Les conditions historiques de production du cadastre en Espagne, 1800-2000
p. 351-368
Texte intégral
1L’histoire du cadastre en Espagne a emprunté un cours plus complexe et sinueux que dans d’autres pays d’Europe. De ces pays, où le cadastre fut mis en place durant les premières décennies du XIXe siècle (voire au XVIIIe siècle), puis ne fit l’objet que d’améliorations et de réformes progressives, l’Espagne se distingue par deux aspects essentiels. Tout d’abord, la mise en œuvre du cadastre espagnol tel qu’on le connaît aujourd’hui prit un siècle de retard et ne fut entreprise qu’au début du XXe siècle, si bien que le pays traversa tout le XIXe siècle sans cadastre véritable. Ensuite, l’établissement du cadastre au cours de la première décennie du XXe siècle fut dans une large mesure illusoire, car tout au long des décennies qui suivirent, cette institution connut des périodes de progression et de régression qui la privèrent de la stabilité qui lui aurait permis de se développer et d’apporter ses bienfaits à la société espagnole. Nous observerons dans quel contexte historique le cadastre commença par être rejeté avant d’être mis en œuvre, afin d’évaluer la représentativité des documents qui en découlèrent1.
2Les deux particularismes de l’histoire cadastrale espagnole que nous venons de mentionner sont liés aux caractéristiques du processus de construction de l’État en Espagne, tout autant marqué par cette lenteur, ou ce retard, au cours du XIXe siècle, puis par ces avancées et ces reculs idéologiques et institutionnels au cours du XXe siècle. Les premières expériences cadastrales tentées aux XVIIIe et XIXe siècles, aussi bien en Espagne que dans d’autres pays, participaient de la volonté de construire un État, au sens propre du terme, sur les fondations de systèmes de gouvernement archaïques tels que les monarchies européennes de l’Ancien Régime. Dès lors, l’évolution du cadastre devint un indicateur exceptionnel de l’état d’avancement de la construction de l’État, avec ses progressions et ses régressions, ses forces et ses faiblesses.
I. Un XIXe siècle sans cadastre
3Dans l’Espagne du XIXe siècle, l’affrontement politique au sujet de la répartition de la charge fiscale porta dans une large mesure sur la définition des systèmes d’information du Trésor public. Dans un pays dont l’économie reposait principalement sur les activités agricoles, cet effort se traduisit dans la pratique par une lutte en faveur de l’établissement du cadastre. Les grands propriétaires terriens, néanmoins, boycottèrent le cadastre dès ses balbutiements, et ce pendant plus d’un siècle. De ce fait, le groupe social le plus puissant de l’époque parvint à empêcher une répartition proportionnelle des contributions directes : si des changements formels dans les contributions peuvent être décidés par décret, du jour au lendemain, l’élaboration d’un cadastre est en revanche un travail de longue haleine qui doit mobiliser des fonds importants pendant de nombreuses années.
4La dernière tentative espagnole de cadastrage sous l’Ancien Régime, à savoir les cuadernos generales de la riqueza (cahiers généraux des richesses) de 1817- 1818, se heurta à la résistance des notables, peu enclins à subir les inspections ou la surveillance de l’État. Cette résistance causa la chute du ministre concerné, puis l’autodafé de la plupart des documents qui avaient pu être établis2. Les premières tentatives menées par les libéraux en 1821,1841 et 1842 échouèrent également. Ces exercices, toutefois, ne visaient qu’à évaluer la richesse globale des villages sans tenter d’enquêter sur les biens patrimoniaux des particuliers, en accord avec l’état d’esprit propre au libéralisme originel qu’était la méfiance à l’égard de toute ingérence de l’État dans la sphère privée3.
5De plus, à partir de 1841, les libéraux commencèrent à utiliser les procédures fiscales d’évaluation des patrimoines pour négocier avec les oligarchies locales le montant supposé des richesses de chaque village, en échange d’une fidélité politique sur laquelle ils comptaient bien fonder un réseau clientéliste qui soutiendrait leur pouvoir4. Ce système de négociation des données cadastrales, instauré avec la Estadística de la Riqueza de 1841, devint permanent au cours de la décennie suivante avec les amillaramientos, système instauré en 1850 pour le recouvrement de la contribución de inmuebles, cultivo y ganadería (contribution sur les biens immeubles, les cultures et les élevages) créée par la réforme de 18455.
6Les amillaramientos étaient un système d’information fiscale sans cadastre, destiné à reporter la charge des impôts sur les paysans les plus modestes. Il s’agissait de prélever de façon indirecte, au moyen de l’impôt, les bénéfices des communautés rurales, à une époque marquée par la récente abolition des antiques mécanismes d’exploitation féodaux. Le nouveau système laissait toute liberté aux élites locales pour répartir l’impôt territorial entre les individus. L’État négociait avec ces élites la quote-part due par chaque village, puis ces mêmes notables locaux se réunissaient au sein d’une commission dénommée Jnnta pericial afin d’attribuer à leur village un montant fictif censé correspondre à ses richesses agricoles, proportionnel à la quote-part de l’impôt exigée. Enfin, ils établissaient des statistiques imaginaires des biens et des revenus de chaque habitant de manière à justifier la contribution dont il aurait à s’acquitter (celle-ci étant, de toute évidence, fixée arbitrairement). Les documents qui en résultaient ne reflétaient guère la réalité économique et sociale du village et obéissaient davantage à la logique des compromis politiques locaux et à la structure des réseaux de favoritisme et de clientélisme.
7La répartition profondément inégale des biens, la prévalence des relations de favoritisme et l’absence de l’État dans le monde rural espagnol empêchèrent une dénonciation de ces supercheries par ses victimes, c’est-à-dire par les paysans les plus pauvres ou les moins proches des notables locaux. Ces notables remportèrent également une victoire idéologique importante en parvenant à persuader les habitants que la fraude fiscale était une cause commune qui servait les intérêts de l’ensemble de la communauté locale contre les responsables politiques venus de la ville et la rapacité du fisc6.
