Rebonds et développements de la RCB 1969‑1978
p. 101-143
Texte intégral
La RCB au cœur de la « nouvelle administration » chabanienne
Le discours de « la nouvelle société » et la RCB
1Alors que la RCB est redevenue depuis un an l’affaire discrète des technocrates, avec la nomination de Jacques Chaban-Delmas à Matignon, la réforme administrative s’invite au beau milieu de l’arène politique et met aux prises les plus hautes instances de l’État pompidolien. Le 16 septembre 1969, au cœur de sa déclaration de politique générale, plus connue sous le nom de discours de la Nouvelle Société1, Jacques Chaban-Delmas cite explicitement la RCB. Reprenant le diagnostic croziérien posé par le Club Jean Moulin dans Pour nationaliser l’État sur « un État tentaculaire et inefficace », réclamant plus de décentralisation, de responsabilité et d’autonomie pour les collectivités locales, les entreprises publiques et les universités, le Premier ministre met au centre de son discours la critique du fonctionnement de l’État centralisateur et la nécessité de sa réforme. Mettant en cause la croissance immaîtrisée du budget « qu’on ne peut plus modifier que par addition »2, il propose le réexamen approfondi des missions de l’administration et l’application systématique des « méthodes modernes de RCB » à l’ensemble de l’administration. La critique, qui vise très clairement les « services votés », n’est pas nouvelle dans la bouche du Premier ministre. Lors de son discours d’investiture le 26 juin 1969, quelques mois auparavant, Chaban avait déjà pris l’engagement de « réduire considérablement la part, combien écrasante, des services votés dans les autorisations de dépenses de la loi de finances », afin d’« étendre à la fois la marge d’action du gouvernement et la portée du contrôle parlementaire sur cette action »3. Reprenant à son compte les projets de Michel Debré, il assigne au ministère des Finances un objectif précis : la présentation au Parlement dans un délai de deux ans d’un budget fonctionnel4. Il réclame également dans les trois mois un plan de réorganisation des administrations centrales par suppression des doubles emplois et des missions inutiles. Enfin, il réaffirme la doctrine gaullo-debréienne selon laquelle la progression des dépenses budgétaires doit être contenue à un taux inférieur à celui de la croissance de la production nationale5. À cet égard, il y a une réelle continuité et communauté de vues entre Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre et ses collègues ministres des Finances ou du Budget des années 1960, Valéry Giscard d’Estaing, Robert Boulin et Michel Debré. Le discours de la Nouvelle Société n’est donc pas, en termes de finances publiques, une rupture, il est même une magnifique synthèse des efforts réalisés par le ministère des Finances depuis 1962, et il englobe désormais les différentes facettes de la RCB telles qu’elles sont successivement apparues depuis 1965 (études analytiques, rationalisation administrative et suppression des doublons, révision des services votés, réforme de la procédure budgétaire, modernisation de la gestion publique)6. En revanche, de façon significative, alors que l’heure est aux économies budgétaires7, le volet dominant n’est plus celui de la mesure de la rentabilité des grands investissements publics, mais le volet budgétaire et gestionnaire. Dans la nouvelle configuration, les études analytiques sur les investissements ou sur l’évaluation des actions publiques sont mises au service de la maîtrise de la dépense publique et intégrées dans la procédure de préparation et de discussion budgétaire8. La direction du Budget semble avoir pris la main ; mieux encore, son point de vue est désormais endossé par Matignon et propulsé au plus haut sommet de l’État.
2À cet instant, beaucoup de questions surgissent. Quelle a été la réaction de Valéry Giscard d’Estaing qui, alors qu’il vient à peine de retrouver son ministère favori après plus de trois années d’exil, assiste à un empiètement caractérisé de la part du Premier ministre sur une de ses attributions, la réforme budgétaire, et voit préempté un programme de rénovation de la gestion publique inventé par les grandes directions de son propre ministère ? Qui a soufflé au Premier ministre de parler dans son discours de politique générale de la RCB et du budget fonctionnel ? Qui a inscrit dans le discours la révision des services votés, la réforme des services administratifs et la suppression des doubles emplois, formulations qui sonnent à la fois très boulino-debréiennes et très Comité d’enquête sur les coûts et rendements des services publics des origines9 ? Qui s’est fait le passeur de la RCB, du ministère des Finances à Matignon ?
3On sait que Simon Nora est l’un des inspirateurs et des rédacteurs du discours de la Nouvelle Société. Ancien mentor à la direction du Trésor10, au cabinet de Pierre Mendès France et au SEEF de Jean Saint-Geours, ancien directeur de la Prévision et inventeur de la RCB, Simon Nora retrouve ce dernier dans les groupes de travail réformistes du Club Jean Moulin. Il y côtoie également Michel Crozier, membre du Groupe central RCB, Jean Ripert directeur de l’INSEE et beau-frère de Philippe Huet, responsable de la Mission RCB dont une seule année de promotion le sépare à l’Inspection. Premier commanditaire d’une étude de calcul économique au SEEF pour la CECA en 1962-1963, président du Comité interministériel de réforme des entreprises publiques, auteur du rapport éponyme sur la rénovation de la gestion des entreprises nationales publié en en 1968, Simon Nora a été associé à l’écriture de l’essai du Club Jean Moulin, Pour nationaliser l’État, en 1968. Dans cet ouvrage, le chapitre concernant la réforme du ministère de l’Économie et des Finances propose le transfert aux services du Premier ministre des directions du Budget et de la Prévision, mesure maintes fois proposées depuis la fin des années 1950, notamment par François Bloch-Lainé11. Il suggère également une réforme de la procédure budgétaire et un budget prévisionnel pluriannuel établi sur une base fonctionnelle « qui devrait matérialiser les engagements que l’État prend dans le cadre du cheminement proposé par le Plan » (p. 60). Enfin, il conclut sur la nécessité d’améliorer la préparation des décisions, en exploitant les « possibilités offertes par les machines électroniques, la subordination des choix à des études envisagées sous un angle essentiellement économique (par la prise en compte notamment du critère de l’avantage collectif) et la tenue d’un tableau de bord confrontant périodiquement prévisions et résultats » (p. 64). Lors des travaux préparatoires du discours, très bien documentés dans les archives conservées à Science Po, on voit comment Simon Nora imprime sa marque au discours de politique générale du Premier ministre et en fixe les grandes lignes, aux accents en partie croziériens : « dégraisser et remuscler l’État », responsabilisation des acteurs, allègement des contrôles et décentralisation, réorganisation de l’appareil gouvernemental, rigueur budgétaire, efficience et efficacité de l’État
La RCB selon Simon Nora et Yves Cannac
4Les archives Nora déposées au Centre des archives d’histoire contemporaine de Science Po12 conservent de manière très complète les différents plans, brouillons et contributions des différents conseillers du cabinet Chaban-Delmas au discours dit de la Nouvelle Société (SN 14 et SN 25)13. Comme on le sait, les développements consacrés aux questions sociales sont principalement de la main de Jacques Delors. Les archives du dossier de préparation du discours montrent qu’Yves Cannac14 est le grand rédacteur de la première partie sur « le diagnostic » ainsi que de la seconde partie sur « les voies du changement », et plus particulièrement les paragraphes consacrés à la réforme de l’État, des administrations, des entreprises publiques et du budget15. C’est également lui qui sous le contrôle de Simon Nora a préparé la note du 13 septembre 1969 à la signature du Premier ministre à destination du Président de la République Georges Pompidou, présentant à ce dernier sous une forme résumée les principaux points du « Plan de redressement à moyen terme » tels qu’ils allaient être détaillés dans le discours de politique générale du 16 septembre16. La note annonce notamment le « renouvellement profond des méthodes, des structures, des mentalités », ainsi que les « trois objectifs majeurs qui constitueront l’armature du programme à moyen terme : une économie plus compétitive, une société ouverte et plus solidaire, un État plus efficace ». Sous ce titre, « un État plus efficace », l’auteur regroupe « l’allègement nécessaire des tâches de l’État, et en contrepartie le rétablissement de la responsabilité de ses divers partenaires (entreprises publiques, collectivités locales), l’amélioration des méthodes de gestion dans tous les domaines de l’activité publique et privée et le rajeunissement des cadres dirigeants qui en est l’une des conditions ».
5Les notes préparatoires et brouillons du discours du 16 septembre revêtent sous la plume d’Yves Cannac une tonalité libérale et managériale qui vient donner de la chair aux grandes lignes directrices données par Simon Nora17. Il dénonce ainsi « les mauvaises habitudes prises depuis des siècles : le protectionnisme, la confusion entre les interventions de l’État et l’initiative privée ; la lenteur avec laquelle on élague les branches mortes ou on allège “le poids du passé”, le “garantisme” et la recherche des situations protégées, l’habitude consistant à attendre tout de l’État et à s’accommoder de la faiblesse des partenaires sociaux (cf. la Suède), un certain laisser-aller source d’inefficacité dans le travail ». Dans un autre papier, il développe la thématique d’« un État à la fois omnipotent et impuissant. Omnipotent car par l’extension indéfinie de ses responsabilités il a peu à peu mis en tutelle la société française toute entière. Impuissant car ses modalités d’intervention ne leur permettent pas d’atteindre leur but ». Appelant de ses vœux « un État assoupli, décentralisé et désacralisé »18, il préconise de « rendre l’État plus efficient par une réforme profonde de son management et de ses principes d’intervention », de « distinguer nettement les domaines où son autorité directe doit s’exercer, ceux où il doit très largement déléguer ses pouvoirs suivant les règles du bon management, ceux où il doit décentraliser par la voie de la contractualisation complète des relations entre l’organisme décentralisé et lui-même, ceux où il doit décoloniser, c’est-à-dire pratiquement cesser d’intervenir »19. Dans un brouillon du discours en date du 11 septembre (p. 43), il développe, non sans lyrisme : « Quant à l’État, nous devons perdre l’habitude de voir en lui l’ultime recours, l’éternelle Providence à laquelle s’adressent à chaque instant nos prières. L’État ne doit pas se substituer au corps social dont il n’est qu’un rouage, certes important, mais finalement subordonné. Que faut-il attendre de lui ? À mon avis, ceci : l’État doit faire son métier et le faire bien, mais il doit s’en tenir là, et ne pas chercher à faire celui des autres. Or nous sommes loin du compte. C’est pourquoi si vous me permettez cette image irrespectueuse, ce qui importe aujourd’hui, c’est à la fois de “dégraisser” et de “muscler” l’État20. Ces deux impératifs vont de pair car c’est dans la mesure où nous saurons décharger l’État des tâches pour lesquelles il n’est pas indispensable qu’il pourra exercer efficacement les missions dans lesquelles il ne peut pas être remplacé. Ainsi ferons-nous de l’État ce qu’il doit être, un serviteur de la société et non son maître »21.
6C’est donc en définitive Yves Cannac qui semble avoir développé, sur les instructions de Simon Nora22, la thématique de la RCB et du « budget fonctionnel » dans le discours du Premier ministre23. Dans une autre note préparatoire intitulée « Un État plus efficace » (3 p.), au titre des moyens permettant d’« atteindre les objectifs au moindre coût » et de mettre en œuvre « une action cohérente dans une politique budgétaire rigoureuse », il liste successivement « le développement de l’effort en matière de RCB dans le budget 1970 ; un exemple d’une action concertée lancée dès maintenant ‒ la sécurité routière et la réduction du nombre des victimes d’accidents ‒ ; un budget permettant dans sa présentation de relier les programmes d’action des administrations aux moyens budgétaires demandés, de rendre compte des réalisations en cours et de rattacher le budget annuel à la programmation du Plan ; la réforme de la présentation du budget dans ce sens dès 1970 ; une expérimentation sur un ministère pour le budget de 1971 ; la généralisation de la réforme pour le budget de 1972 ». Prudent, Cannac prend la précaution d’inscrire la question de la réforme budgétaire dans la liste des points à examiner entre le Premier ministre et le ministre des Finances lors de leur rencontre à la veille du 16 septembre24. D’après les notes manuscrites prises par Simon Nora lors de cette entrevue, Valéry Giscard d’Estaing aurait acquiescé à la proposition d’élaborer un budget fonctionnel, proposé de « mettre la RCB en valeur » et accepté de « fournir un papier sur l’enveloppe du budget à moyen terme et par ministère » montrant « le coût unitaire des missions » ministérielles.
7Ainsi, après une année de relative apesanteur, la RCB se voit propulsée au cœur des préoccupations gouvernementales, politiques et budgétaires, portée par les ambitions réformistes du Premier ministre et de ses conseillers modernisateurs, enlevée à un ministère des Finances qui semble avoir été mis devant le fait accompli et qui n’a guère d’autre choix que de prendre le train en marche. C’est en quelque sorte la réplique inversée de la situation Debré-Pompidou, dans laquelle en 1966-1968, Michel Debré, ministre des Finances, avait investi le terrain de la réforme administrative, attribution traditionnelle du Premier ministre, et imposé le lancement de la RCB. En 1969, la RCB chabanienne, rhabillée de neuf par Simon Nora et Yves Cannac en réforme libérale, gestionnaire et girondine, triomphe à Matignon. Certes, la convergence de pensée gestionnaire est indéniable entre Matignon et Rivoli où Jean Sérisé cumule en 1969 et 1970 les deux postes de directeur de la Prévision et de directeur de cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances, mais il n’échappe à personne, et en tout cas pas aux entourages des deux hommes politiques25 que, le 16 septembre 1969, la RCB dans sa version budgétaire a glissé des mains techniciennes du ministre de l’Économie et des Finances où elle vivait d’une vie discrète et modeste pour gagner les mains politiques du Premier ministre. La RCB, devenue politique publique interministérielle de réforme de l’État, s’inscrit désormais dans un agenda gouvernemental et politique contraignant.
La compétition entre Matignon et Rivoli autour du contrôle de la RCB
La RCB selon Valéry Giscard d’Estaing
8À la suite du discours de Jacques Chaban-Delmas, la direction de la Prévision, la direction du Budget et la Mission Huet se mettent au travail pour faire le point sur l’avancement des travaux RCB26. On trouve ainsi dans les archives un certain nombre de brouillons de notes de bilan, coordonnées par le cabinet de Jacques Chirac, secrétaire d’État au Budget27, à destination du ministre des Finances, en vue de la constitution d’un dossier complet pour le cabinet du Premier ministre28. Philippe Huet, chef de la Mission RCB des Finances, prend une importance croissante et rédige une bonne partie des papiers sur la réforme administrative et l’utilisation des « techniques modernes de gestion » dont il est devenu depuis septembre 1968 le promoteur principal. L’ensemble du dossier semble avoir été finalisé en janvier 1970 et transmis à cette date aux deux principaux conseillers de Valéry Giscard d’Estaing, Jean Sérisé, directeur de cabinet du ministre, qui connait les développements de la RCB aux Finances depuis 1966, et Jacques Calvet, ancien sous-directeur au Budget, directeur de cabinet adjoint, nettement plus réservé sur le sujet29. Ce dossier semble n’avoir été envoyé au cabinet du Premier ministre qu’en mars 1970 dans le cadre de la préparation d’un Conseil interministériel sur la réforme administrative qui se tient le 17 mars 1970.
