Une Révolution d’argent : la caisse patriotique et la construction d’un ordre monétaire à Rouen
p. 395-423
Texte intégral
1En deçà même du désintérêt qui frappe depuis plusieurs décennies l’histoire économique de la Révolution – et plus particulièrement ses aspects monétaires et financiers –, l’expérience des caisses patriotiques et des billets de confiance (1790-1792) a toujours été un objet curieusement délaissé par les historiens. Hormis les précieux catalogues de caisses et de billets, on ne disposa pendant longtemps à ce sujet que de quelques travaux confidentiels d’histoire numismatique ou régionale et d’un article de 1958 d’E. Horsin-Déon1. Un tel oubli est d’autant plus frappant si l’on considère l’ampleur du phénomène : entre 1790 et 1792, près de 1 700 établissements de ce type virent le jour dans le royaume et imprimèrent plus de 7 500 formules différentes de billets de confiance pour un montant d’émission totale estimée à 140 millions de livres2.
2À la fin des années 1980, l’économiste historien Eugene N. White a pour la première fois attiré l’attention sur l’un des aspects les plus remarquables de cet épisode, à savoir la transformation subreptice de certaines caisses, souvent les plus importantes, en institutions d’escompte et de création monétaire3. Dans leur principe d’origine, les caisses patriotiques n’étaient pourtant que des établissements d’échange de monnaies. Elles proposaient aux boutiquiers et aux fabricants, dans un contexte de disparition du numéraire, de céder leurs gros assignats (de 200 à 1 000 Lt) contre de petits billets (de quelques sols à 6 livres) qu’elles avaient imprimés, pour permettre les appoints du commerce de détail et le paiement du travail ouvrier. Initialement, les gros assignats déposés en caisse ne devaient pas en sortir car ils formaient la contrepartie intégrale (à 100 %) des petits billets fabriqués et émis dans le public. Or, plus ou moins rapidement, plusieurs caisses patriotiques décidèrent d’utiliser ces assignats en dépôt pour acheter des effets de commerce : selon le principe de l’escompte, elles acquéraient ces derniers pour un montant inférieur à leur valeur nominale (un rabais généralement fixé à 4 ou 5 % pour des effets à échéance d’un an, soit le taux d’escompte) et attendaient que ces effets fussent parvenus à leur échéance pour en demander le paiement en assignats à leur valeur nominale. Sur un an, cette opération produisait en théorie un profit d’environ 4 à 5 % qui permettait de couvrir – et même au-delà – les frais de régie et d’impression. Surtout, elle augmentait la masse monétaire puisque les assignats en caisse avaient été « réinjectés » dans le public, tandis que les billets de confiance continuaient à circuler. Ce faisant, de nombreuses caisses patriotiques s’étaient muées en un instrument bancaire des plus modernes, c’est-à-dire en banques d’escompte et d’émission, dont les seuls précédents connus en France étaient la Banque de Law (1720) et la Caisse d’escompte, créée en 1776 pour la banque et le grand négoce de Paris. L’histoire bancaire n’a souvent retenu que ces deux derniers établissements au sein d’un récit des origines tumultueuses de la banque centrale qui court de Law jusqu’à la Banque de France en 1800.
3Comment expliquer que l’étude des caisses patriotiques n’ait guère suscité d’intérêt alors que certaines d’entre elles mirent en œuvre des mécanismes similaires d’escompte et d’émission monétaire ? Occultées par la focale parisienne, emportées surtout dans le jugement négatif que la tradition historiographique jeta sur le bilan des assignats, les caisses patriotiques furent assimilées à un épisode obscur et secondaire d’un immense dérapage inflationniste. Leur « réhabilitation » vint paradoxalement des historiens les plus critiques vis-à-vis de la politique financière de la Révolution. L’interprétation proposée par Eugene N. White et reprise par François Crouzet – la seule qui existe à ce jour – ne fait pourtant qu’ajouter au thème classique de la parenthèse maudite des assignats les raffinements d’une petite parenthèse heureuse ; l’émission libre et décentralisée des billets de confiance est ainsi présentée par les deux auteurs comme une éclaircie économique libérale, malheureusement fracassée sur l’autel du dirigisme économique et de la Terreur – soit une réhabilitation en demi-teinte qui n’aborde le phénomène que pour en déplorer les effets quasi nuls sur l’histoire monétaire et bancaire de la France4. Ajoutons enfin, pour comprendre la longue relégation historiographique des caisses patriotiques, une raison plus triviale : par leur caractère éphémère et local, celles-ci n’ont jamais été jugées dignes de figurer au sein d’une histoire de la banque centrale et du papier-monnaie fortement ponctuée par la fondation de la Banque de France à Paris en 1800. N’est-ce pas là cependant une façon de projeter une intuition contemporaine du « local » sur la réalité économique et territoriale de l’Ancien Régime ? En 1789, les grandes villes de commerce et de manufacture animaient chacune un monde économique autonome, structuré par des réseaux marchands denses et hiérarchisés, et dominé par des institutions urbaines puissantes. Dans ces univers, la circulation du crédit avait d’abord une signification régionale. Autrement dit, les institutions de refinancement monétaire mises en place sous la forme d’une caisse patriotique dans les grandes places du royaume n’avaient à vrai dire rien de « local » – au sens où on peut l’entendre aujourd’hui des essais de « monnaie locale ». À Rouen, les billets de la caisse patriotique puisèrent leur crédit et parvinrent à circuler grâce à la mise en œuvre, par le milieu d’affaires, d’une puissance sociale qui s’étendait sur une sphère économique régionale commandée par le centre rouennais. Plus tard, la construction à l’échelle nationale d’un système de refinancement monétaire par émission de billets de banque ne put se faire que progressivement par l’intégration économique et territoriale d’îlots économiques régionaux. Ainsi, la Banque de Rouen, créée en 1798 par les anciens administrateurs de la caisse patriotique, devint le pilier du marché monétaire rouennais et émit pendant près d’un demi-siècle ses propres billets de banque avant d’être annexée par la Banque de France en 1848. En ce sens, l’expérience de la caisse patriotique de Rouen ne saurait être anecdotique dans la longue histoire de l’acclimatation du papier-monnaie en France.
4Il reste à éclairer l’essentiel : pour quelles raisons et à quelles conditions le milieu d’affaires rouennais parvint-il à créer en 1791 une banque d’escompte et d’émission qui devait apparaître, sous le Directoire, comme une expérience séminale pour les fondateurs de la Banque de Rouen ? La question est loin d’être évidente : on aurait tort d’imaginer que le mécanisme économique naquit naturellement dans des esprits fertiles qui se contentèrent de le reprendre sous le Directoire. La caisse patriotique n’est pas tombée soudainement du ciel des idées, mais est plutôt apparue dans la matière gluante d’une histoire où la circulation du papier-monnaie remuait des fractures internes à la bourgeoisie d’affaires – en particulier entre marchands et fabricants –, des craintes économiques et des frayeurs sociales – le tout, en outre, dans un contexte politique incandescent. La caisse patriotique ne fut donc pas la simple solution économique à un problème technique. La question monétaire et la réponse des billets de confiance formaient véritablement un condensé des enjeux à la fois économiques, sociaux et politiques posés à une ville commerçante et manufacturière en Révolution.
5De fait, si le petit patronat fabricant se rallia rapidement à l’idée du papier-monnaie, il n’en fut pas de même pour le patriciat négociant qui, à la tête des institutions municipales, rejeta longtemps le principe d’une circulation de billets au sein d’une population ouvrière illettrée et, en même temps, suffisamment éclairée pour comprendre qu’un bout de papier ne vaudrait peut-être pas une pièce de métal. La peur instinctive des émeutes ouvrières que susciteraient éventuellement des paiements en papier n’était pas seule en cause dans les réticences de la bourgeoisie. Les négociants imaginaient mal comment l’on pourrait financer les frais de régie et d’impression des billets. Il y eut bien rapidement l’idée de valoriser les assignats en dépôt par l’escompte d’effets de commerce, mais une telle opération entraînait un immense saut dans l’ordre de la confiance. Elle impliquait en effet de faire circuler une masse d’engagements à vue (les billets de confiance) sous une signature solidaire de plusieurs dizaines (ou centaines) d’associés, tout en ne conservant en caisse qu’une fraction d’assignats-monnaie. De surcroît, l’établissement devrait pratiquer une technique, l’escompte, qui était certes devenue de plus en plus familière depuis près d’un siècle dans le commerce, mais que les négociants n’avaient jusque-là maniée que dans le secret des comptoirs ou au moyen d’associations commerciales très resserrées. Qui évaluerait, dans une association élargie de marchands, la qualité de tel ou tel effet ? Comment garantir qu’un ou plusieurs administrateurs n’accepteraient pas par complaisance de mauvais effets à l’escompte ? La solution était peut-être de limiter l’entrée au capital de quelques fortunes ; mais celles-ci seraient-elles suffisantes pour des opérations d’une telle ampleur qui visaient ni plus ni moins à nourrir en monnaie des dizaines de milliers de personnes ? Enfin, compte tenu des initiatives précoces du petit patronat fabricant en faveur du papier-monnaie et dans l’atmosphère de renouveau politique, il faudrait peut-être ouvrir l’association aux fabricants, alors même que tout l’édifice institutionnel et corporatif du commerce au xviiie siècle était fondé sur une séparation et une hiérarchisation strictes entre les acteurs de l’échange et ceux de la production. L’association réunirait alors des groupes qui n’avaient jamais eu l’habitude de se concerter et dont les intérêts pouvaient s’opposer : comment penser un tel rassemblement ?
