Table ronde1
p. 87-98
Texte intégral
DES ANNÉES SOIXANTE À AUJOURD’HUI, LA MARCHE VERS L’EURO
1Animée par Véronique Aüger, avec la participation de MM. Raymond Barre, Jacques Delors, Daniel Vernet,
2Yves-Thibault DE Silguy et Jean BOISSONNAT
Raymond Barre2
3Il est rare, au cours d’une vie, de voir se concrétiser une idée tant d’années après l’avoir lancée. J’aurai eu cette chance.
4Ce fut en effet en février 1969 que je présentai au Conseil des ministres, en tant que vice-président de la Commission chargée des questions économiques et financières, un mémorandum ayant pour objet la mise en œuvre d’une coopération monétaire organisée au sein de la Communauté européenne. A l’époque, les questions monétaires n’étaient pas considérées par les pays membres comme relevant du traité de Rome ni des prérogatives de la Commission. Cependant, la Communauté venait de vivre des événements d’une certaine gravité, qui laissaient augurer de nombreuses difficultés :
la dévaluation de la livre sterling ;
la crise latente du dollar ;
la crise du franc, dont la dévaluation avait été évitée de justesse en 1968.
5À cette époque, en dehors du secteur agricole, où les prix étaient fixés à l’aide d’une unité de compte spécifique, les politiques monétaires étaient très différentes d’un pays européen à l’autre. Afin de stabiliser les relations de change entre les pays membres, je proposai donc au Conseil des ministres les mesures suivantes :
une réduction des marges de fluctuation entre les différentes devises européennes ;
un dispositif de soutien à court terme, en cas de crise monétaire ;
un concours monétaire et financier à moyen terme, destiné à permettre aux États qui s’engageaient dans des politiques pluriannuelles de bénéficier de l’aide de leurs partenaires ;
un programme économique à moyen terme permettant une meilleure coordination des politiques économiques nationales.
6Le mémorandum fut très bien accepté par l’opinion publique. Les gouvernements restèrent en revanche plus discrets et prudents.
7C’est dans ce contexte que survinrent, d’une part, en août 1969, la dévaluation de 12 % du franc et, d’autre part, en novembre de la même année, la réévaluation de 9 % du Deutsche mark, de manière totalement désynchronisée. La conjonction de ces deux phénomènes explique d’ailleurs pour une large part l’inflation qui se répandit par la suite au sein de la Communauté européenne.
8En décembre 1969, le Conseil européen se réunit et les propositions de la commission furent inscrites à l’ordre du jour. Entre-temps, Jean Monnet avait insisté auprès du président Pompidou et du chancelier fédéral pour que ces propositions fussent prises en considération. Nous disposions également du soutien explicite du ministère français des Finances, Monsieur Giscard d’Estaing. Le Conseil européen se tint, examina les propositions de la commission et ordonna la conduite d’une étude sur la réalisation d’une union économique et monétaire à l’horizon de dix ans.
9Conformément aux règles gouvernementales, un comité fut créé à cette occasion et placé sous la présidence de Monsieur Wemer. Ce comité déposa ses conclusions en 1970 et les premières mesures concrètes résultant des propositions de la commission furent adoptées en 1971. C’est malheureusement à la même époque que se produisit une grave crise monétaire, durant laquelle nous vîmes le franc entrer et sortir à plusieurs reprises du serpent monétaire. L’idée d’une union économique et monétaire sembla alors avoir vécu.
10En 1978, cependant, Monsieur Giscard d’Estaing et le chancelier Schmidt décidèrent de remettre à l’étude les questions de coopération monétaire intracommunautaire. Le gouverneur de la Banque de France fut chargé de suivre cette affaire. La Bundesbank, elle, était loin de partager l’enthousiasme du chancelier et refusait d’apporter son concours monétaire et financier aux autres membres de la Communauté et en particulier à la France. Cependant, dans la mesure où les élections venaient d’avoir lieu et que la politique que je conduisais avait été confirmée, il fut possible d’entreprendre des négociations qui aboutirent à la création du Système monétaire européen, auquel tous les pays membres de la Communauté prirent part, en dehors de la Grande-Bretagne.
