À l’Ouest du nouveau : le PPBS. La traduction du Planning-programming-budgeting system américain par les militaires français 1963-1969
p. 35-54
Texte intégral
1La France fait dès le milieu des années 1950 le choix du nucléaire militaire et les lois de programme de 1960-1964, 1965-1970 et 1970-1975 permettent les principales études et productions nécessaires à la mise en œuvre des trois composantes (terre, air, mer) de la force de dissuasion. L’année 1962 voit la fin du conflit algérien et le début d’une déflation massive des effectifs, sans accroître réellement les marges de manœuvre budgétaires des Armées. La nucléarisation des forces, et ses surcoûts, prime sur les investissements pour l’armement conventionnel (leur modernisation et le développement de nouveaux équipements). L’industrie nationale de défense est très progressivement restructurée. Dans ce contexte, les Armées doivent gérer, avec des ressources limitées, des recherches et développements inédits et un tempo accéléré par les programmes nucléaires.
2En mars 1969, devant le Conseil économique et social, Hugues de L’Estoile1, directeur du Centre de prospective et d’évaluations (CPE) du ministère des Armées, explique pourquoi les militaires ont besoin de planifier et ont été amenés à importer les méthodes américaines de préparation des choix budgétaires :
« Ceci tient à deux raisons : La première est que la politique militaire que nous menons, vous le savez, est une politique qui vise essentiellement à éviter l’ouverture en Europe de conflits armés. C’est ce qu’on appelle la politique de dissuasion. Et du point de vue des militaires, ceci valorise considérablement un nouveau type de stratégie qui était connu en dehors des militaires, mais ignoré jusqu’à il y a peu de temps chez eux, qui est la stratégie de préparation des moyens. Elle s’ajoute à la classique et bien connue stratégie militaire, c’est-à-dire la stratégie d’emploi des moyens. […] D’autre part, […] nous nous sommes retirés de l’Alliance militaire et ceci nous a amenés ipso facto à nous poser la question : quelles sont, dans le cadre de la politique générale du Gouvernement, les missions nouvelles qu’il est souhaitable et possible de confier aux forces armées françaises2 ? »
3L’expérience du 3PB – processus de planification-programmation-préparation du budget, déclinaison française du Planning-Programming-Budgeting System (PPBS) – s’inscrit ainsi dans une décennie de profonds bouleversements des armées.
4Si l’on connaît désormais bien l’histoire des missions de productivité au tournant des années 19503 et des missions RCB des Finances dans les années 1960 aux États-Unis, on connaît moins les missions de militaires français pour apprendre outre-Atlantique le PPBS. Durant les années 1950 et 1960, le tropisme américain joue à plein chez les militaires français. Les ingénieurs notamment, travaillant à la conception d’armement, vont en nombre se former aux États-Unis4. Par ailleurs, Pierre Messmer, ministre des Armées depuis février 1960 (jusqu’en juin 1969) effectue un voyage officiel aux États-Unis en 1961. Il y rencontre son homologue Robert Mac Namara et son adjoint Paul Nitze, assistant secretary of Defense for international security affairs5. Là, il prend peut-être connaissance des expérimentations que mène la Rand Corporation sur un PPBS tout juste formalisé. Le PPBS américain doit permettre de déterminer, en fonction de diverses options stratégiques futures, les coûts de recherche et développement et de fabrication de l’armement. Il s’agit in fine de programmer les dépenses adéquates pour remplir les missions choisies et d’éviter les dérapages budgétaires. Premièrement, le PPBS n’intéresse au départ que la recherche et le développement, pour des projets précis. Deuxièmement, le PPBS répond à des demandes, clairement exprimées, des armées américaines. Troisièmement, il se développe en collaboration avec des intervenants extérieurs à la Défense.
5Cet article ne constitue pas une étude sur le PPBS américain6, ni sur sa version française, le 3PB7, mais propose une analyse des processus d’importation et de traduction d’un modèle exogène au système financier français par des pionniers qui s’emploieront à l’acclimater à la France. Il sera principalement question des voyages d’envoyés du CPE aux États-Unis afin d’y étudier le PPBS durant la décennie 1960. Cependant, dès 1970, les Français, civils8 et militaires9, vont chercher en Suède, où une forme de PPBS est développée, un avenir à la RCB et au 3PB.
6Avant de détailler ces missions, il faut avoir à l’esprit que les voyages aux États-Unis ne représentent qu’un des moyens de découvrir le PPBS. Un autre est d’importer de la documentation américaine. Ainsi, le CPE fait venir, et ses membres reviennent avec, de la littérature en France. Les missionnés de la direction de la Prévision ramènent, eux aussi, nombre d’écrits américains, dont beaucoup de documents sur les développements du PPBS, à la Défense10. Parallèlement, des échanges avec des officiels d’outre-Atlantique ont lieu en France. Ainsi, Bernard Tricot, secrétaire général pour l’administration des Armées, rencontre, le 26 juin 1965 à Paris, deux artisans du PPBS : Alain Enthoven, assistant secretary of Defense for systems analysis, et Harry Rowen, adjoint de Nitze et futur directeur de la Rand Corporation 1967-197211. On sait par ailleurs que le Dr. David Novick, considéré comme le père du système américain de planification, et Joseph Large de la Rand Corporation, sont passés à Paris en 1965 ou 196612. En outre, le CPE fait venir en France (ou profite de la venue en France) des acteurs du PPBS américain pour qu’ils exposent leurs travaux. Ainsi, Robert N. Anthony (nouveau comptroller, assistant du secrétaire à la Défense) vient à Paris en 1968 expliquer le projet Prime (voir infra)13. La même année, la Thomson Ramo Woolridge (TRW) présente, à l’initiative du CPE, devant l’État-major des armées, « quelques-unes de ses méthodes d’analyse économique et militaire »14. Néanmoins, les voyages d’études sur place restent le meilleur moyen pour les contemporains d’appréhender un système en cours de déploiement. Dès 1963, les Armées multiplient ainsi les voyages d’études vers les États-Unis. Nous verrons, dans un premier temps, les enjeux des voyages initiatiques de 1963 et 1964 puis, dans un second temps, les acquis des voyages de formation entre 1966 et 1968.
7Que vont chercher les militaires français à l’Ouest ? Que retiennent-ils du PPBS mis en œuvre ? Sont-ils conscients des limites du système américain et de ses difficultés contemporaines ? Quels enseignements en tirent-ils pour la situation française ?
Les voyages initiatiques de 1963 et 1964
8En 1963, les Armées sont en train d’établir leur deuxième plan militaire à long terme, qui se traduira par le vote en décembre 1964 de la deuxième loi de programme pour 1965-1970. 1963 est également la première année du plan à cinq ans américain préparé selon le PPBS.