6La caisse patriotique vit pourtant bien le jour en juin 1791. Son capital fut souscrit par plusieurs centaines de marchands et fabricants issus de couches différentes du commerce. Son accouchement, dont nous analyserons les raisons, avait été difficile ; le bilan qu’on en tira, une fois passés les orages du patriotisme montagnard, le fut tout autant. Au moment où la caisse fermait ses portes en novembre 1792, la place fut entraînée dans une spectaculaire vague de faillites qui fit tomber les premières fortunes du négoce – dont celle du président du tribunal de commerce. Ce fut alors le début d’une séquence de près de deux années pendant lesquelles le petit patronat fabricant choisit de régler d’anciens comptes avec ce qu’elle percevait comme une aristocratie négociante, et au terme desquelles celle-ci eut le sentiment d’avoir été complètement débordée par l’ouverture patriotique aux exigences du crédit fabricant. Aussi, lorsque le négoce pensa de nouveau à créer une grande banque d’escompte et d’émission sous le Directoire, il réfléchit sérieusement pour savoir comment un tel établissement pourrait être à la fois une place forte de l’argent et une réponse rentable aux besoins de refinancement de la fabrique ; cela se traduisit en des débats très concrets sur le relèvement du montant des billets de banque, sur les conditions plus sévères de l’admission des effets de commerce à l’escompte et sur la répartition du pouvoir de décision des actionnaires.
7En dépit de sa fermeture soudaine en novembre 1792, la caisse patriotique laissa un bilan très satisfaisant du point de vue comptable. En particulier, elle était parvenue à faire circuler ses billets sans accident et avait dégagé d’importantes recettes grâce à l’escompte d’effets commerciaux. Au-delà du seul cas rouennais, Eugene N. White a voulu voir en général dans le succès des billets de confiance la preuve des vertus du free banking, c’est-à-dire de la liberté d’émettre des billets en dehors de la souveraineté monétaire de l’État : en « testant involontairement » (unwittingly) les principes du « laissez-faire » du député-économiste Dupont de Nemours, les émissions fiduciaires des caisses patriotiques auraient réussi pour la même raison qu’avaient échoué les assignats, fruits du « dirigisme économique5 ». Cette explication en termes de compétition bancaire pèche cependant par la faiblesse de ses arguments, puisqu’elle n’apporte pas la moindre preuve de l’existence de marchés de billets de confiance ou d’arbitrages des demandeurs de billets en fonction des taux de change et d’escompte proposés par chaque caisse. Elle repose surtout sur une série de postulats et d’oppositions binaires entre la liberté économique et la contrainte étatique qui n’avaient guère de rapport avec la pratique et la mise en œuvre réelle du crédit « patriotique ». L’historien passe ainsi totalement à côté de la signification que le milieu d’affaires rouennais prêta à l’expérience – non pas la preuve des bienfaits de la « liberté bancaire » mais plutôt celle de la nécessité d’un monopole pour garantir la circulation de billets de banque. L’alternative pour les acteurs rouennais n’était pas entre la liberté et l’État, mais entre les dérèglements de l’« agiotage » et la mise en ordre collective du crédit par le milieu marchand lui-même. Dans le même registre, Eugene N. White analyse les créations de banques d’escompte et d’émission sous le Directoire – par exemple celle de Rouen en 1798 – comme le retour miraculeux et trop bref de la liberté économique, avant que ces banques ne perdent leur « indépendance » en 1803 par l’imposition gouvernementale de règles d’émission et d’escompte. Or, là encore, pour les administrateurs de la Banque de Rouen, le problème n’était pas tant de maintenir leur « indépendance » vis-à-vis de l’État que de soumettre l’ensemble des banquiers privés de la place à l’ordre monétaire d’une institution dotée par la puissance publique d’un monopole d’émission. Tous les efforts du commerce rouennais pour organiser le marché de l’escompte dans la première moitié du xixe siècle furent ainsi gouvernés, non pas par la passion de la liberté, mais par la reformulation malaisée d’un principe dont la Révolution avait proclamé l’abolition : le « privilège » ou la possibilité pour le commerce d’organiser lui-même, sous la protection du gouvernement, les conditions d’accès au marché de l’argent.
I. Les chemins tortueux du crédit patriotique
A. Une cité marchande et manufacturière à la veille de la Révolution
8On ne peut comprendre le sentiment d’urgence qu’inspira à Rouen la disparition des espèces frappées dès les premiers mois de la Révolution sans évoquer les fortes tensions monétaires qui parcouraient au xviiie siècle l’une des plus grandes villes de commerce et de manufacture. À proximité de la ville, Paris aspirait non seulement les fonds des receveurs fiscaux mais aussi ceux du grand négoce, qui tendait de plus en plus à domicilier ses paiements dans ce pôle national et international de compensation bancaire6. Toutefois, la surcharge à Rouen de papier commercial payable à Paris et le manque concomitant d’espèces n’étaient pas un immense problème pour le négoce en comparaison des souffrances monétaires de la fabrique. Dans une ville qui animait l’une des plus grandes régions de production manufacturière textile du royaume, les centaines de maîtres fabricants devaient sans arrêt courir après la liquidité pour payer les dizaines de milliers de bras qui s’activaient dans les opérations de filature, de tissage et d’apprêt. Leurs ventes de toileries étaient en effet soldées en effets de commerce qu’ils devaient absolument convertir en espèces pour rémunérer leurs ouvriers et leurs sous-traitants de la ville et des campagnes. Pour cela, ils recouraient à l’escompte de leurs effets, mais à des conditions bien moins favorables que celles dont disposait le négoce. Celui-ci pouvait mobiliser des réseaux fortunés et les ressources de l’escompte à la Bourse de Rouen que la compagnie des juges-consuls – le corps dirigeant du commerce rouennais – avait érigé tout au long du xviiie siècle en temple de l’argent de qualité et du refinancement au meilleur prix. Seuls les plus riches manufacturiers avaient accès à cet enclos du bon crédit, alors que la masse des fabricants devait chercher un argent plus cher auprès de leurs collègues mieux nantis ou de marchands escompteurs.
9Cet accès inégal à l’argent s’insérait plus largement dans un système marchand et corporatif qui s’efforçait de limiter l’accès au marché et au crédit pour les fabricants. Ce système était dominé depuis le début du xviiie siècle par la puissante communauté des « Marchands Merciers-Drapiers Unis » gouvernée par le grand commerce de fabrique – les marchands des productions textiles régionales et partenaires d’échange de la fabrique – et dans une moindre mesure par le négoce de place, qui désignait le riche négoce portuaire de commission, de denrées coloniales, d’armement et de banque. Cette communauté marchande se réservait la quasi-intégralité des fonctions de juges-consuls qui, à la tête de la juridiction consulaire, prononçaient les défauts de paiement et commissionnaient les agents de change à la Bourse ; depuis un arrêt de 1715, les communautés fabricantes (toiliers, passementiers et drapiers drapants) ne disposaient que de quelques maigres voix parmi les 250 électeurs des juges-consuls et ne parvinrent jamais, bien sûr, à faire élire l’un des leurs7. Surtout, la communauté des merciers était parvenue progressivement à maîtriser l’ensemble des dispositifs réglementaires de contrôle de qualité des marchandises et à cantonner juridiquement les maîtres d’ateliers au rôle de producteurs, tout en se réservant le contrôle des canaux de l’échange. L’interdiction cardinale faite aux fabricants de vendre des marchandises qu’ils n’avaient pas eux-mêmes manufacturées dessinait un gradient de qualification marchande qui allait de celle – absolue – du marchand mercier, « vendeur de tout et faiseur de rien », à celle – relative – du fabricant (et jusqu’à celle – inexistante – de l’ouvrier). Une telle répartition des tâches, qu’un regard contemporain peu avisé pourrait juger « inefficiente », avait pour les acteurs une profonde rationalité : dans une économie où les couches supérieures ou moyennes du commerce n’avaient pas encore fini de se familiariser avec la puissance et les risques du papier circulant (par endossement et escompte), il apparaissait tout à fait sensé de détourner la fabrique des tentations du « trafic » et du crédit8.
10Il n’en reste pas moins que ce séparatisme économique et institutionnel avait déjà commencé à s’effriter à la veille de la Révolution pour des raisons qui ne tenaient pas seulement aux réformes gouvernementales « anti-corporatives » – comme on l’a souvent démontré9 – mais, plus profondément, au rapprochement croissant des mondes de l’échange et de la production. Tandis que la classe marchande avait entrepris d’investir le secteur industriel en expansion de l’impression sur toiles dès les années 176010, puis celui de la filature mécanisée dès les années 178011, une couche émergente de « marchands fabricants12 », de plus en plus familière des circuits de la vente et du crédit, contestait ouvertement, au nom de la « liberté la plus entière », les fondements du système marchand13 ; c’est aussi dans ce milieu fabricant qu’apparurent dès la Révolution les premiers essais de filature mécanisée, secteur clé du renversement industriel des profits au xixe siècle14.
11Il faut bien garder à l’esprit cette situation économique générale pour saisir pourquoi la disparition du numéraire au début de la Révolution ne fut pas seulement un moment de crise monétaire mais, plus largement, le symptôme critique d’un mode de régulation mercantile de l’économie parvenu à la croisée de chemins. Les tergiversations autour du crédit patriotique en 1790-1791 résultèrent principalement d’un affrontement entre le pouvoir négociant et un milieu fabricant qui aspirait plus que jamais à entrer pleinement dans la sphère du crédit.
