Aléas et sinuosités d’une réforme de la gestion publique. L’invention de la RCB au ministère des Finances 1962‑été 1969
p. 55-98
Note de l’auteur
* Les trois chapitres concernant la RCB au ministère des Finances dans cet ouvrage sont issus du mémoire inédit de notre dossier d’habilitation à diriger les recherches, soutenu le 21 novembre 2014 à l’EHESS, sous le titre Le ministère des Finances, la réforme administrative et la modernisation de l’État 1914-1974, 965 p.
Les sources principales utilisées sont les archives du ministère des Finances, conservées au Centre des archives économiques et financières, désormais CAEF (Fonds Prévision, Budget, Comptabilité publique, Mission RCB, Fonds Cabinet Giscard d’Estaing et Cabinet Debré), les archives de Michel Debré aux Archives nationales (AN), ainsi que quelques fonds privés (Archives Jean Saint-Geours au Comité pour l’histoire économique et financière de la France, Simon Nora à la FNSP). Aux archives écrites s’ajoutent les témoignages oraux conservés à l’IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France (concernant la direction du Budget et la direction de la Prévision) ou réalisés par nos soins (Philippe Huet, Geoffroy d’Aumale, Yves Cannac, Jacques Calvet, Jean-Pierre Fourcade, Pierre Cortesse, Antoine Dupont-Fauville, Jean Gonot, Jean-Claude Thoenig et Pierre Grémion). Pour en savoir plus, voir la partie Sources dans notre HDR, p. 886-905.
Texte intégral
Le pilotage de l’État : un enjeu de pouvoir entre Matignon et Rivoli 1960‑1965
Une séquence exceptionnelle de refondation politique et institutionnelle 1958‑1962
1Le retour du général de Gaulle au pouvoir en juin 1958 ouvre une exceptionnelle séquence de refondation des institutions et d’assainissement économique et financier, placée sous le sceau de la restauration de l’État et de son autorité. Dans un laps de temps très resserré (1958-1962) sont réalisés la réforme des institutions politiques (rédaction et adoption de la constitution de la Ve République, élection du président de la République au suffrage universel en 1962), la réforme du système de gestion des finances publiques1, le règlement de la question algérienne par les accords d’Évian, l’épuration et la réforme des armées, la réforme de l’administration civile (confirmation du statut général de la Fonction publique, remise en ordre des administrations centrales2, création d’organes interministériels, fusion du Commissariat général au Plan et du Commissariat général à la Productivité, lancement de la réforme régionale et de la réforme du corps des administrateurs civils qui aboutiront en 1964). Dans le même temps, le redressement économique et financier est acquis par le plan Pinay-Rueff du 31 décembre 1958 qui instaure le « nouveau Franc », rétablit l’équilibre budgétaire et organise la libéralisation de l’économie, réaffirmée par le Rapport Armand-Rueff de juillet 19603. L’élaboration et la mise en œuvre d’un tel programme séduisent nombre de hauts fonctionnaires, notamment ceux du ministère des Finances et des Affaires économiques qui se rallient très largement au nouveau régime et répondent pour la plupart favorablement à l’appel du nouveau pouvoir gaullien4.
2De ce grand maëlstrom, il résulte une nouvelle donne à la fois politique et économique. Du côté des institutions, émerge un nouveau système décisionnel, désormais triangulaire, dominé par le pôle élyséen, sous l’autorité duquel s’affrontent, dans une interaction concurrencielle permanente, Matignon, qui selon l’article 20 de la Constitution « conduit la politique du gouvernement », et le ministère des Finances, qui fort de ses acquis historiques depuis les années 1930, de son rôle dans la reconstruction et la modernisation de l’économie française sous la IVe République et du verrouillage budgétaire opéré par l’ordonnance organique du 2 janvier 1959, n’entend pas renoncer au pouvoir et aux terrtoires qu’il a conquis ni à sa mission de « conducteur de la croissance ». D’un point de vue économique, une fois surmonté le choc du rapatriement des Pieds-Noirs d’Algérie, partiellement soldé par le Plan de stabilisation de 1963, la paix retrouvée ouvre de nouveaux futurs. Le déploiement des Quinze Glorieuses (1959-1974), appuyé sur une croissance exceptionnelle, elle-même dopée par un programme volontariste de libéralisation de l’économie et de renforcement de l’ouverture européenne et internationale de la France, conduit le gouvernement à entrer dans une politique d’expansion économique et à adopter une planification généreuse en faveur du développement social et culturel de la population française (Ve et VIe Plan).
Piloter et contrôler les administrations publiques : la concurrence entre Matignon et Rivoli
3Dans ce nouveau contexte de paix et de prospérité, comment établir les priorités gouvernementales et opérer les choix de la modernisation de l’économie et de la société française ? Certes, le « consensus keynésien », noué depuis la Libération, confie à l’État et plus précisément au Plan un rôle prééminent dans la définition et la conduite de la modernisation économique et sociale, mais vingt ans ont passé : dans le cadre du nouveau régime, quel acteur sera chargé d’élaborer, de hiérarchiser et de piloter les programmes d’action publique ? Plus précisément, quel organe coordonnera et contrôlera l’action des administrations qui, après deux décennies de reconstruction, d’efforts militaires (sans victoire) et de rationnement budgétaire, découvrent avec euphorie la manne budgétaire de la croissance ? Le Plan qui a coordonné la reconstruction économique ? L’Élysée ? Matignon ? Aux nouveaux dirigeants de la Ve République naissante, de véritables choix de « gouvernementalité » se posent5. L’enjeu est décisif et il est double : d’un côté, la conduite des politiques économiques, de l’autre le contrôle de l’État et de ses administrations6. À l’intersection des deux, en facteur commun, la politique des finances publiques, celle des recettes et des dépenses, mais plus encore celle de la « répartition des fruits de la croissance » et de l’allocation budgétaire, objet de toutes les convoitises.
4C’est ce double enjeu qui va conduire Matignon et Rivoli tout au long des années 1960 à inventer ou à perfectionner, dans une compétition permanente, de nouveaux instruments de pilotage, de coordination, de prévision, d’évaluation ou de contrôle. Dans cette situation de concurrence structurelle, le ministère des Finances et des Affaires économiques part avec quelques atouts historiques : ses grandes directions centralisées et disciplinées, ses services d’expertise économique (l’INSEE, le SEEF), la direction du Trésor qui fait figure de direction de l’investissement public et du crédit, la direction du Budget que quelques hauts fonctionnaires réformateurs rêvent de rattacher au chef du gouvernement, notamment à la faveur du tournant de la IVe et de la Ve République7… Face à ce ministère très structuré, on comprend dès lors le rééquilibrage réalisé par le pouvoir gaullien au profit de Matignon et de nouvelles administrations de mission : création de nouvelles structures interministérielles comme la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) en 1961 ou la Délégation à l’aménagement du territoire (DATAR) en 1963, renforcement de la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique qui reçoit en 1960 l’appoint du Comité central d’enquête sur les coûts et rendements des services publics (CCECRSP, et surtout en 1962 détachement du Commissariat général au Plan des Finances, désormais rattaché au Premier ministre. L’élévation de la planification au rang « d’ardente obligation » par le général de Gaulle, sa revitalisation technocratique par la nomination de Pierre Massé à la tête du Commissariat, redonnent au Plan un lustre et un élan qui s’étaient érodés au tournant des années 1950 et 1960. Le redéploiement de la prospective, inventée et théorisée par Gaston Berger, directeur de l’Enseignement supérieur, dans les dernières années de la IVe République, opéré en 1962-1963 par Pierre Massé dans le cadre du groupe Horizons 19858, achèvent de démontrer aux dirigeants de la Rue de Rivoli que le leadership en matière de stratégie et de préparation du futur leur échappe. Ainsi, lors des auditions Horizons 1985, alors que Pierre Massé ouvre les consultations et les groupes de travail à toutes sortes d’experts, les hauts fonctionnaires Finances sont peu nombreux à être associés et se voient le plus souvent cantonnés au rôle de pourvoyeur d’informations et de données (Claude Gruson, ancien chef du SEEF et directeur de l’INSEE, Jean Saint-Geours responsable du SEEF et du FDES9). Sur la modernisation de l’Administration, sujet cher à la Rue de Rivoli depuis l’entre-deux-guerres, c’est Jérôme Monod, conseiller référendaire à la Cour des comptes qui vient de rejoindre la DATAR et qui se voit désigné comme rapporteur ; à l’occasion de son exposé oral, il se livre à une critique sans retenue du ministère des Finances et plus particulièrement de l’omnipotence de la direction du Budget. Cependant, lors de la rédaction du chapitre « l’Administration en 1985 », nombre des préconisations de Jean Saint-Geours sont retenues, notamment la nécessité dans les administrations centrales de développer une fonction d’état-major et d’étude, de perfectionner les « dispositifs d’information » et d’adopter les « méthodes modernes de gestion »10.
5Face à l’émergence de grands départements ministériels sectoriels tels que l’Équipement, face à la perte du Plan qu’elles perçoivent à la fois comme une diminutio capitis et comme une offensive primo-ministérielle, la réponse des Finances ne se fait pas attendre. Elle prend à partir de 1962-1963 essentiellement cinq voies : perfectionner et resserrer l’organisation et les structures de l’administration centrale des Finances pour rendre les interventions du ministère plus réactives et plus efficaces11 ; renforcer les capacités d’étude et d’expertise au sein du ministère tant en science économique qu’en science administrative, grâce à l’importation de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences ; inventer un modèle prévisionniste capable de proposer une alternative au modèle prospectiviste « dépensier » de Pierre Massé ; créer un organe d’étude et d’aide à la décision propre au ministère des Finances, susceptible d’éclairer le Ministre, non seulement sur les décisions de politique macroéconomique ou conjoncturelle, mais aussi sur les choix de politiques sectorielles ; enfin, inventer des instruments de gestion capables d’augmenter le poids des Finances dans les arbitrages ministériels.
6Cette stratégie de longue haleine va mobiliser pendant une décennie de nombreux cadres dirigeants du ministère des Finances (Claude Gruson, Jean Saint-Geours, Jean Ripert, Jean Sérisé, Phippe Huet, Raymond Martinet, Renaud de La Genière, Pierre Cortesse, Guy Vidal, Dominique de La Martinière, Jean Mascard, Jean-Pierre Fourcade, Edmond Malinvaud) et toucher toutes les grandes directions de la Rue de Rivoli et du Quai Branly (Affaires économiques). Elle trouve sa matérialisation dans plusieurs réalisations structurelles durables : la réorganisation de la direction générale des Impôts par la fusion des services centraux puis des services « extérieurs » des régies financières (1960-1968)12 ; la clarification et la répartition rationalisée des tâches entre l’INSEE et le SEEF (1962)13 ; la création en 1965 de la direction de la Prévision (DP14) ; la fusion de la direction du Trésor et de la direction des Finances extérieures (1965)15, le renforcement de la direction du Budget (1966)16. Parallèllement, la création en 1965-1966 des groupes Finances-Plan tente de conjurer la dérive des continents entre une Rue de Rivoli qui détient le verrou budgétaire et une Rue de Martignac qui ambitionne de dire (de prescrire ?) le futur et réorganise la triangulation entre les Finances, l’INSEE et le Plan17…
7L’accroissement des capacités d’expertise du ministère des Finances passe par l’augmentation continue dans la période des moyens de l’INSEE et par l’arrivée d’ingénieurs-économistes chargés de mission ou chargés d’études non seulement à la Prévision, mais aussi au Trésor et au Budget ; ces derniers font entrer Rue de Rivoli des compétences mathématiques et économistes jusque là fort peu représentées chez les administrateurs des Finances de formation essentiellement littéraire ou juridique (cf. le recrutement de l’ENA). La recherche de savoirs nouveaux passe ainsi par le recours à des intervenants extérieurs suceptibles d’éclairer le processus décisionnel et le comportement des acteurs administratifs.
8C’est dans ce contexte effervescent de recomposition politique, de reconfiguration de l’appareil administratif et de recherche de nouveaux instruments de savoir et de pilotage que, portée par la croyance en la possibilité d’une rationalisation de l’action publique et d’un gouvernement par la science, va surgir la rationalisation des choix budgétaire (RCB). Cette innovation gestionnaire qui va mobiliser le ministère des Finances pendant une décennie a en réalité plusieurs têtes de pont. Elle pointe son nez dès 1963 au ministère de la Défense avec le programme 3PB (planification, programmation, préparation du budget), système d’aide à la décision et de programmation militaire, mis au point par le Centre de prospective et d’évaluation (CPE) pour la définition des grands programmes d’armement nationaux18. Elle germe dans le même temps au ministère de l’Équipement, au service des Affaires économiques et internationales (SAEI), poussée par les X‑Ponts aménageurs des routes, des transports et du territoire19. Mais c’est au cœur de la toute jeune et ambitieuse direction de la Prévision du ministère des Finances qu’elle va prendre une dimension décisive.
La naissance de la RCB à la direction de la Prévision ou le temps des ingénieurs-économistes 1965‑1967
Accroître les connaissances sur l’État et ses administrations
9Tout commence au service des Études économiques et financières (SEEF), rattaché à la direction du Trésor. Ce service ne s’appelle pas encore direction de la Prévision mais il vient d’être réorganisé en 1960-1961 par Claude Gruson20 et il constitue, dans les années 1962-1965, un véritable « précipité » d’innovations.
10Première direction de travail. En 1962-1963, un petit groupe de comptables nationaux du SEEF, du Plan et de l’INSEE et de responsables administratifs et financiers prend conscience de la cécité dans laquelle ils sont plongés concernant le comportement des administrations en tant qu’acteurs économiques. Quel est le coût de leur fonctionnement et de leurs investissements ? Quel est leur impact macro-économique ? Ce diagnostic de méconnaissance, posé à la faveur des travaux de prospective à moyen terme (Esquisse E1) et à long terme (Horizon 1985), oriente alors toute une série de travaux pour essayer de mieux cerner ce qui sera finalement formalisé dans le Compte des Administrations21. Au même moment, alors que la résolution du conflit des mineurs (1963) et la détermination des rémunérations du secteur public suscite de nouvelles procédures de régulation financière, économique et budgétaire22, l’hypothèse se confirme que l’acteur économique État est mal connu et que l’acteur sociologique Administrations publiques présente une véritable opacité. Il est dès lors urgent d’accroître les connaissances sur l’État, ses services, ses effectifs, ses investissements, ses interactions avec les autres acteurs économiques, mais aussi sur la structuration de la dépense publique et ses évolutions en longue et en moyenne durée. Cette préoccupation, qui est à l’origine celle de Claude Gruson, chef du SEEF puis de l’INSEE (à partir de 1961), est partagée par son successeur à la tête du SEEF, Jean Saint-Geours (voir infra) et par le nouveau directeur du Budget, Raymond Martinet (1960-1966)23, qui à partir de 1962 affronte l’irrésistible croissance de l’appareil d’État.
11Philippe Bezes a montré comment le désir d’accroître les connaissances concernant le fonctionnement des administrations avait nourri les travaux de la direction du Budget sur le recensement des fonctionnaires en 1962 et 1965 et sur les premiers calculs de masse salariale de la fonction publique24. C’est ce même objectif qui conduit le directeur du Budget à recruter en 1962 un jeune statisticien de l’INSEE, Alain Darbel25, pour établir les premières séries budgétaires en longue durée et à faire appel en 1965 aux sciences sociales pour étudier le fonctionnement des administrations centrales26. En effet, c’est ce même Raymond Martinet qui fait discrètement appel en 1965-1966 à un groupe de sociologues coordonné par la Maison des Sciences de l’Homme de Fernand Braudel pour mener un programme de recherches sociologiques sur les administrations centrales. De ces « enquêtes » qui vont s’étaler jusqu’en 1970, le commanditaire souhaite tirer des enseignements et des lois suceptibles d’éclairer les dysfonctionnements de l’État central et de nourrir des programmes de réforme administrative27. Son espérance sera partiellement déçue, mais cette ouverture illustre la volonté des dirigeants du ministère des Finances de l’époque d’éclairer la boîte noire de l’administration par les sciences sociales.