Pour la recherche opérationnelle : le voyage de 1963
9Le but du voyage de 1963 est de « s’informer auprès des autorités compétentes du Pentagone, des méthodes et procédures de la planification, de l’évaluation des systèmes d’armes, de la conduite des études et recherches, et de l’emploi à ces fins des procédés de recherche opérationnelle »15. Le rapport de cette mission, qui dure du 10 au 12 juin 1963, apparaît, d’après nos recherches, comme la première occurrence du PPBS dans les archives de la Défense. La mission fait l’objet de deux comptes rendus : un général et un particulier sur les relations entre les départements de la Défense et des Affaires étrangères par Jacques Lestel.
10Cette mission est composée de deux membres du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN)16 (général Navelet17 et colonel Berthelot18), de J. Lestel19 directeur du Centre interarmées de recherche opérationnelle20 (Ciro, dépendant de la direction des Recherches et Moyens d’essai de la Délégation ministérielle pour l’armement-DRME, DMA), et du commandant Bresson21, responsable de la recherche opérationnelle à l’état-major de l’armée de Terre.
11Des rencontres sont organisées avec M. Johnson (adjoint de Charles J. Hitch, comptroller assistant du secrétaire à la Défense pour l’administration) et Alain Enthoven. Des présentations sur les plans et le war gaming sont effectuées par des hauts gradés du département Plans and Policy du Joint Staff (amiraux Kauffman et Van Aredall). Le colonel Whitesell (assistant du directeur des Études, Recherches et Développement) explique les méthodes d’orientation des recherches militaires, M. Kranick (du State Department) les relations entre la Défense et le Département d’État, « M. Lestel ayant vu en outre les équipes du Weapon system evaluation group et celle de la Navy et de l’armée de Terre22. »
12Voici comment est présentée schématiquement, dans le rapport de mission, la planification militaire aux États‑Unis :
« La politique de défense est définie par les plus hautes instances (Conseil de sécurité nationale). Elle est ensuite traduite en neuf programmes fonctionnels […] Chacune de ces rubriques [programmes fonctionnels] fait l’objet d’une planification dans le cadre d’un effort financier donné […]. Ce cadre financier est toutefois infiniment moins strict que dans le cas du plan français. Il représente tout au plus un ordre de grandeur de base.
Le plan est initialement fait par les militaires en fonction des demandes présentées par les commandements interarmées ou commandements spécialisés, demandes traduisant les moyens jugés nécessaires pour l’exécution des missions qui leur ont été fixées par les chefs d’état-major combinés. Ces demandes sont ajustées par l’état-major combiné et traduites en trois séries de plans [à court, moyen et long termes]. […] Trois fois par an les chefs d’état-major combinés procèdent à la révision des plans pour tenir compte de l’évolution des données (il s’agit donc en fait d’un processus continu de révision).
Ce planning de base constitue la première phase du travail. Il est ensuite envoyé aux assistants civils du ministre (essentiellement au département du comptroller), qui procèdent à une analyse détaillée des plans […] Cette deuxième phase s’appelle le programming et donne lieu naturellement à des navettes entre les sections civiles et militaires du département de la Défense avant d’être approuvé par le Président. En fait, c’est entre mai et septembre que le secrétaire à la Défense prend les décisions nécessaires (500 cette année) qui se traduiront dans le projet de budget […]. Ensuite on passe à la troisième phase appelée budgeting qui traduit en termes appropriés vis-à-vis du Congrès et pour une année seulement la première année du plan sous la forme classique (personnel, matériel et par armée)23. »
13Les Français retiennent deux éléments originaux du processus :
« établissement d’un plan “dynamique” modifié et prolongé chaque année en fonction des circonstances au lieu d’une succession de plans “statiques” ; étude de ce plan par ensembles fonctionnels permettant d’avoir une vue plus claire des décisions à prendre et insertion entre l’échelon militaire le plus élevé (les chefs d’état-major) et le ministre d’une équipe civile (note 1 : formée d’universitaires et d’économistes dont la plupart sont passés par la Rand Corporation) rompue aux techniques du “management” et qui se livre en utilisant les moyens les plus modernes à une critique systématique et approfondie des propositions militaires afin d’obtenir “plus de défense pour le même prix24”. »
14Cet objectif est partagé par les Français.
15Les visites françaises de 1963 se cantonnent à Washington DC. Afin de comprendre le PPBS, il conviendrait d’aller à sa source : la Rand Corporation de Santa Monica en Californie. Cette destination est incluse dans la mission de 1964 menée par les membres du CPE.
Le CPE aux Amériques : le voyage de 1964
16Au sein de la DMA (future Délégation générale pour l’armement en 1977), la DRME est créée en avril 1961. Elle accueille dès décembre 1961 un bureau Prospective et Orientation (BPO) uniquement composé d’ingénieurs militaires. Il s’agit de l’ancêtre du Centre de prospective et d’évaluations (CPE) créé, lui, par arrêté en février 1964. L’ingénieur en chef de l’Air de 2e classe Hugues de L’Estoile, polytechnicien promotion 1951, est nommé, le 5 mai 1964 par le ministre, premier directeur du CPE après avoir dirigé durant quatre années le BPO de la DRME25. Le CPE est la créature de Pierre Messmer qui va le charger de suivre les expérimentations planificatrices américaines, sans doute sur les conseils de L’Estoile. Ce dernier connaît en effet déjà le PBBS et a visité la Rand Corporation en 1958 : « dans le premier semestre j’étais aux États-Unis à la Rand Corporation et j’y ai découvert ce système, le PPBS, dans son nid, où il est né, à Santa Monica. Je m’y suis fait de bons amis et il se trouve que je vais assez fréquemment aux États-Unis et que je discute assez souvent avec les Américains26. »
17Dirigée par L’Estoile, une mission est envoyée du 14 au 28 juin 1964 aux États-Unis27. Il s’agit vraisemblablement du premier voyage à l’étranger de membres du CPE en tant que tels. Le rapport de cette mission en révèle les objectifs :
« La mission organisée par la DMA et composée de M. Lestel, directeur du Ciro, de l’ingénieur en chef de l’Air de L’Estoile, directeur du CPE, et de l’ingénieur principal du Génie maritime Gérard Senouillet28 du département Organisation de la DMA avait pour but d’examiner les méthodes de préparation, d’élaboration et de contrôle des programmes mis en œuvre au département de la Défense des États-Unis d’Amérique29. »
18Les envoyés du CPE rapportent qu’afin de planifier la recherche et développement au sein de l’US Air Force :
« la projection des possibilités scientifiques et techniques est faite au titre d’une opération appelée Project Forecast qui groupe des industriels, des universitaires et des militaires. Lorsque l’accord s’est fait entre l’Office of secretary of Defense [il s’agit d’un état-major du ministre, inexistant en France] et l’US Air Force sur l’ensemble des programmes à initier ou à poursuivre au titre de la mission recherche et développement, celle-ci est libre de mener ses projets à sa guise, mais en ayant toujours pour objectifs de préparer des choix entre plusieurs solutions concurrentes, ce qui donne au programme de recherche et développement une allure d’entonnoir comprenant de très nombreuses opérations, au stade de la recherche fondamentale pour un nombre très réduit d’opérations passées au développement opérationnel30. »
19Le rapport de 1964 sur le PPBS se poursuit par un rappel des principes généraux du système, essentiellement extraits de The Economics of Defense in the Nuclear Age, de C. J. Hitch et R. W. Mac Kean (Havard University Press, 196031) – un temps considéré comme la Bible au Pentagone. Puis, sont successivement exposés le processus de décision, l’établissement des plans militaires, le programme quinquennal d’armement, les études économiques de coût-efficacité et les problèmes propres à la recherche et au développement au sein du département de la Défense. On y apprend que depuis « l’été 1961, le budget 1963 (Fiscal Year 1963) est préparé en termes de “blocs programme” (Program package) », et que, pour la première fois, dans la présentation du budget, l’accent est mis sur les missions de défense plutôt que sur les services de la Défense. De plus, ces « blocs programme » couvrent une période de cinq ans. À la suite des problèmes rencontrés lors de ce travail (manipulation d’une masse considérable d’informations, définition d’une structure de missions de défense réellement adéquate, attribution de coûts à ces missions, etc.), Hitch s’est vu confier la tâche « de procéder à un examen approfondi des systèmes d’information financière et économique existants dans l’ensemble du ministère et de proposer la mise en place d’un système de gestion pour l’ensemble du ministère intégrant les programmes, le budget et le financement, la comptabilité et l’information relative à l’avancement des programmes »32. En arrivant aux États-Unis, les militaires français découvrent ainsi un vaste système de gestion, comprenant déjà neuf programmes majeurs composés de milliers d’éléments de programme. Un élément de programme (EP) est un ensemble de moyens en personnels, matériels et infrastructures concourant à une activité bien définie (force d’intervention, soutien, recherche…). Un EP est aussi un mode de présentation des coûts (non exhaustifs) détaillée dans une fiche financière.
