Précédent Suivant

La RCB au ministère de la Santé

p. 329-380


Texte intégral

1Pour l’étude de la RCB au ministère de la Santé, nous disposons de nombreux travaux en sciences sociales, notamment ceux de Frédéric Pierru et Daniel Benamouzig1, mais il aurait été dommage de ne pas traiter dans cet ouvrage de l’opération Périnatalité en tant que telle, car, avec l’opération Sécurité routière du ministre de l’Équipement, elle est une des réalisations emblématiques de la RCB des années 1970. La découverte d’un texte inédit de la main de la principale responsable de ce programme, Marie-Thérèse Chapalain, issu du concours autobiographique Mémoires de l’INSEE lancé en 2014 par le bureau de la Recherche de l’IGPDE sous l’égide du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, nous a conduit à consacrer un chapitre au développement de ce programme d’étude. La trajectoire de Marie-Thérèse Chapalain, du CEPE de Charles Prou au CEPE-Santé, nous permet de remonter aux sources françaises de la RCB et de suivre sur une trentaine d’années, de 1963 à 1996, les germinations, les fruits et les apories de la RCB au ministère de la Santé.

2Marie-Thérèse Chapalain est née le 15 septembre 1931 à Roscoff dans le Finistère dans une famille de « laboureurs-johnnies », ces petits cultivateurs de légumes-primeurs, qui depuis 1815 allaient six mois de l’année en Grande-Bretagne pour y vendre des tresses d’oignons. Elle passe le baccalauréat avec mention Bien, mais son souhait de faire médecine est contrarié par de longues années de tuberculose ; elle se dirige alors vers la licence en droit qu’elle obtient à l’université de Rennes dans la section Économie politique2. Venue à Paris, elle entre à l’INSEE en 1963 en tant que contractuelle et se voit affectée à la cellule Comptabilité nationale où elle se forme à la comptabilité des entreprises et des « secteurs » industriels sous la direction d’André Hamaide3 et de Jean Boutan4 dans le cadre de l’établissement de la production intérieure brute (PIB). Elle y côtoie les fondateurs de la comptabilité nationale et les macro-économistes français, Claude Gruson, Charles Prou5, Edmond Malinvaud, Jean-Jacques Carré, Paul Dubois6, Jacques Mayer, ainsi que de futurs collègues à l’INSEE comme Alain Desrosières7. En 1966, elle souhaite parfaire sa formation en économie et en mathématiques et demande une inscription au Centre d’études des programmes économiques (CEPE).

3C’est à partir de cet épisode que nous avons choisi de donner la parole à Marie-Thérèse Chapalain8.

Florence Descamps

***

1966-1968 La formation au Centre d’études des programmes économiques

4Il existait une formation, instituée en Centre d’études des programmes économiques (CEPE), en 1957, par ces mêmes tenants de la Comptabilité nationale : Claude Gruson, inspecteur des Finances, Gaston Berger, universitaire, Edmond Malinvaud, X-INSEE et universitaire en mathématiques et statistique, Charles Prou, agrégé de sciences économiques, auxquels s’adjoignait François Bloch-Lainé, inspecteur des Finances, directeur de la Caisse des dépôts et consignations. Charles Prou était le directeur du Centre. La plupart avaient participé à la reconstruction de l’économie française après-guerre, et ils souhaitaient répondre aux besoins des deux grands mythes de l’époque : la planification française et l’aide aux pays dits alors « sous-développés ». Pour cela, l’économie devait devenir moins « littéraire ». Ainsi, les élèves, une trentaine par promotion, ingénieurs de l’X, des Mines, de Centrale… ou anciens de Sciences Po, ENA et diplômés en économie des universités (avec pour ces catégories un « rattrapage mathématique ») suivaient une formation d’un an. Ils étaient envoyés par l’INSEE, le ministère des Finances et les grandes administrations, la Caisse des Dépôts et des grandes entreprises publiques et privées. On y trouvait ainsi ceux qui, sur le seuil d’une carrière politique, éprouvaient la nécessité de cette formation spécifique : Michel Rocard, Anicet Le Pors… Simon Nora avait précédemment initié Pierre Mendès France à la comptabilité nationale. Le CEPE recevait également des étudiants en provenance de pays dits ultérieurement en « voie de développement ».

5Dans ce cours, on traitait principalement de modèles économiques et de problèmes de développement, de comptabilité nationale, de tableaux financiers et de calcul économique pour le choix des investissements – en s’appuyant sur l’ouvrage bien connu de Pierre Massé, Commissaire au Plan9. Il y eut là de grandes figures professorales : Edmond Malinvaud, Charles Prou10, Marcel Boiteux pour les tarifications11, Claude Abraham pour « la valeur de la vie humaine »12, Jean-Pierre Fourcade, futur ministre des Finances… Il me fallait suivre ce cours… Je demandai à être reçue par Claude Gruson, mon directeur à l’INSEE. J’arrivai dans son bureau, bégayant, ne sachant pas comment justifier d’un curriculum aussi pauvre, et je lâchai : « vous savez : j’ai fait sept ans de tuberculose… Mais c’est rien, me dit-il, moi j’en ai fait huit… ». « Ainsi, je fus autorisée à « faire le CEPE « apprenant qu’en Compta Nat, je faisais partie de la coterie des tuberculeux – qui avaient lu Keynes en sana ; une autre coterie : les marxistes s’inspiraient pour le tableau d’échanges inter-industriels (TEI) des tableaux de Leontieff en planification soviétique.

6En septembre 1966, j’entrais au Pré-CEPE (le rattrapage mathématique). La formation CEPE, menée par Charles Prou, avait lieu rue de l’Université, dans des locaux de la Dette Publique. Nous avions un cours de maths tous les matins de 8 h à 9 h 1/2 ; ensuite nous rejoignions notre lieu de travail. Arrivée un peu en retard, quand j’ai vu tous ces dos gris – il n’y avait que 3 femmes pour 15 hommes – j’ai failli partir : apprendre des maths à 35 ans (après, c’est trop tard, disait Prou) quelle régression ! La présence de Jean-Pierre Chevènement, plus « littéraire » que les autres, m’incita à poursuivre… (…) L’année du CEPE, je m’accrochais comme je pouvais aux techniques de comptabilité nationale et de modélisation, comme les « inversions de matrices ». « Mais alors, vous n’avez rien compris », me dit un jour Jean-Pierre Dupuy13, alors responsable de travaux pratiques – devenu depuis philosophe – qui m’avait envoyée au tableau. J’ai pensé, non, ceci n’est pas ma tasse de thé. J’aimais l’histoire de la statistique de Bernard Bruhnes14, l’histoire de la planification de Claude Gruson15 et j’accrochais au « calcul économique » enseigné par Hubert Lévy-Lambert16. Celui-ci avait établi en janvier au titre des Finances une brochure nommée « Appréciation de la rentabilité économique des investissements ». Je me suis dit : « je veux être capable de comprendre cela ; même si les problèmes étaient surtout relatifs à des agences de bassins ou d’électricité » (HLL était ingénieur des Mines). D’autres peinaient aussi ; nous avions fait revenir le professeur pour réexpliquer « l’actualisation ». Toutes les vacances de Pâques, à Formentera (Baléares), je travaillais cette orientation avec un ami centralien et je fus reçue à l’examen final.

7Nous avions vécu Mai 68 au CEPE. Sur le plan personnel, je n’éprouvais pas d’excitation devant cette « ouverture de la jeunesse à des problèmes “sociaux” et “sociétaux” ». (…) Je suis cependant allée dans une assemblée générale de la Faculté d’économie pour dire aux étudiants : « demandez un enseignement plus technique, plus mathématique fait par des ingénieurs, c’est-à-dire un peu comme celui que nous avions et que je trouvais “élitiste” ». Il m’a été dit : « d’accord, à condition qu’ils aient les titres universitaires ». Encore ici incompréhension. Philippe Herzog, Michel Aglietta (X‑ENSAE) seront ensuite les rares à passer l’agrégation de sciences économiques. (…)

1968-1969 À la direction de la Prévision du ministère des Finances

8Après le CEPE, j’ai demandé à intégrer la direction de la Prévision du ministère des Finances (DP), là où Jean-Jacques Carré créait une division « Rentabilité des Investissements ». On commençait ainsi à y parler de « Rationalisation des Choix Budgétaires « (RCB), adaptation à la France du Planning, Programming, Budgeting System (PPBS) qui avait été introduit dans l’administration américaine par le ministre Mac Namara, arrivant de chez Ford et dont la « pensée » venait de l’organisme d’études, la Rand Corporation, à Los Angeles. En s’inspirant des méthodes de gestion du privé, on visait ainsi à mettre les moyens des administrations en face d’objectifs poursuivis ; l’opération devant se décliner en « Budgets de Programmes », « Programmes d’action » et « modernisation de la gestion ». En plus des calculs coûts- résultats reliés directement à l’économie, on s’intéressait ici aussi à des techniques de montage d’opérations, dites « analyse de systèmes », qui provenaient, elles, de la NASA (lancement d’Apollo…).

9Énarques et ingénieurs-économistes étudiaient donc à la DP la possibilité d’étendre ces méthodes et techniques à l’administration française qui n’avait comme outil de gestion qu’un budget de moyens. Il y avait aux Ponts et Chaussées une longue tradition de calcul économique, introduite en 1839 par l’ingénieur Jules Dupuit dans le domaine des Travaux Publics. Ces ingénieurs venant des Ponts, de Centrale ou des Mines étaient surtout intéressés par ce qu’on appelait : l’administration des « biens productifs » appartenant au ministère de l’Équipement, des Télécommunications, et non par ce qu’on appelait les « biens collectifs » : Santé, Éducation, Culture… Certains agents étaient réticents à tester ces méthodes, comme Henri Guillaume qui sera cependant plus tard influent dans la conception de la LOLF s’inspirant des budgets de programmes. Anicet Le Pors les appliquera au thème de l’immigration.

10Pour ma part, j’ai souhaité explorer le domaine de la santé et l’on m’a confié une recherche sur ce qui paraissait le plus éloigné des quantifications envisagées : les maladies mentales. J’ai travaillé dans ce début de 1969 surtout en bibliothèque, celle de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris, et j’ai produit une note, appréciée de mes supérieurs. Il fut alors décidé que je partirai monter une cellule d’études au ministère de la Santé. Bernard Vignier (Sciences-Po, CEPE17) m’accompagnerait pendant un an, au terme duquel il irait monter une cellule d’études au ministère de l’Éducation. Dans le même temps, Michel Ternier, ingénieur des Ponts (P 1957), faisait à l’Équipement un programme sur la sécurité routière.

1970-1980 Au ministère de la Santé, la rationalisation des choix budgétaires

11En septembre 1969, installés au ministère de la Santé, Bernard Vignier et moi-même prirent contact avec le cabinet du ministre de la Santé, Robert Boulin, cabinet dirigé par Yann Gaillard, inspecteur des Finances18. Notre proposition de travail sur la psychiatrie ne séduisit pas. Notre correspondant, le conseiller technique, Guy Thuillier nous dit19 : « nous sommes interpellés par des pédiatres sur les nouvelles techniques de réanimation néo-natale qui diminueraient les morts à la naissance mais produiraient 15 000 infirmes moteurs cérébraux par an. Ces IMC sont des handicaps lourds : on voit les gains que la collectivité obtiendrait en les réduisant, alors qu’en psychiatrie… ». Il existait aussi un rapport récent de François Bloch-Lainé sur les handicaps20. Nous sortîmes de cette entrevue un peu déçus par ce qui nous paraissait être un « petit sujet »…

12Nous commençâmes à regarder statistiques et travaux sur le sujet. Nous avons trouvé de l’ordre de 500 IMC apparaissant sur une année – et non 15 000. La statistique la plus affichée était la mortalité infantile – allant de la naissance à la fin de la première année de vie. On pouvait voir que cette mortalité avait considérablement décru dans les pays développés du fait d’une meilleure hygiène pédiatrique et de la lutte contre les infections due aux antibiotiques. En regardant la mortalité périnatale – allant du sixième mois de la grossesse à la fin de la première semaine de vie –, nous fûmes cependant surpris de voir que la France, avec un taux de 23 ‰ naissances, se situait au septième rang des pays développés. Il existait donc des savoir-faire dont la France aurait intérêt à s’inspirer. Nous avons ainsi proposé au cabinet du ministre de porter notre travail sur le thème de la périnatalité avec pour objectif la réduction de la mortalité et des handicaps à la naissance, ce qui fut agréé.

13Pour ces études dites « sectorielles », de « programmes d’action « ou encore « d’aide à la décision », les conduites de la rationalisation des choix budgétaires (RCB) mettaient en avant le « dialogue analystes-décideurs » et, dans la réalisation de l’étude elle-même, la méthodologie dite d’« analyse de système » et les techniques d’évaluation dites de « coûts-résultats ». Ces résultats pouvaient s’exprimer en monnaie : évaluation « coût-avantages » ou en termes physiques : évaluation « coût- efficacité ». Si l’on disposait de plusieurs critères de résultats en termes quantitatifs, voire qualitatifs, l’évaluation s’appelait alors « multicritères ». Dans le domaine de la Santé, les « résultats » visés des actions, traduisant un consensus national, seraient ainsi appréciés en augmentation de quantité et de qualité de vie.

Le programme finalisé « Périnatalité » du VIe Plan 1970‑1975

14Les « décideurs » étaient ici le ministre Robert Boulin représenté par son cabinet et principalement pour l’étude le conseiller technique Guy Thuillier. Ce cabinet était assisté des « gestionnaires administratifs » du champ concerné, à savoir surtout la Protection maternelle et infantile (PMI), et aussi la Santé scolaire menées par le sous-directeur Henriette Farçat. Un inspecteur des Affaires sociales, Charles Vaille devait également suivre les travaux.

15Les « analystes » étaient constitués de l’équipe menée par Bernard Vignier et moi-même, comprenant entre six et huit jeunes chargés d’étude, à formation démographique ou économique. Le cabinet du ministre avait adjoint à l’équipe le Dr Émile Papiernik-Berkhauer21, jeune gynécologue obstétricien de l’ensemble hospitalier Cochin-Port Royal. L’ensemble, constituant le « groupe administratif », devait se réunir périodiquement pour arrêter la dimension du problème, les objectifs et moyens possibles pour le réduire, et ensuite examiner les évaluations réalisées en termes de « coûts-résultats » des actions envisagées de façon à présenter au ministre une politique d’ensemble.