Contrôler les investissements publics par les mathématiques
12Seconde direction de travail. Toujours au SEEF, mais selon d’autres filiations scientifiques que les comptables nationaux, se regroupe, entre 1962 et 1965, une poignée de chargés de mission, jeunes ingénieurs micro-économistes, essentiellement des X‑Mines ou des X‑Ponts, qui vont se lancer dans de vastes expériences de calcul économique sur les grands investissements de l’État28, inspirés des méthodes mises en œuvre par les Charbonnages de France et Électricité de France, et plus anciennement par Jules Dupuit pour la construction des ponts au xixe siècle. Dans la seconde moitié du xxe siècle, les études de calcul économique, de recherche opérationnelle et de programmation linéaire se développent en effet dans ces deux grandes entreprises publiques, inspirées des travaux pionniers de Maurice Allais à la fin des années 1940 et au début des années 195029. Elles se concentrent au sein du service des Études économiques des Charbonnages, placé sous la houlette de Paul Gardent (X‑Mines)30, grâce aux travaux de Jacques Lesourne31 (X‑Mines) sur la rentabilité comparée des mines de charbon et sur la fermeture consécutive de certains puits français32. Elles connaissent leur première acclimatation au SEEF aux Finances en 1963, avec l’étude micro-économique commandée sur le même sujet par Simon Nora33, inspecteur des Finances, ancien du SEEF et directeur du service Économie et Énergie de la CECA de 1960 à 1963. Au même moment, chez EDF, les travaux de Marcel Boiteux sur la tarification de l’électricité au coût marginal assurent au calcul économique un renom et une diffusion qui dépassent désormais les cercles mathématiciens qui l’ont vu naître34. Au ministère des Finances, l’étude de 1963 pour la CECA manifeste la première percée des outils mathématiques au SEEF et ouvre la porte aux deux études-phares sur le Concorde et sur le RER commandées en 1965 par un ministre des Finances35, Valéry Giscard d’Estaing, lui-même polytechnicien (P 1944).
13Ces études de rentabilité des investissements sont concomitantes à celles du ministère de l’Équipement qui recourt depuis le début des années 1960 (et au-delà) à la méthode des bilans actualisés pour le développement des investissements routiers36 ; elles suivent de très près celles du ministère des Armées qui, dans le cadre de la programmation militaire et de la nouvelle Délégation générale pour l’armement, concentre à partir de 1961 dans un bureau de Prospective et d’Orientation ses études sur les futurs systèmes d’armes37. D’une manière générale, ces études de recherche opérationnelle et de calcul économique visent à éclairer les décideurs, en calculant les coûts comparés des différents projets alternatifs et en évaluant leurs conséquences économiques et financières à court, moyen et long terme. Ces études mathématiques menées par une poignée de polytechniciens attestent de la montée de l’information chiffrée et de l’expertise, ainsi que de l’intérêt porté par les décideurs à la dépense publique, ses effets et ses coûts.
14Cette préoccupation d’efficience n’est cependant pas l’apanage exclusif des experts mathématiques ; elle est également bien présente à l’esprit des responsables comptables et budgétaires du ministère des Finances qui ont de leur côté renforcé dans le Règlement général sur la Comptabilité publique de 1962 les dispositions concernant la comptabilité des organismes publics. Celle-ci est organisée désormais de façon à permettre la connaissance et le contrôle des opérations budgétaires et de trésorerie, la connaissance de la situation du patrimoine, le calcul des prix de revient, du coût et rendement des services, la détermination des résultats annuels et l’intégration des opérations dans la comptabilité économique nationale38.
Piloter la politique industrielle de la France par les études de rentabilité : la création de la direction de la Prévision
15La troisième orientation de travail se met en place en 1962 lors de l’arrivée de Jean Saint-Geours à la tête du SEEF39, qui profite de la nouvelle répartition des tâches avec l’INSEE pour réorienter les activités du Service vers la microéconomie. Inspecteur des Finances en provenance de la direction du Trésor et plus particulièrement du FDES dont il a été le secrétaire général, Jean Saint-Geours est spécialiste du financement des investissements de l’État. Lorsqu’en 1965 le SEEF accède au rang de direction et se voit rebaptisé direction de la Prévision (DP), convaincu de l’intérêt du recours au calcul économique, Saint-Geours décide de développer les études de rentabilité des investissements. Son ambition est de faire de sa direction une direction de la Stratégie industrielle40 et de la positionner comme le conseiller technique économique du ministre des Finances pour le choix des grands équipements.
16Dans cette configuration de l’innovation administrative et gestionnaire, Valéry Giscard d’Estaing n’est pas le moindre des acteurs. Jeune ministre des Finances de janvier 1962 à janvier 1966, énarque, inspecteur des Finances, mais avant tout polytechnicien (P 1944), il maîtrise parfaitement ce langage mathématique et scientifique et souhaite, maintenant que le Plan est rattaché au Premier ministre, renforcer la capacité d’étude et d’expertise économique de son ministère pour mieux peser dans les arbitrages gouvernementaux. Ministre modernisateur et technocrate, il fait partie sans conteste à l’époque des adeptes de ce « gouvernement rationnel de l’administration » dont Philippe Bezes a tracé les contours pour les années 196041. C’est lui qui le 9 juillet 1965 prend la décision de créer la direction de la Prévision42. La nouvelle direction reçoit pour mission « de mener ou d’organiser, en liaison avec le Commissariat général au Plan, des études prévisionnelles sur les problèmes de développement économique et technique » et de « contribuer à la définition et au perfectionnement des techniques d’analyse permettant de calculer le coût, de mesurer la rentabilité et d’évaluer les effets économiques directs et indirects d’une opération donnée ». Le décret va jusqu’à préciser que la nouvelle direction devra comporter une cellule de recherche opérationnelle. La création de la direction de la Prévision et sa focalisation sur une mission d’expertise micro-économique font de Valéry Giscard d’Estaing le premier père politique de la RCB première manière.
17La création en 1965 d’une direction d’étude et de prévision dans un ministère comme les Finances n’est pas isolée au sein de l’appareil d’État, même si elle est la seule à pouvoir prétendre au rang de « direction » ; elle suit de peu la mise en place en 1964 du Centre de prospective et d’évaluation (CPE) au ministère de la Défense par Pierre Messmer43. Elle précède de quelques mois, en 1966, la transformation au sein du nouveau grand ministère de l’Équipement et du Logement dirigé par Edgard Pisani d’un bureau d’étude créé en 1960 en un service stratégique, le service des Affaires européennes et internationales (SAEI)44. Sans que l’on puisse parler en aucune manière de concertation ni de mouvement organisé, on constate ainsi l’éclosion au sein de l’État central de plusieurs services d’étude, de prospective et de prévision économique. Cette concomitance contribue à l’apparition d’un milieu porteur, riche en innovation, en échanges et en émulation, celui des polytechniciens micro-économistes, ingénieurs des Mines, des Ponts et Chaussées et de l’Armement qui dans le sillage de Maurice Allais ont tous en commun la maîtrise des méthodes de recherche opérationnelle, la pratique du calcul économique et le recours aux études coûts-avantages ou multi-critères45 : Paul Gardent et Jacques Lesourne aux Charbonnages de France, Marcel Boiteux et Pierre Massé chez EDF, Louis Armand à la SNCF, Pierre Guillaumat au CEA, à EDF puis à l’ERAP, Jean Blancard au Bureau de recherche du pétrole, à l’ERAP, à la SNECMA et à la DGA, Hugues de L’Estoile et Paul-Ivan de Saint-Germain au ministère des Armées ou à la délégation générale de l’Armement (DGA), Claude Abraham, Claude Bozon et Claude Charmeil à l’Équipement, Pierre Marzin et Louis-Joseph Libois aux PTT… Ce sont leurs élèves ou leurs successeurs qui vont essaimer aux Finances dans la seconde moitié des années 1960, d’abord à la direction de la Prévision (Jacques Raiman46, Henri Guillaume47, Hubert Lévy-Lambert (voir infra), Michel Ternier (voir infra), puis à la direction du Trésor (Paul Mentré48), au Budget et à la Mission RCB (Geoffroy d’Aumale, voir infra).
18Le nouvel organigramme de la direction de la Prévision porte la marque de ses nouvelles missions recentrées sur la mesure, à moyen et long terme, de l’action publique, avec la mise en place de quatre divisions : la division de la Rentabilité des Investissements, la division des Actions économiques publiques, la division des Structures de production et enfin la nouvelle section de Recherche opérationnelle. Cette dernière doit construire et fournir les outils mathématiques pour les études réalisées par les autres divisions. La division des Actions économiques publiques se voit chargée d’étudier les effets économiques des principales interventions de l’État sur le comportement des autres agents économiques et d’apprécier d’un point de vue économique les politiques sectorielles menées par les ministères techniques. La division de la Rentabilité des Investissements doit étudier les projets d’investissements publics dont le ministère des Finances est saisi, notamment ceux des entreprises nationales. Saint-Geours a par ailleurs prévu de lui confier l’étude des services administratifs et la mesure de leur efficacité. Cette dernière tâche est en effet délaissée par le Comité d’enquête sur les coûts et rendements des services publics depuis que, sous l’impulsion de Michel Debré Premier ministre, il s’est réorienté vers les questions de structures et de fonction publique, laissant en déshérence les études de productivité chères à Gabriel Ardant, commissaire général à la Productivité (1946-1953)49. Ainsi, face au modèle prospectiviste affiché par le Commissariat général au Plan, le ministère des Finances se dote-t-il d’un dispositif alternatif prévisionniste pour tenter de dire et de contrôler le futur, fondé sur l’étude de la rentabilité des investissements et la mesure de l’efficacité des services publics.
Faire alliance avec la direction du Budget 1966‑1967
19En dépit de ses atouts, la Prévision, direction récemment créée et en quête de légitimité, n’est pas assez puissante pour développer en solitaire cet ambitieux programme de travail. Elle a besoin d’alliés pour le mener à bien, tant à l’échelle interministérielle qu’à l’échelle intra-ministérielle, notamment pour obtenir les moyens quantitatifs et qualitatifs qui lui manquent. Dans ce ministère dépourvu de corps techniques de l’État et peuplé d’administrateurs civils de formation juridique ou littéraire50, elle n’a pas d’autre solution pour ses études de rentabilité des investissements ou pour ses études micro-économiques que de recourir à des chargés de mission venant de l’extérieur, mis à disposition, détachés ou contractuels. Or elle bute sur l’obstacle budgétaire ; le financement occulte des chargés de mission du SEEF assuré jusqu’en 1961 par la Banque de France s’est tari51, il lui faut absolument obtenir le concours du Budget lui-même. Enfin, pour faire valoir efficacement son expertise économique dans le choix des grands projets d’équipement à l’échelle interministérielle, elle a besoin de se rapprocher de la direction du Budget et de s’insérer en amont dans la procédure de préparation du budget, avant les arbitrages, ce qui n’est pas la chose la moins difficile à obtenir tant la direction du Budget veille jalousement à ses prérogatives.
Un habillage séducteur : l’exemple américain
20Pour séduire la direction du Budget, Jean Saint-Geours élabore une véritable tactique52. Premièrement, proposer une alliance à la direction du Budget en élargissant les études de rentabilité des investissements à une opération plus ambitieuse de modernisation des finances publiques. Deuxièmement, utiliser comme argumentaire le séduisant précédent que constitue l’expérience du PPBS américain (Planning-Programming-Budgeting System), qui, issu du ministère de la Défense américain, a migré jusqu’au Bureau of Budget de l’administration américaine53. Le PPBS est un système de programmation qui vise à rénover les procédures fédérales de choix budgétaires, selon un cycle en cinq étapes : 1° moderniser la gestion administrative en identifiant des programmes d’action publique et en les dotant d’objectifs clairs et mesurables ; 2° utiliser le calcul économique et l’analyse de système pour mesurer la rentabilité économique comparée de ces programmes d’action ; 3° budgétiser ces programmes ; 4° soumettre au pouvoir politique pour décision les choix alternatifs attachés à ces programmes ; 5° évaluer a posteriori les résultats des programmes et la validité des hypothèses posées au départ. Le Planning correspond au « recensement des objectifs » poursuivis par l’État ou par tel département ministériel. Le Programming constitue « la tactique administrative » ou l’action physique définie par les services pour atteindre ces objectifs. Le Budgeting recouvre « l’exécution financière, c’est-à-dire d’une part la traduction détaillée en termes budgétaires des programmes et d’autre part le contrôle de l’exécution »54. Préparé à la Rand Corporation pendant sept années, le PPBS a été expérimenté entre 1963 et 1964 au ministère de la Défense par le ministre Robert Mac Namara et en 1965, il vient d’être généralisé par le président Johnson à l’ensemble de l’administration fédérale55.
Sous le PPBS, l’optimisation de la dépense publique (ODP)
21Au printemps 1965, Jean Saint-Geours met en forme une première proposition à l’intention de Renaud de La Genière alors chef de service à la direction du Budget56, intitulée « l’Optimisation de la Dépense Publique » (ODP). Elle recouvre deux aspects : « établir et appliquer des méthodes d’appréciation de la rentabilité des investissements du secteur public, ainsi que du rendement des services de l’administration » et « déterminer les éléments de décision pour les principales interventions sectorielles de l’État : énergie, agriculture, recherche etc. autant que possible en utilisant le calcul économique »57.
22Chronologiquement, l’ODP suit donc de très près le lancement généralisé du PPBS aux États-Unis ; à ce titre, elle peut apparaître comme un simple décalque de l’expérience américaine. La proposition de Jean Saint-Geours a cependant une généalogie proprement française que la référence omniprésente au PPBS américain dans les notes administratives ne saurait faire oublier : le calcul économique dans les grandes entreprises publiques, les études de rentabilité des investissements au SEEF, le programme 3PB au ministère des Armées ou les calculs du ministère des Travaux publics pour ses investissements routiers. De sorte qu’il nous paraît difficile de qualifier la RCB française, comme nombre d’acteurs ou d’auteurs l’ont fait, d’importation américaine. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’expérience américaine de la Rand Corporation et le modèle du PPBS ont servi à la fois de précédent, d’expérience à étudier et à critiquer, de référence de légitimation, d’habillage de modernité et pour finir, de boîte-à-outils pour des administrateurs français en quête d’innovations gestionnaires ou de solutions prêtes-à-appliquer. L’atlantico-tropisme manifesté à cette occasion pourrait sembler paradoxal en ces temps de gaullisme ombrageux, mais il n’est pas nouveau Rue de Rivoli. Sous la IVe République, plusieurs directions ont envoyé des administrateurs aux États-Unis étudier les méthodes de gestion américaines ; c’est le cas de la direction du Budget qui s’intéresse en 1950-1951 au budget fonctionnel préconisé par la Commission Hoover58. En 1953-1954, sur le modèle des missions de productivité pour les entreprises françaises59, quelques missions « administratives » s’organisent60, comme celle de Maurice Lauré, inspecteur des Finances, sur le contrôle fiscal et la productivité fiscale61, celle de Raymond Gaudriault, administrateur de l’INSEE, sur les techniques administratives62 ou encore celle de Jean Gonot, inspecteur des Finances, sur les bureaux d’Organisation et Méthode63.
23Quoi qu’il en soit, le fruit de cette congruence entre l’ODP française et le PPBS américain se manifeste par l’envoi de plusieurs missions d’administrateurs français des Finances aux États-Unis, une traversée atlantique qui va devenir un rituel pour les experts de la future RCB. Ces voyages d’étude en Amérique s’inaugurent aux Finances par une première mission exploratoire en septembre 1966, la mission Lequéret, du nom de l’administrateur de la Prévision en charge des Administrations publiques ; elle est suivie par une mission DP-DB-cabinet en octobre 1967, puis par un troisième voyage DP-DB-Mission RCB au printemps 1969 avec Philippe Huet, chef de la Mission RCB, qui ouvre la voie aux missions d’étude et aux stages de formation que la direction de la Prévision organisera à partir de 1969-1970 dans les universités américaines. Mission pionnière, la mission Lequéret de l’automne 1966 met au cœur de son programme l’analyse du PPBS américain et de ses résultats en matière d’administration publique. En dépit d’un bilan critique qui met en lumière, dès la fin 1966, les limites et les difficultés de l’exercice64, Jean Saint-Geours décide de s’inspirer de l’expérience américaine pour proposer au Budget non seulement des études économiques de rentabilité pour les projets d’investissements, mais un vaste système d’études préparatoires destiné à éclairer les choix budgétaires en matière de dépenses publiques.