20Dans le rapport de 1964, les auteurs expliquent :
« qu’il semble que M. Mac Namara a réussi à mettre sur pied, avec l’aide de M. Hitch, un outil assez remarquable de programmation et à le faire fonctionner de façon efficace. Il a dû briser les méthodes particularistes des différents services, mais il semble que cette reconversion des esprits soit réelle. […] cette nouvelle façon de travailler est dans l’ensemble appréciée à tous les niveaux. Sans doute peut-on attribuer ceci au goût prononcé des citoyens américains pour les procédures et les systèmes précis33. »
21Le bureau des Programmes américain se compose d’une dizaine d’analystes et utilise un ordinateur IBM 7090 dans lequel est déjà enregistré le programme quinquennal complet.
22Les auteurs français relèvent une fois encore les différences majeures avec la situation française :
« À l’encontre de ce que nous pratiquons en France, la programmation couvre la totalité des activités du ministère de la Défense34. […] La programmation constitue le chaînon indispensable entre les plans militaires à long terme et le budget. […] Le programme, ainsi que les plans militaires, constituent des projections à horizon constant remises à jour au moins annuellement. Il y a là une différence de doctrine entre les Américains et nous, car nos plans couvrent une période fixe et l’horizon diminue au rythme auquel ils se déroulent35. »
23Séduits par cette nouvelle méthode de choix d’armement et de programmation financière, les émissaires français vont convaincre leurs homologues qu’il y a là un système dont il convient de s’inspirer.
Les voyages de formation (1966‑1968)
24Le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan en 1966 n’a pas de conséquence sur l’histoire du 3PB. Dans ces domaines du management et de la prospective, la collaboration franco-américaine est restée intense et cordiale. Chaque année entre 1966 et 1968, le CPE missionne plusieurs de ses membres pour se former aux méthodes PPBS et en rapporter les derniers développements.
Tester les méthodes du CPE : le voyage de 1966
25Le but du voyage de 1966 est d’« approfondir la connaissance des méthodes américaines de planification et [de] confronter avec les solutions retenues aux USA les projets de solutions avancées par le CPE, relatives aux méthodes d’établissement des plans des armées et d’orientation des études et recherches intéressant le long terme36. » Cette fois, le voyage vise plus particulièrement à tester les méthodes du CPE à l’aune des américaines. Pourtant, « la mission avait un caractère strictement officieux »37, car le 3PB est encore au stade des études au CPE.
26La mission, composée uniquement de membres du CPE, se déroule du 18 mai au 30 juin 1966. Ce séjour est plus long et l’investigation plus poussée sur la nouvelle méthode de planification, par ailleurs déjà exposée au ministre des Armées qui la soutient. « Au cours de la présente mission, le capitaine de frégate Henri Noël Araud38 et le chef de bataillon Pierre Quentin39 ont suivi le Defense management systems course, organisé par le Department of Defense à la Naval Postgraduate School située à Monterey (Californie) à l’attention des cadres supérieurs des différents départements ministériels [et alors en place depuis un an]40. » En outre, les envoyés du CPE ont le temps de visiter d’autres think tanks que la Rand Corporation : Stanford Research Institute à Palo Alto (Californie) et Research Analysis Corp. à Mac Lean (Virginie). Les trois membres de la mission ont été reçus au Center for Naval Analysis à Arlington (Virginie) et par deux bureaux de l’Office of secretary of Defense au Pentagone : « celui du director of Defense Research and Engineering et celui de l’assistant secretary of Defense [for] system analysis41. »
27Parmi les difficultés rencontrées à cette époque par les Américains dans la réalisation de leur nouveau système de programmation, le rapport distingue l’incertitude probabilisable (ou probabiliste), qui est traitée par l’espérance mathématique et des calculs de probabilités, de l’incertitude non probabilisable (ou non probabiliste) dont le niveau est déterminé au moyen d’études de sensibilité (variation de coût et d’efficacité en fonction des variations de chacune des caractéristiques prises séparément) ou de contingences (qui présentent l’ensemble des configurations de coût et d’efficacité possibles en fonction de l’environnement ou de l’ennemi) et qui utilisent la théorie des jeux. Les auteurs évoquent le recours à cette théorie (mais ils précisent que les jeux à somme nulle – où les gains de l’un compensent les pertes de l’autre – se retrouvent rarement dans les conflits et surtout ceux nucléaires), mais aussi à la méthode des scénarii et enfin aux war games. La Rand Corporation notamment a mis au point, grâce à des calculateurs dont les temps de calcul sont alors extrêmement lents, une série de jeux testant les différentes structures de forces et tactiques à adopter en face des mêmes structures possibles de l’ennemi, dans le domaine des représailles nucléaires et de la défense aérienne. Lors de ce troisième voyage d’études, le PPBS semble à son apogée car le président des États-Unis Johnson vient d’annoncer la généralisation du système à toute l’administration américaine.