11Le processus suivit difficilement et progressivement son cours pour aboutir finalement à la proposition de Messieurs Kohl et Mitterrand, visant à créer une union économique et monétaire et à mettre en place une monnaie unique, l’euro.
12Trente ans après les premières propositions de la Commission européenne dont je faisais partie à l’époque, j’ai vu enfin se réaliser cette union monétaire, à l’issue d’un processus pour le moins tumultueux.
Jacques Delors3
13Ces quarante dernières années ont été marquées par quatre grands événements.
L’effondrement du système de Bretton Woods
14L’effondrement de ce système s’explique par les difficultés que rencontrait le dollar à l’époque. Ce fut d’ailleurs la première fois dans l’histoire qu’un secrétaire d’État américain au Trésor vint solliciter directement l’aide de la Bundesbank.
15La fin de la parité or/dollar, en 1971, fut suivie de deux dévaluations de la monnaie américaine et aboutit à la création du serpent monétaire européen. C’est dans ce contexte que les propositions de la Commission européenne furent soumises aux pays membres, qui allaient bientôt devoir affronter un nouvel événement : le choc pétrolier.
16Sur le plan européen régnait alors un certain optimisme puisque l’union douanière avait pu être réalisée deux ans avant l’échéance initialement prévue. Les propositions de Monsieur Barre arrivaient donc au bon moment. En outre, en 1969, la Communauté s’élargissait à la Grande-Bretagne, et les chefs d’État européens saisirent cette occasion pour affirmer leur volonté d’approfondir l’intégration économique et monétaire.
La création du Système monétaire européen
17Les divergences entre la France et l’Allemagne à ce sujet persistèrent jusqu’en 1976, au moment où Monsieur Giscard d’Estaing proposa à Monsieur Schmidt de mettre à l’étude l’éventualité d’un système monétaire renforcé. La Bundesbank afficha aussitôt ses réticences. Cependant, le vent de l’histoire était favorable et la création du Système monétaire européen fut actée au Conseil de Brême, en dépit du refus de la Grande-Bretagne. Le chancelier allemand réussit en effet à surmonter les réticences de sa Banque centrale.
18Ce système prévoyait qu’un mécanisme de change fixât les fluctuations à plus ou moins 2,25 % autour d’un cours pivot. Placé sous la responsabilité des gouvernements de Banques centrales, le Système monétaire européen fonctionna grâce au Fonds monétaire européen, auquel chaque pays membre devait verser 20 % de ses réserves en or et en dollar. L’unité de compte était alors l’écu. Dans les années qui suivirent, ce mécanisme fit l’objet de nombreuses améliorations, en vue de renforcer l’efficacité du soutien apporté aux monnaies européennes. Au cours de son existence, ce système connut cependant bien des soucis, dont les multiples changements de parités sont la meilleure illustration.
19Quoi qu’il en soit, ce système constitua indéniablement un premier effort de convergence économique et monétaire et fut, à ce titre, un excellent laboratoire expérimental. La livre sterling le rejoignit en 1990, après d’âpres négociations.
L’« avant » et l ’« après » traité de Maastricht
20L’ouverture du marché unique, dès 1985, l’élargissement très réussi de la Communauté à l’Espagne et au Portugal, ainsi que le retour de la croissance contribuèrent sans aucun doute à créer un climat particulièrement propice au cheminement de l’idée de monnaie unique.
21C’est au Conseil européen de Hanovre que les douze chefs d’État décidèrent de relancer cette idée et d’instituer un nouveau comité, composé de 17 membres, dont les douze gouverneurs de banques centrales. Cette initiative fut acceptée même par le Premier ministre britannique et le gouverneur de la Banque d’Angleterre, puisqu’il ne s’agissait pas de s’interroger sur la pertinence d’une union économique et monétaire mais sur les modalités de sa création !
