5 Décembre 1360 : La naissance du franc
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Texte intégral
1Le système monétaire dans lequel apparaît, en 1360, le franc date de Pépin le Bref. Il a été modifié par Charlemagne et définitivement fixé quant aux valeurs par Louis le Pieux. Autant dire qu’en 1360 il n’a rien de nouveau et que, malgré son apparente complexité, il est familier aux hommes du temps.
2Le sou d’or est une création de l’Empire romain ; le denier d’argent aussi. Le rapport de valeur des deux métaux monétaires précieux – je ne retiens pas ici le bronze et le cuivre – est, sur le marché, voisin de douze : pour un poids d’or, douze fois le même poids d’argent. Le chiffre satisfait à la fois les changeurs et les théoriciens, pour lesquels le chiffre sacré de douze semble voulu par la nature des choses. Il en résulte que, sans forcer la réalité, un sou d’or vaut douze deniers.
3D’abord frappé à raison de 264 deniers à la livre romaine de poids (une livre de douze onces, soit 326 grammes), puis alourdi par Charlemagne à raison de 264 deniers, toujours, mais à la livre de 18 onces, soit 489 grammes, le denier sera définitivement frappé, à partir de 825, à raison de 240 pièces pour une livre de métal précieux, lequel est d’ailleurs et restera un alliage au titre de 920 millièmes, alliage nécessaire pour limiter la fragilité des pièces.
4Donc, retenons ceci, la livre, qui est encore une unité de poids, vaut 240 deniers, qui sont des pièces réelles. Comme le sou vaut douze deniers, la livre vaut vingt sous.
5La monnaie d’or est alors en voie de disparition. Dans une économie d’échanges singulièrement étrécie, elle ne répond plus à un besoin. Les frappes s’espacent entre la fin du VIe et le VIIe siècle. Quand, dans les années 820, on cesse définitivement de frapper des espèces d’or qui ne sont déjà plus que symboliques d’un pouvoir souverain désireux de rappeler qu’il a les mêmes prérogatives que celui du basileus de Byzance, le mot « sou » ne représente plus une espèce réelle mais il demeure synonyme de 12 deniers. La livre apparaît comme un multiple du denier et du sou.
6La monnaie de compte est née. Par la suite, la valeur intrinsèque du denier peut bien diminuer à mesure que le développement économique rend plus criant le manque de moyens de paiement, et le denier peut bien comprendre de moins en moins d’argent pur, on continue de dire un sou pour douze deniers et une livre pour vingt sous ou deux cent quarante deniers. Quand il s’agit de deniers frappés à Tours, on parle de deniers, de sous et de livres tournois. Si le denier est émis par l’atelier de Paris, de Toulouse ou de Provins, les unités de compte sont parisis, tolzas ou provinois. Tout le monde sait que le denier parisis est une pièce qui pèse un quart de plus que le tournois, et cela ne gêne personne. Quand on cessera, en 1350, de frapper des espèces au poids de Paris, on continuera dans la capitale de compter en parisis, quitte à payer en tournois. Quand au XVe siècle encore, on paye à Paris quatre sous parisis, on met sur la table des gros tournois et des deniers pour une valeur de cinq sous tournois.
7Tout a changé au XIIIe siècle. Lente mais irrésistible, l’inflation a rogné la monnaie. Après deux siècles d’un extraordinaire essor de l’économie de production et d’échanges, on ne peut plus se contenter d’un instrument de paiement aussi faible qu’un médiocre denier qui ne comporte plus que 0,35 gramme d’argent fin, soit six fois moins qu’au temps des premiers Carolingiens. Pas plus que la gestion des affaires du royaume, le grand commerce, celui des grandes foires, celui des grandes villes, celui des grands ports, ne s’accommode de la nécessité de payer avec des chariots de mauvaises pièces. Payer cent livres tournois, c’est transporter et verser 24 000 deniers, soit 27 de nos kilogrammes d’une monnaie qui comprend 3 deniers 18 grains d’argent fin, soit seulement 8,5 kg de ce métal fin qui en fait la valeur intrinsèque. Autrement dit, on transporte du plomb et du cuivre qui ne comptent pas dans le paiement.
8À titre d’exemple, la solde journalière des troupes engagées par le roi de France sur les marches normandes au début du XIIIe siècle se monte à 27 370 livres. Cela signifie 7,3 tonnes de numéraire comprenant seulement 230 kg d’argent fin. Heureusement que bien des paiements se font sans transport de numéraire à longue distance, par assignation sur les recettes locales.
9En Italie comme en France, on imagine donc de créer de grosses monnaies. A Venise, c’est en 1203 le matapan, à Florence en 1237 le sou, qui ressuscite pour une grosse monnaie d’argent le vieux nom de la monnaie d’or ; en France, c’est en 1266 le « gros » créé par saint Louis, pour une valeur de douze deniers, donc d’un sou de compte.