28Les envoyés français relatent néanmoins les insuffisances notoires du système comme l’imprécision des estimations de coûts et d’efficacité, ou encore la lourdeur du système et sa faible maniabilité. Certaines lignes de leur rapport sonnent comme un avertissement pour l’expérience française :
« La mise en place du système a été rapide. Alors que M. Hitch, […] demandait dix-huit mois, le ministre décida que l’opération devait être menée en six mois parce que les conséquences des errements suivis jusqu’alors étaient catastrophiques. Le ministre n’avait en effet jusqu’alors aucune possibilité de jouer le rôle de leader qu’il entendait jouer, son rôle se limitant à essayer de concilier les demandes hétérogènes des différents chefs d’état-major et à répartir proportionnellement les insuffisances budgétaires. […] La mise en place rapide du système, alors que les travaux de planification avaient été des plus réduits, explique le grand nombre de demandes de modification du plan à long terme qui furent présentées par les services dans les premières années du système42. »
29Il faut donc lire que la volonté d’un homme ne fait pas tout, que cette réforme financière peut être instrumentalisée au profit de l’ambition d’un ministre et que la mise en route précipitée du système fragilise son essor et même le ralentit. En outre, cette réforme peut donner lieu à des oppositions au sein des et entre les états-majors et avec le ministre, et, dans ce cas, il est fait appel à l’arbitrage du Parlement ou du Président. La réforme risque en effet d’empiéter sur le pouvoir financier des différents états-majors et généraux responsables. Le programme et même l’élément de programme effacent les frontières entre les armées au profit de la puissance centralisatrice du ministre et des services chargés d’analyser les conséquences des décisions43. On comprend donc que la réorganisation administrative, ici dans le sens d’un renforcement de l’autorité centrale, accompagne et favorise l’émergence du PPBS, qui devient la source d’inévitables frictions.
30Ensuite, le rapport fait également état des palliatifs apportés :
« l’expérience aidant, et à la suite d’un rapport établi par la compagnie Mac Kinsey, en avril 1966, sur demande de l’état-major du ministre, il a été décidé d’améliorer le système a) en mettant l’accent sur les missions (c’est-à-dire les résultats à atteindre) dans les travaux de planification et lors de la prise de décision, b) en distinguant nettement les problèmes majeurs des autres, c) en précisant les caractéristiques auxquelles doivent répondre les différents éléments d’un programme44. »
31Le PPBS est complexe dans son application car il remet en question à la fois les méthodes comptables, les structures administratives et l’équilibre des pouvoirs au sein de la Défense américaine. De plus, il est en perpétuelle évolution. Les envoyés français aux États-Unis sont ainsi parfaitement conscients des difficultés que rencontre le PPBS américain. Le voyage de 1967 va confirmer ces désillusions.
Le projet Prime : le voyage de 1967
32Tout comme la mission de 1966, la mission du contrôleur des Armées Louis Hardy45 et du commandant André Chave46, tous deux membres du CPE, a « pour but essentiel de suivre l’enseignement donné à l’US Naval Post Graduate School of Monterey »47. Ce voyage de formation mais aussi d’études, qui dure tout le mois de juin 1967, doit « montrer le sens suivant lequel ont évolué les méthodes de planification [américaines] dans un passé très récent »48. Dès l’introduction de leur rapport, les auteurs reconnaissent que « la révolution en cours dans le domaine des méthodes de planification d’administration et de gestion suscite des oppositions et rencontre des obstacles », mais ils restent résolument optimistes : « Il semble bien cependant qu’il s’agisse d’un mouvement irréversible lié en particulier au développement des moyens modernes de gestion et que l’essentiel du système survivra à tout changement politique éventuel49. »
33Ce mémoire relate en détail la genèse du projet baptisé Prime (PRIority Management Effort). Considérant pour la première fois les coûts de fonctionnement ainsi que les coûts d’équipement, le projet Prime constitue la première manifestation des systèmes de gestion des ressources (ressource management systems), nouveaux mécanismes qui reposent sur l’utilisation d’un budget de fonctionnement attribué à un responsable financier50. Le projet n’a pas uniquement pour but de généraliser les budgets de fonctionnement. Le projet sert également un double objectif : « l’intégration de la programmation, de la préparation du budget et de la comptabilité administrative signifiant que les informations utilisées par ces trois systèmes seront totalement cohérentes ; la mise au point d’un système d’information meilleur concernant la consommation des ressources consacrées au fonctionnement (opposées aux ressources d’équipement) »51, c’est-à-dire collecter à la base tous les types de coûts d’une même opération. Le rapport expose en outre les changements survenus dans la structure des programmes, dans les procédures de programmation et dans la procédure budgétaire elle-même. Il n’oublie pas les limites du projet Prime, notamment celles posées par le Congrès.
34Ainsi, peu avant la remise du rapport de mission, le contrôleur des Armées Hardy explique, lors d’une conférence, qu’en 1967, « les projets de M. Anthony se heurtent […] à certains obstacles en particulier de la part du Congrès. Celui-ci a demandé à M. Mac Namara d’étaler ses réformes dans le temps. Il a refusé en 1967 les crédits pour l’extension des fonds de roulement et demandé que le budget militaire continue d’être présenté sous sa forme traditionnelle52. Il a considéré que les réformes allaient trop loin et trop tôt et diminuaient ses pouvoirs de contrôle53. » En effet, le PPBS risque de compromettre l’indépendance de la décision budgétaire des parlementaires et de contraindre leurs choix et même ceux du Department of Defense. Dans cette conférence, Hardy explique les nombreuses critiques auxquelles ont dû faire face Mac Namara et Hitch puis Anthony, notamment au sujet de l’évaluation du rapport coût-efficacité. Enfin, le contrôleur présente la différence majeure entre la situation des États-Unis et celle de la France où « le ministre ne dispose pas d’un état-major fonctionnel propre comme aux États-Unis et ce point est capital. […] En France, le problème n’a été étudié que dans le cadre de groupes de travail et le travail en profondeur reste à faire. D’autre part, il semble bien difficile de faire appel à de la matière grise extérieure au ministère sur une grande échelle54. »
35La France n’aura en effet jamais l’équivalent des think tanks américains et le CPE n’aura jamais les capacités de la Rand. Si la Rand Corporation « se trouve à l’avant-garde de l’utilisation au télétraitement d’un ordinateur équipé d’une série de terminaux auxquels les chercheurs ont accès directement »55, le CPE n’a pas d’ordinateur propre mais utilise celui du SGA. De plus, en 1965, la Rand comprend onze départements scientifiques, dont un consacré à l’analyse des coûts, et regroupe plus de six cents militaires et autant de chercheurs de toutes disciplines. Au même moment, le CPE n’emploie que quatre officiers et trois ingénieurs militaires ainsi que trois scientifiques du contingent et trois personnels d’exécution56. En novembre 1968, le CPE compte, théoriquement, 46 personnels57.
36Malgré les difficultés manifestes, le PPBS possède encore un certain attrait pour le CPE, qui y voit une occasion de légitimer sa raison d’être et de renforcer ses savoir‑faire.
L’avenir incertain du PPBS : le voyage de 1968
37En avril-mai 1968, Jacques B. Loppion58, ingénieur principal de l’armement, et Michel Weulersse59, personnel civil, du CPE vont suivre, à l’image des voyages de 1966 et 1967, le Defense management systems course à Monterey, puis effectuer quelques visites d’étude. Cette mission prévoit d’appréhender les nouvelles applications du management aux administrations.