9Dans une note du 23 mars 1970, Valéry Giscard d’Estaing réaffirme la doctrine Finances en matière de RCB : priorité 1° aux opérations pilotes, 2° « aux opérations d’ensemble » consistant « à préparer au sein de services ou de directions voire de ministères, l’intégration réelle du processus de décision » et supposant « le développement coordonné d’une série d’actions se rattachant toutes à la conception, à l’exécution ou au contrôle du budget »30. Rappelant la nécessité d’un freinage des dépenses publiques, il privilégie l’application de la RCB dans des champs d’intervention prioritaires tels que les transports, les secteurs de pointe, le logement et l’urbanisation, les collectivités locales, les PTT, l’enseignement. Il redéfinit ensuite les principes méthodologiques de la RCB au niveau interministériel (pas de coercition hiérarchique, coordination attribuée aux Finances) et souligne la nécessaire articulation de la RCB avec le Plan. On voit très nettement que le cabinet du nouveau ministre des Finances souhaite reprendre la maîtrise du dossier RCB après les annonces du Premier ministre, tout en se répartissant les tâches avec Jacques Chirac, secrétaire d’État au Budget, qui assure la coordination administrative de l’opération. Les échanges entre les deux cabinets se poursuivent tout au long du printemps 1970. Ils aboutissent en juillet 1970 à la rédaction d’un programme interministériel de développement de la RCB, proposé et rédigé par le ministère des Finances, coordonné et animé par le tandem DB‑DP, à la formulation d’une sorte de charte des principes et à l’annonce de la prochaine création d’une Commission interministérielle de RCB sur le modèle de la commission des Comptes de la Nation31.
10Nous formulons ici l’hypothèse d’une forte concurrence politique entre septembre 1969 et janvier 1971, entre Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing, autour de la réforme budgétaire et plus largement de la réforme de l’État, cristallisée autour de la RCB, cette RCB que le Premier ministre vient d’endosser avec éclat et de hisser au rang de politique publique gouvernementale, alors que Valéry Giscard d’Estaing vient à peine de la recueillir des mains de son prédécesseur François-Xavier Ortoli. Il paraît difficile d’imaginer que le ministre de l’Économie et des Finances ait pu se désintéresser totalement d’un tel sujet, comme certains, témoins ou chercheurs, ont pu le dire ou l’écrire. Là encore, il faut prêter attention à la chronologie : 1970 n’est pas 1975. Plusieurs facteurs militent en faveur d’un préjugé favorable de la part de Valéry Giscard d’Estaing à l’égard de la RCB : la paternité historique que le ministre revendique à juste raison depuis 1965 sur la création de la direction de la Prévision et sur l’utilisation des techniques d’aide à la décision ; l’appétence du ministre pour les questions budgétaires et un intérêt ancien pour la réforme administrative32 ; la présence auprès de lui d’un des « porteurs » institutionnels de la RCB, Jean Sérisé, directeur de la Prévision ; son intérêt pour le « gouvernement rationnel et scientifique » et sans doute, l’inspiration libérale de la RCB dernière manière, avec ses emprunts aux techniques de gestion et au management des entreprises33.
11Plusieurs indices viennent conforter l’idée que Valéry Giscard d’Estaing souhaite se réapproprier la RCB et ne pas laisser la main à Matignon : sa vigilance lors de l’entrevue du 14 septembre où il approuve les suggestions relevant de ses attributions et les reprend à son compte ; la consigne donnée à la direction du Budget de ne pas mentionner dans les réponses officielles sur la RCB le discours du 16 septembre 1969 ou les engagements gouvernementaux ; le fait que la plupart des communications officielles qu’il prononce sur la RCB font remonter la généalogie de la RCB aux études du RER et du Concorde à son époque et que la présentation du bilan de la RCB est toujours faite du point de vue du ministère des Finances34. L’un des points d’orgue de cette (ré)appropriation semble être l’allocution d’ouverture qu’il prononce à Royaumont, lors du deuxième séminaire des directeurs organisé par la Prévision et le Budget, le 20 novembre 1969. Dans son discours, Valéry Giscard d’Estaing présente la RCB selon un schéma assez personnel : à travers la RCB, il espère que le ministère des Finances pourra mieux connaître, mesurer et contrôler « l’emploi qualitatif » de la ressource et « l’utilisation fine » de cette ressource (p. 1‑2) ; ensuite, il assigne à la RCB l’objectif d’accroître les gains de productivité dans l’administration ‒ car « il est évident que l’accroissement de l’efficacité nationale exige l’accroissement de l’efficacité de cette part essentielle de l’outil national qu’est l’administration » (p. 4) ‒ et « de repenser les conditions de la gestion » (p. 4) ; enfin, il assigne un troisième objectif à la RCB : « transformer les modes de présentation et de discussion du budget ». Sans nommer une seule fois le Premier ministre, il se prononce en faveur de la réforme de la procédure budgétaire et des budgets de programme (p. 5‑6). Il en appelle à une collaboration de tous, à « une œuvre collective et volontaire » et à « un climat de coopération » entre les ministères, la Rue de Rivoli et le Plan (p. 6‑7). Enfin, c’est dans cette allocution fondatrice que les trois volets de la RCB se fixent officiellement et publiquement dans la bouche du ministre des Finances, et ne bougeront plus, y compris lors de la création de la Commission interministérielle de 1971 qui les entérinera à l’échelle gouvernementale : 1° les études analytiques ; 2° les budgets de programme et la réforme de la procédure budgétaire ; 3° l’introduction des méthodes modernes de gestion.
12Certes, le ministre lit ce qui lui a été préparé par la direction de la Prévision, le Budget, Philippe Huet ou son directeur de cabinet, mais on y trouve également sa patte personnelle, notamment le désir d’un processus décisionnel apaisé, décrispé et rationalisé. Il conclut ainsi oralement son allocution : « la décision dans le monde moderne est une œuvre qui résulte en fait d’une approche de réflexions modérées et collectives, et non pas d’un affrontement polémique ou dialectique dans laquelle chacun détiendrait une vérité particulière qu’il devrait s’efforcer de transmettre ou le cas échéant d’imposer aux autres »35. Il existe donc une seconde version giscardienne de la RCB, budgétaire, gestionnaire et managériale, qui converge en grande partie avec celle de Jacques Chaban-Delmas, ou plus exactement avec celle de Simon Nora et Yves Cannac ; ce dernier rejoindra d’ailleurs en 1973 le cabinet de Valéry Giscard d’Estaing en tant que directeur adjoint de cabinet. Enfin, les logiques de fonction ont leur dynamique propre : même si l’on peut estimer que Valéry Giscard d’Estaing n’était pas convaincu des bienfaits de la RCB en matière de réforme administrative au même degré que son prédécesseur Michel Debré, il lui est difficile, en tant que ministre des Finances, d’ignorer l’injonction du Premier ministre et il lui est encore plus difficile de laisser politiquement ce territoire aux mains du Premier ministre, alors même que ses propres troupes sont à l’origine de cette innovation budgétaire et gestionnaire. En 1970-1971, le ministre des Finances ne peut donc que soutenir et même revendiquer la conduite du lancement interministériel de la RCB.
La création de la Commission interministérielle de RCB 1970‑1971
13Est-ce cette compétition entre le Premier ministre et le ministre des Finances qui explique la lenteur avec laquelle progresse le dossier dans les arcanes interministériels ? Entre janvier 1970, date à laquelle le Premier ministre annonce un comité interministériel sur la réforme administrative et janvier 1971, date de l’installation de la Commission interministérielle de RCB, une année s’est écoulée, soit seize mois depuis le discours du 16 septembre 1969. Les délais de transmission des dossiers RCB s’allongent sans cesse entre les deux cabinets. Ce processus décisionnel, lent, opaque et difficultueux, contraste avec le lancement « à grande vitesse » de la RCB par Michel Debré entre janvier et mai 1968.
14À partir d’avril 1970, les deux directions planchent sur le programme des opérations RCB, sur leur coordination, ainsi que sur la composition de la future Commission interministérielle. Plusieurs brouillons de décret sont rédigés par la Prévision et le Budget, revus par Philippe Huet chef de la Mission RCB ; finalement, le principe d’une Commission interministérielle de rationalisation des choix budgétaires est adopté par le décret n° 70-1092 du 25 mai 1970. Le lancement en juin 1970 du Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires36, conçu par la direction de la Prévision à partir de février 1970, vient manifester l’engagement du ministère des Finances et permet de faire attendre la composition et l’installation officielle de la Commission interministérielle qui semblent faire long feu…
15Le Bulletin interministériel pour la RCB se donne à voir comme l’organe de propagande et la vitrine du mouvement RCB37. Sa création est financée par la direction du Budget, qui gère les crédits RCB. Cette dernière, soucieuse de faire les choses au moindre coût, est intervenue pour réduire le tirage prévu initialement à 5 000 exemplaires à 3 000 et pour revoir à la baisse le format du support, qui passe d’une revue à un bulletin. La parution est trimestrielle et chaque numéro comporte une soixantaine de pages. La direction éditoriale et le secrétariat de rédaction sont confiés à la sous-direction C de la direction de la Prévision. Le comité de rédaction est composé de douze hauts fonctionnaires provenant du Plan, de l’INSEE, d’Air France, des PTT, de l’Équipement, de l’Agriculture, de la Santé, de l’Industrie, du Budget et de la Prévision. Les trois dirigeants principaux de la sous-direction C y jouent un rôle éditorial décisif : Hubert Lévy-Lambert38, Patrick Bréaud39, Michel Ternier (X‑Ponts)40. Robert Galdin, ancien conseiller commercial à la DREE, représentant du Budget, suit étroitement la confection des numéros et en surveille le contenu pour le compte du directeur du Budget. Chaque numéro est divisé en trois parties : un responsable politique ou gestionnaire ministériel signe l’éditorial dans lequel il affiche son soutien à la RCB. Suivent des contributions thématiques relatant les expériences RCB en cours ou déjà réalisées, sur le mode « retour d’expérience », rédigées par des experts des cellules RCB des ministères techniques ou de la Prévision. Viennent enfin des rubriques plus méthodologiques et bibliographiques, souvent internationales, ainsi que des annonces concernant l’actualité de la RCB.
16Pendant l’été 1970, le dossier de l’installation de la Commission interministérielle de RCB stationne chez Jacques Calvet, nouveau directeur de cabinet du ministre des Finances41 ; il n’est transmis au Premier ministre qu’après la rencontre personnelle des deux directeurs de cabinet, Simon Nora et Jacques Calvet, le 28 octobre 1970. La compétition entre Matignon et Rivoli atteint son point d’acmé lors du Conseil des Ministres du 4 novembre 1970, où le Premier ministre et le ministre des Finances ont tous deux prévu de faire une communication sur la RCB et sur la Commission interministérielle de RCB. Nous disposons des deux textes42. Le ministre des Finances fera finalement sa communication en conseil des Ministres le 13 novembre 1970.
17Dans le premier texte, écrit par Simon Nora, et sans doute par Yves Cannac, on retrouve les grands thèmes du discours de la Nouvelle Société sur l’État, mais avec une insistance accrue sur les méthodes de gestion et l’introduction du « management » dans l’administration : la nécessité d’une meilleure préparation des choix et la redéfinition du rôle de l’État ; la concertation et la politique contractuelle ; l’amélioration de la gestion des services publics en créant un « management des administrations » et en promouvant de nouvelles méthodes de gestion ; la restauration de la responsabilité en instaurant un contrôle des résultats a posteriori ; l’instauration de budgets de programme pour transformer « une administration dépensière » en « une administration réalisatrice » ; l’expérimentation de « la gestion par objectifs et le contrôle de gestion » ; et l’articulation de la RCB avec le Plan et le Budget grâce à l’invention d’un nouvel outil de gestion pluriannuel, les « programmes finalisés »43.
18Le texte écrit pour Valéry Giscard d’Estaing, rédigé par Robert Galdin (Budget), Patrick Bréaud (Prévision) et Jacques Baudrier (administrateur des Impôts, conseiller technique au cabinet Finances), visé par Jean Sérisé et Jacques Calvet, est moins flamboyant, plus concis et plus synthétique, mais non moins ferme. Après avoir refait l’historique de la RCB depuis les origines (la création de la DP), il fixe l’objectif principal assigné à la Commission interministérielle de la RCB (CIRCB) : entrer dans la phase de réalisation et d’élargissement de la RCB à toutes les administrations. La compétition entre Matignon et Rivoli s’achève par le décret du 25 novembre 1970 portant création d’une Commission interministérielle de rationalisation des choix budgétaires, rédigé dans sa version finale au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, approuvé sans corrections par le cabinet du Premier ministre44. La Commission interministérielle de RCB, à caractère consultatif, « a pour objet de suivre en recherchant leur harmonisation le déroulement des travaux entrepris dans les différentes administrations au titre de la RCB et de proposer au gouvernement la mise en place des procédures assurant un contrôle périodique des résultats des actions engagées à la suite de ces travaux ». La Commission est placée sous la présidence du ministre des Finances, qui est seul chargé de l’application du décret45 ; le rôle d’animation et d’harmonisation des méthodes RCB est également confié au ministère de l’Économie et des Finances. La RCB, après un court intermède Matignon de deux ans, revient à la maison-mère.
19La composition de la Commission, ultime enjeu de pouvoir entre Rivoli et Matignon, composée d’une quarantaine de membres, donne lieu à quelques allers-retours, entre les bureaux du Budget et de la Prévision et le cabinet du Ministre46. La représentation est élargie à l’ensemble des départements ministériels et une dizaine de personnalités extérieures à l’administration, « reconnues », sont nommées à titre personnel. En remplacement de Jacques Houssiaux tragiquement disparu en 1970, trois nouveaux universitaires apparaissent : les professeurs André Babeau de l’université de Nanterre47, Jean-Daniel Reynaud du CNAM48 et Robert Le Duff de l’université de Caen49. Michel Crozier, directeur du Centre de sociologie des organisations (CSO)50, est reconduit ainsi que, du côté des entreprises publiques, l’incontournable Marcel Boiteux pour EDF. Jean Carteron de la SEMA disparaît51, tandis qu’arrivent des représentants de l’entreprise, mutualiste ou privée : Théo Braun pour le Crédit mutuel, Roger Fauroux, inspecteur des Finances, directeur général adjoint de la Compagnie Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Jean-Claude Achille, X‑Mines, directeur général de Rhône-Poulenc, ainsi que Jean-Paul Chenevier, X‑Mines, PDG de British Petroleum-France, président du Centre de recherches des chefs d’entreprise, rebaptisé Institut de l’Entreprise en 1975, en charge des problèmes de formation et de recherche et président de l’ESSEC. Un article du décret du 25 novembre 1970 prévoit la possibilité d’inviter des parlementaires ou des syndicalistes, mais aucun d’eux n’est membre de droit…
20Le secrétariat de la Commission est assuré conjointement par Michel Ternier, X‑Ponts, chef de division de la sous-direction RCB, principal animateur de l’opération Sécurité routière (auquel succèdera Jacques Bravo en 197152), et par Robert Galdin, chef de la cellule RCB de la direction du Budget. La Commission doit se réunir deux fois par an, ce qu’elle fera jusqu’en 1973. La RCB, qui jusqu’alors ne connaissait que des versions ministérielles juxtaposées (Défense, Équipement, Santé), entre dans sa phase interministérielle.