10Dans le même temps, pour répondre au besoin du marché, on en revient à la monnaie d’or, donc au bimétallisme : les premiers à en ressentir la nécessité sont les Italiens. Le ducat de Venise et le florin de Florence font leur apparition en 1252. Frappé en 1266 au même poids que le gros tournois, l’écu d’or de saint Louis vaut dix sous tournois, puis douze dès les frappes du denier à la reine de Philippe III, donc avec un rapport entre les métaux qui est très exactement de douze, le chiffre idéal et quasi mythique. L’écu vaut cent quarante-quatre de ces deniers que l’on frappe à Tours et que le royaume adoptera, en deux siècles, comme sa monnaie préférée. Le mot livre n’a plus, faut-il le préciser, aucun rapport avec l’unité de poids. Une livre, c’est vingt sous.
11Ne cachons pas l’objet politique de la décision prise par saint Louis. La frappe de l’or était, depuis l’Empire romain, tenue pour l’une des prérogatives les plus symboliques de la souveraineté. Le roi de France entend se poser en la matière comme l’égal du basileus byzantin et le fait que les villes italiennes, qui sont d’Empire mais secouent à toute occasion le joug de la puissance impériale, s’arrogent maintenant cette prérogative ne peut que pousser le Capétien, dont le petit-fils se dira bientôt « empereur en son royaume », à un monnayage qui récuse toute prétention de l’empereur du Saint Empire romain germanique à une autorité universelle.
12Ainsi restauré après plus de quatre siècles de monométallisme argent, le bimétallisme apparaît vite comme prématuré dans une économie, celle du royaume de France, qui n’a pas avec l’Orient une balance commerciale équilibrée. Les Italiens exportent des denrées et en rapportent d’autres. Les Français achètent en Orient des épices, des soieries et toutes sortes de choses, et paient en argent, métal surévalué en Orient. Les autres puissances en deçà des Alpes se montreront plus prudentes : frappant de grosses monnaies d’argent dans le même temps que la France, l’Angleterre renonce très vite à une monnaie d’or quelque peu aventurée en 1257 et n’aura vraiment sa monnaie d’or qu’en 1344. Les villes hanséatiques n’y viendront que plus tard.
13Le déséquilibre des échanges conduit en France à une spéculation sur le marché monétaire, laquelle est surtout faite d’une évasion du métal monnayable et au premier chef de l’argent. Il en résulte des crises monétaires que les contemporains et bien des historiens imputeront à une politique délibérée alors que les mutations ne sont que des tentatives pour adapter les cours légaux aux cours pratiqués sur les marchés. Les circonstances politiques, crises de confiance ou crises militaires ayant leurs répercussions sur la circulation commerciale, ne font, il est vrai, qu’aggraver de temps à autre ces crises de structure en provoquant des secousses souvent incohérentes et pousser l’opinion à les mettre au compte de la spéculation, laquelle n’a rien, il faut le dire, d’imaginaire. Rappelons cette vérité qui doit toujours être présente quand on cherche à analyser les phénomènes de marché au Moyen Age : les hommes d’affaires, grands négociants ou changeurs professionnels, comprennent parfaitement les mécanismes de ce marché, mais il leur manque les moyens d’une information rapide à travers l’espace économique et ceux d’une mesure exacte.
14Dans la première moitié du XVe siècle, donc, la France dispose de trois types d’espèces. Le denier, qui est de fort mauvais argent, le gros, qui vaut de 15 à 24 deniers tournois selon les moments, et la pièce d’or, le pavillon de 1339 qui vaut 30 sous, le double de 1340 qui vaut 60 sous, l’écu de 1343 qui vaut 56 sous, l’écu de 1349, l’agnel de 1354 et le royal de 1358 qui valent 25 sous.
15La naissance du franc s’inscrit alors, on le sait, parmi les épisodes bien connus de l’histoire de France. La défaite de Poitiers le 19 septembre 1356 et la captivité du roi Jean le Bon à Londres conduisent tout naturellement à l’exigence d’une rançon proportionnelle au rang du captif. A cette occasion et lors de la libération du roi qui suit un premier paiement, est frappée une nouvelle monnaie d’or, dénommée le franc. Deux sortes de franc se suivent, qui tiennent leur nom de leur effigie : en 1360 le franc à cheval, qui représente le roi en chevalier, empruntant apparemment le type équestre familier en sigillographie, puis en 1365 le franc à pied, où l’on voit le roi debout, de face, sous un dais à pinacles.
16Une création de la sorte est la forme la plus avouée de mutation monétaire et celle que recommandent les théologiens et les moralistes puisqu’elle ne se laisse pas ignorer du public comme ce peut être le cas lorsqu’on se contente de changer l’aloi d’une espèce dont le type demeure.
17La mutation de 1360 intervient à l’issue d’une crise dont le mode financier n’est que la partie aisément chiffrable d’une crise plus générale, crise économique et crise politique, sur fond de ruines et d’insurrections. La guerre qui sera de Cent Ans dure depuis vingt ans. L’économie est exsangue, la population a été durement frappée dix ans plus tôt par la Peste noire, les états généraux mènent le combat contre le pouvoir royal, les grands barons n’ont pas tous accepté de bon cœur l’avènement du comte de Valois. Je rappelle pour mémoire le mouvement parisien auquel sont associés le nom d’Étienne Marcel et le bouleversement des campagnes proches de Paris que résume le surnom des Jacques. Après la défaite de Poitiers, le roi est absent, et la régence est assumée par le futur Charles V, un jeune homme de dix-huit ans dont les opposants à la personne de Jean le Bon se sont plusieurs fois servis comme d’un chef virtuel. L’impôt est mis en cause dans ses principes comme dans son poids, le système financier est dénoncé, aussi bien pour la perception fiscale que pour la dépense.