38Le rapport de cette mission choisit en effet de replacer « l’ensemble des mesures prises au département de la Défense au cours des années 1960 dans la perspective de la philosophie qui les inspire »60, en un mot le management, transposé par Mac Namara de l’industrie et des entreprises au département de la Défense. Le management est entendu comme la mise en œuvre des meilleurs moyens (financiers mais aussi techniques) et la mobilisation des hommes à tous les niveaux hiérarchiques afin de parvenir (to manage) aux buts qu’on s’est fixés. Ce management se caractérise par la recherche constante de la meilleure performance, impliquant un état d’esprit à renouveler et une remise en cause des cadres de pensée et des méthodes usuels.
39Ce rapport de 1968 annonce la nécessité, pour la réussite du PPBS, de la mise en place progressive des budgets de fonctionnement :
« Durant toute la durée du régime transitoire [entre l’ancien et le nouveau système], la cohérence des arbitrages est assurée par le fait qu’ils sont effectués aux hauts niveaux de l’organisation, ceci est ressenti aux bas niveaux comme un excès de centralisation. Mais, au fur et à mesure que le processus de planification-programmation-collecte de l’information converge vers les “bonnes décisions”, et qu’il y a de moins en moins besoin de remettre en cause les objectifs, leur mode de décomposition et leurs critères d’efficacité, il est possible de relever peu à peu le seuil financier en dessous duquel peut s’exercer la liberté des responsables de bas niveaux dans l’allocation de ressources61. »
40Favorisant dans un premier temps la centralisation, le système doit théoriquement permettre à terme une décentralisation de la gestion des ressources.
41En conclusion, les auteurs apparaissent plus circonspects que leurs prédécesseurs : « le danger d’interpréter cette méthode comme la panacée universelle pour remettre de l’ordre dans l’ensemble des finances publiques est grand », et plus critiques : « L’échec serait d’autant plus durement ressenti que cette méthode apparaît à un regard non averti comme un ensemble d’évidences et de raisonnements logiques fort simples, que l’on ne peut que s’étonner de ne pas avoir inventés soi-même62. » Ils révèlent enfin la vraie nature du PPBS-3PB : « S’inspirant directement des idées prônées par les praticiens du management moderne, le système 3PB permet une gestion utilisant les besoins et les aspirations des individus au profit d’une plus grande efficience de l’Administration63. » En résumé, de la lecture de ce rapport, ressortent des généralités sur des grands principes de bon sens et des espoirs flous d’une implication de l’ensemble des fonctionnaires dans une révolution managériale. Le PPBS a muté de la recherche opérationnelle à la révolution des mentalités, en passant par une refonte comptable et une réforme administrative. En 1968, son avenir aux États-Unis est incertain.
42Signalons enfin que Pierre Lacoste, membre du CPE de 1968 à 1971 plus particulièrement chargé de suivre les questions PPBS, futur amiral et directeur général de la Sécurité extérieure, va lui aussi aux États-Unis se former au PPBS. Il juge, a posteriori, qu’« en raison de la spécificité de leurs institutions, du poids du Congrès et de la manière dont ils établissaient leurs budgets, leurs procédures n’étaient pas directement transposables en France, mais nous pouvions nous inspirer de leur esprit64. » Son rapport de mission n’a pas été trouvé dans les archives consultées65.
43Les origines de la rationalisation des choix budgétaires (RCB) civile en France puisent aux mêmes sources que celles du 3PB. En effet, des hauts fonctionnaires et des chargés de mission des Finances, et notamment des membres de la direction de la Prévision (DP) créée en 1965, partent outre-Atlantique à partir de 196666 pour étudier le PPBS et s’en inspirer pour la mise en œuvre de ce qui devient en 1968 la RCB. En 1966, ont lieu la mission Pierre Lequéret67 et celle de Claude Bozon, Claude Charmeil et Philippe d’Iribarne68. En 1967, on compte trois missions69, une en 196870 et deux en 196971. Charles Riley, encore étudiant à l’École des hautes études commerciales, tout jeune journaliste à L’Usine nouvelle et futur chef d’entreprise, est, lui, financé par la direction de la Prévision et la direction des Prix pour se rendre de juin à octobre 1969 aux États-Unis y étudier le PPBS (au ministère de l’Agriculture, en Californie et dans l’État de New York)72. Les missions françaises « civiles » aux États-Unis (de façon certaine celle de d’Iribarne de 1966, celle conjointe direction du Budget-DP de 1967 et une des deux missions Finances de 1969) visitent la Rand Corporation.
44L’année 1968 constitue une année pivot. Aux États-Unis, le PPBS est freiné et très critiqué. En France, aux Armées, malgré des difficultés prévisibles, le 3PB amorce sa mise en œuvre (à achever au 1er janvier 1970). Dans la plupart des ministères civils français, les études de RCB sont tout juste amorcées.
Conclusion : les atours du PPBS
45Les traductions françaises du PPBS, aux retours de voyages d’étude, n’ont ni dénaturé son esprit, ni même tu ses difficultés. En revanche, elles ont mésestimé la spécificité de la situation administrative et financière des armées américaines. Elles ont en outre sous-estimé l’importance du volontarisme de Mac Namara et de ses whiz kids dans la concrétisation du système. Elles ont surtout réinterprété les enjeux du PPBS à l’aune des insatisfactions militaires françaises. Le programme et la programmation proposés par les Américains constituent en effet le chaînon manquant entre les plans militaires à long terme et le budget annuel français, et représentent un espoir de détente entre les Finances et les Armées. Sans sous-entendre que les envoyés du CPE ont volontairement biaisé l’exposé de l’expérience américaine dans l’unique but de la « vendre » à leur ministre de tutelle, on peut estimer que, d’après ce qu’on leur a laissé voir et appris aux États-Unis, ils ont surtout insisté sur les apports techniques de cette innovation et un peu moins développé les obstacles politiques qu’elle rencontrait. En outre, s’il est relativement aisé de proposer une adaptation théorique du système américain, il est très difficile de le transposer dans les faits en France. Il n’est dit qu’à demi-mot qu’il est illusoire de croire que les armées françaises bénéficieront d’une mobilisation humaine et technologique équivalente, hypothéquant ainsi ses chances de succès. En outre, les plans du Pentagone sont évolutifs et à horizon constant, alors que les plans français continueront de couvrir une période déterminée à échéance fixe. Les envoyés français ont été séduits par l’innovation californienne car elle intègre la totalité des dépenses du ministère de la Défense. Enfin, les membres du CPE, parmi lesquels on compte de nombreux polytechniciens et ingénieurs de l’armement, sont proches par leur formation à la fois mathématique73 et militaire des membres du Army Corps of Engineers, initiateurs de la méthode coûts-avantages aux États‑Unis74.