21Aussitôt après le Conseil des Ministres, le tandem DB-DP s’absorbe dans la préparation de la première Commission interministérielle. La RCB a définitivement glissé des mains du Premier ministre vers les mains du ministre des Finances. L’allocution de Valéry Giscard d’Estaing en ouverture de la séance d’installation de la Commission interministérielle de la RCB (CIRCB) du 18 janvier 1971 atteste de cette réappropriation technique, budgétaire et gestionnaire53. Proche de celle faite lors du séminaire des directeurs à Royaumont, bien que moins personnelle, elle insiste particulièrement, contre les tendances centrifuges, sur l’harmonisation des méthodes et des procédures (« pour que la RCB ne devienne pas une Tour de Babel ») et sur « le réalisme financier » qu’il convient d’exiger pour les études analytiques. La pression de la direction du Budget est perceptible… Les ministres « dépensiers » acquiescent avec bonne volonté au programme de travail, d’autant plus que les études sont financées avec libéralité par la direction du Budget. Les ministres se montrent d’autant plus bienveillants que certains d’entre eux peuvent se targuer d’avoir été à l’origine de la RCB ou de l’avoir développée de façon autonome, grâce à leurs ressources d’ingénierie internes : Michel Debré désormais ministre de la Défense, François-Xavier Ortoli autrefois à l’Équipement et au Logement, maintenant à la tête du Développement industriel, Albin Chalandon avant juillet 1968 à l’Industrie et maintenant à l’Équipement pour plus de quatre années54, Robert Galley ancien délégué à l’Informatique en 1967-1968, désormais ministre des PTT55. Signe de la bonne volonté des ministères techniques, plus de 85 études RCB sont lancées en 1970‑1971.
22Dans les mois qui suivent, la Commission interministérielle de RCB, organe de propagation de la foi « rcbiste » à l’échelle des ministères, constitue un moyen très efficace d’information pour les deux chevilles-ouvrières coordonnatrices (la Prévision et le Budget), qui, avant sa création, étaient souvent laissées en-dehors de ce qui s’expérimentait plus ou moins confidentiellement au sein des ministères techniques. Cette Commission est donc pour le ministère des Finances un formidable instrument d’information, de recentralisation, de standardisation, de contrôle et d’harmonisation méthodologiques face à la multiplication des expériences de gestion menées par les ministères techniques. On comprend mieux pourquoi le cabinet de Valéry Giscard d’Estaing ne pouvait concevoir que la présidence et le secrétariat de la CIRCB échappassent à la Rue de Rivoli.
Un Parlement latéralisé 1970‑1971
23Le retour du dossier RCB aux Finances à partir de 1970 se double d’un retour sur la scène du secrétaire d’État au Budget, Jacques Chirac, qui se voit sommé d’apporter sa contribution au développement de la RCB. En effet, l’annonce de la réforme de la présentation budgétaire et de l’adoption d’un budget fonctionnel n’a pas fait réagir seulement le ministre de l’Économie et des Finances, mais aussi le Parlement, dont les pouvoirs ont été sévèrement rabotés par l’ordonnance budgétaire de 1959 et qui veille jalousement sur les reliquats de pouvoir budgétaire qui lui ont été laissés. Le réveil du Parlement, laissé depuis 1966 délibérément et avec une remarquable unanimité technocratique dans l’ignorance de la RCB par Michel Debré, François-Xavier Ortoli et Valéry Giscard d’Estaing, prend la forme d’amendements vengeurs successifs contre la RCB (Pierre Sudreau en avril 1969, Guy Sabatier - Sébastien Chauvet en octobre 1969) et de questionnaires écrits suspicieux adressés par les Commissions financières de l’Assemblée nationale et du Sénat à la direction du Budget en 1969, en 1970 et en 197156.
24Ce réveil parlementaire entraîne la remobilisation de Jacques Chirac, secrétaire d’État au Budget, qui interpellé sur la RCB à l’automne 1969 lors du vote du budget 197057, puis en décembre 1970 pour le PLF 1971, se voit obligé de défendre et d’endosser publiquement la RCB. L’argumentaire défendu par Jacques Chirac est celui fourni par la Prévision et le Budget et le secrétaire d’État ne s’en écarte guère. Il promet en conclusion, ce qui ne mange pas de pain, de tenir le Parlement informé des développements RCB. L’une des traces de ces passes d’armes parlementaires se lit notamment dans l’inclusion d’un article du décret du 25 novembre 1970 sur la CIRCB autorisant les parlementaires à participer aux travaux de la Commission. En dépit de ces efforts d’ouverture – qui restent il faut bien le dire des vœux pieux58 –, Philippe Rivain, rapporteur général de la Commission des Finances de l’Assemblée, devient le porte-parole de l’opposition parlementaire à la RCB, opposition tout à la fois politique et financière. Selon P. Rivain59, la RCB, d’essence technocratique, renforce encore le pouvoir exécutif et tient à l’écart le Parlement. Deuxièmement, contrairement à ce qu’elle affiche, la RCB ne permet pas de faire une quelconque économie budgétaire60. Pire encore, elle contribue au recrutement de contractuels et à la croissance non maîtrisée des services d’études, au ministère des Finances comme dans les ministères dépensiers, et ce, alors même que les études n’ont aucunement fait la preuve de leur utilité, ni pour la réduction des dépenses publiques ni pour la révision des services votés ni pour la rationalisation des investissements ni même pour l’aide aux décideurs. La légende noire de la RCB, utopie technocratique, gadget gestionnaire et usine à gaz dépensière, trouve ainsi pour une bonne part ses origines au Parlement61.
La RCB et la naissance d’un management public
25Avec l’installation en janvier 1971 de la Commission interministérielle de RCB (CIRCB)62, une nouvelle phase de l’histoire de la RCB s’ouvre… Devenue une politique de réforme de la gestion des finances publiques dirigée et animée par le ministre des Finances, placée sous la surveillance étroite du Premier ministre63, elle a perdu en flamboyance mais elle s’arrime à un dispositif interministériel qui lui permet de s’inscrire dans la durée, à défaut de s’inscrire dans le droit64. Elle s’organise autour d’un triptyque définitivement stabilisé, constitué 1° des études analytiques, 2° des budgets de programme et 3° des « techniques modernes de gestion », qui vise à rénover le pilotage de l’État et de l’action publique par la gestion. Sa démarche se déploie en quatre temps principaux : la définition des objectifs de l’action publique ; la confrontation des objectifs aux moyens afin de définir des programmes pluriannuels destinés à réaliser ces objectifs ; la traduction en termes budgétaires des choix opérés avec la construction d’indicateurs de gestion et de production destinés à suivre la réalisation et ses coûts ; la mise en place de contrôles a posteriori, comptable, de gestion, d’efficience et d’efficacité. Signe de l’évolution des temps, la RCB n’est plus conçue comme une menace ou une concurrence pour le Plan, mais à la fois comme une articulation rationalisée entre Budget et Plan et comme une rénovation de la planification. L’invention des programmes finalisés du Plan en est l’une des manifestations, ainsi que la revitalisation, à l’initiative du ministère des Finances, des groupes Finances-Plan65.
26Pour déployer les trois volets de la RCB, la répartition des tâches est relativement claire : à la direction de la Prévision, les études coûts-avantages, à la direction du Budget le budget de programme, mais en l’absence d’une délégation à la modernisation de l’État ou d’un service spécifique rattaché au Premier ministre, c’est un organe à l’apparence modeste qui va endosser progressivement la mission de diffuser les « techniques modernes de gestion » : la Mission RCB des Finances, familièrement appelée Mission Huet.
La Mission RCB et la promotion d’un management public dans l’administration française
27La Mission RCB aux Finances dont le principe a été retenu dès avant Mai 68 a reçu de la part de Michel Debré un périmètre restreint, limité au MEF, mais son chef, Philippe Huet66, ne s’est pas cantonné à la seule réforme du ministère des Finances, car dès septembre 1968, il a acquis la conviction que le succès de la RCB supposait une véritable conversion des mentalités administratives, un profond changement dans la conduite des hommes et dans la gestion des services. Penser en termes de programmes et d’objectifs et non plus en termes de moyens, substituer des contrôles a posteriori aux contrôles a priori, construire une comptabilité analytique et patrimoniale, déconcentrer les responsabilités, tout cela exige d’agir sur les esprits et d’inculquer des nouvelles manières de faire et de dire. Philippe Huet se transforme en propagandiste des « techniques modernes de gestion » (TMG).
28Utilisant sa position au sein du Groupe central de RCB dont il est membre au même titre que le directeur de la Prévision ou celui du Budget, il étend progressivement son périmètre d’action en direction des ministères sectoriels. Dès la fin de l’année 1968, il s’associe à la direction de la Prévision, à la direction du Budget et à la direction du Personnel et des services généraux pour concevoir et animer les sessions et les stages RCB destinés au « recyclage » des cadres administratifs de l’administration française67. Au sein du ministère des Finances, en tant qu’ancien directeur général du Commerce intérieur et des Prix (DGCIP), c’est lui qui se charge de solliciter les directeurs de la Maison pour qu’ils autorisent leurs administrateurs à s’inscrire aux sessions de formation et c’est lui qui insiste pour que soient organisés des séminaires RCB dédiés aux directeurs des autres ministères. Dans ce dernier cas, même si la lettre d’invitation officielle est toujours sous double timbre Prévision-Budget, c’est lui qui invite personnellement ses pairs aux séminaires « Encadrement » et qui prend les contacts avec les intervenants extérieurs de premier plan (Marcel Boiteux ou Marcel Demonque, patron des Ciments Lafarge).
29Huet ne se contente pas d’ouvrir son carnet d’adresses et de décrocher son téléphone, il est lui-même présent dans les nombreuses sessions RCB destinées aux cadres supérieurs des administrations centrales parisiennes et il donne de sa personne. C’est très souvent lui qui, relayant la Prévision ou le Budget, assure en introduction la présentation générale de la RCB, sa genèse et ses objectifs et c’est toujours lui qui assure la présentation de la RCB aux Finances. Dans ses interventions, Huet insiste sur l’introduction des « techniques modernes de gestion » et de management dans l’administration et s’en fait le propagateur via des brochures ou des ouvrages d’information et de vulgarisation68. De septembre 1968 à janvier 1972, il se livre à de nombreuses conférences de sensibilisation, d’information, de communication et de relations publiques dans la presse, dans les séminaires d’entreprise, dans les groupements patronaux, au Conseil économique et social, dans les entreprises publiques (SNCF), aux Armées, dans les ministères techniques, au Sénat, dans les écoles techniques du ministère des Finances, à Sciences Po et à l’ENA69. Au tandem historique Prévision-Budget se substitue donc, à partir de 1969, une Triple Entente de la RCB, aux tâches bien réparties : à la Prévision le calcul économique et l’organisation des stages de formation et de recyclage interministériels, au Budget les budgets de programme et la présentation fonctionnelle du budget, à la Mission Huet la pédagogie et la propagande en faveur de l’introduction du « management » dans l’administration. Récusant tout système imposé de l’extérieur sans participation active des agents, Huet préconise de « procéder de l’intérieur » en changeant les comportements et les mentalités70. Grâce à ces stages et à ces conférences, grâce aux notes d’information et de vulgarisation que la Mission diffuse, Huet effectue un gros travail de reformulation et de transposition, d’acculturation et de diffusion des nouvelles méthodes de gestion auprès des cadres de l’administration.
30Mais que recouvrent chez Huet ces fameuses « techniques modernes de gestion » qu’il ne cesse d’invoquer et dont il espère qu’elles vont révolutionner l’administration ?
« Les techniques modernes de gestion » et le modèle de l’entreprise selon Philippe Huet
31À travers les discours de Huet, on peut repérer cinq grandes « techniques », pour la plupart empruntées aux entreprises.
321. La prévision, l’étude et la programmation des ressources et des besoins, les techniques d’aide à la décision pour le choix des investissements. Le Rapport Huet de 1971 préconise de développer la recherche opérationnelle, le calcul économique, les études coûts-efficacité pour les investissements industriels et les études coûts-avantages pour les équipements immobiliers. De façon générale, comme Jean Saint-Geours au sein du groupe Horizons 1985, il appelle à la création systématique de services d’études dans les directions techniques ;
332. La transposition de techniques de gestion des entreprises à proprement parler : budget-programme, nomenclature budgétaire et comptable rénovée, comptabilité patrimoniale ou analytique, contrôle a posteriori des résultats ou contrôle de gestion71 ; direction par objectifs (DPO)72 ; déconcentration et responsabilité individuelle ; tableaux de bord et indicateurs de résultats.
343. La mise en place d’une gestion dynamique des ressources humaines et des cadres73, en instaurant « un management actif » des agents en fonction des compétences et des besoins : « évaluation personnelle des performances des agents » (entretien annuel) et rémunération individualisée ; organisation de la mobilité ; gestion des carrières ; élaboration d’un modèle de gestion prévisionnelle des effectifs ; formation continue et recyclage des personnels ; techniques de communication interne ; mise en place de la direction par objectif (DPO) ; encouragement à la promotion interne ; développement de l’action sociale ; perfectionnement de l’organisation du travail ; planification des ressources en fonction des besoins ; information du public et relations avec le public.
354. La gestion planifiée et rationalisée des besoins en immobilier et en matériel (selon Huet, c’est la tâche d’un Secrétaire général de ministère).
365. La mise en place comme dans les « firmes privées » de systèmes d’information performants et d’une informatique de gestion, qui viendrait se surajouter à l’informatisation des tâches de « production » et au traitement automatique des tâches d’exécution74. Les enjeux en matière d’équipements, de compatibilité des systèmes, d’ingénierie et de personnels, sont parfaitement perçus par Huet qui préconise explicitement le recours à des prestataires extérieurs tels que les bureaux d’étude et les cabinets de consultants (SEMA, McKinsey, etc.).
37Philippe Huet jette ici les bases d’une gestion publique, et sa démarche est à rapprocher de celle de Gabriel Ardant en 1955 : rénover la gestion des services administratifs en empruntant aux entreprises leurs techniques de gestion. Mais chez Huet, l’emprunt ne se limite pas aux travaux d’exécution ou à l’organisation scientifique du travail comme chez Ardant, mais il s’étend aux techniques de décision, de management, de programmation et de contrôle budgétaire. Ce que propose Huet pour le pilotage des grandes directions de l’État se résume en définitive en une démarche managériale à quatre temps : 1° la planification stratégique et définition concertée des objectifs ; 2° la programmation des besoins et des ressources ; 3° le suivi des résultats grâce à un système d’informations en temps réel et à flux continu ; 4° la comparaison a posteriori des écarts, leur explication et leur rectification. Cette démarche s’organise autour des trois concepts-clefs du management, parfaitement assimilé par Huet : la déconcentration, la contractualisation et la responsabilisation des agents. À cet égard, Philippe Huet peut être considéré comme l’artisan d’une percée historique de la pensée gestionnaire rue de Rivoli et comme l’un des introducteurs du management dans l’administration française au cours de la seconde moitié du xxe siècle.