18Dans ces conditions, l’impôt ne rentre plus guère et la monnaie s’effondre. Entre 1356, date de la défaite, et 1360, date de la libération du roi et de la création du franc, la livre tournois, unité majeure de l’échelle des prix, perd les 9/10e de sa valeur, c’est-à-dire du poids de métal qu’elle représente.
19L’estimation de la monnaie se fait couramment en recourant au pied. Le pied est proportionnel au poids de chaque espèce mesuré par le nombre de pièces tirées d’un marc d’argent ou d’alliage, puisqu’on compte désormais en marc, de 244 grammes, et non plus en livres de poids. Le pied est proportionnel au titre de cet alliage. Il est inversement proportionnel à la valeur de la pièce en deniers tournois.
20Au cours de ces quatre années, le pied passe de 15 en moyenne avant 1340 et 40 en moyenne entre 1350 et 1356, à 180 en 1359 et même à 500 au printemps de 1360. La dévaluation de la livre tournois est donc dramatique.
21On n’est pas obligé de traiter après une défaite. La guerre peut continuer si les deux forces en présence sont suffisantes. Il n’en va pas de même quand le roi de France est captif. L’honneur du royaume veut qu’on le libère. Force est de traiter et la défaite de Poitiers va se solder de deux manières : une cession territoriale qui est, comme toujours, le prix de la défaite, et une rançon en numéraire, qui est le prix de la libération personnelle du roi.
22La rançon ne prend personne au dépourvu. On s’y attend. Elle sera de 3 millions d’écus, après avoir été réduite, l’Anglais ayant d’abord exigé 4 millions.
23Le contribuable traduit cela de manière simple : l’aggravation de la pression fiscale est inévitable. D’abord parce qu’il faudra payer. Ensuite parce que les territoires qu’il va falloir céder au vainqueur seront autant de contribuables en moins pour le roi de France.
24Mais, d’un point de vue monétaire, les choses sont différentes. Payer l’impôt pour financer la guerre, c’est un cycle qui se referme. Le contribuable paie l’impôt, l’impôt sert à payer des capitaines qui paient leurs hommes d’armes, lesquels dépensent leur argent sur place, en vêtements, en armes, ou à la taverne. Et le tavernier... paie l’impôt. Bref, tant que la guerre ne s’étend pas hors des frontières, le numéraire – or et argent – ne sort guère du royaume. L’impôt conduit à une redistribution, dans l’espace comme dans la société. L’évasion monétaire contre laquelle on lutte depuis un siècle et demi est le fait des milieux d’affaires. Elle est préoccupante, mais elle n’est ni brutale ni dramatique. Et elle a sa contrepartie, notamment en denrées commercialisables. Même si cette contrepartie n’est, en ce qui concerne la France, que partielle, elle n’est pas négligeable.
25Il faut noter que la guerre s’est jusque-là déroulée en France. C’est l’Anglais qui faisait venir du numéraire pour solder ses troupes, lesquelles dépensaient en France l’or et l’argent de la trésorerie anglaise, donc du contribuable anglais. Cet afflux d’or, pour limité qu’il fût, conduisait à une sous-évaluation du métal précieux. On le voit bien quand le cours de l’or, exprimé en livres tournois, qui n’a cessé de monter depuis la fin du XIIIe siècle, s’effondre à partir de 1346, date de la campagne de Crécy. Il tombe de 151 livres à 52 livres.
26Cette fois, il s’agit de payer une rançon, non de solder des compagnies. Les choses sont donc bien différentes. Des sacs d’or – 3 millions font environ une tonne – vont, en un bref laps de temps, sortir du royaume. De l’or, et non de l’argent. Dès le temps des négociations préliminaires, on sait que le roi ne reviendra qu’après un acompte de 600 000 écus. N’oublions pas les autres prisonniers de marque, qui devront, eux aussi, payer rançon. Le comte de Dammartin paiera 12 000 écus, Guillaume de Melun en paiera 48 000. Certes, le Trésor royal ne souffrira pas de ces rançons des chevaliers, mais elles représentent, elles aussi, des amoindrissements prévisibles de la masse monétaire disponible dans le royaume. Toutes ces rançons sont des transferts de numéraire sans retour. Autant dire que le cours de l’or connaît une brusque ascension.