24Si l’on suit la chronologie établie par Aude Terray grâce aux archives de la DP, la première proposition de l’ODP par Jean Saint-Geours à Renaud de La Genière, nommé directeur du Budget en avril 1966, aurait eu lieu oralement le 3 novembre 1966. L’ODP, résume Jean Saint-Geours, est « une méthode pour la préparation des budgets annuels, pour l’élaboration des choix du Plan ou pour l’éclairage des décisions de longue portée »65. Ce premier entretien exploratoire est suivi d’une grande note-programme en janvier 196766, où le directeur de la Prévision expose à son camarade de promotion de l’ENA et de l’inspection tous les bienfaits qu’il peut espérer de l’ODP : rationalisation et pacification de la procédure budgétaire67, incitation des services à justifier scientifiquement leurs demandes de crédits, optimisation de la dépense publique, mise au point d’argumentaires économiques capables de contrer les projets des ministères dépensiers ou de contenir leurs appétits budgétivores, participation et appui à la préparation du Budget, contribution aux arbitrages du VIe Plan et à la préparation du VIIe Plan. Enfin, last but not least, il assure la possibilité de réaliser des économies budgétaires, invoquant l’exemple du PPBS américain qui aurait fait faire 5 à 10 % d’économies au Budget de la Défense68. Même si la dernière ficelle est un peu grosse, Renaud de La Genière est séduit ; prudent, il laisse cependant passer un long délai avant de répondre69. Jean Saint-Geours, qui entre-temps a avancé avec ses ingénieurs-économistes, revient à la charge dans une nouvelle note le 5 septembre 196770 et propose une phase d’expérimentation avec le lancement de sept études-pilotes dans sept départements ministériels, dans laquelle la Prévision jouerait le rôle d’un « bureau d’études », à la fois concepteur, sous-traitant et coordinateur auprès d’une direction du Budget maître d’ouvrage. Habile présentation, propre à rassurer le Budget.
25En attendant que soit prise la décision définitive, une nouvelle mission conjointe DP-DB-Cabinet du Ministre71, part en octobre 1967 aux États-Unis pour faire le point sur le PPBS72. Au retour de ce voyage stratégique, alors que les perspectives en matière de dépenses publiques et de besoins d’équipements collectifs se font plus préoccupantes73, le directeur du Budget se rallie à l’ODP. L’alliance est définitivement scellée par une note au ministre du 28 novembre 1967, signée des deux directeurs, sur un programme plus modeste que celui antérieurement dessiné par l’ambitieux directeur de la Prévision, mais dans lequel sont néanmoins en germe toutes les promesses de la future RCB : les études pilotes, la formation et le recrutement de spécialistes micro-économistes, la recherche de l’utilisation optimale des crédits d’investissements et des crédits de fonctionnement, les économies budgétaires.
26Née en 1964-1965 au SEEF de l’ambition d’un haut fonctionnaire imaginatif, véritable « entrepreneur de réforme », appuyée sur les méthodes mathématiques d’évaluation de la rentabilité des investissements, conçue comme une technique d’aide à la décision par des polytechniciens férus de calcul économique et utilisée comme une technique alternative à la planification, l’ODP de Jean Saint-Geours réalise en novembre 1967 une première mue, en revêtant, pour rallier l’austère direction du Budget, un habillage budgétaire qui permet à cette dernière de s’approprier la réforme et de servir ses propres intérêts. Par cette alliance opportuniste, l’ODP se dote d’un double visage : côté pile la rationalisation de l’action économique de l’État, côté face la rénovation du contrôle par le Budget des administrations « dépensières ». D’essence technocratique et éminemment giscardienne, cette RCB première manière, qui n’en porte pas encore le nom, est aussi une réforme ascendante, from the bottom up, issue de l’intérieur de l’administration, mais d’éléments exogènes et non-conformistes, les ingénieurs chargés de mission.
De la réforme administrative à la réforme budgétaire janvier‑mai 1968
Michel Debré le rationalisateur ou le temps de la décision
27Avec l’acceptation de l’ODP par Michel Debré, qui a succédé en janvier 1966 à Valéry Giscard d’Estaing74, à la condition expresse que le nom en soit changé75, un seuil décisif est franchi, dans le processus de décision comme dans les orientations de la réforme. L’extrême rapidité du processus décisionnel politique et ministériel contraste avec la longueur et les hésitations de la phase intra-administrative et bureaucratique précédente76. Le lancement de la RCB obéit désormais à un mode descendant et directif, voire autoritaire de la réforme, qui porte la marque du tempérament, des méthodes de travail et des convictions de Michel Debré77. Les décisions s’enchaînent, selon une chronologie resserrée, de novembre 1967 à mai 1968 :
Chronologie du lancement de la RCB
- 28 novembre 1967, note au ministre cosignée des deux directeurs proposant l’ODP78 ;
- Fin décembre 1967, première réunion de pilotage à Royaumont ;
- 4 janvier 1968, communication de Michel Debré en conseil des ministres sur l’ODP, intitulée « Contrôle et meilleur rendement des dépenses publiques »79 et présentation des études sectorielles à mener dans les départements ministériels80 ;
- 17 et 18 février 1968, séminaire de réflexion à Amboise sous la présidence de Michel Debré ministre des Finances et de Robert Boulin, secrétaire d’État au Budget81 ;
- 1er mars, choix par Michel Debré de Philippe Huet pour la Mission RCB ;
- 13 mars 1968, création du Groupe central de RCB82 ;
- 19 mars 1968, note au ministre sur les besoins en personnels signée des trois directeurs de la Prévision, du Budget et du Personnel pour le ministère des Finances lui-même ;
- Fin mars, envoi des lettres officielles signées de Michel Debré aux ministres techniques pour leur proposer de réaliser une étude pilote ;
- 25 mars, lettre de Michel Debré demandant à Robert Boulin de voir traduits les résultats de la RCB dès le projet de loi de finances 1970 ;
- 30 mars, note au Ministre de Philippe Huet sur les besoins en personnels de la Mission RCB du ministère ;
- 5-6 avril 1968, séminaire de Barbizon sur la RCB au ministère des Finances83 ;
- 27 avril 1968, nouvelle communication de Michel Debré sur la RCB en conseil des ministres84 et nomination de Philippe Huet à la tête d’une Mission RCB Rue de Rivoli ;
- 13 mai 1968, arrêté de création de la Mission RCB au ministère des Finances ;
- 15 mai 1968, acceptation par François-Xavier Ortoli, ministre de l’Équipement et du Logement, de l’opération Sécurité routière.
28Ce train de décisions n’a toutefois pas permis de régler la question des moyens et du budget de l’opération RCB dans le cadre du projet de loi de finances 1969. Les événements de Mai 1968 ont éclaté trop tôt. Cet enchaînement très rapide s’explique par le rôle décisif joué par Michel Debré, mais aussi par ses conseillers. Le directeur du cabinet de Michel Debré, Antoine Dupont-Fauville, inspecteur des Finances85, joue son rôle de coordinateur et de soutien aux initiatives des deux directeurs. Pierre Cortesse86, administrateur civil, ancien sous-directeur du Budget et futur directeur de la Prévision en 1974, conseiller budgétaire de Michel Debré puis directeur de cabinet de Robert Boulin secrétaire d’État au Budget, préoccupé par la progression des services votés, inquiet du financement du Plan et soucieux de redonner au Budget des marges de manœuvre, s’engage personnellement dans la réforme.
29Enfin, Pierre Suard, conseiller technique de Michel Debré sur les grands investissements, est l’homme-clef qui va apporter sa patte personnelle à la construction de la RCB aux Finances. Polytechnicien (P 1954) et ingénieur au corps des Ponts et Chaussées, il a été membre du service des Affaires européennes et internationales (SAEI) au ministère de l’Équipement (1960-1963) et directeur d’exploitation d’Aéroport de Paris (1967-1970). Il parle le même langage que les polytechniciens de la Prévision et de l’Équipement avec qui il partage, si ce n’est une communauté de vues, une véritable communauté de méthodes et de raisonnement. Il unit en sa personne une formation mathématique de haut niveau ‒ c’est lui qui va recevoir et analyser en mars 1966 les résultats des études Concorde et RER et qui va pousser l’idée d’étendre les études RCB à l’ensemble des équipements collectifs ‒, une expérience en matière d’investissements et d’équipements et une expérience gestionnaire dans une grande entreprise publique, Air France87. Avec Pierre Suard et Aéroport de Paris, s’esquisse en pointillés le futur troisième volet de la RCB, les « techniques modernes de gestion » (TMG), qui va connaître un développement important grâce au soutien de Philippe Huet et de la Mission RCB Finances. C’est Pierre Suard qui introduit, dans les instances naissantes de la RCB et dans les séminaires de réflexion de cette période, les responsables gestionnaires d’Air France (Pierre Cot) à côté de ceux ‒ plus « mathématiciens » ‒ d’EDF (Marcel Boiteux). C’est lui qui, au cabinet, rend compte très étroitement à Michel Debré de l’avancement du dossier RCB. C’est lui qui organise et supervise les premières réunions de travail entre les responsables de la Prévision et du Budget, le séminaire d’Amboise en mars 1968, le séminaire de Barbizon en avril 1968, la création du Groupe central RCB et sa composition. C’est enfin lui qui pousse à la création d’un centre de recherches appliquées sur le modèle de la Rand Corporation et qui mobilise son camarade des Ponts et Chaussées, Jacques Raiman, chargé de mission à la Prévision.
30Née au sein de la direction de la Prévision des initiatives de jeunes ingénieurs économistes, portée au sommet par son directeur, adoptée par le directeur du Budget après un habile rhabillage budgétaire, la réforme est maintenant endossée par le cabinet du ministre, et c’est le ministre en personne qui va lui donner sa force de frappe. Il faut en effet souligner le charisme et les caractéristiques propres de Michel Debré, ministre des Finances du 8 janvier 1966 au 30 mai 1968. Michel Debré, depuis ses débuts de carrière au Conseil d’État, à la fin des années trente, a développé un intérêt majeur pour l’administration française (ses agents, son fonctionnement, sa rationalisation et sa modernisation88) et pour la réforme de l’État (sa restauration, sa grandeur). C’est lui qui va interpréter et imposer la RCB comme une nouvelle politique de réforme administrative, orchestrée par les Finances. Ainsi dans son propre ministère, Michel Debré acquiesce-t-il à l’idée d’appliquer la RCB à un problème qui le préoccupe depuis longtemps : la rationalisation du réseau des perceptions89, serpent de mer de la réforme administrative aux Finances, resté non résolu depuis la fin des années 1950 en dépit des recommandations de la Commission de réforme administrative dite de l’article 76 de 195990 et auquel il veut s’attaquer en même temps qu’il réforme les anciennes « régies financières ». C’est aussi lui qui commande à la Prévision, dans le cadre de la régionalisation des investissements (VIe et VIIe Plan), une méthode pour évaluer la rentabilité des investissements afin de guider les trésoriers-payeurs généraux dont les pouvoirs économiques viennent d’être redéfinis par la réforme régionale de 1964, mais qui manquent encore d’expertise économique et de critères d’évaluation91. C’est enfin lui qui greffe sur la RCB la problématique de « réforme budgétaire ». Chacun connaît le refus de Michel Debré de voir la France « gouvernée par son caissier »92, son appétence pour la pluri-annualité budgétaire et les lois de programme, sa critique voilée de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 à laquelle il n’a pas véritablement pu contribuer comme il l’aurait voulu93, alors qu’il estimait qu’en tant que Garde des Sceaux et rédacteur de la Constitution, il aurait dû y mettre la main. Bref, Michel Debré éprouve un véritable intérêt pour la procédure budgétaire et sa modernisation94.
31Ensuite, dans ce gouvernement Pompidou II, Michel Debré a un positionnement très particulier : fils spirituel du général de Gaulle dans l’ordre du gaullisme résistant mais dauphin non adoubé, il est un compétiteur politique et gouvernemental déclaré de Georges Pompidou, Premier ministre. Il a obtenu du général de Gaulle le grand ministère de l’Économie et des Finances qu’il réclamait et ne cesse d’empiéter par ses projets de réforme continuels sur le territoire de ses collègues ministres (Affaires sociales, Santé, Travail, Formation professionnelle, Culture, Éducation, etc.). À cet égard, la RCB est le moyen rêvé pour autoriser le ministère des Finances à revendiquer en amont un droit de regard sur l’élaboration des politiques publiques sectorielles et à en discuter l’opportunité et le coût. Enfin, le fait de se positionner grâce à la RCB dans le champ de la réforme administrative ‒ qui est sous la Ve République une des attributions du Premier ministre ‒ est une pierre de plus dans le jardin de Georges Pompidou. Autant de signes de son ambition de redevenir ce Premier ministre qu’il n’est plus, ou à tout le moins, d’en annexer certaines prérogatives.
32Ainsi donc, la micro-séquence de janvier-mai 1968 voit se produire une nouvelle mutation de ce qui prend à l’époque son appellation définitive de rationalisation des choix budgétaires : une RCB cette fois-ci conçue et présentée comme une politique ministérielle de réforme administrative d’en-haut, autoritaire, directive, descendante, assise sur deux directions d’appui qui lui assurent ses contenus et ses méthodes. Depuis 1945, si l’on met à part les deux réformes de la procédure budgétaire stricto sensu menées par la direction du Budget en 1956 et 1959, c’est la première fois que le ministère des Finances prend officiellement et directement en charge une politique de réforme administrative interministérielle d’aussi grande envergure. Jusqu’alors, sous la IVe République, le ministère se contentait d’avancer masqué, sous des faux nez comme le Comité central d’enquête sur le coût et les rendements des services publics ou les Commissions d’économies budgétaires placées sous la tutelle de la Présidence du Conseil ou du Parlement.
33Quoiqu’il en soit, si l’on se place à la veille de Mai 1968, on compte déjà pas moins de six figures différentes de la RCB, qui tout en continuant de subsister vont contribuer au caractère « mille-feuille » de la RCB et à sa plasticité : technique d’aide à la décision ou méthode mathématiques pour évaluer la rentabilité des investissements pour les uns ; perfectionnement de la procédure budgétaire et recherche d’économies pour les autres ; réforme administrative ou réforme budgétaire pour les derniers.
Robert Boulin ou les prémices d’une réforme de la procédure budgétaire
34À cette impulsion debréienne tout à fait décisive vient s’ajouter la contribution spécifique du secrétaire d’État au Budget, Robert Boulin95, appuyée sur les réflexions de son cabinet et de son premier conseiller, le directeur du Budget96. Les conseillers qui entourent Robert Boulin sont également des proches de Michel Debré et tous partagent une culture financière commune : Antoine Dupont-Fauville, Jean Gonot97, Pierre Cortesse, tous appartiennent à la famille des budgétaires, qui coexiste aux Finances avec celle des « trésoriens » ou des « fiscalistes ». Leur appui à la RCB naissante trouve son origine dans une véritable préoccupation, une inquiétude même, celle que leur cause à partir de 1963-1964 la progression des « services votés »98. Dans une importante note sur « la politique budgétaire française depuis 1953 » (anonyme et non datée), rédigée au cabinet du directeur du Budget, par ou pour le directeur, il est indiqué que les dépenses liées aux services civils sont passées de 17, 6 % en 1953, à 20, 8 % en 1955 et à 28, 7 % en 1966. En additionnant les dépenses de fonctionnement des services et les subventions courantes, l’auteur fait remarquer qu’elles absorbent plus du quart des dépenses totales et qu’elles augmentent plus vite que les autres types de dépenses99. Pour enrayer cette progression en apparence irrésistible, Antoine Dupont-Fauville met à l’étude divers perfectionnements qu’il souhaite apporter à la procédure budgétaire100 : il envisage ainsi de reprendre la méthode des schémas directeurs instituée par Michel Debré Premier ministre et de refondre les fascicules budgétaires ; il souhaite aussi rationaliser la préparation des décisions budgétaires et mieux dégager les grandes options politiques du gouvernement.
35Ainsi donc, si l’on se place du côté du secrétariat d’État au Budget, la RCB est la fille de la « cristallisation » des services votés et de ce que les budgétaires appellent « la consolidation du Budget ». En effet, une compréhension en partie erronée de l’article 33 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, en figeant les services votés au moins au niveau de l’année précédente, a enfermé les pratiques budgétaires dans deux impasses fatales : d’une part, l’impossibilité (psycho-sociale et politique) de remettre en cause les dotations accordées par le Parlement l’année d’avant et de l’autre, une tendance structurelle inflationniste à l’augmentation d’une année sur l’autre des moyens demandés par les services. L’objectif affiché par le cabinet de Robert Boulin est donc de transformer les conditions de la préparation du budget et de sa discussion à l’Assemblée. Au printemps 1966, Robert Boulin est nommé président de la Commission de révision des services votés et se voit chargé d’inventer « un dispositif particulier » qui permettrait d’examiner de manière approfondie chaque année les services votés, de les réviser et de desserrer le carcan imposé par le droit budgétaire101. En 1967, la RCB de Saint-Geours et La Genière, avec sa proposition d’étudier les incidences économiques et financières des grandes décisions d’équipement et d’évaluer les actions de l’État par grandes missions et par objectifs, tombe donc à pic. Célébrant ce lien étroit entre RCB et « révision des services votés », Michel Debré confie en mars 1968 à Robert Boulin le pilotage de la RCB et la présidence du Groupe central RCB.