38Mais cette acclimatation des « techniques modernes de gestion » ne recouvre pas seulement la connaissance de grands principes, l’acquisition d’outils ou la pratique d’exercices gestionnaires, mais aussi celles d’un langage et de nouveaux concepts, clairement empruntés au monde des entreprises. Il faut noter en premier lieu l’utilisation fréquente dans les archives de la Mission RCB et sous la plume de Huet de concepts en apparence neutres et englobants comme « systèmes » ou « organisations » qui permettent de gommer la distinction public/privé ou État/entreprise. D’autre part, Huet utilise, notamment dans son rapport final, une terminologie que l’on pourrait croire réservée aux entreprises, voire aux entreprises industrielles : « gestion », « management », « clients » ou « clientèles » pour parler des usagers ou des contribuables, « produits » pour parler des actions administratives, « filières de production », « filières commerciales ou industrielles » pour parler des services financiers, « chaînes de production », « cadences » et « périodes de pointe », « vendre » pour désigner une prestation de service administrative… Enfin, au-delà de la transformation du langage, c’est à l’adoption de nouvelles formes d’organisation qu’appelle Huet, toutes inspirées des entreprises : par exemple, la holding (pour gérer les participations financières de l’État), le groupement d’intérêt économique, le directoire ou le conseil de surveillance…
39La promotion de ces méthodes et de ces outils de gestion manifeste une transformation du regard porté sur les entreprises. Huet apporte ainsi son appui aux conclusions du Rapport Nora de 1967, publié en 1968, qui préconise la rénovation de la gestion des entreprises publiques (autonomie, décentralisation, contractualisation, direction par objectifs, contrôle des résultats75) et l’abandon par le ministère des Finances de sa traditionnelle relation de tutelle et de strict contrôle financier, ou du moins sa transformation. L’entreprise nationale, dotée de finalités publiques mais destinée à être gérée selon les outils et les méthodes de gestion privée, devient un sas de passage privé/public, un lieu de traduction et d’acculturation pour les techniques managériales dans leur migration vers les services de l’État.
40Quant aux entreprises privées, Huet se montre à leur égard très favorable. Sous sa plume, la référence aux « firmes privées » et à leurs techniques de gestion est récurrente et toujours sur le mode imitatif. L’ancien directeur général des Prix et du Commerce intérieur est sans doute l’un des rares directeurs du ministère à posséder une connaissance des entreprises, de leurs produits et de leurs coûts, tandis que son expérience réussie en matière de politique contractuelle en 1966-1968 le conduit à adopter une attitude de confiance à leur égard. Les archives de la Mission RCB donnent d’ailleurs un aperçu de son réseau d’informations et de ses contacts personnels avec les chefs d’entreprise, tandis que sa documentation personnelle manifeste son incontestable appétence pour le management. Au regard quelque peu méfiant ou condescendant, encore pénétré de la supériorité de l’État sur les intérêts privés qu’avait Gabriel Ardant sur les entreprises, Huet substitue un regard de confiance et d’optimisme fondé sur un modèle rationnel et contractuel des relations entre acteurs économiques.
41Ce changement de regard sur le secteur privé emporte avec lui un retournement d’attitude envers les cabinets privés de conseil en organisation. Alors que jusque-là les consultants étaient regardés avec suspicion par l’administration centrale des Finances, tout au mieux tolérés et cantonnés à des missions d’organisation des tâches d’exécution sous la direction du SCOM, Huet n’hésite pas à faire leur éloge dans la conduite des processus de changement, soulignant la pertinence de leur regard extérieur, l’avantage de leur indépendance à l’égard des pressions des syndicats, leur capacité de diagnostic et de proposition de réforme, ainsi que leur fonction de conseil auprès des dirigeants.
42Comme en son temps Gabriel Ardant à la tête du Commissariat général à la Productivité, Philippe Huet voit dans la modernisation des outils de gestion et dans l’importation de ceux des entreprises la voie du salut pour la réforme de l’administration. Conscient de l’intangibilité symbolique, politique, sociologique et juridique des « blocs constitutionnels » cristallisés que sont l’ordonnance organique de 1959, le décret de 1962 sur la comptabilité publique et le statut général de la fonction publique, rendu prudent par la crainte de la révolution politique et sociale (cf. le souvenir pas si lointain de 1945 et le souvenir très frais du vacillement de l’État en Mai 1968), il doute de la volonté politique des gouvernants de modifier ces monuments. Convaincu de la nécessité d’opérer par des tactiques de contournement, persuadé de la résistance au changement qu’oppose le corps social administratif, Huet opte en faveur d’une dépolitisation de la réforme de l’État et d’une réformation de l’administration par les méthodes de gestion et par le bas. Ce réformisme par la technique administrative et par la gestion n’est pas nouveau. Il a déjà inspiré bien des penseurs de la réforme administrative depuis le fayolisme, l’organisation scientifique du travail, les bureaux Organisation et Méthode, les coûts et rendements et la productivité administrative. À cet égard, Huet s’inscrit dans la longue lignée des inspecteurs des Finances rationalisateurs de l’administration et de l’organisation du travail qui, pour le xxe siècle, s’étire de Jules Corréard jusqu’à Maurice Lauré en passant par Gabriel Ardant. Pourtant, par rapport à un modèle que nous qualifierions d’ingénieur, il offre une originalité, celle de vouloir ancrer son réformisme dans la connaissance du « fait administratif » et dans les apports des sciences administratives et sociales, plus particulièrement dans la sociologie des organisations76.
L’enlisement de la RCB 1971‑1974
43L’architecture cartésienne de la RCB ordonnée en trois volets et la répartition logique du travail entre les trois services ne doivent cependant pas faire illusion. À peine la Commission interministérielle est-elle installée que les difficultés s’accumulent.
Le chantier contrarié des budgets de programme 1971‑1972
Difficultés méthodologiques
44En 1971, les ambitions budgétaires des promoteurs de la RCB demeurent très importantes. On se rappelle que le Discours de la Nouvelle Société fixait à 1972 la présentation d’un budget fonctionnel. Dans la foulée de la Commission interministérielle de RCB de mai 1971, trois groupes de travail sont créés pour avancer sur les budgets de programme : questions comptables et coûts77 ; indicateurs ; structures de programme. Le travail commence… Mais l’établissement d’un budget de programme, priorité gouvernementale, s’avère un dossier particulièrement indigeste, lent et difficultueux78. Tout fait problème : la rénovation de la nomenclature budgétaire pas totalement achevée, la confection des structures d’objectifs, le choix et la définition des indicateurs de résultats, d’efficacité et d’efficience, l’établissement des tableaux de bord, la mise au point d’une comptabilité analytique et patrimoniale, la détermination des coûts, l’instauration d’une comptabilité de gestion dans les ministères techniques et leur compatibilité avec la comptabilité publique, la menace qui pèse sur l’unité des comptes du fait des expériences autonomes de comptabilité analytique dans les ministères dépensiers, la mise en place d’un contrôle de gestion a posteriori alors que le système comptable public français repose sur le contrôle a priori, l’impossible responsabilisation des ordonnateurs, le poids de la hiérarchie et de la centralisation des décisions79, la cohérence des systèmes d’information, la définition des équipements informatiques nécessaires et leur compatibilité, la formation des comptables et des administrateurs, etc. Tout fait problème.
Difficultés organisationnelles à la direction du Budget
45L’intégration de la mission des budgets de programme au sein de l’organisation de la direction du Budget se fait d’ailleurs lentement, avec une parcimonie de moyens qui ne laisse pas d’interroger. Il faut attendre 1974 pour que le terme « budgets de programme » apparaisse officiellement dans l’organigramme de la direction, effaçant celui de « nomenclature budgétaire » qui se maintient entre 1970 et 1973. La cellule « Budgets de Programme » prend la suite de la cellule « Nomenclature budgétaire » et compte exactement les mêmes trois agents qu’antérieurement, toujours placé sous la responsabilité de Raymond Meunier. Le premier budget de programme finalisé – pour un ministère civil – est celui du ministère de l’Équipement en 1972. À partir de 1974, les budgets de programme des ministères, appelés « blancs » (à côté des « bleus » budgétaires classiques), se multiplient, mais au prix de mille difficultés, et ne sont véritablement généralisés à l’ensemble des départements ministériels que dans le cadre de la loi de finances pour 1978, en application d’une décision du ministre de l’Économie et des Finances de novembre 197580 ; le ministères des Finances sera d’ailleurs lui-même l’un des derniers à établir son budget de programme81. Les « blancs », annexés aux projets de loi de finances, subsisteront jusqu’en 1997. En l’absence de réforme législative, sans inscription dans le droit, dotés d’un simple statut consultatif, réduits à de simples documents d’information budgétaire et sans prise sur les arbitrages budgétaires ni sur la discussion budgétaire, ils se vident progressivement de leur sens et n’atteindront jamais l’objectif qui leur avait été fixé : révolutionner la procédure budgétaire en obligeant les départements ministériels et le Parlement à raisonner selon le critère de finalité et non plus de moyens82.
46D’une manière générale, la RCB ne semble pas avoir trouvé sa place au sein de la direction. Alors que la cellule RCB de Robert Galdin était jusqu’alors rattachée directement au directeur, en 1972, elle migre et s’enfonce dans l’organigramme de la direction du Budget. En effet, lors de la réunification en 1972 de la première et de la deuxième sous-direction du Budget sous la responsabilité de Guy Vidal83, afin de conserver le sacro-saint chiffre de six sous-directions et de permettre à un autre administrateur civil d’accéder aux fonctions de sous-directeur (Maurice Guilluy), une nouvelle sous-direction des Études budgétaires est érigée, fourre-tout, qui réunit la cellule Budgets de programme, l’ancien bureau Recettes et Études Budgétaires, la cellule RCB de Robert Galdin en charge de la CIRCB et des crédits RCB, et deux autres cellules qui pourraient s’apparenter à la RCB mais qui répondent en réalité à d’autres missions : les études budgétaires, la modélisation budgétaire, les statistiques budgétaires de longue durée, l’informatisation etc. L’insertion de la RCB dans l’appareil administratif de la direction sous l’apparence d’une sous-direction fonctionnelle pourrait sembler une bonne nouvelle, mais désormais éloignée des sommets décisionnels, la RCB, latéralisée, reste en marge de la « vraie » vie de la direction du Budget, sans prise sur la préparation du projet de loi de finances, ni sur les conférences budgétaires avec les ministères sectoriels ni sur les arbitrages.
1972, annus horribilis
47L’année 1972 voit se multiplier les difficultés méthodologiques, administratives et politiques.
Le doute s’installe
48Les incompréhensions et les tensions s’accumulent début 1972 : réticences au sein même du cabinet du Ministre depuis le départ de Jean Sérisé en 197184 ; dispersion en janvier 1972 de la Mission RCB qui a tant œuvré pour la propagation de la RCB et ses « techniques modernes de gestion »85, dissensions entre la direction de la Prévision et la direction du Budget sur le pilotage de la RCB… Au-delà de ces problèmes de « gouvernance » et de management de la réforme, les responsables budgétaires prennent conscience de la pénurie durable de spécialistes RCB, du temps infini que vont prendre la formation et le recyclage des cadres fonctionnaires aux techniques de RCB86 et réalisent au final l’inadaptation de cette formation mathématique aux besoins réels des administrateurs gestionnaires. Ils constatent aussi la difficulté à faire coïncider le temps des études analytiques et le temps de la procédure budgétaire, contrainte par une forte saisonnalité. En termes de méthode, ils découvrent le temps et la masse de travail exigés par la confection des budgets de programme pour tous les ministères87 ; ils s’interrogent sur le choix des indicateurs de résultats et des indicateurs d’impact et ressentent une certaine perplexité, voire une anxiété, devant la définition des objectifs et des priorités entre les différentes politiques publiques. En termes de procédure, ils s’inquiètent des difficultés techniques que posent la discussion budgétaire appuyée sur un budget « fonctionnel » et sa non-articulation avec un budget de moyens qui, en l’absence de modification de l’ordonnance organique de 1959, demeure le pilier du système financier public et s’alarment devant les enthousiasmes que suscite l’adoption des « techniques modernes de gestion » dans les ministères techniques (Équipement, PTT, Intérieur) et devant la perte de contrôle qu’elle risque d’engendrer pour les institutions budgétaires et comptables centrales…
Un pilotage central de la RCB fragilisé et des services d’études ministériels qui s’autonomisent
49Les études analytiques ne sont pas exemptes de difficultés non plus. Plus de 85 études ont été lancées depuis 1970, sans véritable coordination ni intégration dans un programme de travail rationalisé. Le caractère libéral et non directif du pilotage par la Prévision et le Budget, qui s’explique tant par les prudences de l’après‑68 que par la relative lenteur de la montée en charge de la RCB en regard des crédits et des personnels, touche là ses limites : il laisse une grande liberté de conception et d’action aux ministères techniques, qui dès lors construisent leur propre programme d’études RCB, selon leur intérêt, leurs méthodes et leurs priorités88. Les études analytiques à caractère transversal et interministériel comme l’opération Accidents de la route-Sécurité routière restent rares et laissent la place à des études à caractère monographique comme l’étude Périnatalité au ministère de la Santé89, l’étude Transports scolaires à l’Éducation nationale90, l’étude Monuments Historiques au ministère de la Culture91 ou l’étude Commutation électronique au ministère des PTT92, tandis que certains se tiennent sur la réserve (Affaires étrangères, Coopération, etc.). La difficile coordonnabilité des études n’est pas seule mise en cause, mais aussi leur faible ajustement par rapport aux besoins des administrations, leur incertaine utilité économique et sociale, leur impossible traductibilité en termes budgétaires et leur « irréalisme financier », jusqu’à leur pertinence méthodologique, voire philosophique (« le prix de la vue humaine »).
50Ainsi donc, avant même que les initiateurs de la RCB aient eu le temps d’établir fermement leur doctrine, de poser des définitions, de développer des études de cas françaises et de déterminer une méthodologie rigoureuse pour les budgets de programme, la RCB connaît dans les ministères techniques des développements décentralisés, anarchiques, qui pour partie échappent au ministère des Finances, pourtant censé piloter la réforme. L’inflexion décentralisée donnée après Mai 68 à la RCB est exploitée à plein par les ministères techniques qui prennent habilement à la lettre les discours de bienveillance et de libéralité de la Prévision et du Budget et en profitent pour renforcer en personnels leurs services d’étude et leur autonomie93.
51Sous la pluie des critiques, la RCB marque le pas. Objet de toutes les attentes gestionnaires, elle déçoit, agace et inquiète. Notamment à la direction du Budget.