B. L’échec des projets de caisses patriotiques en 1790
12Les premières initiatives pour résoudre la disparition du numéraire au début de la Révolution provinrent naturellement des fabricants qui subissaient depuis 1788 les conséquences dévastatrices du traité de libre-échange franco-anglais15. Le 16 juin 1790, Pierre Joseph André Pinel et Richard Bénard, députés des communautés des toiliers et des drapiers drapants, proposaient à la municipalité de créer une « caisse patriotique » ou « publique » dans laquelle les « négociants et capitalistes » et les receveurs fiscaux verseraient leurs espèces, qui seraient ensuite distribuées aux maîtres d’ateliers contre leurs gros assignats16. Leur requête insistait sur l’impossibilité de payer leurs ouvriers et avertissait surtout les magistrats de la ville des risques d’émeute après la mise au chômage forcé des métiers. La mise en garde ne réveillait pas seulement des peurs très classiques dans la bourgeoisie ; elle laissait aussi entrevoir que les masses populaires étaient sur le point de se détacher des intérêts d’une bourgeoisie révolutionnaire qui venait tout juste d’élire sa première municipalité. Les édiles rouennais furent aussitôt saisis des « vérités effrayantes » de la requête et décidèrent dès le lendemain de rédiger un projet de caisse patriotique avec la chambre de commerce. Cependant, leur plan, adressé à Necker, différait de la proposition fabricante sur un point essentiel : la contribution des « négociants et capitalistes » avait été effacée au profit de la seule dénonciation des manieurs d’impôt, accusés de retenir les espèces. Sans être opposé au projet, Necker prévenait néanmoins la municipalité et la chambre de commerce qu’il serait d’abord difficile de contraindre les receveurs fiscaux à un tel arrangement et, surtout, que les espèces mobilisées par la caisse devraient prioritairement servir aux paiements des trésoriers de la guerre et de la marine. Dans ces conditions, le plan rouennais devenait clairement insuffisant. Quoi qu’il en soit, il n’eut pas même le temps d’être mis en œuvre puisqu’à la fin du mois d’août 1790, les débats à l’Assemblée nationale sur l’opportunité d’une nouvelle tranche d’assignats transformés en monnaie (ne portant pas intérêt et ayant cours forcé) avaient entièrement modifié les termes de la question.
13Le 27 août, le marquis de Montesquiou présenta, au nom du Comité des finances, un rapport sur la dette publique qui prévoyait l’émission de 2 milliards d’assignats-monnaie, y compris en petites coupures. La discussion qui suivit pendant plus d’un mois, eut des conséquences décisives dans l’histoire monétaire et financière de la Révolution. Directement liée à la démission de Necker le 4 septembre, la controverse sur les assignats-monnaie divisa l’Assemblée en deux camps. Le premier, proche en l’occurrence des positions ministérielles, refusait à la fois la monétisation des assignats et leur émission en petites coupures par crainte de l’inflation et d’une disparition accélérée du numéraire (selon la loi de Gresham). Le second, regroupé autour de Mirabeau, appuyait les fortes propositions de Montesquiou au nom d’arguments à la fois politiques (fortifier la Révolution) et économiques (dynamiser les échanges et la production par l’augmentation du signe monétaire)17.
14Comme de nombreuses autres places de commerce consultées à ce sujet, l’avis de Rouen sur le rapport Montesquiou fut complètement négatif. Les historiens ont un peu trop vite déduit de ce rejet massif des places d’affaires (27 réponses sur 33) une allergie du commerce en général à l’égard des assignats-monnaie, sans prendre la peine de scruter dans le détail les conditions d’élaboration de ces avis18. À Rouen, l’adresse rédigée par la municipalité, le département et la chambre de commerce émanait en fait de la sanior pars du commerce qui tenait l’essentiel des pouvoirs locaux. Le mémoire, tout en reprenant les arguments de haut vol échangés à l’Assemblée, explicitait une crainte très concrète de cette élite négociante quant aux conséquences sociales d’un papier-monnaie manipulé par le peuple :
« [Les assignats-monnaie] circuleront et descendront sans difficulté depuis le capitaliste millionnaire jusqu’à l’artisan, le laboureur et le manufacturier ; mais arrivés à cette classe la plus nombreuse et la plus utile de la société, ils ne feront plus un pas qui n’occasionne des sacrifices, qui ne fasse des difficultés, qui ne provoque des mécontentemens, des murmures, des plaintes, peut-être des insurrections19 ».
15Persuadés qu’une Assemblée empêtrée dans les dettes de la monarchie ne manquerait pas de multiplier le papier-monnaie, les auteurs de l’adresse redoutaient le moment où des classes populaires illettrées se soulèveraient après avoir eu la confirmation qu’un papier signé était décidément une monnaie de dupes. Cette opinion était pourtant loin d’être partagée dans le commerce et le patronat de Rouen. En particulier, les maîtres fabricants, directement confrontés aux ouvriers, avaient une perception beaucoup plus imminente de l’émeute. Aussi, comme leur voix avait été délibérément occultée par cette consultation du « commerce », ils décidèrent de porter directement leur vision du problème auprès de la Constituante. Le 13 septembre, les dirigeants de la communauté des toiliers délibéraient d’envoyer à Paris l’un des leurs, Thomas Guéroult, muni d’une pétition de sa communauté et d’une autre des passementiers qui demandaient l’émission urgente de 50 millions d’assignats-monnaie en coupures de 6 livres20. La tentative fut évidemment un échec. La correspondance du député fabricant, remplie de fautes grossières, disait assez bien son hébétement face aux « grands débas » de l’Assemblée, son isolement et surtout son impuissance face au recul du parti de « Mr Mirabau21 ». De fait, le décret du 29 septembre portait finalement la circulation totale d’assignats-monnaie à 1,2 milliard de livres (au lieu de deux) et, surtout, le décret du 8 octobre limitait la coupure minimale à 50 livres22.
16Alors que les fabricants paraissaient abandonnés à leur sort, un riche négociant de toiles, Guillaume Jean Laurent Hermel eut l’idée de mixer le principe du papier-monnaie avec celui d’une caisse patriotique locale. Hermel représentait typiquement les intérêts du commerce de fabrique qui, par sa position d’intermédiaire marchand des maîtres d’ateliers, commençait à souffrir vraiment, par ricochet, des effets de la crise industrielle23. Son plan, présenté à la municipalité en novembre 1790, posait des principes de fonctionnement qui furent repris par la caisse patriotique en juin 1791 : la caisse imprimerait des billets de 20 sols à 6 livres qu’elle donnerait aux fabricants et aux boutiquiers en échange de leurs assignats24 (voir figure 1). Néanmoins, le projet du négociant, concerté en fait à plusieurs, butait sur le problème crucial du financement des frais d’impression et de régie. Les ratures et modifications de différentes mains hésitaient sur le montant de la prime d’échange, jugée soit trop forte, soit trop faible. Pour sa part, Hermel proposait, pour dégager des ressources, de faire valoir le capital de la caisse en effets publics ; d’autres émettaient l’idée de placer le capital en achat d’effets de commerce. Mais aucun n’imaginait utiliser les assignats reçus en échange des billets de confiance et placés en dépôt, pour escompter des effets commerciaux : ces assignats devaient tous rester en caisse pour faire face en cas de remboursement massif des billets. Du reste, on envisageait de n’ouvrir le capital qu’à une vingtaine d’actionnaires choisis parmi les premières fortunes de la place, car il était difficilement concevable que de grands négociants acceptassent de s’engager solidairement avec une foule d’associés. Dans ces conditions, il fallait que les souscripteurs, peu nombreux, consentissent par « esprit civique » à risquer des sommes importantes en capital pour espérer rentabiliser l’opération. Un tel civisme semblait douteux pour les deux commissaires-examinateurs de la municipalité, les négociants-armateurs Darcel et Lachesnez-Heude, pour lesquels « il serait très difficile de trouver des associés solides et assez désintéressés ». Par ailleurs, les commissaires, fidèles à un sentiment déjà exprimé, ne croyaient pas un instant que les ouvriers pussent accepter « les obligations de la société ». À la fin de l’année 1790, le crédit patriotique était à Rouen dans une impasse complète.
II. Le pari du crédit patriotique
17C’est de Paris que la situation se débloqua. Pressée par les alarmes de plus en plus nombreuses de la manufacture sur le déficit de numéraire, l’Assemblée constituante se décida le 6 mai 1791 à voter l’émission d’une tranche d’assignats de 5 livres, puis, se ravisant, elle se contenta finalement le 20 mai d’ordonner l’accélération de la frappe de petite monnaie de métal. Comme pour acter ce renoncement et se décharger en même temps du problème sur les acteurs locaux, elle permit le même jour à des caisses patriotiques d’émettre elles-mêmes du petit papier-monnaie et encouragea leur formation en exemptant leurs billets des frais de timbre et d’enregistrement25.
18Eugene N. White a voulu voir dans cette décision l’application doctrinale des idées du député-économiste Dupont de Nemours sur la liberté d’émission monétaire et la compétition bancaire (free banking)26. Cependant, une correspondance entre Montesquiou (l’auteur du rapport du 27 août 1790 sur les assignats-monnaie) avec Hermel met fortement en cause cette interprétation27. Dans une lettre du 27 mai 1791 adressée au marchand rouennais, le député disait d’abord sa méfiance à l’égard d’un petit papier-monnaie national (les « petits assignats ») qui, émis pour un royaume trop grand, ne manquerait pas d’être ici trop rare et là trop abondant. En revanche, les billets de confiance fabriqués par une caisse patriotique locale apparaissaient à ses yeux comme bien plus avantageux, car ils seraient « la monnoye particulière de la ville où leur circulation est établie et que, ne pouvant en sortir, ils [subviendraient] sans cesse à ses besoins journaliers ». Aux yeux de l’un des principaux partisans des caisses patriotiques, il était évident que l’émission de petit papier-monnaie, qu’elle fût nationale ou « décentralisée », ne devait pas être perçue comme un encouragement aux arbitrages marchands sur différents types de papier-monnaie ou, pour le dire dans les termes de l’époque, comme une sorte de prime à l’« agiotage ». L’idée d’un financement des caisses par l’escompte n’étant pas même évoquée, les billets de confiance seraient une simple monnaie d’échange à visée locale qui ne sortirait pas de leur ville d’émission. Autrement dit, dans l’esprit de Montesquiou, la promotion des caisses patriotiques n’avait rien à voir avec la mise en œuvre d’une grande compétition bancaire. De surcroît, le député choisissait Hermel comme intermédiaire zélé auprès de la municipalité rouennaise parce qu’il était clair pour lui que la fondation d’une caisse dans une ville de la taille de Rouen aurait nécessairement un caractère d’entreprise publique engageant la solidarité d’ensemble de la communauté marchande. La proposition de Montesquiou était sans conteste bien plus en phase avec la langue des milieux commerçants, habitués dans le sillon du privilège à gérer collectivement et localement des prérogatives d’ordre économique et de puissance publique. Mais cela suffirait-il à surmonter les frilosités et les divisions locales ?
