques, Paris, Les Éditions de l’Épargne 1954, 3 tomes ; Houssel, La commission des finances de la IVe République, thèse de droit de l’Université de Paris, 1956 ; Paul Louis-Lucas, « Les pouvoirs propres des commissions des finances », Revue de droit public t. LXX, 1954, p. 724-752 ; M. Figère, La pratique actuelle de procédure budgétaire, Uzès, H. Péladon, 1951, 372 pages ; M. Pactet, « Les commissions parlementaires », Revue de droit public, t. LXX, 1954 , p. 127-172 ; R. Charvin, « L’évolution du rôle des commissions des finances », Revue de science financière, janvier-mars 1969 n° 1, p. 122-170.
2 Joseph-Barthélémy, « Le procès de la commission des finances », art cit. p. 252.
3 C’est en effet de celle-ci seulement que nous parlerons en raison des pouvoirs limités du Conseil de la République sous la IVe République.
4 R. Charvin, « L’évolution du rôle des commissions des finances », art. cit. p. 159.
5 Les conférences données par les budgétaires dans les années cinquante à l’IT AP nous ont été aussi très utiles, notamment celle de M. Panard, (administrateur civil au ministère des Finances, détaché auprès de la commission des finances de l’Assemblée nationale), « Le vote du budget par le Parlement », Conférence prononcée à l’Institut technique d’administration publique le 20 novembre 1951, Polycopié, ITAP, 26 pages. Sur l’ITAP, cf. la communication d’Antoine Weexsteen, Actes de la journée d’études du 10 janvier 1997, La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante : acteur ou témoin, Paris, CHEFF, 1997, à paraître. Le seul souvenir rédigé par des budgétaires de cette période est celui de Paul Schwall, « Au fil d’une vie, Éclats de mémoire, Naguère rue de Rivoli 1944-1957 », introduction par N. Carré de Malberg, Études et documents VIII, CHEFF, 1996, p. 511-595. Nous avons utilisé les entretiens biographiques du CHEFF réalisés en 1992 de Pierre Fromaget et de André Neurisse, tous deux mis à la disposition de la commission des finances dans les années cinquante, ainsi que ceux des fonctionnaires du Budget réalisés entre 1990 et 1992 de (par ordre alphabétique) : d’Arbonneau, Cortesse, Goetze, Magniez, Rossard, Vaysset. En outre dans la perspective de cette communication des entretiens thématiques ont été menés à l’automne 1996 avec Raoux et Lescure. Par ailleurs Alain Dupas (haut fonctionnaire de l’Assemblée nationale entrée en mars 1958 à la commission des finances) a bien voulu commenter nos hypothèses et répondre à nos questions. Que tous soient ici remerciés. Pour alléger les notes de bas de page le parti a été pris de ne pas renvoyer à chaque fois aux entretiens qui se trouvent tous au CHEFF accompagnés de fiches chronothématiques et de transcriptions des passages concernant leur carrière au Budget.
6 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, t. II Les Finances sous la contrainte, Paris, Plon, 1951, 551 pages, p. 371 Marc Olivier Baruch dans sa thèse a bien analysé les limites de cette suprématie revendiquée, M.O. Baruch, Servir l’État français, l’Administration en France de 1940 à 1944, Thèse de doctorat d’histoire à l’IEP, 1995, 4 volumes, paru chez Fayard en 1997.
7 Note n° 2023 du 11 mai 1942, SAEF 1 A, 32 documents personnels de Cathala. Cette note se trouve dans une chemise sur laquelle est inscrit « Conseil des ministres du 26 juin 1942 ». Doc. cité par Robert Belot, « Les enjeux politiques du contrôle budgétaire », Revue Française de Finances publiques, 1996, n° 53, p. 179-196.
8 AN Débats, séance du 29 mai 1947, JO du 30 mai 1947, p. 1777. Référence fournie par Hélène Eck que nous remercions.
9 Robert Delorme, Christine André, L’État et l’Economie, Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France 1870-1980, Paris, Seuil, 1983, 758 p., p. 722-723.