27Dès 1356, et surtout après les préliminaires de Londres (septembre 1357), le marché se prend donc à anticiper. Les gouvernants ne peuvent qu’en tenir compte. Mais on ne peut oublier l’argent, qui ne sera pas le métal transféré vers Londres mais qui sera celui des paiements du contribuable. De surcroît, il s’agit de ranimer l’économie, et cela suppose une monnaie d’argent disponible. Sans moyens de paiement pour la vie quotidienne, le marché est exsangue. Le 25 novembre 1356, la monnaie d’or est réévaluée : le mouton, officiellement appelé l’agnel et qui représente l’agneau pascal, passe de 25 à 30 sous. La livre tournois perd donc 20 % par rapport à l’or. Par rapport à l’argent, elle perd 60 %. La différence s’explique : ce que les contribuables auront payé en argent devra être transféré en or, et il convient de ne pas trop hausser l’or par rapport à l’argent.
28En 1358, alors que l’incertitude ne concerne plus que la somme à payer aux Anglais, le cours du marc d’or continue de monter. Il passe de 65 à 82 livres tournois. On sait proche le moment où l’on aura besoin d’or. Pendant les préliminaires de 1359, le marc atteint 86 livres tournois.
29Notons que la même concomitance s’observera plus d’un siècle plus tard, lors de la conclusion du traité de Picquigny entre Louis XI et Édouard IV. Le roi de France offrira, pour prix du rembarquement immédiat de l’Anglais, une indemnité de 75 000 écus et une pension de 50 000 écus pendant sept ans, à quoi s’ajouteront les pensions promises à divers conseillers du roi d’Angleterre. Cela fait environ un demi-million d’écus, ce qui me permet d’avancer que la fin de la guerre de Cent Ans a coûté moins cher que la continuation éventuelle de celle-ci. Mais, après la conclusion de Picquigny, le 29 août, on accompagne le marché et, par la création de l’écu soleil le 2 novembre 1475, on porte le marc d’or de 113 à 119 livres tournois. Là encore, on va avoir besoin d’or, pour une évasion sans retour.
30Revenons à 1360. Maintenant, il faut calmer le jeu. Dès lors que, après la conclusion du traité de Brétigny le 8 mai 1360, on connaît l’étendue des concessions territoriales que devra faire le roi de France, on sait que rien n’est stabilisé et que l’heure de la revanche sonnera. L’Anglais va devoir tenir des garnisons sur le continent. Les contribuables de Guyenne n’y suffiront pas. L’or reviendra d’Angleterre, du moins en partie. Le même phénomène s’observera lors de l’occupation anglaise après 1419 : à la grande fureur des contribuables anglais, c’est le trésor de Winchester qui alimentera les caisses des trésoriers des guerres du régent Bedford sur le continent, et le cours de l’or tombera de 100 à 74 livres tournois.
31Quant à la rançon de Jean le Bon, on devra payer 600 000 écus avant de revoir le roi à Paris, exigence finalement ramenée à 400 000 écus. Mais on s’attend à ce que la suite soit plus douce : les gouvernants ne sont pas du tout pressés d’en finir avec la rançon. Celle-ci est garantie par des otages, et l’un d’eux, l’un des fils du roi qui sera plus tard le duc Louis d’Anjou, a préféré rejoindre sa jeune épouse. Le roi Jean se fera un devoir d’honneur d’aller prendre à Londres la place de son fils défaillant.
32Or, cinq annuités sont prévues pour le solde de la rançon. Certains comptent bien sur l’âge du roi. Si Jean le Bon est, à Londres, otage à la place de son fils otage, c’est toujours de la rançon du roi qu’il s’agit, non de celle de son fils. Si Jean le Bon mourait, y aurait-il encore lieu de payer rançon pour sa libération ? Quand le roi mourra, à Londres, au cours de sa deuxième captivité, la question se posera. L’Anglais tirera argument de ce que la mort d’un otage ne change rien à la dette. Le Français répondra que l’on ne paie pas rançon pour la libération d’un mort. En 1360, nul ne sait comment se terminera l’affaire. Une chose est sûre : quand le roi sera mort, nul ne se précipitera plus pour payer la rançon.
33En fait, la moitié de la rançon sera payée entre 1360 et 1368. Au lieu de tout verser en six ans, on aura versé la moitié en huit ans. L’offensive de Louis d’Anjou et de Jean de Berry qui reconquièrent au printemps de 1369 le Rouergue, le Quercy et le Limousin, le coup de main anglais sur Chef-de-Caux (aujourd’hui Sainte-Adresse) en juillet 1369, la vaine chevauchée de Lancastre en août et la réplique française par une opération contre Portsmouth en septembre signifieront la rupture de la paix conclue neuf ans plus tôt et cette reprise de la guerre dispensera Charles V de continuer à payer pour la libération du défunt roi.
34Les perspectives ouvertes par le traité de Brétigny ont donc, dès l’automne de 1360, rendu possible et souhaitable une baisse du cours légal de l’or, corrélative à sa baisse sur le marché. Le 24 octobre 1360, le traité de Calais entérine les clauses de Brétigny. Le roi va regagner Paris. Le 5 décembre, alors qu’il est déjà à Compiègne où il séjournera une semaine avant de gagner Paris, il publie deux ordonnances interdisant la circulation du royal d’or et créant « un franc d’or fin ».