8Toutefois, de plus en plus de voix s’élevaient pour dénoncer un système de toute évidence injuste, qui condamnait l’État à ne jamais disposer d’un réseau statistique capable de lui fournir une image fidèle des richesses du territoire et, partant, à ne jamais voir ses recettes fiscales varier en fonction du rythme de développement économique, et lui permettre d’effectuer les investissements nécessaires à la modernisation du pays et au rattrapage de son retard. C’est ainsi que naquit un courant d’opinion libérale et progressiste, favorable au cadastre et opposé aux fondements fiscaux du caciquisme. C’est dans ce contexte qu’il convient de situer le projet, entrepris en 1846, d’élaborer un cadastre et un registre des domaines ruraux et urbains7, ou encore les travaux réalisés par certaines commissions statistiques de province, auxquelles on doit des plans parcellaires locaux de grande qualité8. Mais il importe surtout de mentionner les travaux cadastraux de la Junta general de Estadistica (Conseil général de la statistique) et de l’Instituto Geográfico (Institut géographique) dans les provinces du centre et du sud de la péninsule9. Car bien que ces travaux se fussent révélés d’une portée très limitée, ils eurent au moins le mérite de mettre en évidence l’ampleur de la fraude fiscale commise par les grands propriétaires terriens et de conforter ainsi la conviction générale de la nécessité d’établir un cadastre.
9La création d’un cadastre supposait toutefois des coûts si élevés que les gouvernements réformistes furent dissuadés de prendre toute initiative en la matière, bien qu’ils fussent conscients de l’intérêt que le cadastre était susceptible de présenter pour la modernisation du pays. À ces restrictions budgétaires s’ajoutait l’impopularité dont faisait l’objet ce type d’enquête fiscale ; si, en dépit des difficultés, le gouvernement engageait une opération cadastrale, les propriétaires se mobilisaient pour la faire échouer, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement plus conservateur prononçant l’arrêt des travaux.
10Le système fiscal espagnol du XIXe siècle reposa donc sur une fraude massive, organisée par les oligarchies locales pour leur propre profit, sous les yeux d’un État complaisant. Le cœur du système résidait dans la contributión territorial (contribution territoriale), appellation plus courante de la contributión de inmuebles, cultivo y ganadería créée en 1845, puisque l’économie espagnole était essentiellement agricole et que cette contribution s’appliquait aux principales formes de richesse du pays. Du reste, les autres contributions instaurées par la réforme fiscale de 1845 obéissaient, dans la pratique, à des mécanismes analogues d’opacité, de négociation et de régressivité10.
II. La création du système cadastral espagnol
11Vers la fin du XIXe siècle, une série de facteurs vinrent bouleverser la situation du pays, rendant possible l’instauration légale d’un cadastre. La crise agraire qui secoua l’Europe à cette époque menaça la pérennité de nombreuses communautés rurales espagnoles, qui se montrèrent rapidement incapables de supporter les lourdes charges fiscales que leur imposait le système. On vit alors dans l’établissement du cadastre une mesure de protection de ce groupe social, à savoir la paysannerie, dont dépendait la stabilité politique de l’Espagne. De tels aspects devaient être pris attentivement en considération dans une période de convulsions politiques et sociales comme celle qui suivit la défaite de la guerre de 1898 face aux États-Unis et la perte des dernières colonies de Cuba, de Porto Rico et des Philippines. Ce que l’on appela le « désastre » de 1898 révéla, outre son retard dans d’autres domaines, la faiblesse économique du pays et favorisa le consensus entre libéraux et conservateurs pour entreprendre certaines réformes, comme l’institution d’un cadastre, qui permettraient d’assainir les finances de l’État et de consacrer ensuite celles-ci au développement économique national11.
12Au tournant du siècle, les conservateurs créèrent un premier « cadastre par masses de cultures et par catégories de terrain », mis en œuvre à titre expérimental dans la province de Grenade, puis étendu à l’ensemble de l’Espagne dans le cadre de la réforme fiscale de 1899-190012. Ce cadastre par masses de cultures réduisit les inégalités fiscales identifiées entre diverses localités et mit au jour des richesses considérables qui avaient été dissimulées aux autorités fiscales, permettant une évaluation des terres cultivées non déclarées au titre de la contributión territorial à plus de 35 % des superficies13. Toutefois, ce cadastre ne visait nullement à améliorer la répartition des quotes-parts de l’impôt entre les habitants d’un même village14. C’est pourquoi les libéraux le remplacèrent sur-le-champ par un modèle de cadastre parcellaire, plus à même de pallier le manque d’équité du système fiscal espagnol, en faisant approuver, en 1906, la Loi relative au cadastre parcellaire espagnol15.
13En vertu de ce texte, encore en vigueur il y a peu, l’élaboration du cadastre se divisait en deux phases : la première correspondait à l’établissement de l’avance catastral, sorte de cadastre provisoire qui consistait en un relevé topographique de chaque localité avec les dimensions des grandes masses de cultures identiques, les limites des parcelles étant représentées selon un croquis approximatif, fait à main levée ; lors de la seconde phase s’opérait la transformation de l’avance en cadastre topographique parcellaire définitif, après l’établissement des relevés topographiques précis de toutes les parcelles. Ce système en deux phases trouvait sa justification dans l’urgence à obtenir un cadastre simple, à finalité exclusivement fiscale, sans pour autant renoncer à en faire dans le futur, lorsque les ressources de l’État le permettraient, un véritable cadastre présentant toutes les garanties de rigueur.
14Le système institué en 1906 mit un terme à la mainmise des propriétaires sur la répartition des impôts à l’échelle locale. La clé du changement tenait dans l’existence d’un document de référence, élaboré par des experts indépendants tels que les ingénieurs agronomes et les topographes, qui rendait très difficile la dissimulation au Trésor public de la superficie ou de la valeur des biens immobiliers. Par ailleurs, la loi prévoyait une composition moins oligarchique des commissions chargées d’évaluer les terrains (les Juntas periciales), ce qui s’avérerait très efficace pour mettre un terme à la fraude généralisée. Dès la mise en application du nouveau système, avec les travaux menés dans la province d’Albacete entre 1906 et 1908, les données cadastrales résultèrent d’une enquête de terrain et non, comme auparavant, d’une négociation politique16. La loi, adoptée d’un commun accord par les deux grands partis qui se partageaient le pouvoir institutionnel, fut jugée suffisante ; d’une manière générale, les documents issus de l’avance catastral présentent encore aujourd’hui une fiabilité acceptable pour les recherches des historiens et des géographes17.