16Les travaux des analystes étaient faits en grande partie de compilation de recherches existantes en statistiques ou évaluations partielles faites en France ou à l’étranger, et aussi d’interviews de personnes spécialistes du problème. Ces études devaient, bien sûr, tenir compte du temps imparti. Dans le cas de la périnatalité, il était convenu que la décision devait éventuellement s’inscrire dans le budget de 1971, à arrêter donc en juin 1970. Ce temps court des travaux devait aussi prendre en compte le champ d’autorité du « décideur », ici le ministre de la Santé. Ainsi, une action qui aurait consisté à réduire les « stations debout » des ouvrières pouvant conduire à des accouchements prématurés ne pouvait être prise en compte car, relevant du ministre du Travail, elle aurait demandé une élaboration assez longue. Ces études méritaient donc bien le nom d’études d’« aide à la décision » et, en ce sens, se différenciaient de ce qu’on pouvait appeler « recherches ». Ayant écrit, après ce travail sur la périnatalité, qu’il s’agissait de la première étude de RCB, j’ai eu au téléphone le professeur Jean Bénard, directeur du CEPREMAP, qui m’a dit : « mais, nous avions fait une étude sur « la prévention du cancer du col de l’utérus » qui utilisait déjà les calculs de « coût-efficacité ». Mais ici, le « chercheur » se donnait lui-même les « limites » de ses explorations. J’avoue que je n’aurais pas su travailler sans l’orientation d’une personne ou d’un organisme en capacité de décider, avec ses valeurs, ses engagements que je devais prendre en compte, à moins, bien sûr, d’y mettre les miens. Je pense, d’ailleurs, que même au départ de l’étude quand nous disions que nous recensions toutes les actions possibles, nous n’étions pas « objectifs ». Ainsi en périnatalité, personne n’a eu l’idée d’inscrire : « élimination des nouveau-nés difformes » ‒, action qui avait pourtant existé. Par la suite, j’ai convenu de rechercher toutes les actions proposées « par au moins un parti politique français actuel ».

17Ce groupe de travail sur la périnatalité a bien fonctionné. Nous, analystes, étions bien reçus par le milieu médical, principalement ici celui des services d’obstétrique et de pédiatrie des centres hospitaliers universitaires (CHU). Le professeur Minkowski, grand pédiatre22, nous avait un peu « boudés », parce qu’« il n’était pas satisfait à l’époque des autorités » ; il l’a regretté ensuite. Mais il y avait le Dr Huault (ultérieurement professeur23) qui se battait tellement pour que la réanimation du nouveau-né puisse se faire dans toutes les salles d’accouchement ! C’était possible, expliquait-il, avec un matériel modeste : une table, un radiateur électrique… Du point de vue technique, nous avions chiffré « l’importance du problème en termes financiers, c’est-à-dire le coût pour la Nation, établi ici à 15 milliards de Francs l’an, imputés aux salaires manquants des morts précoces et handicapés. Ceci voulait dire « donner une valeur à la vie humaine » ‒ ce qui était difficilement accepté dans le milieu de la Santé. Mais il faut rappeler que ces calculs ‒ institués en France en 1839 par l’ingénieur Jules Dupuit ‒ étaient en usage à la direction des Routes du ministère de l’Équipement. Michel Ternier, dans son travail sur la sécurité routière, venait ainsi d’évaluer les accidents de la route à un coût pour la collectivité de 10 milliards par an. Mon chiffrage de 15 milliards en périnatalité visait surtout, par parallèle avec la sécurité routière, à convaincre les inspecteurs des Finances d’accorder des fonds pour la réduction des dommages périnataux.

18Les évaluations des sous-programmes, augmentation des consultations prénatales, meilleure surveillance de l’accouchement, réanimation en salle de travail, création de centres de réanimation intensive, vaccination des fillettes contre la rubéole… ont été établies en termes de coût-efficacité, c’est-à-dire coût de l’action/nombre de morts et de handicaps évités, en proposant de réaliser en priorité le programme qui coûtait le moins cher pour sauver une vie sans séquelles (ici toutes au même stade). C’est en ces termes qu’ont été faits les choix et une politique d’ensemble a été établie, visant à atteindre en 10 ans, le 3e rang international, soit celui de la Hollande avec un taux de mortalité de 18 ‰ naissances. Le raisonnement général était que la diminution des handicaps irait dans le même sens que celui des morts mais pour les centres de réanimation intensive, nous avons chiffré : 1 handicap produit pour sept vies sauvées. La décision de créer ou non de tels centres était dès lors « politique ». Il a été décidé d’en créer quelques-uns dont la fonction était aussi de former les pédiatres à la réanimation élémentaire en salle d’accouchement. Il y avait encore en actions-support une meilleure formation initiale en gynécologie-obstétrique et en pédiatrie qui concernait l’Éducation nationale et un développement de la statistique et de la recherche à assurer surtout par l’INSERM. À tout ceci, le ministre a voulu ajouter des crédits pour l’amélioration matérielle des services de maternité des centres hospitaliers universitaires.

19Ainsi, ce travail terminé en juin 1970 a donné satisfaction au ministre qui a pu inscrire sa décision avec les crédits obtenus des Finances dans un « Programme Finalisé » du VIe Plan 1970-1975. Il s’agissait ici pour la première fois de sortir de l’annualité budgétaire en garantissant un budget sur cinq ans. Cinq programmes avaient été retenus dont les deux qui avaient fait l’objet d’études de RCB, à savoir la Périnatalité et la Sécurité routière.

La mise en œuvre et les suites du programme

20Henriette Farçat et le Dr Papiernik avaient été « bousculés » dans leur pratique respective par nos mesures et calculs. Je me souviens d’un jour d’avril où je cherchais à chiffrer le coût d’un centre de grossesse à haut risque que le médecin préconisait : « combien de médecins, de sages-femmes, à quel prix ? » Émile Papiernik, tendu, réfléchissant, embarrassé, dit « oh, Mademoiselle Chapalain, il faut confier ça à un bureau d’études… » et moi de répondre : « c’est nous le bureau d’études, alors, je mets deux médecins, trois sages-femmes… ? » et nous sommes arrivés au bout. L’administration hospitalière et les médecins n’avaient jamais vu cela ! À la fin, nos deux collaborateurs riaient en disant qu’ils avaient pu accrocher à notre logique parce qu’ils avaient eu tous deux des parents « commerçants ». Henriette Farçat a cependant souvent dit qu’elle avait trouvé novatrice et positive notre « approche globale du problème », plus importante que l’évaluation des actions. Elle se réjouissait maintenant d’avoir à mettre en place presque la totalité des actions, ce qui facilitait la gestion. Le Dr Papiernik fut nommé professeur-chef de service à l’hôpital de Clamart et conseiller d’obstétrique aux Antilles. Ce rôle de Conseiller auprès des petites maternités qui avait aussi été préconisé dans l’étude était confié aux professeurs de CHU. Et nous les analystes, nous étions contents parce que nous avions évalué toutes les actions – ce qui n’avait pas été fait dans le programme Sécurité routière. J’y tenais beaucoup. « Elle a fait les 3/5e de l’étude, disait Bernard Vignier ». Je crois que c’était vrai et de plus, je m’en sortais par l’indicateur coût-efficacité, plus acceptable dans ce secteur de la Santé que l’indicateur monétaire coût-avantage.

21Oui, ce fut une belle aventure, une belle « poussée de vie » ici encore, où j’avais « du goût à produire » et où (…) j’avais l’impression d’être la personne qu’il fallait, là où il fallait… J’avais voulu « faire médecine », je m’occupais maintenant d’« organisation de la médecine »…

22À l’issue de l’étude, Bernard Vignier s’en est allé, comme prévu. Un grand merci à lui pour m’avoir immergée, lui le « Sciences Po + CEPE », dans le bain administratif. Je fus nommée chef de la « Section des études de RCB et de recherche opérationnelle », celle-ci étant insérée dans une division des Études et du Plan, menée par un administratif, venant de l’ENA. Je ne pouvais être nommée chef de bureau, m’avait-il été dit, parce que je n’étais pas sortie de l’ENA et peut-être aussi parce que je n’étais « que chargée de mission détachée de l’INSEE », bien qu’alors titularisée. Je ne connaissais pas encore ces règles et acceptais sans non plus savoir ce qui serait mis sous le nom de « recherche opérationnelle » alors « de mode ». Je disposais d’une équipe de 10 à 15 personnes avec quelques contrats de « haut niveau » pour des personnes venant de l’université ou des grandes écoles. J’expliquais aux candidats que le travail consisterait en 1/3 d’« administratif », 1/3 de « sociologie médicale » et 1/3 de « techniques quantitatives », aptitudes et formation pas très évidentes mais le côté novateur du travail attirait et peut-être déjà aussi… le succès de la périnatalité. D’autres études pouvaient donc commencer.

23Mais nous étions en même temps interpellés sur la mise en place du programme Périnatalité. Le chef de la division avait demandé à son bureau du Plan d’en assurer le suivi administratif. Ce bureau avait cependant des difficultés à transposer la nomenclature fonctionnelle du programme dans la nomenclature budgétaire de moyens (personnel - matériel). Après quelques mois, il m’a été demandé d’intervenir – ce qui m’a valu un 18/20 à l’épreuve de « Finances » d’un DES de sciences économiques que je présentais, tant ceci paraissait novateur aussi aux universitaires. Par ailleurs, les actions à mettre en œuvre sur cinq ans visaient principalement les 25 centres hospitaliers universitaires. Nous aurions souhaité qu’on les équipe annuellement, cinq CHU par cinq CHU, de façon à évaluer les résultats de façon comparative (par zones « témoin »). Ce suivi nous paraissait nous revenir comme aux ingénieurs ou architectes qui veulent vérifier leurs hypothèses ex-post. Il s’est avéré ici que les médecins des différents CHU ne pouvaient croire que les crédits seraient assurés sur cinq ans – ce qui ne s’était jamais vu. Certains n’auraient donc pas supporté de devoir être les derniers servis. Et aussi, sur le plan éthique, était-il acceptable de créer des discriminations dans le temps en matière d’amélioration d’états de santé de populations ? Nous avons donc reconnu l’octroi chaque année aux 25 CHU du 1/5e du budget leur revenant. Nous savions dès lors que nous ne pourrions faire qu’une évaluation de la situation après le Plan / avant le Plan.

1970-1975 D’autres programmes d’action au ministère de la Santé

24Les travaux qui ont suivi la Périnatalité se distinguent par les techniques utilisées, par les aléas de la relation analystes-gestionnaires-décideurs et aussi par la recevabilité des acteurs du corps social impliqué. Et le suivi des décisions mérite également d’être examiné.

La protection de la santé des enfants d’âge scolaire 1970‑1975

25Le cabinet Boulin souhaitait ici savoir si la santé des enfants d’âge scolaire méritait encore la survie du service de Santé scolaire, voire son développement, géré par l’État. Leur intuition était que quelques bilans de santé conviendraient, faits à certains âges de l’enfance et de l’adolescence par des médecins libéraux, suivant la ligne des bilans de santé du premier âge assurés dans le cadre de la protection maternelle et infantile (PMI).

26Nous avons, dans un premier temps, montré que la santé en période scolaire demandait une surveillance eu égard à l’ampleur des déficiences somatiques et psychiques observées. Nous avons repéré les fonctions à assurer. En plus de l’action classique du service de Santé scolaire, le mode d’exercice reprenait l’idée de bilans périodiques. Les techniciens que nous étions ne pouvaient cependant dire si le statut du médecin, fonctionnaire ou libéral, influerait sur la qualité de l’examen. Le choix des acteurs nous paraissait « politique » : le cabinet du ministre a affirmé sa position en faveur de l’exercice libéral. Une évaluation des gains de santé, en particulier obtenus par la prévention de maladies somatiques a alors été conduite jusqu’à annuler les coûts du système (recherche du « point mort »). Toute l’activité au-delà, vis-à-vis en particulier des maladies psychiques aux résultats difficiles à quantifier, ne pouvait qu’accroître le bénéfice des actions. Le travail était terminé fin décembre 1971. Je me rappelle que le chef de la division des Études et du Plan, énarque, m’a tenue toute une matinée pour me faire changer le plan du rapport : je devais le conclure en « préconisant de faire des bilans de santé par la médecine libérale », ce qui était la position du ministre et… ce qu’on apprenait, disait-on, à faire à Sciences Po. J’ai tenu bon ; ma déontologie d’analyste me paraissait en jeu ! Le chef s’est résigné à aller porter le rapport au cabinet du ministre. Le lendemain des congés de Noël, à mon arrivée au bureau, des chargés d’études avaient accroché au mur une note signée de Yann Gaillard, directeur du cabinet, inspecteur des Finances : « ce rapport me paraît absolument remarquable… ». (…)

La lutte contre le développement de la drogue en France

27Pour le 1er janvier 1972, nous avons présenté au cabinet une évaluation entrant dans un programme de lutte contre la drogue. Le retour de cabinet de la note comportait, griffonnée sur la couverture, une appréciation élogieuse – « ce document, modéré, précis et bien fait pourrait être diffusé mais il faut préciser… » – ce que j’ai toujours pensé être de la main du ministre… Ah, cette période où nos travaux étaient attendus et lus au niveau des cabinets ! Le ministre Robert Boulin avait même parlé à l’Assemblée nationale de notre travail sur la Santé scolaire !