46Le CPE (et son directeur) voit dans le 3PB un domaine d’expertise neuf, une source infinie d’études et un outil stratégique (la planification) de réforme. Surtout, à l’instar de la RCB qui est utilisée par la direction de la Prévision ‒ autre structure atypique pleine d’ambitions ‒, le 3PB sert à légitimer et à renforcer l’existence du CPE. Ce dernier va chercher à Santa Monica un puissant instrument de sa pérennité et un argument de poids en faveur de l’existence d’un Centre dédié à la prospective et aux évaluations. Le contraste entre l’enthousiasme (tempéré) des membres du CPE pour le PPBS et les réserves émises par les représentants du Contrôle général des Armées (CGA) en témoigne. Le CPE n’est en effet pas le seul organisme au sein de la Défense à observer ce qui se pratique outre-Atlantique. Après une note de synthèse sur les évolutions de la gestion financière des armées américaines en décembre 196875, le CGA envoie du 15 octobre au 6 novembre 1969 sa première mission d’études du projet Prime. Les contrôleurs des Armées Louf et Gaillard, sont plus critiques que le CPE sur les résultats américains à attendre76. Quoi qu’il en soit, pour le CGA, il conviendrait, avant de lancer la mise en œuvre du 3PB, de réaliser une réforme des comptabilités des Armées afin de parvenir à une connaissance exhaustive des coûts77.
47Ni le CPE ni les ministres Pierre Messmer et Michel Debré ne veulent attendre la réalisation de ce préalable pourtant crucial. La présentation du système américain par le CPE ne peut qu’aiguiser l’intérêt des ministres et des financiers de la Défense. En effet, le gaullisme militaire passe par une révolution stratégique et financière. La nucléarisation des forces implique une nouvelle forme de programmation financière. Les Français vont ainsi chercher outre-Atlantique une méthode de gestion financière de leur « indépendance » retrouvée.
Notes de bas de page
1 Voir infra la biographie d’Hugues de L’Estoile.
2 Archives nationales (AN), fonds Michel Debré, 6DE 24, Procès-verbal de l’audition de Hugues de L’Estoile devant la section du Plan et des Investissements du Conseil économique et social du 11 mars 1969 à propos de « La rationalisation du choix des investissements publics », 38 p. dactylogr., p. 2.
3 En France, l’organisation des missions de productivité entre 1948 et 1952 aboutit au départ de 267 missions dont 211 pour les États-Unis. Elles regroupèrent 2 610 participants (Gérard Bossuat, L’Europe occidentale à l’heure américaine : le Plan Marshall, Paris, Éditions Complexe, 1992, p. 290). Voir également : Dominique Barjot (dir.), Catching Up with America. Productivity Missions and the Diffusion of American Economic and Technological Influence after the Second World War, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2002, 477 p. ; Régis Boulat, « Le concept de productivité en France de la Première Guerre mondiale aux années 1960 », Travail et emploi, n° 91, juillet 2002, p. 43‑56 ; Florence Descamps, « Une tentative de politique de productivité dans les services publics : Gabriel Ardant et le Commissariat général à la productivité 1954-1959 », in Philippe Bezes, F. Descamps, Sébastien Kott et Lucile Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Du contrôle de la dépense à la gestion des services publics (1914-1967), Paris, IGDPE-Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2013, p. 401‑442.
4 Voir à ce sujet les articles historiques et témoignages in Les ingénieurs militaires et l’émergence d’une nouvelle industrie française de l’armement, 1945-1960, Actes de la journée d’études du 20 mai 1999 à l’École militaire organisée par le Comité pour l’histoire de l’armement, Paris, Charme-CHEAr/DHAr, 2000, 199 p.
5 Pierre Messmer, Après tant de batailles : mémoires, Paris, Albin Michel, 1992, p. 296. Il est remarquable que Pierre Messmer n’évoque quasiment pas l’expérience 3PB dans ces mémoires, sans doute en raison de son abandon au milieu des années 1970. Le 3PB fut pourtant soutenu par Messmer dès le départ, notamment car il y voyait le moyen d’expertiser via le CPE les projections présentées par ses services.
6 Deux documents en ligne de la Rand retracent l’histoire du PPBS par sa créatrice : Alain C. Enthoven, K. V. Smith, How Much Is Enough ? Shaping the Defense Program, 1961-1969, Rand, 1971 http://www.rand.org/pubs/commercial_books/CB403.html ; A. Don Vito, The Essentials of Planning-Programming-Budgeting System, Rand, 1969 http://www.rand.org/pubs/papers/P4124.html. Voir également dans le présent volume l’article de V. Spenlehauer.
7 Sur les finances militaires à cette époque, y compris le 3PB, voir Fabien Cardoni, « Le choix des futurs. La programmation des dépenses militaires en France 1945-1973 », mémoire inédit pour l’habilitation à diriger des recherches, histoire, université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2019, 568 p., à paraître aux Éditions de la Sorbonne en 2022.
8 Voir par exemple sur le budget de programmes en Suède, Centre des archives économiques et financières (désormais CAEF), 3D 121 et 3D 143.
9 Une mission composée de trois membres du CPE et d’un membre de l’État-major des armées (Ema) en janvier 1970 a donné lieu à trois rapports : Service historique de la Défense (désormais SHD), 9S 55, Rapport du contrôleur des Armées [Roger] Lespiau, Mission d’information effectuée à Stockholm pour l’étude de la programmation du budget et des budgets de fonctionnement expérimentés dans les armées suédoises du 20 au 23 janvier 1970 [sur les questions d’administration et de procédures comptables et budgétaires], 17 mars 1970, 20 p. ; Rapport de mission du capitaine de frégate Lacoste et du chef de bataillon Verly, Le système suédois de Planification-programmation-préparation du budget du ministère de la Défense, 19 mars 1970, 24 p. Un autre rapport (non localisé) du lieutenant-colonel Lacombe de l’Ema porte sur « l’organisation et les responsabilités de l’état-major suédois ».
10 Voir CAEF, 3D 137, 3D 139, 3D 168 et B 52 329. Il existe également dans les archives du CAEF des bibliographies sur le sujet (B 16 069, US Bureau of Budget Library. Program Analysis Techniques: a selected Bibliography, December 1965 (Supersedes Cost-Benefit Analysis: a selected Bibliography, May 1965 ; B 52 329, Recherche de références documentaires sur l’a[nalyse] c[oût]-a[vantage] et le PPBS préparée par la documentation de la direction de la Prévision demandée par MM. Le Noane et Fourgeaud, 21 mars 1968 ; Liste de documents recensés au cours d’une mission effectuée par M. Rilley [sic, Riley] en juillet-octobre 1969, août 1970).
11 SHD, 19R 183, Note ms. du général de brigade Navelet, directeur de la division Affaires générales à l’État-major général de la défense nationale, au secrétaire général pour l’administration, 25 juin 1965.
12 SHD, 14R 9, « Méthode et pratique de la planification au département de la Défense des États-Unis », compte rendu d’une mission d’information effectuée aux États-Unis (18 mai-30 juin 1966) par l’ingénieur en chef de L’Estoile (partiellement), le capitaine de frégate Araud et le commandant Quentin, 15 septembre 1966.