A. L’union patriotique (et morganatique) du négoce et de la fabrique
19Dans sa réponse du 6 juin à Montesquiou, Hermel annonçait avec enthousiasme que « le projet concerté d’abord en petit par les maîtres des manufactures, [acquérait] une certaine consistance par le concours de plusieurs des principales maisons de commerce ». L’élite négociante, mise au pied du mur par les initiatives de la fabrique et par l’exemple des autres grandes villes de commerce, décida alors de prendre le train en marche. Elle pouvait d’autant moins renoncer à exercer un rôle premier dans la future caisse patriotique qu’elle avait vu disparaître, quelques semaines plus tôt, les principales bases institutionnelles de son pouvoir : le 1er mai, l’octroi des marchands, qui finançait par centaines de milliers de livres la chambre de commerce et la juridiction consulaire, avait été aboli ; le 8 mai, la suppression des offices de courtiers de marchandises et de change, que les juges-consuls possédaient par rachat depuis 1631, mettait à bas toute la réglementation boursière construite par ces derniers à l’aune du privilège28.
20Une fois acquis l’appui du patriciat négociant, la rédaction des statuts ne manqua pas de soulever la question de la répartition du pouvoir au sein d’un établissement qui avait les allures d’une mésalliance. Comme l’expliquait Hermel à Montesquiou dans sa lettre du 6 juin, ce furent bien deux riches manufacturiers, le fabricant Ezéchiel Desmarest et l’indienneur Étienne Torcat, qui prirent l’initiative le 27 mai de réunir une assemblée de marchands et de fabricants pour jeter les fondations de la caisse. Le choix du lieu de réunion, le « ci-devant bureau des marchands [merciers] sis Haute Vieille Tour » témoignait d’une participation significative du commerce de fabrique. L’organisation de la direction de la caisse, formée de douze administrateurs et de six régisseurs, s’inspirait du reste de l’ancien conseil resserré des marchands merciers (douze anciens gardes et six gardes en charge) qui existait avant la réforme des communautés de métier de 177829. Un projet de règlement du 28 mai tenta dans un premier temps de limiter à cinquante « le nombre d’associés ayant voix délibérative », mais les statuts homologués par la municipalité le 1er juillet donnaient finalement à chaque actionnaire une voix égale. Dans ces conditions, les souscriptions d’actions, fixées chacune à 1 000 Lt et versées en assignats, furent rapides et nombreuses. Parmi les 430 individus qui souscrivirent un total de 528 actions, plus du quart (environ 120 personnes) venait des couches moyennes et supérieures de la fabrique et de la manufacture. Néanmoins, l’écrasante majorité des autres actionnaires appartenait au commerce de fabrique et au négoce de place, qui se réservèrent ainsi l’essentiel des fonctions de direction en ne laissant souvent aux fabricants (par exemple Thomas Guéroult) que des postes de suppléants30. Quelques mois plus tard, l’élection du nouveau tribunal de commerce, ouverte désormais à tous les marchands et fabricants patentés, offrit la même leçon : malgré un triplement du nombre de votants (750 au lieu des 250 de l’ancienne liste des électeurs de la juridiction consulaire), seul le riche fabricant Desmarest parvint à se hisser parmi les juges du commerce en raison d’un découpage électoral très défavorable aux quartiers ouvriers et fabricants de l’est de la ville31. Emportée dans l’élan patriotique, la notabilité marchande avait bien ouvert ses portes à la fabrique mais continuait à garder les clés des nouvelles institutions.
B. Le patriotisme et la confiance
21L’impression des billets de confiance (de 20 sols à 6 livres) et leur échange contre des assignats commencèrent immédiatement après le vote des statuts le 6 juin et l’homologation municipale du 1er juillet. Le problème du financement des frais d’impression et de régie avait été réglé rapidement par l’article 4 des statuts, qui autorisait les administrateurs à faire valoir le capital de la caisse (soit 528 actions de 1 000 livres chacune) par l’achat et l’escompte d’effets de commerce32. Le taux d’escompte, fixé à 4,5 % pour les effets sur Rouen et à 4,75 % pour les effets sur Paris, pouvait laisser espérer en principe un bénéfice annuel d’environ 25 000 livres. Cependant, ce montant parut rapidement insuffisant lorsque les souscriptions d’actions s’arrêtèrent et que le capital resta bloqué à la somme de 527 850 livres33. Pour dégager des fonds, les administrateurs émirent alors l’idée, dès le début du mois d’août, d’investir dans l’escompte d’effets de commerce une partie des assignats déposés en caisse par les porteurs de billets de confiance. La proposition suscita logiquement une vive discussion car elle impliquait de modifier l’article 10 des statuts qui déclarait les dépôts « inviolables ». Le pari des administrateurs était de fait très audacieux. Après avoir remplacé une partie des assignats en dépôt par des effets réalisables à plus longue échéance, il devenait impossible, en cas de panique, de rembourser à vue les billets de confiance émis. Au risque de liquidité s’ajoutait un risque de contrepartie : les pertes éventuelles dans le portefeuille d’effets acceptés à l’escompte pourraient aussi mettre en péril la capacité de la caisse à rembourser ses billets de confiance.
22Après avoir obtenu un vote positif de l’assemblée générale des actionnaires, le conseil d’administration fit homologuer la modification des statuts par un arrêté municipal du 26 août. L’innovation était considérable. Poussés par la nécessité, les administrateurs venaient de jeter les bases d’une révolution bancaire, fondée sur le système des réserves fractionnaires (les dépôts d’assignats-monnaie ne formant plus qu’une fraction des billets en circulation). Dans ce système, la « réinjection » des assignats dans l’économie s’apparentait à une opération de création monétaire (figure 2). Simple institution d’échange à l’origine, la caisse patriotique se transformait alors, pour des raisons essentiellement pratiques, en banque d’escompte et d’émission. Un tel degré de socialisation et de « fiduciarisation » du refinancement monétaire était tout à fait inédit à Rouen et ne pouvait être perçu autrement que comme une immense prise de risque dont nul ne connaissait les chances de réussite. Pour les administrateurs, il semblait impossible de mettre en œuvre un tel saut dans l’ordre de la confiance sans s’appuyer en même temps sur les ressources du patriotisme. Aussi s’efforcèrent-ils aussitôt de donner à leur établissement les caractères d’une entreprise publique et civique. Ils firent d’abord savoir que les bénéfices en excédent seraient versés dans les caisses de secours de la ville, puis ils se lancèrent dans la chasse aux contrefaçons, allant même jusqu’à dépêcher Hermel à Paris pour débusquer les faux imprimeurs. Surtout, ils mirent fin, avec l’appui de la municipalité, à toutes les tentatives de caisse patriotique concurrente, notamment celle d’« un entrepreneur de la Comédie de Rouen » en février 1792. Chacune de leurs décisions fut homologuée par la municipalité et rendue publique à grand renfort d’affiches et de publications dans le Journal de Rouen. L’entreprise bancaire du commerce rouennais devait apparaître indissociablement comme une œuvre de salut public pour espérer réussir34.
C. La fin de la caisse, entre soulagement et malaise
23En huit mois, la caisse procéda à sept tranches d’émission de billets de confiance pour un montant total de 9 millions de livres, dont 8,5 millions furent effectivement mis en circulation (voir figure 3). Peut-être les émissions eussent-elles été encore plus nombreuses si, au début de l’année 1792, des faillites de caisses patriotiques n’avaient pas entraîné l’arrêt progressif de l’expérience par l’Assemblée nationale. Le décret du 30 mars 1792 ordonnait la fermeture de tous les établissements privés et plaçait les autres caisses, fonctionnant avec la garantie des autorités publiques, sous la surveillance des départements. Dès juillet 1792, le département de Seine-Inférieure négocia avec la caisse de Rouen de mettre fin à ses émissions35. Avec la mise en circulation des petits assignats durant l’été 1792, que l’Assemblée s’était décidé à voter en décembre 1791, l’existence des caisses patriotiques se trouva en sursis. Le décret du 8 novembre 1792 imposa finalement la fermeture de toutes les caisses et le retrait de tous les billets de confiance afin de ne pas gêner le crédit et la circulation des petits assignats36.
24Même si la caisse de Rouen avait commencé à freiner son activité, elle fut prise de court par cette suppression et surtout par les délais imposés pour retirer ses billets de confiance en circulation. En décembre 1792, la caisse possédait encore à son actif plus de 4 millions de livres d’effets de commerce dont l’échéance courait bien après la date du 1er janvier 1793 fixée pour la liquidation définitive38. Or, les administrateurs souhaitaient attendre la fin de leur échéance pour demander leur paiement en assignats et toucher ainsi l’intégralité du bénéfice d’escompte. Dans ces conditions, le recouvrement des gros assignats, puis leur échange contre des petits assignats envoyés par le gouvernement et, enfin, le retrait des billets de confiance ne pouvaient être qu’une opération assez lente, au plus grand agacement du ministre de l’Intérieur39.