35J’attire votre attention sur la chronologie précise : le roi sera à Paris le 13 décembre. Le franc est créé et dénommé par une ordonnance prise par Jean le Bon. Mais l’ordonnance (Ord. III, 435) ne dit rien de l’effigie. La chose n’a rien d’étonnant : les créations de la sorte mentionnent seulement la taille au marc, c’est-à-dire le poids, le titre et le cours légal en sous et deniers tournois.
36Ce franc, dit franc à cheval, est à 24 carats comme le royal qui précède, mais taillé à 63 pièces au marc, et non plus à 69. Il est donc plus lourd. Surtout, il sera compté pour 20 sous, alors que le royal l’était pour 25 sous, et finalement pour 30. De ce fait, le cours légal du marc d’or monnayé est ramené de 86 livres tournois à 63. Il est d’ailleurs plus bas si l’on tient compte du cours fixé pour l’achat de métal monnayable par les ateliers royaux chargés de fabriquer le franc : on achètera l’or au cours de 60 sous.
37Dans le même temps, est émis un nouveau « blanc », meilleur que le précédent : 54 pièces au marc d’argent au lieu de 80, avec un titre de 4 deniers et demi d’aloi au lieu de 2 deniers, toujours pour 10 deniers tournois. Cela ramène la monnaie d’argent du pied 80e au pied 24e. Le marc d’argent fin vaut maintenant 4,18 livres sous tournois.
38Cette monnaie va durer plus de quatre ans. Avec une légère dévaluation de la livre tournois le 22 avril 1365 par l’émission d’un franc à pied à peine plus léger (64 pièces au marc au lieu de 63), ce qui relève insensiblement le cours de l’or, le franc va demeurer la monnaie royale jusqu’à l’émission, vingt ans plus tard, en 1385 de l’écu couronne. La dernière frappe de franc a lieu en 1380. L’écu couronne sera inchangé jusqu’en 1417.
39La force du franc, c’est sa valeur légale : vingt sous, autrement dit une livre. Après un bref épisode en 1348, c’est la première fois que cette génération voit la monnaie d’or correspondre à l’unité lourde de la monnaie de compte. Livre et franc sont synonymes, et la stabilité qui suit pendant un quart de siècle institutionnalise cette synonymie. La retouche de 1365 n’a rien changé, puisqu’on a joué sur le seul poids. On prend donc l’habitude de dire un franc pour une livre tournois.
40Lorsque disparaît le franc en tant qu’espèce en circulation, le vocabulaire demeure. Une émission de francs par Henri III en 1575 ne fait que raviver l’usage. À la fin du XVIIIe siècle encore, on dira un franc pour une livre tournois, et cela même dans des comptes officiels. Le gouvernement de la Convention n’aura aucun effort d’imagination à faire pour remplacer les mots « livre tournois » par le mot « franc ». On ne peut s’étonner que ce même nom ait été repris par la Confédération helvétique en 1799 et, dès leur fondation, par le royaume de Belgique et par le grand-duché de Luxembourg. Je n’oublie naturellement ni le franc CFA ni le franc CFP, ainsi dénommés pour de tout autres raisons que la notoriété du mot.
41La force des habitudes est bien connue. En matière monétaire, c’est une vieille histoire. Lorsqu’en 1101, le capétien Philippe Ier achète la vicomté de Bourges, il la paie 60 000 sous d’or, ce qui veut dire qu’il paie en argent l’équivalent de 60 000 sous qui n’existent plus depuis trois siècles. On compte encore à Paris en livres, sous et deniers parisis jusqu’à la fin du XVe siècle, un siècle et demi après la dernière émission de monnaie parisis. Les pièces d’or de la troisième République seront appelées louis ou napoléon, et il aura fallu le nouveau franc de 1960 pour qu’on cesse de dire vingt sous pour dire un franc. Je rappelle que le sou a disparu en 1793, avant même la livre tournois, qui est alors divisée en décimes et centimes.
42Lorsque, pour pallier les incertitudes liées aux petits mouvements du marché monétaire, s’introduit en Occident la pratique d’une nouvelle monnaie de compte, ayant pour base l’espèce d’or, plus stable, et non plus le denier d’argent de Charlemagne, c’est tout naturellement que, dans le temps où Florence a recours au florin, la France choisit le franc comme repère commode de l’échelle des valeurs. C’est le système franc-gros, si commun à la fin du XIVe siècle. Comme en 1365 le gros d’argent valait 15 deniers à l’excellent pied 24e, cela faisait 16 gros à la livre. On garde donc un gros théorique, un « gros de franc », qui restera à 1/16e du franc quel que soit le cours légal ou commercial des gros en circulation. L’usage suivra les émissions de monnaie d’or, et le système franc-gros sera remplacé par un système écu-gros, le « gros d’écu » valant 1/18e de l’écu d’or bien réel.
43En 1360, le mot « franc » est tout à fait inusité pour une monnaie. On a souvent dit et écrit que l’espèce nouvelle devait son nom à la libération du roi, ainsi rendu franc de sa captivité. Cette explication me semble ne résister ni à l’examen de la chronologie ni à celui de la sémantique.