13 SHD, 8S 965, « Le quoi et le pourquoi du projet Prime », allocution aux officiers auditeurs d’un stage de « management » par M. R. Anthony, sous-secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, 1968.
14 SHD, 9S 56, Fiche de la division Plans-Programmes de l’État-major des armées (désormais Ema) du 9 mai 1968 sur des conférences de la société Thomson Ramo Woolridge des 4, 5 et 6 mars 1968.
15 SHD, 19R 183, SGDN, division Affaires générales, compte rendu d’une mission aux USA, 25 juin 1963, composée du général Navelet (Secrétariat général de la Défense nationale), colonel Berthelot (SGDN), M. Lestel (directeur du Ciro, Délégation ministérielle pour l’armement-direction des Recherches et moyens d’essais, DMA-DRME), et du commandant Bresson (RO, EMAt), n. p.
16 Remanié en 1962, le SGDN assure le secrétariat des Conseils et Comités de défense (présidés par le chef de l’État), prépare les négociations internationales dans ce domaine et supervise le renseignement extérieur, l’Institut des hautes études de défense nationale et le Comité d’action scientifique de la défense. Rattaché au Premier ministre et renforcé par un réseau de correspondants dans les ministères, il dispose, à la différence de ses prédécesseurs, de crédits propres (quelques dizaines de millions de francs) pour mener les programmes civils de la défense.
17 Jean Navelet (1911-1967), X 1931, alors directeur de la division Affaires générales au SGDN.
18 Non identifié précisément.
19 Jacques Lestel (1929-2018), ENS Ulm scientifique 1947, professeur de mathématiques.
20 Le Ciro fut créé en 1956 à Arcueil afin de quantifier, grâce à des modèles mathématiques et des ordinateurs, des problèmes généralement techniques. Il emploie donc les méthodes de « recherche opérationnelle » en vogue depuis les années 1950 qui cherchent à dégager un optimum chiffré. L’analyse de système (system analysis), dont découle le PPBS, cherche quant à elle à présenter aux décideurs l’ensemble des solutions quantifiables.
21 François Bresson (1936-), X 1956, ENSAE, général de corps d’armée en 1991 et directeur de l’IHEDN 1992-1994, conseiller maître à la Cour des comptes 1997.
22 SHD, 19R 183, SGDN, division Affaires générales, compte rendu d’une mission aux USA, 25 juin 1963, n. p.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 André Chave et Hugues de L’Estoile, « Le système “3PB” (Planification-programmation-préparation du budget) », Revue d’études et d’information de la gendarmerie nationale, n° 80, 2e trim. 1969, p. 5.
26 AN, 6DE 24, Procès-verbal de l’audition de Hugues de L’Estoile devant la section du Plan et des Investissement du Conseil économique et social du 11 mars 1969 à propos de « La rationalisation du choix des investissements publics », 38 p. dactylogr., p. 29.
27 SHD, 9S 55, Rapport de mission aux États-Unis de MM. l’ingénieur en chef de L’Estoile, l’ingénieur principal Senouillet et Lestel (mission du 14 au 28 juin 1964), objet : « Méthodes de préparation, d’élaboration et de contrôle des programmes », juin 1964, 62 p.
28 Gérard Senouillet (1931-2013), X 1951, futur conseiller technique au cabinet du délégué ministériel pour l’armement 1964-1966.
29 SHD, 9S 55, Rapport de mission aux États-Unis de MM. l’ingénieur en chef de L’Estoile, l’ingénieur principal Senouillet et Lestel (mission du 14 au 28 juin 1964).
30 Ibid., p. 49. Voir aussi sur le projet Forecast, Régis D. Forissier, « L’introduction des techniques et méthodes de management dans l’administration des armées », thèse de 3e cycle, sous la direction de Roland Drago, droit, université Paris II, 1973, p. 91.
31 Disponible à http://www.rand.org/pubs/reports/R346.html
32 SHD, 9S 55, Rapport de mission aux États-Unis de MM. l’ingénieur en chef de L’Estoile, l’ingénieur principal Senouillet et Lestel (mission du 14 au 28 juin 1964), p. 11, cite un mémorandum du 16 août 1961.
33 Ibid., p. 27.
34 Les trois premières lois de programme ne concernent que les dépenses d’investissement.
35 SHD, 9S 55, Rapport de mission aux États-Unis de MM. l’ingénieur en chef de L’Estoile, l’ingénieur principal Senouillet et Lestel (mission du 14 au 28 juin 1964), p. 28.
36 SHD, 14R 9, « Méthode et pratique de la planification au département de la Défense des États-Unis », compte rendu d’une mission d’information effectuée aux États-Unis (18 mai-30 juin 1966) par l’ingénieur en chef de L’Estoile (partiellement), le capitaine de frégate Araud et le commandant Quentin, 15 septembre 1966, p. 3.
37 Ibid., p. 4.
38 Henri Noël Araud (1919-2007), École navale 1939, futur contre-amiral.
39 Non identifié précisément.
40 SHD, 14R 9, « Méthode et pratique de la planification au département de la Défense des États‑Unis », 15 septembre 1966, p. 3.
41 Ibid., p. 3.
42 Ibid., p. 18.
43 Sur ces freins au PPBS et sur le bilan du 3PB, voir notre article à la fin du présent volume.
44 SHD, 14R 9, « Méthode et pratique de la planification au département de la Défense des États‑Unis », 15 septembre 1966, p. 18.
45 Louis Hardy (-2010), contrôleur général des Armées en 1977.
46 André Chave (né vers 1925-), X 1953, général de division aérienne en 1984.
47 SHD, 14R 9, CPE, Évolution dans les méthodes de planification au département de la Défense des États-Unis, compte rendu d’une mission effectuée aux États-Unis par le contrôleur des Armées Hardy et le commandant Chave du 1er juin au 1er juillet 1967, novembre 1967, (67 p.) p. 3.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 5.
50 En France, leurs équivalents, les budgets de fonctionnement, sont expérimentés à la Défense à partir de 1970.
51 SHD, 14R 9, CPE, Évolution dans les méthodes de planification au département de la Défense des États-Unis, novembre 1967, p. 11.
52 Le PPBS devait entrer progressivement en vigueur au 1er juillet 1967, il est repoussé d’un an par le Congrès pour s’appliquer au budget 1969.
53 SHD, 14R 9, « Les nouvelles méthodes d’administration du département de la Défense des États-Unis », conférence prononcée le 24 octobre 1967 au Contrôle général des Armées par le contrôleur des Armées Hardy, p. 14 (24 p.).
54 Ibid., p. 23.
55 CAEF, 1A 260, Rapport sur une mission sur le PPBS américain (29 septembre-6 octobre 1967), s. d. [octobre 1967], dactylogr., 10 p., annexe 6.