10 M. Figère, La pratique actuelle en matière de procédure budgétaire, 1951, op. cit., p. 205.
11 Cf. Léon Bertrand, (fonctionnaire du Budget à la commission des finances) « Finances et Constitution », Revue Banque et Bourse, juillet-août 1958, p. 21 ; « Le budget de 1952 après le vote de la loi des finances » Revue Banque et Bourse, mai-juin 1952.
12 Cf. Fr. L. Closon, L’Économie administrative, Critique et défense de l’Administration, 16 avril 1951, exemplaire dactylographié A.P. Closon, CHEFF.
13 Cf. la communication de Pierre Chélini, « La direction des Prix et la direction du Budget, » infra.
14 A. Soulier, « L’article 17 de la Constitution et ses incidences sur la réforme budgétaire », Jacomet et al., La réforme budgétaire, op. cit. p. 23-38 , p. 24.
15 Cf. Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances, Rivoli-Alger-Rivoli, 1937-1958, texte établi présenté et annoté par Nathalie Carré de Malberg, Paris, CHEFF, 1997, 450 p, p. 247-248.
16 Confirmé par l’article 51 du décret de 1956. Même s’il se félicite de certaines des dispositions votées dans ces circonstances sous la IIIe, Joseph-Barthélémy dénonce ainsi l’abus de cette pratique : « L’usage s’amplifie de transformer la loi annuelle de finances en un invraisemblable bric-à-brac où voisinent dans un désordre sans pittoresque les objets les plus hétéroclites : autorisation de congrégations, réforme du conseil d’Etat, organisation de ministère ; ouverture de maison de jeu. » art. cit p. 260. Sur l’élargissement des pouvoirs des commissions des finances qui en découlent, cf. ci-dessous.
17 Maurice Figère, La pratique actuelle en matière de procédure budgétaire, 1954, op. cit. en donne de nombreux exemples.
18 P. Panard, Le vote du budget par le Parlement, conférence prononcée à l’ITAP le 20 novembre 1951, ex. polycopié, 26 p., p. 11.
19 Cf. les communications de Lucile Tallineau et Robert Hertzog sur l’élaboration et le contenu du décret de 1956, infra.
20 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 518.
21 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 582.
22 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 576.
23 G. Denoix, Souvenirs, 1967, exemplaire dactylographié, Archives de l’IGF, p. 68.
24 Paul Reynaud, alors député Républicain indépendant du Nord a présidé la commission des finances de 1952 à 1957 (exception faite de la parenthèse Mendès France en 54), succédant à Raymond Guyon, député SFIO de Gironde.
25 Leenhardt, député SFIO des Bouches-du-Rhône, a présidé la commission des affaires économiques de l’Assemblée jusqu’en 1951 (avant Ramonet député RI de l’Indre) puis devient en 1956 rapporteur général de la commission des finances. Barangé, député MRP de Maine-et-Loire est resté rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée jusqu’en 1955.
26 Entretiens avec Roger Goetze, Haut fonctionnaire des Finances, op. cit., p. 248.
27 Entretiens avec Roger Goetze, Haut fonctionnaire des Finances, Rivoli-Alger-Rivoli, 1937-1958, op. cit., p. 253.
28 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 548 et p. 553.
29 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 554.
30 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 587-588.
31 Entretiens avec Roger Goetze, op. cit. p. 249-250.
32 Il sera fait mention ici principalement de la commission des finances de l’Assemblée, celle du Conseil de la République, à l’image du Conseil lui-même, ne détenant pas de pouvoir de décision. Ceci n’empêche pas le Conseil de s’exprimer en proposant des amendements.
33 L’Illustration, 29 mai 1933.
34 Houssel, thèse citée p. 492.
35 P. Louis-Lucas, art. cit. p. 723-724.
36 M. Barangé, « Un bouc émissaire : La commission des finances », Revue Banque et Bourse, mars 1953, cité par Louis-Lucas, p. 750.