15L’analyse des procédures concrètes d’établissement de ce cadastre, telles qu’elles sont exposées dans les règlements et les instructions ainsi que dans la documentation relative au travail de terrain conservée dans des archives locales et provinciales, témoigne d’une bien plus grande stabilité de la pratique cadastrale que ne le laisserait supposer le perpétuel changement de législation en la matière. Les premiers essais réalisés par l’armée en 1859-1869, appelés « travaux topographico-cadastraux », n’aboutirent à aucune application pratique, et encore moins fiscale, mais ils permirent d’esquisser le modèle cadastral espagnol. Par exemple, dès cette époque, les avantages et les inconvénients du cadastre parcellaire par rapport au cadastre par masses furent débattus et les suffrages penchant en faveur du premier, un concept pratique de « parcelle cadastrale » fut défini, regroupant en un seul bloc tous les terrains d’un même propriétaire, même issus d’achats distincts et ne possédant qu’une petite limite en commun. On écarta également, à cette même époque, la possibilité de sous-traiter l’établissement du cadastre à des entreprises privées en choisissant définitivement de faire de toutes les phases du cadastre un ouvrage d’État, confié à plusieurs directions et services de l’administration publique. L’autre élément distinctif datant de cette époque est le lien entre le cadastre et la carte topographique nationale, fusionnés en une seule et même opération produisant deux types de documents distincts (ce lien explique la raison pour laquelle, en Espagne, la carte topographique nationale représentait jusqu’à encore récemment les usages du sol)18.
16Par la suite, entre 1870 et 1895, l’Instituto Geográfico poursuivit la réalisation de travaux topographiques, qui perpétuaient et perfectionnaient la pratique des anciens « travaux topographico-cadastraux ». Le cadastre, momentanément interrompu, se dissocia alors de la carte topographique, notamment par la suppression du nivellement de toute la cartographie cadastrale. Toutefois, certaines caractéristiques n’allaient plus subir aucune modification après cette époque fondatrice au XIXe siècle, comme la nature purement locale du cadastre espagnol : le cadastre national correspondrait à l’assemblage des cadastres locaux, strictement dissociés les uns des autres (d’où la difficulté de visualiser les patrimoines personnels lorsqu’il faut pour cela regrouper des propriétés situées sur des communes différentes). Les seules correspondances seraient d’ordre géodésique, car depuis le XIXe siècle, les travaux de relevé topographique du territoire municipal et des zones cadastrales s’appuient, afin de garantir leur fiabilité, sur le réseau géodésique national. Toutefois, le choix d’un cadastre distinct pour chaque village ne se refléta pas dans l’organisation administrative des travaux. Dès le début, le cadastre fut considéré en Espagne comme un ouvrage d’Etat, entièrement centralisé par souci de cohérence et d’uniformité : toutes les propositions visant à déléguer ces travaux, ou certains d’entre eux, à des institutions intermédiaires, comme les mairies ou les conseils généraux, furent rejetées.
17S’agissant des méthodes topographiques utilisées dans la pratique, les premiers travaux furent réalisés selon la méthode des alignements, au moyen de chaînes d’arpenteur. À partir de la fin du XIXe siècle, s’y ajouta le recours systématique au télémètre pour mesurer les distances, mais, de nombreux professionnels restant fidèles aux rubans métalliques, les deux procédés coexistèrent pendant longtemps. La méthode des alignements fut elle-même peu à peu remplacée par le tachymètre, les deux méthodes étant employées de façon complémentaire et simultanée. À l’époque de l’avance catastral, les agronomes qui traçaient les croquis des parcelles ne s’aidaient encore que d’une boussole de topographe, plus ou moins élaborée. Quant aux échelles des plans cadastraux, elles furent fixées à partir de 1901 aux environs de 1/25000, pouvant atteindre 1/2500 pour les plans de zones cadastrales.
18L’expérience accumulée au cours des travaux topographiques vint compléter celle acquise en parallèle lors de l’élaboration et de la révision des cartillas evaluatorias, qui servaient depuis 1850 à établir les évaluations des terrains. On décida par exemple que tous ces documents – cartillas evaluatorias, hojas declaratorias (déclarations), listas cobratorias (rôles d’imposition), etc. – utiliseraient les unités du système métrique décimal, et on tenta notamment d’homogénéiser les superficies agricoles en les exprimant en hectares, au détriment des unités de mesure traditionnelles. Car bien que, dans les faits, ces dernières unités fussent d’usage à la campagne, elles avaient l’inconvénient de varier considérablement d’une province à une autre ou d’un village à un autre. Qui plus est, il existait plusieurs unités de mesure (mal connues de l’administration) applicables à divers endroits au sein d’un même village ou à divers types de cultures. L’homogénéisation des unités de mesure – théoriquement unifiées depuis 1849 – fut lente et compliquée, conflictuelle parfois, et les ingénieurs eurent encore à convertir les anciennes unités alors que le XXe siècle était déjà bien entamé19.
19Le système d’évaluation, dont les premières ébauches remontent à de lointaines tentatives cadastrales faites au XVIIIe siècle, évolua assez peu. Compte tenu de la fragmentation de la propriété et de la faiblesse des ressources, on renonça à une évaluation individualisée des exploitations agricoles, d’autant qu’il apparaissait clairement que les paysans ne tenaient généralement pas la comptabilité de leurs recettes et de leurs dépenses. Le système des cartillas evaluatorias consistait à classer les parcelles en fonction de leur usage et de leur qualité et à établir ainsi une comptabilité de référence pour chaque usage et chaque qualité de sol, qui permettait de calculer le rendement par hectare ; il suffisait ensuite de multiplier la superficie de la parcelle par le rendement moyen annuel par hectare assigné, selon sa classification par les cartillas. Les cartillas eurent une portée géographique variable : si elles furent mises en œuvre à l’origine au niveau local, l’usage étendit leur application à toute zone présentant des caractéristiques agronomiques homogènes. Cet élargissement de leur champ d’application sera retenu par le règlement de 1913.