22Le rapport de ce comité, remis en avril 1989, devait-il connaître le même sort que le rapport Werner ? L’Histoire ne le voulut pas ainsi. La chute du mur de Berlin modifia, entre-temps, la donne. François Mitterrand et Helmut Kohl aboutirent rapidement à la conclusion que l’union économique et monétaire renforcerait la dynamique de construction européenne et prouverait incontestablement l’attachement de l’Allemagne à cette fabuleuse aventure collective. Cet engagement allemand se concrétisa en décembre 1991, par le traité de Maastricht, qui fixera notamment une date butoir et les critères de convergence.
La marche de qualification vers l’euro
23Le contexte économique et politique s’est quelque peu dégradé après la signature du traité de Maastricht. Le refus des Danois de le ratifier avait perturbé les esprits. En outre, la réunification allemande n’était pas de nature à favoriser une embellie économique durable. De fait, l’économie ralentissait, les déficits budgétaires se creusaient et les politiques monétaires étaient de plus en plus restrictives.
24En septembre 1992, soumise à une terrible vague de spéculation, la livre sterling quitta le Système monétaire européen, suivie peu après de la lire italienne. Durant cette période, le franc subit également de sérieuses attaques spéculatives. Il fallut une force de persuasion hors du commun pour convaincre les Allemands de continuer à soutenir la devise française.
25Le franc fit l’objet d’une nouvelle attaque pendant l’été 1993 mais le gouvernement résista et le Système monétaire européen fut sauvé par l’élargissement de ses marges de fluctuation à plus ou moins 15 %.
26Vint ensuite la mise en œuvre du Système européen de banques centrales, qui s’effectua en plusieurs étapes et non sans incidents. Onze pays furent qualifiés pour l’union monétaire en mai 1998 et les parités furent fixées de manière irréversible le 1er janvier 1999. La désignation du président de la Banque centrale fut naturellement l’un des épisodes les plus chahutés de ce processus...
Véronique Auger4
27Entre la création du Système monétaire européen et la période qui suivit le traité de Maastricht, les mentalités ont largement évolué. Daniel Vernet, partagez-vous l’opinion de Jacques Delors quant à l’impact décisif de la chute du mur de Berlin sur la création d’une union économique et monétaire ?
Daniel Vernet5
28La fin des années quatre-vingt est une époque charnière à de nombreux égards, et notamment du point de vue de la monnaie unique.
29Au milieu des années quatre-vingt-dix, la polémique faisait rage en Allemagne : la monnaie unique n’est-elle pas la contrepartie politique de la réunification allemande ? Pour ma part, j’estime qu’il n’en est rien, même si les deux événements se sont produits de manière concomitante.
30Néanmoins, l’ambition initiale du chancelier Kohl était quelque peu différente. En effet, comme nous le montrent les documents d’archives du ministère allemand des Affaires étrangères et de la Chancellerie de cette époque, Helmut Kohl souhaitait alors réaffirmer son engagement européen dans le cadre de la réunification mais militait avant tout pour une union politique, considérant l’union économique et monétaire comme une simple étape d’un processus beaucoup plus vaste. Or force est de constater que, depuis dix ans, l’union économique a pris le pas sur l’union politique.
Véronique Auger
31Yves-Thibault de Silguy, la France a-t-elle accepté d’abandonner sa souveraineté monétaire sous la pression de la réunification allemande ?
Yves-Thibault de Silguy6
32Je voudrais dissiper un malentendu à ce sujet. Durant la seconde partie des années quatre-vingt-dix, ce sont les Allemands qui ont consenti le plus de sacrifices. Outre les Américains, seuls les Allemands disposaient encore d’une certaine souveraineté sur ce plan. Avant l’arrivée de l’euro, la France n’avait pratiquement plus de souveraineté monétaire. Désormais, elle a acquis une souveraineté partagée en la matière.