La RCB s’ensable
52En mars 1972, ayant échoué à prendre le contrôle de la RCB face au Budget, Hubert Lévy-Lambert quitte la direction de la Prévision94 ; l’alliance entre la Prévision et le Budget se délite, les intérêts des deux directions se mettent à diverger et tout se passe comme si chacun des partenaires se recentrait sur ses propres objectifs : les études de calcul économique pour la Prévision, les budgets de programme pour le Budget95… L’éviction en juillet 1972 du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, ajoute au désemparement du mouvement RCB qui perd son soutien le plus médiatique, sans que l’arrivée d’Yves Cannac en 1973 au poste de directeur-adjoint du cabinet de Valéry Giscard d’Estaing ne suffise à renverser le mouvement.
53Le 22 juin 1973 se tient la dernière réunion de la CIRCB sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, sans élan ni conviction. La bureaucratisation et la routine semblent s’installer96… À la rentrée de l’automne, intervient le premier choc pétrolier (16 et 17 octobre 1973) : une autre histoire commence, celle du renchérissement de la facture énergétique française, de l’installation de la crise économique, de la montée du chômage et de l’inflation. La RCB des années de croissance, des grands projets industriels, de la stabilité monétaire ou de l’amélioration du bien-être social a vécu. En juin 1974, Renaud de La Genière, l’un des porteurs historiques de la RCB depuis 1966, quitte la direction du Budget pour la Banque de France. Il est remplacé par Paul Déroche (1931-1979), ancien élève de l’ENA (1958-1960), administrateur civil au Budget, qui vient du cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, mais qui n’est guère convaincu par la RCB et qui commence par s’absorber en 1974-1975 dans la réorganisation de sa direction97. Le découragement gagne du terrain…
54Alors que Valéry Giscard d’Estaing a quitté la Rue de Rivoli pour l’Élysée, il faut attendre 1975 pour que la RCB connaisse un énième rebond ministériel avec Jean-Pierre Fourcade, inspecteur des Finances, ancien directeur des Prix de la période debréienne, ministre giscardien de l’Économie et des Finances, ultime parrain politique de la RCB98… En janvier 1975, le ministre ouvre la Commission interministérielle de RCB qui n’a pas été réunie depuis 1973 et annonce à son tour ses objectifs en matière de RCB : « Je propose de nous fixer comme objectif de présenter la totalité des dépenses de l’État sous forme de budgets de programme dans la loi de finances pour 1978, et je compte bien (…) arriver progressivement à ce que les budgets de programme soient des éléments importants d’accompagnement de l’action publique au cours des prochaines années ». La promotion des budgets de programme comme horizon ultime de la RCB a pour pendant le discrédit des études analytiques RCB dont le ministre dénonce l’« ésotérisme et l’abstraction »99. Le nouveau directeur de la Prévision, Pierre Cortesse, qui succède à Edmond Malinvaud en 1974, ancien sous-directeur du Budget, ancien conseiller de Michel Debré et de Robert Boulin lors du lancement de la RCB en 1968, et l’un de ses meilleurs soutiens à l’origine, dresse lui aussi lors de la même séance un bilan sévère et décevant des études analytiques100 : « Premièrement, trop de travaux ont porté sur des sujets marginaux ou n’ont pas été replacés dans un contexte permettant de les utiliser dans la préparation du budget. En second lieu, certaines études qui avaient été annoncées n’ont pas été effectuées selon l’état d’esprit que la RCB souhaitait développer [ndlr, il faut comprendre le ministère des Finances] (…). Trop souvent, des études ont été effectuées sans une coopération satisfaisante avec notre département qui, parfois, n’a même pas eu connaissance du rapport en fin d’étude ».
55Un nouveau dispositif est mis en place. Face à l’impossibilité de la direction de la Prévision d’imposer son leadership et sa coordination méthodologique, l’alliance paritaire Budget-Prévision des origines se transforme en une discrète instrumentalisation où la direction du Budget reprend les choses en mains de manière directive et coercitive et où la Prévision devient le sous-traitant (plus ou moins contrôlé) de la direction du Budget en matière d’études économiques. D’un point de vue méthodologique, les études RCB dans les ministères sont désormais suscitées par la direction du Budget ou par le cabinet du ministre. Sélectionnées en petit nombre, une dizaine par an, elles doivent s’intégrer dans un programme de travail et dans un calendrier dicté par la discussion budgétaire : « l’activité d’études devra porter, d’une part sur les analyses de programmes évoquées par le directeur du Budget, d’autre part sur des études de fond destinées à éclairer des dossiers majeurs sur lesquels le gouvernement doit se prononcer101 ». Enfin, et la boucle est bouclée, tout en accordant ostensiblement à la Cour des comptes la mission d’organiser annuellement une révision systématique des services votés, le ministre des Finances émet le souhait, retrouvant les intuitions budgétaires de Michel Debré et Robert Boulin en 1966, que les études RCB puissent également servir à remettre en cause les « droits acquis » des ministères dépensiers. L’heure n’est plus à la rationalisation des choix économiques et des investissements publics, mais aux économies budgétaires que le plan de refroidissement Fourcade impose.
En 1975, un bilan contrasté
56Dans ce contexte de restriction, quel bilan tracer de la RCB pour les deux directions pilotes et pour le ministère des Finances en tant que porteur de la réforme ?
57La direction de la Prévision, qui a fortement contribué à la construction du réseau des cellules RCB dans les ministères techniques, en dépit de son expansion numérique, se trouve paradoxalement fragilisée, car son expertise se voit contestée ou du moins concurrencée par des services d’étude ministériels de mieux en mieux dotés en ressources d’ingénierie, de mieux en mieux équipés et de plus en plus pugnaces102. Par ailleurs, avec l’aggravation de la crise économique dans la seconde moitié des années 1970, les études coûts-avantages RCB, centrées sur les investissements et les équipements, apparaissent quelque peu décalées ‒ et impuissantes ‒ par rapport aux nouveaux défis que sont le fléchissement de la croissance, la crise énergétique, la désindustrialisation, la montée du chômage, la hausse de l’inflation ou le manque de compétitivité des entreprises françaises. La seconde moitié des années 1970 voit se produire à la Prévision, en harmonie avec le magistère directorial et scientifique d’Edmond Malinvaud (1972-1974), le grand retour de la macro-économie (modèle économique FIFI etc.103).
58À la direction du Budget, la RCB se solde elle aussi par une légère expansion numérique, par une réorganisation historique en 1975, par un accroissement de son expertise économique et financière ainsi que par une interministérialité renforcée104. Elle utilise, comme les autres administrations, les crédits RCB pour améliorer ses propres outils budgétaires105 et pour recruter des contractuels (travaux de modélisation, travaux sur la nomenclature, etc.)106. Mais son principal objectif, la réforme des budgets de programme107, en dépit de sa généralisation en 1978, a échoué, du fait même de sa non-intégration dans le droit et dans la procédure budgétaire et parlementaire. En réalité, il n’y a pas eu de consensus ni de coalition suffisante, même au sein des Finances, même au sein de la direction du Budget, pour remettre en cause l’ordonnance organique du 2 janvier 1959. Celle-ci est devenue un monument juridique et politique intangible du système de gestion des finances publiques françaises108, car elle est un très efficace instrument de pouvoir et de coercition aux mains du ministre des Finances. Craignant un fort risque de déstabilisation du système de gestion politico-administratif en cas d’abandon du budget de moyens, même lorsqu’ils appartiennent au camp modernisateur, les responsables budgétaires réformateurs ont préféré dès lors adopter des stratégies de contournement, en introduisant des outils de gestion qui n’exigent pas le recours à la loi : le budget de programme dans une version uniquement informative, la construction progressive et discrète d’un contrôle de gestion a posteriori, l’importation des « techniques modernes de gestion » des entreprises, etc. Cependant, le caractère parfois facultatif de ces dispositifs gestionnaires ou reposant sur la seule bénévolence des ministères dits « dépensiers » obère sur le long terme le succès de ces innovations. Cette impuissance finale a découragé la direction du Budget de toute velléité réformatrice ‒ autrement qu’à la marge ‒, pendant près de vingt ans. Soit une génération d’administrateurs. Jusqu’à la mise en branle de la LOLF109.
59Enfin, si l’on élargit la focale de la réforme budgétaire à la réforme de l’État en général, le contexte n’est guère plus encourageant. Avec la crise de 1973-1974, le perfectionnement de la gestion publique est relégué au second plan tandis que l’avènement du giscardisme consacre dans la décennie d’autres thèmes de réforme administrative que le pilotage rationnel, technocratique et managérial de l’État110. La RCB au ministère des Finances, plus qu’un tournant, est une parenthèse.
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60En 1975, plus de dix ans se sont écoulés entre les premiers calculs de rentabilité des investissements à la direction de la Prévision et l’ouverture de la Commission interministérielle de RCB par Jean-Pierre Fourcade, auteur du premier plan de refroidissement du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. L’étude du processus de fabrication de la RCB et de son développement peut inspirer plusieurs réflexions en matière de réforme administrative.
61Issue originellement des bureaux de l’administration centrale des Finances elle-même, conçue par une poignée d’ingénieurs anti-conformistes exogènes qui effectuent à cette occasion une percée exceptionnelle Rue de Rivoli, portée par des directeurs entreprenants (Jean Saint-Geours, Renaud de La Genière, Philippe Huet111) et proposée à des ministres des Finances modernisateurs, la RCB est à ses tout débuts une réforme gestionnaire from the bottom up. Entreprise éminemment technocratique, enrôlant les mathématiques à son service, elle se donne à voir comme une tentative de la part des Finances de contrôler l’État et ses choix par la prévision, la gestion et le contrôle des résultats. Son émergence illustre la capacité qu’ont des experts, dans certaines configurations bien particulières, de proposer des réformes depuis l’intérieur et de les faire endosser par l’échelon politique (Giscard d’Estaing I, Debré, Ortoli, Chaban-Delmas, Giscard d’Estaing II, Fourcade).
62La RCB n’a pas pour autant surgi bottée et casquée telle Minerve sortant de la cuisse de Jupiter, mais elle a tracé un chemin en zigzag, selon un processus sinueux, marqué par l’incertitude et par l’aléa politique (les changements gouvernementaux et ministériels, Mai 68) ou économique (la crise de 1973-1974). Elle s’est déployée dans un va-et-vient constant entre experts et décideurs, donnant aux conseillers techniques des cabinets ministériels un rôle décisif de filtre (Jean Sérisé, Pierre Cortesse) et de frein (Jacques Calvet) ou au contraire d’accélérateur et d’amplificateur (Antoine Dupont-Fauville, Pierre Cortesse, Pierre Suard, Jean-Paul Parayre, Simon Nora, Yves Cannac). Comme une cire molle entre les mains qui s’en emparent, à chaque fois qu’elle fait l’objet d’interventions ou d’appropriations par des acteurs administratifs et politiques différents, la RCB mute et se voit modifiée dans ses finalités (réforme du pilotage économique ou industriel, aide à la décision, rénovation de la planification, réforme administrative, réforme de la procédure budgétaire ou réforme de la gestion), dans ses contenus, dans ses méthodes et dans ses outils (études coûts-avantages, études analytiques, budgets de programme, nomenclatures, etc.). La RCB a ainsi connu au sommet des Finances plusieurs avatars, suivant qu’elle a été impulsée par Valéry Giscard d’Estaing, Michel Debré ou Jacques Chaban-Delmas, suivant qu’elle a été dirigée par la Prévision ou le Budget. Avant 1968, la RCB participe de l’élan modernisateur et scientiste des années 1960 et manifeste dans le même temps la volonté de contrôle d’un ministère des Finances au faîte de sa puissance administrative et instrumentale. Après les événements de 1968, ébranlée par la crise de contestation antiétatique, elle réduit la voilure, opte pour une version plus douce et moins offensive et enfile des habits gestionnaires et managériaux qui masquent (mal) la volonté de conserver un droit de regard sur l’élaboration et l’exécution des programmes d’action publique des ministères dépensiers.
63Véritable auberge espagnole de la réforme administrative selon les Finances et par les Finances, elle superpose plusieurs « répertoires de réforme »112 qui se combinent entre eux : 1) le désir d’un gouvernement rationnel et scientifique qui se caractérise dans les années 1960 par une croyance sans borne dans le progrès, les sciences, les mathématiques et la rationalité en général, utopie à laquelle Mai 68 apporte un sérieux coup d’arrêt ; 2) la redécouverte de la problématique de l’efficience, de l’efficacité et du contrôle des résultats de l’action des administrations, chantier laissé en jachère depuis 1960 par les Finances ; 3) face à la croissance des services votés, la résurgence des économies budgétaires et de la rationalisation administrative ; 4) la reprise de l’ouvrage pénélopien de la comptabilité analytique et patrimoniale, un temps défriché par Gabriel Ardant mais insuffisamment réactivé par le décret de 1962 sur la comptabilité publique ; 5) enfin, de manière plus moderne, l’élaboration d’un management public qui incorpore des techniques empruntées tant aux entreprises publiques que privées (programmation, direction par objectif, contrôle de gestion, contrôle des résultats, tableaux de bord, indicateurs, gestion des ressources humaines, etc.).
64Ce faisant, la RCB promeut de nouveaux groupes d’acteurs que nous désignons sous la catégorie générique d’experts : en premier lieu, des polytechniciens (X‑Mines, X‑Ponts, X‑Telecoms, X‑Armement, X‑ENSAE, Manufactures de l’État, etc.) qui forment l’avant-garde du mouvement, des ingénieurs et des statisticiens, des spécialistes de micro-économie et de gestion (les premiers diplômés de Dauphine, de Caen ou de Nanterre), des informaticiens qui font leurs premiers pas dans les services de l’administration, etc. Elle est également très significativement portée par certains hauts fonctionnaires de la Cour des comptes qui la soutiennent au sein des cabinets des ministères dits sociaux, ainsi que par certains administrateurs civils et gestionnaires issus de l’ENA qui s’imposent dans la même période à la tête des directions des services budgétaires, financiers ou de l’Administration générale de ces mêmes ministères113…
65Fruit et enjeu d’une forte compétition entre le Premier ministre et le ministre de l’Économie et des Finances, proposant une alternative rivolienne de moyen terme à la démarche prospectiviste de long terme du Plan dans la façon de dire le futur, la RCB manifeste malgré tout la remarquable convergence de ces deux pôles d’impulsion en matière de gestion publique, puisque tous deux partagent dans la période le même objectif, celui de donner le primat à la définition des objectifs de l’action publique et à la mesure des résultats. Toutefois, en dépit de cette communauté de vues, en dépit de l’enthousiasme de ses zélateurs, la RCB, première grande réforme administrative transversale et globale de la gestion publique selon la Rue de Rivoli, n’a pas atteint ses objectifs, suscitant chez les anciens membres de la « communauté rcbiste » un sentiment d’échec et de regret.
66Quels enseignements tirer de cette réforme budgétaire inaboutie ?