20Les deux domaines – la topographie et l’évaluation – furent définis conjointement pour la première fois dans le règlement régissant l’établissement du cadastre de la province de Grenade en 1895. Lorsqu’on 1896 les résultats obtenus à Grenade furent jugés concluants et que l’opération fut étendue à d’autres provinces d’Andalousie, les méthodes de travail restèrent les mêmes, exception faite de modifications mineures progressivement apportées20. Il en fut de même pour les travaux de cadastre « par masses » engagés à l’échelle nationale en 1900. La loi relative au cadastre parcellaire de 1906 ne modifia pas les procédures de base, mais y ajouta le tracé à main levée des croquis des parcelles. Il fallut attendre 1913 pour que soit promulgué le règlement d’application de cette loi, les responsables du cadastre souhaitant y intégrer les enseignements pratiques tirés des sept premières années de mise en œuvre de ce texte, durant lesquelles les travaux cadastraux s’étaient succédé sans discontinuer. Le règlement de 1913 est donc la version finale, la plus complète et la plus épurée, d’un modèle cadastral spécifiquement espagnol, façonné par la pratique de plus d’un demi-siècle de travaux et par l’observation des modèles étrangers, lesquels avaient parfois inspiré quelques idées concrètes21.
21D’autres caractéristiques du « modèle cadastral espagnol », fixées également au tournant du siècle, perdurèrent, comme la signification purement fiscale des données cadastrales, dénuées de toute valeur juridique de preuve de propriété, les problèmes de communication avec le registre foncier, autre institution ancestrale fonctionnant en parallèle, et l’incapacité à mettre en place des mécanismes efficaces de conservation garantissant une mise à jour constante des données. Toutes ces caractéristiques négatives prolongèrent leurs effets jusqu’à la fin du XXe siècle et constituèrent, pour la plupart, des problèmes communs à d’autres pays de tradition latine.
III. Les alternances du XXe siècle
22Le rythme d’élaboration de l’avance catastral, très lent au cours des premières années, s’accéléra à partir de la crise politique et sociale qui survint en Espagne en 1917 : telle fut la réponse des partisans du libéralisme le plus avancé à l’augmentation spectaculaire des revenus fonciers résultant de la conjoncture inflationniste de la Première Guerre mondiale22. Le cadastre parvint à cette époque à couvrir les deux tiers du territoire espagnol et les critères d’évaluation devinrent dans le même temps plus rigoureux, permettant de mieux cerner le rendement réel des propriétés. Sous l’effet conjugué de ces deux tendances – l’extension territoriale du cadastre et le relèvement des barèmes d’évaluation –, la richesse agricole soumise aux vérifications du ministère des Finances s’accrut de 50 % entre 1906 et 192423.
23L’intensification de la pression fiscale sur les propriétaires terriens amena ces derniers à résister. Leur influence demeurait importante et ils en usèrent, par le biais des chambres d’agriculture et de l’opposition parlementaire, pour réclamer une réforme de la réglementation cadastrale et la suspension des opérations de cadastre en cours. Cette campagne atteignit son apogée au début des années vingt : fondée sur la divulgation et l’exagération des erreurs et des abus de l’avance catastral, elle pointait la rigueur insuffisante avec laquelle avaient été conduites les opérations dans leur ensemble et exigeait la mise en place d’un système offrant davantage de garanties aux propriétaires24.
24En 1923, le coup d’État du général Primo de Rivera soumit le pays à un régime dictatorial qui allait reprendre à son compte les critiques formulées par les propriétaires à l’encontre du cadastre25. Deux ans plus tard, le Directoire militaire remplaça la loi de 1906 par un nouveau système, qui supprimait la phase d’élaboration rapide de l’avance catastral à des fins fiscales et visait à établir directement un cadastre topographique parcellaire dont les documents auraient juridiquement valeur de preuve de propriété26. Il était prévu de dresser une cartographie cadastrale très précise, fondée sur les opérations de triangulation géodésique et topographique récemment achevées. À dater de cette nouvelle législation devaient être déterminés, selon des méthodes topographiques, non seulement les périmètres des territoires communaux et des zones cadastrales les composant – comme pour l’avance catastral –, mais également les limites de tous les domaines ainsi que les délimitations des différentes cultures. Il s’agissait sans aucun doute d’un cadastre plus exigeant et de meilleure qualité que le précédent, répondant à la volonté de modernisation du régime dictatorial qui s’inspirait, en l’espèce, du modèle allemand.
25Toutefois, la précision du nouveau cadastre mis au point en 1925 peut apparaître comme un prétexte servant à empêcher sa mise en œuvre effective. Avec la nouvelle procédure et faute des moyens financiers nécessaires pour mener la tâche à son terme dans des délais acceptables, le levé du cadastre topographique devint une opération si lente et si coûteuse que les propriétaires échappèrent à toute imposition pendant nombre d’années. De fait, une grande partie des fonds destinés à la création du cadastre fut détournée au profit des travaux d’établissement de la carte topographique nationale entrepris par l’armée : la réalisation du nouveau cadastre, dont le délai fut estimé à 19 ans sur la base du financement prévu – réduit dans la pratique à hauteur d’un dixième –, aurait duré en réalité rien moins que 190 ans27. Dans le même temps, le ministère des Finances perdit ses compétences en matière cadastrale, qui furent confiées à l’Instituto Geográfico, réorganisé et rebaptisé à cette occasion Instituto Geográfico y Catastral et entretenant des liens étroits avec l’armée. Ainsi, tout confirme le soupçon selon lequel la dictature ne cherchait pas tant à améliorer le cadastre qu’à protéger les grands propriétaires terriens des conséquences fiscales qu’implique le contrôle permis par cet outil28.