44Avant tout, « franc » dénomme un membre du peuple franc. Le roi de France est, en latin, rex Francorum. Peu de gens y font attention. Mais le mythe de l’origine troyenne des Francs connaît alors une belle fortune et la fierté d’appartenir au peuple franc est de celles que cultivent à la fois la royauté, l’abbaye de Saint-Denis et l’aristocratie. Le même mot a signifié, à l’époque des croisades, les chrétiens d’Occident en Terre sainte. Mais les chansons de geste lui ont vite substitué le mot « Français ».
45Au XVe siècle, « franc » est surtout un adjectif. Il qualifie un homme qui n’est ni serf ni esclave, et il fait de plus en plus normalement allusion à une situation juridique et fiscale définie par une exemption : exemption d’impôt, de droits, de charges. On parle des francs archers, qui sont exempts d’impôt. La franchise est une condition d’homme libre par nature ou par privilège. On concède une franchise, ou des franchises, à une communauté d’habitants, à un bourgeois, à un manant. Quand Louis XI change en Franchise le nom d’Arras, il souligne le fait, non que la ville est libérée, puisqu’elle a été vaincue, mais que les nouveaux habitants y seront libres de droits. On retrouve là une acception couramment utilisée lors des campagnes de peuplement et de défrichement. Il est sans exemple qu’on ait concédé des franchises à un noble. Inutile d’insister longuement sur le fait que parler de franchise pour le roi serait une incongruité.
46Lorsqu’un prisonnier de guerre recouvre sa liberté, on dit qu’il est libéré. On parle de son rachat. Nul ne dirait qu’il est affranchi, le mot étant réservé à une catégorie inférieure de la population.
47Il est donc difficile de lier le nom de l’espèce à la libération du roi. D’abord, ce nom serait inadéquat. Ensuite, la part la plus difficile de la rançon, les 400 000 écus préalables à la libération, est déjà versée, et elle l’a été en écus dits royaux, déjà frappés. Les Anglais n’ont pas vu arriver un flot de francs, mais un flot d’écus, ces mêmes royaux dont, le 5 décembre 1360, par l’ordonnance qui crée le franc, Jean le Bon interdit le maintien en circulation.
48Même si le sens historique du mot n’est guère perceptible, en 1360, que pour les érudits, on ne peut éviter de penser qu’il est à l’arrière-plan de la dénomination choisie par Jean le Bon et ses conseillers. La mauvaise manière faite aux Anglais, qui ne descendent ni des Francs ni des Trovens, me paraît probable. Mais c’est le propos à usage intérieur qui l’emporte. Le franc naît d’un besoin d’affirmation nationale.
49Pour compléter les éléments de l’analyse, examinons l’espèce. Jusque-là, les monnaies royales ont porté, soit une effigie du roi en majesté (c’est encore le cas de l’écu dit royal de 1351) ou un écu aux fleurs de lis, soit un animal symbolique et héraldique (le lion de 1338), soit une image de dévotion (l’ange, l’agneau pascal, voire en 1346 un saint Georges terrassant le dragon qui demeure à tous égards étonnant). Le royal de 1358 est encore conforme à l’usage : le roi est debout sous un dais, couronné de fleurs de lis, tenant un sceptre.
50Et voilà que, en exécution d’une ordonnance publiée à Compiègne une semaine avant l’arrivée à Paris de Jean le Bon libéré, on frappe cette monnaie qui représente le roi à cheval, comme un chevalier en guerre, heaume en tête et épée brandie, cotte d’armes et caparaçon brodés de fleurs de ; lis. Nous ne savons évidemment pas qui a choisi le type et le nom. Il faut le rappeler, les ordonnances ne s’accompagnent jamais d’une description autre que financière : nombre de pièces au marc, aloi, cours légal.
51L’imitation du sceau équestre, si normal dans la chevalerie, est évidente. La nouvelle monnaie du roi ressemble à un simple sceau de chevalier, non à une monnaie royale, non plus qu’à un sceau royal, qui est toujours du type de majesté : le roi sur son trône. On aurait voulu ramener le roi au rang du premier des princes qu’on n’aurait pas choisi un autre type d’effigie, alors que toute la noblesse n’est pas encore convaincue par le choix du Valois, fait en 1328 quand est mort un roi qui ne laissait pas de fils, et quand il a fallu aller chercher un roi parmi les collatéraux.
52On pourrait penser qu’il s’agit d’un hommage rendu à la bravoure, bien connue, du roi Jean. Après tout, Jean le Bon s’est voulu le modèle du roi chevalier. On le penserait plus assurément si l’on ne prenait garde à un détail : le cavalier royal passe vers la gauche. Toute la sigillographie nous présente des chevaliers passant vers la droite. Une exception est notable : celle de Simon de Montfort, qui s’est fait représenter non en guerre mais en chasse, sonnant du cor. Sinon, les chevaliers passent vers la droite, ce qui permet de montrer le bras droit brandissant l’épée. Sur le franc à cheval, le roi brandit son épée de la main gauche. L’anomalie est flagrante. Là encore, on est en droit de s’interroger : n’y aurait-il pas une perfidie dans cette effigie ?