La prévention du suicide

28En 1971, nous avons aussi réalisé un travail sur « le suicide ». Le Dr Fréjaville du Centre anti-poison de Fernand-Vidal, à Paris24, alertait le cabinet du ministre sur sa préoccupation : le nombre de tentatives de suicides augmentait et l’on voyait les mêmes personnes qui passaient plusieurs fois des services d’écoute et conseil aux services d’urgence et aux services psychiatriques. À la fin, ils réussissaient leur suicide. Le Dr Fréjaville, qui nous disait avoir une mère agrégée de mathématiques, nous expliquait : « ceci doit être possible à modéliser ; on devrait pouvoir évaluer les chances de succès dans les prises en charge ». Les « matheux « ne sentaient » rien a priori. Et puis, l’un d’eux a eu une intuition : « ah, oui, c’est le problème d’une colonne de distillation d’alcool : à la fin, on a le concentré… « Il pouvait donc alors “calculer” »… Ceci pour dire les difficultés qu’avaient les ingénieurs-économistes à transposer leur pensée sur notre secteur non-marchand. Je gardais de bons contacts avec mes anciens collègues, Michel Ternier, Bernard Walliser25, encore à la Prévision… J’avais besoin de leur aide technique mais j’ai compris aussi que je ne pouvais attendre d’eux qu’ils « résolvent » mes problèmes dans ce domaine de la santé. À un moment, j’ai su que j’étais « seule » et que les orientations de mes travaux seraient désormais de mon unique responsabilité. La phase d’« analyse de système » était particulièrement angoissante. Comment savoir si l’on était au « bon niveau » d’analyse ? Je me trouvais à un colloque sur « l’homme-système » organisé par l’École d’aéronautique de Toulouse où je pensais retrouver les équipes de RCB des autres ministères. Non, j’étais seule parmi ces ingénieurs de l’aéronautique qui se demandaient comment fabriquer cet « homme-système » qui aurait à coordonner les travaux de plusieurs équipes internationales en matière d’engins spatiaux… Leur sujet, qui était aussi le mien, me passionnait et je dis à un étudiant : « vous savez, je vous engage tout de suite chez moi » et lui : « oh, non, faire des fusées c’est rien, mais vous vous travaillez dans l’humain »… Et ce « travail dans l’humain » faisait peur à mes anciens professeurs. Hubert Lévy-Lambert, l’homme de la « rentabilité des investissements » me dit qu’on ne pouvait pas tout quantifier et que « j’exagérais » en cherchant à établir « le coût du suicidant ». J’essayais de dire : « pourquoi pas, puisqu’on établit la valeur de l’accidenté de la route ? ». Mais, non, j’étais leur « apprenti-sorcier »…

29Le travail sur les suicides était terminé et surtout étoffé d’évaluation en termes, comme dans la périnatalité, de coût-efficacité : ici, le nombre de tentatives de suicide et le nombre de suicides évités. Des crédits furent inscrits dans la loi de finances de 1972 pour renforcer les organismes d’aide sociale et morale aux suicidants, et participer à la création d’unités de psychiatrie dans les services d’urgence des hôpitaux. Des orientations ad hoc étaient préconisées en matière de formation des personnels, recherche et sensibilisation du public. Un jeune homme vint me voir et me dit que, préparant un diplôme de mathématiques, il voulait appliquer à notre étude « suicides » la théorie des « chaînes de Markoff », m’expliquant qu’il y avait là des « unités de temps » adaptables à notre travail. On s’enfonçait donc encore dans la quantification et il me dit être « le cousin » d’Hubert Lévy-Lambert ! La situation devenait drôle. Son professeur et moi avons constitué le jury d’épreuve ; le professeur, étranger à notre thème du suicide et moi qui ignorais tout des « chaînes de Markoff ». À un moment, le professeur a demandé : « mais quelle était votre unité de temps ? » Le candidat calait, et j’ai dit : « eh bien, l’année puisque nos statistiques sont annuelles ». Je ne sais pas si ceci était en rapport avec le sujet mais le candidat fut bien noté !

30Ces années 1970-72 étaient ainsi excitantes : peur d’aller trop loin mais aussi incitation à un développement. Les équipes étaient motivées. Les chargés d’études étaient jeunes, de recrutement diversifié : Fac, Centrale, HEC, École de l’INSEE… avec comme caractéristique qu’« ils ne voulaient pas être des petits chefs » (proximité de Mai 1968), ce qui posait problème quand nous menions plusieurs études à la fois. Il m’apparaissait que c’était les HEC qui convenaient le mieux. « Analyser les situations, faire les calculs, bien écrire le rapport… on vous apprend tout cela à HEC ? Non, me répondit Denis Meuret26, mais c’est le seul concours de grandes écoles ouvert à des gens polyvalents… ». J’obtins d’envoyer au CEPE pour un an deux des agents.

31La haute administration assurait la diffusion des travaux. La direction de la Prévision du ministère des Finances avait créé une Revue interministérielle de RCB trimestrielle. Et les Finances avaient adjoint des crédits d’études aux agents contractuels des ministères. Au ministère de la Santé, une revue interne avait été créée, Pour une Politique de la Santé, puis une revue fut commercialisée sous le nom d’Économie et Santé. Les revues médicales consacraient des articles à ces travaux ; le journal Le Monde s’y intéressera plus tard en parlant de l’étude sur la vaccination contre la grippe puis de celle sur la psychiatrie. Nous étions sollicités pour des présentations de travaux. Le programme Périnatalité a ainsi été largement expliqué à l’École de santé publique de Rennes (ENSP), et sollicité à Sciences Po, et même à l’inspection des Finances. J’ai été invitée à Londres par la Ciba Foundation.

32Le travail suivant sur la petite enfance aura deux nouvelles caractéristiques. Il avait à voir avec des professionnels qui n’avaient pas les mêmes orientations ; les uns plus « pédiatriques » acceptaient des mesures d’état de santé de l’enfant, d’autres, « psychanalytiques », refusaient ces mesures. Par ailleurs, les commanditaires de l’étude, le cabinet Boulin, ne seront pas les receveurs. Ce sera en 1973 le cabinet Jean Foyer. La réalisation et la réception de l’étude me paraissent intéressantes.

La garde des enfants de 0 à 3 ans 1972‑1973

33La garde des enfants était ici examinée sous deux critères : le libre choix du travail féminin et le bon développement de l’enfant, sur lequel l’approche des professionnels se distinguait. Pour le groupe dit « psychanalytique », la qualité du rapport mère-enfant était primordial. Un représentant dit un jour : « il faut que la mère trouve à chaque instant le mode de garde qui lui convient », possibilité qu’aucun planificateur en mode de garde ne pouvait, bien sûr, honorer. Le groupe attirait notre attention sur la sensibilité au changement de mode de garde dans la période 6 mois-18 mois. Nous avons recherché la position des mères par un rapprochement avec les services de la Protection maternelle et infantile et par la réalisation d’enquêtes. Dans nos rapports avec les pédiatres qui acceptaient des mesures d’état de santé de l’enfant, nous avons eu le plaisir de forger avec eux des « indicateurs » de développement d’enfants de 4 ans en les corrélant avec les modes de garde. Ce travail statistique nous a conduit, avec les considérations qualitatives à préconiser finalement un mode de garde de type individualisé dans le premier âge et une socialisation progressive. Ainsi, par exemple, les nourrices pourraient être incitées à conduire les enfants après 18 mois une ou deux fois par semaine dans des haltes- garderies. « Passionnant, comme à Cuba… », nous dit l’éminent pédo-psychanalyste Serge Lébovici27, alors membre du cabinet Foyer. Nous étions un peu… sidérés. Notre travail de statisticiens-analystes pouvait ainsi conduire à l’émergence de solutions techniques qui nous paraissaient être l’apanage des professionnels du secteur… Ceci était évidemment gratifiant pour nous. J’ai appris, par la suite, que « notre » formule avait été mise en place à Grenoble.

34Sur un plan plus général, la réception du travail par un cabinet qui ne l’avait pas prescrit s’est heurtée à une non-priorité de décisions à prendre sur le sujet. Mais la difficulté était déjà apparue précédemment. Nous révélions des « besoins » en crèches supérieurs aux chiffres vulgarisés. « Ce sujet de travail est une erreur technique – ce n’est pas à nous de donner des armes à l’opposition » avait dit un jour un conseiller technique du cabinet Boulin. Je prenais, là, conscience d’être « liée à l’exécutif ». Tout ce travail pour un niveau impérieux et fragile… Je voulais bien « aider à la décision » mais je souffrais de voir que l’information que nous élaborions ne soit pas démocratiquement diffusée, c’est-à-dire au niveau des corps intermédiaires ? Était-ce irréalisable, naïf ?

La vaccination contre la grippe 1973

35L’étude était demandée par le ministre Jean Foyer. On était ici sur un thème plus simple du point de vue de nos techniques. Nous avons fait une « analyse multicritères » en tenant compte des incidences de la grippe en termes de vies ou d’années-vie perdues sur des groupes comme les personnes âgées, les nourrissons, les femmes enceintes et encore les insuffisants respiratoires chroniques. Par ailleurs, nous avons établi les gains économiques attendus d’une vaccination de la population active, ainsi que les économies pour la Sécurité sociale. Une vaccination des scolaires – en tant que groupe-vecteur – fut également examinée. Le vaccin fut, finalement, largement préconisé, bien que, l’avais-je écrit – et ce qu’avait relevé le journal Le Monde : « la grippe est une maladie sociologiquement acceptée ». Le professeur Gérard Dubois, médecin-conseil national auprès de la CNAMTS, m’a dit, au vu de cette étude, avoir fait entériner la décision de prendre en charge la vaccination des personnes âgées, ce qui est encore en application aujourd’hui.

Le financement de la psychiatrie « de secteur » 1974‑1975

36C’est ici peut-être que s’est le mieux exprimée « l’angoisse de l’homme-système ». Dans une recherche d’amélioration d’une prise en charge psychiatrique en France, comment trouver le bon niveau d’analyse et d’évaluation ? Il y avait des attitudes passionnelles ou entières : fermer des lits hospitaliers était la position du sous-directeur en charge du domaine au ministère de la Santé – une région d’Italie avait même fait tomber les murs en une nuit ! Il y avait aussi en France des tenants d’une psychiatrie dite « de secteur », faite d’hospitalisation et d’une prise en charge extrahospitalière, qui cherchait à se développer sur un projet mûri pendant la Résistance. Allait-on comparer les deux temps de prise en charge ? L’approche d’évaluations par les catégories diagnostiques pouvait encore être envisagée. En fonction des possibilités et de l’intérêt de mesure des résultats des prises en charge des malades, nous avons opté pour une comparaison coûts-résultats d’hospitalisation seule, versus hospitalisation avec prise en charge extrahospitalière. Ces questionnements m’amenaient à parler avec Alain Desrosières – l’homme du « il faut coder avant de compter » – ce qu’il avait particulièrement montré dans son travail sur les « catégories socio-professionnelles »28. Je lui demandais ce qui pouvait conduire au « codage » ; il ne pouvait répondre par une voie unique, alors que j’avançais une sortie par les « objectifs » poursuivis avec une atteinte mesurable, comme nous le faisions ici. Ce travail sur la psychiatrie a aussi révélé un problème de gestion difficile à résoudre en application de « programme ». La « psychiatrie de secteur » insistait sur le noyau central qui devait être « le dispensaire » et non plus « l’hôpital ». C’est de là que devaient partir les orientations, seul moyen pour ces psychiatres de réduire l’importance des hospitalisations. La « gestion » du « secteur » aurait donc dû être instaurée à ce niveau du « dispensaire ». Or, l’École de santé publique de Rennes ne fournissait de gestionnaires qu’au niveau de l’hôpital. Nous n’avons donc pu que rattacher la « gestion du secteur » à… l’hôpital, ce que nous savions pervers. De façon plus générale, c’est l’institution définissant le « secteur » en comptabilité nationale qui est équipée et donc habilitée à « gérer » (voir la comptabilité générale des entreprises). La « branche », fondée sur le « produit » – ici « le programme » – n’est pas « gérée » de façon normalisée (voir la comptabilité analytique). Idée à reprendre…

1975 Une ouverture sur l’étranger

37En 1975, je bénéficiai d’une bourse de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour un voyage d’études d’un mois aux États-Unis. L’objet de ce voyage était de voir l’application sur place du Planning, Programming, Budgeting System (PPBS) dont s’inspirait la RCB. J’avais ainsi des rendez-vous dans des administrations et des universités en rapport avec la santé, à Washington, New York, Boston (Harvard, MIT), San Francisco (Berkeley), New Orleans, avec aussi un important arrêt à Los Angeles où siégeait la Rand Corporation, « cerveau » du PPBS. Dans les administrations, je m’aperçus vite que je ne pourrais pas trouver un bureau analogue au mien, c’est-à-dire d’aide exclusive à la décision politique. Là, on m’expliquait qu’on plaçait auprès de l’exécutif plusieurs agences to compete et à côté, le « Congrès » avait ses propres services d’étude. Il y avait donc, finalement, un « balancement » à faire entre les différentes positions, ceci se plaçant, de plus, dans un État fédéral. Du côté des universités, je me trouvais à Harvard chez les économistes de la santé, au 4e étage ; je leur demandais s’ils avaient rencontré des épidémiologistes français qui avaient passé des mois chez leurs homologues, au 3e étage. La réponse fut « non, dommage », dira aussi plus tard le professeur Denoix, directeur général de la Santé29 : « il y a parfois un étage infranchissable » !

38À la Rand Corporation, ma rencontre avec Gene Fisher30, dont nous connaissions bien les écrits, fut très fructueuse. Il me disait que le PPBS « battait de l’aile » pour plusieurs raisons. Conçu à la Défense, secteur hiérarchisé, la méthode longuement préparée y avait marché – j’avais rencontré à Boston Alain C. Enthoven31, l’un de ces spécialistes. Dans les autres secteurs, on avait surtout cherché à appliquer le « format » ou « Budget de Programmes », et le volet information system, l’équivalent de notre « modernisation de la gestion » : ici, des données auraient été relevées en nombre par des comptables, et déjà informatisées, sans sélection statistique… Un effort allait donc être fait sur le policy analysis, nos « études sectorielles ». Ils pensaient ici avoir fait une erreur en créant d’une part des cost analysts et d’autre part des benefit analysts, alors que relevait mon interlocuteur : « cost is a benefit foregone »32. Je pensai donc, au final, que nous avions su prendre le problème par le bon bout des « études sectorielles ». Dans la Santé, nous avions d’ailleurs vite vu que le budget de l’État était un budget d’intervention et non de gestion, comme par exemple celui de la Défense ou de l’Éducation nationale – ce qui limitait l’intérêt de l’application en « budget de programmes ». Je me disais aussi que nous avions un système hiérarchisé, centralisé qui se prêtait à la chaine « préparation-décision-application-contrôle ». Je rentrai donc en France encore motivée. J’avais cependant noté que les Américains disposaient d’un Information Act qui obligeait les services administratifs ou de recherche à publier leurs travaux, ce dont je regrettais l’absence en France. J’ai eu l’occasion d’aller deux autres fois aux États-Unis : une fois à la Nouvelle Orleans pour un séminaire général de l’OMS et une autre fois à Atlanta pour une intervention sur la périnatalité – c’était une période où une femme, pédiatre grecque, a pu me dire : « but, you are mondially known ! ». L’OMS-Europe m’invitait aussi régulièrement. Sur le thème de mes travaux, je fus ainsi invitée en Italie pour présenter notre évaluation coût-efficacité en psychiatrie, après que des Italiens eurent ouvert grand les portes de leurs hôpitaux psychiatriques. Je participais aussi à des réflexions plus générales où je représentais la France et qui devaient se conclure par des orientations « appropriées »33. J’étais parfois gênée ici par notre spécificité française ; les autres pays déléguaient souvent des représentants d’instituts de recherche publics ou privés. Moi, j’étais là en tant que fonctionnaire, placée auprès du ministre : je ne pouvais donc exprimer une position qui m’était propre, ce qui m’amenait souvent au silence. (…)

1975-1980 Des « programmes moins assurés ». Reprise de la périnatalité. Modernisation de la gestion

39Valéry Giscard d’Estaing avait été élu président de la République en 1974 et avait nommé Simone Veil ministre de la Santé. Celle-ci, sur la recommandation du professeur Robert Debré, confia la direction générale de la Santé (DGS) au professeur Pierre Denoix, directeur de l’institut Gustave Roussy de Villejuif, spécialisé en cancérologie. Le professeur Denoix avait posé comme condition à son acceptation la disposition d’un service d’Études. Il fut alors décidé que la Section des études de RCB et de recherche opérationnelle que je menais serait rattachée à la DGS et intégrée sous le nom de bureau des Études et du Plan, dans une sous-direction de la Prospective et de la Carte sanitaire, dirigée par un administrateur civil.