36Les analyses des cabinets de Michel Debré, de Robert Boulin et de la direction du Budget sont donc convergentes, à la fois dans l’établissement du diagnostic de la situation budgétaire et dans la proposition des solutions. Elles viennent appuyer un solide argumentaire qui définit la doctrine gouvernementale en matière de finances publiques. Cette doctrine est organisée autour de cinq piliers étroitement arrimés entre eux : 1° l’acquis irréversible de l’ouverture des frontières et l’acceptation du traité de Rome de 1957 ; 2° la nécessité qui s’ensuit, non seulement d’accroître la compétitivité et la productivité des entreprises françaises, mais aussi celles des administrations, car l’État ne doit pas être un handicap dans la compétition internationale102 ; 3° l’épuisement des marges de manœuvre budgétaires artificielles ou conjoncturelles sur lesquelles les gouvernements français se sont reposés depuis 1945 (le Plan Marshall, l’aide américaine pendant la guerre d’Indochine, le réservoir des dépenses militaires ou des dépenses civiles de dommages de guerre et de reconstruction) ; 4° la prise de conscience que les ressources sont désormais limitées103, ce qui oblige le gouvernement à faire des choix dans les équipements collectifs (« tout n’est plus faisable ») ; 5° la cristallisation d’une doctrine budgétaire gouvernementale, explicite dès 1964-1965, autour de deux règles, d’un côté l’équilibre budgétaire et de l’autre, l’instauration d’une corrélation entre l’indice de croissance des dépenses civiles et celui du PIB104. Selon la règle empirique édictée par la CEE dans le cadre des recommandations Marjolin (14 avril 1964)105, le taux de progression des dépenses publiques est désormais déterminé par rapport à la croissance de la PIB et ne doit pas être supérieur à cette dernière.
37Dans un tel contexte, la RCB est donc pour le ministère des Finances à la fois une tentative de contrôle des choix gouvernementaux et l’instrument d’une reconquête de marges de manœuvre budgétaires et financières. Toutefois, pour les responsables budgétaires, le problème n’est pas tant d’affronter et de contrôler des ministères techniques dotés d’ambitions centrifuges que de trouver des ressources nouvelles par redéploiement interne pour permettre au gouvernement de faire des choix. Ainsi sur cette question des services votés, la direction du Budget n’apparaît pas tant en lutte contre les autres ministères que contre la structure du budget elle-même dans sa structure financière et dans sa contexture juridique.
38Huit ans après l’ordonnance organique du 2 janvier 1959, construction constitutionnelle qui n’apparaît pas encore comme un monument intangible, la RCB se donne donc à voir comme la première tentative sous la Ve République, à l’initiative du ministère des Finances lui-même, de modifier la procédure de préparation et de discussion du budget. Les voies de cette rénovation restent programmatiques, floues, plurielles, ‒ en partie masquées peut-être ‒, car des études de recherche opérationnelle à la révision des services votés, il y a bien plus qu’un fossé. Mais c’est bien ce mariage improbable des ambitions prométhéennes de la direction de la Prévision et des préoccupations budgétaires compressives de la direction du Budget que Michel Debré, en présence de Robert Boulin, décide de célébrer, tout en l’enveloppant dans le grand manteau de la réforme administrative chère à son cœur.
La RCB à l’épreuve de Mai 1968
État en crise, état de crise
39Imprévus et improbables vus de Rivoli, les événements de Mai 68 constituent un tremblement de terre pour le ministère de l’Économie et des Finances en général, pour la RCB en particulier. Michel Debré est balayé et laissé hors du dispositif de résolution de la crise, essentiellement conduit par Georges Pompidou, Premier ministre lors la négociation des accords de Grenelle. Le 30 mai 1968, son cabinet disparaît avec lui. L’effort de réflexion micro-économique et la recherche d’une nouvelle discipline budgétaire sont suspendus sine die. Il n’est plus question d’accoler à la RCB le mot d’économies budgétaires. La RCB de la révision des services votés et de la rationalisation administrative, celle de Michel Debré et de Robert Boulin, a vécu.
40Dans la foulée de Mai 68, un nouveau climat intellectuel s’instaure, celui du doute, au sein de l’État et sur l’État. Au thème gaullien de la restauration de l’État et de l’affirmation de son rôle surplombant et défenseur de l’intérêt général, succède, par un retournement complet, un discours pessimiste et auto-dépréciatif sur le fonctionnement de l’État central106. Valéry Giscard d’Estaing lui-même, en novembre 1969, lors de la séance d’ouverture du séminaire RCB des directeurs à l’abbaye de Royaumont, évoque oralement « cette espèce de mélancolie qui s’est emparée du corps social » (…) et qui, selon lui, « est le sentiment d’une certaine inefficacité ou incapacité » des pouvoirs publics107. Cible principale de ce nouveau discours critique sur l’État, le ministère de l’Économie et des Finances, institution castratrice, coercitive et répressive par excellence. On l’aura reconnu, ce discours, c’est largement celui du Club Jean Moulin, qui publie au Seuil à la rentrée de septembre 1968 un essai au titre provocateur sous le titre de Pour nationaliser l’État108. Cet ouvrage très médiatisé dénonce un État centralisateur, omnipotent, tentaculaire, technocratique, obèse, ésotérique et arrogant ; il réclame de mettre un terme à la centralisation des décisions et à la réformation « par décret »109. En guise de remèdes, les auteurs du Club Jean Moulin promeuvent le décloisonnement des structures, la décentralisation, la régionalisation, la déconcentration, la contractualisation avec les collectivités locales et les entreprises publiques110, l’autonomie et la responsabilité des acteurs, la substitution du contrôle a posteriori aux contrôles a priori, la concertation et la communication avec le corps social. Rédigé avant les événements de Mai 68, le diagnostic posé par les auteurs, très inspiré des thèses du sociologue Michel Crozier111, membre dirigeant du Club Jean Moulin, apparaît comme prémonitoire et les solutions proposées comme une réponse pertinente à la crise des institutions publiques. Repris par un certain nombre d’acteurs politiques et administratifs convaincus de la justesse des analyses croziériennes, ces thèmes vont désormais accompagner le discours sur la RCB, orchestrant un véritable tête-à-queue idéologique et administratif par rapport au projet initial. À la faveur de Mai 68, la haute administration, tétanisée par la peur de la révolution sociale et anti-institutionnelle, rhabille de neuf la RCB debréienne, surplombante, technocratique, centralisée et directive et lui fait subir une nouvelle mue, démocratique, (plus) libérale, « girondine », déconcentrée, « concertative » et collaborative.
41De fait, dès le 10 juin 1968, ce nouveau discours est repris par Renaud de La Genière qui cherche à défendre devant Pierre Esteva112, directeur de cabinet du nouvel et éphémère ministre des Finances, Maurice Couve de Murville (1er juin-11 juillet 1968), les bienfaits de la RCB. Selon le directeur du Budget, la RCB est destinée « à remédier à l’excès de centralisation des décisions en matière économique et financière »113 et à accompagner la déconcentration114, sans tomber dans « l’anarchie ». Philippe Huet, inspecteur des Finances, ancien directeur de la direction générale du Commerce intérieur et des Prix (DGCIP), nommé à la veille de Mai 68 à la tête de la Mission RCB, emboîte le pas au directeur du Budget et voit en la RCB une solution à la crise anti-institutionnelle de Mai 68, à condition de l’ajuster aux nouvelles aspirations de la société et de lui donner une version participative plus en phase avec les exigences de liberté, d’émancipation, de responsabilité et d’autonomie qui ont fait irruption lors du mouvement social.
42C’est en définitive à Mai 68 que l’on doit les choix méthodologiques concernant la diffusion interministérielle de la RCB : refus définitif de tout caractère coercitif115, pas d’imposition de la RCB par voie de circulaire, ni par voie législative, ni par voie réglementaire, choix de la persuasion, de l’exemplarité et de l’émulation, respect du principe de volontariat, de progressivité et de subsidiarité116. C’est enfin à Mai 68 que l’on doit, à côté des études analytiques et micro-économiques qui demeurent l’estampille originale de la RCB, l’apparition de la thématique de la transformation des modes de gestion publique, dont Renaud de La Genière et Philippe Huet vont se faire les chantres de 1968 à 1971 dans toute l’administration française. Ainsi, avec Mai 68, la RCB subit-elle une nouvelle mutation qui la mène vers un nouveau « répertoire » de réforme (P. Bezes), différent de celui des ingénieurs polytechniciens du SEEF en 1964-1965, différent de celui de la réforme administrative et budgétaire debréienne de janvier 1968, celui, plus gestionnaire du management public.
43En mai-juin 1968, la crise de l’État creuse un véritable trou d’air politique pour la RCB. Le pilotage du cabinet et la volonté ministérielle disparaissent corps et biens dans la bourrasque estudiantine puis politique, tant du côté de Michel Debré que de Robert Boulin, l’un et l’autre appelés à d’autres fonctions gouvernementales. L’important budget de l’opération RCB, préparé en mars 1968 dans le cadre du projet de loi de finances 1969 par les trois directeurs concernés117, Jean Sérisé directeur de la Prévision, Renaud de La Genière directeur du Budget et Jean Mascard directeur du Personnel et des Services généraux de Rivoli, passe à la trappe. Aucun crédit particulier n’est inscrit pour la RCB au budget des services financiers. L’heure est aux économies budgétaires après les libéralités des accords de Grenelle. Dans les archives, on perçoit comme un « blanc » : l’attentisme domine.
Sauver la RCB. Le temps des technocrates juillet 1968 – juin 1969
Le relais des X‑Ponts au cabinet Ortoli
44Le fil rompu par la crise de Mai 1968 se renoue lors du remaniement gouvernemental suivant : en juillet, François-Xavier Ortoli, inspecteur des Finances, ancien commissaire général au Plan (1966-1967), l’un des artisans du lancement du Plan Calcul118, reçoit le portefeuille des Finances (12 juillet 1968-21 juin), tandis que Jacques Chirac, secrétaire d’État au Budget, conserve la charge du pilotage de l’opération RCB dans la continuité de Robert Boulin. Jacques Chirac ne manifeste guère d’enthousiasme à l’égard de la RCB, en dépit des efforts de son directeur de cabinet, Gérard Bélorgey (1943-2016, ENA 1960 et membre du corps préfectoral), pour l’y intéresser dès l’été 1968. Discipliné, il soutient néanmoins la RCB renaissante en ouvrant les séances du 27 janvier 1969 et du 6 mai 1969 du Groupe central RCB. Il préside également le séminaire des directeurs au château d’Artigny les 7‑8‑9 février 1969. Mais au cours du déjeuner du Groupe central du 27 janvier 1969, il exprime son scepticisme en suggérant d’attendre dix ans que les ordinateurs aient fait des progrès119 !
45En réalité, c’est bien du cabinet Ortoli que vient le salut. D’une part François-Xavier Ortoli ministre des Finances n’est pas hostile à la RCB, bien au contraire, puisqu’en tant que ministre de l’Équipement et du Logement il a été le premier à répondre officiellement et positivement à l’offre de Michel Debré début mai 1968 avec l’opération Sécurité routière. D’autre part, au sein de son cabinet, Jean-Paul Parayre, né en 1937, X‑Ponts (P 1957), ancien ingénieur du service des Autoroutes (1963-1967), conseiller technique à partir de 1967 au cabinet de Jacques Chirac au secrétariat d’État aux Affaires sociales puis au secrétariat d’État aux Finances, a pris la succession de Pierre Suard et assure la continuité de la RCB des ingénieurs. À partir de juillet 1968, jusqu’à l’été 1969, c’est lui qui assume avec efficacité le pilotage de la grande étude interministérielle qui subsiste de la vaste entreprise conçue par Michel Debré et Robert Boulin120, à savoir, l’opération pilote Sécurité routière121. Le ministère de l’Équipement a sauvé la RCB !
46Le couple Ortoli-Parayre, relayant le binôme Debré-Suard, réaffirme discrètement l’intérêt des Finances pour la RCB : freinage des dépenses de l’État, révision des services votés122, optimisation de la dépense publique, emprunt aux entreprises de leurs méthodes de gestion, introduction des « ensembles électroniques de gestion » dans les services, évaluation et contrôle des résultats de l’action de l’État… Dès l’été 1968, Jean-Paul Parayre prend la main, en créant un groupe de pilotage DP‑DB qui se réunit au cabinet tous les 15 jours. Au fil de l’année 1969, les nouveaux chargés de mission RCB qui arrivent à la direction du Budget sont associés à ce groupe de travail (Philippe Rogeaux, X‑Ponts 1946, Jean-Pierre Therme, ingénieur des Manufactures de l’État, X 1949, Maurice Hamon, ingénieur de l’Armement, X 1956, Robert Galdin, attaché commercial). C’est au sein de ce groupe de pilotage qu’à partir de la fin 1968 la question de la nomenclature budgétaire s’impose et qu’est prise la décision de lancer la réalisation d’un budget de programme aux Finances. Parayre appuie les projets de rénovation budgétaire et gestionnaire de la direction du Budget ; il stimule la direction de la Prévision pour qu’elle élabore un programme de stages interministériels de formation à la RCB sur l’année 1968-1969, soutient auprès de son ministre les demandes budgétaires des deux directions pilotes, ainsi que le programme de travail de la Mission Huet, initie l’étude RCB sur le téléphone et la commutation électrique au ministère des PTT123. Il relance, sous la présidence de Jacques Chirac, le Groupe central RCB chargé de coordonner la démarche dans les ministères et le réunit le 27 janvier 1969, puis en mai 1969124. À cette occasion, les membres du Groupe central nommés par Michel Debré sont reconduits par François-Xavier Ortoli : Renaud de La Genière et Roger Malafosse pour la direction du Budget, Jean Sérisé et Jacques Le Noane pour la direction de la Prévision, Philippe Huet pour la Mission RCB du ministère des Finances, Fernand Grévisse pour la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique, Hugues de L’Estoile pour la Défense, Pierre Massé pour le Plan, Pierre Racine pour le Conseil d’État et la direction de l’ENA, Marcel Boiteux pour EDF, Michel Crozier et Jacques Houssiaux pour l’Université, Robert Galdin, chargé de mission au Budget, secrétaire du Groupe. Le seul élément nouveau est la nomination par Ortoli du dirigeant de l’une des plus dynamiques sociétés de conseil en informatique et en calcul économique de l’époque, Jean Carteron (1926-2011, X‑Télécom 1945), directeur général de la SEMA. À l’heure du Plan Calcul, cette nomination témoigne de la prise de conscience accrue de l’intérêt stratégique des questions d’information et d’informatique125.
47Enfin, Parayre identifie précocement deux problèmes structurels graves : d’un côté, le goulot d’étranglement causé par la pénurie de spécialistes et les difficultés que pose le recyclage des fonctionnaires à formation juridique et littéraire126, et de l’autre, la question des systèmes d’information et de leur compatibilité interministérielle et même interdirectionnelle au sein des Finances (Impôts et Trésor public).
Premières ressources, premiers dispositifs pour la RCB en gestation
48Aiguillonnées par Jean-Paul Parayre, la direction de la Prévision et la direction du Budget, s’appuyant sur les décisions ministérielles de janvier et mars 1968 de Michel Debré, relancent donc à partir de l’été 1968 le dossier de la RCB. C’est dans cette période-clef que les premiers dispositifs d’action sont mis en place.
49À la Prévision, en novembre 1968, le directeur Jean Sérisé, qui a pris la suite de Jean Saint-Geours en janvier 1968, crée la sous-direction C toute entière dévolue à la RCB. Résultat de la fusion des trois divisions travaillant sur la RCB, il la place sous la responsabilité d’Hubert Lévy-Lambert, X‑Mines. Cette nouvelle sous-direction s’occupe désormais de la conduite et de la coordination des études analytiques réparties par département ministériel ou par secteur, de l’établissement des premiers plans de formation des techniciens RCB, de l’organisation des séminaires interministériels et des stages RCB et de l’animation du Groupe central RCB.