53Sans doute faut-il se rappeler ici que pour beaucoup de ses contemporains, et même parmi les gouvernants, le roi Jean le Bon n’est pas le héros de Poitiers mais le responsable des malheurs de la France. Le dauphin Charles, qui préside le Conseil quand on prend d’urgence cette décision sans attendre l’arrivée du roi, a plus souvent critiqué que suivi son père. Il s’est trouvé un parti pour songer à jouer le fils contre le père et à reporter sur le dauphin Charles l’exercice réel du pouvoir royal, quitte à le mettre lui-même en tutelle. Ce qui est en cause, c’est tout simplement le progrès de l’autorité royale depuis deux cents ans, et le changement de caractère politique du roi, de moins en moins suzerain, c’est-à-dire seigneur des seigneurs, et de plus en plus souverain, c’est-à-dire dépositaire de la puissance de l’État. Ramener le Valois au rang de premier des féodaux reste l’idée lancinante de bien des nobles, des plus grands aux plus modestes.
54Cela, ce sont les griefs déjà anciens et toujours actuels. Il en est un nouveau : la défaite. Des barons se souviennent d’avoir déconseillé la bataille de 1356, engagée par Jean le Bon dans les pires conditions tactiques. Les hommes d’affaires qui sont au Conseil savent ce qu’a coûté à la France le goût du roi pour la prouesse. On n’a pas oublié les états généraux réformateurs qui, avant même la défaite, ont attaqué avec une certaine violence les principes et les méthodes du gouvernement financier de Jean le Bon. Dès décembre 1355, ils ont manifesté leur prétention à un contrôle de ce gouvernement et ils ont constitué une commission permanente chargée d’y veiller. Poitiers leur a ouvert des voies nouvelles : les excès d’Etienne Marcel et son alliance avec les Jacques ont compromis le programme des réformateurs, mais nul ne l’a oublié.
55En mai 1359, alors que le roi Jean était prêt, à Londres, à accepter un véritable ; démembrement du royaume pour recouvrer sa liberté, un démembrement qui impliquait non seulement des cessions aux dépens du domaine royal mais un transfert de souveraineté du Valois au Plantagenêt sur une moitié de la France, ce sont les représentants des villes aux états convoqués à Paris qui s’y sont refusés et qui ont incarné – la formule est de Raymond Cazelles – le « sentiment d’appartenir à une communauté politique ;, à un royaume ». Le dauphin, on le sait, les a soutenus. Il n’aurait pas dédaigné d’assumer la régence jusqu’à la mort de son père, plutôt que jusqu’à sa libération.
56Je pose donc la question : n’a-t-on pas cherché à minimiser l’expression de la souveraineté royale ?
57Le 28 janvier 1361, Jean le Bon faisait arrêter la plupart des conseillers financiers qui avaient entouré le dauphin pendant les derniers mois de sa régence, comme les frères Amaury et Nicolas Braque ou comme Jean Poilevilain, l’ancien conseiller monétaire de Philippe VI et de Jean le Bon lui-même pendant les premières années de son règne. Les Braque, les Lorris, les Poilevilain ont été écartés des affaires par le roi, et ils attendaient le moment d’une revanche. Le dauphin a rappelé Poilevilain et ses semblables au gouvernement des monnaies pendant la crise de 1359. Ces hommes de finances sont à l’évidence de ceux que Jean le Bon n’aimait pas et ce n’est pas en captivité qu’il se serait pris d’affection pour eux. On ne saurait penser que, à la veille de son retour, ils aient été les serviteurs de son prestige.
58Ils sont les hommes du dauphin, lequel sera d’ailleurs l’artisan de leur rapide retour en grâce, puis aux affaires, et le dauphin n’est pas, politiquement parlant, l’homme du roi. Sans doute faut-il rappeler que, dans les derniers mois de sa première captivité, celle qui prend fin en novembre 1360, Jean le Bon a repris les affaires en main et, de Londres, n’a cessé de désavouer son fils, voire d’intimer aux officiers royaux l’ordre de passer outre à ses décisions.
59Rien ne dit que les uns et les autres aient été tenus par le roi pour responsables de la nouvelle monnaie. Ce que, revenu dans sa capitale, il leur a reproché, ce sont des malversations dans le domaine monétaire et l’incohérence des mutations des derniers mois, incohérence qui n’est qu’apparente si l’on tient compte de la tendance du marché à anticiper. L’accusation est classique : faute de pouvoir ou de savoir incriminer le marché, on s’en prend aux gestionnaires.
60Si l’on peut, à Compiègne, décréter le poids, le titre et le cours d’une nouvelle monnaie, c’est à Paris que s’organise la première fabrication de l’espèce, et c’est à Paris que l’on fait, naturellement, le choix de l’effigie qui la caractérise. Dans le cas de l’ange, de l’écu ou du royal, le silence de l’ordonnance ne laissait guère que la liberté du dessin. Le sujet était défini par le nom. Dans le cas du franc, il ne l’était pas.
61Or la rapidité d’exécution est en tout temps le premier facteur d’efficacité d’une mutation. C’est encore plus vrai quand la mutation instrumentalise un renversement de tendance. Dès lors que sont prévenus les opérateurs économiques, tout temps perdu pour la mise en circulation de l’espèce nouvelle signifie paralysie et spéculation. Après publication d’une ordonnance de la sorte, il faut faire vite.