26La situation n’était, à la chute de la dictature en 1931, pas très éloignée de celle du début du siècle. Le premier gouvernement de la Seconde République reprit le projet d’établissement du cadastre, cantonna les services cartographiques de l’armée dans des tâches strictement militaires et rendit au ministère des Finances son rôle prépondérant dans l’élaboration du cadastre ; le décret de 1925 fut annulé et le cadastre fiscal rapide créé en 1906 (l’avance) fut rétabli. Tous ces changements firent l’objet d’une loi adoptée en 1932 qui, en outre, introduisit deux nouveautés importantes : d’une part, la démocratisation de la composition des Juntas periciales agissant en tant que comités de classification et d’évaluation des propriétés – répondant ainsi au caractère pleinement démocratique du nouveau régime républicain – et, d’autre part, le recours à la photographie aérienne destinée à remplacer les croquis à main levée pour la représentation des parcelles29.
27C’est au moment où le cadastre allait être parachevé aux plans juridique, technique et politique que son élaboration fut interrompue par le retour au pouvoir d’une droite représentant directement les intérêts des grands propriétaires. En 1934, on remit en vigueur le « cadastre par masses de cultures et par catégories de terrains » de 1900, par une décision témoignant de la volonté réactionnaire de la coalition politique issue des élections de 1933, bien décidée à maintenir l’Espagne à l’écart du courant de création du cadastre qui avait traversé toute l’Europe continentale depuis l’époque napoléonienne30. En 1936, la droite perdit le pouvoir à l’occasion des élections qui virent triompher le Front populaire et le cadastre fut de nouveau régi par la loi de 1932 qui, de fait, n’avait pas été abrogée puisque le décret de 1934 s’était borné à modifier les modalités pratiques de l’établissement du cadastre. Mais on eut tout juste le temps de réorganiser les services cadastraux que la guerre civile de 1936-1939 fut déclenchée et que les travaux du cadastre furent, à l’évidence, interrompus pendant toute sa durée31.
28De même que la fin de son premier conflit civil – la première guerre carliste – avait permis à l’Espagne, en 1840, d’engager sérieusement une réforme importante de son système fiscal et d’élaborer un système statistique permettant la répartition de la nouvelle contribution territoriale, c’est la fin d’une autre guerre civile, cent ans plus tard, avec l’instauration de la dictature du général Franco, qui permit de réaliser le cadastre attendu depuis si longtemps. C’est en effet le nouveau régime franquiste qui, reprenant la législation républicaine de 1932 (qui reproduisait, en fin de compte, le système établi en 1906), donna l’impulsion définitive à l’élaboration de l’avance catastral, qui devait être menée à son terme dans les années cinquante32. Une fois achevé, ce cadastre devait rapidement se révéler obsolète, du fait du mauvais fonctionnement du système de conservation des données.
29Il est paradoxal qu’une œuvre telle que le cadastre, liée au projet politique des forces démocratiques de gauche tout au long des alternances politiques du XXe siècle, ait été acceptée par le régime fasciste des militaires victorieux de 1939. Pour comprendre ce revirement, il faut savoir que les biens fonciers avaient déjà cessé de constituer la principale richesse des élites espagnoles, du fait des transformations économiques constantes et profondes du pays au cours du premier tiers du siècle. Par conséquent, les classes sociales dominantes liées au nouveau régime ne s’opposèrent pas ouvertement à la reprise des travaux du cadastre. Tenter de continuer à occulter des superficies n’avait au demeurant plus de sens à l’ère de la photogrammétrie aérienne.
30À l’aide des photographies aériennes réalisées par l’armée américaine dans les années cinquante, on réalisa un cadastre typique du XIXe siècle, dans lequel la fraude fiscale ne pouvait plus prendre la forme de l’occultation de superficies ou de parcelles, mais seulement celle de la sous-évaluation du potentiel économique des propriétés. Les terres des notables proches du nouveau régime allaient être systématiquement classées parmi les moins productives, opération de nouveau rendue possible par le poids attribué par le franquisme aux grands propriétaires dans la composition des commissions locales d’évaluation, avec cet avantage que la fraude serait cette fois légitimée par un cadastre établi à partir de photographies aériennes.
31Ce cadastre des années cinquante, impuissant à combattre la fraude fiscale, tomba peu à peu en désuétude et fut considéré comme une institution du passé, jusqu’au retour de la démocratie, entre 1975 et 1978. Parmi les autres grands changements qui donnèrent sa physionomie à l’Espagne contemporaine intervint alors, tardivement certes, une réforme fiscale substituant à l’ancien système d’imposition des produits créé en 1845 le système actuel fondé sur l’impôt personnel sur le revenu, à caractère progressif33. La réforme dut faire face au problème d’une fraude fiscale massive, problème ancré dans des habitudes de tolérance à l’égard de cette falsification, qui était elle-même le fruit de nombreuses années d’injustice et de régressivité des impôts : au fil des siècles, la résistance à l’impôt avait acquis une légitimité dans un contexte idéologique de méfiance à l’égard de l’État, et la jeune démocratie espagnole allait devoir inverser cette tendance34.
32La lutte contre la fraude fiscale devint une priorité politique sous les gouvernements socialistes de la période 1982-1996, raison pour laquelle le projet de cadastre fut réactivé, les travaux d’élaboration étant repris en 1987-198835. Ce cadastre moderne, qui ne ressemblait en rien aux précédents, a atteint un haut niveau de qualité, de fiabilité et de précision. Il a survécu à tous les changements de gouvernement, parce qu’il répondait aux besoins capitaux d’un pays démocratique à l’époque contemporaine, à savoir lutter de façon efficace contre la fraude, mais aussi doter le marché immobilier de transparence et de garanties, et donner aux institutions publiques des instruments de planification urbanistique et d’aménagement du territoire36.