56 SHD, 14R 1, Fiche du directeur du CPE au ministre des Armées sur la mise en place du CPE, 6 mai 1965, 10 p.
57 SHD, 8S 187, dossier 3, annexe au B. E. n° 3112 Ema/ORG.2 du 21 novembre 1968, tableau des effectifs autorisés du CPE.
58 Jacques Loppion (1939-2008), X 1960, École nationale supérieure de l’aéronautique, quitte le CPE en 1968, P-DG de Giat Industrie 1995-2001 et de la Société nationale des poudres et explosifs 2001-2002.
59 Michel Weulersse (probablement 1939-1994), maître de conférences à l’IEP de Paris en 1994, directeur de collection chez Publi Union éditions 1971-1994.
60 SHD, 9S 55, CPE, Le système 3PB : applications des théories du management à la gestion et à l’animation des administrations, rapport de mission aux États-Unis d’Amérique par J. B. Loppion et M. Weulersse (mission en avril-mai 1968), décembre 1968, p. 1 (90 p.).
61 Ibid., p. 56.
62 Ibid., p. 89.
63 Ibid.
64 Pierre Lacoste, Un amiral au secret, Paris, Flammarion, 1997, p. 87. Écouter également sur ce sujet, SHD, 3K 88, témoignage oral de l’amiral Pierre Lacoste, entretien 5 avec Sébastien Laurent, 6 février 2005.
65 En revanche, le rapport de sa mission en Suède est conservé : SHD, 9S 55 (également en 8S 967), CPE, Le système suédois de planification-programmation-préparation du budget du ministère de la Défense, rapport de mission du 19 mars 1970 du capitaine de frégate Lacoste et du chef de bataillon Verly (mission du 19 au 23 janvier 1970), 24 p.
66 Aude Terray, Des francs-tireurs aux experts. L’organisation de la prévision économique au ministère des Finances 1948-1968, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, p. 469‑470.
67 CAEF, B 16 069, Rapport de Lequéret de la direction de la Prévision sur le PPBS, septembre 1966, 62 p.
68 CAEF, B 16 069, Rapport de Philippe d’Iribarne, L’application des méthodes modernes de préparation des décisions dans l’administration américaine. La procédure des budgets programmes (rédaction provisoire), « Note rédigée à la suite d’une mission effectuée aux États-Unis en décembre 1966 par C. Bozon, C. Charmeil et Ph. d’Iribarne. Cette mission s’est déroulée auprès du Bureau du Budget et du département des Transports fédéraux, du Bureau du Budget et du département des Travaux publics de l’État de New York, de la Rand Corp. », 20 mars 1967, dactylogr., 19 p.
69 CAEF, 1A 260, Rapport (anonyme) [Guy Vidal, Pierre Cortesse, Pierre Suard, Jacques Raiman] sur une mission [direction du Budget-direction de la Prévision] sur le PPBS américain (29 septembre-6 octobre 1967), s. d. [octobre 1967], dactylogr., 10 p. CAEF, 3D 1, Mission aux États-Unis de M. Huet, directeur général du Commerce intérieur et des Prix, sept.-oct. 1967 (rapport de mission, documents divers) (même mission que le premier rapport). CAEF, B 16 069, Rapport de mission de Barthélémy sur le PPBS, 1967 ; mission (sans rapport repéré) Eldin, sous-directeur, et Raiman, chef de la section Recherche opérationnelle de la direction de la Prévision, en octobre-novembre 1967, citée dans le rapport Vignier (voir ci‑dessous).
70 CAEF, B 52 329, Compte rendu d’activité d’une mission en cours (depuis le 8 janvier 1968) de Bernard Vignier au Health, Education and Welfare Department, 20 mars 1968, dactylogr., 9 p. [20 p. selon A. Terray, op. cit., p. 470].
71 CAEF, B 52 375, Rapport sur la mission d’étude sur le PPBS effectué aux États-Unis du 17 au 27 avril 1969 par MM. Sérisé directeur de la Prévision, Malafosse chef de service à la direction du Budget, Le Noane sous-directeur à la direction de la Prévision, Lesage commissaire général adjoint aux Prix à la direction du Commerce intérieur et des Prix, Berthet chargé de mission à la direction des Synthèses économiques de l’Insee, Lévy-Lambert ingénieur en chef des Mines chef du département de l’Économie productive à la direction de la Prévision, Carré chargé de mission chef du département des Biens collectifs à la direction de la Prévision, Lagrange auditeur au Conseil d’État détaché à la direction de la Prévision, Auberger inspecteur des Finances détaché à la mission RCB du ministère des Finances, 11 juin 1969, dactylogr., 17 p. avec en annexes les comptes rendus des visites et des entretiens avec les interlocuteurs américains. CAEF, 3D 137, Compte rendu du voyage d’information effectué aux États-Unis, M. Bubos.
72 CAEF, B 52 329, « Liste de documents recensés au cours d’une mission effectuée par M. Rilley [sic, Riley] en juillet-octobre 1969 », août 1970 ; IGPDE-CHEFF, entretien enregistré de Charles Riley avec l’auteur, 18 octobre 2018.
73 Sur les bases mathématiques et le développement de ce système ainsi que ses applications jusqu’en 1968 aux États-Unis, voir la synthèse de l’ingénieur de l’armement Geoffroy d’Aumale, La programmation des décisions : système de planification-programmation-budgétisation, Paris, Presses universitaires de France, coll. SUP, 1968, 175 p.
74 Voir Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres. La recherche de l’objectivité dans la science et dans la vie publique, trad. fr. par Gérard Marino, Paris, Les Belles Lettres, 2017, chap. VII : « Les ingénieurs de l’armée américaine et l’essor de l’analyse coûts-avantages », p. 240‑320.
75 SHD, 8S 863, Contrôle général des Armées, Service des études générales, Note d’information sur les réalisations et les recherches dans le domaine administratif et financier au sein du département de la Défense des États-Unis et sur les enseignements susceptibles d’intéresser le ministère des Armées, 20 décembre 1968.
76 SHD, 8S 967, Contrôle général des Armées, Le système de gestion des armées américaines (mise en œuvre du projet Prime), rapport du contrôleur général des Armées Louf et du contrôleur des Armées Gaillard à la suite d’une mission effectuée au États-Unis du 15 octobre au 6 novembre 1969, 27 mars 1970.
77 SHD, 8S 863, Contrôle général des Armées, Service des études générales, Note d’information sur les réalisations et les recherches dans le domaine administratif et financier au sein du département de la défense des États-Unis et sur les enseignements susceptibles d’intéresser le ministère des Armées, 20 décembre 1968.
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Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978
Ce livre est cité par
- Pillon, Jean-Marie. Garcia, Sandrine. Mauchaussée, Marion. Peyrin, Aurélie. (2021) La Grande transformation des trois fonctions publiques : enjeux quantitatifs et qualitatif. Entretien avec Marion Mauchaussée et Aurélie Peyrin. Revue Française de Socio-Économie, n° 27. DOI: 10.3917/rfse.027.0141
Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel 1962-1978
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