67Plusieurs facteurs ont fragilisé la RCB dès l’origine : une préparation mal assurée et en définitive relativement improvisée de la réforme114, du fait de motivations de départ largement opportunistes ; une alliance hétéroclite et hétérogène entre deux directions que culturellement tout oppose (à l’exception de leurs directeurs, camarades de promotion de l’ENA, tous deux inspecteurs des Finances et tous deux protestants) ; des ambitions ou des espoirs démesurés dans les résultats attendus ; une très (trop) grande dépendance de la volonté du Prince et des décideurs politiques individuels…
68Lors du développement de la RCB, d’autres éléments contextuels sont venus compliquer la conduite de la réforme : des décideurs politiques inégalement impliqués dans l’action et dans le temps ; des dirigeants administratifs eux-mêmes divisés, parfois traversés par le doute ou la déception (Jean Sérisé, Guy Vidal, Pierre Cortesse), voire hostiles (Jacques Calvet) ; une instabilité certaine des contenus et des langages tenus par les politiques et les experts ; le choix de la non-coercition et de la non-inscription dans la loi ; des temporalités très hétérogènes et désajustées entre le temps du politique, le temps des études micro-économiques et le temps de l’annualité budgétaire…
69En termes de moyens, alors qu’aucune réforme ne peut se faire à budget constant, les ressources en postes budgétaires, en ressources humaines et en compétences ont été insuffisantes ou mal réparties : à la DP, une sous-direction entière vouée à la RCB115 mais incapable d’imposer son leadership transversal aux ministères techniques ; à la DB, une cellule RCB réduite à une seule personne, une cellule Budgets de programme latéralisée et sous-équipée, une poignée d’ingénieurs « hors sol » cantonnés à des études d’investissements116.
70En termes de méthodes, sont apparues rapidement des faiblesses techniques et scientifiques (concepts approximatifs, irréalisme financier, problème des indicateurs…), tandis que les lacunes dans la formation initiale des cadres administratifs et le goulot d’étranglement que constituait leur recyclage restaient sous-estimées quantitativement et qualitativement. Alors même que les services rencontraient des difficultés pour dégager du temps pour se former et réfléchir à leurs propres pratiques administratives, le recours à des consultants externes a été très parcimonieux et limité à des questions organisationnelles ou informatiques. Les rénovations comptables, que la réforme exigeait, sont restées inabouties et les moyens informatiques sont restés insuffisants en quantité et en qualité.
71Enfin, politiquement et institutionnellement, la RCB des Finances s’est heurtée à des milieux administratifs sceptiques, indifférents, voire méfiants117 ; elle n’a pas su s’adjoindre les alliés qui auraient pu lui venir en aide, que ce soit le Parlement qui, écarté, dès lors s’érige en opposant, ou la Cour des comptes que le troisième volet des « techniques modernes de gestion concernait pourtant au premier chef118 ; elle a présenté le flanc à des accusations de technocratisme que ses adversaires ont pris un malin plaisir à souligner…
72Les temps n’étaient visiblement pas mûrs. Comme si la RCB était venue trop tôt. À cet égard, la comparaison terme à terme du processus d’adoption et de déploiement de la RCB et de celui de la LOLF ne peut que susciter l’intérêt des spécialistes des finances publiques ou de la réforme administrative119.
73Il n’en reste pas moins que, par ses ambitions, la RCB constitue la première réforme globale de la gestion publique conçue et mise en œuvre de bout en bout par le ministère des Finances dans la seconde moitié du xxe siècle. Elle a été portée par une alliance administrative improbable, qui réunit deux directions d’état-major, totalement antithétiques, au sein de laquelle l’historiographie a fait la part belle à la Prévision, inventive, réactive, séductrice, prolixe et effervescente, à l’image des archives et des témoignages qu’elle a suscités. Laissée dans l’ombre, la très austère et très scrupuleuse direction du Budget, à la parole rare et distante, est souvent présentée comme suiveuse ou comme ayant eu un rôle de freinage, voire hostile. Pourtant, son soutien ne s’est jamais démenti jusqu’en 1974120, du fait de la constance de son directeur et de sa volonté de rompre le carcan répétitif et paranoïaque du jeu budgétaire ; elle a pris le risque d’abandonner sa prudence conservatrice pour se lancer dans une réforme ambitieuse de la procédure budgétaire et de la gestion des administrations publiques, non sans ambivalence d’ailleurs dès lors que les autonomies ministérielles ont fait jour.
74L’a-t-elle fait parce qu’elle avait « le sentiment d’une perte de pouvoir » et qu’elle avait « le souci de le reprendre » ? C’est la thèse soutenue par Philippe Bezes dans son ouvrage sur la réforme de l’État121, soulignant la crise que connaissent les institutions centralisatrices dans les années 1960, en perte de vitesse face à de puissants ministères techniques. Nous y souscrivons pour une large partie, mais, au vu des archives, de la micro-chronologie et de l’histoire dans la longue durée de la direction du Budget, nous nous proposons d’affiner la chronologie et de suggérer un scénario légèrement différent.
75Après la période de stabilisation des institutions de la Ve République et après le rodage de la nouvelle procédure budgétaire qui correspond au directorat de Gilbert Devaux (1957-1960) et qui voit le retour à l’équilibre budgétaire, après le règlement de la question algérienne et la mise en place du plan de stabilisation qui correspond cette fois-ci au directorat de Raymond Martinet (1960-1966), le ministère des Finances, adossé au bloc constitutionnel qui lui donne une très grande sécurité, se tourne résolument vers l’avenir. Sous la conduite de deux ministres modernisateurs, Valéry Giscard d’Estaing et Michel Debré, et de deux directeurs réformistes, Jean Saint-Geours et Renaud de La Genière, il entreprend de 1962 à 1968 la modernisation de ses propres outils et l’accroissement de ses capacités d’intervention et de contrôle. Davantage que la volonté de ressaisir un pouvoir qui leur échapperait, ce qui animerait dans cette configuration la Prévision et le Budget ‒ et les deux ministres des Finances de la période ‒, ce serait le désir offensif d’accroître le contrôle du ministère des Finances, en pesant davantage en amont sur les grands choix de l’action publique, en s’ingérant dans la définition du contenu des politiques publiques sectorielles et en perfectionnant à la fois le système de prévision budgétaire et de contrôle de l’exécution budgétaire, le tout sous couvert de nouer des relations moins irrationnelles avec les ministères « dépensiers ». Donc, aurait inspiré le ministère des Finances, pas tant la crainte d’un dessaisissement ou d’une menace externe qu’une poussée expansionniste et offensive, dirigée contre Matignon (cf. le tropisme debréien) et contre les ministères dépensiers, pas tant une hantise du déclin qu’une hubris du pouvoir rivolien.
76Survient Mai 68 qui ruine les grands projets de réforme administrative directifs et centralisés du ministre des Finances, modifie les grands équilibres politiques et administratifs et distille le doute au sein de l’État technocratique. S’ensuivent un affaiblissement et une mise en question du ministère des Finances accusé « d’obésité » et « d’omnipotence » qui nous permettent de nous associer pleinement au diagnostic de crise posé par Philippe Bezes sur les institutions centralisatrices : les Finances, un ministère en crise, mais une crise d’indigestion, une crise d’excès de centralisation, de contrôle bureaucratique et de carcan technocratique. Dans ce scénario, la RCB chabano-giscardienne, plus horizontale et moins surplombante que celle de Michel Debré, (plus) libérale et managériale devient pour le ministère des Finances le moyen soft de maintenir sa position centrale au sein du système politico-administratif, tout en faisant droit aux revendications de libéralisation ou de déconcentration des ministères techniques. Dans l’affrontement qui met aux prises les Finances, Matignon et les ministères dépensiers et qui connaît une acuité particulière en ces temps de contestation, la RCB constitue une réponse gestionnaire, souple, non coercitive, technique, aux accents de modernité, et conserve au ministère des Finances un droit de regard et de contrôle sur les choix des ministères « dépensiers ». Il n’en reste pas moins que, fragilisée par la crise de Mai 68, privée du cadre législatif coercitif qui aurait pu lui permettre de s’imposer, elle donne prise à des forces centrifuges qui sapent son autorité et lui ôtent toute chance de parvenir à ses fins. La RCB, née au sein de la direction de la Prévision d’une stratégie délibérée de légitimation interne et d’expansion technocratique externe, promue au rang de politique ministérielle, doit laisser place après Mai 1968 à des processus d’ajustement et de rectification successifs, selon un processus de révision à la baisse qui la mène de la réforme du pilotage de l’État à la réforme de la gestion de l’État. La RCB illustre ainsi la façon dont un système rigide et formaliste comme le système budgétaire modelé par l’ordonnance de 1959, peut, dans certaines configurations bien particulières, laisser surgir sur ses marges une innovation gestionnaire, se l’approprier et l’ingérer ; mais elle illustre aussi la façon dont ce même système peut rejeter ou dissoudre cette innovation, à compter du moment où la coalition politico-technocratique qui la porte n’est plus assez solide pour la porter.
77Enfin, première apparition d’un discours managérial structuré aux Finances, à caractère implicitement anti-juridique122, fruit du lent processus d’« économisation »123 qui marque depuis la Seconde Guerre mondiale la gestion des finances publiques et des administrations, elle signe l’apparition du couple concurrent, parfois conflictuel, mais désormais insécable du droit et de la gestion, du droit et des sciences du management124.
Notes de bas de page
1 Jacques Chaban-Delmas, Discours du 16 septembre 1969, in Association « Chaban aujourd’hui » (dir.), La « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, Paris, Economica, 2010, p. IX‑X et p. XIX‑XX, et Archives Nora, Sciences Po-Archives d’histoire contemporaine Paris (SN 14 et SN 25).
2 Archives Simon Nora 14, Discours d’investiture, 26 juin 1969, p. 21.
3 Lors de l’examen du projet de loi de finances, le 12 décembre 1969, Michel Rocard fait la même remarque et s’inquiète de la rigidité et de l’atrophie du budget, du fait des services votés qui s’élèvent à cette date à environ 92 % (http://archives.assemblee-nationale.fr/4/cri/1969-1970-ordinaire1/084.pdf, p. 4913).
4 On remarquera l’utilisation du terme des années 1950 : budget fonctionnel.
5 J. Chaban-Delmas, Discours du 16 septembre, op. cit, p. XX. Voir aussi à la même période la conférence de presse donnée par Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des Finances, le 3 septembre 1969, p. 23, Archives Simon Nora. Vincent Spenlehauer, dans sa thèse, « L’évaluation des politiques publiques, avatar de la planification », thèse de doctorat en science politique, université de Grenoble II, 1998, p. 231, cite également une note de septembre 1969, émanant sans doute du cabinet du Premier ministre : « Le gouvernement a décidé de restreindre la programmation des dépenses publiques qui désormais augmenteront moins vite que le revenu national. Le monde moderne impose à nos entreprises un effort sans précédent. Les administrations publiques ne peuvent échapper elles non plus à ce courant salutaire. Un effort de rationalisation des décisions publiques et de contrôle de leur efficacité sera entrepris résolument et proposé par le gouvernement comme l’un des objectifs du VIe Plan ».
6 CAEF, 3 D 5.
7 Le plan de redressement budgétaire de l’été 1969 prévoit une réduction du découvert budgétaire de 7 milliards à 4 milliards et un net ralentissement des dépenses publiques.
8 C’est le souhait de Renaud de La Genière, que relaie activement le sous-directeur du Budget de l’époque, Guy Vidal, qui espère encore en 1969, notamment dans le cadre de la préparation du PLF 1970, que les études analytiques RCB pourront être utilisées dans la procédure budgétaire.
9 Paul Questiaux, né en 1929, inspecteur des Finances, ancien secrétaire général adjoint du CCECRSP et chef du bureau Coûts et Rendements entre 1957 et 1960 à la direction du Budget, est le conseiller technique budgétaire du Premier ministre. Il est consulté à l’instar de tous les conseillers du cabinet Chaban-Delmas pour la rédaction du Discours mais n’y apporte pas de contribution majeure (Archives Simon Nora 14).
10 Simon Nora, né en 1921, inspecteur des Finances (P 1947), chargé de mission à la direction du Trésor 1951-1952, secrétaire général de la Commission des comptes et des budgets économiques de la nation 1952-1960, sous-directeur du SEEF 1955-1960, directeur général de la division Économie et Énergie de la CECA 1960-1962.
11 Florence Descamps, « François Bloch-Lainé et la réforme de l’État : de l’action au magistère moral, 1946-1996 », in Michel Margairaz (dir.), François Bloch-Lainé, Fonctionnaire, financier, citoyen. Regards d’historien(nne)s sur la vie et la carrière de François Bloch-Lainé, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 157‑232.
12 Archives Simon Nora (SN14), Rédaction du discours de la Nouvelle Société, notes manuscrites et plans dactylographiés.
13 Sur le discours de la Nouvelle société, Bernard Lachaise, Gilles Le Béguec, et Jean-François Sirinelli, Jacques Chaban-Delmas en politique., Paris, Presses universitaires de France, 2007, notamment la contribution de Pierre Guillaume, p. 183‑199 et celle d’Yves Cannac, « Les souvenirs que je conserve de la période Chaban-Delmas », p. 272‑277.
14 Yves Cannac, normalien et agrégé d’histoire, ancien élève de l’ENA (1965), sort au Conseil d’État et commence sa carrière au Commissariat général au Plan. Il est membre de l’équipe de Simon Nora en charge du rapport sur les entreprises publiques, publié en 1968. Conseiller technique de 1969 à 1972 au cabinet de Jacques Chaban-Delmas en charge du domaine économique, il s’intéresse également à la réforme de l’État. En 1973, il est nommé directeur de cabinet adjoint de Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des Finances, puis secrétaire général adjoint de l’Élysée de 1974 à 1978. De 1978 à 1981, il est conseiller spécial du Premier ministre Raymond Barre pour les questions industrielles et spatiales. Après 1981, il s’intéresse de plus près à l’entreprise et au management et préside la CEGOS de 1984 à 1988, puis l’Institut de l’entreprise de 1990 à 1992.
15 Témoignage d’Y. Cannac, in « La Nouvelle Société quarante ans après », Commentaire, 2010/1, n° 129, p. 77‑80, consultable en ligne http://www.commentaire.fr/pdf/tempo/129/08-CANNAC_art129.pdf et Association Chaban aujourd’hui, La « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, Paris, Economica, 2010, p. 21‑22 et p. 69‑73.
16 Archives Simon Nora 14, Note du 13 septembre de J. Chaban-Delmas au président de la République. En l’état actuel de nos recherches, il n’est pas possible de dire si cette note a bien été envoyée à l’Élysée, et sous cette forme ; mais si elle l’a été, en regard de la chronologie, on peut dire que le contenu du discours de « la Nouvelle société » était connu de l’Élysée dès avant sa prononciation à l’Assemblée nationale.
17 Archives Simon Nora 14, Note d’Y. Cannac, 6 septembre 1969, 5 p., et diverses rédactions intermédiaires du discours.
18 Discours du 16 septembre, État intermédiaire, 11 septembre, p. 20.
19 Dans les trois cas, précise Y. Cannac, il faut une « substitution aussi complète que possible du contrôle a posteriori au contrôle a priori ». On notera l’emploi répété du terme « management ».
20 Selon les termes de Simon Nora lui-même.
21 La rédaction finale de ce paragraphe dans le discours final sera plus concise et plus retenue : « J’ai dit qu’il nous fallait redéfinir le rôle de l’État. Il doit désormais mieux faire son métier, mais s’en tenir là et ne pas chercher à faire aussi celui des autres ».