50À la direction du Budget, l’arrivée de chargés de mission se fait au cours de l’année 1969. Robert Galdin, conseiller commercial, se voit chargé de la coordination de l’opération RCB avec son homologue de la Prévision, Michel Ternier, sous le contrôle de Roger Malafosse, chef de service du Budget. Raymond Meunier, commissaire de l’Air, se voit chargé des questions de comptabilité analytique (cf. infra), tandis que Maurice Hamon, X‑Armement, Philippe Rogeaux, X‑Ponts, et Jean-Pierre Therme, X‑Manufactures de l’État, sont chargés d’études pour les investissements et les équipements. Placés auprès du directeur du Budget127, sans être intégrés dans l’appareil de la direction ni constituer une cellule formellement organisée, ils se répartissent, en plus de leurs autres tâches d’étude, le suivi des études analytiques RCB dans les différents départements ministériels128. La dissymétrie du dispositif RCB entre la Prévision ‒ une sous-direction entière consacrée à la RCB ‒ et le Budget ‒ une poignée de chargés de mission individuels en 1969 ‒ est flagrante. Elle pourrait laisser croire à un retrait ou à une réserve de la direction du Budget. Il n’en est rien. Les archives attestent de l’implication continue du directeur, Renaud de La Genière, qui intervient personnellement dans les séminaires d’information et de formation sur les motivations et les objectifs de la RCB129, mais aussi de son encadrement supérieur (Roger Malafosse, chef de service, Guy Vidal, sous-directeur du Budget130).
51C’est aussi dans cette période-clef que les questions d’intendance et de moyens budgétaires sont rediscutées. Alors même que François-Xavier Ortoli a refusé pendant l’été 1968 la création d’emplois au Budget des services financiers pour la RCB131, où trouver les moyens de réaliser le programme de travail RCB à l’échelle des administrations centrales ? À l’automne 1968, la direction du Budget propose un dispositif budgétaire qu’elle maîtrise fort bien : la création, au sein du budget des charges communes, d’un chapitre spécial RCB (37-93) et l’inscription de crédits spéciaux à ce chapitre, crédits qui seront ensuite transférés au budget des services financiers ou à celui des ministères techniques, au fur et à mesure de leurs besoins en crédits d’études ou en contrats132. Dès 1969, les administrations signent leurs premiers contrats d’étude avec des cabinets de conseil en informatique (la SEMA), avec des bureaux d’études ou des universités en sciences économiques (universités de Caen, Nanterre et Grenoble)133.
52Enfin, dans la même période, la Mission RCB des Finances reçoit ses premiers personnels. Philippe Huet obtient fin 1968 la mise à disposition de deux inspecteurs des Finances, d’un ingénieur de l’Armement, de trois directeurs départementaux des services extérieurs, d’une secrétaire et de quelques contractuels d’appoint (DES d’économie, statisticiens).
La mise en place des trois volets de la RCB
53Dans les mois qui vont de septembre 1968 à l’été 1969, la RCB prend son visage définitif et cristallise son programme d’action. L’enjeu principal consiste, après la phase décisionnelle, à entrer dans une phase d’expérimentation et de probation et à inciter les autres ministères à faire de même.
La Prévision, les études-pilotes et la formation aux techniques RCB
54Le lancement des premières études RCB fait l’objet de toutes les attentions à la DP, notamment l’opération Sécurité routière134, mais se heurte très vite au goulot d’étranglement des qualifications. La Prévision s’engage alors dans un ambitieux programme de stages d’information, d’initiation et de formation aux techniques de RCB : en août-septembre 1968, le premier stage de Pont-Mousson sous la présidence de Jacques Houssiaux, professeur de sciences économiques à l’université de Nancy, et ses étudiants135 ; en novembre 1968, le premier stage de Marly le Roi136 ; en février 1969, le stage interministériel des directeurs au château d’Artigny sous la présidence du ministre des Finances, François-Xavier Ortoli, et du secrétaire d’État au Budget, Jacques Chirac137 ; au printemps 1969138, les stages de formation pour les spécialistes RCB du ministère de l’Équipement et du Logement et du ministère de l’Économie et des Finances. À cette occasion, en même temps que la formation « hors les murs » et les séminaires résidentiels jusqu’alors peu pratiqués en France, sont utilisées une méthodologie et une pédagogie particulières d’enseignement, presqu’inconnues dans les universités françaises et promises à un grand avenir : les études de cas139. Cependant, la rareté des études françaises au début de l’opération RCB gêne les animateurs et les formateurs français, car le recours aux études de cas américaines rencontre le désintérêt des auditeurs français. C’est pourquoi l’étude RCB sur les accidents de la route, puis l’étude Périnatalité au ministère de la Santé font l’objet d’une grande attente et vont devenir à partir de 1970 des classiques inégalés. L’année comprise entre septembre 1968 et l’été 1969 est donc une année assez intense de rodage et d’expérimentation pour ce qui va devenir une des activités essentielles de la direction de la Prévision : la formation des spécialistes RCB et le recyclage des fonctionnaires140. En effet, la volonté de diffuser la RCB dans les départements ministériels se heurte à deux failles du système français de fonction publique : l’absence de formation continue des cadres et les lacunes de leur culture scientifique et plus largement économique141. Le Centre de formation permanente et professionnelle (CFPP) du ministère des Finances, spécialisé dans la préparation des fonctionnaires aux concours administratifs internes, se mobilise et se fixe l’objectif d’un séminaire RCB par trimestre142. Opérationnel en 1970, il ne peut cependant couvrir tous les besoins et se répartit la tâche avec le CESMAP, qui dépend du ministère des PTT et dispose des compétences mathématiques nécessaires143.
Les chantiers en poupées russes de la réforme budgétaire : comptabilité analytique, nomenclature budgétaire…
55Du côté du Budget, 1970 est une année de relative tranquillité administrative, hors de toute pression politique. Elle constitue également une année de maturation, pendant laquelle le directeur du Budget impose un virage décisif à la RCB en lui assignant un objectif prioritaire144 : la réforme de la présentation et de la discussion budgétaire par l’établissement parallèle et complémentaire, à côté du budget traditionnel de moyens que Renaud de La Genière appelle « budget juridique », d’une sorte de budget fonctionnel145, nommé pour le distinguer de celui qui a été mis en œuvre dans les années 1950 « budget de programme »146. La décision est prise fin 1968 en groupe de pilotage DB-DP. Le second des trois futurs volets du triptyque de la RCB interministérielle naît ainsi à la direction du Budget au cours de cette période d’apesanteur politique. De manière intéressante, le modèle de référence invoqué n’est plus tant le modèle américain du PPBS que le modèle suédois, considéré comme le pays le plus avancé en la matière. Fin 1969, une mission composée d’administrateurs des Finances et de l’Équipement est programmée en Suède pour obtenir le retour d’expérience de l’administration suédoise147.
56L’établissement des budgets de programme, qui est considéré par les promoteurs de la RCB aux Finances comme « le point focal des réalisations ou des ambitions du mouvement RCB »148, exige cependant un chantier préalable qui va absorber une grande partie des efforts de la direction du Budget de 1969 à 1972, retardant d’autant la mise en place du nouvel instrument budgétaire : la réforme de la nomenclature budgétaire149. Ce travail de bénédictin est confié à Raymond Meunier, commissaire de l’Air, chargé de mission placé auprès du directeur du Budget en 1969, intégré dans le corps des administrateurs civils en 1971 et futur chef du bureau M1 des Budgets de programme à la sous-direction des Études budgétaires en 1974150. L’innovation consiste à ajouter à la nomenclature dite juridique une nomenclature économique, composée d’une nomenclature fonctionnelle (code sectoriel à deux chiffres) et d’une nomenclature par service (code économique à deux chiffres), destinée à faire le pont avec celle du Plan et de la Comptabilité nationale151. Cette nouvelle nomenclature économique doit servir à terme au regroupement des crédits autour de missions, de programmes et d’objectifs, préparer l’établissement d’une comptabilité analytique et patrimoniale, permettre l’introduction d’une gestion par objectifs, le calcul comparé des coûts des actions administratives et l’appréciation des résultats de l’action des services par un contrôle des résultats a posteriori152. Pour jeter les bases d’une telle transformation, une nouvelle alliance doit se nouer au sein du ministère de l’Économie et des Finances, une alliance jusque-là non activée, entre la direction du Budget et la direction de la Comptabilité publique, acteur matriciel incontournable du système des finances publiques153. Non sans difficultés et non sans risques154, car du point de vue des Finances tout l’enjeu consiste à ce que cette nouvelle comptabilité analytique ne devienne pas un outil au profit des ministères techniques, enjeu qu’a parfaitement saisi le ministère de l’Équipement qui n’hésite pas à investir ses forces dans une nouvelle comptabilité analytique-pilote pour les directions départementales de l’État155.
57Ce travail de rénovation de la nomenclature budgétaire, que Renaud de La Genière qualifie sans cesse au fil de ses interventions de « chantier de longue haleine », pose aussi de façon incontournable la question de son articulation avec les autres nomenclatures comptables du ministère des Finances, étude dont est finalement chargée la Mission Huet qui apporte son renfort à la direction du Budget trop peu disponible pour mener seule ce travail. Les travaux aboutissent à l’Instruction du Budget n° 71-144 B. R. du 22 décembre 1971 sur la réforme de la nomenclature du budget de l’État, mise en application à partir de 1972.
Philippe Huet et l’adoption des « techniques modernes de gestion »
58L’implication personnelle du responsable de la Mission RCB Finances, Philippe Huet (1920-1994), inspecteur des Finances (1946) et ancien directeur de la DGCIP (1962-1965), qui fort de son appartenance au Groupe central de RCB s’autorise à transgresser le périmètre du ministère, permet à la RCB rivolienne de s’enrichir d’un troisième et dernier volet : la diffusion des techniques modernes de gestion dans les administrations publiques. Selon Philippe Huet, infatigable promoteur de la RCB tant au sein du ministère que dans les stages interministériels d’initiation et de formation, « les techniques modernes de gestion » récapitulent toutes les innovations gestionnaires apparues depuis le début des années 1960, pour la plupart empruntées à la grande entreprise156 et doivent être appliquées aux administrations publiques157.
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59Ainsi donc, de juillet 1968 à juillet 1969, une coalition de technocrates prévisionnistes, budgétaires et gestionnaires assure discrètement le sauvetage de la RCB après la rupture de Mai 68. François-Xavier Ortoli, ministre des Finances de transition, endosse les aspirations réformatrices de ses prédécesseurs mais réduit la voilure ; cependant en confirmant l’opération Sécurité routière, il occupe une place non négligeable dans la chaîne décisionnelle et permet à la RCB d’entrer dans une phase de réalisation opérationnelle. Au cours de cette séquence, la RCB rivolienne stabilise ses contenus gestionnaires et se déploie désormais selon trois volets, les « études analytiques », les budgets de programme et les « techniques modernes de gestion », qui sont autant d’instruments de contrôle aux mains de la Rue de Rivoli. Au tandem historique Prévision-Budget se substitue une Triple Entente de la RCB, aux tâches bien réparties : à la Prévision les études de calcul économique et l’organisation des stages interministériels ; au Budget la réforme de la présentation budgétaire ; à la Mission Huet la pédagogie et la propagande en faveur d’un « management » public. La mise en place de cette triple coalition peut laisser penser que la RCB est stabilisée et va pouvoir se déployer sereinement, à l’abri de l’aléa historique et des turbulences politiques. Las, quelques mois à peine après la crise de Mai 68, alors que Georges Pompidou s’installe à l’Élysée, l’avènement du gouvernement Chaban-Delmas vient percuter cette construction technocratique Finances…
Notes de bas de page
1 L’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique pour les lois de finance, texte attendu depuis 1946, voire depuis les années 1930, préparé par le décret organique de 1956, consacre le primat du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, organise un calendrier contraignant pour le vote du budget et concentre le pouvoir budgétaire (préparation de la loi de finances, répartition, gestion et régulation des crédits budgétaires) entre les mains du ministère des Finances et plus particulièrement de la direction du Budget et de ses corps de contrôle. Trois ans plus tard, le décret du 29 décembre 1962 sur la comptabilité publique vient conforter le système comptable de l’État et des collectivités locales. Voir Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott, Lucile Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, volume 2, 2013, et plus particulièrement les contributions de L. Tallineau (p. 519‑555), de Matthieu Conan (p. 557‑573) et de Vincent Feller (p. 575‑597).
2 F. Descamps, « La réforme de l’État, une grande absente du plan de redressement économique et financier de 1958 ? », Fondation Charles de Gaulle, Espoir, printemps 2014, p. 46‑63.
3 Voir Michel-Pierre Chélini, « Le plan de stabilisation Pinay-Rueff, 1958 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 48‑4, n° 4, 2001, p. 102‑123.
4 Au ministère des Finances et des Affaires économiques, les opposants déclarés sont très peu nombreux ; Gabriel Ardant commissaire général à la Productivité est un des rares hauts fonctionnaires Finances à exprimer publiquement, dans le sillage de Pierre Mendès France, son désaccord à propos des nouvelles institutions. En 1959, le commissariat général au Plan absorbe le Commissariat général à la Productivité ; Ardant retourne à l’inspection générale des Finances et n’en sortira plus… Lorsque des désaccords se font jour sur la politique algérienne du général de Gaulle et de Michel Debré, les hauts fonctionnaires préfèrent utiliser des canaux discrets, conformes à leur devoir de réserve. Sur ce sujet, voir Laure Quennouëlle-Corre, La direction du Trésor, 1947-1967. L’État-banquier et la croissance, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France 2000, p. 395‑398. Une fois la question algérienne réglée par les accords d’Évian, les oppositions s’estompent. Au sein du Club Jean Moulin, une poignée de hauts fonctionnaires Finances persiste à marquer ses distances et se transforme en aiguillon réformiste. Sur le Club Jean Moulin, Claire Andrieu, Pour l’amour de la République : le Club Jean Moulin (1958-1970), Paris, Fayard, 2002.
5 Sur le concept de « gouvernementalité », M. Foucault, 4e leçon donnée au Collège de France, 1er février 1978, introduction au cours Sécurité, territoires, population. Cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 111‑112.
6 Sur les ambitions de Michel Debré Premier ministre, la commission de l’article 76 et sa récupération par les Finances, F. Descamps, « La réforme de l’État, une grande absente du plan de redressement économique et financier de 1958 ? », Actes de la journée d’étude du 21 octobre 2013, Fondation Charles de Gaulle, Espoir, printemps 2014, p. 46‑63.
7 Sur ce rêve récurrent, F. Descamps, « François Bloch-Lainé et la réforme de l’État : de l’action au magistère moral, 1946-1996 », in Michel Margairaz (dir.), François Bloch-Lainé, Fonctionnaire, financier, citoyen. Regards d’historien(nne)s sur la vie et la carrière de François Bloch-Lainé, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 157‑232.
8 Sur le mouvement de la prospective, sous la direction de Pierre Massé, Réflexions pour 1985, Paris, La Documentation française, 1965 ; Lucien Sfez, L’administration prospective, Paris, Armand Colin, 1971 ; Rapport sous la présidence de Paul Delouvrier, 1985, La France face au choc du futur, Paris, Armand Colin, 1972 ; Aurélien Colson, « Retour sur un exercice de prospective : réflexions pour 1985 », Horizons stratégiques, n° 7, 2008/1, p. 142‑150 ; Vincent Guiader, « L’invention des groupes de prospective du Plan : sélection des acteurs légitimes, politisation de l’expertise et transformation des modes de publicisation de l’action publique », sd, (Paris-Dauphine-IRISES) consultable en ligne sur le site de l’ENS Lyon http://triangle.ens-lyon.fr/IMG/pdf/guiader.pdf ; Vincent Guiader, « Sociohistoire de la prospective. La transformation d’une entreprise réformatrice en expertise d’État », thèse de science politique, Paris Dauphine-IRISES, décembre 2008 ; Pauline Prat et Jenny Andersson, « Gouverner le “long terme” ». La prospective et la production bureaucratique des futurs en France », Gouvernement et action publique, vol. 4, no 3, 2015, p. 9‑29. Sur Gaston Berger et la prospective, voir Philippe Durance (dir.), De la prospective. Textes fondamentaux de la prospective française 1955-1966, textes de Gaston Berger, P. Massé et Jacques de Bourbon-Busset, Paris, L’Harmattan, 2008. Voir enfin Frédéric Tristram et Gilles Le Béguec (dir.) Penser l’avenir au temps de Georges Pompidou, Bruxelles, Peter Lang, 2018.
9 Pour les biographies de ces hauts-fonctionnaires, voir infra.
10 Ces préconisations sont déjà celles du Rapport Armand-Rueff de 1960. Sur la prospective de l’administration en 1963-1964, F. Descamps, « Penser le futur de l’administration en 1963-1964, un enjeu de la compétition gouvernementale pour le pilotage de l’État », in Penser l’avenir au temps de Georges Pompidou, op. cit., p. 119‑143.