37 M. Pactet, art. cit. p. 129.
38 P. Louis-Lucas, art. cit. p. 726.
39 L. Trotabas, Les finances publiques et les impôts en France, A. Colin, 1937, p. 35, « Par l’exercice de ses droits d’initiative et par la puissance politique qu’elle s’attribue, la commission des finances se trouve en définitive amenée à réformer tout le travail préparatoire du Budget dont elle compromet parfois l’équilibre. » À l’époque les deux commissions des finances disposaient de ce pouvoir.
40 Disposition d’autant plus contestable constitutionnellement que les membres de la commission ne sont pas responsables devant l’Assemblée alors que les ministres le sont. L’article 42 de la Constitution de 1958 a supprimé cette disposition.
41 R. Charvin, art. cit. p. 149.
42 D’où le titre de l’article de Joseph-Barthélémy, « Le procès de la commission des finances », art. cit. 1933.
43 R. Charvin, art. cit. p. 147 et suiv. Il s’appuie notamment sur les évaluations de Houssel.
44 La pratique de réduction indicative de crédits pour compenser (ultérieurement) des charges nouvelles étant très fréquentes. Houssel en compte 120 pour le budget de 1951 pour les seules dépenses civiles.
45 R. Charvin, art. cit. p. 149.
46 Les historiens seraient en droit de lui rétorquer que la part des impôts directs dans les ressources du budget de l’État n’est pas principale, que ce statu-quo a été voulu aussi par certains gouvernements notamment Pinay et qu’enfin ce statu-quo n’a pas empêché les ressources fiscales de l’État (non compris les collectivités locales ou les cotisations sociales) de passer en francs constants 1938 par rapport au PIB de 11,8 % en 1938, à 17, 4% en 1947 à 20 % en 1950, 23,4 % en 1953, 23 % en 1956 et 25 % en 1959, 25 % en 1962 ; cf. Ch. André et R. Delorme. L’État et l’Économie, op. cit. p. 725.
47 M. Pactet, art. cit. p. 170.
48 M. Pactet, art. cit. p. 168-169.
49 Joseph-Barthélémy en 1933 estime que ce paradoxe se renouvelle chaque jour, art. cit p. 256.
50 R. Charvin p. 142.
51 Ainsi les réductions indicatives de crédit sont bien en apparence un abaissement d’une dotation budgétaire, mais en réalité elles sont susceptibles d’entraîner une augmentation de dépenses puisque c’est justement leur objet. Cf. à ce sujet la conférence donnée par Panard, fonctionnaire du Budget mis à la disposition de la commission, à l’ITAP, cf. op. cit.
52 Dont les procès-verbaux ne sont pas accessibles aux juristes de cette époque qui ne peuvent donc en avoir connaissance mais que l’historien pourrait aujourd’hui mesurer en les consultant.
53 Cette pratique n’est pourtant pas constitutionnelle mais simplement réglementaire ou d’usage comme le dit le 29 janvier 1953 le président de l’Assemblée nationale lui-même : « Je suis obligé de répondre que lorsque l’application est demandée soit de l’article 48 du règlement soit de l’article 1er de la loi de finances ou de l’article 17 de la Constitution, le règlement ou l’usage veulent que la commission des finances soit consultée et sa décision est sans appel. » JO Débats, 2e séance du 29 janvier 1953, p. 66, cité par P. Louis-Lucas, art. cit. p. 733.
54 P. Louis-Lucas, art. cit. p. 743.
55 Alain Dupas, haut fonctionnaire de l’Assemblée, entré à la commission des finances en mars 1958 interviewé en décembre 1996 tient à signaler que les changements dans les pouvoirs des commissions vient moins du changement de Constitution ou de l’ordonnance de 1959 que du fait majoritaire issu du mode de scrutin de l’élection présidentielle.