25Le département de Seine-Inférieure, chargé de superviser les opérations de retrait et de mise en circulation des petits assignats, fut de son côté particulièrement sévère dans son jugement d’ensemble des caisses patriotiques. Dans son rapport d’activité de novembre 1792, il estima que ces dernières, même « dirigées d’après les vues les plus saines » – comme celle de Rouen – étaient « essentiellement abusives40 ». Dans un courrier de janvier 1793 envoyé au district et au département, les administrateurs de la caisse durent ainsi se défendre des soupçons latents d’agiotage en justifiant leur décision d’août 1791 d’utiliser leurs dépôts en assignats dans des opérations d’escompte. Ils ne manquaient pas d’arguments pour cela. Sur les millions de livres d’effets escomptés, l’établissement n’avait subi que quelques dizaines de milliers de livres de pertes41. Il va sans dire que les administrateurs tirèrent une grande fierté d’avoir su distinguer collectivement le bon grain de l’ivraie. Ils en retinrent surtout l’idée qu’il était possible de mener avec profit des opérations d’escompte au moyen d’une grande association bancaire. Une fois déduites les pertes et les dépenses de régie et d’impression, le bénéfice net des opérations d’escompte s’élevait à plus de 200 000 livres, qui furent versées aux caisses de secours de la ville ou employés en prêts à la municipalité pour des achats de subsistances. Enfin, le risque de liquidité assumé par les administrateurs n’avait eu, à leur plus grand soulagement, aucune conséquence fâcheuse : pendant près d’un an et demi, les billets de confiance avaient continué à circuler dans le public et presque aucun d’entre eux n’avait été ramené à la caisse pour remboursement. On peut avancer deux raisons à cela. Les billets de confiance avaient servi pour une large part les besoins d’une population ouvrière qui n’avait pas les ressources suffisantes pour en amasser un montant équivalent à la valeur d’un gros assignat et, donc, pour en demander le remboursement. Surtout, ils avaient été émis à Rouen par un établissement unique, appuyé par la municipalité et fort de la puissance sociale de plusieurs centaines de marchands et fabricants. C’est en mobilisant toutes les ressources du monopole, de l’injonction patriotique et de l’autorité publique que les administrateurs parvinrent à asseoir le crédit de leurs engagements à vue.
26Il y avait ainsi de fortes leçons à tirer sur les conditions de ce bond en avant institutionnel de la confiance monétaire, mais, dans l’immédiat, le bilan du crédit patriotique sembla confus et l’autosatisfaction des administrateurs eut du mal à s’extirper d’un climat général de défiance vis-à-vis des opérations de banque. La sophistication bancaire de la caisse parut alors plus ou moins emportée dans la mise en accusation générale de l’« agiotage ».
III. Du crédit patriotique à l’ordre monétaire : la Banque de Rouen
A. D’un désordre à l’autre
27Le soulagement des administrateurs de la caisse fut de fait de très courte durée puisqu’au moment même où celle-ci fermait ses portes, la place fut emportée dans une vague de faillites dont l’ampleur s’avéra inédite de mémoire rouennaise et qui, surtout, en impliquant la responsabilité de la plus haute notabilité marchande, défit brutalement l’alliance du printemps 1791 entre le grand négoce et les couches moyennes du commerce de toiles et de la fabrique. Lourdement empêtrés, après la révolte de Saint-Domingue d’août 1791, dans l’effondrement des marchés coloniaux, deux établissements éminents du négoce de place, les firmes Auvray-Bivel et Bournisien-Despréaux, avaient inondé le marché de leurs effets, endossés avec la complicité de négociants fécampois et havrais et d’un banquier parisien, pour faire face à leurs engagements42. Lorsque cette immense cavalerie se brisa à l’automne 1792, les chefs de ces deux maisons et plusieurs autres grands marchands rouennais mêlés à la déroute demandèrent à l’Assemblée nationale, par la voix du tribunal de commerce, de suspendre les rigueurs de la contrainte par corps. Cette requête fit scandale : l’un des faillis, Pierre-Robert Bournisien-Despréaux, n’était autre que le président du tribunal de commerce qui, dix ans plus tôt, exerçait déjà les fonctions de prieur des juges-consuls. Dans un véritable déchaînement de colère, quelque cent cinquante marchands de toiles et fabricants répondirent par une pétition incendiaire aux députés pour réclamer l’application intraitable de la loi sur les faillites et dénoncer des « négociants [auparavant] créanciers de leurs concitoyens et maintenant les juges d’un tribunal prostituant leur appui aux législateurs français à des brigands insolvables et débiteurs de plusieurs millions43 ». Les pétitionnaires ne déversaient pas seulement ici une rancœur ancienne et rentrée à l’égard d’un grand négoce avare de son crédit et sévère dans ses sentences consulaires ; ils exprimaient aussi leur irritation face à la répartition du pouvoir dans la défunte caisse patriotique, impliquée de quelques dizaines de milliers de livres dans la déconfiture du grand négoce, et au sein du tribunal de commerce qui, malgré la réforme électorale de 1791, avait continué à réserver ses fonctions principales à une élite de négociants. Parmi les signataires se distinguaient plusieurs futurs membres de la commune montagnarde et du comité de surveillance de l’an II – le teinturier François Martin Pinel aîné, le passementier Jacques Dezaubris, le toilier Guillaume Angran, Thomas Guéroult (déjà rencontré) et son beau-frère marchand de toiles, Guillaume Ronmy – qui, une fois parvenus aux charges municipales, envoyèrent plusieurs dizaines de grands négociants en prison44. Animée du même sentiment de revanche, cette petite bourgeoisie d’affaires fit fermer la Bourse en février 1794 et ordonna en même temps la destruction des grilles qui clôturaient cet enclos altier et privilégié du négoce45.
28Lorsqu’après Thermidor, les anciennes élites du commerce retrouvèrent leur place à la tête de la municipalité et du tribunal de commerce, il fallut remettre sur ses pieds un ordre social renversé sans pour autant revenir en arrière. Réclamée par une pétition des riches sections négociantes, la réouverture de la Bourse en septembre 1795 fut suivie en décembre d’un arrêté municipal qui reconstituait, cinq ans après la fin de la réglementation consulaire, des conditions strictes d’accès à la Bourse – ceci afin de lutter contre les « intermédiaires avides » et l’« infâme trafic des agioteurs ». S’il ne pouvait être question de manier la langue du privilège pour justifier la résurrection de l’ancien enclos marchand, il fallait néanmoins que « l’ordre et la liberté du commerce ne [pussent] être confondus avec la licence et le trafic de l’agiotage46 ».
29Une fois cette restauration accomplie, il restait à affronter une situation nouvelle : les courtiers de change, ces anciens « commis des juges-consuls » spécialisés dans l’escompte des effets de commerce, avaient choisi désormais d’exercer librement leur profession comme banquiers privés47. Dans le contexte de désordre monétaire qui accompagna l’inflation puis le retrait des assignats entre 1795 et 1798 et enfin l’immense vague de faillites en 179948, la multiplication des initiatives bancaires privées et l’explosion du nombre de banquiers49 – d’anciens courtiers de change ou de nouveaux venus – provoquèrent dans le commerce une vive inquiétude qui fit de la mise en ordre du crédit un impératif majeur. Pour mettre un terme aux « désordres de l’agiotage », il fallait alors un nouveau sursaut collectif qui puisa ses ressources dans les enseignements de la défunte caisse patriotique.
B. L’ordre et la confiance : la Banque de Rouen
30C’est encore dans les archives d’Hermel, l’ancien artisan du crédit patriotique emporté lui aussi en l’an II dans les vêpres jacobines50, qu’on peut lire les premiers essais de fondation d’une grande banque publique sous le Directoire. On y trouve deux projets dont les différences sensibles attestent les divergences d’opinions sur un sujet encore imprégné des idéaux patriotiques51. Le premier plan, un manuscrit de janvier 1796, reprenait à la fois le nom et les options élitistes de la « Caisse d’escompte et de comptes courants » fondée au même moment à Paris par la crème du négoce et de la banque52. En réservant ses opérations d’escompte aux effets de commerce de moins de 90 jours d’échéance sur Paris et Rouen et en fixant le montant minimal des billets de banque à 100 F., ce plan s’adressait explicitement et prioritairement au grand négoce et à la banque. À l’inverse, le second projet, un imprimé de mars 1796, était qualifié de « patriotique » et renouait avec l’idée de servir tous les intérêts du commerce, du grand négoce à la fabrique. L’escompte y était ouvert à « tout papier de convenance » tiré sur les places de Rouen, Paris, Le Havre, Caen « et autres places moyennant le change » – une manière de satisfaire les demandes de refinancement du commerce de toiles et de la fabrique, souvent payés en effets longs (de 6 mois à un an d’échéance) et payables dans des villes de foire. Le montant des billets de banque – de 10 F., 100 F. et 1 000 F. – portait la marque d’un certain rationalisme distributif censé satisfaire tous les intérêts, en particulier celui des marchands de toiles et des fabricants, particulièrement demandeurs de petites coupures.
31Le commerce rouennais passa enfin à l’étape de la mise en œuvre réelle de cette banque grâce aux initiatives de la Société libre du commerce, formée en novembre 1796 pour répondre à une vaste consultation du ministre des Finances sur la réforme des tarifs douaniers et les plans de banque publique. Parmi les membres de la Société libre, on comptait un nombre important d’anciens administrateurs de la caisse patriotique, notamment l’inévitable Hermel53. Lors de la formulation de ses statuts en décembre 1797, la Banque de Rouen se donna pour objectif de ramener la confiance sur un marché de l’escompte assommé par la crise monétaire et d’opposer une digue solide aux « agioteurs » et autres spécialistes de l’argent cher. Elle adopta en même temps, conformément au projet de janvier 1796 de « Caisse d’escompte et de comptes courants », des conditions draconiennes de refinancement du papier commercial et d’émission de billets, certainement sous l’influence du banquier Barthélemy Le Couteulx de Canteleu, lui-même actionnaire de la Caisse des comptes courants de Paris : l’escompte était limité aux effets de moins de 90 jours d’échéance et le montant minimal des billets de banque était fixé à 100 F. Dans le contexte de la débâcle monétaire post-assignats, le taux d’escompte, établi au taux faramineux de 12 %, faisait de cette banque un refuge resserré des fortunes et du papier de première qualité. L’émission de ses billets était garantie par une excellente encaisse de monnaie d’argent – denrée devenue presque miraculeuse depuis les assignats54.