11 F. Descamps, « Michel Debré et la réforme du ministère des Finances 1937-1968 », in Michel Debré, un réformateur aux Finances 1966-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 145‑181.
12 F. Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.
13 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances, 1948-1969, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
14 Idem.
15 L. Quennouëlle, La direction du Trésor, op. cit., p. 527‑535.
16 La direction du Budget passe de quatre à six sous-directions en 1966, gagnant ainsi en capacités d’intervention, de contrôle et d’information… et en postes de cadres.
17 Sur les groupes Finances-Plan 1967-1968, CAEF, direction de la Prévision, Programme financier 1966-1970, Archives Serge Barthélémy (B 51 992, B 52 094, B 52 97, B 52 215, B 52217) et A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 344‑351 et 525‑531.
18 Voir la contribution de Fabien Cardoni dans le présent volume, partie I.
19 Voir les contributions de Vincent Spenlehauer et Michel Ternier dans le présent volume, partie III.
20 Claude Gruson (1910-2000), polytechnicien (P 1929, corps des Mines), inspecteur des Finances (1936), fondateur en 1948 du SEEF à la direction du Trésor, directeur général de l’INSEE de 1961 à 1967. Sur l’histoire du SEEF, A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 31‑352.
21 Sur les travaux de projection et de prospective du début des années 1960, Jean Rivoli alias Philippe Huet, Le Budget de l’État, Paris, Le Seuil, 1980, p. 132‑142.
22 Sur la procédure Toutée et la régulation salariale dans les entreprises publiques, CAEF, Fonds Cabinet Debré, 1A-0000098/2, Rapport Toutée, 28 décembre 1963 et Cabinet Giscard, 1A-0000069/1. Voir aussi P. Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration en France (1962-2008), Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 79.
23 Raymond Martinet, né en 1919, a fait la majeure partie de sa carrière à la direction du Budget de 1944 à 1966, en gravissant tous les échelons jusqu’à sa nomination de directeur (1960-1966).
24 P. Bezes, Réinventer l’État, op. cit., p. 79‑82.
25 Alain Darbel (1932-1975), administrateur de l’INSEE, sociologue de l’administration, proche de Pierre Bourdieu. Il a publié avec Dominique Schnapper, Les agents du système administratif. Morphologie de la haute administration française, Paris-La Haye, Mouton, 1969 et Le système administratif, Paris-La Haye, Mouton, 1973.
26 Sur ce programme de recherches sociologiques dans les administrations, F. Descamps, « Réformer l’administration par les sciences sociales. Les tentatives pionnières du ministère des Finances 1965-1972 », Le Mouvement social, n° 273, octobre-décembre 2020, p. 35‑56.
27 Sur « le souci de soi » manifesté par l’Etat dans les années 1960, P. Bezes, Réinventer l’État…, op. cit., p. 9‑10.
28 François Etner, Histoire du calcul économique en France, Paris, Economica, 1987. Sur le développement du calcul économique et de la recherche opérationnelle à la Prévision, A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit, p. 376‑378, p. 417‑419, p. 426‑431.
29 Maurice Allais, X‑Mines (P 1931), La gestion des houillères nationalisées et la théorie économique, Paris, Imprimerie nationale, 1953.
30 Témoignage oral biographique de 11 entretiens réalisés par Florence Descamps en 1991, Comité pour l’histoire économique et financière de la France. Sur le calcul économique à Charbonnages de France, Paul Gardent, « Souvenirs d’un parcours professionnel » (2002), consultable en ligne, http://annales.org/archives/x/gardent.html#3.
31 Jacques Lesourne (1928-2020), X‑Mines (P 1948) a eu Maurice Allais comme professeur à l’école des Mines de Paris. Il fonde en 1958 la SEMA (Société d’économie et de mathématiques appliquées).
32 Cf. in Les entretiens de la Mémoire de la Prospective, Stephane Cordobes et P. Durance, « Jacques Lesourne », septembre 2004, http://www.laprospective.fr/dyn/francais/memoire/J_Lesourne_(entretien)_v2c.pdf. Voir aussi J. Lesourne, Technique économique et gestion industrielle, Paris, Dunod, 1958 ; Le calcul économique, Paris, Dunod, 1964, 2e édition, 1965 ; Un homme de notre siècle : de Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, Paris, Odile Jacob, 2000 ; Jacques Thépot, « Jacques Lesourne », Revue française de gestion, n° 156, 2005/3, p. 9-15, http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-francaise-de-gestion-2005-3-page-9.htm.
33 Simon Nora, né en 1921, inspecteur des Finances (P 1947), chargé de mission à la direction du Trésor 1951-1952, secrétaire général de la Commission des comptes et des budgets économiques de la nation 1952-1960, sous-directeur du SEEF 1955-1960, directeur général de la division Économie et Énergie de la CECA 1960-1962.
34 Marcel Boiteux, né en 1922, normalien (P 1942), agrégé de mathématiques (1946) et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (1947), directeur général d’EDF entre 1967 et 1987. Il est connu pour ses travaux sur la tarification : « La tarification des demandes en pointe : application de la théorie de la vente au coût marginal », Revue générale de l’électricité, n° 40, aout 1949, p. 321 ; « Sur la gestion des monopoles astreints à l’équilibre budgétaire », Econometrica, n° 40, p. 22‑40, 1956 ; « Le calcul économique dans l’entreprise électrique », Revue de l’énergie, n° 390, février-mars 1987, p. 81‑88 et Haute tension, Paris, Odile Jacob, 1993.
35 Sur l’étude Rentabilité économique du RER, voir CAEF, Fonds DP, Actions économiques publiques 1965-1969, B0052348/1 et Rentabilité des investissements, « note sur la rentabilité économique du RER, sd », B0052375/1.
36 Voir chez les X‑Ponts, Claude Abraham, « L’étude économique des investissements routiers », Revue économique, vol. 12, n° 5, 1961. p. 755‑780 ; Claude Bozon et Claude Charmeil, « La programmation des investissements routiers sur une liaison », Revue générale des routes et des aérodromes, n° 395, janvier 1965, p. 119‑141. Voir aussi Joel Maurice et Yves Crozet (dir.), Le calcul économique dans le processus de choix collectif des investissements de transports, Paris, Economica, 2007 (notamment le préambule de Claude Abraham, p. VII-XV). Sur cette « épopée » des X‑Ponts, Harold Mazoyer, « La construction du rôle de l’ingénieur-économiste au ministère des Transports. Conseiller le politique, résister au comptable et discipliner le technicien 1958-1966 », Gouvernement et action publique, n° 4, octobre-décembre 2012, p. 21‑43 ; « Réformer l’administration par le savoir économique. La rationalisation des choix budgétaires aux ministères de l’Équipement et des Transports », Genèses, n° 93, 2013/4, p. 29‑52. Voir aussi la contribution de V. Spenlehauer et Marie Carpenter dans le présent volume, partie III.
37 Sur la programmation des armements, Dominique Pestre (dir.), Deux siècles d’histoire de l’armement en France. De Gribeauval à la force de frappe, Paris, CNRS Éditions, 2005 et « Les origines de la Délégation générale pour l’Armement », Département Histoire de l’Armement, 2002, 65 p., consultable en ligne, http://www.cannes-aero-patrimoine.net/pdf/DGA_origines.pdf. Sur le Centre de prospective et d’évaluation (CPE), Fabien Cardoni, « Retour sur une expérience financière innovante à la Défense (1964-1973). Le système Planification-programmation-préparation du budget (3 PB), le programme militaire à 5 ans (PM5A) et les budgets de programmes et de fonctionnement », Séminaire Histoire de la gestion publique, 65 p., 2009 ; « Le choix des futurs. La programmation des dépenses militaires en France 1945-1973 », manuscrit inédit pour l’habilitation à diriger des recherches en histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2019, à paraître aux Éditions de la Sorbonne en 2022.
38 Sur le décret de 1962, M. Conan, « Le décret du 29 décembre 1962, toilettage juridique ou contribution au renouvellement de la gestion des finances publiques ? », in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), op. cit., p. 557‑573.
39 Jean Saint-Geours, né en 1925, ENA 1947-1949, inspecteur des Finances (1950), conseiller financier auprès de la délégation française au Conseil économique et social de l’ONU (1952), chargé de mission à la direction du Trésor (1953, Secrétaire de la Commission des investissements, membre du comité national de la Productivité, chargé de mission au cabinet de Maurice Bourgès-Maunoury (1953) puis de Pierre Mendès France président du Conseil (1954), sous-directeur des Interventions économiques au Trésor (1956), responsable du SEEF (1963-1964), directeur de la Prévision (1965-1967). Sur la genèse de la direction de la Prévision (DP), A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 365‑436.
40 CAEF, Archives Saint-Geours, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, et A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op.cit., p. 408.
41 P. Bezes, Réinventer l’État, op. cit., p. 61.
42 Décret du 9 juillet 1975 portant création d’une direction au ministère des Finances et nomination d’un directeur, Journal officiel, 10 juillet 1965, p. 5921‑5922. Sur la création de la direction de la Prévision, A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 375‑378 et la brochure anniversaire 30 ans de prévision et de conseil, 1965-1995, Paris, Les Éditions de Bercy, 1997, p. 285‑317.
43 Un arrêté ministériel du 27 février 1964 étend les attributions du Comité consultatif de Prospective créé en juin 1962 et en confie le secrétariat au Centre de prospective et d’évaluation (art. 2). Ce dernier, dirigé par Hugues de L’Estoile, prend la suite d’un premier bureau de Prospective et d’Orientation (BPO) institué Armées fin 1961. Sur la création du CPE, F. Cardoni, « Retour sur une expérience à la Défense », op. cit., p. 34‑45.
44 Sur la naissance de la RCB au ministère de l’Équipement, le service des Affaires européennes et internationales (SAEI) et ses développements, voir le numéro spécial du Bulletin du SAEI, Objectif, février 1972.
45 Voir Antoine Picon, « Le corps des Ponts et Chaussées, de la conquête de l’espace national à l’aménagement du territoire », 1994, consultable en ligne http://www.gsd.harvard.edu/wp-content/uploads/2016/06/picon-corpsdespontsetchausseese.pdf ; Christian Stoffaës, « Deux siècles d’action et d’influence : le rôle du corps des Mines dans la politique industrielle française », in Anne-Fraçoise Garçon et Bruno Belhoste (dir.), Les ingénieurs des Mines. Cultures, pouvoir, pratiques, Paris, IGPDE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2013.
46 Jacques Raiman, né en 1933, X‑Ponts (P 1959), chargé de mission à la direction de la Prévision.
47 Henri Guillaume, né en 1943, ingénieur civil des Ponts et Chaussées, docteur d’État et agrégé de sciences économiques, chargé de mission à la direction de la Prévision (1968-1972).
48 Paul Mentré, né en 1935, polytechnicien (P 1954), ENA (1957-1958), inspecteur des Finances (1960), chargé de mission à la direction du Trésor au MEF (1965-1966).
49 F. Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel Ardant et le Commissariat général à la Productivité 1954-1959 », in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott, L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics, op. cit., p. 401‑442.
50 Le mouvement d’expansion et d’exportation des administrateurs de l’INSEE dans l’ensemble de l’appareil administratif français commence. Encouragé tout au long des années 1960 et 1970 par les successifs directeurs généraux de l’INSEE, Claude Gruson, Jean Ripert et Edmond Malinvaud, il atteindra un sommet dans les années 1980 sous les premiers gouvernements socialistes.
51 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 120, 127‑128, 260‑261.
52 Pour la genèse de la RCB à la DP en 1966-1967, nous nous appuyons sur la chronologie administrative établie par Aude Terray, ainsi que sur les archives de la direction de la Prévision qu’elle a bien voulu nous communiquer.
53 Rappelons que le nouveau directeur du Budget, Renaud de La Genière, vient de la direction des Finances extérieures, dont la culture est beaucoup plus internationale que celle du Budget ; elle est largement ouverte à l’inspiration outre-Atlantique, notamment depuis le Plan Marshall de la fin des années 1940 et les missions de productivité des années 1950. Sur la direction des Finances extérieures, voir Solène Lepage, « La direction des Finances extérieures face à la modernisation et à la nécessité de restaurer la puissance internationale de la France (1946-1950) », Histoire, économie et société, 1999, vol. 18, n° 2, p. 255‑274.
54 Rapport Lequéret septembre 1966, cité in A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 446.
55 Sur la Rand Corporation et le PPBS, voir Vincent Spenlehauer dans ce même volume.
56 Renaud de La Genière, né en 1925, ENA 1948-1949, inspecteur des Finances (1949), chargé de mission à la direction des Finances extérieures (1954), sous-directeur en 1959, chef de service adjoint (1960) auprès de Raymond Martinet, directeur du Budget (1962-1966), auquel il succède en avril 1966. Formé à la diplomatie financière, Renaud de La Genière n’est donc pas un budgétaire pur sucre ; il n’est pas passé par la mécanique broyeuse de la première sous-direction du Budget ; en revanche, il patiente six longues années auprès de Raymond Martinet dans la fonction de chef de service qui n’est pas un poste opérationnel, mais fonctionnel… Formé à la diplomatie, il n’apprécie guère l’affrontement brutal des conférences budgétaires ; protestant rigoureux, il souhaite injecter de la rationalité dans la procédure d’élaboration du budget tout en instaurant un dialogue plus constructif avec les ministères dépensiers.
57 J. Saint-Geours, note avril-mai 1965, p. 2, citée in A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 443.
58 F. Descamps, « Roger Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État 1949-1958 », Revue française de finances publiques, n° 99, septembre 2007, p. 123‑134.
59 Sur les missions de productivité des années 1950, Richard F. Kuisel, « L’American Way of Life et les missions françaises de productivité », Vingtième siècle, n° 17, 1988, p. 21‑38 ; Vincent Guigueno, « L’écran de productivité : “Jour de fête” et l’américanisation de la société française », Vingtième siècle, n° 46, 1995, p. 117‑124 ; Dominique Barjot (dir.), Catching Up with America. Productivity Missions and the Diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2002 ; Joseph Romano, « James Burnham en France : l’import-export de la “révolution managériale” après 1945 », RFSP, vol. 53, n° 2, avril 2003, p. 257‑275 ; Marie-Laure Djelic, « L’arrivée du management en France. Un retour historique sur les liens entre managérialisme et État », PMP, vol. 22, n° 2, juin 2004, p. 1‑17 ; Régis Boulat, « Le concept de productivité en France de la Première Guerre mondiale aux années 1960 », Travail et emploi, n° 91, juillet 2002, p. 43‑56 ; « La productivité et sa mesure en France (1944-1955) », Histoire et Mesure, volume 21, n° 1, janvier-juin 2006, p. 79‑100 ; « La productivité, nouvel indicateur d’une économie en expansion (France années 1950) », Annales des Mines. Réalités industrielles, février 2009, p. 109‑117 ; Jean Fourastié un expert en productivité. La modernisation de la France (années 1930-années 1950), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2008.
60 Sur la diffusion du concept de productivité dans les services publics, F. Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel Ardant et le Commissariat général à la productivité 1954-1959 », in P. Bezes, F. Descamps, S. Kott et L. Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), op. cit., p. 401‑442.
61 Maurice Lauré est rapporteur de la commission Fiscalité du Commissariat général à la Productivité. Cf. M. Lauré, Impôts et productivité, Paris, Recueil Sirey, 1953 ; Révolution, dernière chance de la France, Paris, Presses universitaires de France, 1954 ; Traité de politique fiscale, Paris, Presses universitaires de France, 1956. Voir aussi son témoignage biographique oral de 12 entretiens réalisés par Florence Descamps en 1990, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
62 Sur Raymond Gaudriault et les missions de productivité dans l’administration, F. Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics », ibid., p. 411‑412,
63 Jean Gonot et Rémy-Étienne Flandin, Mission aux États-Unis et Rapport sur les bureaux O et M pour le CCECRSP (1953-1955) ; voir aussi le témoignage de J. Gonot, 2010, Comité pour l’histoire économique et financière de la France.
64 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 469‑472.
65 J. Saint-Geours, note du 15 novembre 1966, p. 2, cité par A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 447.
66 CAEF, B 52 090, Note de J. Saint-Geours pour le directeur du Budget, « Projet de programme d’étude pour l’optimisation des dépenses publiques », janvier 1967, 19 p., citée par A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 450.
67 C’est là l’une des préoccupations personnelles du directeur du Budget.
68 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 451 et 455.