Véronique Auger
33Jean Boissonnat, la marche vers l’euro résulte-t-elle, selon vous, uniquement des enjeux de la politique internationale ?
Jean Boissonnat7
34La création de l’euro n’était pas plus inéluctable que nécessaire. Seule une véritable volonté politique pouvait y aboutir. En effet, rien n’empêche le marché unique de fonctionner en l’absence d’une monnaie unique et en présence de monnaies nationales. L’euro est donc une réalité technique issue de la volonté politique sans défaillance d’un petit nombre de personnes.
35Le processus a failli échouer à de multiples reprises. La crise monétaire sans précédent de 1993 a mis en péril l’ensemble du système et si la Banque de France n’avait pas réussi à gérer ses fonds de manière stricte et habile, déjouant ainsi tous les plans des spéculateurs, l’euro n’aurait sans doute jamais vu le jour. Cette victoire sur la spéculation a d’ailleurs considérablement renforcé la crédibilité du projet de monnaie unique.
Véronique Auger
36Pensez-vous aussi, Jacques Delors et Raymond Barre, que tout aurait pu échouer après 1991 ?
Jacques Delors
37Je partage l’analyse de Jean Boissonnat. Rien n’était acquis à l’époque. Nous nous interrogions d’ailleurs sur la réelle capacité des pays à respecter les critères de Maastricht.
Raymond Barre
38A tout moment, nous risquions de revenir en arrière. Cependant, les partisans de l’union économique et monétaire savaient que ce processus était indispensable pour que l’Europe puisse un jour prétendre jouer un rôle véritable au plan mondial. D’ailleurs, renoncer à cette union eût été pour l’Europe synonyme de déroute absolue tant sur le plan économique que sur le plan politique.
39Entre 1995 et 1998, les responsables et les médias anglo-saxons tournaient en dérision les actions des gouvernements en faveur de l’union économique et monétaire. Le jour où ils ont compris que le processus était irrévocable, ils ont commencé à nous prendre au sérieux.
40S’agissant du lien existant entre l’union monétaire et la réunification allemande, je voudrais insister sur l’importance qu’accordait François Mitterrand, à l’époque, à la reconnaissance par l’Allemagne de la frontière Oder-Neisse, qui était pour lui la condition préalable à toute négociation. Il ne fait aucun doute que la politique ait, dans ce domaine, joué un rôle plus essentiel que l’économie.
Yves-Thibault de Silguy
41Je partage les analyses précédentes quant à la volonté politique de faire aboutir le projet. Néanmoins, les données économiques ont également joué un rôle essentiel, et notamment :
l’appréciation du Deutsche mark et du franc par rapport à la lire italienne entre 1992 et 1995, et la volonté d’éviter une crise monétaire ;
la crise du peso mexicain, en avril 1995, et son impact sur les monnaies des pays européens les plus fragiles tels que l’Italie ou l’Espagne, qui aurait pu, à tout moment, aboutir à la mise en place de nouvelles barrières douanières et monétaires, car les « dévaluations compétitives » devenaient insupportables pour les pays à monnaie forte (France, Allemagne).
42Heureusement, volonté politique et réalité économique se sont rejointes dans la seconde partie des années quatre-vingt-dix. La monnaie unique était alors devenue indispensable à la survie du marché unique et du système dans son ensemble.
Véronique Auger
43A partir de 1999, en revanche, eût-il vraiment été possible de faire marche arrière ?
Yves-Thibault de Silguy
44Le Conseil européen de décembre 1995, à Madrid, a constitué un tournant décisif, puisque les chefs d’État y ont confirmé la date du 1er janvier 1999, précisé les modalités du passage à l’euro, entre 1999 et 2002, et, enfin, choisi le nom définitif de la monnaie unique.