32En dépit de sa vocation originellement élitiste, la Banque de Rouen adoucit progressivement ses règles d’escompte et d’émission sous la pression du commerce de fabrique et de la manufacture représentés dans son actionnariat55. En septembre 1801, elle accepta d’émettre des billets de 20 et 30 F. avant de baisser à 7,5 % son taux d’escompte en 1803 et d’accepter à l’escompte des effets à six mois d’échéance56. Si l’élaboration de ce compromis socio-économique entre les mondes du grand négoce et de la toile semblait retrouver les ambitions unitaires de la caisse patriotique, elle fut guidée en réalité cette fois-ci, non par l’urgence sociale et politique, mais par la volonté de briser l’élan de concurrentes pugnaces, les caisses de sols. Ces dernières étaient apparues à peu près au même moment que la Banque de Rouen et avaient connu un succès rapide en s’engouffrant dans la brèche des intérêts fabricants que l’établissement élitiste avait délibérément délaissés à ses débuts. La plus fameuse d’entre elles, la caisse d’échange des monnaies, avait été créée par les fils de Jean Thézard, le plus riche courtier de change de Rouen avant la Révolution. Hermel et Jean Isaac Le Caron, tous deux anciens responsables de la caisse patriotique, y étaient associés, ce qui ne les empêchait pas de siéger aussi au conseil d’administration de la Banque de Rouen. L’appât du gain ne saurait expliquer entièrement leur double jeu. La caisse d’échange des monnaies avait ouvert son guichet en août 1798 peu de temps après qu’Hermel eut échoué à convaincre les autres administrateurs de la Banque de Rouen de fabriquer des billets de 25 F. remboursables en gros sols57. En s’associant à une entreprise susceptible de soutenir les besoins monétaires des marchands fabricants, l’initiateur de la caisse patriotique en 1791 restait donc fidèle à sa ligne de conduite : promouvoir les intérêts du commerce de fabrique dont il était l’un des représentants les plus en vue58.
33Les banques de sols n’étaient ni plus ni moins des imitations de la caisse patriotique, à la différence près que leur base monétaire, censée garantir l’émission de petits « bons de sols », était constituée, non plus de gros assignats, mais de métal de cuivre et de billon qu’elles s’évertuaient à acheter au meilleur prix partout où elles le pouvaient, à Rouen et surtout dans les campagnes alentour. Comme la caisse patriotique, ces banques privées prétendaient servir les intérêts des fabricants en proposant à ceux-ci d’escompter leurs effets de commerce en échange de petits bons payables en monnaie de cuivre et de billon59 (figure 4). Pour la majorité des administrateurs de la Banque de Rouen60, elles étaient la concrétisation d’un cauchemar que les gérants de la caisse patriotique étaient parvenus à dissiper en 1792, celui de caisses « particulières » capables de mettre en déroute les billets émis par la banque « officielle » du commerce. Face au succès des banques de sols qui menaçait directement ses profits et la circulation de ses billets, la Banque de Rouen lança contre celles-ci une vigoureuse campagne à partir de l’été 1801.
34Dans ce combat, la Banque ne ménagea pas ses moyens, même les moins honorables62, et fourbit surtout un argumentaire qui ne manquait pas de poser problème. Par la voix d’un mémoire imprimé de la Société libre du commerce adressé au gouvernement en thermidor an IX (août 1801)63, elle ne se contenta pas d’employer des arguments de circonstance sur la portée inflationniste des bons de sols et sur la faiblesse de l’encaisse métallique des banques de sols. Plus fondamentalement, elle mit aussi en cause l’existence « abusive » de « caisses particulières » qui dérogeait à la souveraineté monétaire de l’État. Pourtant, si tel était le cas, comment fallait-il définir le statut de la Banque de Rouen ? Fondée avec des capitaux privés comme « association libre », celle-ci ne bénéficiait, de la part du gouvernement, d’aucun monopole de droit, ce qui l’apparentait, elle aussi, à une caisse « particulière ». Au nom de quoi – sinon d’un privilège – la Banque de Rouen pouvait-elle prétendre interdire toute concurrence à son activité d’émission monétaire ? Comment concilier une telle demande avec une « liberté du commerce » dont elle ne cessait du reste de se réclamer dans ce même mémoire ?
C. Dire le privilège
35La loi du 24 germinal an XI (14 avril 1803), qui accordait à la Banque de France un monopole d’émission de billets de banque à Paris, ne régla que succinctement la question. Selon l’article 31, toute banque dans les départements ne pouvait être créée et obtenir un « privilège » semblable à celui de la Banque de France qu’avec une autorisation du gouvernement. Dans son esprit, cet article 31 visait à reproduire dans les départements le modèle de la Banque de France et impliquait donc tacitement la disparition à Rouen des caisses de sols concurrentes d’une banque départementale autorisée. Mais faute d’une clarification juridique, et notamment d’un décret qui autoriserait et privilégierait explicitement la Banque de Rouen, les caisses de sols continuèrent leur activité jusqu’à leur interdiction expresse en pluviôse an XIII par ordre du ministre du Trésor64. Dans ce contexte juridiquement confus, la Banque de Rouen ne manqua pas, en décembre 1806, de demander le renouvellement de ses statuts en se plaçant sous le couvert de la loi du 24 germinal an XI et de son article 3165. Il s’agissait alors de jouer à plein la carte de l’autorisation gouvernementale pour jouir désormais des mêmes exclusivités que celles accordées à la Banque de France.
36De ce point de vue, il est difficile de souscrire aux termes choisis par Eugene N. White pour qualifier ce processus de légalisation des statuts rouennais. En évoquant, à ce sujet, la fin de l’« indépendance » de la Banque de Rouen passée sous « contrôle gouvernemental », l’historien tend à présenter celle-ci comme la victime passive d’une ingérence étatique66. Or, dans cette séquence, la Banque ne souhaita pas tant défendre avec acharnement sa liberté contre les empiètements « dirigistes » de l’État que négocier l’appui de ce dernier pour asseoir une mise en ordre locale du crédit et une mise au pas des initiatives bancaires « particulières ». Il est vrai que, lors de sa transformation autoritaire en « comptoir d’escompte » de la Banque de France (1808-1814), les gérants rouennais accueillirent avec mauvaise grâce la présence devenue trop encombrante d’un État qui prétendait fixer à Paris les conditions d’escompte et d’émission, sans tenir compte de réalités locales de plus en plus modifiées par le pouvoir social et économique de l’industrie67. Cependant, peu après la chute de l’Empire, la Banque de Rouen retrouva ses conditions antérieures d’autonomie et obtint, par une ordonnance royale du 7 mai 1817, le statut de « banque départementale » autorisée par le Roi, qui semblait lui accorder le monopole d’émission prévu dans l’article 31 de la loi du 24 germinal an XI. Ce pacte légal avec l’État, qui se dessina dès 1803-1807 et fut consolidé en 1817, n’était pas sans contrepartie. La Banque de Rouen ne put en effet faire valider ses statuts de « banque départementale » qu’en s’engageant à respecter des règles prudentielles d’escompte et d’émission contre lesquelles elle ne cessa en même temps de réclamer. Une fois de plus, il serait largement erroné d’interpréter ces réclamations selon le schéma simpliste d’un affrontement de la liberté économique contre le dirigisme étatique. En réalité, il y avait là davantage une négociation sans cesse recommencée plutôt qu’un véritable face-à-face. Aussi bien la Banque de Rouen préféra-t-elle toujours consentir à appliquer ces carcans gouvernementaux – quitte à tenter régulièrement de les infléchir – plutôt que de renoncer à son statut de banque officielle. Surtout, elle s’aperçut progressivement que de telles contraintes légales, aussi sévères fussent-elles, étaient la condition sine qua non pour asseoir sa prééminence absolue sur le marché de l’escompte rouennais.
37Deux de ces règles gouvernementales, en particulier, produisirent, dès la demande de statuts en 1807 et jusqu’aux années 1830, un débat incessant entre le conseil d’administration de la Banque et les autorités. La première d’entre elles concernait le montant minimal trop élevé des billets de banque (fixé en 1817 à 250 F.) qui, aux yeux des administrateurs rouennais, empêchait la Banque d’étendre ses opérations d’escompte et la circulation de ses billets en direction des secteurs clés de l’économie locale, à savoir le commerce de toiles et la fabrique. Une seconde règle, dite des « trois signatures », contraignait tout présentateur d’effets à l’escompte de proposer un papier commercial qui fût revêtu de la signature bien famée d’un « négociant capitaliste » ou d’un « banquier ». Une telle règle tendait à imposer quelques dizaines de grands négociants et banquiers comme intermédiaires de premier rang entre la Banque de Rouen et le reste du commerce. Cette organisation hiérarchisée à trois étages du marché de l’escompte, qui s’apparentait de plus en plus à un système d’escompte-réescompte, suscita une attitude particulièrement ambivalente du conseil d’administration : tout en amputant une partie de son activité d’escompte direct auprès des marchands et fabricants de second rang, elle lui assurait en même temps de recevoir au réescompte du bon papier commercial filtré et « épuré » par la banque privée. En revanche, si la Banque de Rouen consentit, en dépit de ses réclamations régulières contre la « troisième signature », à laisser cette couche intermédiaire de banquiers-négociants s’enrichir et capter la matière escomptable, il était pour elle hors de question que ces derniers pussent s’emparer de la fonction supérieure de refinancement par l’émission de billets de banque. Lorsqu’elle dut faire face à de telles tentatives, elle n’eut comme ressource que de brandir un « privilège » qui mit toutefois longtemps à sortir des brumes du droit.