Une reprise du programme Périnatalité

40À mon retour des États-Unis en septembre 1975, il y avait branle-bas au ministère. Simone Veil était allée à un congrès de gynécologues-obstétriciens à Bordeaux. À son arrivée – en retard – les participants s’étaient levés et avaient quitté la salle… Explication : le président Giscard d’Estaing aurait décrété : « plus de Plan ; on pilote à vue ». Il ne devait donc plus y avoir de poursuite du programme Périnatalité. Les professionnels du secteur, par leur attitude vis-à-vis du ministre, manifestaient leur désapprobation. En haut lieu, il fut décidé qu’il y aurait quand même, sur les cinq années à venir, non plus des « programmes finalisés » mais des « actions prioritaires ». Jean Ripert, directeur général de l’INSEE, prenait alors la direction du Commissariat général du Plan. Il dira, un jour : « Pour le VIIe Plan, je ne suis pas mécontent d’avoir fait passer l’idée des “programmes d’action prioritaires”, même si la pratique n’en a pas été totalement satisfaisante. C’est une bonne idée pour la planification : choisir des programmes et en défendre la priorité contre les aléas du budget ou de la conjoncture… »34.

41Au ministère de la Santé, le professeur Denoix et moi-même fûmes appelés chez le ministre pour voir comment relancer des actions. Nous avions, après ces cinq ans, des remontées d’information qui nous montraient en mortalité périnatale des départements très en retard sur la moyenne nationale qui avait bien baissé : c’était le Nord, la Lorraine, la Corse. Nous proposâmes donc que des budgets soient accordés en priorité à ces départements. Par ailleurs, des actions que nous avions préconisées pour le VIe Plan, comme la création de centres de grossesse à haut risque, s’étaient avérées difficiles à mettre en place et n’avaient peut-être pas lieu d’être : pour ces grossesses, des visites de sages-femmes à domicile étaient maintenant conseillées. Enfin, nous avions vu que les tendances allaient vers une facilité de dépenses d’équipement au détriment de mise en place de formation des personnels. Les « groupes-cibles », en jargon RCB, régions, personnels, population ont donc été infléchis dans ces directions et un « programme d’action prioritaire Périnatalité » a ainsi été inscrit dans le VIIe Plan 1975‑1980.

Une étude sectorielle : la pénurie de personnel infirmier

42Cette étude cherchant à remédier à la pénurie de personnel infirmier était surtout demandée par Jacques Guillot35, directeur des Hôpitaux, nommé également par Mme Veil. La poursuite de ce travail fut décevante. Sur le plan technique, le sujet se prêtait sans doute mal à des évaluations de type coûts-résultats. Le cabinet de Mme Veil se montrait peu ouvert aux quantifications et ne voyait pas bien sa place dans le processus itératif analystes-décideurs36. Ainsi, quand je demandais au directeur de cabinet, Dominique Levert : « irez-vous plutôt dans le sens d’une allocation d’études ou dans le sens de bourses ? ». Il me répondit : « c’est-à-vous de nous le dire… ». Le jeu était donc différent ici de celui établi dans la Santé scolaire avec Yann Gaillard. Ce dernier avait bien compris que les modalités de « financement » des actions devaient être dissociées des « productions » elles-mêmes donnant lieu à l’expertise : coût-résultats. Il m’a plus tard approuvée quand je lui ai dit que, pour qu’une étude aboutisse à une décision, il fallait l’entente entre analystes-gestionnaires-décideurs. Si l’un de ces agents était défaillant, c’était un échec. Dans l’étude sur le personnel infirmier, les directeurs de centres hospitaliers universitaires me gardaient cependant leur confiance : « vous n’êtes pas Madame Soleil », me disait l’un d’eux. Et M. Guillot m’appellera auprès de lui comme conseiller technique. La période n’était plus propice à « l’emballement » interministériel pour la RCB avec orchestration de la direction de la Prévision du ministère des Finances autour de séminaires, revues spécialisées, et octroi de crédits spéciaux pour recrutement de personnel et sous-traitances de travaux. Les politiques, comme Valéry Giscard d’Estaing, précédemment ministre des Finances, avaient vu que la « transparence » des études pouvait gêner la décision. Ainsi pour une décision de création ou non d’une autoroute devant traverser une forêt, il fallait opter aux yeux de tous entre les gains de temps avancés par le ministère de l’Équipement en faveur des usagers et l’avantage « écologique » du maintien de la forêt avancé par le ministère de l’Agriculture. Dans les ministères de « biens collectifs » peu ou mal « technicisés » dans les préparations de décisions, des choix de leaders « inappropriés » (sic) pouvaient encore conduire à un « remboursement » des analyses. Ainsi, sûrement dans une bonne intention, Mme Veil avait demandé à Pierre Massé, ancien Commissaire au Plan, alors en retraite, de piloter un plan d’action en faveur des « personnes âgées ». Le champ d’étude était ici très éloigné du champ « productif » qui avait été celui de son ouvrage : « le choix des investissements ». P. Massé ne disposait peut-être pas non plus d’un personnel d’études adapté. Le rapport final, non probant pour le décideur comme celui sur les « infirmières » précipitait la « disgrâce » de la RCB.

43Me voyant un jour un peu déprimée, l’un de mes chargés d’études me dit – avec affection – « mais pourquoi vous vous excitez comme ça, chef : personne n’y croit au-dessus ; personne n’y croit en-dessous… ». Centralien, il s’apprêtait, lui, à bifurquer vers l’informatique… Et moi, je pensais : « mais la RCB ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité… ». Je me sentais en droit de continuer à faire ces analyses et évaluations dans des secteurs « modestes » ‒ comme l’avait aussi préconisé, dès 1968, William Gorham, ancien secrétaire d’État à la Santé des États-Unis. Gene Fisher, de la Rand Corporation, ne me disait-il pas aussi qu’il fallait se contenter de résultats « satisfecing »37, qu’il opposait, avais-je compris, à « scientifiques » ? Allait encore en « faux sens » de ces attitudes « raisonnables » le fait de constituer des groupes de réflexion à « haut niveau », comme les groupes sur « les problèmes de la décision en matière de santé », menés en 1972 par Jean-Pierre Dupuy et encore en 1973, par Jean Ullmo, président du département de mathématiques appliquées à l’École polytechnique, avec d’éminents chercheurs, médecins, ingénieurs… Les conclusions de tels groupes certainement utiles ouvraient souvent sur l’abstraction et soulignaient les difficultés de réalisation. À l’inverse, des relevés de données systématiques, sans suffisamment d’interrogation sur leur pertinence, menaient au même résultat peu opérationnel. On peut ici penser aux « indicateurs sociaux » institués par le service mené par Jacques Delors au Plan : ainsi que faire des données de mortalité périnatale mises en face de la Protection maternelle et infantile quand on sait que leurs services ne voient que 10 % des naissances ? On aura les mêmes doutes plus tard sur l’intérêt de la LOLF qui s’inspire de la méthodologie des « budgets de programmes ».

44Il me semblait qu’il nous fallait étudier, expérimenter, évaluer les résultats, avancer doucement, souvent isolés quand, par exemple, des spécialistes des problèmes refusaient de collaborer avec nous, ne voulant pas se compromettre avec « le Pouvoir ». Je me disais encore que si nous lâchions, ce serait fini de cet effort pour « techniciser » ces milieux des « biens collectifs ». Les secteurs des « biens productifs » garderaient leurs ingénieurs qui continueraient leurs calculs, sans avoir besoin d’appui interministériel. J’avais encore l’ambition d’étendre nos techniques à d’autres organismes comme l’Assurance-maladie ou les établissements hospitaliers. Avec le professeur Denoix, la décision fut ainsi prise d’implanter nos techniques d’analyse sur Gustave Roussy.

La « modernisation de la gestion » à l’Institut Gustave Roussy

45Il s’agissait ici dans un premier temps de « coder » des actions dites « élémentaires » en les groupant et les ordonnant de manière à constituer des entités susceptibles de conduire à des indicateurs de résultats, même s’il faudrait pour y arriver leur adjoindre des actions faites dans un autre « secteur » que l’hôpital Gustave Roussy. Dans cet établissement, ces « entités majeures » étaient souvent déterminées par la localisation de la maladie : prise en charge du cancer du poumon, du cancer du sein, etc. On regarderait alors le coût de l’hospitalisation, auquel on adjoindrait éventuellement plus tard un coût en médecine de ville et on chercherait les gains obtenus en matière de quantité et de qualité de vie par cette prise en charge : situation à comparer à une situation de référence qui pourrait être une absence de prise en charge ou une autre prise en charge.

46Les coûts de l’hospitalisation devaient, bien entendu, s’approcher des coûts réels et se distinguer donc des totalisations de « prix de journées » obtenus en divisant l’ensemble du budget annuel de l’établissement par le total des journées/malade. Nous avons donc, avant de pouvoir constituer des budgets-type par maladie, cherché à valoriser les temps passés par exemple par une infirmière au lit du malade. À la question : « combien de temps vous faut-il pour faire une piqûre ? », l’infirmière répondait : « trois minutes ». « Mais ceci est le temps technique. Puisque vous souhaitez, par ailleurs, que vous soit reconnu un temps de « prise en charge psychologique » du malade, ne pouvez-vous pas dire : 10 minutes comme « ensemble pour la piqûre » ? « Je crains, disais-je, que les « financiers » qui examineront les budgets ne soient tentés de « négliger » le « psychologique ». Ceci heurtait le sens de la déontologie de l’infirmière… Il y aurait beaucoup de chemin à faire pour lier « économie » et « santé »… Mais l’entreprise me passionnait encore. Je me sentais soutenue par le professeur Denoix, soucieux de ces chiffrages. Nous pûmes continuer l’analyse, après son départ du ministère et son retour à l’Institut Gustave Roussy.

1980-1996 Au ministère de la Santé, administrateur de l’INSEE

47En 1980 (ou 1981), je fus intégrée dans le corps des administrateurs de l’INSEE « sur travaux ». Il m’était proposé une entrée en catégorie B, alors qu’une catégorie A était mieux valorisée – mais le poste A était destiné cette année-là, disait-on, à Henri Sterdyniak, aujourd’hui macro économiste bien connu des médias et qui avait une formation plus académique que la mienne. Jacques Mayer, le « grand » comptable national, était devenu inspecteur général de l’INSEE et aussi un ami : il avait ainsi parlé de mes études aux rédacteurs de la revue de Pierre Bourdieu, Les Actes de la recherche en sciences sociales, et il me conseilla ici d’accepter la proposition de l’INSEE. La période 1980-1996, – 1996 étant l’année de ma mise à la retraite –, montre des réalisations diverses. La demande d’études déclinant de la part de l’exécutif, je créais un enseignement : le CEPE-Santé, qui fonctionna de 1986 à 1996.

1980-1981 La demande d’une note sur « la statistique au ministère de la Santé »

48En 1980, Jean Choussat38, inspecteur des Finances, entrait au ministère de la Santé, avec le titre de directeur général de la Santé et des Hôpitaux, ayant fait fusionner direction générale de la Santé et direction des Hôpitaux. Il me dit qu’« il ne croyait pas à la RCB », dont l’application ne lui avait pas paru probante au ministère des Anciens combattants où il était passé. Je pensais : « qu’est-ce qu’on avait bien pu appliquer là ? ». Venant de la direction de l’Assistance publique de Paris, il disait aussi : « Je n’ai pas besoin de savoir pourquoi les dépenses des hôpitaux augmentent, c’est parce qu’il y a trop de personnel dans les hôpitaux… ». Puisque j’appartenais à l’INSEE, mon directeur me demanda de faire une note sur « la statistique au ministère de la Santé ». Le sujet n’était évidemment pas dans les cordes de ce que je savais et voulais faire. Je n’avais cessé de mettre en exergue des données qui me paraissaient pertinentes pour éclairer des problématiques qui étaient celles d’un décideur dans une logique de coûts-résultats. J’avais su recueillir des données par les outils de la statistique, en particulier par des enquêtes ad hoc, mais je me sentais incapable de juger un système statistique existant sans « valeurs » politiques ou philosophiques avancées, qui, ici, n’auraient pu être que les miennes. Des réflexions sur le système statistique de la santé étaient faites périodiquement par la Commission des comptes de la Santé – le professeur d’économie Émile Lévy, président de cette Commission, avait mené un groupe de travail sur ce thème en 1973. D’autres jugements avaient été avancés par Daniel Hossard, responsable de la statistique au ministère de la Santé et le seront encore plus tard par Jean-Yves Delanoe, avec Robert Rochefort, directeur du CREDOC, puis Bernard Morel, tous deux administrateurs de l’INSEE, responsables du même service. Des données étaient principalement relevées sur les moyens : établissements de soin, personnels… sur les consommations de soins : journées d’hospitalisation, actes médicaux… et sur les dépenses (en comptabilité nationale, les « dépenses » des administrations équivalait à leur « production » !). L’INSEE, l’INSERM faisaient des relevés de mortalité et de morbidité. Des « lacunes » dans ces relevés étaient dénoncées, avec des préconisations : « accorder plus de place au malade » en mettant en évidence les « filières thérapeutiques », savoir « comment on soigne quoi, et à quel prix ? » ; j’ajouterais ici : « et pour quel résultat ? ». Mais quel « décideur » se posait, ou se poserait ces questions, avec la volonté de chercher éventuellement des réponses ?