45A partir de cet instant, il n’était plus possible d’imaginer que les gouvernements puissent se déjuger, sous peine de perdre leur crédibilité et de mettre en péril celle de l’Europe tout entière.
Véronique Auger
46S’agissant de l’avenir, vous avez déclaré, Jacques Delors, que l’euro n’était pas « une rampe de lancement automatique » vers l’Europe politique. Pourrions-nous réellement nous arrêter en si bon chemin ?
Jacques Delors
47Je n’ai jamais cru à un tel effet d’engrenage. Si le traité de Maastricht était très précis sur les mécanismes de l’union monétaire, il était plus que vague sur les modalités de mise en œuvre d’une union politique. Pour parvenir à celle-ci, une nouvelle démarche volontariste devra être entreprise, démarche qui passe par la définition d’objectifs précis et réalistes dans le cadre d’une Europe élargie à 27 membres.
Véronique Auger
48Force est de constater que les pays membres mènent actuellement des politiques sociales, économiques et fiscales plutôt divergentes.
Jean Boissonnat
49Le pacte de stabilité n’a de sens que s’il est appliqué en permanence, que la conjoncture soit ou non favorable. L’avertissement qui pourrait être infligé à l’Allemagne, dont le déficit budgétaire s’approche actuellement du seuil de 3 % du PIB, doit d’ailleurs nous servir de leçon.
50La mise en place d’un gouvernement économique est nécessaire car il serait illusoire de croire que les banques centrales puissent jouer le rôle des gouvernements.
Raymond Barre
51Au vu de l’état d’esprit actuel des milieux européens, beaucoup de temps s’écoulera avant qu’une coordination satisfaisante des politiques monétaire et budgétaire ne s’instaure. Néanmoins, la création d’un organisme intergouvernemental qui assure le suivi de l’évolution économique et budgétaire de l’Union est, à mon sens, indispensable. Nous ne pouvons ignorer le rôle des stabilisateurs économiques : aucun pays n’augmentera ses impôts au prétexte que la situation économique est défavorable. L’Europe doit convaincre les pays membres de consacrer une partie de l’augmentation de leurs recettes à la réduction de leur endettement.
Véronique Auger
52Daniel Vernet, l’Allemagne pourrait-elle vraiment accepter la création d’un gouvernement économique ?
Daniel Vernet
53Peut-être, dès lors que l’on n’emploierait pas ce terme de « gouvernement économique », qui effraierait certainement les Allemands.
54De plus, la création d’une instance qui réunirait les ministres des Finances ou des chefs de gouvernement ne constituerait qu’une étape vers une union plus large. Or cette dernière nécessite une volonté politique autonome, qui n’est pas vraiment présente aujourd’hui.
Véronique Auger
55En attendant, comment faut-il s’y prendre pour faire reconnaître l’euro au plan international ? Que pensez-vous du niveau actuel de la monnaie européenne par rapport au dollar ?
Jean Boissonnat
56De fait, l’euro semble sous-évalué par rapport au dollar, si l’on en croit les pétitions des industriels américains. Cependant, compte tenu de l’anarchie monétaire qui prévaut depuis 25 ans et des perspectives d’élargissement de l’Union européenne, qui peut prétendre à l’heure actuelle connaître le niveau idéal de l’euro ?
Yves-Thibault de Silguy
57Les Européens ont créé la monnaie unique avant tout à des fins internes, puisque la majorité des échanges de l’Union s’effectue entre les pays membres. En outre, depuis deux ans, l’euro nous permet d’éviter l’inflation et son niveau nous a fait bénéficier d’un avantage compétitif à l’export. Évitons par conséquent tout dogmatisme.
58L’appréciation de l’euro dépendra à la fois de l’appréciation des marchés sur la situation comparée des économies européennes et américaines et de la capacité des gouvernements nationaux de respecter leurs engagements budgétaires. Je rappelle qu’en avril 1998, il avait été décidé que toute recette fiscale supplémentaire devait être affectée à la réduction de l’endettement public !