38C’est à l’époque de la Restauration « ultra » que les administrateurs choisirent de se débarrasser de leurs pudeurs et des apories de la « liberté du commerce » pour réclamer en 1820, au nom d’un « privilège » supposément garanti par l’ordonnance du 7 mai 1817, l’interdiction de billets de sols qui faisaient alors leur réapparition. Sur le moment, ils durent néanmoins renoncer à poursuivre leurs démarches après s’être aperçus que l’ordonnance de 1817 ne mentionnait pas explicitement un « privilège » local d’émission monétaire, contrairement à la loi fondatrice du 24 germinal an XI pour la Banque de France et les banques départementales « autorisées68 ». Né d’un imbroglio juridique, le problème non tranché revint de nouveau sur le tapis en 1838 lorsque l’établissement Durand, Delaplanche et Cie prétendit émettre ses propres billets de banque. Les administrateurs de la Banque s’y opposèrent aussitôt dans une requête au ministre du Commerce69. Ce fut alors l’occasion pour eux d’assumer un argumentaire qui ressemblait, à s’y méprendre, au langage corporatif de leurs aînés, rassemblés, cinquante ans auparavant, dans la communauté des marchands merciers et la juridiction consulaire. À leurs yeux, la nature spécifique du « billet de banque » – dépourvue de toute « valeur intrinsèque » mais dotée, par la puissance souveraine, d’une « valeur d’échange considérable » – en faisait une marchandise à nulle autre pareille, dont la mise en circulation ne pouvait être confiée qu’à une entité unique, qualifiée et dotée par le Roi d’un « privilège » ; laisser cet instrument aussi fictif que puissant à l’appétit de banques sans contrôle menaçait comme jamais l’« ordre du commerce » et l’« ordre public ». Les ministres des Finances et du Commerce, saisis de la requête, se dirent entièrement convaincus de sa légitimité tout en se déclarant impuissants à lui donner une quelconque légalité compte tenu des silences de l’ordonnance de 1817 à l’égard du « privilège » demandé. Dans l’immédiat, la Banque de Rouen parvint certes, par des pressions officieuses, à empêcher la société Durand Delaplanche et Cie de mener à terme son projet d’émission. Mais sa victoire fut surtout consacrée, quatre ans plus tard, par le vote d’une loi dont l’article 1er reconduisait, cette fois-ci sans ambiguïté, son autorisation « privilégiée » : « la Banque de Rouen […] jouira, en exécution de la loi du 24 germinal an 11, du privilège d’émettre des billets de banque dans ladite ville70 ». Le long travail de mise en ordre du marché monétaire rouennais trouvait là sa conclusion légale, quelques années avant l’intégration de l’établissement rouennais à la Banque de France.
IV. Par-delà la Révolution, la construction d’un ordre monétaire
39Le rôle de la caisse patriotique de Rouen dans la construction du marché monétaire local nous conduit à infléchir de deux manières notre compréhension de la Révolution dans l’histoire du capitalisme bancaire. À rebours de la tonalité catastrophiste généralement adoptée dans l’étude des finances et de la monnaie sous la Révolution, telle qu’on la trouve par exemple dans la dernière synthèse en date sur le sujet71, il est d’abord remarquable de constater que le milieu d’affaires rouennais jeta à son échelle les fondations d’un institut de refinancement et d’émission dès 1791, bien avant la mise en ordre monétaire et bancaire du Consulat. Largement épurée de sa signification patriotique après Thermidor, l’expérience de cette caisse servit de base à la création de la Banque de Rouen en 1798. Elle avait en effet démontré qu’il était possible d’effectuer ce bond en avant institutionnel de la confiance monétaire à condition d’en respecter quelques conditions indispensables : une très forte coordination du milieu d’affaires et l’imposition d’un monopole d’émission appuyé par l’autorité publique.
40Ce n’est pas minimiser le tournant proprement révolutionnaire de la caisse patriotique que d’en situer ensuite la portée dans une chronologie plus longue et antérieure à la Révolution. Si la caisse patriotique introduisit une innovation capitale dans l’histoire du marché monétaire, sa création s’inscrivit plus largement dans un horizon marchand de plus en plus bouleversé, tout au long du xviiie siècle, par la diffusion du papier commercial, l’accélération des opérations d’endossement et d’escompte et l’entrelacement des chaînes du crédit72. Nous serions tentés en cela d’établir une filiation quasi continue entre la Bourse de Rouen, qui s’était constitué au début du xviiie siècle en un espace privilégié et réglementé des négociations d’argent, et la Banque de Rouen qui s’efforça au xixe siècle de construire un marché monétaire hiérarchisé et ordonné. Il n’est pas fortuit que, d’une institution à l’autre, ce fut à chaque fois la notion de « privilège » qui présida à cette construction d’un ordre monétaire, par-delà les injonctions postrévolutionnaires de la « liberté du commerce ». Comme cela a pu être observé ailleurs73, ce thème rebattu de la « liberté » constitua pour le commerce, après la Révolution, un passage obligé mais surtout une gêne pour exprimer un sentiment profond : un marché laissé aux seuls appétits des « intermédiaires avides » et dépourvu d’une institution forte et locale du commerce ne pouvait que dégénérer en « licence » aux dépens d’une « liberté du commerce » bien comprise.
Notes de bas de page
1 E. Horsin-Déon, « En marge des assignats. Les billets de confiance », Revue d’histoire économique et sociale, vol. 36, n° 3, 1958, p. 257‑293.
2 Estimation d’Eugene N. White, « Free Banking During the French Revolution », Explorations in Economic History, vol. 27, n° 3, juillet 1990, p. 251‑276, ici p. 254. Voir aussi Maurice Kolsky, Les billets de confiance de la Révolution française, 1790-1793, Paris, Maurice Kolsky, coll. « Histoire du papier-monnaie », 2004, le catalogue le plus complet actualisant les recherches anciennes d’Achille Colson (1852) et Camille Bloch (1910).
3 E. N. White, « Free Banking During the French Revolution », art. cité ; idem, « The Evolution of Banking Theory During the French Revolution », dans Gilbert Faccarello et Philippe Steiner (dir.), La pensée économique pendant la Révolution française, Grenoble, PUG, 1990, p. 451‑463.
4 On doit notamment à Eugene N. White d’avoir démontré le caractère non inflationniste des émissions de billets de confiance : E. N. White, « Free Banking During the French Revolution », art. cité ; idem, « The Evolution of Banking Theory… », art. cité ; François Crouzet, La grande inflation. La monnaie en France de Louis XVI à Napoléon, Paris, Fayard, 1993, p. 149‑155.
5 E. N. White, « Free Banking During the French Revolution », art. cité ; idem, « The Evolution of Banking Theory… », art. cité.
6 Pour l’ensemble du paragraphe : Guillaume Foutrier, « L’argent dans l’enclos du Commerce : courtiers et agents de change à la Bourse de Rouen (xviie-xviiie siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 63‑1, janvier-mars 2016, p. 110‑147.
7 Jochen Hoock, « Réunions de métiers et marché régional. Les marchands réunis de la ville de Rouen au début du xviiie siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 43, n° 2, mars-avril 1988, p. 301‑322.
8 Dans un mémoire de 1737, les gardes merciers résumaient en une formule ce système : « L’attribution du travail aux uns et du trafic aux autres, tel est l’ordre du Commerce » (Archives départementale de Seine-Maritime (désormais ADSM), 5/EP/589). Voir notre thèse en cours de rédaction sur les institutions du Commerce à Rouen (xvie-xixe siècle).
9 Steven L. Kaplan, La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001.
10 Pierre Dardel, Les manufactures de toiles peintes et de serges imprimées à Rouen et à Bolbec aux xviie et xviiie siècles, Rouen, Imprimerie A. Desvages, 1940 ; idem, Commerce, industrie et navigation à Rouen et au Havre au xviiie siècle, Rouen, Société libre d’émulation de la Seine-Maritime, 1966, p. 141.
11 Voir la participation du grand négociant rouennais Pierre Nicolas de Fontenay dans la filature mécanisée de Louviers au début des années 1780 dans Serge Chassagne, Le coton et ses patrons. France, 1760-1840, Paris, Éditions de l’EHESS, 1991, p. 216‑218.
12 Ce mot-valise, associant deux termes contradictoires de l’économie corporative, apparaît significativement dans les sources rouennaises dans la seconde moitié du xviiie siècle.
13 Les thèmes d’un libéralisme intransigeant se firent entendre pour la première fois dans le commerce rouennais parmi les gardes passementiers qui, lors de la consultation de Necker sur la réforme des règlements de manufactures en 1779, se prononcèrent, pour la moitié d’entre eux, en faveur de la « liberté entière » ; ils dénonçaient notamment le fonctionnement du bureau de visite des toiles, passé sous le contrôle des marchands depuis un règlement de 1731 (Archives nationales [désormais AN], F/12/658/A).
14 Voir par exemple le parcours des familles Pinel et Desmarest dans S. Chassagne, Le coton et ses patrons, op. cit.
15 Jacques Delécluse, Polémique industrielle à la veille de la Révolution de 1789. Les marchands rouennais et l’activité textile face au traité de commerce avec l’Angleterre, Rennes, PUR, 1989.
16 Pour l’ensemble du paragraphe : ADSM, L/856. Les maîtres passementiers se rallièrent au plan des toiliers quelques semaines plus tard (ADSM, 5/EP/615, Délibérations de la communauté des passementiers, 7 juillet 1790).