22 Archives Simon Nora 14. Notes manuscrites d’Y. Cannac : « RCB, budget, meilleure réorganisation (…) de l’appareil gouvernemental, chefs de file, responsables, sanction, projets clairs, contrats, responsabilisation (…), réorganisation des administrations sur cette base, collectivités locales (…), contrôle a posteriori (…) ».
23 La mention de la RCB n’est pas totalement inédite chez J. Chaban-Delmas. Dans son discours d’investiture le 26 juin 1969 en effet, le Premier ministre avait fait une incise sur « la rationalité de l’action budgétaire » : « nous devrons la rechercher dans une meilleure connaissance des coûts et des avantages de la mise en œuvre, et tout d’abord de la dépense publique au regard des objectifs économiques et sociaux poursuivis à travers elle. Des travaux ont déjà été entrepris en ce sens dans plusieurs ministères. Le Gouvernement veillera à ce qu’ils soient activement poursuivis et étendus à l’ensemble de l’administration ». Le 5 septembre, alors que le cabinet commence à plancher sur le discours de politique générale, Yves Cannac rencontre le Premier ministre. Ses notes manuscrites évoquent de façon elliptique la tenue future d’un séminaire RCB, sous contrôle permanent du secrétaire d’État à la Fonction publique.
24 Archives Simon Nora 14, Y. Cannac, Liste des questions à examiner avec le ministre des Finances, brouillon, 14 septembre 1969. Parmi les 24 points que le conseiller technique a listés, la question du budget fonctionnel vient en 4e position. Cette liste est resserrée en 12 points lors de l’entrevue avec Valéry Giscard d’Estaing.
25 Le binôme politique éminemment concurrent Chaban-Giscard d’Estaing en 1969 fait écho à un autre binôme historique non moins concurrent, Pierre Mendès France-Edgar Faure en 1954, redoublé du face-à-face hostile de leurs conseillers respectifs à l’époque, Simon Nora et Valéry Giscard d’Estaing.
26 CAEF, Fonds Mission Huet, 3 D 5.
27 CAEF, 3 D 5.
28 Les services mettent à jour les documents établis pour la réunion du Groupe central de mai 1969.
29 La faible implication dans la RCB de Jacques Calvet, qui succède en 1971 à Jean Sérisé à la tête du cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, est sans doute l’un des facteurs explicatifs de la perte de vitesse de la RCB à partir de 1972.
30 Note de V. Giscard d’Estaing au Premier ministre, CAEF, 3 D5, le 23 mars 1970, p. 1.
31 Il est difficile de dire qui est à l’origine d’une telle référence à la commission des Comptes de la Nation. Rappelons que cette commission a été créée en février 1952 par le ministre des Finances Edgar Faure, qu’elle a longtemps été présidée par Pierre Mendès France et que son secrétariat a été assuré par le BSEF, noyau central du futur SEEF. Or tous les protagonistes en présence ou presque de la RCB sont des anciens du SEEF des origines, pour qui la commission des Comptes de la Nation tient lieu de mythe fondateur : Simon Nora ancien secrétaire de la commission des Comptes de la Nation de 1956 à 1960, Jean Sérisé, ancien administrateur civil du BESF et du SEEF, Valéry Giscard d’Estaing lui-même qui a effectué un stage remarqué au SEEF en 1952, ancien conseiller technique au cabinet d’Edgar Faure… Quoiqu’il en soit, la référence fait l’unanimité.
32 Valéry Giscard d’Estaing est à la fois un fiscaliste et un budgétaire et ce, depuis son passage au cabinet auprès d’Edgar Faure ministre du Budget en 1952. De 1959 à 1962, il a occupé le poste de secrétaire d’État aux Finances, en charge du Budget. Il ne se désintéresse pas non plus complètement de la réforme administrative depuis qu’il a géré en direct la commission de réforme de l’État, dite de l’article 76 (voir F. Descamps. « La réforme de l’État », op. cit., 2014, p. 46‑63).
33 Le terme « management » n’est guère fréquent à l’époque dans la bouche des hauts fonctionnaires des Finances. C’est le cas de Philippe Huet (voir notre contribution, partie III) ou d’André Delion, conseiller référendaire à la Cour des comptes, spécialiste de la réforme administrative (cf. « Administration publique et management », Bulletin de l’Institut international d’administration publique, n° 9, janvier-mars 1969, p. 55 et sq.). C’est aussi le cas de Jacques Bravo qui tient à partir de 1971 le secrétariat de la Commission interministérielle de la RCB et qui en janvier 1972 soutient une thèse de doctorat en gestion à l’université de Paris IX Dauphine sur « La RCB et le management de l’État ».
34 Cf. l’éditorial du premier Bulletin RCB en septembre 1970, où le ministre des Finances refait tout l’historique de la RCB, en endosse toutes les réalisations et annonce la création prochaine d’une Commission interministérielle de RCB.
35 PH 4892/1, Fonds DB, Cellule RCB, papiers Galdin. On remarquera la similitude de pensée entre Valéry Giscard d’Estaing et son directeur du Budget, Renaud de La Genière partisan lui aussi d’une rationalisation dédramatisée et apaisée (décrispée ?) du processus budgétaire.
36 CAEF, B 10 675.
37 Voir les expériences ministérielles dans la troisième partie du présent volume.
38 Hubert Lévy-Lambert, né en 1935, X‑Mines (P 1953), chef de division (1966-1969) puis sous-directeur à la direction de la Prévision au MEF (1970-1972).
39 Patrick Bréaud, né en 1937, polytechnicien (P 1956), ancien élève de l’ENA (1961-1963), inspecteur des Finances (1963), chargé de mission à la direction de la Prévision (1969-1970).
40 Michel Ternier, né en 1938, X‑Ponts (P 1955), chargé de la mission d’étude Sécurité routière (1968-1969) au ministère de l’Équipement, secrétaire de la Commission interministérielle pour la RCB (1970-1972) au ministère de l’Économie et des Finances, sous-directeur à la direction de la Prévision (1972-1975), chef du SAEI (1975-1979) au ministère de l’Équipement.
41 Jacques Calvet (1931-2020), ENA 1955, sorti à la Cour des comptes en 1957, réalise une partie de son parcours de haut fonctionnaire au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, de 1959 à 1974, depuis le poste de conseiller technique jusqu’à celui de directeur de cabinet (à partir de 1970). Il est parallèlement sous-directeur à la direction du Budget en 1966, puis chef de service en 1967.
42 CAEF, 3 D 5 et 3 D 6.
43 Les programmes finalisés sont des programmes budgétaires pluriannuels approuvés par la direction du Budget. Ils sont au nombre de six : la sécurité routière, la lutte contre la mortalité périnatale, le maintien à domicile des personnes âgées, les villes nouvelles, le fonctionnement du marché de l’emploi, la protection de la forêt méditerranéenne.
44 CAEF, 3 D 5 et 3 D 6.
45 Le secrétaire d’État au Budget ne se voit pas attribuer de rôle particulier au sein de la Commission interministérielle ; en revanche, il est sollicité pour faire la liaison avec le Parlement (voir infra).
46 Une liste de 16 personnalités est présentée par la Prévision et le Budget au cabinet du ministre des Finances.
47 André Babeau, né en 1934, diplômé d’HEC (1956) et de l’IEP de Paris (1958), est agrégé de science économique (1964). Il est d’abord professeur à l’université de Lille (1964-1968) puis à l’université de Paris X‑Nanterre (1968-1982). Il est ensuite directeur du CREDOC (1978-1984) avant d’être professeur à l’université de Paris-Dauphine (1982-1994).
48 Jean-Daniel Raynaud (1926-2019), professeur de sociologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (1959-1994), cofondateur de la revue Sociologie du travail et créateur du Laboratoire de sociologie du travail et des relations professionnelles au Conservatoire national des arts et métiers (1969). Spécialiste de la négociation, il a publié Les syndicats en France, Paris, Le Seuil, 1963 et avec Gérard Adam et Jean-Maurice Verdier, La négociation collective en France, Paris, Éditions Ouvrières, 1972.
49 Robert le Duff (1939-2010), après une licence et un DES de droit qui comporte de l’économie, de la statistique et de l’histoire du droit, il devient le secrétaire général de l’Institut d’administration des entreprises de l’université de Caen (IAE) sur la demande du professeur Jean Marczewski puis passe l’agrégation d’économie (1964). Il prépare une thèse avec Raymond Barre puis rejoint en tant que professeur l’université de Caen en mai 1968. Il est l’auteur du manuel Économie financière, Paris, Librairie Dalloz, 1972. Il est l’organisateur principal du réseau des IAE et innove en 1970 avec la création d’un nouveau diplôme, la « Capacité en gestion des entreprises ». Il développe la recherche sur la micro-économie des entreprises mais effectue également des recherches pour le compte des pouvoirs publics (cf. R. Le Duff, Emil Gaxlick, Claude Violet, Daniel Wion, Étude sur la rationalité et la réalité des décisions dans le domaine des transports, université de Caen, Institut d’administration des entreprises, Laboratoire de recherches économiques, recherche effectuée pour le secrétariat d’État aux Transports, Action thématique programmée Socio-économie des transports, 1976). Il contribue à l’essor et à la structuration des sciences de gestion à l’échelle nationale, ainsi qu’à la définition du management, en milieu privé comme en milieu public. Sur Robert Le Duff, voir Gérard Cliquet et Gérald Orange, Organisations privées, organisations publiques, Rouen, Publications universitaires Rouen-Le Havre, 2002, p. 10‑12 (Mélanges Le Duff).
50 Voir dans la partie III notre chapitre sur Michel Crozier et la Mission RCB des Finances.
51 Jean Carteron, directeur général de la SEMA, membre du Groupe central en 1968, a été écarté, sur la demande expresse du ministre, pour ne pas donner prise au soupçon de collusion public-privé ou de conflits d’intérêts.
52 Jacques Bravo (1943-2019), diplômé de l’ENSAE en 1968, chargé de mission à la direction de la Prévision puis à la direction du Budget. Il tient, à partir de 1971, le secrétariat de la Commission interministérielle de la RCB. Cf. J. Bravo, « L’expérience française des budgets de programmes », Revue économique, vol. 24, n° 1, 1973, p. 1‑65 ; et avec Philippe Huet, L’expérience française de RCB, Paris, Presses universitaires de France, 1973.
53 CAEF, Z 12 257. Par rapport à celle de Royaumont, l’allocution d’ouverture de Valéry Giscard d’Estaing fait intervenir des thématiques légèrement différentes : la nécessité d’accroître la compétitivité pour les entreprises comme pour l’État, la prise de conscience que les besoins sont immenses mais les ressources limitées.
54 Albin Chalandon sera le premier responsable d’un ministère civil à présenter un budget de programme en 1972, après celui des Armées ; il préfacera le livre de Philippe Kessler et François Tixier, Le Budget de programmes : un instrument de « management » pour les administrations publiques, Paris, Berger-Levrault, 1973.
55 Sur la RCB au ministère des PTT, voir la contribution de Marie Carpenter dans le présent volume, partie III.
56 CAEF, 3 D 5 et 3 D 6, création de la Commission interministérielle de RCB 1970-1973.
57 Cf. l’inscription de crédits au budget des charges communes pour 26 millions de francs et 120 contractuels.
58 La Prévision et le Budget jugent en janvier 1971 inutile d’inviter à la séance d’installation de la CIRCB des parlementaires, pas plus d’ailleurs que les syndicalistes pourtant prévus par le texte. Sur les relations avec les parlementaires, CAEF, Z 10 676, Z 10 673 et 3 D5.
59 CAEF, 3 D 6, Commission interministérielle de RCB, 3 D 4, Bulletins RCB 1970-1971.
60 Selon les calculs de V. Spenlehauer in L’évaluation des politiques publiques, op. cit., p. 225, la direction du Budget, via le chapitre 37‑93 du budget des charges communes, aurait financé en 1969 et 1970 le recrutement d’environ 400 agents contractuels RCB. Selon lui, en 1978, plus de 200 agents contractuels étaient encore employés par les ministères sur des postes RCB.
61 Pour une étude de l’attitude du Parlement à l’égard de la RCB, voir la contribution de Benjamin Mosny dans ce même volume.
62 Cf. les allocutions du ministre des Finances et de Jean Taittinger, secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances lors des commissions interministérielles de RCB, en janvier 1971, en mai 1971, en janvier 1972 et en juin 1972 (CAEF, Z 10 679, 3 D 6).
63 Cf. la note d’Y. Cannac du 23 septembre 1971, adressée à Paul Déroche, conseiller technique de V. Giscard d’Estaing, lui demandant de lui faire un bilan actualisé des travaux RCB depuis le discours du 16 septembre 1969 (CAEF, Z 10 681).
64 Méthodologie de rédaction des rapports d’activités et des rapports sur les voies et moyens ; ordre du jour, communiqués de presse ; PV des séances réécrits et lissés avant diffusion.
65 Sur les programmes finalisés, CAEF, 3 D 6. Douze groupes de travail sont créés, dont l’un sur le financement du Plan et un autre sur les questions budgétaires. Voir aussi A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 344‑352.
66 Pour une biographie de Philippe Huet et son rôle à la tête de la Mission RCB Finances, voir notre chapitre qui lui est consacré dans la partie III.
67 RCB, CAEF, 3 D 78 à 3 D 87. Ce faisant, Huet réplique le système qu’avait essayé de mettre en place le Commissariat général à la Productivité de Gabriel Ardant entre 1955 et 1959, en organisant des stages Organisation et Méthode pour recycler et former les administrateurs aux techniques d’organisation scientifique du travail. Sur l’activité de stages de recyclage du SCOM, F. Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel Ardant et le Commissariat général à la Productivité 1954-1959 », in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, vol. 2, 2013, p. 401‑442.
68 Cf. la brochure du CFPP sur la RCB, ministère de l’Économie et des Finances, 1969, qui reproduit le texte des conférences de P. Huet, et son ouvrage avec J. Bravo, L’expérience française de RCB, Paris, Presses universitaires de France, 1973.
69 CAEF, 3 D 10, 3 D 86 et 3 D 87.
70 CAEF, 3 D 87, Note du 19 février de P. Huet à la direction du Budget.
71 « Le contrôle de gestion, objectif de l’évolution du contrôle financier ». P. Huet utilise sans hésiter le terme « contrôle de gestion », qui depuis quelques années remplace au sein des entreprises le terme plus ancien de « contrôle budgétaire ». Cf. Nicolas Berland, « L’histoire du contrôle budgétaire en France. Les fonctions du contrôle budgétaire, influences de l’idéologie, de l’environnement et du management stratégique » thèse de doctorat en gestion sous la direction d’Henri Bouquin, université Paris-Dauphine, 1999 et Le contrôle budgétaire, Paris, La Découverte, 2002.
72 Cf. Octave Gélinier, Direction participative par objectifs, Puteaux, Hommes et techniques, 1968.
73 P. Huet n’ignore pas les travaux sur l’importance « du facteur humain » ; il cite ainsi Octave Gélinier et son dernier livre, Le secret des structures compétitives, Éditions Hommes et Techniques, 1966.