49Plus tard, Claude Evin, ministre de la Santé, demandera : « quel est le coût du SIDA ? ». Je répondais : « on ne sait pas – on ne connaît pas le coût des maladies ». Grand étonnement du ministre et vaste problème… Qu’aurait-il fait de cette donnée ? Dans mon secteur le plus connu, la périnatalité, je me heurtais à ces présentations diverses d’« indicateurs », selon les points de vue des agents constitutifs de données. Le ministère de la Santé et ensuite le Plan avaient agi sur l’indicateur « mortalité périnatale » en cherchant à le modifier. Malgré cela, l’INSEE, paquebot de la statistique, continuait à ne publier que la « mortalité infantile » qui servait aux comparaisons internationales et je devais aller, chaque année, pour mon « suivi » du programme Périnatalité, chercher la « mortalité périnatale » auprès de mes collègues de l’INSEE39. De même, l’INSERM, qui avait pourtant reçu du ministère de la Santé un important crédit dans le cadre du programme Périnatalité, présentait des courbes d’évolution de la « mortalité périnatale » en accord de recherches avec certains pays ; ce qui, eu égard aux années choisies, ne permettait pas forcément de voir les évolutions recherchées en France. La statistique me paraissait bien « politique » : des données, pour quoi faire ? Je me sentais donc impuissante à satisfaire ma hiérarchie, en ce début de 1981. (…)

L’après-1981-1996 Un positionnement non assuré dans les analyses et les évaluations. L’informatisation des données de santé

50Au ministère, Jean Choussat était parti. Nous avions un ministre, Jack Ralite, communiste, et un secrétaire d’État Edmond Hervé, socialiste. La direction générale de la Santé (DGS) et la direction des Hôpitaux avaient de nouveau été séparés. Mon ex-bureau d’études était coupé en deux. J’intégrais la DGS avec le titre de conseiller technique du directeur général. Celui-ci était le professeur Jacques Roux40, nommé par Jack Ralite. (…)

Re-Périnatalité

51J’avais saisi les nouveaux cabinets du devenir de la « Périnatalité ». L’évolution de la courbe de mortalité périnatale me paraissait très positive en faveur de l’action ciblée sur 10 ans. Nous avions atteint l’objectif de 18/1 000 déjà en 1975 et étions à 12,9/1 000 en 1980, ce qui montrait un infléchissement spectaculaire par rapport à la période précédente. Je fus très surprise de voir la réaction des médecins de « santé publique », maintenant conseillers techniques au cabinet d’Edmond Hervé : « vous n’avez pas prouvé que c’était l’effet du programme », me dirent-ils ; « il aurait fallu des zones témoins » comme on leur apprenait dans leur spécialité et leurs applications de recherche… à l’INSERM. Il me semblait que, devenus des « politiques », ils auraient dû vouloir continuer de faire ce qui marchait. Quant à la relation de cause à effet, j’interrogeai mes collègues de l’INSEE sur les « preuves » à fournir, eu égard au fait que nous n’avions précisément pas pu faire de « zones témoins ». Alain Desrosières me dit : « tu ne peux rien faire d’autre : la courbe suffit ». Je ne réussis pas à en convaincre Edmond Hervé, bien qu’il m’ait dit avoir enseigné le programme Périnatalité, en le considérant comme positif, lorsqu’il était assistant de droit public à l’université de Rennes. Du côté du cabinet Ralite, j’eus un débat avec une femme, conseiller technique et ex­-professeur à Nanterre. Elle se montrait très en faveur de la décentralisation. Je lui disais : « attention, ce sont les régions les plus riches économiquement qui auront le plus d’initiatives en matière sanitaire et sociale, et, par définition, les besoins sont inverses »… Elle me répondit, dubitative : « vous croyez ? ». Je l’avais déjà expérimenté dans le travail sur la psychiatrie et dans la périnatalité où nous avions eu du mal à faire instituer les sages-femmes à domicile dans le département du Nord. Alors que l’État remboursait ici largement les coûts de ces actions, la dépense globale devait être votée par le Conseil général et inscrite dans son Budget. Le Nord déjà très touché par le chômage ne mettait pas les naissances dans ses priorités. Je pensais aussi que les données ne remonteraient plus aussi facilement des services départementaux de la Protection maternelle et infantile – ce qui s’est avéré par la suite. L’État perdait donc ici doublement sa capacité d’agir et de réduire, en particulier les inégalités régionales. Il y eut encore une réaction de Jacques Roux découvrant les subventions inscrites dans le budget en faveur des conseillers régionaux d’obstétrique. Ceux-ci avaient été institués dans le programme en considération du fait que les professeurs de CHU auraient, lors de leurs visites, « l’écoute » de leurs anciens élèves devenus patrons de petites maternités, présentant des « risques ». Jacques Roux dit : « c’est au médecin inspecteur départemental de faire ce contrôle » et il arrêta la subvention… De son côté, le professeur Papiernik obtint de la part d’Edmond Hervé la constitution d’un groupe de travail sur le thème de ces analyses dans la Santé mais il n’y eut pas de suite.

L’Institut Gustave Roussy. Le Programme de Médicalisation des Systèmes d’information (PMSI) de la direction des Hôpitaux

52Jean de Kervasdoué, de formation « agro », avait été nommé directeur des Hôpitaux en 1981. Séduit par le programme américain de Médicalisation des Systèmes d’Information fondé sur les « Diagnosis Related Groups » (groupes homogènes de Malades), il fit en sorte de l’appliquer dans les hôpitaux publics français. Les programmes informatiques américains relevaient ainsi des diagnostics de maladies auxquels on associait les actes réalisés. En imputant à ces « blocs » un coût, on pouvait donc créer une tarification hospitalière « médicalisée ». Le « budget » ainsi constitué était différent de ce qu’on avait connu en France, établi sur le « prix de journée » ou traité ensuite, pendant quelques années, en « budget global ». Aucun de ces derniers systèmes n’était satisfaisant, mais comment interpréter le nouveau système proposé ? Les « actes » réalisés à l’hôpital n’étaient pour moi qu’une « production intermédiaire », la « production finale » me paraissant devoir « être » l’amélioration de l’état de santé du malade. Il me semblait donc que nous devions nous orienter sur les méthodes testées à l’Institut Gustave Roussy en constituant les nomenclatures adéquates de diagnostics, d’actes, et d’indicateurs d’états de santé41… Jean de Kervasdoué en était peut-être conscient mais il qualifiait nos relevés de Villejuif de « tayloristes » et il me dit : « les logiciels américains ont le mérite d’exister… ». On créa même autour du PMSI un « Comité Scientifique » (?) et quelques années plus tard, le système fut appliqué et généralisé en une « tarification hospitalière » encore en usage aujourd’hui dans les hôpitaux publics. Et l’expérience de Villejuif fut ainsi vite abandonnée.

53On peut se demander pourquoi nos techniques et méthodes n’avaient plus d’écho auprès de politiques après 1981… et pourquoi nous n’avons rien vu venir ? Il y avait certes eu le choc pétrolier de 1975, la « libéralisation » de l’économie sous l’influence de l’École de Chicago avec Margareth Thatcher et Ronald Reagan, le « pilotage à vue » de Valéry Giscard d’Estaing en France, mais pouvions-nous penser que la gauche, prenant en France le pouvoir, allait « négliger » les orientations du Plan, appuyées sur la comptabilité nationale et le calcul économique ? Avec Jacques Mayer, nous en riions – jaune – : « mais ce sont ceux qui n’étaient pas très motivés dans nos services, qui n’arrivaient pas à se placer dans les cabinets de droite et qui allaient aux réunions du Parti socialiste, ce sont eux maintenant qui sont dans les cabinets de gauche et qui nous orientent ». Ces jugements étaient sans doute exagérés mais nous avons eu à vivre des options tranchées et douloureuses. Ainsi, Bernard Brunhes, après son passage au cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy, avait suivi le directeur de cabinet Robert Lion à la Caisse des dépôts et consignations. Nommé directeur de la holding des filiales de la Caisse comprenant la SEDES spécialisée dans l’aide aux pays en voie de développement, il licencia une vingtaine d’ingénieurs-économistes dont les travaux s’appuyaient également sur la comptabilité nationale et le calcul économique42. Les deux grands mythes de notre formation, le Plan et l’aide aux « Sous-Dev », étaient sérieusement touchés et nos techniques elles-mêmes étaient mal-utilisées, voire « détournées ».

54Ainsi « l’évaluation des politiques publiques » ne fit plus l’objet d’une analyse technique adéquate. Elle était présentée soit par des techniciens qui n’avaient pas fait d’études préalables de programmes, soit par des… philosophes. Ce thème de l’« évaluation » mérite un approfondissement. J’avais toujours pensé qu’il fallait laisser ceux qui étaient novateurs dans la mise au point d’un programme mettre ensuite ce programme en place, puis le suivre et l’« évaluer », en tant que « maîtres d’œuvre ». Dans l’administration, ces tâches de suivi étaient dévolues aux administrateurs civils. Une évaluation ex-post, demandée éventuellement par le ministre, était confiée aux inspecteurs généraux des Affaires sociales (IGAS).

55Dans les années 1990, tenant compte de cette réalité, j’ai voulu encadrer des élèves de l’ENA dans une évaluation de la politique de périnatalité, avec l’idée de « techniciser » leur formation. Le travail rendu – que je n’avais pas été appelée à co-noter – montre, en effet, une faiblesse en statistique avec – peut-être pour camoufler celle-ci – des jugements « entiers » du type : « raisonnements purement quantitatifs en définition de la RCB »… On y trouve, heureusement, une bonne analyse du « médico-social » avec en fin du rapport cette phrase qui ne pouvait que me mettre du baume au cœur : « Le souci de motivation (des acteurs) est peut-être le plus marquant des rencontres faites sur le terrain. Celles-ci traduisent un même besoin de souffle mobilisateur, qui reste le souvenir dominant du programme de 1970 ». « Souffle mobilisateur » ; ainsi l’État a donné à des professionnels le « goût » de travailler. Peut-on lui faire un plus beau compliment ?

L’informatisation des données de santé, le codage des actes médicaux, la confidentialité

56Après 1981, j’avais donc choisi de rejoindre de nouveau la direction générale de la Santé (DGS) parce que c’était la direction d’« objectifs », la direction des Hôpitaux étant une direction de « moyens ». N’ayant pu « sauver » les « études » et « programmes » en cours, je fis des notes aux cabinets des ministres pour leur suggérer de faire conduire par la DGS les différentes stratégies médicales, en matière de cancérologie, de maladies cardio-vasculaires en négociation avec les professions médicales, dans une vision de coût-efficacité de ces stratégies. La DGS aurait ainsi eu une optique « branche » pour se référer à la comptabilité nationale, la direction des Hôpitaux ayant l’optique « secteur ». Je n’eus pas plus de succès dans cette voie. L’informatisation des données de santé était alors dans l’air du temps. Des influences pour une mise en œuvre s’exerçaient sur les cabinets ministériels. En particulier, la Société Bull et le maire de Blois, Pierre Sudreau – voulant faire de sa région « la vallée de la monétique » – demandaient qu’une expérience de « carte à mémoire Santé » soit établie sur la ville de Blois. Je me trouvais investie dans la conduite de cette expérience.

57Cette carte Santé à Blois fut conçue comme un outil de communication de médecin à médecin sur l’état de santé de l’usager. L’« usager » était ici défini par l’âge ou par un état de la vie. Le recours aux soins devait être relativement fréquent, concernant au moins deux médecins. Enfin, la DGS a souhaité que les populations ciblées aient l’usage d’un « carnet de santé » ou soient en perspective d’en avoir un. Ainsi furent retenus pour l’expérience les jeunes enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Les questions que nous nous posions au départ étaient relatives au secret médical : les médecins accepteraient-ils de mettre sur support magnétique des données « sensibles » relatives à l’état de santé du patient et ceci, à destination d’un médecin éventuellement inconnu d’eux. Des discussions eurent lieu avec l’Ordre des médecins – le Dr Louis René très ouvert43 – et une convention d’usage fut établie avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

58J’ai surtout piloté l’expérimentation « jeunes enfants et femmes enceintes » menée en 1985-1987 à Blois – le suivi informatique étant assuré par la DORIQUE, service ad hoc du ministère. Les crédits d’études dont disposait la DGS (suite des crédits RCB ?) ont permis de confier à des chargés de recherche de l’INSERM le suivi médico-social sur le terrain. Le vécu de l’expérience montrait des difficultés liées à l’informatisation : trop de temps passé à la saisie de données, nécessité d’imprimantes… qui pouvaient se régler. Mais la surprise vint du comportement des médecins : ainsi, dans la carte « femme enceinte », le médecin généraliste avait bien rempli la carte et indiqué, si nécessaire, les données « sensibles » de la grossesse, mais il y avait des défaillances du côté de la lecture par… le médecin-accoucheur. Manque d’intérêt du médecin-spécialiste du centre hospitalier pour les observations d’un médecin moins qualifié ? En conclusion, avant l’extension de la carte, pas de veille informatique, mais peut-être une veille « sociologique »… Cette application était très bien vue du professeur Roux, directeur de la DGS. Il soutenait et appréciait mes conceptions. L’intérêt se portait aussi sur un champ européen. Wivina Demeester, la secrétaire d’État belge à la Santé publique, vint à Blois et je participais à des réflexions sur une « Carte européenne d’urgence ». Ces analyses qui demandaient à la fois un intérêt pour la technique (statistique, informatique) et une entrée sur le sujet sensible du secret médical me plaisaient.