17 F. Crouzet, La grande inflation…, op. cit., p. 114‑117 ; Manuela Albertone, « Le débat sur le crédit public et la naissance des assignats », dans G. Faccarello et P. Steiner (dir.), La pensée économique pendant la Révolution française, op. cit., 1990, p. 405‑429.
18 Jacques Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1989 (1re éd. 1951), p. 183.
19 Adresse à l’Assemblée nationale, par les administrateurs du directoire du département de la Seine-Inférieure, le directoire du district de Rouen, le conseil général de la Commune et de la chambre de commerce de la même ville sur cette question : convient-il, pour acquitter la dette exigible de l’État, de faire l’émission immédiate de deux milliards d’assignats-monnaie, ne portant point intérêt et subdivisés en coupons de sommes très modiques ?, Rouen, Veuve L. Dumesnil, 1790, p. 9, Bibliothèque nationale (désormais BnF), 8-LE29‑905.
20 ADSM, 5/EP/760, Délibérations de la communauté des maîtres toiliers de Rouen.
21 ADSM, 5/EP/775.
22 F. Crouzet, La grande inflation…, op. cit., 1993, p. 118.
23 P. Dardel, « Crises et faillites à Rouen et dans la Haute-Normandie de 1740 à l’an V », Revue d’histoire économique et sociale, n° 27, 1948, p. 53‑71.
24 Pour la suite du paragraphe : ADSM, Archives Hermel, J/942.
25 J. Godechot, Les institutions de la France, op. cit., 1989, p. 185.
26 E. N. White, « The Evolution of Banking Theory… », art. cité, p. 457.
27 ADSM, Archives Hermel, J/942.
28 La suppression des chambres de commerce le 27 septembre 1791 ne fit qu’achever la mort d’une institution qui avait déjà perdu à Rouen ses sources de financement et ses principales prérogatives réglementaires. Voir G. Foutrier, « L’argent dans l’enclos… », art. cité, p. 143‑145.
29 Archives municipales de Rouen (désormais AM Rouen), Rév., F/2/B.
30 ADSM, Archives Hermel, J/942, Statuts et listes des administrateurs et actionnaires de la caisse patriotique.
31 AM Rouen, Rév, F/2/A.
32 Pour l’ensemble du paragraphe : ADSM, Archives Hermel, J/942.
33 Une action ayant été payée 850 livres, le capital se montait en réalité à 527 850 livres.
34 Pour l’ensemble du paragraphe : ADSM, Archives Hermel, J/942.
35 ADSM, L/163, Rapport des travaux du département de la Seine-Inférieure depuis le 15 décembre 1791 jusqu’au renouvellement en novembre 1792, p. 81.
36 E. Horsin-Déon, « En marge des assignats… », art. cité.
37 AM Rouen, Rév., F/2/B.
38 AN, F/12/798 B ; ADSM, L/2495, États hebdomadaires de la caisse.
39 ADSM, L/855.
40 ADSM, L/163, Rapport des travaux du département de la Seine-Inférieure…, précité, p. 81.
41 Au maximum de son activité, en juin 1792, la caisse patriotique avait plus de 6 millions de livres d’effets de commerce en portefeuille. Lors de la liquidation définitive en pluviôse an II, il y avait encore plus de 57 000 Lt d’effets à recouvrer et 42 500 Lt d’effets protestés, dont une grande partie était perdue (ADSM, Archives Hermel, J/942). Ces pertes avaient toutes été occasionnées par la déconfiture des maisons Auvray-Bivel et Bournisien-Despréaux (voir infra).
42 ADSM, LP/8737, Bilans de faillite du tribunal de commerce en 1792 ; Guy Antonetti, Une maison de banque à Paris au xviiie siècle. Greffulhe Montz et Cie (1789-1793), Paris, Éd. Cujas, 1963, p. 232‑234.
43 AN, D/III/363‑365.
44 Liste des membres de la commune reproduite dans le Journal de Rouen du 4 janvier 1794 (consultable en ligne http://recherche.archivesdepartementales76.net/?id=recherche_guidee_journal). Pour les membres du comité de surveillance, voir les procès-verbaux d’arrestation en l’an II, AM Rouen, Rév., I/3/A.
45 AM Rouen, Rév., F/2/A.
46 AM Rouen, Rév., F/2/A, Dossier sur la réouverture de la Bourse.
47 G. Foutrier, « L’argent dans l’enclos… », art. cité, p. 144.
48 Cette année-là, 222 faillites furent déclarées à Rouen pour un passif total d’environ 14,7 millions de francs, ADSM, LP/8739‑8741.
49 Jean-Pierre Chaline, « L’évolution d’une place financière : Rouen du Directoire à la Seconde Guerre mondiale », Études normandes, n° 29, 1980‑2, p. 31‑51.
50 Hermel avait été arrêté en décembre 1793 pour avoir reçu par courrier des faux assignats. Il fut libéré au lendemain de thermidor (AM Rouen, Rév., I/3/1‑7, Comité de surveillance, dossier d’arrestation).
51 ADSM, Archives Hermel, J/943.
52 Louis Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, Éditions de l’EHESS, 1974, p. 88‑97.
53 ADSM, 3/J, Archives de la Société libre du commerce.
54 J.-P. Chaline, « La banque à Rouen au xixe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, 1974‑3, p. 384‑420.
55 ADSM, Archives Hermel, J/943, Liste des actionnaires de la Banque de Rouen en 1800 ; G. Foutrier, « La double voix du milieu d’affaires à Rouen : la Société libre du commerce (1796-1830) », dans Corine Maitte, Philippe Minard et Matthieu De Oliveira (dir.), La gloire de l’industrie, xviie-xixe siècle. Faire de l’histoire avec Gérard Gayot, Rennes, PUR, 2012, p. 37‑56.
56 Archives Banque de France, Procès-verbaux du conseil d’administration de la Banque de Rouen, 1798‑1806.
57 Archives Banque de France, Procès-verbaux du conseil d’administration de la Banque de Rouen, 1798-1806 : délibérations des 26 floréal an VI, 11 et 15 messidor an VI, 1er thermidor an VI.
58 Sur la caisse d’échange des monnaies : ADSM, Archives Hermel, J/941‑943 ; Guy Thuillier, « Pour une histoire monétaire de la France au xixe siècle : les monnaies de cuivre et de billon », Annales ESC, 1959, 14/1, p. 65‑90.
59 Guy Thuillier, « Pour une histoire monétaire de la France... », art. cité.
60 Hermel et Le Caron tentèrent en vain d’infléchir la position du conseil d’administration à ce sujet (Archives Banque de France, Procès-verbaux du conseil d’administration de la Banque de Rouen, 1798‑1806).
61 ADSM, J/941, Archives Hermel.
62 Selon toute vraisemblance, les administrateurs de la Banque de Rouen furent à la manœuvre derrière la campagne de diffamation anonyme qui frappa la caisse de Thézard et Cie en juin 1800 (ADSM, 1/M/512).
63 ADSM, 3/J/168, Rapport fait à la Société libre […] sur le danger auquel la circulation des bons, remboursables en sous de cuivre et en métal de cloches, expose les habitants de cette commune, Rouen, Imprimerie Périaux, p. 10‑11. Notons que Le Caron et Hermel, membres de la commission chargée de rédiger le rapport, échouèrent dans leur défense des caisses de sols (ADSM, 3/J/12, Archives de la Société libre du commerce, procès-verbaux des séances).
64 Les émissions de bons de sols continuèrent cependant clandestinement après 1805. Voir G. Thuillier, La monnaie en France…, op. cit., 1983, p. 216 et s. et p. 385 et s. ; ADSM, 8/M/528, Dossier sur le renouvellement de l’acte de société de la Banque de Rouen en 1807.
65 ADSM, 8/M/528, Dossier sur le renouvellement de l’acte de société de la Banque de Rouen en 1806‑1807.
66 E. N. White, « The Evolution of Banking Theory… », art. cité, p. 459‑461.
67 J.-P. Chaline, « La Banque à Rouen… », art. cité, p. 388‑389 ; S. Chassagne, Le coton et ses patrons, op. cit., 1991.
68 Archives Banque de France, Procès-verbaux du conseil d’administration de la Banque de Rouen, 15 mai et 1er juin 1820.
69 ADSM, 8/M/528.
70 Loi du 9 juin 1842. Voir Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, t. 42, 2e éd., Paris, imprimerie de Pommeret et Guénot, 1844, p. 129‑140.
71 F. Crouzet, La grande inflation…, op. cit., 1993.
72 Il manque des recherches pour saisir la réalité de ce bouleversement, dont le thème florissant de l’emprisonnement pour dettes et les appels incessants à la répression pénale des débiteurs de « mauvaise foi » furent les symptômes. Voir à ce sujet Amalia Kessler, A Revolution in Commerce: The Parisian Merchant Court and the Rise of Commercial Society in Eighteenth-Century France, New Haven-Londres, Yale University Press, 2007 (en particulier chap. 5) ; Erika Vause, In the Red and in the Black: Debt, Dishonor, and the Law in France between Revolutions, Charlottesville, University of Virginia Press, 2018.
73 Jean-Pierre Hirsch, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (1780-1860), Paris, Éditions de l’EHESS, 1991.
Auteur
Ancien élève de l’École normale supérieure lettres et sciences humaines (ENS-LSH) de Lyon et agrégé d’histoire, Guillaume Foutrier est professeur d’histoire-géographie au lycée Charles de Gaulle de Rosny-sous-Bois. Ses recherches portent sur les pratiques et institutions économiques à Rouen du xvie au xixe siècle (communautés de métier, juridiction consulaire, Bourse, banque). Parmi ses publications : « L’argent dans l’enclos du Commerce : courtiers et agents de change à la Bourse de Rouen (xviie-xviiie siècle) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 63-1, janvier-mars 2016, p. 110-147.
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