IV. Le caractère représentatif du cadastre espagnol
33L’histoire mouvementée du cadastre espagnol a produit des documents incomplets, dispersés et d’une valeur très inégale. Pendant tout le XIXe siècle, et en dépit de travaux brillants comme les « travaux topographico-cadastraux » de 1859-1869, on peut dire que l’Espagne vécut sans cadastre. Les succédanés que furent à cet égard les amillaramientos, à partir de 1850, étaient de simples listes des propriétaires et des propriétés, dépourvues de mesurage des parcelles et d’évaluation rigoureuse de leur valeur économique, ainsi que de tout levé de plans. Cet état d’indétermination des biens était le mieux à même de préserver les intérêts des grands propriétaires, classe sociale dominante qui échappait systématiquement au paiement des contributions directes et en répercutait le poids sur les habitants moins fortunés et moins influents. Les documents résultant des travaux de répartition des contributions précités ne sont donc fiables que si confrontés à d’autres sources.
34La fiabilité des documents résultant des travaux du cadastre au XXe siècle est bien plus grande que celle des amillaramientos du siècle précédent ; mais leur caractère représentatif est très variable et impose une utilisation prudente. Il convient de tenir compte de la grande diversité des circonstances politiques et économiques dans lesquelles les opérations cadastrales furent entreprises et d’une absence de continuité de ces opérations telle qu’aucun plan cadastral effectif ne put être terminé sur l’ensemble du territoire national avant l’avance catastral. La réalisation de celui-ci, instauré en 1906, traîna elle-même en longueur, connut de nombreux changements de législation et de procédures et souffrit de plusieurs interruptions et régressions, avant son achèvement dans les années cinquante. Tout au long de cette période, chaque contexte historique entraînait l’adoption de nouvelles méthodes de travail, avec le recours à d’autres moyens humains, techniques ou économiques, et l’adoption de rythmes de réalisation, de cadres législatifs et même de raisonnements politiques différents. L’attitude par rapport au cadastre de la classe politique, des fonctionnaires, des experts, des contribuables et de l’opinion publique en général évolua et exerça sans doute une influence sur la façon dont le cadastre fut élaboré dans chaque localité. Pour juger du degré de fiabilité des documents cadastraux d’un territoire donné, il convient donc de connaître au préalable l’époque de sa réalisation et toutes les incidences découlant de la situation du cadastre et de la politique nationale poursuivie pendant cette période37.
35La principale raison du retard de l’Espagne par rapport à d’autres pays européens dans la mise en place d’un cadastre permettant de répartir équitablement les contributions est sans aucun doute l’influence politique et sociale conservée, dans ce pays à l’industrialisation tardive, par les propriétaires fonciers, influence utilisée par ces derniers pour se soustraire au contrôle de l’État et au poids de l’impôt. Certes, dans d’autres pays européens, les grands propriétaires eurent également une influence politique importante, mais sans aboutir au même résultat : citons l’exemple de la Prusse, où le pouvoir des Junker ne fit pas obstacle au maintien et au développement du cadastre. Mais l’Espagne fit le choix d’un système cadastral à caractère résolument fiscal, à l’instar du cadastre français, qui n’était assorti au profit des propriétaires d’aucune garantie juridique ni d’aucune facilité de crédit sur leurs biens ; contrairement aux systèmes cadastraux de droit allemand, le projet de cadastre espagnol n’offrait aux propriétaires fonciers aucun avantage en contrepartie de ses conséquences fiscales, et c’est cette absence de contrepartie qui entraîna le mouvement de résistance et, à terme, le retard des travaux d’élaboration du cadastre pendant un siècle.
36Il convient en outre de rappeler que la notion même de cadastre fait partie d’une culture et d’un système de valeurs typiquement européens, nés de la Révolution française et qui déterminent le cadre dans lequel nous vivons encore aujourd’hui ; l’instauration et la consolidation du cadastre ne peuvent donc intervenir que dans un contexte culturel dans lequel ces valeurs sont enracinées ainsi que partagées par la majorité de la population, et inspirent l’organisation des institutions politiques, économiques et sociales. Tout d’abord, en tant qu’inventaire de la richesse immobilière, le cadastre est intrinsèquement lié à l’idée selon laquelle la terre doit faire l’objet d’une appropriation privée, ce qui exclut la propriété d’État, collective ou immémoriale : chaque lot de terrain doit être conforme au concept de propriété retenu par le Code, qui traduit l’idéal bourgeois de la propriété individuelle, libre et absolue. Le cadastre est ensuite étroitement associé à l’idée que la terre est un bien pouvant être évalué de façon précise et mis sur le marché : on retrouve là encore l’idéal capitaliste de la bourgeoisie du XIXe siècle, qui culmine dans cette entreprise gigantesque qu’est l’évaluation en numéraire de l’ensemble des biens fonciers d’un pays. Enfin, le cadastre est un acte de pouvoir : celui qui détient les informations détient aussi le pouvoir. Placé entre les mains des gouvernants, cet instrument devint l’un des fondements de la centralisation du pouvoir et de l’uniformisation administrative du pays, à l’origine du modèle européen de l’État-nation, aujourd’hui répandu dans le monde entier.
37Il faut bien voir que le système de valeurs dont nous parlons correspond à une culture éminemment urbaine : la révolution et le libéralisme étaient nés dans les villes, non dans les campagnes ; la centralisation du pouvoir impliquait une domination croissante des « capitales » sur les campagnes environnantes, et le nouveau système économique capitaliste était essentiellement un phénomène urbain appliqué au monde rural. Il n’est donc pas surprenant que le cadastre ait été longtemps perçu comme une opération menée par des citadins (ingénieurs, topographes, fonctionnaires notamment) qui parcouraient les campagnes pour mieux les contrôler depuis les bureaux de leur administration. Cette impression était renforcée par le fait que les agents du cadastre tentaient simultanément d’imposer les nouvelles unités de mesure du système métrique décimal. L’élaboration du cadastre faisait appel à des catégories mentales urbaines et tendait à faire violence aux réalités rurales pour les couler dans le moule des classifications conçues par les citadins. En fin de compte, il s’agissait de faire entrer par écrit dans un registre tout ce qui relevait d’une culture agraire essentiellement orale.