69 Ce délai d’attente serait dû aux divergences tactiques entre la direction du Budget et la direction de la Prévision, la première exigeant d’en passer comme à l’accoutumée par la traditionnelle circulaire interministérielle centralisatrice, alors que la seconde craint que son opération ne soit torpillée par cette procédure bureaucratique coercitive (A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 453). Par ailleurs, en 1966, Renaud de La Genière vient de procéder à une réforme de sa direction, qui est passée de quatre sous-directions à six. Peut-être a-t-il souhaité absorber cette réorganisation avant de lancer une opération qui n’est rien moins qu’une réforme de la procédure budgétaire, sept ans à peine après l’ordonnance fondatrice de 1959…
70 CAEF, B 52 090, note de J. Saint-Geours, Note pour le directeur du Budget, 5 septembre 1967, 8 p.
71 La mission est composée de hauts fonctionnaires des Finances : Gérard Eldin, né en 1927, ancien élève de l’ENA (1952-1954), inspecteur des Finances, chargé de mission à la direction du Trésor, secrétaire général de la commission des Comptes de la Nation (1961-1965), conseiller technique auprès de Valéry Giscard d’Estaing 1963-1966 ; Jacques Raiman, né en 1933, X Ponts (P 1959), chargé de mission à la Prévision et chef de la section de la Recherche opérationnelle à la DP ; Guy Vidal, né en 1929, ENA 1954, administrateur civil, sous-directeur à la direction du Budget (1966-1970), conseiller technique au cabinet du ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing (1965-1966) ; Pierre Cortesse, né en 1927, ancien élève de l’ENA (1951), administrateur civil à la direction du Budget, ancien sous-directeur du Budget en 1965, directeur adjoint du cabinet du ministre de l’Économie et des Finances, Michel Debré de janvier 1966 à avril 1967 ; Pierre Suard, né en 1934, est polytechnicien (P 1954), ingénieur du corps des Ponts et Chaussées, ancien membre du service des Affaires économiques du ministère des Travaux publics (SAEI) de 1960 à 1963 puis à Aéroport de Paris. Il est en 1966 conseiller technique au cabinet de Michel Debré.
72 A. Terray, Des francs-tireurs aux experts, op. cit., p. 458.
73 Fin 1967, sont enregistrées la première montée du chômage, une très légère baisse du pouvoir d’achat, ainsi qu’un début de menace de réapparition de déficit budgétaire (voir infra).
74 CAEF, Fonds Cabinet Debré, 1 A 49.
75 Le changement de nom d’ODP en RCB viendrait autant de la volonté d’ancrer la méthode dans un environnement budgétaire (B comme Budget plutôt que P comme Prévision) que du refus d’utiliser le vocable américain auquel Michel Debré est allergique (cf. ses Mémoires, Trois Républiques pour une France, tome 4, Gouverner autrement, 1962-1970, Paris, Albin Michel, 1993, p. 157). Selon Pierre Cortesse, le nom aurait été trouvé lors d’un séminaire préparatoire à Amboise, ville dont Michel Debré est le maire.
76 Au même moment, le processus décisionnel concernant la fusion des régies financières de la direction générale des Impôts, préparé depuis 1960, connaît la même accélération.
77 CAEF, 1 A 49, papiers Suard au cabinet de Michel Debré.
78 CAEF, Fonds DP, B 52 277, Note pour le ministre. Proposition d’un programme d’études concernant l’optimisation de la dépense publique », 28 novembre 1967, p. 2.
79 Selon V. Spenlehauer, d’après le témoignage de Pierre Cortesse (L’évaluation des politiques publiques, op. cit., p. 217), Michel Debré, anticipant les éventuelles réticences de Matignon à l’égard d’une opération qui était susceptible d’apparaître comme une offensive anti-Commissariat général au Plan, aurait pris soin d’obtenir le soutien de l’Élysée. Au cours du Conseil des Ministres du 4 janvier, dans sa communication, Debré insiste sur l’examen de la dépense publique (les services votés) et la recherche d’un « meilleur rendement de l’effort budgétaire » ; il met en avant la nécessité « d’optimiser l’action de l’État », de renforcer les services d’étude, d’introduire de nouvelles techniques de gestion (calcul par ordinateur) et de rénover la préparation du budget. Sa communication fait la synthèse des projets de la Prévision et du Budget, mais reprend également nombre des préconisations des rapports de réforme administrative depuis 1960.
80 CAEF, 1 A 49. Les opérations retenues portent la marque de Michel Debré : les accidents de la route, l’aide aux familles, la répartition géographique des forces de police, le traitement des maladies mentales, le développement de l’urbanisation, l’adaptation de l’agriculture. Pour le ministère des Finances, sont annoncées trois études : la rationalisation du réseau des perceptions ; le calcul de la rentabilité des investissements régionaux et la gestion du Domaine de l’État.
81 C’est à Amboise qu’est évoquée l’idée de créer Rue de Rivoli une mission spéciale pour l’application de la RCB aux Finances et de la confier à « un responsable rendant compte directement au ministre » (CAEF, 1 A 49, note Suard 28 mars 1968), ce qui ne manque pas de mécontenter la direction du Personnel et des Services généraux. C’est aussi à Amboise, lieu de tous les rêves « rcbistes », qu’est développé le projet d’une Rand Corporation à la française… Invité d’honneur : Pierre Cot, PDG d’Air France. Sont présent la plupart des directeurs du ministère, ainsi que Pierre Suard, conseiller du Ministre en charge des grands équipements et de la RCB.
82 La composition du Groupe de pilotage de la RCB porte la marque des origines multisectorielles de la RCB : Marcel Boiteux pour le calcul économique et la recherche opérationnelle ; Michel Crozier pour la sociologie des administrations publiques ; Fernand Grévisse, directeur général de l’Administration et de la Fonction publique ; Jacques Houssiaux, professeur de sciences économiques à l’université de Nancy pour l’économie industrielle ; Hugues de L’Estoile pour le Centre de prospective du ministère des Armées ; René Montjoie, commissaire général au Plan pour les études sur le développement économique ; Renaud de La Genière, directeur du Budget ; Jean Sérisé, directeur de la Prévision et Pierre Racine, conseiller de Michel Debré et ancien directeur de l’ENA.
83 Prévision et Budget sont également sollicités. S’impliquent non seulement l’état-major de chacune des deux directions, mais aussi quelques administrateurs particulièrement concernés par la politique des investissements, notamment les administrateurs du budget des Transports, de l’Énergie, de l’Équipement et des entreprises publiques (Guy Vidal, Roger Malafosse, Bernard Thoyer, Guy Verdeil, Jean Bonnefont). Leurs témoignages oraux, collectés par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France, sont conservés à l’IGPDE.
84 Dans sa communication, Michel Debré n’hésite pas à annoncer « la définition d’une procédure nouvelle pour l’inscription des crédits budgétaires » (CAEF, 1 A 49, 27 avril 1968).
85 Antoine Dupont-Fauville, né en 1927, ENA 1953, inspecteur des Finances a été conseiller technique au cabinet du général de Gaulle en 1957-1959, au cabinet de Michel Debré Premier ministre (1959-1962), puis chef du service du financement du Plan (1962-1963), directeur de cabinet de Robert Boulin secrétaire d’État au Budget (1962-1965), chef du service de l’inspection générale des Finances (1965-1968), et enfin, directeur de cabinet de Michel Debré ministre de l’Économie et des Finances (1966-1968).
86 Pierre Cortesse, né en 1927, ENA 1953, administrateur civil formé à l’école du Budget par Raymond Martinet, sous-directeur du Budget en 1964-1965, conseiller technique puis directeur adjoint de cabinet auprès de Michel Debré, puis directeur de cabinet de Robert Boulin secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances, puis ministre de la Fonction publique (1968). Après le cabinet Boulin, il sera nommé chef du service du commerce à la DGCIP puis directeur de la Prévision en 1974.
87 Chez Air France, sont expérimentées au même moment de nouvelles techniques de gestion telles que la direction par objectifs et les premiers systèmes de contrôle budgétaire. Pierre Cot, X‑Ponts, ancien directeur général d’Aéroport de Paris, directeur général d’Air France, invité à Amboise, vient de commander un audit à McKinsey pour la toute jeune compagnie Air France. Rappelons que nous nous situons juste après la remise du Rapport Nora sur les entreprises publiques, qui sera publié après Mai 68 à la Documentation française, mais qui a circulé largement au MEF à partir de 1967, notamment au sein des directions de tutelle, Trésor et Budget. Sur les débuts de carrière de Pierre Suard, L’envol saboté d’Alcatel-Alsthom, Paris, Éditions France-Empire, 2002 et En toute impunité. La scandaleuse destruction d’Alcatel-Alsthom, Paris, Société des Écrivains, 2009.
88 F. Descamps, « Michel Debré et la réforme du ministère des Finances 1937-1968 », in Michel Debré, un réformateur aux Finances 1966-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 145‑181.
89 CAEF, Direction de la Prévision, B0052348/1, Actions économiques publiques 1965-1969, « Étude économique du RER » (avril 1967) et B-0052375/1, Rentabilité des investissements 1965-1969, « Étude Localisation optimale des postes de perception, point de l’étude et modèle de résolution », Patrick Bréaud (avril 1968).
90 Sur la commission de l’article 76, F. Descamps, « La réforme de l’État, une grande absente du plan de redressement économique et financier de 1958 ? », op. cit., p. 46‑63.
91 Le poids de Jean Sérisé, né en 1920, ENA (1946-1947), administrateur civil, chef de bureau puis sous-directeur au SEEF (1953-1959), ancien directeur de la Comptabilité publique (1966) et directeur de la Prévision nouvellement nommé (1967-1972), se fait également sentir dans le choix de ces deux études qui concernent, dans les deux cas, la direction de la Comptabilité publique, l’une des directions historiques du ministère des Finances la moins familière du raisonnement économique dans ses modes de penser et d’agir. L’étude RCB sur les investissements régionaux donne lieu à plusieurs instructions, notamment l’instruction n° 66‑57 du 6 mai 1966 aux TPG permettant d’apprécier l’incidence des programmes d’équipement sur les collectivités locales, puis une deuxième instruction préparée par la Prévision sur l’appréciation de la rentabilité économique de ces programmes d’équipement (voir CAEF, Fonds CP, B 52 015, « Appréciation de la rentabilité des investissements. Note de méthode provisoire »). Cette note circule entre la CP et ses services extérieurs mais aussi entre le cabinet du Ministre et ses directeurs. Ainsi le ministre de l’Économie et des Finances, François-Xavier Ortoli lui-même, le 12 novembre 1968, la communique à Philippe Huet chef de la Mission RCB (CAEF, Fonds RCB 3 D 86) et fait de même avec Jacques Chirac, secrétaire d’État au Budget, leur expliquant le mode d’emploi de cette « note de méthode relative à l’appréciation par les trésoriers-payeurs généraux de région de la rentabilité économique des investissements » (CAEF, 1 C 1 49).
92 Michel Debré, La mort de l’État républicain, Paris, Gallimard, 1947, p. 18‑19.
93 La rédaction de l’ordonnance du 2 janvier 1959 est l’œuvre d’un de ses camarades de l’inspection des Finances, Gilbert Devaux, directeur du Budget en 1958-1959, à l’égard duquel il manifeste une réserve certaine depuis 1940.
94 Notre hypothèse est que Michel Debré avait le désir en 1966 de réformer l’ordonnance budgétaire de janvier 1959 et que lui seul d’ailleurs, compte tenu de son rôle majeur dans la naissance constitutionnelle de la Ve République, pouvait se permettre d’ambitionner un tel projet.
95 Robert Boulin est secrétaire d’État au Budget de 1962 à 1966 sous V. Giscard d’Estaing et secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances en 1967-1968, sous M. Debré. Sur Robert Boulin, Bernard Lachaise, Hubert Bonin, Christophe-Luc Robin (dir.), Robert Boulin. Itinéraire d’un gaulliste (Libourne, Paris), Paris, Peter Lang, 2011.
96 CAEF, Fonds Cabinet Boulin, Papiers Dupont-Fauville et Gonot, 1 A 421, 1 A 426, 1 A 427, 1 A 428, 1 A 429 et 1 A 433.
97 Jean Gonot, inspecteur des Finances, adjoint de Philippe Huet à la direction générale du Commerce intérieur et des Prix, directeur de cabinet de Robert Boulin, de janvier 1966 à avril 1967.
98 On appelle « services votés » les dépenses reconduites d’une année sur l’autre sans examen de la part du Parlement ; ils représentent à l’époque plus de 75 % du budget général.
99 Cette inquiétude est partagée par les parlementaires. Lors de la discussion du Budget, le 24 octobre 1968, le député Jean-Paul Palewski s’inquiète de ce que les services votés représentent 75 à 80 % du budget et que ces crédits sont à peine examinés (http://archives.assemblee-nationale.fr/4/cri/1969-1970-ordinaire1/084.pdf, p. 3478). Lors du séminaire RCB d’Artigny pour les directeurs le 7 février 1969, Jacques Chirac secrétaire d’État au Budget reprend cette antienne des services votés, topos du discours budgétaire depuis 1963-1964, mais qui marque une réelle volonté de retrouver des marges de manœuvre budgétaire (voir CAEF, 3 D 81).
100 CAEF Fonds Cabinet Boulin, 1 A 426, 1 A 427, 1 A 428.
101 CAEF, Cabinet Debré, 1 A 49 ; Cabinet Boulin, 1 A 426, 1 A 427, 1 A 428.
102 Cf. les analyses de Gabriel Ardant à la tête du Commissariat général à la Productivité après le traité de Rome, en 1957-1958, et le Rapport Armand-Rueff de 1960 sur l’abaissement des obstacles à la croissance.
103 En matière de prélèvements, la limite considérée comme acceptable à l’époque est de 40 %.
104 CAEF, 1A 426, Cabinet Boulin. Cette « règle d’or budgétaire » est mise en œuvre une première fois lors du plan de stabilisation de 1963 ; Valéry Giscard d’Estaing aurait même caressé l’idée de l’inscrire dans la constitution. Elle est réaffirmée par Michel Debré à son arrivée Rue de Rivoli (note de Robert Boulin au directeur du Budget, 15 janvier 1966). Le gouvernement Chaban-Delmas la reprend à son tour en juin 1969, une fois la parenthèse de Mai 68 refermée (voir infra).
105 Robert Marjolin (1911-1986), haut fonctionnaire et économiste français, secrétaire général de l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) de 1948 à 1955. Entre 1958 et 1967, il est le premier français à occuper le poste de vice-président de la Commission européenne, en tant que commissaire européen chargé de l’économie et des finances, Raymond Barre lui succédant en 1967.
106 La critique des dysfonctionnements de l’administration est un fait ancien aux Finances ; c’est même une mission et un lieu-commun des corps de contrôle et des acteurs de la réforme administrative (inspecteurs des Finances, magistrats de la Cour des comptes), et ce au plus haut sommet de l’État (cf. en 1965-1966, les analyses du directeur du Budget lui-même, in F. Descamps, « Réformer l’administration par les sciences sociales. Les tentatives pionnières du ministère des Finances 1965-1972 », Le Mouvement social, n° 273, octobre-décembre 2020, p. 35‑56. Seulement, avant 1968, cette critique reste confidentielle et confinée aux cercles de la haute administration, alors qu’après 1968 elle devient publique et prend la forme d’une doxa.
107 CAEF, 3 D83, allocution de V. Giscard d’Estaing, 20 novembre 1969.
108 Les auteurs de cet essai sont Claude Alphandéry, Yves Bernard, François Bloch-Lainé, Olivier Chevrillon, Paul Cornières, Michel Crozier, André Danzin, André Dautresme, Jacques Delors, Paul Flamand, Fernand Grévisse, Simon Nora, Michel Pomey, Jean Ripert, Michel Rousselot, Jean Saint-Geours, Jean-François Théry, Yves Ullmo, Philippe Viannay. Un tiers d’entre eux appartiennent, ont appartenu ou appartiendront aux Finances ; plusieurs sont directement liés au lancement de la RCB comme Simon Nora et Jean Saint‑Geours.
109 Voir notamment le chapitre consacré au ministère de l’Économie et des Finances, in Pour nationaliser l’État, op. cit., p. 42‑64. Ont participé à sa rédaction François Bloch-Lainé, Simon Nora, Jean Saint-Geours, Yves Bernard, tous issus du Trésor, du SEEF ou de la Prévision et fort peu… gaullistes, et encore moins giscardiens.