59Actuellement, les marchés misent davantage sur le dollar que sur l’euro pour trois raisons.
Ils anticipent une croissance économique et une productivité plus fortes aux États-Unis qu’en Europe.
Ils apprécient la souplesse du marché de l’emploi américain.
Ils considèrent que les Américains sont en avance sur les Européens dans le développement du secteur des hautes technologies.
Véronique Auger
60Vous semblez faire preuve d’un pragmatisme sceptique à l’égard de l’avenir.
Jacques Delors
61Le recours à l’euro dans les échanges internationaux n’est pas encore ancré dans les mentalités, même s’il deviendra bientôt incontournable. En outre, l’Europe n’affiche pas le même dynamisme que les États-Unis à l’égard des mutations technologiques.
62Quoi qu’il en soit, l’early warning adressé récemment à l’Allemagne constitue incontestablement un progrès. Le travail de la Commission est désormais pris au sérieux par les autorités gouvernementales nationales. Une coordination des politiques économiques deviendra, tôt ou tard, nécessaire. La France et l’Allemagne, qui représentent ensemble 53 % du PIB de la zone euro, auront, à cet égard, à jouer un rôle moteur.
Véronique Auger
En 2006, la livre aura-t-elle, selon vous, rejoint la zone euro ?
Jean Boissonnat
Faut-il s’en réjouir à l’avance ?
Yves-Thibault de Silguy
63Le plus tôt sera le mieux, même s’il est difficile d’établir un pronostic. La Grande-Bretagne rejoindra la zone euro le jour où la City estimera qu’il n’est plus tolérable de rester en dehors. Les euros sont d’ores et déjà acceptés dans les grands magasins britanniques et les Anglais vont psychologiquement se sentir isolés lorsqu’ils se rendront compte qu’ils sont les seuls Européens à procéder à des opérations de change quand ils viennent sur le continent.
Jacques Delors
64Le cœur de la Grande-Bretagne a toujours oscillé entre le Commonwealth et les États-Unis, d’un côté, et l’Europe, de l’autre.
Raymond Barre
65Comme toujours, la Grande-Bretagne entrera dans l’Union à deux conditions :
quand la zone euro aura prouvé son efficacité ;
quand son intérêt sera d’y entrer.
66Or je crois qu’il est dans l’intérêt des Britanniques de participer à l’effort européen. Cependant, si tel est le cas, le tropisme de l’Union européenne en direction des États-Unis constituera un risque important. Pourrons-nous alors défendre nos intérêts sans paraître trop hostiles aux États-Unis ?
Daniel Vernet
67Sans les Britanniques, toutefois, le poids de l’Europe sur la scène internationale ne pourra sans doute que rester insignifiant.
Question de la salle
68Pourquoi la France s’acharne-t-elle à revendiquer la présidence de la Banque centrale européenne ?
Raymond Barre
69Ce débat donne une très mauvaise image de la France. Nos voisins ne peuvent que nous considérer comme arrogants et désireux de nous réserver, par principe, les premières places. Cependant, si j’avais été en fonction, je n’aurais émis qu’une seule condition : que Monsieur Duisenberg ne soit pas nommé gouverneur de la Banque centrale européenne. Dans ce dossier, nous devons privilégier la compétence et non l’orgueil national.
Notes de bas de page
1 Table ronde organisée le 18 février 2002 à Bercy.
2 Ancien vice-président de la Commission européenne (1967-1972), Premier ministre (1976-1981).
3 Ancien ministre des Finances (1981-1984), ancien président de la Commission européenne (1985-1995).
4 Journaliste.
5 Directeur des relations internationales du quotidien Le Monde.
6 Ancien commissaire européen responsable des Affaires économiques, financières et monétaires (1995-1999), directeur général chargé des affaires internationales du groupe Suez.
7 Ancien membre du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France (1994- 1997), journaliste.
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