74 Le grand chantier en cours au tournant des années 1960 et 1970 est la paye automatisée du personnel.
75 Sur les nouvelles idées introduites par le Rapport Nora remis au Premier ministre en 1967 mais rendu public seulement en 1968, L. Quennouëlle-Corre, La direction du Trésor 1947-1967, L’État-banquier et la croissance, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000, p. 472‑495 et « Des entreprises publiques au service de la politique économique : la tutelle des Finances 1945-1970 », in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott et L. Tallineau, L’invention de la gestion des finances publiques., op. cit., p. 343‑344. Le Rapport Nora insiste sur la nécessité pour les entreprises nationales de se soumettre à la loi du marché et de la concurrence et d’adopter les « techniques modernes de gestion » (participation, autonomie, responsabilité) ; il recommande à l’État d’alléger ses contrôles (notamment a priori) et de rénover l’exercice de sa tutelle par la contractualisation. À la même époque, au sein de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques qui siège auprès de la Cour des comptes, surgissent les premiers tableaux de bord et les premiers ratios de gestion pour les entreprises publiques. Sur ce sujet, Daniel Berthereau, « L’expertise de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques (1948‑1976) », thèse de doctorat en histoire sous la direction de Dominique Barjot, université Paris IV, 2005 ; « Aux origines du contrôle a posteriori des entreprises publiques », in C. Bouneau et A. Fernandez (dir), L’entreprise publique en France et en Espagne de la fin du xviiie siècle au milieu du xxe siècle. Environnement, formes et stratégies, Pessac, MSH d’Aquitaine, 2004, p. 139‑151 ; « Le contrôle d’une entreprise concessionnaire par la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques : le cas du tunnel du Mont-Blanc (1965-1971) », Entreprises et Histoire, vol. 38, no 1, 2005, p. 84‑95 ; « L’outillage mental des rapporteurs de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques (1948-1976) », Annales des Mines-Réalités industrielles, février 2009, no 1, 2009, p. 118‑122.
76 Sur le rôle de P. Huet en faveur des sciences sociales au ministère des Finances, voir notre chapitre dans la troisième partie du présent volume.
77 Sur le groupe de travail DB/CP, CAEF, Fonds CP, B-0065207/1 et B0065210/2. Réunions des 28 septembre 1971, 3 novembre 1971, 15 décembre 1971 et 2 juin 1972.
78 Sur le groupe de travail chargé de préparer la mise en œuvre du budget de programme et les enjeux comptables, CAEF, fonds CP, B0065208/1. Le groupe de travail étudie notamment le budget de programme suédois (Fonds CP, B0065209/1).
79 Sur la révolution des mentalités qu’exige la RCB en matière de responsabilité des administrateurs, voir les avertissements d’un sociologue comme Jean-Claude Thoenig, membre du Centre de sociologie des organisations (CSO) de Michel Crozier, qui dès 1971 fait part de son scepticisme à l’égard de l’application de la RCB dans les administrations publiques (« Le PPBS et l’administration publique : au-delà du changement technique », Annuaire international de la fonction publique 1970-1971, Paris, Centre de recherche et de documentation sur la fonction publique de l’Institut international d’administration publique, Berger-Levrault, 1971).
80 Pour l’analyse du développement des budgets de programme, voir la contribution de Manuel Tirard dans le présent volume.
81 Sur les difficultés spécifiques rencontrées pour le budget de programme du MEF (1971-1975), B0065210/4.
82 Il faut attendre le tournant des années 1990 et 2000 pour que le chantier de la gestion publique soit ré-ouvert, à nouveaux frais, et que la loi budgétaire soit refondée totalement en 2001, avec la LOLF. Sur la comparaison entre la RCB et la LOLF de 2001, voir la contribution de Manuel Tirard dans la partie II du présent volume, ainsi que celle de Philippe Bezes et Sébastien Kott en conclusion…
83 La sous-direction du Budget de Fonctionnement et la sous-direction du Budget des Investissements avaient été séparées en 1966 ; six ans plus tard, elles sont réunifiées.
84 Il n’y a pas au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing l’équivalent de Pierre Suard ou de Jean-Paul Parayre pour suivre la RCB. Pire encore, Jacques Calvet, directeur de cabinet du ministre à partir de 1971, lui est défavorable.
85 Philippe Huet retourne à l’inspection générale des Finances dans l’attente d’un poste de débouché qui se fait attendre ; il n’est nommé président du conseil d’administration du SEITA qu’en 1974.
86 Pour renforcer la coordination de la formation et des actions des différentes cellules RCB, un comité de liaison interministériel pour la formation RCB (COLIFOR) est mis en place le 22 juin 1971, animé par la DP. Voir la contribution de P. Bezes dans ce volume, partie II.
87 Sur les budgets de programme, CAEF, Fonds RCB 3 D6, et à partir de mai 1972, voir les Bulletins RCB consacrés à cette question, notamment le Bulletin nos 10‑11, décembre 1972. Les secrétaires d’État au Budget, à l’Économie ou aux Finances, Jean Taittinger puis Jean-Philippe Lecat suivent particulièrement ce dossier.
88 Sur ce sujet, V. Spenlehauer, L’évaluation des politiques publiques, op. cit., p. 239‑240.
89 Sur la RCB à la Santé, Marie-Thérèse Chapalain dans le présent volume, partie III.
90 Sur la RCB à l’Éducation nationale, Clémence Cardon-Quint dans le présent volume, partie III.
91 Sur la RCB à la Culture, Xavier Laurent dans le présent volume, partie III.
92 Sur la RCB aux PTT, Marie Carpenter dans le présent volume, partie III.
93 Note de compte-rendu d’une réunion DB-DP sur les cellules RCB des ministères techniques, archives de la DP, 21 avril 1970, citée par V. Spenlehauer, L’évaluation des politiques publiques, op. cit., p. 233 : « Les travaux de Rationalisation des Choix Budgétaires entrepris jusqu’à maintenant par les services dépensiers se traduisent tous par des demandes d’augmentation de crédits. Cette tendance se poursuivra naturellement si nous ne précisons pas les règles que nos départements imposeront à propos des conséquences budgétaires des études RCB. Il ne serait sans doute pas suffisant, cependant, d’affirmer que les enveloppes resteront constantes et que la RCB doit viser à une meilleure utilisation des crédits en vue d’une plus grande efficacité. Compter sur ce seul attrait reviendrait à laisser au seul désir de bien faire des services le rôle moteur de l’opération ».
94 Sur l’offensive menée par Hubert Lévy-Lambert pour prendre en mains le pilotage de la RCB, sans succès, V. Spenlehauer, L’évaluation des politiques publiques, op. cit., p. 241‑242.
95 Selon V. Spenlehauer, de 1970 à 1974, la part du budget de l’État présentée sous la forme de budgets de programmes a progressé de 0 à 40 %, 14 ministères sur une trentaine environ ont entrepris l’effort demandé par la direction du Budget.
96 Sur la succession des réunions de 1972 à 1982-1983, CAEF, 3 D 6, CIRCB 1971-1973 et Fonds CP, B0065212/1 et B0064212/2.
97 Sur l’action de Paul Déroche à la direction du Budget, voir notre chapitre dans la partie III du présent volume.
98 CAEF, PH 48/92, carton 12.
99 RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 21, juin 1975, p. 1‑3
100 RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 21, juin 1975, p. 12‑13.
101 P. Cortesse, RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 21, 1975, p. 13.
102 Pour le développement des services d’étude et de prospective, voir Frédéric Tristram et Gilles Beguec (dir.), Penser l’avenir au temps de Georges Pompidou, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2018, ainsi que les contributions sur les expériences ministérielles de la RCB dans le présent volume, partie III. En juin 1981, la direction de la Prévision du ministère de l’Économie et des Finances transfère ses crédits d’étude au budget des ministères techniques et ne conserve qu’une enveloppe de trente emplois et 3 millions de francs pour réaliser des études interministérielles.
103 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 531‑534.
104 Note anonyme et non datée, récapitulant les enseignements à tirer de l’enquête RCB à la direction du Budget (1973 ?), issue des archives de la direction du Budget, base Crystal.
105 Cf. la venue des polytechniciens ingénieurs pour les études de rentabilité des investissements et un peu plus tard, la création du bureau R Études Budgétaires et Recettes à la 1ère sous-direction qui travaille sur la reconstitution de séries budgétaires à la fois rétrospectives et prospectives, qui passe commande à la Prévision d’un modèle prévisionnel budgétaire (salaires de l’Éducation nationale, investissements routiers, augmentation de la masse salariale, etc.) et qui met à l’étude la mise en place d’un système de contrôle de gestion.
106 Voir CAEF, Z 10 679.
107 Renaud de La Genière consacre encore les premières pages de son ouvrage de 1975 sur Le Budget à la « désadaptation des concepts budgétaires traditionnels » (p. 21‑25) et à la nécessité de promouvoir la rationalisation budgétaire, op. cit., p. 25‑29.
108 L. Tallineau, « Quarante ans de proposition de réforme de l’ordonnance du 2 janvier 1959 », « Réforme des finances publique, Réforme de l’État », Revue française de finances publiques, n° 73, janvier 2001.
109 Sur la comparaison RCB/LOF, voir dans le présent volume la contribution de Manuel Tirard dans la partie II, dans la partie III celle de Philippe Bezes et Sébastien Kott.
110 La protection des citoyens par exemple (voir les lois sur la CNIL ou sur la CADA).
111 Tout directeur d’administration centrale Rue de Rivoli, surtout s’il est inspecteur des Finances, se doit d’être le réformateur et le modernisateur de son secteur d’intervention, ainsi que de sa direction. À vingt ans d’écart, Renaud de La Genière rejoue la même partition que Roger Goetze directeur du Budget réformateur (1949-1956) en son temps : la modernisation de la direction du Budget, la réforme budgétaire et la revendication d’un leadership dans la réforme de l’État. Sur ce sujet, F. Descamps, « Roger Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État 1949-1958 », Revue française de finances publiques, n° 99, septembre 2007, p. 123‑134 ; « Lorsque la direction du Budget faisait appel à un cabinet de conseil privé pour sa propre réorganisation… », Revue française d’administration publique, n° 131, décembre 2009, p. 513‑525 et in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), op. cit., le chapitre sur les comités d’économies budgétaires (p. 201‑249) et le chapitre sur la politique de productivité dans les services publics (p. 401‑442).
112 Nous empruntons ici le terme à P. Bezes, Réinventer l’État, op. cit., p. 46‑55.
113 Sur cette poussée des gestionnaires dans un ministère comme celui de l’Éducation nationale voir la thèse de Bénédicte Girault, « Mémoires d’un ministère : Une analyse secondaire de l’enquête orale du Service d’histoire de l’éducation (c.1950-c.2010) », thèse en histoire sous la direction de Patrick Garcia, université de Cergy, 2018, p. 387‑403 et 613‑626, ainsi que la contribution de Clémence Cardon-Quint dans ce même volume, partie III.
114 Il a fallu sept années de travail préparatoire et d’expérimentation à la Rand Corporation avant de lancer le PPBS. En France, la RCB est lancée alors que les études-pilotes se limitent à deux cas, le Concorde et le RER, et que le milieu des chercheurs micro-économistes est encore très étroit, clivé selon les frontières ministérielles, et peu structuré. Pierre Suard et Jean Saint-Geours, qui avaient bien perçu cette lacune, avaient précisément le désir de créer une Rand Corporation à la française.
115 En 1970, la sous-direction C de la RCB compte 7 divisions ou bureaux, soit 46 agents, dont 38 cadres, selon A. Terray, Des francs-tireurs aux Experts, op. cit., p. 615.
116 Pour la LOLF, il y aura une direction entière vouée à cette réforme au sein du MEF et des consultants externes à tous les carrefours.
117 Les administrations centrales se montrent réticentes, parfois hostiles, comme par exemple les préfets (3 D 86) ou le Conseil d’État (3 D 11, cf. la communication de François Lagrange, auditeur au Conseil d’État, au XVe Congrès de l’IISA, Rome, septembre 1971, p. 48‑58). Les milieux des sciences administratives de leur côté restent sur la réserve (cf. Jeanne Siwek-Pouydesseau, « La critique idéologique du management en France », Revue française des sciences politiques, 1974, vol. 24, n° 5, p. 966‑993). Sur les juristes et leur réception de la RCB, voir la contribution de Sébastien Kott dans ce même volume.
118 Cf. le rapport rédigé par Jean-Charles Godard, conseiller référendaire à la Cour des comptes, pour le compte du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services publics, février 1970. Sur la Cour des comptes et la RCB, voir dans ce même volume la contribution de Christian Descheemaeker, partie II.
119 Voir la contribution conclusive de P. Bezes et de S. Kott à la fin de ce volume.
120 L’implication du directeur du Budget, Renaud de La Genière, se mesure dans sa présence fidèle et systématique aux réunions du Groupe central dès 1968, aux stages les plus importants, aux séances de la Commission interministérielle, dans son soutien à la réforme de la nomenclature budgétaire et aux budgets de programme, dans ses cours à Science Po. Voir à cet égard, son ouvrage, Le Budget, Paris, Presses de Sciences Po, 1976. Le sous-directeur du Budget, Guy Vidal, a largement soutenu son directeur, au moins jusqu’en 1974.
121 P. Bezes, Réinventer l’État, op. cit., p. 29.
122 Jacques Chevallier et Danièle Lochak, « Rationalité managériale et rationalité juridique », Revue française d’administration publique, n° 24, 1982, p. 53 et sq.
123 Ce néologisme désigne le processus par lequel l’économie (et ses critères) étend son emprise sur les activités sociales et humaines.
124 J. Chevallier, « La juridicisation des préceptes managériaux », Politiques et Management Public, n° 4, 1993 ; Jacques Caillosse, « Le manager entre dénégation et dramatisation du droit », Politiques et Management Public, n° 4, 1993 ; « Les figures croisées du juriste et du manager dans la politique française de réforme de l’État », Revue française d’administration publique, n° 105‑106, 2003 ; La Constitution imaginaire de l’administration, Paris, Presses universitaires de France, 2008.
Auteur
Maître de conférence habilitée à diriger des recherches en histoire contemporaine à l’École pratique des hautes études, Florence Descamps travaille sur l’histoire de l’État au xxe siècle. Elle anime depuis plusieurs années un séminaire sur l’histoire du ministère des Finances et de l’Économie, de la Grande Guerre aux années 1980. Elle a co-dirigé avec Laure Quennouëlle un cycle de journées d’études sur les finances de guerre (1914-1919) dont les actes ont été publiés aux éditions de l’IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France ainsi qu’un numéro spécial de la revue Vingtième siècle, « 1983, un tournant libéral ? », n° 138, avril-juin 2018. Elle a dernièrement publié « Penser le futur de l’administration en 1963-1964, un enjeu de la compétition gouvernementale pour le pilotage de l’État », in Gilles Le Beguec et Frédéric Tristram (dir.), Penser l’avenir au temps de Georges Pompidou, Bruxelles, Peter Lang, 2018, p 119‑143 et, avec Philippe Bezes et Scott Viallet-Thévenin, « Bercy. Empire ou constellation de principautés ? », Pouvoirs, janvier 2019, n° 168, p. 9‑28.
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