62On l’a bien vu en août 1358 quand on a réalisé un royal d’or. Maladroitement arrivé à l’extrême limite de l’espace disponible pour la légende, le graveur s’est trouvé dans l’embarras. Il s’est arrêté après Francoru, obligé qu’il était d’omettre le m de Francorum, ce qui est assez fréquent en pareil cas et qui n’étonnait pas les gens du Moyen Âge, habitués à une écriture où l’on usait systématiquement des abréviations par suspension. Surtout, le malheureux graveur s’est trouvé dans le cas de ne pouvoir loger le mot Rex, ce qui était une lacune autrement grave et qui reste sans autre exemple. Il fallait faire vite. On n’avait pas le temps de regraver le coin. Cela pour dire que la définition monétaire du franc à cheval ayant l’aval du roi, sa fabrication lui a échappé. On est allé vite, et on est, si l’on peut dire, allé sans lui. Je serais tenté de dire qu’on en a profité.
63Observons la suite – la suite immédiate – de l’histoire. Elle est significative : elle dénote la réticence de Charles envers l’espèce de 1360 dès lors que, de dauphin qu’il était, il devient roi le 8 avril 1364. Après une rapide émission d’un franc à cheval au lendemain de son avènement, émission conforme à celle de 1360 pour l’essentiel et à la légende près puisque le nom du roi a changé, celui qui est maintenant Charles V va s’empresser d’abandonner ce type monétaire passablement désobligeant. Le roi, maintenant, n’est plus le vaincu de Poitiers. Le 22 avril 1365, Charles V revient au type de majesté avec un franc à pied qui montre le roi, debout sous un dais, tenant le sceptre et la main de justice, suivant un type classique que ses conseillers monétaires pourraient bien avoir délibérément évité de faire figurer sur la dernière monnaie d’or du roi vaincu. C’est ce franc à pied qui va demeurer la monnaie royale par excellence pendant vingt ans, et qui va fonder la réputation du franc en tant que monnaie de compte, je serais tenté de dire en tant que symbole du droit monétaire du roi.
64Reste à rattacher la question du nom et celle du type. Plutôt que le roi libéré, n’a-t-on pas voulu montrer la France ? Le roi voulait un Franc, qui ne pouvait être que lui, et peut-être ne se refusait-il pas à narguer l’Anglais. Mais voulait-il un roi représenté tel un simple chevalier, tel un féodal ? Et la pièce n’est-elle pas allusive à ceux qui assurent la continuité : les descendants des Troyens ? Un chevalier qui ne saurait être, sur sa monnaie, que le roi de France, mais un roi qui représente les Francs ? N’y a-t-il pas, dans le nom, quelque affirmation nationale ?
65Quant au cavalier qui chevauche dans le mauvais sens et avec une épée maladroitement brandie de la main gauche, je ne puis m’empêcher de penser à une légère perfidie des exécutants parisiens de l’ordonnance de Compiègne : si les Francs sont étemels, le roi Jean est un vaincu qui a coûté cher. Ceci, je le répète, est une simple hypothèse. La seule chose sûre, c’est que le choix du type et le choix du nom ne sauraient être le fait de la maladresse ou du hasard.
Conclusion
66Les maîtres de la monnaie du XIVe siècle savent mesurer les effets monétaires des décisions politiques et tenir compte de l’avenir proche en anticipant sur la conjoncture financière.
67Le nom et le type d’une monnaie ne sont pas sans relations avec une idéologie, et sans effet attendu dans un contexte politique. Celui-ci est fait, en 1360, d’une crise morale due à l’humiliation, d’une crise politique liée à la contestation de la gestion financière, d’une crise économique qui tient à la détérioration de la conjoncture depuis trois quarts de siècle, une détérioration qu’ont aggravée la guerre et ses charges fiscales, la Peste noire et ses effets démographiques, la défaite et ses conséquences financières.
68Mais on sait aussi, dans le détail, ménager une perfidie dans le type choisi. Le temps est favorable aux règlements de compte, et le fait que cette perfidie ait assurément échappé à la majorité des contemporains n’en émousse nullement l’acuité, perceptible dans un milieu informé des usages et capable de percevoir l’anomalie.
69Les mêmes contemporains ont en revanche été sensibles à l’équivalence, pour une fois durable, entre une monnaie réelle et une monnaie de compte. Alors que les réformateurs ne cessent de réclamer une rationalisation du système financier, nul doute qu’on ait apprécié à sa valeur la simplification qu’apportait l’émission d’une espèce qui coïncidait avec l’unité de compte.
70Ces choix sont porteurs d’avenir. En choisissant un nom qui fait assonance avec France, ils ouvrent des perspectives. La longévité du mot montre que les gens de finance du dauphin Charles ne se sont pas trompés. La France allait rester, jusqu’à demain, le seul pays dont la monnaie porte le nom.
Notes de bas de page
1 Conférence du 22 octobre 2001.
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D’or et d’argent
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