38Le levé du cadastre impliquait ainsi une certaine confrontation entre deux visions du monde : une vision d’en bas, propre au monde rural, qui s’accommodait parfaitement de l’ignorance de la superficie exacte, de la valeur économique ou des limites précises des propriétés, mais qui tenait pour essentielle l’idée de communauté, jusqu’à faire des notables locaux ses porte-parole et représentants dans toutes ses relations avec l’État ; face à cette vision du monde, une vision d’en haut, qui répondait à la logique étatique et rationnelle prévalant dans les villes et exigeait le contrôle administratif direct de toutes les propriétés et de tous les propriétaires en tant que citoyens contribuables38.
39Cette confrontation fut parfois violente : le cadastre suscita des résistances à tous les niveaux. Ces épisodes furent toujours interprétés comme des actes de résistance à l’impôt, même s’ils ne se réduisaient pas à cet aspect unique puisqu’ils résultaient du choc entre deux logiques de pouvoir, deux cultures et deux visions du monde. Le cadastre de la richesse des campagnes se ressent d’ailleurs de l’incompatibilité de ces deux logiques, qui affecte le caractère représentatif des données et des documents correspondants. Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas surprenant que l’Espagne ait connu de fortes résistances à la mise en place du cadastre jusqu’à ce que, enfin, les conditions et les mentalités ayant évolué dans le pays, cette institution devienne viable et satisfaisante.
40Plus que sur la réalité socio-économique qu’il cherche à traduire, le cadastre nous renseigne sur le processus historique de modernisation qui transforma l’économie, la société et la culture espagnoles au cours des XIXe et XXe siècles, de même que sur le fait majeur de cette modernisation, à savoir la construction de l’État national. En tant qu’opération et instrument de l’État visant à connaître et transformer la réalité, le cadastre est un indicateur exceptionnel des rythmes, difficultés et progrès de la construction de l’État contemporain. L’absence de cadastre dans l’Espagne du XIXe siècle témoigne de la faiblesse initiale de l’État constitutionnel, contraint à pactiser avec les notables locaux qui dominaient le territoire. Le processus historique de la révolution libérale, d’où émergea l’État-nation au XIXe siècle, se reflète dans les succédanés de cadastre que furent pour l’Espagne les amillaramientos, et ceux-ci nous renseignent à leur tour sur le contenu de cette révolution. Par opposition, l’introduction du cadastre en Espagne au XXe siècle correspond à un moment de crise du libéralisme et à la modernisation de l’État en vue de son adaptation à une société de masse – un processus qui, après deux dictatures, déboucha sur l’avènement d’un État démocratique qui pense le cadastre comme un rouage essentiel de la démocratie même.
Notes de bas de page
1 Juan Pro Ruiz, Estado, geometría y propiedad. Los orígenes del catastro en España, 1715- 1941, Madrid, Ministerio de Economía y Hacienda, 1992.
2 Instruction du 1er juin 1817 et Décret royal du 18 février 1818. Archivo Histórico del Ministerio de Hacienda : Archivo López Ballesteros, 18/11 : Impugnación del sistema de Hacienda adoptado (1818). Francisco Quirós Linares, « Los cuadernos de la riqueza territorial de 1817-1820 », Estudios Geográficos, n° 109, 1967, p. 591-592.
3 Miguel Artola, La Hacienda del siglo XIX. Moderados y progresistas, Madrid, Alianza Editorial, 1986.
4 Décret royal du 7 février 1841. Juan Pro Ruiz, « Información fiscal agraria, redes clientelares y progresismo : la Estadistíca de la Riqueza de 1841 », Revista International de Sociologie, vol. 45, fasc. 1, 1987, p. 199-216.
5 Circulaire de la Direction générale des contributions du 1er août 1850. Rafael Vallejo Pousada, Reforma Tributaria y fiscalidad sobre la agricultura en la España liberal, 1845-1900, Saragosse, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2001.
6 J. Pro Ruiz, « Estadistica y Hacienda en una sociedad de patronazgo : la España rural del siglo XIX », Brocar. Cuadernos de Investigación histórica, n° 24, 2000, p. 243-263.
7 Décret royal du 18 juillet 1846. Ministerio de Hacienda, Reglamento general para et establecimiento y la conservación de la riqueza territorial del Reino y sus agregadas, Madrid, 1847.
8 Francesc Nadal i Piqué, José Ignacio Muro Morales et Luis Urteaga González, « Cartografía parcel. laria i estadística territorial a la provincia de Barcelona (1845-1895) », Revista de Geografia, n° 2, 2003, p. 37-60.
9 José Ignacio Muro, Francesc Nadal et Luis Urteaga, Geografia, estadistica y catastro en Espana, 7 S56-7S 70, Barcelone, Serbal, 1996.
10 Francisco Comín, Historia de la Hacienda Pública, II : España (1808-1995), Barcelone, Critica, 1996, p. 74-80. Francisco Comín et al., « La reforma fiscal de Mon-Santillán ciento cincuenta años después », Hacienda Pública Española, monographie I, 1996.
11 Juan Pan-Montojo (coord.), Más se perdió en Cuba. Espana, 1898 y la crisis de fin de siglo, Madrid, Alianza Editorial, 1998.
12 Décret royal du 14 août 1895 ; loi du 24 août 1896 ; loi du 27 mars 1900. J. Pro Ruiz, « Una reevaluación de la reforma de Fernández Villaverde (1899-1900) desde la Contribución Territorial », Hacienda Pública Española, monographie I, 1999, p. 165-175.
13 Subsecretaria del Ministerio de Hacienda, Memoria relativa a los servicios de Catastro de la Riqueza Rústicay Pecuaria, Madrid, 1913, p. 19-29.
14 Isidro Terres Muñoz, Reorganización de los servicios. Catastro general parcelario y mapa topográfico, Madrid, 1902.
15 Loi du 23 mars 1906 ; règlement du 23 octobre 1913.
16 Dirección General de Contribuciones, Impuestos y Rentas, Memoria resumen de los trabajos de avance catastral llevados a cabo en la provincia de Albacete en cumplimiento de las leyes de 27 de marzo de 1900y 23 de marzo de 1906, Alicante, 1909.