59Jusqu’à la fin de mon travail au ministère de la Santé, je représenterai ainsi le directeur général de la Santé vis-à-vis des autres directions, en particulier la direction des Hôpitaux et la direction de la Sécurité sociale. Cette direction a dû arbitrer sur un dossier de « codage des actes médicaux », opération générale présentée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS). De plus, en 1986, une importante disposition avait été adoptée concernant les maladies « longues et coûteuses » qui s’élevaient désormais à 30 (contre les cinq d’origine). Il était convenu qu’en déclarant la maladie, le médecin traitant devait indiquer en plus du diagnostic, le « programme thérapeutique » constitué du traitement « actuel » et du traitement « envisagé ». Je plaidais vigoureusement auprès du Haut Comité médical de la Sécurité sociale, le 10 mars 1989, pour la mise en place d’une exploitation statistique de ces données dites PIRES (Protocoles Inter-régimes d’Examen Spécial). Cette médicalisation des informations devait servir à mieux éclairer la conception de la « carte sanitaire » qui ne s’appuyait que sur des indices-lits ou équipements lourds rapportés à la population. J’arguais aussi que nous pouvions ici commencer à monter un « compte de branche » dans le domaine de la Santé, alors que nous n’avions jusqu’alors qu’un « compte de secteur » par les recensements des coûts en médecine hospitalière et en médecine libérale. On saurait ainsi, par exemple, combien coûterait le traitement des maladies cardio-vasculaires, comment ce coût se ventilait entre les établissements hospitaliers et la médecine libérale et encore comment la charge se répartissait entre l’Assurance-maladie, les ménages et les mutuelles. À côté de cet intérêt macro-économique, je soulignais que ce « programme thérapeutique » pouvait être le cœur d’une analyse « coût-efficacité » puisqu’il ouvrait sur une appréciation des résultats des traitements en termes de quantité et de qualité de vies gagnées. Cette utilité me paraissait évidente pour les usagers, pour les professionnels de la santé, ainsi que pour les responsables de l’administration et du financement de la santé. J’ai aussi écrit dans ce sens au professeur Claude Béraud, médecin-conseil national, en lui présentant un plan d’exploitation statistique. Aucune suite n’y fut donnée. Deux ans après, Claude Béraud m’a dit qu’il y pensait positivement, mais… il était sur le départ, ou peut-être déjà parti de la Caisse d’Assurance‑maladie.

60J’étais aussi la correspondante de la DGS auprès de la CNIL. En m’inspirant du Code de déontologie médicale – qui a en France valeur de décret – et en étudiant les dispositions législatives et règlementaires déjà prises mettant en jeu la confidentialité des données de santé, je m’efforçais de présenter une position de la DGS cohérente et acceptable à la fois par les médecins et par les personnes. Ainsi, aux termes de notre Code, pour des « raisons légitimes » que le médecin apprécie « en conscience », « un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave ». Peut- on parler alors d’un « consentement libre et éclairé » dans l’acceptation des soins par le malade ? Ainsi que du consentement de celui-ci à l’utilisation « sociale » de ses données, voire de son corps ? Dans le cas de l’utilisation des organes pour transplantation après la mort, la loi a opté pour la possibilité d’utilisation « sauf » interdiction signée de la personne décédée ou donnée par la famille proche après la mort. Il m’avait paru que cette position pouvait inspirer une attitude générale vis-à-vis de données de santé à traiter statistiquement et informatiquement – ce que j’essayais d’insuffler dans un projet de loi en cours en 1989 relatif aux « traitements de données nominatives ayant pour fins la connaissance, la protection ou l’amélioration de la santé ».

61Je fus ici amenée à accompagner à la CNIL le directeur général de la Santé – alors le professeur Jean-François Girard44. Le sujet portait ce jour-là sur le SIDA. Les associations de défense des malades étaient présentes, plaidant vigoureusement en faveur du « consentement express » du malade dans le traitement des données, ce qui leur fut accordé. Je crains que cette position n’ait été ensuite généralisée, du moins « théoriquement » car de façon pratique, elle ne s’est pas concrétisée dans des opérations d’envergure. Les « carnets de santé pour tous » ou « dossiers médicaux informatisés » ne semblent pas aboutir encore aujourd’hui. Les hôpitaux ne lient pas leurs données médicales aux coûts et aux résultats sur le malade. La loi Kouchner de 2002 fait cependant obligation à ces établissements de communiquer le dossier médical à la demande du malade. En ce qui concerne la CNAMTS, les saisies de données médicales se sont étoffées et normalisées dans le domaine des maladies prises en charge à 100 % mais cette information reste, me semble-t-il, interne à la Caisse.

1986-1996 La création et la conduite du CEPE‑Santé

62Dans ces années 1980-1985 qui restent pour moi les années « grises », je continuais à penser à ma « fonction de production » en santé, qui n’était transcrite nulle part, les « statistiques » juxtaposant des « états de santé » et des « moyens » affectés à la santé, les « comptes de la santé » se contentant de valoriser annuellement les « actes » de santé : journées d’hospitalisation, consultations en médecine libérale. Il manquait évidemment la « production finale » en termes de quantité et de qualité de vies entraînées par cette activité – ce que nous arrivions à établir précédemment. Je me disais : « c’est parce que ce milieu de la santé ne connaît pas nos techniques » – la formation des cadres se faisant à l’Université ou, pour les directeurs d’hôpitaux, à l’École nationale de Santé publique de Rennes, plutôt orientée vers la gestion. Il m’apparaissait qu’il fallait un enseignement de type « CEPE » pour les cadres de la santé : médecins, directeurs d’hôpitaux, cadres de Caisses d’assurance- maladie – et je voyais clairement un programme de trois mois avec les proportions de statistique – comptabilité, de macro et de micro-économie ainsi que les intervenants adaptés. Je m’en ouvris fin 1985 à Charles Prou, directeur du CEPE, rue de l’Université : « il faudrait faire un CEPE-Santé… » – « Eh bien, me dit-il, venez le faire ici… ». En 1986, Michèle Barzach devenait ministre de la Santé, prenant comme directeur de cabinet Guy Berger. Celui-ci, énarque et membre de la Cour des comptes, avait été avec moi sur les bancs du Pré-CEPE, qu’il avait vite quittés ensuite pour raison de maladie. Je lui demandais une entrevue et lui exposais – amicalement – mon projet. « C’est une très bonne idée, dit-il, et puisque Charles Prou et Edmond Malinvaud, alors directeur de l’INSEE, sont d’accord, on va le faire. Mais il faut vous couvrir administrativement… ». Et il dicta sur le champ une lettre à sa secrétaire demandant au directeur général de la Santé, le professeur Jean-François Girard, de monter l’opération avec le CEPE et l’INSEE45. Le CEPE-Santé devenait ainsi une création DGS-INSEE. En ce second semestre de 1986, je mis donc au point le programme du CEPE- Santé. Je pris contact avec des intervenants – que le CEPE rétribuerait – et, parallèlement, je fis envoyer des demandes de candidatures dans différents secteurs de la Santé : ministère et services extérieurs, hôpitaux, caisses d’assurance-maladie. Nous pûmes enregistrer 14 élèves et nous étions prêts à ouvrir l’enseignement de trois mois, rue de l’Université à Paris, au 1er janvier 1987. J’avais alors des relations faciles, amicales souvent, avec l’ENSP de Rennes, et aussi avec les différents pôles d’enseignement et de recherche en économie de la Santé de l’Université et de l’INSERM. Je connaissais bien les directeurs des centres hospitaliers universitaires et j’avais collaboré dans mes travaux avec de nombreux médecins. Et, bien sûr, je pouvais compter sur mes collègues de l’INSEE, de la direction de la Prévision du ministère des Finances ainsi que des secteurs comme l’Équipement impliqués dans les mêmes préoccupations que moi. Le recrutement d’intervenants et d’élèves s’était donc avéré aisé. L’ouverture du cours eut grande allure. Entourant le directeur du CEPE, Charles Prou, Edmond Malinvaud représentait l’INSEE et Guy Berger, accompagné de Jean-François Girard, étaient présents au nom du ministère de la Santé. Il y eut des discours qui me manifestaient une grande confiance. Et le cours commença, pendant trois semaines de neige qui gardaient les élèves groupés dans les pauses autour d’une cafetière intégrée dans la salle professorale. Ce fut, je crois, notre chance d’ouverture, créant par le fait, une soudure d’équipe, qui s’est ensuite reproduite chaque année.

Le Programme du CEPE‑Santé

63Le programme, établi sur trois mois, représentait 240 heures de cours, soit 160 « leçons » d’1 heure 30 qui pouvaient être des exposés, des travaux pratiques ou des discussions. Les élèves étaient appelés, en dehors, à réaliser des travaux individuels ou collectifs. 75 intervenants furent ainsi appelés pour une ou deux leçons. 10 enseignants faisaient plus de trois leçons. Il s’agissait principalement de praticiens, la « pensée économique » étant confiée à Jean Boncoeur, chargé de cours à l’université de Brest. Dans ce programme, après une présentation des données générales sur la santé, j’introduisais au maniement des outils statistiques et comptables et j’attachais, bien sûr, beaucoup d’importance au calcul économique et aux choix d’investissements. L’enseignement fut ici pendant quatre ans le fait d’une équipe de la direction des Études, de la Planification et de la Recherche de la SNCF, merveilleusement menée par Michel Leboeuf, centralien. Les temps ensuite changeaient : ce calcul économique devenait de plus en plus la confection des banques s’entourant de précautions avant d’investir sur les projets des entreprises (…). Michel Leboeuf désirant arrêter, cette pédagogie fut alors heureusement poursuivie par Dominique Schwartz, ingénieur des Ponts et Chaussées, professeur dans cette école. Les exercices demandés aux élèves portaient le plus sur les « analyses de système » et l’« évaluation » dans la santé. Je fus très satisfaite de voir ces élèves d’origine diverse – médecins, gestionnaires, administratifs – s’approprier collectivement le raisonnement en termes d’inputs-outputs, capables ainsi d’établir, comme je le faisais dans la Périnatalité, le rapport entre les coûts, les actions et les résultats en gains de santé dans le « traitement de la ménopause », de la « santé dans les prisons », de la « prise en charge du cancer du sein », etc. J’ouvris peu à peu le cours à l’informatique, et aussi aux problèmes d’éthique. Alain Desrosières avait su, dès le départ, « accrocher » les élèves à la statistique en leur parlant de l’« image du corps : poids, tailles » ; il leur demandait aussi de « coder » avant de « compter ». Et il me conseilla de faire intervenir Anne Fagot-Largeault, philosophe, sur la « notion de la qualité de la vie ». Ses cours de 1991 et 1992 m’ont introduite aux différences essentielles entre la morale « déontologique » qui influençait surtout les médecins français et la morale « téléologique » que choisissaient plutôt les médecins anglo-saxons. Suzanne Rameix, philosophe aussi, assura sa suite tandis que Monika Stephen, sociologue, nous montrait les « pouvoirs dans le domaine de la santé et les forces entre acteurs » différents chez les Français et chez les Allemands dont elle partageait la nationalité. J’ai voulu garder et faire évoluer ces thèmes tout au long des 10 années du CEPE-Santé, même si des modifications de temps d’enseignement ont été demandées par les employeurs des élèves. Ainsi, à partir de 1991, il fut possible de faire le CEPE-Santé sur deux ans et la scolarité fut réduite à six semaines en 1993, puis à quatre semaines de 1994 à 1996.

64Au total, sur les 10 années de 1987 à 1996, il y eut 300 intervenants et 200 élèves ont été accueillis au CEPE-Santé, soit 175 élèves à temps plein, dont 106 médecins, 20 gestionnaires d’hôpitaux, 21 relevant de l’État, 14 de la Sécurité sociale, 14 appartenant à d’autres administrations ou à la recherche. Ouvrant le cours dans les locaux du CEPE, j’essayais de retranscrire la convivialité que j’avais moi-même trouvée lors de ma présence d’élève en 1967-1968. Les « élèves » de 25‑40 ans ont tout de suite paru heureux de cette rupture avec leur quotidien. Ils connaissaient là des collègues de métiers différents ; ils apprenaient des choses nouvelles auprès de praticiens ouverts et contents aussi d’être là. Les sessions se sont ainsi passées et terminées par la photo de classe et… le cadeau qu’ils me faisaient comme à la « maîtresse de maternelle ». J’ai été heureuse aussi de la constante présence d’élèves étrangers, surtout d’Algérie mais aussi de Madagascar, de Mauritanie, de Pologne, de Lituanie… Le 31 mars 1987, une « évaluation » du cours eut lieu au ministère de la Santé à l’invitation de Michèle Barzach et après une dernière conférence faite dans ce lieu par Claude Gruson sur « les techniques quantitatives de l’information et de l’évaluation et l’éthique ». Claude Gruson m’avait dit un jour : « j’ai suivi vos travaux, vous savez… venez me voir au BIPE (bureau d’Information et de Prévision économiques, dont il était président) ». J’en avais été stupéfaite et… comblée. Ainsi, il m’avait regardée avec intérêt mesurer le « non-marchand » là, où, avec ses collèges et ses équipes, il n’avait pas osé s’aventurer. Lui-même se disait alors « la statue du commandeur ». Je crois qu’il restait blessé de n’avoir pas été nommé Commissaire au Plan en 1965. MM. Prou et Malinvaud étaient présents à la cérémonie « évaluative ». Les élèves qui s’exprimaient au travers du Dr Marc Giroud, chef du SAMU du Val d’Oise, ont dit avoir bénéficié de cet enseignement comme d’un « privilège » : connaissances techniques, approches pluridisciplinaires, réseau de correspondants… Les enseignants ont trouvé « une atmosphère vivante, studieuse, détendue ». M. Berger m’a félicitée du résultat. Et à la question qui me taraudait : « avais-je vraiment fait une formation économique ? N’avais-je pas capté indûment le prestige du CEPE en l’appelant CEPE-Santé ? », M. Malinvaud répondit, en faisant référence à mon « intelligence » et à mon « énergie » : « c’est bien une formation économique qui a été donnée dans ce cycle… Charles Prou et moi-même pouvons vous confirmer que la dénomination CEPE-Santé ne trompe pas et que le Centre se trouve même enrichi par cette diversification dont vous lui avez donné l’occasion… ». Nous étions bien incités à continuer.

65Fin 1987, Charles Prou quittait la direction du CEPE et se cherchait un successeur. Il m’écrivit pour me proposer le poste. Je demandai, en conséquence, une entrevue à M. Malinvaud. Celui-ci me dit : « nous recherchons “quelqu’un qui soit dans la programmation, qui sorte de l’Université, là où naissent les techniques” »… J’étais un peu étonnée, le CEPE ayant pour moi été surtout construit en dehors de l’Université, mis à part M. Malinvaud lui-même, le plus « matheux », passé par l’université de Berkeley (USA). J’ignorais qu’un groupe de travail avait déjà réfléchi à une inflexion du CEPE vers de nouvelles techniques de programmation souhaitées par les entreprises et davantage orientées vers leurs financements (influence du libéralisme et de l’École de Chicago). C’est aussi dans ces recherches de diversification que ce groupe avait reconnu le CEPE-Santé et se demandait même si un… « CEPE-Éducation » ne pouvait suivre –, ce qui attira une proposition de mise au point de trois mois. M. Malinvaud avait ri et dit : « mais mademoiselle Chapalain a monté le sien en trois semaines ! ». Merci à lui pour la confiance qu’il me portait, relativement au… CEPE-Santé, mais il ne me sentait pas adaptée à une direction ré-orientée du CEPE. C’est Élisabeth Dognin, agrégée de mathématiques – et aussi, avait-il été relevé, fille de M. Racine, ancien directeur de l’ENA, qui fut nommée en remplacement de Charles Prou. Le CEPE devenait dès lors le Centre de formation continue des écoles de l’INSEE et allait se tenir, dès la rentrée 1988, rue Boulitte, dans le 14e arrondissement de Paris.