110 On retrouve là un des thèmes de prédilection de Simon Nora dans son Rapport sur la gestion des entreprises publiques de 1967 publié en 1968, et l’un des thèmes du discours de la Nouvelle société de Jacques Chaban-Delmas de septembre 1969, écrit pour partie sous l’inspiration de Simon Nora (voir infra dans la partie II).
111 Sur les liens entre Michel Crozier et le ministère des Finances, voir notre contribution dans ce volume, partie III, ainsi que F. Descamps, « Réformer l’administration par les sciences sociales », op. cit.
112 Pierre Esteva, (1925-2005), ENA 1948-1950, inspecteur des Finances (1953), chargé de mission à la direction des Finances extérieures (1956), conseiller technique au cabinet d’Antoine Pinay (ministre des Finances, 1959-1960) puis au cabinet de Wilfrid Baumgartner (ministre des Finances et des Affaires économiques, 1960), sous-directeur, directeur adjoint des Finances extérieures (1964), conseiller technique au cabinet de Georges Pompidou Premier ministre (1967-1968), directeur de cabinet de Maurice Couve de Murville, ministre de l’Économie et des Finances (juin-juillet 1968) puis de François-Xavier Ortoli, ministre de l’Économie et des Finances (juillet 1968-juin 1969), directeur de cabinet de François-Xavier Ortoli, ministre du Développement industriel et scientifique (1969-1971).
113 CAEF, Fonds Cabinet, 1 A 49, Envoi d’un dossier de présentation de la RCB au nouveau ministre par Renaud de La Genière, avec une note d’accompagnement du directeur du Budget à Pierre Esteva, directeur de cabinet, le 10 juin 1968. Le dossier a été vu le même jour par le ministre.
114 Cf. Renaud de La Genière, allocution lors d’un stage RCB au ministère des Transports, Bulletin interministériel pour la RCB, n° 3, septembre 1970, p. 40 : « la déconcentration doit être réalisée d’une manière intelligente et rationnelle et dans un cadre bien précis. La déconcentration n’est qu’un mode de gestion et un mode de gestion n’est pas un but en soi. Certains services doivent être concentrés, certaines décisions ne peuvent être prises qu’à l’échelon central. En revanche, toute une série de décisions qui sont prises à l’échelon central devraient l’être à des échelons décentralisés. C’est ce que l’on oublie trop dans le mouvement auquel nous assistons aujourd’hui. En effet, la déconcentration ne se conçoit que si l’autorité déconcentrée est appelée à rendre compte à l’autorité centrale… C’est ce que l’on appelle le contrôle de gestion. Ce que la RCB peut apporter à la déconcentration c’est qu’elle ne soit pas l’anarchie ».
115 Allocution de Renaud de La Genière lors d’un stage RCB au ministère des Transports, septembre 1970 : « J’ai personnellement insisté pour que ceci soit fait sur la base du volontariat et de la conviction intime des chefs d’administration […]. Autrement dit, il ne fallait pas procéder, comme les Américains l’ont fait en 1965 […] par voie de généralisation autoritaire des méthodes de RCB », RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 3, 1970, p. 35.
116 Le mot n’est pas utilisé, mais c’est bien ce dont il s’agit : chaque ministère définit à son niveau le champ de ses études et de ses expérimentations, les méthodes qu’il veut utiliser, le calendrier qu’il veut mettre en place et les partenaires avec qui il souhaite travailler (direction de la Prévision, bureaux d’études, universités).
117 CAEF, Fonds Cabinet, 1 A 49, note du 19 mars 1968.
118 François-Xavier Ortoli, né en 1925, inspecteur des Finances (1947), Commissaire général au Plan, a présenté le 17 juillet 1966 en Conseil des Ministres le Plan Calcul, destiné à construire une industrie française de l’informatique mais aussi à hâter l’informatisation et la modernisation de l’administration française. Sur F.‑X. Ortoli, Éric Bussière et Laurence Badel, François-Xavier Ortoli, l’Europe : quel numéro de téléphone ?, Paris, Descartes et Cie, 2011.
119 CAEF, 1 A 49, Notes manuscrites de J.-P. Parayre.
120 CAEF, Fonds Cabinet, 1 A 49, papiers Suard puis Parayre.
121 Michel Ternier, « L’étude pilote sur la sécurité routière », RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 1, septembre 1970, p. 33‑45. Voir dans ce volume la contribution de Vincent Spenlehauer et Michel Ternier sur l’opération Sécurité routière, partie III.
122 CAEF, 1A 49, note de Parayre le 10 octobre 1968.
123 Voir la contribution de Marie Carpenter dans ce même volume, partie III.
124 Lors du Groupe central de mai 1969, la priorité est donnée à l’opération Sécurité routière. Jean-Paul Parayre pose d’emblée la question de sa traduction budgétaire pour le PLF 1970. La question de la formation des experts RCB et de l’éventuel recours aux consultants externes et étrangers est également évoquée.
125 CAEF, 1 A 49. Sur la création de l’informatique en France, voir les mémoires de Jean Carteron, Steria : 30 ans de création continue, Paris, Le Cherche-Midi, 1999 ; Pierre Mounier-Kuhn, L’informatique en France de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’émergence d’une science, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2010 ; Cédric Neumann, « De la mécanographie à l’informatique. Les relations entre catégorisation des techniques, groupes professionnels et transformation des savoirs managériaux », thèse de doctorat en histoire, université de Paris-Ouest-Nanterre, 2013 et « La construction sociale d’une catégorie : les “automatismes de gestion” », Entreprises et Histoire, n° 52, 2008, p. 85‑95.
126 Voir sur ce sujet la contribution de Philippe Bezes dans le présent volume, partie II.
127 Renaud de La Genière reproduit le schéma que Roger Goetze, directeur du Budget, a déjà expérimenté entre 1950 et 1956 en faisant venir auprès de lui des X‑Ponts pour le suivi des études du budget d’investissements.
128 En avril et mai 1969, Guy Vidal, sous-directeur du Budget, insiste, conformément au vœu de Michel Debré, pour que les résultats des études RCB soient traduits en termes budgétaires dans le projet de budget 1970.
129 Lors du stage de Pont-à-Mousson en août-septembre 1968, R. de La Genière fait trois exposés sur la RCB. En 1975, alors qu’il a été en charge du cours sur le Budget à Science Po pendant les six années précédentes, il se montre toujours aussi convaincu ; cf. son éloge de la RCB dans son ouvrage Le Budget, Paris, Presses de Science Po, 1975, p. 25‑30 ; p. 211‑231 et p. 323‑336.
130 Il existe à l’époque un fossé hiérarchique considérable entre le directeur, son état-major et l’administrateur civil de base de la direction du Budget. Très absorbé dans le travail budgétaire au quotidien, ce dernier n’a guère de loisir pour suivre les tâtonnements de la RCB. Le premier stage réservé aux administrateurs du ministère des Finances a lieu au CFPP du 24 novembre au 5 novembre 1969. Parmi les auditeurs, on compte 6 administrateurs du Budget. Les interventions de cette session donnent lieu à une publication du CFPP, sous la forme d’une épaisse brochure, qui sera abondamment diffusée dans l’administration tout entière. Ce premier stage Finances sera suivi un an plus tard en octobre 1970 par un stage pour les sous-directeurs du ministère de l’Économie et des Finances (CAEF, 3 D 78). Octave Gélinier de la CEGOS y participe sur « les points clefs du management ». Cf. Octave Gélinier, Fonctions et tâches de direction générale, Paris, Éditions d’Organisation, Paris, 1963 ; Le secret des structures compétitives, Paris Hommes et Techniques, 1966 ; Direction participative par objectifs, Paris, Hommes et Techniques, 1968.
131 Suite aux événements de Mai 1968 et aux accords de Grenelle, un collectif budgétaire a dû être préparé en urgence pendant l’été 1968, incluant des mesures d’économies budgétaires importantes.
132 Ce dispositif est classique au Budget. Il a été utilisé dans les années 1950 pour gérer les crédits Organisation et Méthodes du chapitre « Productivité des services publics ». Gérés à partir de 1956 par le bureau E2 de la direction du Budget, ces crédits ont servi à financer les opérations Organisation et Méthodes dans les ministères, les stages de formation des personnels administratifs, les contrats d’étude avec les cabinets de conseil en organisation et le recrutement de quelques contractuels spécialistes en organisation scientifique du travail. Sur ce dispositif, voir F. Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics », op. cit., p. 408‑420.
133 CAEF, Fonds DB, Z 10 681, papiers Galdin, notes de travail où sont listés tous les consultants bénéficiant de contrats dans les ministères, ainsi que le montant des contrats, soit au total une petite vingtaine d’organismes, y compris les universités et les associations de sciences sociales.
134 Voir les contributions de V. Spenlehauer et M. Ternier dans le même volume, partie III.
135 Séminaire RCB de Pont-à-Mousson, 19 août-7 septembre 1968, CAEF, B 52 015 et 1 A 49. Jacques Houssiaux est un des rares économistes à s’intéresser à cette époque à la micro-économie et surtout à l’économie industrielle, dont il est reconnu comme l’un des pères fondateurs en France. Membre du Groupe central RCB dès 1968, il meurt prématurément dans un accident de voiture en 1970. Conçu par les deux directions pilotes du MEF et par Philippe Huet, ce premier séminaire RCB est consacré au PPBS américain, aux techniques budgétaires et aux méthodes du calcul économique. La séance de clôture réunit le directeur du Budget, le directeur de la Prévision et Philippe Huet chef de la Mission RCB des Finances.
136 CAEF, 3D8. Stages de Marly I (4 au 15 novembre 1968) et Marly II (20‑31 janvier 1969). Au cours de ces stages, outre les responsables du dispositif RCB aux Finances (Huet, La Genière, Sérisé), un certain nombre d’intervenants présentent des études particulières. Henri Guillaume présente l’étude micro-économique du projet de RER parisien effectuée du temps où la RCB n’existait pas encore. Xavier Greffe, en partance pour la Californie, fait part de ses premières analyses sur le PPBS américain. Assistent au stage : Gérard Bélorgey (directeur de cabinet du secrétaire d’État aux Finances), Jean-Pierre Fourcade (directeur des Prix), Jean-Baptiste de Foucault (en stage ENA à la direction du Trésor), Jean-Yves Haberer (directeur adjoint du Trésor), Christian Join-Lambert (administrateur du Budget, District général de la région parisienne), Jérôme Monod (DATAR), Jean Ripert (INSEE), etc.
137 Lors du stage des directeurs au château d’Artigny les 7-8-9 février 1969, aux côtés de Marcel Boiteux, siègent pour la première fois les représentants d’un cabinet de conseil en organisation privé étranger, le cabinet américain McKinsey qui va quelques mois plus tard, intervenir à la demande de Jean Ripert dans la réorganisation de l’INSEE. Au cours de cette session, « les techniques modernes de gestion » sont mises à l’honneur, tandis que les deux ministres, François-Xavier Ortoli et Jacques Chirac, insistent sur la nécessité d’une réforme de la présentation budgétaire et sur la révision des services votés (CAEF, 3 D 78 et 1 A 49).
138 Au printemps 1969, du 17 au 27 avril, Jean Sérisé accomplit le voyage traditionnel aux États-Unis et établit un bilan – nuancé ‒ du PPBS. Il est averti des oppositions qu’il suscite, tant dans les départements fédéraux qu’au Congrès ou dans la nouvelle administration Nixon.
139 L’étude de cas est un mode d’enseignement couramment utilisé dans les universités américaines, que la FNEGE, autre création voulue par Michel Debré, développera en France, notamment dans les écoles de commerce, de gestion et de management. L’étude de cas n’est cependant pas inconnue en France, elle a fait son apparition au CPA de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris dans les années 1930 puis à HEC au tout début des années 1960. En revanche, elle n’est pas pratiquée à l’université ni à l’ENA. Michel Crozier, membre du Groupe central RCB et futur membre de la Commission interministérielle de RCB, appuie fortement l’utilisation des études de cas auprès des responsables français, notamment auprès du directeur de l’ENA. Sur l’enseignement de la gestion en France, Marie-Emmanuelle Chessel et Fabienne Pavis, Le technocrate, le patron et le professeur : Une histoire de l’enseignement supérieur de gestion, Paris, Belin, 2001 et Paul Lenormand (dir.), La Chambre de commerce et d’industrie de Paris (1803-2003), t. 2, Genève, Droz, 2008.
140 Sur l’organisation des stages par la DP, CAEF, 3 D 78 à 3 D 85, 3 D 04, Bulletins et stages RCB 1970 et 1971 et le rapport Le Noane (3 D 6).
141 Cf. les travaux de la Commission de réforme de l’ENA présidée par F. Bloch-Lainé.
142 Sur le CFPP et la RCB, CAEF, Fonds DPSG, 3D 118.
143 Sur la question de la formation des cadres et des spécialistes RCB, voir la contribution de Philippe Bezes dans le présent volume, partie II.
144 Stage de Pont-à-Mousson en août-septembre 1968, exposés de R. de La Genière sur la RCB.
145 Jacques-Edmond Grangé, Le budget fonctionnel en France, Paris, LGDJ, 1963. Cet ouvrage est une thèse de droit, rédigée par Jacques-Edmond Grangé (né en 1926, ENA 1949-1951), qui a passé la première partie de sa carrière à la direction du Budget (1952-1964) avant de rejoindre la Cour des comptes en tant que conseiller référendaire en 1965.
146 R. de La Genière, Le Budget, op. cit., p. 15‑18.
147 Sur la mission d’étude en Suède du 23 au 27 février 1970, CAEF, fonds CP, B-0065209/1.
148 J. Rivoli, alias P. Huet, Le budget de l’État, op. cit., p. 208.
149 Sur la réforme de la nomenclature budgétaire, CAEF, Fonds SCOM, B 46 633 et CAEF, B 131 69. Voir aussi R. de La Genière, Le Budget, op. cit., p. 260‑264. Il est frappant de voir comme l’histoire de la gestion publique reproduit certains dispositifs à vingt ans de distance. Ainsi, au début des années 1950, Roger Goetze, rénovateur de la direction du Budget et de la procédure budgétaire en 1956, avait lui aussi commencé par réformer la nomenclature budgétaire (CAEF, Fonds Budget, B 33 455) avant de se lancer dans l’expérience du budget fonctionnel et des premières mesures de coûts et rendements. Voir F. Descamps, « Roger Goetze, la direction du Budget et la réforme de l’État 1949-1958 », Revue française de finances publiques, n° 99, septembre 2007, p. 123‑134 et « Lorsque la direction du Budget faisait appel à un cabinet de conseil privé pour sa propre réorganisation… », Revue française d’administration publique, n° 131, décembre 2009, p. 513‑525.
150 Raymond Meunier, Budgets de programmes et comptabilité, Ormesson sur Marne, Éditions administratives et juridiques, 1980.
151 Stage juin 1969 au CFPP, intervention de R. de La Genière ; voir aussi Le Budget, op. cit., p. 260‑264.
152 RCB. Bulletin interministériel pour la rationalisation des choix budgétaires, n° 3, 1970, p. 34‑40.
153 La présence de Jean Sérisé, ancien directeur de la Comptabilité publique puis directeur de la Prévision et directeur de cabinet de Valéry Giscard d’Estaing, est un facteur déterminant.
154 CAEF, Fonds CP, B-0065207/1 et B-0065207/2 ; Mission RCB. Les réticences des services de la direction de la Comptabilité publique sont perceptibles dans les archives des groupes de travail qui réunissent le Budget, la Comptabilité publique et la Mission Huet, chargée de la coordination des comptabilités.
155 Sur la RCB à l’Équipement, Harod Mazoyer, « Réformer l’administration par le savoir économique. La Rationalisation des choix budgétaires aux ministères de l’Équipement et des Transports », Genèses, vol. 93, no 4, 2013, p. 29‑52.
156 F. Descamps, « L’entreprise a-t-elle été un modèle d’inspiration au ministère des Finances pour la modernisation de l’État dans la France des Trente Glorieuses ? », Entreprises et Histoire, no 84, 2016, p. 103‑122.
157 Sur ce volet gestionnaire et managérial, voir les contributions de Florence Descamps et Philippe Bezes dans ce même volume, partie II.
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Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978
Ce livre est cité par
- Pillon, Jean-Marie. Garcia, Sandrine. Mauchaussée, Marion. Peyrin, Aurélie. (2021) La Grande transformation des trois fonctions publiques : enjeux quantitatifs et qualitatif. Entretien avec Marion Mauchaussée et Aurélie Peyrin. Revue Française de Socio-Économie, n° 27. DOI: 10.3917/rfse.027.0141
Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978
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