17 Amparo Ferrer Rodríguez et Josefina Cruz Villalón, « La historia del catastro de rústica en España », El catastro en España, II : De la Ley de 1906 a la época actual, Ministerio de Economía y Hacienda, 1989, p. 31-59. Mercé Tatjer i Mir, « La contribución territorial urbana a lo largo del siglo XX (1906-1979) », ibid., p. 61-101.
18 Presidencia del Consejo de Ministres, Reglamento de operaciones topográfico-catastrales, Madrid, 1865. José Ignacio Muro, Francesc Nadal et Luis Urteaga, Geografia, estadistica y catastro…, op. cit., p. 101-183. Luis Urteaga et Francesc Nadal, Las series del mapa topográfico de España a escala 1 : 50000, Ministerio de Fomento, Madrid, 2001.
19 La loi du 19 juillet 1849 dut être reprise par le décret royal du 19 juin 1867, le décret du 5 février 1869, le décret royal du 14 juillet 1879 et la loi du 8 juillet 1892.
20 Comisión central de Evaluatión y Catastro, Ley, Real Decreto, Reglamento e Instrucciones de servicio para la ejecución de los trabajos topográficos y agronómicos y rectification de las cartillas evaluatorias, Madrid, 1897.
21 Juan Pro Ruiz, « Los orígenes del catastro parcelario de España », El Catastro en España, II…, op. cit., p. 11-29.
22 Loi-cadre du 2 mars 1917.
23 Subsecretaría del Ministerio de Hacienda, Resumen numérico de la Memoria formulada par la Sectión de Catastro de la Riqueza Rústica. Año de 1924, Madrid, 1925.
24 Pour des exemples de mobilisation sociale contre le cadastre, voir l’article anonyme : « Agravios catastrales », Boletin oficial de la Asociación de Ingenieros Agrónomos, tome II, 1923, p. 10-11. Pour des exemples d’opposition parlementaire, voir le Diario de Sesiones de las Cortes. Senado, 21 juin 1918 (Législature de 1918, n° 60, p. 770) et le Diario de Sesiones de las Cortes. Congreso de los Diputados, 17 juin 1923 (Législature de 1923, n° 14, p. 424-426), 19 juin 1923 (Ibid., n° 14, p. 425), 26 juin 1923 (Ibid., n° 18, p. 537-540), 11 juillet 1923 (Ibid., n° 26, p. 861-864) et 18 juillet 1923 (Ibid., n° 31, p. 1124-1133). Pour un résumé critique de la campagne menée, défendant l’avance catastral, voir Enrique Alcaraz, El catastro español, Madrid, 1933, p. 220-228.
25 Ramón de Pando y Armand, El Avance catastral. Razones de economía y equidad aconsejan su inmediata suspensión, Madrid, 1924 ; id., Una vergüenza national. El fracaso del Avance y la ejecución del Catastro Parcelario, Madrid, 1925.
26 Décret-loi royal du 3 avril 1925. Règlement approuvé par le décret-loi royal du 30 mai 1928. Pour une description des procédures adoptées, voir Eduardo Torallas Tondo, El Servicio de Catastro Parcelario en el Instituto Geográfico y Catastral, Madrid, 1934.
27 Comisión del Catastro, Cifrado de los gastos aproximados del nuevo catastro que propone la Comisión y estudio económico comparativo del mismo con el Avance Catastral vigente, Madrid, 1924.
28 Archivo Histórico Nacional, Fondas Contemporáneos, Directorio, boîte 220/2 : Antecdentes sobre el proyecto de ley del 3 de abril del 25 relativo a la formación del catastro.
29 Loi du 6 août 1932.
30 Décret du 31 août 1934.
31 Décret du 4 août 1936 (la guerre civile avait commencé le 17 juillet).
32 Lois des 26 septembre 1941, 20 décembre 1952 et 26 décembre 1957.
33 Loi n° 50 du 14 novembre 1977 portant adoption de mesures urgentes en matière de réforme fiscale. Enrique Fuentes Quintana, Las reformas tributarias en España, Barcelone, Crítica, 1990, p. 451-503.
34 Josep Borrell, « De la Constitutión a Europa : una década de politica fiscal », Información Comercial Española, avril 1990, p. 9-37. Francisco Comin et al., « El fraude fiscal en la historia de España », Hacienda Pública Española, monographie I, 1994.
35 Décret royal n° 222 du 20 février 1987 portant création du Centre de gestion cadastrale et de coopération fiscale, nouvel organisme autonome du ministère des Finances chargé de l’élaboration du cadastre. Loi n° 39 du 28 décembre 1988 portant réglementation des finances locales.
36 Immaculada Canet Rives, « La modemización del catastro », El Catastro en España, II…, op. cit., p. 197-212. Santiago Fernández Pirla, « El catastro de urbana. Présente y futuro », ibid., p. 161-175.
37 Juan Pro Ruiz, « Ocultación de la Riqueza Rústica en España (1870-1936) : acerca de la fiabilidad de las estadisticas sobre la propiedad y uso de la tierra », Revista de Historia Económica, n° 1, XIII, 1995, p. 89-114.
38 Juan Pro Ruiz, « Fraude, statistique et pouvoir dans l’Espagne libérale (1840-1868) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 2, XLI, 1994, p. 253-268.
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De l’estime au cadastre en Europe. Les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles
Ce livre est cité par
- Yates, Alexia. (2019) The Double Life of Property: Mobilizing Land and Making Capitalism in Modern France. Critical Historical Studies, 6. DOI: 10.1086/705369
- Baud, Dominique. (2009) Méthodologie pour l’analyse des dynamiques paysagères à partir d’archives cadastrales (XVIIIe et XIXe siècles). L’étude de cas d’un village savoyard : Sardières. Norois. DOI: 10.4000/norois.2984
De l’estime au cadastre en Europe. Les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles
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