66Cette année 1988 marque surtout pour moi l’appui de Guy Berger46. Il traduisit son intérêt pour le CEPE-Santé en patronnant au ministère de la Santé une conférence d’Alain Desrosières sur le thème : « Statistique et Santé : éléments d’histoire – les cas français et anglais ». Il me fit aussi nommer chevalier de la Légion d’Honneur et décorer par Michèle Barzach – la profession de gynécologue de la ministre se raccrochait au programme Périnatalité que Guy Berger m’avait fait exposer à Sciences Po mais il fut aussi fait référence à la condition de petit paysan de mon père, mutilé de guerre et aussi à mes tuberculoses. Merci à eux.

67En 1991, c’est encore au ministère de la Santé que nous fêterons les cinq ans du CEPE-Santé, Bruno Durieux, ancien de l’INSEE, y étant ministre délégué. M. Malinvaud était présent, ainsi que Philippe Nasse, directeur de l’ENSAE représentant Jean-Claude Milleron, directeur de l’INSEE. C’est Michel Leboeuf qui s’exprimera ici au nom du corps professoral. Marie-Odile Waty, élève de formation HEC, précisera avoir bien appris à « distinguer l’optimisation des ressources de la maîtrise des dépenses » rejoignant ainsi le ministre qui avançait : « l’opposition entre l’économique et le médical n’a pas de sens, c’est soit un alibi pour ne rien faire, soit une confusion intellectuelle ». Le CEPE-Santé recevait donc ici encore pleine approbation. Et le ministère de la Santé avait ici aussi intégré dans ses locaux une séance à caractère technique, en ouverture de la « cérémonie » : Jacques le Noane, ancien directeur adjoint de la Prévision, conseiller-maître à la Cour des comptes, le professeur Émile Papiernik et moi-même avons traité de « l’évaluation en politique publique et en santé 1970-1990 ». Les anciens élèves souhaitaient garder contact avec le CEPE-Santé en participant aux « cérémonies », mais aussi en organisant eux-mêmes ces « cérémonies » ainsi que des rencontres pédagogiques. Ainsi, le 8 février 1990, un ancien élève, Philippe Bouscharain, pharmacien des Armées, invitera une quarantaine de personnes à l’hôpital du Val de Grâce, encadrées par Jean-Claude Milleron, directeur de l’INSEE, et Jean­ René Brunetière, directeur du cabinet de Claude Évin, ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale et avec la présence d’Élisabeth Dognin, directrice du CEPE. Le 16 mars 1992, le Dr Marc Giraud organisa à l’ESSEC avec Gérard Viens, responsable de l’ESSEC-Santé, une journée de travail sur « l’urgence médicale ». Une autre journée portant sur « l’Europe et la Santé » eut lieu, rue Boulitte, le 16 juin 1992.

68Cette année 1992, je décidai de monter un colloque, largement ouvert aux politiques, aux médecins, aux gestionnaires, aux économistes. Avec l’appui du sénateur, Franck Serusclat, j’ai pu le faire au Sénat. Il me fallait renforcer l’image du CEPE-Santé, alors que des « employeurs » hésitaient à se séparer trois mois de leur personnel. Il existait aussi des jugements étonnants : ainsi le Dr Armogathe, du cabinet Évin, intervenant au CEPE-Santé, m’avait dit un jour : « Vous êtes dérangeante ; votre cours aussi est dérangeant… ». Il était… psychiatre.

Le colloque du 10 novembre 1992

69Il eut lieu au Palais du Luxembourg .à l’initiative du CEPE-Santé. Le malade, les actes, les coûts. Des philosophes, des économistes, des médecins se parlent…

70J’avais voulu pour ce colloque une ligne claire. Il m’apparaissait que deux grandes catégories de personnes s’opposaient ou s’ignoraient dans le système de santé. Il y avait, d’une part, des gestionnaires en charge de centres de soins ou d’organismes de financement qui cherchaient, en plus des coûts, à investir le champ des diagnostics et des soins. D’autre part, les médecins, en charge du bien-être du malade, demandaient des ressources pour assurer la qualité des soins. Je pensais que les deux catégories de personnes devaient se retrouver autour de la même « fonction de production », présentant du côté de l’« offre », les « facteurs de production » amenant une première réalisation : les actes, et du côté de la « demande », un résultat final : l’amélioration des états de santé. Eu égard à notre régime de sécurité sociale, le financement pouvait se concevoir ici comme une troisième dimension irrigant le plan, consommation de soins-production de santé. Je posais donc les questions : que veulent les gestionnaires ? Leur faut-il plus de données sur les diagnostics et les soins ? Que voudront les médecins ? Peuvent-ils gérer la qualité des soins ?

71L’approche, délicate, m’avait paru devoir être approfondie par des ateliers de réflexion. Ainsi, en mai et juin 1992, quatre ateliers ont fonctionné, conduits par moi-même et animés par deux anciennes élèves du CEPE-Santé, sorties préalablement d’HEC et travaillant dans un Bureau d’études orienté vers la Santé : Marie-Odile Waty et Carole Landon. Les thèmes portaient sur 1) la prévention, les soins et leur financement ; 2) la prévention, les soins et leurs moyens ; 3) la prévention, les soins et leurs résultats ; 4) la prévention, les soins, leurs moyens, leurs résultats (de type Périnatalité). Le colloque au Sénat, le 10 novembre 1992, a rassemblé 200 personnes. Une grande place fut donnée aux politiques dans leurs conclusions : à midi, René Teulade, ministre des Affaires sociales ; le soir, Philippe Lamoureux, représentant Bernard Kouchner, ministre de la Santé. La matinée était présidée par Jean-Pierre Fourcade, président des Affaires sociales du Sénat. Le thème des « gestionnaires » lui revenait, lui qui avait été un excellent professeur de finances au CEPE, et avait été ministre des Finances. L’après-midi fut animée par Jean-Michel Bélorgey, président de la Commission des Affaires sociales, culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale.

72La journée avait été ouverte par deux exposés : l’un du professeur Jean Bernard hématologue, l’autre du professeur Edmond Malinvaud, économiste. Jean Bernard indiqua que la médecine allait être désormais « rationnelle » et beaucoup plus « efficace ». Il pensait qu’elle serait pour beaucoup une médecine de prévention et de prédiction, ce qui réduirait les coûts d’hospitalisation. M. Malinvaud pensait que, malgré les difficultés, les enquêtes et travaux statistiques pouvaient aider à établir les rapports de coût-efficacité. Il suggérait aussi que la théorie économique en matière d’information et d’incitation serve d’appui à l’organisation du système de santé. Le Dr Élisabeth Devilliers, ancienne disciple de Jean Bernard, s’exprima au nom des élèves du CEPE‑Santé.

73La discussion autour du Programme de Médicalisation du Système d’Information (PMSI) fut particulièrement intéressante : on retrouvait bien les réticences du médecin, ici le professeur Jean-Pierre Étienne, gastro-entérologue, à se dessaisir des données sur le malade : diagnostics, actes pour les relier à des coûts. Ici, disait-il, les soins hospitaliers sont isolés de leur contexte ; il faudrait les compléter par l’appréciation de leur utilité, de leur qualité. Tel quel, il lui apparaissait même comme un mauvais outil de tarification : groupes de diagnostics non-homogènes, coût moyen… Gérard Viens, titulaire de la chaire Santé à l’ESSEC, rejoignait le professeur Étienne, en dénonçant une recherche d’« efficience » et non d’« efficacité » et aussi la mauvaise qualité de l’outil pour la tarification. Il concluait que l’outil ne servirait qu’à « une allocation de ressources ». Gérard Vincent, directeur des Hôpitaux, maintenait que l’outil devait être à la fois outil de gestion interne et outil d’allocation de ressources. Il devait rendre le « Budget Global »47 plus « intelligent ». Mais Dominique Schwartz, ingénieur des Ponts et Chaussées et professeur de calcul économique au CEPE-Santé, a rejoint Gérard Viens en ajoutant qu’il n’était pas bon d’avoir pour la gestion le même outil que pour la tarification. Il a félicité le professeur Étienne pour son approche « économique » et non « gestionnaire ». Claude Gruson, se qualifiant d’« ancêtre du CEPE-Santé » a souhaité que soient mis sur ces thèmes des « chercheurs qui aient le sens de leurs responsabilités, mais aussi le sens de l’Histoire ». L’après-midi donnait lieu à la place des médecins qui devaient être, selon Jean-François Girard, directeur général de la Santé, des « intervenants sociaux, acteurs de santé publique et garants de la qualité des soins ». Philippe Lazar, directeur général de l’INSERM, voulait voir des médecins plus « collectifs » dans le dialogue confraternel, et voulait aussi que le Parlement discute de ces problèmes de société avec « exigence d’égalité ». Émile Levy, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, se demandait s’il ne faudrait pas un « ingénieur social » entre le médecin et le gestionnaire. Anne Fagot-Largeault, médecin et philosophe, a alors exposé sa vision de l’éthique médicale distinguant la morale « déontologique », morale du « devoir » de Kant qui serait surtout le fait des pays latins d’une morale « téléologique », morale de l’« utilité » qui serait préférée des pays anglo-saxons. Ces attitudes ont à voir avec les outils d’information : par exemple dans une étude sur les états de santé, privilégiera-t-on les enquêtes auprès des médecins (« devoir ») ou les questionnaires auprès des malades (« utilité ») ? Ce colloque passionnant et passionné avait bien centré les préoccupations des différents acteurs de la Santé autour d’une préoccupation commune. À son issue, M. Malinvaud, de sa grandeur – lui, le possible Prix Nobel – et peut-être aussi de sa… timidité, lâcha vers moi : « remarquablement organisé… ». Forte de cette « réussite » et de ces apports, je continuais.

74Le 24 mai 1996, une « cérémonie » marquant la fin de mon activité professionnelle eut lieu au ministère de la Santé. Elle était présidée par Jean-Luc Tavernier, conseiller technique auprès de Hervé Gaymard, secrétaire d’État à la Santé et à la Sécurité sociale, et de Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales. 150 personnes étaient là, beaucoup d’intervenants, 65 élèves venus de toute la France, avec les promoteurs, Edmond Malinvaud, Guy Berger, dans le souvenir de Charles Prou. Je fis une dernière leçon intitulée : « La santé, valeur économique, valeur sacrée » où j’insistais sur la « fonction de production en santé », unique, niant cette dichotomie si souvent avancée entre une rationalité « économique » et une rationalité « médicale ». Je partais non de théorie économique mais de l’observation d’un acte simple en santé. Je pense ici à Alain Trognon, directeur de la branche supérieure de l’ENSAE, qui, enseignant au CEPE-Santé, m’avait dit un jour : « je viens de comprendre comment il faut enseigner l’économétrie à vos élèves : c’est à l’envers de la pédagogie de l’ENSAE » (pour matheux !). C’était aussi ce que je faisais : « à l’envers », en partant ainsi de l’acte médical. Je serrais ici de près le parallèle économique avec l’acte de santé reconnu par le Code de déontologie médicale. C’est dans les « valeurs », l’« éthique » que des différences pouvaient s’observer, avec la nécessité d’intégrer les choix du « politique ». Alain Desrosières commenta : « Marick (comme on m’appelait à l’INSEE) n’a jamais considéré que la “santé” était un “supplément d’âme”… Avec la comptabilité nationale et ensuite le calcul économique (cumul exceptionnel, disait-il), Marick tricotait tout cela ; elle en faisait même du macramé… ». Je partais, avec les remerciements et les témoignages d’affection de beaucoup de personnes… et en recul, l’éblouissante reconnaissance du « remarquablement organisé » de M. Malinvaud et du « j’ai suivi vos travaux » de Claude Gruson (…).

***

75En guise de conclusion : cinquante ans après, et si on relançait la RCB ?

76En 1970, furent inscrits dans le VIe Plan (1970-1975) cinq programmes dont le financement était assuré au budget de l’État, contournant ainsi pour la première fois l’obligation d’annualité budgétaire. Deux d’entre eux ont fait l’objet d’une étude de rationalisation des choix budgétaires : la sécurité routière et la périnatalité.

77Avec succès.

78Cinquante ans après, l’étude de ces opérations pourrait-elle servir de guide à des actions d’aujourd’hui ?

79Il a été vu que la démarche de la RCB peut être positive lorsque le contexte politique permet son utilisation. L’expérience de ces cinquante dernières années montre que c’est rarement le cas au niveau national. Aujourd’hui, la préparation et le suivi de choix politiques par des conduites interdisciplinaires ‒ ambition des grands fonctionnaires des années 1950-1960 voulant former des « passeurs » entre la recherche, la pratique et la décision politique ‒ ont disparu avec le Plan et d’importants services d’études nationaux. Depuis 2006, inspirée des « budgets de programmes » de la RCB, la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) oblige à présenter le budget de l’État sous forme de « missions », « programmes ». Ceci est intéressant pour les ministères de gestion (Armées, Éducation) ; cela l’est moins pour les ministères d’intervention à laquelle il est difficile d’associer des indicateurs de résultats.

80L’idée de la mise en œuvre des techniques d’analyse sectorielle au service des citoyens est maintenant la plus séduisante, en particulier sur un thème local. Par exemple pour le développement de l’agriculture, il est possible de réunir des exploitants, des commerçants, des collectivités locales, des associations, des syndicats pour que, aidés de techniciens, ils puissent concevoir et entreprendre un projet de mise en commun d’action économique, administrative, culturelle, qui donne aux participants le goût d’être ensemble, de travailler… et en définitive, du goût à vivre.

81Marie-Thérèse Chapalain,
Avril 2019

Annexe

Les documents de ces annexes proviennent des archives privées de Marie‑Thérèse Chapalain.

Image 1000000000000D1500001380B190756A642C748B.jpg
Image 1000000000000C33000013156BFF97B52FADF656.jpg
Image 1000000000000E33000013C0FBC2C7E6954EAC8F.jpg
Image 100000000000104A0000169D2678131BB4E388BA.jpg
Image 1000000000001103000017E8B936173C8032F992.jpg
Image 1000000000001103000018F295B18E24DF447781.jpg

Ajout bibliographique fait par Marie‑Thérèse Chapalain en 2014 :

Chapalain (M.T.), « L’histoire de la R.C.B. Santé » in Informations Sociales n° 1-2 1979 – in Revue interministérielle de R.C.B, n° 19, décembre 1979.