56 Paul Schwall, « Au fil d’une vie... », art. cit. p. 583-584.
57 R. Charvin, art. cit. p. 154.
58 Houssel, thèse citée p. 233.
59 P. Louis-Lucas, art. cit. p. 749.
60 Gévaudan, La commission des finances de la Chambre des députés. Thèse Montpellier, 1933 cité par Charvin p. 122 et suiv.
61 Calcul fait par Houssel cité par R. Charvin p. 160.
62 A. Hauriou, « Le Parlement est-il devenu anachronique ? », Le Monde, 6 décembre 1962.
63 La commission de la défense nationale bénéficie du même privilège et comprend un ou deux contrôleurs des armées. Au Sénat aussi.
64 La loi du 31 juillet 1920 suivie du décret du 23 août 1920 prévoit pour la direction 7 agents chargés d’études. Trois seront immédiatement détachés auprès des commissions des finances. Ils seront supprimés en 1982. Cf. ci-dessous.
65 Fromaget arrive en 1949, il est placé dans l’équipe du rapporteur Barangé, MRP, puis de Leehnardt, SFIO de 1956 à 1957. Il devient cher de cabinet de Paul Reynaud en 1957 puis revient à la commission jusqu’en 1970.
66 Joseph-Barthélémy, art. cit. p. 253.
67 Bien que les effectifs aient augmenté, lorsque Goetze arrive en 1949 la direction a 4 sous-directions depuis 1945 et jusqu’à la réorganisation de 1967 qui passe à 6 sous-directions. Le nombre de bureaux lui s’est accru par palier comme l’indiquent les annuaires : 5 bureaux en 20, 4 en 34 ; 9 de 40 à 45 ; 12 bureaux de 45 à 55 ; 16 en 56, et 17 de 60 à 67. Avec la réorganisation de 67 on compte 22 bureaux. Le bureau B2 avait un chef de bureau et une quinzaine d’administrateurs civils. Au total, un tableau des effectifs de la direction du Budget en 1950 indique d’une part les effectifs théoriques de l’encadrement, 104 personnes (67 administrateurs civils ou assimilés et 37 secrétaires d’administration ou assimilés) ; d’autre part les effectifs réels de l’encadrement, 93 personnes (soit 64 administrateurs civils ou assimilés et 29 secrétaires d’administration ou assimilés). Archives privées Goetze, carton Budget, dossier 1, CHEFF.
68 Le père de Fromaget est comme Barangé fonctionnaire des Finances (CP). Il terminera sa carrière à la recette générale de Paris.
69 Neurisse a été conseiller technique au cabinet de Mendès France, puis directeur de cabinet de Raymond Guyon, ministre du Budget en 1957-58.
70 A. Chandernagor, « Un parlement pour quoi faire ? », NRF, coll. Idées, 1967, p. 134-135.
71 M. Gourdin, T-PG de Seine et Oise, « Les fonctions de contrôle du ministre des Finances », novembre 1950-avril 1952, La Réforme budgétaire, t. II, op. cit. 1954, p. 181.
72 M. Margairaz, L’État, les finances et l’économie, histoire d’une conversion, 1932-1952, Paris, CHEFF, 1991, 2 vol., 1456 pages.
73 M. Gourdin, art cit. p. 182.
74 Cité par R. Charvin art. cit. p. 161.
75 Débats parlementaires, 1re séance, 8 novembre 1963, n° 122 p. 6904 cité par R. Charvin, art. cit. p. 163.
76 Les communications de Lucile Tallineau et Robert Hertzog à la Journée d’études nuancent le rôle que prête Neurisse à la commission dans la procédure du décret de 1956.
Auteur
Assistante agrégée d’histoire à l’université Paris-X, chercheur associée au Comité pour l’histoire économique et financière de la France. Outre de nombreuses publications sur les inspecteurs des Finances dans la première moitié du xxe siècle et sur les archives orales, elle a réalisé la présentation et l’annotation critique des Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des Finances. Rivoli-Alger-Rivoli. 1937-1958, CHEFF, 1997, 450 p.
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