Chapalain (M.T.), « Recherches sur les facteurs de croissance des dépenses de santé relatifs à l’offre de soins et mesures prises pour maîtriser cette croissance » in Statistiques et Commentaires Santé Sécurité sociale, nov.‑déc. 1979, n° 6, tome A.

Chapalain (M.T.), « Guide pour l’évaluation économique d’une application informatique » in Bulletin d’Informatique hospitalière et médicale, ministère de la Santé, n° 13, février 1980.

Chapalain (M.T.), « Mesurer l’activité Hospitalière » in la Revue du S.C.O.M, ministère du Budget, octobre-décembre 1980.

Chapalain (M.T.), « Calcul économique et investissements hospitaliers » in Gestions hospitalières, n° 200 décembre 1980.

Chapalain (M.T), « L’informatique dans les besoins d’information en matière de périnatalité et de surveillance du jeune enfant » in la Revue française des Affaires sociales, avril-juin 1981.

Chapalain (M.T.), « La Santé : valeur économique, valeur sacrée » in la Revue française des Affaires sociales, n° 4, octobre-décembre 1996.

***

Documents multigraphies autour du CEPE-Santé : Formation économique pour les Cadres de la Santé. Ministère de la Santé /INSEE :

  • de 1987 à 1996 (compris) : Brochures annuelles relatives au programme du CEPE-Santé et aux réalisations ;

  • en 1996 : Chapalain (M.T.), Les 10 ans du CEPE-Santé comprenant une partie relative à la communication : élèves-intervenants, manifestations et une partie relative à une sélection de cours ;

  • Le malade, les actes, les coûts », colloque organisé à l’initiative du CEPE-Santé, le 10 novembre 1992 au Palais du Luxembourg.

De 1987 à 1996 (compris) : Brochures annuelles relatives au programme du CEPE-Santé et aux réalisations 

Image 1000000000000E6A000013BD2FF839883D53E635.jpg

En 1996 : Chapalain (M.T.), Les 10 ans du CEPE-Santé comprenant une partie relative à la communication : élèves-intervenants, manifestations et une partie relative à une sélection de cours

Image 1000000000000DDF0000138CC76056A1BD343E51.jpg

Le malade, les actes, les coûts », colloque organisé à l’initiative du CEPE-Santé, le 10 novembre 1992 au Palais du Luxembourg

Image 1000000000000E69000013B65BD00AF775127888.jpg

Notes de bas de page

1  Marina Serré, « De l’économie médicale à l’économie de la santé », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 143, 2002 ; Daniel Benamouzig (dir.), La santé au miroir de l’économie, Paris, Presses universitaires de France, 2005, et notamment, « Sous l’égide du Plan » (p. 21‑65) et « Entre prévision et rationalisation » (p. 67‑127) ; Frédéric Pierru, Hippocrate malade de ses réformes, Éditions du Croquant, 2007 ; D. Benamouzig, « Professionnalisation académique et engagements partisans des économistes de la santé 1970-1990 », Sociétés contemporaines, n° 73, 2009/1, p. 973‑993 ; F. Pierru, « Budgétiser la santé, Heurs et malheurs d’un instrument de maîtrise des dépenses publiques : l’enveloppe globale », in Philippe Bezes, Alexandre Siné (dir.), Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2011 ; P. Bezes et F. Pierru, « État, administration et politiques publiques : les dé-liaisons dangereuses, La France au miroir des sciences sociales américaines », Gouvernement et action publique, n° 2, 2012 ; F. Pierru, « Planifier la santé, une illusion technocratique ? », Les Tribunes de la santé, vol. 37, no 4, 2012, p. 83‑94.

2  Pour en savoir plus sur son enfance, son éducation familiale, sa jeunesse et sa formation, ainsi que ses engagements d’étudiante à l’UNEF à Rennes dans les années 1960, voir le manuscrit original, Mémoires de l’INSEE. Bastotu. La création d’une roscovite, Roscoff, mars 2015, Concours autobiographique INSEE 2014, conservé à l’IGPDE. Une anthologie de ce concours autobiographique de l’INSEE, Des statisticiens racontent… Pour la mémoire de l’Insee. Morceaux choisis, par Françoise Brunaud sous la direction de Béatrice Touchelay et Claude Thélot, est consultable en https://www.economie.gouv.fr/igpde-editions-publications/des-statisticiens-racontent

3  Sur le rôle d’André Hamaide au SEEF et notamment sur l’élaboration du TEI, Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, p. 155‑157.

4  Sur les travaux de Jean Boutan, CAEF, B-0057695/1. Comptes des entreprises, division statistiques et études des entreprises, tableau d’échanges inter industriels de l’année 1959, base 1959 : projet d’article pour un volume de méthodes (1962) ; problèmes de normalisation des comptabilités : note sur la comptabilisation de la recherche et du développement (1965) ; comptabilité d’entreprise et comptabilité nationale, réunions du groupe de travail dit groupe BOUTAN : comptes rendus des réunions (1966).

5  Sur Charles Prou, A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 159‑165.

6  Jean-Jacques Carré, Paul Dubois, Edmond Malinvaud, La Croissance française : un essai d’analyse économique causale de l’après-guerre. Paris, Le Seuil, 1972, 710 p. 

7  Alain Desrosières (1940-2013), polytechnicien (P 1960), ENSAE, administrateur de l’Insee, rédacteur en chef de la revue Économie et Statistique de 1973 à 1974. Historien et sociologue, il est un spécialiste de l’histoire de la statistique.

8  Les notes biographiques et les références bibliographiques ont été établies par l’éditeur.

9  Pierre Massé, Le choix des investissements, Paris, Dunod, deuxième édition, 1964 ; Le Plan ou l’anti-hasard, Paris, Gallimard, 1965.

10  Charles Prou (1919-1991), économiste, artisan de la comptabilité nationale au SEEF et fondateur du CEPE.

11  Marcel Boiteux, « La tarification des demandes en pointe : application de la théorie de la vente au coût marginal », Revue générale de l’électricité, n° 40, août 1949, p. 321 ; « Sur la gestion des monopoles astreints à l’équilibre budgétaire », Econometrica, n° 40, p. 22‑40, 1956.

12  Claude Abraham, polytechnicien (P 1951, Ponts et Chaussées). Il est l’auteur avec Jacques Thédié de l’article, « Le prix d’une vie humaine dans les décisions économiques », Revue française de recherche opérationnelle, n° 16, 1960.

13  Jean-Pierre Dupuy, né en 1941, polytechnicien (P 1960), ingénieur des Mines, auteur avec Hubert Lévy-Lambert, Les Choix économiques dans l’entreprise et dans l’administration, Paris, Dunod, 1973.

14  Bernard Brunhes (1940-2011), polytechnicien (P 1958), ENSAE (1963), administrateur puis chef de cabinet du directeur général à l’Insee (1963‑1973).

15  Claude Gruson (1910-2000), polytechnicien (P 1929, corps des Mines), inspecteur des Finances (1936), fondateur en 1948 du SEEF à la direction du Trésor, directeur général de l’INSEE de 1961 à 1967, auteur de l’ouvrage Origine et espoir de la planification française, Paris, Dunod, 1968.

16  Hubert Lévy-Lambert, né en 1935, polytechnicien (P 1956, corps des Mines), chef de division puis sous-directeur à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie à Paris (1966-1972). Dans le même temps, il est professeur d’économie appliquée au CEPE et à l’ENSAE (1962-1970). Il est l’auteur avec Jean-Pierre Dupuy de l’ouvrage publié chez Dunod en 1973, Les choix économiques dans l’entreprise et dans l’administration et en 1975 de La rationalisation des choix budgétaires, Paris, Presses universitaires de France, 1975.

17  Bernard Vignier est chargé de mission à la direction de la Prévision de 1965 à 1969. Il part en 1969 au ministère de la Santé puis en 1970, va créer au ministère de l’Éducation nationale, avec Jacques Attali, le service des Études.

18  Né en 1936, ancien élève de l’ENA (1959) et inspecteur des Finances (1961), Yann Gaillard entre au cabinet d’Edgar Faure, ministre de l’Agriculture. En 1968, il est son directeur adjoint de cabinet au ministère de l’Éducation nationale. De 1969 à 1972, il est le directeur de cabinet de Robert Boulin, ministre de la Santé et de la Sécurité sociale. Il rejoint ensuite Edgar Faure comme directeur de son cabinet au ministère des Affaires sociales (1972‑1973).

19  Guy Thuillier, né en 1932, ancien élève de l’ENA (P 1961), est membre de la Cour des comptes. Il est conseiller technique dans plusieurs cabinets ministériels, notamment auprès d’Edgar Faure au ministère de l’Éducation nationale (juillet 1968-juin 1969), au ministère d’État, chargé des Affaires sociales (juillet 1972-avril 1973) et auprès de Robert Boulin, au ministère de la Santé publique et de la Sécurité sociale (juin 1969-juillet 1972).

20  François Bloch-Lainé, « Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées », Rapport au Premier ministre, 1969.

21  Émile Papiernik-Berkhauer (1936-2009) effectue de brillantes études de médecine à Paris. Il se prépare d’abord à l’oncologie, comme interne à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif. Major de l’internat, il opte pour la gynécologie-obstétrique à l’hôpital Cochin-Port Royal (1966). Il devient en 1972, à 36 ans, chef de service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart.

22  Alexandre Minkowski (1915-2004), pédiatre et l’un des fondateurs de la néonatalogie française.

23  Gilbert Huault (1932-2013) est un pédiatre fondateur de la réanimation pédiatrique. En 1963, alors qu’il est interne à l’hôpital Saint-Vincent de Paul dans le service du professeur Stéphane Tieffry, il fait bénéficier un nouveau-né des techniques de réanimation jusque-là réservées aux adultes. Il est le pionnier de la ventilation artificielle du nouveau-né. Voir ses mémoires, Anesthésie, Analgésie, Réanimation, Samu Notre histoire de 1945 aux années 2000, t. 3 Réanimation. Éditions Glyphe, 2016, p. 223‑234.

24  Jean-Pierre Fréjaville (1935-2019), médecin toxicologue.

25  Bernard Walliser, né en 1944, X‑Ponts (P 1967), ingénieur-économiste, chargé de mission puis conseiller scientifique à la direction de la Prévision au ministère de l’Économie et des Finances (1970-1982), auteur de Systèmes et modèles. Introduction critique à l’analyse de systèmes, Paris, Le Seuil, 1977.

26  Denis Meuret, né en 1946, HEC 1969, futur spécialiste de l’évaluation des établissements d’enseignement secondaire.

27  Serge Lébovici (1915-2000), médecin psychiatre et psychanalyste, introducteur et spécialiste de la psychiatrie du nourrisson et de l’enfant.

28  Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, 2002.

29  Pierre Denoix (1912-1990), résistant, chirurgien des hôpitaux de Paris en 1948 et cancérologue français. Il a été le directeur de l’hôpital Gustave Roussy de 1956 à 1982 et en a commandé le bâtiment principal en 1964. Professeur de clinique carcinologique à la faculté de médecine de Paris, président de l’Union internationale contre le cancer de 1973 à 1978, il a également été directeur général de la Santé de 1974 à 1978.

30  Gene H. Fisher, économiste du PPBS, cf. « The Role of Cost-Utility Analysis in Program Budgeting », in David Novik (eds.) Program Budgeting, Program analysis and the federal budget, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1965.

31  Alain Enthoven, économiste, secrétaire adjoint à la Défense de 1961 à 1965, secrétaire adjoint de la Défense pour l’analyse des systèmes 1965‑1969.

32  « Le coût est un bénéfice disparu ».

33  Ce mot si usité chez les Anglo-Saxons m’amusait : « approprié, inapproprié » à quoi ? Mais son usage avait l’avantage de ne blesser personne.

34  François Fourquet, Les Comptes de la Puissance, Paris, Éditions Recherches Encres, 1980, p. 305.

35  Jacques Guillot (1924-2010), ENA 1956-1958, administrateur civil au ministère de la Santé publique et de la Population puis au ministère des Affaires sociales (1959-67) ; sous-directeur du personnel médical au service des établissements de ce ministère (1967-1970), sous-directeur des professions de santé au ministère de la Santé publique et de la Sécurité sociale (en 1970), directeur général de l’administration de l’Assistance publique de Marseille (1972-1976), directeur des hôpitaux au ministère de la Santé (1976-1980).

36  Mme Veil a cependant proposé ma candidature comme inspecteur des Finances au tour extérieur, ce dont je la remercie.

37  Un terme qui nous convenait à Michel Ternier et à moi.

38  Jean Choussat (1934-1999), ENA (1961-1963), inspecteur des Finances (1963), chargé de mission à la direction du Budget, directeur général de la Santé en 1980, directeur du Budget en 1981 au MEF.

39  C’est encore le cas aujourd’hui : seule la « mortalité infantile » est publiée.

40  Jacques Roux (1923-2005), médecin hospitalier, chef du service de microbiologie au CHU de Montpellier en 1963, parallèlement à ses activités au sein de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Membre du PCF, il entre en juin 1981 au cabinet du nouveau ministre de la santé du second gouvernement Mauroy, Jack Ralite le nomme, quelques mois plus tard en novembre, à la tête de la direction générale de la Santé, jusqu’en 1985.

41  Comme par exemple en cancérologie, « la survie à cinq ans » qu’utilisaient les épidémiologistes.

42  Voir, par exemple, la « méthode des effets » de Marc Chervel dans Mondialisation des Marchandises et Marchandisation du Monde, Paris, Publisud, 2008.

43  Louis René, né en 1917, a été président de l’ordre des médecins de 1987 à 1992.

44  Jean-François Girard, né en 1944, praticien hospitalier et néphrologue, directeur général de la Santé (1986-1997), délégué interministériel à la lutte contre le Sida (1994‑1997).

45  Un grand merci à Guy Berger pour cette posture administrative, savoir-faire d’énarque. S’il m’avait nommée – en me valorisant – « chargée de mission », le CEPE-Santé aurait pu s’effondrer lors d’un changement de majorité politique, voire de ministre.

46  Guy Berger, né en 1937, ancien élève de l’ENA (1963-1965), membre de la Cour des comptes, est directeur de cabinet de Michèle Barsach, ministre chargée de la Santé et de la Famille entre 1986 et 1988.

47  Tarification hospitalière de l’époque.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.